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    Arts et Savoirs3 (2013)L'adaptation comique

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    Ccile Bult

    Du proverbe limageLes dcors thmes sexuels, obscnes etscatologiques la fin du Moyen ge

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    Rfrence lectroniqueCcile Bult, Du proverbe limage ,Arts et Savoirs[En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 15 fvrier 2012, consultle 20 juin 2016. URL : http://aes.revues.org/407

    diteur : LISAA (Littratures Savoirs et Arts)http://aes.revues.orghttp://www.revues.org

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    Ccile Bult

    Du proverbe limageLes dcors thmes sexuels, obscnes et scatologiques la fin duMoyen ge

    1 la fin du Moyen ge, les dcors de larchitecture civile adoptent une forme particulire.Dlaissant la statuaire monumentale, ils sont constitus de sries de petites figuresindividuelles. Au nord de la Loire, ces petites figures sont gnralement sculptes sur lesconsoles ou les culs-de-lampe des lvations. Au sud de la Loire, particulirement dansle Midi, elles sont plus souvent peintes sur des petits panneaux de bois fixs entre lespoutres du plafond. Des hommes montrant leur cul, des femmes soulevant leurs jupes pourexhiber leur sexe, des personnages qui dfquent sous les yeux du spectateur sont des imagesfrquentes dans les dcors darchitecture civile de la fin du Moyen ge. Spontanment, nousles considrons comme des manifestations de la culture populaire, et nous leur attribuons uncaractre comique, en raison de leur indcence. Mais nest-ce pas une dformation lie notreregard moderne ? Ces images taient-elles galement risibles pour le public mdival ?

    2 Dun point de vue gnral, la signification de ces images reste difficile interprter. Unrapprochement peut tre opr avec les proverbes et, plus largement, avec certaines formesnarratives brves, notamment les fabliaux ou les nouvelles. De la mme manire que pourles petites figures, les thmatiques sexuelles et scatologiques y sont rptes et dmultiplies.

    Ces sources affichent la mme complaisance pour la trivialit et lobscnit1. Cependant, ellesimpliquent une dimension qui dpasse celle du comique. Parce quelles sont conues pourvhiculer une morale, elles rpondent galement une fonction dexemplarit. Ds lors, laquestion se pose de savoir si ce rapprochement est clairant ou non. Ces images sont-ellesladaptation comique dune morale proverbiale ? Le comique ventuel rsulte-t-il du texteoriginal, ou du passage du texte limage ? Enfin, peut-on rduire ces images du comique,et si oui, quel comique ?

    3 Plutt que de le comprendre travers une signification directe de ces images ou deces proverbes, il semble plus pertinent de comparer leur structure. En effet, ce ne sontpas seulement les thmatiques qui les rapprochent, mais galement les modalits defonctionnement. Ltude structurelle montre que ces images ne peuvent tre rduites une signification univoque. Elles ne relvent donc pas dune adaptation au sens strict,mais fonctionnent de la mme manire que les proverbes, selon un mode de connotationet non de dnotation. Ce fonctionnement connotatif permet de mieux comprendre lesdimensions ventuellement comiques de ces images. Bien quelles ne soient pas simplementdes adaptations, elles napparaissent pas seulement comiques. De la mme manire que lesproverbes, elles vhiculent une morale qui sarticule au comique selon des modalits propres limage de la fin du Moyen ge.

    Formes brves et petites figures4 Pour M. Bakhtine, les reprsentations rabelaisiennes du bas corporel sont lexpression dun

    aspect de la culture populaire de lpoque fond sur la conception du corps procrateur 2.Lauteur souligne ainsi les connotations positives qui pouvaient tre attribues aux images thmes sexuels ou scatologiques. Pour dautres, ces dernires pourraient constituer desvestiges de la culture romane3. De telles figures, sculptes aux XIe et XIIe sicles en faadedes glises, peuvent en effet tre inteprtes soit comme appartenant une iconographie de laluxure4, ce qui leur confre une dimension morale, soit comme des images apotropaques, quigarantissent la protection et la fertilit du corps5. La ressemblance formelle entre les figuresdu XIIe et du XVe sicle est certaine. Mais permet-elle dinscrire toutes les images sexuellesou scatologiques dans les catgories populaire, parodique, morale ou apotropaque ?

    5 Le sujet de limage, au sens grammatical du terme, se caractrise par deux traits : sa petitetaille, et sa dpersonnalisation. Les personnages ne portent en effet pas de costume spcifique,

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    et les objets qui leur sont associs sont des objets gnriques du quotidien : des cuillres,des quenouilles, des rcipients. Ce sont des objets qui ne personnalisent pas la figure,contrairement aux attributs des saints.

    6 La figure est reprsente dans un dcor rare et dcontextualis : pas de paysage, seulementparfois quelque mobilier comme une table, ou une fentre. La petite figure est doncdpersonnalise et mise en scne dans un espace-temps indfini. Elle ne reprsente pas unindividu singulier, mais plutt un type de personnage : le paysan, la femme, le chevalier, le

    fou. La structure de ces images permet deffectuer un premier rapprochement avec les textes,celui de leur brivet. Leur caractre minimaliste peut tre considr comme un quivalentplastique des formes textuelles brves.

    7 En effet, cette dpersonnalisation de la figure6 correspond aux sujets grammaticaux desproverbes, qui sont dlibrment indfinis : Plus on brasse la merde, plus mauvais sent 7,

    Celui qui montre sa bourse, montre son cul 8, Chacun son got, la merde a bien lesien 9. Selon une construction peine plus spcifie, les fabliaux racontent lhistoire dunnoble chevalier, dun orfvre de Paris, dune belle meunire Ils dsignent des figuresdpersonnalises mais types.

    8 Le genre du proverbe est ainsi dfini par P. Zumthor : un nonc strotyp, demploi rptitif, la forme grammaticale fixe mais dont le contenu est constamment modifiable10. Cette

    dfinition peut tre compare lune des figures les plus courantes du genre scatologique ousexuel : lhomme exhibant son postrieur ou ses parties gnitales. Trs stable, la structurede cette formule ne varie que dans les dtails : une figure, nue ou habille, de face ou dedos, qui baisse ses braies ou carte les fesses de ses deux mains. Limage est construitesur laxe vertical du corps et le dplacement du centre de limage : ce centre nest plus latte, ou le visage du personnage, mais le bas de son corps. Dans limage de Carcassonne, cedplacement se traduit par une analogie formelle entre le visage et les parties gnitales delhomme, dont les traits viennent se confondre visuellement. Cette structure constitue un lieucommun iconographique depuis le XIIe sicle. Dans la mesure o, au XVe sicle, ce type defigure est devenu traditionnel et familier, il peut ainsi tre considr comme un strotype delimagerie scatologique.

    9 Le second trait de lnonc proverbial soulign par Zumthor est celui de lemploi rptitif11

    .Ces dcors sont construits sur une double rptition. Dabord, celle de la figure elle-mme,dans la mesure o on retrouve toujours le mme type de figures profanes tels des chevaliers,des paysans, des femmes, des fous, des animaux. Ensuite, la petite figure est toujours placeau sein dune srie dautres petites figures, de mme taille et reprsentant toujours les mmesthmes ; en faade du chteau de Blois, la femme qui montre son sexe ctoie des chevaliers,des fous, des sirnes, des lions. Cette double rptition ne dbouche pas sur une significationunivoque. Elle contribue au contraire la dpersonnalisation de la figure. Ltude structurelledes dcors permet de mettre en relation images et formes narratives brves sur trois points : labrivet, le strotype et la rptition. Le procd de dpersonnalisation permet une flexibilitde la figure, qui sadapte alors plus facilement un contexte spcifique, susceptible de modifier

    le signifi de limage.

    Connotation et dnotation

    10 Notre propos nest pas didentifier des proverbes comme rfrents des images, mais de montrerque les images fonctionnent comme les proverbes. Cest dire que le signifi dune imagenest pas stable. Il est aucontraire flexible et sadapte, comme le proverbe, un effet connotatifcontextuel.

    11 Ces termes sont emprunts P. Zumthor. Selon lauteur, le contenu des proverbes est stable,toujours relatif aux conduites humaines, mais constamment modifiable par leffet connotatifcontextuel 12. Pour les images, lquivalent de leffet connotatif contextuel est dterminpar plusieurs facteurs : la fonction de ldifice, les associations topographiques avec dautres

    images, la culture des destinataires. Comme pour les proverbes, ces paramtres modifient lasignification de limage.

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    12 Une sculpture en faade dune maison Montreuil-Bellay reprsente un singe qui dfquedans une jarre tandis quun second, derrire lui, en remue le contenu. Limage ne serait-elle pasune adaptation des proverbes relatifs lacte de remuer la merde, ou au moins un quivalenten image ? Le proverbe mdival Qui plus remue la merde plus elle pue correspond peuprs au sens quon lui donne aujourdhui, comme mise en garde sur les risques encourus approfondir quelque chose de drangeant. Alors que sa variante plus on brasse la merde,

    plus mauvais sent 13peut impliquer deux sens : soit plus mauvais on sent , soit plus

    mauvais cela sent .13 Quand le proverbe est intgr au sein dun discours ou dun rcit, la linarit et les rapports de

    causalit prcisent le sens dans lequel il est employ. Dans une image au contraire, le champest largi toutes les possibilits dinterprtations. Parce que limage nous restitue seulementun tat, sans linscrire dans un rapport de causalit. Ainsi, le signifi de limage demeureconnotatif et non dnotatif. Limage ne renvoie que par allusion la morale du proverbe. Cettedimension morale passe par le scatologique.

    14 Une sculpture provenant de la faade de la boutique dun apothicaire de Nantes montre unefemme accroupie qui dfque dans un rcipient. Son buste est encadr de deux objets, gauche une quenouille, droite une cuillre. Celle-ci renvoie des connotations multiples.Elle peut dabord justifier linterprtation de cette image comme adaptation non pas littrale

    mais allusive de lexpression remuer la merde . On peut opposer cette interprtation quela cuillre peut figurer simplement en tant quobjet gnrique, soit comme attribut fminin, aumme titre que la quenouille, soit comme simple objet de la vie quotidienne.

    15 Lensemble du dcor de cette mme faade en prcise le sens. Sur le poteau dangle, le gestede remuer se rpte dans la figure de lapothicaire lui-mme, reprsent sur le poteau danglepilant un remde dans un mortier14. Enfin, quatre sculptures dangle montrent des personnagestenant des rcipients et des cornets. Ce qui fait le lien entre toutes ces sculptures, ce sont lesobjets, ceux qui servent remuer, ceux qui servent de contenant. Mais surtout, ce sont lesobjets qui font larticulation entre limage et le proverbe, nonpas par dnotation, mais par effetconnotatif. Les objets sont employs comme des mdiateurs qui renvoient une multiplicit derfrents : les proverbes, le mtier dapothicaire, la mdecine, la femme, le quotidien. Lobjetest employ comme un oprateur de significations multiples sans les dfinir.

    16 Les gestes et les associations de figures ont une fonction comparable celle des objets ;ils impliquent de multiples connotations. Capestang, un fou carte les fesses de ses deuxmains et montre son anus au trompettiste peint sur le panneau voisin. Lun et lautre sontmanifestement lis par le thme du souffle15. Ce thme laisse entendre que, finalement, le foune montre pas son anus, mais est plutt en train de lcher un pet. Au Moyen ge, le thme dela circulation des souffles correspond une rflexion profonde sur les relations entre lhommeet le monde. Pour lhomme, la relation est tabliesur un jeu de mots entre les termes latins

    animus et anima16. Animus signifie lesprit ou lme, et anima, le souffle mais galement,dans certains cas, lme. Le pet du fou peut donc constituer une mtaphore parodique de lacirculation de lme. Le souffle renvoie galement la musique des sphres : il produit dessons selon les diffrentes positions des astres par rapport la Terre. Ces sons actionnent lamusique des sphres, mtaphore de lordre du monde et de son mouvement parfait17. Cettethorie justifie linterprtation de limage de Capestang comme adaptation parodique de lathorie de la circulation des souffles et de lordre du monde. Le pet est mis en scne commeantithse du souffle divin. Mais, au-del de la parodie, limage sinscrit dans une rflexion surles rapports entre lhomme et le monde. Dans cette image, cest le scatologique, le pet, qui sert mettre en relation le microcosme et le macrocosme.

    17 La dialectique de lordre et du dsordre correspond une structure fondamentale delimage mdivale. Dans les images religieuses, celle-ci se traduit, pour simplifier, par lahirarchisation de limage sur un axe vertical, qui oppose espace terrestre et espace cleste.Ce procd est identique dans les images dhommes exhibant leur postrieur quand ils sontreprsents la tte en bas. On peut considrer quils renvoient au proverbe cul par dessus

    tte , au sens o celui-ci vhicule lide dune chute, dun renversement. Linversion physiquedu corps de ces figures sur un axe vertical pourrait renvoyer la mme morale que le proverbe,

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    cest dire un renversement spirituel, une chute la fois physique et morale. Cette figurepourrait donc incarner le dsordre, au sens o son renversement vers le bas contredit lordredu monde, selon lequel lesprit et lme doivent au contraire slever.

    18 Cet exemple permet de constater que les connotations de ces images peuvent renvoyer dansle mme temps la culture proverbiale et la culture chrtienne. La frontire entre cesrfrents est finalement impossible dfinir. Selon les effets connotatifs contextuels, desimages quasiment identiques renvoient constamment des signifis diffrents. Elles ne sont

    pas strictement adaptes, mais plutt imprgnes de la culture proverbiale dans lidentit deleur structure, et dans le rapport entre signifiant et signifi.

    Les fonctions de limage et la place du comique19 Lhilarit que pouvaient provoquer les scnes scatologiques dans les fabliaux, les nouvelles

    ou le genre dramatique18porte croire que les reprsentations peintes ou sculptes du mmesujet suscitaient autant le rire des spectateurs. Parmi ces derniers, deux types peuvent tredistingus : les commanditaires et le public. Les premiers sont des seigneurs, mais aussi desgrands bourgeois, des marchands enrichis, parfois des membres du clerg. Ils ne forment pasun groupe homogne tant sur le plan social que culturel. De plus, dans la mesure o ces imagessont souvent places en faade des difices, donc visibles depuis la rue, leur destinataire est

    le tout-venant. Or, ces images renvoient un rseau de significations pour le noble commepour le paysan.

    20 Quelle est la fonction du comique dans ces images ? Le rire permet une prise de distanceavec limage. Il permet de renvoyer le spectateur lui-mme, son exprience et sa culturepersonnelles. Le comique fait le lien entre limage et les connotations quelle implique. Iloccupe une fonction darticulation entre les diffrents sens et rfrents de ces images. Ilcontribue assouplir leur signifi, et ainsi les adapter plus facilement un contexte et unregard spcifique.

    21 Le changement de mdium, cest dire le passage du texte un dcor darchitecture, estsusceptible de gnrer un caractre comique. Au XVe sicle, une maison prive commeun btiment public sont des manifestations dhonorabilit. Des mises en scne de soi qui

    expriment le statut social et la vertu du propritaire. En tant que tel, le passage du texte undcor darchitecture cre implicitement un dcalage entre lexpression publique de la vertu dupropritaire et la trivialit de ce qui est reprsent.

    22 Cette dimension publique est mise en abyme dans lenseigne de la boutique dun apothicaire

    de Bruges19. Une femme se fait administrer le remde du clystre, non pas lintrieur de samaison, mais travers sa fentre et sous les yeux dun groupe de passants. Cette image estindcente par le dcalage entre lintimit du remde et le lieu inappropri dans lequel il sedroule, dans la rue et la vue de tous. Cette image concentre diffrents procds comiques.Dabord, elle ne semble retenir que le caractre humiliant de la mdecine. Ensuite, elle cre undcalage entre le thme scatologique et la fonction denseigne de la sculpture. La dimensionscatologique renverse en effet la fonction habituelle de lenseigne, plutt cense montrer lavertu dun produit ou dun mtier. Le remde du clystre fait galement une allusion auxexcrments, connotation constamment employe pour tourner en drision les apothiciaires Denombreux fabliaux et nouvelles les mettent en scne comme des imposteurs qui fabriquent desonguents base dexcrments20. Le comique de cette enseigne est donc fond sur lironie et ladrision, et correspond ainsi un aspect majeur de lhumour mdival21.

    23 Dans dautres cas, les images de femmes exhibant leurs parties intimes se prsentent commedes mises en garde contre la luxure. En faade du chteau de Louis XII, Blois, une femmemontre son sexe un homme qui se bouche le nez22. La dimension comique de cette imagejoue sur un double dcalage de lecture. En premier lieu le geste de la femme est manifestementune invitation sexuelle, alors celui de lhomme qui se bouche le nez voque plutt un pet,contresens de cette scne de sduction. En second lieu, le dcalage sopre par la dimensionolfactive. Celle du sexe correspond une vision chrtienne largement vhicule dans les

    exempla23. La luxure sy traduit par une odeur, non pas celle du pet mais celle du pourrissementdes organes par lesquels les luxurieux ont pch24. La trivialit de limage rejoint ici une morale

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    srieuse qui met en garde contre la luxure, et renvoie implicitement le spectateur la questiondu salut de son me.

    24 Selon M. Bakthine, toute reprsentation du bas corporel renvoie une rflexion sur la place

    de lhomme dans le monde25. Chez Rabelais, dans le Tiers-Livre, la sibylle de Panzoust faitle mme geste que la femme de Blois : elle soulve sa jupe sous les yeux de Panurge, aprslui avoir prdit lchec et le dshonneur de son mariage26. Pour Bakhtine, le sens de ce gestedpasse la simple moquerie en tant quallusion la dimension matrielle de lhomme et du

    cycle de la vie, au mme titre que les excrments27. Le sexe de la femme nest donc passeulement le lieu dans lequel lhomme vient se perdre, mais aussi celui do il vient. Cestsur cette ambivalence, dans laquelle les images du XVe sicle se complaisent, que soprelarticulation entre dimension comique et dimension morale.

    25 Cette dimension morale est mise en scne de manire plus explicite lpoque romane. AuXIIe sicle, des reprsentations de femmes exhibant leur sexe taient places dans les glisesou sur des portes de villes28, que les recherches rcentes interprtent comme des images

    apotropaques garantissant la protection et la fertilit du corps29. De ce point de vue, le sexefminin renvoie moins la sexualit qu la maternit, et peut ainsi revtir une connotationpositive. Dautres exemples, linverse, lassocient la reprsentation dun dmon ou dunhybride sculpt sur un modillon voisin, selon une mise en scne qui lapparente une mise

    en garde contre la luxure30.26 Dans un cas comme dans lautre, ces images taient-elles comiques lpoque romane ?

    La principale diffrence entre les personnages du XIIe sicle et ceux du XVe sicle estlactualisation. Si les figures du XVe sicle sont dpersonnalises, elles sont en revancheactualises, par leurs costumes et les objets quelles manipulent. Lactualisation permet unprocessus didentification chez le spectateur, en le renvoyant lui-mme. En littrature, lesauteurs de fabliaux ou de nouvelles insistent sur le fait que non seulement les histoires quilsracontent sont vraies, mais quelles sont surtout rcentes. Lactualisation se prsente comme unprocd comique commun aux petites figures et certaines formes littraires brves de la fin duMoyen ge. En scularisant les figures, elle peut renvoyer dautres rseaux de significationsque celui de la morale chrtienne, et les rapprocher des personnages des fabliaux, des nouvelles

    ou des proverbes. Ceux-ci nen taient pas moins exemplaires, galement construits selon unepolarit entre comique et morale.

    27 Lexemple des images apotropaques confirme que la reprsentation des parties intimes dela femme peuvent renvoyer aussi des connotations positives, qui rejoignent la thorie du bas corporel de Bakhtine. Il confirme surtout limpossibilit de dfinir une frontirenette entre les diffrentes fonctions de limage. Les reprsentations sexuelles et scatologiquesne renvoient pas des significations dfinies. Mais leur dimension comique permet unbasculement entre fonction commerante, apotropaque, exemplaire ou identitaire.

    28 Les images sexuelles et scatologiques sont des images qui prennent sens en perdant leur sens.Elles sont comparables des coquilles moiti vides, qui ne se remplissent qu la lecture duspectateur. Comme le proverbe dans un texte, elles sintgrent au discours en tant que structureflexible, encore non ralise, qui se plie aux diffrents usages que lon en fait et au regard dudestinataire. La mthode consistant chercher un sens global ces figures et ces dcors servle donc inadapte. Les dcors darchitecture thmes sexuels, obscnes et scatologiquesse lisent non pas comme un programme signifiant dans son ensemble, mais plutt comme unesuccession de petites histoires, comme on lirait un recueil de nouvelles : en passant dunefigure lautre sans quune transition entre les deux soit ncessaire, en riant de ces obscnitsou mditant sur le comportement humain. Dans ces images, ladaptation comique est une miseen perspective, un discours singulier lintrieur de ces dcors.

    29 Ces rflexions sur la grammaire de limage scatologique et ses rseaux connotatifsncessiteraient une tude plus approfondie31. Elles visent essentiellement proposer une grillede lecture autre que thmatique ou monographique de ces dcors, trop souvent considrstriviaux, dj-vus ou anecdotiques. Le rapprochement entre images et formes brves proposede les penser en termes de structure, dans la manire dont ils peuvent tre faonns parune culture de la forme brve la fin du Moyen ge. Celle-ci suppose des modes narratifs

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    dont labsence de linarit correspond moins notre conception habituelle du programmeiconographique qu une histoire dun autre type, qui naurait ni dbut ni fin.

    Notes

    1 Comme laffirmaient il y a encore peu de temps les dfinitions mme du genre proverbial : Finalement, () le discrdit du proverbe a rsult de la nature triviale du proverbe mdival ;

    Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Larousse, 1960, p. IX-X, cit dans Cl. Buridant, Lesproverbes et la prdication au Moyen ge. De lutilisation des proverbes vulgaires dans les sermons ,dans Cl. Buridant et Fr. Suard, (dir.),Richesse du proverbe, vol. 1 : Le proverbe au Moyen ge, Lille,PUL, 1984, p. 53, note95. quoi lon pourrait opposer que cette accusation de trivialit souffre aismentdu mme reproche.

    2 M. Bakhtine, Luvre de Franois Rabelais et la culture populaire au Moyen ge et sous laRenaissance, Paris,Gallimard, 1970, spc. chap. VI : Le "bas" matriel et corporel chez Rabelais ,p. 366-432.

    3 N. Kenaan-Kedar,Marginal Sculpture in Medieval France. Toward the Deciphering of an EnigmaticPictorial Language, Cambridge, Scolar Press, 1995, p. 73, 150-151.

    4Id., Les modillons de Saintonge et du Poitou comme manifestation de la culture laque , dans Cahiersde Civilisation MdivaleXXIX/4 (1986), p. 311-330 ; J. Rocacher, Limage de la femme dans lasculpture romane du Midi de la France , dansLa femme dans la vie religieuse du Languedoc : XIIIe-

    XIVesicles, 23ecolloque, Fangeaux, 1987, Toulouse, Privat, 1988, p. 117-119.5 M. H. Caviness, Obscenity and Alterity: Images that Schock and Offend Us/Them, Now/Then? ,dans J. M. Ziolkowski (d.), Obscenity. Social Control and Artistic Creation in the European MiddleAges, Leiden, Boston, Kln, Brill, 1998, p. 155-175 ; J. Wirth, Limage lpoque romane, Paris,ditions du Cerf, 1999, p. 144-146 ; G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar et V. Jolivet,Image et trangressionau Moyen ge, Paris, PUF, 2008, p. 108-117.

    6 Le terme de dpersonnalisation est galement employ par B. Schulz au sujet du rapport entreproverbe et image dans le traitement de la figure humaine dans la Huque Bleue de Peter BreughellAncien : Il [lhomme] ny figure pas en tant quindividu (ayant des traits personnels) mais en tantquexemple (les traits de son visage nexprimant que des sentiments). Le trait pertinent qui confirmelhomme dans sa fonction de figure dElck, reprsentant chacun, cest sa dpersonnalisation ; B. Schulz, Contribution la smiologie du discours proverbial : texte littraire texte pictural (Villon etBreughel) , dans Strumenti critici. Rivista quadrimenstrale di cultura e critica letteraria , 15, 1981,

    p. 364.7 E. Littr,Dictionnaire de la langue franaise, Paris, Gallimard/Hachette, 1962, t. 5, p. 130.

    8 J. Morawski,Proverbes franais antrieurs au XVesicle, Paris, douard Champion, 1925, n 1989.

    9 Ministre de la culture, base Proverbes, www.culture.gouv.fr/public/mistral/proverbe_fr.

    10 P. Zumthor, Lpiphonme proverbial dans Rhtorique du proverbe , Revue des scienceshumaines, n 163, 1976 (juillet-septembre), p. 314.

    11Ibid.

    12Ibid.

    13 J. Morawski,Proverbes franais antrieurs au XVesicle, op. cit., n 1989.

    14 Nantes, Muse Dobre, Inv. 849-35-6, reproduit dans :Bois sculpts. Lart du bois du XIIIeau XIXe

    sicle, Nantes, Muses Dpartementaux de Loire-Atlantique, 1964, pl. 7, cat. 72.

    15 P.-O. Dittmar et J.-Cl. Schmitt, Le plafond peint est-il un espace marginal ? Lexemple deCapestang , dans M. Bourin (dir.), Plafonds peints mdivaux en Languedoc, Actes du colloque deCapestang, Narbonne, Lagrasse 21-23 fvrier 2008, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan,2009, p. 67-98. Les auteurs voquent la circulation des vents dans le cadre de la culture carnavalesque,et interprtent cette image comme la reprsentation du rituel des soufflacus ; sur ce sujet, voirCl. Gaignebet et J.-D. Lajoux,Art profane et religion populaire, Paris, PUF, 1985, p. 90.

    16 Les mtopes de Capestang voquent une image classique de la littrature mdivale qui trouve sesorigines dans Rutebeuf, chez qui le diable confond le Pet du vilain avec son me ; Rutebeuf, uvrescompltes, Le pet du vilain , Le Livre de Poche, s. d., p. 64-69, spc. p. 65, vv. 29-32.

    17 I. Marchesin, Cosmologie et musique au Moyen ge , dans M. Clouzot (dir.), Moyen ge entreordre et dsordre, Muse de la musique, 26 mars-27 juin 2004, Paris, Cit de la Musique/Runiondes Muses nationaux, 2004, p. 29-35. Pour une dfinition des trois concepts de la musique au Moyenge (musique des sphres, musique de lhomme et musique instrumentale) et de lharmonie dans leurinteraction, voir J. Baschet, La musique de lhomme. Harmoniques de lme et du corps au XIIesicle ,

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    Arts et Savoirs, 3 | 2013

    dansLes reprsentations de la musique au Moyen ge, Actes du colloque des 2 et 3 avril 2004, Paris,Cit de la Musique, 2005, p. 76-83.

    18 Sur les fabliaux, voir en particulier P. Mnard, Les fabliaux. Contes rire du Moyen ge, Paris,Presses Universitaires de France, 1983 ; sur les nouvelles : C. Merlin, Le comique des Cent Nouvellesnouvelles , dans Cahiers de lAssociation internationale des tudes franaises, n 37, 1985, Lecomique au Moyen ge , p. 69-83 ; sur le genre dramatique : B. Rey-Flaud, Le comique de la farce ,dansId.,p. 55-67.

    19 Cite et reproduite dans L. Maeterlinck,Le genre satirique et licencieux dans la sculpture flamande

    et wallonne, les misricordes de stalles (art et folklore), Paris, J. Schemit, 1910, pl. 1 et p. 121.20 Par exemple : Douin de Laverne, Trubert, dans W. Noomen et N. Van den Boogard, Le NouveauRecueil Complet de Fabliaux (NRCF), Assen, Van Gorcum, 1983-1998, t. X, n 124.

    21 L. Martines, Les visages sociaux de la drision dans les Novelle et la posie satirique de laRenaissance , dans E. Crouzet-Pavan et J. Verger (dir.), La drision au Moyen ge. De la pratiquesociale au rituel politique, Paris, Presses de lUniversit Paris-Sorbonne, 1997, p. 107-114, spc.p. 108-111.

    22 L. de La Saussaye, Notice sur le chteau de Blois, Blois, Impr. Lecesne, 1867 ; E. Le Nail, Lechteau de Blois (extrieur et intrieur), ensembles et dtails, sculpture ornementale, dcorationspeintes, chemines, tentures, plafonds, carrelages, Paris, Ducher et Cie, 1875 ; Fr. Lesueur, Blois ,dans Congrs archologique, 1925, p. 9-189 ; F. Lesueur,Le chteau de Blois tel quil fut, tel quil est,tel quil aurait pu tre, Paris, A. et J. Picard, 1970 ; A. Cosperec,Blois, la forme dune ville, Inventairegnral, 1994, p. 108-112.

    23 Parmi les nombreux exemplarelatifs la luxure, citons celui dans lequel deux anges accompagnent unancien qui traverse le dsert, qui ne sont pas drangs par la puanteur dun cadavre mais qui se bouchentle nez face la puanteur spirituelle dun beau jeune homme ; J. Berlioz (d.), Stephani de BorboneTractatus de diversis materiis praedicabilibus, Turnhout, Brepols, 2002, 396.

    24 J.-Cl. Schmitt, Le corps, les rites, les rves, le temps. Essais danthropologie mdivale, Paris,Gallimard, 2001, p. 199.

    25 M. Bakhtine, Luvre de Franois Rabelais et la culture populaire au Moyen ge et sous laRenaissance, op. cit., p. 241.

    26 Fr. Rabelais,Le Tiers Livre, chap. XVII, Paris, La Pochotque, 1994, p. 655.

    27 M. Bakthine, Luvre de Franois Rabelais et la culture populaire au Moyen ge et sous laRenaissance, op. cit., loc.cit.

    28 Voir, par exemple,la femme sculpte en bas-relief sur une porte de la ville de Milan date du XIIe

    sicle, conserve auMusei civici del castello sforzesco, Milan ; la figure relve sa robe pour montrer sonsexe et y pointe une paire de ciseaux. Luvre est cite par J. Wirth au sujet de la fonction apotropaquede certains dcors romans ; J. Wirth,Limage lpoque romane, Paris, ditions du Cerf, 1999, p. 144.

    29 M. H. Caviness, Obscenity and Alterity: Images that Schock and Offend Us/Them, Now/Then? ,op. cit., p. 164-165.

    30 J. Rocacher, Limage de la femme dans la sculpture romane du Midi de la France , dansLa femmedans la vie religieuse du Languedoc : XIIIe-XIVesicles, 23ecolloque, Fangeaux, 1987, Toulouse, Privat,1988, p. 117-119.

    31 Elles seront dveloppes dans : C. Bult,Images dans la ville. Lusage des images dans les btimentscivils en France aprs la guerre de Cent ans , Thse de doctorat dHistoire de lart, sous la direction deF. Joubert, Universit Paris IV, en cours.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Ccile Bult, Du proverbe limage ,Arts et Savoirs[En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 15 fvrier2012, consult le 20 juin 2016. URL : http://aes.revues.org/407

    propos de lauteur

    Ccile Bult

    Universit de Paris IV

  • 7/25/2019 Aes 407 3 Du Proverbe a l Image

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    Du proverbe limage 9

    Arts et Savoirs, 3 | 2013

    Droits dauteur

    Centre de recherche LISAA (Littratures SAvoirs et Arts)

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    Mots-cls :sexualit, comique, proverbe, image, Moyen ge