Actu096avr2012 _007

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  • 7/31/2019 Actu096avr2012 _007

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    LActuALit Poitou-chArentes n 96 77

    culture

    DENIS MoNTEBEllo

    La vrit en ciment

    giulio Montebello est au cur de ce

    rcit de son petit-ls, Denis, qui

    va chercher les mots et les saveurs de

    lenfancedanslafortdesVosgesoils

    marchaient tous les deux comme trois

    frres. Un grand-pre cimentier-carre-

    leur, venu du Pimont, qui troqua son

    prnom italien pour celui de Jules.

    LActualit. Est-ce une archologie

    de la famille, avec pour dpts sdi-

    mentaires des mots ?

    Denis Montebello. Archologie, cest le

    mot, une trace parmi dautres, par exemplelescyclamensdeNaplesquieurissent

    lore de lautomne et au dbut de ce

    livre.Jenelescueillepas,jelesregarde

    commeautantdesymptmes;jeleslis,

    cequiestuneautrefaondecueillir;

    jaccueillelamerveille.Maiscestaussi

    mettre ses pas dans des vestiges, ses mots.

    Inventer, comme on dit de larchologue

    qui dcouvre (par hasard, par le truche-

    ment de lagriculteur qui retournait au

    mmemomentlaterre)lecratredeVix.

    Moiaussijinvente :jedcouvre,nonpas

    des secrets de famille (ils sont trop bien

    cachs), mais que la mmoire travaille.

    Que cest elle qui crit cette belle page de

    terre, pour citer un archologue de mes

    amis citant Bernard Nol. Je dcouvre

    aussi ce que les archologues appellent

    matire noire, par quoi ils dsignent ces

    ges obscurs davant lhistoire ; et tout

    ce qui chappe lhistoire. La matire

    noire, pour moi, cest la mlancolie, celle

    de mon grand-pre Giulio. Jen cherche

    la cause. Et la seule certitude que je

    retire de cette enqute o les indices

    sonttellementrares,tellementdifciles

    interprter, cest que cette mlancolie

    fait partie de mon hritage, que cest ce

    que cet homme des bois, ce que lours

    (comme on le surnommait gentiment

    dans la famille) ma transmis.

    Les textes pivotent sur des expres-

    sions populaires ou venant dautres

    langues. Est-ce parce ue a sonne

    bien ?Jenesaispassiasonnebien,maisa

    rsonne. Longtemps aprs. Cest comme

    une rumeur qui nous parvient de ces

    ges,commesilefranaistaittravaill

    par dautres langues, par la langue de

    lautre, cellequon na jamais apprise

    etquonnennitpasdetraduire.Cette

    langue, cest moins litalien que le pie-

    montis, ce bel parlque Dante excluait

    justementdela famille,parceque trop

    proche de celles doltralpe. Litalien,

    mon grand-pre lavait appris lcole,

    etilneleparlaitjamais.Qusamre

    quandilluicrivaitdeFrance.Voille

    lac dOrta, lle de San Giulio, le paradis

    dontlimagemepoursuivaitjusquedans

    mafort.Onousallionsluietmoi:

    touslesdeuxcommetroisfrres.Oje

    devenais (une sorte dadoubement) son

    camarade sandicaire. Cela fait notre

    franaistrange,mais cestgalement

    le mot comme lenfant lentend la pre-

    mirefois.Illereoitcommeilreoit

    sonnom:commeunsignevide.Ille

    remotive. Ce mot quil entend et quil

    nentend pas. Il lui donne un sens qui

    nest pas le sien. Et cest trs bon pour

    la littrature. Le paradis, cest aussi bien

    la fort, la grande fort o lenfant est

    commedanssonjardin.Unjardinole

    mot ressemble la chose. Aprs, i l faut

    apprendre parler, apprendre lexil. Les

    linguistes appellent cela larbitraire du

    signe.Celanousloigneunpeudusujet.

    La nourriture est trs prsente, desgnocchi la ttine de buf. y a-

    t-il un glissement entre la rubriue

    saveurs de lactuitet ce rcit ?

    La nourriture y est en effet comme dans

    la rubrique saveurs. Une trace. La trace

    prsente du pass. Dun pass qui ne

    passe pas plus que la ttine de buf

    qui tait la spcialit de la maman. Mais

    cestaussi,aveclesgnocchidujeudique

    me prparait mon grand-pre, objet,

    ou, pour parler comme Francis Ponge,

    objeu, objoie. Et cest, dans ce livre o

    il est question de transmission, de la

    difcultdetransmettreetdesrendez-

    vous manqus avec lItalie, une part de

    mon hritage. Lautre tant la mlancolie.

    quelle est la part de ction ?

    Cest ce qui travaille la langue. Ce qui la

    rend trange et quon observe aussi dans

    le rve. Cest encore la mmoire luvre,

    comment le souvenir travaille. Comment

    le Pre Meuchmeuch a pu devenir, de

    marchand ambulant quil tait, prome-

    nant son tonneau, un tyran terrorisant le

    village et que mon grand-pre avec sa

    bande de garnements aurait fait mourir

    de peur. Comment de petits voleurs de

    sardines, danchois, peuvent apparatre,

    desannesaprs,habillsenjusticiers,

    et de quelle nuit ils surgissent.

    Recueilli parJean-Luc Terradillos

    Tous les deux comme trois frres, de

    Denis Mntebe, le temps qui fait,

    2012, 120 p., 15 e. Chez e mme

    diteur, es recueis de a rubrique

    saveurs de LActualit:

    Fouaces et autres viandes clestes,

    2004 ; Le diable, lassaisonnement,

    2007. Chez pubie.net : Immobilier-

    services, 2008 ; Calatayud, 2008 ;

    Le cactus car il capte, 2008 ;

    Lachambre voyage, 2009.PaulRoque

    cave