Al7fr20tepa0109 Sequence 01

Embed Size (px)

Citation preview

  • Squence 1-FR20

    Les genres narratifs :le conte, la nouvelle,le roman

    >

    27

    Objet dtude : Le rcit : la nouvelle

    Objectif : Faire apparatre le fonctionnement et la spcificit des genres narratifs

    Perspective dominante : tude des genres et registres

    Textes et uvres : Groupement de textes autour de la nouvelle

    Cned Acadmie en ligne

  • Chapitre 1 > La varit des genres narratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

    A Problmes de dfinitions B Narrations littraires et non littraires C Le conte : une tude du Petit Chaperon rouge de Charles Perrault

    > Fiche Mthode 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Histoire littraire : le conte

    D Exercice bilan sur le conte

    Chapitre 2 > Lire une nouvelle raliste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

    A Dcouverte dun genre : la nouvelle B Une nouvelle raliste : Toine, Guy de Maupassant (1885) (texte intgral) C tude analytique de Toine

    > Fiche Mthode 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Histoire littraire : la nouvelle

    Chapitre 3 > La nouvelle fantastique du XIXe au XXe sicle . . . . . . . . . . . . . 60

    A tude analytique de La Cafetire, Thophile Gautier (1831) B tude analytique de La Demeure dAstrion, Jorge Luis Borges (1949) (texte intgral)

    > Fiches Mthode 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Le registre fantastique

    Expliquer un texte narratif

    Lcriture dinvention

    Histoire littraire : le roman

    29Sommaire squence 1-FR20

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 3131

    La varit des genres narratifs

    A Problmes de dfinitions

    Dans lexpression genres narratifs , on retrouve le terme narration et le verbe narrer issu du latin narrare qui signifie : exposer dans le dtail . La narration suppose donc un agencement, une organisation du rcit ; narrer, ce nest pas dire quelque chose nimporte comment.

    La narration est donc une manire de prsenter des vnements et doit tre distingue de lhistoire qui est le contenu ou le sujet du rcit.

    Rcit = histoire + narration

    B Narrations littraires et non littrairesLisons maintenant quatre textes.

    texte 1 Joey Starr (de son vrai nom Didier Morville), le chanteur de NTM, comparaissait hier pour coups et blessures

    volontaires contre une htesse de lair et outrages agents de la force publique. Joey Starr est venu, pas lhtesse de lair. Elle a retir sa plainte la suite dun accord lamiable . Une somme substantielle lui aurait t verse et des excuses adresses.

    Michel Holtz, Libration, jeudi 28 janvier 1999.

    texte 2 Cest le lendemain des noces du comte Michel Szmiotf et de mademoiselle Ivinska. Durant la nuit, le

    narrateur a t veill par un bruit trange.

    Vers onze heures, je me rendis au salon, o je trouvai beaucoup dyeux battus et de mines dfaites ; jap-pris en effet quon avait quitt la table fort tard. Ni le comte ni la jeune comtesse navaient encore paru. onze heures et demie, aprs beaucoup de mchantes plaisanteries, on commena murmurer, tout bas dabord, bientt assez haut. Le docteur Froeber1 prit sur lui denvoyer le valet de chambre du comte frapper la porte de son matre. Au bout dun quart dheure, cet homme redescendit, et, un peu mu, rapporta au docteur Froeber quil avait frapp plus dune douzaine de fois, sans obtenir de rponse. Nous nous consultmes, madame Dowghiello2, le docteur et moi. Linquitude du valet de chambre mavait gagn. Nous montmes tous les trois avec lui. Devant la porte, nous trouvmes la femme de chambre de la jeune comtesse tout effare, assurant que quelque malheur devait tre arriv, car la fentre de madame tait toute grande ouverte. Je me rappelai avec effroi ce corps pesant tomb devant ma fentre. Nous frappmes grands coups. Point de rponse. Enfin le valet de chambre apporta une barre de fer, et nous enfonmes la porte... Non ! le courage me manque pour dcrire le spectacle qui soffrit nos yeux. La jeune comtesse tait tendue morte sur son lit, la figure horriblement lacre, la gorge ouverte, inonde de sang. Le comte avait disparu, et personne depuis na eu de ses nouvelles.

    Le docteur considra lhorrible blessure de la jeune femme.

    _ Ce nest pas une lame dacier, scria-t-il, qui a fait cette plaie... Cest une morsure!.......................

    Prosper Mrime, Lokis (1869)

    1. Mdecin charg de soigner la mre du comte, moiti folle.2. La mre de la comtesse

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2032

    texte 3 Le 20 fvrier 1662, Molire pouse, lglise de Saint-Germain-LAuxerrois, Armande Bjart (elle a une

    vingtaine dannes de moins que lui). Dans la magnifique salle du Palais-Royal quelle partage avec la troupe des Comdiens Italiens, et o elle restera jusqu la mort de Molire, la troupe triomphe dans Lcole des femmes. Molire reoit la premire pension accorde par un roi un comdien.

    Extrait dune Histoire littraire du XVIIe sicle.

    Exercice autocorrectif n 1

    Quelles indications nous sont fournies par le paratexte3 ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 1 la fin du chapitre

    Exercice autocorrectif n 2

    Quel est le thme de chacun de ces extraits ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 2

    Nous voici donc en face de quatre narrations bien diffrentes les unes des autres. Dans deux cas (larticle consacr Joey Starr et lextrait de la biographie de Molire), lintention de lauteur est seulement dinformer le lecteur, de lui faire connatre certains vnements sans recherche particulire au niveau artistique ou stylistique ; seule la clart est ncessaire. Ce sont des narrations non littraires.

    Regardons de plus prs le texte n2. Lauteur, Mrime, vise crer un suspense , une atmosphre de mystre, puis dhorreur.Il ne sagit pas seulement, comme dans les narrations non littraires de rapporter une succession dv-nements. Il y a aussi une intention esthtique4, la narration est orne de descriptions et de discours. Elle nest pas pure . Cest le critre essentiel qui distingue la narration littraire de la non littraire.

    C Le conte : une tude du Petit Chaperon rougede Charles Perrault

    Objectif Nous vous proposons de redcouvrir un conte que vous connaissez tous pour en tudier la structure et les aspects propres ce genre littraire.

    Le Petit Chaperon rouge

    Il tait une fois une petite fille de Village, la plus jolie quon et su voir ; sa mre en tait folle, et sa mre-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on lappelait le Petit chaperon rouge.

    Un jour sa mre, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comme se porte ta mre-grand, car on ma dit quelle tait malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. Le petit chaperon rouge partit aussitt pour aller chez sa mre-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un bois elle rencontra compre le Loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il nosa, cause de quelques Bcherons

    3. Paratexte : Ensemble des lments textuels daccompagnement dune uvre crite (titre, ddicace, prface, notes, etc.). (le petit larousse 2003)4. Esthtique : qui a un rapport au sentiment, la perception du beau . (Le petit Larousse 2003)

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 33

    qui taient dans la Fort. Il lui demanda o elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas quil est dangereux de sarrter couter un Loup, lui dit : Je vais voir ma Mre-grand, et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma Mre lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le Loup. Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, cest par del le moulin que vous voyez tout l-bas, l-bas, la premire maison du Village. H bien, dit le Loup, je veux laller voir aussi ; je my en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-l, et nous verrons qui plus tt y sera.

    Le Loup se mit courir de toute sa force par le chemin qui tait le plus court, et la petite fille sen alla par le chemin le plus long, samusant cueillir des noisettes, courir aprs des papillons, et faire des bouquets des petites fleurs quelle rencontrait.

    Le Loup ne fut pas longtemps arriver la maison de la Mre-grand ; il heurte : Toc, toc. Qui est l ? Cest votre fille le petit chaperon rouge (dit le Loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mre vous envoie. La bonne Mre-grand, qui tait dans son lit cause quelle se trouvait un peu mal, lui cria : Tire la chevillette, la bobinette cherra. Le Loup tira la chevillette, et la porte souvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dvora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours quil navait mang. Ensuite il ferma la porte, et salla coucher dans le lit de la Mre-grand, en attendant le petit chaperon rouge, qui quelque temps aprs vint heurter la porte. Toc, toc. Qui est l ? Le petit chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur dabord, mais croyant que sa Mre-grand tait enrhume, rpondit : Cest votre fille le petit chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mre vous envoie. Le Loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : Tire la chevillette, la bobinette cherra. Le petit chaperon rouge tira la chevillette, et la porte souvrit.

    Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. Le petit chaperon rouge se dshabille, et va se mettre dans le lit, o elle fut bien tonne de voir comment sa Mre-grand tait faite en son dshabill. Elle lui dit : Ma mre-grand, que vous avez de grands bras ! Cest pour mieux tembrasser, ma fille. Ma mre-grand, que vous avez de grandes jambes ! Cest pour mieux courir, mon enfant. Ma mre-grand, que vous avez de grandes oreilles ! Cest pour mieux couter, mon enfant. Ma mre-grand, que vous avez de grands yeux ! Cest pour mieux voir, mon enfant. Ma mre-grand, que vous avez de grandes dents ! Cest pour te manger. Et en disant ces mots, ce mchant Loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea.

    Moralit On voit ici que de jeunes enfants, Surtout de jeunes filles Belles, bien faites, et gentilles, Font trs mal dcouter toute sorte de gens, Et que ce nest pas chose trange, Sil en est tant que le loup mange. Je dis le loup, car tous les loups Ne sont pas de la mme sorte ; Il en est dune humeur accorte, Sans bruit, sans fiel et sans courroux, Qui privs, complaisants et doux, Suivent les jeunes Demoiselles Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ; Mais hlas ! Mais hlas ! qui ne sait que ces Loups doucereux, De tous les Loups sont les plus dangereux.

    Charles Perrault, Le Petit Chaperon rouge, Version originalein Contes de ma mre lOye (1697)

    Le Petit Chaperon rouge Imagerie dPINAL 2004

    Reproduction Interdite

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2034

    tude de la structure du conte

    Pour rpondre aux questions suivantes, lisez trs attentivement le conte.

    Lisez la moralit et dduisez-en le but de lauteur.

    Relevez les personnages du conte. Classez-les (hros, adjuvants, opposants du hros).

    Observez le cadre spatio-temporel. En quoi relve-t-il dune tradition propre ce genre littraire ?

    Faites un schma actantiel du conte selon le modle ci-dessous.

    Sujet

    Le hros

    Objet

    La qute

    Destinateur(s)

    Ce qui (ou ceux qui) pousse(nt) le hros

    au dpart

    Destinataire(s)

    Ce quoi (ou ceux qui) est destine la

    qute du hros

    Opposant(s)

    Ce qui (ou ceux qui) soppose(nt) au hros

    Adjuvant(s)

    Ce qui (ou ceux qui) aide(nt) le hros

    Le sujet ou le hros accomplit laction.

    Lobjet est le but de laction.

    Ladjuvant aide le sujet.

    Lopposant le contrarie.

    Le destinateur est la force ou la personne qui fait agir le sujet.

    Le destinataire est le bnficiaire de laction du hros.

    Remarque Souvent adjuvant, opposant, destinateur sont des choses ou des principes. Ce schma nest pas toujours strictement applicable. Parfois, un mme personnage peut aussi occuper deux fonctions dans le schma.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 35

    Une histoire pour quoi faire ?(Rponses aux questions)

    1. La moralit, le but de lauteur

    Le conte, dans la tradition orale, est un rcit daventures imaginaires, destin distraire, voire aider lenfant (ou ladulte) sextraire de la peur o le place sa condition humaine. Il lui propose un parcours initiatique qui, pour tre imaginaire, nen parle pas moins son inconscient.

    Le conte traditionnel a un seul et mme schma de base. Cest ce que le linguiste russe Vladimir Propp a montr dans son essai La Morphologie du conte.

    Cest un rcit toujours bref, complet, clos, que lon peut schmatiser de la faon suivante :

    Une situation initiale

    Un lment perturbateur

    Des pripties et des preuves

    Une situation finale

    stable qui tablit une rupture dans le quotidien

    dans un parcours initiatique

    un dnouement heureux qui rtablit une situation

    stable

    Si le schma narratif du conte est simple et mme strotyp, en revanche, cest un rcit interprter. Il parle au conscient comme linconscient des lecteurs et auditeurs, et sancre puissamment dans la culture du pays o il prend naissance, rvlant ainsi ltat des socits, de leurs murs et coutumes, des religions et des idologies dominantes.

    Le conte devenu genre littraire est toujours un rcit narratif en prose. Il fait le plus souvent intervenir le merveilleux.

    La moralit et le but de lauteur

    Les contes de Charles Perrault, auteur du XVIIe sicle, contemporain de La Fontaine, sont un peu diffrents. Ce sont des contes moraux : la volont de distraire ou de construire, sajoute celle de faire rflchir et de critiquer.

    Perrault a ici une intention satirique : tous les loups ne sont pas de mme sorte, lit-on ! Lauteur vise tous les gens malhonntes et capables de dvoyer les jeunes filles, sous le rgne de Madame de Maintenon. Il est une invitation la prudence :De jeunes filles,Belles, bien faites et gentilles,Font trs mal dcouter toute sorte de gens.

    Il est aussi une invitation une rflexion au-del du conte lui-mme :Mais hlas qui ne sait que ces loups doucereuxDe tous les loups sont les plus dangereux,dit la moralit du conte , ces quelques phrases qui le suivent pour en prciser le sens.

    Juge dune socit, Perrault se heurte aux problmes qui assaillent les auteurs de son temps (et de tous les temps) : la censure.

    Pour viter la censure, les auteurs choisissent gnralement pour leurs fictions un loignement dans le temps (cest le cas pour les romans historiques), dans lespace (pensez Candide de Voltaire ou aux Lettres persanes de Montesquieu), et bien sr des histoires trs irrelles, dont, selon la formule consacre, toute ressemblance avec une personne existant, ou ayant exist, est exclue .

    Perrault choisit, pour sa part, la forme apparemment inoffensive du conte (tmoin du succs de sa ruse : le transfert du Petit Chaperon rouge dans la littrature enfantine !). La jeune imprudente du XVIIe sicle devient petite fille de village. Lintrigant malhonnte, un loup. Si la Cour apparat ici avec ses dangers, ses vices et ses cruauts, cest sous couvert de la fort qui abrite les personnages du conte : honni soit qui mal y pense et songe dnoncer un auteur si innocent !

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2036

    La porte morale du rcit est ici bien protge par le refus de prcision (voyez les termes de la mora-lit !) et par linsertion dans latemporalit du conte.

    Ainsi la structure du conte reste-t-elle celle du conte traditionnel et cest ce qui nous intresse avant tout.

    2. Les personnages

    On rencontre dans le conte quatre personnages : la mre le Petit Chaperon rouge le loup la mre-grand

    Ces personnages sinsrent dans la tradition littraire du conte : ils accomplissent, au cours de laction, les mmes actes, rpondent aux mmes besoins, et font le mme parcours que ceux des contes traditionnels.

    Les hros, comme nous lavons vu dans la premire partie, font un voyage initiatique qui les mne de leur enfance (le plus souvent reprsente par la maison familiale) lge adulte, ge suppos de laccomplissement, de lpanouissement, du dpassement des peurs (le plus souvent symbolis par le royaume ou le mariage royal), aprs beaucoup dpreuves, en un parcours jalonn de dangers, mais sur lequel les accompagnent des personnages amis (les adjuvants, ceux qui aident) et des personnages antipathiques, voire dangereux (les opposants, ceux qui sopposent lavance du hros).

    La mre reprsente ici un point de dpart.

    Lenvoi et le dpart sont des constantes du conte traditionnel : cest ce qua mis en vidence le linguiste russe Todorov, dans son essai trs connu : Thorie de la littrature. Il y a toujours un personnage qui envoie (un des parents, le plus souvent) et un personnage qui part (un enfant gnralement).

    Chez Perrault, cet envoi existe dans Le Petit Poucet, par exemple, ou dans Les Fes.

    Ici, la mre envoie le Chaperon chez la grand-mre. Le Chaperon part. La mre est le point denvoi de lenfant dans le monde.

    Le Petit Chaperon rouge est le hros du conte.

    Cest aussi le seul personnage tre identifi.

    Le loup, la mre, la mre-grand, sont en effet des noms communs . Lanonymat est entirement prserv. On ne connat deux que leur statut familial ou leur animalit, dans le cas du loup.

    Par rapport eux, le Petit Chaperon rouge a : une importance : personnage premier et hros du rcit, celui qui va, celui qui voyage travers la vie. une identit : Petit Chaperon rouge, mme si elle se limite cette qualification.

    La mre-grand a fait faire pour lenfant un capuchon (chaperon = chape = capuchon) et le person-nage est dsign par cette partie de son habillement.

    Cest l une synecdoque (ainsi appelle-t-on cette figure de style qui prend la partie pour le tout) qui restera clbre.Les adjectifs ( petit et rouge ) et le substantif ( chaperon ) sont passs ENSEMBLE dans la classe des noms propres ! Les majuscules Petit et Chaperon en sont la preuve.

    Lexpression entire Petit Chaperon rouge deviendra une expression consacre.

    Le loup

    Pour lui, deux remarques :

    sa personnification : le rcit le fait voluer comme un humain, parmi les humains. Il parle, se couche, shabille , va et vient, et ne se tient nullement son rle danimal non pensant : cest un loup mal intentionn .

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 37

    La dsignation Compre le loup le classe, elle aussi, du ct des hommes, dans le systme par lequel ils dsignent leurs semblables.

    son insertion, lui aussi, dans la tradition littraire du conte. Cest un avatar (au sens premier de incarnation, mtamorphose ou transformation ) du dragon que lon trouve dans les contes du monde entier et auquel certains pays prfrent lours (pays nordiques) ou le lion (contes africains). Culture oblige ! Nature, aussi ! Ici, Perrault choisit le dragon de nos forts : un loup !

    Dans La Psychanalyse des contes de fes, Bruno Bettelheim propose une interprtation freudienne des contes. Ainsi fait-il par exemple du loup, le personnage masculin du conte, incarnation des ten-dances animales qui sont en nous, et avatar du pre, qui dvore le Chaperon et dpasse le tabou de linceste, laissant lenfant sans repres Vous pourrez lire avec intrt cet essai, sans forcment rduire ainsi la porte (et la magie !) des contes

    La mre-grand est, pour sa part, le point darrive prvu du Chaperon rouge.

    Cest grce elle, sa maladie et sa vieillesse impotente, que le conte peut aller vers son dnouement. Sans elle, pas de voyage travers la fort, pas de voyage travers le monde. Sans elle, le chaperon, pour navoir pas err, ne grandirait pas !

    Les quatre personnages sont entours dune socit encore plus anonyme et plus fondue queux-mmes, et reprsente par :

    quelques bcheronsavec imprcision :1. dans le nombre (combien ?) ;2. dans le dtail : pourquoi sont-ils l ? sur le chemin ? comment ? que font-ils ?(lnigme est renforce par la formulation imprcise de la relative : qui taient l ).

    on (dans On lappelait, on ma dit, on et su voir).

    Ce on reprsente ceux qui forment lentourage du Petit Chaperon rouge, et dont nous ne saurons rien dautre que ces quelques faits qui marquent leur relation lenfant. Le fond sur lequel voluent (ce sont, notons-le, les deux personnages mobiles de lhistoire) loup et Chaperon est flou : le cadre galement.

    3. Le cadre spatio-temporel

    Le cadre spatial Certains critiques ont parl, pour ce conte, dun paysage dIle-de-France, avec son chemin bord de noisetiers qui conduit au moulin et sa fort o travaillent des bcherons : rien dans le texte de Perrault ne permet de formuler une telle hypothse, mme si le paysage est bien franais et si lon a pu pr-tendre que Perrault avait donn des tres que la tradition avait faits imprcis et incertains [...] une patrie et une poque .

    linverse, partir du relev suivant :

    une petite fille de village, une grand-mre qui demeure dans un autre village , le moulin que vous voyez l-bas, tout l-bas, la premire maison du village, ce chemin,

    peut-on dduire lexistence dun cadre rural ? Petite fille de village soppose seulement petite cita-dine (on ne dfinit par l que lenfant elle-mme). Un autre village ne dfinit que la singularisation, tandis que le dterminant complmentaire autre ne dfinit que la diffrence (par opposition mme : du mme village ). Dans le moulin, larticle dfini le ne sert qu introduire une proposition relative dans laquelle la prcision se limitera un adverbe, complment circonstanciel des plus vagues : l-bas, tout l-bas. Dans ce chemin, ce, dmonstratif, implique des circonstances extralinguistiques (en loccurrence, le geste que fait le Petit Chaperon rouge, geste que nous ne connaissons pas rellement, qui ne nous est pas dcrit !).

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2038

    Le cadre est donc, par le truchement dune telle expression, rduit un schma :

    un village un chemin un moulin un autre village

    Ce cadre ne sert qu justifier le cheminement du Chaperon dun village lautre, dire le ncessaire voyage du conte, la ncessaire errance vers lge adulte, ici avorte.

    Le conte, au contraire de la lgende, ne se dfinit pas par rapport un lieu. Il ne tire pas sa coloration affective du lieu o lhistoire se droule ou sest droule : il est de tous les temps et de tous les pays.

    Le cadre temporel Il prsente la mme imprcision que le cadre spatial :Il tait une fois ; un jour

    Le traditionnel Il tait une fois est le signe du refus de situer le conte dans une poque. Un seul indice nous est donn, implicitement : la mode du chaperon !Il tait une fois ; un jour font partie du mme champ smantique quun village, champ smantique dune imprcision due la fois des substantifs qui dsignent des ralits globales (ni singularises, ni dcrites) et des articles indfinis (refus dindividualiser).

    Cette imprcision permet la gnralisation et lidentification : chaque lecteur peut prendre pour lui lexprience du Petit Chaperon rouge.

    Lexpression Il tait une fois, qui fait partie de la langue des contes, prsente un intrt tout particulier : elle est hrite de la tradition orale ; elle passe les frontires (Once upon a time, dit-on en Angleterre) ; elle est porte ouverte sur le merveilleux, un merveilleux hors du temps et universel.

    4. Le schma actantiel du conte

    Sujet

    Le Petit Chaperon rouge

    Objet

    La qute

    Destinateur(s)

    La mre

    Destinataire(s)

    La mre-grand

    Opposant(s)

    Le loup

    Adjuvant(s)

    aucun

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 39

    On notera ici avec intrt que les frres Jacob et Wilhelm Grimm ont au XIXe sicle, aprs Perrault, la fin du XVIIe sicle, repris le conte et modifi ce dnouement. Voici leur version de la fin du Petit Chaperon rouge.

    ()Oh ! grand-mre, quelle grande bouche et quelles terribles dents tu as !

    - Cest pour mieux te manger, dit le loup, qui fit un bond hors du lit et avala le pauvre Petit Chaperon rouge dun seul coup.Sa voracit satisfaite, le loup retourna se coucher dans le lit et sendormit bientt, ronflant de plus en plus fort. Le chasseur, qui passait devant la maison lentendit et pensa : Qua donc la vieille femme ronfler si fort ? Il faut que tu entres et que tu voies si elle a quelque chose qui ne va pas. Il entra donc et, sappro-chant du lit, vit le loup qui dormait l.- Cest ici que je te trouve, vieille canaille ! dit le chasseur. Il y a un moment que je te cherche... Et il allait pauler son fusil, quand, tout coup, lide lui vint que le loup avait peut-tre mang la grand-mre et quil pouvait tre encore temps de la sauver. Il posa son fusil, prit des ciseaux et se mit tailler le ventre du loup endormi. Au deuxime ou au troisime coup de ciseaux, il vit le rouge chaperon qui luisait. Deux ou trois coups de ciseaux encore, et la fillette sortait du loup en scriant :- Ah ! comme jai eu peur ! Comme il faisait noir dans le ventre du loup !Et bientt aprs, sortait aussi la vieille grand-mre, mais ctait peine si elle pouvait encore respirer. Le Petit Chaperon rouge se hta de chercher de grosses pierres, quils fourrrent dans le ventre du loup. Quand celui-ci se rveilla, il voulut bondir, mais les pierres pesaient si lourd quil saffala et resta mort sur le coup.Tous les trois taient bien contents : le chasseur prit la peau du loup et rentra chez lui ; la grand-mre mangea la galette et but le vin que le Petit Chaperon rouge lui avait apports, se retrouvant bientt son aise. Mais pour ce qui est du Petit Chaperon elle se jura : Jamais plus de ta vie tu ne quitteras le chemin pour courir dans les bois, quand ta mre te la dfendu.

    Exercice autocorrectif n 3Aprs avoir lu cette version des frres Grimm, comparez-la avec celle du conte de Perrault : quels sont les changements et comment les justifiez-vous ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 3

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2040

    iche Mthode

    Histoire littraire : le conte

    Le mot Le terme conte vient de conter , lui-mme issu du latin computare, compter , calculer , supputer .

    Le conte dsigne un rcit de fiction, ordinairement court qui expose, une poque indtermine, des aventures et des personnages ressortissant souvent limaginaire collectif.

    Dfinition Le conte dsigne diverses formes de rcits brefs, qui se diffrencient par leurs contenus, leurs destinatai-res (public adulte ou adulte et enfantin), leurs origines (populaires ou relevant de linvention totale).

    Dans le conte, lnonciation (ici le caractre lorigine oral) est mise en relief. On peut parler de conte, ds que quelquun raconte quelque chose explicitement des auteurs fictifs ou des lecteurs. Grce au conteur, une distance sinstaure entre le lecteur et lunivers du conte.

    Ainsi, on considre lheure actuelle que les Contes et Nouvelles en vers de La Fontaine, publis entre 1664 et 1685, sont des contes parce que le narrateur intervient constamment dans le rcit :

    Contons ; mais contons bien ; cest le point principal ; cest tout. [] Les Oies de frre Philippe

    Origines du genre Le conte est universel. Ses provenances sont multiples ; ainsi les Mille et Une Nuits5 comprennent des contes dorigine diverse (Perse, gypte, Inde, Chine) ; un mme conte, comme Cendrillon, apparat la mme poque, dans des lieux fort loigns les uns des autres.

    Lorigine du conte est immmoriale : on en trouve le premier tmoignage sur un papyrus, en gypte au XIIe sicle avant Jsus-Christ.

    Ses caractristiques Le conte populaire se dfinit dabord par son caractre oral ; il est vivant car il dpend de la person-nalit des conteurs successifs. Il saffiche comme une fiction (la lgende, au contraire prtend sappuyer sur des faits rels), dans un temps indtermin caractris par la fameuse formule : Il tait une fois . Il chappe une localisation prcise. Le merveilleux y intervient sous la forme dun personnage (fe, sorcire, ogre, gnie), dun objet (baguette, anneau, miroir magiques), dun animal.

    Ses fonctions Le conte populaire a souvent une fonction didactique6 ou initiatique. Par exemple, Le Petit Chaperon rouge de la tradition orale est non seulement un avertissement aux jeunes filles (Mfiez-vous des inconnus !), mais aussi une initiation la vie sexuelle : lhrone se dvt, se met au lit avec le loup quelle voit dans son dshabill et il y a toute une thmatique de la piqre travers le langage de la couture et de la dentelle.

    volution Le conte littraire, en vers ou en prose, fixe le rcit par crit. Il devient alors luvre dun auteur au style aisment identifiable : pensez aux contes de Perrault7 ou dAndersen8. Le conte entre dans la littrature franaise au XVIIe sicle, essentiellement grce Perrault qui sappuie presque toujours sur la tradition orale. Par la suite, les frres Grimm9 affirmeront leur intention de sauver le patrimoine folklorique.

    5. Mille et Une Nuits : recueil de contes arabes traduits en franais par A. Galland : Ali Baba et les quarante voleurs ; Voyages de Sindbad le marin6. Didactique : qui a pour objet dinstruire.7. Charles Perrault (1628/1703) : crivain franais, auteur des Contes de ma mre lOye et de trois contes en vers.8. Andersen (1805/1875) : crivain danois, auteur de Contes (Le Vilain Petit Canard).9. Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859) Grimm : linguistes et crivains allemands qui runirent de nombreux contes populaires germaniques : Contes denfants

    et du foyer (Blanche Neige, Hansel et Gretel)

    iche Mthode 1

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 41

    Les caractristiques du conte

    LnonciationLe narrateur, image de lauteur, (ainsi, ma mre lOye reprsente Perrault) est toujours prsent dans le conte. Il y assume le rle dun intermdiaire qui transmet une histoire prexistante ou trs ancienne. Un rcit oral lui est frquemment attribu. Il na pas lair de faire uvre de cration littraire. Il fonctionne donc comme un mdiateur entre le lecteur et la fiction.

    Lnonciation proprement dite est variable : tantt la premire personne apparat, tantt elle napparat pas.

    Le schma narratif

    partir dun corpus de rcits russes, Vladimir Propp a dgag un schma quil pensait valable pour les contes essentiellement merveilleux :

    tat initial lment perturbateur qui cre un manque, ou bien mfait social. Pripties Rparation finale

    Si lon examine le Chat bott de Perrault, le schma convient :

    Il tait une fois un meurtrier qui avait trois fils. la mort du meunier, le partage entre les trois fils est ingal, le troisime na que le chat. Le chat entreprend de faire la fortune de son matre diverses pripties. Le marquis de Carabas pouse la princesse.

    Le rcit est encadr par des formules plus ou moins figes :

    - le narrateur donne le signal de dpart dans lincipit :

    Il tait une fois ;

    - il indique clairement la fin par une phrase de clture du type : Ils se marirent, vcurent trs heureux et eurent beaucoup denfants .

    Ces tournures situent le conte dans limaginaire et le symbolique : il nat une complicit entre le narrateur et le lecteur.

    Lunivers du conte

    Laction, rejete dans le pass, se situe dans un univers qui nest pas celui du monde rel. Contrairement la lgende, le conte ne prtend pas sappuyer sur des faits authentiques. Le rcit repose sur une intrigue fictive ( do le merveilleux, linvraisemblable). Dailleurs le mot conte a conserv en franais moderne le sens d affabulation (Exemple : Quel conte !).

    Le conte joue sur les contrastes : le Bien soppose au Mal, mais aussi le beau au laid, le petit au grand, lenfant ladulte, le jeune au vieux, le pauvre au riche Tout est pouss lextrme, de manire simpliste.

    Le personnage du conte correspond un type caractris par un trait dominant : tourderie du Chaperon rouge, esprit rflchi du petit Poucet, serviabilit, jalousie, bont, mchancet, intelligence, btise Les personnages nont pas de profondeur psychologique. Aussi, ce sont les situations qui comptent.

    La signification du conte

    En opposition avec la simplicit apparente, on trouve dans le conte une symbolique trs forte. Nanmoins, au-del de la signification vidente, il existe souvent des sens cachs, autorisant plusieurs niveaux de

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2042

    lecture. Cest ce qui explique que beaucoup de contes peuvent tre lus par les enfants qui les prennent au sens premier et par des adultes qui cherchent les autres significations. Ainsi, Le Chat bott plat aux enfants par la reprsentation des aventures dun animal domestique qui lon prte des pouvoirs merveilleux, tandis que les adultes y voient lhistoire dune ascension sociale, celle dun jeune homme au physique avantageux aid par un ami particulirement habile.

    Conclusion Les fonctions principales du conte sont :- une fonction phatique ou de contact : il sagit de crer un lien entre le narrateur et le lecteur ;

    - une fonction didactique : le rcit est mis au service de la morale ou dides philosophiques ;

    - son but peut aussi tre le divertissement, lvasion (Les Mille et Une Nuits).

    Le passage lcrit a fait apparatre une autre ligne, celle des crations totalement littraires, dgages de toute tradition populaire :

    - les contes moraux, comme ceux de Mme dAulnoy10

    - les contes philosophiques avec Voltaire, au XVIIIe sicle ; il met ce genre bref et didactique au service dides philosophiques (Micromgas, 1752 ; Candide, 1759 ; LIngnu, 1767) ;

    Les contes fantastiques au XIXe sicle, par exemple avec Hoffmann (Les Contes nocturnes 1816-1817) ou Villiers de LIsle-Adam (Contes cruels, 1883).

    Selon lanthropologue Lvi-Strauss, les contes sont des mythes11 en miniature. Selon les psychanalys-tes, ils structurent linconscient collectif ou bien expriment des ralits pressenties par lenfant (Bruno Bettelheim). Ils permettent alors lvacuation des angoisses.

    10. Mme dAulnoy (1650-1705) : Femme de lettres franaise, auteur de contes de fes, (Les Illustres Fes).11. Mythe : rcit mettant en scne des tres surhumains et des actions remarquables. Sy expriment les principes et valeurs de telle ou telle socit et, plus gnralement,

    y transparat la structure de lesprit humain.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 43

    D Exercice bilan sur le conte

    Lisons ensemble le dbut dun conte clbre.

    Il tait une fois un bcheron et une bcheronne qui avaient sept enfants, tous des garons. Lan navait que dix ans et le plus jeune nen avait que sept. On stonnera que le bcheron ait eu tant denfants en si peu de temps ; mais cest que sa femme allait vite en besogne, et nen faisait pas moins de deux la fois. Ils taient trs pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce quaucun deux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, cest que le plus jeune tait fort dlicat et ne disait mot : prenant pour btise ce qui tait une marque de la bont de son esprit. Il tait tout petit, et quand il vint au monde, il ntait gure plus gros que le pouce, ce qui fit que lon lappela le petit Poucet. Ce pauvre enfant tait le souffre-douleurs de la maison, et on lui donnait toujours tort. Cependant il tait le plus fin, et le plus avis de tous ses frres, et sil parlait peu, il coutait beaucoup.

    Il sagit, vous laurez reconnu, de lincipit12 du Petit Poucet, un des Contes de ma mre lOye publi en 1697 par Charles Perrault.

    Exercice autocorrectif n 4Rpondez aux questions suivantes :

    Quelles sont les marques de loralit conserves par Perrault ? Quel est le ton employ par lauteur ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 4

    Commentons ensemble la premire phrase du texte.

    Commenter, cest tudier simultanment le fond, (lide) et la forme. Les remarques relatives au style soulignent toujours leffet produit et sont indissociables de lide ou du sentiment expos.

    Que faut-il entendre par la forme ?

    ltude du lexique (ou vocabulaire), les procds rhtoriques (ou procds de style), la versification sil sagit dun pome, la syntaxe, en particulier le jeu des personnes et des temps (par exemple la frquence du je ,

    lemploi des temps du pass), mais aussi celui des modes (indicatif ou conditionnel) et la simplicit ou la complexit des phrases.

    Voici ce quon pourrait dire propos de la premire phrase du Petit Poucet :Perrault commence par la formule traditionnelle : Il tait une fois , formule qui place demble lauditeur ou le lecteur dans un univers intemporel et magique. Laction est situe dans un pass ind-termin do lemploi de limparfait. Le lieu nest pas plus prcis que le temps. En revanche, le conteur sattache aux personnages : un bcheron et une bcheronne et sept enfants, tous garons . Le pre et la mre sont caractriss par un milieu social pauvre et leur pauvret est renforce par le nombre denfants. Notons les assonances des sons [] et [u], et allitrations des sons [b], [ch] et [f] ; elles produisent un effet musical qui rappelle le caractre oral du conte. Ds la premire phrase le merveilleux sinsinue : les enfants sont sept, chiffre magique et lapposition tous garons introduit un lment dtranget.

    Exercice autocorrectif n 5Commenter au brouillon la dernire phrase de ce mme paragraphe.

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 512. Incipit (du latin incipere, commencer) : ce sont les premires lignes.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20

    iche autocorrective

    44

    Exercice n 1

    Texte 1 Le paratexte est explicite : il sagit dun extrait darticle de journal. Cet article, crit par Michel Holtz, a t publi dans Libration le jeudi 28 janvier 1999.

    Texte 2 Le paratexte est beaucoup moins rvlateur. Il sagit dun extrait dune uvre intitule Lokis, publie en 1869 et crite par Prosper Mrime.

    Nanmoins, si vous vous documentez sur Mrime, vous apprendrez quil a crit des romans et des nouvelles.

    Texte 3 Il ny a pas de nom dauteur, ni de date. En revanche le type du texte est prcis : cest un extrait dune histoire littraire. (Histoire littraire du XVIIe sicle). Il sagit donc dun texte informatif.

    Exercice n 2

    Texte 1 Cet article de presse relate une comparution de Joey Starr devant le tribunal correctionnel.

    Texte 2 Cet extrait raconte la mort trange dune jeune comtesse lors de sa nuit de noces.

    Texte 3 Cest un fragment de la biographie de Molire.

    Exercice n 3

    Ce dnouement fait ressusciter la fois le Chaperon et la mre-grand. Cest peut-tre dans une volont de rendre le conte moins cruel. Cest plus vraisemblablement encore pour retrouver le dnouement heureux (beaucoup plus pdagogique ) des contes traditionnels, qui montre lenfant (lecteur ou auditeur) quil parviendra surmonter les difficults que lui inflige la vie. Contrairement Perrault, ils ont voulu garder ce caractre ducatif et optimiste du conte.

    Exercice n 4

    Lauteur conserve discrtement les marques de loralit : cest ma mre lOye qui est suppose tre la narratrice daprs le titre gnral de louvrage.

    Le conteur, ou narrateur, va au-devant des ractions de son auditoire : on stonnera . Il y a aussi dans lexpression un bcheron et une bcheronne une intention dharmonie musicale : lauditoire est berc comme lenfant qui lon raconte lhistoire avant quil ne dorme.

    13. San-Antonio est le nom du personnage principal dune srie de romans policiers ; il est suppos crire la premire personne et tre lauteur des romans ; cest un commissaire de police truculent et burlesque.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 45

    Le narrateur a de lhumour (il se moque de lui-mme) : on stonnera que le bcheron ait eu tant denfants en si peu de temps ; mais cest que sa femme allait vite en besogne et nen faisait pas moins de deux la fois. Soit trois paires de jumeaux, plus le petit Poucet !

    Exercice n 5

    La dernire phrase du paragraphe est construite sur des oppositions, ce qui est soulign par ladverbe cependant . Il existe un dcalage entre ce que son entourage pense de Poucet et ce quil est, entre le paratre et ltre : il tait le plus fin et le plus avis de tous ses frres ; les deux superlatifs sont presque plonastiques et manifestent une intelligence totale, tant dans le domaine de la comprhension ( fin ) que de laction ( avis ). Le choix du superlatif relatif renverse la hirarchie des apparences : cest le plus petit et il est seul (il na pas de jumeau), mais cest le plus dou sur le plan de lesprit, comme sur celui du cur. La fin de la phrase repose sur une double anthithse : parlait / coutait , peu / beaucoup . Elle confirme le dbut : la rflexion est le trait dominant du Petit Poucet. Remarquons que la situation dpeinte nest pas dpourvue de vraisemblance psychologique : le benjamin dune famille nombreuse, beaucoup moins fort que ses frres, est tyrannis par ces derniers et devient un peu taciturne ; il compense alors son absence de force physique par la ruse.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20

    Lire la nouvelle raliste

    46

    A Dcouverte dun genre : la nouvelle

    Lisons un extrait dune nouvelle de Mrime, La Vnus dIlle (1837).

    Le narrateur vient dans la rgion pour rendre visite M. De Peyrehorade, riche antiquaire.

    Vous tiez donc prsent la dcouverte ?

    Oui, monsieur, M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours, Jean Coll et moi, de draciner un vieil olivier qui tait gel de lanne dernire, car elle a t bien mauvaise, comme vous savez. Voil donc quen travaillant Jean Coll qui y allait de tout cur, il donne un coup de pioche, et jentends bimm comme sil avait tap sur une cloche. Quest-ce que cest ? que je dis. Nous piochons toujours, nous piochons, et voil quil parat une main noire, qui semblait la main dun mort qui sortait de terre. Moi, la peur me prend. Je men vais Monsieur, et je lui dis : Des morts, notre matre, qui sont sous lolivier ! Faut appeler le cur. Quels morts ? quil me dit. Il vient, et il na pas plutt vu la main quil scrie, Un antique ! un antique ! Vous auriez cru quil avait trouv un trsor. Et le voil, avec la pioche, avec les mains, qui se dmne et qui faisait quasiment autant douvrage que nous deux.

    Et enfin que trouvtes-vous ?

    Une grande femme noire plus qu moiti nue, rvrence parler, monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que ctait une idole du temps des paens du temps de Charlemagne, quoi !

    Exercice autocorrectif n 6

    Rpondez aux questions suivantes

    Combien y a-t-il de narrateur(s) ?

    Observez le langage de chacun des deux interlocuteurs : que nous apprend-il sur celui qui parle ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 6

    Cet extrait constitue un pisode. Dgageons-en la structure partir du schma narratif type.

    1. tat initial :

    Jean Coll et linterlocuteur du narrateur vont draciner un arbre mort, la demande de M. de Peyrehorade.

    2. Laction elle-mme

    a) lment perturbateur ou force transformatrice : en piochant, ils dcouvrent une main toute noire.

    b) Pripties (ou force rquilibrante)

    - lun des deux hommes va avertir M. de Peyrehorade quils ont trouv un cadavre ;

    - M. de Peyrehorade vient voir de quoi il sagit ;

    - reconnaissant une statue antique, il se met piocher fivreusement.

    3. tat final : ils dcouvrent la statue antique dune desse.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 47

    B Guy de Maupassant : Toine (1885) - texte intgral

    Guy de Maupassant (1850-1893) est n en Normandie ; il y passe son enfance et son adolescence. Puis, il est employ dans diffrents ministres Paris. Encourag par Flaubert14, ami de sa famille, il est prsent Zola et frquente le cercle des crivains naturalistes15. En 1880, la nouvelle Boule de Suif lui apporte la clbrit ; ds lors, il se lance dans la littrature ; il publie des contes et nouvelles souvent runis en recueil (La Maison Tellier, La Petite Roque, Le Horla), des romans (Une vie, 1883 ; Bel-Ami, 1885), des chroniques et rcits, une pice de thtre. Ds 1884, il commence souffrir de troubles nerveux qui saggravent considrablement partir de 1890. Il est intern en 1892 et meurt lanne suivante.Toine a paru le 6 janvier 1885 dans le journal Gil Blas, sign Maufrigneuse, pseudonyme frquemment utilis par Maupassant.

    Toine (Les notes du texte sont en fin de texte)

    On le connaissait dix lieues aux environs le pre Toine, le gros Toine, Toine-ma-Fine, Antoine Mchebl, dit Brlot, le cabaretier de Tournevent1.Il avait rendu clbre le hameau enfonc dans un pli du vallon qui descendait vers la mer, pauvre hameau paysan compos de dix maisons normandes entoures de fosss et darbres.Elles taient l, ces maisons, blotties dans ce ravin couvert dherbe et dajonc, derrire la courbe qui avait fait nommer ce lieu Tournevent. Elles semblaient avoir cherch un abri dans ce trou comme les oiseaux qui se cachent dans les sillons les jours douragan, un abri contre le grand vent de mer, le vent du large, le vent dur et sale, qui ronge et brle comme le feu, dessch et dtruit comme les geles dhiver.Mais le hameau tout entier semblait tre la proprit dAntoine Mchebl, dit Brlot, quon appelait dailleurs aussi souvent Toine et Toine-ma-Fine, par suite dune locution dont il se servait sans cesse : Ma Fine est la premire de France. Sa Fine, ctait son cognac, bien entendu.Depuis vingt ans, il abreuvait le pays de sa Fine et de ses Brlots2, car chaque fois quon lui demandait : Quest-ce que jallons b, p Toine ? Il rpondait invariablement : Un brlot, mon gendre, a chauffe la tripe et a nettoie la tte ; y a rien de meilleur pour le corps. Il avait aussi cette coutume dappeler tout le monde mon gendre , bien quil net jamais eu de fille marie ou marier.Ah ! oui, on le connaissait Toine Brlot, le plus gros homme du canton, et mme de larrondissement. Sa petite maison semblait drisoirement trop troite et trop basse pour le contenir, et quand on le voyait debout sur sa porte o il passait des journes entires, on se demandait comment il pourrait entrer dans sa demeure. Il y rentrait chaque fois que se prsentait un consommateur, car Toine-ma-Fine tait invit de droit prlever son petit verre tout ce quon buvait chez lui.Son caf avait pour enseigne : Au Rendez-vous des Amis , et il tait bien, le p Toine, lami de toute la contre. On venait de Fcamp et de Montivilliers pour le voir et pour rigoler en lcoutant, car il aurait fait rire une pierre de tombe, ce gros homme. Il avait une manire de blaguer les gens sans les fcher, de cligner de lil pour exprimer ce quil ne disait pas, de se taper sur la cuisse dans ses accs de gaiet qui vous tirait le rire du ventre, malgr vous, tous les coups. Et puis ctait une curiosit rien que de le regarder boire. Il buvait tant quon lui en offrait, et de tout, avec une joie dans son il malin, une joie qui venait de son double plaisir, plaisir de se rgaler dabord et damasser des gros sous, ensuite, pour sa rgalade.Les farceurs du pays lui demandaient : Pourquoi que tu ne b point la m, p Toine ?

    14. Flaubert a t considr comme un des chefs de file de lcole raliste. Le ralisme est un courant littraire et artistique de la seconde moiti du XIXe sicle qui privilgie la reprsentation exacte, non idalise, de la ralit humaine et sociale. (Le Petit Larousse 2003)15. Le naturalisme est une cole raliste groupe autour de Zola ; les naturalistes visent reproduire la ralit avec une objectivit parfaite, mme dans les aspects les plus vulgaires ; ils pensent que lindividu est dtermin par lhrdit et le milieu.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2048

    Il rpondait : Y a deux choses qui mopposent3, primo qua lest sale, et deusio qui faudrait la mettre en bouteille, vu que mon abdomin nest point pliable pour b cte tasse-l .Et puis, il fallait lentendre se quereller avec sa femme ! Ctait une telle comdie quon aurait pay sa place de bon cur. Depuis trente ans quils taient maris, ils se chamaillaient tous les jours. Seulement Toine rigolait, tandis que sa bourgeoise se fchait. Ctait une grande paysanne, marchant longs pas dchassier, et portant sur un corps maigre et plat, une tte de chat-huant en colre. Elle passait son temps lever des poules dans une petite cour, derrire le cabaret, et elle tait renomme pour la faon dont elle savait engraisser les volailles.Quand on donnait un repas Fcamp chez les gens de la haute, il fallait, pour que le dner ft got, quon y manget une pensionnaire de la m Toine.Mais elle tait ne de mauvaise humeur et elle avait continu tre mcontente de tout. Fche contre le monde entier, elle en voulait principalement son mari. Elle lui en voulait de sa gaiet, de sa renomme, de sa sant, de son embonpoint. Elle le traitait de propre rien, parce quil gagnait de largent sans rien faire, de sapas4, parce quil mangeait et buvait comme dix hommes ordinaires, et il ne se passait point de jour sans quelle dclart dun air exaspr : Ca serait-il point mieux dans ltable cochons un qutou5comme a ? Cest que dla graisse que a en fait mal au cur ; Et elle lui criait dans la figure : Espre, espre un brin ; jverrons que cquarrivera, jverrons bien ! a crvera comme un sac grain, ce gros bouffi ! Toine riait de tout son cur en se tapant sur le ventre et rpondait : Eh ! la m poule, ma planche, tche dengraisser comme a dla volaille. Tche pour voir. Et relevant sa manche sur son bras norme : En vla un aileron, la m, en vl un. Et les consommateurs tapaient du poing sur les tables en se tordant de joie, tapaient du pied sur la terre du sol, et crachaient par terre dans un dlire de gaiet.La vieille furieuse reprenait : Espre un brinespre un brinjverrons cquarriveraa crvera comme un sac grain Et elle sen allait furieuse, sous les rires des buveurs.Toine, en effet, tait surprenant voir, tant il tait devenu pais et gros, rouge et soufflant.Ctait un de ces tres normes sur qui la mort semble samuser, avec des ruses, des gaiets et des perfidies bouffonnes, rendant irrsistiblement comique son travail lent de destruction. Au lieu de se montrer comme elle fait chez les autres, la gueuse6, de se montrer dans les cheveux blancs, dans la maigreur, dans les rides, dans laffaissement croissant qui fait dire avec un frisson : Bigre ! comme il a chang ! elle prenait plaisir lengraisser celui-l, le faire monstrueux et drle, lenluminer de rouge et de bleu, le souffler, lui donner lapparence dune sant surhumaine ; et les dformations quelle inflige tous les tres devenaient chez lui risibles, cocasses, divertissantes, au lieu dtre sinistres et pitoyables. Espre un brin, espre un brin, rptait la mre Toine, jverrons cquarrivera.

    IIIl arriva que Toine eut une attaque et tomba paralys. On coucha ce colosse dans la petite chambre derrire la cloison du caf, afin quil pt entendre ce quon disait ct, et causer avec les amis, car sa tte tait demeure libre, tandis que son corps, un corps norme, impossible remuer, soulever, restait frapp dimmobilit. On esprait, dans les premiers temps, que ses grosses jambes reprendraient quelque nergie, mais cet espoir disparut bientt, et Toine-ma-Fine passa ses jours et ses nuits dans son lit quon ne retapait quune fois par semaine, avec le secours de quatre voisins qui enlevaient le cabaretier par les quatre membres pendant quon retournait sa paillasse.Il demeurait gai pourtant, mais dune gaiet diffrente, plus timide, plus humble, avec des craintes de petit enfant devant sa femme qui piaillait toute la journe : Le vl, le gros sapas, le vl le propre rien, le faignant, ce gros solot ! Cest du propre, cest du pro-pre ! Il ne rpondait plus. Il clignait seulement de lil derrire le dos de la vieille et il se retournait sur sa couche, seul mouvement qui lui demeurt possible. Il appelait cet exercice faire un va-t-au nord , ou un va-t-au-sud .Sa grande satisfaction maintenant, ctait dcouter les conversations du caf, et de dialoguer travers le mur quand il reconnaissait les voix des amis. Il criait :

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 49

    H, mon gendre, cest t Clestin ? Et Clestin rpondait : Cest m, p Toine. Cest-il que tu regalopes, gros lapin ? Toine-ma-Fine prononait : Pour galoper, point encore. Mais je nai point maigri, lcoffre est bon. Bientt, il fit venir les plus intimes dans sa chambre et on lui tenait compagnie, bien quil se dsolt de voir quon buvait sans lui. Il rptait : Cest a qui me fait deuil, mon gendre, de npu goter dma fine, nom dun nom. Lreste, je men gargarise, mais de ne point b a me fait deuil. Et la tte de chat-huant de la mre Toine apparaissait dans la fentre. Elle criait : Guettez-le, guettez-le, ctheure, ce gros fainant, quy faut nourrir, qui faut laver, qui faut nettoyer comme un porc. Et quand la vieille avait disparu, un coq aux plumes rouges sautait parfois sur la fentre, regardait dun il rond et curieux dans la chambre, puis poussait son cri sonore. Et parfois aussi, une des poules volait jusquaux pieds du lit, cherchant des miettes sur le sol.Les amis de Toine dsertrent bientt la salle du caf pour venir, chaque aprs-midi, faire la causette autour du lit du gros homme. Tout couch quil tait, ce farceur de Toine, il les amusait encore. Il aurait fait rire le diable, ce malin-l. Ils taient trois qui reparaissaient tous les jours : Clestin Maloisel, un grand maigre un peu tordu comme un tronc de pommier, Prosper Horslaville, un petit sec avec un nez de furet, malicieux, fut comme un renard, et Csaire Paumelle, qui ne parlait jamais, mais qui samusait tout de mme.On apportait une planche de la cour, on la posait au bord du lit et on jouait aux dominos, pardi, et on faisait de rudes parties, depuis deux heures jusqu six.Mais la mre Toine devint bientt insupportable. Elle ne pouvait point tolrer que son fainant dhomme continut se distraire, en jouant aux dominos dans son lit ; et chaque fois quelle voyait une partie commence, elle slanait avec fureur, culbutait la planche, saisissait le jeu, le rapportait dans le caf et dclarait que ctait assez de nourrir ce gros suiffeux7 ne rien faire sans le voir encore se divertir comme pour narguer le pauvre monde qui travaillait toute la journe.Clestin Maloisel et Csaire Paumelle courbaient la tte, mais Prosper Horslaville excitait la vieille, samusait de ses colres.La voyant un jour plus exaspre que de coutume, il lui dit : H ! la m, savez-vous cque jfrais, m, si jtais de vous ? Elle attendit quil sexpliqut, fixant sur lui son il de chouette.Il reprit : Il est chaud comme un four vothomme, qui nsort point dson lit ; Eh ben, m, jli frais couver des ufs. Elle demeura stupfaite, pensant quon se moquait delle, considrant la figure mince et ruse du paysan qui continua : Jy mettrais cinq sous un bras, cinq sous lautre, lmme jour que je donnerais la couve une poule. a natrait dmme. Quand ils seraient clos jporterais votpoule les poussins de vothomme pour qua les lve. a vous en frait dla volaille, la m ! La vieille interdite demanda : Ca se peut-il ? Lhomme reprit : Si a speut ? Pourqu que a ne pourrait point ? Pisquon fait bien couver des ufs dans une bote chaude, on peut ben en mett couver dans un lit .Elle fut frappe par ce raisonnement et sen alla, songeuse et calme.Huit jours plus tard, elle entra dans la chambre de Toine avec son tablier plein dufs. Et elle dit: Jviens dmett la jaune au nid avec dix oeufs. En vl dix pour t. Tche de npoint les casser. Toine perdu demanda : Qu que tu veux ? Elle rpondit : Jveux qutu les couves, propre rien. Il rit dabord ; puis, comme elle insistait, il se fcha, il rsista, il refusa rsolument de laisser mettre sous ses gros bras cette graine de volaille que sa chaleur ferait clore.Mais la vieille, furieuse, dclara :

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2050

    Tu nauras point dfricot8 tant que tu nles prendras point. Jverrons ben cquarrivera. Toine, inquiet, ne rpondit rien.Quand il entendit sonner midi, il appela : H ! la m, la soupe est-elle cuite ? La vieille cria de la cuisine : Y a point de soupe pour t, gros fainant. Il crut quelle plaisantait et attendit, puis il cria, supplia, jura, fit des va-t-au-nord et des va-t-au-sud dsesprs, tapa la muraille coups de poing, mais dut se rsigner laisser introduire dans sa couche cinq ufs contre son flanc gauche. Aprs quoi, il eut sa soupe.Quand les amis arrivrent, ils le crurent tout fait mal, tant il paraissait drle et gn.Puis on fit la partie de tous les jours. Mais Toine semblait ny prendre aucun plaisir et navanait la main quavec des lenteurs et des prcautions infinies. Tas donc lbras nou ? demandait Horslaville.Toine rpondit : Jai quasiment tune lourdeur dans lpaule. Soudain, on entendit entrer dans le caf. Les joueurs se turent.Ctait le maire avec ladjoint. Ils demandrent deux verres de fine et se mirent causer des affaires du pays. Comme ils parlaient voix basse, Toine Brlot voulut coller son oreille contre le mur, et, oubliant ses ufs, il fit un brusque va-t-au-nord qui le coucha sur une omelette.Au juron quil poussa, la mre Toine accourut, et devinant le dsastre, le dcouvrit dune secousse. Elle demeura dabord immobile, indigne, trop suffoque pour parler devant le cataplasme jaune coll sur le flanc de son homme.Puis frmissant de fureur, elle se rua sur le paralytique et se mit lui taper de grands coups sur le ventre, comme lorsquelle lavait son linge au bord de la mare. Ses mains tombaient lune aprs lautre avec un bruit sourd, rapides comme les pattes dun lapin qui bat le tambour.Les trois amis de Toine riaient suffoquer, toussant, ternuant, poussant des cris, et le gros homme effar parait les attaques de sa femme avec prudence, pour ne point casser encore les cinq ufs quil avait de lautre ct.

    IIIToine fut vaincu. Il dut couver, il dut renoncer aux parties de dominos, renoncer tout mouvement, car la vieille le privait de nourriture avec frocit chaque fois quil cassait un uf.Il demeurait sur le dos, lil au plafond, les bras soulevs comme des ailes, chauffant contre lui les germes de volaille enferms dans les coques blanches.Il ne parlait plus qu voix basse comme sil et craint le bruit autant que le mouvement, et il sinquitait de la couveuse jaune qui accomplissait dans le poulailler la mme besogne que lui.Il demandait sa femme : La jaune a-t-elle mang anuit9 ? Et la vieille allait de ses poules son homme et de son homme ses poules, obsde, possde par la proccupation des petits poulets qui mrissaient dans le lit et dans le nid.Les gens du pays qui savaient lhistoire sen venaient, curieux et srieux, prendre des nouvelles de Toine. Ils entraient pas lgers comme on entre chez les malades et demandaient avec intrt : Eh bien ! a va-t-il ? Toine rpondait : Pour aller, a va, mais jai maujeure10 tant que a mchauffe. Jai des frmis11 qui me galopent sur la peau. Or, un matin, sa femme entra trs mue et dclara : La jaune en a sept. Y avait trois ufs de mauvais. Toine sentit battre son cur. Combien en aurait-il, lui ?Il demanda : Ce sera tantt ? avec une angoisse de femme qui va devenir mre.La vieille rpondit dun air furieux, torture par la crainte dun insuccs : Faut croire ! Ils attendirent. Les amis prvenus que les temps taient proches arrivrent bientt, inquiets eux-mmes.On en jasait dans les maisons. On allait sinformer aux portes voisines.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 51

    Vers trois heures, Toine sassoupit. Il dormait maintenant la moiti des jours. Il fut rveill soudain par un chatouillement inusit sous le bras droit. Il y porta aussitt la main gauche et saisit une bte couverte de duvet jaune, qui remuait dans ses doigts.Son motion fut telle, quil se mit pousser des cris, et il lcha le poussin qui courut sur sa poitrine. Le caf tait plein de monde. Les buveurs se prcipitrent, envahirent la chambre, firent cercle comme autour dun saltimbanque, et la vieille tant arrive cueillit avec prcaution la bestiole blottie sous la barbe de son mari.Personne ne parlait plus. Ctait par un jour chaud davril. On entendait par la fentre ouverte glousser la poule jaune appelant ses nouveaux-ns.Toine qui suait dmotion, dangoisse, dinquitude, murmura : Jen ai encore un sous le bras gauche, ctheure. Sa femme plongea dans le lit sa grande main maigre, et ramena un second poussin, avec des mouvements soigneux de sage-femme.Les voisins voulurent le voir. On se le repassa en le considrant attentivement comme sil et t un ph-nomne.Pendant vingt minutes, il nen naquit pas, puis quatre sortirent en mme temps de leurs coquilles.Ce fut une grande rumeur parmi les assistants. Et Toine sourit, content de son succs, commenant senorgueillir de cette paternit singulire. On nen avait pas souvent vu comme lui, tout de mme ! Ctait un drle dhomme vraiment !Il dclara : Ca fait six. Nom de nom, qu baptme ! Et un grand rire sleva dans le public. Dautres personnes emplissaient le caf. Dautres encore attendaient devant la porte. On se demandait : Combien qui en a ? - Y en a six. La mre Toine portait la poule cette famille nouvelle, et la poule gloussait perdument, hrissait ses plumes, ouvrait les ailes toutes grandes pour abriter la troupe grossissante de ses petits. En vl encore un ! cria Toine.Il stait tromp, il y en avait trois ! Ce fut un triomphe ! Le dernier creva son enveloppe sept heures du soir. Tous les ufs taient bons ! Et Toine, affol de joie, dlivr, glorieux, baisa sur le dos le frle animal, faillit ltouffer avec ses lvres. Il voulut le garder dans son lit, celui-l, jusquau lendemain, saisi par une tendresse de mre pour cet tre si petiot quil avait donn la vie ; mais la vieille lemporta comme les autres sans couter les supplications de son homme.Les assistants, ravis, sen allrent en devisant de lvnement, et Horslaville, rest le dernier, demanda : Dis donc, p Toine, tu minvites fricasser lpremier, pas vrai ? A cette ide de fricasse, le visage de Toine sillumina, et le gros homme rpondit : Pour sr que je tinvite, mon gendre .

    Maupassant, Contes et Nouvelles, 1885

    1. lieu imaginaire2. eau-de-vie3. men empchent4. mot signifiant sans doute gourmand puis sale ;5. un porc en dialecte normand. 6. la coquine

    7. vient de suif , graisse animale. Ici, trs gras; 8. ragot9. aujourdhui10. dmangeaison11. frissons, fourmis.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2052

    C tude analytique de Toine

    1. Lorganisation du rcit

    a) Lorganisation structurelle

    Pour bien comprendre un rcit, il faut observer les diffrentes tapes de la structure narrative mise en place par lauteur. Elles permettent de mmoriser lhistoire qui est raconte mais cette structure a aussi des effets propres, produits par les choix de lauteur, selon le but quil recherche en crivant (ex : faire peur, susciter le rire, dcrire un milieu social o se droule une histoire, etc.)

    Exercice autocorrectif n 7

    Trouvez un titre pour chacune des grandes parties de la nouvelle dlimites par Maupassant.

    Quest-ce qui constitue le dnouement ? Qua-t-il de particulier : quel est leffet obtenu par lauteur ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 7

    b) Lorganisation temporelle

    Lordre du rcit Dans Toine, la narration est strictement chronologique et ultrieure : cest le rcit dun vnement termin, achev, do lemploi des temps du pass, comme cest lusage dans la nouvelle : le narrateur est suppos raconter, aprs coup, une histoire.

    Le rythme de la narration

    Le rythme de la narration nat du rapport entre la dure des vnements et la dure de la narration (longueur du texte). On peut observer des phases dacclration dans la narration, de pause, mais aussi des ellipses temporelles La combinaison de ces diffrents rythmes produit une alternance tudie par lauteur pour ses effets sur le lecteur.

    c) Lorganisation spatialeLespace, comme le temps, est essentiel dans la comprhension dun rcit. Ce cadre, ce dcor est le plus souvent dcrit. La description peut tre :

    1. dcorative : elle sert alors seulement dornement au texte.

    2. significative : au service du rcit, elle rassemble alors des lments ncessaires la comprhension de la suite du rcit ; ces lments peuvent avoir deux fonctions :

    a) la fonction explicative : les portraits, les descriptions dobjets ou de lieux expliquent les ractions des personnages ou annoncent laction future ;

    b) la fonction symbolique : la description est une mtaphore dun personnage ou de laction. Cest particulirement vrai dans la description subjective o le dcor reflte ltat dme du personnage ; en ce cas, vous relverez la prsence dun champ lexical dominant.

    Comment le dcor est- il dcrit dans Toine ? Quelles sont ses fonctions ?Voici quelques lments de rponse, que vous complterez votre guise.Dans Toine, la description du dcor est trs limite : seuls les deuxime et troisime paragraphes de la premire partie y sont consacrs. Cette description a une fonction explicative car elle prcise le milieu o se droule laction : pauvre hameau paysan compos de dix maisons normandes [...] . Mais elle a aussi une fonction symbolique : ces maisons semblaient avoir cherch un abri dans ce trou comme les oiseaux qui se cachent [...] . Cela nannonce-t-il pas la mtamorphose de Toine ?

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 53

    Mais la description est aussi dcorative : Elles semblaient avoir cherch un abri dans ce trou comme les oiseaux qui se cachent dans les sillons les jours douragan, un abri contre le grand vent de mer, le vent du large, le vent dur et sal, qui ronge et brle comme le feu, dssche et dtruit comme les geles dhiver. Cet extrait est trs potique avec les triple comparaisons, comme ces oiseaux , comme le feu , comme les geles dhiver , le rythme ternaire ( le grand vent de mer, le vent du large, le vent dur et sal ), la reprise du terme vent , les allitrations et assonances en [s], [] [ ][], [de]. Le narrateur cre ainsi une ambiance, celle des veilles paysannes.

    Exercice autocorrectif n 8

    Le traitement du temps dans la nouvelle : tudiez le rythme de la narration.

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 8

    2. Le point de vue narratif

    Le point de vue narratif (ou focalisation) est le procd qui consiste organiser lhistoire selon telle ou telle perspective.

    Vous trouverez dans le tableau ci-dessous les trois points de vue narratifs que vous rencontrerez dans les textes narratifs. Mmorisez-les bien.

    Point de vue omniscient ou focalisation zro

    Point de vue interne ou focalisation interne

    Point de vue externe ou focalisation externe

    Le narrateur voit tout et sait tout ; cest le point de vue de Dieu.

    Le narrateur dit seulement ce que sait ou peroit tel personnage.

    Le narrateur en dit moins que nen sait le personnage, on le voit de lextrieur.

    Exercice autocorrectif n 9

    Rpondez aux questions suivantes pour identifier le point de vue narratif adopt dans Toine.

    Qui parle ? Qui voit ? Quelle est lidentit du narrateur ?

    Le narrateur est-il un tmoin ou un personnage ?

    Le narrateur est-il le hros de cette histoire ?

    On peut donc dire que le point de vue narratif de cette nouvelle est.....................................................

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 9

    Attention ! Le narrateur nest pas lauteur ; cest un personnage cr par lauteur. Le procd est syst-matique dans le genre de la nouvelle. Nanmoins, le narrateur peut avoir des points communs avec son crateur : le narrateur de Toine est un Normand cultiv (on le voit au vocabulaire quil emploie, par exemple quand il dcrit Toine), laise dans tous les milieux ; il est ironique sans tre pour autant dpourvu de sensibilit.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2054

    3. Les personnages

    Nous avons dj vu comment sorganise le systme des personnages dans le schma actantiel. Il sap-plique tout rcit, donc galement la nouvelle.

    Destinateur Destinataire.................. ...................

    Sujet Objet Toine ........

    Adjuvant Opposant.............. ...............

    Exercice autocorrectif n 10

    Ralisez le schma actantiel pour Toine en compltant les blancs ci-dessus par les noms des personna-ges. Noubliez pas que des forces ou des choses peuvent aussi prendre la place dtres humains dans un tel schma.

    Dans les nouvelles, les personnages sont peu nombreux et souvent anonymes. Dans Toine, seuls trois sont dtermins : Toine, sa femme, Prosper Horslaville ; les autres forment le groupe des spectateurs.

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 10

    Dans un rcit de fiction, le personnage qui est loin dtre une personne relle, prsente certaines cons-tantes : il a un nom, son portrait physique et moral est souvent effectu par le narrateur ou dautres personnages, il profre des paroles, il est impliqu dans des vnements.

    Quen est-il dans cette nouvelle ?

    Exercice autocorrectif n 11

    tudiez les personnages dans Toine. Sont-ils prsents de manire complte ou non ?

    Les nouvelles de Maupassant inscrivent toujours leurs hros dans la ralit quotidienne la plus familire de leur poque. Est-ce le cas ici ?

    Reportez-vous la fiche autocorrective n 11

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 55

    La nouvelle : bref historique de ce genre littraireGoethe16 pose la question : quest-ce quune nouvelle sinon un vnement singulier et tout fait nouveau ? Il se rfre dabord ltymologie ; le mot doit donc tre pris au sens propre (couter les nouvelle la radio, cest sinformer sur les vnements rcents).

    Le genre Ce genre narratif se caractrise par sa brivet ainsi que par son inscription dans la ralit.La nouvelle se diffrencie du roman en ce quelle sattache un pisode ; elle ne sinscrit pas dans la dure.La nouvelle se diffrencie du conte, autre genre narratif bref, en ce quelle se prsente comme le rcit dune histoire rellement arrive, quel que soit le caractre fictif ou mme fantastique de cette histoire.

    Origines du genre La nouvelle est un genre ancien, pratiqu en Chine ds le IXe sicle. En Europe, sa vogue semble avoir commenc au XIIe et XIIIe sicles. Le premier recueil franais, Les Cent nouvelles (entre 1456 et 1467) sinspire du Dcamron (1350-1355) de lItalien Boccace. Les faits sont prsents comme rels, rcents, les anecdotes sont amusantes, grivoises, et la nouvelle est conte par un narrateur, do un style oral.Par la suite, au modle italien se substitue un modle espagnol :Les Nouvelles exemplaires (1613) de Cervants. Les nouvelles deviennent plus longues, le domaine psychologique est approfondi et le rcit revt des significations multiples avec plusieurs niveaux de lecture possibles.

    volution du genre La nouvelle moderne est ne avec la grande presse au XIXe sicle. Le journal a impos une longueur au texte : par exemple Kipling (1865-1936) disposait dune colonne un quart dans la Civil and Military Gazette. Le journal a aussi influ sur le contenu mme des nouvelles : lcrivain a souvent t soucieux de ne pas dplaire aux lecteurs du journal, il a suivi des modes.

    Au XIXe Au XIXe sicle, on distingue deux grandes orientations :- la nouvelle raliste,- la nouvelle fantastique qui arrive en France sous linfluence de la littrature russe (Pouchkine, Gogol, Tourgueniev) et des Histoires extraordinaires de Poe traduites en 1840 par Baudelaire. Il nest pas rare quun mme crivain pratique les deux genres, par exemple Mrime ou Maupassant. De plus, beaucoup de nouvelles sont difficiles classer car elles sont aux limites du vraisemblable, par exemple Les Diaboliques de Barbey dAurevilly (1808-1889). Il sensuit quau XIXe sicle, il nexiste pas une distinction nette entre conte et nouvelle , dautant quil y a toujours un narrateur : Maupassant parle indiffremment de conte ou nouvelle (Contes de la Bcasse, 1883.)

    Au XXe Au XXe sicle, ce sont les crivains anglo-saxons qui ont domin la nouvelle (John Steinbeck, Ernest Hemingway, William Faulkner etc.). Signalons aussi, plus proches de nous, lItalien Dino Buzzati et lArgentin Jorge Luis Borges (1899-1986).

    16. Goethe (1749-1832) : crivain allemand, chef de file du Sturm und Drang (Tempte et lan) mouvement littraire cr en Allemagne vers 1770, en raction contre le nationalisme et le classicisme.

    iche Mthode 2

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20

    iche autocorrective

    56

    Exercice n 6 Il y a dans cet extrait deux narrateurs :- le narrateur de la nouvelle, celui qui pose des questions linventeur17 de la statue de Vnus ;- linventeur de la statue qui raconte au narrateur les circonstances de sa dcouverte.

    Il existe dans cet extrait une narration dans la narration (la narration de la dcouverte est enchsse dans la narration de la nouvelle).

    Le narrateur de la nouvelle a un langage trs soutenu : il utilise le pass simple de lindicatif ( que trouvtes-vous ? ). On sait donc que cest un homme instruit.

    Au contraire, linventeur a un niveau de langue familier, voire incorrect : un vieil olivier qui a t gel de lanne dernire car elle a t bien mauvaise . La forme correcte serait : un vieil olivier qui a gel lanne dernire, laquelle a t bien mauvaise. Il emploie le pronom de rappel : Moi, la peur me prend . Il y a des emplois inutiles de que : Quest-ce que cest ? que je dis. Quels morts ? quil me dit. On note une omission du pronom personnel. Faut appeler le cur ! Enfin le vocabulaire est trs significatif : notre matre au lieu de : Monsieur . On voit que cet homme na pas dinstruction et quil se considre comme trs au-dessous de son employeur. Il lui parle au XIXe, comme les paysans parlaient aux seigneurs sous lAncien Rgime.

    Le choix de Mrime est intressant : il fait raconter la dcouverte par un autre, do un effet un peu comique, qui en ddramatise certains aspects inquitants (qui seront confirms plus tard, do la surprise du lecteur).

    Quand le personnage dun rcit sexprime au discours direct, il nous livre de prcieuses informations sur lui-mme.

    Exercice n 7Question 1

    Le dcoupage de Maupassant indique trois squences que lon peut intituler :

    I. Prsentation des lieux et personnages.II. Action proprement dite :

    - Toine devient paralys ;- lide de Prosper Horslaville (ractions de la femme de Toine puis de Toine lui-mme).

    III. Toine couve jusqu lclosion des ufs.

    Cela ressemble une pice de thtre en trois actes.

    Question 2

    Le dnouement constitue un moment particulier qui clt le rcit. Dans les nouvelles, rcits brefs, tout lart du nouvelliste se peroit dans lagencement des vnements vers leur dnouement.

    Ici le dnouement est tonnant : Toine fait clore des ufs. Cet vnement qui relve du jamais vu est repouss la fin du rcit, ce qui renforce son caractre surprenant. On appelle cela la chute de la nouvelle : lorganisation de la nouvelle converge vers ce point de la narration, moment privilgi o un effet final, brutal, est obtenu par limage ou le propos par rapport aux lments qui lont prcd.

    Vous pourrez observer ce mme procd narratif dans les autres nouvelles de la squence.

    17. Inventeur (du latin invenire, trouver) : cest ainsi quen droit on appelle celui qui dcouvre un objet cach ou perdu ; cest le terme exact en archologie.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 57

    Exercice n 8Le traitement du temps dans la nouvelle : tudiez le rythme de la narration.

    Squences narratives Rythme de la narration

    1re squence Longue pause descriptive et rptitive (habitudes de Toine) qui voque toutes les annes de cabaretier du hros.

    2e squence Acclration en une phrase (lattaque).Pause : les nouvelles habitudes de ToineAcclration : lide de Prosper HorslavilleEllipse (de huit jours)Acclration : premire tentative de la mre Toine et chec

    3e squence Pause : Toine couveAcclration progressive qui correspond lclosion graduelle des ufs.

    Conclusion

    Le temps dans la nouvelle est donc trait de faon particulire :

    - le narrateur est suppos raconter, aprs coup, une histoire dans laquelle il est impliqu ou non.

    - les personnages prennent conscience du caractre extraordinaire de lvnement au moment du dnouement.

    - le lecteur ne saisit la signification du rcit qu la fin.

    Exercice n 9Rpondez aux questions suivantes pour identifier le point de vue narratif adopt dans Toine.

    Qui parle ? Le narrateur

    Qui voit ? Le narrateur

    Quelle est lidentit du narrateur ? Cest un Normand qui connat trs bien la rgion et le dialecte

    Le narrateur est-il un tmoin ou un personnage ? Cest un tmoin

    Le narrateur est-il le hros de cette histoire ? Non.

    On peut donc dire que le point de vue narratif de cette nouvelle est externe.

    Exercice n 10

    Toine

    Destinateur Destinatairela mre Toine la mre Toine

    Sujet Objet Toine faire clore les ufs

    Adjuvant Opposantcrainte de sa femme le dsir de bouger

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR2058

    Exercice n 11

    Toine

    Toine sappelle Antoine Mchebl, ce qui le prdestine en quelque sorte devenir une volaille ; il a de plus un surnom, Toine Brlot, allusion son eau-de-vie. Il est gros (quinze occurrences de ladjectif) ; cest le plus gros homme du canton et mme de larrondissement. Sa corpulence est souligne par une amusante antithse : Sa petite maison semblait drisoirement trop troite et trop basse pour le contenir. En outre, il soppose physiquement sa femme au corps maigre et plat . Cette corpulence sexplique facilement : il mangeait et buvait comme dix hommes ordinaires . Lide dune fricasse de poulet le transporte, il est inquiet quand sa femme menace de le priver de soupe. Mais il semble quil boive encore plus quil ne mange : chaque fois quun consommateur entre chez lui, il prend un petit verre . Sa rputation est tel-lement tablie que les farceurs lui demandent pourquoi il ne boit pas la mer. la fin de la premire partie, le narrateur sattarde sur la description de Toine : il tait devenu pais et gros, rouge et soufflant . Et le narrateur dajouter : Ctait un de ces tres normes . On relve trois occurrences de ladjectif norme qui signifie tymologiquement : qui sort de la rgle, de la norme . Quant au terme tre , il est ambigu : il peut ou non dsigner un homme. Pour sa femme, Toine se rapproche du cochon : cest un qutou , un suiffeux , il faut le nettoyer comme un porc . Mais, pour le narrateur, cest plutt un personnage de conte : la mort prenait plaisir lengraisser, celui-l, le faire monstrueux et drle, lenluminer de rouge et de bleu, le souffler, lui donner lapparence dune sant surhumaine. Lallusion lenluminure renvoie des textes anciens : le lecteur pense aussi de bons gants rabelaisiens, Gargantua ou Pantagruel. Par ailleurs, Toine a des points communs avec logre du conte de fes : il a une femme trs diffrente de lui, il jouit dune grande notorit dans le pays, il semble se tenir lafft la porte de sa maison (ou mme dans sa chambre o il attire ses amis) et surtout sa gloutonnerie lemporte sur ses sentiments : la fin, il est prt dvorer tous les poussins, aprs les avoir engraisss, y compris probablement le petit dernier : on pense au Petit Poucet. Toine, cest le gros qui a bon caractre, ce qui est assez traditionnel. Sa gloutonnerie lemporte sur la raison : sa femme a beau lavertir que cela tournera mal pour lui, il nen continue pas moins faire bonne chre et se moque delle Et, une fois paralys, ce quil regrette le plus, cest de ne plus boire. Il est plein de gaiet au point quil constitue une sorte dattraction : On venait de Fcamp et Montivilliers pour le voir et pour rigoler en lcoutant, car il aurait fait rire une pierre de tombe, ce gros homme . Il change un peu avec la maladie, sa gaiet devient diffrente, plus timide, plus humble, avec des craintes de petit enfant devant sa femme . Nanmoins, il reste sociable, farceur . Avec sa femme, quand il est valide il est narquois ( la m Poule, ma planche ) mais aussi patient : jamais il nest injurieux comme elle lest son gard. Une fois grabataire, il devient sa victime : perdu , inquiet , il pria, supplia [] mais il dut se rsigner . Toine fut vaincu, il dut couver, il dut renoncer aux parties de dominos, renoncer tout mouvement . Et, aprs lclosion, la mre Toine emporte le dernier poussin sans couter les supplications de son homme. Pourtant, limage que lon garde de Toine, cest celle dun homme de bonne humeur : il commence senorgueillir de cette paternit singulire . Et le rcit se termine par linvitation quil lance Horslaville.

    On ne connat pas le prnom de Madame Mchebl. On la situe seulement par rapport son mari la m Toine dont elle est lantithse sur le plan physique et moral. Elle est aussi maigre (deux occurrences de ladjectif) quil est gros ; il sensuit un effet comique comme dans le tandem Laurel et Hardy. Son physi-que semble contamin par son activit essentielle, llevage des volailles. Elle devient elle aussi un oiseau, mais un oiseau sans grce (un chassier), antipathique (un chat-huant en colre) ; elle piaillait toute la journe , comme une poule ! Elle a mauvais caractre. Fche contre le monde entier, elle en voulait principalement son mari . Elle est agressive, jalouse : elle lui en voulait de sa gaiet, de sa renomme, de sa sant et de son embompoint. Elle le traitait de propre--rien, parce quil gagnait de largent sans rien faire. Pour cette paysanne, ne rien faire signifie : ne pas se livrer des travaux physiques, tels ceux des champs. Mais elle nest pas juste, il fait son mtier de cabaretier : il a deux plaisirs, plaisir de se rgaler dabord et damasser des gros sous, ensuite . Elle semble prouver une rpulsion physique son gard : cest que dla graisse que a en fait mal au cur. Elle le traite de sapas (ce qui signifie en patois normand : glouton et, par extension, barbouill , sale ). La notion de salet apparat aussi dans lexpression ironique : cest du propre ! ou bien dans le rappel quil faut laver, quil faut nettoyer comme un porc le paralytique. Dailleurs, elle compare sans cesse son mari un cochon ou un sac grain, sans doute une allusion son nom, Mchebl. Elle emploie mme pour le dsigner le pronom neutre c ou a : ce nest plus un homme mais une chose indescriptible. En outre, le pronom neutre connote le mpris. Quand Toine ne peut plus bouger, sa femme le traite de fainant plus que jamais : elle est oblige de soccuper de son mari, du cabaret et du poulailler. Elle manque compltement de compassion,

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 59

    ou de comprhension vis--vis dun infirme : Elle ne pouvait point tolrer que son gros fainant dhomme continut se distraire en jouant aux dominos dans son lit. Elle devient franchement mchante quand elle lempche de jouer aux dominos ; sa hargne se manifeste travers des gestes violents : elle slanait avec fureur, culbutait la planche ; ou bien : frmissant de fureur, elle se rua sur le paralytique et se mit lui taper de grands coups dans le ventre . Pourquoi veut-elle que Toine couve ? Pour plusieurs raisons : dabord par appt du gain ( a vous en frait de la volaille la m ! ) ; pour que son mari travaille , si lon peut dire ; pour quil cesse de se divertir ; pour le dominer ( la vieille le privait de nourriture avec frocit chaque fois quil cassait un uf ) ; cest une sorte de vengeance de ses moqueries passes. Bref, la mre Toine est dure et cupide.

    Prosper Horslaville est le personnage le plus dtaill des familiers du cabaret. Il est sec (il travaille physiquement) et petit ; il a un nez de furet qui annonce son caractre. Cest le paysan malin qui aime rire, malicieux, ft comme un renard . Il provoque des situations drles : il excitait la vieille, samusait de ses colres . Trs perspicace, il sait ce quil convient de dire : il fait miroiter la mre Toine la possibilit dune double couve (il est conscient de sa capacit) ; il ne croit pas, et il a bien raison, aux sentiments maternels de Toine ; cest lui qui le connat le mieux, cest son ami (il est rest le dernier). Il lui a jou un tour cruel, mais na pas vraiment pens que la vieille obligerait Toine couver jusquau bout.

    Dans Toine, les personnages sont typs, assez simples, presque caricaturaux. Nanmoins, il y a une part danalyse psychologique.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20

    La nouvelle fantastique

    60

    A tude analytique de La Cafetire, (1831) Thophile Gautier :

    Introduction Thophile Gautier (1811-1872) a frquent un atelier de peinture avant de se tourner vers la littrature. Fervent partisan du romantisme,18 critique dart et de thtre, il est lauteur de rcits de voyages, de nouvelles et de romans Mademoiselle de Maupin, 1835 ; Le Roman de la Momie, 1858 ; Le Capitaine Fracasse, 1863). Cest aussi un pote, animateur de mouvement de lart pour lart19

    qui publie plusieurs recueils (Espaa, 1845 ; maux et Cames, 1852).

    La Cafetire a t publie le 4 mai 1831 dans le journal Le Cabinet de lecture.

    La Cafetire

    Jai vu sous de sombres voilesOnze toiles,La lune, aussi le soleil,Me faisant la rvrence,En silence,Tout le long de mon sommeil.

    La vision de Joseph.

    I

    Lanne dernire, je fus invit, ainsi que deux de mes camarades datelier, Arrigo Cohic et Pedrino Borgnioli passer quelques jours dans une terre au fond de la Normandie.Le temps, qui, notre dpart, promettait dtre superbe, savisa de changer tout coup, et il tomba tant de pluie, que les chemins creux o nous marchions taient comme le lit dun torrent.Nous enfoncions dans la bourbe jusquaux genoux, une couche paisse de terre grasse stait attache aux semelles de nos bottes, et par sa pesanteur ralentissait tellement nos pas que nous narrivmes au lieu de notre destination quune heure aprs le coucher du soleil.Nous tions harasss ; aussi, notre hte, voyant les efforts que nous faisions pour comprimer nos billements et tenir les yeux ouverts, aussitt que nous emes soup, nous fit conduire chacun dans notre chambre.La mienne tait vaste ; je sentis, en y entrant, comme un frisson de fivre, car il me sembla que jentrais dans un monde nouveau.En effet, lon aurait pu se croire au temps de la Rgence, voir les dessus de porte de Boucher reprsentant les quatre Saisons, les meubles surchargs dornements de rocaille du plus mauvais got, et les trumeaux des glaces sculpts lourdement.Rien ntait drang. La toilette couverte de botes peignes, de houppes poudrer, paraissait avoir servi la veille. Deux ou trois robes de couleurs changeantes, un ventail sem de paillettes dargent, jonchaient le parquet bien cir, et, mon grand tonnement, une tabatire dcaille ouverte sur la chemine tait pleine de tabac encore frais.

    18. Romantisme : Ensemble des mouvements intellectuels et artistiques qui, partir de la fin du XVIIIe sicle, en Europe, firent prvaloir la sensibilit individuelle sur la raison et les crations de limaginaire sur la reprsentation classique de la nature humaine. (Le Petit Larousse 2003)19. Lart pour lart : thorie selon laquelle on ne doit proposer lart aucun but utile ; il doit tre indpendant de la morale et de la politique. Lart est lui-mme sa propre fin et lartiste na quun culte, celui de la beaut ; pour accder la beaut, la technique est essentielle.

    Cned Acadmie en ligne

  • Squence 1-FR20 61

    Je ne remarquai ces choses quaprs que le domestique, dposant son bougeoir sur la table de nuit, meut souhait un bon somme, et, je lavoue, je commenai trembler comme la feuille. Je me dshabillai promp-tement, je me couchai, et, pour en finir avec ces sottes frayeurs, je fermai bientt les yeux en me tournant du ct de la muraille.

    Mais il me fut impossible de rester dans cette position: le lit sagitait sous moi comme une vague, mes paupires se retiraient violemment en arrire. Force me fut de me retourner et de voir.

    Le feu qui flambait jetait des reflets rougetres dans lappartement, de sorte quon pouvait sans peine distinguer les personnages de la tapisserie et les figures des portraits enfums pendus la muraille.

    Ctaient les aeux de notre hte, des chevaliers bards de fer, des conseillers en perruqu