7
Le Praticien en anesthésie réanimation (2012) 16, 146—152 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com MISE AU POINT Anesthésie de l’enfant obèse Anaesthesia in obese children Delphine Kern a,,1 , Claire Larcher a , Antoine Rouget a , Julie Huffman a , Jean-Étienne Bazin b a EA 4564 MATN, IFR 150, pôle anesthésie-réanimation, hôpital des Enfants, CHRU Toulouse Purpan, place du Dr-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, France b Service d’anesthésie-réanimation, CHU Estaing, 63003 Clermont-Ferrand, France MOTS CLÉS Anesthésie ; Enfant ; Obésité ; Pharmacocinétique ; Voies aériennes Résumé La prévalence de l’obésité augmente dans le monde et en France, dans la population adulte mais également pédiatrique. Les anesthésistes pédiatriques sont et seront de plus en plus fréquemment confrontés à la prise en charge d’enfant en surpoids ou obèses, pour de la chirurgie non bariatrique. La morbidité périopératoire, en particulier respiratoire, de ces enfants est plus élevée que celle des enfants de poids normal. Après avoir posé les éléments de définition et d’épidémiologie du surpoids et de l’obésité, les spécificités de la prise en charge pré-, per- et postopératoire sont exposées. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Anesthesia; Child; Obesity; Pharmacokinetics; Airway Summary The prevalence of obesity is increasing in the world and in France among the gene- ral population, but also among children. Pediatric anesthesiologists have to deal more and more frequently with the management of overweight and obese pediatric patients for non- bariatric surgery. Perioperative morbidity, especially related to airway complications, is higher for this youth population when compared to normal weight pediatric patients. After defining obesity and epidemiologic trends, preoperative, intraoperative and postoperative management characteristics are outlined. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. EA 4564 MATN, IFR 150, pôle anesthésie-réanimation, hôpital des Enfants, CHRU Toulouse Purpan, place du Dr-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, France. Adresse e-mail : [email protected] (D. Kern). 1 Photo. 1279-7960/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2012.04.005

Anesthésie de l’enfant obèse

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Anesthésie de l’enfant obèse

L

M

A

A

p

1h

e Praticien en anesthésie réanimation (2012) 16, 146—152

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ISE AU POINT

nesthésie de l’enfant obèse

naesthesia in obese children

Delphine Kerna,∗,1, Claire Larchera, Antoine Rougeta,Julie Huffmana, Jean-Étienne Bazinb

a EA 4564 MATN, IFR 150, pôle anesthésie-réanimation, hôpital des Enfants, CHRU ToulousePurpan, place du Dr-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, Franceb Service d’anesthésie-réanimation, CHU Estaing, 63003 Clermont-Ferrand, France

MOTS CLÉSAnesthésie ;Enfant ;Obésité ;Pharmacocinétique ;Voies aériennes

Résumé La prévalence de l’obésité augmente dans le monde et en France, dans la populationadulte mais également pédiatrique. Les anesthésistes pédiatriques sont et seront de plus enplus fréquemment confrontés à la prise en charge d’enfant en surpoids ou obèses, pour dela chirurgie non bariatrique. La morbidité périopératoire, en particulier respiratoire, de cesenfants est plus élevée que celle des enfants de poids normal. Après avoir posé les éléments dedéfinition et d’épidémiologie du surpoids et de l’obésité, les spécificités de la prise en chargepré-, per- et postopératoire sont exposées.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAnesthesia;Child;

Summary The prevalence of obesity is increasing in the world and in France among the gene-ral population, but also among children. Pediatric anesthesiologists have to deal more andmore frequently with the management of overweight and obese pediatric patients for non-

Obesity;Pharmacokinetics;

bariatric surgery. Perioperative morbidity, especially related to airway complications, is higherfor this youth population when compared to normal weight pediatric patients. After defining

rends

Airway obesity and epidemiologic t characteristics are outlined.© 2012 Elsevier Masson SAS. All

∗ Auteur correspondant. EA 4564 MATN, IFR 150, pôle anesthésie-réanilace du Dr-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, France.

Adresse e-mail : [email protected] (D. Kern).1 Photo.

279-7960/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droitsttp://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2012.04.005

, preoperative, intraoperative and postoperative management

rights reserved.

mation, hôpital des Enfants, CHRU Toulouse Purpan,

réservés.

Page 2: Anesthésie de l’enfant obèse

lclzt1ddu

Éd

S3à3dvetoll5m

É

LéégddsLfmer(stt

És

Llcdu

Anesthésie de l’enfant obèse

Introduction

Du fait de l’augmentation de la fréquence d’enfants en sur-poids, voire obèses, les anesthésistes s’occupant d’enfantsdoivent connaître les modifications physiopathologiques quel’obésité peut entraîner et de leur implication sur la priseen charge périopératoire. Fort heureusement, les enfantsobèses ne présentent généralement pas autant de comorbi-dités que les adultes obèses, sauf dans le cas de certainsdésordres génétiques comme la maladie de Prader-Willi.Une étude rétrospective, portant sur plus de 6000 enfantset cherchant à mettre en évidence un lien entre l’obésité etle risque de complications peropératoires, a montré que 35 %des enfants obèses et 20 % des enfants en surpoids étaientclassés ASA1 [1]. Néanmoins, l’incidence de comorbiditéstelles que l’asthme, le syndrome d’apnée du sommeil, lediabète de type II et l’hypertension artérielle, est plus fré-quente chez les enfants obèses [1—3]. Dans une cohorte de2025 enfants de deux à 18 ans, anesthésiés pour de la chirur-gie programmée, comportant 1380 enfants de poids normal(68 %), 351 en surpoids (17 %) et 294 obèses (14 %), Tait et al.ont montré que l’obésité était un facteur de risque indé-pendant d’incidents et d’accidents respiratoires — incluantventilation au masque difficile, toux, obstruction des voiesaériennes supérieures, bronchospasme, désaturation enoxygène [2]. Si les comorbidités de l’enfant obèse nesemblent pas être préoccupantes, sa prise en charge pério-pératoire pose plus de problèmes.

Définitions de l’obésité

À la différence de l’obésité adulte, la définition du surpoidset de l’obésité chez l’enfant varie en fonction de l’âge, dupoids, et de la société savante.

En effet, chez l’adulte l’obésité est définie comme unexcès de masse grasse présentant un risque pour la santé. Lecalcul de l’indice de masse corporelle [IMC = poids (kg)/taille(m2)] permet de définir le surpoids (25 > IMC > 30), l’obésitéde classe 1 (30 > IMC > 35), de classe 2 (35 < IMC < 40) et declasse 3 (IMC ≥ 40).

Chez l’enfant, l’IMC est ajusté en fonction dusexe et de l’âge.

De 13 kg/m2 à la naissance, il augmente à 17 kg/m2 àun an, diminue à 15,5 à six ans et augmente à nouveau à21 kg/m2 à 20 ans [4].

Chez l’enfant, les définitions du surpoids (centile 90)et de l’obésité (centile 99) ont été standardisées dans lesannées 2000 par l’International Obesity Task Force (IOTF) àpartir des courbes de référence en centiles en fonction del’âge et du sexe [4]. L’Organisation mondiale de la santé(OMS) a actualisé en 2007 les normes de taille, de poids etd’IMC des enfants de cinq à 19 ans, les standards d’IMC y sontexprimés en déviation standard par rapport à la médiane, lesurpoids coïncide avec +1DS, l’obésité avec +2DS.

En France, à travers le Programme national de nutritionsanté (PNNS), les groupes de l’Association pour la préventionet la prise en charge de l’obésité en pédiatrie (Apop [11])et du Réseau pour la prise en charge et la prévention de

felé

147

’obésité en pédiatrie (Repop) ont décidé pour la pratiquelinique, de faire apparaître les courbes de corpulence danses carnets de santé des enfants, en fonction de l’âge. Lesones de corpulence normales y apparaissent, avec les cen-iles 3, 10, 25, 50, 75, 90 et 97. L’obésité est dite de grade

si l’IMC est supérieur ou égal au 97e percentile (correspon-ant à la définition du surpoids de l’IOTF). L’obésité est ditee grade 2 au-delà de la courbe de centile correspondant àn IMC de 30 à 18 ans qui figure en pointillés.

pidémiologie de l’obésité : où l’on parle’épidémie

elon l’IOTF, la prévalence globale du surpoids a triplé en0 ans. À ce jour dans le monde, dans la classe d’âge de cinq

17 ans, 10 % des enfants sont en surpoids ou obèses et 2 à % sont véritablement obèses. Près de 22 millions d’enfantse moins de cinq ans seraient également concernés. La pré-alence du surpoids et de l’obésité est particulièrementxtrême aux États-Unis, mais également en Europe (respec-ivement, 1/3 et 1/5 sont en surpoids et 1/15 et 1/25 sontbèses). Les régions du monde les moins touchées sont’Asie, l’Océanie et l’Afrique subsaharienne. En France,’obésité de l’enfant est en constante augmentation (de,1 % en 1980 à 16,3 % en 2000) et est devenue un problèmeajeur de santé publique.

tiologies de l’obésité de l’enfant

’étiologie la plus fréquente de l’obésité est le dés-quilibre de la balance des apports et des dépensesnergétiques, liée à des facteurs environnementaux (ori-ine ethnique, statut socioéconomique faible, faible niveau’instruction des parents, foyers monoparentaux, absence’accès régulier à des choix alimentaires sains, faibletimulation cognitive), et parentaux (parent(s) obèse(s)).’interaction entre les facteurs environnementaux et laacilitation génétique est en cours d’exploration. Plus rare-ent (probablement dans moins de 5 % des cas), l’obésité

st secondaire à des pathologies endocriniennes, neu-ologiques, psychologiques, génétiques ou syndromiquessyndrome de Prader-Willi, syndrome de Bardet-Bield), ouecondaire à certains traitements (glucocorticoïdes, cer-ains antipsychotiques, contraceptifs oraux, antidépresseursricycliques, certains anticonvulsivants).

valuation préopératoire : ce qu’il fautavoir, ce qu’il faut rechercher

ors de la consultation d’anesthésie, il faut préciser si’enfant est obèse ou non (IMC ≥ 97e percentile sur lesourbes de corpulence du carnet de santé en fonctione l’âge et du sexe) et si l’enfant est suivi ou non parne équipe multidisciplinaire (Repop). Si c’est le cas, il

aut prendre connaissance de l’évaluation des fonctionsndocriniennes, respiratoires, cardiaques et digestive. Si’enfant n’est pas suivi, il faut discuter au cas par cas d’unventuel report du geste nécessitant une anesthésie afin
Page 3: Anesthésie de l’enfant obèse

1

dapsafib

F

Ldvdlgràcplt

otdvetvlàv

r[osed

3adtodtrtdàpvctddv(dd

iqd

uepbtrmoe

gptrfCtevs

M

Cllnmcaltdecteé

P

Lslrs

S

48

’effectuer un bilan complet y compris étiologique. Unettention particulière doit être portée à l’évaluation et larise en charge de la fonction respiratoire puisque l’obésité’avère être est un facteur de risque indépendant d’effetsdverses respiratoires — incluant ventilation au masque dif-cile, toux, obstruction des voies aériennes supérieures,ronchospasme, désaturation en oxygène [2].

onction respiratoire

a compliance du système respiratoire est diminuée pariminution des compliances pulmonaire (augmentation duolume sanguin pulmonaire) et thoracique (accumulatione tissus graisseux autour des côtes, du diaphragme et de’abdomen). Cette diminution est majorée en position allon-ée. La baisse de compliance associée à l’augmentation desésistances respiratoires et des voies aériennes participe

une augmentation du travail respiratoire et donc de laonsommation en O2 (VO2). La VO2 baisse de 17 % lors duassage de la ventilation spontanée à la ventilation contrô-ée chez le sujet obèse anesthésié, contre 1 % chez le sujetémoin.

Ainsi, on observe chez l’enfant, comme chez l’adultebèse, une symptomatologie restrictive avec une diminu-ion de la capacité résiduelle fonctionnelle, du volumee réserve expiratoire, de la capacité vitale et duolume de réserve inspiratoire. Les zones ventilées sontssentiellement supérieures, et les zones perfusées essen-iellement inférieures, entraînant des anomalies du rapportentilation sur perfusion. Le mécanisme responsable de’hypoventilation des bases est directement mécanique lié

la diminution du volume de réserve expiratoire sous leolume de fermeture (collapsus alvéolaire ou atélectasies).

Il existe également une composante obstructive avec uneéduction du volume expiratoire maximum-seconde (VEMS)5]. Les enfants et les adolescents présentant un surpoids,nt une incidence d’asthme et d’asthme induit par l’effort,upérieure à celle des enfants de poids normaux. L’incidencet la sévérité de l’asthme sont corrélées à l’augmentatione l’IMC.

Le syndrome d’apnée obstructive du sommeil touche 1 à % des enfants avec un pic de fréquence entre un et troisns. Il s’intègre dans un syndrome plus complexe de troubleu sommeil d’origine respiratoire (sleep disordered brea-hing [SDB]). Il est retrouvé chez 13 à 41 % des enfantsbèses ou en surpoids, sans qu’un lien entre l’importancee l’obésité et la prévalence du syndrome d’apnée obs-ructive du sommeil n’ait été formellement établi [6]. Laecherche d’un ronflement, la constatation d’apnées, deroubles du sommeil ou du comportement, une interruptione la croissance ou une hypertrophie amygdalienne invitent

rechercher un syndrome d’apnée obstructive du sommeilar polysomnographie. L’association à une hypertrophie deségétations et des amygdales doit être recherchée et leurure chirurgicale considérée, puisqu’elle en améliore net-ement la symptomatologie. La présence d’un syndrome’apnée obstructive du sommeil augmente le risque deépression respiratoire postopératoire et d’obstruction des

oies aériennes, diminue la réponse ventilatoire au CO2

revue dans [3]). En cas de syndrome d’apnée obstructiveu sommeil avéré, une hypertension artérielle pulmonaireoit être recherchée. Un appareillage par ventilation non

Ltnh

D. Kern et al.

nvasive à pression positive permet d’en limiter les consé-uences dans l’attente d’un traitement étiologique (pertee poids, adénotonsillectomie. . .).

Une saturation périphérique en oxygène en air ambiant,ne gazométrie, une radiographie de thorax de face,t éventuellement des explorations fonctionnelles res-iratoires accompagnées éventuellement d’un test auxronchodilatateurs ainsi qu’une polysomnographie permet-ront de préciser l’état respiratoire de base. Si la fonctionespiratoire est très altérée et/ou si le geste chirurgical estajeur et/ou nécessite des antalgiques majeurs en post-

pératoire, une préparation respiratoire adéquate peut êtrenvisagée.

Enfin, l’enfant obèse est potentiellementdifficile à ventiler au masque et à intuber.

La compliance de l’espace sous-mentonnier, infiltré deraisse, est diminuée ; l’extension de la nuque est limitéear les plis adipeux. Toutes les études ont retrouvé une ven-ilation au masque plus difficile chez l’enfant l’obèse parapport à l’enfant de poids normal (7 à 8 % contre 2 %). Ilaut rechercher les critères classiques d’intubation difficile.ependant, si l’incidence de l’intubation difficile est impor-ante chez l’adulte obèse (15 % dans certaines études), ellest plus faible chez l’enfant obèse (1,3 % contre 0,4 % [1],oire inexistante [2,7]. Le nombre de laryngoscopies néces-aire à l’intubation est inconstamment augmenté.

odifications cardiovasculaires

hez l’enfant, comme chez l’adulte, l’augmentation de’IMC s’accompagne d’une augmentation de la préva-ence de l’hypertension artérielle. L’hypertension artérielle,otamment chez l’adolescent, pourrait s’expliquer par aug-entation du tonus sympathique. Des modifications de la

ompliance artérielle et de l’élasticité de la paroi desrtères, ont été démontrées chez des enfants obèses. Chez’adulte obèse, l’augmentation du volume d’éjection sys-olique, du débit cardiaque, de la pression télédiastoliqueu ventricule gauche entraînent un état hypervolémiquet hyperdynamique, responsables d’une augmentation deharge du ventricule gauche, d’une hypertrophie avecrouble de la relaxation diastolique. Chez des adolescentsn surpoids et obèses, la paroi ventriculaire gauche peutgalement être augmentée.

erturbations endocriniennes

a prévalence du syndrome métabolique augmente avec laévérité de l’obésité. Il présente peu de particularités dansa prise en charge anesthésique. Il convient cependant deechercher un diabète de type II souvent méconnu et de’assurer de l’équilibre de la fonction thyroïdienne.

ur le plan hépatogastroentérologique

es enfants obèses présentent fréquemment une choles-ase biliaire, ainsi qu’une stéatose hépatique d’origineon alcoolique (associant des douleurs abdominales, uneépatomégalie et des transaminases sériques élevées). Ils

Page 4: Anesthésie de l’enfant obèse

rlqcptu

C

Ptitpltcdrlspœ

R

êsmrdpavcl

P

D

Le

cd

(

Anesthésie de l’enfant obèse

présentent plus fréquemment un reflux gastro-œsophagienque les enfants de poids normal.

Prise en charge peropératoire

Abord veineux

L’accès veineux périphérique peut être difficile, les veinessont moins visibles et moins palpables chez l’enfantobèse et plusieurs tentatives sont plus souvent néces-saires. Les veines de la face antérieure du poignet sontun recours efficace. La transillumination, la lumière pola-risée ou l’échographie sont des techniques qui facilitentl’identification des veines et peuvent être utilisées. Siun abord central est nécessaire, l’échoguidage permet decontourner les difficultés de repérage et réduire les risquesde ponctions artérielles accidentelles. L’abord fémoral estdifficile d’accès du fait de l’épaisseur du tablier abdomi-nal, les vaisseaux sont profonds et l’échogénicité mauvaise,enfin, il présente un risque infectieux car enfoui dans lesplis cutanés.

Installation et conditionnement

Le monitorage peut être difficile à mettre en place.L’électrocardioscope peut être microvolté du fait del’augmentation de l’impédance liée à la masse graisseuse.La surveillance de la saturation artérielle en oxygène peutelle aussi être perturbée. Des sites de mesure tels que leslèvres, le nez ou l’auriculaire peuvent être utilisés. Du faitd’un brassard trop étroit, il existe un risque de surévaluerles valeurs de pression artérielle. L’installation de l’enfantobèse sur la table d’opération doit suivre les mêmes prin-cipes que chez l’adulte et qui peuvent être résumés en unmaintien du patient en proclive à 20—30◦ chaque fois quepossible et une attention toute particulière des différentspoints d’appuis.

Préoxygénation

Du fait de la diminution de la capacité fonctionnelle res-piratoire, de l’augmentation des besoins en oxygène, maiségalement parce que ces enfants sont potentiellement diffi-ciles à ventiler au masque et/ou à intuber, les enfants obèsesdoivent bénéficier d’une pré-oxygénation avant l’inductionde l’anesthésie. Aucune étude spécifique à l’enfant obèsene permet d’en préciser les modalités. Chez l’adulte,l’application d’une pression positive de fin d’expiration etd’une pression assistée en position proclive à 25◦ améliorentl’efficacité de la pré-oxygénation.

Induction anesthésique

Dans une étude rétrospective portant sur plus de50 000 enfants, Borland et al. ne rapportaient qu’une seuleinhalation dans le sous-groupe de près de 5000 enfantsobèses [8]. Comme chez l’adulte, un enfant obèse qui

ne présente pas de symptomatologie de reflux gastro-œsophagien peut suivre les mêmes règles de jeûnepréopératoire qu’un enfant de poids normal. En pra-tique, l’induction inhalatoire chez l’enfant obèse est très

léd[

149

épandue ; elle était effectuée dans 99 % des cas dans’étude rétrospective de Setzer et al. (qui ne retrouvaientu’une seule inhalation de liquide gastrique à l’inductionhez un patient non obèse) et dans 55 % des cas dans l’étuderospective de Tait et al., qui répertoriaient sept inhala-ions bronchiques à l’induction, dont une seule concernaitn patient obèse [2,7].

ontrôle des voies aériennes

our certains auteurs, les enfants obèses doivent sys-ématiquement être intubés et ventilés. Pour d’autres,l ne semble pas y avoir plus de complications respira-oires chez les enfants non intubés, voire au contraireuisque l’induction intraveineuse, l’intubation trachéale et’utilisation de curares ont été considérés comme des fac-eurs de risques indépendants de complications respiratoireshez les enfants obèses [2]. Pour des actes de courte duréee chirurgie réglée, en dehors de la chirurgie digestive, tho-acique ou céphalique et de la position de Trendelenburg,e respect de la ventilation spontanée en aide inspiratoireur masque facial ou masque laryngé semble tout à faitossible chez l’enfant obèse ne présentant ni reflux gastro-sophagien, ni hernie hiatale.

églage des paramètres de ventilation

Le réglage du volume courant doit être basésur le poids idéal et non le poids total (Cf.

infra).

Le niveau de la pression positive de fin d’expiration doittre adapté en fonction du gain obtenu sur la compliance,ans néanmoins entraîner de conséquences hémodyna-iques. La position en Trendelenburg doit être évitée. En

evanche, la position proclive permet de réduire la gênee la course diaphragmatique par la masse abdominale. Ileut exister chez les patients obèses un gradient alvéolo-rtériel, qui majore la différence entre la capnographie et laaleur de la paCO2. Les manœuvres de recrutement décriteshez l’adulte ne font pas l’objet de recommandations chez’enfant.

articularités pharmacologiques

éfinitions

e poids total (PT) est le poids mesuré au moment de la prisen charge.

Le poids idéal théorique (PIT) peut être consulté sur lesourbes de poids selon l’âge du carnet de santé ou calculé’après les courbes de corpulence selon la formule :

PIT = [IMC 50e percentile selon l’âge et le sexe) × (taillem2)]

Le poids de masse maigre (PMM) est plus élevé chez

’obèse que le sujet maigre, à volume d’activité physiquequivalent. Ce poids est habituellement évalué à 20 à 40 % enessous du PT ou par la formule : PMM = PIT + 0,3 × (PT—PIT)3].
Page 5: Anesthésie de l’enfant obèse

1

Aa

Icadcpltétda

HLdpaqbr

BLcdrlspe[

PLspblfs

TLafacp

MLsibLà

rmlPp

CLthpdvtsmPilddcgdrlm

drp

P

A

Ldetdddddtlddarsbdts

50

daptations de la posologie des agentsnesthésiques

l existe dans la littérature extrêmement peu de donnéesoncernant la pharmacologie des médicaments, notammentnesthésiques, chez l’enfant et l’adolescent obèses. Seuleses extrapolations peuvent être tirées d’études réaliséeshez des adultes obèses [9], dont le Tableau 1 résume lesrincipaux résultats. L’obésité entraîne une altération dea composition du corps ayant des conséquences sur la dis-ribution des agents de l’anesthésie, leur fixation et leurlimination [9]. La clairance hépatique est très peu affec-ée par la stéatose hépatique liée à l’obésité, sauf au stadee fibrose avérée. La clairance rénale est classiquementugmentée du fait de l’augmentation du débit sanguin rénal.

alogénéses agents halogénés se distribuent dans les graisses,’autant plus que le temps d’exposition est augmenté. Lesropriétés physicochimiques du desflurane permettent uneccumulation moindre, avec un délai de réveil plus rapideu’après isoflurane chez l’adulte obèse. Cependant l’effetronchodilatateur du sévoflurane le fait préférer au desflu-ane, en particulier chez les enfants obèses asthmatiques.

enzodiaépineses patients obèses ont souvent un déficit de l’estime de soi,onjugué à un état anxieux. Le choix de la prémédicationoit être pesé entre l’anxiolyse et l’effet dépresseur respi-atoire. Les benzodiazépines sont hautement liposolubles,eur volume de distribution et leur demi-vie d’éliminationont augmentées chez l’obèse, alors que leur clairance n’estas modifiée. La dose de midazolam doit être ajustée au PTn injection unique, et au poids idéal en injection continue9].

ropofole propofol est fortement liposoluble. L’augmentationimultanée du volume de distribution et de la clairance duropofol incite à proposer des doses de charge et d’entretienasées sur le PT [9]. Le monitorage de la profondeur de’anesthésie permet d’adapter au mieux la dose de propo-ol qui est nécessaire pour obtenir le niveau d’anesthésieouhaité.

hiopentale thiopental possède une forte lipophilie, qui, ajoutéeux modifications de la répartition des tissus chez l’obèse,ait que sa demi-vie d’élimination est considérablementugmentée (augmentation du volume de distribution maislairance normale). La dose initiale doit être ajustée sur leoids évalué en masse maigre et non sur le PT [9].

orphiniqueses morphiniques sont des molécules lipophiles. Pour leufentanil, le volume de distribution (calculé sur le poids

déal) et la demi-vie d’élimination sont pratiquement dou-lées chez l’adulte, alors que la clairance est normale.e volume de distribution calculé sur le PT est identique

celui du sujet non obèse suggérant que le sufentanil se

b

pt

D. Kern et al.

éparti également entre la masse grasse en excès et la masseaigre. La dose de charge doit donc être basée sur le PT, et

es réinjections ou perfusions continues basées sur le PMM.our l’alfentanil, le fentanyl et le rémifentanil, il est pro-osé d’ajuster les doses sur le PMM [9].

urareses curares sont des molécules hydrosolubles, dont la dis-ribution est modifiée par augmentation des compartimentsydriques chez l’obèse, mais la cinétique d’élimination esteu altérée. Cependant, une augmentation des délais deécurarisation a été mise en évidence notamment avec laécuronium et le rocuronium lorsque les doses étaient ajus-ées sur le PT (surdosage relatif). L’ajustement des dosesur le poids idéal peut conduire à des sous-dosages [9]. Leoyen terme acceptable serait peut-être de travailler sur leMM. L’ajustement des doses de cisatracurium sur le poidsdéal permettrait une durée d’action plus prévisible. Pour’atracurium, il a été proposé chez l’adulte de diminuer laose de charge à 0,23 mg/kg pour les unités de poids au-elà de 70 kg [9]. Ces données pourront être transposéeshez l’enfant, en diminuant la dose de moitié pour les kilo-rammes au-delà du poids idéal. La dose de succinylcholineoit être basée sur le PT car l’activité des pseudocholinesté-ases plasmatiques augmente avec le poids. Enfin et surtout,es réinjections doivent impérativement être guidées par leonitorage de la curarisation.Finalement, qu’il s’agisse des agents anesthésiques ou

es curares, la meilleure adaptation des doses à administrerepose sur l’appréciation des effets par le monitorage (de larofondeur d’anesthésie et de la curarisation).

ériode postopératoire

nalgésie postopératoire

’utilisation d’une anesthésie locorégionale diminue lesoses d’anesthésiques peropératoires, les délais de réveilt l’incidence des complications respiratoires postopéra-oires ainsi que les quantités de morphiniques. La réalisation’une anesthésie locorégionale peut être techniquementifficile du fait de l’obésité (augmentation de l’incidencee brèche dure-mérienne, de ponction vasculaire et du taux’échec). L’échographie est d’une aide précieuse. Le volumee l’espace péridural est réduit par l’infiltration par lesissus adipeux, par la compression abdominale directe et’augmentation du volume des veines azygos et donc péri-urales qui en résulte. Ces modifications rendent l’extensionu bloc imprévisible [9]. Les doses d’anesthésique localdministré en péridurale ou rachianesthésie doivent êtreéduites. Nous n’avons pas connaissance d’étude portantur la durée des blocs chez les enfants obèses. Le rapporténéfice—risque de la mise en place d’un cathéter périduraloit toujours être évalué. L’infiltration des incisions parié-ales associée ou non à la pose d’un cathéter multiperforéous-aponévrotique est une solution présentant un rapport

énéfice—risque favorable.

La posologie de la morphine utilisée pour l’analgésieostopératoire doit être basée sur le poids idéal mais sur-out titrée. Les patients présentant un syndrome d’apnée

Page 6: Anesthésie de l’enfant obèse

Anesthésie de l’enfant obèse 151

Tableau 1 Adaptation des posologies des agents anesthésiques administrés par voie intraveineuse chez l’enfant obèse,d’après Casati et Putzu [9].

Agent Dose de charge Dose d’entretien Remarque

Midazolam Poids total Poids idéal théorique

Propofol Poids total Poids total Attention tolérancehémodynamique

Thiopental Poids de masse maigre

Morphiniques Poids total Poids de masse maigre

Morphine Poids idéal théorique Poids idéal théorique

CuraresVécuronium Poids de masse

maigrePoids idéalthéorique

Réinjectionssuivant lemonitorage dela curarisation

RocuroniumCisatracurium Poids idéal théorique Poids idéal théoriqueAtracurium 0,5 mg/kg de poids idéal

théorique + 0,25 mg/kgsupplémentaire

Poids idéal théorique

lf

C

LtLéraigpfdadllst

D

Lr

R

Succinylcholine Poids total

obstructive du sommeil à qui on administre de la morphine,doivent être suivis dans une unité de surveillance continue ;une oxygénothérapie et le cas échéant, l’utilisation d’uneventilation non invasive à pression positive nasale doiventêtre prescrits.

Risque thromboembolique

Chez l’adulte obèse, le risque thromboembolique est mul-tiplié par deux à trois selon les études du fait de laprésence de plusieurs facteurs de risques, associée à unétat procoagulant biologique. Aux vues de la littératurerécente, les recommandations formalisées d’experts (Sfar2005) devraient être réactualisées [12]. Une revue critiquede la littérature suggère un schéma en deux injections quoti-diennes, avec une posologie majorée et adaptée à l’activitéanti-facteur Xa associé à des moyens mécaniques, pour desdurées supérieures aux dix à 30 jours [10]. Les indications defiltres caves temporaires sont discutées chez les patients àtrès haut risque. Le risque hémorragique lié à un surdosageest à prendre en considération dans la stratégie prophy-lactique. À notre connaissance, il n’existe ni évaluation nirecommandation chez l’enfant.

Fonction respiratoire

Comme en peropératoire, la fonction respiratoire est aucentre des préoccupations et ce dès la salle de surveillancepost-interventionnelle. L’enfant obèse est installé en pro-clive et nursé. La stratégie de prévention des atélectasiesest appliquée (kinésithérapie et aérosols associés à la ven-tilation non invasive séquentielle pour les suites de lachirurgie abdominale ou thoracique). En cas de syndromed’apnée obstructive du sommeil, la ventilation non inva-sive à pression positive est mise en place dès la salle de

surveillance post-interventionnelle. Une bonne explicationen consultation d’anesthésie permet d’améliorer la compli-ance au traitement. Le cas particulier des enfants atteintsdu syndrome de Prader-Willy est disponible sur le site de

’Association des anesthésistes-réanimateurs d’expressionrancaise (Adarpef) [13].

onclusion

’anesthésie de l’enfant obèse présente des particularitésant sur le plan physiopathologique que pharmacologique.es recommandations sont basées essentiellement sur lestudes réalisées chez l’adulte obèse. L’évaluation préopé-atoire est primordiale et doit se faire si possible en lienvec l’équipe médicale référente de l’enfant. Les risquesdentifiés à la consultation d’anesthésie ainsi que les straté-ies anesthésiques et analgésiques mises en place en pré-,er- et postopératoire doivent être clairement exposées à laamille et figurer dans le dossier d’anesthésie. En fonctionu geste réalisé, des comorbidités associées (hypertensionrtérielle, diabète, asthme, syndrome d’apnée obstructiveu sommeil) et du besoin en antalgiques postopératoires,a prise en charges peut être effectuée en chirurgie ambu-atoire, en hospitalisation conventionnelle, en unité deurveillance continue ou en réanimation. Une attention par-iculière doit être portée à la fonction respiratoire.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

[1] Nafiu OO, Reynolds PI, Bamgbade OA, Tremper KK, Welch K,

Kasa-Vubu JZ. Childhood body mass index and perioperativecomplications. Paediatr Anaesth 2007;17:426—30.

[2] Tait AR, Voepel-Lewis T, Burke C, Kostrzewa A, LewisI. Incidence and risk factors for perioperative adverse

Page 7: Anesthésie de l’enfant obèse

1

[

[

[

[

52

respiratory events in children who are obese. Anesthesiology2008;108:375—80.

[3] Mortensen A, Lenz K, Abildstrom H, Lauritsen TL. Anesthetizingthe obese child. Paediatr Anaesth 2011;21:623—9.

[4] Cole TJ, Bellizzi MC, Flegal KM, Dietz WH. Establishing a stan-dard definition for child overweight and obesity worldwide:international survey. Brit Med J 2000;320:1240—3.

[5] Deschildre A, Pin I, Gueorguieva I, de Blic J. Asthmeet obésité : quelle relation chez l’enfant ? Arch Pediatr2009;16(8):1166—74.

[6] Verhulst SL, Van Gaal L, De Backer W, Desager K. Theprevalence, anatomical correlates and treatment of sleep-disordered breathing in obese children and adolescents. SleepMed Rev 2008;12:339—46.

[7] Setzer N, Saade E. Childhood obesity and anesthetic morbidity.Paediatr Anaesth 2007;17:321—6.

[8] Borland LM, Sereika SM, Woelfel SK, Saitz EW, Carrillo PA, LupinJL, et al. Pulmonary aspiration in pediatric patients duringgeneral anesthesia: incidence and outcome. J Clin Anesth1998;10:95—102.

D. Kern et al.

[9] Casati A, Putzu M. Anesthesia in the obese patient: pharmaco-kinetic considerations. J Clin Anesth 2005;17:134—45.

10] Steib A, Enescu D, Lehmann C. Spécificités de la maladie throm-boembolique et de sa prévention. Journées monothématiquesde la Sfar. Le patient obèse en anesthésie et réanimation. Paris:Sfar; 2009, p. 76—84.

11] www.apop-france.com [page d’accueil sur Internet]. Paris:Association pour la prise en charge et la prévention de l’obésitéen pédiatrie (Apop).

12] Société francaise d’anesthésie réanimation (Sfar). Préven-tion de la maladie thromboembolique veineuse périopératoireet obstétricale [Recommandations pour la pratique cli-nique (RPC)]. Paris: Sfar; 2005 [Disponibles à l’adresse :http://www.sfar.org/ ; accès le 8 avril 2012].

13] Kern D, Rouget A, Paolini JB. Anesthésie de l’enfantobèse [texte de congrès]. Rennes: Association des

anesthésistes-réanimateurs d’expression francaise (Adar-pef); 2009 [Disponible à l’adresse : http://adarpef.org/site/publications/textes-congres/club-adarpef/2009/anesthesie-de-l-enfant-obese.htm ; accès le 8 avril 2012].