Alexandre Stevens- Désarroi et inventions dans la psychose

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  • 8/14/2019 Alexandre Stevens- Dsarroi et inventions dans la psychose

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    Oui, donc, dsarroi et invention dans les psychoses, c'est ce dont je vais essayer de vous entretenir, d'unemanire que j'essaierai trs clinique. Au fond, ce titre " dsarroi et inventions " situe, correspond un binairequi est assez classique dans la psychanalyse. Le dsarroi situe ce qui fait irruption de l'extrieur, ce quidstabilise le sujet et l'invention, ou les inventions, nous voquent ce que le sujet invente ou construit pour

    rpondre cette irruption.

    Je voudrais insister l-dessus au point de dpart de mon intervention. Je dirais que c'est une position thiquede la psychanalyse, une position de choix thique de la psychanalyse de ne pas considrer le sujet psychotique comme prsentant un dficit, par exemple un dficit du rapport la ralit. Encore que certains psychanalystes post-freudiens, comme les nomme Lacan Je pense, par exemple, Margaret Mahler, qui atrait d'enfants autistes et qui a crit, par ailleurs, un ouvrage extrmement intressant, cliniquement, sur la psychose. De formation annafreudienne, Margaret Mahler considre que les enfants psychotiques prsententun dficit de comprhension logique des phnomnes en cause. Elle a d'ailleurs l-dessus un certain nombred'exemples. Je vous en mentionnerai un, simplement : c'est un enfant qui, chaque fois qu'il est dans son bureau - c'est un enfant psychotique la limite de l'autisme et de la schizophrnie - semble extrmementinquiet, la fin de la sance, quand la sonnette annonce la sance suivante, quand la sonnerie retentit. Alors,comme elle a l'ide qu'il s'agit d'un dficit de comprhension, elle essaie de lui expliquer et puis elle luiexplique, et a ne le rassure pas tout fait. Alors, elle lui explique concrtement ; elle lui dit : " On va voircomment a fonctionne ", puisque son ide est celle d'un dficit de comprhension logique. " On va voircomment a fonctionne ", et elle l'amne dans le couloir, elle l'amne la sonnette en bas : " On pousse, tuvois, a sonne. Quand on pousse ici, c'est le suivant " ; et elle le fait remonter, elle sonne elle-mme en bas,on peut imaginer le petit scnario qu'elle produit l. Au moment o la sonnette retentit pour la sancesuivante, l'enfant prsente nouveau la mme inquitude. Elle lui dit : " Mais pourquoi, puisque tu as

    compris ? " (parce qu'il lui avait dit : " Oui, j'ai trs bien compris "). Il lui dit : " Mais cette fois-ci, lasonnette savait que j'attendais qu'elle allait sonner ". Il rpond bien que ce n'est pas d'un dficit decomprhension qu'il s'agit.

    Donc, je pense que c'est une position thique de considrer le sujet psychotique non pas situ partir d'undficit de comprhension ou d'un dficit quelconque, mais plutt comme celui qui invente sa rponse uncertain mode du rel qu'il a atteint, qui invente sa rponse - qu'elle soit de dlire, son symptme, ou production plus minente ou plus modeste dont je ferai tat en quelques exemples tout l'heure - l'irruptionde ce rel. Quelque chose lui est tomb dessus, une rupture dans l'ordre du discours, et cela, il cherche unerponse. C'est ce que je vais mettre en valeur, donc, par ce couple : dsarroi et invention.

    Je dis : c'est un couple classique de la psychanalyse, c'est le couple freudien " trauma et symptme " qui, lui,est un couple qui plutt s'articule la nvrose. Cela reste cependant ce couple d'un sujet qui, confront uncertain rel, le trauma, y ragit par la construction d'un certain symptme.

    C'est le couple lacanien, propre la psychose : retour du signifiant dans le rel - j'essaierai de prciser a un peu tout l'heure - et rponse du sujet. Lacan montre bien comment le signifiant forclos, le signifiantretranch de l'ordre symbolique... Je pense qu'Antonio Di Ciaccia avait abord cette question. C'est ce quifait qu'au fond, la grande distinction entre nvrose et psychose tourne autour de cette question du

    refoulement, autour de la manire dont le signifiant est refoul. Dans la nvrose, il est refoul, mais dans lemouvement mme o il est refoul, il est refoul tout en restant dans l'ordre symbolique, c'est--dire dans

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    l'ordre du langage. C'est ce que Freud appelle le retour du refoul. Le refoulement, en mme temps, prsenteun retour du refoul sous la forme symptomatique de la persistance de ce qui est refoul, transform. Dans la psychose, au contraire, le signifiant qui est rejet n'est pas maintenu dans le symbolique sous la forme d'unretour et, par consquent, revient au sujet comme surgissant de l'extrieur, sous la forme d'une voix par

    exemple.

    C'est encore le couple logique aristotlicien du contingent et du possible, donc de l'irruption d'une rencontrecontingente, occasionnelle, et du possible de la rponse du sujet cet inattendu. Le contingent - commel'appelle Aristote - c'est--dire l'inattendu de la rencontre, l'occasion de la rencontre, de la surprise ; c'est unterme qui situe par ailleurs un accent majeur de la cure analytique. On pourrait dire que le sujet, tout sujetcherche spontanment l'homostase. Comme dit Lacan, il est heureux. Il cherche le plaisir qui satisfait unecertaine homostase, sans dranger. Le sujet est heureux autant, d'ailleurs, dit Lacan, que le signifiant est bte, c'est--dire fonctionne dans l'automaton. Mais le sujet rencontre, l'occasion, des surprises et, au fond,la position de l'analyste ne consiste pas aider le sujet retrouver son homostase, mais plutt le rendre prt la surprise, le rendre prt saisir la surprise et y rpondre.

    Alors ce mouvement de la psychanalyse, ce mouvement mme de la cure analytique est nuancer, sansdoute, dans la psychose puisque dans la psychose, il y a parfois lieu, au contraire, d'aider le sujet tenir uncertain type d'irruption, de surprise l'cart, ce qui peut le faire dclencher, ce qui peut dstabiliser sonmonde.

    Je prendrais un petit exemple clinique que je prlve d'une prsentation de malade que j'ai entendue, prsentation faite par mon collgue ric Laurent, il y a dj un certain nombre d'annes, l'Hpital Sainte-

    Anne Paris. Il s'agissait d'une jeune dame d'origine algrienne, en France depuis un an environ, venuerejoindre son pre, qui tait le seul membre de la famille avoir migr, dans un premier temps, et qui lafaisait venir pour qu'elle puisse faire des tudes en France. Et puis, pendant le temps o elle tait en France,elle est retourne un moment dans sa famille, en Algrie. Elle est revenue en France, et puis, elle ne s'est pas sentie tout fait bien et puis, surtout, elle fait des tudes du ct de la psychologie et on lui dit que aserait pas mal qu'elle participe un groupe de parole, un psychogroupe, de je ne sais plus exactement queltype ; et elle va donc un groupe de ce type-l, et elle parle avec les autres. Elle explique sa famille, elle parle beaucoup de son pre, de sa famille qui reste en Algrie, etc., et au bout de deux jours, l'animateur dugroupe lui dit : " C'est trs bien tout a, mais il serait temps que tu essaies de nous dire aussi quelque chosede toi ; qui es-tu, toi ? " Et cette fille reste ne pas pouvoir en dire un mot mais, quelques minutes plus tard,elle sort avec le sentiment d'tre gare. Ce sentiment s'aggrave au cours de la journe suivante et la nuitd'aprs, qu'elle passe trs agite, elle sort au milieu de la nuit, en rue, nue, ce qui videmment provoque trsrapidement l'intervention de la police, qui dans ces cas-l arrte les choses, et l'amne l'hpital psychiatrique.

    Elle sort nue en rue Alors, ce n'est pas banal, parce que d'une part a situe qu'elle tait extrmement gare,mais surtout, ce qu'il y avait d'intressant dans ce cas, - c'est ce que Lacan appelle le " retour du signifiantdans le rel " - c'est qu' la question " qui es-tu, toi ? ", l o elle enrobait a de son histoire familiale, elle arencontr, on pourrait dire, un vide de signification, une impossibilit situer son tre de faon prcise, ou

    plus prcise que par les rapports imaginaires de sa famille qu'elle prsentait ; et elle est sortie en rue enralisant son nom, parce que son nom, en arabe, signifiait " fille de plaisir ", ou peu prs cela. Je ne connais

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    Le mot d'esprit, c'est l'invention d'un signifiant nouveau, l'invention d'un signifiant qui n'est pas dj dans lecode. Lorsque Freud extrait ce mot d'esprit , classique depuis qu'il l'a relev, qui vient d'un ouvrage d'HenriHeine, de ce monsieur qui explique comment il a rencontr Rothschild, dont il dit qu'il le traitait de maniretout fait famillionnaire On voit bien, dans ce mot d'esprit, l'invention d'un mot avec les significations que

    a peut avoir pour le sujet dans l'affaire, mais ce mot d'esprit, famillionnaire, c'est un nologisme, au sensstrict du terme.

    La diffrence avec le nologisme psychotique c'est que dans le Witz - le mot d'esprit : Witz, c'est le termeallemand - le nologisme, c'est certes un message qui n'est pas dans le code, un message donn l'autre etqui n'est pas dans le code, mais nanmoins qui fait appel l'Autre pour en accepter la validit. Quand on sortun mot d'esprit, on attend que a fasse rire, et quand a fait rire, a veut dire que l'autre reconnat que a vautet donc, en effet, a vaut dans le code comme invention. Il y a donc appel l'Autre pour attester la validit del'invention.

    Dans le nologisme psychotique, la situation est un peu diffrente. Il n'y a pas d'appel l'Autre pour attesterde la validit de la signification et en effet, ric Laurent qui lui demandait : " Bimane, qu'est que a veutdire ? Expliquez-moi un peu ", elle a rpliqu : " Mais vous le savez ! ", avec l'ide qu'en effet, ce signifiantlui est dj impos par l'Autre, comme le signifiant qui vient arrter les significations. Alors, ce surgissementd'un rel qui, chez cette dame, est arriv suite la question pose : " Qui tes-vous... qui es-tu, toi ? ", cesurgissement d'un rel peut apparatre sur un mode plus mineur. Le mode le plus mineur d'apparition de cesurgissement, c'est ce que, dans la psychiatrie classique - psychiatrie classique, c'est--dire la psychiatrie dudbut du sicle - on appelait la " signification personnelle ". La signification personnelle, c'est le sentimentque quelque chose signifie pour le sujet, mais qui garde sa dimension compltement nigmatique. Une de

    mes patientes psychotiques m'avait ainsi racont le premier phnomne qui lui tait apparu. C'tait un jour,quand elle tait la mer du Nord, avec sa mre, en train de se promener sur la plage, - la mer du Nord c'estune mer o, l'occasion, il y a de grands vents - par un moment de leve de ce grand vent, elle avait eu lesentiment que tout le monde venait vers elle sur la plage. partir de l, ce premier sentiment l'avait laissedans une grande perplexit. C'est--dire qu'elle ne savait pas ce que a voulait dire, n'avait pas la moindreide de ce que a pouvait vouloir lui dire, mais elle avait malgr tout le sentiment que a s'adressait elle.

    Ce type de signification personnelle, c'est, au fond, la rduction la plus minimale de ce que Lacan appelle le" phnomne lmentaire ", et a provoque pour le sujet une perplexit, c'est--dire que a laisse en panne designification. Le sujet est dans une certaine incertitude quant la signification qui lui vient de l'Autre, maisen mme temps, cette incertitude quant la signification qui lui vient de l'Autre lui donne corrlativementune certitude, aussitt. C'est que c'est adress lui, a le concerne, donc c'est un signe de l'Autre qu'il nedcode pas. C'est la certitude psychotique, en tant que distincte de la croyance du nvros, la croyance dunvros tant, disons, une certitude vacillante. Certitude et croyance, certitude psychotique et croyance dunvros sont opposes par Lacan de faon trs prcise en plusieurs endroits de ses textes, d'abord dans sescrits, dans un texte qui s'appelle Propos sur la causalit psychique, o il dit comment un sujet qui se prend pour un roi est fou, mais un roi qui se prend pour un roi l'est tout autant, faisant rfrence l, d'ailleurs, Louis II de Bavire.

    Certitude, c'est--dire absence de vacillation dans l'identification. Je prendrai ensuite un exemple de lavacillation dans l'identification. Ici, le sujet se croit, dans ce cas, autre qu'il n'est, et c'est ce qui fait sa

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    mis croire mon propre ouvrage ". Au fond, voil la dimension de la croyance nvrotique, la dimension dela vacillation qui va avec toute croyance. Toute croyance implique qu'on puisse effectivement, sous le termesuivant, en douter un peu, quitte reprendre sa croyance, ce que fait d'ailleurs Casanova parce qu'aprs, ilcontinue croire quand mme que la prochaine fois il n'y croira pas. Mais, dans ce moment saisissant pour

    lui, - au fond, ce qu'on pourrait penser, ce qu'il pense volontiers tre une certitude : " Je ne crois pas dans cesouvrages de magie que je fais " - il se dmontre croyant, donc avec la possibilit de vacillation de sacroyance.

    Alors, par rapport ces phnomnes de certitude qui tournent autour du surgissement d'un signifiant dans lerel, - ce sont les exemples que je vous donnais tout l'heure - d'un signifiant qui fait signe au sujet, jevoudrais dire qu'on a un grand repre de la clinique diffrentielle entre certaines psychoses, entre la psychose paranoaque et la psychose schizophrnique. Alors que du ct de la paranoa - je dis " du ct " parce que cesont les deux grands ples que je situe l, je ne veux pas faire une classification - du ct de la structure paranoaque, - Lacan et Freud l'tudient propos du cas Schreber - du ct de la paranoa, nous avons eneffet le surgissement d'un signifiant dans le rel et nous avons la tentative par le sujet de rparer la trame durapport des signifiants aux significations. Comme je vous disais tout l'heure. Du ct de la schizophrnie,au contraire, ce qui surgit, c'est un phnomne dans le corps ; ces " retours dans le corps ", comme s'exprimeLacan, peuvent tre trs varis : ce sont les grands phnomnes schizophrniques mais aussi, parfois, des phnomnes plus subtils.

    J'ai, il y a un certain nombre d'annes, fond une institution pour enfants psychotiques et je veux vousvoquer, propos de ces phnomnes de retour dans le corps, des fragments cliniques de deux de ces enfants,qui sont explicites de ces phnomnes de corps. L'un, qui est un enfant qui tait extrmement perturb,

    extrmement djet, extrmement peu localisable mme dans l'espace, l'occasion du travail fait avec lui,s'est apais. Lorsqu'une ducatrice, une intervenante, s'est retrouve avec lui dans un travail d'atelier devantun miroir - avec l'ide, sans doute, que a pouvait l'aider constituer une certaine image de lui - eh bien dansle miroir, elle lui a fait observer : " Qu'est-ce qu'il y a derrire toi dans la pice ? " Parce que dans le miroir,on voit aussi ce qu'il y a derrire soi dans la pice. Il disait : " L, le piano, l, la table, le meuble, le cadrequi est en face " ; il tait assez joyeux de tout a, et un moment elle pointe son doigt sur son image dans lemiroir : " Et l, qu'est ce que c'est ? ". Cet enfant, aprs un moment de perplexit, a rpondu " un pull-over ",situant un fragment de son corps, et mme pas de son corps, je dirais un fragment de ce qui fait la surface deson corps.

    Un autre enfant o le phnomne est plus intressant du point de vue du retour dans le corps, parce que dansle premier il s'agit au fond d'un fantasme de morcellement, d'un phnomne de morcellement Le secondenfant est un enfant d'origine nord-africaine, qui aimait beaucoup manger, et spcialement du couscous. l'poque, d'ailleurs, o il s'est retrouv dans cette institution, qui s'appelle Le Courtil, on a mang assezsouvent du couscous parce qu'il aimait beaucoup a ; donc on en a fait et un jour son pre lui a dit : " Faisattention, parce que si tu manges autant de couscous, ton ventre risque d'clater ". Et partir de ce moment-l, chaque fois qu'il s'agissait de manger, - et pas seulement du couscous, le phnomne s'est tendu assezlargement - quasi entre chaque cuiller de son repas, il soulevait son pull-over, regardait son ventre etdemandait : " Est-ce qu'il va clater ou je peux encore manger une cuiller ? ". On voit l comment il s'est mis

    tre joui par l'Autre dans son corps. La parole de l'Autre s'est mise risquer de se raliser dans son corps,comme vnement provoqu par l'Autre. C'est ce que j'appelle : l'Autre jouit dans son corps. Si bien,

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    d'ailleurs, parce qu'il prsentait plusieurs phnomnes de ce type, que cet enfant aussi - qui tait par ailleursextrmement vif et intelligent, ce n'tait pas un autiste, c'tait un enfant schizophrne - cet enfant s'est amen prs d'une intervenante qui jouait du piano - une intervenante qui joue trs bien du piano - et un moment,elle s'est arrte de jouer et il lui a dit " Joue-moi du piano ". Alors elle s'est remise jouer et il lui a tendu

    ses mains : " Non ! Joue-moi du piano ". Alors elle lui a cd sa place, en pensant " tu veux jouer du piano ",et il a insist en tendant ses mains : " Non ! Joue-moi du piano ", proposant que l'Autre joue de ses mains lui du piano. C'est--dire le ct " tre joui par l'Autre ", tre un bout de son corps utilis par l'Autre, c'est cequ'il proposait l.

    Eh bien, si sous l'aspect paranoaque, les phnomnes d'irruption surgissent donc comme signifiants qui fontsignes et dchirent le tissu de la signification, dans ces phnomnes schizophrniques, c'est le corps qui estatteint. Dans la psychanalyse, nous connaissons essentiellement deux abords du corps : le corps commeimage, le corps, au fond, comme unit, le corps comme moi, c'est--dire le corps anim d'un sentiment de lavie. Je prends l l'expression Lacan, " le sentiment de la vie ". C'est le corps construit sur le semblable,construit sur l'image de l'autre pour se donner image soi. Et nous avons l'autre aspect du corps, qui est lecorps comme objet, comme objet pulsionnel, objet toujours partialisable, le corps comme objet des pulsions partielles, le corps quand il n'est pas enrob par l'image, quand il n'est pas enrob par l'unit du moi. Et dansces deux cas d'enfance que nous voyons, c'est, au fond, le dfaut d'enrobage du corps pulsionnel par l'image,le dfaut d'enrobage du corps pulsionnel, partialis l'occasion, par l'image.

    Je disais que ces phnomnes de corps peuvent se trouver de faon plus subtile et je pensais l un cas,clinique aussi, mais qui est plutt tir d'un roman, du roman de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V.Stein. Lol y est clairement prsente, par Marguerite Duras, - et d'ailleurs elle le confirme dans un entretien

    avec Lacan - clairement prsente comme psychotique. Lol V. Stein, un certain nombre d'entre vous ontcertainement lu ce roman. Lol V. Stein, c'est cette femme qui se fiance, et au moment o elle se trouve au balavec son fianc, elle voit son fianc extrmement attir par une autre femme, on peut dire " aspir " par uneautre femme. Elle les voit danser ensemble et aussitt son amour cesse, dit-elle. Ce n'est pas de la jalousie,c'est qu'elle est saisie absolument par autre chose - on verra tout l'heure ce qu'tait cette dimension de sonamour - elle est saisie absolument par autre chose, qui est le corps de cette autre femme. Et le corps de cetteautre femme se met aspirer absolument toute la signification de son tre, spcialement sur la robe de cettefemme. Et puis, cet homme s'en va avec cette femme et elle reste seule. Aprs un pisode de vacillation, elleva rencontrer un autre homme, elle va se marier, elle va avoir une vie tout fait normale dans une autre ville.Mais, comme c'est extrmement bien dcrit par Marguerite Duras, elle va avoir une vie vide ; normale, maisdans laquelle elle ne se trouve pas. Ses enfants vont bien, elle fait le mnage, son mari vient, tout se passe parfaitement, n'est-ce pas, elle est normale, mais dshabite du sentiment de la vie. Puis, elle retourne dans laville o s'tait pass le bal et o elle avait perdu son fianc. Mais le problme n'est pas tellement qu'elle avait perdu ce fianc, c'est plutt qu'elle avait perdu cette femme. Parce qu'au fond, l'amour qu'elle avait pour cefianc, rien ne dit qu'il tait plus minent que l'amour qu'elle a eu ensuite pour son mari et ses enfants, c'est--dire quelque chose qui la laissait quand mme vide, trangre elle-mme.

    Elle revient dans cette ville et l, donc, elle voit de loin une ancienne amie d'enfance et elle rencontrel'homme qui est devenu l'amant de cette femme. Il y a alors cette srie de scnes o elle est dans le champ de

    bl, o elle voit les amants, spcialement le corps de cette femme dshabille, apparatre la fentre du petithtel sordide o ils vont se rencontrer. Cette scne se rpte quelques fois et on y voit Lol revivre, ranime

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    compltement du sentiment de la vie - anime plus qu'aspire, d'ailleurs - par le corps de cette autre femme,dans un phnomne o, au fond, c'est cette autre femme, le corps de cette autre femme, comme la robe de lafemme du bal, qui lui donne au fond l'image qui l'habille elle-mme.

    Marguerite Duras situe bien comment le corps de cette femme vient la place de son propre corps. Et donc,elle se retrouve dans deux situations, Lol V. Stein : soit elle est habille du corps de l'Autre ou de la robe del'Autre, soit elle se retrouve vide, perdue, sans vie, mais pouvant animer une vie normale.

    Une fois dits ces phnomnes, je voudrais examiner un peu les orientations du traitement, les orientations psychanalytiques par rapport ces phnomnes qui touchent le corps. Les orientations du traitement, j'entends par l les orientations des traitements que les sujets trouvent, c'est--dire les inventions que lessujets se construisent pour rpondre ce qui est arriv dans leur corps. Alors je vais mettre en srie quelquesmodes d'invention.

    D'abord, dans le cas de Lol. V. Stein de Marguerite Duras, dont je parlais, il est intressant de remarquerqu'il y a le choix de deux positions : soit elle est normale, mais dshabite d'elle-mme ; soit, au contraire,elle est reprise par la vie, mais dans une position o c'est par l'intermdiaire d'une autre et d'une manire quine peut - a se saisit parfaitement dans le roman - qui ne peut que draper. C'est une position qui ne peuttenir que quelques instants, que pendant un certain moment, qui ne peut que glisser. Cela pose d'ailleurs unequestion thique : au fond, que faut-il soutenir dans ce cas ? Que vaut-il mieux ? Qu'elle vive une vie quiapparaisse normale, mais dshabite, ou qu'elle choisisse d'tre habite par le sentiment de la vie, mais dansune vie qui, par contre, bascule la folie aussitt ? Quand je dis " choix thique ", c'est moins le choix, l, lechoix du psychanalyste que celui du sujet qui est en cause, c'est elle qui choisit.

    Deuxime type de construction, d'invention du sujet, c'est la construction de traits partiels d'identification quifixent la signification, dfaut de ce que Lacan appelle la mtaphore paternelle, c'est--dire dufonctionnement du Nom-du-Pre. Je ne veux pas dvelopper la fonction du Nom-du-Pre, qu'Antonio DiCiaccia avait dveloppe. Mais donc, devant ce dfaut du signifiant qui fait tenir la signification, devant cedfaut, le sujet qui ne trouve pas suffisamment de significations de ce qu'il est dans l'existence peut essayerde se construire des identifications partielles, des bouts d'identification qui lui permettent de tenir dans uncertain nombre de circonstances. J'voquerais, l encore, pour prendre les choses, comme j'avais annonc, par un bout trs clinique, le cas d'un patient que j'ai vu, aprs son dclenchement psychotique, et qui a opr

    exactement cela : se construire plusieurs identifications qui lui servent selon les moments et les lieux o il estdans l'existence.

    C'est un adolescent juif religieux qui se trouvait dans une cole juive religieuse d'Anvers - Anvers a unecommunaut juive religieuse importante en Belgique - et simplement il lui tait difficile de suivre les cours,l'enseignement semblait tre trop difficile pour lui, et donc il fallait le changer d'cole. Et son pre trouvaitembarrassant dans le changement d'cole, que dans ce cas, il devrait aller dans une cole mixte. Parce qu'ilfaut dire que la plupart des coles courantes en Belgique - en dehors, en effet, de certaines institutionsorganises, comme certaines coles juives religieuses - la plupart des coles sont mixtes. Et, du fait des prceptes de la religion, mais aussi de l'entourage, son pre trouvait qu'on ne pouvait pas le mettre dans une

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    cole mixte. Alors il tait extrmement embarrass, ce que son fils comprenait ; et finalement, son pre l'amis dans une cole mixte Strasbourg.

    Alors son fils me disait bien, quelques mois plus tard, parce que je l'ai vu aprs toutes une srie d'pisodes

    entre temps, il me disait bien comment il ne comprenait pas pourquoi, pour son pre, c'tait possible de lemettre dans une cole mixte Strasbourg et pas Anvers. Or nous, nous comprenons tout de suite,videmment. C'est que son pre tenait aux semblants sociaux locaux et que, localement, il tait trs gn dele mettre dans une autre cole, on pouvait trs bien comprendre cela. Au fond, distance, a ne le gnait plusdu tout. Toujours est-il que le fils, a le rendait trs perplexe.

    Il est all ensuite dans un institut en Isral et l, c'est l qu'il dclenche, l'occasion de la rencontre d'un juifvenu de Norvge et dont lui a eu le sentiment que c'tait un juif extrmement curieux parce qu'il avait lescheveux blonds. Il dclenche, il va l'hpital psychiatrique, il est rapatri en Belgique, l'hpital psychiatrique, et aprs un temps de passage l'hpital, il va dans une institution de type post-cure, une "ressource " comme on dirait ici. C'est partir de l qu'il vient chez moi, deux ou trois mois aprs a.

    Il m'explique ceci : c'est qu'au fond, maintenant, les choses se sont apaises pour lui, parce que maintenant ilsait, quand il va Anvers, qu'il est un juif religieux et il s'habille en consquence. Par contre, quand il est Bruxelles, o il frquente essentiellement le quartier o se trouve cette petite ressource, il me dit : " Je saisque je suis un post-cure ", et a va aussi. On voit l la construction de deux petites identifications qui lui permettent de circuler dans deux mondes en tant quelqu'un de localis. Sa difficult, simplement, c'est qu'iltait amoureux d'une fille qui est catholique et que a lui paraissait plus difficile de se situer dans la famillede cette fille, dans laquelle il avait dj t. Alors il avait bien eu l'ide de lire le Nouveau Testament de la

    Bible, mais a lui paraissait interdit, jusqu' un jour rcent o il avait dcouvert que le Nouveau Testamentavait t traduit en hbreu. " Alors, me dit-il, dans ce cas-l, je vais pouvoir le lire et a me permettra peut-tre de devenir un catholique en hbreu pour pouvoir aller dans la famille de mon amie ". Voil donc destentatives dont la troisime, quand mme, il faut bien le dire, est au moins fragile. Ce sont des tentatives - parun sujet psychotique, dont le monde a compltement vacill - non pas de construire un grand dlire, il n'a pasfait a, mais de refabriquer une srie d'identifications qui lui donnent une situation, une signification, un tre,disons, prsentable, dans un certain nombre de circonstances prcises.

    Mais ces sujets ont aussi, l'occasion, un autre mode d'accs un traitement singulier de ce qui leur arrive,

    un autre type d'invention possible, dont je voudrais dire un mot, parce que a me parat spcialementintressant : c'est l'ironie, l'ancrage du sujet par un point de non-sens. L'ironie, je prends ma rfrence aussid'un article crit par Jacques-Alain Miller sur la clinique ironique. L'ironie vise la dvalorisation de l'Autre,la rduction de son sens au non-sens. On comprend pourquoi, d'ailleurs, a aide le sujet traiter ce qui luiarrive ; c'est dans la mesure o, au fond, le schizophrne, ou le sujet psychotique atteint dans son corps parl'Autre, a deux solutions en quelque sorte : soit il dlire ou il opre une construction identificatoire comme ceque je vous mentionnais l, et il se donne une nouvelle signification des valeurs du monde et de ce qu'il estlui-mme, soit il ironise et donc il dvalorise les significations imposes par l'Autre. Il vise la destruction del'Autre. L'ironie a ses lettres de noblesse, en particulier Socrate, dont on sait comment, en effet,l'enseignement oprait par le moyen de l'ironie. C'est--dire, au fond, comment il disait ses contradicteurs :

    " Vous avancez telle thse, trs bien ! Examinons-la ! " Et par une srie de questions, au fond, les amenait

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    devoir finalement reconnatre la dvalorisation complte de cette thse. Il y avait une dimension ironique,dans ce traitement que Socrate faisait de ses adversaires.

    Cette ironie du schizophrne est, l'occasion, une manire trs utile de traiter l'Autre qui l'envahit, qui

    l'envahit jusque dans son corps. Dans l'institution en question, encore une fois, dont je vous parlais tout l'heure, j'ai pu observer un jeune adolescent qui a produit ce petit trait ironique amusant. C'est qu'un jour Ils'tait extrmement apais et, au fond, apais comment ? C'est en devenant extrmement obsquieux.Progressivement, il avait construit un langage d'une trs grande obsquiosit, d'une politesse excessive l'gard de l'autre, l'gard de tous les autres, et remerciant de faon excessive pour des choses qu'on ne luiavait mme pas donnes, je veux dire, vraiment, dans cette dimension de soumission entire ce que pourrait tre un caprice de l'Autre. videmment quand la soumission est telle, on voit bien, dj, que a nel'est plus tout fait, parce que quand on est trop obsquieux, a dstabilise en mme temps l'Autre parrapport auquel vous l'tes. Mais toujours est-il que lui a produit ceci, qui va un peu plus loin. Il avait changde groupe dans l'institution et, un jour, le directeur administratif de l'institution vient dans ce groupe, commeil y va de temps en temps, " visiter " entre guillemets. Mais ce jeune venait d'y arriver depuis peu de temps etdonc il dit : " Monsieur le directeur, je vais vous faire visiter mon nouveau groupe ". Donc il l'emmne auxdivers endroits en lui disant " c'est vraiment trs gentil d'tre venu me voir o je suis maintenant etc. " Et aumoment de sortir, le directeur lui dit au revoir en le remerciant beaucoup de lui avoir fait visiter l'institution,et ce jeune lui dit, sur le pas de la porte : " Mais, monsieur le directeur c'est un grand plaisir pour moi devous foutre dehors ". Au fond voil un trait d'ironie, une invention ironique qui va dans cette dimension del'obsquiosit, mais qui traite l'envahissement toujours possible de l'Autre.

    Mais, aprs tout, c'est aussi l'essentiel du travail de Joyce, bien que ce ne soit pas le seul travail qu'il opre.

    James Joyce fait, lui, une invention d'une grande ampleur, leve la dimension de la littrature. Joyce n'est pas un psychotique dclench, mais il prsente bien un certain nombre de phnomnes o Lacan peut voir lastructure de la psychose. J'en citerai deux, notamment ses piphanies, n'est-ce pas ? Ce sont des sortes de petites ritournelles, en tout cas de petits thmes fixes et sans quivoque et, ce titre, proches du phnomnelmentaire, comme des penses qui s'imposent et que Joyce, au fond, va ensuite disposer un certainnombre d'endroits de son uvre. Mais surtout, je voulais insister sur d'autres phnomnes que Lacan relvegalement, d'autres phnomnes qui surgissent chez Joyce et particulirement un phnomne de corps, un phnomne qui tmoigne de l'absence de narcissisation de son corps, c'est--dire de l'absence d'enrobage parl'image de son corps. Lacan relve en particulier une scne du Portrait de l'artiste, o Joyce nous expliquecomment, au bord d'un chemin l'occasion d'une discussion philosophique et littraire avec des camarades,dans un dsaccord violent, il se retrouve tabass par eux et que, aprs cela, laiss au bord de la route, il esttonn lui-mme de ne pas leur en vouloir. C'est--dire qu'il n'a pas d'affect ce propos, et il a l'ide, il luivient l'ide que son corps a t laiss l, comme une pelure au bord du chemin, comme un corps sans image,sans moi, sans investissement narcissique. Et Lacan va, au fond, reprendre cette question-l pour montrercomment l'uvre de Joyce va tre la fois une uvre, donc, de dconstruction de la langue anglaise-l'uvre de Joyce est essentiellement une uvre de travail sur la lettre mme de la langue, qui va dconstruirela langue anglaise par un certain nombre de procds, en particulier par les quivoques translinguistiques - etc'est dans cette dconstruction de la langue anglaise que je vois le trait ironique de Joyce, au fond, de venirdtruire l'Autre. Il faut dire, un Autre avec lequel il avait un rapport ambigu, parce qu'il tait lui-mme

    irlandais. Et avec cette dconstruction de la langue anglaise, Joyce se construit une uvre, mais que Lacanappelle aussi son " sinthome ", crivant d'ailleurs de l'ancienne criture franaise : " sinthome ", qui

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    quivoque avec Saint-Thomas. La thse de Lacan est que ce sinthome de Joyce, c'est la construction d'uncorps hors corps, la construction qui vient se substituer l'investissement narcissique qui manquait et qui, la fois, lui donne un nom. Joyce parle d'ailleurs, propos de son uvre, de recrer la conscience incre desa race ; comme il parle aussi de ce que son uvre va donner du travail aux universitaires pour plusieurs

    sicles, ce qui au fond, va lui produire un nom pour plusieurs sicles ; et en mme temps, cette uvreconstitue aussi, pour lui, ce travail ironique dans lequel il participe une dimension de jouissance : le travailde la lettre.

    Je voulais vous dire un mot, aussi, propos d'un autre auteur qui a prsent un dclenchement de psychose,qui est un grand pote franais : Grard de Nerval, qui a crit son dclenchement psychotique dans sonuvre littraire, dans son uvre potique et,c'est ce qui fait l'extraordinaire de ce cas, c'est de dcrire sondlire immdiatement en termes potiques. Son dlire lui vient en termes de posie dans le texte Aurlia. Cequi survient Nerval, lors du dclenchement de son dlire, porte sur le joint le plus intime du sentiment de lavie et du sujet.

    Alors brivement, l'histoire de son dclenchement, c'est ceci. Six ans avant sa premire crise, il rencontreune femme et il est trs lucide lui-mme sur le procs d'idalisation qu'il fabrique de cette femme. Je vaisvous en lire un passage (cette femme est actrice et il va la voir jouer au thtre) : " Indiffrent au spectacle dela salle, celui du thtre ne m'arrtait gure, except lorsqu' la seconde ou la troisime scne d'unmaussade chef-d'uvre d'alors, une apparition bien connue illuminait l'espace vide, rendant la vie d'unsouffle et d'un mot ses vaines figures qui m'entouraient. " Donc, une femme dont il situe l la dimension, bien sr, d'idal de retour de vie qu'elle vient rendre, mais dans un maussade chef-d'uvre. Et il est encore plus explicite dans Aurlia, ce texte sur sa psychose. " Quelle folie, me disais-je, d'aimer ainsi d'un amour

    platonique une femme qui ne vous aime plus. Ceci est la faute de mes lectures. J'ai pris au srieux lesinventions des potes et je me suis fait une Laure ou une Batrice d'une personne ordinaire de notre sicle ".Il dit bien comment il a lev Aurlia la dimension d'une idalisation et comment cette idalisation est cequi le soutient, ce qui soutient, au fond, son sentiment de la vie comme je vous l'exprimais tout l'heure.

    Au fond, le dclenchement a lieu lorsque va se rompre cette idalisation, lors d'une rencontre qui va romprecette idalisation. Donc, Aurlia, il la voit un certain temps et puis elle ne veut plus le voir. Il ne la voit plus.Et il a alors, un moment, une brve rencontre avec une dame qui est une dame de qualit, comme il dit,mais, au fond, qui lui apparatra toujours comme une femme assez ordinaire ; et de cette femme, nanmoins,il commence s'prendre un peu, puis il essaie de lui crire une lettre d'amour, et aussitt la lettre crite etenvoye, il lui apparat que les mots qu'il a utiliss pour cette femme sont les mots mmes qu'il utilisait pourAurlia et que c'est l une profanation : " J'empruntais dans cet enthousiasme factice les formules mmes qui,si peu de temps auparavant, m'avaient servi pour peindre un amour vritable et longtemps prouv. J'avaisfranchi en un jour plusieurs degrs des sentiments que l'on peut concevoir pour une femme avec apparencede sincrit. " Et donc, il est amen ensuite avouer cette femme, parce qu'il n'arrive plus, dit-il, "retrouver dans nos entretiens le diapason de mon style ", il est amen lui avouer que ce n'est pas elle qu'ilaime. Au fond, tout a est factice. Il se spare d'elle, il ne la revoit plus. Et puis quelque temps plus tard, il seretrouve par hasard, dit-il, dans une autre ville, en l'occurrence Bruxelles, dans une autre ville o justement, par hasard aussi, Aurlia et cette femme se trouvent et ont fait connaissance. Un jour de rception, il se

    trouve la rception et ces deux femmes galement, Aurlia et cette femme ordinaire. Et ce moment-l,c'est l que se produit le dclenchement psychotique. ce moment-l, un hasard les fit connatre l'une

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    l'autre et la premire - c'est--dire la femme que je dis ordinaire, mais qui est donc une femme de qualitmais non idalise - la premire eut l'occasion sans doute, dit-il, " d'attendrir mon gard celle qui m'avaitexil de son cur de sorte qu'un jour me trouvant dans une socit dont elle faisait partie je la vis venir moiet me tendre la main " - Aurlia, donc. Donc voil, petit geste d'Aurlia et perplexit du sujet. " Comment

    interprter cette dmarche et le regard profond et triste dont elle accompagna son salut ? J'y crus voir le pardon du pass, l'accent divin de la piti donnait aux simples paroles qu'elle m'adressa une valeurinexprimable, comme si quelque chose de la religion se mlait aux douceurs d'un amour jusque-l profane etlui imprimait le caractre de l'ternit. " C'est bien dit en termes potiques, n'est-ce pas ? Mais ce caractrede l'ternit est dj le signe du drapage qui se produit exactement ce moment-l. Il doit quitter Bruxelles,il doit rentrer Paris brivement et son retour Paris, donc le lendemain ou le surlendemain, en effet, se produit la dgradation imaginaire que je vais vous lire dans un instant

    Mais, au fond, que s'est-il pass ce moment-l ? Aurlia est marque, maintenant, part le fait que c'est lafemme ordinaire - suppose Nerval - qui a convaincu Aurlia que, quand mme, il n'tait pas si mal que a. Eten plus, Aurlia vient lui dire bonjour, vient faire un geste ordinaire, sans doute sous l'influence de cetteautre femme. Et immdiatement, a rompt cette dimension d'idalisation au profit d'une nigme, d'une perplexit du sujet de ce que peut vraiment signifier ce geste. " Aussitt rentr Paris, vers minuit lesurlendemain, je remontais un faubourg o se trouvait ma demeure lorsque, devant les yeux, par hasard, jeremarquai le numro d'une maison claire par un rverbre. Ce nombre tait celui de mon ge. Aussitt, baissant les yeux, je vis devant moi une femme au teint blme, aux yeux caves, qui me semblait avoir lestraits d'Aurlia. Je me dis : c'est sa mort ou la mienne, qui est annonce. Je ne sais pourquoi je me tins la premire supposition et je me frappai de cette ide que ce devait tre le lendemain la mme heure. " L est prcisment le dclenchement. Aprs cet pisode que je viens de vous relater, il se retrouve l, brusquement,

    saisi par un signifiant, c'est--dire le chiffre de son ge, qu'il voit par hasard, et le visage de cette femme quiressemble Aurlia, qu'il voit l'instant d'aprs ; il en conclut, immdiatement, une perte de vie pour lui, pertede vie qui va devoir tre relle. Et en effet, il passe toute la journe du lendemain dans une assez grandeexcitation en attendant l'heure fatale et l'heure fatale, le monde se dchire, la rue se transforme et il est peuaprs amen l'hpital psychiatrique, parce qu'il se met errer dans les rues avec un sentiment de grande perdition, mais aussi de modification complte de l'espace dans lequel il circule.

    Et il a alors, et c'est sur ce point-l que je veux conclure... Et il prsente un phnomne imaginaire qui est lesuivant. Donc, Nerval, je dirais d'abord que c'est encore un autre type de psychose. C'est une mlancolie psychotique qui rpond exactement de la dfinition qu'en donne Freud : lors d'une perte subie, ici enl'occurrence celle d'Aurlia idalise, " l'ombre de l'objet, dit Freud, tombe sur le moi ", c'est--dire que lemoi disparat, le moi comme sentiment de vie du sujet disparat, ne laissant que le corps comme objet,comme dchet dvaloris. Il n'est plus rien. Et ce corps laiss va en effet se retrouver dans un grand embarras, puisque vont survenir un certain nombre de phnomnes qu'on dit " de double ", dont je vous donne ici le premier exemple. Il y en a plusieurs. Il est amen l'infirmerie du dpt, l'infirmerie psychiatrique de la prfecture de police, dans un premier temps, et " Les soldats s'entretenaient d'un inconnu arrt commemoi, et dont la voix avait retenti dans la mme salle par un singulier effet de vibrations. Il me semblait quecette voix rsonnait dans ma poitrine et que mon me se ddoublait. Et quelques instants plus tard, je vis prsde moi deux de mes amis qui me rclamaient pour me faire sortir de l'hpital. Les soldats me dsignrent,

    puis la porte s'ouvrit et quelqu'un de ma taille, dont je ne voyais pas la figure, sortit avec mes amis, que jerappelais en vain. " Mais on se trompe, m'criais-je : c'est moi qu'ils sont venus chercher et c'est un autre qui

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    sort ". Je fis tant de bruit que l'on me mit au cachot. " Donc l, on a ce phnomne de dissociation, du corpsqui reste l comme pelure et de l'image qui s'en va, n'est-ce pas ? L'image, sous la forme du double, vas'accentuer encore pour revtir plusieurs aspects, et Nerval va avoir plusieurs moments fconds. Son dlireva durer quinze ans, au bout de quoi on le retrouvera suicid, pendu une grille d'une rue Paris. Mais lors

    d'un autre moment fcond, des phnomnes du mme type apparatront et finalement les phnomnes dedouble vont s'amplifier et aller jusqu' celui-ci, qui est qu' un moment, alors qu'Aurlia est morte entre-temps et que d'ailleurs il a rd beaucoup autour de sa tombe, un moment il va avoir l'ide d'un mariaged'Aurlia, qu'un mariage se prpare, que c'est le mariage d'Aurlia et que son double est en train de trompertout le monde, et que finalement Aurlia est d'accord pour l'pouser, mais qu'elle va pouser ce double parcequ'il fait tromper sur la personne ; ce qui montre encore une fois cette disjonction de l'image et du corpslaiss comme dchet, o il se trouve lui-mme.

    Voil, je vais en rester l pour ce soir afin de laisser du temps pour quelques questions.

    Michle Lafrance : Merci, Alexandre Stevens. Alors, pendant que vous prparez vos questions, je vais me permettre d'y aller de la mienne.

    En fait, j'aurais deux questions, qui touchent deux moments de votre dveloppement. La premire, c'est parrapport au nologisme. Vous avez oppos le nologisme ct psychotique et le nologisme ct nvros quirejoint le trait d'esprit. Alors vous disiez que le nologisme du ct de la psychose est impos par l'Autre,alors que le trait d'esprit vise la reconnaissance de l'Autre. Est-ce qu'il s'agit du mme Autre ? Et la secondequestion, qui touche un autre point de votre dveloppement, c'est concernant l'ironie. Vous avez donn unexemple et vous mettiez cela en rapport avec la schizophrnie, mais est-ce qu'on peut aussi remarquer cet

    autre type d'invention du sujet psychotique, par exemple, chez le paranoaque ?

    A. S. : Je vais d'abord rpondre la seconde question. Il me semble que l'ironie n'est pas aise pour le paranoaque. C'est dommage, parce que a pourrait lui servir, mais encore faut-il y avoir accs, c'est--direque l'ironie suppose quand mme moins qu'onne parle d'ironie grinante. videmment, quand un paranoaque s'engage dans une srie de revendications, il y a le mme mouvement que dans l'ironie, c'est--dire : dtruire l'Autre. Le paranoaque peut aller jusqu' l'assassinat, il peut aller se lancer dans des procsfous de revendication l'gard de l'Autre. Alors, videmment, on pourrait se dire que c'est de l'ironiegrinante. Ceci dit, a n'a pas ce caractre de non-sens de l'ironie, n'est-ce pas ? L'ironie, comme je l'entends

    l, touche le sens pour en faire saisir le non-sens, alors que dans la revendication paranoaque, le sens est aucontraire parfaitement fix, et s'il y a ironie grinante c'est du ct d'emmerder l'autre jusqu'au bout, le caschant, mais ce n'est pas absolument du ct d'en rire, du " a n'a pas de sens ".

    Cependant, par exemple, on peut aider le paranoaque, peut-tre, prendre l-dessus, l'occasion, une position un peu plus ironique. Je pense, l encore une fois, un jeune que j'ai eu l'occasion de voir dans cetteinstitution, un jeune paranoaque, alors qu'il tait franchement revendicatif, en effet, revendicatif d'abord surles enseignants de l'cole, et sur les membres de sa famille. a s'est tendu progressivement, et c'est cetteoccasion-l qu'il est arriv dans cette institution parce que a devenait, comme on dit, invivable. Et trs vite,videmment, il a fait porter un certain mode de revendications sur l'institution. Il les faisait porter sur lesdfauts de l'institution. Il y a toujours des dfauts dans les institutions, mais remarquez, il y en a partout - ce

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    que j'appelle " institution ", c'est ce que vous appelez ici " ressource ". Je le dis parce qu'il faut s'entendre surles mots. Donc, il s'est trs vite fix sur un truc, c'est qu'il n'y avait pas assez d'eau pour prendre sa douchechaude, parce qu'il y a un certain nombre d'enfants et sans doute les chauffe-eau sont peut-tre insuffisants, je n'en sais trop rien. Il est venu se plaindre de a.

    Comment on a essay de traiter a, nous ? C'est en lui donnant raison et en lui disant qu'il fallait absolumentcrire a, il fallait aller en parler au directeur, il fallait voir ce qu'on pouvait faire. videmment, on ne pouvait faire grand-chose et il est revenu en nous disant qu'on ne pouvait pas faire grand-chose et on se mit,nous, alors, se moquer de l'institution en disant " Pffft ! " On n'est pas l'institution quand on est intervenantdedans, n'est-ce pas ? " C'est terrible ici, c'est quand mme pas bien comme institution, les robinets coulent pas. " Alors a, c'est quand mme une tentative d'introduire l un peu d'ironie sur l'Autre qui est nous-mmes ; au fond c'est faire porter une barre sur l'Autre. C'est barrer partiellement l'Autre. L, je pense cecas-l, parce que c'est sur un mode un peu ironique. Alors lui il a pu, avec a, se construire tout un dlire derobinet qui a apais les choses, mais je ne dirais pas que lui a jamais pris vraiment cette position ironique.Lui, plutt, il a t soutenu, et sa revendication s'est apaise et a pu passer par un certain nombre d'arcanes, par le fait que nous, au fond, on ne tenait pas la signification correcte de l'institution, que c'est nous quidisions " Tu sais, on ne vaut pas grand chose L'institution, a n'est jamais qu'une institution ". Je pense quel'ironie du paranoaque, c'est difficile imaginer, il me semble, sauf sur ces points limites que je dis l.

    Sur le nologisme, est-ce le mme Autre dans l'Autre psychotique et l'Autre du nvros dans le cas du Witz,du mot d'esprit ? Oui et non. D'abord, il faut dire qu'videmment le Sminaire V, dans lequel Lacandveloppe cette thse sur le mot d'esprit, ce dveloppement sur le mot d'esprit, est un sminaire de la mmeanne que son texte sur la psychose, o il est question, spcialement, du nologisme. Les deux rfrences

    que je prenais sont de la mme anne de l'enseignement de Lacan. Alors c'est le mme Autre au sens o, aufond, c'est l'Autre o se dtient un certain code des signifiants, c'est l'Autre du langage de Lacan. a passe l'occasion par un autre qui on parle, mais c'est au-del de l'autre qui on parle, l'Autre du langage dans lesdeux cas, ici. L'Autre o se constitue l'ensemble du code signifiant. Donc je ne vois pas pourquoi a ne serait pas le mme Autre. Sauf que l'Autre, dans la nvrose, est un Autre qui reste relativement dcomplt, alorsque l'Autre, dans la psychose, qui en effet envahit le sujet voire envahit son corps, est un Autre qui jouit delui. Par un certain aspect de l'Autre, on peut dire que ce n'est pas le mme, mais je pense que l'Autre qui sait- dans la psychose - qui sait dj la signification du mot, parce qu'au fond c'est lui-mme qui l'a impos, pourrait-on dire, pour le psychotique, et l'Autre qui reconnat la valeur du Witz, il me semble qu'on peut direque c'est le mme Autre, cette nuance prs, du rapport ce que l'Autre en jouisse ou pas.

    Raymond Joly : Je crois que c'est dans le Livre II du Sminaire de Lacan qu'il y a cette phrase " L'Autre, nevous gargarisez pas de ce mot " et je ne peux dire que Lacan ait t un excellent exemple lui-mme de lamise en pratique de son prcepte. Je persiste croire que ce n'est pas une bonne chose, pour des gens qui selivrent quelque discipline de l'esprit que ce soit, d'employer rgulirement le mme mot dans une quinzainede sens diffrents en laissant toujours l'interlocuteur deviner quel est le sens qui s'applique dans ce cas-l. Jecrois honntement que... j'oserais dire nous tous, j'oserais me mettre dans le " nous ", que nous, lecteursdisciples de Lacan, nous devrions faire un petit effort pour mettre un peu d'ordre dans notre terminologie.

    Vous voyez trs bien que j'enchanais sur la question de Michle et sur la rponse trs sage et trs fine quevous y avez donne. D'autre part, c'est aussi une question de terminologie que je voudrais simplement

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    signaler, sans apporter aucune espce de solution. Le mot " ironie " ne vient pas de la psychanalyse,videmment ; il vient de la rhtorique, et son origine est trs complexe, parce que c'est un mot qui apparaten grec d'une faon trs bizarre, propos de Socrate, et ce n'est pas tellement vident ce que a voulait dire l'origine. Toujours est-il que l aussi, il y aurait du travail faire, je crois, pour la clarification des termes, et

    j'ai trouv extraordinairement passionnante l'introduction de l'ironie dans votre discours sur la psychose, j'aitrouv a tout fait passionnant et je me suis demand si nous aurions profit nous demander s'il s'agitd'ironie ? Si oui, dans quel sens ? Il s'agit certainement d'ironie dans l'un des sens que nous donnonscommunment ce mot, ou s'agit-il d'humour ? Je me suis rappel des distinctions que Freud lui-mmeessaie de mettre au clair propos de ces deux termes. Alors je ne sais pas quel usage on peut faire de a.Quand Freud parle de l'humour, dans le livre sur le trait d'esprit par exemple, c'est pour voquer une certaineconomie des rapports entre le surmoi et le moi. Alors le surmoi et le moi, nous en parlons toujours maisnous n'en parlons pas autant, me semble-t-il, que Freud ne le faisait lui-mme. Alors je ne sais pas... il mesemble que monsieur Stevens serait, d'aprs ce qu'il vient de nous prsenter, serait minemment apte fairecela. Je me demande s'il n'y aurait pas un approfondissement prcieux faire de ces notions d'ironie et

    d'humour, par exemple, en les faisant intervenir dans le cadre de la psychose ce que, je crois, Freud n'avait jamais fait.

    A. S. : Vous me concderez que du moi, j'ai parl plus tt, n'est-ce pas ? Oui, ironie et humour, je pense quece n'est pas la mme chose, en effet, n'est-ce pas ? Je vois bien comment les psychotiques peuvent tresensibles l'humour et comment a peut apaiser un certain nombre de choses. Au fond, l'humour peut-treutile de la part de l'intervenant dans une ressource ; l'humour peut-tre utile s'il allge la situation. Aprs tout,ce que j'voquais l du paranoaque, avec ces problmes de tuyauterie, tait aussi avec un certain humourmais, l'occasion, cela peut prendre plus de place que a ; si a allge un peu le poids de ce qui arrive au

    sujet, l'humour peut tre trs utile.

    Par contre, je pense que l'ironie est plutt, dans le cas prcis de la psychose et spcialement dans le travail eninstitution, laisser aux psychotiques. Parce que ironiser... ce qui distingue l'ironie de l'humour, comme jel'utilise l, en tout cas, c'est au fond que l'ironie vise l'autre... - d'accord ne mettons pas l'autre toutes lessauces - l'ironie vise celui qui est en face. Dans certains cas, a vise au-del de celui qui est en face, l on peut dire l'Autre n'est-ce pas... Mais l'ironie vise celui qui est en face, et elle a quelque chose qui dtruit. Ilsuffit de voir, en effet, vous vous rappelez que le terme vient propos de Socrate, mais c'est un terme derhtorique, en effet. Au fond, la rhtorique socratique est, pour une part, empreinte d'ironie ; sa manire detraiter ses adversaires consiste ironiser, ironiser propos de leurs thories, de leurs propositions, et de lesmettre dans la contradiction.

    Alors ce qui me semble de particulier l'ironie, ce n'est pas seulement que a attaque l'autre, que a visecelui qui est en face, mais c'est qu'en plus, a vient ajouter du non-sens ; l o il y avait du sens, a vientdfaire le sens. Moi, c'est cet aspect-l de l'ironie qui m'intresse trs spcialement dans le traitement de la psychose, mais j'entends bien traitement du ct du traitement que le sujet trouve lui-mme, et pas letraitement qu'on lui donne de l'extrieur ; c'est--dire son invention, dans les exemples que j'ai donns.

    Donc, l'ironie la fois dtruit l'autre " dtruit " est peut-tre fort mais peut aller jusqu' dtruire celui qui

    est en face, en tout cas. Quand on lit spcialement les premiers dialogues de Socrate, l'autre se retrouve au bout de a un peu ridicule quand mme. C'est a que j'appelle " dtruit ", c'est pas vraiment dtruit, mais c'est

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    quand mme - disons le - un peu dfait, et en mme temps a dfait le sens, c'est--dire l o il y avait une proposition pleine de sens, au bout de a, le sens n'y est plus. Donc l'ironie la fois attaque l'autre, quisoutient une certaine position, et en mme temps dfait le sens de ce qui est soutenu comme position. C'estce qui me parat spcialement intressant du schizophrne, mais spcialement intressant aussi pour nous,

    comme analystes. Du ct du travail mme de l'analyste, la question... il ne s'agit pas d'ironiser alors dans cesens-l, mais la question de ce qu'il s'agit de faire, quand on dfait le sens, quand on amne le non-sens, estau cur aussi de la dimension analytique, c'est largement a. De cette faon on peut dcaler par rapport ceque je dis l du schizophrne. Je dis a pour dire qu'on peut apprendre quelque chose, ainsi, du schizophrne.

    Donc, il me semble que les exemples que je donnais sont du ct de l'ironie, mais que l'humour a aussi sa place avec la psychose, sa place dans le traitement de la psychose, mais un peu diffrente. Je ne pense pasqu'on puisse dire que l'humour dfait ncessairement le sens. L'humour a voir avec le surmoi et le moi,mais a ne dfait pas forcment le sens. Au fond, l'humour dfait l'image, davantage. L'humour joue sur uneimage qui tombe, qui casse, et ce qui n'est pas tout fait la mme chose que la destitution du sens, mesemble-t-il. Je distinguerais la chose comme a.

    Alors, videmment, quand cette ironie va parce que c'est ainsi, en tout cas, que je prends... je ne rduis pastout le travail de Joyce tre de l'ironie, mais je pense qu'une face du travail que Joyce opre sur la langueanglaise elle-mme est un travail d'ironie. L, je dirais que ce qu'il dfait, c'est le sens de l'Autre comme tel,d'un Autre qui est bien au-del de son interlocuteur qui est l'Autre de la langue anglaise, dont on sait aussicomment, effectivement, comme irlandais, il avait un rapport a qui tait d'une certaine ambigut. C'est la fois la langue dans laquelle il crivait, mais en mme temps la langue de l'tranger.

    Fabienne Espaignol : J'avais une question par rapport la certitude du psychotique, par rapport au doute, la croyance qui a amen au doute chez le nvros. En fait, j'ai une question qui m'a travers l'esprit parrapport aux mres avec leur bb, ou aux femmes avec leur mari, qui ont la certitude de comprendre ce quel'autre ressent parfois, ou ce qu'il pense et qu'il ne dit pas. Je n'ai pas l'impression qu'on est vraiment du ctde la croyance avec un certain doute, j'ai l'impression qu'on est du ct de la certitude et pourtant je n'ai pasl'impression qu'on est psychotique pour autant.

    A S : Oserais-je la boutade qui vient de Lacan : " Toutes les femmes sont folles "... bon... Non, au fond,effectivement, d'une mre l'enfant, quelque chose peut se sentir qui semble au-del de la croyance. D'une

    femme au mari... peut-tre, mais il y a des chances que cette femme, une autre occasion, comme Casanova,dcouvre qu'au fond, ce qu'elle avait comme certitude est en fait justement mis en cause. Cela seul permet dele situer comme croyance. D'ailleurs, au fond, d'une mre son enfant, comment a se passe ? Vous le savezmieux que moi, srement. Mais quand l'enfant vient natre... prenons simplement un moment, l, l'entrede la vie, l'entre du langage. Cet enfant crie et puis trs vite, la mre va interprter ce cri. Elle va se dire :l, il a faim, l il a envie d'tre pris dans les bras. Alors, je ne sais pas si c'est une certitude, mais am'inquiterait que ce soit une certitude. C'est une interprtation. C'est par cela mme qu'elle le fait entrerdans le langage, c'est par cela mme qu'elle le fait entrer dans un dsir qui ne ravale pas l'ensemble sur les besoins. Plus qu'une certitude : elle entre l dans la dimension de l'engager du ct du dsir.

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    Fabienne Espaignol : Je suis d'accord avec a et en mme temps, j'ai l'impression qu'il y a autre chose ; qu'iln'y a pas que a, mais je ne sais pas l'expliquer. J'ai l'impression qu'il y a une connaissance trs intime del'autre et c'est trange, parce qu'en mme temps, effectivement, on ne le connat pas et on n'est pas folle dansce sens-l, on sait qu'on ne le connat pas, et en mme temps, parfois, on a l'impression de le connatre. Par

    exemple, quand le pre est l et qu'il est proche de l'enfant, c'est pas qu'il est absent, il est prsent, il y a destrucs qu'il ne comprend pas, mais pourquoi est-ce qu'on a cette impression-l ? Est-ce que c'est juste del'interprtation ou est-ce quelque chose de l'intime de l'autre qui nous donne une espce de certitude qui n'est jamais vrifiable, et puis en mme temps, un moment donn, on s'aperoit que oui, on ne se trompe pasncessairement. Et je crois que par rapport au conjoint aussi, des fois on est ct de la plaquecompltement, mais aussi, il y a bon nombre de fois o il me semble que des hommes disent : " Oui, tu mecomprends, mais je ne te demande pas de me comprendre, je ne te demande pas de dire ce que je ne dis pas,que je ne me dis mme pas moi-mme ".

    A. S. : Oui, enfin, ce dont vous parlez, c'est de la dimension de l'intuition. La certitude du psychotique estune certitude plus logique que cela, qui ne porte pas sur le sentiment d'une comprhension, comme j'aiessay de l'expliquer tout l'heure, mais plutt sur le fait que quelque chose se passe dont je ne sais pas ceque a veut dire. Mais ds lors que se trouve incertaine la signification qui vient l, ce qui tout de suiteapparat certain, c'est que a vient vers moi. C'est le contraire d'une intuition, n'est-ce pas ?

    Dans l'intuition, c'est plutt : " je ne suis pas sr qu'il a envie que je le dise et mme, d'ailleurs, il m'a dj ditqu'il ne fallait pas que je le dise parce que lui-mme n'a pas envie ncessairement de le savoir, mais j'aicompris que... " Si vous voulez, c'est l'envers d'une certitude, cette intuition. a ne veut pas dire que c'estfaux. Quand mme, la certitude du psychotique, ce n'est pas plus dans la vrit, ce n'est pas a, puisque c'est

    une certitude folle. Quand cette femme dont je parlais a le sentiment que tout le monde vient vers elle sur la plage, c'est une certitude folle, mais c'est une certitude au sens o c'est une certitude logique et dont elle nedmordra pas. Au moins, a c'est certain.

    Reine-Marie Bergeron : Il y a un point que j'ai trouv intressant et je voudrais qu'on revienne un petit peul-dessus, Alexandre. C'est, finalement, quand j'ai entendu dernirement une infirmire en psychiatrie dire "Voil, le patient est psychos. ", et puis une semaine aprs il ne l'est plus. Alors, me demandant ce qu'ellevoulait dire et entendant ce que tu disais tout l'heure de cette femme qui sortait en rue, on peut dire qu'il y acomme deux mouvements : l'acte qui est sans repre, l o il y a une perte complte de repres dans le temps,dans l'espace, et ensuite, la tentative de gurison, qui est la construction du dlire. Mais il me semble qu'il y aun " aprs-dlire ", c'est--dire quand les patients viennent finalement consulter, aprs leur sortie d'hpital oud'institution ; ce moment-l, ils peuvent essayer de faire une construction sur la construction, galement.

    A. S. : Oui, videmment, la thse de Lacan, tu la connais bien d'ailleurs, n'est-ce pas ? C'est qu'on n'est pas psychotique certains moments et nvros d'autres. La thse de Lacan, c'est que a relve d'une position destructure, c'est un certain type de rapport l'Autre du langage, la jouissance, sa propre existence, ses propres significations. C'est une position diffrente d'tre nvros ou psychotique, de ce point de vue-l, etcette position est de structure.

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    Ceci dit, videmment il faut bien s'entendre qu' partir du moment o la chose est situe comme a, lastructure psychotique n'est pas, au fond, une tare jete sur le sujet. Nous savons comment des psychotiques peuvent avoir t parmi les plus grands auteurs, en tout cas de productions minentes. J'ai voqu Nerval,Joyce. Joyce, qui n'a jamais dclench. Si on considre la psychose comme seulement le moment o la chose

    drape, Joyce, on dirait videmment qu'il n'est pas psychotique. Si Lacan le considre comme psychotique,c'est parce qu'il prend les choses du ct de la structure. Cantor qui, lui, a dlir, a nanmoins invent lesnombres transfinis. Rousseau est quand mme un phnomne de la littrature, une langue classique superbe,une uvre monumentale, il faut bien le dire, dlirante. Quand il invente son trait d'ducation qui s'appelleL'mile, il faut le lire, a ! L'mile, qui servait encore, il n'y a pas si longtemps que a, de rfrence auxducateurs. Il faut aller lire la dimension dlirante de la chose, c'est--dire construire une ducation... il le diten ces termes-l ! On en est tonn aujourd'hui ! Il s'agit de construire l'ducation d'un enfant telle que : ilfaut rpondre toutes ses demandes si elles correspondent des besoins et surtout ne pas y rpondre si ellescorrespondent des dsirs. a, c'est fou, a. Et en termes lacaniens : demande, dsir, besoin, c'estformidable !

    Mais Lacan considre la structure de la psychose. a ne veut pas dire : en permanence dans les phnomnesde dclenchement de dgradation de l'imaginaire. Donc, tu as bien raison ! Distinguons, en effet, le momentde la rupture lors du dclenchement, o l'imaginaire - c'est--dire les significations, aussi bien significationsdu sujet lui-mme que significations du monde ou une partie de a - se dfait, dfaille. Le sujet est perdu etalors, effectivement, il peut passer dans des actes compltement fous, comme on dit au sens courant du terme,- cette femme qui n'aurait sans doute jamais imagin qu'elle allait se balader nue comme a va se promenernue en rue.

    Aprs a, il y a le processus de gurison, qui n'est pas toujours le dlire - je vais vous donner quelquesexemples - mais le dlire en est le classique, en effet. Le dlire peut ensuite se rduire et, en effet, se limiter un point de certitude qui reste, mais tout a est enkyst, et par ailleurs le sujet retrouve une vie normale,c'est--dire avec beaucoup de phnomnes qui ressemblent aux phnomnes nvrotiques, n'est-ce pas ? Nanmoins la structure reste prsente, du point de vue de Lacan. Donc a n'empche pas qu'un psychotique puisse gurir, non pas de sa psychose comme structure, mais gurir du phnomne qui a surgi. Les exemplesles plus majeurs de cela, tous les cliniciens ont vu a, n'est-ce pas ? C'est spcialement l'adolescence, quandse produisent les ruptions de phnomnes psychotiques, c'est quand mme spcialement l'adolescencequ'on voit des rparations qui ont l'air tout fait compltes du monde du sujet.

    Alors en plus, la remarque que tu fais sur " les constructions sur les constructions " est intressante. C'estvrai, aprs un dlire on peut voir a, mais remarque qu'on peut mme le voir pendant le temps du dlire, parce que ce n'est pas parce que le sujet est fou, - je dis a en termes courants pour dire le ct o a drapecompltement - c'est pas parce qu'il est parti dans cette dimension dlirante qu'il ne peut pas garder toute une partie d'esprit critique. On voit des sujets intelligents qui la fois ont une certitude psychotique, avec unlment dlirant autour de a et qui, nanmoins, gardent une dimension absolument critique, y compris parrapport ce point-l. Si bien que certains peuvent absolument saisir, mme, que c'est psychotique. a, c'est "la construction sur la construction " la plus parfaite qui puisse se faire, jusqu' saisir a. Mais mme dans lemoment le plus dlirant, il peut y avoir une persistance, Freud le fait remarquer, de l'esprit critique.

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    Pierre Lafrenire : J'aimerais beaucoup vous entendre parler sur le cas que vous nous avez prsent de cetadolescent juif que vous avez reu finalement en analyse, c'est--dire je crois qu'il s'est prsent en vousadressant une certaine demande. Est-ce que vous pourriez nous en dire davantage, et puis ce que vous luiavez propos dans les entretiens qui ont suivi.

    A. S. : En effet, il est venu me voir quand il tait au centre de post-cure et je l'ai vu pendant un certain temps,et puis il a cess de venir me voir, et puis il est revenu me voir un an aprs. Donc j'ai un certain suivi dessus.Il y a eu tout un premier temps pour l'aider soutenir la possibilit de fonctionner dans le monde, avec sesrepres qu'il se construisait lui-mme. En mme temps qu'il a cherch un travail, il gardait une extrmedifficult avec son pre, qui vient prcisment du fait qu'il ne peut pas comprendre cette approximation nonlogique de son pre. " On ne peut pas le mettre dans un collge mixte ", a, il peut comprendre, n'est-ce pas ?Mais " on ne peut pas l'y mettre, sauf Strasbourg ", c'est quelque chose qui lui reste totalement nigmatiqueet sans doute n'a-t-il pas pu, d'ailleurs, le faire claircir par son pre lui-mme. Donc, la suite de cela, il estrest dans une extrme mfiance l'gard de son pre dans toute la dimension de projet qu'il pouvait avoir.Et alors, par rapport ces trois traits identificatoires de substitution dont je vous ai parl, le trait d'aller lire laBible en hbreu, je n'ai pas soutenu cela du tout. Je n'ai pas dit qu'il ne pouvait pas le faire, n'est-ce pas ? Jelui ai demand si c'tait bien ncessaire. Parce que a me parat quand mme, l, draper trs fort d'aller penser devenir un catholique en hbreu. Il y a quelque chose, l, qui devient une espce de compromistrange qui, mon avis, est difficile soutenir. Toujours est-il qu' la suite de cela, il n'en a pas eu besoin,surtout parce que cette femme qui tait, elle, une grande hystrique, par contre, cette femme le soutenait pasmal du tout et elle-mme considrait que ce projet n'tait vraiment pas ncessaire et que sa mre n'tait pas sicatholique que a, etc. Et que, au fond, ils s'taient tous les deux connus dans le centre de post-cure et asuffisait comme a. Donc il a fait l'conomie de ce trait-l. C'tait une invention en projet. Ensuite je ne l'ai

    plus vu et il est revenu me voir un an et demi aprs. Son pre tait entre-temps dcd et il s'est retrouv brusquement videmment, c'est l qu'on ne peut pas toujours prvoir ce qui va survenir lorsque survientun vnement dans la vie d'un sujet comme a. Il s'tait brusquement retrouv investi d'avoir soutenir samre, la petite entreprise de son pre, etc., et extrmement stabilis par a. Il aurait aussi bien pu trecompltement dstabilis, c'est pas absolument prvisible, mais on voit a que, sans doute, lesapproximations de son pre devaient tre trs inquitantes pour lui. Alors je ne l'ai revu ce moment-l quequelques fois et je n'ai plus eu de nouvelles depuis. Je ne peux donc pas en dire davantage.

    Andr Jacques : Dans le traitement des psychotiques, vous avez dit tout l'heure que vous n'avez pas particulirement appuy son ide de devenir catholique en hbreu. Mais qu'est-ce que vous faites ? Est-ceque vous analysez ? Est-ce que vous interprtez ? Quelles sont les interventions thrapeutiques que vousfaites ? Est-ce que vous visez la thrapie ? Enfin, j'imagine que oui ! Je parle par rapport aux analystes quidisent que, bon, " la gurison vient par surcrot ". J'imagine que vous n'avez peut-tre pas cette position-l,mais qu'est-ce que vous faites avec des personnes psychotiques, et qui soit vraiment analytique ?

    A. S. : " La gurison vient de surcrot ", ce n'est pas n'importe qui qui dit a, c'est Freud. Je suis d'accordavec a, d'ailleurs.

    Alors, ce que j'voquais tout l'heure, c'est quand mme la diffrence, en l'occurrence, dans l'abord de la

    nvrose et de la psychose, fondamentalement, dans la cure analytique. Du ct de la nvrose, il ne s'agitcertainement pas de mnager au sujet la possibilit de surprise. Au contraire, il me semble que l'analyse ne

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    vise pas ce qu'il aille mieux, si aller mieux c'est tre plus apais. La psychanalyse vise ce qu'il soit moinsdans la mconnaissance de son propre tre, n'est-ce pas ? La gurison vient de surcrot.

    Du ct de la psychose, c'est diffrent. Je dirais ceci : on peut tre tiraill entre deux positions divergentes

    soutenir, et au cas par cas il y a choisir. Ceci dit, il y a une nuance ce " il y a choisir " : c'est qu'avec le psychotique, c'est quand mme beaucoup plus souvent lui-mme qui choisit et ce dont il s'agit, c'est desoutenir un peu plus ou un peu moins certains lments. La construction dlirante ce n'est pas l'analystequi pousse dlirer. S'il construit son dlire, a s'accompagne ; on ne va pas dire : " Et vous ne penseriez pasen plus ceci ? ", n'est-ce pas ? Mais s'il construit son dlire, est-ce qu'on va toujours laisser cela seconstruire comme a ? Si ce dlire commence se fixer dans une revendication sur une personne, on ne va pas attendre de voir bientt l'assassinat, pour essayer de dcaler un peu cela, quand mme. Il y a tout untravail, l, de dcalage.

    Je disais tout l'heure, propos du cas - certes de la littrature, mais que je trouve trs beau de Lol V. Stein parce que trs beau, trs fin, trs subtil, trs limite aussi de la question de la psychose - je disais, au fond,qu'on se trouve confront, l'occasion, du ct de " que faut-il soutenir ? " La dimension plus nigmatique, plus du ct de la rencontre, mais en mme temps plus vivante pour le sujet ? Ou la dimension d'apaisement ?Il me semble que cela dpend des sujets, et qu'il faut les laisser eux-mmes s'orienter en partie. Je ne vois pas pourquoi le sujet n'a pas aussi le droit l'apaisement si c'tait un moment sa pente. Je ne serais pas l le pousser dans des retranchements comme cela peut-tre le cas avec le nvros. a c'est les nuances que j'ymettrais.

    Maintenant, quand on dit " soutenir une position ", c'est quoi ? Je dis bien que c'est le psychotique qui

    construit lui-mme ; alors, dans le cas de cet adolescent, qui tait juif religieux au dpart, et qui l'est restd'ailleurs, mais partiellement seulement, au fond, j'ai eu le sentiment, j'ai l'ide que cette troisimeidentification tait un peu complique et trs peu logique et qu'elle ne tiendrait pas facilement. S'il avaitvoulu absolument lire la Bible en hbreu, je ne l'aurais pas empch non plus ! Moi, tout ce que j'ai fait, c'estde lui dire " Est-ce bien ncessaire ? ", c'est--dire de dgonfler un peu ce qui venait un peu trop commesurmoque pour lui : " Il faut absolument que je fasse a pour cette femme ". Et, au fond, avec juste cetteintervention-l et le fait qu'il en ait alors parl cette femme, elle lui a dit " ce n'est pas ncessaire " et il s'estcalm. Donc, je dirais, l, l'intervention de soutenir quelque chose, ou au contraire de le dfaire, se fait surcette limite subtile-l. Mais, j'ajoute qu'on a les cas de situations dans des moments florides, on ne ragit pasde la mme manire que dans des moments o la chose est un peu apaise et peut s'interroger autrement. Je pense qu'il y a beaucoup de psychotiques qu'on peut pousser, tout fait pousser s'interroger sur l'nigme deleur existence, exactement comme des nvross, du moment qu'on reste attentif au point o cela peutcompltement basculer. Le psychotique qui s'est arrang, trente ans, pour n'avoir jamais rencontr unefemme, il ne faut pas avoir l'ide que ce serait quand mme bien qu'il en rencontre une ! L, il doit avoir sesraisons, je me dis. Donc, vraiment, la prudence, c'est a. Mais, par contre, l'interroger sur ses positions dansl'existence, a peut se faire absolument comme avec un nvros. Le psychotique n'est pas limit de ce pointde vue-l. Enfin, ce sont quelques indications. Disons que le traitement psychanalytique, la cure analytiquedu psychotique demanderait beaucoup de dveloppements et de varits, davantage que du ct de lanvrose.

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    Nom-du-Pre et du phallus, a ne va pas tenir du ct de la signification ; a va tenir du ct du sens, monavis, mais pas du ct de la signification. Et c'est a, l'enjeu. Je ne sais pas ce que tu en penses... Je te voyaisvenir comme a, c'est pour a que je te dis : remettons les choses de ce ct-l et interrogeons, non pas ledficit comme tel au sens des psychiatres, mais quand mme quelque chose qui ne s'est pas crit, mme pas

    en hbreu mais peut-tre est-ce cela qu'il cherche, quelque chose qui ne s'est pas crit dans le rapport entrele Nom-du-Pre et le phallus.

    Alors, on peut gloser l-dessus. Qu'est-ce que c'est que cette histoire du phallus ? Est-ce que c'est l'amour dela mre pour le pre ? Auquel cas, il y aurait beaucoup de psychotiques. Parce qu'on sait, quand mme, qu'ily a beaucoup d'enfants qui naissent de couples o on ne s'aime plus. Est-ce que c'est le choix que la mre faitdu symptme du pre ? Comment est-ce que le phallus et l'amour viennent copuler pour produire quelquechose qui s'appelle le Nom-du-Pre et qui, lorsqu'il est dfaillant, produit cette rupture des significations ?C'est a, la question.

    A. S. : Merci, Jean-Paul, de faire remarquer comment, dans toute la srie des lments que j'ai amens, desfragments de clinique que j'ai amens du ct de la psychose, la sexualit est en jeu, n'est-ce pas ? Ceci dit,elle est en jeu d'une manire trs particulire, c'est--dire pas du tout comme dans la nvrose. On peut ajouter,d'ailleurs, cette srie, Jean-Jacques Rousseau qui, au fond, va se trouver - je le trouve exemplaire de ce point de vue-l - va se retrouver arriver viter peu prs tous contacts avec une femme, l'exception dedeux ou trois situations, mais une seule qui va durer un peu ; je ne suis mme pas sr qu'il y en ait deuxautres, des situations trs limites avec une prostitue. La seule situation o il va se trouver avec une femme pendant un certain temps, c'est une femme pour laquelle, trs curieusement, il va trouver un petit nomcomme on trouve parfois des petits noms dire la femme qu'on aime : il l'appelle " maman ". a, il faut le

    faire quand mme, c'est formidable. Et en dehors de celle-l, qu'il appelle " maman ", il n'aura, je dirais, derelations sexuelles avec aucune femme. Sauf une fois, un moment, c'est la dernire qui apparat comme ungrand amour. Il y a un chemin entre sa maison et la maison de cette femme et quand il va lui rendre visite -tout a est dit en termes d'un franais classique que je ne pourrais reproduire de mmoire ici, mais enfin pourle dire platement, si vous me permettez donc chacun entend bien qu'il se masturbe sur le temps du trajet etquand il arrive, c'est dj fait. Donc a se limite, effectivement, une sexualit de laquelle il se tient l'cartet dont il va faire la thse que je disais, c'est--dire construire un enfant dont la sexualit est l'cart. Etnanmoins, tu as raison de faire remarquer qu'videmment, dj de dire : je vais construire un enfant qui aurala chance de ne pas trouver la sexualit Parce qu'en plus,Rousseau, dans son mile, commence par dire :le mieux, a serait qu'on puisse refaire la langue, parce que les mots sont trop quivoques, et quand on dit unmot, dj, on entend des choses qui ne devraient pas y tre. Mais, dit-il aussi - l c'est quand mme sadimension littraire -les mots tant ce qu'ils sont, plutt faut-il alors faire attention de prmunir l'enfant, dansl'ducation, de l'atteinte par ces mots-l, par ces quivoques-l.

    Et donc tu as raison de faire remarquer comment la sexualit est prsente dans toute cette srie de cas, maischaque fois elle est prsente comme, justement, devant tre d'une certaine manire barre, d'une certainemanire, ne pouvant pas venir la place d'un certain lien sexuel, voire d'un certain lien d'amour et desexualit.

    Alors, en effet, cela tient cette dimension de la place de l'amour, mais pas ncessairement de l'amour entrele pre et la mre. a, c'est juste, si a tenait ce qu'un pre et une mre s'aiment pour que les enfants ne

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    soient pas psychotiques, on aurait de moins en moins de nvross. Mais il me semble que, au fond, laquestion, tu l'voques du ct du phallus. Je reprendrais a aussi avec le dernier enseignement de Lacan, quetu connais bien galement, avec la phrase avec laquelle Lacan reprend cette question de la fonction paternelle, non plus du ct de la loi, non plus du ct du dsir, parce que, bon, il y a tout le temps de la

    fonction paternelle dans l'enseignement de Lacan, o le pre ce n'est pas simplement la loi qui dit " non ", bien sr ! Le pre c'est plutt le pre qui dit " oui ", c'est--dire celui qui, en effet, reconnat la valeursymptomatique son enfant, reconnat la qualit, enfin simplement l'accueille, au retour de l'cole : " C'estformidable, ce que tu as fait ! ". a passe de cela, accepter qu'il deviendra pharmacien parce que papa nel'tait pas, ou que sais-je ? Des lments comme a.

    videmment, dans les derniers temps de son enseignement, Lacan bascule compltement et c'est donc letemps de la clinique borromenne, qui n'est plus tout fait la clinique du pre oriente sur le ct : il y a, ouil n'y a pas la fonction paternelle installe. C'est une clinique organise sur : comment se nouent desconsistances pour le sujet, avec la singularit de son symptme, avec la singularit d'une invention qu'il fait.Alors la fonction de la sexualit est quand mme encore noue par le pre ce moment-l, mais elle estnoue comment ? Il y a cette phrase-ci, que j'aime beaucoup, c'est : " Un pre n'a droit au respect, sinon l'amour, que s'il fait d'une femme la cause de son dsir. " (je cite de mmoire). Alors c'est joli a, parce quece n'est pas " il faut que le pre et la mre s'aiment ", mais " il faut que le pre, lui, fasse d'une femme lacause de son dsir ". Il y a un petit mot dedans qui ne me revient pas, c'est dans une sorte de mi-dire, ce n'est pas " mi-dire " qu'il utilise comme mot, mais il y a un petit mot en plus. Donc, il module a, c'est--dire qu'ilne faut pas que ce soit un pre jouisseur qui montre bien comment il jouit d'une femme, et puis d'une autre, puis d'une troisime, ce n'est pas a, videmment. Ce petit mot, qui modre la chose, vient dire en mmetemps comment il ne doit pas tre un pre jouisseur, mais quand mme, il doit dsirer. Et a me parat, en

    effet, l, l'lment dterminant de ce point-l.

    L, je prenais des exemples de psychotiques qui ont se tenir l'cart, qui s'arrangent pour se tenir l'cartd'une certaine dimension de la sexualit, mais le patient juif religieux dont je parlais, au fond, il ne cherche pas se tenir l'cart, il n'a pas de grandes difficults, tout compte fait, avec a, sauf qu'il a choisi unefemme avec qui a ne peut pas tout fait se faire l'aise. Il y a une certaine barrire, mais la barrire n'est pas la mme place que pour Rousseau, par exemple.

    Voil quelques considrations l-dessus, simplement. C'est vrai que c'est le bout par o on peut mettre lasrie des cas en srie, aussi, le point d'un mode particulier du non-rapport sexuel dans la psychose.