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Séquence 8-FR20 Itinéraire d’un écrivain contemporain, Jean Rouaud Autour de son premier roman, Les Champs d’honneur > 455 Objet d’étude : Écrire, lire, publier aujourd’hui. Objectifs : À partir d’un roman contemporain à succès, publié en 1990, Les Champs d’honneur, nous allons analyser ensemble l’itinéraire de son auteur, Jean Rouaud. - S’interroger sur la conception, la production et la réception d’une œuvre contemporaine - Analyser un roman contemporain Perspective dominante : La réflexion sur la production et la singularité des textes Perspective complémentaire : histoire littéraire et culturelle Textes et œuvres : - Lecture d’une œuvre complète : Jean Rouaud, Les Champs d’honneur - Analyse documentaire d’un dossier de presse de critique littéraire contemporaine. © Cned – Académie en ligne

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Séquence 8-FR20

Itinéraire d’un écrivaincontemporain, Jean RouaudAutour de son premier roman,Les Champs d’honneur

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455

Objet d’étude : Écrire, lire, publier aujourd’hui.

Objectifs : À partir d’un roman contemporain à succès, publié en 1990, Les Champs d’honneur, nous allons analyser

ensemble l’itinéraire de son auteur, Jean Rouaud.

- S’interroger sur la conception, la production et la réception d’une œuvre contemporaine

- Analyser un roman contemporain

Perspective dominante : La réflexion sur la production et la singularité des textes

Perspective complémentaire : histoire littéraire et culturelle

Textes et œuvres : - Lecture d’une œuvre complète : Jean Rouaud, Les Champs d’honneur

- Analyse documentaire d’un dossier de presse de critique littéraire contemporaine.

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Le plan de cette séquence s’efforce de reconstituer chronologiquement l’itinéraire d’un écrivain contemporain tout en analysant l’objet d’étude au programme : écrire, publier, lire aujourd’hui.

Chapitre 1 > Écrire, le choix d’une vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 459

A Un homme

B Un premier roman, Les Champs d’honneur

Chapitre 2 > Être choisi, publié, édité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462

Un auteur, un manuscrit, un éditeur

Chapitre 3 > Être accueilli par la critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 464

Une analyse de la réception de l’œuvre dans les médias

Chapitre 4 > Être lu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 469

A Entrée en lecture : découvrir le roman

B Lecture cursive de quelques extraits

C Une lecture analytique

Chapitre 5 > Prix Goncourt ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475

A Qu’est-ce que le prix Goncourt ?

B Revue de presse

C Les prix littéraires

Chapitre 6 > Et après ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 484

A Un second roman…

B Une œuvre qui se construit…

C Et un retour sur la genèse de cette œuvre littéraire

Conclusion > Un nouveau genre littéraire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487

457Sommaire séquence 8-FR20

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Séquence 8-FR20 459

Écrire, le choix d’une vie

Dans une rencontre récente avec un journaliste, l’écrivain Jean Rouaud évoque l’étrange choix de consacrer sa vie à l’écriture.

« - On affirme souvent que « tout le monde peut écrire ».

Jean Rouaud : - Je l’ai moi-même cru longtemps, et j’ai été plutôt enclin à inciter à écrire tous ceux qui en manifestaient le désir. On est tous, tout le temps dans l’écriture – d’un rapport, d’une carte postale, pour laquelle on essaie de trouver une tournure un peu fine, un peu drôle. Et on est tenté de se dire qu’il suffirait d’allonger la phrase pour lui faire porter une histoire, et que, ma foi, de la carte postale au roman, il n’y aurait qu’une question de temps et d’énergie.En fait, je crois de plus en plus que ce saut de la carte postale au livre, c’est l’engagement de toute une vie. Ce n’est pas quelque chose qui se fait impunément. Il y a un prix très lourd à l’écriture, qui consiste à abandonner, en fait, quasiment toute ambition sociale. »

Photo de Jean Rouaud © Jacques SASSIER / Gallimard / OPALE.

A Un homme

Jean Rouaud est né en 1952 à Campbon, en Loire-Inférieure (Loire-Atlantique aujourd’hui). Il a deux sœurs.Son père meurt en 1963, le lendemain de Noël : Jean Rouaud a onze ans.Il est pensionnaire au collège Saint Louis de Saint Nazaire. Les années d’internat sont pour lui une épreuve.Sa mère continue de tenir le commerce familial, un magasin de faïences, tout en élevant ses trois enfants.Après un Baccalauréat scientifique, il s’inscrit en faculté de Lettres à Nantes. En 1974, il obtient sa maîtrise de Lettres.Ensuite, Jean Rouaud fait plusieurs métiers, pompiste, vendeur d’encyclopédies médicales, avant d’entrée au journal Presse Océan en 1978 ; il rédige quelques billets pour ce journal régional.Il quitte Nantes pour Paris où il travaille d’abord dans une librairie.1983 : il devient marchand de journaux à mi-temps dans un kiosque du XIXe arrondissement de Paris.1990 : Jean Rouaud a trente-huit ans ; il publie son premier roman, Les Champs d’honneur, aux éditions de Minuit.« Il m’aura fallu dix ans. Mais c’est ainsi qu’on arrive à trente sept ans à publier un premier roman intitulé Les Champs d’honneur. Ensuite, la donne n’est plus tout à fait la même. Vous avez des lecteurs, on vous étudie, on vous demande. Vous avez le bonheur d’inscrire écrivain sur votre passeport. Ensuite, vous n’êtes plus tout à fait seul. »

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Séquence 8-FR20460

B Un premier roman, Les Champs d’honneur

Les conditions de vie de l’écrivain

« Il m’aura fallu dix ans »… 1980-1990. Que s’est-il passé pendant ces dix ans ? De petit boulot en petit boulot pour survivre, gardant du temps pour lire et surtout pour écrire. « Il a, pour écrire en paix et sans rien devoir à personne, exercé des métiers divers : pompiste, marchand ambulant, employé dans une librairie. Il est maintenant kiosquier, le matin, et l’après-midi, écrivain », écrit le journal Le Figaro le mardi 20 novembre 1990.

Une quête personnelle Jean Rouaud entreprend une descente au cœur de sa mémoire, et notamment de la blessure toujours présente provoquée par la mort de son père.

« Les Champs d’honneur était vraiment un roman de deuil. Je l’ai écrit dans un état de perte et de dénuement que je n’aurais pas envie de revivre. C’était entreprendre une plongée à la source du chagrin. Sans savoir où j’allais, me laissant porter par l’écriture, tout en étant pleinement conscient que sur le moment il n’eût pas fallu me demander d’expliquer, par exemple, la construction du livre qui m’était alors totalement opaque. C’est par la suite que j’ai compris son mécanisme, et comment la mort de mon père, je l’avais escamotée en parlant d’un autre Joseph Rouaud, mort à 21 ans en 1916, dont j’avais découvert la trace sur une image pieuse intitulée Les champs d’honneur. Ce qui m’avait servi d’alibi et entraîné bien loin de ce lendemain de Noël 1963 qui était la vraie raison de cette entreprise romanesque. Mais sur le coup, je n’ai rien vu. Je me demandais seulement, une fois le livre terminé et accepté par l’éditeur, comment j’arriverais à justifier ce saut spatio-temporel, de la Loire-Inférieure à la plaine d’Ypres. »

Le travail de l’écriture Dans cette recherche de ses repères et de son itinéraire, il s’efforce aussi de trouver une forme per-sonnelle, à la fois romanesque et poétique, pour restituer cette « histoire des siens », une écriture qui pourrait « joindre le réel au lyrique ». Il entre donc en écriture : « dans son deux-pièces situé dans le dix-huitième arrondissement, il écrit dans un coin, sur une petite machine à écrire. Il se refuse à entrer dans le monde de l’informatique. Il veut pouvoir continuer à corriger sa page, avec son stylo. Il reste résolument un artisan de l’écriture. » Jean Rouaud travaille à son rythme : une page dactylographiée par semaine, précédée de six ou sept brouillons. Soit deux ans pour écrire un livre. « Avant, j’aimais Flaubert parce qu’il écrit aussi lentement que moi*. L’écriture est un effort de mémoire, d’inventaire, de ménage intérieur. Je charge mon écriture de me dire où j’en suis : et j’oscille de phrases douloureuses en phrases euphoriques. Les pages s’ajoutent aux pages, comme s’il existait une structure inconsciente à laquelle il me faut faire confiance. »

C’est ainsi que va naître ce premier roman Les Champs d’honneur, première étape d’une recherche personnelle : une trilogie est en préparation, il reste à trouver l’éditeur.

Un premier manuscrit, sorte d’état initial des Champs d’honneur et intitulé Préhistoire, a déjà été refusé par plusieurs éditeurs ; mais malgré son refus, Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit, a fait savoir à Jean Rouaud qu’il avait trouvé certains passages de ce manuscrit tout à fait remarquables. Encourageant…

Documents complémen-taires : Flaubert au travail

* La correspondance de Flaubert atteste de la souffrance et du labeur acharné que représente pour lui le travail d’écriture. En voici quelques témoignages à propos de la rédaction d’Un cœur simple, La légende de saint Julien l’Hospitalier et Hérodias, trois courtes œuvres que Flaubert a réunies sous le titre Trois contes.

À Madame Roger des Genettes (Croisset, entre le 13 et le 18 mars 1876)J’aurais dû vous répondre immédiatement, mais depuis trois jours je ne décolère pas : je ne peux mettre en train mon Histoire d’un cœur simple. J’ai travaillé hier pendant seize heures, aujourd’hui toute la journée et ce soir enfin, j’ai terminé la première page.

À Tourgueneff (Croisset, dimanche soir, 25 juin 1876)Mon Histoire d’un cœur simple sera finie sans doute vers la fin d’août.

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Séquence 8-FR20 461

À sa nièce Caroline (Croisset, vendredi 6 heures, 14 juillet 1876) Pour écrire une page et demie, je viens d’en surcharger de ratures douze. Monsieur de Buffon allait jusqu’à quatorze !

Encore un mois de cet exercice, puis je recommencerai à propos d’Hérodias.

À la même, Croisset, jeudi 3 heures, 3 août 1876)

La fin est dure ! Heureusement que je n’ai plus que six pages !

Sans l’eau froide, je n’aurais pas été aussi vigoureux depuis deux mois. Sais-tu que mes nuits ordinaires n’excèdent pas cinq ou six heures, au plus ? et je ne dors pas dans le jour. (…) J’ai peur de retomber à plat quand j’aurai fini. Mais non ! Il faudra se remonter le coco pour Hérodias.

À la même, Croisset, 10 août 1876Mon ardeur à la besogne frise l’aliénation mentale. Avant-hier, j’ai fait une journée de dix-huit heures !...

➠ On le voit à partir de ces quelques extraits de sa correspondance : Flaubert est resté pour la pos-térité « l’ermite de Croisset », élaborant son œuvre lentement, avec une extrême exigence, remaniant sans cesse son manuscrit.

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Séquence 8-FR20

Être choisi, publié, édité

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Un écrivain, pour être publié et lu, doit recourir à un éditeur qui va transformer le manuscrit en objet-livre et le commercialiser. L’auteur signera un contrat d’édition, sera rémunéré par un forfait et un pourcentage sur les ventes (droits d’auteur). Dans le coût d’un ouvrage, les droits d’auteur représentent entre 8 et 15 %, la marge de l’éditeur 3 à 4 %, la fabrication du livre 10%, la diffusion / distribution plus de 50 %, le reste correspondant à la TVA et aux frais généraux.

Jean Rouaud, vendeur de journaux à mi-temps, son manuscrit des Champs d’honneur sous le bras, retourne s’adresser aux Editions de Minuit. Cette maison d’édition a une riche histoire : créée sous l’Occupation par Vercors, elle a d’abord édité les écrivains de la Résistance ; puis elle a soutenu de nom-breux écrivains d’avant-garde (Le nouveau Roman, Beckett, Marguerite Duras…) et se veut d’une grande exigence sur le plan de l’écriture, quitte à se limiter à une diffusion plus restreinte que les « grandes maisons » qui visent des succès massifs et immédiats en répondant aux attentes du grand public. Ce niveau d’exigence convient parfaitement à Jean Rouaud, en quête de qualité et de reconnaissance littéraire. « Je ne voulais pas publier n’importe où. ».

Un auteur, un manuscrit, un éditeur…

Tout artiste subit l’angoisse de la réception de son œuvre par le public. Que va-t-on penser de ce roman aussi personnel ? Voici le point de vue de l’auteur évoquant ces inquiétudes de la publication, de la quête de lecteurs, puis les exigences nouvelles après avoir été édité ; il répond ici à une journaliste :

Jean ROUAUD : « Avant de publier, vous n’êtes rien, vous ne tenez que par l’idée d’un supposé talent. Le fait d’être publié chez Minuit, (…) les lettres de lecteurs m’ont donné l’assurance dont j’avais besoin. Ils m’ont montré que j’avais quelque chose à faire dans cette histoire-là, l’histoire de la littérature… Même si je me demande toujours à quoi ça rime au fond, cette histoire de raconter des histoires et de les imposer aux autres.

Journaliste : Vous essayez d’être à la hauteur ?

Jean ROUAUD : Il ne faut pas décevoir, c’est fondamental. L’écrivain dispose d’un immense pouvoir lyrique, celui de braquer son projecteur sur une douzaine de vies dont il ne resterait rien s’il n’était pas là pour raconter. Des vies dont on se demande : Vont-elles bouleverser les foules ? »

Et du côté de l’éditeur ? Lorsqu’un auteur fait parvenir un manuscrit à une maison d’édition, un lecteur, parfois un comité de lecture lisent le document transmis et émettent un avis, le plus souvent négatif. De nombreux manuscrits sont refusés, peu sont finalement publiés. Voici les confidences d’un grand éditeur, Bernard Grasset : il rapporte ces instants particuliers où il découvre un premier roman :

« Quand un manuscrit parvient à ma maison, on me l’apporte sur mon bureau. Je coupe moi-même les ficelles, j’ouvre la première page, et, en général, toute affaire cessante, je lis cette première page. Il faut ici que je vous fasse un aveu. Je suis un idéaliste impénitent : j’attends toujours le chef-d’œuvre ; bien plus, j’en attends, dès cette première page, la révélation. Ne souriez pas : je vais m’en expliquer.

J’attends le chef-d’œuvre, mais je suis toujours prêt à la pire des déceptions. Je sais trop, en effet, combien les œuvres médiocres, et même absurdes, sont plus nombreuses que les œuvres de talent, pour ne pas redouter de me trouver une fois de plus en présence d’un néant prétentieux. Et c’est ainsi à la fois avec une grande espérance et une grande crainte que j’aborde cette chose mystérieuse qu’est l’œuvre d’un auteur inconnu. »

Malgré toutes ces contraintes plus ou moins volontaires, Jean Rouaud parvient à se faire accepter du comité de lecture : « Jérôme Lindon, PDG des Éditions de Minuit, m’a fait confiance… » Celui-ci affirme en effet aussitôt que le néo-écrivain possède, comme les autres auteurs du label Minuit, « la même austérité dans la langue ».

Le voilà donc publié, en librairie, dans les kiosques, dans les bibliothèques, les ventes par correspondance, en attente de lecteurs. La première étape, la plus importante sans doute, est donc franchie avec succès…

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Séquence 8-FR20 463

en attendant l’avis des critiques qui vont médiatiser l’ouvrage dans la presse, éventuellement à la radio et à la télévision, en espérant un succès commercial et (pourquoi pas ?) un des prix littéraires annuels attribués en novembre.

1ère de couverture, Les Champs d’honneur, © Éditions de Minuit.

Première de couverture du roman

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Séquence 8-FR20

Être accueilli par la critique

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Une analyse de la réception de l’œuvre dans les médias.

Comme tout bien culturel, un roman ne peut se vendre si la critique l’ignore et si un réseau de lecteurs enthousiastes n’assure sa promotion auprès du grand public. Dès sa parution, une grande partie de la critique remarque le roman, s’étonne de la personnalité de son auteur et célèbre la naissance d’un romancier nouveau et original.

Vous vous reporterez aux pages 185 à 189 de votre édition des Champs d’honneur (collection « Double » des Éditions de Minuit) où vous lirez un article publié dans le journal Le Monde juste après la parution du livre.

Le journal L’Humanité annonce qu’une « averse de compliments » tombe aux éditions de Minuit dès la parution du roman. Quelques rares articles sont défavorables, comme celui du Figaro, mais la majorité des critiques encense le roman. Jean Rouaud est invité à la radio, à la télévision dans les émissions littéraires. La quatrième de couverture s’orne bientôt d’extraits de ces critiques élogieuses.

Presse d’information nationale - quotidiens

L’Humanité 5/09/1990, p. 23 (1317 mots)

« Le grand registre » Claude Prevost

« S’agissant d’un premier livre, on hésite à parler de «chef d’œuvre ». N’est-ce pas envoyer sur le crâne de l’intéressé le fatal pavé de l’ours ? On hésite donc mais quand même… »

« Les souvenirs familiaux, tristes et gais, se fondent dans les ténèbres de la tragédie nationale dont les effets se font sentir encore. Être capable d’éprouver cela et de le rendre avec une telle maîtrise de la langue, ce n’est pas donné à tout le monde. N’en doutons pas : un écrivain est né. Non des moindres. »

Le Journal du Dimanche09/1990

J-M.M.

« L’écriture, très belle, frappe par son ampleur et sa grande justesse. »

Le Journal du Dimanche09/1990

« Avez-vous lu Rouaud ? » Françoise Giroud

« L’émotion a envahi le livre, comme monte un brouillard. Jean Rouaud a sa musique, une grâce dans l’écriture, il sait donner à entendre le son de la pluie sur le toit d’une 2 CV, et si on fermait le livre un peu fort, peut-être qu’il en sortirait des papillons. Noirs naturellement. »

Les Échos08/10/1990, p. 43

« La mémoire du cœur » Annie Copperman

« […] Tout le livre est ainsi, qui nous prend insidieusement par la main pour nous emmener au lus près des secrets de la vie et des âmes : un vrai beau livre. »

Le Quotidien03/10/1990

« savoir vivre et savoir mourir » Jean Rouaud

« C’est (Rouaud) un écrivain de l’âme, et c’est peut-être au fond cela qui surprend. Un écrivain de la simplicité de la dignité, de l’essentiel. »

Florilège de critiques

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Séquence 8-FR20 465

Presse d’information nationale - hebdomadaires

Le Figaro magazine6/10/1990, p. 192

« Jean Rouaud : la mort en son jardin. »

Éric Deschodt

« Il (Rouaud) avance dans ce passé, dont il est le produit, avec une sûreté que peuvent, seules, donner la maîtrise du style et l’intelligence du cœur. »

La Croix7/09/1990

« Photos de famille. »

Laurent Lemire

« Le seul plaisir est ici celui de dire des personnages aimés, et à l’inverse la seule angoisse qui perce est celle d’oublier un jour ces hommes et ces femmes qui ont tant apporté, ne serait-ce que parce qu’ils ont désormais rejoint l’imaginaire, terrain privilégié de l’écrivain. La preuve est ici indiscutable. Comme le talent. »

« Pour son premier roman, Jean Rouaud n’a pas cherché à faire de l’épate. Il s’est contenté de montrer qu’il savait écrire, très bien d’ailleurs, et qu’il avait quelque chose à raconter. »

Le Canard enchaîné19/09/1990, p. 7

« Les boites à chaussures sous la pluie. »

André Rollin

« Ce roman est surtout un chant où l’écriture serpentine est une liane magique qui emporte tout : le temps. »

Quatrième de couverture, Éditions de Minuit

Jean Rouaud ne devrait pas passer longtemps inaperçu de ses contemporains, qui suspecteront en lui l’une des plus soudaines et des plus étonnantes révélations de la décennie. Mettons, du quinquennat, pour ne désobliger personne.

Jean-Louis Ezine, Le Nouvel Observateur

Sans nostalgie, sans banalité, Jean Rouaud rend hommage à ces Français qu’on dit moyens… L’écriture, très belle, frappe par son ampleur et sa grande justesse.

Jean-Maurice de Montremy, Lire

Les Champs d’honneur est mieux qu’un livre réussi dont on discute les vertus et qu’on range ensuite dans une hiérarchie serrée des mérites. Il est l’un de ces rares, de ces très rares livres, qui emportent l’immédiate conviction ; conviction qu’on brûle de faire partager.

Patrick Kéchichian, le Monde

« Avez-vous lu Rouaud ? » La rumeur court, flatteuse, résonne dans le plus puissant circuit de publicité, le bouche à oreille… C’est toujours émouvant, la naissance d’un écrivain, et c’en est un assurément, qui ne doit rien aux modes, ni aux procédés de fabrication, ni à la frénétique course aux prix… Il a écrit parce qu’il avait quelque chose à dire ; il le dit d’une écriture très élaborée mais limpide, souple, aisée.

Françoise Giroud, Le Journal du Dimanche

Exercice autocorrectif n° 1Le succès dans les médias est donc immédiat et unanime. Relevez l’essentiel de ces critiques, sur le fond et sur la forme.

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Séquence 8-FR20466

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➠ Reportez-vous à la fiche autocorrective en fin de chapitre.

La réputation du roman va vite dépasser les frontières et conquérir le monde entier. L’accueil des Champs d’honneur en Angleterre et aux Etats-Unis confirme la qualité de l’écriture de Jean Rouaud. Vous trou-verez ci-dessous quelques extraits de ces critiques en langue originale puis en version française.

Fields of glory : en Angleterre

The Times ; Derwent May. « He is working almost like a cubist painer, giving you one facet of his rich scene at a time, until they all slip into each other and produce a full, multi-layered picture. »

Daily Telegraph ; Sarah Edworthy. « With laconic humour and exquisites touches, admirabily captured by Ralph Manheim’s translation […] this is a haunting, enriching work, with echoes that go on and on. »

Sunday Times ; Michael Ignatieff. « Subtle, amused yet passionate, Fields of glory is an extraordinary novel […] Rouaud’s lightness of touch serves beautifully to evoke the simple, paralysed sorrow that gulfed a family and a nation. »

Observer ; David Buckley. « The translation by Ralph Manheim captures the beauty of a limpid, reso-nant prose. »

London Evening Standard ; Diana Mosley. « Perceptive and subtle. Not an easy book to translate, but Ralph Manheim has done it excellently. »

Guardian ; Julian Evans. « Rouaud has a colourist’s talent, his narrator washing in bright areas of life around the characters, strokes of mood and emotion that illuminate and stress the whole composition […] A wonderful novel. It has the brilliant, cursory intimacy of a watrcolour sketch and the reach of a much bigger picture. The writing is pure, unvarnished, nervy and arresting. »

Fields of glory : aux États-Unis

The Time, 3/12/1990.

Boston Globe ; « Unbearably beautiful […] Jean Rouaud shows mastery of the tangled personal strings by which mundane details and great events, grief and mirth, faith and despair, are connected. »

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Séquence 8-FR20 467

Isabel Colegate, New York Times Book Review, 1992 Notable Book of the Year ; « This boldness with chronology this richness of detail […] are quite remarkable in a first novel. Fields of Glory deserves its success. »

Dominic Di Bernardi, Washington Post Book World ; « One of the most broadly appealing French novels of recent years […] Rouaud’s talents lie in his shrewd eye for resonant detail and a perfectly controlled voice, balancing irony and tenderness. »

Les Champs d’honneur

❒ En Italie ont obtenu, à Milan, le prix Chianti Ruffino, prix des prix internationaux.

❒ En Angleterre ont obtenu le Waterstone’s prize en 1991.

Les Champs d’honneur : en Angleterre

The Times : Il travaille presque comme un peintre cubiste, livrant une seule facette du décor à la fois, et petit à petit les facettes se superposent et produisent un tableau clair et riche de plusieurs épais-seurs.

Daily Telegraph : Avec son humour laconique et des touches très fines, admirablement rendues par la traduction de Ralph Manheim, c’est une œuvre envoûtante, enrichissante, qui résonne longtemps en nous.

Sunday Times : Subtil, amusé et passionné en même temps, c’est un roman extraordinaire. La légèreté de touche de Rouaud sert admirablement l’évocation du chagrin simple et figé dans lequel ont sombré une famille et une nation.

Observer : La traduction de Ralph Manheim rend honneur à une prose limpide et évocatrice.

London Evening Standard : Sensible et subtil. Un livre pas facile à traduire, mais Ralph Manheim s’en est tiré admirablement.

Guardian : Rouaud a le talent d’un coloriste, son narrateur crée autour des personnages des zones de vie radieuse, des moments de mélancolie et d’émotion qui illuminent et donnent du relief à l’ensemble de la composition. Un merveilleux roman. Il offre le sentiment d’intimité immédiate, d’une aquarelle, et la portée d’un tableau beaucoup plus grand. L’écriture est pure, sans fioritures, nerveuse, saisissante.

Les Champs d’honneur : aux États-Unis

Boston Globe : d’une beauté insupportable […] Jean Rouaud maîtrise l’enchevêtrement des ficelles qui relient les détails ordinaires et les grands événements, le chagrin et la gaieté, la foi et le désespoir.

New York Times Book Review : La hardiesse de la chronologie et la richesse du détail sont tout à fait remarquables dans un premier roman. Les Champs d’honneur mérite son succès.

Washington Post Book World : L’un des plus émouvants romans français de ces dernières années. Le talent de Jean Rouaud réside dans son choix du détail évocateur et dans un ton parfaitement contrôlé, qui allie ironie et tendresse.

(Traduction : Claire Boisroux)

Traduction descritiques en anglais

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Séquence 8-FR20468

Exercice autocorrectif n° 1Les journalistes et critiques littéraires semblent tous touchés par le lyrisme retenu et la tendresse toujours juste et sans excès. Ils soulignent l’émotion et la sincérité, le mélange de légèreté et de profondeur, le regard à la fois détaché et précis sur les êtres et les événements. Une voix personnelle, originale, qui évoque la vie des humbles en les rendant intéressants, uniques, qui rappelle la lutte au jour le jour de ces hommes et de femmes « ordinaires » pris dans la cruauté d’événements imprévisibles qui marquent le cours de leur vie.

Tous les critiques expliquent l’origine de cette émotion particulière à la lecture du roman par l’impres-sion de maîtrise dans l’écriture : le style, le ton semblent évidents ; cette impression de maîtrise déjà affirmée leur semble surprenante de la part d’un si jeune romancier.

iche autocorrective chapitre 3

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Séquence 8-FR20 469

Être lu

A Entrée en lecture : découvrir le romanC’était la loi des séries en somme, martingale triste dont nous découvrions soudain le secret – un secret éventé depuis la nuit des temps mais à chaque fois recouvert et qui, brutalement révélé, martelé, nous laissait stupides, abrutis de chagrin... Le dernier mot de la phrase évoque « le champ lexical du deuil». Cette martingale, terme que l’on emploie pour évoquer les chances de réussite ou d’échec au jeu, évoque ici la série de morts qui endeuilla en quelques semaines la famille du narrateur : le père d’abord, la vieille tante et le grand-père maternel ensuite. Le rappel de cette série de deuils va permettre à l’écrivain de s’engager dans une évocation des lieux, des personnages, des moments qui ont marqué son enfance, cette période de sa vie dont on ne se remet jamais. « C’est la première phrase. Et le thème du livre : la martingale triste, c’est celle qui, toujours, fait que la mort gagne. Elle a emporté le grand-père, la petite tante Marie, délicieusement bigote, et le père, qui n’avait que 40 ans, d’un narrateur à l’évidence, tou-jours hanté par cette brusque et irrémédiable absence. Et qui, parce que son livre est écrit par vagues, la mort, en somme, jouant ici le rôle d’un caillou lancé dans l’eau et qui ferait des ricochets, repense aussi à ses deux grands-oncles, morts à un an de distance pendant la Grande Guerre, victimes du gaz qui brûla leurs poumons et de l’artillerie lourde allemande qui fauchait les corps sans compter et les engluait peu à peu dans la glaise. » (Annie Coppermann, Les Échos, 8 octobre 1990)

Pour schématiser, ce roman Les Champs d’honneur est une chronique familiale dans le village de Loire-Atlantique où l’auteur a vécu son enfance.

Trois parties structurent le roman, chacune autour d’un personnage dont l’histoire « ordinaire » se reconstitue peu à peu dans le souvenir du narrateur : le grand-père maternel d’abord, la vieille tante paternelle ensuite (la « petite tante »), enfin le frère de celle-ci, le grand-père paternel Joseph, que l’auteur n’a pas connu puisqu’il est mort en 1916 au champ d’honneur, gazé pendant la guerre de 1914-1918.

Pourquoi ce titre Les Champs d’honneur ?L’expression « mourir au champ d’honneur » signifie mourir à la guerre, les armes à la main. C’est la formule rituelle dans les billets de faire-part de « mort au combat » des militaires tués sur le champ de bataille. C’est donc la découverte d’une image pieuse qui va raviver chez le narrateur le souvenir de ce grand-père héros malgré lui.

« Maintenant Joseph annoncé mort – son nom sur une image pieuse et patriotique qui se vend 0 fr 05, pour les œuvres, à la cure de Commercy (sous préfecture de la Meuse, spécialité de madeleines), sertie d’un mince bandeau noir, monument de tristesse à l’en-tête d’un titre de roman héroïque : « Les champs d’honneur » et au sous-titre d’une édition de gare : « Où coula à flots le sang de la France en 1914-1916. »

Exercice autocorrectif n° 2Regardez attentivement la première de couverture de votre édition des Champs d’honneur (rappel : édition de poche, collection « Double »). Comment interprétez-vous le choix de cette photo de couverture et quelle attente chez le lecteur cette illustration crée-t-elle ?

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Séquence 8-FR20470

B Lecture cursive de quelques extraitsPour vous donner envie de mener cette lecture cursive et accompagner votre lecture, vous allez lire quelques passages représentatifs de l’art de Jean Rouaud et de la variété des propos et des tons, de l’humoristique au burlesque, du tendre à l’épique. Vous allez pouvoir également faire connaissance avec les protagonistes du roman. La pluie d’abord, qui joue un rôle essentiel et auquel l’auteur consacre un des premiers chapitres, le grand-père (et sa 2 CV), la petite tante si pieuse et attendrissante, enfin l’horreur de la guerre qui emporta le grand-oncle Joseph.

TEXTE 1 : LA PLUIE (page 15…) de « La pluie est une compagne en Loire-Inférieure… » à « alors un signe du pouce au-dessus du verre à pied vide, sans un mot inutile : la même chose, quoi. »

Jean Rouaud, Les Champs d’honneur. © 1990, Éditions de Minuit.

Commencez par écouter la lecture de ce texte sur votre CD.

Quelles sont vos premières réactions à la lecture de cet extrait ?

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Ce qui frappe d’emblée, c’est un regard original sur un pays où la pluie constante imprègne le caractère des choses et des hommes : « La région y gagne d’avoir un style particulier… ». De quoi s’agit-il ?

Le début du texte est une réponse aux détracteurs de cette région si humide. « Difficile de les détromper, même si… » ; « Le temps est humide, c’est un fait, mais… ». L’essentiel, ce n’est pas la quantité d’eau qui se déverse sur la région, mais la façon dont le vivent les habitants ; et là, sans chauvinisme ni mièvre-rie, le lexique devient plus emphatique : « Mais que le soir tombe… c’est une féerie versaillaise. »

Le deuxième paragraphe évoque les conséquences de ce climat pluvieux

… avec humour pour le supplice des myopes (dont l’auteur) : leurs lunettes s’embuent en permanence, ce qui transforme le paysage en un « monde à peu près », vague et flou. « Le monde à peu près », ce sera d’ailleurs le titre du troisième roman de Jean Rouaud,

… avec tendresse pour les piliers de bistrot, bien excusables sous ces climats.

Nous retrouverons ces registres dans l’ensemble du roman.

TEXTE 2 : LE GRAND-PÈRE de « La 2 CV est une boite crânienne de type primate » à « C’était avouer qu’elle craignait en s’y aventurant de ne pas s’y retrouver. » (pp.32-36)

➜ L’humour qui caractérise le regard de l’écrivain y est particulièrement sensible.

TEXTE 3 : LA PETITE TANTE de « Que pouvait-il nous arriver de fâcheux ? » à « des dizaines de petits papiers pliés. » (pp.70-71)

➜ L’ironie et la tendresse caractérisent ce passage.

TEXTE 4 : LES HORREURS DE LA GUERRE DE 1914, de « C’est ainsi que Joseph vit se lever une aube olivâtre sur la plaine d’Ypres. » à « les vieilles recettes de la guerre par un bombardement intensif fauchent les rescapés. » (pp.147-149)

➜ Les registres épique et tragique sont ici au service de la mémoire familiale.

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Séquence 8-FR20 471

Quelques remarques en guise de commentaire :

« Il faut deux choses pour écrire, dit Jean Rouaud, un ton et un point de vue. »

L’artiste, c’est celui qui sait voir, d’abord, et celui qui sait dire, ensuite.

D’abord l’artiste voit plus finement que nous, de façon moins réaliste, plus essentielle. Il transfigure le réel et nous le rend évident, plus vrai que ce que nous en appréhendons. «Qu’est-ce que l’artiste ? C’est un homme qui voit mieux que les autres. Voir avec des yeux de peintre, c’est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d’habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions imposées entre l’objet et nous. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l’usage pratique et les commodités de la vie et s’efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste».

(Bergson, philosophe du siècle dernier).

L’artiste, c’est aussi celui qui sait dire les choses et les gens, qui sait les exprimer avec une justesse de ton et de mots qui n’appartient qu’à lui.

Et ce qui frappe d’emblée, c’est surtout le style de Jean Rouaud, unique, une relation de confidence avec le lecteur, un mélange de simplicité dans le ton et de précision dans le lexique, une phrase qui épouse les contours de la pensée, une musique personnelle qui donne à voir, à entendre, à sentir ces moments, ces lieux, ces personnages dans ce qu’ils ont d’essentiel.

Savoir regarder, savoir dire, ces motifs conjugués de la vue et de l’écriture parcourent l’œuvre de Jean Rouaud. Dans un article d’Ouest-France du 16 février 2004 consacré à l’écrivain, Georges Guitton parle de « regard si précis quand il exhume et ranime les traces les plus infimes de son passé. La solide myopie de l’auteur a du bon car, brouillant la réalité, elle la convertit en musique de l’âme. » Le récent ouvrage de Jean Rouaud, L’Invention de l’auteur (Gallimard, 2004), s’achève sur l’évocation d’un choix personnel délicat : doit-il se faire opérer pour sortir de cette vision floue de la réalité, de ce « monde à peu près » et accepter ainsi de recouvrer la précision parfaite dans le regard sur les êtres et les choses ? Qu’y gagnera-t-il ? Qu’y perdra-t-il ? N’est-ce pas cette myopie qui l’oblige à imaginer le monde et à le transfigurer par l’écriture ? Choix difficile, explique-t-il, car, s’il accepte, « le monde se rapprochera de moi pour des retrouvailles partielles, je n’aurai plus besoin de lui écrire pour qu’il me donne de ses nouvelles. »

C Une lecture analytique

Exercice autocorrectif n° 3Pour évaluer votre lecture et préparer le devoir, voici un exercice de commentaire d’un extrait du début du roman. Être lu, être analysé, commenté, c’est le jeu dès lors qu’on a été publié.

Vous avez déjà observé, subi les pluies d’automne, lancinantes et obsédantes ? Voici ce qu’en dit Jean Rouaud dans la suite du chapitre. Nous allons faire cette fois une approche analytique de cet extrait, pour rappeler la méthode de commentaire et mettre à jour de façon plus précise l’art du romancier.

L’extrait à étudier va de « La norme, c’est la pluie. » (p.19) à « Les plus fragiles s’y laissent prendre : c’est à la sortie des mois noirs qu’on se jetait dans le puits. » ( p.21).

1) De quoi s’agit-il ? Quelles sont vos premières réactions à la lecture de ce texte ?

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2) Comment le texte est-il construit ? Mettez en valeur sous forme schématique le mouvement du texte.

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Séquence 8-FR20472

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3) Quels sont les champs lexicaux, principaux et secondaires ?

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4) Relevez quelques images du texte et mettez-les en relation avec les relevés des champs lexicaux.

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5) Relevez et interprétez des procédés stylistiques, sonores et rythmiques.

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6) Rassemblez l’essentiel des éléments relevés dans les différentes questions en un paragraphe de commentaire.

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Séquence 8-FR20 473

iches autocorrectives chapitre 4

Exercice n° 2L’éditeur a choisi une photographie illustrant ces chapitres du roman évoquant les combats de la guerre 1914-1918, pour illustrer le sens littéral du titre. Mais en même temps, c’est le portrait d’un soldat seul, assis, épuisé et sale ; pas de mise en scène épique dans ce cliché, pas d’héroïsme, pas de commémoration, un simple regard humain un peu perdu durant une période de repos, devant un paysage désolé.

Exercice n° 3

� De quoi s’agit-il ? Quelles sont vos premières réactions à la lecture de ce texte ?

Il s’agit de la puissance lancinante des crachins d’hiver qui imprègnent la terre et s’insinuent dans les corps et dans les âmes. Là encore, le point de vue est celui des hommes qui vivent ces climats, dont « la norme, c’est la pluie ». Quant au ton employé, des répétitions évoquent le caractère interminable, lancinant, la petite musique de cette fine pluie dont « l’occupation minutieuse de l’espace » est obsé-dante ; « l’esprit des marais a tout enveloppé. » Les métaphores sont nombreuses et riches : « … la campagne est seulement plus verte, d’un vert de havresac, plus grise la ville, d’un gris plombé. »

� Comment le texte est-il construit ? mettez en valeur sous forme schématique le mouve-ment du texte.

1er paragraphe : une phrase courte, simple, générique, présentant le thème : « La norme, c’est la pluie ».

2e paragraphe : certaines de ces pluies, légères, ne font qu’effleurer les visages et les décors.

3e paragraphe : au contraire, les crachins interminables provoquent l’ennui, « poison de l’âme ».

- description : du ciel bas et lourd du rideau serré de ce type de pluie.

- conséquences sur la nature les gestes quotidiens le physique le moral

Une construction en opposition, marquant ainsi le caractère particulier, insidieux, obsédant des crachins bretons des « mois noirs ».

� Quels sont les champs lexicaux, principaux et secondaires ?

- Le champ lexical de la pesanteur et de l’enlisement prédomine : il s’oppose à celui de la légèreté et de l’effleurement, qui caractérise le second paragraphe. Dans le long développement sur les crachins, « les ciels » sont « bas » - « bas à tutoyer les clochers… », « c’est une chape d’ardoise qui se couche lourdement sur la région… », « un gris plombé ».

- Puis celui de l’invasion, de l’omniprésence de l’humidité est évoqué. « Le pain est mou, les murs se gorgent d’humidité… et on se demande par où cette eau millimétrique a bien pu s’infiltrer. » « On écarte dix fois les rideaux… la pluie tombe toujours, inlassable, sans… jamais faiblir ».

- Enfin il est question de souffrance, diffuse ou plus violente, causée par cette invasion : « le corps craque »… « d’anciennes douleurs »… « la pluie tombe toujours »… Les plus fragiles s’y laissent prendre : c’est à la sortie des mois noirs qu’on se jetait dans le puits.

� Relevez quelques images du texte et mettez-les en relation avec les relevés des champs lexicaux.

Les réseaux d’images du texte, métaphores surtout, confirment l’analyse des champs lexicaux.

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Séquence 8-FR20474

- « l’ennui est… un poison de l’âme »… « bas à tutoyer les clochers (…), à s’emmêler dans la cime des grands arbres… » ; « c’est une chape d’ardoise » « qui se couche lourdement… » ; « un lent rideau dense, obstiné… »

Ces images correspondent au champ lexical de la pesanteur.

- « le monde… s’enlise »… ; « les pelouses… dissimulent des éponges ». ; « elle se faufile par le chas d’une aiguille comme sous un arc triomphal ».

Ces images évoquent l’invasion, la saturation repérée dans les champs lexicaux. Notons que les images surprenantes dans ce texte, comme en général dans l’œuvre de Jean Rouaud, dont le style se plaît à mêler tournures familières, images étonnantes et vocabulaire précis, voire savant.

� Relevez et interprétez des procédés stylistiques, sonores et rythmiques.

La musique du texte est celle d’une prose qui tente de restituer par le rythme l’atmosphère de « poison de l’âme » des crachins bretons.

Dans la partie descriptive, la phrase se développe de plus en plus longuement, introduite par des présentatifs (« C’est… » ; « Ce n’est pas… » ; « Pas ici de … ») et mimant l’invasion progressive de l’humidité : les énumérations sont alors fréquentes, les expansions du nom nombreuses, surtout les propositions relatives. « Ce n’est pas une pluie mais… un lent rideau dense, obstiné, qu’un souffle suffit à faire pénétrer sous les abris où les abris où la poussière du sol a gardé sa couleur claire, ce crachin serré… qui imprègne le paysage entier… cette impression que le monde s’achève doucement, s’enlise – mais, au lieu de l’explosion… on assiste à une vaste entreprise de dilution… »

Lorsque se juxtaposent les conséquences matérielles de cet état, les phrases se raccourcissent et s’en-chaînent sans liaison : « Les lourds cabans… » « Le pain est mou… » « Les radiateurs… » Le corps craque… » Quelques phrases nominales également (« Longs jours maussades sans même la promesse d’une éclaircie »), correspondent à des parenthèses, des digressions et commentaire fréquents chez Jean Rouaud.

Enfin, la conclusion logique, mais brutale de ces agressions sournoises : à cette époque, les suicides sont nombreux : « Les plus fragiles s’y laissent prendre : c’est à la sortie des mois noirs qu’on se jetait dans le puits. »

� Rassemblez l’essentiel des éléments relevés dans les différentes questions en un para-graphe de commentaire.

L’extrait du roman Les Champs d’honneur de Jean Rouaud évoque le climat atlantique de sa région où « la norme, c’est la pluie ». Mais en hiver, les pluies deviennent crachins et désespèrent le décor et les habitants : tout s’organise autour de cette « vaste entreprise de dilution ». Pas de confidence, la description est souvent impersonnelle (« Il est risqué… » ; « On joue à l’hercule… » ; « Le pain est mou » ; « On écarte dix fois » ; « on se jetait dans le puits ») et cherche à retranscrire une ambiance, celle des interminables journées d’hiver sous une pluie obstinée. « Tout le livre est ainsi, qui nous prend insidieusement par la main pour nous emmener au plus près des secrets de la vie et des âmes. »(A. Coppermann, Les Échos, 08/10/90). Les métaphores sont nombreuses, leurs connotations doivent évoquer l’invasion dans l’espace, le temps et les hommes de ce type particulier de pluie, et suggérer par l’image l’influence de ce climat sur la vie quotidienne et l’humeur des habitants : « … cette impression que le monde s’achève doucement, s’enlise… » Comme souvent chez Jean Rouaud, pour vous qui avez lu ce roman, le style allie une grande précision du vocabulaire à une grande simplicité de ton : la juxtaposi-tion des phrases, l’emploi fréquent des présentatifs (« C’est…), l’emploi du présent participent à « la musique, la grâce dans l’écriture ; il sait donner à entendre le son de la pluie sur le toit d’une 2 CV », commente Françoise Giroud dans le Journal du Dimanche du 07/10/1990.

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Séquence 8-FR20 475

Prix Goncourt !

A Qu’est-ce que le prix Goncourt ?

Un peu d’histoire

Le prix est décerné depuis 1903, selon les volontés d’Edmond de Goncourt. Edmond de Goncourt crée en effet l’Académie Goncourt dans son testament en mémoire de son frère Jules.

Constituée officiellement en 1902, l’Académie Goncourt a été reconnue d’utilité publique en 1903. Le testa-ment prévoyait, à cette époque, une dotation de 50 F pour encourager les lettres, assurer la vie matérielle à un certain nombre de littérateurs et rendre plus étroites leurs relations de confraternité. Chaque année depuis 1903, l’Académie Goncourt décerne son prix par l’intermédiaire de son jury, composé de dix écrivains.

Le jury se compose de François Nourissier, Daniel Boulanger, Françoise Chandernagor, Edmonde Charles-Roux, Didier Decoin, Françoise Mallet-Joris, Robert Sabatier, Bernard Pivot, Jorge Semprun, Michel Tournier.

Le premier prix Goncourt a été décerné en 1903 à John-Antoine Nau pour « Force ennemie ».

Lorsque le prix est attribué en 1990 à Jean Rouaud, Hervé Bazin, aujourd’hui décédé, est président de l’Académie Goncourt.

Lundi 19 novembre 1990« Le prix Goncourt a été attribué à Jean Rouaud pour Les Champs d’honneur au deuxième tour de scrutin par huit voix contre deux à Philippe Labro pour Le Petit garçon. »

Ainsi s’annonce chaque année le choix du prix Goncourt par un jury d’écrivains qui le décernent après plu-sieurs semaines où la presse parlée et écrite révèle quels sont les candidats puis les favoris au prix littéraire le plus prisé : le prix Goncourt passe en effet la barrière des élites intellectuelles, touche un grand public et de tous les autres prix littéraires décernés à la même époque de l’année, « fait le plus de ventes ».

Le président du jury, noyé dans une forêt de micros portant les sigles des différentes chaînes de radio ou télévision, présente alors à la foule le lauréat que le jury récompense et honore.

À l’honneur, ce lundi 19 novembre, Jean Rouaud.

B Revue de presse

Mardi 20 novembre 1990

� Presse écrite : extraits de quotidiens nationaux

Sont cités : 1. Le titre du journal et la date de parution ;

2. L’auteur et le titre de l’article ;

3. Des phrases ou paragraphes extraits de l’article.

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Séquence 8-FR20476

• Le Monde, Patrick Kéchichian

Le Goncourt à Jean Rouaud pour « Les Champs d’honneur »La part de la littérature

« Quitte à paraître naïf ou mal informé, il faut parfois revenir à quelques idées simples, évidentes. Un prix littéraire, par définition, et destination, doit récompenser le livre que le jury qui l’attribue a jugé le meilleur. La crédibilité de ce jury se renforce lorsque la valeur du livre semble incontestable. En honorant ce livre, en reconnaissant cette valeur, le jury obéit à sa vocation première et accessoirement s’honore lui-même. »Patrick Kéchichian considère alors que le jury du Goncourt a très bien rempli sa mission en choisissant le roman de Jean Rouaud « admirablement construit, ce premier roman révèle

un écrivain qui maîtrise, d’emblée et superbement, l’art d’écrire. »Après avoir rappelé les dangers du Goncourt pour de jeunes écrivains et « les jeux complexes, les stratégies et dosages éditoriaux, les manœuvres plus ou moins subtiles qui concourent à l’immoralité ordinaire du système des grands prix littéraires parisiens », il constate qu’il existe « une part réduite, il est vrai d’impondérables… cette part qui est celle de la littérature elle-même… Lorsque cela arrive comme aujourd’hui, il faut simplement s’en réjouir. Il faut aussi, sans accorder un trop définitif prix de vertu, en féliciter le jury. »

• Le Figaro

Prix : un premier roman et un lauréat surprise

Goncourt : Jean Rouaud Renaudot : Jean Colombier

« Un premier roman chez un éditeur qui se veut en marge. Un lauréat surprise désigné au vingt-cinquième tour de scrutin – un record historique selon le jury.

Les jurés Goncourt et Renaudot ont, semble-t-il, voulu innover cette année : ils n’ont pas voulu couronner un écrivain consacré et ils ont puisé leurs lauréats en dehors des trois grandes

maisons Le Seuil, Gallimard, Grasset… dont le Goncourt est allé au premier roman de Jean Rouaud, Les Champs d’honneur, publié aux éditions de Minuit… »

Jean Chalon

Les Champs d’honneur :

un misérabilisme éclairé

« Comme il y avait, au XVIIIe siè-cle, ce que l’on nomme le despo-tisme éclairé, Jean Rouaud, avec son premier roman, Les Champs d’honneur (Éditions de Minuit) représente le misérabilisme éclairé. Il est contre la société de consommation. Et comme un ermite se réfugie dans une grotte pour y méditer sur les

vanités de ce monde, Rouaud, lui s’est retiré dans un kiosque, dans l’une des rues les plus lai-des de Paris, la rue de Flandre. Il est kiosquier. C’est-à-dire qu’il vend des journaux dans un kiosque. »

Jean Chalon consacre alors son article sur trois colonnes à sa rencontre avec Jean Rouaud : il découvre un auteur marginal et inconnu qui draine vers son kiosque les habitués et ceux qui viennent voir le phénomène

littéraire, inconnu ou presque encore hier, célèbre aujourd’hui, d’autant plus célèbre qu’il sort de l’ordinaire des lauréats du Goncourt et crée une surprise excitante.

Jean Chalon présente donc ce personnage nouveau sur la scène littéraire, sa vie, ses goûts, littéraires ou non, et ses choix de vie. Du roman Les Champs d’honneur, il n’est pas question.

• Libération, 20 novembre 1990

Antoine de Gaudemar

Goncourt : Rouaud à l’honneur

En élisant Les Champs d’honneur, le premier roman de Jean Rouaud, kiosquier à mi-temps les jurés de Drouant couronnent le label Minuit et redorent leur blason. Le prix Renaudot a été attribué à Jean Colombier pour Les frères Romance chez Calmann-Lévy. Sale temps pour Galligrasseuil1.

1. Galligrasseuil est un abrégé constitué à partir des noms de Gallimard, Grasset et Le Seuil, les trois grandes maisons d’édition les plus représentées dans les prix littéraires et les plus développées. Il manifeste leur empire sur l’édition française.

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Séquence 8-FR20 477

« Publier son premier roman et recevoir en échange le prix Goncourt : l’histoire a quelque chose du conte de fées mais elle est arrivée hier à Jean Rouaud et cela n’a pas traîné. »

Antoine de Gaudemar analyse ensuite la surprise de cette consécration, que Philippe Labro, puis-sant adversaire de Jean Rouaud, directeur de RTL, édité chez Gallimard et entraîné aux compétitions médiatiques, n’a pu empêcher.

« Les jurés Goncourt redorent leur blason… ils vont dans le sens du poil, courant après une presse sous le charme, véritablement aux anges et un

succès qui ne leur doit rien (70 000 lecteurs ont déjà lu Les Champs d’honneur et, avant même l’annonce du prix, le livre est en traduction dans une dizaine de pays.) […] ils couronnent un smi-card de trente huit ans, provincial de Nantes monté à Paris, en 1981, qui, bien que muni d’une maîtrise de lettres, fait partie des déclassés d’après 68, élevés dans des collèges stricts mais contraints, par les aléas de la vie ou pour prix de leur indépen-dance d’esprit, à de petits boulots de subsistance, jusqu’au dernier en date : kiosquier à mi-temps, rue de Flandre à Paris.

C’est la première fois depuis quarante ans que le Goncourt couronne un premier roman. […] »

Le journaliste évoque ensuite Préhistoire sorte de matrice des futurs Champs d’honneur. Et il dit (Jean Rouaud) avoir en chantier une trilogie sur la guerre de 14-18 et sur la mort de son père. […] Il conclut : « Jean Rouaud ressuscite, sur les décom-bres de cette fin de siècle, l’esprit de famille et trouve pour cela une voix, déchirée et nostalgique, dont la justesse étonne souvent. »

« D’où vient alors la réserve ? Elle naît de ces pages écrites au cordeau, impeccables, qu’on imagine déjà proposées en explications de texte en classe terminale, de ces exercices de style qui proposent la pluie de Loire-inférieure (comme on disait autre-fois) dans tous ses états (ondées, embellies, aver-ses, crachins, poudres d’eau et autres tempêtes) ou les saints de Tante Marie dans tous leurs pou-

voirs (sainte Thérèse de Lisieux contre la grippe, saint Mamert pour l’intestin, sainte Barbe pour le mariage, etc.) Elle naît du sentiment, peut-être fautif, d’un texte malin, écrit par quelqu’un qui, malgré les apparences, connaît bien la musique, mêlant aux acquis du Nouveau Roman (Claude Simon notamment) les vertus bien contemporaines de l’autobiographisme. Car enfin comment expli-quer le succès des Champs d’honneur, roman peu facile d’accès, envers symétrique et significatif du Petit Garçon de Philippe Labro (Labro écrit lui aussi en l’honneur de son père, « ce héros au sourire si doux », et de l’esprit de famille de naguère), sinon par un souci du beau style, un désir d’écriture qui serait partagé à la fois par l’auteur et par son lecteur (enfin quelqu’un qui écrit, se dit ce dernier) ? C’est là peut-être qu’il faut chercher la clé du mystère Rouaud ?

• L’Humanité, 20 novembre 1990

Le prix Goncourt à Jean Rouaud pour Les Champs d’honneur (Éditions de Minuit)

Souvenirs d’en France

« Avec ces cent soixante et une pages de mémoires d’enfance, les jurés du prix littéraire le plus con-voité ont couronné – une fois n’est pas coutume – une première œuvre qui fait plus que promet-tre. C’est justement la mission du Goncourt.

La famille et la province font recette ces temps-ci dans la vitrine des libraires. La sombre chronique des frères Romance, du prix Renaudot, de Jean Colombier, se déroule sur les routes de Haute-Vienne. L’enfance dorée de Philippe Labro, dispensé de Goncourt, gambade dans les verts paradis du Sud-Ouest. Les Champs d’honneur de Jean Rouaud s’étendent dans les perpétuelles pluies de Loire-Atlantique. Une averse de com-pliments tomba dès sa sortie aux éditions de Minuit sur ce premier roman d’un kiosquier de

trente huit ans. Parmi les hommages immédiats de chroniqueurs littéraires, celui de Claude Prévost paru dans L’Humanité du 5 septembre dernier.

De nombreuses citations de l’article de Claude Prévost « voilà un jeune romancier qui a déjà une belle écriture, embrassant beaucoup de regis-tres », émaillent l’article qui conclut « les souve-nirs familiaux, tristes et gais, se fondent sur les ténèbres de la tragédie nationale dont les effets se font sentir encore. Être capable d’éprouver cela et de le rendre avec une telle maîtrise de la langue, ce n’est pas donné à tout le monde. N’en doutons pas : un écrivain est né. Non des moindres. »

Michel Boué, « Souvenirs d’en France »,L’Humanité, 20/11/1990

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Séquence 8-FR20478

Exercice autocorrectif n° 4

Quels thèmes se dégagent de ces quelques extraits de la presse nationale du lendemain de la remise du Prix Goncourt ?

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➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice en fin de chapitre.

� Presse écrite : extrait d’un quotidien régionalNous pourrions certes parcourir la presse régionale qui titre sur la conquête du Goncourt obtenu par Jean Rouaud. Pour plus de facilité, sélectionnons le quotidien régional de la région de Saint-Nazaire où Jean Rouaud situe son roman puisqu’il évoque ses souvenirs d’enfance à Randon, traduisons Campbon. Campbon se trouve en Loire-Atlantique (code postal 44750).

Presse Océan… en trois épisodesLe livre de Jean Rouaud sera une des plus grosses ventes en librairie de la décennie. Le « phénomène Goncourt » va confirmer et amplifier ce succès de librairie. L’ouvrage sera traduit en 25 langues, plu-sieurs sites Internet seront consacrés à l’écrivain, à ses œuvres, aux études universitaires ou aux articles dont il fait l’objet.

À la une

: Gros titre : « L’enfant du pays, prix Goncourt »

Sous une photo couleur de grande taille, on peut lire :

« Natif de Campbon, près de Saint-Nazaire, il y a 38 ans, Jean Rouaud est le nouveau lauréat du Prix Goncourt avec son livre Les Champs d’honneur. Et, pour son premier roman, qui raconte la chronique poétique et tendre des « grands » morts de sa famille : le grand-père, la grand-mère, la tante, il marque de belle manière son entrée en littérature.

Chacun peut se retrouver dans cette chronique, tant Jean Rouaud n’a pas son pareil pour parler des petites gens et des choses insignifiantes de la vie quotidienne. »

Jean-Claude Chemin, Presse Océan.

Puis, quelques pages plus loin, dans la page Actualité, on retrouve, sur cinq colonnes cette fois :

Page Actualité

: « Jean Rouaud couronné »

Pour Les Champs d’honneur, Jean Rouaud a reçu hier le plus prestigieux des plus prestigieux des prix littéraires : le Goncourt. Ce poétique originaire de Campbon, livre dans son roman la chronique des« grands » morts de sa famille.

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Séquence 8-FR20 479

Le début de l’article encadre une autre photo, noir et blanc, et décrit Jean Rouaud dans son travail de kiosquier à Paris avant de poursuivre la présentation de l’auteur du roman couronné :

« Son succès fulgurant ne lui a pas tourné la tête. Parmi tous les hommages, deux l’ont particulièrement touché : Jules Roy, l’auteur des Chevaux du soleil qui se dit son « ardent célébrant » et le photographe Robert Doisneau.

Et on le croit volontiers tant l’itinéraire de ce personnage de 38 ans, poétique et attachant, est singu-lier. Collège strict et sévère, bac C, maîtrise de Lettres. Petits boulots. Il est employé dans une librairie, télexiste au quotidien de Nantes, « Presse Océan », durant plusieurs années et écrit également des billets d’éditoriaux à la Une de l’Éclair de Nantes.« Monté » à Paris en 1981, Jean Rouaud tient ce kiosque et gagne le SMIC : « C’est le prix de mon indépendance d’esprit ».

Sous cette indifférence aux choses matérielles, se cache une profonde blessure dont il dit ne pouvoir parler que depuis un an. Son père est mort, alors qu’il avait seulement onze ans : « C’est une faille, une part perdue ». Ce père, occulté dans Les Champs d’honneur, sera au centre de son prochain roman.

Enfin, quelques pages plus loin, on trouve un nouvel article, sur cinq colonnes encore.

D.R.Campbon dans les bras de la pluie, « campagne, moitié fidèle d’une vie ».

Page Région

: « Mon village à l’heure Goncourt »

Campbon est fier du Goncourt attribué à Jean Rouaud, l’enfant du pays.Ses habitants reconnaissent dans le Randon des Champs d’honneur

un morceau de leur histoire.

Jean-Claude Chemin, auteur de l’article, fait le reportage de l’attente avant le prix et de la réaction des habitants à la nouvelle du verdict de l’Académie Goncourt, appris par le journal de treize heures de France Inter.

« Les pseudonymes sont transparents » pour les gens d’ici qui se traduisent les noms réels des per-sonnages. Jacques Dudot a bien connu « Le Grand Joseph », « le père de Jean Rouaud » ; « l’unique tabac-journaux pleure : il n’a pas encore réussi à avoir le livre ». « Beaucoup l’achètent parce qu’ils ont appris qu’il parle de la région. »

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Séquence 8-FR20480

« Je me souviens très bien du journal télévisé du soir du prix Goncourt sur FR3 à Campbon et des témoignages des habitants, à la fois fiers et surpris de découvrir dans leur commune un personnage célèbre qu’ils avaient complètement perdu de vue depuis près de 20 ans. Il y avait notamment la réaction du peintre Raymond Dière qui, paralysé par l’émotion de se voir décrit dans un livre, estimait tout d’un coup qu’il accédait d’une certaine manière désormais à l’éternité :

Journaliste : « Quel effet ça fait de se retrouver dans un livre comme ça ? »

Raymond Dière, au bord des larmes : « Ça m’a fait quelque chose… je sais pas. Il me semblait qu’avant je n’existais pas, maintenant que je suis sur un livre… » tout se passe comme si l’écrivain était celui qui rend « des hommes illustres » !

Extrait d’une réponse adressée par mail Yvon Rouby, rédacteur du site http ://perso.easyne.fr/~yrouby/

Et Madame Rouaud, dont le magasin est fermé le lundi, se refuse aux interviews mais se montre rayon-nante de fierté même si la pudeur reste de mise, car « l’humanité, (celle de la tante Marie) la vertu cardinale, ne pouvait s’accomoder des lauriers, d’une gloire littéraire, fût-elle locale. »

On pleure beaucoup à Campbon, le lundi 20 novembre 1990. Mais « c’est bon pour le village ».

D’après Jean-Claude Chemin, Presse Océan.

L’enfant du pays, prix Goncourt

Presse Océan Nantes.

Le livre de Jean Rouaud sera une des plus grosses ventes en librairie de la décennie. Le « phénomène Goncourt » va confirmer et amplifier ce succès de librairie. L’ouvrage sera traduit en 25 langues, plusieurs sites Internet seront consacrés à l’écrivain, à ses œuvres, aux études universitaires ou aux articles dont il fait l‘objet.

C Les prix littéraires

Ce phénomène des prix littéraires a pris une importance considérable au XXe siècle, essentiellement pour le genre le plus commercialisé, le roman. De gros enjeux économiques pour les maisons d’édition se jouent tous les ans au mois de novembre, lorsque sont attribués les principaux prix littéraires, les prix Fémina, Médicis, Renaudot, Interallié et surtout le plus recherché, le prix Goncourt.

Voici l’article d’Alain Salles dans le journal Le Monde, le 4 novembre 1999, juste après l’attribution du Prix Goncourt à Jean Echenoz pour son roman Je m’en vais (autre écrivain publié aux Éditions de Minuit) :

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Séquence 8-FR20 481

« … Chaque année, le scénario recommence : rumeurs, contre-rumeurs, tractations, polémiques… On saura au moins gré aux Goncourt d’avoir introduit un peu de piment. On peut aussi « lire » ce dernier prix avant l’an 2000 à la lumière des accusations portées, non sans raison, contre des jurys nommés à vie, ce qui autorise toutes les manœuvres. Couronner un écrivain respecté, publié par l’éditeur le plus rigoureux de la seconde moitié du siècle, qui vient de fêter ses cinquante ans d’édition, est une assez belle manière de se refaire une virginité.

« Les prix ont le mérite de faire venir dans les librairies des gens qui n’y vont pas le reste de l’année », nous expliquait, avant ce Goncourt, Jérôme Lindon, PDG des Editions de Minuit, grand gagnant de l’année. L’enjeu est en effet considérable pour les éditeurs. Car les prix font vendre. La moyenne, ces dernières années, est de 350 000 exemplaires pour un Goncourt. Un Fémina représente environ100 000 ventes, les Renaudot, Médicis et Interallié se situent entre 100 000 et 200 000 exemplaires. Sans compter la reprise quasi automatique en édition de poche, en clubs de livres, et l’accès à des tra-ductions. Les gros succès des quinze dernières années sont le Goncourt de Marguerite Duras, L’Amant, avec 1,3 million d’exemplaires, celui de Jean Rouaud, Les Champs d’honneur, avec 600 000 exemplaires (tous deux aux éditions de Minuit), et celui de Yann Queffélec, Les Noces barbares (Gallimard), avec plus de 400 000.

Une thèse vient d’être consacrée aux prix littéraires : « La Reconnaissance littéraire, littérature et prix littéraires : les exemples du Goncourt et du Fémina », de Sylvie Ducas. Soutenue en septembre 1998 à l’Université Paris VII, elle étudie les prix sous un angle historique, littéraire, sociologique et écono-mique. Elle analyse comment « les prix littéraires deviennent le théâtre de stratégies collectives où se jouent bien plus que de simples ambitions, intrigues et intérêts personnels, puisque se pose alors la question du statut de l’écrivain et de sa reconnaissance, à une époque où, pour de multiples raisons, sa désacralisation est consommée. »

Comme le sous-entendent certains passages de cet article du Monde, ce système des prix littérai-res fait l’objet de nombreuses critiques, même si le public suit l’avis des jurés, comme nous venons de le voir d’après le chiffre des ventes des différents lauréats. Pour un ou deux Prix Goncourt attribués de façon incontestable, comme ce fut le cas pour Les Champs d’honneur, d’autres font peser des soupçons sur l’impartialité de ces jurys composés d’auteurs liés eux-mêmes aux différentes maisons d’édition en concurrence.

« Comme à Longchamp, les jurés portent casaque (invisible pour le grand public). Tous défendent une écurie. Car le Goncourt ne récompense pas un écrivain, comme un vain peuple le pense, mais un éditeur. Le trio Gallimard-Grasset-Le Seuil, surnommé « Galligrasseuil » fait la loi. Comme un bon cheval, un juré se prépare toute l’année, à coup de grosses avances et de grasses préfaces. Tous les jurés sont comptés, certains sont salariés par leurs éditeurs à l’année, c’est plus sûr. Comme ces prélats de Lettres ont l’ego à vif, leurs disputes de tables plantent souvent les pronostiqueurs. D’où suspense… Mais un juré bien préparé à la reconnaissance du ventre : il vote là où il mange. »

Frédéric Pagès, Le Canard enchaîné, 10 nov 1999.

Voilà pourquoi de plus en plus de prix littéraires récents font appel à l’avis du public : Livre Inter, Prix Goncourt des lycéens…

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Séquence 8-FR20 483

iches autocorrectives chapitre 4

Exercice n° 4Les journalistes célèbrent la victoire de Jean Rouaud pour plusieurs raisons qui découlent de la surprise créée par le choix des jurés du Goncourt :

• Rapidité de l’élection,

• Prix décerné à un premier roman,

• Prix décerné à un écrivain non confirmé,

• Prix décerné à un écrivain marginal qui vit de peu,

• Rejet de Philippe Labro, écrivain et homme public connu,

• Absence des grandes écuries éditoriales au profit d’une petite maison d’édition,

• Prix qui couronne un succès immédiat de librairie.

Les journalistes relèvent donc davantage la secousse créée dans le monde des Lettres par cette élection, bouleversement inattendu.

Antoine de Gaudemar, dans Libération, écrit davantage en tant que critique littéraire puisqu’il s’attarde sur l’événement éditorial que constitue le couronnement de Jean Rouaud, mais propose aussi une lecture critique du roman dans la deuxième moitié de son article. Lorsque les journalistes présentent le contenu du roman, ils reprennent les mêmes mots comme souvenirs de famille et constatent la maîtrise du style dont fait preuve Jean Rouaud, écrivain pourtant encore novice et inconnu.

iches autocorrectives chapitre 5

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Séquence 8-FR20

Et après ?

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A Un second roman…Après l’extraordinaire succès des Champs d’honneur, Jean Rouaud poursuit aussitôt son œuvre : un second roman, très attendu, paraît en 1993 : Des hommes illustres va mettre en scène le père de Jean Rouaud, Joseph.

Quatrième de couver-ture du second roman

de Jean Rouaud, Des hommes illustres

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Séquence 8-FR20 485

B … Une œuvre qui se construitFinalement, l’évocation de ses proches fournira avec un égal succès la matière de cinq romans, publiés entre 1990 et 1999, jusqu’à ce que cette quête d’identité par le souvenir lui paraisse achevée :

- Les Champs d’honneur (1990)

- Des hommes illustres (1993), sur la mort de son père

- Le monde à peu près (1996), sur le deuil après le décès de son père

- Pour vos cadeaux (1998), sur la mort de sa mère

- Sur la scène comme au ciel (1999), qui conclut son travail de mémoire.

« J’avais tout à fait le sentiment en écrivant Sur la scène comme au ciel (la dernière de ces cinq chroni-ques familiales) que je me livrais à un ultime inventaire, ce dernier regard que l’on jette avant de rendre les clés. J’ai utilisé à peu près tout ce que j’avais : mémoire, souvenirs, documents. Cela fait quinze ans que je travaille sur cette histoire des miens, de mes origines, et honnêtement il me semble en avoir fait le tour. Je ne vois vraiment pas ce que je pourrais rajouter. »

Généalogie des personnages des romans de Jean Rouaud

Famille Rouaud Famille Burgaud

Emile Mathilde Joseph Tante Marie Pierre Aline Grand-père Alphonse Grand-mère

Rémi Joseph Anne Marthe Lucie John

Nine Jean Rouaud Zizou Lucas

Outre les cinq romans cités ci-dessus, il a également publié des poèmes, des essais, des pièces de théâtre.

C … Et un retour sur la genèse de cette œuvre littéraire

Son dernier ouvrage à succès, L’Invention de l’auteur (2004, éd. Gallimard), explore les raisons qui l’ont fait écrivain : presque contre son gré, cette quête le ramène irrésistiblement à la mort de son père et au lointain passé de son Campbon natal.

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Séquence 8-FR20486

Dans L’Invention de l’auteur, Jean Rouaud raconte comment la mort de son père a fait de lui un écrivain. Une magnifique réflexion sur sa vie de romancier. » ( Le Nouvel Observateur). Mais, comme d’habitude, rien de prémédité chez Rouaud, un désir d’écrire qui commande et mène l’écrivain. C’est l’écriture qui conduit l’écrivain à l’essentiel.

« Il m’avait semblé qu’après avoir fini avec l’histoire des miens, ce pouvait être le moment de m’inter-roger, en m’en remettant comme d’habitude à l’écriture elle-même, à son cheminement propre, à ses éclairs poétiques, à ses associations étranges, en me contentant de la pister, en somme taxi, suivez ce bon mot. »

L’auteur construit son œuvre, et l’œuvre construit son auteur.

L’itinéraire de l’écrivain Jean Rouaud l’a donc ramené peu à peu à ses origines, dont il a fait l’essentiel de ses romans. L’itinéraire géographique correspond à sa quête personnelle. Après avoir passé son enfance à Campbon, vécu à Paris, puis à Montpellier, Jean Rouaud est maintenant revenu à Campbon, dans la maison familiale, où il poursuit son œuvre d’écrivain et s’interroge sur cette nécessité passionnée d’écrire.

Deux citations de Jean Rouaud sur l’écriture :

« Écrire, c’est se jeter dans le vide en se disant je serai rattrapé ; par le sens évidemment. »

« L’écriture est un exercice spirituel, elle aide à devenir libre. »

� À retenir

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Séquence 8-FR20 487

onclusion

Un nouveau genre littéraire ?

En guise de conclusion et d’ouverture, nous allons tenter d’identifier à quelle filiation littéraire l’œu-vre de Jean Rouaud pourrait se rattacher, à quel genre pourrait ressortir cette quête des origines. Autobiographie ? Roman ? A priori, vous connaissez la différence entre les deux types de récits.

Le dictionnaire Larousse donne comme définition au nom roman :

« Un roman est un récit de fiction en prose, relativement long, qui présente comme réels des person-nages dont il décrit les aventures, le milieu social, la psychologie. »

Pouvons-nous à propos des Champs d’honneur parler de roman ?

• Il n’y a pas d’histoire à proprement parler ;

• l’écriture avance par association : on ne peut donc parler d’une composition organisée ;

• les morts sont évoqués à l’envers de leur chronologie ;

• le narrateur est effacé comme s’il appartenait lui aussi à l’autre monde, celui des morts ici évoqués.

Qu’est-ce qu’une autobiographie ?« un récit rétrospectif en prose qu’une personne fait de sa propre vie lorsqu’elle met l’accent sur sa vie personnelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » Ph. Lejeune, Le pacte autobiographique, Le Seuil, 1975).

Jean Rouaud, dans Les Champs d’honneur, non seulement n’emploie jamais la première personne du singulier, ce « je » qui inscrit une histoire comme autobiographique, mais si le narrateur est en voix off, jamais présenté, comme une doublure de narrateur, il n’en reste pas moins que le roman est écrit du point de vue de l’enfant que fut Jean Rouaud : le narrateur se confond avec lui. Nous sommes bien en présence d’un roman appartenant au genre autobiographique où le narrateur emploie un « nous » qui l’inclut dans un groupe et n’en fait pas le seul auteur.

« C’est un des charmes de ses livres que de l’entendre nous dire sa version des faits et de raconter si bien l’histoire à laquelle il appartient. « On fait avancer le texte devant soi, écrit-il, comme un âne à qui on confie le soin d’inventer un chemin à travers le maquis. D’où les itinéraires tortueux à la limite du décrochage, mais il faut lui faire confiance. D’autant plus qu’il a l’air de savoir, qu’il ne paraît pas progresser à l’aveuglette, comme si un sixième sens lui servait de boussole magnétique. Ce sixième sens du texte, c’est lui par exemple qui m’a conduit dans les tranchées de Quatorze alors qu’écrivant un récit d’enfance, je n’avais apparemment rien à y faire. »

Ce premier livre publié, « Les Champs d’honneur » qui lui a valu le prix Goncourt montre comment avec notre invention, nous reconstituons les liens brisés, comme c’est avec de l’imaginaire que Jean Rouaud imagine les horribles souffrances d’un grand-père gazé à la guerre de quatorze en 1916 qu’il n’a évidemment pas connu, à travers ce qu’il a ressenti, cette douleur auprès de sa grand tante, jamais consolée de la mort de son frère. »

Extrait d’un article écrit pour le site internet http://epsyweb.compar Denise Vincent dans la rubrique « Regard sur… un livre. »

Roman

Autobiographie

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Séquence 8-FR20488

Depuis la fin des années 1970, un nouveau genre se développe en littérature, entre roman et autobio-graphie : l’autofiction.

Le terme a été inventé par l’écrivain et critique Serge Doubrovsky pour définir le genre auquel pour-rait appartenir son livre Fils, publié en 1977. Ce roman met en scène des personnages réels et Serge Doubrovsky en est lui-même le héros.

À la différence de l’autobiographie, qui revendique la vérité sur soi-même et son passé, l’autofiction reconstruit un récit à partir d’événements réels et de souvenirs parfois imaginaires. C’est ce que fait Jean Rouaud : refusant le « je », il reconstruit son histoire par l’écriture, à la limite de l’auto-biographie et de l’invention romanesque. « Partir d’une trame autobiographique pour écrire quelque chose qui ressemble à du roman, c’est se condamner à faire le yo-yo entre l’imaginaire et le réel, entre la fiction et le documentaire. », affirme-t-il en analysant son projet.

Ce nouvel espace générique entre récit vrai et récit inventé a un grand succès depuis les dernières décennies du XXe siècle. Après Céline, les écrivains Emile Ajar, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Pérec, Philippe Sollers… et Jean Rouaud, entre autres, revendiquent cette ambiguïté d’un nouveau genre littéraire : dans leurs œuvres qu’ils qualifient de « romans », un narrateur qui leur ressemble entraîne le lecteur dans le « mentir-vrai » du souvenir, qui relie réalité et fiction.

Ce choix de l’autofiction correspond aussi à la difficulté de tout projet autobiographique, qui tente de restituer la vérité mais doit assumer la part d’invention de toute œuvre littéraire. Mais n’anti-cipons pas… Cette dernière problématique littéraire de l’année figure au programme de la classe de Première. Elle sera donc analysée et approfondie dans le cours de l’année prochaine, où nous étudierons ensemble la spécificité et les enjeux de l’écriture biographique. ■

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