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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ADO&ID_NUMPUBLIE=ADO_050&ID_ARTICLE=ADO_050_0869 Mélanie Klein analyste d’adolescents : II. le cas « Ilse » par Dominique AGOSTINI | L’Esprit du Temps | Adolescence 2004/4 - Tome 50 ISSN 0751-7696 | ISBN 2-84795-046-X | pages 869 à 877 Pour citer cet article : — Agostini D., Mélanie Klein analyste d’adolescents : II. le cas « Ilse », Adolescence 2004/4, Tome 50, p. 869-877. Distribution électronique Cairn pour L’Esprit du Temps. © L’Esprit du Temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

ADO_050_0869 Mélanie Klein Analyste d’Adolescents - II. Le Cas « Ilse » Par Dominique AGOSTINI

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Mélanie Klein analyste d’adolescents : II. le cas « Ilse »

par Dominique AGOSTINI

| L’Esprit du Temps | Adolescence2004/4 - Tome 50ISSN 0751-7696 | ISBN 2-84795-046-X | pages 869 à 877

Pour citer cet article : — Agostini D., Mélanie Klein analyste d’adolescents : II. le cas « Ilse », Adolescence 2004/4, Tome 50, p. 869-877.

Distribution électronique Cairn pour L’Esprit du Temps.© L’Esprit du Temps. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Mélanie Klein, qui était « londonienne » depuis 1926, travailla, àpartir de janvier 1928, à la conception de La psychanalyse des enfants(1932). C’est dans ce livre1 et notamment dans le chapitre consacré à « Latechnique de l’analyse des enfants à l’époque de la puberté » (1932a), queKlein expose l’analyse d’Ilse (douze ans), une adolescente2 schizoïde dontle niveau intellectuel et mental était celui d’une « enfant de huit-neuf ans »et dont les difficultés tant dans le monde intra-familial qu’extra-familialétaient massives.

Elle décrit, à propos d’Ilse et comme elle l’avait fait pour Félix(1923a, 1923b, 1925), un arrêt du développement qu’elle articuleégalement à une inhibition de la pulsion épistémophilique : « Une fois deplus, l’inhibition sur la personnalité entière et sur le développementintellectuel était due au refoulement précoce de la pulsionépistémophilique qui, par suite d’un refoulement total, avait fait place à uneantipathie invétérée pour n’importe quelle sorte de connaissance » (1932a).Ilse n’avait effectivement jamais joué… « les intérêts normaux de son âgelui étaient étrangers » (1932a). Outre qu’elle évitait la compagnie desautres adolescents, elle détestait sortir, aller au théâtre ou au cinéma.

MÉLANIE KLEIN ANALYSTE D’ADOLESCENTS :

II. LE CAS « ILSE »

DOMINIQUE AGOSTINI

Adolescence, 2004, 22, 4, 869-877.

1. Grosskurth (1986) souligne à juste titre que, dans ce travail, Klein pose lesfondements des positions dépressive (1934) et schizoparanoïde (1946).

2. L’avènement pubertaire d’Ilse est advenu pendant l’analyse.

Ilse accordait, par contre, une place capitale à la nourriture. Et ce aupoint que « toute déception dans ce domaine la plongeait dans des accèsde fureur et de dépression » (1932a). Klein articule ce symptôme à unejalousie exacerbée à l’égard des frères et sœurs par rapport à la mère.Aussi entrait-elle régulièrement en fureur contre cet objet externe/interneauquel elle demeurait « extraordinairement fixée ». Cette attitude hostile,à l’encontre tant de la mère que du groupe-fratrie, la dévalorisait,renforçait son isolement et la confinait dans la binarité réactive d’accès derage et de soumission automatique. Pour atténuer son angoisse, Ilserefusait totalement la responsabilité de ses actes et adoptait à l’égard deson entourage une attitude de défi et d’hostilité. C’est là, note Klein unfonctionnement « tout à fait caractéristique d’une certaine catégoried’individus asociaux qui se montrent si complètement indifférents àl’opinion d’autrui et à l’abri de la honte » (1932c).

Il est clair qu’Ilse occupait une place à part dans la famille. Kleinrelève à ce propos qu’« on l’avait mise en pension pendant deux ans » etque la demande d’analyse émanait de la mère qui avait découvert larelation incestueuse entre Ilse, alors âgée de onze ans et demi et son frèreGert d’un an et demi son aîné. Ilse accepta l’analyse avec une docilitécaractéristique de la « fixation maternelle » (1932a).

Peu après avoir commencé cette analyse, Klein entreprit égalementcelle du frère incestueux. Les deux traitements « prouvèrent » que cesrelations sexuelles remontaient à la toute petite enfance. « Chosefrappante, souligne Klein, Ilse n’avait aucune culpabilité consciente à cetégard, mais détestait son frère » (1932a). Elle souffrait en effet, commeGert, d’une culpabilité écrasante qui obligeait le frère et la sœur à répétercompulsivement leurs actes. L’analyse eut pour résultat de mettre unterme à l’inceste. Par la suite, alors que d’autres changements s’opéraienten Ilse, ces épisodes « lui inspirèrent tout à coup de vifs sentimentsd’angoisse et de culpabilité » (1932a). Klein souligne que ces types de cas,dans lesquels elle prend en analyse les deux partenaires – l’analyse, par lemême analyste des enfants d’une même famille était, à l’époque,fréquente – lui ont apporté « la preuve convaincante de l’inutilité de toutemesure éducative de la part de l’analyste » (1932c). Je vais maintenantexplorer le matériel de l’analyse d’Ilse.

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Première séance : Ilse, allongée sur le divan3, « efface »compulsivement les faux plis de sa robe tout en associant péniblement surle mobilier de son analyste qu’elle compare à celui de sa chambre. Elle nevint à la séance suivante que sur injonction maternelle. « Dans des cassemblables, commente Klein, il est nécessaire d’établir rapidement4 lasituation analytique, car l’assistance de la famille ne nous est pas acquisepour longtemps » (1932a).

Seconde séance : Ilse dévalorise sa théière par rapport à celle de sonanalyste cependant que ses doigts continuent d’effacer, à la dérobée, lesfaux plis de sa robe. Après avoir « expliqué » à sa patiente l’équivalenceentre comparer des objets et des personnes, Klein lui interprète que cettecomparaison autodépréciatrice reflète une masturbation culpabilisée aupoint d’en craindre des représailles physiques. L’analyste interprèteensuite qu’effacer les faux plis – symbolisation de la masturbation –condensait en Ilse un onanisme saturé d’agressivité à l’encontre de la mèreinterne et la réparation5 magique de ses propres organes génitauxtalioniquement endommagés. Dans le fantasme s’entend.

Klein précise que ce type d’interprétation ne vise pas à lever lesecret de la masturbation mais à donner du contenant et donc à diminuer,comme elle l’a fait avec Félix, la culpabilité excessive secrétée par lesfantasmes masturbatoires. Et de fait, bien que l’adolescente se soiténergiquement dérobée à ces interprétations « directes , une atténuation dela culpabilité masturbatoire avec amélioration symptomatique etenrichissement du matériel leur succéda. Progrès que Klein nuance :malgré un certain élargissement de ses intérêts, Ilse continuait d’être

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3. L’adolescent étant capable d’associations libres, il nécessite, pense Klein, d’unetechnique et d’un cadre proches, tel le divan, de ceux qui, appliqués aux adultes, mettentl’adolescent « en relation avec la réalité et un champ d’intérêt normal » (1932a). Danscertains cas, Ilse en est un exemple, Klein peut, comme avec les jeunes enfants, solliciterl’expression fantasmatique de l’adolescent par le jeu et/ou le dessin. Lorsque cela s’avèrepossible, Klein préfère clairement établir un cadre qui privilégie les associations verbales.

4. Klein « établit rapidement » l’analyse directe du transfert négatif.5. Ce concept joue, chez Klein qui l’a introduit, un rôle crucial. Alors que Freud

(1917) s’est centré sur la problématique de l’objet perdu, Klein s’est tournée vers l’objetinterne abîmé, à réparer donc. Aussi est-elle très attentive aux modes de réparationutilisés par le patient. La réparation utilisée par Ilse dans la séquence en question est detype obsessionnel ou maniaque. La vraie réparation est celle de l’objet interne ou« formation du symbole » (1930).

dépourvue d’opinions personnelles et d’insights. Elle se délestait de sonagressivité et apportait un matériel du style « plaire à maman et à lamaîtresse ». Un matériel qui reflétait son incapacité à penser par elle-même, à sortir des jupes de sa mère. Critiquer sa mère, la mère-analyste,équivalait, effectivement, pour cette adolescente, à des attaques concrètes– registre des « équations symboliques » (Segal, 1964) dans leur lien aux« identifications projectives excessives » (Klein, 1946). Dans ce contextepsychique, les progrès scolaires d’Ilse s’originaient d’une obéissanceautomatique à l’altruisme sacrificiel imposé par un surmoi précocissime.Ce surmoi anti-séparateur, du type mise-en-plis, lui dérobait l’intégrationpsychique des changements pubertaires qui advenaient.

Ilse n’avait, en fait, dans cette première période de l’analyse, réussiqu’un passage à la latence, phase dans laquelle elle s’attardait : unepuberté marquée au sceau d’une notable limitation d’intérêts et de moyensd’expression masque, commente Klein, une « latence prolongée »(1932a). Aussi l’analyste adopta-t-elle une technique plus appropriée àcette période, la technique d’analyse par le jeu. Exit du divan donc. Enguise d’associations, Ilse apporte alors un matériel essentiellementscolaire tel que des dessins au compas et à la règle dont elle mesurecompulsivement les différents éléments. À partir des dessins, mesures etautres matériels scolaires, Klein provoque les associations de sa patientepuis analyse les fantasmes sous-tendant ledit matériel. Ainsi, après avoirsuggéré que « les formes et les couleurs des dessins représententdifférentes personnes », Klein lie ces mesures stériles à une inhibitionobsessionnelle de la curiosité sexuelle – répression de la pulsionépistémophilique – à l’égard de l’intérieur du corps maternel et de sescontenus – nombre d’enfants, pénis du père, différences sexuelles.

Faire ses devoirs avait, commente Klein, sens pour Ilse de« reconnaître qu’elle ne savait pas ce qui se passait quand ses parentsavaient des rapports sexuels, ni ce qu’il y avait à l’intérieur du corps de samère ; toute l’angoisse liée à cette ignorance fondamentale se trouvaitréveillée par les devoirs » (1932a). D’où l’inhibition. Les rédactionsnotamment déclenchaient angoisse et culpabilité suivies d’inhibition.Ainsi Ilse fut-elle immobilisée psychiquement lors d’une rédaction sur les

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magasins. Associations : elle a vu, en se promenant avec sa mère, unegrosse boîte d’allumettes dans une vitrine. Sa mère a frotté et allumé unedes grosses allumettes. Ilse n’osa faire de même par crainte du couplecombiné mère-vendeur : dans le registre des équations symboliques, laboîte d’allumettes représentait concrètement l’intérieur maternel ; frotterune allumette symbolisait trop concrètement le coït. Klein analyse, danscette séquence, conjointement l’envie et l’agressivité qu’inspirait à Ilse lamère possédant le père dans l’acte sexuel et la culpabilité6 démesurée quien résultait.

À propos des « chiens Saint-Bernard », autre sujet de rédaction, Ilserapporte à Klein qu’elle fut en proie à « une vive résistance » au momentoù elle évoquait ces chiens portant secours à « ceux qui sont gelés àmort ». Les associations de la patiente dévoilèrent que, les personnesensevelies dans la neige recouvraient en fait « des enfants abandonnés » :ses souhaits de mort à l’encontre des frères et sœurs plus jeunes – nés dela scène primitive – et la peur d’être talioniquement abandonnée à son tourétaient à l’origine de ses résistances. Les « enfants abandonnéspersonnifiaient aussi les propres parties en détresse d’Ilse. Des partiesdépressives qu’elle redoutait de perdre et qu’elle avait, pour être« entière » – position dépressive – à intégrer. Klein développe, dans cetteséquence, avec une préconceptualisation de l’« identification projectiveexcessive » (1946) dans son lien à la concrétude des fantasmes, l’ébauched’un mouvement psychique intégratif fondateur de la « positiondépressive » (1934).

Six mois plus tard, Ilse retrouve, avec le divan, une recrudescencede l’angoisse qu’elle peut progressivement contenir. L’analyse s’est alorsrapprochée d’une analyse « normale pour cet âge » (1932a). La levéegraduelle de l’inhibition a en effet transformé la personnalité d’Ilse dansson entier : elle fréquente des amis, est une bonne élève et ses relationsintra-familiales s’améliorent. Elle demeure cependant toujours « presque

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6. À fantasmes omnipotents, culpabilité omnipotente – punitive. L’incapacité à lasurmonter compromet le processus d’adolescence : la culpabilité punitive fixe, entreautres, à la latence. La responsabilité du sens de soi et son corollaire, la « vraie »réparation, émanent d’une profonde analyse de la culpabilité.

trop obéissante si bien que sa famille ne voyait pas l’intérêt de continuerl’analyse ». Ilse, qui avait maintenant treize ans, ne faisait, constate Klein,que peaufiner son passage à la latence, phase dont elle avait des difficultésà sortir : « L’enfant que j’avais devant moi n’était encore qu’un petit êtretout à fait dépendant » et homosexuellement fixé à la mère. Ilsecommençait chaque phrase par « maman pense que… ». Ses réussitesscolaires et la transformation de son apparence ne lui appartenaienttoujours pas. La cession altruiste à la mère interne perdurait.

Ilse réalisa que la profondeur de ses inhibitions scolaires faisaitencore obstacle à son désir d’être une bonne élève et d’obtenir de bonnesappréciations. Elle prit alors conscience des souffrances et déceptionsoccasionnées par ses insuffisances. Son désespoir devint intense. Elle letoléra néanmoins et son analyse progressa d’autant : Klein put lui fairecomprendre que l’état d’infériorité et de privation d’amour qui jusque-làl’incarcérait, la désespérait au point que l’accablement absorbait sescapacités d’être aimée, d’aimer et de s’aimer. Une sortie du retraitschizoïde s’ébaucha : cessant progressivement de paraître indifférente àl’affection et aux éloges de son entourage, Ilse se mit à y aspirer mais defaçon exagérée, trop du côté de l’obéissance et donc encore caractéristiquede la latence. La dernière partie du traitement, celle qui révéla les causesprofondes de ses échecs et de son intense culpabilité, fut « grandementfacilitée par la pleine conscience qu’elle avait désormais de sa maladie »(1932a), corollaire d’un désir d’intégration sine qua non à l’accès à la« position dépressive ».

La poursuite de l’analyse amena d’importantes transformationsdans le développement général d’Ilse. Ses progrès furent en grande partieimputables à l’analyse des angoisses provoquées par les premières règles7.Ce travail permit d’articuler l’angoisse et la culpabilité à l’attachementconjointement positif et entrecoupé d’accès de fureur d’Ilse à l’égard de

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7. Les premières règles confirment le fantasme omnipotent de « destruction del’intérieur du corps et des enfants contenus » (1932b) : la peur d’une contre-attaque deson corps par la mère interne faisait, chez cette adolescente, obstacle à l’adoption d’uneposition féminine et maternelle. La position phallique – envie du pénis – constitue, selonKlein en accord avec Jones (1927), une défense contre cette angoisse.

sa mère. Le rôle de l’agressivité8 féminine est, de par sa fonctiond’intégration d’une identité distincte de celle de la mère, centrale pourKlein. Ainsi développe-t-elle que l’angoisse et la culpabilité punitiverésultant de désirs agressifs à l’encontre de la mère, incitent la fille au rejetdu rôle féminin. Le complexe de castration alors d’autant amplifié, peut,à la puberté, renforcer les composantes masculines de la fille.

D’où l’importance, selon ce vertex et ainsi que la cure d’Ilse le meten exergue, de l’analyse des affects d’agressivité et de culpabilité : enmettant à jour la rivalité, la haine et l’envie intense d’Ilse à l’égard de lamère « parce que le père et son pénis9 appartenaient à celle-ci et lui étaientune source de plaisir » qui excluait la patiente, l’analyse renforça lespulsions hétérosexuelles, diminuant d’autant les tendanceshomosexuelles. C’est alors seulement, commente Klein (1932a), que levéritable début de la puberté psychique – sortie de la latence – se produisit.Auparavant, Ilse ne pouvait ni critiquer sa mère ni juger par elle-même,car c’eût été, pour elle, exprimer contre la mère une violente agressionsadique. Un crime de lèse-majesté. L’analyse du sadisme et de laculpabilité punitive permit à Ilse de réaliser une indépendance de penséeet d’action en rapport avec son âge. L’opposition à la mère put, de ce fait,se manifester de façon plus nette et « sans provoquer de difficultésparticulières car étant largement compensée par une amélioration danstous les domaines » (1932a).

Klein a clairement centré cette analyse sur le sadisme envieux d’Ilseà l’égard d’une mère interne fantasmatiquement propriétaire du père et dupénis paternel, et sur la culpabilité omnipotente convoquée en miroir des

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8. Pour devenir un objet interne contenant, le sein nécessite de pouvoir être, dans lefantasme, détruit-dévoré. « Sans matricide, l’objet interne n’existe pas » (Kristeva,2000) : se déprendre de la mère pour en symboliser créativement l’absence.

9. Selon Klein, les difficultés identitaires de la fille ne s’originent pas, comme l’a, enpartie, pensé Freud (1931), du fait d’être privé de pénis mais d’une rivalité avec la mèrepour le pénis paternel. Les défenses contre la féminité sont, de ce point de vue, davantageen rapport avec, oserai-je dire, le « mâle de mère » qu’avec des attitudes proprementmasculines : « L’envie d’avoir un pénis est secondaire au désir de recevoir le pénis »(1932b). Klein a très tôt situé l’« envie du pénis » comme secondaire à l’envie du sein et n’aretenu de l’envie du pénis que les aspects qui renforcent l’homosexualité. À savoir lesmécanismes d’attaque-fuite du second objet, le père (objet entier) et son pénis (objet partiel).

dits fantasmes sadiques. Le déroulement de la cure a montré que cetteculpabilité avait dérobé à Ilse son passage à la « puberté psychique » et,par voie de conséquence, toute la suite de son développement. Dans unpremier temps de l’analyse, Ilse se figea dans la latence avec déni de sonagressivité à l’égard de la mère externe/interne. Progressivementl’atténuation, dans l’analyse, de cette culpabilité, améliora le sentiment deresponsabilité personnelle d’Ilse : elle devint plus authentique, plus libredonc. Klein différencie, et c’est là un point théorico-clinique fondamental,les réalisations par amour pour les objets internes et l’estime de soi, desréalisations par sens du devoir : la vraie réparation est celle des objetsinternes. Celle des objets externes, de la mère externe notamment, advient– ou pas – de surcroît.

Au terme d’une analyse de quatre cent vingt-cinq séances, Ilse putentretenir avec sa mère « des rapports basés sur une solide affection, touten adoptant une attitude hétérosexuelle satisfaisante », conclut Klein(1932a) non sans avoir précisé sa conception d’un processus analytiquefavorisant l’accès à l’identité sexuelle féminine définitive : « En analysantles stades primitifs et les tout premiers sentiments d’angoisse et deculpabilité provoqués par l’agressivité à l’égard de la mère, nous pouvonsfavoriser le passage, non seulement à la puberté, mais à la vie adulte etassurer le développement complet de la sensualité et de la personnalitéféminine » (1932b). L’assimilation psychique des racines-émotionsprimitives étaye, selon ce modèle, l’intégration des transformationspubertaires, puis l’entrée dans l’« adolescens » (Gutton, 1996), véritableaccès à l’identité sexuelle définitive. Ce développement s’effectue avecune efficacité d’autant plus grande que l’analyse est plus profonde. Deuxans et demi après la fin de son analyse, Klein a appris qu’Ilse sedéveloppait de manière satisfaisante.

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Dominique AgostiniUnité de Recherches sur l’AdolescenceUniversité Paris VII - Denis DiderotUFR Sciences Humaines Cliniques107, rue du faubourg Saint-Denis75010 Paris, France

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