AIRES MARINES PROTÉGÉES - Geographica · Web viewTraditionnellement, l'utilisation de l'espace marin, en particulier la pêche, a été réglementée par les populations locales

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AIRES MARINES PROTÉGÉES

AIRES MARINES PROTÉGÉES

Traditionnellement, l'utilisation de l'espace marin, en particulier la pêche, a été réglementée par les populations locales afin de protéger des ressources essentielles pour leur survie, mais c'est seulement au début du XXe siècle que les fondements de la conservation des espaces marins ont été établis. Commence alors une évolution dans les mentalités, les concepts et leur mise en œuvre : on est passé de la gestion de l'usage de l'espace marin à la création de petites aires protégées marines, à gestion très stricte, pour finir par privilégier la gestion d'espaces de grande dimension à usages multiples. Si l'objectif est resté le même – la protection du milieu marin et/ou de ses espèces – cette évolution est le résultat d'une meilleure connaissance du domaine marin, mais aussi d'une sensibilisation du public et des utilisateurs de ce milieu.

L'ÉVOLUTION DU CONCEPT D'AIRE MARINE PROTÉGÉE

Au début du xxe siècle, la gestion du milieu marin se limite à réglementer l'ensemble des activités menées par les individus, et notamment la pêche commerciale. Sa mise en œuvre est assurée au niveau national par diverses agences gouvernementales. Lorsque c'est nécessaire, les décideurs se réfèrent à des accords ou à des institutions internationales tels que le Conseil international pour l'exploitation de la mer, fondé en 1902, la Convention pour la protection des phoques du Pacifique nord, signée en 1911 entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et le Japon, ou, plus récemment, la Commission internationale baleinière, créée en 1947, et la Convention internationale sur le droit de la mer, adoptée en 1982.

Une deuxième approche du concept de protection du milieu marin a vu le jour dans la seconde partie du xxe siècle. L'objectif est alors de créer de petites aires marines protégées au sein de l'espace maritime national, généralement adjacentes à des aires terrestres protégées, afin d'assurer une plus grande protection de ces sites en appliquant des principes de gestion différents. Selon leur rôle, les aires protégées sont appelées :

réserves de pêche, lorsqu'elles doivent permettre d'assurer la reproduction des espèces commerciales (poissons, crustacés) ; –

parcs marins, lorsqu'elles protègent une – espèce, un écosystème ou un paysage sous-marin tout en permettant en partie de nombreuses activités touristiques ou commerciales ;

sanctuaires marins ou réserves intégrales, lorsqu'elles visent une – évolution naturelle du milieu ; dans ce cas, aucune activité humaine n'est possible sur ces lieux.

C'est dans le cadre de cette politique nationale de conservation qu'ont été adoptées de nouvelles législations. On peut citer, entre autres, aux États-Unis, la loi de 1972 sur la protection marine ainsi que le programme national sur les sanctuaires marins, ou encore au Japon (1972), en Grande-Bretagne (1973), en France et en Allemagne (1976), l'adoption de textes majeurs sur la conservation de la nature. Cette période a aussi été l'une des plus importantes pour la déclaration d'aires marines protégées : parcs marins et réserves marines en Méditerranée, tels que Port-Cros (1963), Cerbère-Banyuls (1974) et Scandola (1975) en France, Castellabate (1972) et Portoferraio (1971) en Italie, Zembra (1973) et Zembretta (1977) en Tunisie, ou, dans l'hémisphère Sud, le parc marin de la Grande Barrière de corail (Australie), fondé en 1975.

La troisième approche s'est développée surtout depuis les années 1980. Elle consiste à établir des aires protégées de grande dimension, pouvant être multinationales, à usages multiples et fondées sur un système de gestion intégrée. À l'intérieur de cet espace, les niveaux de protection sont différents selon l'importance des ressources naturelles (rareté, richesse), l'intérêt scientifique ou économique et l'usage que l'on veut en faire à long terme. La similarité avec l'évolution des espaces protégés terrestres est grande, passant, dans beaucoup de pays, de petites aires situées au milieu de zones de développement à de vastes espaces englobant les sites précédemment protégés, ce qui renforce leur protection. C'est par une zonation de l'espace et de ses usages que l'on gère ces grands ensembles qui comportent ainsi, à la fois, des réserves de pêche, des parcs marins, des sanctuaires ainsi que de nouvelles zones récemment dénommées (réserves scientifiques, réserves strictes...).

De manière idéale, cette nouvelle approche nécessite une gestion coordonnée entre les domaines marins et terrestres. La prise en compte des diverses influences possibles est nécessaire. Celles-ci proviennent, pour n'importe quelle partie du domaine marin, des territoires adjacents : le domaine marin alentour, l'atmosphère qui la surplombe, les fonds océaniques et le domaine terrestre qui la borde.

Les deux premiers éléments sont en mouvement permanent et pratiquement incontrôlables, une influence transmise par eux pouvant avoir sa cause à des milliers de kilomètres. Le troisième est plus ou moins stable à l'échelle humaine et son évolution est liée aux mouvements très lents des plaques tectoniques et à des épisodes catastrophiques (tremblement de terre, volcanisme).

Le dernier élément est le siège principal des activités humaines, ses influences peuvent être redoutables. Par exemple, les réserves situées à proximité du delta du Rhône ou en Camargue sont sous l'influence de toutes les activités existant le long de ce fleuve et de ses affluents, non seulement en France mais aussi en Suisse. D'une manière idéale, la gestion intégrée ne sera que meilleure si elle est le fait d'une seule autorité ou agence. C'est le cas en France pour les grands fleuves, chacun d'entre eux étant géré par une seule agence de bassin.

DÉFINITION ET RÔLES D'UNE AIRE MARINE PROTÉGÉE

En se référant aux standards internationaux, notamment à la classification établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.), une aire marine protégée (quel que soit son nom) peut être définie comme « toute zone de balancement des marées ou marine, comprenant les eaux, la faune, la flore, les caractéristiques historiques et culturelles couvertes par une législation visant à protéger tout ou partie de l'environnement marin et de systèmes terrestres adjacents ».

Les aires marines protégées ont des objectifs divers qui peuvent être :

de protéger et de gérer des espaces marins ou des estuaires afin – d'assurer leur viabilité à long terme et de respecter leur diversité génétique ;

de protéger des espèces ou des populations animales ou végétales – dont le statut est considéré comme endémique, rare, vulnérable, menacé, en préservant les habitats considérés comme critiques pour ces espèces ;

de protéger et de gérer des espaces nécessaires au cycle naturel d'espèces économiquement importantes ; –

de limiter les activités autour d'une zone sensible ; –

d'assurer l'accès aux ressources naturelles des populations pouvant être affectées par la création des aires protégées ; –

de préserver, de protéger et de gérer les sites historiques, – culturels et les paysages naturels afin d'en faire bénéficier les générations futures ;

de faciliter l'accès à la connaissance du milieu marin dans un but – de conservation, d'éducation ou de développement du tourisme ;

de permettre, en les réglementant, les activités humaines qui respectent les objectifs ci-dessus ; –

de favoriser la recherche et la formation afin d'assurer un suivi – permanent du milieu à l'intérieur de l'aire protégée et en zone périphérique ; dans cette dernière, certaines activités peuvent être réglementées, voire interdites, par l'administration régionale ou centrale.

CRÉATION D'AIRES PROTÉGÉES

Une meilleure connaissance des aires existantes a permis de mieux en apprécier la valeur et a poussé des pays ou des organisations à développer ces zones afin de mieux gérer les milieux et les espèces les peuplant.

La création de ces aires de protection est souvent fort complexe en raison de la multiplicité des juridictions du domaine marin et côtier. À chaque niveau d'intervention – local, régional, national et international –, la responsabilité est souvent partagée entre différentes administrations, chacune ayant sa législation, accompagnée de décrets d'application parfois contradictoires. La prise de décision par une seule administration est insuffisante. La concertation entre les diverses administrations s'impose, et le recours à un niveau supérieur (souvent le Premier ministre) est souvent nécessaire mais parfois considéré comme hors de proportion au regard de l'objectif visé. Lenteurs, retards et changements de gouvernement enterrent souvent le projet au niveau administratif, même si les associations restent très actives.

Depuis quelques années, ce sont en général les acteurs économiques en relation avec un environnement de qualité, et en particulier le secteur lié aux loisirs (organisateurs de voyages, hôteliers), qui sont demandeurs d'espaces protégés à proximité des zones touristiques. L'impact économique d'une aire protégée croît considérablement d'année en année avec la réduction des espaces naturels de qualité. Les visiteurs ont une influence directe sur l'économie locale et nationale (emplois) ou indirecte avec les activités associées aux loisirs (agences de voyages, visites guidées, plongées, etc.) et les services qui les entourent. Cet impact économique est difficilement évalué par les gouvernements, mais l'impact social, en termes d'emplois en particulier, est important et peut emporter la décision..

Voir de plus en plus grand semble l'objectif pour réussir à gérer un espace protégé. Il faut donc souvent envisager des mesures internationales. Aujourd'hui, les efforts sont beaucoup mieux récompensés au niveau national qu'au niveau international. Par exemple, il a été facile de créer un espace marin multinational pour l'Antarctique, mais le traité signé par les différents pays n'a toujours pas été mis en œuvre, cet espace n'étant encore qu'un « parc de papier » (expression consacrée) avec une gestion quasi inexistante.

En revanche, dans chaque pays, les efforts de conservation sont importants. Parmi les parcs de nouvelle génération, les plus connus et les plus grands sont aujourd'hui, pour l'hémisphère Sud, le parc de la Grande Barrière de corail, qui protège près de 2 000 kilomètres de côtes australiennes et de récifs, et, pour l'hémisphère Nord, le réseau d'aires marines protégées le long de la côte égyptienne du golfe d'Aqaba, qui couvre près de 260 kilomètres et qui, avec l'extension en cours le long des côtes est de la mer Rouge, constituera un ensemble de plus de 1 000 kilomètres.

En réalité, au niveau international comme au niveau national, la multiplication des aires protégées, tant marines que terrestres, résulte d'une prise de conscience. En 1992, à Rio de Janeiro, lors de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (C.N.U.E.D.), l'accent a été mis sur la protection de notre seul espace vital, la planète Terre, avec un chapitre entier consacré à la protection des océans. Le nombre de demandes de création de sites et leur répartition montrent que cette prise de conscience est générale. Toutefois, notons que les déclarations de sites sans réelle gestion peuvent s'avérer plus néfastes que bénéfiques, servant de justification pour d'autres actions.

La gestion intégrée de l'espace terrestre, d'une part, et celle de l'espace marin, d'autre part, est de plus en plus efficace, les scientifiques ayant défini les problèmes et les administrations ayant précisé leurs rôles. Le problème majeur restant à traiter ces prochaines années concerne l'interface entre ces deux milieux. La gestion intégrée de la zone côtière (parties terrestre et marine) est un des sujets majeurs des grandes organisations internationales, notamment le Programme des Nations unies pour l'environnement (P.N.U.E.) ou pour le développement (P.N.U.D.), la Banque mondiale, l'U.I.C.N. ou le W.W.F. (World Wildlife Fund), spécialement dans les pays en développement.

Alain JEUDY-DE-GRISSAC

Bibliographie

· A. Price & S. Humphrey, « Application du concept de réserve de la biosphère aux aires marines et côtières », rapport de l'atelier de travail U.N.E.S.C.O., 1993

· U.I.C.N. de San Francisco (14-20 août 1989), Marine Conservation and Development Report, I.U.C.N., Gland, Suisse.

sites Internet:

· http ://www.iucn.org

· http ://www.wwf.org

· http ://www.wcmc.org

· http ://www.environnement.gouv.fr

· http ://www.sinaiparks.gov.eg

BIODIVERSITÉ

Le terme biodiversité apparaît pour la première fois dans la littérature scientifique, sous sa forme anglaise (biodiversity), quelques années avant la conférence de Rio (1992) puis se diffuse dans le monde entier après cet événement. Consacré à l'environnement et au développement durable dans le cadre d'un programme des Nations unies, ce « Sommet de la Terre », auquel ont participé de nombreux chefs d'État, a donné le jour à la Convention sur la diversité biologique, ratifiée par la grande majorité des pays, à l'exception notable des États-Unis d'Amérique. Dans ce contexte politique et mondial, marqué par des préoccupations et des engagements concernant l'environnement et le développement de la planète, le mot biodiversité a pris un sens sensiblement différent de celui de l'expression « diversité biologique », permettant de faire sortir cette notion de la sphère des seuls biologistes.

De la diversité du vivant au concept de biodiversité

Que la vie se manifeste sous des formes très diverses est un fait bien connu, et de longue date. Quand ils peignaient des bisons, des lions, des sangliers ou des antilopes, les hommes des cavernes témoignaient déjà, entre autres, de leur connaissance d'un monde vivant diversifié. Depuis lors, les naturalistes, paléontologues, systématiciens, puis écologues et généticiens n'ont cessé de faire état de la diversité du vivant, c'est-à-dire de la richesse des espèces vivantes et disparues, de la variabilité génétique au sein des populations d'une même espèce, de la diversité des fonctions écologiques qu'elles assument et des écosystèmes qu'elles constituent.

Ainsi, apparue il y a 3,8 milliards d'années dans les eaux de la planète Terre, sous forme de molécules puis de protocellules capables de s'autorépliquer, la vie n'a cessé de se diversifier tout en se transformant. Quand de nouvelles espèces naissaient, d'autres disparaissaient : comme les individus qui les constituent, les espèces sont mortelles, mais leur durée de vie se compte, en moyenne, en millions d'années.

Aujourd'hui, la Terre héberge plus d'une dizaine de millions d'espèces – les estimations varient entre 10 et 30 millions – mais seulement 1,7 million sont connues, c'est-à-dire décrites et nommées. Connues, c'est trop dire en effet : pour l'écrasante majorité d'entre elles, on ignore à peu près tout de leur biologie, de leurs caractéristiques fonctionnelles, de leur rôle dans l'écosystème planétaire, de leurs utilisations possibles par l'homme.

À la source de cette profusion d'espèces, on trouve une omniprésente variabilité génétique, la prodigieuse capacité de multiplication des êtres vivants et la mécanique implacable de la sélection naturelle. À l'analyse apparaît tout d'abord un ordre taxonomique, qui traduit l'organisation phylogénétique de la diversité du vivant ; ensuite, un ordre écologique exprime l'organisation fonctionnelle de cette diversité. Le premier résulte du processus de spéciation : les nouvelles espèces qui apparaissent procèdent d'espèces mères ; en d'autres termes, il existe des relations de parenté entre toutes les espèces (fig. 1). Quant à l'ordre écologique, il est issu de la dynamique des interactions qui s'exercent au sein de systèmes – les écosystèmes – constitués de populations naturelles et de leur environnement physique (biotope, climat) [fig. 2]. Par le jeu des interactions de compétition, prédation, parasitisme, mutualisme et sous l'effet de contraintes exercées par le cadre physico-chimique et climatique, les différentes espèces ajustent leurs niches écologiques, évoluent ou disparaissent localement. On imagine aisément qu'à l'échelle de l'évolution cette diversité écologique – diversité des espèces et diversité des fonctions écologiques (niches) – ait pu être canalisée et organisée du local au planétaire.

La diversité du vivant est donc un fait bien établi. Il paraît souhaitable de réserver l'emploi du néologisme biodiversité – qui certes signifie littéralement la même chose – au concept qui s'est dessiné dans les coulisses de Rio et qui donne corps à la Convention sur la diversité biologique. Parler de la diversité du vivant dans ce cadre, c'est dire autre chose que ce qu'entend habituellement le systématicien, le généticien ou l'écologue dans son univers de spécialiste. C'est à la fois cela et davantage. Et c'est donc différent à deux titres.

Tout d'abord, notre attention est désormais attirée sur les interdépendances qui existent entre les trois composantes majeures de la diversité du vivant : la variabilité génétique, la diversité des espèces et la diversité fonctionnelle ou écologique, classiquement abordées séparément par des spécialistes portés à s'ignorer. Bref, c'est l'idée même de diversité qui prend de l'importance. Ensuite, et c'est la rupture conceptuelle la plus significative, nous sommes invités à sortir du seul champ des sciences de la nature : le concept de biodiversité n'appartient pas aux seuls biologistes. Il inscrit la diversité du vivant au creux des enjeux, préoccupations et conflits d'intérêts qui se sont fait jour à Rio et qui expliquent qu'une Convention internationale, signée par 188 pays et l'Union européenne, s'impose aujourd'hui aux gouvernements du monde entier (même à ceux qui, comme les États-Unis, ont refusé de s'engager) pour organiser le développement des connaissances, la protection et l'utilisation durable de la diversité du vivant, ainsi qu'un juste partage des bénéfices qui en découlent.

2Les enjeux de la biodiversité

Raison d'être de la diversité du vivant

Si la diversité apparaît aussi omniprésente, constamment renouvelée, restaurée après chaque grande crise d'extinction, c'est qu'elle assure une fonction essentielle pour l'expression et le maintien de la vie. De fait, il n'y a pas de vie sans diversité : c'est une caractéristique intrinsèque du vivant.

Les risques associés à l'appauvrissement génétique des populations animales ou végétales sont aujourd'hui bien connus. Ils sont de trois types :

une adaptabilité amoindrie face aux changements de l'environnement ; –

un développement accru de l'expression des gènes délétères ; –

une diminution des systèmes de défense, immunitaires ou autres, – exposant davantage les individus à l'agression des agents pathogènes.

L'homme a appris à ses dépens que l'homogénéisation génétique des variétés de plantes produites et cultivées à une échelle industrielle les exposait particulièrement aux ravageurs – virus, champignons ou insectes – doués de capacités d'évolution et de pullulation rapides. Ainsi, en 1970, tandis que les pratiques de croisement et de sélection avaient réduit 85 % du maïs cultivé aux États-Unis à une presque totale homogénéité génétique, la résistance de cette plante à l'helminthosporiose, une maladie cryptogamique, fut surmontée par le champignon et l'épidémie provoqua des dégâts considérables. En 2000, une équipe chinoise a montré que la diversité génétique du riz accroissait considérablement la résistance de cette céréale à la pyriculariose, la principale maladie fongique qui l'affecte : en associant aux variétés sensibles à la maladie d'autres variétés, on a pu accroître le rendement des cultures de 89 %, tandis que la maladie reculait de 94 % par rapport à des cultures monovariétales. Au point que le recours à des fongicides fut abandonné (Zhu et al., 2000).

Si la variabilité génétique est, pour toute espèce, une assurance pour parer à l'imprévu, on peut considérer dans les mêmes termes la diversité des espèces et donc celle des écosystèmes pour l'homme et ses besoins connus ou à venir. De fait, alors que l'on parle beaucoup de changements climatiques, à l'heure où l'utilisation des sols et des milieux est profondément affectée par les besoins des hommes, on ne peut douter que les conditions de l'environnement se modifieront dans les années et décennies à venir. Pour y remédier et mieux gérer à notre convenance et d'une façon durable les systèmes biologiques dont nous dépendons, il faudra pouvoir disposer de toute la diversité des « compétences écologiques » qui existent dans la nature : gènes, complexes de gènes ; espèces, complexes d'espèces ; écosystèmes et paysages.

Au-delà de l'intérêt économique évident des ressources génétiques que représentent les espèces et des raisons éthiques qui militent en faveur de la sauvegarde de ces dernières, l'érosion de la biodiversité a des implications écologiques :

une perte de la diversité génétique, par le jeu de la réduction – des effectifs au sein des populations, puis l'extinction des populations et des espèces ;

une rupture et une perte des performances écologiques à l'échelle des écosystèmes. –

Le premier point, très médiatisé, fait oublier le second : comment les espèces assurent, par leur diversité, la durabilité des écosystèmes. Cette question est encore insuffisamment étudiée mais on peut avancer que les espèces et leur diversité peuvent avoir un rôle écologique important assurant la « résilience » des écosystèmes soumis à des perturbations, c'est-à-dire leur capacité à se rétablir après celles-ci. La perte d'espèces, l'amenuisement continu des populations naturelles et la simplification des habitats peuvent atteindre un seuil critique et conduire finalement à la rupture du fonctionnement et de la résilience des écosystèmes – donc à leur effondrement irréversible ; d'autres espèces, ravageurs ou fléaux, peuvent alors s'introduire et amplifier le processus.

Un potentiel de ressources renouvelables précieux

La prodigieuse diversité des espèces (diversité génétique comprise) est une source encore largement inexplorée de produits alimentaires, de matériaux (papier, vêtements, bois, fibres...) et de ressources pharmaceutiques.

L'agronomie ne cesse de tirer profit de cette diversité, non seulement des rares espèces effectivement exploitées à une échelle industrielle (riz, blé, maïs...) mais aussi de quantité de variétés et espèces sauvages qui sont des sources de gènes pour améliorer les variétés exploitées (gènes de résistance à la sécheresse ou à tel ou tel ravageur, par exemple).

Le domaine médical fait de même. Éléments essentiels de la médecine traditionnelle – 80 % de la population mondiale y a toujours régulièrement recours –, les plantes restent à la base de la médecine moderne. On peut citer la morphine, extraite du pavot, la quinine provenant du quinquina, la digitaline de la digitale, l'aspirine du saule et de la reine-des-prés. Aux États-Unis, 25 % des ordonnances prescrites comportent des médicaments dont les principes actifs sont tirés ou dérivés de plantes. Cela atteint 41 % si l'on y ajoute animaux et micro-organismes. Plus de 70 % des traitements anticancéreux prometteurs sont issus d'êtres vivants, notamment de plantes tropicales.

En 1997 déjà, le chiffre d'affaires des médicaments dérivés de sources biologiques dépassait les 100 milliards de dollars aux États-Unis. À lui seul, le ginkgo, ou arbre aux quarante écus, représente un chiffre d'affaires de 500 millions de dollars par an, grâce aux molécules très efficaces qui en sont dérivées pour contrer les maladies cardio-vasculaires.

La biodiversité marine est également mise à profit dans cette recherche intensive de nouvelles molécules actives. La description, depuis les années 1980, de 3 000 à 4 000 substances nouvelles synthétisées par les organismes marins – algues, invertébrés ou micro-organismes – a permis de caractériser près de 500 molécules actives : antitumorales, antivirales, immunomodulatrices, antibiotiques, antifongiques, anti-inflammatoires, inhibiteurs enzymatiques et moléculaires agissant au niveau des systèmes nerveux ou vasculaires. Actuellement, trois médicaments d'origine marine sont commercialisés : un antibiotique (la céphalosporine), un antitumoral (la cytarabine) et un antiviral (la vidarabine). Une trentaine de molécules sont à des stades de développements divers.

Pour le biologiste, frappé par la diversité et par la sophistication des mécanismes de défense mis au point au cours de milliards d'années d'évolution par les espèces exposées, comme celle de l'homme, à une multitude d'agents pathogènes, de parasites et de prédateurs, quoi de plus naturel que de chercher à détourner ces armes chimiques à notre profit ? La sélection naturelle a retenu dans tous les milieux des espèces capables de résoudre les problèmes posés par un environnement hostile – températures extrêmes (bactéries des sources hydrothermales), lutte contre des pathogènes ou des parasites, protection vis-à-vis de consommateurs trop avides ou de compétiteurs dangereux.

La biodiversité apparaît donc, pour l'espèce humaine et les autres, comme un atout en termes d'adaptation et de survie à long terme. Mais, c'est aussi un enjeu puisqu'il s'agit de ressources précieuses, avec les conflits d'intérêt que cela suppose. Quand on aura souligné que la biodiversité est principalement une richesse des pays tropicaux et que les grands groupes industriels et pharmaceutiques sont des firmes internationales ayant leur siège dans les pays du Nord, on comprendra mieux les tensions et polémiques qui se sont développées avant la conférence de Rio et qui se poursuivent autour de la Convention sur la diversité biologique.

Des services écologiques

Le tissu vivant de la planète est organisé en écosystèmes. Pour faire image, en assimilant la planète à un être vivant, comme le propose James Lovelock avec son concept Gaïa, on pourrait dire que les écosystèmes constituent les organes de la biosphère. Ainsi, les savanes, les forêts tropicales et tempérées, les déserts, les systèmes cultivés, les lacs, les rivières et les océans sont autant de systèmes vivants qui assurent des fonctions essentielles dont bénéficie l'homme, directement ou indirectement. On parle à ce propos de services écologiques : recyclage des déchets organiques, production de matières vivantes, pollinisation, régulation des climats, purification de l'eau, etc. Ce concept – qui vise à faire prendre en compte des processus écologiques qui, s'exerçant hors marché, étaient tenus jusque-là pour « sans valeur » – a conduit au développement d'une nouvelle discipline : l'écologie économique. Faisant le lien entre écologie et économie, elle devrait favoriser la prise de conscience de l'importance de la biodiversité et des fonctions assurées par les écosystèmes pour le bon développement des sociétés humaines. L'évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millennium Ecosystem Assessment, M.E.A.), étude mondiale de grande ampleur conduite de 2001 à 2004 et lancée par Kofi Annan dans le cadre des Nations unies, a donné à cette préoccupation un retentissement planétaire et marque une étape majeure dans l'évolution de l'écologie. Les services écologiques sont regroupés en grandes catégories, selon qu'ils contribuent à des activités de « soutien de base », de production des « biens », de « régulation », ou d'ordre « culturel » (fig. 3).

Vers une sixième crise d'extinction

Avec le succès écologique et économique de l'espèce humaine, on est entré dans la sixième crise d'extinction d'espèces. Les cinq précédentes furent la conséquence de catastrophes géologiques (éruptions volcaniques...) ou astronomiques (chutes de météores), généralement suivies et amplifiées par des changements climatiques et, donc, écologiques. La crise actuelle s'en distingue parce qu'elle est le fait de l'homme (crise anthropique) mais aussi parce qu'elle s'inscrit sur une échelle de temps beaucoup plus restreinte et dans un espace géographique de plus en plus monopolisé par l'homme et ses activités. Elle menace les fondements mêmes d'un développement durable des sociétés humaines.

Elle a pour origine cinq phénomènes : la destruction des écosystèmes (pollutions, déforestation, fragmentation des habitats, etc.) ; la pression excessive sur les espèces exploitées (chassées, pêchées, récoltées ou utilisées à des fins industrielles) ; la prolifération d'espèces exotiques introduites ; le réchauffement climatique ; enfin, les extinctions en cascade qui résultent, par exemple, de la disparition d'une espèce clé. Mais la cause première est évidemment le succès écologique et technologique de l'homme, marquée par une croissance exponentielle de ses besoins en ressources et en espace.

Les estimations des taux d'extinction sont assez précises pour les groupes taxonomiques les mieux connus et les plus accessibles : vertébrés et plantes supérieures. Pour les autres groupes, on ne peut qu'avancer des extrapolations hasardeuses. Celles-ci sont fondées sur la relation qui existe entre richesse spécifique S (nombre d'espèces) et superficie du milieu A, et qui permet d'évaluer un taux d'extinction à partir d'un calcul simple de taux de déforestation.

La plupart des estimations des taux d'extinction produites dans la littérature spécialisée reposent sur un enchaînement d'extrapolations écologiquement fondées. Le point de départ est le constat d'une diminution croissante de la superficie des milieux naturels abritant des faunes et des flores très riches, avec une forte proportion d'espèces endémiques – c'est-à-dire propres à ces régions et inexistantes ailleurs. Le plus souvent, le raisonnement s'applique aux forêts tropicales – qui couvrent 7 % de la surface terrestre et hébergeraient plus de 70 % des espèces vivantes, hors océans. Ainsi, sachant que, en Amazonie, la richesse spécifique des peuplements de plantes et d'oiseaux augmente de 10 % lorsqu'on accroît la surface de forêt explorée de 50 %, on en déduit que si la déforestation réduit la forêt amazonienne à 50 % de sa surface initiale, alors on entraîne une perte de 10 % des espèces qui y sont associées.

Que sait-on vraiment des effets de la déforestation et de la fragmentation des grandes forêts tropicales humides ? On dispose de deux grandes séries d'expérimentations qui apportent des informations concrètes sur les effets écologiques de la réduction de la superficie habitable et de la fragmentation du milieu.

Depuis la première installation, en 1819, des Britanniques à Singapour, île de 618 kilomètres carrés à la pointe de la péninsule malaise, plus de 95 % des cinq cent quarante kilomètres carrés de végétation primitive ont été totalement défrichés. Sur les quelque vingt-quatre kilomètres carrés de forêts qui subsistent aujourd'hui, moins de 10 % représentent la forêt primaire. Pour cette région du monde, on dispose d'inventaires faunistiques et floristiques historiques. En confrontant ces données avec les recensements effectués par son équipe, l'écologue australien Barry W. Brook (université de Darwin) a pu estimer les extinctions locales survenues depuis cent quatre-vingt trois ans, en relation avec la déforestation à grande échelle (Brook et al., 2003). Par souci d'efficacité et de rigueur, l'échantillonnage des peuplements actuels a été focalisé sur des groupes taxonomiques relativement bien étudiés : plantes vasculaires, crustacés décapodes d'eau douce (écrevisses), papillons, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères. Par ailleurs, de manière à reconstituer la faune primitive de Singapour de 1819, il a fallu compléter les premiers recensements fiables réalisés dans les années 1870 à partir de listes établies pour la péninsule malaise voisine.

Sur 3 996 espèces ainsi recensées, 881 ont disparu, soit 28 %. Les groupes les plus affectés, avec des taux d'extinction compris entre 34 et 48 %, sont les papillons, les poissons, les oiseaux et les mammifères – animaux les plus visibles et les mieux connus. À l'opposé, amphibiens et reptiles ont peu souffert de la déforestation massive, avec des taux d'extinction compris entre 5 et 7 %. Les plantes, comme les crustacés, affichent des taux d'extinction intermédiaires, à hauteur de 25 %. Une analyse plus fine montre, en outre, que la plus grande part des extinctions ont frappé les espèces inféodées à des habitats forestiers : 33 % des espèces forestières ont disparu, contre 7 % seulement dans le cas des espèces à plus large tolérance. On peut parler d'extinction en masse (ici à l'échelle locale de Singapour), mais on relève avec intérêt la diversité des réponses enregistrées selon les groupes considérés et leurs spécificités écologiques.

Une seconde étude d'un grand intérêt porte sur une expérimentation en vraie grandeur réalisée dans la forêt amazonienne au Brésil (Laurance et al., 2002). En 1979, le World Wildlife Fund (W.W.F.) et le National Institute for Amazon Research du Brésil lancent un projet ambitieux et de grande envergure ayant pour objectif premier d'établir expérimentalement la taille minimale critique des écosystèmes. Ainsi, au début des années 1980, à quatre-vingts kilomètres au nord de Manaus, onze fragments forestiers de un, dix, cent et mille hectares ont été isolés de la grande forêt environnante par des espaces larges de 80 à 650 mètres convertis en pâturages. Les zones de forêts isolées ont été clôturées pour éviter la pénétration des bovins. Parallèlement, des parcelles de tailles identiques furent délimitées dans le bloc forestier proche afin de constituer des témoins pour l'expérimentation projetée. L'ensemble de l'aire d'étude couvrait environ mille kilomètres carrés. Point essentiel de ce projet, des données d'abondance rigoureusement standardisées avaient été collectées avant l'isolement expérimental des divers fragments, pour les arbres, les oiseaux, les amphibiens, les reptiles et quelques groupes d'invertébrés.

Les principaux résultats apportés par ce programme, après vingt-deux ans d'études, confirment la prédiction selon laquelle le taux d'extinction dans les « îles » est négativement corrélé à leur superficie. En effet, une fois isolés, les fragments forestiers perdent des espèces à des taux très élevés, et cela d'autant plus rapidement qu'ils sont petits. La disparition de beaucoup de grands mammifères, de primates et d'oiseaux, très sensibles à la taille de leur habitat, a même été observée dans les fragments relativement grands (cent hectares). Conséquence sans doute de l'appauvrissement des peuplements d'oiseaux et de mammifères, les coléoptères des bouses et mangeurs de cadavres furent fortement affectés quelques années à peine après l'isolement des zones boisées. Pour quelques groupes particuliers, on a enregistré des enrichissements faunistiques, à partir des prairies et habitats secondaires environnants (du fait de la faible productivité des pâturages, beaucoup de ranches furent en effet progressivement abandonnés et des forêts secondaires de trois à quinze mètres de hauteur y ont proliféré). Ce fut le cas des petits mammifères et des amphibiens.

La majorité des spécialistes, sur la base de données bien étayées pour les plantes, les vertébrés et quelques groupes d'invertébrés, estiment que le taux d'extinction actuel des espèces est mille fois supérieur au taux « naturel ». La sixième crise d'extinction, imputable cette fois à l'homme et à ses activités, est bien une réalité : les experts en évaluent chaque année les menaces (tableau).

Conservation et gestion de la biodiversité

La prise de conscience par la communauté scientifique de cette crise d'érosion massive de la biodiversité a suscité l'émergence d'une nouvelle discipline au début des années 1980, la biologie de la conservation. Toutefois, les préoccupations relatives à la protection de la nature furent bien antérieures : le premier parc dit national voit le jour en 1872 aux États-Unis (parc de Yellowstone) ; l'Union internationale pour la protection de la nature (U.I.P.N. devenue depuis U.I.C.N., Union internationale pour la conservation de la nature) est constituée en 1948 et, en France, la loi sur les parcs nationaux est votée en 1960, suivie de la création du parc national de la Vanoise en 1963. Progressivement les idées évoluent, dans l'esprit que préconisera, au début des années 1990, la Convention sur la diversité biologique.

Cela conduit à la publication, dès 1982, de la Stratégie mondiale de la conservation, devenue Stratégie mondiale pour la biodiversité en 1992, qui souligne le besoin de sauvegarder le fonctionnement des processus écologiques tout en prêtant attention aux exigences de développement. Le saut majeur exprimé par ce texte, relativement à la philosophie dominante dans les milieux dédiés à la protection de la nature avant Rio, réside dans le fait que la conservation de la biodiversité ne se réduit pas à la protection des espèces sauvages dans des réserves naturelles mais consiste aussi, et principalement, à sauvegarder les grands écosystèmes de la planète appréhendés comme la base même et le support de notre développement.

Certes, la même idée était déjà à l'origine du concept de réserve de biosphère et du programme Man and Biosphere (M.A.B.) de l'U.N.E.S.C.O. Concernant explicitement les relations entre les sociétés humaines et la biosphère, ce dernier s'inscrivait clairement dans une perspective d'écodéveloppement, dès son lancement en 1971. Pour des raisons variées, qu'il serait trop long d'analyser ici, la relance apportée par la Stratégie mondiale pour la biodiversité était nécessaire ; elle s'appuyait sur des connaissances et une prise de conscience élargies.

Cette dynamique post-Rio a d'ailleurs contribué à relancer le dispositif mondial des réserves de biosphère, dans le cadre de la Stratégie de Séville conçue au terme d'une conférence d'experts organisée par l'U.N.E.S.C.O. dans cette ville en mars 1995. Un des points saillants de ce document est le nouveau rôle attribué aux réserves de biosphère dans la mise en œuvre des résultats et recommandations de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement de Rio, et notamment de la Convention sur la diversité biologique. Ce que traduit cette dynamique, c'est une mobilisation planétaire des acteurs de la conservation et de la gestion de la nature et de ses ressources, des O.N.G. qui ont su s'imposer avec un éclat particulier depuis Rio comme de la communauté scientifique concernée.

· Bibliographie

· J. E. M. Baillie, C. Hilton-Taylor & S. N. Stuart, A Global Species Assessment, U.I.C.N., 2004

· R. Barbault, Un éléphant dans un jeu de quilles. L'homme dans la biodiversité, Seuil, Paris, 2006

· R. Barbault dir., Actes de la conférence internationale « Biodiversité, science et gouvernance », éd. du Muséum national d'histoire naturelle, Paris, 2006

· R. Leaky & R. Lewin, La Sixième Crise d'extinction. Évolution et catastrophes, Flammarion, Paris, 1997

· C. Lévêque & J.-C. Mounolou, Biodiversité, Dunod, Paris, 2001

· M. Loreau, S. Naem & P. Inchausti, Biodiversity and Ecosystem Functioning. Synthesis and Perspectives, Oxford Univ. Press, 2002

· Millennium Ecosystem Assessment (M.E.A.), Ecosystems and Human Well-Being : a Synthesis, Island Press, Washington D.C., 2005

· E. O. Wilson, La Diversité de la vie, Odile Jacob, Paris, 1993 ; L'Avenir de la vie, Seuil, 2003.

· W.R.I., U.I.C.N. & P.N.U.E., Stratégie mondiale pour la biodiversité, édition française de la Global Biodiversity Strategy (1992), publié par le Bureau des ressources génétiques et le Comité français pour l'U.I.C.N., 1994.

· site officiel de la Convention sur la biodiversité : www.biodiv.org.

· site du programme « L'homme et la biosphère » de l'U.N.E.S.C.O. : www.unesco.org/mab

· site de l'U.I.C.N. : www.uicnredlist.org

· site de l'Institut français de la biodiversité : www.gis-ifb.org

· site du World WildFund (W.W.F.) : www.panda.org

· site de l'Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (M.E.A.) : www.millenniumassessment.org

RIO (CONFÉRENCE DE), 1992

La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (C.N.U.E.D.), qui s'est tenue à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 1992, a réuni les représentants de 178 pays (dont 117 chefs d'État) et plus de 20 000 participants. Ce « Sommet planète Terre » ou « Sommet de la Terre », préparé par deux ans de travaux préliminaires, reste un événement historique. Il a mis en évidence le caractère indissociable de la protection de l'environnement et du processus de développement ; fait prendre conscience de la nécessité d'un partenariat à l'échelon mondial et d'un engagement politique au plus haut niveau. Il a installé au niveau international le concept de « développement durable » (sustainable development), mode de développement qui répond aux besoins du présent tout en permettant aux générations futures de répondre aux leurs, et qui intègre les composantes environnementales, économiques et sociales.

Pour mesurer les progrès de mise en œuvre des résolutions, promouvoir le partenariat international et encourager de nouvelles activités, une Commission du développement durable (C.D.D.) a été constituée. Composée de plus de 50 pays membres, elle se réunit chaque année pour faire le point sur un certain nombre de questions. Pour que la C.N.U.E.D. ne soit pas simplement le plus important sommet mondial qui ait jamais eu lieu, les programmes nationaux et les arrangements internationaux devaient donner des résultats décisifs, et amener des changements significatifs. De fait un certain nombre d'avancées effectives sont nées de la conférence de Rio.

L'avant Rio

Les avancées antérieures à Rio

La C.N.U.E.D. s'est déroulée à l'occasion du vingtième anniversaire de la Conférence de Stockholm de 1972. Ce premier sommet mondial avait pour objet exclusif la protection de l'environnement de l'homme. En pratique, il a essentiellement suscité la création du Programme des Nations unies pour l'environnement (P.N.U.E.).

En 1983, l'O.N.U. crée la Commission mondiale de l'environnement et du développement ; elle publie, en 1987, le rapport Brundtland, du nom de son animatrice norvégienne Gro Harlem Brundtland, intitulé Notre Avenir commun. Ce rapport attire l'attention des responsables politiques des divers pays du monde, industrialisés ou en voie de développement, sur le lien univoque existant entre la protection de la biosphère et le développement durable de l'humanité. La même année, le Protocole de Montréal (signé le 16 août 1987 et entré en vigueur le 1er janvier 1989) vise à protéger la « couche » d'ozone stratosphérique qui protège la Terre des rayons ultraviolets nocifs pour toute existence biologique. Ses signataires se sont engagés à réduire, voire à éliminer, les émissions de divers gaz à effet de serre, notamment les chlorofluorocarbures (CFC.), qui détruisent la couche d'ozone. Celle-ci semble aujourd'hui stabilisée, ce qui constitue la première réalisation internationale concrète en termes de préservation de l'environnement global naturel.

À son ouverture, la C.N.U.E.D. s'appuyait donc sur un cadre de réflexions et de mise en œuvre déjà bien construit. Les scientifiques – au-delà des controverses suscitées par l'événement – apportaient, par les progrès de leurs travaux et de leurs modélisations, une meilleure connaissance des processus, tout en posant les problèmes cruciaux : les pluies acides, l'élimination des déchets toxiques ou radioactifs, le défrichement abusif, l'accroissement de l'effet de serre, etc. Ils avaient en outre mis en lumière le caractère nécessairement global et planétaire d'une lutte efficace pour la préservation de l'environnement.

Un contexte géopolitique marqué par l'affrontement Nord-Sud

Les gouvernements des pays occidentaux se voyaient sans cesse aiguillonnés par la forte montée en puissance des mouvements écologiques et des organisations non gouvernementales (O.N.G.), tandis que le Tiers Monde percevait l'écologie comme un luxe réservé aux pays riches. Le cadre géopolitique dans lequel s'inscrivait la C.N.U.E.D. devait donc s'affranchir d'une confrontation Nord-Sud en faisant prévaloir l'idée que le développement durable relevait d'un intérêt commun. Les conférences préparatoires écartèrent ainsi les sujets majeurs d'affrontements. Ce fut notamment le cas pour la démographie.

Les accords conclus à Rio

La Charte de la Terre

La Déclaration de Rio, ou Charte de la Terre, contenait 27 principes sur la bonne gestion des ressources de la Terre, appuyés sur le concept de « développement durable ». Après le premier principe – « les êtres humains ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature » –, suivent plutôt des recommandations à l'usage des États telles que : « Les États ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources », tout en ayant le devoir de veiller à ce que ces activités « ne portent pas atteinte à l'environnement d'autres États... » (principe 2) ; le droit au développement doit tenir compte de l'environnement et des besoins des générations présentes et futures (principe 3) ; le développement durable doit être renforcé « par des échanges de connaissances scientifiques et techniques » (principe 9) ; il convient de développer « le droit international concernant la responsabilité et l'indemnisation, en cas d'effets néfastes, de dommages causés à l'environnement » en dehors des limites des États (principe 13) ; « L'absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard » la protection de l'environnement (principe 15) ; les États doivent promouvoir l'internationalisation du principe « pollueur-payeur » sans fausser le jeu du commerce international et de l'investissement (principe 16). La mise en œuvre de ces 27 principes n'est cependant pas contraignante, mais laissée à la bonne volonté des pays signataires – ce qui a pu entacher la Déclaration d'une certaine inefficacité.

Quatre autres documents ont été adoptés à Rio : la Convention sur le changement climatique, la Déclaration sur la protection des forêts, la Convention pour la protection des espèces, et l'Agenda 21.

La Convention sur le changement climatique

La Convention sur le changement climatique se limita à une convention-cadre, non contraignante, par laquelle 150 pays se sont engagés à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre pour la fin du xxe siècle. En prise directe avec les choix énergétiques des nations, et se heurtant notamment à une résistance de la part des États-Unis inquiets pour leur industrie, elle fut adoptée dans le flou le plus complet. Ce d'autant plus que les dissonances étaient encore nombreuses parmi les scientifiques quant aux causes réelles du réchauffement climatique observé.

La Déclaration sur la protection des forêts

La question de la protection des forêts fit l'objet de vifs débats entre les pays du Nord et ceux du Sud, les premiers s'attachant à défendre les grandes forêts équatoriales de façon à préserver leur rôle écologique (comme régulateur climatique et comme patrimoine mondial de la biodiversité), les seconds cherchant avant tout à exploiter ces biens nationaux. L'Inde, le Brésil, l'Indonésie et la Malaisie s'opposèrent aux textes proposés par les pays industrialisés, les réduisant à une simple « déclaration » de 17 principes.

La Convention pour la protection des espèces

La convention sur la biodiversité porte sur la protection de la faune, de la flore et des espaces naturels. Le texte signé à Rio par 154 pays – sans les États-Unis – constitue l'amorce d'un accord sur un partage équitable des ressources biologiques de la planète entre les pays du Nord et ceux du Sud. Contre des compensations financières versées aux pays du Sud, les pays du Nord se sont vu officiellement accorder le droit d'exploiter les espèces biologiques – l'homme constituant la seule exception – et les micro-organismes présents dans les pays du Sud et de breveter toutes ces espèces ainsi que leurs dérivés génétiques.

L'Agenda 21

L'Agenda 21 (le chiffre 21 signifiant « pour le xxie siècle »), ordonné en quarante chapitres, était une liste d'une centaine d'initiatives à prendre pour concilier les exigences du développement économique et de la protection de notre environnement naturel. Les pays riches ayant cependant refusé d'en financer directement la réalisation, ce document constituait essentiellement un texte d'orientation général, faisant le pendant, sur le mode concret, aux principes énoncés dans la Déclaration de Rio.

L'après-Rio

Les apports financiers

L'examen de la question du financement est un préalable à toute considération sur la réalisation des objectifs fixés à Rio. En 1992, le secrétariat du Sommet de la Terre avait évalué à plus de 600 milliards de dollars par an, jusqu'à l'an 2000 inclus, le montant nécessaire aux pays en développement pour exécuter les activités énumérées dans l'Agenda 21. La plupart des pays donateurs s'étant engagés à affecter en moyenne 0,7 % de leur produit intérieur brut (P.I.B.) à cette opération – l'ensemble équivalent au montant de l'Aide publique au développement (A.P.D.), soit approximativement à 125 milliards de dollars –, on en vint à admettre que cette somme suffirait.

En fait, l'A.P.D. est tombée en moyenne à 0,33 % du P.I.B. des donateurs en 1992 et à 0,27 % en 1996, à l'amère déception des pays en développement. Dans le même moment, l'investissement privé étranger à destination de ces pays a presque triplé, atteignant environ 250 milliards de dollars en 1996 – ce qui donna naissance à l'idée que les flux des capitaux privés avaient à l'avenir un rôle décisif à jouer dans le financement du développement durable. Notons cependant que, selon un rapport de la Banque mondiale (« Faire progresser le développement durable », 1997), les trois quarts des flux d'investissements privés transfrontières à destination du monde en développement profiteraient seulement à 12 pays.

Enfin, le Fonds pour l'environnement mondial (F.E.M.), créé après Rio dans le cadre de la Banque mondiale, a reçu environ 2,8 milliards de dollars en six années pour des projets visant à protéger la biodiversité, le milieu marin ou l'équilibre climatique.

Les avancées significatives

Pourtant, le suivi des accords conclus à la C.N.U.E.D., le lancement de nouveaux programmes et des mises en œuvre réelles montrent bien que l'esprit de Rio souffle toujours. Nous citerons ici les avancées les plus significatives.

La lutte contre la désertification

Une convention, ayant pour vocation de lutter contre la désertification et d'atténuer les effets de la sécheresse, a été établie en juin 1994 et est entrée en vigueur en décembre 1996. Elle favorise toutes les actions faisant intervenir une démarche de coopération internationale et de partenariat : amélioration de la productivité des cultures, régénération des sols, conservation et gestion durable des ressources hydriques et terrestres, etc. Plusieurs projets ont d'ores et déjà été entrepris, notamment en Égypte, en Algérie, au Burkina Faso, en Israël ou en Syrie.

L'accord sur la pêche hauturière

En décembre 1995, a été conclu un accord sur la pêche hauturière contraignant les pays signataires à préserver et à gérer de manière durable les stocks naturels de poissons, ainsi qu'à régler pacifiquement tout différend, en particulier pour ce qui concerne les populations de poissons qui « chevauchent » les frontières des zones économiques exclusives (Z.E.E.) de 200 milles marins des différents pays, comme c'est le cas pour la morue, le thon ou l'espadon. Toutefois, parmi les États qui n'ont pas encore signé l'accord figurent certains des pays qui pratiquent le plus la pêche, dont le Chili, le Mexique, le Pérou, la Pologne, la Thaïlande et le Vietnam.

La gestion des produits chimiques

Le développement économique et social ne peut se faire sans les produits chimiques. Cependant, l'utilisation de substances comme le D.D.T., la dioxine, l'acide sulfurique, le chlordane, le mercure, le plomb, l'arsenic, etc., peut faire courir des risques importants à la santé humaine et à l'environnement. Le Sommet de la Terre, au travers de l'Agenda 21 (chapitres XX et XXI), proposait déjà des normes fondamentales de gestion des déchets dangereux au niveau national et un contrôle des mouvements transfrontières des déchets, invitant en fait à ratifier la Convention de Bâle (entrée en vigueur en mai 1992).

Depuis Rio, deux nouvelles entités internationales ont été formées. Créé en avril 1994, le Forum intergouvernemental de la prévention des risques chimiques (I.F.C.S.) est destiné à renforcer la coopération entre les gouvernements, les organisations intergouvernementales et les O.N.G. en matière d'évaluation des risques chimiques et de gestion écologiquement saine des produits chimiques. Créé en 1995, le Programme interorganisations de gestion écologiquement rationnelle des produits chimiques (I.O.M.C.) coordonne les efforts de six grandes organisations internationales en matière d'évaluation et de gestion des produits chimiques. Ces deux organes internationaux ont d'ores et déjà à leur actif plusieurs réalisations, dont, par exemple, l'établissement de normes internationales concernant les additifs alimentaires et les résidus de pesticides dans les aliments.

La protection des espèces

La Conférence des parties à la Convention sur la biodiversité se déroule chaque année pour assurer le suivi et le développement des mesures prises à Rio. En 1995 (IIe Conférence, Jakarta), était élaboré un programme pour la prévention des risques biotechnologiques. Par ailleurs, les aires protégées (réserves naturelles, parcs nationaux, sites du patrimoine mondial, etc.), dont l'Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.) estimait, en 1998, le nombre à 12 754 réparties dans le monde, couvrent une surface cumulée de 1 204 millions d'hectares.

La lutte contre le réchauffement climatique

Depuis la Convention sur les changements climatiques de 1992, beaucoup a été fait pour endiguer la composante anthropique du réchauffement de la planète. Le Comité intergouvernemental qui avait rédigé cette convention à Rio a été dissous à l'issue de sa onzième session en février 1995 qui instituait la Conférence des parties comme autorité suprême en la matière. Celle-ci a tenu sa première réunion à Berlin en mars-avril 1995, adoptant le Mandat de Berlin qui devait mettre au point « un protocole ou un autre instrument juridique », à adopter en 1997 à la troisième session de la Conférence des parties, sur la lutte contre le réchauffement climatique. Celle-ci s'est tenue à Ky?to en décembre 1997 et a effectivement abouti à un accord chiffré sur la réduction des gaz à effet de serre – 5,2 % par rapport au niveau de 1990 d'ici à 2012 – constituant une première historique. Il reste les décisions les plus difficiles à prendre, c'est-à-dire la mise en œuvre concrète du Protocole de Ky?to, les divergences entre les pays en développement, les États-Unis et l'Union européenne étant encore nombreuses. La quatrième session (Buenos Aires, novembre 1998) fut un échec en cela et la cinquième session prévue tenue à Bonn en octobre 1999 n'a pas suffi à gommer les mésententes.

La C.N.U.E.D. a eu un mérite essentiel : faire sortir les préoccupations environnementales de leur ghetto et engager un immense chantier de préservation de l'environnement global. Faut-il s'étonner de la lenteur des prises de décisions communes et surtout de leurs mises en œuvre ? Une lecture des différents textes de la Charte de la Terre montre qu'il s'agit ni plus ni moins de vouloir établir un nouvel ordre économique et social, au profit de notre environnement global. Il y a un grand espoir pour l'humanité dans la prise de conscience réelle des dangers qui menacent la planète, dont l'homme est en grande partie responsable. Alors, s'il faut du temps pour arriver à un développement durable, espérons qu'il nous en reste assez avant que ne surviennent des bouleversements catastrophiques irrémédiables.

CONSERVATOIRES DU PATRIMOINE NATUREL FRANÇAIS

La France est certainement le pays européen qui dispose de la plus grande diversité de paysages et de milieux naturels remarquables, abritant une flore et une faune exceptionnelles sur des espaces encore vastes. C'est aussi un des pays qui détruit le plus son patrimoine, comme l'attestent la prolifération des constructions en bord de mer et la dégradation de ses plus beaux paysages de montagne et de piémont.

Peu sensibilisé à la nature, que ce soit à l'école ou dans la vie civile, le Français n'accordait que peu d'importance à la sauvegarde de la nature et à la beauté de nos côtes et de nos campagnes. Il ne faut pas s'étonner dès lors de la faiblesse de la France dans la préservation de son patrimoine naturel illustrée par la maigreur des moyens publics de l'État en faveur de la nature et par la taille modeste de ses associations.

La montée en puissance du Conservatoire du littoral, établissement public de l'État qui préserve à ce jour 50 000 hectares de terrains situés préférentiellement en bord de mer, et la création des conservatoires régionaux et départementaux d'espaces naturels illustrent, cependant, une nouvelle prise en compte de la nature en France. D'autres pays européens avaient ouvert la voie.

En Grande-Bretagne, depuis plus d'un siècle, le public a pris en charge la sauvegarde de son patrimoine naturel en créant des associations très puissantes, capables à elles seules d'acheter d'immenses territoires et de les aménager en harmonie pour la nature et pour les hommes. Le National Trust, première organisation privée britannique, dispose ainsi de deux millions d'adhérents qui lui ont permis d'acheter le tiers de toutes les côtes anglaises et de nombreux domaines à l'intérieur du pays, assurant la sauvegarde de patrimoines naturels et architecturaux prestigieux, dont de superbes châteaux. Il en est de même pour les Pays-Bas, où l'association privée Naturr Monumenten a réussi en trente ans à préserver la quasi-totalité des espaces naturels les plus intéressants de ce pays. Appuyée par un réseau de cinq cent mille adhérents, ce qui est considérable à l'échelle des Pays-Bas, Naturr Monumenten intervient partout pour la nature en procédant à l'achat des zones naturelles les plus belles et en les ouvrant intelligemment au public.

Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres

Le Conservatoire du littoral est né du refus de l'opinion publique, dans les années 1970, de voir le littoral se transformer en une interminable banlieue. Son action se fonde à la fois sur l'espoir de pouvoir enrayer un processus de dégradation qui devenait gravissime et sur la volonté des pouvoirs publics, des associations et des collectivités locales d'unir leurs efforts pour fournir une réponse durable à la menace qui pèse sur un grand nombre de sites d'intérêt écologique majeur.

Placé sous la tutelle du ministère de l'Environnement, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est un établissement public administratif de l'État, qui a été créé par une loi du 10 juillet 1975 et qui s'est inspiré, pour partie, du National Trust britannique. Il présente certaines similitudes avec les « land trust » américains, notamment avec le California State Coastal Conservancy, créé en 1976.

Le Conservatoire peut acquérir, par tous les moyens dont dispose la puissance publique, les espaces naturels fragiles et menacés. Il peut acheter à l'amiable, par préemption dans le cadre de la législation sur les périmètres sensibles, par expropriation pour cause d'utilité publique.

Il peut être affectataire des biens du domaine privé de l'État ou des collectivités locales. Il est habilité à recevoir tous dons et legs, mobiliers ou immobiliers. Il peut enfin acquérir, sous forme de droits réels, toutes servitudes pouvant contribuer à la protection d'espaces naturels significatifs.

Le Conservatoire est une véritable banque de la nature dont le patrimoine est inaliénable. Si le Conservatoire a la possibilité d'acheter les espaces naturels maritimes et lacustres les plus remarquables, il n'a pas la capacité juridique de les revendre. Les sites acquis seront transmis intacts aux générations futures. Sa compétence se limite aux cantons côtiers et aux communes riveraines des lacs et des plans d'eau dont la superficie est égale ou supérieure à 1 000 hectares : le Léman, Annecy, le Bourget, der Chantecoq, forêt d'Orient, Vouglans, Serre-Ponçon, Sainte-Croix-du-Verdon, Vassivière, Bort-les-Orgues, Sarrans et Pareloup. Le Conservatoire intervient en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, île de la Réunion).

Le choix des acquisitions est effectué par le conseil d'administration du Conservatoire, après avis des conseils de rivages et consultation des communes concernées. Le Conservatoire intervient, en priorité, dans trois cas :

lorsque la pression foncière est particulièrement forte et qu'elle – menace, à court ou moyen terme, des sites naturels remarquables ; seule l'acquisition permet alors d'écarter définitivement la menace d'urbanisation ;

lorsque la gestion des terrains est défectueuse et que ce défaut d'entretien menace la – qualité ou la diversité biologique du site ;

lorsque le site, par sa situation ou son étendue, mérite d'être ouvert au public. –

Outre ces trois critères, le Conservatoire privilégie les acquisitions de sites qui ont une valeur nationale, par leur intérêt ou par leur dimension. Une importance particulière est attachée à la diversité biologique des milieux (importance et rareté des espèces animales et végétales) et à leur valeur paysagère.

Les acquisitions réalisées varient de quelques hectares à plusieurs centaines ou milliers d'hectares : 2 hectares pour le site de Lugrin, sur les bords du lac Léman, près de 5 000 hectares d'un seul tenant, pour le massif des Agriate, en Haute-Corse.

Parmi les grands sites acquis par le Conservatoire figurent les réserves naturelles du platier d'Oye et de la baie de Canche, dans le Pas-de-Calais ; le parc ornithologique du Marquenterre, dans la Somme ; l'estuaire de l'Orne, dans le Calvados ; les sites historiques du débarquement en Normandie ; l'île de Tatihou et le cap Levy, dans la Manche ; la baie d'Audierne et les dunes de Keremma, dans le Finistère ; les marais d'Yves et de Brouage, en Charente-Maritime ; le domaine de Certes, en Gironde ; l'île Sainte-Lucie, sur les bords de l'étang de Bages-Sigean, dans l'Aude ; La Palissade, l'Étourneau et Le Ligagneau, en Camargue ; le Cap Corse et les Agriate, en Haute-Corse ; Senetosa, en Corse du Sud, etc.

Une classification schématique fait ressortir la composition du patrimoine du Conservatoire, en fonction du type de milieux protégés :

17 % de zones humides ; –

12 % de massifs dunaires ; –

18 % de bois et de forêts ; –

35 % de maquis ; –

11 % de landes et de garrigues ; –

5 % de prairies ; –

2 % de terres cultivées. –

Inconstructibles, les terrains du Conservatoire sont protégés de façon rigoureuse : le camping, le caravaning, le motocross et la circulation automobile sont interdits. Aménagés pour l'accueil du public, ils sont ouverts à tous.

Chaque acquisition nouvelle fait l'objet d'un bilan écologique, qui est suivi d'un programme de restauration et d'aménagement : fixation des massifs dunaires, ouverture de sentiers pédestres, réalisation d'aires de stationnement en périphérie des sites, travaux de défense contre l'incendie, entretien des zones humides, etc.

Des conventions de gestion sont passées entre le Conservatoire et les collectivités locales concernées (départements et communes). Les massifs boisés sont gérés par l'Office national des forêts. Des gardes recrutés par les communes, grâce à l'aide financière des départements, assurent la surveillance et l'entretien quotidien des principaux domaines du Conservatoire. En octobre 1990, les collectivités et les organismes gestionnaires des terrains du Conservatoire se sont regroupés au sein de l'association Rivages de France, afin de développer entre eux des échanges techniques et d'assurer une plus large information du public sur la protection des espaces naturels. En 1995, à l'occasion de son vingtième anniversaire, le Conservatoire s'est donné pour objectif d'acquérir, au cours des cent ans à venir, 150 000 hectares nouveaux, laissant ainsi aux générations futures 200 000 hectares protégés, soit 20 % du littoral.

Ainsi l'État, les associations et les collectivités locales unissent-ils leurs efforts pour que les rivages restent, partout où cela est encore possible, des lieux de vie et de liberté.

Daniel BEGUIN

Conservatoires d'espaces naturels non littoraux, L'exemple du Conservatoire des sites lorrains

Si la Lorraine n'apparaît pas comme une région spectaculaire sur le plan du paysage, elle abrite toutefois un patrimoine naturel encore remarquable comme vient de le démontrer un récent inventaire national sur les zones naturelles à grande valeur écologique. Cinq cent cinquante zones ont été décrites tant sur le plan de la faune que de la flore, révélant de réelles surprises sur l'importance du patrimoine biologique lorrain. Au total et sur une superficie régionale de 24 300 kilomètres carrés, les zones naturelles couvrent à peine 2 % de ce territoire, hors zones forestières, soit au maximum 50 000 hectares pour quatre départements concernés (Meuse, Moselle, Meurthe-et-Moselle, Vosges). C'est peu, mais c'est beaucoup au regard des régions voisines, voire des pays voisins, où le patrimoine actuel devient quasi inexistant. Par conséquent, ces zones donnent à la Lorraine une immense responsabilité dans cette partie centre-ouest de l'Europe.

Autrefois très importantes, puisque après la Seconde Guerre mondiale elles couvraient au moins trois fois cette superficie, les zones naturelles de Lorraine sont en voie de disparition et de dégradation très rapide. Les pelouses calcaires à orchidées de la Meuse, les tourbières des Hautes-Vosges, les étangs du plateau Lorrain, la vallée de la Moselle sauvage sont quotidiennement le théâtre de la disparition de notre patrimoine biologique. Le ministère de l'Environnement a bien tenté de classer certains sites parmi les plus exceptionnels, mais la tâche supposait une action plus spectaculaire et durable qu'une simple mesure consécratoire.

L'action en profondeur qui s'imposait est la raison d'être du Conservatoire des sites lorrains (C.S.L.), association privée qui a pris en charge dès 1985 un vaste programme de sauvegarde du patrimoine biologique régional. Travaillant en partenariat étroit avec l'ensemble des acteurs concernés par la sauvegarde de la nature en Lorraine, le C.S.L. a pu assurer la survie de plus de 3 000 hectares de nature prestigieuse. Disposant d'un conseil scientifique, de plusieurs centaines de bénévoles et d'une équipe salariée opérationnelle, le C.S.L. gère aujourd'hui plus de quatre-vingts espaces naturels sur la région, allant de quelques hectares à plus de 500 hectares d'un seul tenant. Certains de ces sites sont aménagés pour l'accueil du public tandis que les zones les plus fragiles font l'objet d'un suivi scientifique attentif. Enfin, de nombreuses zones naturelles préservées par le C.S.L. sont confiées en gestion aux agriculteurs moyennant un cahier des charges respectueux du patrimoine.

Les autres conservatoires régionaux

Il existe au début des années 1990 quatorze conservatoires régionaux d'espaces naturels regroupés au sein d'une fédération nationale, Espaces naturels de France, pour laquelle l'écomusée Ungersheim joue le rôle de contact avec le public.

Encore embryonnaire, la stratégie de ces conservatoires s'articule préférentiellement sur les achats et les locations des zones naturelles les plus prestigieuses. Elle recueille déjà un écho très favorable de la part du grand public qui répond de plus en plus aux appels financiers, mais aussi des régions et départements enfin soucieux de la sauvegarde de leur patrimoine et de leurs paysages. Pour la France, l'enjeu est d'importance car il ne s'agit ni plus ni moins que d'assurer le maintien du patrimoine naturel sur plus de 10 % de l'espace rural, soit plusieurs millions d'hectares.

Dominique LEGRAIN

Bibliographie

· A. Comolet, L'Évaluation et la comptabilisation du patrimoine naturel : définitions, méthodes et pratiques, L'Harmattan, Paris, 1994

· B. Desaigues & P. Point, L'Économie du patrimoine naturel : la valorisation des bénéfices de l'environnement, Économica, Paris, 1993

· D. Desforges, Camargue, La Renaissance du livre, Paris, 1997

· Direction régionale de l'environnement Bretagne - Conseil régional de Bretagne, Le Patrimoine naturel en Bretagne, Ouest-France, 1997

· Espaces naturels de France, Espaces naturels en France : la protection des paysages au quotidien, Nuée bleue, 1996

· F. Mosse, À la découverte des réserves naturelles de France, Nathan, Paris, 1996

· J.-A. Prades, L'Éthique de l'environnement et du développement, coll. Que sais-je, P.U.F., Paris, 1995.

Chronologie des premiers parcs naturels

1864Yosemite Grant (Californie, États-Unis), qui prendra le nom de Yosemite National Park en 1890.

1872Parc de Yellowstone (Wyoming, États-Unis), 888 708 ha.

1879Royal National Park (Australie), 14 620 ha.

1886Glacier National Park (Canada), 135 250 ha.

1894Tongariro National Park (Nouvelle-Zélande), 67 404 ha.

1898Sabie Game Reserve, qui deviendra le Parc national Kruger en 1926 (Afrique du Sud), 1 817 146 ha.

1903Nahuel Huapi (Argentine), 785 000 ha.

1907Etosha (Namibie), 2 227 000 ha.

1909Sarek (Suède), 195 000 ha.

1914Parc national suisse (unique parc de Suisse), 16 887 ha.

1918Covadonga (Espagne), 16 925 ha. Ordesa Y Monte Perdido (Espagne), 15 608 ha.

1922Gran Paradiso (Italie), 70 200 ha.

1925Virunga (Zaïre), 780 000 ha.

1926Matobo (Zimbabwe), 42 500 ha.

1928Thingvellir (Islande), 5 000 ha.

1929Kaieteur (Guyana), 58 559 ha. 2 Volcans (Rwanda), 15 000 ha.

1930Pico Cristal (Cuba), 15 000 ha. Veluwezoom (Pays-Bas), 4 800 ha.

1932Killarney (Irlande), 10 129 ha. 2 Bialowieza, qui deviendra Bialowieski en 1947 (Pologne), 5 317 ha.

1934Vitocha (Bulgarie), 26 607 ha. 2 Chubu-Sangaku (Japon), 174 323 ha. 2 Mount Canlaon (Philippines), 24 558 ha.

1935Berbak (Indonésie), 162 700 ha. 2 Iztaccíhuatl-Popocatépetl (Mexique), 25 679 ha. 2 Retezat (Roumanie), 54 400 ha. 2 Dinder (Soudan), 890 000 ha.

1936Corbett (Inde), 52 082 ha.

1937Mont Olympe (Grèce), 4 000 ha. 2 Rancho Grande, qui reçoit le nom de Henri Pittier en 1953 (Venezuela), 107 000 ha. 2 Itatiaia (Brésil), 30 000 ha.

1938Pyhätunturi (Finlande), 4 300 ha. 2 Wilpattu Block 1 et 5 (Sri Lanka), 56 831 ha.

1939Day (Djibouti), 10 000 ha. 2 Taman Negara (Malaisie), 434 351 ha.

1942Toubkal (Maroc), 36 000 ha.

1946Nairobi (Kenya), 11 721 ha.

1948Pelister (Macédoine), 12 500 ha. 2 Tatransky (Tchécoslovaquie), 74 111 ha.

1963Parc national de la Vanoise (France), 52 839 ha. Parc national de Port-Cros, 2 475 ha. 2 Cette liste recense les premiers parcs créés pour les pays mentionnés, parcs reconnus comme tels par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature). La superficie indiquée est celle lors de la création du parc.

LA PROTECTION DES ESPÈCES

L'expression d'une volonté de protection de la nature est relativement récente dans l'histoire des sociétés humaines. Si l'on adopte comme critère principal la mise en place d'aires protégées – réserves ou parcs naturels – on en relève les premiers signes à la fin du xixe siècle, avec la création aux États-Unis, en 1872, de l'un des premiers parcs nationaux du monde, celui du Yellowstone. Il faut cependant attendre la première moitié du xxe siècle pour voir ce mouvement s'affirmer : en Europe, les premiers parcs naturels sont créés, par la Suède, en 1909 ; suivent la Suisse (1915) et la Grande-Bretagne (1949). En France, la réaction est plus tardive encore, si l'on excepte l'initiative particulière de la Société nationale de protection de la nature, association privée à but scientifique et philanthropique, qui crée en 1928 la réserve zoologique et botanique de Camargue. Ce n'est qu'en 1960 que fut votée la loi sur les parcs nationaux, et en 1963 que le premier d'entre eux, celui de la Vanoise, fut ouvert.

L'Union internationale pour la protection de la nature (U.I.P.N.) est constituée en 1948. Sa transformation, huit ans plus tard, en Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (U.I.C.N.) entérine l'idée que la préservation de la nature doit s'inscrire dans une perspective plus large. La publication par l'U.I.C.N., l'U.N.E.P. (Programme des Nations unies pour l'environnement) et le W.W.F. (Fonds mondial pour la nature) de la Stratégie mondiale de la conservation, en 1980, marque une nouvelle étape : elle souligne le besoin de sauvegarder les processus écologiques et donc de maintenir des espaces protégés, mais en accordant une place importante aux exigences de développement économique. Cette évolution a été marquée par deux sommets planétaires : la Conférence des Nations unies sur l'environnement de Stockholm qui, en 1972, fait des problèmes d'environnement une priorité pour les gouvernements de la planète ; la Conférence des Nations unies pour l'environnement et le développement de Rio de Janeiro qui, en 1992, à partir d'un éclairage porté sur l'érosion de la biodiversité et sur les menaces de changements climatiques, souligne l'interdépendance entre développement et protection de l'environnement.

La mort des espèces, comme celle des individus, est un phénomène naturel, destinée inexorable. À partir de l'analyse des restes fossiles, les paléontologues estiment que la durée moyenne de vie des espèces est comprise entre 1 et 2 millions d'années pour les mammifères, et autour de 10 millions d'années pour les invertébrés terrestres ou marins. En outre, ils ont mis en relief cinq grandes crises d'extinction au cours des temps géologiques, qui éliminèrent entre 65 et 85 % des espèces et jusqu'à 95 % au Permien, il y a 250 millions d'années. La plus connue de ces extinctions massives, celle du Crétacé-Tertiaire (il y a 65 millions d'années), fut notamment marquée par la disparition des dinosaures, parmi de nombreuses autres espèces. À l'origine de ces catastrophes, qui s'étalèrent toutefois sur plusieurs milliers, voire millions d'années, on évoque des cataclysmes d'origine interne ou externe à la Terre, comme des éruptions volcaniques ou des chutes de météorites.

La crise d'extinction actuelle diffère des précédentes : elle est le fait de l'homme et s'inscrit, non plus sur des millions d'années, mais seulement quelques siècles, voire quelques décennies. Elle résulte de quatre phénomènes : la dégradation des milieux (pollutions, fragmentation de l'habitat, déforestation, etc.) ; la surexploitation des espèces (chasse, pêche, récolte) ; l'introduction d'espèces exotiques (destructeurs de l'habitat comme les chèvres et les moutons, prédateurs ou compétiteurs efficaces comme les chats et les chiens, vecteurs de maladies comme les rats et les moustiques) ; les extinctions en cascade, qui résultent, par exemple, de la disparition d'une espèce clé.

On sait que c'est la réduction des effectifs et de la diversité génétique des populations qui précipite les espèces vers l'extinction et qu'il existe un lien étroit entre la superficie du milieu habitable, l'effectif des populations considérées et la richesse spécifique locale. Cela permet de souligner que le point clé, pour une conservation durable de la biodiversité, est la sauvegarde ou la restauration de milieux naturels diversifiés de superficie importante. Mais notre espèce aussi a besoin d'espace ! Là est le problème. De fait, au-delà des facteurs immédiats, qui conduisent des espèces à l'extinction, il faut considérer les causes premières, toutes liées à ce que l'on peut appeler le succès écologique de l'espèce Homo sapiens sapiens : l'augmentation de la population humaine et de ses besoins en ressources naturelles (on estime qu'elle consomme, détourne ou accapare 39 % de la production végétale terrestre) ; le poids croissant d'un système économique qui prend peu en compte l'environnement, le renouvellement des ressources naturelles et l'intérêt des générations futures ; la mondialisation de l'économie et la réduction de la gamme des produits provenant de l'agriculture, de la sylviculture ou de la pêche ; la prédominance de systèmes législatifs et institutionnels favorisant l'exploitation non durable des ressources ; l'insuffisance des connaissances et de leurs applications.

Face à cette situation de crise, trois types de mesures sont mis en œuvre pour protéger les espèces : la création d'espaces protégés, parcs ou réserves ; l'élaboration de réglementations et d'interdictions ; la protection ex situ et le recours aux techniques de réintroductions et de renforcements des populations.

Les espaces protégés

Définitions

Une aire protégée est, selon l'U.I.C.N, « une zone de terre ou de mer particulièrement consacrée à la protection de la biodiversité et des ressources naturelles et culturelles qui lui sont associées, et gérée selon des lois ou d'autres moyens efficaces ».

On compte, dans le monde entier, plus de quatre mille cinq cents aires protégées représentant, avec une superficie totale de 4,5 millions de kilomètres carrés, environ 3,5 % des terres émergées.

En France, départements d'outre-mer (D.O.M.) compris, on dénombrait, en 1997, 129 réserves naturelles (dont 7 dans les D.O.M.), couvrant 131 418 hectares en métropole et 188 149 hectares dans les D.O.M., et 7 parcs nationaux (dont 1 en Guadeloupe), s'étendant sur 353 865 hectares en métropole et 17 381 hectares en Guadeloupe.

En matière d'espace protégé, il convient d'accorder une attention particulière à ce que l'on appelle les réserves de biosphère. C'est en 1974 qu'un groupe de travail du programme sur L'Homme et la biosphère de l'U.N.E.S.C.O. émet l'idée de réserve de biosphère. L'originalité du concept, par rapport à la perception classique des réserves et à l'opinion qui prévalait à l'époque en matière de protection de la nature, est de prendre en compte simultanément les objectifs de conservation et de développement. Les réserves classiques sont définies par rapport à la nature ; les réserves de la biosphère partent d'interrogations et de réflexions sur les relations entre les sociétés humaines et leur environnement naturel. Celles-ci ont été conçues pour répondre à l'une des questions essentielles qui se posent aujourd'hui : comment concilier la conservation de la biodiversité et des ressources biologiques avec leur utilisation durable ?

Les réserves de la biosphère sont des aires protégées aménagées à titre individuel par les États, qui les soumettent à l'approbation de l'U.N.E.S.C.O. pour leur insertion dans le réseau mondial des réserves de la biosphère.

Chaque réserve de biosphère doit remplir trois fonctions fondamentales, qui sont complémentaires et interactives :

– une fonction de conservation, pour assurer la sauvegarde des paysages, des écosystèmes, des espèces et de la variabilité génétique ;

– une fonction de développement, pour encourager une économie durable au niveau local sur les plans écologique, sociologique et culturel ;

– une fonction logistique, pour la recherche, la surveillance continue, la formation et l'éducation en matière de conservation et de développement durable aux niveaux local, régional et planétaire.

Ces aires comportent : une zone centrale strictement protégée, une zone tampon, où peuvent s'exercer des activités non destructrices soigneusement réglementées et une zone de transition permettant le développement d'activités économiques durables, compatibles avec l'environnement. Elles associent donc résolument la conservation – qui est leur objectif ultime – et le développement durable dans les principaux écosystèmes de la planète. Elles constituent aussi un réseau mondial de recherche et de surveillance écologique et contribuent à sensibiliser, éduquer et former aux problèmes d'environnement.

L'U.N.E.S.C.O. a approuvé la création de 324 réserves de la biosphère, dont 127 en Europe. Cinq sont implantées en France : Camargue, Cévennes, vallée du Fango (Corse), Iroise (partie de l'Atlantique s'étendant au large de la Bretagne) et Vosges du Nord.

Les attributs d'une bonne réserve

Les réserves doivent être conçues de manière à satisfaire les objectifs qui ont conduit à en décider la mise en place. Au-delà de spécificités écologiques propres aux espèces ou aux écosystèmes concernés, la théorie de la biogéographie insulaire de Robert MacArthur et Edward Wilson et les modèles de populations minimales viables constituent des bases utiles pour orienter les choix.

La taille est le premier critère à considérer, puisque la richesse spécifique des peuplements et les effectifs des populations dépendent d'abord de la superficie de l'aire protégée. Ainsi, si l'objectif est de sauvegarder une population durable d'ours grizzlis, il faudra envisager la mise en réserve de quelque 13 000 à 14 000 kilomètres carrés d'habitat favorable à cette espèce pour abriter une population viable de 50 à 90 individus. On pourra se contenter, en revanche, de réserves de quelques hectares pour préserver certaines populations d'insectes.

Un vaste débat a divisé les théoriciens de la conservation, « popularisé » par la dénomination de S.L.O.S.S., (Single Large Or Several Small). En d'autres termes, optimise-t-on mieux la conservation par une seule réserve de grande superficie ou par plusieurs petites, représentant éventuellement au total une superficie équivalente ?

C'est Jared Diamond qui, frappé par le caractère insulaire des réserves, a, le premier, en 1975, prôné explicitement l'application de règles issues de la théorie de la biogéographie insulaire pour la conception des aires protégées. La superficie, la forme et le degré d'isolation par rapport à des types de milieux similaires sont des éléments essentiels à considérer. Ainsi, de grandes réserves, d'un seul tenant, permettraient d'assurer plus efficacement la conservation de davantage d'espèces que de plus petites couvrant, au total, une même superficie ; de même, des réserves proches les unes des autres, ou liées par des corridors protégés d'habitat naturel, permettront de sauvegarder plus d'espèces que des réserves isolées ou éloignées les unes des autres.

La réponse aux questions posées par l'interrogation S.L.O.S.S. dépend de divers éléments : la différence entre les probabilités d'extinction des petites et grandes populations concernées ; le nombre des populations en cause ; l'importance des fluctuations interannuelles des conditions environnementales et spécialement leur degré de corrélation entre parcelles différentes ; la probabilité de recolonisation après extinction locale.

Ainsi, quatre petites réserves pourront conférer un temps de persistance supérieur à celui d'une seule grande réserve de même surface totale s'il n'y a pas de possibilité de recolonisation et si les fluctuations des conditions environnementales ne sont pas corrélées dans les petites réserves entre elles.

Les mesures légales

Les listes rouges

Actuellement, deux organisations internationales définissent le statut des espèces animales et végétales du globe : l'U.I.C.N., qui s'occupe de toutes les espèces, et la Convention sur le commerce international des espèces en danger (C.I.T.E.S.).

Le système actuel de classification des espèces en danger s'est développé à partir de l'usage des livres ou listes rouges de l'U.I.C.N. Au début des années 1960, le rôle de ces documents était de fournir l'information sur la distribution géographique des espèces en attirant l'attention sur celles qui se trouvaient menacées. Avec le temps, les livres rouges commencèrent à dégager des priorités et à classer les espèces par ordre croissant de besoins de conservation, en distinguant des espèces « en danger », « menacées » ou « vulnérables », selon le niveau de risque. Les résultats sont satisfaisants, au moins pour les oiseaux et les mammifères. En revanche, plantes et invertébrés furent moins bien répertoriés, et cette lacune entraîna certains biologistes à suggérer que l'on devrait plutôt concentrer les efforts sur la conservation des peuplements et des écosystèmes en danger. Ainsi, certains pays ciblent maintenant leurs lois sur la protection des milieux.

De nombreux États ont utilisé le modèle des listes rouges pour définir leurs propres approches de la protection des espèces en danger. Utile en général, ce système a pu occasionnellement provoquer des bévues. En particulier, une espèce à vaste répartition et en pleine vitalité est parfois perçue comme rare, parce que considérée dans un pays situé en bordure de son aire géographique. L'avocette et le balbuzard pêcheur en sont d'excellents exemples. Depuis 1950, ces deux espèces ont recolonisé la Grande-Bretagne, où des naturalistes avisés ont soigneusement gardé leurs nids et suivi leurs populations. Ainsi, ces deux espèces ont inspiré une attention conservationniste croissante, bien qu'aucune ne fût en danger à l'