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Nutr. Clin. M6tabol. 1996 ; 10 : 31-32 Acides gras g chaine courte : l'exp6rience en pathologie colique Bernard Messing H6pital Saint-Lazare, Paris. Ces quinze derni~res anndes ont permis de vdrifier le concept de substrats trophiques sp6cifiques pour l'in- testin venant de l'alimentation : glutamine, acide amin6 conditionnellement essentiel, au niveau du gr~le pour plus de 50 % de ce besoin, Acides Gras ~t Chaine Courte (AGCC) au niveau du c61on pour pros de 80 % de ce besoin. Nous n'aborderons ici que les AGCC dont la production intracolique provient des glucides mal absorb6s dans le gr~le et ferment6s par la flore colique [1]. Ce concept a-t-il des r6percussions cliniques tant chez le sujet sain que chez les patients porteurs de maladies inflammatoires chroniques intestinales [2], par exemple, la maladie de Crohn (MC) et la recto-colite ulcdro-h6morragique (RCH) ? Certainement ! De longue date, il a 6t6 constat6, avant que le concept de substrats spdcifiques intestinaux soit valid6, que la mise au repos de l'intestin, qu'elle soit chirurgicale (segment d'aval) ou mddicale (nutrition ent6rale ou parent6rale) 6tait efficace pour contr61er dans pros de 75 % des cas les poussdes 6volutives de MC mais non celles de RCH, qu'il s'agisse de poussdes mod6r6es ou s6v~res, corticordsistantes [3, 4]. Le mode d'action de cette nutrition artificielle, n'incluant ni glu- tamine ni AGCC, repose en grande partie sur une moindre pr6sentation d'antig~nes alimentaires et ou bact6riens au niveau de l'intestin, ce qui permet de r6duire significativement la dysr6gulation immune locale, favorisant ainsi la cicatrisation intestinale. Notons qu'une r6ponse favorable se dessine en deux semaines environ, que le contr61e de la poussde se fair en 4 ~ 6 semaines et que de prolonger la raise au repos de l'intestin n'amdliore pas le taux de r6pondeurs [3]. A l'inverse, la privation totale de substrats intestinaux au niveau du c61on (d6rivation chirurgicale) laisse appa- ra~tre en 8 h 12 semaines une colite dite de diversion, et qui ressemble ~ la RCH en cela qu'il existe des 6ro- sions coliques, avec en histologie une colite inflamma- toire incluant rdduction de la mucosdcr6tion et abc~s cryptiques ~ polynucl6aires. Or, cette colite de diver- sion est gu6rie en quatre semaines par un traitement local quotidien par lavement d'AGCC. C'est lh une preuve de l'effet th6rapeutique de ces AGCC [5]. Exp6rimentalement, la colite ~ l'acide ac6tique chez la souris entra~ne une moindre mortalit6 avec r6paration plus fr6quente et plus rapide lorsque le rdgime inclut soit les AGCC, soit l'un d'entre eux, le butyrate [6]. Le butyrate est en effet le substrat principal du colono- cyte : il joue un r61e trophique pour l'6pith61ium, est oxyd6 au niveau de la mitochondrie et intervient pour moduler la diffdrenciation cellulaire des cellules souches des cryptes [6]. Les deux autres AGCC, propionate et ac6tate, absorbds puis transportds par voie portale, modifient l'6nerg6- tique syst6mique. La production intracolique locale d'AGCC vient des fibres et des hydrates de carbone real absorb6s dans le gr~le, et cette production varie quantitativement et qualitativement selon la quantit6 et le type de fibres et de polysaccharides ing6r6s. Le butyrate y est produit le plus souvent pour 15 ~ 30 % de la quantit6 totale des AGCC, laquelle est d'environ 135 mmol/kg d'eau fdcale. De plus, les fibres ~ fermen- tation lente (son de b16 par exemple) iront produire les AGCC au niveau du c61on gauche, tandis que les fibres fermentation rapide (polysaccharides) ne les produi- ront qu'au niveau du c61on droit. Cette fermentation ana6robie est significativement r6duite par une antibio- th6rapie visant les bacilles gram-positifs [1]. La RCH, quant helle, se ddveloppe de gauche (proc- tite) ~ droite (pancolite), sans intervalle de muqueuse saine, en ldsant le plus fr6quemment la muqueuse colique gauche. Des 6tudes ont donc 6t6 mendes pour pr6ciser s'il existait un d6ficit nutritionnel local en butyrate chez les sujets porteurs de RCH, soit par ddfaut d'utilisation primaire du butyrate par le colono- cyte au cours de la RCH en r6mission, soit par d6faut Correspondance : B. Messing, H6pital Saint-Lazare, 107, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris. 31

Acides gras à chaîne courte : l'expérience en pathologie colique

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Nutr. Clin. M6tabol. 1996 ; 10 : 31-32

Acides gras g chaine courte : l'exp6rience en pathologie colique

Bernard Messing

H6pital Saint-Lazare, Paris.

Ces quinze derni~res anndes ont permis de vdrifier le concept de substrats trophiques sp6cifiques pour l'in- testin venant de l'alimentation : glutamine, acide amin6 conditionnellement essentiel, au niveau du gr~le pour plus de 50 % de ce besoin, Acides Gras ~t Chaine Courte (AGCC) au niveau du c61on pour pros de 80 % de ce besoin. Nous n'aborderons ici que les AGCC dont la production intracolique provient des glucides mal absorb6s dans le gr~le et ferment6s par la flore colique [1].

Ce concept a-t-il des r6percussions cliniques tant chez le sujet sain que chez les patients porteurs de maladies inflammatoires chroniques intestinales [2], par exemple, la maladie de Crohn (MC) et la recto-colite ulcdro-h6morragique (RCH) ?

Certainement ! De longue date, il a 6t6 constat6, avant que le concept de substrats spdcifiques intestinaux soit valid6, que la mise au repos de l'intestin, qu'elle soit chirurgicale (segment d'aval) ou mddicale (nutrition ent6rale ou parent6rale) 6tait efficace pour contr61er dans pros de 75 % des cas les poussdes 6volutives de MC mais non celles de RCH, qu'il s'agisse de poussdes mod6r6es ou s6v~res, corticordsistantes [3, 4]. Le mode d'action de cette nutrition artificielle, n'incluant ni glu- tamine ni AGCC, repose en grande partie sur une moindre pr6sentation d'antig~nes alimentaires et ou bact6riens au niveau de l'intestin, ce qui permet de r6duire significativement la dysr6gulation immune locale, favorisant ainsi la cicatrisation intestinale. Notons qu'une r6ponse favorable se dessine en deux semaines environ, que le contr61e de la poussde se fair en 4 ~ 6 semaines et que de prolonger la raise au repos de l'intestin n'amdliore pas le taux de r6pondeurs [3]. A l'inverse, la privation totale de substrats intestinaux au niveau du c61on (d6rivation chirurgicale) laisse appa- ra~tre en 8 h 12 semaines une colite dite de diversion, et qui ressemble ~ la RCH en cela qu'il existe des 6ro- sions coliques, avec en histologie une colite inflamma-

toire incluant rdduction de la mucosdcr6tion et abc~s cryptiques ~ polynucl6aires. Or, cette colite de diver- sion est gu6rie en quatre semaines par un traitement local quotidien par lavement d 'AGCC. C'est lh une preuve de l 'effet th6rapeutique de ces AGCC [5]. Exp6rimentalement, la colite ~ l'acide ac6tique chez la souris entra~ne une moindre mortalit6 avec r6paration plus fr6quente et plus rapide lorsque le rdgime inclut soit les AGCC, soit l'un d'entre eux, le butyrate [6].

Le butyrate est en effet le substrat principal du colono- cyte : il joue un r61e trophique pour l'6pith61ium, est oxyd6 au niveau de la mitochondrie et intervient pour moduler la diffdrenciation cellulaire des cellules souches des cryptes [6].

Les deux autres AGCC, propionate et ac6tate, absorbds puis transportds par voie portale, modifient l'6nerg6- tique syst6mique. La production intracolique locale d 'AGCC vient des fibres et des hydrates de carbone real absorb6s dans le gr~le, et cette production varie quantitativement et qualitativement selon la quantit6 et le type de fibres et de polysaccharides ing6r6s. Le butyrate y est produit le plus souvent pour 15 ~ 30 % de la quantit6 totale des AGCC, laquelle est d'environ 135 mmol/kg d'eau fdcale. De plus, les fibres ~ fermen- tation lente (son de b16 par exemple) iront produire les AGCC au niveau du c61on gauche, tandis que les fibres

fermentation rapide (polysaccharides) ne les produi- ront qu'au niveau du c61on droit. Cette fermentation ana6robie est significativement r6duite par une antibio- th6rapie visant les bacilles gram-positifs [1].

La RCH, quant helle, se ddveloppe de gauche (proc- tite) ~ droite (pancolite), sans intervalle de muqueuse saine, en ldsant le plus fr6quemment la muqueuse colique gauche. Des 6tudes ont donc 6t6 mendes pour pr6ciser s'il existait un d6ficit nutritionnel local en butyrate chez les sujets porteurs de RCH, soit par ddfaut d'utilisation primaire du butyrate par le colono- cyte au cours de la RCH en r6mission, soit par d6faut

Correspondance : B. Messing, H6pital Saint-Lazare, 107, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris.

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secondaire de la production locale de butyrate au cours de la RCH en pouss6e [2, 7]. Les r6sultats de ces 6tudes quatre fois sur cinq s'accordent sur la forte pro- babilit6 d'un ddfaut ~ primaire ~ d'utilisation du bury- rate au cours de la RCH, non retrouv6 au cours de la MC [2, 7]. Ce ddficit peut d'ailleurs ~tre major6 par un d6faut de production colique d 'AGCC, tant les mdde- cins et leurs patients porteurs de RCH s'accordent sur des r6gimes pauvres en fibres [1 ].

Qu'en est-il alors de l'efficacit6 du traitement des proc- tites ou colites gauches de RCH (poussdes mod6r6es sdvbres) par lavements d 'AGCC ou butyrate seul ? Eh bien, les trois premieres 6tudes sont concordantes et positives [8, 10]. L'une d'entre elles, men6e en 6valua- tion prospective en double aveugle, a indiqu6 un taux de rdmissions comparable ~ celui observ6 avec les thd- rapeutiques classiques, corticoides ou 5-aminosal icy- late locaux [9].

L'hypothbse expliquant l 'efficacit6 des AGCC (ou du butyrate seul) est que, pr6sents en grande quantit6, ils permettraient de restaurer les capacit6s de cicatrisation de la muqueuse de RCH. Une des causes du d6faut << primaire >> d 'ut i l isat ion des AGCC et en particulier du butyrate, serait la pr6sence de t o t e s particuli~res r6duisant les sulfates, lesquels inhiberaient l 'oxydation du butyrate.

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