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Ali, le secret bien gardé

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Ali, le secret bien gardé

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Présentation de l'éditeur

Ali, gendre et cousin du prophète Muhammad, est aucentre de trois événements historiques majeurs indis-sociables des débuts de l’islam: le problème de lasuccession de Muhammad, les conflits et guerres civilesentre Musulmans, et enfin l’élaboration du Coran et duHadith. C’est à lui que Mohammad Ali Amir-Moezziconsacre une étude, au fait des recherches les plus

récentes, et ouverte à ses multiples aspects mystiques.À partir d’une analyse historique et philologique des sourcesanciennes ou récentes, cet ouvrage montre que le shi’isme est lareligion du Maître comme le christianisme est celle du Christ, etAli le premier Maître ainsi que l’Imam par excellence des Shi’ites.Le shi’isme peut donc être défini, dans ses aspects religieux les plusspécifiques, comme la foi absolue en Ali. Homme divin, lieu de lamanifestation la plus parfaite des attributs de Dieu, en même tempsrefuge, modèle et horizon spirituels.Par-delà les prises de position et les polémiques séculaires,Mohammad Ali Amir-Moezzi nous restitue les multiples facettesde ce personnage de l’islam des origines, le seul des Compagnonsdu Prophète demeuré jusqu’à nos jours l’objet d’une fervente dévo-tion pour des centaines de millions de fidèles en terre d’islam, notam-ment en Orient.

Mohammad Ali Amir-Moezzi, Professeur des universités et membrede l’Académie ambrosienne de Milan, est Directeur d’études àl’École Pratique des Hautes Études/PSL, membre du Laboratoired’Études sur les Monothéismes (CNRS) et Senior Research Fellowà l’Institut d’études ismaéliennes de Londres.

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MOHAMMAD ALI AMIR-MOEZZI

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Figures du premier Maître en spiritualité shi'ite

Avec des contributions de :Orkhan Mir-Kasimov et Mathieu Terrier

CNRS EDITIONS15, rue Malebranche – 75005 Paris

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Ouvrage publié sous la direction éditoriale de Guy Stavridès.

Ouvrage publié avec le concours de l'École Pratique des Hautes Étudeset le Laboratoire d'Études sur les Monothéismes.

’ CNRS Éditions, Paris, 2020

ISBN : 978-2-271-13501-8

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À Maryam et Said Shaari,vieux compagnons de route,

pour leur amour de ‘Alī

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Avis au lecteur

Les doubles dates indiquent d’abord la date hégirienne del’islam (h. = hégire lunaire ; h.s. = hégire solaire) puis celle de l’èrechrétienne commune. Lorsqu’elles viennent entre parenthèses aprèsle nom d’un individu, il s’agit, sauf indication différente, de sa date dedécès ; exemple : al-Ḥibarī (286/899) ou (m.[i.e. mort en] 286/899).Lorsque le mois n’est pas connu, les deux années de l’ère communesur lesquelles chevauche l’année hégirienne sont indiquées ;exemple : 329/940-41.

Les traductions coraniques sont nôtres (nous restons cependantsouvent proche de celles de Denise Masson, Paris, Gallimard,« Folio », 2 vols., 1967). Dans les références coraniques le premierchiffre indique la sourate et le second le verset, selon le découpage leplus usuel ; exemple : 2 : 43 = le Coran, sourate 2, verset 43.

Le terme ḥadith désigne la seconde source scripturaire del’islam, après le Coran. Il désigne ce qu’on appelle la Traditionislamique, à savoir les enseignements attribués au prophèteMuḥammad et à quelques-uns de ses Compagnons pour les Sunniteset ceux du Prophète, de sa fille Fāṭima, de ʽAlī et des imams de ladescendance de ces derniers pour les Shi’ites. Francisé, on l’écrit iciavec un h majuscule (Hadith) lorsqu’il s’agit du domaine de laTradition islamique ou les disciplines qui s’y rapportent ; avec un hminuscule (hadith) lorsqu’on parle d’une tradition, d’un enseigne-ment, d’un propos particulier.

Dans l’onomastique arabe, le nom d’un individu est presquetoujours suivi de celui de son père. Cette filiation est ici marquée parla lettre « b. », abréviation de « ibn » c’est-à-dire «fils de » ; exemple :Muḥammad b. ʽAbdallāh = Muḥammad ibn (i.e. « fils de »)ʽAbdallāh.

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Système de transcriptiondans l’ordre de l’alphabet arabe

Consonnes : ’ (indique la hamza, rendant la fricative laryngaledouce), b, t, th (comme le « th » anglais de think), j (lire « dj »), ḥ (« h »aspiré laryngal), kh (comme la « jota » espagnol ou le « ch » allemandde Buch), d, dh (comme dans le that anglais), r (toujours fortementroulé), z, s, sh (comme le « ch » français), ṣ (« s » emphatique), ḍ (« d »emphatique), ṭ (« t » emphatique), ẓ (« z » emphatique), ʽ (indique le‘ayn, fricative laryngale dure), gh (lire comme un « r » grassayé), f, q(occlusive glottale, comme un « k » glottal), k, l, m, n, w, h (toujoursaspiré mais non laryngal), y (comme dans « yack »).

Voyelles brèves : a, i, u ; voyelles longues : ā, ū, ī.

Les quatre lettres supplémentaires du persan : p, č (lire « tch »),ž (le j français), g (comme dans « gardien »).

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Généalogie des principaux imams et grandes divisions du shi’isme

Fa-t.ima 1-¤Alı-

(4e calife apres le Prophete ; m. 40/661)

2-al-H. asan(49/669)

3-al-H. usayn(61/680)

4-¤Alı- Zayn al-¤A- bidı-n (c. 92/711)

5-Muh. ammad al-Ba-qir(c.115/732)

ZaydShi’ismeZaydite

6-Ja ¤far al-S. a-diq (148/765)

7-Mu-sa- al-Ka-z.im(183/799)

Isma- ¤ı-lShi’ismeIsmaelien

8-¤Alı- al-Rid. a- (203/818)

9-Muh.ammad al-Jawa-d (220/835)

10-¤Alı- al-Ha-dı- (254/868)

11-al-H. asan al-¤Askarı- (260/874)

12-Muh.ammad al-Mahdı-al-Qa-’im(« occulte» en 260/874 : l’imam cache)

Shi’isme duodecimain imamite(branche majoritaire, religion d’Etat en Iran)

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Introduction

‘Alī fils d’Abī Ṭālib est sans aucun doute un des personnages lesplus importants de l’islam naissant. Cousin germain et gendre deMuḥammad, le père de la seule descendance masculine de celui-ci,quatrième calife, il est un des Compagnons les plus respectés duProphète aux yeux de tous les Musulmans. Cependant c’est dansl’islam shi’ite, religion du culte mystique de la figure du Guide(imām), où ‘Alī est justement premier imam, père de tous lesautres et homme divin par excellence, qu’il acquiert une importanceconsidérable, au point que, pour beaucoup, le shi’isme est la religionde la dévotion à l’égard de ‘Alī et les autres imams de sa descendance.Comme je l’ai déjà écrit, le shi’isme est la religion de l’imam commele christianisme est celle du Christ, et ‘Alī est l’imam par excellence.

Sur ‘Alī, il existe des milliers de livres et même des encyclopé-dies entières, publiées ces dernières années, écrits par des Musulmanset surtout des Shi’ites évidemment. Cependant, à côté de ces livres,certes fort utiles mais écrits d’un point de vue confessionnel, il n’y aaucune étude d’ensemble selon les méthodes critiques historique etphilologique. Seules existent quelques études de cas consacrées à telou tel aspect de ce personnage majeur de l’histoire de l’islam. Leprésent ouvrage cherche modestement à combler en partie cettelacune et servir d’introduction à une étude plus vaste, peut-êtrecollective, sur le personnage.

Différentes singularités caractérisent la figure de ‘Alī sur les-quelles nous reviendrons au cours du livre mais l’une d’entre elles està la base de l’observation qui déclencha la décision du signataire deces lignes à préparer le présent ouvrage : ‘Alī est le seul parmi lesCompagnons de Muḥammad qui est resté jusqu’à nos jours l’objetd’un véritable culte et ce de la part de plusieurs centaines de millionsde fidèles. À part plus de 200 millions de Shi’ites duodécimains,ismaéliens ou zaydites pour qui ‘Alī est le symbole suprême de la plushaute sainteté, on peut mentionner des millions de Bektashis etd’Alévis turcs (ce dernier mot signifie justement «fidèle de ‘Alī),d’Alaouites syriens (terme avec la même signification), des Ahl-ḥaqq/Yāresān kurdes ainsi que des millions de soufis sunnites, notammentdans l’Orient musulman, pour lesquels notre personnage représente,

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entre autres, l’origine de leurs chaînes de transmission mystique etinitiatique ainsi que la figure du sage divin parfait. Pour un nombreconsidérable parmi ces Musulmans, explicitement ou secrètement,‘Alī est même supérieur à Muḥammad. Pourquoi ? D’où vient cettevéritable dévotion à l’égard de ce personnage qui, de ce fait, constitueun cas unique dans son genre. Beaucoup d’autres Compagnons deMuḥammad occupent une place centrale dans l’histoire ou la spiri-tualité musulmanes et pourtant aucun d’entre eux n’est devenu,comme ‘Alī, l’objet d’une si longue, si ample et si fervente dévotion.Même un personnage particulièrement important comme ‘Umar b. al-Khaṭṭāb, un des beaux-pères de Muḥammad, deuxième calife aprèslui et surtout connu pour avoir été l’artisan des premières conquêtesarabes et des fondements de l’empire musulman, n’a jamais jouid’une telle popularité1. Et pourquoi précisément ‘Alī ? Les différentschapitres de ce livre tentent d’apporter des éléments de réponses àcette question.

Au-delà des prises de position et des polémiques séculaires, enparticulier entre Sunnites et Shi’ites, la figure de ‘Alī b. Abī Ṭālibprésente donc une importance particulière dans la spiritualité musul-mane. Je dis bien « figure » de ‘Alī et non son personnage historiquesur lequel presque rien de certain n’est connu, si ce n’est quelquesévénements majeurs dans leurs grands contours sur lesquels je revien-drai un peu plus loin. Dans un article, paru il y a plus d’une vingtained’années, Jacqueline Chabbi avait souligné l’impossibilité d’établirune biographie historique de Muḥammad tant les sources sur lui sonttardives, contradictoires, pleines d’approximations et d’erreurs, théo-logiquement et politiquement orientées, car appartenant à des tempsqui n’ont rien à voir avec l’époque du Prophète et à des mouvementsreligieux divergents2. De son côté, Harald Motzki, savant pourtant

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1. ‘Umar a été considéré, semble-t-il, comme étant le Sauveur eschatologique par uncertain nombre de fidèles mais le phénomène a été très éphémère ; voir P. Crone &M. Cook, Hagarism. The Making of the Islamic World, Cambridge (Angleterre),1977, index p. 268 sub ‘Umar al-Fārūq et plus particulièrement pp. 5 et 34 ;A. Hakim, « ‘Umar b. al-Haṭṭāb, calife par la Grâce de Dieu », Arabica 54/3,2008, pp. 317-336 ; Id., « ‘Umar b. al-Haṭṭāb : l’autorité religieuse et morale »,Arabica 55/1, 2008, pp. 1-34.2. J. Chabbi, «Histoire et tradition sacrée. La biographie impossible de Mahomet »,Arabica 43 (1996), pp. 189-205. Pour des points de vue un peu moins sceptiques,voir aussi F.E. Peters, « The Quest of the Historical Muḥammad », The InternationalJournal of Middle East Studies 23 (1991), pp. 291-315 ; G. Hagen, « The Imagined

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moins sceptique à l’égard des sources islamiques, souligne ledilemme des historiens qui veulent écrire sur la vie de Muḥammad :«D’un côté, il n’est pas possible d’écrire une biographie historique duProphète sans être accusé d’exploiter les sources de manière noncritique ; et d’un autre côté, si on utilise les sources de manièrecritique, ce n’est tout simplement pas possible d’écrire une tellebiographie3. »

Le personnage de ‘Alī est sans doute aussi problématique, voiredavantage, que celui de Muḥammad. Il constitue en effet le centre degravité de trois événements historiques indissociables, dans leurgenèse comme dans leurs développements ultérieurs, événementsmajeurs qui ont façonné les débuts de l’islam et conditionné sondestin jusqu’à nos jours : le problème de la succession deMuḥammad,les conflits et guerres civiles entre les Musulmans qui ont duréplusieurs siècles et enfin l’élaboration des sources scripturaires del’islam à savoir le Coran et le Hadith4. Les qualificatifs évoqués plushaut pour les sources sur Muḥammad peuvent s’appliquer mutatismutandis à celles consacrées à ‘Alī, à cette différence près que,autour de celui-ci et son entourage (par exemple son épouseFāṭima ou son fils al-Ḥusayn), les clivages paraissent avoir été

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and the Historical Muḥammad », Journal of the American Oriental Society 129/1(2009), pp. 97-111 ; A. Görke, H. Motzki & G. Schoeler, « First Century Sources forthe Life of Muḥammad ? A Debate », Der Islam 89/2 (2012), p. 2-59 ; pour unesynthèse des méthodes et l’impossibilité d’atteindre le Muḥammad historique voirmaintenant S. J. Shoemaker, “Les vies de Muḥammad”, dans M.A. Amir-Moezzi etG. Dye (dir.), Le Coran des historiens, Paris, 2019, vol. 1, pp. 183-245.3. H. Motzki, « Introduction », dans Id. (éd.), The Biography of Muḥammad : theIssue of the Sources, Leiden, 2000, p. XIV («On the one hand, it is not possible towrite a historical biography of the Prophet without being accused of using thesources uncritically, while on the other hand, when using the sources critically, it issimply not possible to write such a biography »). Les multiples difficultés d’établirune vie historique de Muḥammad sont également exposées, par exemple, dans lerecueil d’articles édité par T. Fahd, La vie du prophète Mahomet (Travaux du centred’études supérieures spécialisé d’histoire des religions de Strasbourg), Paris, 1983 ;dans W. Raven, art. « Sīra », dans Encyclopédie de l’Islam, 2e éd. (EI2), s.v. et plusrécemment dans H. Ouardi, Les derniers jours de Muḥammad, Paris, 2016 quimontre, avec pertinence, les innombrables contradictions et invraisemblances des« biographies » officielles de Muḥammad.4. L’articulation entre ces évènements historiques est le sujet deM.A. Amir-Moezzi,Le Coran silencieux et le Coran parlant. Sources scripturaires de l’islam entrehistoire et ferveur, Paris, 2011 ; Id., « Le shi’isme et le Coran », dans Le Coran deshistoriens, vol. 1, pp. 919-967.

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encore plus violents5. Ainsi, la vie du ‘Alī historique semble perduedans le tourbillon des conflits qui secouèrent les premiers temps etmarqué profondément les premiers écrits de l’islam6. En revanche,faire une histoire des diverses représentations de ‘Alī dans les diffé-rents milieux musulmans est envisageable. Le livre que vous avezentre les mains expose quelques aspects de la figure de ‘Alī enspiritualité shi’ite notamment duodécimaine.

Commençons tout de même par quelques données « biographi-ques » sur lesquelles les sources sont plus ou moins d’accord entreelles (mais ce fait ne signifie pas qu’elles relatent la réalité historique),en nous fondant notamment sur les éclairantes synthèses qui viennentd’être mentionnées (note 6).

Apparemment très jeune à l’avènement de la carrière prophétiquede Muḥammad (mais la chronologie présentée dans les sources n’estabsolument pas fiable), ‘Alī aurait grandi dans la maison de ce dernier,

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5. M.A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux, op. cit., chap. 1 ; W. Madelung, TheSuccession to Muḥammad : A Study of the Early Caliphate, Cambridge, 1997,passim ; id., « Social Legislation in Sūrat al-Aḥzāb », dans A. Cilardo (éd.),Islam and Globalisation. Historical and Contemporary Perspectives. Proceedingof the 25th Congress of l’Union Européenne des Islamisants et Arabisants, Lou-vain-Paris-Walpole, 2013, pp. 197-203 ; Id., « Introduction » à la partie «Historyand Historiography », dans F. Daftary et G. Miskinzoda (éd.), The Study of Shi‘iIslam : History, Theology and Law, Londres-New York, 2014, pp. 3-16 ; JaneDammen McAuliffe, « Chosen of All Women : Mary and Fatima in Qur’anicExegesis », Islamochristiana 7 (1981), p. 19-28 ; B. Beinhauer-Köhler, Fāṭimabint Muḥammad. Metamorphosen einer frühislamischen Frauengestalt, Wies-baden, 2002, pp. 39-56 ; V. Klemm, « Image formation of an Islamic legend.Fāṭima, the daughter of the prophet Muḥammad », dans S. Günther (éd.), Ideas,images, and methods of portrayal. Insights into classical Arabic literature andIslam, Leiden-Boston, 2005, p. 181-208 (surtout p. 184-190) ; C. P. Clohessy,Fāṭima, Daughter of Muḥammad, Piscataway, 2013 ; voir aussi D. K. Crow,« The Death of al-Ḥusayn b. ‘Alī and Early Shī‘ī Views of the Imamate », Al-serāt 12 (1986), pp. 71-116 (repris dans E. Kohlberg (éd.), Shī‘ism, Aldershot,2003, article no 3) ; T. Hylén, Ḥusayn, the Mediator, Uppsala, 2007.6. Comme on l’a déjà souligné, les ouvrages, voire des encyclopédies, de typehagiographique et apologétique sur ‘Alī, écrits par des auteurs musulmans, sontpléthoriques, mais l’histoire critique des sources sur lui et les problèmes de toutessortes qu’elles posent restent à écrire. Dans l’état actuel de la recherche, on peutavoir recours aux excellents articles synthétiques de l’EI2 (L. Veccia Vaglieri), del’Encyclopaedia Iranica (I. K. Poonawala et E. Kohlberg), de l’Encyclopaedia ofthe Qur’ān (A. S. Asani) ou de l’EI3 (2008-2, pp. 62 sqq. par R. Gleave), s.n. Voiraussi l’ouvrage collectif : A. Y. OCAK (éd.), From History to Theology : ‘Alī inIslamic Beliefs, Ankara, 2005.

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son cousin germain, à cause de la faillite et la misère de son propre père.Un des tout premiers fidèles de Muḥammad, il l’aurait rejoint très vite àMédine après l’hégire et épousa sa fille Fāṭima. Celle-ci eut deux filsavec ‘Alī, al-Ḥasan et al-Ḥusayn, seuls descendants mâles du Prophèteet les deux imams succédant à ‘Alī selon la grande majorité despartisans de ce dernier. Fait suffisamment rare pour être souligné : duvivant de Fāṭima, ‘Alī ne prit pas d’autre épouse.

Aux côtés deMuḥammad, ‘Alī aurait pris part à toutes les bataillesde ce dernier, souvent comme porte-drapeau ou comme commandanten chef. La bravoure, les faits d’arme et les qualités guerrières etchevaleresques dont il aurait fait preuve devinrent légendaires. Etpourtant après la mort de Muḥammad, il n’a pris part, semble-t-il, àaucune guerre de conquête. Il serait ainsi le seul parmi les grandsCompagnons d’être resté complètement à l’écart de ces évènementsmajeurs qui marquèrent un tournant dans l’histoire mondiale, à savoirles conquêtes arabes et les premières gestations de l’empire. C’est unedes singularités de ‘Alī dont les historiens ignorent les raisons. Certainséléments étudiés plus loin y apporteront peut-être des pistes de réponse.

À la mort de Muḥammad en l’an 11/632 (selon la tradition laplus largement retenue), les violences civiles éclatent autour de laquestion de sa succession. ‘Alī, son épouse Fāṭima et leurs deux filssont au centre des conflits7. Voyons les choses d’un peu plus près. Laviolence fratricide entre les fidèles de Muḥammad semblait prévisibletant l’équilibre précaire soutenant l’assemblage hétéroclite de groupeset d’intérêts que formaient les nouveaux convertis reposait, semble-t-il, sur la personne de Muḥammad. Celui-ci disparu, les Émigrésmecquois qui l’avaient accompagné lors de son hégire s’opposèrentaux Auxiliaires médinois qui l’avaient accueilli. Ses anciens ennemisQurayshites très fraîchement et opportunément convertis, et parmiceux-ci l’influente famille des Omeyyades, ainsi que ses Compa-gnons Abū Bakr et ʽUmar, visaient à s’imposer en neutralisant partous les moyens l’ardeur des autres concurrents, notamment les par-tisans de ʽAlī. Après une réunion tendue chez le clan des Banū Sāʽidades Auxiliaires, les conflits se seraient limités à une opposition entreAbū Bakr et ʽAlī où le premier eut rapidement le dessus et devint lepremier calife. Les confrontations, limitées dans le temps et dansl’espace tout au moins provisoirement, auraient été d’une grande

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7. Sur les sujets qui suivent voir M.A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux.

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violence. Fāṭima, fille de Muḥammad et épouse de ‘Alī, y serait morteà la suite de ses blessures causées par une attaque menée contre samaison par les hommes de main de ‘Umar.

De cet épisode, la tradition textuelle islamique a gardé en grosdeux représentations radicalement différentes. La grande majorité dessources religieuses issues de ce qu’on appellera progressivement lesunnisme, courant majoritaire de l’islam, soutenant la légitimitéd’Abū Bakr, paraît avoir cherché à atténuer, voire à occulter, laviolence des affrontements et à faire de ce dernier une figure quasiconsensuelle en essayant de limiter la portée des conflits. Pourtant lessources de type historique et historiographique, même sunnites8,contiennent suffisamment d’éléments étayant le contraire pouravoir permis à la majorité des chercheurs modernes de mettre sérieu-sement en doute le prétendu consensus des fidèles concernant l’élec-tion d’Abū Bakr et l’unité présumée des Compagnons du Prophète9.Selon la plupart des ouvrages doctrinaux sunnites, le Prophète n’avaitdésigné explicitement personne pour sa succession, ni dans ses pro-pres déclarations ni à travers les révélations coraniques (effectivementle Coran « officiel » que nous connaissons ne contient aucunementiondans ce sens). Sa communauté aurait eu par conséquent recours à despratiques ancestrales tribales qui avaient depuis toujours marqué lasuccession d’un chef charismatique parmi les Arabes : la désignation,par un conseil de notables influents, d’un des plus proches compa-gnons de ce chef, doté d’un âge respectable, signe de sagesse, etappartenant à la même tribu que lui ou à une tribu alliée. Abū Bakrremplissait toutes ces conditions et a ainsi été élu après la réunionchez les Auxiliaires, soutenu par une approbation presque unanime àl’exception notable de ʽAlī qui, finalement, se laissera convaincre, luiaussi, par la sagesse de ce choix et par souci de sauvegarder l’unité etla paix de la communauté.

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8. Ex. Ibn Hishām, al-Balādhurī, al-Ṭabarī ou encore Ibn Shabba ; en revanche lesilence d’Ibn Saʽd sur les conflits est, à cet égard, significatif (voir la bibliographieen fin de volume).9. Comme on l’a souligné, la question des sources concernant la mort du Prophète etles événements qui la suivirent immédiatement est fort complexe. Sur pratiquementchaque séquence de différents épisodes, il existe de multiples récits parfois trèsdivergents selon l’orientation théologique et politique des auteurs. La recherchesavante a longuement étudié ces sources et la bibliographie afférente est pléthorique.Voulant éviter la discussion érudite à ce niveau, nous n’offrons ici qu’une synthèsedense des thèses les plus plausibles.

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Composition : Le vent se lève...

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