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 BIBEBOOK AMÉDÉE ACHARD MADAME ROSE

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    AMDE ACHARD

    MADAME ROSE

  • AMDE ACHARD

    MADAME ROSE

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1199-7

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  • Premire partie

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  • CHAPITRE I

    P que les jeux de la fantaisie et de la spculationont levs aux environs de Paris, il nen est peut-tre pas de plusjoli et de plus frais que Maisons. La mode la un peu gt enmultipliant les jardins et les cottages ; mais elle na pu dtruire ni la beautde la Seine qui le ctoie, ni la majest royale des avenues qui lentourent.De longues alles bordes de grands arbres percent le parc dans toutesles directions, et laissent voir, derrire un rideau tremblant de feuillage,des pavillons et des villas dans lesquels le luxe des propritaires, gens denance pour la plupart, a prodigu mille recherches coteuses ; mais auxpremiers soues de la bise, les htes frileux de ces habitations coquettesdisparaissent : on ne voit plus personne Maisons, si ce nest dans levillage, quun pli de terrain drobe aux oisifs de lt.

    Cependant une de ces villas tait encore habite vers la n du mois denovembre 184 Cette villa, situe en plein champ lextrmit du parc etdu ct de la Seine, se composait dun seul corps de logis bti au milieu

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  • Madame Rose Chapitre I

    dun jardin clos de haies vives. Tout blanc et perc de fentres persiennesvertes, ce corps de logis tait lev dun tage sur rez-de-chausse. Il avaitlair propre et honnte, et semblait destin au logement de quelque bonrentier retenu Maisons par lnergie de ses gots champtres. Le jardin,plant de lgumes et darbres fruitiers assez mal venus, tait divis enpetits compartiments, dont le buis dessinait les contours anguleux. Unetonnelle, un banc de bois et quelques peupliers encore jeunes, en compl-taient la dcoration.

    Ce petit domaine tait connu dans le pays sous le nom de la Maison-Blanche. Il pouvait bien avoir en tout une tendue dun demi-arpent ;mais, la porte de son jardin passe, le propritaire de la Maison-Blancheavait autour de lui des promenades fatiguer les jambes dun colier. Unegrande prairie le sparait de la Seine ; le parc de Maisons, avec ses boispais, tait l-bas, derrire la tonnelle, et plus loin, ferme par un grandmur qui court sous un bouquet dormes et de tilleuls, la fort de Saint-Germain.

    Lhte de la Maison-Blanche tait alors un jeune homme qui pouvaitavoir une trentaine dannes et quon appelait Georges de Francalin. Lepersonnel de la maison se composait dune vieille servante qui rpondaitau nom de Ptronille, grondait toujours, dun vieux domestique grison-nant nomm Jacob, qui ne parlait jamais, et dun chien de chasse de la racedes pagneuls robe blanche et feu : tout le monde Maisons connaissaitTambour.

    Quel motif avait pu engager Georges de Francalin prolonger sonsjour Maisons bien au-del du moment o chacun sempresse de re-gagner Paris ? Cest ce que personne ne savait. tait-ce pour chapper lagitation vreuse qui tourmentait alors la France entire ? Avait-il truin, comme tant dautres, la suite des vnements de fvrier ! Cette re-traite avait-elle pour cause un malheur domestique ou quelquune de cesinfortunes printanires qui font verser tant de larmes, et dont plus tardon se souvient en souriant ? Jacob aurait peut-tre pu le dire ; mais Jacob,on le sait, ne parlait pas. Georges tait arriv la Maison-Blanche versla n davril avec Ptronille, Jacob et Tambour. Trois ou quatre grandescaisses remplies de livres lavaient suivi ; il avait achet un canot, un fusil,des vareuses, tout cet attirail de chasse et de pche sans lequel les jours

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  • Madame Rose Chapitre I

    la campagne peuvent paratre longs, mme les jours dhiver, et bientton avait vu slever dans le bcher une pile de bois propre braver lesneiges de dcembre et les pluies de janvier.

    On sait qu Paris un changement de domicile met dans les relationsdes barrires plus infranchissables que nenmettait jadis entre les Capuletet les Montaigu la haine hrditaire de deux familles : en partant pour lacampagne, Georges tait donc parti pour lexil. Deux ou trois de ses amisse souvenaient seuls quil habitait Maisons. Il vivait avec Tambour et cau-sait avec ses livres. Ses habitudes taient les plus rgulires du monde ; ilne savait jamais la veille ce quil ferait le lendemain. Il se couchait tard outt, selon le temps, un jour avec le soleil, et le jour daprs avec la lune.Sil partait avec lintention de lire dans quelque coin du bois, on le sur-prenait ramant sur la Seine avec lardeur inquite dun contrebandier. Ildjeunait tantt chez lui, tantt lauberge, ce qui, pour le dire en pas-sant, faisait le dsespoir de Ptronille, oblige de lattendre auprs dunectelette qui noircissait sur le gril. Personne ntait plus actif ou plus pa-resseux : il battait la campagne comme un chasseur, ou restait tendudans lherbe comme un lazzarone ; mais presque toujours Tambour taitde la partie. Il faut dire cependant que Tambour, sauf les jours de chasse,avait des murs un peu bien vagabondes ; il ne demeurait au logis queles jours de pluie et ny rentrait quau moment des repas ; il employait lereste du temps courir de tous cts, poussant toutes les portes et soc-cupant des aaires dautrui avec une indiscrtion qui ne redoutait ni lesremontrances ni les rebuades. Aussitt quon voyait apparatre quelquepart un museau couleur orange, on scriait : Voil Tambour ! Il don-nait un coup dil par-ci, un coup de dent par-l, jouait avec les enfants,erayait les poules, clinait la cuisinire et disparaissait.

    On tait alors, on le sait, vers la n du mois de novembre ; la cam-pagne avait ces teintes ples et voiles qui plaisent quelquefois plus queles couleurs vives et lclat joyeux de lt. Il ny avait presque plus defeuilles aux arbres, si ce nest aux chnes tout couronns de rameaux queles premiers froids avaient enduits de rouille. Le soleil se montrait peine. toute minute, de grands vols de corbeaux traversaient le ciel gris etremplissaient lespace de leurs cris sinistres. Georges ne rencontrait plusdans ses promenades que le piton charg de distribuer les lettres, et les

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  • Madame Rose Chapitre I

    pcheurs avec lesquels il avait fait connaissance ; mais cette solitude etlpret de la saison les lui rendaient plus chres, et jamais peut-tre il neles avait faites ni si longues ni si frquentes.

    Un matin donc, Georges tait sorti dassez bonne heure ; il portait sonfusil et traversa la prairie dans la direction de la Seine. La chasse est pro-hibe en tout temps dans le parc et les dpendances de Maisons ; maisles chasseurs samusent quelquefois pendant lhiver tirer les oiseaux depassage qui sabattent parmi les joncs du rivage, ou quon surprend dansles criques formes par le lit du euve. Telle ntait pas lintention deGeorges ce jour-l ; il avait un fusil, parce que ce fusil stait trouv soussa main au moment de quitter la Maison-Blanche. Tambour avait regardson matre, et, comprenant au mouvement de ses yeux quon navait nulbesoin de lui, il tait parti, la queue en lair, la recherche dun certaintaureau noir auquel il avait dclar la guerre. Le taureau, qui tait jeuneet de bonne mine, avait accept le d, et, en preux chevalier, il mettaitautant dempressement courir au-devant de Tambour que Tambour enmettait courir au-devant de ses cornes. Le taureau, ayant lev sonmue,avait air le chien et tait parti au galop ; les deux adversaires se rencon-trrent mi-chemin, et le combat sengagea sur-le-champ dans la prairie.

    Georges laissa lpagneul aux prises avec le taureau, et atteignit bien-tt les bords de la Seine. Deux corbeaux qui creusaient lherbe coupsde bec, cherchant leur pture, partirent sa vue ; Georges les mit en joueet t feu. Les deux corbeaux battirent de laile et senfoncrent dans leciel. Diables doiseaux ! il est crit que je les manquerai toujours ! ditGeorges en frappant du pied.

    Une bande de corbeaux sleva du bord de la rivire au bruit de cettedouble dtonation, et se mit voleter de tous cts. Les uns passaientau-dessus de la tte de Georges allant et venant, dautres fuyaient tire-daile du ct de la fort ; quelques-uns, les plus hardis ou les plus jeunes,sabattaient dans la prairie et couraient et l. M. de Francalin rechargeason fusil et semit leur poursuite ; mais les oiseaux vigilants sloignaientbientt, et, quelle que ft son activit les tirer, il ne put en atteindreaucun. Le chasseur sentta, et, remarquant que les corbeaux traversaientle euve toute minute, il pensa quil serait peut-tre plus heureux encanot.

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  • Madame Rose Chapitre I

    Il courut vers une sorte danse que la Seine avait creuse dans le sableet quune petite pointe de terre protgeait contre le remous. Un joli petitbateau peint en noir avec une raie blanche y ottait, la proue retenue auxracines dun saule par une chane cadenasse. Le nom du canot, la Tor-tue, tait crit en belles lettres rouges sur larrire, auprs du gouvernail.Georges ouvrit le cadenas, sauta dans le canot et poussa au large. Malgrson nom, la Tortue lait sur leau comme une che, et, pousse par lim-pulsion vigoureuse des rames, elle eut bientt gagn le milieu du courant,quelle remonta dans la direction de lperon bois qui spare le parc deMaisons des tirs de Saint-Germain. Comme il ramait, Georges entenditle bruit dun corps tombant dans leau : ctait Tambour, que tout ce ta-page de coups de fusil avait attir sur la rive, et qui venait bravement dese mettre la nage pour rejoindre le canot. Son matre lattendit, lenlevalestement et continua sa route, guettant de lil les corbeaux qui vole-taient sur les deux rives.

    Une lgre brume, qui depuis le matin ottait sur la campagne, se dis-sipa en ce moment, et un clair rayon de soleil gaya le paysage. Parvenu la hauteur dHerblay, Georges laissa glisser la Tortue au courant de leau,et, accroupi larrire, comme un pcheur qui tend ses lets, il attendit,la main sur son fusil, quun des oiseaux passt sa porte. Tambour, as-sis lautre bout du bateau, imitait sagement la complte immobilit deson matre. Il grelottait, mais on voyait quelquefois frtiller le bout de saqueue.

    La ruse de M. de Francalin russit. Bientt un corbeau arriva lourde-ment et passa au-dessus du canot. Le chasseur paula et t feu. Au premiercoup, le corbeau senleva, au second, il pirouetta sur lui-mme, eeuraleau du bout de ses ailes noires, et alla tomber dans lherbe quelquespas du rivage.

    Enn ! scria M. de Francalin.Comme il se mettait debout pour bien reconnatre la place o loiseau

    se dbattait, il entendit crier du ct dHerblay. Il tourna la tte et aperutun enfant qui venait de glisser dans la rivire et se tenait cramponn aubout dune corde qui pendait le long dun bateau. Une petite lle penchesur le bord de ce bateau, seorait de retirer son camarade et appelait ausecours de toutes ses forces.

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  • Madame Rose Chapitre I

    vous ! vous ! cria un homme dont la barque tait en aval duct de la Frette.

    M. de Francalin sauta sur les avirons et t voler la Tortue. Leau jaillis-sait autour de la proue ; tout instant, il retournait la tte pour voir quelledistance le sparait encore des enfants.

    Tiens bon ! disait-il ; tiens bon, petite ! Il ntait plus qu quelques brasses du bateau, lorsque les mains de

    lenfant, engourdies par la fatigue et le froid, lchrent prise. La petitelle se pencha brusquement en le voyant disparatre et passa par-dessusle bord. Le courant les prit tous deux et les emporta. Georges lcha lesrames, et, tant sa vareuse, se jeta dans la rivire. Tambour sauta aprslui.

    En quatre brasses, le chasseur eut atteint la petite lle, que ses grosjupons de laine maintenaient la surface de leau. Il la saisit vigoureuse-ment par le bras, et nageant dune main, il la dposa bord du bateau. Tiens-toi tranquille prsent , dit-il ; et il rentra dans leau, cherchantde tous cts.

    On ne voyait rien que la surface du euve, et l raye par un souede vent.

    Cherche ! cherche ! cria Georges Tambour, qui nageait auprs delui.

    Un lger bouillonnement, quil aperut quelque distance au-dessusde leau, lui indiqua la place o le petit garon avait sombr. Il y poussa detoutes ses forces ; mais dj Tambour lavait devanc, et, plongeant tout coup, il reparut bientt, tenant dans sa gueule le pan dune veste. Deuxjambes inertes et deux bras sans mouvement pendaient aux deux ctsde son museau. Georges saisit lenfant et le souleva hors du euve sansque Tambour voult lcher prise, et tous deux arrivrent sur le rivage, osauveurs et sauvs trouvrent la petite lle, qui pleurait chaudes larmes.

    Ah ! mon Dieu ! disait-elle, voil mes jupons perdus ! Maman vame battre !

    Georges tait fort embarrass entre ces deux enfants, dont lun san-glotait tandis que lautre ne donnait aucun signe de vie.

    Cest bon ! dit-il la petite lle, on te donnera dautres jupes ;marche devant et mne-nous chez ta mre.

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  • Madame Rose Chapitre I

    Mais, tandis quil parlait, lhomme la barque aborda prs de lui, etsauta sur le sable. Ah ! dit-il, ce sont les petits la Thibaude Elle vadrlement les arranger, la brave femme !

    Il souleva lenfant que Georges frictionnait. Bon ! reprit-il, le cur bat ; il en sera quitte pour la peur. Bien sr, Canada ? dit Georges. Eh ! oui. Tenez, le voil qui soue dj Ajoutez un rhume la

    peur, si vous voulez, et ce sera tout. Le pcheur dpouilla lenfant de ses habits tout tremps deau, et len-

    veloppa dun caban de grosse laine. Il ne faut pas quil se refroidisse, reprit-il. Si mon caban en soure,

    on verra sarranger, et maintenant en route Je me charge du petit,suivez la petite Vous me semblez un peu ple ; avec ce vent-l, il ne faitpas bon pour vous ici.

    Le fait est que M. de Francalin grelottait ; leau dont ses vtementsruisselaient tait glace, et le vent qui souait en rendait limpressionplus froide encore. Il ne rpondit pas, et se mit marcher fort vite.Quant Tambour, qui sa conscience de chien rendait un bon tmoignage, ilcourait en avant avec force gambades, et fourrait son museau curieuxdans tous les buissons.

    Au bout dune centaine de pas, la petite lle sarrta court : Voilma-man ! scria-t-elle. Et, toute tremblante, elle se rfugia entre les jambesde M. de Francalin.

    Un groupe de femmes et denfants au-devant desquels courait unepaysanne en jupon rouge parut au milieu du chemin. Toutes les femmesparlaient la fois ; seule, celle qui marchait la premire tait muette. Lesenfants faisaient grand bruit.

    Ce nest rien ! maman, ce nest rien ! il est en vie ! cria la petite.La Thibaude lcarta de la main et sauta sur le petit garon comme

    une louve. Ctait donc vrai, ce que ma dit la lle Claude ! scria-t-elle

    Jacques tait tomb leau. Eh ! oui, rpondit Canada, et il nen est pas mort ! La Thibaude navait dyeux que pour le petit garon, et le retournait

    dans tous les sens. La violence des baisers maternels et la chaleur du gros

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  • Madame Rose Chapitre I

    caban avaient rendu la vie lenfant : il ouvrit les yeux et se mit pleurer.Sa mre, qui tait toute blanche comme un linceul, devint rouge commeson jupon ; elle le coucha brusquement sur ses genoux, et du revers de samain lui appliqua une demi-douzaine de tapes vigoureuses qui sonnaientsur les chairs nues.

    Voil qui tapprendra tomber dans la rivire, mauvais garne-ment ! dit-elle.

    Le petit Jacques ne pleurait plus, il criait. Et toi, que faisais-tu dans le bateau ? poursuivit laThibaude en cher-

    chant sa lle du regard ; mais la petite lle se tenait blottie entre les ge-noux de M. de Francalin, et navait garde dapprocher.

    Eh ! pardine ! elle jouait, rpondit Canada Est-ce que vous voulezempcher des enfants de jouer, prsent ? a court aprs les morceauxde bois qui descendent la rivire, a veut pcher la ligne avec des btons,cest jeune, cest tourdi, et a roule dans leau a mest arriv dix fois

    On ne vous parle pas, dit la Thibaude. On ne me parle pas, mais je rponds Au lieu de battre votre petit

    bonhomme, il mest avis que vous feriez mieux de remercier monsieurque voil, et de caresser un peu ce brave chien, sans qui vous nauriez paseu la chance de revoir lenfant.

    LaThibaude, un peu confuse, se tourna vers M. de Francalin. Elle avaitles yeux pleins de larmes.

    Cest donc vous, monsieur ! dit-elle Si josais, je vous embrasseraisde bon cur.

    Qu cela ne tienne, embrassons-nous, rpondit Georges en joi-gnant laction aux paroles ; et, prsent que nous voil bons amis, laissez-moi solliciter la grce de cette petite lle, qui a grand-peur dtre gronde.

    Cest quaussi elle le mrite bien Toujours dans les bateaux !Voyez comme elle est faite.

    Oh ! cela me regarde ! reprit Georges Jai promis de laider chan-ger de jupes, et voici de quoi y pourvoir.

    Il tira un louis de la poche de son gilet ; mais en le donnant il devinttout ple, et sappuya contre un tronc darbre. Il lui semblait que touttournait autour de lui.

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  • Madame Rose Chapitre I

    Diable ! est-ce que vous auriez quelque ide de vous trouver mal ?dit Canada.

    Jai froid , rpondit Georges.En ce moment, une femme quon navait pas encore vue sapprocha

    du groupe. Elle tait couverte dune robe fort simple toute noire et dunepelisse de drap.

    Ah ! voici M Rose ! scria la petite lle, qui, sans prendre garde leau dont elle tait inonde, courut vers la dame en robe noire, et se jetadans ses jambes.

    Il nest pas arriv de malheur son frre ? demanda M Rose laThibaude.

    Oh ! non, madame ; le voil, et voici monsieur qui la tir de leau. M Rose regardaM. de Francalin. Georges voulut saluer, mais il chan-

    cela ; un nuage passa devant ses yeux, et il tomba au pied de larbre.Quand il revint lui, M. de Francalin tait assis dans un grand fau-

    teuil devant un bon feu. Il lui sembla que ses membres avaient retrouvleur lasticit et leur chaleur. Canada tait debout devant lui, tenant lamain un morceau de anelle imbib deau-de-vie avec lequel il venait dele frotter vigoureusement.

    O sommes-nous ? dit Georges en jetant les yeux de tous cts. Pardine ! vous ntes pas chez moi ! Il faudrait chercher dans bien

    des maisons pour trouver ces beaux fauteuils et ces pendules avec desdames tout en or ! Il ny en a pas deux comme a dans tout Herblay ! Etcomme a sonne ! hein ? On dirait une petite cloche

    Midi ! scria Georges ! Bon ! Ptronille va bien me recevoir ! Il t un mouvement ; la couverture dont il tait envelopp sentrou-

    vrit, et il saperut quil avait les jambes nues. Dame ! dit Canada en rpondant aux regards de M. de Francalin, il

    a bien fallu vous dshabiller de la tte aux pieds ! Est-ce que vous ne vousavisez pas de vous vanouir comme une demoiselle ? Il y a une heure queje vous frotte. Voil le acon et voil la anelle. Le acon y a pass toutentier, une eau-de-vie qui ressusciterait un mort, et dont jai got pourvoir. M Rose ne marchande pas sur la qualit.

    M Rose ? cette jeune femme en noir ? Est-ce que par hasard jeserais chez elle ?

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  • Madame Rose Chapitre I

    Tiens ! vous navez donc pas regard la pendule ? peine tiez-vouspar terre quelle a exig quon vous conduist dans sa maison. Je vous aipris sur mes paules et ne me suis arrt quaprs vous avoir mis dans cefauteuil. Eh ! eh ! la cte est roide ; cest en haut seulement que je mensuis aperu.

    Pauvre Canada !Ah a ! mais je ne puis pas rester dans ce costumechez M Rose une couverture et rien dessous !

    Ne vous mettez pas en peine ! On nest pas riche, mais on a deuxhabits complets. Voil des souliers o vous serez comme dans un bateau,et une vareuse qui vous tiendra chaud sans vous touer ; mettez-moia.

    Il tala les vtements sur une chaise et se frotta les mains. Eh ! eh ! reprit-il dun air sournois, a fait une bonne course et une

    heure de friction. La fatigue nest rien, cest la matine qui est perdue. Georges, qui connaissait Canada de longue main, sourit. Bon ! on vous revaudra cela, dit-il. Oh ! je ne parle de rien, scria Canada ; je sais quavec vous on joue

    qui perd gagne Passez-moi cette chemise de laine ; cest chaud commeune toison.

    Georges shabilla en toute hte ; il lui tardait de sexcuser auprs deM Rose et de la remercier.

    Elle ma sembl jolie, reprit-il tout en bouclant le vaste pantalon deCanada.

    Jolie ! scria le pcheur avec lexpression du ddain le plus mar-qu Jolie ! en voil une ide ! mais vous ne lavez donc pas vue ? Il y ade jolies lles dans le pays : la Louison, la Catherine, la Pierrette ; maisM Rose ! elle leur ressemble comme un pied dillet un brin doseille !

    Diable ! Ah ! vous riez ! Cest peut-tre parce que je laime ; mais je mima-

    gine que les reines des contes de fe devaient tre faites comme MRose Il faut que leau de la rivire vous ait aveugl pour dire de MRose quelle vous a sembl jolie !

    Un petit coup frapp la porte interrompit Canada.Quest-ce ? dit-il.

    11

  • Madame Rose Chapitre I

    Je venais savoir des nouvelles du malade ; comment va-t-il ? de-manda une voix dun timbre doux et argentin.

    Canada courut la porte et louvrit. Oh ! vous pouvez entrer ; il est debout et tout grouillant comme un

    brochet , dit-il.M Rose salua Georges en souriant. Vous navez plus froid ; peut-tre avez-vous faim ; voulez-vous d-

    jeuner ? dit-elle.M. de Francalin donna un coup dil son costume, puis la regarda. Oh ! la campagne ! reprit-elle avec un joli mouvement dpaules.La connaissance tait faite ; Georges accepta. Comme il suivait M

    Rose dans une pice voisine o le couvert tait dress, Canada se pencha son oreille.

    Eh bien ! dit-il, trouvez-vous toujours quelle soit jolie ? Cest vrai, rpondit Georges ; jolie nest pas le mot : elle a je ne sais

    quoi qui nest pas cela et qui est mieux que cela. Tiens, dit Canada, elle a son cur dans les yeux.

    n

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  • CHAPITRE II

    C fois que Georges voyait M Rose, et mainte-nant quil lavait regarde, il sexpliquait trs nettement le sen-timent bizarre de Canada. On ne pouvait pas dire de M Rosequelle et une taille de desse, la chevelure de Cypris, un prol de came,et toutes ces perfections que les potes accordent volontiers leurs divi-nits. tait-elle belle ? tait-elle jolie ? on ne le savait pas. Elle sduisaitpar un charme singulier qui tait en elle et qui vous enveloppait douce-ment comme la chaleur pntrante dun foyer o brille un feu clair. Cecharme ne provenait ni de la puret de ses traits, qui ntaient pas duneextrme rgularit, ni de la grandeur et de lclat de ses yeux, quon pou-vait voir sans en tre bloui : il provenait de lharmonie, ce don si rare etsi prcieux. Il tait impossible de dsirer quelle et le nez plus n ou labouche plus petite : il semblait que chacun de ses traits ft prcisment cequil devait tre, et quon les avait faits exprs pour elle ; le son de la voixrpondait lexpression du regard ; le sourire tait bien tel quon lesp-

    13

  • Madame Rose Chapitre II

    rait de ses lvres, et, quand on lavait quitte, on ne pensait pas quellept tre mieux ou autrement quon ne lavait vue.

    Le lendemain de cette premire rencontre, Georges naurait pas pudire si M Rose tait brune ou blonde, il lui semblait bien, en cherchant,quelle avait les cheveux chtain clair et les yeux dun bleu fonc, maisil nen tait pas sr ; il se rappelait seulement quelle avait une grandeapparence de jeunesse avec un air rchi qui augmentait la grce desa physionomie.Quand elle parlait, elle vous regardait bien franchementdans les yeux ; un joli sourire gayait le coin de sa bouche, qui semblaitfaite pour la vrit. Elle tait naturellement joyeuse et vive, et cependantun voile de mlancolie tait rpandu sur son front, et son regard avaitparfois quelque chose de triste et de plaintif comme celui dune colombeblesse. Ctait moins une lueur quun clair fugitif ; mais il nen fallaitpas davantage pour comprendre que M Rose avait souert, comme cespetites gouttes deau suspendues aux ptales dun lis indiquent quil a plu.

    M. de Francalin avait demand M Rose la permission de la revoir,ne ft-ce que pour la remercier de son hospitalit, et elle la lui avait ac-corde sans hsitation. Il retourna donc Herblay ds le lendemain ; maisce jour-l M Rose tait la promenade.

    Elle y va souvent quand il fait clair, dit une bonne femme qui avaitsoin du mnage : si vous voulez rencontrer M Rose, il faut venir versonze heures ou midi.

    Comme il descendait la cte dHerblay, M. de Francalin aperut Ca-nada qui ramassait du sable dans la rivire. En trois coups de rame, il futauprs de lui.

    Si vous maviez hl tout lheure quand vous avez pass avec laTortue, je vous aurais vit la peine de monter l-haut, lui dit Canada.

    Vous saviez donc que M Rose ntait pas chez elle ? Pardine ! puisque je viens de la conduire la ferme, de lautre ct

    de leau Et qui la ramnera ? Moi donc ! Est-ce que je nai pas des bras et un bateau ? est-ce quil

    ne faut pas quon gagne sa pauvre vie ? Georges alluma un cigare la pipe de Canada. Dites donc, mon vieux, si vous laissiez de ct votre perche et votre

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  • Madame Rose Chapitre II

    sable ? Jai l mon pervier, et nous prendrions bien de quoi faire unefriture en remontant la rivire.

    Le pcheur regarda Georges en dessous et secoua dun air n lescendres de sa pipe.

    Cest--dire, monsieur Georges, que vous avez envie de me parlerde M Rose Vous vous tes dit comme a : Je ne connais pas la rosedHerblay ; Canada la connat, faisons causer le vieux.

    Georges sourit. Eh bien ! je suis bon diable, reprit Canada ; laissez-moi amarrer mon

    sabot quelque pied de saule, et je passerai bord de la Tortue Nousramnerons M Rose de compagnie a nempche pas, grommela-t-ilen sapprochant du rivage, que cette conversation va me faire manquerma journe Ce sable que je pche est plein de ferraille, et il y a prot le ramasser.

    Est-ce quon ne sait pas que tout travail mrite salaire ? Venez tou-jours , dit Georges.

    La barque attache, Georges prit les rames, Canada lpervier, et ilsremontrent la Seine dans la direction des tirs de Saint-Germain.

    , que vous plat-il de savoir ? reprit le pcheur. Un peu de tout. Voulez-vous que je vous dise ma pense, moi ? poursuivit Canada

    sans sarrter la rponse de M. de Francalin. Vous mavez tout fait lamine dun homme qui va devenir amoureux de M Rose.

    Georges haussa les paules. Oh ! il ne faut pas faire le ddaigneux ; vous lavez t certainement

    de personnes qui ne la valaient pas On ne vient pas senfermer commeun ours Maisons, par la bise et par la neige, sans quil y ait une femmel-dessous.

    Georges rougit. Bon ! votre visage ma rpondu Bah ! les feuilles vertes remplacent

    les feuilles mortes, et M Rose vous gurira ; mais vrai, Dieu ! si je croyaisquil dt lui arrivermalheur cause de vous, aussi vrai que voil Tambour,je culbuterais le canot et vous enverrais au fond de la rivire.

    Merci ! t Georges.

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  • Madame Rose Chapitre II

    Oh ! cest une manire de parler. Dailleurs vous tes un brave gar-on, et je ne vous veux pas de mal, au contraire. Cest seulement pourvous faire voir ce que cest que M Rose pour moi.

    Cela dit, Canada assura son pied sur lavant de la Tortue, soulevalpervier et le lana dans leau.

    Il faut vous dire, reprit-il en retirant les petits poissons qui grouillaientau cur du let, que M Rose habite Herblay depuis un an ou quinzemois. Elle y est arrive au temps quon se fusillait dans les rues de Pa-ris. Cette bonne femme que vous avez vue chez elle laccompagnait. Jaipens dabord que ctait une dame de l-bas qui avait peur des meutes. Bien sr, me disais-je, son mari va venir, et ils attendront que tout anisse. Le mari nest pas venu.

    Ah ! t Georges. Oh ! il ny a pas de ah ! rpliqua le pcheur en secouant la tte. M

    Rose est une femme du bon Dieu, et il ny a rien dire sur elle Si lenvievous prend de vous marier, je vous en souhaite une qui lui ressembleEh ! ramez plus fort, il ny a que de la blanchaille par ici Approchez-vousdu bord Jai ide que nous trouverons des perches de ce ct.

    Bon ! voil M Rose installe Herblay. Mais attendez donc ! vous allez plus vite que les violons Elle des-

    cendit lauberge et chercha une maison louer. Il y en avait une jus-tement sur la hauteur avec un jardinet. Le propritaire venait de mourir,et sa veuve la cda tout de suite M Rose. Or, que pensez-vous que tM Rose ? Elle sen alla chez M. le cur, et, lui mettant un beau rouleaude pices de cent sous dans la main : Monsieur le cur, lui dit-elle, voilce qui me reste sur largent que javais destin au loyer de ma maison.Il faut que les pauvres protent de ce que je gagne. Il y en avait pourtrois cents francs Trois cents francs dans un temps o les cus taientsi rares, que ctait comme des objets de curiosits ! Et comme elle senallait, elle ajouta : Vous leur direz de prier pour moi. a, ctait detrop. Comme si M Rose avait besoin quon prit pour elle.

    Georges regarda Canada. Cette chaleur et cette conviction de la partdun homme qui avait un peu les murs dun bohmien de rivire lton-naient beaucoup ; mais le pcheur, accroupi au bord du canot, ny prenaitpas garde, et contemplait la surface de leau, au-dessus de laquelle ve-

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  • Madame Rose Chapitre II

    naient crever de petits globules. Je vous dis quil y a des barbillons par l ! Chut prsent ! mur-

    mura le pcheur.Il amora la rivire en y jetant deux ou trois poignes de grains, et

    apprta silencieusement son let. Quand il crut le moment convenable,il jeta lpervier, et dcouvrit, au premier eort quil t pour le ramener,deux ou trois poissons qui se dbattaient entre les mailles.

    Hein ! sont-ils beaux ! dit-il. , vous laimez donc bien ? dit Georges en aidant Canada retirer

    lpervier.M Rose ? Il faudrait avoir un cur de pierre pour ne pas laimer !

    Est-ce quon ne sest pas avis de me chercher chicane pour quatre mau-vais lapins que javais pris au collet dans les bois du gouvernement ? Ondisait aussi que je pchais en dehors des rglements. Et les lois, o taient-elles dans ce moment-l ? On en avait dmoli la moiti, et le reste ne valaitgure mieux. Et les autorits dalors, avaient-elles consult les rglementspour entrer aux Tuileries ? Je mentte et je jette le papier timbr au nezdes gendarmes, aprs quoi je vais sur leau tendre mes lignes de fond.Tout a me conduisit en prison. Il ny avait pas trente sous au logis, etma pauvre femme avait la vre Quand jy pensais la nuit, javais dessueurs dans le dos. Enn je sors au bout dun mois. Bien sr, me disais-je tout en marchant, je vais trouver la baraque toute pleine dhuissiers,et sans un clou pour pendre mes lets. Ah ! bien oui, on navait pasdrang une chaise, et ma pauvre vieille raccommodait mes chemises surla porte ! Ctait M Rose qui avait pay lamende et pris soin de toutQuand je vis a, je courus tout droit chez elle. M Rose tait dans son jar-din avec un grand chapeau de paille sur la tte. Javais arrang un beaudiscours pour la remercier ; joubliai tout et je sautai sur ses mains pourles baiser Dame ! jai failli les casser Jtais comme fou et je pleuraiscomme une bte. Ah ! me dit-elle, vous mavez fait peur ! Je vis bienque mes gros vilains doigts lui avaient fait mal. Je me jetai ses genoux : Battez-moi comme un chien, lui dis-je, je ferai ce que vous voudrez ! Eh bien ! reprit-elle en riant, il ne faut plus prendre de lapins.

    Et vous nen avez plus collet ? Moi ! jamais ! Ah ! par exemple, les gendarmes ny auraient rien

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  • Madame Rose Chapitre II

    fait ; mais M Rose ! Elle me la dfendu, cest ni ! a nempchepas que si je pouvais leur jouer quelque tour, ces gens qui mont misen prison ! a jette un gouvernement par terre, et a ne veut pas que lepauvre monde samuse un peu ! a ma mis du levain dans lestomac ;mais sut, je mentends, et si loccasion vient, on saura la prendre.

    a ! comment donc sappelle-t-elle, M Rose ? reprit Georges aprsquil eut laiss Canada exhaler sa colre.

    Cette btise ! Elle sappelle M Rose Est-ce que ce nom ne vousparat pas joli ?

    Trs joli, mais cest un petit nom ; elle doit en avoir un autre ? Cest possible ; mais personne ne le lui a demand. Elle a dit quelle

    sappelait M Rose, et tout le monde lappelle M Rose. Au commen-cement, il y avait des curieux qui faisaient des questions comme vous ; prsent, on ny pense plus. Elle ne voit jamais personne, si ce nest unmonsieur qui est venu deux ou trois fois en un an.

    Quel monsieur ? dit Georges vivement. Un monsieur comme vous, un monsieur qui parat de la ville. Ah !

    quels yeux ! Quand il vous regarde, on dirait que a vous entre dans lecorps comme une vrille. Ce doit tre quelquun de ses parents. Il arrivevers midi et sen va le soir. Par exemple, il ne part pas sans faire un toursur la rivire, aprs quoi il me donne vingt francs ; cest un homme trsbien.

    Georges prouva comme un sentiment de malaise ; ce monsieur de laville lui gtait M Rose.

    Quelquefois encore, assez souvent mme, poursuivit Canada, le pi-ton remet des lettres M Rose. Jai remarqu quelle souriait de moinsbon cur ces jours-l. Lautre matin, il lui en a apport une aumoment oelle se rendait la messe ; elle la lue chemin faisant, et jai vu quelle de-venait fort ple. Elle est reste longtemps dans lglise prier, et, quandelle est sortie, elle avait les yeux humides comme ceux dune personnequi a pleur. Cependant cette lettre ne lui annonait la mort daucun deses parents : elle tait cachete de rouge. Ce jour-l, elle a vid sa bourseentre les mains des pauvres ; moi, jaurais volontiers battu tout le village,tant jenrageais de la voir pleurer.

    Canada donna un coup daviron contre un arbre.

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  • Madame Rose Chapitre II

    Faire du chagrin une si bonne crature ! faut-il quil y ait de m-chantes gens ! reprit-il.

    Qui sait ? dit Georges ; la lettre venait peut-tre dun amoureux. Elle est dans lge o ces maladies vous prennent, rpliqua le p-

    cheur en branlant la tte, et cependant je ny crois pas, vos amoureux.M Rose na jamais reu dautres visites que celles que je vous ai dites,et ces sortes de fous ont des jambes pour courir. Et puis, si M Rose a dessecrets, ce serait mal reconnatre sa bont que de chercher les pntrer. prsent, monsieur Georges, vous en savez autant que moi.

    Mais comment se fait-il que je ne laie jamais rencontre, moi quicours le pays du matin au soir, et que jamais vous ne men ayez parl ?

    Vous nallez pas beaucoup du ct dHerblay, monsieur, et cest Herblay que M Rose demeure. Quant vous en parler, pourquoilaurais-je fait ? Vous tes dans la saison o le cur est de paille, et jene voulais pas vous exposer prendre feu.

    Canada jeta un coup dil sur la rive. Bon ! dit-il, vous me faites bavarder, voil lombre des peupliers qui

    coupe la rivire, il va tre quatre heures ; il faut nous hter, si vous nevoulez pas que nous fassions attendre M Rose.

    Georges et Canada prirent chacun une paire davirons et rent volerla Tortue. En quelques minutes, ils furent par le travers des tirs de Saint-Germain ; un long sillage marquait la course du canot.

    Ramez toujours, dit Canada. Je vais voir si M Rose est sur la rive. Il se mit debout, et aperut M Rose sur un tronc darbre. Ah ! cest vous, dit-elle en saluant Georges ; je comprends prsent

    pourquoi Canada arrive si tard. Elle se leva et sapprocha du canot. Voyons, reprit-elle, donnez-moi la main pour que je saute dans cette

    coquille de noix. M Rose portait ce jour-l une robe de drap bleu, un grand camail et

    un chapeau rond de feutre gris larges bords ; lanimation de la marche etle grand air avaient color son teint : les boucles de ses cheveux tombaientle long de ses joues et sur son cou. Elle tait charmante.

    Vous tes donc venu me voir ? reprit-elle en caressant de la mainTambour, qui frottait familirement sa tte contre la jupe de drap bleu.

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  • Madame Rose Chapitre II

    Je vous dois bien cela pour le djeuner que vous mavez donn,rpondit Georges gaiement.

    Il tait un peu maigre pour un homme qui sort de leau ; aussi neme prendrez-vous plus au dpourvu, et, sil vous plat encore de sauterdans la rivire, au moins trouverez-vous des ctelettes.

    Prenez le gouvernail, dit Canada M. de Francalin ; moi je rame-rai.

    Georges prit place larrire, et M Rose sassit auprs de lui. Je vous remercie davoir pouss jusquaux tirs, dit-elle alors ; la

    prsence de votre canot me prouve que vous ne faisiez pas, en remontant Herblay, une simple visite de politesse. Ce que vous avez fait hier madonn de vous une bonne opinion, et jaurais t fche de ne plus vousrevoir.

    Tout cela tait dit avec un air de simplicit et de bonne humeur quisurprenait Georges et le charmait. Il regardait les yeux brillants et doux desa compagne, et il se demandait quel mystre enveloppait cette orissantevie et retenait tant de sduction dans la solitude dHerblay.

    En ce moment M Rose avait les yeux tourns du ct de lhorizono le soleil se couchait.

    Que cest beau ! dit-elle, en montrant le ciel et le euve toutbrillants des clarts mourantes du jour.

    Georges t signe Canada, qui suspendit le mouvement des rames etlaissa la Tortue descendre au l de leau. Le canot tait alors par le traversde La Frette. On sait de quelles grces mlancoliques et de quelles beautsse revtent souvent les soirs dautomne. Le silence ntait interrompu quepar le babil et les rires de quelques petites lles qui jouaient autour debateaux chous sur la rive. Le vent se taisait. Il ny avait danimation quedans la prairie voisine, o des troupeaux de bufs regagnaient ltable,pousss par un berger. Mille couleurs clatantes se fondaient dans le ciel.

    M Rose, tout entire la magie de ce spectacle, promenait ses re-gards sur la campagne tout en feu. Georges regardait M Rose, et Canadaregardait Georges. Tambour stait endormi, berc par le balancement in-sensible du bateau. Un dernier rayon glissa sur le euve, et la lumiresteignit ; les teintes dor rent place aux teintes violettes, le village dis-parut dans la brume, on ne vit bientt plus que cette clart douteuse qui

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  • Madame Rose Chapitre II

    prcde la nuit et otte la surface de leau ; les contours de la rive sef-facrent doucement, et, quand M Rose tourna son visage vers M. deFrancalin, elle montra des yeux inonds de larmes.

    Par un mouvement plus subit que la pense, Georges lui prit la main.Quavez-vous ? lui dit-il.

    Elle la lui laissa une seconde, puis, la retirant sans aectation : Rien, dit-elle ; je ne sais pas quoi je pensais. Elle essuya sa paupire en souriant : Vous ne savez peut-tre pas, dit-elle en le regardant, que la petite

    Jeanne a la vre ? Jeanne ? rpta Georges. Eh oui ! Jeanne, la lle de la Thibaude, celle que vous avez tire de

    leau Comment ! vous ne savez pas le nom des gens que vous sauvez, etvous nallez pas seulement prendre de leurs nouvelles !

    Je ne voulais pas, par ma prsence, faire croire la Thibaude quejavais un droit perptuel sa reconnaissance.

    Eh bien ! vous avez eu tort. Pourquoi enlever cette pauvre mre laseule chance quelle ait de sacquitter ? La petite a pris froid dans leau ;ce matin, elle a d rester au lit ; le mdecin est venu et lui a fait avaler dela tisane. Pour la consoler, jai dit laThibaude de lui acheter une poupe,et je lui ai donn un louis. a servira pour la tisane, et cest dix francs quevous me devez. Je nai pas le droit de gurir toute seule les enfants quivous doivent la vie.

    Cette manire dlicate de le faire entrer pour moiti dans sa charittoucha M. de Francalin. Il fouilla dans ses poches pour en tirer dix francs,mais il eut beau chercher partout, il ne trouva rien.

    Bon ! dit-il, cet imbcile de Jacob a vid mes poches ! Eh bien ! vous mapporterez cet argent demain, chez la Thibaude

    Me voici chez moi. En eet, la Tortue approchait du rivage ; un lan vigoureux la t sen-

    gager dans le sable assez loin pour que M Rose pt sauter terre sanscraindre de se mouiller les pieds.

    Comme elle allait sloigner, Canada la retint par le bras. Cest quejai aussi quelque chose vous dire, moi , balbutia-t-il en roulant sa mainau fond de sa vareuse.

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  • Madame Rose Chapitre II

    Puis Canada sarrta court la bouche ouverte. Eh bien ! quoi ? demanda M Rose. Au fait vous ne me mangerez pas ! Cest que jai grande envie de

    vous prier, ainsi que M. Georges, dajouter ces dix sous aux vingt francsque vous avez donns la petite. Ils sont en cuivre Bien sr, ils ne tien-dront pas entre vos doigts.

    Donnez toujours, mon brave Canada. Voil dix sous qui rachterontbien des lapins ! dit M Rose.

    Et, aprs avoir serr la main calleuse du pcheur, M Rose disparutdans la nuit.

    Est-ce un cur de femme, a ? dit Canada quand il ne la vit plus.Vous voyez, elle me ferait donner tout mon bien !

    Oui, oui, rpondit Georges tout bas, et vous pourriez bien avoirraison.

    Canada cligna de lil. Cest propos de ce que je vous ai dit ce ma-tin que vous me dites cela. Eh ! prenez garde, monsieur ! de moins jeunesque vous se sont pris ces hameons, et, quand on a mordu, cest troptard.

    Canada et M. de Francalin se sparrent sans plus parler : lun rejoi-gnit sa barque, portant sur son paule lpervier plein de poissons ; lautreregagna la crique o il avait lhabitude damarrer le canot.

    Ds les premier bonds que Tambour t sur le sable, il fureta commeun chien qui cherche une piste, aira quelques toues dherbes, et pritsa course travers la prairie. Georges le suivit lentement ; ses jambesle portaient la Maison-Blanche, son esprit tait Herblay. Comme ilapprochait du chemin qui sparait son domaine de la prairie, il entenditde grands aboiements ; il releva la tte et aperut de la lumire chez lui.Au mme instant, la porte du jardin souvrit et un jeune homme en sortit,caressant de la main Tambour, qui faisait des bonds extravagants.

    CommeThmistocle la cour du roi des Perses, je viens te demanderlhospitalit, dit le nouveau venu.

    Valentin ! scria Georges.Et les deux amis changrent une vigoureuse poigne de main, tan-

    dis que le chien, moustill par ce tmoignage daection, sautait sur lesjambes de lun et sur les bras de lautre, leur marquant sa manire toute

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  • Madame Rose Chapitre II

    la joie quil prouvait de cette runion. , dit Georges, Jacob a-t-il prpar la chambre du Dsespoir ? Elle est prte ! rpondit la voix de Jacob. Alors rentrons et dnons Tu pourras gmir ici tant que tu vou-

    dras.

    n

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  • CHAPITRE III

    U cette rencontre, Georges et Valentin taient as-sis en face lun de lautre devant une chemine o ambait ungrand feu de souches et de fagots. La pice dans laquelle ils setrouvaient tait vaste, haute et claire par sept fentres qui ouvraientsur le midi, le levant et le couchant. Les murs en taient garnis de ca-siers remplis de livres presque jusquau plafond ; un panneau tait rservaux fusils et aux divers ustensiles de chasse, tels que carnassires, sacs plomb et poires poudre. Dans un coin droite, on voyait tous les enginsde pche ; langle voisin, gauche entre deux fentres, tait occup parun tabli de menuisier charg doutils. Au milieu mme de la pice sal-longeait une table ovale couverte dun tapis de drap vert et tout obstruede journaux, de revues, de brochures et de dictionnaires amoncels au-tour de deux mappemondes entre lesquelles on avait plac des plumes,des crayons et des encriers. Une grande lampe, suspendue au plafondet couverte dun immense abat-jour de tle, clairait la table. Quelques

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  • Madame Rose Chapitre III

    peaux de renard denteles de drap rouge taient disperses et l sur leparquet. Des oiseaux de proie empaills tendaient leurs ailes au-dessusdes casiers, et sur la chemine une magnique pendule, reprsentant unchar dApollon dun beau modle, sonnait les heures avec majest. Cettependule avec son quadrige de chevaux dors tait comme un souvenirde Versailles perdu la campagne. Quelques armes, telles que yatagans,sabres et pistolets, brillaient dans les intervalles mnags entre les corpsde bibliothque. Ajoutez cette runion dobjets de toute sorte une peaude tigre couche devant le foyer, quelques chaises de cuir disposes au-tour de la table, trois ou quatre grands fauteuils de tapisserie, et on auratout le mobilier de cette pice, qui servait la fois de salon, de cabinet detravail, de bibliothque et de fumoir, aux htes de la Maison-Blanche. Lesdeux jeunes gens fumaient, et Tambour dormait devant le feu, le museauentre les pattes.

    Ainsi donc elle ta trahi ? dit Georges en poursuivant un entretiendont les premiers panchements avaient t changs pendant le dner.

    Valentin soupira et se mit raconter Georges, qui ne lcoutait quemdiocrement, une de ces histoires parisiennes dont le dnouement nevarie jamais. Le soir o son infortune lui avait t rvle, Valentin, saisidindignation et de surprise, avait eu la pense un instant de provoquerson rival. Une rexion lavait retenu : pouvait-il rendre son cur lesillusions perdues ? Il tait mont chez la perde, et, dans cette chambre otant dheures charmantes staient envoles, il avait laiss sa carte avecces trois mots : Adieu ! soyez heureuse.

    Cest un peu vieux, rpondit Georges avec un sourire ; mais enncela vaut mieux quun coup dpe.

    Tu ris ! Ah ! on ne meurt pas de douleur, puisque tu me vois en-core.

    Valentin se leva et t quelques tours en soupirant ; puis, appuyant samain sur lpaule de Georges :

    Cest ni, dit-il dun air sombre, je ne crois plus rien Je renonce ces trompeuses cratures je menferme avec toi nous lirons les mora-listes qui ont crit contre les femmes ; nous les embellirons de commen-taires enrichis du rcit de nos dsastres personnels ; nous ferons un coursde misanthropie, et, si quelquune de nos anciennes connaissances se ha-

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  • Madame Rose Chapitre III

    sarde frapper notre porte, nous la recevrons coups de fusil Tu nevois personne au moins ?

    Personne, dit Georges en hsitant un peu. Bien. Je prtends vivre ici en cnobite. Si tu voyais quelque tre

    vivant en dehors de Tambour, jmigrerais. propos, dit Georges, qui ntait pas fch de dtourner la conver-

    sation ; es-tu toujours dans les aaires ? Moi ? Fi donc ! Il y a six mois que je men suis tir. Je ny entendais

    rien. Jai bien vu quema vocationmappelait dans la presse. Tu te souviensde quelle force jtais sur la polmique au collge ; jai fond un journal ;il est mort au plus fort de son succs. Jallais poursuivre ma candidature la dputation, quand la trahison que tu sais a tout bris. Je nai de cur rien. Cependant je sens bien que je suis n pour la politique.

    Valentin des Aubiers tait lun des plus vieux amis de Georges. Ilsstaient rencontrs au collge, et navaient pas cess de se coudoyer dansla vie, au milieu de laquelle Valentin marchait un peu comme ces coliersqui, rpandus dans les bois, oublient quils ont des broussailles entre lesjambes et des racines sous les pieds ; chaque nouvelle chute lui semblaitla premire ; il scriait avec candeur que ces choses-l narrivaient qului. Ctaient alors de grands dcouragements qui duraient six jours ou sixsemaines, aprs quoi il ny pensait plus, et repartait dun pied lger avec lamme esprance et la mme scurit. Le prochain accident amenait unenouvelle surprise qui ne le gurissait pas davantage. Ses amis disaientde lui qu cinquante ans il en aurait vingt-cinq, et que, sil arrivait lacentaine, il faudrait certainement le renvoyer lcole.

    Avec une fortune qui lui aurait permis de vivre sa guise, Valentinavait bravement mis le pied dans toutes les carrires, et sen tait retirimptueusement au premier obstacle. La dernire quil embrassait taittoujours la meilleure et celle qui rpondait le mieux ses instincts. peuprs riche et matre de son temps, Valentin navait pas travers Paris sansy faire de ces rencontres qui font ressembler la vie des routes semesdauberges o des curs de toute sorte se tiennent en embuscade, pareils ces hteliers fameux dont Guzman dAlfarache raconte les prouesses.Toutes les fois que le hasard le faisait entrer dans une de ces auberges, il nemanquait pas de croire quil sy reposerait jusqu la n de ses jours, et il

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  • Madame Rose Chapitre III

    faisait ses prparatifs en consquence. Si quelquun de ses amis saventu-rait lui dire que ce petit coin du paradis, dans lequel il comptait savourerdes dlices toujours nouvelles, ntait quune mchante halte entre deuxtapes, il sindignait et prenait le ciel tmoin du serment quil faisaitde ne plus partir ; mais le cur volage quil adorait accueillait-il un autrevoyageur, Valentin tombait dans unmorne dsespoir, et demandait nave-ment au ciel comment tant de perdie pouvait tre claire par la lumiredu soleil. Dsormais il ny avait plus pour lui ni paix ni bonheur ; la nuitse faisait dans son me, et il parlait srieusement de passer le reste de sesjours dans une thbade o jamais le pied dune femme ne pt arriver. Lamme bonne foi quil avait apporte dans son ivresse, il lapportait dansson aiction, et celle-ci lui semblait ternelle, comme il avait cru lautreimprissable.

    Ctait donc au plus fort dune de ces catastrophes priodiques quilvenait demander Georges de labriter dans sa solitude. Valentin ne ve-nait pas pour la premire fois Maisons, et ainsi sexpliquait le sobriquetde chambre du Dsespoir quon donnait la pice qui lui tait rserve.

    Le lendemain, au petit jour, Valentin frappa la porte de son ami. Tu dors, toi ; tu es bien heureux ! Que fais-tu aujourdhui ? dit-il. Rien. Eh bien ! si tu veux, nous irons djeuner Saint-Germain ; cest l

    que jai connu Clotilde ! Nous traverserons la fort, et cette promenadematinale me rendra peut-tre lapptit que jai perdu.

    Soit. Georges shabilla en toute hte et descendit ; mais au bas de lescalier

    il se souvint que M Rose lattendait chez la Thibaude. Sil voulait treexact, il navait pas le temps daller Saint-Germain et den revenir ; pourrien au monde cependant, il naurait consenti manquer ce rendez-vous.

    Viens-tu ? lui cria Valentin.Tambour, qui tait du voyage, appuya la sommation dun aboiement.

    Georges cherchait un prtexte et nen trouvait pas. Il savait Valentin trscurieux, et il ne se souciait pas de le mettre dans sa condence.Quel beauthme de longs discours ! Cependant il tait rsolu ne pas le suivrejusqu Saint-Germain.

    Ah ! mon Dieu ! scria-t-il aprs quil eut fait une centaine de pas,

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  • Madame Rose Chapitre III

    jai oubli que jai aaire de lautre ct de leau Herblay. Chez qui ? demanda Valentin. Chez le cur ! rpondit Georges tourdiment. Jirai avec toi. Georges comprit que Valentin tait dcid ne pas le quitter. Veux-tu pcher ? dit-il brusquement. Tu pches donc ? Toujours ; cest trs amusant. On a une ligne la main ; on pense

    ce quon veut, et le poisson mord. Cest ce quil y a de mieux quand on adu chagrin.

    Donne-moi une ligne , rpondit Valentin.Georges courut dans sa bibliothque, et redescendit avec tout un ap-

    pareil de pche. On partit pour le bord de la rivire, et Georges installaValentin au pied dun massif de saules qui masquait la vue de tous cts.

    Lendroit est excellent, il fourmille de goujons, dit-il ; en un quartdheure, on en prend deux douzaines. Reste-l ; moi je vais un peu plusloin, derrire ce gros peuplier.

    Et Georges se mit courir dans la direction du peuplier ; mais vingtpas plus loin il se glissa derrire le rideau des saules, gagna la crique ose balanait la Tortue, sauta dedans, et passa la rivire grands coups derames. Cinq minutes aprs, il gravissait la cte dHerblay toutes jambes,et entrait chez la Thibaude.

    Enn ! scria M Rose ; jai cru que vous narriveriez jamais. Cest que javais un ami, et quil ne me quittait pas. Il fallait lamener avec vous. Georges ne rpondit rien ; il et t fort en peine dexpliquer pourquoi

    il navait pas voulu que Valentin laccompagnt dans sa visite, et cepen-dant il et renonc au plaisir quil en attendait plutt que de le partageravec son ami. M Rose le regarda ; un peu troubl, il sassit et passa unmouchoir sur son front baign de sueur.

    Bont du ciel ! faut-il que vous ayez couru ! reprit-elle.Et, furetant dans tous les coins de la cabane, elle prpara un verre

    deau rougie quelle lui prsenta. Maintenant, dit-elle aprs quil eut bu, cest dix francs que vous me

    devez. Je me suis mis en tte dassurer une dot cet enfant. Cela laidera

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  • Madame Rose Chapitre III

    trouver un mari et vous apprendra tirer de leau les personnes qui senoient.

    Georges vida sa poche dans la bourse de M Rose, qui en versa lecontenu sur le lit de la petite lle.

    Es-tu riche ! hein ? dit-elle.Lenfant tout tonne prit les grosses pices blanches entre ses doigts. Oh ! mre, un sou tout jaune ? scria-t-elle en tirant un louis du

    milieu de son trsor.M Rose embrassa lenfant. MreThibaude, dit-elle, ramassez tout cet argent sans oublier le sou

    jaune. Vous en userez pour les besoins de votre lle, et sil vous manquequelque chose pour le mnage, Jeanne vous prtera bien tout ce quilfaut.

    M. de Francalin se rapprocha de M Rose, et leurs ttes se rencon-trrent au-dessus du petit lit o lenfant jouait avec une poupe de cartonqui lui semblait magnique.

    Jeanne a la vre, dit M Rose demi-voix Voyez. Georges prit la main de lenfant. Et Jacques ? dit-il. Oh ! Jacques trotte comme une souris. Cest le garon qui a failli se

    noyer, et cest la lle qui est malade. Il faudra un mdecin tous les jours. En avez-vous parl la Thibaude ? Jemen suis bien garde ; elle aurait peur de la dpense.Qui sait si ce

    pauvremnage na pas de dettes ? Regardez cette couverture ; il y a plus detrous que de laine. On enverra le mdecin sans prvenir personne. Il fautaussi des hardes et du linge. Nous cornerons la dot, et nous remplironsles armoires. Cela vous va-t-il ?

    Volontiers. Je serai votre dbiteur. Alors nous allons chercher le mdecin et tout acheter. Avez-vous

    la Tortue par l ? Le canot ? il est au bas de la cte. Eh bien ! vous allez me conduire jusqu Maisons, et avant ce soir

    le mnage aura tout ce dont il a besoin. M Rose caressa Jeanne, dit bonjour laThibaude, et sortit dun pied

    leste.

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  • Madame Rose Chapitre III

    Est-ce donc ainsi que vous passez toutes vos journes ? lui ditGeorges tandis que la Tortue glissait au l de leau.

    Quand loccasion sen prsente, on la saisit ; il ny a pas beaucoupde distractions Herblay, on prend celles qui se trouvent.

    Mais, si jen crois le peu que jai vu, au train dont vont les distrac-tions, les malheureux doivent vous bnir.

    Ils sont bien bons ! Que voulez-vous que je fasse les jours depluie ? On entre un peu partout, un jour par-ci, un jour par-l, et, au lieudacheter des robes quon ne mettrait gure, on achte des couvertures etdes jaquettes qui servent toujours Cela occupe.

    Nimporte, amusement ou charit, les pauvres perdront beaucoupquand vous retournerez Paris.

    Paris ? oh ! je ny retournerai pas de sitt, si mme jy retournejamais.

    Alors voulez-vous me mettre de moiti dans vos distractions ? Vous comptez donc passer lhiver Maisons ? Oui. La rponse vint si vite, et le regard qui laccompagna fut si franc, que

    M Rose ne put sempcher de sourire en rougissant. Un lger brouillardqui courait sur leau les enveloppait. quelques pas du bateau, on nevoyait rien : ils taient comme seuls au monde. Un peu dembarras seglissa entre eux. M Rose ramena sa mante autour delle et regarda dansla brume, o lon voyait par intervalles se dessiner la silhouette grise despeupliers. Georges pressa le mouvement des rames pour arriver plus vite.Peut-tre pensaient-ils tous deux aux circonstances inconnues qui lesavaient contraints, si jeunes lun et lautre, chercher lisolement dansla campagne et sy renfermer pendant la froide saison.

    De longs aboiements les tirrent de cette rverie, qui les unissait leurinsu, et en abordant sur le rivage ils virent Tambour qui, pour distraireson ennui, guerroyait contre les vaches quon menait labreuvoir.

    Ah ! mon Dieu ! scria Georges, pourvu que mon ami nait pas suivile chien !

    M Rose le regarda gaiement. Voil un ami qui vous fait grand-peur, dit-elle.

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  • Madame Rose Chapitre III

    Oh ! je laime beaucoup , dit Georges, qui venait de sassurer parun coup dil de labsence de Valentin.

    Il sia Tambour, qui laissa l ses vaches et vint tout courant se jetersur M Rose.

    Ah ! madame, reprit Georges, il faudra que vous vous y fassiez. prsent quil vous met au nombre de ses connaissances, il ira partout vousdire bonjour.

    M Rose caressa le chien et prit le bras du matre.Lombre tait venue quand M. de Francalin quitta M Rose. Il ne lui

    semblait pas quil et pass plus dune heure avec elle. son retour, ilaperut Valentin, qui se promenait devant la Maison-Blanche pas pr-cipits. Le bout de son cigare brillait comme un phare. On voyait quilfumait avec rage.

    Ah ! te voil ! cria Valentin, quun bond de Tambour avait surprisdans sa promenade. Et ce peuplier sous lequel tu paraissais si impatientde tasseoir, las-tu trouv ?

    Je tai fait attendre ? rpondit Georges. Attendre ! cest--dire que voil trois heures que je nattends

    plus ! Georges passa son bras sous celui de Valentin. Voyons, ne te fche pas, reprit-il ; quaurais-tu fait chez le cur ?

    Et puis il y a des heures o jai besoin dtre seul. Cest une manie. Est-ceque a ne te prend jamais, ces ides-l ?

    Oh ! si ! rpondit Valentin dun air tragique. Eh bien ? faisons une convention.Quand lun de nous aura ses hu-

    meurs noires, il mettra une feuille darbre son chapeau. La feuille mise,il sera en quarantaine. Nous conomiserons ainsi les frais dexplication.Cela te va-t-il ?

    Cela me va. Seulement tu aurais d penser la feuille plutt. Les bonnes ides ne viennent pas tout de suite. Ainsi cest convenu :

    la feuille arbore, cest la cocarde du silence et de lisolement. Si je la metsquelquefois, tu ne te fcheras pas ?

    Oh ! ne te gne pas ; je la mettrai souvent. Ds demain jen auraiune, et je vais la cueillir.

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  • Madame Rose Chapitre III

    Le lendemain matin, Georges et Valentin ne purent sempcher desourire en se regardant : ils avaient tous deux une feuille darbre attache leur chapeau ; mais, dles la foi jure, ils se salurent de la main sansse parler. Georges allait rejoindre M Rose ; Valentin allait se promeneravec son dsespoir.

    n

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  • CHAPITRE IV

    I quelque temps ; les feuilles allaient et venaient.Valentin jurait ses grands dieux quil ne ferait plus aucunefemme lhonneur de lapercevoir ; mais souvent dj il retournait Paris et y demeurait un jour ou deux, quelquefois trois ou quatre. Ctaitcomme de petites vacances quil donnait sa douleur. Georges trouvaittout bien, pourvu quon lui permt de gravir la cte dHerblay chaquematin. Quand un hasard sopposait ce quil vt M Rose, la journe luisemblait vide. Malgr lhumeur gale de sa voisine et la srnit quonvoyait en elle, on sentait quil y avait un chagrin dans sa vie, comme ondevine certains bouillonnements qui rident la surface des lacs que dessources invisibles spanchent dans leurs secrtes profondeurs ; mais cechagrin, M. de Francalin ne se lexpliquait pas, et M Rose nen parlaitjamais. Elle avait une manire de regarder bien en face, avec des yeuxlimpides et chastes, qui rendait toute question presque impossible, et centait pas Georges qui aurait eu lintrpidit de lui en adresser.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    On sait que M Rose vivait seule avec une vieille servante dans unepetite maison o jamais elle ne recevait personne, si ce nest M. de Fran-calin, le cur dHerblay et quelques notables du village qui venaient luidemander des secours pour leurs pauvres. Cette solitude profonde, avectoutes les apparences des habitudes les plus lgantes, ntait pas dj tout fait ordinaire. On sait en outre que le piton lui remettait souvent deslettres quelle lisait avec avidit et qui la jetaient dans un grand trouble.Georges lavait quelquefois surprise aprs ces lectures, et il voyait surses joues comme des traces de larmes. Il ne pouvait alors sempcher depenser cet inconnu qui deux ou trois fois avait paru Herblay et quilnavait pas vu. tait-il pour quelque chose dans ces larmes secrtementverses ?Quel titre avait-il au souvenir deM Rose, et quelle place tenait-il dans son intimit ? Canada avait racont M. de Francalin que, dansles premiers temps du sjour de M Rose Herblay, on avait pluchsa conduite jour par jour, heure par heure. Les plus mchantes languesnavaient pu rien dcouvrir qui prtt aux mdisances. On en vint pen-ser que, si elle avait quelque sujet dtre malheureuse, ctait un grandcrime de la part de ceux qui en taient la cause. Quelques indices pou-vaient faire croire quelle tait de Paris, ou que du moins elle lavait long-temps habit, puisquelle y allait encore de temps autre ; mais on nepouvait tirer aucune consquence de ces voyages, qui taient dailleursfort rares et fort courts. M Rose rappelait, dans sa retraite dHerblay,ces beaux oiseaux quun coup de vent a jets sur des rives lointaines etqui sy arrtent quelque temps. On ne sait do ils viennent, on ne sait oils vont.

    Au plus fort de lhiver, aprs deux mois de sjour Maisons, etquand les branches de houx avaient remplac les feuilles jaunes ramas-ses chaque matin et dont se paraient les jeunes gens, Valentin laissa voirune grande ngligence dans la toilette de son chapeau. Souvent mme ilfaisait de longues absences de plus en plus renouveles ; mais quand iltait la Maison-Blanche, Georges tait peu prs sr de le trouver surson passage aussitt quil mettait le pied dehors. Un matin quil avait ou-bli de se couvrir de lemblme protecteur, Valentin laborda rsolument.

    Je connais ta solitude, lui dit-il ; elle a les cheveux chtains et lesyeux bleus.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Georges se mordit les lvres. Aprs ? dit-il dun ton bourru. Oh ! ne te fche pas ! Tu as le got bon, et je comprends quon passe

    lhiver auprs delle ; tu aurais d seulement me prvenir plus tt ; je netaurais pas si longtemps drang.

    Georges frappa du pied. Mais que crois-tu donc ? scria-t-il. Parbleu ! cest assez clair. Tu habites le parc de Maisons, elle de-

    meure Herblay ; la Seine vous spare, mais lamour a jet un pont surleau, et vous faites vous deux la plus jolie pastorale quon puisse voir !Je mexplique prsent pourquoi tu courais si souvent chez le cur.

    Ne va pas plus loin ! scria Georges en saisissant le bras de Valen-tin ; je nai pas mme bais la main de M Rose.

    Valentin partit dun grand clat de rire. Ah ! elle sappelle M Rose, et tu en es l ! dit-il.Georges regarda Valentin tout surpris. Tu la connais donc ? reprit-il. Point du tout ; mais quoi bon ? Raisonnons un peu, sil te plat.

    Voil une femme avec qui on ne voit ni pre, ni frre, ni mari (jai bien prismes renseignements), qui demeure toute seule Herblay, et qui sappelleM Rose ! Est-ce assez de preuves, ou de symptmes, si le mot te parattrop vif ?

    Valentin continua quelque temps sur ce ton de persiage. Les argu-ments ne lui manquaient pas pour dtruire les objections de Georges mesure que celui-ci les produisait. La bonne rputation de M Rose netmoignait quen faveur de son adresse ; cette charit inpuisable quellemontrait prouvait quelle avait la main prodigue. Ce mystre dont ellesentourait nindiquait-il pas susamment quelle avait une vie ant-rieure cacher ? Quelque jour on dcouvrirait quelle sappelait de sonvrai nom M de Saint-Phar ou M de Saint-Pierre.

    Il arrive souvent que les choses qui impressionnent le plus doulou-reusement sont prcisment celles auxquelles on sarrte le plus volon-tiers. Chaque parole de Valentin blessait Georges au cur, et il en gardaitlempreinte profondment. Il faut dire aussi que tous ces raisonnementsprsents sous une forme railleuse, il se les tait faits lui-mme bien des

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  • Madame Rose Chapitre IV

    fois. Il ne croyait pas beaucoup aux vertus caches comme les violettes aufond des bois, ces mes blesses qui ensevelissent leurs larmes dans lesilence et la retraite, pareilles aux biches qui meurent sous lombremuettedes taillis. Le motif qui lavait conduit Maisons le rendait peu propre ces chres croyances qui sont lapanage des jeunes esprits. Il ne pouvaitpas non plus oublier les visites de linconnu qui payait si gnreusement Canada une promenade en bateau ; que de fois ce souvenir cruel nelavait-il pas troubl dans son bonheur ! Mais en prsence de M Rose ilsubissait le charme et ne voyait plus quelle. la voix moqueuse de sonami, les soupons lui revenaient en foule. Certainement ce que Valentindisait dans ce moment tait en parfaite contradiction avec ce quil avaitfait lui-mme toute sa vie et ce quil tait prt faire le lendemain ; maisen quoi la logique parat-elle dans les actions humaines ? Ce ntait pasdailleurs un motif pour amoindrir leet de ses remontrances. Georgesallait et venait, et mchait avec fureur un cigare quil nit par jeter vio-lemment. En tirant de sa poche un tui pour lui en orir un autre, Valen-tin t tomber une lettre couverte dune criture ne quil sempressa deramasser.

    Quest-ce que cela ? dit Georges. Une lettre daaires qui me force retourner Paris, mais pour

    quelques jours seulement , rpondit Valentin un peu troubl.Georges le regarda. Une lettre daaires sur papier rose ! bon, voil que ta maladie te

    reprend, scria-t-il, heureux dexercer des reprsailles. Accompagne-moi, et tu verras que Mathilde ne ressemble pas

    toutes les autres ! rpondit Valentin avec une exaltation inaccoutume.Ce cri tait comme le chant de linsurrection ; adieu le chagrin, le

    dsespoir ntait plus de saison. Georges haussa les paules, mais lim-pression que Valentin avait veille resta dans son cur. Il nalla pas Herblay ce jour-l ni le jour suivant ; il gronda Ptronille et repoussa Tam-bour, qui ne savait quoi attribuer ces accs de mauvaise humeur et senvengeait en disparaissant jusquau soir. Quand Valentin partit, Georgeslassura quil ne tarderait pas le rejoindre, et le quitta pour prparer samalle ; mais il tourna du ct de la rivire et monta sur la Tortue. Il navaitpas donn dix coups de rames, quil aperut M Rose sur la rive oppose

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  • Madame Rose Chapitre IV

    et Tambour auprs delle. Il salua la dame et sia le chien sans sarrter.Le cur lui battait ltouer. Tambour arriva la nage en rechignant,et son matre le jeta au fond du canot dun coup de pied. Il rentra le soirmcontent de lui et mcontent des autres ; le dner que Ptronille servitlui parut dtestable ; il prit un livre, senferma et ne put lire. Les plaintesdu vent qui souait lui rappelrent une soire quil avait passe auprsde M Rose, Herblay, au coin du feu. Jamais soire ne lui avait sem-bl si courte. Avec quel plaisir ne regardait-il pas la lumire qui brillaitderrire les vitres de la maisonnette, tandis quil descendait la cte au basde laquelle son canot lattendait ! Ah ! pourquoi Valentin est-il venu ? murmura-t-il.

    Le lendemain, il passa la rivire sans y penser ; il navait pas dormi dela nuit. Il monta chez laThibaude et poussa la porte. M Rose tait assiseau pied dun petit lit dans lequel Jeanne tait couche. Elle mit un doigtsur sa bouche en le voyant.

    Ne faites pas de bruit, dit-elle, la petite repose.Quest-il donc arriv ? demandaGeorges en apercevant laThibaude,

    qui pleurait dans un coin. Jeanne a failli mourir depuis quon ne vous a vu, rpliqua M Rose

    en parlant tout bas ; elle a eu un transport au cerveau. Elle sest endormiece matin, et le mdecin pense quelle est hors de danger ; mais il a recom-mand beaucoup de repos et de prcautions. Jai voulu lemmener chezmoi, sa mre na pas voulu.

    Mais non ! dit laThibaude en se rapprochant du lit de Jeanne dunair farouche, comme une louve dont on menace les petits.

    Cettemre si rude, qui frappait son garon aumoment o on le retiraitde leau, avait des larmes dans les yeux en regardant dormir sa lle. Elle sebaissa et embrassa les draps qui la couvraient. Georges, qui regardait tour tour la Thibaude et M Rose, saperut alors que celle-ci avait les yeuxfatigus et le teint battu comme une personne qui a longtemps veill. Ilse rapprocha delle.

    Qutes-vous devenu ? lui dit-elle ; si je navais pas vu Tambour tousles jours, jaurais cru que vous tiez malade.

    Vous en seriez-vous informe seulement ? dit M. de Francalin. Certainement ; vous me croyez donc bien peu attache mes amis ?

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Pourquoi ne vous tes-vous pas approch de moi hier, quand vous tespass sur la rivire avec la Tortue ? Je vous ai fait signe avec la main ;vous avez dtourn la tte.

    Jtais fou , rpondit Georges.Si la prsence de la Thibaude ne lavait pas retenu, il se serait jet aux

    pieds de M Rose et lui aurait bais les mains avec transport. Rien ne luirestait plus dans lesprit de tout ce que Valentin lui avait dit. Ces souponsquil avait vaguement conus et ce ddain que la veille il avait montr luisemblaient le plus grand des crimes.

    Ainsi vous avez veill auprs de ces pauvres gens ? reprit Georgesattendri. Vous ne craignez pas que la fatigue vous rende malade ?

    Moi ! Quai-je de mieux faire ? dit M Rose.La nuance de tristesse qui perait dans ces paroles ne pouvait chap-

    per Georges ; son motion sen augmenta. Sous prtexte de caresserTambour, qui venait brusquement de se jeter entre eux, il se baissa et em-brassa le bas de la mante qui enveloppait M Rose. Il avait le cur gon.Comme il arrive toujours, la raction victorieuse le poussait plus loin quilntait jamais all. Si Valentin se ft prsent la porte, il laurait battu.

    Faut-il ajouter que Georges resta toute la journe Herblay, et quilne manqua pas dy retourner le lendemain ? Tambour ntait pas le plusleste partir. Jeanne tant la protge de M. de Francalin comme elle taitcelle de M Rose, les prtextes ne lui manquaient pas pour entrer chez laThibaude toute heure ; dailleurs, vrai dire, il nen cherchait plus. Il luiavait t impossible de taire M Rose le motif de cette absence quelleavait remarque : si une force secrte le poussait sen confesser, peut-tre esprait-il aussi tirer delle quelque explication ; mais de ce ct-lson espoir fut du. M Rose couta son aveu avec un sourire o unesorte de mlancolie se mlait ltonnement.

    Si vous me connaissiez mieux, dit-elle, rien de semblable ne vousserait venu lesprit ; mais je suis seule : ce nest donc pas votre faute sivous mavez mal juge.

    Cette rsignation toucha M. de Francalin plus que ne lauraient faitmille protestations dinnocence.Quand la petite Jeanne fut tout fait r-tablie, Georges priaM Rose daccepter dner laMaison-Blanche pourlui bien prouver quelle ne lui en voulait pas.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Jy consens, dit M Rose, mais une condition : cest quau lieu dedner nous djeunerons ; quand on est seule, les choses quon fait, il fautles faire au grand jour.

    Le matin du jour convenu, Georges et Tambour allrent prendre MRose dans sa petite maison dHerblay. La Tortue, que ce poids nouveausemblait allger, traversa lestement la rivire. Tambour manifestait sa joiepar mille cabrioles ; pour ne pas sloigner de la main caressante de MRose, il ngligea le taureau noir, dont il entendait au loin les mugisse-ments. La table tait dresse dans une petite pice qui donnait sur la prai-rie et quclairait un gai soleil. Ptronille stait surpasse dans lordon-nance du menu, et Jacob avait trouv des eurs pour gayer le service.Pendant le djeuner, Georges se montra plus embarrass que M Rose.Mille choses lui venaient aux lvres quil ne disait pas. Il tait heureux,mais inquiet ; il lui semblait que les aiguilles de la pendule enmarchant luidrobaient une part de son bonheur. Le repas ni, ils visitrent ensemblele jardin et la maison. La bibliothque surtout les retint longtemps. Elletait ouverte au jour de tous cts ; lclat du feu ptillant se mlait auxrayons du soleil qui entrait joyeusement par les fentres. M Rose avisadans un coin, au-dessus de la chemine, un portrait de femme en m-daillon. Elle le prit et lexamina.

    Cest une bien jolie femme, dit-elle. Je lai cru quelque temps , rpondit Georges.Il sempara du mdaillon que M Rose avait pos sur la chemine et

    le jeta dans le feu.Tout le visage de M Rose devint rouge. Elle avana la main pour le

    retirer ; Georges la saisit. Il est trop tard prsent , dit-il.Il sentait que la main de M Rose tremblait entre les siennes, tandis

    que la amme dvorait le mdaillon ; elle la dgagea doucement et regardapar la fentre, ne sachant comment dissimuler son trouble. Georges gar-dait le silence. Il stait fait comprendre tout dun coup, en quelque sortemalgr lui, et craignait de parler, de peur doenser sa compagne. Ils res-trent ainsi lun prs de lautre quelque temps, immobiles et tremblants.Tambour, qui jouait entre eux, les poussait gaiement de son museau ; ilsle caressaient quelquefois de la main, mais vitaient de se regarder.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Voil que le soleil se couche, dit enn M Rose. Dj ! scria Georges navement.Ils retournrent Herblay par lemme chemin quils avaient pris pour

    venir, et Tambour fut encore du voyage. Au revoir , dit M Rose doucement quand elle fut devant sa porte.Georges descendit la cte dHerblay en bondissant. Lorsquil fut au

    bord de la rivire, il se retourna et vit au loin dans la nuit une lumire quibrillait la fentre de M Rose.

    Ah ! dit-il demi-voix, elle maimera peut-tre un jour peut-tremaime-t-elle dj !

    Il sauta dans son canot et le laissa descendre au l de leau ; il regardaitle ciel plein dtoiles ; il avait le feu dans le cur ; il lui semblait quil avaitvingt ans.

    Oh ! hier ! oh ! mes chagrins ! o tes-vous ? dit-il. quelque temps de l, il reut un billet de Valentin, dont il navait pas

    eu de nouvelles depuis son dpart de la Maison-Blanche. Par ce billet ornde quelques plaisanteries sur lamour de Georges pour la solitude, Valen-tin prvenait son ami quil se proposait de lui rendre visite le lendemainavec quelques personnes de ses amies, et quon lui demanderait djeu-ner. Un post-scriptum plus long que le billet ajoutait que Mathilde seraitde la partie. Elle avait dsir faire la connaissance de M. de Francalin, etValentin navait rien eu de plus press que de cder ce vu.

    Pourquoi ny a-t-il pas deux Mathilde sur la terre ? Tu serais heu-reux ! disait-il en nissant.

    Georges sourit et donna ordre Jacob de tout prparer pour le d-jeuner ; mais le lendemain, quand Ptronille lui demanda o il faudraitdresser le couvert, lide que tout ce monde tapageur et vagabond sabat-trait dans cette mme pice que M Rose avait traverse lui devint tout coup insupportable ; il lui sembla que ce serait une profanation, et querien ne pouvait lexcuser. Tout ce bruit, tous ces rires, toutes ces chansons,ces robes de soie quivoques, ces dentelles frelates dans cette maison ola chastet avait laiss son parfum, rvoltaient sa pense. Son cur enavait comme le dgot. Il appela Jacob et lui cria de courir au Petit Havre,et dy retenir bien vite la chambre la plus grande. Ptronille fut invite renverser ses fourneaux et transporter tout le produit de sa science dans

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  • Madame Rose Chapitre IV

    la cuisine de lauberge. Aprs quoi, reprit-il, vous fermerez la porte, et,si lon vous interroge, vous direz que je ne rentrerai pas de quinze jours,parce que les chemines fument.

    Ptronille gronda, Jacob obit sans rpondre, comme ctait son habi-tude, et Georges alla bravement se poster sur la grande avenue deMaisonspour attendre ses convives, quil mena tout droit lauberge.

    Quoi ! ce nest pas chez toi que nous allons ? dit Valentin. La cuisine est en rparation. Bon ! tu nous feras voir la bibliothque. Les maons lont ravage. Alors nous nous promnerons dans le jardin. Il est tout eondr. Valentin regarda Georges sournoisement. Je vois ce que cest, reprit-il, la solitude demeure la Maison-

    Blanche. coute, rpondit Georges en pressant le bras de Valentin avec un

    accent o le rire se mlait la colre, tu as du vin de Bordeaux et du vin deChampagne, des volailles exquises et des pts dlicieux ; bois et mange ;mais si tu me parles encore delle, ici surtout, il faudra que je te tue, aussivrai que tu es mon ami.

    Je te comprends, rpliqua Valentin en regardant Mathilde. Cestcomme moi, tu aimes !

    Georges lui tourna le dos. Jamais journe ne lui parut plus longue.Toute son intelligence sappliqua conduire ses convives loin de laMaison-Blanche ; toute sa crainte tait que le hasard ne lui ft rencon-trer M Rose. Chaque fois quil apercevait une robe de femme au dtourdune alle, il tressaillait. Parler delle ou la laisser voir par une telle com-pagnie lui paraissait un sacrilge. Cet amour n dans la retraite, et quele monde ignorait, lui avait comme rendu toutes les dlicatesses et toutesles susceptibilits charmantes des premires motions. Il nentendait riende ce quon disait autour de lui ; ctait comme si lon se ft exprim enune langue trangre. Les propos les plus extravagants et les rires les plusvifs ny faisaient rien.

    Cest donc l ce quon appelle de la gaiet ? disait-il ; et il ne com-prenait pas quil et jamais pu tre gai de la mme manire.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Aprs le djeuner, on dna, et il fallut mettre le village sac pour trou-ver un menu prsentable. Au dessert, on t grand bruit. Tous ces cris,toutes ces plaisanteries, qui avaient la prtention dtre spirituelles, je-trent M. de Francalin dans une mlancolie singulire ; il regardait lesconvives tour tour avec tonnement. Sont-ils malheureux de samu-ser ainsi ! rptait-il.

    Le dner ni, on voulut se promener en bateau. Les bords de la Seineretentirent de chants. Georges trouva quon lui gtait sa rivire. Combienelle tait plus belle quand la Tortue y passait seule avec M Rose !

    Quand la compagnie songea se retirer, le dernier convoi du che-min de fer tait parti. On dut mettre en rquisition toutes les voituresdu pays pour trouver des moyens de transport. Quelques tours de roueemportrent enn la dernire chanson et le dernier adieu. Georges pritsa course du ct dHerblay. Il tait bout de patience et avait besoinde respirer un peu le mme air que respirait M Rose pour se rafra-chir. Le temps tait magnique. Le croissant de la lune montait au-dessusde la fort de Saint-Germain. Les premires senteurs de la verdure nou-velle remplissaient latmosphre. Georges cueillit dans les haies de grosrameaux de branches euries ; il en t un bouquet quil posa sur lappuidune fentre derrire laquelle M Rose travaillait souvent. Elle le verrademain, dit-il, et il faudra bien que sa premire pense sadresse moi ! Quand il rentra la Maison-Blanche, Jacob lui remit une lettre timbre deBeauvais. Tiens ! de ma tante ! dit Georges.

    La baronne Alice-Augustine de Bois-Fleury priait en quelques lignesson neveu de la venir voir Beauvais, o elle avait dcouvert une jeunelle dextraction noble quelle dsirait lui faire pouser ; elle ajoutait quejamais occasion meilleure ne se prsenterait, et faisait entendre quunebonne moiti de sa fortune rcompenserait la soumission de son bon ne-veu.

    Bonsoir ! dit Georges en jetant la lettre. Il soua la bougie et sen-dormit en pensant M Rose.

    LorsqueM. de Francalin se prsenta le lendemain vers dix heures chezM Rose, elle ny tait dj plus. Gertrude lui annona quelle avait dse rendre Paris de grand matin ; elle ne savait pas quelle heure samatresse rentrerait.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    La lettre qui la fait partir la rendue bien triste, reprit Gertrude. Ah ! cest une lettre ! dit Georges.Ce seul mot rveilla en partie les doutes que Valentin avait excits

    dj ; il se souvint de linconnu. Georges se promena devant la maisonsans parler jusqu midi. Il craignait dinterroger la bonne femme, et chaque instant il ouvrait la bouche pour le faire. An de ne pas succom-ber la tentation, il sloigna. Tambour le suivait ; mais, habitu quil taitaux rveries de son matre, il ne se gnait pas pour courir un peu de touscts. Quelle tait donc cette lettre mystrieuse qui appelait si prcipi-tamment M Rose Paris ? Quel lien lattachait encore un pass mys-trieux dont elle subissait linuence ? pourquoi nen parlait-elle jamais ?pourquoi mme vitait-elle avec une sorte dattention inquite tout cequi pouvait en rappeler le souvenir ? Ntait-elle donc pas sre de lamiquelle avait rencontr, et craignait-elle de souvrir un cur qui lui ap-partenait tout entier ? Cette crainte ne lautorisait-elle pas croire quil yavait quelque fondement de vrit dans les soupons mis par Valentin ?Georges se dbattait vainement contre toutes ces rexions ; elles le pour-suivaient sans relche, avec lobstination de ces insectes qui assaillent unvoyageur en t. Pour se dlivrer de cette obsession tyrannique, il rsolutde parler franchement M Rose, et retourna pas rapides vers Herblay.Elle ny tait pas encore arrive. Il sassit sur un banc quelques pas dela maison et regarda devant lui. Il navait fallu quune minute pour chan-ger en trouble la profonde quitude o il vivait. M Rose stait peut-tre loigne pour ne plus revenir. Maintenant il la croyait capable detoutes les fautes dont son esprit, la veille encore, aurait repouss la pen-se avec horreur. Cette existence retire quelle menait dans un villagecart ntait certainement quune expiation, ou peut-tre mme quunentracte entre deux quipes. Par un de ces revirements subits dont lesmes passionnes connaissent lempire, les mmes choses qui hier lui fai-saient croire linnocence de cette vie chastement abrite sous un toitmodeste lui semblaient autant de preuves de la perdie et de la corrup-tion de M Rose ; il stonnait seulement de la place quelle pouvait tenirdans son cur. Il avait t la dupe et le jouet dune coquette ; commentse refuser lvidence ? Ctait bien la peine davoir trente ans sonns,pour tomber dans des piges auxquels les coliers ne se prenaient plus !

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Paris me gurira ! dit-il, et il se leva brusquement.Au mme moment, il aperut M Rose qui montait la cte ; il courut

    au-devant delle : Ah ! quil me tardait de vous revoir ! dit-il. Craintes,soupons, colres, tout avait disparu comme par enchantement ; il ne pen-sait plus quau bonheur de voir M Rose et de lui parler. Elle lui prit lebras et le pressa silencieusement contre le sien. Elle avait dans la physio-nomie quelque chose de grave et de recueilli quil ne lui connaissait pas.Elle regarda la campagne, o les premires chaleurs du printemps avaientsem les parfums de la violette.

    Si vous ntes pas fatigu, nous nous promnerons un peu, dit-elle,jai besoin dair.

    Ils prirent par un sentier qui descendait vers la rivire. M Rose pa-raissait absorbe par une pense intrieure.

    Ne pourriez-vous pas me dire ce qui vous proccupe ? demandaGeorges timidement. Si vous avez un chagrin, ne puis-je en prendre lamoiti ?

    M Rose secoua la tte. Non, dit-elle, cest une lettre qui a caus cette tristesse, cette agita-

    tion o vous me voyez, et, si je ne lavais pas reue, peut-tre serais-jeplus triste et plus agite encore.

    Un sentiment de jalousie se glissa dans le cur de Georges. Celui qui a crit cette lettre a donc une bien large part dinuence

    dans votre vie ? dit-il avec amertume. Laissons cela , rpondit M Rose.Elle tourna la tte du ct de la brise qui souait, et laspira avec

    dlices. Ah ! quil fait bon ici ! reprit-elle, et que vous tes heureux de pou-

    voir y demeurer toujours ! Cet impntrable mystre dont M Rose senveloppait, cette volont

    quelle montrait de ne pas permettre quon en soulevt un seul ct, irri-trent M. de Francalin.

    Oh ! toujours, cest incertain, reprit-il dun ton lger. Moi aussi, jaireu une lettre dune tante que jai dans le dpartement de lOise, Beau-vais ; elle veut me marier avec une riche hritire qui fait lornement dece chef-lieu.

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  • Madame Rose Chapitre IV

    Ah ! t M Rose. Oui, ma tante, la baronne Alice-Augustine de Bois-Fleury, prtend

    que je ne saurais rester plus longtemps clibataire sans compromettrela dignit et lclat de mon nom. Il faut vous dire que cette excellentebaronne, baronne je ne sais pourquoi, a pris son titre au srieux, et assureque mon nom de Francalin drive de franc-alleu, ce qui dmontrerait toutau moins que mes anctres taient les compagnons darmes de Mroveet de Clodion le Chevelu. Une si noble descendance ne saurait se perdresans forfaire lhonneur. Cest pourquoi madame ma tante sest mise enqute dune personne qui je puisse mallier. Elle la trouve, ce quilparat, et, bien que ma ance ne puisse prtendre une origine aussiglorieuse, elle est de bonne souche et comtesse de son chef. Ma tante asoulign ces derniers mots dans un post-scriptum o, pour donner plusdclat cette union des Francalin et des Valpierre, elle y ajoute lappointdun demi-million.

    Tout cela fut dit avec une extrme volubilit et dun ton de persiagesous lequel M. de Francalin esprait dissimuler sa colre.

    Et quavez-vous rpondu ? demanda M Rose. Moi ! jai refus. Pourquoi ? Ce mot, dit simplement, t tomber la verve factice de M. de Francalin,

    comme le plus lger choc abat un chteau de cartes. Mais, dit-il embarrass, jai refus parce que Il ne put aller plus loin, et sarrta court. Parce que vous maimez ! poursuivit M Rose.Georges tressaillit ce mot. Est-ce bien cela, et me dmentirez-vous ? reprit-elle avec motion. Non , rpondit Georges, qui ne ricanait plus.M Rose sappuya doucement sur son bras. coutez-moi, reprit-

    elle, et, au risque de vous faire de la peine, laissez-moi tout vous dire.Ce mariage quon vous propose, il ne faut pas le refuser. Pourquoi mesacrier votre avenir et morir un dvouement que je ne puis pas r-compenser ?

    Georges vit bien, lair de M Rose, que lentretien tait srieux. Ilny avait en elle ni colre ni dpit, bien moins encore de coquetterie. Il en

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  • Madame Rose Chapitre IV

    fut tout boulevers. Mais, dit-il, que vous importe que je me marie ? Pourquoi my

    contraindre ? Je ne vous demande rien, et suis heureux comme cela. Croyez-vous que je ne soure pas du chagrin que je vous fais ?

    Mais tout my force, reprit-elle. Bien plus mme, quelles que soient vosrsolutions lgard de ce mariage, il faudra que vous quittiez la Maison-Blanche Vous tressaillez, mon ami ? Si vous ne partiez pas, cest moi quipartirais. Vous mestimez assez pour que je vous parle franchement. Cettesolitude o nous vivons est dangereuse pour tous deux. Croyez-vous doncque je naie pas tout compris depuis longtemps ? Le jour o vous mavezengage djeuner, je savais si bien que vous maimiez, que je suis alleseule la Maison-Blanche, sans vouloir que Gertrude maccompagnt.Quavais-je craindre auprs de vous ?

    Ce mot, qui mettait M Rose des hauteurs o le dsir ne pouvaitatteindre, toucha M. de Francalin. Il prit la main de sa compagne et laporta ses lvres avec unmouvement o la tendresse semlait au respect.

    Peut-tre alors aurais-je d mloigner, ou vous prier de ne plus mevoir, ajouta M Rose ; je nen ai pas eu le courage : l est mon tort, il rendlpreuve plus dicile.

    Mais enn ne puis-je rester prs de vous ? dit Georges. Je vous ver-rai aussi peu souvent que vous le voudrez.

    Non, reprit M Rose avec une force persuasive. Si je vous ai bienjug, je puis vous avouer sans rougir que je ne suis pas dun caractre braver un danger de tous les jours, isole surtout comme je le suis. Lesconditions de ma vie ne sauraient changer : elles sont telles que je ne doisplus vous voir. Le hasard nous a fait nous rencontrer