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ONCOPE ´ DIATRIE Aider la famille de l’enfant ou de l’adolescent atteint de cancer Assisting the families of childhood and adolescent cancer patients D. Oppenheim S. Dauchy O. Hartmann Re ´sume ´: L’expe ´rience du cancer par un enfant repre ´sente une e ´preuve difficile aussi pour sa famille. Les soignants doivent e ˆtre attentifs aux parents, a ` la fratrie, parfois aux grands-parents ; aux fragilite ´s autant qu’aux points de force psychologiques, sociaux ou culturels ; a ` leur situ- ation pre ´sente mais aussi a ` l’histoire de la famille, parfois sur plusieurs ge ´ne ´rations. Cette e ´preuve peut les de ´stabi- liser, pendant le traitement ou apre `s, comme elle peut renforcer leur solidarite ´ et leur confiance dans leurs qualite ´s. Mots cle ´s : Enfants – Cancer – Parents – Fratrie – Familles Abstract: A child’s experience of cancer is also a trying ordeal for his or her family. Professional caregivers must be attentive to the needs of parents, siblings, and, sometimes, grandparents. They must also be sensitive to their fragility as well as their psychological, social and cultural strengths. They must consider their present situation while keeping in mind family history, which sometimes spans several generations. Dealing with cancer can destabilize families during the treatment process, but can later reinforce solidarity and confidence in their strengths. Keywords: Children – Cancer – Parents – Siblings – Families Remarques pre ´liminaires sur les e ´le ´ments qui guident le travail des soignants (et des psys) par rapport a ` la famille des enfants traite ´s pour cancer : – On ne peut imaginer soigner un enfant sans tenir compte de sa famille [7]. Et me ˆme quand les parents ne peuvent e ˆtre pre ´sents, quelles qu’en soient les raisons (phobies, e ´loignement, proble `mes professionnels ou admi- nistratifs, etc.), nous tenons compte de leur existence, de leur re ´alite ´, et l’enfant le sait, et nous proposons avec leur accord des substituts provisoires. La famille Les parents Ils sont tre `s divers, avec leurs qualite ´s et leurs de ´fauts et leurs caracte ´ristiques. Le cancer de l’enfant ne se ´lection- nant pas sur des crite `res sociaux, culturels, religieux, ethniques, psychologiques, e ´ducatifs, etc., nous sommes confronte ´s a ` toute la diversite ´ des situations en France. Nous devons en tenir compte – et d’abord les connaı ˆtre –, et faire que ces caracte ´ristiques soient des points d’appui pour eux et pour l’enfant malade dans la confrontation au cancer pluto ˆt que des e ´le ´ments de fragilite ´, de contradictions excessives avec les exigences du traitement ou de conflit avec les soignants. Les parents peuvent de me ˆme e ˆtre ne ´vrose ´s, de ´pressifs, paranoı ¨aques, maltraitants, dans le doute permanent, pessimistes ou optimistes, assumant plus ou moins facilement leur parentalite ´. Notre ro ˆle est d’e ´valuer ces caracte ´ristiques, sans porter de jugement sur eux. Nous e ´valuons leurs points d’appui, familiaux ou sociaux, ou leur isolement ; leur e ´ventuelle fragilite ´ psychologique (de ´pression, pessimisme, culpabilite ´, etc.), professionnelle Daniel Oppenheim () De ´partement de pe ´diatrie et unite ´ de psycho-oncologie Te ´l : 33 (0)1 42 11 48 42 Fax : 33 (0)1 42 11 52 75 E-mail : [email protected] Sarah Dauchy Unite ´ de Psycho-Oncologie Olivier Hartmann De ´partement de pe ´diatrie Institut Gustave-Roussy 39, rue Camille-Desmoulins F-94805 Villejuif, France Rev Francoph Psycho-Oncologie (2006) Nume ´ro 4: 200–204 © Springer 2006 DOI 10.1007/s10332-006-0155-x

Aider la famille de l'enfant ou de l'adolescent atteint de cancer

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ONCOPEDIATRIE

Aider la famille de l’enfant ou de l’adolescent atteint de cancer

Assisting the families of childhood and adolescent cancer patients

D. Oppenheim � S. Dauchy � O. Hartmann

Resume : L’experience du cancer par un enfant representeune epreuve difficile aussi pour sa famille. Les soignantsdoivent etre attentifs aux parents, a la fratrie, parfoisaux grands-parents ; aux fragilites autant qu’aux points deforce psychologiques, sociaux ou culturels ; a leur situ-ation presente mais aussi a l’histoire de la famille, parfoissur plusieurs generations. Cette epreuve peut les destabi-liser, pendant le traitement ou apres, comme elle peutrenforcer leur solidarite et leur confiance dans leursqualites.

Mots cles : Enfants – Cancer – Parents – Fratrie – Familles

Abstract: A child’s experience of cancer is also a tryingordeal for his or her family. Professional caregivers mustbe attentive to the needs of parents, siblings, and,sometimes, grandparents. They must also be sensitive totheir fragility as well as their psychological, social andcultural strengths. They must consider their presentsituation while keeping in mind family history, whichsometimes spans several generations. Dealing with cancercan destabilize families during the treatment process, butcan later reinforce solidarity and confidence in theirstrengths.

Keywords: Children – Cancer – Parents – Siblings – Families

Remarques preliminaires sur les elements qui guident letravail des soignants (et des psys) par rapport a la familledes enfants traites pour cancer :

– On ne peut imaginer soigner un enfant sans tenircompte de sa famille [7]. Et meme quand les parents nepeuvent etre presents, quelles qu’en soient les raisons(phobies, eloignement, problemes professionnels ou admi-nistratifs, etc.), nous tenons compte de leur existence, deleur realite, et l’enfant le sait, et nous proposons avec leuraccord des substituts provisoires.

La famille

Les parents

Ils sont tres divers, avec leurs qualites et leurs defauts etleurs caracteristiques. Le cancer de l’enfant ne selection-nant pas sur des criteres sociaux, culturels, religieux,ethniques, psychologiques, educatifs, etc., nous sommesconfrontes a toute la diversite des situations en France.Nous devons en tenir compte – et d’abord les connaıtre –,et faire que ces caracteristiques soient des points d’appuipour eux et pour l’enfant malade dans la confrontationau cancer plutot que des elements de fragilite, decontradictions excessives avec les exigences du traitementou de conflit avec les soignants.

Les parents peuvent de meme etre nevroses, depressifs,paranoıaques, maltraitants, dans le doute permanent,pessimistes ou optimistes, assumant plus ou moinsfacilement leur parentalite. Notre role est d’evaluer cescaracteristiques, sans porter de jugement sur eux.

Nous evaluons leurs points d’appui, familiaux ou sociaux,ou leur isolement ; leur eventuelle fragilite psychologique(depression, pessimisme, culpabilite, etc.), professionnelle

Daniel Oppenheim (�)

Departement de pediatrie et unite de psycho-oncologieTel : 33 (0)1 42 11 48 42

Fax : 33 (0)1 42 11 52 75

E-mail : [email protected]

Sarah Dauchy

Unite de Psycho-Oncologie

Olivier HartmannDepartement de pediatrie

Institut Gustave-Roussy

39, rue Camille-Desmoulins

F-94805 Villejuif, France

Rev Francoph Psycho-Oncologie (2006) Numero 4: 200–204

© Springer 2006

DOI 10.1007/s10332-006-0155-x

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(peuvent-ils s’autoriser des absences), financiere (la maladiede l’enfant represente, malgre les prises en charge et les aidesun cout financier pour eux) [2], ainsi que la solidite et lasolidarite de leur couple.

Nous evaluons leur relation a l’enfantmalade, et bien sur cequ’ils disent sur lui, son histoire, ses caracteristiques, et samaladie. Ils peuvent etre un soutien authentique ou aucontraire augmenter son inquietude et son desarroi par unpessimisme excessif, un manque de controle sur leursemotions, des desaccords importants entre eux ou leurmanque de confiance dans les medecins ; certains veulent lesurproteger de toute agression et de tout danger, qu’ilsviennent de lamaladie ou desmedecins, quitte a faire regresserl’adolescent au statut de son enfance, ou sont en permanencea ses cotes « pour profiter de lui au maximum au cas ou ilarriverait malheur » ; d’autres, tout en etant suffisammentpresents, respectent son besoin d’autonomie et de maturation.

Nous evaluons leur relation a la fratrie : un enfant en basage, un adolescent « turbulent » peuvent etre pour eux unepreoccupation supplementaire. De meme leur parentalite : laplace de l’enfant dans leur vie, leur relation a lui (enfantunique, idealise, mal supporte, seul garcon dans une fratrie defilles, etc.) ; se sentent-ils « competents », en temps normal, etdans le contexte actuel ? Evaluer la relation a leurs propresparents (vivants oumorts) est particulierement important : latraversee de leur adolescence leur a-t-elle permis de devenirsuffisamment adultes, d’assumer suffisamment leur parenta-lite, ou restent-ils dans une relation de dependance ou deconflit avec leurs parents, ont-ils tendance a se decharger sureux de la responsabilite de l’enfant malade, ou a reproduirea son sujet des conflits anciens, qu’ils peuvent aussi« rejouer » avec les soignants.

Ils peuvent aussi etre legitimement preoccupes parleurs propres parents (vieillissants, malades, etc.) ou resterenfermes dans un deuil plus ou moins ancien qui lesempeche d’etre suffisamment disponibles aux demandeset aux attentes de l’enfant malade. Il est utile de connaıtrel’histoire de la famille, sur plusieurs generations parfois,pour mieux comprendre la place et le sens de la maladie del’enfant dans leur histoire personnelle et familiale, maisaussi pour mieux resoudre certaines difficultes relation-nelles entre eux et les soignants et entre eux et l’enfantmalade (quand ils voient la situation actuelle au traversd’images de situations anciennes).

Dans tous les cas, qu’ils montrent de bonnes capacitesd’adaptation [1] ou des signes de fragilite, leur situationest difficile.

La fratrie ne doit pas etre negligee, meme si elle estraisonnable et comprehensive [9]. Il faut eviter qu’elle « sesacrifie » a l’enfant malade, neglige ses propres interets,exacerbe une jalousie banale si elle se sent desinvestie ounegligee par les parents, ou que ceux-ci deviennent troplaxistes envers l’enfant malade. La parentalite des parentsdoit continuer a s’exercer envers tous leurs enfants,pendant le temps du traitement mais aussi apres [4].

La famille

Il faut etre attentif a l’equilibre d’ensemble de la famille, etpas seulement a la relation parents- enfant malade, car ladestabilisation de l’un peut entraıner celle de l’ensemble,parfois durablement et, en derniere instance, celle de l’enfantmalade.

Les grands-parents

Il est toujours utile de s’interesser a eux. Ils peuvent jouer,pour les parents et pour l’enfant, un role positif (aide pour lestaches pratiques, soutien affectif, conseils, etc.) ou negatif(en tiers excessifs dans la relation parent-enfant, attituderelationnelle et educative contradictoire voire conflictuelleavec celle des parents, pessimisme systematique, non controleemotionnel, etc.), etre un point d’appui ou un sujet depreoccupation supplementaire pour eux. Quand la relationdes parents a l’enfant ou aux soignants est difficile ou enimpasse, ils peuvent aider a mieux comprendre l’origineparfois ancienne de l’attitude des parents et a depasser lesblocages. Mais, sauf cas tres rares (situations de maltraitanceet de mise en danger de l’enfant), les parents doivent garder(et y etre si necessaire aides) leur place parentale, aussi fragilesou insuffisants a la tenir qu’ils soient.

Il faut tenir compte aussi de l’evolution des situationsfamiliales : de nombreuses familles sont de venue recente enFrance, et les enfants constituent la premiere ou la secondegeneration nee dans ce pays. Les grands-parents sont souventrestes au pays d’origine, et les parents ne peuvent pas toujourss’appuyer sur eux quand ils sont confrontes a la maladie gravede l’enfant. Parfois ils n’osent leur annoncer la maladie – parcrainte d’un decalage trop grand entre leur point de vue sur lescauses de la maladie et sur les traitements et celui desmedecins – ou l’echec du traitement par crainte de leursreproches : « Vous n’auriez pas du faire confiance a cettemedecine et a ces medecins. » Ces contradictions entre « ici »et « la-bas », entre passe et present, peuvent resurgir dans lechoix du lieu de l’enterrement. Il est souhaitable d’etre attentifa ces difficultes et de pouvoir en discuter avec les parents eteventuellement avec l’enfant ou l’adolescent. De meme, unnombre croissant d’enfants est issu de couples « mixtes » (parl’origine, la nationalite, la religion, etc.). Certains se sententfiers et riches de cette mixite, quand chaque parent leur atransmis, de facon aussi egale que possible, les elements de sonhistoire familiale et ses reperes identitaires, d’autres se sententdivises entre des identites qui leur semblent conflictuelles,ou de peu de valeur, et leur trouble identitaire les fragilise faceau cancer, parfois dangereusement quand il provoque non-compliance ou refus du traitement.

Quelques situations difficiles

Certains parents sont peu presents. Peut-etre ont-ilsdu mal a venir a l’hopital : difficultes pratiques (eloigne-ment, pas de voiture, etc.), fragilite professionnelle ou

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psychologique (phobies, peur de faire souffrir l’enfant enmontrant trop son trouble ou en repartant, etc.). Certainsse sentent impuissants a aider l’enfant, ou pensent que leurpresence est inutile. D’autres expriment ainsi leur pessi-misme sur l’issue du traitement (pourquoi risquer deperdre son travail, de negliger la fratrie, de fragiliser lecouple, de faire tant d’efforts voire de sacrifices si l’enfantdoit mourir ?), leur desaccord profond, dont ils ne sont pastoujours conscients, avec les medecins, ou leur malaisedevant eux quand ils pensent que leur position sociale, leurcompetence linguistique, leurs references culturelles sontde trop peu de valeur face aux leurs.

La trop faible presence des parents peut aussi exprimerimmaturite et irresponsabilite (ils ne se rendent pascompte des besoins de l’enfant et de ses attentes enverseux) ou negligence, qui peut etre une forme de mal-traitance. Quand les parents risquent de mettre en dangerl’enfant, directement ou indirectement (leur absence, parexemple, provoque des troubles du comportement genantgravement le traitement), le juge pour enfants peut lessoulager, le temps necessaire, de leur responsabiliteparentale. Dans tous les cas, plutot que de porter sureux un jugement moral, il est souhaitable de chercher acomprendre les causes possibles de telles attitudes etd’essayer de leur trouver une solution ou au moins descompromis acceptables par les parents, l’enfant maladeet les exigences du traitement. Il importe de pouvoirexpliquer a l’enfant ces compromis ou, quand ils n’arriventpas a en changer, de lui faire suffisamment comprendreet accepter l’attitude de ses parents, meme s’il en souffre.En effet, l’absence incomprehensible ou non acceptee etnon supportee de ses parents peut etre pour lui cause dedetresse psychologique, parfois durable, et/ou de non-compliance voire d’opposition au traitement. Mais sa non-compliance peut aussi parfois exprimer la reticence oul’opposition au traitement de ses parents.

Le desarroi des parents

Il faut tenir compte de la complexite croissante des situationsmedicales, souvent difficiles a comprendre pour les parents,meme quand ils maıtrisent le francais et ont fait de longuesetudes. En effet, les situations medicales sont tres diversesderriere des apparences communes, les raisons et la logiquedes decisions medicales ne sont pas toujours evidentes etcomprehensibles par les parents, meme si certains se pensentexcessivement competents pour en discuter, voire pour s’yopposer en raison des informations qu’ils recueillent surInternet (articles ou forum de discussion). De plus, lesnombreuses etudes cliniques dans lesquelles les enfants sontinclus (y compris les essais precoces de medicaments) [8]pour ameliorer les traitements, ce que souhaitent les medecinset les parents, demandent a ces derniers de nombreuxconsentements eclaires [5], ce qui peut accentuer leursentiment, parfois trop lourd, de responsabilite et leurdesarroi [12].

De meme, les situations, certes rares mais particulie-rement complexes et difficiles, de maladies d’originegenetique, ont des effets au sein de la famille auxquellesil faut etre tres attentif, dans leurs aspects psychologiques,relationnels et ethiques [13].

Les aides a mettre en place. Elles sont individuelles,collectives et institutionnelles, dans un but preventif ettherapeutique. Elles s’adressent, de facon differenciee, atous les acteurs impliques – l’enfant, les parents et lafratrie, sans oublier les soignants, en tant qu’individus etequipes – car les difficultes relationnelles peuvent venirdes uns ou des autres et surtout de leurs interactions.

Pour aider les parents a assumer leur position et leurresponsabilite parentale une bonne information reci-proque est souhaitable, ce qui developpe une relation deconfiance et limite le risque de malentendu et de conflit[11]. Le sont aussi des reunions d’information etd’echanges avec le chef de service, des ERI (EspaceRencontre Information), le libre acces au service, avec lesmoyens necessaires proposes aux parents (Maison desParents a proximite), une association de parents, une aidesociale, un soutien ou un accompagnement psychologiquequi peut consister en conseils, en guidance parentale, enentretiens psychotherapeutiques, etc.

Pour aider la fratrie : le libre acces au service, a conditionque les jeunes enfants soient accompagnes par un adulteresponsable, le soutien psychologique, en individuel ou engroupe, les informations donnees par les medecins a partir desquestions, precises ou generales, qu’elle pose.

Pour aider les soignants : le ’psy’ les aide, a preserverface aux parents et a l’enfant leur position de soignants ;a mieux comprendre, dans le respect de la discretion dueaux familles, les reactions de ceux-ci, leurs attentes, leurscraintes, leurs difficultes, leurs reactions parfois parado-xales ou agressives, et ainsi a eviter, les uns et les autres, lespieges transferentiels et relationnels que la complexite etl’intensite des situations favorisent.

La mort de l’enfant. La majorite des enfants aujourd’huiguerit (environ 75%), ce qui rend encore plus dur pour lesparents et la fratrie la mort des autres. Aider les parents etla fratrie c’est les aider d’abord a accompagner l’enfanttout au long du traitement et a garder leur positionparentale et fraternelle. C’est aussi les aider a se confrontera sa fin de vie, qui necessite des soins medicaux, infirmierset un accompagnement psychologique competents. Lesaider aussi a trouver le juste equilibre entre la tentation des’enfermer dans le present immediat et celle de se projetertrop tot ou excessivement dans l’apres, entre celle derepousser le plus longtemps possible la pensee de sa mortet celle de se precipiter dans un deuil trop anticipe, entrecelle de prendre sur soi toute la culpabilite ou celle de s’endecharger sur les medecins, entre la tentation de l’achar-nement therapeutique et celle d’une fin prematuree.Ensuite, c’est les accompagner, s’ils le souhaitent, dans leprocessus de deuil, en entretiens individuels ou en groupe

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de parents (14), sans negliger le deuil de la fratrie qui peut,lui aussi, etre intense et peu visible.

Apres le traitement. L’annee qui suit la fin dutraitement n’est pas forcement facile, ni pour les enfantsni pour leurs proches. Ils sont bien sur contents et soulagesde quitter l’univers de la maladie (qui a pu constituer unmilieu protecteur, homogene, en exteriorite sociale) maisils ont besoin de se readapter a la vie quotidienne, a sescharmes mais aussi a ses difficultes et a ses exigences. Ilsse sentent hors de la protection du traitement et dessoignants alors que l’inquietude sur le risque de recidivepersiste. Un juste equilibre est a trouver, par les medecins,les parents et l’enfant, entre un exces de prudence et decontrole, qui pourrait installer une relation d’alienationdes parents et de l’enfant aux medecins et au medical, etune volonte excessive de tourner radicalement la page.

Les sequelles psychologiques et relationnelles dans lafamille. Il importe d’etre attentif a les prevenir et a les traiterquand elles surviennent [6] pendant la periode plus ou moinslongue [3, 15, 16] de surveillance d’apres- traitement. Pendantcette periode, les parents evoluent, ainsi que leur couple,’vieillissent’ alors que leurs enfants ’grandissent’ Il n’est pastoujours facile de differencier ce qui decoule des sequellespsychologiques de l’experience de la maladie, ce qui peut sepasser dans toute famille, ce qui serait sans doute survenudans cette famille, avec ou sans la maladie. Il faut tenir comptede l’epreuve du cancer mais aussi d’autres elements (maladiedes parents ou des grands-parents, difficultes economiques etsociales, etc.) sans negliger le lien partiel de causalite oud’aggravation qui peut exister entre toutes ces difficultes. Il estimportant, mais difficile, d’eviter autant la tentation de toutexpliquer par la maladie et son histoire que celle de la negligersous pretexte que « c’est du passe » et qu’il n’y a pas desequelles. Il importe de rester attentif aux moments de plusgrande fragilite, en particulier l’entree dans l’adolescence.

L’epreuve du cancer peut entraıner une crise conjugale oudes difficultes relationnelles parents/enfants. Les parentspeuvent trouver l’enfant toujours en danger et fragile et lesurproteger, se sentir responsables de sa maladie et de seseventuelles sequelles, s’en culpabiliser ou, chacun selon sonsexe ou ses ideaux, n’arrivent plus a garder confiance dans sonavenir : les meres, par exemple, souffrent plus de la fertilitemenacee de leur fille. L’enfant de son cote en veut a ses parentsde ne pas l’avoir suffisamment aide ou de n’avoir pas empechela survenue de la maladie, ou trouve qu’ils n’ont pas ete ’a lahauteur’ et a perdu confiance en eux.

Mais l’epreuve peut avoir des effets positifs : parents etenfants ont traverse ensemble cette periode difficile, onttisse entre eux des liens beaucoup plus forts et plus richesqu’ils ne l’auraient fait en ’temps normal’, etc. Et de memela fratrie peut se sentir delaissee, desinvestie ou, aucontraire, etre investie, excessivement, par les parents detous les espoirs qu’ils avaient mis auparavant sur le frereou la sœur malade. Elle peut montrer une jalousieexacerbee ou au contraire une solidarite fraternelle

renforcee, en vouloir aux parents ou developper l’estimeet la confiance en eux qui ont su preserver leur competenceparentale envers tous leurs enfants.

Quelques differences selon l’age

Les bebes. La situation n’est pas la meme si le couple a dejad’autres enfants ou s’il s’agit de leur premier enfant. Dansce cas ils peuvent se sentir particulierement desarmes pourl’aider, avoir besoin d’etre eux-memes aides, par lesgrands-parents et par les soignants. Les soignants doiventalors veiller a ne pas les deposseder (ou les laisser se sentirdepossedes) de leur position parentale. Quand le couple estfragile, les parents debordes par la complexite et ladifficulte de la situation, et se percevant peu competentsa s’y confronter, il faut etre particulierement attentif a ceque le bebe, par ses reactions d’opposition, qui souventexpriment son sentiment d’insecurite, ne les ’enerve’ et neles angoisse pas au dela de ce qu’ils peuvent supporter, caralors pourrait s’enclencher une relation dangereuse de’bebe persecuteur’ et de parents maltraitants.

Les adolescents. L’adolescence est une periode certespassionnante mais complexe et difficile, aussi bien pourl’adolescent que pour les parents. Et le cancer compliqueencore la traversee de l’adolescence [10]. L’adolescent abesoin de trouver son juste equilibre entre sa relation a sespairs et sa relation a ses parents, qui lui sont tous necessaires.Il serait dommage que son besoin d’autonomie le pousse as’opposer excessivement a ses parents et par contiguıte a sessoignants (ce qui pourrait mettre en danger le bonderoulement du traitement) ; que la peur de sa maladie etdes traitements, ainsi qu’une certaine deception devant lesreactions de ses copains l’incite a delaisser ces derniers et aregresser a une relation pourtant depassee et trop etroite ases parents ou a l’un d’eux. Il importe d’aider l’adolescent etses parents a eviter les pieges relationnels entre eux, sifrequents dans cette periode, d’aider l’adolescent a traverser,non seulement sans destabilisation et souffrance mais aussidans un processus de maturation, autant la maladie quel’adolescence.

Conclusion

La survenue d’un cancer, son traitement et la periode desurveillance qui suit la fin du traitement constituent uneepreuve difficile pour l’enfant mais aussi pour ses parentset sa fratrie. Elle peut aussi bien les destabiliser et rendreleurs relations conflictuelles, plus ou moins durablement,que developper leurs qualites et celles de leur relation.Pour favoriser cette derniere issue il importe de les aider atraverser dans les meilleures conditions possibles cetteperiode : par la qualite de l’information, par le soutiensocial, pratique et psychologique, par la competence destraitements et des soins faits a l’enfant, afin qu’ilspreservent ou retrouvent leur competence parentale. Il

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importe aussi d’aider l’enfant a preserver ou retrouver saconfiance en lui-meme, en ses parents, dans la societe et,en ce qui concerne particulierement les adolescents, en sespairs. Ceci implique pour les soignants, dont les psycho-oncologues font partie, de connaıtre suffisamment lescaracteristiques des fonctionnements familiaux dans leurdiversite actuelle (structure familiale, environnementfamilial, references culturelles et religieuses, statut etinsertion sociale, situation materielle, sentiment decompetence parentale, etc.) mais aussi les specificites dela confrontation d’un enfant ou d’un adolescent et de sesproches a sa maladie et aux traitements qu’elle necessite.

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