Aes 492 2 Benveniste Serait Il Aujourd Hui Un Linguiste de l Enonciation

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    Arts et Savoirs2 (2012)Les thories de l'nonciation : Benveniste aprs un demi-sicle

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    Smir Badir, Stphane Polis et Franois Provenzano

    Benveniste serait-il aujourdhui unlinguiste de lnonciation ?

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    Smir Badir, Stphane Polis et Franois Provenzano, Benveniste serait-il aujourdhui un linguiste delnonciation ? ,Arts et Savoirs[En ligne], 2 | 2012, mis en ligne le 15 juillet 2012, consult le 28 juin 2016. URL :http://aes.revues.org/492

    diteur : LISAA (Littratures Savoirs et Arts)http://aes.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://aes.revues.org/492Document gnr automatiquement le 28 juin 2016.Centre de recherche LISAA (Littratures SAvoirs et Arts)

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    Smir Badir, Stphane Polis et Franois Provenzano

    Benveniste serait-il aujourdhui unlinguiste de lnonciation ?

    Introduction

    1 Quel rapport peut-on tablir entre la pense de Benveniste et ce qui, en son nom, plus oumoins en son nom, sest crit et sprouve sous la bannire thorie de lnonciation ? Entermes plus candides, donc aussi plus feints : Benveniste serait-il aujourdhui un linguiste delnonciation ? La rponse attendue est videmment que non. Mais ce quil nous intressede pointer avec cette question, cest lespace dintelligibilit quelle suppose. Si Benvenistene saurait tre un linguiste de lnonciation, cest dabord parce que la linguistique a puvoluer en fonction de sa pense, et singulirement partir de ce qui, dans ses crits, concernelnonciation.

    2 Prenons comme point de dpart lexcellent argument quont propos la rflexion Lionel

    Dufaye et Lucie Gournay1 loccasion du colloque Les thories de lnonciation : Benvenisteaprs un demi-sicle . De cet argument nous retenons trois propositions principales.Premirement, il nous est propos une discussion et une confrontation de points de vuesur lnonciation . Deuximement, on insiste sur la dimension collective du projet visantlnonciation, en dpit de la diversit de ses approches. Enfin, troisimement, on ancre cettedimension collective sur le fond commun hrit de la pense de Benveniste .

    3 Devons-nous le prciser, il ny a rien dans ces propositions sur quoi nous trouvions redire. Simplement, nous cherchons mettre en avant quelques-uns des prsupposs quellesvhiculent. Quon puisse non seulement discuter, mais encore confronter des points devue au sujet de lnonciation prsuppose que lobjet de la discussion soit pris dans unecertaine historicit. Les points de vue sont forgs prcdemment la circonstance sociale

    qui les rassemble. Plus que probablement, ils ont eu le temps de se faire connatre, et leurconfrontation aussi aimable quelle puisse tre suppose quils connaissent une formesociale de reprsentation ; les points de vue sur lnonciation demandent tre confrontsparce quils engagent tout un chacun : non seulement ceux qui les ont construits mais, avec eux,selon toute attente, une collectivit de chercheurs qui sy reconnat. Lobjet de la discussionen est dtermin dautant. Lnonciation nest pas assimilable un fait qui demande treinterprt. Ce qui est interpell dans une confrontation de points de vue est saisi comme unobjet historique et social, comme il en existe tant, et dans une grande varit. Lamour, parexemple, peut tre, et cest heureux, bien autre chose quun objet historique et social, maislorsquon entend confronter des points de vue religieux, philosophiques, savants sur lui, ilest saisi dans une historicit o se font connatre des positions sociales. Nanmoins, lamour

    et lnonciation noccupent pas encore selonnous des places tout fait similaires. Ce quon nedemanderait pas ncessairement lamour loccasion dun colloque de voix qui discuteraientet se confronteraient son sujet, cest quil devienne un projet collectif. De fait, ce nest pasparce quun objet est construit comme objet social, ptri par lchange de diffrents points devue, quil a une finalit sociale. linverse, cest bien veiller la dimension communautairedes questions et des enjeux qui slaborent autour de lnonciation quon invitait prendre laparole dans le colloque prcit. Cest donc, tout le moins, que lon impute lnonciation lepouvoir dtre dot dune telle cause. Lnonciation, non seulement est charge dhistoricit etde socialit, mais cest l-mme la fonction qui lui est dsormais dvolue ; en somme la valeurcommunautaire est devenue son horizon. Tel est aussi le cas, par exemple, de la dmocratie.La dmocratie est fonde par son historicit au fur et mesure que des points de vue dontla valeur reprsentative est admise ont pu se confronter les uns aux autres ; mais en outre, ladiscussion et la confrontation des points de vue rputs dmocratiques a bien pour objectifde construire la dmocratie comme un projet collectif pour ceux qui, dune manire ou dune

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    autre, adhrent lun ou lautre de ces points de vue. cet gard, dmocratie et nonciationont des vises plus rapproches que celle de lamour, mme lorsque celui-ci est considrcomme un objet historique et social. Seulement, il reste une dernire caractristique mettreen avant, et cette caractristique nous obligera distinguer encore lusage de lnonciation decelui de la dmocratie. Le projet collectif de la dmocratie ne sancre pas dans la pense dunseul homme. Il se peut quun point de vue particulier sur la dmocratie, mettons celui dunphilosophe, rende compte de lhritage laiss par la Grce antique, mais la finalit sociale qui

    sattache aux dbats dont la dmocratie est lenjeu ne trouve pas pour autant sa justificationdans cet hritage. Au contraire, sil y a un projet collectif dfendre au sujet de lnonciation,cest en raison de lhritage, admis par tous, que constitue son sujet la pense de Benveniste.La dispersion des thories de lnonciation semble pouvoir ainsi tre tempre, au moins defaon optative, par le fond commun sur lequel elles reposent.

    4 Encore une fois, nous voulons assurer le lecteur quil ny a rien, dans ces propositions, qui nenous semble lgitime. Il vaut toutefois la peine de se pencher sur ce qui les motive. Aprs tout,elles mettent en avant des prsupposs qui sont ceux-l mme de lnonciation dans la pensede Benveniste : lnonciation est une historicit ; lnonciation est employe des fins decommunication sociale, comme prire et comme formule liturgique ; elle a pour fond communun intent qui lancre dans la ralit du discours. Cest donc un exercice de rflexivit

    quinvite le prsent essai.5 Observons toutefois, en guise de prliminaire problmatisant, que la pense de Benvenisteelle-mme nenvisage pas lnonciation comme ayant une quelconque paisseur historique. Le

    fait quelle volue dans le cours de sa pense et quelle offre divers emplois2ne prsuppose paspour autant que lhistoire soit inhrente la conception que Benveniste sen fait. Au contraire,le disparate des changements quelle subit laisse entendre son endroit un sens chaque foisremis neuf. Lnonciation na pas non plus, chez Benveniste, de finalit sociale. Elle ne sedonne pas comme un programme disciplinaire ; elle nouvre peut-tre pas mme de projetthorique. Enfin, il ne semble pas quil y ait eu pour Benveniste un hritage ou un fond commun partir duquel il a travaill sur lnonciation3.

    6 Ceux qui se font les continuateurs de Benveniste oprent donc tout autrement que celui-ci ne

    la fait lui-mme. Benveniste ne saurait tre un linguiste de lnonciation, non pas videmmentparce quil entrerait en dsaccord profond avec ce que lon en a dit aprs lui, mais parce quela pense qui est la sienne ne repose nullement sur les prsupposs dhistoricit, de finalitsociale et de communaut originaire qui sont, non sans lgitimit, les ntres aujourdhui dansles tudes consacres lnonciation. Il sagit prsent de construire un espace dintelligibilit

    pour cette rflexivit critique4.

    Le terme. Pour une histoire pistmologique de lalinguistique

    7 Revenons, pour commencer, sur la notion dhritage. De quoi hrite-t-on exactement ? Eten quoi sagit-il dun hritage ? En 2007 Aya Ono a fait paratre un ouvrage sous le titre

    La notion dnonciation chez mile Benveniste . Ltude qui parat sous ce titre est fortestimable cest la signataire de la postface, Claudine Normand, qui le dit, avec toute lautoritquelle possde en cette matire. Mais ce titre lui-mme est bien dlicat. Lnonciation est-elle chez Benveniste une notion ? Si lnonciation tait une notion, on pourrait en faire ltudechez dautres penseurs, tout aussi bien. On ne saurait mme pas dire que Benveniste sensoit beaucoup occup. moins de considrer que sous cette notion se rassemble tout unpan de la pense de Benveniste. Mais on constate que ce nest pas une option quenvisageAya Ono, pour qui la notion dnonciation est distincte, par exemple, quoique voisine, dela notion dinstance de discours. Ce nest donc pas dune notion que Benveniste nous laisselhritage. Quoi dautre, alors ? Dun mot ? Ce serait trop peu dire, car le mot existe avantBenveniste et circule depuis longtemps parmi les linguistes5. Dun concept ? Cette fois, ceserait trop en attendre, puisque lnonciation manque chez Benveniste la stabilit dusageque lon peut attendre dun concept. Pour revenir louvrage dOno, soulignons le titre donnau premier chapitre : Le mot et la notion . Cest bien de cela quil sagit, en effet. Un

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    problme demeure cependant, ds lors que le mot et la notion ne sont pas dpartageables. Nya-t-il pas moyen de dsigner ltat qui les laisse confondus ? Il nous semble que ce moyenexiste, et cest prcisment chez mile Benveniste quon en trouve les dveloppements les plusinstructifs. Nous faisons allusion ici une srie darticles que Benveniste consacre ltudede termes : Structure en linguistique (1962), Diffusion dun terme de culture : latinorarium (1969) et surtout Gense du terme scientifique (1969)6.De fait, lnonciationest avant tout un terme, et cest en tant que tel que nous en hritons de Benveniste.

    8 La premire page de Gense du terme scientifique mriterait dtre cite in extenso, tantelle dessine parfaitement le geste critique que nous appelons de nos vux. Nous y faisons toutde mme une coupure :

    La constitution dune terminologie propre marque dans toute science lavnement ou ledveloppement dune conceptualisation nouvelle, et par l elle signale un moment dcisif de sonhistoire. On pourrait mme dire que lhistoire propre dune science se rsume en celle de sestermes propres. Une science ne commence dexister ou ne peut simposer que dans la mesure oelle fait exister et elle impose ses concepts dans leur dnomination. []

    Tous les trajets de la pense sont jalonns de ces termes qui retracent des progrs dcisifs et qui,incorpors la science, y suscitent leur tour de nouveaux concepts. Cest que, tant par naturedes inventions, ils stimulent linventivit. Lhistoire de la science ne met pas encore leur justeplace ces crations, qui passent pour nintresser que les lexicographes.7

    9 On retrouve dans ce passage tout ce que nous avons mis en avant dans les propositionsde largumentaire de Dufaye & Gournay. Dabord, le terme nest pas seulement pris danslhistoire dune science, il en signale un moment dcisif. Il est un marqueur dhistoricit, au

    point que lon peut concevoir lhistoire dune science partir de lui8. Ensuite, le terme estpris dans une pratique qui consiste le faire exister et limposer. Il est dvolu ce rlede reconnaissance non seulement au sein dune collectivit restreinte mais encore en dehorsdelle, dans une collectivit non cloisonne, sociale. Autrement dit, le terme est lun desmoyens daffirmation et dassomption dune discipline ; cest l que nous trouvons sa finalitsociale. Enfin, le terme est une invention ; il a donc un inventeur et il permet de tracer unparcours, lequel est tenu idalement pour un progrs.

    10 Lamour nest pas un terme ; cest une notion. La dmocratie non plus nest pas un terme. Cest,au mieux, un concept. Mais lnonciation est bel et bien, pour une communaut de linguistes,un terme identifiant et promouvant, partir de Benveniste, un courant disciplinaire dans lessciences du langage. Quand Aya Ono tudie la notion dnonciation chez mile Benveniste,elle le fait partir de ce regard rtrospectif qui donne au terme toute sa valeur. Ce quelletudie, en fait, et avec un soin remarquable, cest bien la gense de ce terme.

    11 Voici notre position : il sagit pour nous dintervenir dans le champ de lhistoire et delpistmologie de la linguistique en prenant au srieux lappel de Benveniste faire de ltudedes termes un passage cl dans la comprhension dune science selon sa pratique discursive.Et nous le ferons en prenant pour cas dtude le terme nonciation. Nous verrons au demeurantquen slectionnant le terme nonciation, nous initions un projet de recherche l o son gestecritique peut faire immdiatement retour, car lhypothse que nous avancerons en fin de

    parcours est que lun des effets sans doute les plus significatifs de lusage du terme nonciationen linguistique est, avec Benveniste, de forcer la linguistique sinterroger sur son proprediscours.

    Lnonciation chez Benveniste : indigence du terme,insistance du mot

    12 Quon ne nous prte pas ce que nous navons pas dit : chez Benveniste, lnonciation nest pasencore un terme. On nhrite pas de quelque chose sans en modifier profondment la nature.Tout au plus peut-on considrer que, chez Benveniste, lnonciation est un terme en devenir.Cest l un point de dpart dont il sagit de bien comprendre la porte. Nous pouvons toutefoisavancer grandes enjambes grce au travail dinvestigation et de synthse effectu par AyaOno ; non quelle soit la premire se pencher sur lnonciation dans luvre de Benvenistemais prcisment parce quelle pourrait se dire la dernire, tant son travail parat achev. Nous

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    chercherons pour notre part identifier ce qui peut servir utilement de point de dpart uneenqute sur limaginaire terminologique de lnonciation, depuis Benveniste et au-del.

    13 Lnonciation napparat pas en un grand nombre doccurrences une trentaine, en dehorsde Lappareil formel de lnonciation . Si lon considre quun terme na pas dautrefonction que dexister et de simposer, ce petit nombre doccurrences, dans des textes quischelonnent sur vingt-cinq annes, ne suffit pas faire de lnonciation un des leurs. Parailleurs, lnonciation nest identifie par aucun lment de stabilisation. Notamment, elle ne

    reoit pas de dfinition, ni des marques de mise en vidence. Benveniste est pourtant familierde ces procds. Par exemple, dans Formes nouvelles de la composition nominale 9, il meten place le terme synapse. Ce nest pas un nologisme (le mot est employ en physiologie

    depuis la fin du XIXesicle) mais Benveniste lui assigne une acception linguistique traversdes proprits dfinitoires, des exemples et en articulant sa distinction avec un terme voisinexistant (le compos).

    14 Deux faits textuels mis en vidence par Ono viennent en particulier entraver la constitutionterminologique de lnonciation chez Benveniste. Dune part, tout au long de son uvreBenveniste fait deux emplois de lnonciation : un emploi descriptif et un emploi thorique.Lemploi thorique seul peut mener une constitution terminologique. Dans lemploidescriptif dnonciation, Benveniste sappuie sur sa valeur en langue (lnonciation comme

    prononciation orale dune prire ou dune formule liturgique sur une scne publique). Cetemploi apparat encore en 1969 dans le Vocabulaire des institutions indo-europennes10.Certes, le propos des textes permet de le circonscrire (ce sont des textes de grammairecompare). Il nempche que la concomitance de deux emplois dnonciation fait obstacle une cration ex nihilo, du point de vue de la forme comme du point de la signification. Il fautnoter, dautre part, que lnonciation trouve un certain nombre de parasynonymes, tout lemoins dquivalences, dans la pense de Benveniste. Ono en montre plusieurs dont le disparatemme pose des difficults thoriques : avec phrase, avec nonc performatif, avec instance dediscours. La parasynonymie, en particulier une parasynonymie flottante et fluctuante commecelle dans laquelle est plonge lnonciation au cours des crits de Benveniste, ne va pasdans le sens de la constitution terminologique. Il faudrait dterminer dans quelle mesure

    de tels procds se rencontrent frquemment chez Benveniste. Notre sentiment est que lesparasynonymes ne sont pas rares dans luvre de Benveniste et peuvent marquer des enjeuxthoriques considrables. Par exemple ltude gntique entreprise par Irne Fenoglio surles manuscrits indique clairement des substitutions de discours en lieu et place de parole 11.Guillaume Paugam, de son ct, sest pench sur les usages du terme subjectivit, pourmettre en vidence une confusion des niveaux danalyse chez Benveniste, qui navigue entreune analyse linguistique du discours, une analyse philosophique de la langue et une analysetranscendantale du langage12.

    15 Quoi quil en soit, la coexistence mme de deux emplois pour nonciation mriterait unexamen sur lequel Aya Ono passe selon nous trop rapidement. Comment la concevoir en effet ?Sagit-il dune forme de gnralisation ? Ono soulve une difficult pour cette hypothse. Cest

    que dans son emploi thorique lnonciation est le lieu de la subjectivit dans le langage ; enceci elle est fonde comme unicit. loppos, les formules incantatoires et les prires sontdes noncs rpts13. Ono a cherch rsoudre cette difficult :

    16 Pour Benveniste comme pour Saussure, la linguistique gnrale est fonde sur la mthodecomparative. Il en va de mme pour sa recherche sur lnonciation. Acquise partir delanalyse des langues et des socits indo-europennes, la conception de lnonciation entant quacte dnoncer une formule joue un rle fondateur. Bien que les deux dfinitions initiale et terminale [i.e. descriptive et thorique] puissent paratre contradictoires, il ya un lien entre elles : cest que lnonciation en tant que formulation , profration , mission est le point de dpart de llaboration dune autre nonciation individuelle,unique, originale, inscription du sujet parlant dans la langue et le langage. En 1970,laspect impersonnel de lnonciation nest pas visible, camoufl par laspect personnel delnonciation exclusivement mis en lumire, et la communion phatique, aspect impersonnel,

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    collectif, rptitif de lnonciation, en constitue la face cache, bien quessentielle. (Ono 2007,107).

    17 Cette interprtation, qui nous parat correctement argumente, ne nous intresse pas au premierplan. Mais ce que nous voulons souligner, cest lhorizon dattente dune telle interprtation.Primo, il sagit dune interprtation gntique : de deux conceptions, elle suppose que luneest initiale et sert de point de dpart lautre, terminale , alors mme que lesemplois sont concomitants, et se retrouvent parfois dans un seul et mme article, ainsi que la

    commentateure la bien relev. Une telle supposition ne se justifie donc que si lnonciation estdores et dj prise dans une historicit terminologique. Secundo, la contradiction releve entreles deux conceptions est maintenue dans la seconde, avec une face apparente et une face cache(mais essentielle, nous dit-on). L encore, une telle interprtation ne se justifie que si, au-deldu concept, quelque chose doit se maintenir dans une dure dores et dj rvolue. Le destinterminologique associant le terme au concept, et donc une forme dillusion rtrospective, dirigeainsi entirement linterprtation donne par Ono. Dune manire distincte mais comparable,linterprtation que Paugam donne des confusions terminologiques sur la subjectivit est quant

    elle tout entire oriente par un geste de rfutation thorique du propos de Benveniste14. Or,aucune des deux branches de cette alternative (illusion rtrospective vs rfutation thorique)ne nous semble rendre justice au vritable fonctionnement terminologique de lnonciation

    (ou de la subjectivit) ; ces commentaires participent en ralit eux-mmes au destin du terme,comme nous le verrons dans la suite de notre propos.

    18 Bien rares sont les continuateurs qui ont relev deux emplois de lnonciation chez Benveniste.Les difficults conceptuelles semblent inhrentes au concept lui-mme, ou imputes llaboration quen propose Benveniste. Dans tous les cas, la constitution terminologique estconsidre acquise.

    19 Il existe un autre fait textuel relever dans le corpus benvenistien qui montre quel point lesautres linguistes font un usage terminologique dnonciation souvent trs diffrent de celui deBenveniste. Chez Benveniste, lnonciation ne trouve pas clairement se positionner vis--vis dun terme dj tabli, alors que dautres mots sont penss chez lui plus nettement dansleur complmentarit. Cest le cas, bien sr, de smantique/smiotique. On peut dire que ladistribution conceptuelle fonde la capacit terminologique de ces termes, car, pour le reste, leurdfinition reste dlicate. Cest aussi le cas de la distinction de lhistoire et du discours, voire decelle entre langue et discours. Pour lnonciation, en revanche, llaboration conceptuelle nepasse pas par une rhtorique de la distinction ou de lopposition. Or il est clair que la plupart des(autres) linguistes de lnonciation ont agi tout diffremment. Pour eux, proccups commeils le sont de dlimitation disciplinaire, lopposition de lnonciation lun ou lautre termedevient un enjeu majeur. Hlas pour eux, les termes immdiatement disponibles ne sont pas descandidats lgitimes, du point de vue de Benveniste. En particulier, lnonciation ne sopposepas lnonc15.

    20 Ces quelques brves considrations sur les usages de lnonciation chez Benveniste montrent quel point les usages terminologiques qui en seront faits ultrieurement, quoiqu partir deson hritage, sen distinguent. Notre hypothse de travail est que cette discrpance met jour

    un imaginaire terminologique associ lhritage et aux usages de lnonciation et distinct,en droit comme en fait, des modifications conceptuelles qui se sont exerces sur cette mmenonciation. Il sagit ds lors de rendre compte dun parcours qui scande jusqu nos jours lesuccs, les fonctions, puis le dclin du terme dnonciation, en clairant ces phases non pas partir dun point de vue thorique, ou rtrospectif, mais strictement terminologique.

    Le terme et son imaginaire : du mot au vocable-ftiche

    21 Cest nouveau Benveniste quon pourra emprunter les instruments dune telle dmarche.Dans larticle sur la gense du terme scientifique , Benveniste remarque avec intrt quescientificussest impos en lieu et place de scientialis, qui aurait pu, meilleur droit (voirn. 8), remplir la fonction dun adjectif dsignant ce qui est relatif la science. Toutefois,il sinterroge peu sur ce qui vaut scientificus ce succs usurp. Simplement note-t-il,dans les dernires phrases de larticle, que seul scientificus sest gnralis soit pour

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    des raisons doctrinales, soit cause de sa plus grande expressivit (Benveniste 1974,253). On aurait aim recevoir plus dassurance ce sujet. La premire hypothse, celledes raisons doctrinales , fait fond sur la finalit disciplinaire des termes, et des enjeuxquils reprsentent pour des collectivits. Comment trouver, dans les documents, les tracesou indices qui permettent de cerner les enjeux relatifs lemploi dun terme plutt quunautre ? Voici une question sur laquelle on voudrait progresser. La seconde hypothse, quitouche la plus grande expressivit , demanderait dabord une justification smantique.

    En quoi qui produit la science (traduction, conforme ltymologie [scientia-facere],propose par Benveniste de scientificuscomme il est employ chez Boce) est-il plus expressifque propre la science (scientialis chez le mme Boce) ? moins quil sagissedune expressivit purement phonique, dun attrait intrinsque du signifiant en ce quilrsonne indiscutablement avec diffrents lexmes du vocabulaire technique latin calqus surles drivs grecs en -16 (litt. qui est relatif ; tymologiquement non apparents,cela va sans dire) ? On songera, entre des dizaines dexemples, grammaticus(adj. quirelve de la grammaire et subst. grammairien ), mathematicus (adj. qui a rapportaux mathmatiques et subst. mathmaticien ), physicus(adj. qui relve des sciencesnaturelles et subst. naturaliste ). Dans tous les cas, lhypothse dune incidence delexpressivit laisse la porte ouverte des considrations rhtoriques sur des termes censs

    nacqurir de valeurs que par leurs conceptualisations (Benveniste), tout le moins leurs formations thoriques (Ono, propos du terme nonciation).

    22 Pour distinguer nettement les fonctions terminologiques, lies la finalit disciplinaire ou lexpressivit dun terme, des fonctions conceptuelles que ce mme terme peut vhiculerpar ailleurs, nous proposons de parler de limaginaire dun terme. Cet imaginaire englobea priori, sous bnfice dun inventaire plus raisonn, tout ce qui, paralllement sonusage thorique, a trait aux valeurs connotatives ou rhtoriques (argumentatives, esthtiques,thiques, sociologiques) qui peuvent aider son mergence et sa reconnaissance, etqui contribuent aussi, finalement, son dclin et son rejet. Nous employons ce motdimaginaire non sans une certaine rsonance avec le vocabulaire lacanien. Ce qui nousintresse en effet ici cest la puissance dun Signifiant : puissance interne que peut rvler une

    motivation iconique (le lien de ressemblance phonique quil entretient avec son rfrent17

    ),une recherche tymologique (en ce compris ltymologie populaire), gntique (sur la ligne terminologique laquelle il appartient), morpho-syntaxique (sur la drivation, lesconstructions et collocations lexicales quil permet), etc. ; puissance galement externe selonles cercles de notorit et de diffusion auxquels il accde. Certes le Signifiant nest pas roi pourautant. Il est vident que le terme demeure tributaire dune conceptualisation et que son significonserve une prgnance premire. Seulement, en faisant du terme un compos de puissances(et non un signe dont le signifiant serait la partie stabilise par larbitraire), nous entendonsdmarquer notre approche des formes de rationalisation de type logico-philosophique18. Ainsi,au lieu de penser selon une gnalogie des concepts, nous proposons par consquent de penserune gnalogie rhtorique des termes. Mme si, bien sr, cette gnalogie rhtorique ne dira

    pas le fin mot sur la fortune dun terme ; elle en est seulement une approche selon nous troppeu considre.23 Si nous revenons au cas remarquable de lnonciation, que pouvons-nous dire de son

    imaginaire ?24 Dans un premier temps, cet imaginaire ne semble possible que si le mot, pure forme disponible

    de la langue, est activ en tant que terme, cest--dire si le mot est considr dans son expressivit , ainsi quy faisait allusion Benveniste. Cette premire transformation, seule lalecture tymologique laccomplit. Dans le cas qui nous occupe, il nous semble que Benvenistea suffisamment travaill sur ltymologie et sur son impact sur la culture scientifique pourque lon puisse lgitimement mettre lhypothse que ltymologie dnonciation ait pujouer un rle non ngligeable, sinon directement dans le processus de conceptualisationen mouvement dont tmoignent les crits de Benveniste, tout au moins dans le rseau de

    connexions smantiques que le terme autorise et dans larticulation de ces connexions auprojet scientifique lui-mme. En effet, il est pour le moins frappant dobserver quel point

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    les multiples dimensions tymologiques du mot nonciation sont corrles avec les grandsaxes de la rflexion benvenistienne en la matire. En outre, ces dernires, prcisment parcequelles sont thmatises par Benveniste dans ses textes, ouvrent vers un destin terminologiqueet semblent mme motiver certaines conceptualisations postrieures du terme nonciation.Ce mot, comme pur signifiant, recle en puissance au moins trois dimensions essentielles :ex-, nuntiuset, en finale, le dverbal -tio. Il y a ainsi tout dabord la dimension de messager,courrier et de message (nuntius, ii) : on voit poindre ici tout ce qui a trait au locuteur en

    situation discursive, centre dictique dlivrant un message dans un contexte donn ; mais cetaxe tymologique renvoie galement assez manifestement une forme de dlgation, cest--dire au locuteur en tant quil porte un message qui nest pas ncessairement le sien lesnotions de point de vue et de prise en charge (l allocentrisme de Damourette etPichon) ne sont alors plus trs lointaines. Deuximement, le signifiant nonciation, cest unprfixe e(x) qui oriente vers une forme dextriorisation et dexpression : linstitution du sujetqui se manifeste, sexprime, par lusage de la langue bien sr, mais aussi (et peut-tre surtout)limplantation de lallocutaire par la communication au dehors, par cette mise en branle dela langue dans linteraction du discours quest lnonciation. Enfin, cest le suffixe dverbal-tio qui permet de driver un substantif rfrant au procs (virtuel) denunciare, procs quiimplique un agent en acte : lacte dnonciation assurment, mais lacte de langage galement.

    25 Nous considrons que cest prcisment cette forme dadquation entre les lecturestymologiques possibles du mot nonciation et le processus foisonnant de conceptualisationchez Benveniste qui autorise identifier ce qui peut, a posteriori, tre identifi comme un gesteterminologique fondateur. Si nous parlons de geste, cest quil ne sagit pas simplement dtablir, par dfinition, lquivalence entre un mot et un concept (cest--dire de rduire leterme un outil pour la pense). En fait on observe ici probablement plus que chez dillustresprdcesseurs (comme Bally par exemple) une ouverture de lespace des possibles et uneactivation de limaginaire du terme par la mouvance mme de son criture.

    26 videmment, on arguera que pour les commentateurs et pour les repreneurs actuels delnonciation, la culture latine joue moins quoique nous ne prjugions pas de sa ractivationpotentielle. Mais sans doute y a-t-il dautres motivations terminologiques user du signifiantnonciation, en somme, dautres fragments dimaginaire qui participent au succs du terme. Silon nous permet demployer une image, nous dirions que le terme dnonciation est commeune pile prsent charge et prte lemploi. Mais cest bien cet emploi qui dfinit la pile,de mme que cest lusage du terme en tant que terme, et non le chargement tymologique,qui le spcifie.

    27 Rptons-le, le terme peut bien sr connatre le destin traditionnel dun terme-outil, cest--dire tre strictement associ un concept et bloquer ainsi tout autre usage titre dexemple,on peut dire que les termes de la linguistique hjelmslevienne se caractrisent par ce typede destin. Ce nest gure le cas du terme nonciation. Une fois le mot activ en terme parla lecture tymologique, son signifiant continue dinsister, cest--dire de rsister au destinterminologique dun terme-outil pour souvrir dautres potentialits. Et, de fait, dj chezBenveniste, ainsi que nous lavons vu, lnonciation ne se laisse pas ramener un simple

    dsignant ; le terme essaime dans le travail du linguiste comme sil rencontrait chaquefois des conceptualisations en cours, pas forcment abouties, non pour baliser fermementces conceptualisations, mais plutt pour favoriser leur ouverture des significations autresque conceptuelles. Cest ce travail terminologique particulier que nous appelons les fonctionsimaginaires du terme.

    28 Pour prolonger ici une rflexion de Roland Barthes, on pourrait dire que lalternative uneactualisation conceptuelle du terme est son actualisation comme vocable, cest--dire comme mot-valeur qui travaille sa propre signification, me[t] le dsir dans le texte et se montre suffisamment dcoup[], suffisamment brillant, triomphan[t], pour se faire aimer, la faonde ftiches 19.

    29 Il revient prcisment au mme Barthes davoir donn au terme dnonciation ce potentiel

    de brillance, cette aura non plus conceptuelle mais esthtique qui rend possibles sonendroit dultrieurs investissements imaginaires et jusqu une ftichisation. De mme que

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    cest par la lecture tymologique que le mot devient terme, il faut voir que cest par une lecture auratique que le terme devient vocable (potentiellement ftiche). Cest laura, en effet,accorde lnonciation qui donne sens, notre avis, cette phrase de Roland Barthes :

    La meilleure traduction delocutio est peut-tre, non pas locution (trop restreint), maisnonciation, ou la rigueur locution (activit locutoire)20.

    30 Cette phrase est extraite de LAncienne rhtorique que Barthes a prpare durant le

    sminaire donn en 1964-1965 mais quil a publie seulement en 1970. Or dans un article paruen 1963 sous le titre La philosophie analytique et le langage (repris dans Benveniste 1966,267-276), Benveniste exploite lnonciation sous son aspect d acte dautorit et discute lathorie des actes du langage dAustin. Le rapprochement, dans la phrase cite, dun terme misen avant par Benveniste et dune expression propre Austin rend plausible le lien gntiqueentre les deux textes. Ajoutons que le nom de Benveniste ne manquait pas dautorit dans lecercle restreint mais initi des smiologues (Jean-Claude Coquet, Julia Kristeva). Ce qui sedonne lire alors, en 1970, ce nest pas un renvoi explicite une pense thorique. Cest la fois plus et moins que cela. Moins que cela, puisque le terme dnonciation est rendu libredes caractristiques de sa conceptualisation benvenistienne afin dtre charg de nouvellescaractristiques, savoir le caractre large de sa conception une caractristique quene cesseront de reprendre leur compte les thoriciens de lnonciation. Mais, en un certainsens, lemprunt signe quelque chose de plus quun concept, puisque dans la suggestion qui estfaite que lnonciation est le bon choix pour la traduction dun concept antique, cest--diredans lactualisation, ce qui se donne voir cest le caractre technique du mot. Laura dunterme est l, entre pouvoir dactualisation de tout ce qui pouvait se comprendre avec dautresmots et autorit technique face ses concurrents le terme est suppos tre le meilleur motdisponible. Laura libre le fonctionnement imaginaire du terme et en permet, par consquent,la ftichisation progressive.

    31 Nous voudrions prsent offrir, de manire raisonne, un rpertoire de quelques-unes desfonctions imaginaires de lnonciation, en signalant chaque fois au moins un emploi quiactualise cette fonction21.

    32 Comme nous lavons dj voqu en introduction, lnonciation prsente une fonction

    historique, qui est dautoriser la prospection autant que la rtrospection. Dj chez Benveniste,lnonciation se fantasme comme un dpassement , dans ces lignes conclusives de Smiologie de la langue :

    [] en conclusion, il faut dpasser la notion saussurienne du signe comme principe unique, dontdpendraient la fois la structure et le fonctionnement de la langue. Ce dpassement se ferapar deux voies : dans lanalyse intra-linguistique, par louverture dune nouvelle dimension designifiance, celle du discours, que nous appelons smantique, dsormais distincte de celle qui estlie au signe, et qui sera smiotique ; dans lanalyse translinguistique des textes, des uvres,par llaboration dune mtasmantique qui se construira sur la smantique de lnonciation.22

    33 sa suite, nombreux seront les commentateurs qui utiliseront le terme pour baliser lvolution

    de la pense linguistique au XXesicle, en lassociant la mtaphore du tournant 23ou en

    lutilisant pour identifier des prcurseurs 24

    .34 Mais la principale fonction imaginaire de lnonciation est sans doute la fonction disciplinaire,

    cest--dire celle par laquelle le terme, devenu vocable, renvoie (et fait exister parce renvoi lui-mme) une communaut de chercheurs, situe dans le champ des savoirset caractrise par diverses pratiques de connaissance. La fonction disciplinaire est ainsidune part gnosologique (cest--dire relative lorganisation des savoirs), dautre partpraxologique.

    35 Gnosologique, lnonciation lest dabord par lacte de fondation quelle accomplit, parexemple dans cet article de Todorov et lon sait le rle majeur quil joua dans le processus

    dcriture de Lappareil formel de lnonciation25, qui explicite trs clairement un balisagedu champ des savoirs linguistiques : La description de laspect indiciel du langage constitue

    un autre chapitre dans cette discipline qui prend lnonciation pour objet. 26

    Elle lestensuite par lappropriation quelle autorise des objets ou des phnomnes autrefois pris en

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    charge par dautres secteurs disciplinaires, sous dautres appellations. Cest bien une telleappropriation que procde Barthes dans lextrait dj cit o, en plus de lusage auratiquequil fait de lnonciation, il utilise le terme pour y inclure la gamme des phnomnes quela rhtorique rangeait sous ltiquette delocutio. De la mme manire, Todorov pose luiaussi une relation dquivalence entre les outils danalyse de la rhtorique et ce que recouvredsormais lnonciation :

    36 Lnonciation est toujours prsente, dune manire ou dune autre, lintrieur de lnonc ;

    les diffrentes formes de cette prsence ainsi que les degrs de son intensit permettent defonder une typologie des discours. Nous entrons ici dans le domaine de lanalyse du discours,ou de la linguistique textuelle, ou, si lon prfre lappeler par son ancien nom, de la rhtorique.Nous pouvons relever ici plusieurs oppositions entre types de discours (dnoncs), tabliesau cours de diverses analyses rhtoriques et qui se fondent toutes sur des catgories relevantde lnonciation27.

    37 Un peu plus loin, cest sur le terrain de la grammaire classique que sapplique la fonctiondappropriation disciplinaire : La dixis est le nom quon donne dans les grammairesclassiques aux problmes lis lnonciation. 28Dans tous les cas, on voit bien que le terme estinvesti dune puissance taxinomique sur les savoirs linguistiques. De mme quelle permet lafondation et lappropriation, lnonciation permet aussi le contraste, fonction complmentaire

    aux deux prcdentes en ce quelle dsigne cette fois les frontires extrieures du champdisciplinaire considr. Cest singulirement par rapport la philosophie que lnonciationralise ce contraste, comme lexprime par exemple cet extrait de Meschonnic : Davoir licomme il la fait le sujet, lnonciation, le langage et la langue a fait de la position thoriquede Benveniste la seule qui, de la linguistique, ait dialogu avec la philosophie. [] Le sujet

    est sa propre nonciation, son historicit, sa temporalit. 29 vrai dire, le contraste sexprimeici plutt sous la forme dune corrlation (ce qui nest pas ncessairement le cas) : tout endsignant la frontire entre la linguistique et la philosophie, lnonciation permet la premirede sarticuler aux questionnements de la seconde. Il en dcoule un gain vident de lgitimitsymbolique, pour une discipline qui, tout en refoulant son pass spculatif, refuse de sereprsenter comme une simple bote outils. Lautre consquence de cette fonction corrlative

    est quelle porte en elle lannonce du dclin du terme. Inscrit, comme dans lextrait, dans unesrie qui lassocie historicit et temporalit , le terme dnonciation fait accder sonsignifi au rang de ces phnomnes qui, touchant lessence mme de lhumanit, relventfinalement de lineffable. Car du ftiche au tabou, la distance est tnue, comme nous le verrons.

    38 Mais revenons la fonction disciplinaire de lnonciation, pour envisager prsent son versantpraxologique. Lnonciation ne fait pas que classer des savoirs, elle prescrit des pratiques.Lemploi du terme en position de complment des noms thorie et problmatique (ou problmes ) indique quil y a bien quelque chose thoriser ou problmatiser ce propos,et que cest l la pratique de connaissance qui est attendue. Les combinaisons syntaxiquesdans les dsignants scientifiques rvlent toujours une part de limaginaire (social et cognitif)qui se projette sur la science et la fait exister en tant que science sous telle ou telle modalit :pourquoi parle-t-on de thorie de la relativit, mais de problmatique du nuclaire ? Affairedactualit mdiatique et politique sans doute, mais le rapport ce quil y a connatre sentrouve ncessairement affect. Dans le cas de lnonciation, lun et lautre de ces usages sontattests : Tzvetan Todorov (1970) parle de problmes de lnonciation (cest le titre de sonarticle de 1970), sa suite Catherine Kerbrat-Orecchioni (1999) intitule le premier chapitre deson ouvrage de synthse La problmatique de lnonciation , tandis que Claude Hagge ouOswald Ducrot sont attachs au dsignant thorie :

    Benveniste difie bel et bien une thorie, mme si elle demeure moins explicite quil ne seraitsouhaitable. De manire rvlatrice, la 5epartie desProblmes(p. 223-285), qui rassemble les sixarticles fondant la thorie de lnonciation, sintitule Lhomme dans la langue [].30

    Le dernier chapitre [i.e. esquisse dune thorie polyphonique de lnonciation], en revanche, mmesil a pour point de dpart des travaux antrieurs, peut tre considr comme un texte nouveau .Jessaye dy prsenter une thorie gnrale de lnonciation, qui constitue le cadre dans lequel jetravaille actuellement.31

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    39 La question nest videmment pas ici pour nous de trancher en faveur de lune ou lautrede ces expressions, ni mme de chercher savoir ce quelles recouvrent exactement,mais de constater que le terme dnonciation active un imaginaire relatif des pratiquesdisciplinaires particulires : la conceptualisation vise explicative ou le questionnement vise hermneutique. Relevons au passage que nous rencontrons ici un paradoxe : aprs avoircart de notre champ dinvestigation le destin terminologique conceptuel, voil quil faitretour prsent. Le paradoxe nest quapparent cependant : certes, lnonciation a pu faire

    lobjet de nombreuses dfinitions trs rigoureuses conceptuellement, mais cest prcismentle dploiement dun imaginaire problmatisant et thorique autour du terme nonciation qui, nos yeux, en a conditionn lusage en tant que concept dans une (ou plusieurs) terminologie(s)linguistique(s). Le destin qui conduit au terme-outil peut donc emprunter une voie pluscomplexe que celle, immdiate, qui vite la lecture auratique pose au fondement de nosdiverses fonctions imaginaires.

    40 Thoriser comme problmatiser sont donc, au sujet de lnonciation, les avatars dunimaginaire du terme relatif aux pratiques disciplinaires. La meilleure preuve de ce quecette puissance thorique ou problmatisante drive des emplois du terme lui-mme rsidevidemment dans la varit des usages : lun dit thorie de , lautre problmatiquede , un autre encore dira domaine de , ou schma gnral de , ou rgles de

    activant cette fois limaginaire dune pratique de description mthodique ou de recensementet de classement des phnomnes concerns :

    Le domaine de lnonciation sest considrablement agrandi depuis les rflexionsprogrammatiques de Benveniste et Jakobson la fin des annes 50, et lon se trouve aujourdhuidevant un champ de recherches vaste et actif, certes, mais dont les diverses rgions ne sont pasrigoureusement articules les unes sur les autres.

    [] dans lnonciation, tout ne relve pas de lindividuel, du chaotique mais [] une partnotable peut en tre dcrite en termes de systme. [] Dsormais on opre une distinction entrechaque nonciation individuelle et le phnomne, le schma gnral de lnonciation, invariant travers la multiplicit des actes dnonciation.32

    Notre objet sera [] constitu par les rgles de lnonciation et les diffrents champs de leurapplication.33

    41 Quant la mise au pluriel de thoriesde , laquelle Maingueneau a recours galement dans lemme ouvrage, elle pourra sanalyser comme une conjonction des deux imaginaires (thorisantet problmatisant), en faisant de la pluralit des thories lobjet mme de la problmatique. Onpourra certainement la lire galement comme activant la fonction historique rtrospective, oucomme renforant la fonction gnosologique, puisquelle souligne limportance dun secteurdisciplinaire qui voit cohabiter en son sein plusieurs thories.

    42 En avanant dun cran encore vers lusage du terme comme vocable-ftiche, nous rencontronsdes occurrences o les fonctions imaginaires ne condensent plus une discipline, mais lasubliment. Le point de cette sublimation correspond la rencontre entre le terme et un air dutemps qui lui permet de trouver une incidence inattendue, qui le fait vhicule de significationstrs gnrales, sur le social, sur le politique, sur lesthtique, voire sur lessence de lhumanitcomme nous lavons vu plus haut. Lnonciation comme ftiche abolit la frontire entre ladiscipline et la vraie vie et tire son pouvoir de fascination de ce quelle semble viser justequelle que soit la cible. Ce type dexpansion dpend bien sr troitement de la doxa dunepoque et dune socit. On ne stonnera gure que, dans les annes qui entourent Mai 68et au sein du milieu universitaire parisien, la fonction sublimante de lnonciation soit lisiblesur le terrain politique.

    43 Larticle de Jean Dubois34nous semble particulirement clair cet gard. Lauteur inscritdabord le terme dans un rseau doppositions entre texte ralis et acte de productiondu texte , entre structure et procs , entre discret et continu . Il active ainsi cequon pourrait appeler une fonction dialectique du terme : crateur dun contraste, pour ne pasdire dun conflit, il appelle son dpassement. Ce schma de raisonnement, lui-mme dj trs

    connot idologiquement, dbouche sur une conception de lnonciation comme possibilit

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    de rintroduire la crativit du sujet parlant 35, face aux rgles aveugles de la structure,comme lespace de libert et de dcision qui lui revient dans lactivit langagire.

    44 Le procs dnonciation dfini comme un rapport du sujet son nonc sintgre aussi unethorie qui ne fait pas de certains lments seulement des moyens privilgis de subjectivit.Lintervention du sujet nest pas dans la seule interprtation smantique de la phrase initiale, ilest aussi chacune des transformations facultatives puisque sa dcision se manifeste chaque

    moment, le choix sexerant sur les potentialits offertes36.

    45 Lemploi du terme d appropriation , associ celui d nonciation , contribue galement nourrir cet imaginaire politique. Barthes encore une fois est celui qui souligne sans doute lemieux cette sublimation du linguistique vers le politique :

    Lnonciation nest pas lnonc, bien sr ; et elle nest pas non plus (proposition plus subtileet plus rvolutionnaire) la simple prsence de la subjectivit dans le discours ; elle est lacte,renouvel, par lequel le locuteur prend possession de la langue (se lapproprie, dit justementBenveniste) [].37

    46 La qualification plus ou moins rvolutionnaire , jointe laction de sapproprier quidistingue lnonciation, ne peut manquer de renvoyer un imaginaire de la lutte politiqueet de faire ds lors du terme dnonciation lun des mots de passe culturels qui polarisentalors le champ idologique franais. On notera au passage que cest nouveau par une lecture

    auratique que Barthes active ce potentiel terminologique : le dit justement est lquivalentici de la meilleure traduction dans la citation dj commente plus haut. La modalisation dudiscours rapport compte tout autant que ce discours lui-mme et que sa source, ici prcise.Car peu importe de savoir si Benveniste emploie rellement ce verbe sapproprier, lessentielest que Barthes impose cette expression comme juste, cest--dire comme ajuste ce quelnonciation peut donner comprendre des rapports entre lindividu et les structures sociales.

    47 Ce rapport terminologique entre nonciation et appropriation sera repris deux dcennies plustard par Dominique Maingueneau, mais cette fois sur le mode ngatif : Lnonciation nedoit pas tre conue comme lappropriation par un individu du systme de la langue. Le sujetnaccde lnonciation qu travers les contraintes multiples des genres de discours 38.Il nous semble plausible de lire dans cette occurrence une nouvelle actualisation de la

    fonction sublimante de lnonciation, et voir dans le remplacement de lappropriation par lescontraintes, qui semblent entraver laccs du sujet la jouissance nonciative libre et entire,lavatar terminologique dun imaginaire politique singulirement dsillusionn. Et il nest pasutile de dterminer si les causes de cet usage chez Maingueneau sont rellement chercherdans un imaginaire politique ; lessentiel est de voir que lnonciation est ici discute peut-tre sur un plan que lauteur considre comme tant strictement celui de la thorie linguistique parce que le fonctionnement de son terme selon un imaginaire extra-linguistique a gnrune dfinition ( lappropriation ) qui parat contestable aux yeux du linguiste. Autrementdit, la fonction sublimante peut faire retour sur les autres usages du terme, et singulirementsur lusage conceptuel, qui se dfinit prcisment par le dni quil oppose aux fonctionsimaginaires.

    48

    Si elle se porte facilement sur le terrain politique, la fonction sublimante de lnonciationsaccomplit aussi nos yeux sur le terrain esthtique, o elle sert promouvoir linachvementcomme motif formel trs gnral. Ce passage de larticle de Dubois nous parat significatif cet gard :

    49 [La dsambigusation] fait partie du procs dnonciation : chaque phrase constitue uneambigut structurelle, et la phrase suivante lve cette ambigut en en crant une nouvelle.[]

    50 Cette dsambigusation contient en elle-mme la notion essentielle de non-achvement,puisque jamais aucun message ne trouve sa solution immdiate, chaque phrase ne la trouvantque dans la suivante.39

    51 Certes, lauteur parle bien dun enchanement de messages linguistiques, mais en posantlquivalence entre dsambigusation, nonciation et non-achvement, il donne sa

    terminologie une prise sur un terrain qui dborde de loin lanalyse de la langue (ne parle-t-ilpas dune notion essentielle ?), pour y poser la vrit esthtique de linachvement comme

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    donne premire de lengendrement des formes signifiantes. Cet inachvement se prcise son tour par les termes de production continue et d infini , qui nourrissent limaginaireesthtique de lnonciation : Identifie avec le procs, elle [lnonciation en linguistiquestructurale] ne peut rendre compte du non-achvement des textes, de la production continue,

    de linfini des noncs 40

    52 Enfin, au comble de sa sublimation, lnonciation fonctionne presque magiquement commeun terme qui dirait la vrit sur toute une civilisation, sur ses croyances, transcenderait les

    frontires entre ses champs socio-discursifs pour, par sa simple occurrence, lui rvler sonimpens : Notre civilisation occidentale refuse lide que le langage soit une action []. Orlnonciation dune phrase constitue mme plusieurs actions simultanes, non une seule. 41

    53 Nous touchons l au point de basculement ultime de la ftichisation du terme qui, force dtendre ses fonctions imaginaires, finit par en produire lannulation rciproque : silnonciation peut tout dire, elle est discrdite dans chacune de ses occurrences particulires,ou plutt elle est entirement recouverte par limaginaire qui la investie et qui rclame dslors de nouveaux supports terminologiques.

    Dclin et remplacement terminologique54 La vitesse laquelle le terme nonciation a t satur par les fonctions dimaginaire (que lon

    a indirectement observe travers la rpartition chronologique des citations mobilises ci-dessus) na pas eu pour corollaire un dclin terminologique symtriquement rapide : cest quelaura est rmanente et que les enjeux disciplinaires ont longtemps soutenu la puissance duvocable devenu ftiche. Il parat cependant aujourdhui raisonnable de poser quun faisceaudindices convergents pointe vers un dclin du terme dans (et hors) la discipline, ainsi que versun remplacement terminologique multiple : lnonciation, comme terme, nest on peut syaccorder plus gure le centre des proccupations aujourdhui.

    55 Les causes en sont, cela va sans dire, nombreuses, mais elles paraissent pouvoir, dans leurensemble, tre ramenes en premire instance la dimension disciplinaire de limaginaire duterme.

    56 Dans le domaine gnosologique tout dabord :

    Lacte de fondation benvenistien et celui dappropriation subsquent du termenonciation par ses successeurs, pour tre dpasss, appelaient un effacement de lafigure dsormais historique et patriarcale ; ce fait est particulirement sensible chezDucrot42 : Enfin, la dernire section tudie des textes consacrs lnonciation,notamment le travail, qui a t pour moi dcisif, de Charles Bally . Cette volontde dpassement, si elle touche la figure de Benveniste lui-mme, a pour inluctablecorolaire la dfinition de domaines de recherches qui saffranchissent du termenonciation et, partant, de son imaginaire. Ducrot43 dfinit sa discipline comme la pragmatique smantique ou pragmatique linguistique : Il ne sagit plus de ceque lon fait en parlant, mais de ce que la parole, daprs lnonc lui-mme, est censefaire .

    Lnonciation, comme champ disciplinaire, sest rapidement pense et dfinie, ausein de la linguistique, en termes de contraste et dopposition avec les deux courantsalors dominants que constituaient le structuralisme, dune part, et le gnrativisme (enparticulier dans le domaine anglo-saxon) dautre part. En tmoignent, pour illustration,les assertions suivantes dont les excs (e.g. demande gnrale ) et critiques acerbes( relgation , postulat , pralable implicite ) indexent on ne peut plusclairement une vise disciplinaire et mettent en exergue des rapports de forces : une demande gnrale quant la linguistique de la parole, grande oublie dustructuralisme post-saussurien, mais aussi de la grammaire gnrative, qui la relgue

    dans la performance 44 ; Ducrot45 dont le point de dpart est la contestation dunpostulat quil considre comme un pralable (gnralement implicite) de tout cequon appelle actuellement la linguistique moderne, terme qui recouvre la fois lecomparatisme, le structuralisme et la grammaire gnrative ; Maingueneau46suggrequant lui que l on sera immdiatement tent daffirmer que pendant longtemps

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    la linguistique moderne sous ses formes dominantes na gure connu que lnoncpour champ dinvestigation . Le structuralisme et la grammaire gnrative sontdonc toujours (plus ou moins explicitement) viss et leurs impasses mthodologiquesrespectives soulignes. Toutefois, la reconfiguration progressive des rapports entrecoles linguistiques a irrmdiablement conduit une perte dopposition significativepour lemblme qutait devenu le vocable nonciation : sa puissance symboliquedisciplinaire sest corrlativement amue, mesure que les autres courants ntaient plus

    envisags comme ses points de repre obligs.57 Dans le domaine praxologique, limaginaire problmatisant et thorisant ayant entour le

    terme a conduit, en dfinitive, sa relgation au rang dpithte sa demotion, diraient leslinguistes anglophones et son remplacement par dautres termes rfrant spcifiquement des concepts mronymiques du projet de lnonciation.

    Lnonciation sest faite attributive travers des mcanismes de substitutionmtaphorique rcurrents rsultant de ltude de dimensions particulires de lnonciationsur lesquelles, en fonction des proccupations qui taient les leurs, diffrents auteursentendaient mettre laccent. En attestent, par exemple, les oprations nonciatives de Culioli47ou les stratgies nonciatives de Rabatel48.Ce sont respectivement bienles oprations et stratgies qui sont ici riges en termes, la dimension nonciativese contentant alors de qualifier le terme, comme garant dune dmarche, en ne valantplus gure que pour une dimension imaginaire disciplinaire dgage de toute ambitionterminologique ou thorique unifiante (ne parle-t-on pas des thories nonciatives ?).

    Les rflexions sur le contenu conceptuel du terme nonciation ont par ailleursconduit son remplacement par des termes plus atomiques, mronymiques, analysantlnonciation en autant de concepts particuliers et partiellement indpendants. Cestermes, sils sont constitutifs de lnonciation, ne la caractrisent videmment pasdans son ensemble : cest un arsenal de concepts qui vient sy substituer, rsultant deleffort de clarification terminologique. Ainsi, les concepts de points de vue (e.g.

    Nlke49 : au niveau linguistique, lintrt de lapproche polyphonique rside dansle fait que le locuteur dispose dune large gamme de moyens linguistiques pour

    prsenter plusieurs points de vue dans un seul et mme nonc ) 50, de prise encharge , d attitude propositionnelle (e.g. Nlke51), d nonciateur aussi en sontvenus clipser lnonciation comme terme. On notera, titre dexemple, labsencedu terme nonciation dans lindex dHomo narrans de Rabatel, alors que ceuxd nonciateur ou d effacement nonciatif sont abondamment utiliss.

    58 On retrouve, travers ces deux derniers points, un phnomne dj voqu plus haut ;lampleur des phnomnes potentiellement subsums sous le terme nonciation est telle quesa mobilisation dans lanalyse est potentiellement systmatique et quelle sen trouve suspectedans chacune de ses occurrences : le vocable-ftiche devient alors un tabou terminologiqueet scientifique. En consquence, paralllement au dveloppement de nouveaux supportsterminologiques, on a commenc dobserver un destin post-terminologique pour lnonciation,le terme redevenant un mot employ dans le sens commun qui tait le sien depuis la latinit. Ence sens, Nlke52nemploie jamais le terme nonciation dans un sens autrement techniqueque lacte de produire un nonc par un metteur destination dun rcepteur.

    59 Cette destine post-terminologique dans le champ linguistique car il y a bien une vie avant53

    et aprs le terme, va saccompagner en retour dune perte daura dans les autres sphres dessciences du langage. Cest ainsi que lon observe que lnonciation est rabsorbe par sonsubstrat rhtorique. On notera en particulier lemploi qui est fait des termes dethos et deposture :

    Les sciences du langage contemporaines ont remis lhonneur une notion de lethos situe dans leslimites du discours et ne concevant de murs oratoires que verbales : elles se rclament dAristote.Dans ce cadre, lethos est li la notion dnonciation qumile Benveniste dfinit comme lactepar lequel un locuteur mobilise la langue, la fait fonctionner par un acte dutilisation. Il en rsulteun intrt nouveau pour les modalits selon lesquelles la subjectivit se construit dans la langue,

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    et de faon plus gnrale pour linscription du locuteur dans son dire. [] Limage de soi est ainsiapprhende travers les marques verbales qui la construisent et la proposent au partenaire delinterlocution. La linguistique de lnonciation fournit un premier ancrage linguistique lanalysede lethos aristotlicien.54

    60 Qui accde au statut d auteur propose de lui-mme une image publique qui saffranchiten partie de ses coordonnes civiles, comme lillustre la pratique du pseudonymat. Si frquentdans tous les arts, le pseudonyme nest pas seulement une prcaution contre la censure, ou

    un appel la curiosit publique, mais aussi un indicateur de posture. Il marque une nouvelleidentit nonciative : lautomne de 1932, Louis Destouches devient Louis-Ferdinand Clineen littrature. Le pseudonyme fait de lauteur un nonciateur singulier, presque fictif, unpersonnage part entire de la scne dnonciation littraire. [] Sur la scne dnonciation

    de la littrature, lauteur ne se prsente et ne sexprime que muni de sa persona ou posture.55

    61 Tabouisation, stratgie dvitement et perte daura sentendent de concert avec les dsillusionsgrandissantes quant la fonction sublimante. Il ne restait alors qu ce que lnonciationperde jusqu la puissance de son signifiant (que la lecture tymologique avait manifeste).Or cette impuissance du signifiant est, dans le monde acadmique contemporain, patente :lintraduisibilit du terme en anglais en est tmoin on observera sur ce point particulier

    les rflexions de Lyons56 et lembarras dans lequel il est plong pour traduire le terme

    nonciation , quil glose par act or activity of utterrance. Lemprunt du terme renduimpossible, sa thorisation et sa problmatisation deviennent difficiles en dehors de lespacefrancophone. Cela explique la fois la fragmentation de la question de lnonciation endiffrents sous-champs (non moins actifs) dans le domaine anglo-saxon (speech acts, modalitytheories, etc.) et ladoption demblmes ou vocables-ftiches plus directement transfrables etdcalcables, tel le terme subjectivit (galement emprunt Benveniste). Il est prvoir que lestendances actuelles ne feront que samplifier jusquau jour o les conditions de production dudiscours scientifique permettront, peut-tre, un nouveau geste fort dinstitution terminologiqueautour de lnonciation.

    Conclusion : Benveniste nonciateur62

    Parmi les auteurs cits, Roland Barthes a scand notre parcours par deux interventionsauratiques singulires autour du terme dnonciation (lune au dbut, lautre au milieu durpertoire) ; il nous a donc sembl naturel de conclure avec une troisime occurrence, quiactive elle aussi un fonctionnement imaginaire du terme, mais dont la puissance a agi cettefois sur notre propre dmarche :

    Les dons intellectuels dun savant (non ce qui lui est donn, mais ce quil nous donne) tiennent,jen suis persuad, une force qui nest pas seulement celle du savoir et de la rigueur, mais aussicelle de lcriture, ou, pour reprendre un mot dont on connat maintenant lacception radicale,celle de lnonciation.57

    63 Voil la dernire des fonctions imaginaires de lnonciation, sans doute la plus essentielleparce que la moins prissable : la fonction rflexive. Dans ce propos sur lnonciation

    chez Benveniste, Barthes utilise le terme pour renvoyer lnonciation chez Benveniste.Lnonciation possde ce pouvoir singulier que chaque occurrence du terme faitimmdiatement retour sur lendroit mme, chaque fois unique, do elle a t produite.Cette fonction rflexive a motiv notre investigation sur les usages spcifiques du terme etsur les imaginaires qui les nourrissaient, autrement dit, elle a fait cho dans notre propreimaginaire. Cette dmarche sest construite partir de Benveniste, pas tant pour en traquer leshritages ultrieurs que parce que cette borne initiale sest impose nous comme la conditionde possibilit et de pertinence de lenqute elle-mme. Comme Barthes le suggre dans cetextrait58, lhritage de Benveniste se situe aussi dans lacte de dispersion terminologique etdactivations imaginaires qua ralis sa propre criture. En somme, pour le dire dune formule,Benveniste ne saurait tre aujourdhui un linguiste de lnonciation parce quil fut dabordun linguiste nonciateur (et peut-tre mme dabord un nonciateur avant dtre un linguiste).Si son nom reste aujourdhui profondment attach ce courant disciplinaire, cest peut-treaussi (du moins, autant que pour des raisons strictement conceptuelles) parce que son geste

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    thorique autour de cette notion sest confondu avec un geste nonciatif, celui dune indigenceterminologique et dune insistance du signifiant, ouvert aux potentiels de linvestissementimaginaire et des instanciations toujours renouveles et reconfigurantes. clair par lauramme du terme qui la rendu clbre, Benveniste apparat comme celui qui a fait du linguisteun nonciateur, cest--dire qui a engag irrmdiablement la pense linguistique dans unerflexion sur les pouvoirs de sa propre terminologie.

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    Notes

    1 Lionel Dufaye et Lucie Gournay, Argument au colloque Les thories de lnonciation : Benvenistecinquante ans aprs : www.univ-paris-est.fr/fr/actualites/document-1203.html.

    2 Voir dj Claudine Normand Les termes de lnonciation de Benveniste ,Histoire pistmologieLangage, 8/2, 1986, p. 191-206.

    3 Un travail comme celui dAya Ono (in La Notion dnonciation chez mile Benveniste, Limoges,ditions Lambert Lucas, 2007) consiste prcisment reconstituer cet hritage, ce qui montre bien quilna rien dvident chez Benveniste lui-mme. Nous y reviendrons.

    4 La dmarche que nous proposons rejoint certaines des orientations traces par Henri Meschonniclorsquil crit : il y a ainsi nombre de figures, ou de postures, de lhritage et de la critique, dont lintrtactuel et permanent est de contraindre la critique de la critique, pour tenter de regagner une unit qui,sans doute, ne peut plus tre celle de Benveniste, mais la fois pourtant demeure la tche de la thoriedu langage, de la thorie du sujet, de la potique. (Henri Meschonnic, Seul comme Benveniste oucomment la critique manque de style ,Langages, n 29, 1995, p. 32). Elle sarticule bien sr galement

    sur le travail men par Simone Delesalle, qui a pour sa part clair les tapes terminologiques antrieures Benveniste ; son article sessaie reprer [] quelques tapes smantiques du mot nonciation,

    jusquau moment o il est devenu, face au structuralisme et la philosophie analytique, un des mots-cls de la linguistique franaise. (S. Delesalle, Introduction : Histoire du mot nonciation ,Histoire

    pistmologie Langage, 8/2, 1986, p. 9).

    5 On ne peut que renvoyer ce sujet Delesalle, Introduction : Histoire du mot nonciation , op. cit.

    6 Repris dans les Problmes de linguistique gnraledmile Benveniste (Paris, Gallimard, Tome 1,1966, Tome 2, 1974), respectivement : Tome 1, p. 91-98 ; Tome 2, p. 241-246 ; p. 247-253.

    7 mile Benveniste,Problmes de linguistique gnrale, op. cit., Tome 2, p. 247.

    8 Pour limportance dune approche terminologique, voir le projet de Dictionnaire de la terminologielinguistique (Colombat et al.). Colombat souligne par ailleurs que l on accde au concept parle terme ( Quels termes latins retenir comme entres pour un Dictionnaire de la terminologie

    linguistique , inBernard Colombat & Marie Savelli (dir.),Mtat et terminologie linguistique : actesdu colloque international de Grenoble(Universit Stendhal Grenoble III, 14-16 mai 1998), Louvain,ditions Peeters, p. 294). On verra galement Bguelin et Berrendonner qui proposent une approche de la

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    circulation et de la drive des termes en insistant sur les dimensions pragmatiques de loprationqui consiste remployer un terme en transformant son contenu. [] les stratgies discursivesdans lesquelles elle sinsre, et les buts quelle vise (Marie-Jos Bguelin & Alain Berrendonner, Circulation des termes et drive terminologique , dans Bernard Colombat & Marie Savelli (dir.),

    Mtalangages et terminologie linguistique : actes du colloque international de Grenoble(UniversitStendhal Grenoble III, 14-16 mai 1998), Louvain, ditions Peeters, 2001, p. 29).

    9 mile Benveniste,Problmes de linguistique gnrale, op. cit., Tome 2, p. 163-176)

    10 mile Benveniste,Le Vocabulaire des institutions indo-europennes, Paris, ditions de Minuit, 1969.

    11 Irne Fenoglio, Conceptualisation et textualisation : le manuscrit de larticle Le langage etlexprience humaine dmile Benveniste. Une contribution la gntique de lcriture en scienceshumaines ,Modles linguistiques, Tome XXX, vol. 59, 2009.

    12 Guillaume Paugam, Benveniste, le je et la langue. Des dictiques et de la subjectivit , Texto !,XIII, 3, [juillet 2008], www.revue-texto.net/index.php ?id =1622.

    13 Voir Aya Ono,La Notion dnonciation chez mile Benveniste, Limoges, ditions Lambert Lucas.,2007, p. 105.

    14 De la mme manire, Antoine Culioli a pu dnoncer la prolifration de dsignations , les glissements incontrls et les curieuses drives dans le discours de Benveniste (Antoine Culioli, Thorie du langage et thorie des langues , in Guy Serbat, Jean Taillardat & Gilbert Lazard (dir),

    . Benveniste aujourdhui : actes du colloque international du C.N.R.S, Universit Franois Rabelais,Tours, 28-30 septembre 1983, Louvain, Paris, ditions Peeters, 1984), sans que cette critique nexplique

    la raison dtre discursive de ces errements apparents. Voir nouveau Henri Meschonnic, qui commentela critique de Culioli et de quelques autres en parlant dune critique de distorsion (Henri Meschonnic, Seul comme Benveniste ou comment la critique manque de style , op. cit., p. 37).

    15 Voir notamment larticle de Jean Dubois, intitul nonc et nonciation , qui ds 1969 inscritlnonciation dans un rseau doppositions trs contrastes.

    16 Voir sur ce point Louis Basset ( La drivation adjectivale dans la terminologie grammaticalegrco-latine ,in L. Basset, Fr. Biville, B. Colombat, P. Swiggers & A. Wouters (dir.), Bilinguisme etterminologie grammatical grco-latine, Louvain, Peeters,), en particulier p. 65 : Les drivs caractretechnique []. Tandis que le grec use du mme suffixe - dans les deux cas, le latin distinguesoigneusement le driv dverbatif du driv dnominal en recourant des suffixes diffrents. Horsdu cadre de la transcription phontique, ce qui peut ractiver un suffixe latin -icus (grammaticus =), et quelques autres cas particuliers, le latin oppose habituellement un suffixe dverbatif-iuus, un suffixe dnominal -alis/aris. Voir galement Benveniste, Fondements syntaxiques de

    la composition nominale (mile Benveniste, Problmes de linguistique gnrale, Tome 2, op. cit.,p. 145-162).

    17 Les cas incontestables donomatope dans la terminologie scientifique sont sans doute extrmementrares. Nanmoins, le succs dun terme comme celui dacupuncture, par exemple, ne nous parat pasentirement tranger cet ordre de phnomnes langagiers.

    18 Telle, par exemple, celle propose par Deleuze et Guattari dans Quest-ce que la philosophie ?(Paris,ditions de Minuit, 1991). En distinguant, dans cet ouvrage, entre des concepts , dont la philosophieaurait lapanage, et des fonctions , concdes aux discours scientifiques, Deleuze et Guattari fontselon nous limpasse sur la nature smiotique des productions intellectuelles et artistiques.

    19 Roland Barthes Les sorties du texte [1984], Le Bruissement de la langue. Essais critiques IV,Paris, ditions du Seuil, 1984, p. 282-283.

    20 Roland Barthes, Lancienne rhtorique : aide-mmoire [1970], in Communications, n 16,Recherches rhtoriques, Paris, ditions du Seuil, Collection Points-essais , 1994, p. 324.

    21 Refusant de spculer sur des causes subjectives, et considrant limaginaire comme une puissancerelle quoique supposant la manifestation pour que son existence soit atteste, nous dfinissons lesfonctions imaginaires comme des produits smantiques manifests. Les fonctions imaginaires dpendentde contextes topiques ; elles offrent donc la possibilit dun rpertoire.

    22 mile Benveniste,Problmes de linguistique gnrale, Tome 2, op. cit., p. 66.

    23 Benveniste sest finalement orient vers lclairage dune nonciation qui devait marquer untournant dans les recherches linguistiques (Jacob 1984, 37]),

    24 [] Charles Bally, qui peut tre considr comme lun des principaux prcurseursde cette approchenonciative (Kerbrat-Orecchioni,in Lnonciation. De la subjectivit dans le langage, Paris, ditionsArmand Colin 1999, p. 12).

    25 Irne Fenoglio, Dplier lcriture pensante pour relire larticle publi. Les manuscrits de Lappareilformel de lnonciation , inEmilie. Brunet & Rudolph Mahrer (dir.),Relire Benveniste. Rceptions

    actuelles des Problmes de linguistique gnrale, Louvain la Neuve, ditions Academia, Collection Sciences du langage. Carrefours et points de vue ), 2011.

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    26 Todorov 1970, Problmes de lnonciation ,Langages, 17, 1970, p. 7.

    27Ibid., p. 8.

    28Ibid., p. 9.

    29 Henri Meschonnic, Seul comme Benveniste ou comment la critique manque de style , op. cit., p. 49.

    30 Claude Hagge, Benveniste et la linguistique de la parole , in Guy Serbat, Jean Taillardat &Gilbert Lazard (dir.),. Benveniste aujourdhui : actes du colloque international du C.N.R.S, UniversitFranois Rabelais, Tours, 28-30 septembre 1983, Louvain Paris, ditions Peeters, 1984, p. 108.

    31 Oswald Ducrot,Le Dire et le Dit, Paris, ditions de Minuit, 1984.32 Dominique Maingueneau, Lnonciation en linguistique franaise, Paris, ditions Hachette, 1999,p. 7-10.

    33 Tzvetan Todorov, Problmes de lnonciation , op. cit., p. 3.

    34 Voir Jean Dubois, nonc et nonciation ,in Langages, n 13, 1969.

    35Ibid., p. 103.

    36Ibid., p. 108.

    37 Roland Barthes, Pourquoi jaime Benveniste II [1974],in Le Bruissement de la langue : Essaiscritiques IV, Paris, ditions du Seuil, 1984, p. 194-195.

    38 D Maingueneau, Les termes cls de lanalyse du discours, Paris, ditions du Seuil, 1996, p. 36.

    39 Jean Dubois, nonc et nonciation , op. cit., p. 109-110.

    40 Jean Dubois, nonc et nonciation , op. cit., p. 103.41 Tzvetan Todorov, Problmes de lnonciation ,Langages, n 17, 1970, p. 4-5.

    42 Oswald Ducrot,Logique, structure, nonciation. Lectures sur le langage, Paris, ditions de Minuit,1989, p. 9.

    43 Oswald Ducrot,Le Dire et le Dit, op. cit., p. 173.

    44 Claude Hagge, Benveniste et la linguistique de la parole , op. cit., p. 108.

    45 Oswald Ducrot,Le Dire et le Dit, op. cit., p. 171.

    46 Dominique Mataigneau,Lnonciation en linguistique franaise, op. cit., p. 9.

    47 Ainsi peut-on esprer retrouver, travers la forme apparemment banale des noncs quotidiens,les oprations enfouies du travail nonciatif (Antoine Culioli, Valeurs modales et oprationsnonciatives ,Pour une linguistique de lnonciation, Tome 1 Paris, ditions Ophrys, 2000, p. 135-155.)

    48 Alain Rabatel,Homo Narrans. Pour une analyse nonciative et interactionnelle du rcit, Limoges,Lambert-Lucas, 2009.

    49 Henning Nlke,Linguistique modulaire : de la forme au sens, Louvain, ditions Peeters, 1994, p. 150.

    50 Voir aussi AlainRabatel,Homo Narrans. Pour une analyse nonciative et interactionnelle du rcit,Limoges, Lambert-Lucas, 2009.

    51 Henning Nlke,Linguistique modulaire : de la forme au sens,op. cit., p. 46.

    52Ibid.

    53 Voir Sumpf & Dubois : La connotation implique [] lincidence dans le discours du sujet parlantcomme producteur spcifique dun nonc (Joseph Sumpf et Jean Dubois, Problmes de lanalysedu discours ,Langages, 4/131969, p. 4-5.

    54 Ruth Amossy, LArgumentation dans le discours, Paris, ditions Armand Colin, 2000, p. 73-74.

    55 Jrme Meizoz, Posture et biographie : Semmelweis de L.-F. Cline ,in COnTEXTES, n 3, [juin

    2008], contextes.revues.org/index2633.html.56 J.ohn Lyons, Subjectivity and Subjecthood , in M.arina Yaguello (dir.), Subjecthood andSubjectivity. The Status of the Subject in Linguistic Theory, Paris, ditions Ophrys, 1994, p. 10.

    57 Roland Barthes, Pourquoi jaime Benveniste II , op. cit., p. 195.

    58 Et comme le suggrera aprs lui Meschonnic, qui termine son article son Benveniste par ces motsrvlateurs : Le style. Le sien (Henri Meschonnic, Seul comme Benveniste ou comment la critiquemanque de style , op.cit., p. 55.

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    Smir Badir, Stphane Polis et Franois Provenzano, Benveniste serait-il aujourdhui un linguistede lnonciation ? ,Arts et Savoirs[En ligne], 2 | 2012, mis en ligne le 15 juillet 2012, consult le 28

    juin 2016. URL : http://aes.revues.org/492

    propos des auteurs

    Smir Badir

    Universit de Lige, FNRS, LTTR 13Stphane Polis

    Universit de Lige, FNRS, LTTR 13Franois Provenzano

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