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Annabelle 2

Sara Agnès L.

Publié en juillet 2013 par :Atramenta

Näsijärvenkatu 3 B 50 – 33210 Tampere – Finlande

www.atramenta.net

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Le projet

Qui peut dire combien de temps dure le bonheur ? Je ne saurais le dire. Peut-être est-cesimplement le nom de l’accalmie qui règne entre deux tempêtes ?

Les choses n’ont pas beaucoup changé ces derniers mois. J’habite avec Simon depuis Noëldernier et je suis toujours chez Zap, une revue pour adolescentes dans laquelle je coordonne,sélectionne et corrige certains articles. Même si les défis n’ont rien d’équivalent à ceux que j’avais àla maison d’édition des Quatre Vents, je ne m’en plains pas. Mon horaire est plus léger et je ramènerarement du travail à la maison. En somme, plus rien ne trouble la quiétude que je suis parvenue àétablir dans mon existence.

En général, le vendredi, les gens rentrent plus tôt à la maison, surtout les passionnés de ski. Il mesemble avoir entendu la météo qui annonçait que ce seraient bientôt les dernières neiges de la saisonet qu’il fallait en profiter. Pour ma part, comme Simon travaillait tard, je n’étais pas pressée derentrer chez moi.

J’étais d’ailleurs dans la lune lorsque le téléphone résonna dans mon bureau :— Annabelle Pasquier, répondis-je d’une voix terne.— Bonjour mademoiselle Pasquier, je m’appelle Lena Blouin, je suis directrice affiliée aux

projets externes pour Ricor Média.La torpeur qui m’animait quelques minutes plus tôt disparut sur le champ et je me redressai

vivement sur le bout de ma chaise, un peu surprise de recevoir ce genre d’appel un vendredi après-midi.

— Euh… oui ?— Auriez-vous quelques minutes à m’accorder ? J’aimerais beaucoup que vous passiez me voir

au bureau. Je suis au douzième, troisième porte à gauche. Je vous attends.Malgré la forme interrogative de sa question, je n’eus pas l’impression qu’elle me donnait le

choix. Je m’empressai donc d’accepter en forçant une note enthousiaste. De toute façon, j’étais déjàdebout, derrière mon bureau, prête à sortir en quatrième vitesse, comme si le ton qui soutenait sarequête dénotait une pointe d’urgence.

Au douzième, la secrétaire m’accueillit avec un large sourire :— Mademoiselle Pasquier, je présume ? Vous pouvez y aller, on vous attend.Elle me pointa une porte vers la gauche où Lena Blouin m’attendait. Je n’étais pas encore dans

son bureau qu’elle se leva et me tendit une main ferme que je serrai sans trop savoir à quoi ellem’engageait. Je ne comprenais pas ce que je pouvais bien faire dans ce bureau, un vendredi après-midi, alors que tout le monde était déjà en week-end. J’angoissais un peu à l’idée qu’elle m’aitconvoquée pour me licencier. Pendant qu’elle refermait la porte derrière moi, je réfléchissais à depossibles erreurs que j’aurais faites, mais dont je n’aurais aucun souvenir.

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Elle me fit signe de m’asseoir en reprenant place devant moi. Je remarquai qu’un dossier étaitouvert devant elle et que mon curriculum vitae était là, bien en vue. Quand elle vit que je fixais lepapier en question, elle s’expliqua aussitôt :

— Je jetais un œil à vos compétences. Je viens seulement de remarquer que vous avez travaillépour les éditions des Quatre Vents.

— Euh… c’est exact, oui.Déjà, ma tête s’imaginait les pires scénarios possibles, dignes d’un roman policier ou pire :

d’horreur ! Me soupçonnait-on de quelque chose que je n’avais pas fait ? Aurais-je parlé à quelqu’und’un projet important ? La question la plus angoissante restait : avait-on découvert que j’avais couchéavec mon auteur ? Avais-je trahi toutes les règles d’éthique dans le domaine ?

— Je remarque que vous avez passé sous silence vos réussites, reprend-elle. Vous savez, hierencore, votre ancien patron n’a cessé de faire des éloges à votre sujet !

Je n’en croyais pas mes oreilles : elle avait téléphoné à Jason ? Elle rebaissa les yeux vers sesnotes et se mit à lire l’information qu’elle semblait avoir gribouillée dans un coin de sa feuille :

— Vous avez édité plusieurs excellents romans de la collection « Rose bonbon », dont plusieursen course pour des concours prestigieux. Trois œuvres primées, signe que vous savez détecter lesperles rares. Et encore, je ne parle pas du troisième tome de John Berger que vous avez su dirigeravec brio ! Pourtant, ses textes étaient dans un domaine tout à fait différent de ce que vous faiteshabituellement. Vraiment… je suis impressionnée !

Elle referma mon dossier devant elle, releva des yeux étonnés vers moi. De toute évidence,j’étais ici pour me faire encenser et non l’inverse. Et pourtant, le fait que le nom de John ait étéévoqué ne m’aidait absolument pas à retrouver mon calme.

— Même ici, on me dit à quel point vous faites de l’excellent travail, poursuivit-elle. J’avoue queje suis la première étonnée par votre parcours. Je ne m’attendais pas à trouver une candidate de votreniveau parmi mes propres employés. Vous êtes tellement… discrète !

— Oh bien… merci.En fait, je n’étais pas certaine que la discrétion soit un compliment, mais elle en semblait plutôt

ravie. Son visage se transforma et me parut soudain plus amical :— Vous vous demandez pourquoi je vous ai fait venir à mon bureau, un vendredi après-midi,

n’est-ce pas ?— En effet.— Détendez-vous ! Ce n’est rien de terrible ! Le fait est que je cherche quelqu’un pour m’assister

dans une mission délicate : Ricor Média songe à fonder une nouvelle revue dans un créneau tout à faitdifférent des autres. Nous cherchons un concept novateur pour un mensuel qui s’adresserait non pasaux hommes ou aux femmes, mais aux couples.

Je fis oui de la tête, mais je n’étais pas tout à fait certaine de comprendre ce qu’elle attendait demoi.

— Le conseil d’administration se réunit dans douze jours et on m’a demandé de présenter la

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maquette d’une nouvelle revue. Si le projet est accepté, et j’espère qu’il le sera, je pensais à vouspour la prendre en charge, annonça-t-elle enfin.

Je ne sais pas la tête que j’affichai, mais cela devait ressembler à de la surprise. « Prendre larevue en charge », qu’est-ce que cela voulait dire ? Elle sembla percevoir mes doutes et clarifia sapensée aussitôt :

— Vous seriez rédactrice en chef, évidemment ! Après tout, je me demande bien pourquoi unefemme comme vous n’a pas déjà un magazine à sa charge. Enfin… je précipite un peu les chosespuisque nous n’avons rien soumis pour le moment et qu’il nous faut l’aval du conseild’administration, mais je suis on ne peut plus confiante face à ce projet. Et en vous, bien sûr ! VotreCV en témoigne : vous avez l’expérience du milieu de l’édition, des délais serrés, vous avez de bonscontacts avec les auteurs, ce genre de choses… Je commence à croire que vous êtes la personneidéale pour relever ce genre de défi !

Je la fixai avec un petit sourire béat. Mon esprit s’était arrêté sur les mots : « Rédactrice enchef ». Sur le coup, je n’arrivais pas à croire ce qu’elle me disait ! C’est pourquoi je répétai, à laseconde où elle se tut :

— Vous être sérieuse ? Vous pensez à moi comme rédactrice en chef ?Ma surprise lui plut, je le sentis à la façon dont son sourire se confirma, mais j’étais d’autant plus

étonnée de l’opportunité qu’elle m’offrait.— J’y songe, admit-elle, mais tout cela est conditionnel, bien sûr ! Il faut d’abord que le conseil

d’administration accepte de financer le projet. Et comme vous serez celle qui le prendra en main, ilm’apparaît bien naturel que vous m’aidiez à le concrétiser. Ceci étant dit, nous n’avons pas beaucoupde temps, mais je suppose que vous avez l’habitude des délais serrés.

Je hochai la tête, déjà bien emballée par le projet qu’elle me proposait.— Il va également me falloir vérifier que nos visions concordent sur les lignes directrices qui

délimiteront la revue, mais à mon avis, cela n’est qu’une formalité. J’ai reçu tellement de bonscommentaires à votre sujet. Ah ! Et le plus important ! Où avais-je la tête ? Il faut que vous ayezenvie de prendre part à l’aventure !

Je la fixai sans répondre et elle formula sa question différemment :— Vous sentez-vous capable de relever un tel défi ?— Bien… oui. Je crois que oui.— Hum… je voudrais plus que ça.Son ton était hésitant et je compris que ma réponse était loin de démontrer tout l’intérêt que je

ressentais face à ce projet. Je me repris aussitôt :— Madame Blouin, c’est que… je suis surprise ! Et flattée, évidemment ! C’est juste que… j’ai

un peu de mal à le croire, c’est tout !— Oui, j’avoue que j’ai tendance à m’emballer rapidement. Et je ne peux pas vous en vouloir de

rester sur vos gardes, après tout, c’est à peine si je vous ai parlé de la revue. Voilà ce qu’on va faire,voulez-vous ? Je vous en parle d’abord et vous me dites ce que vous en pensez.

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Pendant plus de vingt minutes, je l’écoutai me parler de cette revue : destinée aux couples de tousâges, plus jeunes, plus âgés. Il fallait ratisser large d’abord, se spécialiser au besoin. Elle me parlaitde la façon dont elle envisageait la suite des choses : établir des rubriques, recueillir mes idées,trouver un titre, confectionner une maquette, un logo. Tout semblait à faire ! Elle parlait avec passion,déterminée à surprendre le conseil d’administration avec cette revue et je dus admettre que sonentrain était contagieux.

— Croyez-moi, Annabelle, c’est un concept complètement révolutionnaire ! Je suis certaine qu’onva dégoter un tout nouveau marché qui fera rager tous nos compétiteurs ! Tous ces gens en couplesqui cherchent un peu de piquant dans leur vie…

Je fronçai les sourcils, masquant mal l’inconfort qui me gagnait :— Quand vous parlez de piquant, vous voulez dire…?— Je parle de sexe, bien sûr ! Il y aura des articles, des petites histoires croustillantes, des trucs

pour maintenir la flamme amoureuse, ce genre de choses… avec votre parcours dans le domaine duromantisme et de l’érotisme, je considère que c’est tout à fait dans vos cordes, vous ne trouvez pas ?

Je ne répondis pas, mais je compris enfin pourquoi j’avais été approchée pour ce travail. Je tentaide réfléchir, et vite, mais j’étais fatiguée de ma journée et de ma semaine. Ne m’étais-je pas promisde ne jamais retourner à la littérature érotique ? Dans la dernière année, mon ancien patron m’avaitrelancé plusieurs fois pour que je reprenne du service aux Quatre Vents et je me souvienspertinemment lui avoir affirmé que cette partie de ma vie était définitivement terminée. Etmaintenant ? Lena m’avait si bien vendu cette revue que je n’avais déjà plus l’envie de refuser sonoffre ! Je songeai à Simon : qu’allait-il en penser ? Il fallait que je lui en parle. Avais-je le droitd’accepter un tel défi sans d’abord le consulter ?

— Mon offre ne vous intéresse plus, on dirait, constata-t-elle avec un air trouble.— Non ! C’est juste que… quand je suis partie de mon ancien travail, c’était en partie pour ne

plus avoir à toucher à ce domaine. L’érotisme, ajoutai-je très vite.— Pourquoi ?Certes, je m’attendais à sa question, mais je n’étais pas prête à y répondre, alors je jetai

simplement :— C’était très exigeant. Dans ce domaine, on est forcément obligé de se regarder dans un miroir.Lena recula sa chaise et s’y adossa plus confortablement. Elle laissa ses jambes s’étirer sous le

bureau et soupira lourdement. J’eus peur de l’avoir déçue avec mes paroles, mais elle hochasimplement la tête :

— Il est vrai que les histoires pour jeunes filles n’ont pas le même impact que les récits d’unhomme comme John Berger. C’est plus impliquant, je m’en doute. C’est probablement la raison qui afait de vous une aussi bonne éditrice. À mon sens, c’est la preuve d’un vrai professionnalisme.

Si je n’avais pas été aussi étonnée par ses paroles, j’aurais éclaté de rire : professionnelle ?Moi ? Si seulement elle savait à quel point ! Ce poste m’aurait aussitôt glissé entre les doigts !

— Ceci étant dit, les textes que nous publierons n’auront rien à voir avec ce genre de littérature,dit-elle en haussant les épaules. Ce sera coquin, fortement suggéré peut-être, mais sans plus.

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N’oubliez pas que nous visons un public très large. On ne peut pas se permettre de choquer les gens.Sa phrase me rassura un peu, mais pas complètement. Tant que les balises n’étaient pas définies,

je ne savais pas ce que Lena considérait comme étant « coquin », mais je n’eus pas le temps de poserla question qu’elle ramena la chaise près de son bureau, s’y accouda pour se rapprocher de moi etreprit, avec un sourire plus déterminé :

— Annabelle, je ne vais pas vous mentir : je suis persuadée que vous êtes la personne idéalepour ce projet. J’ai lu des livres de votre ancienne collection et tous les livres de John Berger. Jesuis formelle : son troisième tome est définitivement le meilleur. Ça se voit que vous l’avez bienencadré. Vous avez su tirer le meilleur de votre auteur et c’est ce dont cette revue a besoin.

Peut-être aurais-je dû être définitivement rassurée par ses propos, mais il n’en fut rien. D’accord,j’avais bien encadré John et ses textes du tome trois étaient excellents, mais je ne pus m’empêcher deressentir une légère pointe de jalousie. Avait-elle lu le quatrième tome ? Comme il relatait nossouvenirs, j’étais un peu triste qu’il ne soit pas meilleur que le troisième.

Déterminée à me convaincre, elle insista encore :— Vous êtes douée Annabelle et même si je ne doute pas que votre travail actuel vous plaît, je ne

pense pas que notre entreprise bénéficie de votre meilleure expertise en vous gardant chez Zap. Vousseriez davantage à votre place dans un poste de direction, à gérer des textes, des auteurs… C’est undéfi qui ne se refuse pas, vous savez…

Je ne le savais que trop et je fis un petit signe de la tête pour le lui signifier. Malgré tout, cela nem’empêchait pas de ressentir un léger malaise.

— En fait, si vous devenez rédactrice en chef, cette revue sera la vôtre. À vous d’y mettre lesbalises que vous voulez. Cela dit, comme nous cherchons une revue destinée au couple, il seraitétrange de ne jamais aborder la sexualité…

— Je comprends, dis-je très vite. Le sexe ne me dérange pas. Je parlais surtout desadomasochisme, ce genre de choses…

— Oh. Bien… je ne pense pas que monsieur et madame tout-le-monde ait très envie d’en entendreparler, dit-elle en riant. Ou alors très peu !

Mon sourire se confirma et je crois que cela suffit à rassurer Lena qui serra le poing de façonvictorieuse, certaine que j’allais céder. Elle n’avait pas tort ! J’en crevais d’envie ! Elle jeta undossier devant moi :

— Voilà ce que je propose : nous définissons d’abord les grandes lignes de la revue. De toutefaçon, si ça ne passe pas au conseil, nous n’irons pas très loin. Qu’en pensez-vous ?

— Je suis d’accord.— À la bonne heure !Elle jeta un œil rapide sur sa montre et pinça les lèvres :— Je sais que je vous prends un peu à la dernière minute, mais je n’ai reçu la confirmation

qu’avant-hier que je pouvais aller de l’avant avec cette idée. Et comme c’est vendredi…— Aucun problème, dis-je en récupérant le dossier. Mon petit ami est propriétaire d’un

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restaurant et il rentre très tard, le vendredi.Son visage s’égaya :— Je savais que vous étiez parfaite pour ce poste ! Dites-moi simplement quand vous aurez faim

et on commandera un truc.Je plongeai dans les documents. Elle se remit à m’expliquer, visiblement excitée à l’idée que ce

projet prenne vie. Je mis mes craintes de côté. C’était un nouveau projet, loin de l’ancien, encore àdéfinir. Et le poste qui venait avec la revue me faisait définitivement envie.

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Petites négociations

Il était tard quand Simon rentra à l’appartement, mais j’étais on ne peut plus réveillée. J’avaispassé la soirée avec Lena, à déterminer les grandes lignes de la revue, à m’assurer que nos visionsconcordaient sur la façon d’aborder la notion de couple. Nos idées allaient dans tous les sens, maisce fut tellement stimulant ! Il y avait fort longtemps que je n’avais ressenti un tel engouement pourmon travail.

Depuis que j’étais rentrée, j’avais relu mes notes et pensai à un tas d’idées que je comptaissoumettre à Lena par courriel, dès le lendemain. Au bout de deux heures, Lena et moi avions établiune base que je considérais solide. Et comme elle me convenait, j’avais l’intention de m’y tenir. Jen’avais plus qu’une seule envie : convaincre le conseil d’administration de nous accorder le budgetpour démarrer cette revue.

À l’entrée, Simon retira son manteau et vint me rejoindre sur le canapé. Après un baiser rapide, iljeta un œil à mes notes et me fixa d’un regard suspicieux :

— Depuis quand tu ramènes du travail à la maison ?— Depuis que j’ai un nouveau travail. Enfin… plus ou moins…Je serrai mon bloc-notes contre moi pour l’empêcher de tout découvrir sans que l’information ne

transite par ma bouche. Toute la soirée, je m’étais demandée comment je lui annoncerais la nouvelle,mais maintenant qu’il était là, je lui racontai simplement l’histoire du début à la fin. Alors qu’il étaittout près de moi, il recula sur le canapé pour mieux me voir :

— Rédactrice en chef ? Wow !— C’est incroyable, non ? Je n’ai jamais pensé à un truc pareil ! Je ne sais même pas pourquoi

Lena a eu l’idée de regarder mon dossier !Il sourit. Je crois qu’il percevait l’excitation qu’il y avait en moi.— T’as dit oui, alors ?— Évidemment ! Enfin… ça ne veut pas dire que le conseil d’administration va accepter, dis-je

en tentant de garder mon calme. Et ça risque de me demander plus de travail. Plus de temps, aussi.Il pinça ses lèvres et haussa les épaules :— Je ne peux pas vraiment me plaindre. Je suis le premier à devoir faire des heures

supplémentaires au restaurant.— Et il y a autre chose, admis-je avec une petite voix.Avant qu’il ne pose la question, je tournai la page de mon bloc-notes et lui montrai une esquisse

mal dessinée de la revue. Il haussa un sourcil :— Amoureux et sexy ?— C’est une idée de titre.— Et quel est le problème ?

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— « Sexy ». On va publier des rubriques sur la sexualité, des textes érotiques aussi…Je crois que Simon aurait largement préféré ne pas afficher un air surpris, mais sa réaction ne

parvint pas à m’échapper. Il était troublé, je pouvais le sentir juste à la façon dont il me dévisagea etsa question ne tarda pas à surgir :

— Quels genres de textes ?— Érotiques. Simples, ajoutai-je d’un trait. C’est quand même destiné au grand public, tu sais.

On va rester dans tout ce qu’il y a de plus vanille.Mes paroles le rassurèrent. Je crois. En tous les cas, son sourire revint et il eut une sorte de

haussement d’épaules vague. J’insistai :— Tu te doutes pourquoi ils ont pensé à moi, quand même…— Oui. Là, ça ne fait aucun doute.— Ça te dérange ? T’aurais préféré que je t’en parle avant, peut-être ?Simon haussa les épaules pour la troisième fois, saisit ma cheville, obligea ma jambe à s’étendre

sur la sienne, puis secoua la tête :— Tu es libre, Annabelle. Cela signifie que tu as le droit de choisir un travail qui te plaît. Je ne te

cache pas que si les textes avaient été plus… osés…— Je sais.— Mais en même temps, tu n’es plus cette femme-là. Et je présume que si tout ça t’effrayait… tu

m’en parlerais, pas vrai ?— Bien sûr !Son sourire se confirma. Du bout des doigts, il caressait le dessus de mon pied et remontait

lentement vers mon mollet. C’était léger et agréable même si ses mots restèrent sérieux :— Peut-être que c’est ta chance de relever de nouveaux défis ? Et pour une fois que ton histoire

avec John t’apporte quelque chose de positif…— Elle m’a apporté des tas de choses positives, le contredis-je.Il fronça les sourcils et je répliquai aussitôt :— Toi, par exemple.Son visage se radoucit et il fit mine de me gronder :— Hum. Bonne réponse.Je jetai mes notes sur le sol et utilisai ma jambe sur la sienne pour me donner appui. Je

m’approchai doucement, m’assis sur lui et pris une voix aguicheuse :— Et puis, dans cette revue, il y aura probablement une section : « 10 trucs pour raviver la

flamme ». Comme je suis très consciencieuse, il va falloir qu’on teste tout ça, toi et moi…— On a déjà besoin de raviver la flamme ?— On peut faire semblant…Mes doigts détachaient les boutons de sa chemise pendant que ses mains cherchaient à glisser

sous ma jupe pour pétrir mes fesses.

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— Et quel serait ce premier truc ?— Hum… quelque chose comme : lorsque votre conjoint revient tard du travail, faites-lui un

délicieux câlin au lieu de l’assommer avec des reproches. Si le câlin est suffisamment agréable, peut-être monsieur se donnera-t-il la peine de rentrer plus tôt les autres soirs ?

Sa bouche qui dérivait délicieusement dans mon cou cessa ses baisers et il revient me lancer unregard inquiet :

— Tu trouves que je rentre trop tard ?— Parfois, mais je sais que ce n’est pas de ta faute…— Gilbert est malade. Et j’ai toujours l’impression d’être le seul à pouvoir rester.— Ce n’était pas un reproche, c’était juste une mise en situation.Je torturai sa chemise pour la lui retirer sans quitter ma position et il s’avança pour m’aider dans

cette tâche, mais ses yeux, eux, ne me quittèrent plus :— Anna, tu m’aimes toujours, pas vrai ?— Évidemment que je t’aime ! Est-ce que je ne suis pas en train de te faire un délicieux câlin

pour essayer de raviver la flamme de notre couple ?— Hum… oui, mais… je ne pensais pas qu’on devait déjà la raviver ?— C’est une façon de parler, dis-je avec un petit rire. Disons qu’on s’assure qu’elle reste bien

brûlante. C’est mieux comme ça ?Je m’attaquai à son pantalon et j’étais devenue drôlement experte pour libérer son sexe. Je

l’emprisonnai sous mes doigts et observai la tête de Simon retomber contre l’assise du canapé. Sesyeux se fermèrent quelques instants pour savourer mes caresses.

— Oui, c’est… c’est beaucoup mieux, admit-il.Je le masturbai doucement, le laissai décompresser de sa journée dans des soupirs de plus en

plus troubles. Ses mains pétrissaient mes fesses, mais rien de plus. Hormis son souffle discret, toutétait doux et calme dans notre salon.

Fidèle à son habitude, Simon ne resta pas inerte bien longtemps. Il ouvrit les yeux et entreprit deretirer ma chemise à son tour. Elle valsa dans la pièce, mais je ne l’autorisai pas à retirer ma jupe. Jeconnaissais sa routine et ce soir, j’avais envie d’en changer les étapes. Je me relevai, tirai sur sonpantalon et il souleva son bassin pour que le vêtement glisse plus facilement. Je retirai seschaussettes, me mis à embrasser ses mollets, remontrai sur ses cuisses en laissant mes cheveuxcaresser ses jambes, puis son sexe tendu. Je n’étais pas rendue à destination que son corpss’affaissait plus confortablement sur le canapé, tout en poussant vers moi, anxieux que j’atteignel’extase :

— Oh Anna, oui !Son invitation ne resta pas vaine. Je pris sa verge en bouche et serrai ses cuisses sous mes doigts,

les écartai brusquement pendant que je poussai son sexe profondément entre mes lèvres. Ses soupirspassèrent d’excités à comblés et je m’appliquai à le rendre fou. Non que je n’aime pas faire durer leplaisir, mais ce soir, j’étais excitée par la nouvelle vie qui s’offrait à moi et tout aussi empressée de

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le sentir jouir. Je voulais qu’il sache que je n’avais pas l’intention de le délaisser à cause de mesnouvelles fonctions.

Sa main s’accrocha à ma tête, chercha à toucher ma nuque et à ralentir mes mouvements :— Doucement ! Je ne tiendrai pas trois minutes, comme ça !Je chassai sa main, reprit mon rythme initial et son rire fut entrecoupé de soupirs troubles :— D’accord ! Je ne résiste pas !Sa tête retomba vers l’arrière et ses gémissements montèrent en force. Sa main tâtait l’espace, me

cherchait, revint sur ma tête pour suivre mes gestes. Je posai mes doigts sur les siens, l’obligeai àcontraindre mes mouvements par la force, ce qu’il fit distraitement, sans conviction, probablementtrop accaparé par la jouissance que je provoquais pour réfléchir ou contredire la moindre de mesdemandes. Au bout du voyage, ses soupirs chantaient et ses doigts se furent plus rudes sur mescheveux. Cette fois, il guida mon va-et-vient, anxieux à l’idée que je ne le fasse languir davantage.Son bassin complétait ma fellation et sa verge était gonflée, prête à exploser.

— Oh Anna ! Anna !Il retint ma tête contre lui dans un cri et son sperme gicla dans ma gorge. Brusquement, d’abord,

puis dans de petits jets de plus en plus doux. Je percevais les battements de son cœur sur le bout deson gland, toujours bien enveloppé, baignant dans sa semence jusqu’à ce que je me décide à l’avaler.Sa main devint douce sur mes cheveux, me caressa distraitement et je profitai de ma liberté pournettoyer son sexe dans des mouvements lents, surtout pour ne pas nuire au calme que je venais de luiprodiguer.

Ses doigts cherchèrent les miens, tirèrent sur mon bras pour m’inviter à revenir sur le canapé. Matâche étant accomplie, je remontai près de lui, me retrouvai dans ses bras, sa bouche contre la mienneet son regard heureux sur moi :

— On dirait que c’est soir de fête !— Oui.Il caressa ma joue, soupira en laissant sa tête se cogner contre la mienne :— Anna, je suis vraiment content pour toi.— Tu devrais ! Après tout, comme je suis on ne peut plus professionnelle, il y a des chances que

je doive m’assurer de la validité de tous ces trucs que je vais publier…— C’est plutôt toi qui devrais écrire ces trucs ! À toi seule, tu pourrais tenir toute la revue ! Et

ton premier article devrait s’intituler : « La pipe de ses rêves ».— La fellation en dix étapes faciles, plutôt. C’est à la mode les étapes, ces temps-ci. Remarque,

ce n’est pas bête ! Je vais en toucher deux mots à Lena. C’est la fille avec qui je travaille sur leprojet.

— Tant qu’elle ne te demande pas une démonstration !Je me serrai contre lui, le rire léger et je chuchotai :— Tu as tort ! Elle est très mignonne, tu sais ? Peut-être que ce pourrait être très excitant de

servir de modèle… Imagine un peu : deux jolies femmes à tes pieds, te suçant à tour de rôle… ça ne

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te manque pas ?— Anna ! me gronda-t-il.— Je plaisante ! C’est ma patronne ! Et je ne vois pas pourquoi ça te choque : avant, ça te plaisait

ce genre de scène !— Mais je suis avec toi, maintenant.— Ose me dire que ça ne t’exciterait pas de me voir montrer à une autre femme comment sucer la

superbe chose que tu as entre les jambes ? Ça me ferait de la compétition, tiens !Je passai ma main entre ses cuisses et trouvai un début d’érection qui augmenta la force de mon

sourire :— Ah ! Je savais bien que tu étais un homme raisonnable !Je forçai sa bouche avec deux de mes doigts, pris un ton autoritaire :— Allez ! Lèche ! Suis le mouvement, enveloppe mes doigts …Simon sembla surpris par le jeu que j’instaurai, mais il obéit sans chercher à se défiler de mon

emprise. J’enfonçai profondément mes doigts entre ses lèvres, perçus sa succion sur ma chair et ledisputai avec un regard noir :

— Laisse glisser. Pince les joues.Je posai mon autre main sur sa joue, indiquai les muscles avec lesquels il lui fallait travailler. Je

me souvenais encore de Laure qui me faisait la leçon sur le sujet et je m’amusais à rejouer la scèneavec Simon.

— C’est mieux, l’encourageai-je. Qui sait ? Tu pourrais peut-être me faire compétition ?Il recula et chassa mes doigts de sa bouche avant de secouer la tête en riant :— Ça, jamais ! Je perdrai à coup sûr ! Par contre, je tiens le défi dans une bien meilleure

discipline !Ses mains me poussèrent jusqu’à ce que mon corps s’étende sur le canapé et je ne résistai pas à

son geste : j’ouvris les cuisses pour y accueillir sa bouche, car je savais bien à quelle discipline ilfaisait allusion. Je fermai les yeux, le laissai me transporter au paradis grâce à sa langue inquisitriceet délicieusement irrévérencieuse. Ce soir, il faisait durer le plaisir et laissait mon sexe s’ouvrir petità petit, frémir entre ses lèvres… Cela ne dura guère ! Dès que les premières perturbations de moncorps se firent sentir, il accéléra la cadence et ses doigts accompagnèrent les mouvements de salangue. Je sursautai agréablement et je m’empêchai de refermer les cuisses. Simon releva mon bassin,embrassa mon sexe à pleine bouche, me pénétra de ses doigts, chercha à me faire perdre la tête.J’étais prise de soubresauts et il bloqua mes mouvements pour m’empêcher de nuire à son assaut.Cette rudesse me plut et je cherchai à me débattre encore pour raffermir sa contrainte. Me sentirainsi, prisonnière de son plaisir, me transporta. J’explosai dans un cri libérateur, me cambrant dansune vague brusque, puis je laissai mon corps retomber contre le canapé, le souffle court.

— Si tu crois que j’en ai fini avec toi, se moqua-t-il en essuyant son visage inondé.— J’espère bien que non, rigolai-je mollement.Il prit ma main, me tira vers lui et nos bouches se retrouvèrent dans un baiser goûteux. Il était

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excité. Sa verge se tendait vers moi et son étreinte était langoureuse. À la seconde où je répondis àses baisers, il me tourna face contre l’assise du canapé, chercha à se faufiler entre mes cuisses avecempressement, me cambra pour me pénétrer sans attendre. Je lâchai un « Mmmm » délicieux en guised’invitation et si sa jouissance accompagna la mienne un moment, cette position fut rapidement tropdifficile à maintenir. Je me retrouvai très vite à quatre pattes, mains fermement agrippés contrel’accoudoir et la croupe bien soumise à ses coups de boutoir.

J’étais déjà sur le point de perdre la tête lorsque Simon chercha à faufiler son pouce à l’intérieurde mon anus. J’adorais cet instant où il me prenait comme bon lui semble, où il s’invitait en moi sanscrier gare. Mes gémissements augmentèrent en force et mes fesses s’offrirent aussitôt à son bonvouloir.

— Oui ! l’encourageai-je. Oh, Simon !Il ne lui en fallut pas davantage pour comprendre que l’invitation ne s’adressait pas uniquement à

ses doigts et pour que sa verge quitte mon sexe pour venir me sodomiser. Je lâchai un autre cri, tentaide retenir l’orgasme qui montait de façon vertigineuse. Je ne voulais pas qu’il s’arrête maintenant.J’en voulais plus. Encore plus !

Avait-il perçu le tourbillon qui m’animait ? Soudain, ses coups devinrent lents, comme s’il mechevauchait doucement, sans empressement. Je profitai de cette accalmie pour tenter de me calmer,respirai par à-coups bruyants pour retrouver mon souffle. Si l’une des mains de Simon me tenait à lahanche, l’autre caressait délicatement mon dos nu et m’aurait, en d’autres circonstances,probablement chatouillée, mais en ce moment, ce qui m’importait était beaucoup plus bas.

— Simon, je ne vais pas tenir bien longtemps, admis-je d’une voix trouble et légèrementsaccadée par ses mouvements.

Il s’enfonça complètement en moi et cessa de bouger pendant quelques secondes, comme s’ilvoulait me laisser reprendre mes esprits. Ma tête retomba vers l’avant, mais je fus bien mal avisée :son chevauchement reprit, plus vite cette fois, et mon corps se mit à effectuer de petites secousses. Jelâchai un souffle excité, bruyant et largement démonstratif de ce qui s’amenait dans mon ventre.

— Oh bon sang ! jetai-je en redressant la tête, comme si je cherchais à émerger de l’eau.Il continua sa course dans un rythme soutenu et je retombai tête vers le bas, laissant jaillir

l’orgasme auquel je m’accrochai aussi solidement que le coussin contre lequel j’étouffai mon cri.Simon poursuivait sa pénétration, alimentait ce cri qui contractait tous mes muscles à chacun de sespassages. De toute évidence, lui, il n’était pas en fin de course et mon corps en alerte avait du mal àgérer toutes ces informations que ses passages provoquaient :

— Simon, suppliai-je.— J’ai encore envie de te prendre… j’ai envie de te faire hurler !Il me claqua une fesse, probablement pour me prouver ses dires et je sursautai, plutôt surprise de

ce geste qui était loin d’être habituel pour lui. Et pourtant, cela m’excita de le voir se jouer ainsi dema personne. Je rugis doucement :

— Encore !Le jeu sembla lui plaire, car il recommença, claqua ma fesse une seconde fois, tira ma chair sous

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ses mains, accéléra le mouvement derrière moi. Je cherchai sa main, la posai sur mon épaule, mecambrai vers l’arrière et il m’aida par le biais de la force. Mon excitation revint et je recommençai àgémir :

— Oh oui ! Oblige-moi à jouir ! Encore !Ses coups de bassin devinrent brusques et ses doigts me serrèrent le bras à m’en faire mal. Un

véritable torrent se mit à couler entre mes cuisses. Des « oui » fusèrent à profusion de ma bouche,surtout par crainte qu’il ne s’arrête, mais il n’en fit rien. Son souffle était bruyant, las, à bout de force.Il transperçait mes cris.

— Anna ! Je ne te dis pas comme je vais jouir !— Oh oui ! Moi aussi !Son sexe gonfla, chaud et lourd. Il explosa bien en moi. Dans sa perte de contrôle momentanée, il

me serra contre lui, me griffa par accident, déclenchant mon propre orgasme par autant de folie, derage et de passion qu’il témoignait à mon égard. Mon cri devint langoureux, agréable et tout moncorps fut retenu par ses bras. Je tentai de me débattre, puis je m’abandonnai et je retrouvai mon calmecontre lui. Je fermai les yeux, heureuse.

— C’était génial, chuchotai-je.— Oui.Nous restâmes ainsi pendant un long moment, puis il plaqua un baiser sur ma tempe :— Je t’aime, Anna. Je suis heureux avec toi.Je ne répondis pas. Mon corps se plaisait à rester dans ce coton épais qui entourait mon esprit. Et

pourtant, je me sentais vraiment heureuse.

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L’aveu

Je passai tout le week-end à concevoir une ébauche de ce qui me semblait être la meilleure revuepossible pour le créneau que nous avions à remplir. En rentrant du travail, tard vendredi soir, j’avaisdévalisé mon marchand de journaux et feuilleter tous les magazines compétiteurs : autant ceuxdestinés aux couples que ceux à caractère érotique. Par ce procédé, j’espérais avoir une idée juste dece qu’on attendait de moi en tant que rédactrice en chef.

Dans la première catégorie, les articles étaient intéressants, mais sans plus. Certains sujetsessayaient trop d’être destinés aux hommes autant qu’aux femmes. Cela restait biaisé : on parlait devoiture et, du même coup, de sécurité routière en lien avec bébé. Mélange plutôt étrange et peuintéressant. Ceci dit, dès que le côté humoristique était abordé, cela me paraissait plus crédible. Des« Madame pense ceci » alors que « Monsieur pense cela » donnaient lieu à des situations cocassesqui pourraient facilement être reprises dans le cadre de situations érotiques. J’encerclais tout ce quime plaisait et tout ce qui me paraissait exploitable.

Du côté des revues érotiques, les textes coquins étaient surtout publiés dans les magazines pourfemmes, alors que ceux pour hommes étaient inondés de photographies. Encore une fois : j’encerclaicertaines rubriques qui pouvaient convenir à la revue que je dirigerai, mais cette fois-ci, c’étaitprincipalement pour vérifier qu’il s’agissait bien de ce type de magazine que Lena attendait de moi.Après tout, je n’étais pas la femme au parcours le plus traditionnel en ce qui avait trait à la sexualitéet je ne voulais surtout pas commettre d’impair.

Mon défi consistait à trouver une orientation différente et originale des autres produits sur lemarché. Un entre-deux intéressant afin de rallier une clientèle large. Et même si le défi était de taille,j’étais de plus en plus persuadée que cela pouvait fonctionner. À force d’y réfléchir, les idéespleuvaient : une rubrique pour les achats coquins, pour les soirées romantiques, des articles sur lacompréhension du sexe opposé, le tout avec une pointe d’humour. Tout compte fait, je commençaisvéritablement à croire que j’étais la personne idéale pour créer ce magazine : j’avais connu plusieurshommes différents et je n’étais pas en reste niveau romantisme, surtout depuis mon histoire avecSimon !

D’un commun accord avec Lena, le titre évolua : Amoureux et coquins. Cela nous plaisait àtoutes les deux et représentait au mieux l’idée de la revue : l’amour restait en prédominance tout ensous-entendant le point de vue érotique qui inspirerait certains de nos articles.

Lena et moi formions une équipe du tonnerre. Il faut dire que nous n’avions que peu de temps pourconstruire un noyau solide avant de le présenter au conseil d’administration. Sous sa gouverne, je mevis retirer temporairement mes dossiers de chez Zap et je passai le plus clair de mon temps avec elle,dans son bureau du douzième étage. Nous avions laissé tomber le vouvoiement, carburions au café,poursuivions nos discussions jusqu’à tard le soir. Nous étions souvent dans des moments créatifs etc’était extrêmement grisant.

C’était mardi et il restait moins d’une semaine avant de devoir présenter le projet au conseil

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d’administration. Nous avions un titre, les lignes directrices, un logo et suffisamment d’idées derubriques pour faire un magazine de plus de cent pages. Il devait être aux environs de sept heures dusoir et nous avions commandé des sushis afin de poursuivre notre travail durant le repas. Jem’adossai un moment contre ma chaise, fatiguée et pourtant heureuse de tout ce travail que j’avaisaccompli ces derniers jours.

— Ce qui serait bien, dit-elle, ce serait de présenter une maquette, avec des textes, la une, unédito…

Je rouvris mes yeux pour la scruter, incertaine de ce qu’elle proposait :— Tu veux dire… on fait une mise en page et on projette une image ?— Non, non, je veux dire : on essaie de créer un magazine. Un vrai ! On l’imprime et tout ! On

aura qu’à refiler une copie aux membres du conseil.Ma bouche s’ouvrit sous la surprise et je ris nerveusement :— Tu n’es pas sérieuse ? Il reste une semaine !— On irait au plus simple : on prend Jessie et Diane pour le graphisme, deux ou trois journalistes

pigistes qui nous feraient des articles de fond sur un thème parmi ceux qu’on a déjà sortis. Tut’occuperais de l’édito et de la rubrique des liens sur le net. T’as déjà été éditrice, ça devrait êtrefacile pour toi d’ajouter une liste de lectures coquines. T’auras qu’à mettre des livres de ton anciennecollection, tiens, après tout, ce n’est qu’un exemple. On leur dirait que c’est une maquette,évidemment, mais quand ils tiendront la revue dans leurs mains, ils seront tellement épatés qu’ils nepourront rien nous refuser !

Lena jubilait à cette idée et son visage avait repris cette lueur d’excitation qui me plaisait. J’avaisdu mal à suivre son rythme. Surtout ce soir ! J’étais fatiguée de ma journée et j’avais un peu de mal àimaginer qu’elle daignait nous mettre encore plus de travail sur les épaules. Nous n’aurions jamaisassez de temps pour tout faire !

Je retirai mes souliers et me levai pour faire les cent pas dans le bureau, ce qu’elle prit pour unrefus de ma part :

— Tu n’aimes pas mon idée ?— Au contraire, mais j’essaie de voir où je vais prendre le temps pour faire ça !— On a toute une semaine !— On ne peut pas produire un premier numéro en une semaine !— Une revue test, pas un premier numéro ! rectifia-t-elle.Je soupirai et je tentai de lui expliquer que les délais étaient trop serrés. En cas d’échec, nous

perdrions sur tous les plans : autant sur le peu de temps que nous avions pour formater notreprésentation que sur la maquette en question.

— On ne peut pas se permettre de leur montrer quelque chose de boiteux !— Elle sera super, cette revue ! me disputa-t-elle. On ne va pas seulement en parler, on va leur

offrir ! Ils vont en tomber en bas de leur chaise ! Ose me dire que ce n’est pas l’idée du siècle ?Elle soutenait mon regard avec une certitude au fond des yeux, persuadée que son idée était

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exceptionnelle. Je ne pouvais nier que nous aurions un meilleur impact si le conseil d’administrationavait une copie de notre magazine entre les mains, mais le délai était serré. Nous n’avions pas ledroit à l’erreur. Plus je travaillais sur cette revue, plus j’y tenais et moins j’étais prête à prendre lerisque de me la voir refuser.

— On n’y arrivera jamais, dis-je en pinçant les lèvres.— Qu’est-ce que t’es défaitiste ! On a déjà le logo ! On va prendre un thème pour lequel on a

déjà un million d’idées et on fera écrire trois ou quatre articles de fond.— Où est-ce qu’on va trouver des textes érotiques en moins d’une semaine ? Ça n’a aucun sens !

Il faudrait faire des appels à textes, définir des balises… on est à deux mois de ça !Elle claqua des doigts et leva l’index pour rattraper l’idée que je venais de lancer :— Un appel à textes ! T’es géniale !— En une semaine ?— Non, pas pour le premier numéro, mais pour les autres ! On va utiliser le net ! Les gens vont

débouler pour tenter le coup et on va peut-être trouver des perles dans ça !J’écarquillai les yeux d’angoisse :— T’es folle ? Je ne vais pas me farcir trois cents textes d’amateurs par mois !— On te prendra une secrétaire, on forme un comité de lecture… c’est tout simple ! Là, on va

toucher le public et ça va faire boule de gomme, le bouche à oreilles, tout ça… on peut même faireune version électronique pour les abonnés !

Elle continuait de suivre le fil de ses idées, visiblement très excitée à l’idée de présenter ce voletau conseil d’administration. Elle nota tout sur sa pile de feuilles en hochant la tête frénétiquement :

— Bon sang ! Ils ne vont jamais en revenir ! On a l’idée du siècle, je te jure !— Rien que ça, me moquai-je.D’une main fine, elle me pointa avec une lueur malicieuse au fond des yeux :— On voit que t’as jamais assisté à ce genre de conseil, toi ! Ce sont tous des cadres qui

chipotent, qui ne veulent jamais prendre de risque. On va mettre des textes érotiques légers, justeassez pour les titiller et ils seront tellement sous le charme qu’ils vont ramper pour avoir la suite !

Je pris appui sur ma jambe gauche et je croisai les bras avant de répéter :— Et où est-ce qu’on va trouver des textes érotiques à une semaine du conseil d’administration ?— T’étais bien éditrice, avant, tu ne peux pas demander à tes auteurs de… ?— Non ! la coupai-je rudement. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je n’ai publié qu’un seul

auteur et il fait dans le sadomaso !Lena grimaça et balaya mes paroles du revers de la main, avec un ton léger à l’appui :— Bah ! Je suis sûre que si tu lui demandais, il pourrait certainement faire un petit truc moins…— Non.À la dureté de mon ton, elle fronça les sourcils et me fixa droit dans les yeux :— Qu’est-ce qui te prends ? J’essaie de faire en sorte qu’on ait cette revue ! Tu pourrais faire un

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effort !— Pas comme ça. John ne fait pas dans la sexualité vanille et je ne connais aucun autre auteur de

ce genre.Même si j’essayai de garder un ton détaché, je sentais mon cœur se débattre dans ma poitrine.

Rappeler John ? Jamais ! Autant ouvrir le purgatoire et laisser tous les démons de l’Enfer revenir surTerre ! Elle souffla bruyamment, visiblement agacée par la façon dont je lui tenais tête :

— Je vais le contacter moi-même, alors !— Puisque je te dis que ce n’est pas le genre de la revue !— Annabelle ! Tu ne connais pas beaucoup le milieu, toi ! Écrire dans une revue, c’est de la

pub ! N’importe qui ferait un effort pour avoir une pub de cet ordre-là !Je secouai la tête et insistai d’autant plus :— Pas John Berger.— D’accord ! gronda-t-elle avec agacement, alors peut-être qu’il connaît d’autres auteurs ? Ça

vaut le coup de lui demander, tu ne penses pas ?Je ne répondis pas, mais je continuai de secouer la tête, surtout par réflexe. Je ne pouvais pas

croire que j’allais devoir lui reparler et je songeais déjà à laisser tomber tout le projet. Bon sang !Ce n’est pas vrai ! Pourquoi m’obligeait-elle à faire cela ? Je repris les cent pas dans son bureau etfinis par tout lâcher :

— Écoute, autant te le dire : on ne s’est pas vraiment quittés en bons termes, John et moi, et je neveux surtout pas le rappeler.

J’aurais largement préféré qu’elle m’engueule, mais je vis que mes paroles venaient d’attiser sacuriosité. Son œil s’éclaircit et un petit sourire s’accrocha à son visage :

— T’as quand même pas eu une histoire avec ton auteur ?— Je dis juste que je ne veux pas le rappeler. Crois-moi, John Berger est un homme imbu de lui-

même et le genre de manipulateur qu’il vaut mieux garder loin de soi.Elle s’accouda sur son bureau, un peu en biais pour mieux s’approcher de moi, et son visage

redevint lumineux :— Tu te fiches de moi, là ? T’as couché avec lui ?Son ton baissa, comme s’il s’agissait d’un secret d’État et je la fusillai du regard en guise de

réponse. Elle leva les bras au ciel :— Quoi ? Je ne fais que demander ! On a passé la fin de semaine à parler de sexe, qu’est-ce que

ça change si t’as couché avec ton auteur, je ne vais pas le crier sur tous les toits !— J’ai couché avec lui, voilà, t’es contente ?Ma voix sembla résonner en écho dans la petite pièce et je repris mon souffle en respirant

longuement. Comme elle était toujours sous le choc, j’en profitai pour changer la direction queprenait cette conversation :

— Ça ne règle en rien la question : on ne trouvera jamais un bon texte dans des délais aussi

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courts. Bon sang, Lena : il faut que cette maquette soit parfaite ! On ne peut pas se permettre de mettrequelque chose qui soit de mauvaise qualité, on va tout faire planter ! Et il faut que ça reste des texteslégers, coquins, sans trop de…

Le regard de Lena fixait le vide. Je la grondai aussitôt :— Tu m’écoutes, oui ?Elle releva son visage vers moi, visiblement troublée par ma dernière confidence et soudain,

j’eus peur qu’elle ne m’exclue du projet à cause de cela. Je ne sais pas pourquoi, mais je fus surprisede sa question :

— Ton auteur, est-ce qu’il… il fait vraiment le genre de choses qu’il écrit ?Je serrai les dents et elle le remarqua, se reprit aussitôt :— Je ne veux pas te juger, tu sais. C’est juste que… je ne sais pas… ça m’étonne de… d’une

femme comme toi, c’est tout.Elle balayait mon corps du regard, s’attardait sur mes bras nus, comme si elle cherchait la

moindre trace de sévices qu’on aurait pu laisser sur ma personne. Je soupirai, regrettant doublementde m’être laissée emporter et d’avoir avoué quelque chose d’aussi personnel. À quoi ai-je pensépour dire une chose pareille à ma patronne ? J’avais vraiment le don de tout foutre en l’air ! Je revinsvers ma chaise et songeai à ramasser mes affaires, mais puisque je n’avais rien à perdre, je laconfrontai directement, non sans une pointe de tristesse au fond de la voix :

— Tu vas me retirer du projet à cause de ça ?— Quoi ? sursauta-t-elle. Quelle idée ! Non ! Mais qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? C’est juste

que… je suis surprise, c’est tout ! C’est de la curiosité, rien de plus ! Tout ça n’a rien à voir avec larevue !

Ses mains se levèrent et elle essaya de me calmer en me faisant signe de rester à ma place.— J’ai dépassé les bornes, j’en conviens, mais tu m’as lancé ça comme ça ! Je ne pouvais pas le

savoir ! OK, c’est vrai, ça ne me regarde pas, mais on a peu de contact dans ce milieu-là, alors jepensais que toi… comme t’as été éditrice…

— Désolée, dis-je simplement.Elle marqua un temps d’arrêt. Peut-être espérait-elle que je trouve une solution miracle à notre

problème ou cherchait-elle simplement un moyen de me reposer sa question indélicate, maisl’inconfort qui s’était installé semblait déterminé à rester avec nous. Je me décidai donc à vider lesujet une bonne fois pour toutes :

— J’ai été sa soumise pendant six mois, mais je ne le suis plus. Et avant que tu ne le demandes,sache que ma sexualité actuelle est tout ce qu’il y a de plus normale.

— OK, dit-elle, non sans masquer son air surpris.— Bien. Est-ce qu’on peut reprendre le travail, maintenant ?Elle ne répondit pas et je ne fis rien pour accélérer le processus. Je pouvais comprendre ses

doutes à mon endroit et même si elle venait de me certifier qu’elle ne comptait pas me retirer duprojet, je n’étais pas moins sûre de la précarité de ma situation. Six mois avec John allait-il nuire à

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toute mon existence ?— Confidence pour confidence, reprit-elle enfin. J’ai été call-girl pendant près de deux ans. Ça

fait un bail, évidemment, mais bon.Elle reposa les yeux sur moi, attendant de voir l’effet de ses paroles sur ma personne, mais

comme je ne dis rien, elle ajouta, petit sourire en coin tout en haussant les épaules :— Comme tu vois, personne n’est parfait !Nous étouffâmes un rire nerveux qui eut le mérite d’alléger l’atmosphère entre nous. Il me

semblait que nos corps se détendaient, chacun de son côté.— Je suis désolée, reprit-elle, je t’assure que c’était juste de la curiosité mal placée. Je me doute

que tu ne veux pas que ça se sache et je voulais juste que tu comprennes que… enfin… on a tous nospetits secrets.

Elle gratifia ses paroles d’un clin d’œil qui me fit sourire, mais les petits coups frappés à la portenous firent sursauter, puis bondir sur nos pieds. Lena s’empressa d’aller ouvrir et notre commande desushis apparut, nous faisant éclater de rire.

— Nous étions affamées ! expliqua-t-elle au livreur, surpris par notre réaction.Le silence reprit sa place, mais surtout parce que nous avions faim et que nous mangions en

quatrième vitesse. Je profitai de cette accalmie pour détailler Lena plus attentivement : elle neressemblait en rien à une call-girl, bien qu’elle soit jolie. La trentaine bien sonnée, peut-être trente-cinq. Elle était toujours en tailleur, les cheveux châtains, tirés en chignon. Elle portait de petiteslunettes noires, ce qui lui donnait un air beaucoup plus sérieux qu’elle ne l’était, en réalité. Son corpsétait mince, mais sa poitrine semblait flotter dans sa chemise blanche. Cependant, alors qu’elle étalaitles sushis devant nous, je remarquai que ses doigts étaient longs et fins, délicatement peints avec durose sur les ongles.

— J’ai peut-être une idée pour les textes, annonçai-je, mais tu dois me promettre que ça ne sortirapas d’ici.

— Je promets tout ce que tu veux, dit-elle nonchalamment en récupérant un sushi pour le manger.— J’ai probablement encore certains textes inédits de John dans ma vieille boîte de courriels. Ils

ne m’étaient pas adressés, ajoutai-je devant le regard que Lena posa sur moi, c’est juste parce qu’onne les a pas retenus pour la publication de son tome que je les ai…

— Et tu crois que ça irait ?— Je crois. Enfin… il faudrait peut-être couper un paragraphe ou deux…Le visage de Lena s’illumina :— Tu vas lui demander son autorisation ?— Quoi ? Non ! T’as dit qu’on voulait juste un exemple ! Ce n’est qu’une maquette, pas vrai ?— Mais on ne peut pas prendre son texte sans lui demander son autorisation ! On pourrait avoir

de sacrés problèmes, si on fait ça. Et puis merde, si tu ne veux pas l’appeler, je vais le faire, moi !C’est qu’un homme, après tout ! Pourquoi tu lui donnes autant de pouvoir ?

Cette fois, c’est moi qui pris une bouchée pour éviter de jeter les mots qui me venaient en bouche.

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Pourquoi je lui donnais autant de pouvoir ? Parce qu’il en avait ! Elle n’avait visiblement aucuneidée du genre d’homme qu’était John Berger !

— Ah et puis, laisse tomber, finis-je par marmonner, le sushi à peine avalé. Je trouverai quelquechose sur internet. Il y a des sites de littérature dans le genre. Si on donne un petit à-valoir à l’auteur,il nous laissera forcément l’utiliser pour une maquette.

Lena fronça les sourcils :— Pas question ! Cette maquette est primordiale ! On ne va pas la mettre entre les mains d’un

auteur amateur !— Alors je trouverai un auteur reconnu !— T’as dit que t’avais des inédits de John Berger ! Pourquoi on chercherait ailleurs ?Mon regard lui répondit mieux qu’aucun de mes mots ne l’auraient fait, mais elle insista :— Mais qu’est-ce qu’il en à faire si tu veux les publier ? Il n’en fera jamais rien, lui ! Et ça lui

ferait un peu de pub pour ses romans !— On voit que tu ne le connais pas !Je balayai l’espace entre nous d’une main en secouant la tête, déterminée à mener ce projet à

terme sans ficher ma vie en l’air :— Écoute, tu veux des textes pour ta maquette ? OK. Je vais trouver quelque chose, mais que ce

soit clair entre nous : pas de John Berger ! Soit on prend ses textes sans le lui dire, soit je ne dormiraipas jusqu’à lundi prochain pour dégoter quelque chose sur le web. Ça te va comme ça ? Et c’est sansparler de l’édito et de la chronique sur le couple amoureux que je dois produire.

Je me grattai la tête en soupirant :— Bon sang, dans quoi je me suis embarquée ! Je m’étais promis de rester loin de tout ça.— Du calme ! C’est que de la littérature !Je secouai la tête et la fusillai d’un regard noir :— Non, c’est plus que ça. Crois-moi. Tu veux une maquette ? Tu l’auras ! Mais ne me demande

pas qu’elle soit parfaite, on n’a pas assez de temps pour ça ! Les dieux eux-mêmes n’y arriveraientpas !

Elle mangea deux sushis en quatrième vitesse et je l’imitai. Tout compte fait, j’étais affamée etplutôt contente qu’elle ne soutienne pas l’idée de téléphoner à John, puis elle fit danser ses baguettesde bois vers moi :

— Annabelle, je suis d’accord pour utiliser un texte inédit de John Berger même si éthiquement,nous devrions le lui demander. Le problème, c’est… imagine que le conseil l’adore et décide de lepublier ? C’est trop risqué. Là, tu mettrais vraiment ta carrière en jeu !

— Crois-moi sur ça : je suis prête à prendre le risque !La main de Lena tomba sur son bureau avec bruit et elle fronça les sourcils, choquée par mes

paroles :— T’es sérieuse ?

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— Tu n’as pas idée.Mon ton était ferme et je m’empressai d’ajouter :— La vérité, c’est que j’ai quitté les Quatre Vents pour ne plus avoir à croiser John dans mon

bureau. J’ai déménagé, j’ai changé de numéro de téléphone, d’emploi. Tu veux savoir ? Il n’y a rienque je ne ferais pas pour garder cet homme hors de ma vie.

Elle se tut un moment, peut-être était-ce pour y réfléchir ou juste pour me donner le temps desouffler, car il n’était pas aisé de reprendre mes esprits en reparlant de cette partie trouble de ma vie.Je lui fus d’ailleurs très reconnaissante de changer de sujet :

— Est-ce que tu veux quand même qu’on fasse cette maquette pour lundi ou… ?Je soupirai pour laisser paraître ma fatigue :— Je veux bien essayer.— Je veux plus que ça, me disputa-t-elle avec un regard faussement sévère. Anna, il faut que ça

marche ! On n’a pas le droit à l’erreur. On ne peut pas se contenter d’un produit de mauvaise qualité,ça ne servirait pas nos intérêts !

— Je sais ! Bon sang, Lena, on a passé la journée sur ça, laisse-moi réfléchir, tu veux ? J’ai faim,je suis fatiguée et je suis en colère de t’avoir raconté tout ça, alors… je crois bien avoir mérité dixminutes de pause !

Elle eut un petit rire discret, hocha la tête et saisit un nouveau sushi entre ses baguettes. Le repasreprit, silencieux, jusqu’à ce qu’elle cesse de manger et se laisse retomber dans sa chaise de bureau,visiblement beaucoup plus confortable que la mienne.

— Autant que ce soit clair : je veux qu’on ait ce fichu vote du conseil d’administration. Je feraisl’impossible pour ça. Pour une fois qu’il y aura un projet intéressant à superviser dans cette boîte ! Ettoi, tu vas devenir rédactrice en chef, compris ? C’est ta place ! Tu n’as rien d’une assistante à lanoix !

Elle me pointait de son index peint avec un air convaincu et je ne pus nier que j’avais tout autantenvie qu’elle que ce projet soit accepté.

— Si je ne tenais pas autant à mon poste, je les sucerais tous autant qu’ils sont, ces fichusmembres du conseil d’administration ! Ça nous faciliterait la tâche, tiens !

Je m’étouffai de surprise devant ses paroles et elle éclata de rire devant ma réaction, plutôtsatisfaite de son effet :

— Quoi ? Je t’ai dit que j’étais une pute, avant ! Si tu penses que je n’ai pas sucé pire que cesvieux messieurs ! Bon, je crois que j’aurai du mal avec le nouveau : il a l’air gai. Mais même Joëlle,la femme des communications, je pourrais m’en charger. Remarque, si tu veux me donner un coup demain… ce ne serait pas de refus ! À douze, ça va me prendre la journée !

Mon rire se confirma et je déposai mes baguettes devant moi :— Lena, t’es complètement folle !— Et de toute évidence, on se complète bien, toi et moi ! Pourquoi est-ce qu’on stresse autant, tu

peux me le dire ? On fait une revue coquine, pas un magazine scientifique ! Il faut qu’on s’amuse, que

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ce soit rempli de plaisir ! On s’en fait trop : je suis certaine qu’on l’aura ! On va leur faire unemaquette en or ! Tellement chaude qu’ils vont en faire dans leur pantalon, ces vieux croûtons !

Elle fit pivoter sa chaise de droite à gauche avec un sourire béat, déjà certaine que c’était dans lapoche. Elle me plaisait bien, tout compte fait. Nous avions établis des rapports amicaux et déjàéchangé des secrets. C’était étrange de développer ce genre de relations au travail, surtout avec masupérieure hiérarchique, mais je ne le ressentais pas ainsi. Lena faisait tout pour que nous soyons uneéquipe à part entière et sa façon de travailler me plaisait. Je comptais d’ailleurs m’inspirer de safaçon de faire lorsque je serai en charge de la revue.

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L’écriture

Je passai une bonne partie de la nuit à chercher des textes à saveur érotique sur Internet. Laplupart des sites étaient pollués de publicité et de photographies qui m’empêchaient de lirecorrectement, sans parler que bien des textes étaient vulgaires, peu développés ou passaient à côté duthème que je cherchais. Peut-être étais-je simplement déconnectée de la réalité des couplesd’aujourd’hui ? Après tout, les seuls textes du genre que j’avais lus étaient ceux de John. Se pouvait-il que mon jugement en matière de textes fût devenu si sélectif ? Je soupirai, mais je n’avais aucuneenvie de baisser les bras. Où était ce corps qui s’allumait dès les premières phrases d’un texte deJohn Berger ? Étalée sur le canapé, ordinateur portable sur les genoux, je me connectai à monancienne boîte de courriels où un tas de messages non lus m’attendaient. Je les ignorai et cherchaiplutôt de vieux textes de John, en ouvrit quelques-uns avant de retrouver celui que j’avais en tête, l’unde ceux que nous avions tous les deux choisis de ne pas publier.

Son texte racontait notre soirée au bar de Maître Denis, au tout début de notre histoire. Je l’avaisaccompagnée pour comprendre son « type » de sexualité. Il relatait l’épisode du serveur soumis quime massait les pieds, mais s’attardait surtout sur ma surprise lorsque je remarquai qu’une jeunefemme prodiguait une fellation à son maître sous l’une des tables voisines. Ce texte aurait été parfaits’il avait été plus léger et proposé dans un contexte tout à fait différent. Par exemple, un couple iraitau restaurant, verrait que le couple de la table voisine se caresse sous la table, se croyant à l’abri desregards. Tout pourrait se jouer autour d’une masturbation conjointe et complice entre les deuxcouples…

Oui, en réalité, je savais exactement le texte qu’il nous fallait. Et celui de John ne convenait pasdu tout. Je refermai mon navigateur, me décidai à écrire moi-même cette histoire en me basant sur ceque j’avais ressenti ce soir-là. La situation du restaurant me plaisait : elle était similaire, anodine ettout à fait plausible. Un couple s’embrasse, se touche doucement, puis les choses s’emballent : lafemme prend les devants, caresse le membre dressé à travers le pantalon, le fait jaillir sous la nappe.Je décrivis les secousses du tissu sous les gestes répétitifs et de plus en plus rapides qu’elleeffectuait, relatai les réactions faussement discrètes de son compagnon qui, dans de petitssoubresauts, lui caressait les seins à la vue de tous tout en cherchant à l’embrasser. Je basculai surles réactions du couple voisin qui les remarqua, puis qui ne cessa plus de les observer. L’hommechercha la main de sa femme, la posa sur son entrejambe et elle s’empressa de répondre à sa requête.Les observateurs se mirent bientôt à imiter leurs voisins dans des gestes similaires, un peu en miroir.

Je me repris à plusieurs reprises, mais je dus admettre que ma propre histoire m’excitait. Jem’imaginai sans mal dans cette situation, en train de caresser Simon en public, essayant d’êtrediscrets, mais le connaissant, je me doutais que cela ne serait pas une tâche facile. Je décrivis sesréactions telles que je les connaissais. C’était délicieux de l’imaginer tremblant sous mes doigts,anxieux à l’idée d’être aperçu, mais si fébrile de jouir qu’il s’abandonnait sans réserve à mes envies.Les mots coulaient rapidement, me grisaient, me plongeaient dans cette aventure avec lui et pourtant :

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je me défendis de me toucher. J’étais trop alerte à l’idée de reproduire les sensations exactes que jepercevais dans mon corps et je ne voulais surtout pas céder à la tentation. Pas maintenant. Pas tantque je n’avais pas tout écrit. Je terminai l’histoire en laissant le premier couple remarquer que leursvoisins les imitaient. Je m’imaginais une sorte de jeu malsain auxquels ils se prêtaient l’un et l’autre.Chacun observait leur échange intime. Le premier déchargerait sous la table et sa femme termineraitla scène en se léchant les doigts. Je clôturai l’échange par un sourire amical entre les deux couples.Une promesse, peut-être ? Qui sait ? En tous les cas, quand je refermai le couvercle de monordinateur et le déposai sur la table basse, j’étais déjà follement excitée. J’avais envie de mecaresser et je ne résistai pas longtemps à cet appel. Simon dormait dans la chambre, j’avais le salonpour moi toute seule. Je n’avais même pas envie de le rejoindre. Je voulais simplement fermer lesyeux, replonger dans mon histoire dans un rythme plus doux et devenir cette femme-là, dans cerestaurant. Celle qui prenait les devants et qui décidait du plaisir de son conjoint dans un lieu public.

Je me décidai à repousser ma culotte sans la retirer, glissai mes doigts entre mes cuisses, leslubrifiai doucement dans un bruit discret avant de revenir caresser mon clitoris. Mon corps se laissachoir plus confortablement dans le canapé et je soupirai d’aise à l’idée de perdre la tête ainsi. J’étaissi bien avec Simon qu’il ne m’arrivait que rarement de me masturber. La plupart du temps, je lefaisais avec lui, devant lui ou simplement pour le rejoindre dans le plaisir pendant nos ébats. Là,j’étais seule et j’avais la sensation de le trahir pendant qu’il dormait. Je m’amusais sans lui, jefantasmais sur une situation qui n’avait jamais eu lieu et pourtant : cela me grisait. Je caressais mapoitrine par-dessus ma tenue de nuit, serrais les cuisses pour comprimer mon clitoris sous mesgestes, retenais mes soupirs de satisfaction lorsque le plaisir m’enveloppa. C’était lent et délicieux.Je ralentissais lorsque l’orgasme était trop près, j’avais envie de revoir les détails de mon histoireencore et encore. Mon sexe gonflait, s’ouvrait sous mes caresses, s’écoulait comme une fontaine,mais je continuais sans relâche à le titiller, sans me presser. Si mon corps gisait là, ma tête était dansce personnage féminin qui était nettement moins sage que celle que j’avais décrite. Je m’imaginai meglisser discrètement sous la table pour sucer Simon. Mes gestes s’amplifièrent en songeant à mabouche sur son sexe tendu. Je songeai à son angoisse à l’idée d’être surpris par un serveur dans cetteposition, jouissant difficilement sans bruit, les doigts dans mes cheveux, prêt à décharger à toutinstant. Et pourtant, je le savais incapable de me refuser une si douce attention. Je ne tins plus : mesdoigts se mirent à danser frénétiquement et je me tournai face au canapé pour étouffer le cri que jesentais poindre dans ma gorge. Je perdis la tête ainsi, les cuisses serrées, écrasant ma maindétrempée et la bouche enfouie dans le tissu accueillant. Ce n’était pas la première fois qu’il recevaitma jouissance, mais ce soir, il en était le seul témoin. Je fermai les yeux contre lui, le corps lourd etfatigué. Je laissai le sommeil me gagner. Ce soir, je l’avais bien mérité.

C’est Simon qui me réveilla, anxieux, au petit matin :— Anna ? T’es toujours là ? T’es en retard au bureau !Je sursautai sur le canapé, la tête encore dans un coton épais. Je jetai un œil rapide sur l’heure

dont les chiffres commençaient par le chiffre dix. Merde ! Je cherchai mon téléphone à la hâte,contactai Lena en me confondant en excuses et son rire résonna au bout du fil :

— Du calme ! On est parti il était près de dix heures et demie, hier soir ! Prends le temps

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d’arriver, tu veux ? Et plus important encore : dis-moi que t’as un texte, parce que je n’ai pas chômé,moi, ce matin ! J’ai déjà deux articles en cours d’écriture et trois graphistes au travail.

— J’ai un texte ! dis-je avec un large sourire. Enfin… je crois. Il faut juste que je le relise pourêtre sûre…

J’eus peur que mon histoire fantasmée ne fut plus aussi excitante que celle que j’avais écrite etdès que je coupai la communication, je relus quelques passages qui me parurent plus chauds que je nel’aurais cru avant de me tourner vers Simon :

— T’as dix minutes pour lire quelque chose ?— Laisse-moi deviner : un truc érotique ?— Sexualité traditionnelle, mais un peu exhibitionniste, annonçai-je.— Un nouvel auteur ?— Euh… oui. On peut dire ça.Alors qu’il s’installait à mes côtés, j’eus soudain très envie de rester là pour observer la réaction

de Simon pendant sa lecture, un peu comme John le faisait avec moi, et maintenant, je ne doutais pasque le spectacle devait être agréable. Je crois que ma présence le gêna et comme j’étais en retard autravail, je décidai qu’il était plus sage de le laisser seul et de filer sous la douche. Moins de cinqminutes plus tard, Simon me rejoignit, me prit dans ses bras et ses mains cherchaient déjà à mecaresser entre les cuisses.

— Dois-je comprendre que le texte fait de l’effet ? demandai-je avec un rire.— Beaucoup, comme tu peux le sentir…Sa verge se frottait sur le bas de mon dos et ses baisers sur ma nuque se faisaient de plus en plus

voraces sur ma peau. Je me tournai vers lui, le fixai droit dans les yeux :— Mais encore ? Raconte !— C’était excitant, répéta-t-il, un peu embêté de devoir justifier sa réponse alors qu’un autre

besoin l’accaparait. Il y a juste ce qu’il faut pour s’imaginer la scène. Le restaurant, c’est une bonneidée… ça te dirait qu’on essaye ?

Je me serrai contre lui avant de récupérer son sexe entre mes doigts, me mis à le masturber toutdoucement et mon sourire se confirma :

— J’adorerais ! Et il faudra être très discrets… t’imagines si quelqu’un nous voyait ?Il ferma les yeux, laissa ma main le transporter vers le plaisir tout en gardant un bras autour de ma

taille. J’essayais d’imaginer son désir. Songeait-il à mon histoire ? Était-ce moi, cette femme à sescôtés qui le caressait sous la nappe ? Je me laissai tomber à genoux devant lui, chuchotai :

— La femme aurait pu décider de glisser sous la table, qu’est-ce que t’en penses ?— Oh… bien… tout le monde… aurait pu les voir !— Oui. Tout le restaurant aurait été follement excité, tu ne penses pas ?— Oh oui !Je ne sais pas s’il répondait à ma question où s’il ne faisait qu’encourager ma bouche à prendre

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le relais de mes doigts. Je commençais ma fellation sans tarder et sa main sur ma tête se mit à exigerque ma course soit plus rapide. Entre deux souffles, il murmura :

— Tu aurais remonté ta jupe et tu te serais caressée sous la table. L’homme en face t’aurait vue…il t’aurait voulue comme un fou. Il est… tellement excité de te voir dans cette position ! Ses yeux… situ savais ! Il se met à caresser sa femme…

Sa verge gonflait en imaginant la scène et je sentis qu’il n’allait pas tarder à exploser entre meslèvres :

— Oh Anna ! Ils se caressent et moi… je vais jouir ! Je vais jouir !Il éjacula dans un souffle bruyant, continua de tirer ma tête contre lui, comme s’il n’en avait pas

encore terminé et je le laissai reprendre ses esprits avant de relever les yeux vers lui :— Dis donc, je ne pensais pas que ça te ferait autant d’effet !Sa main se tendit vers moi, m’aida à me relever sous le jet d’eau tiède et je l’encourageai à

décrire davantage ce qu’il avait ressenti. Il haussa les épaules :— Je ne sais pas. C’est bien écrit, mais… il y a autre chose. C’est tellement… subtil…

tellement… je ne sais pas comment le décrire. On se sent à la place de lui, puis d’elle, puis on ne saitplus trop de quel côté on est : les voisins ou l’inverse… il y a un drôle d’effet vers la moitié du texte.

— Oui, je voulais que les gestes du premier couple inspirent le second, que l’excitation se senteentre les deux tables. Un peu comme un effet miroir. Ils s’encouragent à distance…

Il me fixa sans comprendre et j’ajoutai, avec un petit sourire coquin :— C’est moi qui ai écrit ce texte. Cette nuit.— T’es sérieuse ?— Oui. Je ne trouvais rien de bon sur le net, alors… voilà.Son visage affichait de la surprise et son regard dériva un moment autre part, comme s’il essayait

de réfléchir à cette situation. Ses yeux revinrent sur moi :— Wow, bien… t’es douée. L’écriture coule bien. Et comme tu peux le remarquer : je me suis

très bien imaginé la scène !— Oui.Son expression se renfrogna lorsqu’il demanda :— Tu vas le publier ?— Je vais le soumettre à Lena pour commencer. Après on verra.— Sous ton nom ?Je haussai les épaules. Je n’avais pas vraiment eu le temps de songer à la publication. J’avais

surtout écrit ce texte pour voir si je pouvais le faire, mais en réalité, je ne pensais pas qu’il puisseêtre aussi bon.

— Je pense que tu devrais prendre un nom d’emprunt, suggéra Simon. Pas que je ne veuille pasque… enfin… tu vas être rédactrice en chef. Ce serait bizarre si…

— Je comprends. Je suis d’accord. J’en parlerai avec Lena.

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— OK. En tous les cas, si jamais tu as l’idée d’écrire un autre texte…— Tu seras mon premier lecteur, promis-je.— Oh, mais j’y compte bien !Nous partageâmes un rire complice, puis une étreinte sereine. Tout était parfait, ce matin : j’allais

offrir ce texte à Lena en espérant qu’il lui plaise autant qu’à Simon. Si c’était le cas, je n’auraismême plus besoin des textes de John Berger.

Et si le projet était accepté, non seulement j’allais devenir rédactrice en chef, mais mon premiertexte serait peut-être publié ! J’avais l’impression de réussir sur tous les plans !

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Un peu de lecture

Lena adora mon texte et me voyait déjà comme une nouvelle auteure en devenir. Je la calmai sansattendre : j’avais réfléchi à l’idée de Simon et je tenais plus que jamais à publier sous pseudonyme.Hors de question que les membres du conseil d’administration sachent que j’étais l’auteure de cetexte.

— Mais comment on va te payer ?— On verra ça plus tard. Pour l’instant, ce qui compte, c’est que ce fichu projet soit accepté.— Avec un texte pareil ? Merde ! Ils vont tous en baver sur leur chaise !Le rire de Lena était franc, clair et riche. Il me plaisait. Je la sentais aussi impliquée que moi

dans ce projet et j’avais la sensation que nous formions une véritable équipe.— J’arrive pas à le croire, répéta-t-elle pour la troisième fois en fixant mon texte. T’as vraiment

du talent !Je me laissai tomber à ma place habituelle, les joues un peu roses à cause de tous les

compliments que Lena m’offrait depuis qu’elle avait lu mon histoire. J’aurais aimé le faire lire àquelqu’un de plus objectif : un comité de lecture ou un professionnel. Évidemment, je songeai à John,mais je me doutais bien que ce type de littérature était trop sage pour lui.

Fouillant parmi sa pile de dossiers jaunes, Lena sorti quelques feuilles :— Tiens, Rachel a fait quelques recherches parmi les banques de textes et elle a trouvé ces deux

là. Ce n’est pas mal, surtout celui sur le dessus, avec le couple dans la voiture. Enfin… à mon avis,ton texte est meilleur, mais ça reste le créneau qu’on veut développer : coquin, audacieux, tout enrestant fidèle au couple.

Je récupérai la pile de feuilles, m’installai pour y jeter un œil, mais j’étais un peu gênée de lireun récit érotique devant elle. Sans attendre, elle reprit sa place et continua l’énumération de tout cequ’elle avait fait, ce matin, en me montrant certains documents visuels :

— J’ai reçu trois logos. Personnellement, celui-ci me plaît bien. Tu sais Jessie, la fille dusixième ? Ça lui plaît bien de faire ça, elle a déjà récupéré une banque d’images pour illustrer lesarticles. Si jamais le projet fonctionne, je crois que tu devrais la prendre dans ton équipe. Elle aplein d’idées !

Je confirmai d’un signe de tête, non sans être plutôt intriguée par cette information. La Jessie quej’avais en mémoire était une jeune fille timide dont j’imaginais mal effectuer ce genre de recherches.Enfin… pourquoi pas ? Dans un projet aussi particulier, autant prendre ceux qui ont envie d’yparticiper !

Incapable de plonger dans ma lecture, Lena fit pivoter son ordinateur de mon côté, me montra defausses couvertures pour le magazine avec les différents logos. J’étais impressionnée par la vitessed’exécution de nos graphistes et d’autant plus par l’aspect professionnel que prenait notre revue. Il yavait trois suggestions, toutes avec le même couple dans différentes étreintes. La seconde me plut

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aussitôt : l’homme était torse nu et la femme portait une tenue légère, tirait sur le pantalon de son marien regardant la caméra d’un air coquin. Comme je marquai un silence, Lena s’empressa de reprendrela parole :

— On peut refaire le shooting, si tu veux.— Pourquoi ? Non ! Je crois que celle-là serait très bien. Le couple moderne, amoureux et

coquin. C’est exactement ça. Lena, c’est fou ! J’ai moi-même du mal à le croire, mais… tout estparfait !

Je levai des yeux étonnés vers elle : dire que hier soir, tout me paraissait impossible à réaliser etque, ce matin, les choses se mettaient en place d’elles-mêmes. Ma collègue se mit à rire :

— On fait vraiment une sacrée équipe, toi et moi ! Et ton texte, je ne te dis pas les frissons qu’ilm’a donnés ! Bon, il faudrait le faire lire à un gars…

— C’est fait ! Mon chéri l’a lu ce matin et il était drôlement en forme, après…Nous échangeâmes un autre rire, puis elle claqua des doigts en imaginant la réaction des gens au

conseil d’administration :— On va tous les rendre fou ! Ce sera vraiment le magazine le plus sexy qui soit ! Bon, allez ! Je

m’occupe de la présentation orale, tu choisis le deuxième texte. J’envoie déjà le tien à Jessie pourqu’elle le place dans la maquette. Tu veux quoi comme pseudo ?

Je jetai un œil aux noms des autres auteurs et il s’avérait qu’il s’agissait de deux femmes.Dommage. J’aurais aimé qu’il y ait un homme pour créer un équilibre. Je songeai à prendre un nommasculin, inscrivis mon nom sur un bout de papier, jouai avec les lettres, mais Lena s’impatienta :« On verra ça plus tard, on a du travail, là ! ».

J’attendis qu’elle sorte de son bureau pour me plonger dans les textes qu’elle m’avait remis,faisant mine de m’occuper de détails esthétiques d’ici à ce que je me retrouve seule. Je n’avais pas lamoindre envie de me sentir excitée devant elle. Mais à la seconde où elle quitta la pièce pour allervérifier que tout se déroulait bien, je refermai la porte et m’installai plus confortablement sur monsiège.

Le premier texte était faible, sans être mal écrit. L’histoire ne me touchait pas particulièrement :une femme faisait un rêve érotique tout à fait étrange avec plusieurs hommes qui la prenaientsauvagement, puis elle se réveillait follement excitée et se ruait sur le corps de son amoureux pourfaire l’amour, toujours endormi à ses côtés. Malheureusement, la partie fantasmée était plusdéveloppée que celle où le couple faisait l’amour. Je restai donc sur ma faim. Qui plus est, celan’était pas du tout dans notre créneau éditorial : il fallait que le couple reste au centre de l’histoire.Je passai donc au suivant, celui que Lena avait préféré.

Un couple rentrait à la maison, tard le soir. La femme taquinait le conducteur et se mit à secaresser sur le siège du côté passager, bien écartée en posant une jambe sur la boîte à gants, prenantune position des plus indécentes. Au début, l’homme la touche d’une main, la regarde se donner duplaisir par intermittence, mais il finit par devenir si excité qu’il prend la première sortie d’autorouteet se gare n’importe où pour pouvoir participer à la séance. Il y a une scène cocasse où elle essaie degrimper sur lui et qui ne fonctionne pas, puis ils finissent par sortir de la voiture, stationnée un peu

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n’importe comment dans une petite rue calme. Il est si empressé qu’il la jette face contre le capot,relève sa robe sans vérifier qu’ils sont seuls et la prend brusquement par-derrière, follement excitépar sa position dominante. Il s’ensuit une chevauchée rythmée où le lecteur sent l’angoisse de lafemme à l’idée d’être ainsi aperçue, croupe tendue et plaquée contre la voiture. On constateégalement le mélange d’émotions bien senti du côté de l’homme sur son désir de la posséder ainsi,dans ce lieu public, déterminé à la faire jouir bruyamment pour prouver sa supériorité au vu et au sude tous, malgré la convenance. Il est si excité qu’il profite de sa position pour malmenerrégulièrement sa chair, l’obligeant à la faire réagir, alors qu’elle tente désespérément d’étouffer sescris. Ce n’est qu’au moment où il est sur le point d’éjaculer qu’il remarque qu’ils ont des spectateursdiscrets, ou peut-être les imagine-t-il, au fond ? Il tire sa femme vers lui pour mettre son corps enévidence vers la lumière des faisceaux de la voiture, repousse maladroitement ses vêtements pourfaire bondir sa poitrine hors de sa robe sans cesser son déhanchement. Elle tente de contrer son geste,ce qui ne fait qu’augmenter son désir et les contractions autour de son sexe. Il éjacule en force,déchire accidentellement la bretelle de sa robe et un sein retombe dans la nuit. Il jubile, la retientmême si elle se débat, un peu mollement il est vrai, se met à caresser sa poitrine devant son soi-disant public en répétant à quel point elle est belle et comme il a envie que tout le monde l’admire.Elle finit par cesser de se débattre, mais c’est à ce moment-là qu’un voisin sort et se met à lesengueuler : « Allez faire vos cochonneries ailleurs ! ». Le couple éclate de rire avant de retourner àl’intérieur de la voiture et de filer en douce. Et même si la femme a les joues encore rougies par cetteaventure, elle est si ravie par cette expérience qu’elle accepte qu’ils recommencent. À une condition,cependant : que ce soit dans un autre quartier, cette fois !

Je fermai les yeux pour m’imaginer cette histoire et il est vrai que je ressentais une petite pointed’excitation sous ma culotte. Je m’imaginais bien la scène, quoique ce texte fût quelque peu osé pourun magazine comme le nôtre, mais peut-être qu’il complétait bien le mien : techniquement, en tous lescas. Après une masturbation et une fellation, le lecteur aurait droit à une séance plus complète. Jecroisai les jambes et me laissai retomber dans mon fauteuil avec un petit sourire coquin. Je ne pusm’empêcher de me demander si Simon apprécierait ce texte autant que le mien ?

La porte s’ouvrit et Lena revint avec deux articles de fond :— Alors ? Ton avis ?Je me redressai brusquement et remarquai que j’étais légèrement essoufflée de ma lecture. D’une

voix trouble, je dis :— La voiture, c’est le mieux. Je trouve que ça irait bien avec mon texte.— Tu parles ! Avec ça, ils vont tous aller se frotter aux toilettes ! On devrait peut-être leur

laisser quinze minutes de pause, qu’est-ce que t’en penses ? Se moqua-t-elle en me servant un clind’œil complice.

— Bien… oui. Si tu veux.Le rire de Lena résonna en force et je compris qu’elle se moquait de moi. Je ne comprenais pas

pourquoi, mais je me gardai bien de le lui demander. J’aurais été bien mal avisée de décider de quoique ce soit en ce moment, encore imprégnée de ma lecture et sentant mon sexe gonflé et plutôtsensible sous ma culotte.

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— S’ils bandent, c’est dans la poche, ma belle ! Ils vont essayer de ne pas le montrer, mais j’aiun sixième sens pour ça, moi ! Au fond, ils vont essayer d’intellectualiser la chose au niveaumarketing : rendement, points de vente, publicité, mais tout ce à quoi ils vont songer c’est : « Qu’onen finisse au plus vite que j’aille me branler ». On va mettre des jupes légères, parler leur langage,les exciter comme des idiots et leur faire cracher notre revue.

— Mais… quand est-ce qu’ils pourront lire nos textes ? demandai-je, soudain embêtée à l’idéeque ce travail soit inutile.

— Oh ma belle, mais j’ai pensé à tout ! On va faire venir un petit couple pour lire ces textes etvoilà ! Des acteurs, il va sans dire. Comme ça, ils n’auront pas le choix de les entendre. Le jeu desvoix va être génial. Un vrai spectacle ! J’ai déjà mis Josiane sur le dossier. Je te le dis, ma jolie : ceprojet m’inspire comme une folle !

Je la croyais sans difficulté : son visage était rayonnant et son rire fusait sans arrêt. Pour ma part,je gardais les jambes fermement croisées et je cherchai un moyen de chasser mon trouble enrécupérant l’article qu’elle venait de déposer sur son bureau. Alors qu’elle reprenait sa place, elleme scruta avec un air moqueur :

— On dirait que vous êtes bien allumée, mademoiselle !— Euh… quoi ? Non ! me défendis-je mollement, non sans percevoir le rouge de mes joues qui

s’installait en force.— Allons, c’est pas grave ! On va en lire tous les mois, il faut bien que ça nous excite un peu ! Ce

serait ennuyeux, autrement ! Ah ! J’ai accès à des toilettes privées sur l’étage si ça te dit…Je fis un geste rapide de la main pour refuser son offre. Il faut dire que j’étais plutôt gênée à

l’idée d’accepter, surtout vu ce qu’elle sous-entendait sous ce ton. Elle sortit ses clés, les jeta sur lebureau en insistant :

— Ne sois pas si prude ! Il a fallu que j’y aille après la lecture de ton texte, moi ! On n’a pas tousun étalon sous la main pour calmer nos ardeurs, hein.

Mon regard cherchait un abri où se poser et je n’en trouvais aucun. Je sentais ses yeux sur moi etje crois que ça lui plaisait bien de me déstabiliser de la sorte. Ceci dit, j’étais surprise qu’ellem’annonce s’être masturbée à cause de mon texte. Surtout maintenant que j’avais la chair bien excitéepar mon autre lecture. Je secouai la tête, déterminée à ne pas laisser mon corps diriger les opérations,et me raclai la gorge.

— Ça te gêne ce que je dis ? Wow ! C’est rien de terrible de se passer le doigt dans les toilettes,hein ? Ça ne ferait même pas un bon texte ! Enfin… j’en sais rien ! Tu pourrais essayer d’en écrireun, tiens !

— Lena, arrête ! Et puis, je ne suis pas auteure !— À d’autres ! Tu m’as fait mouiller comme ça ne se dit pas ! Qu’est-ce que j’ai regretté de ne

pas être en couple, ce matin. Et ça ne m’arrive pas souvent, crois-moi sur ça !Elle parlait de tout cela avec un tel détachement, alors que je restais là, devant elle, les jambes

bien scellées, essayant de ne pas m’imaginer cette grande brune en train de se toucher entre lescuisses dans les toilettes du bureau. Ma respiration s’emballait et à force de la retenir, je ne faisais

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qu’amplifier le bruit de l’air qui sortait de ma bouche. Avant que cela ne soit évident, je grondai :— On peut se remettre au travail ?— Je vois que mademoiselle la soumise est bien plus prude que je ne le pensais, se moqua-t-elle.— Je ne suis pas prude, me défendis-je, c’est juste que… ça me gêne de…— Quoi ? Qu’on parle de sexe ? Si le projet est accepté, on risque d’en reparler, toi et moi…

Sans parler que ton texte risque fort de faire jaser !Je levai les yeux au ciel, rejetai mes cheveux derrière mes épaules et laissai le rire m’envahir.

Mon soulagement fut annoncé à voix haute :— Heureusement que mon nom n’y est pas !— Alors là, je ne te le fais pas dire, ma jolie ! On va garder ça entre nous, tu veux bien ? Autant

éviter de raconter que notre rédactrice en chef a des petits talents particuliers, si tu vois ce que jeveux dire… En plus, c’est génial pour toi, tu vas pouvoir prendre le vrai pouls de ton public !

Je confirmai d’un hochement de tête et d’un large sourire. Lena avait raison : comme personne nesaurait qui avait écrit ce texte, je recevrais une vraie rétroaction. Et possiblement d’étrangescommentaires aussi.

— Ne le prends pas mal, mais les toilettes privées risquent d’être super occupées, lundiprochain. Et tu ne pourras t’en prendre qu’à toi !

Une nouvelle vague de chaleur remonta vers mes joues et mon rire fut timide. Je bifurquai sur unautre sujet pour éviter qu’elle ne perçoive mon trouble :

— Mais comment ça se fait que vous ayez des toilettes privées ?— J’en sais rien, mais c’est comme ça. Et crois-moi : c’est très utile dans le travail qu’on fait !

On est une petite douzaine à avoir la clé. Au moins, on ne se marche pas sur les pieds et on nerencontre jamais de secrétaires ou de graphistes en train de papoter sur les histoires qui passent à latélé ! Et pour faire ce que j’ai fait ce matin, y’a pas mieux !

Bon sang ! Il fallait encore qu’elle en reparle ? Alors que je retrouvais mon calme peu à peu, lagêne remonta dans mes joues et je la disputai en secouant la tête :

— Mais arrête !— Pourquoi ? C’est un compliment, ma belle ! Il ne fallait pas écrire un texte aussi chaud et me

l’envoyer au bureau ! Quelle idée !Elle reprit ses clés et les fit danser devant moi :— T’es sûre que… ?— Non, ça va maintenant. Mais évite de me redire que tu fais ça à la salle de bain, tu veux ?

C’est très… bizarre.Son rire reprit pendant qu’elle rangeait son trousseau de clés et je me jetai sur les articles que

nous avions reçus afin de clore le sujet. Elle se réinstalla confortablement dans son fauteuil et étirases jambes vers la gauche, bien en vue, au lieu de les cacher sous son bureau. Je les fixai sansréfléchir, encore un peu troublée d’avoir suscité de l’excitation chez une femme. Pas que ce soit lapremière fois, mais comme ça, avec des mots… oui.

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Lena ne parut pas être déroutée le moins du monde par mon trouble qui ne s’était pas totalementeffacé. Je l’observai du coin de l’œil reprendre le travail, passant divers appels ou annotant un texte,pendant que je lisais péniblement un article sur la vie à deux. Dans mon état, cela me prit un tempsconsidérable.

Ce n’est qu’en fin d’après-midi que je reçus un second avis sur mon texte de la plus délicieusefaçon qui soit : Jessie, la graphiste, remonta la maquette contenant mon récit mis en page en deuxversions. La première étant avec des photographies en noir et blanc et la seconde avec desillustrations couleurs. Ce n’était que des brouillons, bien sûr, mais l’idée proposée par chacune desmaquettes était claire. Si Lena était celle qui approuvait généralement ce travail, elle me donna carteblanche sur celui-ci. Je m’installai donc aux côtés de Jessie, sur sa table de travail, pour les détaillerà tour de rôle et lui faire part de mes commentaires que j’espérais justes. Après tout, c’était lapremière fois que je devais parler de mes goûts esthétiques et je cherchai mes mots pendant un bonmoment.

Je fus honnête et lui annonçai que la seconde maquette me plaisait davantage, surtout parcequ’elle avait une touche colorée qui mettait le texte en relief. Au lieu de voir des photos génériquesde couples enlacés, les dessins avaient littéralement repris la situation décrite : en bas de la premièrepage, il y avait un couple à une table qui se touchait en fixant l’autre couple, bien affairé sur une autretable, positionné de l’autre côté de la seconde page. Autour du texte, des pointillés discrets reliaientles deux situations entres elles.

— Tu l’as lu, on dirait ! dis-je à la graphiste.— Ben… ouais. Il faut ça si on veut bien l’illustrer.— Et ça t’as plu ?La question fusa malgré moi, surtout par curiosité. La jeune femme, blonde, mi-vingtaine, se mit à

rougir et elle hocha timidement la tête. Visiblement, ma question venait de la surprendre ! Ellebafouilla :

— Ce serait bien que ça marche. Je veux dire : la revue. Ça manque un peu… dans le marché.— Je suis bien d’accord ! Et je vois que tu travailles bien. Et vite aussi ! Si on obtient l’aval du

conseil d’administration, ça te plairait qu’on t’engage ?Ma question la fit relever la tête vers moi et un sourire illumina son visage :— J’adorerais ! Enfin… évidemment ! C’est tellement stimulant comme projet ! Vous savez, j’ai

fait beaucoup de nus et… j’ai un bon portfolio, si vous voulez voir…Son intérêt pour le travail me plut autant que ce qu’elle était parvenue à faire en si peu de temps.

Je l’écoutai me raconter ses idées pour illustrer les autres articles et la touche de couleurs qu’ellevoyait pour l’ensemble de la revue.

— On pourrait même… mettre une bande-dessinée à la fin… quelque chose d’humoristique… ?Enfin, je dis ça comme ça, c’est pas moi qui…

Je la fixai avec curiosité :— C’est une bonne idée. T’as quelque chose à proposer ?

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— Bien… là… pas trop, mais… pour demain ?— Ça marche ! Et celle-ci me paraît mieux, mais il faudra confirmer avec Léna.Jessie se leva en me remerciant de lui laisser sa chance. J’eus la sensation de lui offrir le monde

sur un plateau d’argent et sa réaction me rendit joyeuse. Alors qu’elle reprenait les maquettes pourles emporter au bureau de Léna, Jessie revint sur ses pas et demanda :

— Pour le texte… il n’y a pas de titre. Pas d’auteur non plus. J’ai mis « Un repas coquin », maisc’était juste pour donner une impression, avec la typo et tout…

— Ah euh… oui. Je t’enverrai l’information ce soir.— Hum. Et le nom de l’auteur ?— Oui, je t’enverrai ça aussi.Elle persistait à rester sur le seuil de la porte, visiblement agacée par ma réponse évasive, mais

comme je ne savais pas quoi lui dire, je me contentai d’ajouter :— Je n’oublierai pas, je te le promets.— Mais…Ses joues se remirent à rougir et elle joua timidement avec une mèche de ses cheveux :— Je peux savoir si… est-ce que c’est une femme qui a écrit ça ?— Euh, oui. C’est une femme.Son visage s’égaya aussitôt et son intonation devint plus ferme :— J’en étais sûre ! Et est-ce qu’elle a publié autre chose ?— Euh… non. Pourquoi toutes ces questions ?— Bien… c’était un bon texte, dit-elle en retrouvant une voix timide. J’aurais jeté un œil sur le

net pour voir si… pour voir, quoi.Je masquai mal mon sourire, mais j’admets que j’étais doublement fière d’avoir d’aussi bons

retours de lecture pour mon premier texte.

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La présentation

La semaine passa à toute vitesse et dans une fébrilité que Lena et moi ne masquions plus. Nousétions certaines de notre dossier, nous le connaissions par cœur et nous en parlions avec tellement depassion à nos collaborateurs qu’ils étaient déjà emballés par le projet. Nous espérions que le conseild’administration en fasse autant !

Afin de ne pas ralentir le rythme de chez Zap, je m’éparpillai dans tous les dossiers. Je restaistard, le soir, et le sommeil manquait cruellement. Tant pis ! Tout le monde s’investissait tellementdans ce projet que je ne pouvais pas ralentir la cadence. Déjà, nous sentions qu’une équipe se formaitet j’espérais que tout se concrétise afin de la rendre officielle et de la solidifier davantage. Jeretrouvai quelque peu l’ambiance de mon ancien travail et tout le monde était aux petits soins pourme contenter. Amoureux et coquins était définitivement ma revue. Enfin… autant la mienne que cellede Lena, mais lorsque nos opinions divergeaient, comme j’allais la prendre en charge, elle medonnait toujours le dernier mot.

Le jour de la présentation, Lena et moi fîmes sensation. C’était visible juste à la façon dont lesmembres du conseil nous observaient. Nous nous étions bien préparées et nous avions chacune nosparties que nous développions sans même regarder nos fiches. Tous les yeux étaient braqués sur nouset nous montrions les revues de nos compétiteurs afin de comparer notre futur produit. Lorsque Lenaouvrit sa valise et sortit notre première ébauche d’Amoureux et coquins, tous les visagestémoignèrent d’une surprise non masquée.

Un grand brun sourit en récupérant le document :— Ah ! Voilà donc ce qui se tramait au troisième ! Il me semblait bien avoir aperçu de drôles de

choses sur le bureau de ma graphiste…Lena s’excusa faussement, insista sur les besoins de la cause : « Il fallait que vous voyiez ce que

nous pouvions faire ! Imaginez si nous avions eu un mois pour la peaufiner ! ». La plupart feuilletaientleur copie sans la lire et la première question fusa, de la part d’un homme avec une grande moustachenoire :

— Vous savez, ce qui compte dans ce genre de produit, c’est le ton ! On ne peut pas vendren’importe quoi… soit on fait de l’érotique, soit on fait dans le bonbon, mais entre les deux, il n’y apas grand-chose !

— Je vous assure que notre revue cadre exactement avec le créneau que vous m’avez confié,soutint Lena.

— Je vois qu’il y a des textes, mais est-ce qu’on ne risque pas de choquer notre clientèle ?questionna-t-il aussitôt.

— Pour vous prouver que nos textes sont croustillants sans être déplacés et parfaitement adaptésau couple moderne, nous avons invité deux charmantes personnes à venir vous lire le premier.Personnellement, il s’agit de mon préféré. Vous pourrez vous-mêmes juger de la qualité que nous

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visons à offrir à nos futurs lecteurs.Lena fit un signe gracieux vers l’arrière de la salle et la porte s’ouvrit. Deux acteurs, un homme et

une femme, légèrement vêtus, vinrent s’asseoir près de nous. Leur arrivée fit sensation et je comprisqu’il n’était pas commun d’offrir un spectacle de cette teneur lors d’un conseil d’administration. Legrand brun me sourit :

— De toute évidence, vous savez comment captiver votre auditoire, mesdemoiselles !— Et notre revue saura en faire de même !Les acteurs proposèrent d’ouvrir l’ébauche du magazine à la page où était mon texte et, à tour de

rôle, l’homme et la femme firent la lecture de mes mots. J’étais tellement nerveuse à l’idée que cerécit soit lu en public que je l’avais revu et corrigé au moins un million de fois depuis la semainedernière. Je n’arrivais même pas à entendre les paroles des acteurs, je passais mon temps à scruter laréaction de chacun des membres du conseil. La seule femme autour de la table fut la première àsourire et à croiser les jambes sous la table. Lena me jeta un regard en coin plutôt satisfait. Leshommes tentèrent de masquer leur trouble, laissant parfois leurs doigts caresser le contour de larevue, jetèrent des yeux intrigués en direction des acteurs, mais dès que l’un d’eux croisait monregard, il rebaissait la tête aussitôt, comme s’il venait d’être pris en flagrant délit. Seul un joli brunsoutint mon regard, un large sourire aux lèvres et les yeux pétillants d’envie. Cette fois, je fus cellequi détourna la tête. Hormis pour lui, je scrutais le moindre mouvement autour de la table et je merépétais que chacun de leurs troubles, c’était mes mots qui les généraient. Quel pouvoir cela meprocurait !

À la fin de la lecture, les têtes se relevèrent dans un même geste et des applaudissements surgirentnaturellement. J’étais émue et Lena le remarqua : elle m’envoya un petit clin d’œil amical, posa unemain sur mon épaule avant d’imiter les autres et d’applaudir à son tour. Nous reprîmes le contrôle dela salle, terminâmes notre présentation et le conseil exigea de se concerter en privé avant de nousannoncer la décision finale.

Dès que nous quittâmes la pièce, Lena ne put retenir son cri :— C’est dans la poche ! Je le sens ! On a fait un sacré spectacle ! Ils n’ont sûrement jamais rien

vu de tel ! Et t’as vu comment il grattait le papier, Benoît ? Et le brun, au fond ? Je suis sûre qu’ilétait bandé comme un cheval !

— Lena ! dis-je, en espérant la faire taire.— Quoi ? C’est vrai ! Et un qui avait une jolie bosse dans son pantalon, c’est Cédric. Il est bien

mignon, celui-là. Et qu’est-ce qu’il nous dévorait des yeux ! Enfin, toi surtout, mais… c’est normal.Je n’ai plus ton âge !

— J’ai presque trente ans !— Petite jeunesse ! Moi, j’aurai bientôt trente-sept ans !— Tu ne les fais pas du tout !Je lui fis une petite chiquenaude sur le genou près du mien :— Et t’as des sacrées jambes !

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— Tu m’étonnes ! Elles ont fait rêver bien des hommes, ces deux là !Nous n’arrêtions plus de rire comme des gamines, oubliant complètement que le sort de ce

pourquoi nous avions autant travaillé se jouait à deux portes de nous. Lena était calme, définitivementpersuadée que c’était dans la poche. Moi, j’étais encore sous le choc des applaudissements. Mespremiers. Enfin… techniquement, l’auteur du texte n’était autre qu’un simple petit « A » discret etanonyme, mais Lena et moi savions pertinemment qui se cachait derrière cette lettre.

Probablement à cause de la nervosité et pour chasser la fatigue des derniers jours, j’avais bu plusque mon lot de café ce matin. Maintenant que le stress était retombé, j’avais hâte de filer en doucepour aller aux toilettes. Leur discussion pouvait s’éterniser et moi, je sentais que je n’allais paspouvoir me retenir bien longtemps. Je récupérai donc les clés de Lena, puisque les toilettes privéesse trouvaient juste au bout du couloir, de l’autre côté de la salle où se tenait le conseil. J’y allai enquatrième vitesse, surtout par crainte qu’ils ne sortent de leurs délibérations et que je ne sois pas là.Je retins mon cri de surprise en ouvrant la porte et en apercevant l’un des membres du conseil deboutdevant le miroir, se retenant au rebord du lavabo d’une main, légèrement penché vers l’avant etastiquant son membre dressé à bonne vitesse. Il sursauta en me voyant entrer dans la pièce et setourna dos à moi pour ranger sa verge dans son vêtement.

— Oh bon sang, dis-je très vite, j’aurais dû… je pensais que… qu’il y avait… plusieurscabinets…

Mes paroles étaient bêtes puisqu’il y avait effectivement trois cabinets de disponible, maisl’homme avait simplement décidé de se masturber à cet endroit, devant les lavabos. Il se tourna versmoi, le visage en feu :

— C’est que… tout le monde est dans la salle et… mince, je suis désolé ! Je suis… vraimentdésolé !

— Non, c’est moi ! Je ne savais pas que… c’est la première fois que… Si vous voulez, je…Je me sentais incapable de terminer mes phrases, alors je fis simplement un pas vers l’arrière

pour repartir d’où je venais et il m’arrêta d’un geste :— Non ! C’est plutôt à moi de… enfin…Il baissa les yeux vers son entrejambe qui ne masquait pas son érection et essuya nerveusement

son visage. Je pinçai les lèvres devant son air dépité et j’aurais dû terminer de filer en douce, mais ilme parut bien inoffensif, soudain.

— C’est plus simple si je vais ailleurs, dis-je en retrouvant mon calme.J’eus envie de rire, mais je ne voulais surtout pas le blesser ou qu’il s’imagine que je me moquais

de lui. Au contraire ! Certes, la surprise avait été de taille, mais pour être honnête, j’espérais quemon texte y fût pour quelque chose.

Je me retournai pour quitter la salle quand il reprit la parole, d’un ton anxieux :— Vous n’allez pas… en parler, hein ?— Sûrement pas ! Ne vous inquiétez pas pour ça, mais euh… vous devriez prendre un cabinet, la

prochaine fois…

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Sans attendre sa réponse, je filai en douce, mais la porte se rouvrit derrière moi et il me fit unpetit « pssst » pour attirer mon attention. Dès que je tournai la tête, il chuchota :

— En passant, j’ai voté pour votre revue, vous savez ?Je lui servis un large sourire :— Merci beaucoup.Je poursuivis ma route et sa voix résonna de nouveau, plus forte :— Je m’appelle Éric.— Annabelle.— Je sais. Et vous êtes magnifique.Il disparut derrière la porte et je restai là, à sourire bêtement au vide, à la fois troublée et touchée

par son compliment, mais surtout : par la situation elle-même ! Allait-il terminer sa besogne ?Le temps filait et mon envie devenait de plus en plus pressante. Je descendis donc l’escalier pour

me rendre à l’étage du dessous ou, enfin, je pus accéder à des toilettes un peu moins mouvementées !Lorsque je revins m’asseoir près de Lena, je grondai :— T’aurais pu le dire que c’était des toilettes mixtes !— T’as croisé quelqu’un ?— Ouais ! Et en pleine action !Mes joues se remirent à rougir pendant que Lena riait, puis elle se mit à me bombarder de

questions sur mon aventure dans les toilettes. Et même si je laissai sous-entendre l’histoire, je merefusai cependant à lui dire de qui il s’agissait, surtout avant que nous ne retournions devant leconseil d’administration.

— Je le savais ! C’est ton texte ! Bon sang ! Je veux savoir qui c’est !La porte s’ouvrit et l’homme à la moustache nous demanda de revenir à l’intérieur de la salle afin

de répondre à quelques questions supplémentaires.La situation fut plutôt cocasse lorsque je passai tout près d’Éric, les yeux fermement rivés sur la

table pour éviter les miens. Je me réinstallai au bout, près de Lena, qui remarqua sans mal lesrougeurs qui persistaient sur les joues de l’homme prit en flagrant délit.

— Avant de rendre notre décision, mesdemoiselles, je tiens à dire, au nom de tous les membresde ce conseil, que votre présentation a été en tous points surprenante ! Je suis dans ce conseil depuishuit ans et je dois admettre que je n’ai jamais vu pareil spectacle !

Lena jubilait et répondit aux questions des membres sans aucune difficulté. Elle dut expliquer sonchoix face à sa décision de vouloir me mettre rédactrice en chef. Elle leur énuméra mon curriculumvitae avec brio et vanta mes mérites devant tout le monde. Éric, qui avait finalement remonté les yeuxvers moi, me souriait avec un drôle de regard pendant que l’on faisait mon éloge. C’était bizarre dele voir aussi amical et je finis par détourner les yeux pour les poser sur ma collègue.

— Nous sommes très impressionnés par le travail que vous avez fait, soutint l’homme, mais noussavons qu’il s’agit d’une charge de travail très importante. Mademoiselle Pasquier, cela vous effraie-

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t-il ?— Pas le moins du monde, monsieur. Ce serait à la fois un défi et un honneur pour moi de prendre

la tête de cette revue.— Alors qu’il en soit ainsi, me répondit-il.Je ne fus pas certaine d’avoir bien compris ses paroles et je plissai les yeux :— Je… pardon ?— Vous l’avez, votre revue, dit-il en me souriant. Mais sachez que nos attentes à votre égard

seront très élevées. Et nous avons tous bien hâte de voir ce premier numéro !D’autres applaudissements fusèrent et je crus devenir sourde pendant un moment. Lena passa un

bras derrière mon épaule, me secoua doucement pour que je reprenne mes esprits. Ça y était ?Vraiment ? J’eus du mal à le croire ! Et pourtant, tous les membres du conseil d’administration selevèrent pour venir me féliciter et je les remerciai tous très chaleureusement de la confiance qu’ilsmettaient en ma personne. J’étais dans un moment d’extase dur à décrire, à la fois incapable de resterconcentrée sur toutes les conversations qui se tenaient autour de moi et follement heureuse.

Éric vint à son tour me serrer la main, les joues encore un peu rouges, mais il garda un ton poli,même si son regard pétillait de joie :

— Toutes mes félicitations, mademoiselle Pasquier. Je crois que nous avons pris la bonnedécision.

— Je le crois, en effet…Il se pencha vers moi, baissa le ton :— Juste un conseil : ce texte… gardez-le !— J’y compte bien, promis-je en étouffant mon rire.Son regard sur moi était dévorant et cela me plut, assez pour lui tourner les talons et faire mine de

ne plus m’en soucier. Je ne doutai pas que cela faisait son effet ! Lena m’aida à ramasser nosdocuments, gronda à mes côtés :

— T’as une touche !— Mais non… c’est juste la situation qui est bizarre.— Tu parles ! Il te bouffe des yeux !Je n’arrêtais plus de rire, légère et heureuse. Tout allait si bien et je me sentais la femme la plus

chanceuse du monde ! J’allais bientôt fonder une revue, devenir rédactrice en chef et jamais montravail ne m’avait paru plus excitant ! Dire que c’est moi qui allais constituer mon équipe, déciderdes thèmes, choisir les textes…

Je quittai la salle en remerciant tout le monde et Lena m’accompagna jusqu’à l’ascenseur :— Tu vois que j’avais raison ! Je t’avais dit qu’on l’aurait !— Oui.— Heureusement, parce qu’il y a une bonne bouteille de champagne qui nous attend dans mon

bureau ! Je sais qu’on est en manque de sommeil, ma jolie, mais ça attendra demain. Ce soir : on

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sort !J’accompagnai son rire et j’acceptai sans hésiter. Il faut dire que j’avais très envie de faire la

fête. Je redescendis dans mon bureau, récupérai un peu de calme et m’empressai de téléphoner àSimon pour lui annoncer la bonne nouvelle. Ma voix avait du mal à garder un débit lent tellementj’aurais aimé tout lui dire en vrac. Je passai évidemment mon aventure avec Éric à la salle de bainsous silence, mais cela m’était, de toute façon, complètement sorti de l’esprit !

— Lena et moi, on sort fêter ça !— Je devrais terminer vers minuit, je vous rejoins si ça te dit.— Super ! C’est toi qui ramasseras mes restes : je compte boire un peu plus que permis et avec le

peu de sommeil que j’ai dans le corps…On frappa à ma porte et j’aperçus Éric devant ma porte qui attendait que je lui donne

l’autorisation d’entrer dans mon bureau. D’un signe de la main, je lui fis signe de me rejoindre enreplongeant dans ma discussion avec Simon :

— Faut que j’y aille, tu m’appelles plus tard ?— Sans faute !Je raccrochai et me retournai vers mon visiteur :— Oui ?— Euh… félicitations…— Merci, mais… vous me l’avez déjà dit.— Euh… ouais. C’est que… je voulais aussi… m’excuser…Je l’arrêtai d’un geste nerveux :— Ce n’est rien. La présentation cherchait à créer… ce genre d’impact.— C’était réussi.— J’ai cru remarquer.Encore une fois, j’eus du mal à étouffer mon rire, mais il ne se priva pas pour avoir la même

réaction. Il se mit à se gratter nerveusement derrière la tête et son visage redevint rouge :— Merde ! Je vous jure que j’ai jamais fait un truc pareil, avant !— C’est pas grave, je vous assure ! Mais prenez un cabinet la prochaine fois.Il recommença à rire et je l’accompagnai volontiers. Au lieu de prendre congé, il chercha un lieu

pour positionner ses mains : sur ses hanches, dans ses poches, finit par croiser les bras devant luiavant de demander :

— Un café, ça vous dirait ?— Oh, euh… bien… c’est pas que… je ne veux pas que vous pensiez que…Son visage s’affaissa d’un seul trait et il chercha à regagner la porte de mon bureau en

bafouillant :— Vous n’êtes pas intéressée, c’est pas grave, je comprends ! Je dois avoir l’air d’un… bon

sang, quel imbécile ! Pardonnez-moi !

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— Non ! C’est pas ça ! Éric, attendez, c’est juste que…J’attendis qu’il se tourne de nouveau vers moi et je dis :— Ça n’a rien à voir avec vous. C’est juste qu’il y a quelqu’un dans ma vie.— Hum. Évidemment ! grimaça-t-il en soupirant. Est-ce qu’il sait qu’il a beaucoup de chance ?— Oui.Je ne pus m’empêcher de sourire à sa question et cela ne fit que déformer sa bouche davantage.

Ses épaules s’affaissèrent et il exagéra un autre soupir :— J’aurais dû m’en douter…— Désolée.— Moi aussi. Enfin… j’aurai quand même essayé !Lena arriva et entra sans attendre mon invitation, non sans démontrer un brin de surprise devant la

présence d’Éric dans mon bureau. Elle me demanda, avec un air intrigué :— Bon, alors… tu viens ? Parce que j’ai rassemblé toute l’équipe dans la salle de réunion du

huitième.— Je suis prête !Éric quitta sans demander son reste et Lena me jeta un regard curieux :— Qu’est-ce qu’il voulait ?— Juste un café.— Un café ! C’est ça, ouais ! Il voulait que tu lui files un coup de main pour ce qu’il faisait aux

toilettes !— Lena ! T’es pas croyable ! C’est toi qui m’encourageais à faire la même chose pas plus tard

que la semaine dernière !— Mais dans un cabinet, pas à la vue de tout le monde ! Il faut être idiot, quand même !— C’était probablement une envie pressante !Nos rires fusaient constamment, probablement à cause de la fébrilité qui nous animait depuis que

nous savions que la revue existerait bientôt. Il faut dire qu’Éric se prêtait bien à la plaisanterie et elles’en moqua subtilement pendant une bonne partie de la soirée.

Même si nous étions lundi, tout le monde avait le cœur à la fête : Lena rassembla les journalisteset les graphistes, tous ceux qui avaient participé au projet et nous servit du champagne dans de petitsverres en plastique. C’était excitant de savoir que notre projet allait prendre vie et que, bientôt, cetteéquipe serait la mienne. Tout le monde semblait avoir un million d’idées pour Amoureux et coquinset je n’arrivais plus à les noter tellement j’étais dans un état second.

Dès que les gens rentrèrent chez eux, Lena et moi terminâmes la soirée dans un bar, tout près desbureaux. À discuter et à rêver de ce que deviendrait notre magazine bien plus qu’à boire. Et pourtant,avec le peu de sommeil qui nous animait, je ne doutais pas que nous étions ivres, même si nousavions bu raisonnablement.

— Éric… il est plutôt mignon, me lança-t-elle soudain.

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— Il est pas mal, c’est vrai.— Ton homme, il est mieux que ça ?— Simon est génial.— Et tu lui es fidèle ?Je fronçai les sourcils, un peu agacée par sa question et ma réponse fusa sur un ton un peu rustre :— Évidemment !— Du calme, ma jolie ! Je pose simplement la question ! Remarque, une belle fille comme toi, ça

ne doit pas manquer de prétendants ! Moi, à l’époque, je ne pouvais pas dire non. C’est pas pour rienque j’ai fini par me faire payer… Et le mignon, je ne suis pas sûre que j’aurais pu lui dire non, moi,mais enfin… comme tu vois : mon succès reste plutôt limité.

Je la trouvais dure avec elle-même et je ne m’empêchai pas de le lui dire :— Qu’est-ce que tu racontes ! T’as qu’à défaire ces cheveux et mettre des tenues plus féminines !

Comme ça, on dirait une…— Une quoi ?— Une bibliothécaire, terminai-je avec un petit sourire.Je me souvenais parfaitement de ce qualificatif dont m’avait doté Maître Denis dans son bar. Et à

bien y réfléchir, peut-être que je m’habillais un peu comme Lena, à l’époque : tailleurs, couleurssombres, jupes fades… des tenues trop classiques pour attirer le regard.

— Hum… possible, admit-elle en vérifiant sa tenue. Quand j’ai commencé dans ce milieu,j’avais envie qu’on me respecte…

— Et plus maintenant ? me moquai-je.— Hum… disons que je voudrais qu’on me respecte différemment !Elle défit son chignon et laissa retomber ses cheveux blonds sur ses épaules, se gratta le fond de

la tête, visiblement épuisée par la dernière semaine, avant de chuchoter :— Si c’était moi qui lui étais tombée dessus aux toilettes, je lui aurais filé un petit coup de main,

à Éric !— Oh, mais peut-être qu’il en serait ravi !— C’est à toi qu’il a fait les avances…— Parce que c’est moi qui l’ai trouvé ! repris-je avec entrain. Tu parles ! Si on m’avait trouvée

comme ça, j’aurais été morte de honte !Sa jambe se cogna contre la mienne et elle retrouva un visage plus détendu :— C’est de ta faute, c’est ton texte qui fait ça !— Ouais… c’est vraiment incroyable !Je restai là, un sourire béat aux lèvres en imaginant la force de ce tout petit texte sur les membres

du conseil d’administration, sans parler de Lena qui m’avait avoué s’être masturbée, elle aussi.J’aurais peut-être dû m’en sentir troublée, mais en réalité, avec son caractère très amical, cela mefaisait plutôt plaisir.

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Simon arriva plus tôt que prévu et je le présentai à Lena dont le visage s’éclaira. Mon petit amilui plaisait, je le sentis juste à la façon dont elle le dévorait des yeux. Lui, il restait poli, la remerciaitde l’opportunité qu’elle m’avait offerte en me proposant la direction de la revue, tenait laconversation tout en caressant distraitement ma cuisse. J’avais suffisamment eu de vague de chaleurpour la journée. Ce soir, il me tardait de me retrouver seule avec lui.

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Le lancement

Les semaines qui suivirent furent pires que la première : mon bureau fut déménagé au huitièmeétage et tous ceux qui constituèrent ma nouvelle équipe de travail furent emportés avec moi. Unimmense logo avait été installé à l’entrée, nous avions droit à une réceptionniste, moi à unesecrétaire, des assistants, un comité de lecture… c’était incroyable ! Toute une partie de l’étage nousétait entièrement réservée !

Lena s’occupait désormais de la mise en production de la marque : création du site internet,publicité, communiqués de presse, fondation et organisation de la soirée de lancement. Nous avionsun conseiller pour les documents administratifs que nous nous partagions et je me retrouvai en chargedu premier numéro. Mon bureau débordait de maquettes, d’articles et de textes érotiques. Mescollaborateurs avaient mille et une idées, visiblement stimulés par leur nouveau travail, mais ilrevenait à mon assistante de tout noter et de voir si l’idée pouvait s’insérer dans l’un des thèmes quenous avions soumis et qui avaient été acceptés par le conseil d’administration.

J’étais heureuse de mon nouveau bureau : il était loin des autres et il fallait passer par masecrétaire pour y avoir accès. J’avais une table de réunion et une grande baie vitrée qui donnait sur lecentre-ville. Rien à voir avec mon petit bureau de chez Zap. Il me fallut néanmoins quelques jourspour m’ajuster à mes nouveaux repères. Je formai mon équipe, fis ma première réunion decoordination, déléguai les tâches à mes collaborateurs avec enthousiasme. Lena assistait auxrencontres, mais j’étais devenue le seul maître à bord. C’était une sensation à la fois angoissante etexcitante. Nous avions un numéro déjà bien entamé qu’il nous suffisait de parfaire et nous préparionsdéjà le prochain.

— Le premier numéro d’Amoureux et coquins sera officiellement lancé ce printemps ! annonçai-je à la fin de notre réunion hebdomadaire. J’ai reçu la confirmation du conseil d’administration, hiersoir. Réservez tous la date du 17 mars à votre agenda et trouvez-vous de beaux vêtements. Il paraîtque ce sera grandiose !

Lena poursuivit avec entrain :— Ricor veut faire les choses en grand ! Notre lancement se fera donc à plusieurs endroits : nous

aurons un portail, un appel à textes érotiques, une version électronique du magazine et une couverturemédiatique impressionnante. Ne soyez donc pas surpris de voir notre magnifique première page danstous les médias que vous connaissez : télévision, journaux…

Nous n’arrêtions plus de discourir et nos nouvelles étaient si bonnes que cela encourageaitl’équipe. Et moi donc ! Avec une aussi belle couverture médiatique, nous espérions fracasser leschiffres de vente ! J’espérais que mon produit soit à la hauteur des attentes du public. La premièrerevue que nous étions sur le point de boucler était excellente, mais les gens allaient-ils l’acheter ? Ille fallait ! Si les premiers chiffres de vente n’étaient pas ceux escomptés, je craignais d’êtreremplacée sans hésiter. Et je n’en avais pas la moindre envie !

Le lancement arriva, enfin ! Il avait lieu dans une salle de réception relativement chic, même si

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les serveurs, un joli mélange d’hommes et de femmes, étaient dans de petites tenues. Lena arriva dansune robe magnifique, légèrement indécente, alors que je préférai la jouer classique avec une petiterobe noire. Nous passâmes la majorité de la soirée à accorder des entrevues à tous les médiasprésents : nous vantions la revue, répétions que c’était un tout nouveau genre dans le marché actuel etque tous les couples devaient se la procurer. Quand, enfin, les journalistes en eurent fini avec moi, jeme ruai sur la première coupe de champagne que j’aperçus et dus me faire violence pour ne pasl’avaler d’un trait tellement ma gorge était sèche.

Je déambulais de groupe en groupe, saluant mes collègues au passage, rencontrant leur conjoint,discutant avec des auteurs ou des journalistes. Tout le monde me promettait un grand succès avec cemagazine et je priais pour qu’ils aient raison !

Au bout d’un moment, je tombai sur Éric qui fit un pas de côté pour m’accueillir en dehors deceux avec qui il discutait :

— Super soirée.— C’est vrai. Encore un coup de maître de Lena.Il tendit son verre devant moi et je trinquai avec lui. Ses yeux glissèrent sur ma robe, puis tout

autour de moi :— Où est l’heureux élu ?— L’heureux élu ? Ah ! Euh… il va arriver un peu plus tard. De toute façon, je ne peux pas

vraiment m’occuper de lui pour l’instant.— Il n’a pas l’air d’un type jaloux, je me trompe ?— Pourquoi le serait-il ?— Bien… une femme comme vous dans une soirée où l’érotisme est mis à l’honneur… et tous ces

hommes qui vous observent…Je ris en secouant la tête, répétai les paroles de Lena :— Personne ne m’observe. Vous vous faites des idées ! On me remarque parce que je suis la

rédactrice en chef, mais dans une semaine, plus personne ne se souviendra de moi !— Vous croyez qu’un homme peut oublier une aussi jolie femme ? C’est que vous êtes bien naïve,

mademoiselle…Il fit mine de me gronder, mais son rire filtrait au travers de sa voix, puis il se rapprocha de moi

et parla plus doucement :— D’ailleurs, l’homme tout près de la fenêtre, au fond de la pièce, je crois bien qu’il ne vous a

pas quitté des yeux de toute la soirée…Je tournai subtilement la tête pour vérifier s’il me faisait une blague et je faillis relâcher ma

coupe lorsque je tombai dans un regard que je connaissais bien.John Berger.Ma première réaction fut ridicule : je détournai la tête vers Éric pour reprendre mes esprits.

J’étais légèrement paniquée à l’idée de le savoir ici. Que faisait-il à mon lancement ? Qui l’avaitinvité ? Puis je crus que j’avais rêvé, alors je tournai de nouveau la tête dans sa direction. Ma gorge

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se noua. Il était vraiment là, ici, dans cette salle, à quelques mètres de moi.— Anna ? me demanda Éric.— Ça va, c’est juste… disons… un vieil ami.— Encore un à qui vous avez volé le cœur, je présume.J’eus un rire amer devant ce qu’il essayait de lancer à la blague, puis je secouai la tête en pinçant

les lèvres avant de chuchoter :— Je ne pense pas, non, mais vous être bien gentil de le croire.Mes réflexions allèrent dans tous les sens : John m’avait vue, il savait que j’étais là et que je

l’avais remarqué, moi aussi. Il me fixait probablement toujours. Il fallait donc que je prenne unedécision et vite. Peut-être aurais-je dû marcher dans la direction inverse, demander à la sécurité cequ’il faisait là ou le faire raccompagner à la sortie, mais je décidai qu’il valait mieux affronter lasituation de plein chef, surtout avant que Simon n’arrive à la fête !

Dès qu’il comprit que je me dirigeais vers lui, John m’accueillit poliment en se penchantgalamment vers l’avant :

— Mademoiselle la rédactrice en chef, bonsoir !Je le détaillai du regard, cet homme que j’avais aimé à la folie et qui se tenait là, dans cette

pièce, devant moi. Je forçai un sourire sur mes lèvres :— Bonsoir John, comment allez-vous ?J’avoue avoir hésité avant de poser ma question en le vouvoyant. La dernière fois, j’avais

délibérément insisté pour le tutoyer, juste pour lui prouver que je n’étais plus sa chose et que jen’avais plus le moindre respect pour lui. Était-ce encore le cas, ce soir ? Étrangement… non. Pourl’une des rares fois, tout allait bien dans ma vie et je n’avais aucune envie d’ouvrir les hostilités avecun homme qui appartenait à mon passé. Je me sentais même plutôt en confiance. N’étais-je pas larédactrice en chef d’une revue géniale ?

Après m’avoir détaillé du regard, il finit par tendre une main amicale vers moi :— Je suis content de te revoir, Annabelle.Je ne répondis pas, mais je fus surprise par son tutoiement. J’acceptai poliment sa main. Il garda

mes doigts prisonniers des siens pendant un moment considérable avant de les relâcher, mais je restaicalme. J’en étais la première surprise, d’ailleurs.

— Tu es toujours aussi magnifique, à ce que je vois.— C’est gentil, merci.C’était étrange de l’entendre me servir des formules de politesse, alors que, dans mon souvenir, il

détestait cela. Il me fixait sans bouger, comme s’il était incapable de me quitter des yeux et moi, jen’arrivais pas à trouver le moindre sujet de conversation à l’exception d’un seul, celui pour lequelj’avais traversé la salle entière :

— Qu’est-ce que tu fais là ?— Quoiqu’on en dise, le sexe est un petit marché et je suis toujours intéressé lorsque des gens

talentueux se mettent au service d’une cause qui me tient à cœur.

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Il récupéra une copie de ma revue sur une table basse et la fit danser devant moi :— Je vois qu’on a fait du chemin. Toutes mes félicitations.— Merci, John.— Je suis content. Tu l’as amplement mérité, ce poste.Je le remerciai une seconde fois, sans comprendre pourquoi notre discussion tournait en rond

autour de vagues formules de politesse. Après ce que nous avions vécu, nous n’avions rien d’autres ànous dire ? Je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à une attaque de sa part, une riposte ou desmoqueries, mais il semblait vraisemblablement heureux pour moi, voire même détaché de lasituation. Je tournai la tête pour m’accrocher à un regard qui me serait familier, prête à retourner àl’assaut de la salle, mais il le remarqua et se rapprocha aussitôt de moi pour reprendre mon attention.Sa voix baissa en volume :

— Je suis un peu étonné de te trouver seule. Enfin… à part pour l’homme qui te courtisait, prèsde la fontaine.

— Oh, ça c’est Éric, mais ne t’inquiète pas : si tu attends encore un peu, tu reverras Simon. Je luiai demandé d’arriver un peu plus tard.

Le pas qu’il avait fait pour se rapprocher de moi fut repris et son visage perdit légèrementcontenance, se teinta de surprise :

— Oh. Tu es donc toujours avec lui ?— Bien sûr. Et nous habitons ensemble depuis Noël dernier.Il ne dit rien, mais je perçus son malaise devant cette information, même s’il essaya de le

masquer. Cela m’étonna de lire aussi facilement en lui.— Bien… je vois que tout va bien pour toi, reprit-il en feignant un sourire.— Comme tu vois.C’était devenu légèrement inconfortable entre nous, peut-être parce que j’avais senti son malaise

et que nous n’avions soudain plus rien à nous dire. Peut-être avais-je la sensation de lui avoir exposémon bonheur sans aucune considération pour sa personne ? Je tentai d’alléger l’atmosphère en jetantun regard rapide sur le groupe qui l’accompagnait :

— Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ? As-tu apporté Laure ?— Non. Elle est avec Maître Paul, maintenant.Je ne masquai pas ma surprise, mais je me contentai de répondre une sorte de « Oh » que

j’espérais vague. Je chassai les images de l’homme en question et de la soirée que j’avais passéeseule en sa compagnie : ligotée, fouettée et prise par tous les orifices. Comment John avait-il pulaisser Laure en de telles mains ?

— Ne t’inquiète pas, m’assura-t-il, elle va bien. C’était son choix de poursuivre avec lui.Son choix ? Comment pouvait-on passer d’un Maître comme John à un homme rustre et vulgaire

comme Maître Paul ? Pour ma part, cela me paraissait inconcevable !— Je ne pouvais plus lui apporter ce qu’elle attendait de moi, ajouta-t-il avec une voix lourde.

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Je laissai dériver mon regard dans le fond de mon verre sans poser la moindre question. J’étaisdéjà suffisamment surprise par ses propos et j’avais bien du mal à le masquer. Autant changer desujet et vite.

— Et l’écriture ? Tu en es à combien de tomes ?Il eut un petit sourire en coin que je connaissais bien et un rire franchit ses lèvres :— Je suis d’ores et déjà persuadé que tu sais pertinemment que je n’ai plus rien publié après…

notre histoire.— Laisse-moi deviner : tu n’as eu que de mauvaises éditrices ? ironisai-je. Pas assez jolies ? Pas

assez naïves ?Il secoua la tête et son rire s’éteignit :— Je vois que tu as toujours une mauvaise opinion de moi et tu m’en vois désolé. Eh bien, non,

Annabelle, ça n’a rien à voir avec l’éditrice. Disons simplement que… je ne suis plus tout à fait enfonction.

J’aurais aimé que mon visage ne soit pas si transparent, mais cette nouvelle me surprit plus que jene saurais le dire. Je le fixai avec un mélange de curiosité et de crainte. Avais-je bien entendu ? Je nepouvais le croire. J’avais forcément mal interprété ses paroles ! Je pris plusieurs secondes avant dedemander :

— Attends, quand tu dis que tu n’es plus en fonction… ?— Je ne suis plus Maître, tu as bien entendu. Enfin… techniquement, je le suis toujours. On ne

perd pas un statut, on ne fait que le mettre de côté. Reste à savoir si je le reprendrai ou non. Oh, maisne t’inquiète pas pour moi : il m’arrive toujours d’aller à des soirées. C’est seulement que je n’aiplus, à proprement parlé, de soumise dont j’assure la formation.

— Oh.Ce fut le seul mot que je parvins à prononcer et il en parut satisfait, car son sourire se confirma.

Était-ce là son but ? De me surprendre ? D’attiser ma curiosité ? Je retins mes questions qui auraientpu se résumer à une seule : pourquoi ? Même si nous nous étions quittés en mauvais termes, jamais jen’aurais pu croire que John puisse renoncer à son statut de Maître. Et pourtant, ne l’avait-il pasproposé pour être avec moi ?

C’est à ce moment précis que Lena se faufila à ma droite et se pencha très impoliment vers Johnpour lui tendre la main :

— Bonsoir. Je suis Lena Blouin, l’instigatrice de ce projet.Il détourna les yeux vers elle et je compris qu’il était agacé par son intrusion, mais il accepta

néanmoins ses doigts et se présenta à son tour :— John Berger, auteur.Le visage de Lena s’illumina : elle tourna les yeux vers moi, les reposa sur lui avant de

reprendre, une voix emplie d’excitation :— John Berger ! Wow ! Je suis ravie de vous rencontrer. J’ai lu tous vos livres. On peut même

dire que c’est grâce à vous si Annabelle a décroché ce poste…

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Elle raconta comment elle avait fait la sélection de ma personne pour élaborer le projet de larevue, puis me lança un regard en coin auquel je ne répondis pas. Devant son histoire, l’agacement deJohn disparut et il se détendit, affichant un sourire plus franc :

— Si j’ai pu aider Annabelle d’une quelconque façon, vous m’en voyez très heureux. Je suis déjàpersuadé que vous ne regretterez pas votre choix. C’est une personne extrêmement… dévouée à sontravail.

Dans sa bouche à lui, ce mot sonnait terriblement pervers et je n’eus aucun doute sur ce à quoi ilfaisait allusion. Je terminai mon verre, fixai autre part, déterminée à couper court le plus rapidementpossible à cette conversation, puis la voix de Lena reprit mon attention :

— Avec un peu de chance, elle saura peut-être vous convaincre d’écrire un texte pour notrerevue, qu’est-ce que vous en pensez ?

Je me tournai franchement vers Lena, lui jetai un regard noir :— Je t’ai dit que John ne faisait pas ce genre de littérature !— Qu’est-ce que ça coûte de demander ?Elle posa la question en vérifiant du côté de John qui ne me quittait plus des yeux, visiblement

heureux de ma réaction.— Monsieur Berger, je sais que ce n’est pas dans votre créneau habituel, mais… peut-être

que… ?— Il faut d’abord que j’y réfléchisse.Je ne pus m’empêcher de lâcher, sur un air surpris :— Quoi ? Toi ? Tu vas écrire de la littérature vanille ?— Tous mes textes ne font pas dans l’extrême, Annabelle. Toi mieux que quiconque devrais

savoir cela !Je le fixai avec un drôle de regard. Peut-être que certains textes étaient plus doux que d’autres,

mais en aucun cas ils ne pouvaient se prêter à la revue. N’en avais-je pas fait un parcours rapideavant d’écrire celui dont j’avais besoin par moi-même ?

— Enfin… tu es rédactrice en chef, reprend-il très vite. À toi de voir si tu as envie de retravailleravec moi.

Je serrai plus fermement ma coupe de champagne avant qu’elle ne me glisse des mains. Lena meregardait et je crois qu’elle espérait que j’accepte. Comment pouvait-elle me demander cela ?Travailler avec John ? C’était hors de question et je savais déjà que je m’y refuserais obstinément.Contre toute attente, elle prit le relais :

— Monsieur Berger, vous savez… Annabelle a une équipe, maintenant. En tant que rédactrice enchef, elle aura bien d’autres choses à faire. C’est Joanna, son assistante, qui s’occupera de ce volet.

— Oh. Bien. Je comprends.Même s’il répondit en hochant la tête, je savais pertinemment, juste à la façon dont il posa son

regard sur moi, qu’il n’avait point changé d’avis sur sa proposition initiale. Si je voulais des textesde sa main, il allait forcément exiger de travailler avec moi. Soutenant son regard, je le confrontai en

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feignant un défi amical :— Tu peux toujours proposer quelque chose. On verra bien si ça passe le comité de lecture.— Tu m’en crois donc incapable ? rigola-t-il.— Écrire sur le sexe est une chose, John, mais n’oublie pas que cette revue s’adresse avant tout à

des couples. Il faut que ça reste léger, subtil…— Puisque tu me mets au défi, je me vois dans l’obligation de tenir le pari, annonça-t-il soudain.Même si je tentai de rester calme, quelque chose bouillait au fond de moi : comment osait-il

essayer de s’infiltrer dans ma vie de la sorte ? Je lui lançai un regard noir et me tournai vers Lenadont j’espérais le soutien, mais elle frappa des mains :

— J’adore ce genre de réactions !Elle se proposa pour être juge et John, bien évidemment, accepta. Je récupérai un autre verre,

entrepris de le boire en jetant mon regard autre part pour essayer de ne plus participer à ladiscussion. J’aurais bien aimé croiser le regard d’Éric, quelque part, pour avoir une bonne raison defiler en douce, mais la providence m’aida sans qu’il ne vienne à mon aide. Jessie vint m’annoncerque l’on m’attendait pour une énième interview, en direct, cette fois. Je remerciai le ciel et m’excusaifaussement auprès des autres avant de filer en douce, soupirant de soulagement.

Maintenant que j’étais libre de ma personne, je comptais bien éviter John pour le reste de lasoirée.

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L’inconscient

Lena avait pris soin de faire animer la soirée par un couple d’acteurs, le même qui était venu liremon texte devant le conseil d’administration. Par intermittence, ils se donnaient la réplique sur unepetite scène afin d’égayer la soirée et ce sont eux qui, vers dix heures, se mirent à refaire la lecturede mon récit, publié sous le pseudonyme d’Hélène, tout simplement. Je l’avais choisi un peu parhasard, parce qu’il sonnait doux et différent de mon propre prénom. Pendant que les voix résonnaientdans la salle, je me promenais en scrutant les réactions de ceux et de celles qui prenaient la peined’écouter la lecture. Certains éprouvaient de la gêne, d’autres de l’amusement. Peut-être était-il plussimple de ne pas afficher son trouble en foule que dans une petite pièce, comme cela avait été le casavec le conseil d’administration ? Quoi qu’il en soit, je ne retrouvais pas, ici, la même ambiance et jetrouvais cela dommage.

Je m’installai derrière et j’observai la fin du texte, croisai certains visages moqueurs qui medéplurent, mais je masquai ma déception. John vint me rejoindre, la revue repliée sur elle-même à lapage du texte en question. Il affichait un regard lumineux :

— Voilà un fort joli texte, mademoiselle.J’aurais aimé le rembarrer, mais j’étais plutôt contente de recevoir un compliment de sa part,

surtout d’ordre littéraire.— Merci beaucoup.— Je ne te connaissais pas ce talent…Il s’adossa à mes côtés, contre le mur, pendant que je me défendis, un peu choquée par sa

réplique :— J’ai toujours su choisir de bons textes !— Les choisir est une chose, Annabelle, mais les écrire…Je crois que je blêmis ou, à tout le moins, je sentis mon visage se défaire sous ses yeux, ce qui ne

fit que fortifier sa joie et, je n’en doute pas, confirmer ses doutes. Il me scrutait avec amusement etfinit par avoir ce petit rire ravi qui me plaisait tant, autrefois :

— Annabelle, je te connais bien mieux que tu ne le penses. Ces tournures de phrases, cette façond’observer… je retrouve dans ce texte exactement ce qui te plaisait dans les miens. N’empêche, jesuis quand même très impressionné par ton talent.

Je ne dis rien. Je n’osai ni confirmer ni infirmer ses soupçons, mais je cherchai Lena du regardavant de siffler, persuadée qu’elle était à l’origine de la fuite :

— Elle te l’a dit, c’est ça ?— Parce que tu me crois incapable de te reconnaître au travers de ces lignes ? Allons Annabelle !

Nous avons travaillé une bonne quarantaine de textes ensemble ! J’ai vu ta façon de corriger,d’annoter, de m’écrire aussi ! Simon lui-même a probablement su que c’était toi…

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Je détournai la tête en fronçant les sourcils et il en profita aussitôt :— Hum… Dire que je croyais qu’il te connaissait bien mieux que moi ! N’est-ce que pas ce que

tu m’as dit, la dernière fois ?Je le fusillai du regard :— Arrête de frimer ! Tu le savais. Personne ne peut savoir que je suis l’auteure de ce texte juste

en le lisant. C’est ridicule !— Au contraire : tu as laissé des traces de ce que tu es partout, Annabelle !Il remonta la revue devant nous et la parcourut du regard avant de jeter ses arguments en vrac :— Jeune fille en couple, aime regarder. Déjà, ça, c’est tout toi ! J’avais d’ailleurs une vague

impression de déjà-vu. Tu te souviens de notre première soirée au bar de Maître Denis ? Voir, celat’excite. Et tout, dans ce texte, ne parle que de ça. Les personnages sont trop sages pour allerrejoindre le couple voisin, ils préfèrent rester dans leur zone de confort, se caresser en cachette sousune nappe. Je ne te ferai pas une analyse freudienne de ton texte, mais tu te doutes probablement de cequ’il révèle de ta personnalité, n’est-ce pas ?

— Tu es fou !— Pas fou : minutieux, attentif, intéressé. Peut-être préfères-tu ne pas voir ce qui se cache, là,

entre ces lignes, mais moi, je l’ai tout de suite remarqué.Son doigt tapota le nom de l’auteure :— Hélène. Autant inscrire Hélène de Troie ! Désirez-vous que l’on vous sauve, mademoiselle ?— Tu délires, ma parole ! Je n’ai jamais songé à un truc pareil !— Comme si tu en avais besoin ! Ton inconscient le fait à ta place.Son sourire se confirma et il parut soudain rajeunir, puisant probablement sa force sous mon

regard de plus en plus trouble :— Tu peux dire ce que tu veux, Annabelle, mais je te connais. Et ton texte vient, encore une fois,

de me le confirmer.Je secouai la tête, un peu vite, et ma voix s’emballa :— Ce n’est qu’un texte !— Et un excellent texte, qui plus est. À première vue, je dirais que c’est un premier jet, plus ou

moins travaillé, ce qui prouve à coup sûr le talent dont tu es dotée. J’aurais peut-être revu le style,mais l’essentiel y est, c’est-à-dire : l’émotion, l’excitation, le trouble… Il te vaudra sans doute defort jolies lettres d’admirateurs, probablement tous en proie à vouloir sauver la belle Hélène.

Je ne savais pas comment réagir face à ce mélange de compliments et de conseils qu’il meprodiguait. J’étais surtout agacée par ce côté imbu de lui-même, cette certitude face à ma personnealors que notre dernière rencontre remontait à plus d’une année. Comment pouvait-il être aussi sûr dece qu’il percevait de moi à travers si peu de lignes ? J’étais on ne peut plus certaine que Lena avaitvendu la mèche. Hormis Simon et elle, personne d’autre ne savait que j’en étais l’auteure et bien queJohn ait bien des talents, me connaître n’en faisait définitivement pas partie. Pas dans ce sens-là, entous les cas !

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Les applaudissements vinrent clôturer la fin de la lecture et je profitai de tout ce bruit pour jetermon regard parmi la foule. J’espérais fuir celui, intrusif, de John Berger. En balayant la salle, jecroisai les yeux d’Éric qui m’observa, lui aussi. Il leva sa coupe vers moi avec un sourire timide,probablement pour me rappeler l’effet de mon texte et notre étrange rencontre dans les toilettesprivées.

— On dirait que vous avez un admirateur, mademoiselle, chuchota John en se penchant vers moi.Sa façon de passer du tutoiement au vouvoiement me dérangea, comme s’il tentait de vérifier ma

réaction à chacune de ses phrases. Je repris contenance et tournai de nouveau la tête vers lui :— Sachez, monsieur, que je suis une jeune femme comblée et fidèle.Ma réponse lui plut et il remonta la revue vers moi :— Mais la tentation est là, n’est-ce pas ? Juste à la table voisine. Et elle vous excite, mais… Oh !

Vite ! Cachons tout cela sous la nappe !Il avait un ton moqueur très désagréable et je fronçai de nouveau les sourcils, Bon sang ! Que

m’importait son avis, au fond ? Je repris mon souffle et retrouvai mon calme. Il bluffait. Cette fois,j’en étais certaine et mon sourire se confirma :

— John, tu ne me connais vraiment pas…— Je viens pourtant de te prouver l’inverse à l’instant !— Tu as tenté ta chance et tu as vu juste, c’est tout. Pour le reste, tu fabules complètement ! Simon

me rend heureuse et je n’ai aucune envie de changer quoi que ce soit à la vie que je mène.— Ce qui compte, c’est que tu y croies, après tout.Il eut un petit rire et un haussement d’épaules, puis son visage redevint sérieux et ses yeux se

reposèrent sur moi, plissés, inquisiteurs, empreints de satisfaction :— Tu sais, quand j’y pense, je commence à croire que je te connais mieux que toi-même… — Bien sûr ! C’est pour cela que tu m’as laissée te filer entre les doigts !Mes paroles fusèrent sèchement, assez pour qu’elles agissent telle une gifle sur son visage qui,

d’ailleurs, se contracta. Il détourna les yeux et j’en profitai pour tenter de filer en douce, mais sesmots me suivirent dans ma fuite :

— Je n’ai jamais dit que je n’avais pas fait d’erreurs.Mes pieds se bloquèrent et je fis volte-face vers lui, perdis le peu de calme face à la certitude

que je perçus au fond de sa voix :— Tu as fait des erreurs ? Toi ? Le grand John Berger ?— Qui n’en fait pas ? Je ne suis qu’un homme, Annabelle. Je suis soumis aux erreurs, tout comme

toi. Cela fait partie du processus…Je le fis taire d’un geste brusque de la main et grondai sans attendre :— Je te défends de me comparer à un processus !— Je ne te compare à rien du tout ! Je dis simplement que je suis conscient d’avoir fait des

erreurs, voilà tout.

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Mes bras se croisèrent et je pris appui sur une jambe avant de le défier du regard :— Vas-y, John, surprends-moi : parle-moi de tes erreurs !Son corps se contracta, sa mâchoire aussi. J’aurais dû simplement profiter que j’étais en position

dominante pour m’éloigner de lui, mais le voir ainsi, complètement démuni et sans mot, me plaisait,alors j’attendis. Longtemps. Il finit par laisser tomber ses épaules et sa voix reprit, basse :

— Je sais que j’en ai commis quelques-unes…Je fis une sorte de « Humph », mais j’avais plutôt envie de siffler que c’était un euphémisme !

Comment pouvait-il croire l’inverse ? Devant ma réaction, John croisa les bras à son tour et posa unregard triste sur moi :

— Si cela peut te rassurer, j’ai été convenablement puni.— Laisse-moi deviner : cent coups de fouet ?Il eut un rire triste :— Cela aurait-il suffit ?— Probablement pas, non.— Il est toujours temps d’exiger réparation, si tu le souhaites.Je le fixai sans comprendre, incertaine du sens que je devais donner à ses paroles. Me faisait-il

une offre ? Comme s’il percevait mon questionnement muet, il insista :— Tu n’as qu’à demander. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Le fouet, la cravache ? Tu peux choisir

qu’un autre m’administre une punition, quoique je préférerais largement qu’elle provienne de ta main.— Ha ha, très drôle, dis-je avec une voix qui dénotait l’inverse.— Peut-être est-ce le seul moyen d’éliminer toute cette colère qu’il y a en toi ?Je reculai d’un pas, un peu sous le choc de sa proposition et légèrement troublée par ses paroles.

Sans attendre, je repoussai le sujet en cours :— Tu te trompes, John : je ne suis plus en colère contre toi. Au contraire, je devrais te

remercier ! C’est toi qui m’as fait rencontrer Simon et si je n’avais pas été ton éditrice, jamais Lenan’aurait songé à moi pour prendre la tête de cette revue…

Il tourna la tête et étouffa un petit rire :— Quoi ? Tu vas me remercier, maintenant ?— N’exagérons rien ! Mais je suis honnête et les faits sont là pour le prouver : Simon me rend

heureuse et mon travail est très stimulant, tu ne peux pas dire l’inverse !— Si tu le dis.— Je le dis.— Bien. Si cela te rend heureuse, alors tu m’en vois ravi.— Bien. Maintenant que nous sommes d’accord sur quelque chose, on en reste là, tu veux ? C’est

gentil d’être venu, John. Bonne soirée.Je tournai les talons pour m’éloigner, fonçai tête première dans un corps qui se révéla être celui

de Simon. Son regard parut troublé et je me doutais fort bien pourquoi ! D’un simple regard, je

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plissai les yeux, espérant qu’il comprenne que je cherchais à m’éloigner de John, mais il força unsourire sur sa bouche et le baiser qu’il posa sur mes lèvres se prolongea, m’aida à retrouver moncalme. Dès que nos lèvres s’éloignèrent, la voix de John résonna derrière moi :

— Bonsoir Simon, je suis content de te revoir.Je suivis les yeux de Simon qui cherchaient ceux de John et il hocha la tête en guise de

salutations. Je me tournai pour assister à un échange de poignée de mains que je sentis forcée, puis leregard de John nous balaya tous les deux et au lieu de chercher à nous provoquer, des complimentsfusèrent :

— C’est vrai que vous faites un très joli couple tous les deux.— Merci, dis-je en retrouvant un faible sourire.— Ne me remercie pas. Il n’y a rien de gentil dans mes paroles, mais ce n’en est pas moins la

vérité, admit John avec un visage plus dur.D’un signe de tête il nous salua et tourna les talons avant de disparaître parmi la foule. Les doigts

de Simon sur ma taille me tenaient avec force, comme s’il craignait que je le suive dans sa fuite, maisje n’en avais pas l’intention. Il chuchota près de mon oreille, sur un ton inquiet :

— Qu’est-ce qu’il fait là ?— Je n’en ai pas la moindre idée. Quelqu’un a dû l’inviter.— Qu’est-ce qu’il te voulait ?— Je ne sais pas.Il me tourna face à lui pour me scruter, comme s’il ne craignait que je lui mente :— Je te jure que je ne sais pas ! me défendis-je aussitôt.Je lui racontai l’essentiel de notre conversation : le fait que Laure était avec Maître Paul, qu’il

m’avait avoué ne plus avoir de soumise et même sa façon de me demander si je voulais le punir parle biais du fouet, comme si rien de tout cela n’avait de sens dans mon esprit. Au fond, nous n’avionsfait que discuter, comme de vieux amis…

— Peut-être qu’il essaie de se rapprocher de toi ?— Mais non ! tentai-je de le rassurer. John est auteur, je publie de la littérature érotique, il me

paraît plutôt normal qu’il soit invité à ce genre de soirées. D’ailleurs, je crois bien avoir aperçuquelques têtes des Quatre Vents par là-bas. C’est un petit milieu, c’est tout.

Il fronça les sourcils, me fixa avec un air intrigué :— Qu’est-ce que ça t’a fait de le revoir ?— Je ne sais pas. C’était bizarre.Ma réponse le dérouta et je ris pour apaiser son trouble :— Simon, je suis heureuse avec toi ! Qu’est-ce que tu crois ? Que j’ai envie de retourner dans ce

monde-là ? Je ne suis pas prête d’oublier ce que j’étais quand tu m’as trouvée ! Je suis comblée, tu nele vois pas ? J’ai une vie géniale, un job génial, un amoureux génial…

Il soupira en me ramenant contre lui et je sentis son corps se détendre peu à peu sous mes doigts.

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Notre étreinte s’éternisa, comme s’il craignait de me relâcher.— J’aurais préféré que tu ne le revoies plus…— C’est qu’un ex, c’est tout.— Non. Steven était ton ex, John était ton Maître.Dans son esprit, je ne doutais pas que cette classification était différente. Dans le mien aussi,

probablement, mais il y avait fort longtemps que je n’avais eu à la faire.— Il ne l’est plus, dis-je simplement.Un second soupir traversa ses lèvres, plus lourd que le premier, puis son regard parcourut la

salle avant de revenir se poser sur moi. Il hocha la tête d’un coup sec :— D’accord. Il va bien falloir que je m’y fasse après tout. Si j’étais à sa place, moi aussi j’aurais

fait l’impossible pour te retrouver.— Simon ! John ne m’a pas retrouvé : il savait que je travaillais chez Zap ! Il est seulement là

parce que l’érotisme est un petit monde dans le milieu de l’édition, c’est tout.Je me serrai contre lui et l’obligeai à m’embrasser, caressai son habit gris, presque noir, qui

mettait sa chevelure en évidence :— Tu sais que t’es beau comme ça ? Je ne pensais pas que tu serais aussi chic.— Je suis quand même le conjoint de la rédactrice en chef, se vanta-t-il.— Qu’est-ce qu’elle a de la chance, celle-là : un super job et un petit ami très craquant.Il eut un sourire plus franc et son souffle s’allégea :— C’est ta façon de dire que tu es contente que je sois là ?— Parce que tu en doutes ?Je me serrai contre lui, chuchotai dans le creux de son oreille :— Allons d’abord faire le tour de la salle, après, je te montrerai à quel point je suis contente que

tu sois là…

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Le départ

Ce fut long avant que nous ne puissions faire le tour de la salle. Les gens se plaisaient àrencontrer Simon : « Enfin ! Voilà donc l’heureux élu ! ». On le questionnait sur son travail, lui disaità quel point j’étais une collègue ou une patronne stimulante. Chaque fois, la poigne de mon amoureuxse raffermissait sur ma taille et son sourire ne masquait pas sa fierté de recueillir tous cescompliments.

— Ne vous inquiétez pas, certifia-t-il, je connais ma chance. D’ailleurs, si cela ne vous embêtepas, j’aimerais bien raccompagner cette jolie demoiselle à la maison…

Des rires emplis de sous-entendus lui répondirent, mais Simon se contenta de reprendre ma maindans la sienne et me tira en direction de la sortie. Je le sentais pressé de partir et vu les regards defeu qu’il posait sur moi, je savais pertinemment pourquoi. Pourtant, avant même que nous atteignîmesle vestiaire, Simon s’arrêta devant la salle de bain et m’y entraîna avec lui.

— Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je, légèrement paniquée de le voir entrer dans une toiletteréservée aux femmes.

— J’ai envie de toi. Maintenant.Sans attendre, il ferma la porte derrière moi, la verrouilla et m’y plaqua avec douceur. Une

étreinte et un baiser plus tard, je sentis sa main me caresser lourdement à travers ma robe, puis sefrayer un passage entre mes cuisses. Je sursautai devant l’assaut qu’il cherchait à commettre :

— Simon !— Chut…Sa bouche se mit à dériver dans mon cou, mais ses doigts, eux, connaissaient le chemin pour

étouffer la moindre de mes protestations. Écartant ma culotte, il se mit à palper mon sexe, écrasa monclitoris jusqu’à ce que je cesse d’essayer de le repousser. Enfin, il me pénétra de deux doigts,observa ma gêne, même si mes cuisses, elles, s’ouvraient davantage à chacun de ses passages.

— Sais-tu combien d’hommes te dévoraient des yeux, ce soir ?— Oh… Simon…J’eus envie de gémir et je fermai les yeux pour essayer de contenir mon excitation, mais à la

vitesse où il me prenait, j’allais bientôt perdre la lutte. Il se plaisait à faire rugir un plaisir que jetentais de comprimer et son rire résonnait doucement contre mon oreille. Impatient, son bassin sefrottait contre ma cuisse, mais à peine trois minutes plus tard qu’il n’y tint plus et libéra mon sexepour s’affairer à défaire sa braguette.

— Viens par là.Par son geste, je compris qu’il me demandait de m’agenouiller et qu’il souhaitait une fellation. Le

bruit extérieur à la pièce me parvint et je sentis mon ventre se tordre dans tous les sens :— Simon, tu te rends compte ? Il y a mes patrons de l’autre côté ! Et mes employés aussi !

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Sa verge se tendait vers moi et il la caressait sans aucune gêne en me dévorant des yeux. Sondésir me foudroyait et pourtant, je restai là, pétrifiée devant cette masturbation improvisée qu’ilm’offrait.

— Ça t’excite de me voir comme ça ? chuchota-t-il.— Oui, dus-je admettre.— Et si tu me donnais un coup de main ? Ça irait plus vite…Sa demande me sortit de ma torpeur et je me mis à genoux devant lui, récupérai son sexe entre

mes lèvres et le laissai me dicter le rythme à suivre. Ses mains sur ma tête me tiraient contre lui, puisson souffle se fit de plus en plus bruyant. L’écho de la pièce l’amplifiait et je m’affairais àcomprimer sa verge sous ma langue, espérant que son éjaculation se fasse rapide, mais il reculaprestement avant que l’inévitable se produise :

— Pas tout de suite. J’en veux plus, dit-il, la voix trouble.Ses mots m’effrayèrent. Le temps filait et je me doutais qu’on finirait par venir frapper à la porte,

qu’on nous verrait sortir, lui et moi. Simon me fit signe de me relever, me ramena contre la porte,remonta ma jambe contre lui, poussa ma culotte pour me pénétrer sans prendre le temps de medévêtir.

— On pourrait… nous voir…Mes craintes furent écrasées par son corps et je fus soulevée, sa main sous ma croupe,

complètement prise sous son joug. Mon ventre était déjà à sa merci et le bruit de mon sexe détrempéchantait la fusion de nos chairs. Ses passages me cognaient bruyamment vers l’arrière, mais soudain,c’était le dernier de mes soucis. Sa bouche écrasa le gémissement que j’eus du mal à retenir, puis sonsourire apparut devant moi :

— Tu disais ?— Oh… ne t’arrête pas…— Te voilà bien docile tout d’un coup…Il se moquait de moi, mais j’étais si proche de perdre la tête que je ne me voyais plus quitter cette

pièce dans cet état d’urgence. Tout ce stress de la soirée s’évaporait et je dus admettre que de sentirla foule derrière cette porte m’excitait terriblement. J’étouffais mes cris sous sa bouche, mais jen’étais pas la seule à avoir du mal à contenir mon éclat de voix : Simon retenait son souffle, puismordillait mon décolleté dans des gémissements langoureux. Mes ongles s’accrochèrent à sa chemiseet je ne pus m’empêcher de relever la tête pour retrouver un peu d’air frais. Même si je tentai de lecomprimer, mon cri fusa dans la pièce qui lui répondit de son écho. La bouche de Simon s’écrasa surla mienne pendant que l’orgasme me terrassait, à la fois délicieux et violent. Lui, il poursuivit saroute de longues minutes, essoufflé à me tenir ainsi contre la porte, puis tout cessa dans un râleagréable et, enfin, le silence revint dans la pièce. Retrouvant mes esprits, je laissai filtrer un rire :

— Ça n’avait rien de discret.— Mais c’était quand même agréable…— Oui, admis-je avec un large sourire.

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Il m’embrassa doucement, puis son corps me libéra et il profita des installations pour nettoyer sonsexe devant moi. Je m’empressai de replacer mes vêtements et mes cheveux pendant qu’il refermaitson pantalon, puis il pointa la porte du regard :

— Toi d’abord. Après tout, nous sommes dans les toilettes des femmes.Mon estomac se noua lorsque je déverrouillai la porte. J’attendis quelques secondes avant de lui

faire signe que la voie était libre. Simon me suivit hors de la pièce et récupéra ma main en riant :— Tu vois ? Personne n’a rien remarqué. On aurait pu prendre notre temps…— On prendra tout le temps que tu veux à l’appartement, promis-je.Mes joues étaient en feu et j’eus la sensation que tous les regards s’attardaient sur notre passage.

Quelqu’un nous avait-il vu sortir des cabinets ? Pourquoi cela m’angoissait-il autant ? Reprenantconfiance en moi, je cessai de craindre l’opinion des autres. Après tout, où était le mal ? Simon étaitmon petit ami, c’était une soirée bien arrosée et assez coquine pour susciter des envies. N’avais-jepas remarqué les regards lourds de sens de certains sur mon propre décolleté, ce soir ? Nul doute qued’autres avaient probablement envie d’en faire autant.

Au comptoir du vestiaire, mes pieds se figèrent en tombant sur John et Lena. Lui, l’aidant à enfilerson imperméable. Dès qu’il m’aperçut, il posa les yeux sur moi, puis s’adressa à ma supérieure avecun air léger :

— Oh ! Regarde qui est là…Lena se tourna à son tour, afficha un air confus qu’elle masqua sous un sourire qui sonna faux. Je

la sentis gênée de tomber sur moi, probablement parce qu’elle s’apprêtait à quitter la salle. Ou plutôt,parce qu’elle partait avec John. Je tournai les yeux en direction du commis qui récupéra mon couponavant de partir à la recherche de mon manteau.

— Je voulais… te saluer, expliqua-t-elle simplement.— Bien… salut.Je ne trouvai rien de mieux à dire et, bien malgré moi, de les voir partir ensemble m’agaça. Du

côté de John, je ne doutai pas qu’il espérait me faire réagir en agissant de la sorte, mais pour Lena…ne lui avais-je pas dit toutes les difficultés que j’avais eues à sortir de cette histoire ? Commentpouvait-elle jouer ainsi avec le feu ? Même si je tentai de n’en rien laisser paraître, je ne pusm’empêcher de garder les yeux rivés vers le tas de manteaux parmi lesquels le mien était placé. Ilm’était impossible de soutenir son regard. La main de Simon sur ma taille se fit plus ferme, peut-êtreparce qu’il sentit le malaise qui me gagnait et je forçai mes lèvres à afficher un vague sourire, maisLena insista :

— On peut se parler, deux minutes ?— Je suis fatiguée, prétendis-je, est-ce qu’on ne peut pas… ?— Deux minutes.Sans attendre ma réponse, elle m’agrippa le bras, me tira à l’écart, là où ni John ni Simon ne

pouvaient nous voir, puis se planta droit devant moi :— T’es fâchée ?

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— Non, dis-je, trop vite pour que mes paroles sonnent vraies.— Arrête. Je vois bien que ça te dérange que je parte avec ton ex.Je posai sur elle un regard noir :— John n’est pas mon ex. C’était mon Maître. C’est très différent.Elle fit une grimace nonchalante, comme si la précision que je tenais à lui apporter lui importait

peu :— Écoute, je suis célibataire, c’est un bel homme et je suis sûre que c’est un super coup. Tu ne

peux quand même pas m’en vouloir de sauter sur une offre aussi alléchante ! Tu crois que ça m’arrivesouvent qu’un homme de son calibre m’invite chez lui, à la fin de la soirée ? Au cas où tu ne l’auraispas remarqué, je ne suis plus toute jeune, ça ne se bouscule plus aux portes depuis quelques années…

Je croisai mes bras devant moi, me décidai à la confronter du regard plus que trois secondes :— Je croyais que t’avais lu ses livres ?— Je les ai lus, c’est vrai. Et alors ?— Quoi ? C’est ça que tu veux ? Te faire attacher ? Battre ? Parce que lui, il vaut mieux que tu

saches qu’il a besoin de ça pour jouir.Elle posa les mains sur ses hanches, me toisa de haut en bas avec un air ironique :— T’as peut-être été sa soumise, mais t’en es pas morte, à ce que je vois ! Merde, Anna, qu’est-

ce qu’il y a ? T’es jalouse ? T’as pourtant un mignon petit blondinet, juste là.Elle pointa la direction où se trouvait Simon du regard, mais je me défendis aussitôt :— C’est pas de la jalousie, OK ? Lena, je t’aime bien, je ne veux pas que tu tombes dans ce

monde-là ! Crois-moi, ça été vraiment difficile de m’en sortir.— J’ai été une pute, chérie, tu te rappelles ? Des hommes m’ont fait probablement bien pire que

ce que tu as vécu. Des sadomasos, je sais ce que c’est, ne t’inquiète pas pour moi. On a déjà éclaircila situation, lui et moi. On va juste s’amuser…

Je n’arrivais pas à le croire et je restai là, la bouche ouverte, à espérer qu’elle reprenne ses mots,mais elle finit par croiser les bras devant elle :

— Écoute, je le trouve intéressant, ce n’est pas un crime, il me semble. Je sais que ça n’a pas étéfacile pour toi, mais aujourd’hui tu vas bien. T’es en couple et tout le reste. Évidemment, on estcopines, alors si ça te cause un problème que…

Je sursautai et secouai vivement la tête :— Que non ! Tu peux bien en faire ce que tu veux ! Je m’en fous !— T’es sûre ? Parce que j’ai l’impression qu’il te met encore dans tous tes états…— Qu’est-ce que tu racontes ? Je me fiche éperdument de John Berger ! Tu veux pimenter ta vie ?

Vas-y ! Mais ne vient pas me dire que je ne t’ai pas mise en garde contre ce fou furieux !Je tournai les talons et retournai rejoindre Simon au vestiaire sans jeter le moindre regard en

direction de John. En quittant l’hôtel, la joie qui m’animait en début de soirée venait soudainement dedisparaître.

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La vérité

Pendant le retour à la maison, je ne cessai de réfléchir. Même si je n’avais pas la moindre enviede l’admettre, ma discussion avec Lena m’avait mise dans tous mes états. Pourquoi ? Probablementparce que je ne pouvais supporter l’idée de la voir avec John. C’était ridicule et je le savais.N’avais-je pas vu John coucher avec d’autres femmes, déjà ? N’étais-je pas moi-même en couple ?Quelle importance qu’il aille baiser avec Lena, au fond ? Cela ne devrait plus m’affecter !

Et pourtant, cette idée me rendait folle.Dire que pendant plus d’un an, j’étais parvenue à éloigner John de mon existence. J’avais tout

quitté pour reconstruire ma vie et voilà qu’il revenait sans crier gare. Je regrettai de ne pas avoirsupplié Lena de rester loin de lui, quitte à lui mentir pour y parvenir. Ne m’avait-elle pas donné lechoix ? Maintenant que j’y songe, j’aurais largement préféré que John ne vienne pas à ce fichulancement et ne jamais savoir ce qu’il était advenu.

Alors que je fixais l’extérieur avec un air trouble, ma conversation avec John me revenait enmémoire et, avec elle, un nombre incalculable de questions. Pourquoi n’était-il plus avec Laure ?Pourquoi l’avait-il laissée à Maître Paul ? Et comment avait-il appris l’existence de la revue ? Pireencore : pourquoi était-il venu à son lancement ? Et sa façon de m’avoir reconnu dans ce texte…comment cela était-il possible ? J’étais d’autant plus troublée que, pendant tout ce temps, j’étaispersuadée que John ne connaissait rien de moi. Ce soir, en moins de dix minutes, il m’avait prouvé lecontraire. À travers un texte relativement court, il m’avait reconnue. Moi. Et force m’était deconstater que j’en étais plus bouleversée que je ne le montrais.

Même si je tentai de le faire discret, mon soupir ne passa pas inaperçu :— Anna ?La voix de Simon brisa le silence et sa main se glissa sur ma cuisse.— Anna… qu’est-ce qu’il y a ?— Rien. Je suis fatiguée. Ça été une grosse soirée.Il émit une sorte de grognement réprobateur et après un bref silence, insista :— N’essaie pas de me ménager. C’est John ? Ça t’a fait un choc de le revoir ?Je haussai les épaules, ce qui l’énerva davantage :— Anna, je veux savoir.— C’est Lena, dis-je très vite. Elle m’a demandé la permission de coucher avec lui.Simon me jaugea un moment avant de demander :— Serais-tu jalouse ?Je sursautai sur mon siège :— Non ! Je lui ai même dit que je m’en fichais !

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— Alors quel est le problème ?Sa question était pertinente, mais que pouvais-je y répondre ? Me doutant que chaque hésitation le

contrarierait, je dis, sans réfléchir :— Je ne veux pas que John revienne dans ma vie. Et je ne veux pas ça pour Lena.Simon ne bougea pas. On aurait dit qu’une main invisible venait de le transformer en statue. Et

pourtant, la voiture poursuivait son chemin. Enfin, dans le noir, sa voix résonna de nouveau :— C’est tout ?Même si sa voix était douce, j’eus la sensation qu’il cherchait à me piéger, alors je me braquai

aussitôt :— Si tu penses que j’ai envie qu’elle rentre avec des bleus et que… qu’elle me parle de… Je ne

veux pas savoir, tu comprends ? Je ne veux pas le croiser au travail ou dans le bureau de Lena. Je neveux pas qu’il s’approche de moi. Est-ce que je n’en ai pas suffisamment bavé par sa faute ?

En moins de deux secondes, je fus sur le point de perdre mon calme et Simon caressa ma cuisseplus fermement, en faisant des « chut » rassurants pour contenir le venin que j’avais envie de cracherpartout.

— Anna, John n’a aucun pouvoir sur toi…— Je sais ! m’emportai-je. Tout était parfait jusqu’à ce qu’il arrive ! Mais pourquoi fallait-il

qu’il vienne, ce soir ? Tout allait tellement bien… tellement bien…Simon continuait de caresser ma cuisse. Je crois qu’il était autant à court de réponses que je ne

l’étais moi-même. Je ne doutais pas que mes propres angoisses ne faisaient qu’alimenter les siennes,mais je ne pouvais m’empêcher de les verbaliser. Quand je repris mon calme, nous étions stationnésdevant notre immeuble.

— Simon, je t’aime. Je ne veux pas retourner avec John, OK ?— OK.— Je dirai à Lena que je ne veux rien savoir de son histoire, que je ne veux même pas entendre

son nom et qu’il n’a pas intérêt à s’approcher de moi.La colère revenait et Simon pinça les lèvres, probablement parce qu’il se sentait aussi impuissant

que moi face à la situation. Je tirai sur sa main, l’obligeai à s’approcher de moi et l’embrassaidoucement avant de me redresser pour que nos yeux se croisent, parlai avec toute la conviction que jepus trouver :

— Simon, je suis bien avec toi. Je suis comblée, je t’assure que c’est vrai.— Je sais.Même si je voyais son sourire, je savais qu’il sonnait faux, probablement autant que tout ce que je

ne lui disais pas.— Rentrons, dit-il en ouvrant sa portière.Je crus que nous en avions terminé avec cette conversation, mais à la seconde où nous fûmes dans

l’appartement, sa voix reprit :

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— Annabelle, promets que tu ne me diras jamais que la vérité.Tout en retirant mon manteau, je me tournai vers lui et m’emportai de nouveau :— Je ne t’ai pas menti !— Ne pas tout dire n’est pas mentir, Anna, mais ça ne veut pas dire que cela suffit.Il avait raison, comme toujours, mais je n’étais pas certaine de ce que je devais lui dire, ni si

j’étais prête à faire le tri dans ce trouble qui me gagnait depuis que nous avions quitté la réception.De bonne foi, je m’adossai au comptoir, croisai les bras et admis, non sans être contrariée de devoirle verbaliser à voix haute :

— Ça m’a fait un petit choc, c’est vrai. J’espérais ne plus jamais le revoir.Le dire fit chuter ma colère et possiblement la sienne, car il hocha la tête en affichant un air moins

sombre. Soulagée, j’ajoutai :— Le problème, c’est que j’ai eu l’impression… qu’il venait me tester.À quelques pas de moi, Simon croisa les bras à son tour et parut réfléchir à mes paroles qu’il

interpréta sans difficulté :— Tu crois qu’il s’approche de Lena pour t’atteindre ?Je grimaçai :— J’espère bien que non. Mais tu ne peux pas dire qu’elle soit son genre ! ajoutai-je presque

aussitôt.— C’est une belle femme. Peut-être moins naïve et moins jeune que celles dont il a l’habitude,

mais ça ne veut rien dire…Un souffle agacé franchit mes lèvres et je défis le nœud que formait mes bras avant de chasser

mes sombres pensées :— Tu crois que je délire ?Il s’approcha de moi et je me retrouvai dans ses bras avant qu’il ne daigne me répondre :— Je crois que John a trop d’emprise sur toi. Je t’avoue que je croyais que cette époque était

définitivement derrière nous.Je pinçai les lèvres et baissai les yeux pour masquer l’inconfort qui me gagnait, mais Simon

reprit :— Ceci étant dit, si tu veux savoir si je pense que John pourrait utiliser Lena pour se rapprocher

de toi… alors oui. C’est tout à fait son genre.Qu’il l’admette ne me rassura pas, bien au contraire. Et devant mes craintes, il essaya de

tempérer ses propos :— Si c’est le cas, et je ne dis pas que ce l’est, je ne comprends pas pourquoi il aurait attendu

aussi longtemps avant de se manifester.Je laissai mon front retomber sur son épaule, non sans être soulagée de ne pas être la seule à

craindre les motivations qui sous-tendaient les agissements de John. Les mots de Simon n’étaient passans réconfort. Si John voulait me récupérer, il aurait forcément agi plus tôt.

Page 67: Annabelle 2 - ekladata.comekladata.com/htDga-n8sRHHYTaRAAc4iubBnoA/Annabelle... · — Annabelle Pasquier, répondis-je d’une voix terne. — Bonjour mademoiselle Pasquier, je m’appelle

— Je m’en fais probablement pour rien, finis-je par admettre. Il va la baiser et, avec de lachance, ficher le camp de ma vie.

— Espérons-le.Au lieu de confirmer mes dires, Simon laissait planer le doute. Peut-être que le retour de John

Berger ne le rassurait pas, lui non plus, mais ni lui ni moi n’y pouvions rien. Autant rester vigilant.Pour ma part, je comptais l’être deux fois plutôt qu’une !

— Anna, promets que tu ne me cacheras jamais rien, chuchota-t-il contre ma tête. J’ai besoin desentir que nous partageons tout. Peu importent tes doutes ou tes peurs, je suis là, compris ?

Il chercha mon regard et je confirmai par un signe de tête. Devant son air soulagé, mon sourirerevint. Simon était là et il m’aimait. Comment pouvais-je craindre John alors que ma vie était en touspoints parfaite ?

— Je ne laisserai pas John s’immiscer entre nous, promis-je.Il sourit davantage :— Voilà tout ce que je voulais entendre.Du bout des doigts, il caressa mon visage et j’écrasai sa paume sur ma joue pour retenir sa

chaleur sur la mienne, la guidai sur mon cou et sur ma poitrine. Ma robe l’agaça et il se défit del’emprise de mes doigts, chercha à glisser sous le tissu, empoigna mon sein tout en me serrant plusprès de lui. Sa bouche lécha mon cou, termina sa trajectoire sur mes lèvres qu’il dévora. Je me défisde son étreinte, passai ma robe par-dessus ma tête, ôtai sa chemise, jetai ma bouche contre son torseet grognai contre sa peau :

— Rappelle-moi combien je suis à toi.C’était une plainte bien plus qu’un ordre. Il dut percevoir l’état d’urgence de ma requête, car, très

vite, nos vêtements jonchèrent le sol et il me poussa en direction de notre chambre. Je me retrouvainue, dans notre lit, étendue sur le dos, la bouche de Simon entre mes cuisses. Ma colère fondit sousses coups de langue et je cambrai mon bassin, m’ouvris pour lui laisser un libre accès à mon sexe.Malgré nos ébats improvisés dans la salle de bain, j’avais toujours envie de perdre la tête, de toutoublier, de n’appartenir qu’à Simon. Et même si le plaisir se frayait un chemin à l’intérieur de moncorps, je finis par m’impatienter :

— Prends-moi maintenant !Les doigts de Simon se glissèrent en moi, mais je le tirai par la nuque. Je voulais plus que ça : je

le voulais lui, tout entier. Mes pieds le poussèrent vers le haut et il guida son sexe vers le mien. Il meprit avec empressement. Je l’encourageai d’un soupir ravi, le ramenai brusquement contre moichaque fois que son bassin cherchait à reculer, dans une hâte que je ne cherchai pas à contenir. Ilbloqua mes gestes, remonta mes jambes autour de son cou et accéléra son déhanchement. Ma têtedevint aussi légère que le vent et je me mis à jouir avec bruit, l’invitai à poursuivre, à ne jamaiss’arrêter. Je voulais le retenir en moi pour ne jamais avoir à retourner à la réalité.

L’orgasme était attendu, mais il savait se faire attendre. Le corps de Simon se ruait sur le mien,alimenté par mes encouragements et mon désir de perdre la tête. J’étais impatiente, agacée de cettechair qui ne se pliait plus à mes envies aussi facilement qu’hier. Quand je compris que ce serait trop

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long, je le repoussai, me tournai et lui présentai ma croupe en grognant :— Encule-moi !Très vite, ses main se posèrent sur mes fesses et firent en sorte d’ouvrir le chemin pour que son

gland puisse franchir mon anneau de chair. Il s’enfonça d’un coup, me soutira un cri délicieux. Sondéhanchement reprit, rapide et sec, et la réalité fit bientôt place à un plaisir aveuglant que mesgémissements lui laissaient entendre.

Simon chercha à me retenir plus près de lui, à s’enfoncer plus profondément en moi et ses doigtss’agrippèrent à mon épaule. Ma plainte fusa dans l’air :

— Oui ! Plus fort !Je me cambrai vers l’arrière et mes doigts retinrent les siens sur ma peau, les écrasèrent sur moi

jusqu’à ce qu’une légère douleur me saisisse.— Anna…— Pas maintenant, le suppliai-je. Pas encore !J’avais envie qu’il me soumette à sa volonté, qu’il me ramène vers lui, mais je ne savais pas

comment le lui dire autrement que par des gestes brusques. Je recommençai à serrer ses doigts sur mapeau :

— Plus fort, ordonnai-je.Sitôt dit, la main de Simon relâcha mon cou, puis me griffa doucement dans le dos, provoquant

une vague de plaisir que j’encourageai en tendant ma chair vers lui :— Oui !Il recommença et sa griffure fut plus vive, m’arracha un cri. Tous mes muscles se tendirent,

espéraient une nouvelle vague entre ses secousses, ce qui ne tarda pas à arriver. Ses ongless’accrochèrent à mon épaule et descendirent jusqu’à ma croupe. J’eus un nouveau cri, à la foisremplit de douleur et de plaisir. Mon corps se tordait dans tous les sens et il dut me retenir contre luipour éviter que je ne lui échappe, en profita pour s’agripper à ma chair avec force, ce qui ne fit queranimer mon désir. Je perdis la tête dans un cri langoureux, étouffé par des « oui » qui ne voulaientplus rien dire tellement j’étais à bout de force. Ma tête retomba vers l’avant et je cherchai monsouffle même si mon cul continuait de se tendre vers lui, de s’ouvrir à chacun de ses passages. Je mesentais bien, quoiqu’un peu déconnectée, même quand il tentait de me griffer ou de faire réagir moncorps par ses assauts.

Encore dans ma torpeur, Simon s’impatienta et ses doigts cherchèrent à me relever vers lui. Je meredressai et ses coups de bassin s’amplifièrent. Son sexe se gonfla délicieusement et je m’attendais àchaque instant à recevoir sa jouissance, mais il résistait. Mon inertie semblait le rendre fou et il finitpar s’accrocher à mes cheveux pour essayer de me soutirer une plainte, ce qui n’avait rien d’habituelpour lui. Et même si son geste était doux, cela me remémora mes ébats avec John qui se plaisait à meprendre ainsi. Dans cette position, son excitation s’amplifia. La mienne aussi.

— Anna, souffla-t-il en relâchant ma chevelure.Je reculai la tête, cherchai sa main à tâtons pour la ramener dans mes cheveux, écrasai ses doigts

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sous les miens en rugissant. C’était à la fois douloureux et excitant de me sentir sienne ainsi. Ayantpressenti mon désir, il me tira vers l’arrière. Son chevauchement reprit de plus belle, mes cris aussi.Je ne me rendis pas jusqu’à l’orgasme, mais j’accueillis le sien avec une plainte agréable. Dansl’extase, Simon cherchait à me ramener plus près de lui et ses doigts s’étaient emmêlés dans ma tête.Il lui fallut d’ailleurs plusieurs minutes pour reprendre possession de sa main alors que je restai là,contre son torse, à attendre qu’il me libère de son joug.

Quand je fus libre, je cherchai à retrouver le confort de mon lit et les bras de Simon se glissèrentautour de ma taille. Son corps chaud m’enveloppa et sa bouche se glissa dans mon cou. J’étais sur lepoint de chuter dans le sommeil lorsque sa voix, à peine audible, même aussi près de mon oreille,résonna :

— Anna ?— Hum ?— S’il te manquait quelque chose pour être plus heureuse… tu sais que tu n’aurais qu’à le

demander, pas vrai ?— Oui.Je n’étais pas tout à fait certaine de la véracité de ma réponse, mais il me semblait que c’était le

chemin le plus court pour clore la conversation et dormir. Je fermai les yeux et tout le reste disparutde ma conscience.

* * *Je m’éveillai en fin de matinée et une agréable odeur de café m’accueillit. Sans me retourner, ma

main tâta le lit, là le corps de Simon ne se trouvait plus. Je soupirai en repensant à la soirée d’hier. Àses dernière paroles, surtout. Que me manquait-il pour être plus heureuse ? Pour que Simon parvienneà chasser définitivement le souvenir de John dans ma chair ? Le sexe ne manquait pas, le plaisir nonplus. Dans toutes les sphères où John interférait, auparavant, Simon avait su combler tous mesmanques.

Mais alors pourquoi revoir John m’avait-il autant troublée ?— Anna ?J’ouvris les yeux et cherchai Simon qui revenait dans la chambre. Il me tendit une tasse de café

bien chaude et je me relevai pour la porter à mes lèvres. D’une main maladroite, je remontai lacouverture vers moi pour pouvoir y déposer le contenant et posai enfin les yeux vers lui, affichant unsourire un peu las :

— Bonjour.— Bien dormi ?— Oui. Merci.Son visage affichait des traits tirés, mais avant que je ne lui demande ce qui n’allait pas, il

annonça d’une voix grave :— Il faut qu’on parle.Son ton m’alerta et, soudain, mon café perdit de sa saveur.

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— Anna, reprit-il en soupirant. Si je ne parle pas maintenant, ça va me ronger comme un cancer.Est-ce qu’on ne se doit pas toute la vérité, toi et moi ?

Anxieuse de son préambule, je hochai néanmoins la tête.— Annabelle, si je dois te perdre, j’exige de savoir pourquoi.— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne vas pas me perdre ! Qu’est-ce qui te prend de dire ça ?Il posa un regard sombre sur moi et je crus, pendant un bref instant, que j’avais commis un impair

dont j’ignorais la teneur.— Anna, je ne suis pas fou, chuchota-t-il. Je n’ai pas rêvé ce qui s’est produit, cette nuit. Tu

voulais que je te fasse mal…Ses mains balayèrent l’espace devant lui et devinrent des poings avant de retomber sur ses

jambes.— Simon, arrête.Je me débarrassai de ma tasse de café et posai mes doigts sur les siens pour tenter d’apaiser son

trouble, mais il reprit aussitôt :— Sois honnête, tu veux ? Anna, depuis qu’on est ensemble, jamais tu n’as exigé de souffrir

pendant nos ébats. Je ne sais pas… peut-être que d’avoir revu John t’a fait prendre conscience que…qu’il te manquait quelque chose avec moi ?

— Mais non ! m’emportai-je. Ça n’a rien à voir !Devant l’insistance de son regard, j’inspirai profondément avant de reprendre, un peu embêtée de

devoir l’admettre :— La vérité, c’est que j’étais confuse, hier soir. Et pour perdre la tête, j’avais besoin… de

quelque chose d’un peu plus fort. Est-ce un crime d’avoir eu envie que tu soumettes mon corps autien ?

Devant le choix de mes mots, il fronça les sourcils, ce qui m’obligea à ajouter :— En fait… ce n’est pas la première fois que j’ai envie de ça. Et ne va pas croire que j’ai envie

de redevenir soumise ou que tu me battes !Mon aveu le surprit et ses mains se retournèrent pour saisir les miennes, me tira vers lui pour que

mon regard revienne vers le sien :— Mais tu ne m’as jamais parlé de ça !Je haussai les épaules et jetai, un peu troublée par sa réaction :— Pourquoi est-ce qu’on devrait en parler ? On n’a rien fait de bien terrible !Je libérai mes doigts et caressai son torse avant de retrouver un sourire gourmand :— J’avais pourtant l’impression que ça t’avait excité de me tirer les cheveux…Sa main repoussa la mienne et il afficha un air accablé :— En temps normal… je n’aurais probablement rien dit, mais c’est arrivé hier soir…— Ça n’a rien à voir, insistai-je à mon tour.— Alors pourquoi est-ce la première fois que tu me parles de ça ? Tu n’as jamais fait ce genre de

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choses, avant…Je remontai les jambes vers moi et soupirai d’agacement :— Simon ! Tu es tellement obnubilé par mon passé avec John que chaque fois que je fais quelque

chose de différent, tu t’imagines toujours que ça a un lien. Est-ce tellement compliqué à comprendreque certains jours, j’ai envie de douceur et que d’autres… ?

— Quoi ? Tu veux de la violence ?— Peut-être pas de la violence, mais juste… un peu d’intensité ?Il serra les dents et je m’empressai d’ajouter :— Écoute, j’avoue que certains jours… je voudrais ne plus m’appartenir. Des jours où je

voudrais me sentir…— Soumise ?— Pas soumise, grimaçai-je.Il fortifia son regard sur moi et je me sentis obligée de préciser ma pensée :— Je ne veux pas être soumise, OK ? Je veux juste… faire semblant. Mais pas toujours ! Juste

quand j’ai besoin de m’étourdir l’esprit. Comme hier.— À cause de John !— Pas juste à cause de John. Il y avait de la pression au travail. Avec le lancement de revue et

tout le reste… Et puis, ça n’a rien de sérieux ! C’était juste… un jeu.Il blêmit et gronda sans attendre :— Ça n’a rien d’un jeu ! Surtout pour toi !— Mais bien sûr que c’est un jeu ! Et j’aurais dû m’en rendre compte bien avant ! Ça n’a rien de

bien terrible, tu sais ! Et je te jure que je n’en ai pas envie souvent !Avant qu’il ne puisse protester, je montai sur lui, nouai mes bras autour de ses épaules et fis

semblant de lui tirer les cheveux pour l’obliger à se cambrer vers l’arrière :— Ose me dire que ça ne t’a pas plu ? Dans mon souvenir, t’étais drôlement excité par notre

petite chevauchée…Il grimaça, mais son visage se détendit légèrement. À son tour, il hocha la tête :— C’est vrai que c’était très excitant. Mais ça ne change rien aux faits : j’ai peur, Anna. Peur que

ce monde-là te manque. Peur de ne pas t’en donner suffisamment.— Je suis une femme comblée, Simon. La preuve, hier, j’avais besoin de me sentir dominée et tu

l’as immédiatement compris.Mes paroles semblèrent le rassurer. Sa main passa derrière mon dos et il me serra plus

fermement contre lui tout en s’assurant que nos yeux restent encore en contact :— Annabelle, jure que tu me diras toujours la vérité, même si tu sais le mal qu’elle me ferait.Je plaquai un baiser rapide sur sa bouche :— La vérité, c’est que je t’aime et que je n’ai jamais été plus heureuse.

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Il me fixa un moment, mais alors que j’espérais emprisonner sa bouche sous la mienne, il reculala tête et dit :

— Anna, si je dois devenir un Maître pour te garder, je le ferai, t’entends ? Je ferai ce qu’il faut,mais je jure que je ne te perdrai pas sans me battre.

Je le dévisageai quelques secondes, incertaine d’avoir compris ce qu’il venait de m’annoncer.Comme il soutenait mon regard sans faillir, je ris nerveusement :

— Mais… t’as toujours dit que… ça ne t’intéressait pas ?— Ça ne m’intéresse pas, mais il est hors de question que je te perde, t’entends ?— Tu ne vas pas me perdre, répétai-je.Il feignit un sourire, mais celui-ci disparut très vite lorsque ses doigts se posèrent sur ma joue. Il

reprit, avec un air sérieux :— Promets que si tu avais envie de redevenir soumise, c’est à moi que tu en parlerais.— Je ne veux pas redevenir soumise.Je mordis légèrement son épaule avant de frotter mon corps contre le sien :— Par contre, je ne dirais pas non à une petite chevauchée comme celle d’hier soir…Il hésita, puis jeta mon corps sur le lit en retenant un léger rire. La discussion était close. Ou peut-

être que nos corps la poursuivirent en silence.

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Ne rien savoir

Je retournai au travail, le lundi suivant, le corps gavé de Simon. Même s’il avait travaillé, samedisoir, il ne s’était pas fait prier pour me réveiller à son retour pour me faire hurler de plaisir. Il y avaitfort longtemps que nous n’avions fait l’amour aussi souvent et, si nos ébats avaient toujours étéintenses, jamais ils ne l’avaient été plus que ces derniers jours. J’avais besoin de le retrouver etd’oublier tout ce qui avait trait à John. Je ne voulais me souvenir que des bons moments du lancementde la revue. Simon avait su répondre présent à ce désir et, ce matin, j’étais gonflée à bloc.

Alors que je préparai ma réunion d’équipe, Lena entra dans mon bureau, un large sourire auxlèvres et un document entre les mains :

— Bonjour toi ! T’as passé une bonne fin de semaine ?— Excellente, merci. Est-ce que c’est ce que je crois ? m’empressai-je de lui demander.— Oui !Elle posa le document devant moi et je jubilai devant les premiers chiffres de vente de notre

revue. Elle n’avait fracassé aucun record, mais elle avait quand même fait bonne figure parmi noscompétiteurs. Je levai les yeux au ciel, soulagée :

— Qu’est-ce que j’ai hâte d’annoncer ça aux autres !Pendant que je parcourais les données du regard, elle resta là, mais n’attendit pas que je repose le

document pour me questionner :— Tu ne veux pas savoir comment a été ma fin de semaine ?Je reportai mon attention sur elle, mais j’hésitai avant de lui répondre, optai pour la stricte

vérité :— Tout ce qui ne concerne pas John m’intéresse.Son visage se durcit et elle fronça les sourcils :— C’est pourtant fini, vous deux !— Exact, mais si tu veux qu’on reste amies, Lena, je ne veux pas que tu m’en parles.Je glissai le document dans mon sac et alors que je cherchai à sortir de mon bureau quand elle se

planta devant moi :— C’est quoi le problème ? T’es jalouse ?— Ça n’a rien à voir. J’ai été honnête avec toi, je t’ai dit la vérité : si j’ai quitté mon ancien

travail et mon appartement, c’était pour que John sorte de ma vie. Tu peux faire ce que tu veux, maispour qu’on garde de bonnes relations, toi et moi, sois gentille : ne m’en parle pas.

Comme elle me fixa sans répondre, j’insistai, espérant me faire le plus claire possible sur lesujet :

— Jamais.

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— Tu ne trouves pas que t’exagères ? Votre histoire date d’il y a presque deux ans ! Depuis letemps, il a changé…

Je fus troublée qu’elle puisse affirmer une telle chose, mais je ne m’emportai pas :— Je suis contente pour lui, mais je ne veux pas le savoir, tranchai-je avec agacement.

Maintenant, tu m’excuseras, mais il ne me reste que treize minutes avant que la réunion ne débute etj’aimerais prendre le temps de relire ces chiffres avant de devoir les expliquer à mon équipe.

Je quittai mon propre bureau pour me rendre à la salle de réunion où je parlai avec enthousiasmedes chiffres de vente et m’assurai que le second numéro était en bonne voie de production. De l’autrecôté de la pièce, Lena m’observait avec un air ravi, sans dire le moindre mot. J’évitai de porter monattention sur elle. Je ne sais pas pourquoi, je craignais de la dévisager ou de trouver une preuve de cequ’elle avait fait avec John, quelque part, sur sa peau.

À toutes les semaines, et celle-ci n’y faisait pas exception, chaque personne de mon équipe meparlait de l’avancement de sa rubrique et de ce qu’il comptait faire dans les jours à venir. Quand cefut le tour de Claire, elle brandit une pile de feuilles avec un air victorieux :

— Après seulement trois jours, nous avons déjà reçu douze textes érotiques ! Et notre forum aplus de cent abonnés !

Elle nous fit part des commentaires sur notre revue, récupérés un peu partout sur Internet. J’étaisla première surprise de cet engouement pour notre premier numéro et je comptais bien en faire part àmes troupes lorsque Lena intervint :

— Et parmi les textes, qu’est-ce que ça donne ? Il y en a de bons, tu crois ?— Je les ai un peu parcourus. À première vue, c’est pas mal. Je vais les transférer au comité de

lecture dès que je reviendrai à mon bureau.— Excellent, dis-je en voulant clore la discussion pour donner la parole à un autre intervenant.— Juste une petite chose, m’interrompit Lena. Je crois qu’il faudrait qu’on élimine le nom des

auteurs pour plus de transparence.Alors que mon regard était posé sur Jean-Pierre, je reportai mon attention sur elle et demandai,

légèrement anxieuse de son intervention :— Pourquoi ça ?— Comme ça, dit-elle en essayant de rester vague. C’est le meilleur moyen de rester impartial.

Ainsi, tout le monde sera à chance égale. Les nouveaux auteurs comme ceux qui ont… plusd’expérience.

Son hésitation me déplut. Elle parlait de John, évidemment ! N’avait-il pas accepté de relever cedéfi, lors de la soirée ? De son côté, Claire vérifiait les textes reçus, un par un, et je fronçai lessourcils en songeant que John avait peut-être déjà osé en envoyer un. Était-ce la raison pour laquelleLena tenait à ce que l’on retire les noms des auteurs ?

— Puisqu’on est encore sur ce sujet, j’espère qu’Hélène soumettra un nouveau texte, dit Jessie.D’après ce que j’ai lu, sur le forum, plusieurs ont dit avoir aimé son récit.

Pendant quelques secondes, je perdis le fil de la conversation pour afficher un sourire béat. Des

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gens avaient commenté mon texte sur notre site ? Dire que je n’avais même pas été y jeter un œil ! Jene sais pas pourquoi, ça m’était complètement sorti de la tête !

— Elle n’a rien soumis. Pour l’instant, du moins, annonça Claire en secouant les textes dans samain, mais peut-être qu’elle passera directement par Annabelle.

Son regard m’interrogea et je bafouillai, un peu gênée de devoir prendre position sur la question :— Euh… je ne sais pas, je… je peux vérifier.— Il faut faire tourner les textes aussi, jeta Lena. On ne va pas publier ceux d’une seule

personne !Tout le monde hocha la tête devant ce qui parut être une évidence. Tout le monde sauf moi.

J’avais la sensation que c’était sa façon à elle de se venger de notre petite discussion de ce matin.Certes, je me doutais que d’autres textes seraient pris. De toute façon, j’étais loin d’être persuadée depouvoir écrire un autre récit érotique. Quoique… si je battais John à son propre jeu…

Je dus admettre que cette idée me plaisait de plus en plus…Quand je retournai à mon bureau, Lena me suivit, ce qui était contraire à son habitude. Elle

referma la porte derrière elle et se tourna vers moi :— Je suppose que tu l’as compris : John va soumettre un texte, cette semaine.Malgré moi, je me retournai pour la fusiller du regard, mais elle m’empêcha de perdre tous mes

moyens en reprenant :— Écoute, qu’est-ce que ça change ? Dans le premier numéro, tu as mis les balises. Tout le

monde va les respecter. Maintenant, laisse le comité de lecture faire son travail. Tu pourras lire lestextes et les approuver, mais je te défends de demander le nom de l’auteur, compris ? J’exige duprofessionnalisme de ta part !

Je perdis mon sang-froid :— Du professionnalisme ? Non, mais tu entends ce que tu dis ? Tu veux qu’on publie des textes

de John uniquement parce que t’as couché avec lui !— Ça n’a rien à voir, me contredit-elle avec calme. Bien au contraire. Ma décision est on ne peut

plus professionnelle. John est connu dans le milieu, son nom dans notre revue ferait une excellentepub. Pour lui comme pour nous.

Avant que je ne puisse répliquer, elle me pointa d’un doigt menaçant :— Si cette revue te tenait vraiment à cœur, tu oublierais cette vieille histoire pour te concentrer

sur ce qui compte vraiment : faire en sorte que cette revue soit la meilleure.— Et tu penses que je fais quoi depuis des semaines ?— Annabelle, sois honnête. Si John n’était pas ton ex, aurais-tu les mêmes scrupules à publier

l’un de ses textes ?Sa question me scia en deux. Tellement que je fus obligée de m’assoir sur ma chaise pour ne pas

quitter la pièce en claquant la porte. Je jetai le seul argument que j’avais en poche :— John ne fait pas dans la vanille.

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— Il m’a assuré en être capable. Allons, ce n’est pas parce que tu aimes le chocolat que tu nepeux pas manger de la vanille ! Je ne te pensais pas pleine de préjugés !

Je fermai les yeux pour repousser le vertige qui me prenait de plein fouet, puis je pris une longuerespiration avant d’avoir suffisamment de courage pour reposer mes yeux sur elle, mais je laretrouvai assise, devant moi :

— Annabelle ! Ce que tu refuses de voir, c’est la chance de faire augmenter le tirage de cetterevue !

J’éclatai d’un rire amer :— Oh, Lena, ne me fais pas rire ! À t’entendre, t’as couché avec lui uniquement dans l’intérêt de

la revue !Son doigt me pointa de nouveau, mais son expression indiquait qu’elle était amusée par ma

remarque :— Crois-moi Annabelle, j’ai couché avec assez de gars dans ma vie pour savoir faire la

différence entre le travail et le plaisir. Tout ce que je te demande, c’est d’être impartiale. Si l’un deses textes passe le comité de lecture, je ne veux pas que tu essaies d’en bloquer la publication.

Je ne répondis pas pendant de longues minutes, mais je lui montrai que je réfléchissaissérieusement à la question. Pourquoi m’en faire ? Je connaissais bien l’écriture de John. Même sanssa signature, j’étais persuadée de reconnaître son style. Et puis… lui, écrire des textes vanille ? Je nedemandais qu’à voir ça ! Dans le pire des cas, il serait publié dans ma revue, mais je n’aurai jamaisà travailler avec lui.

— D’accord, finis-je par céder. Si l’un de ses textes passe le comité de lecture et que j’estimequ’il cadre dans notre numéro, je le publierai.

— À la bonne heure ! cria-t-elle, visiblement ravie de ma réplique.Avant qu’elle ne s’emballe trop, je la fis taire d’un signe de la main :— Que les choses soient claires : je refuse de travailler avec lui sous quelque condition que ce

soit.— Oh, ça, j’avais compris ! rigola-t-elle.— Et hors de question qu’il vienne à mon bureau. Je le ferais mettre dehors comme un chien,

compris ?Lena se mit à rire plus gaiement et hocha la tête à répétition :— Aucun problème. Je lui passerai le mot.Je détestai ce que ses paroles sous-entendaient, soit qu’elle allait revoir John. Quand ? Et dans

quelles conditions ? Soudain, la curiosité me rongea, suffisamment pour que je détaille rapidementchaque partie de son corps qui m’était visible. John l’avait-il frappée ou malmenée ? Rien ne me lelaissait présager. Ceci dit, je me défendis de lui poser la moindre question à ce sujet. Je n’avais qu’àn’en prendre qu’à moi-même. Après tout, n’étais-je pas celle qui avait demandé à ne rien savoir ?

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Le texte

Une semaine et une dizaine de tentatives plus tard, je désespérai à l’idée de produire quelquechose à la hauteur de mon premier texte. C’était la pression, je ne voyais que ça. Ou peut-être la peurde la compétition ? En tous les cas, rien n’allait comme je le voulais. J’aurais pu en rester là. À quoibon forcer la note pour écrire, puisque j’avais suffisamment de travail à faire pour la revue ? À forcede fixer une page blanche sur l’écran de mon ordinateur, les dossiers s’accumulaient. Pour toutboucler dans les temps, j’étais constamment obligée de ramener du travail à la maison.

Le problème, c’est que le temps était une denrée rare ces jours-ci. Dès que Simon rentrait, le soir,il se jetait sur moi. Il consacrait environ cinq minutes à me demander comment s’était déroulée majournée, probablement pour s’assurer que je n’avais rien à déclarer à propos de John Berger, etentreprenait de me faire perdre la tête jusqu’à ce que je le supplie pour avoir une pause. Même si madernière rencontre avec John avait disparu de mon esprit, il tenait mordicus à me gaver de sexe.Évidemment, je ne m’en plaignais pas, mais j’avais intérêt à bien utiliser mon temps libre, car je n’enavais jamais eu aussi peu. Je profitais donc de ce moment libre pour écrire quelques idées pour untexte qui cadrerait dans ma revue.

Le vendredi soir, je profitai du fait que Simon rentrait tard pour rattraper mon retard au travail.J’aimais la quiétude qui régnait lorsque tout le monde était parti et que j’avais la moitié d’un étagepour moi seule. Je retirai mes souliers, terminai de relire les textes de fond que l’on m’avaitapportés, en fin d’après-midi, et me gardai un peu de temps pour écrire.

Écrire, certes, mais quoi ? La seule idée qui me vint en tête fut une scène de sexe au bureau,probablement parce que j’y passais le plus clair de mon temps. Une fois le lieu déterminé, il mefallait une façon d’y réunir le couple. Travaillaient-ils ensemble ? Était-ce une visite surprise de laconjointe au bureau ? Juste un téléphone coquin ? Je m’essayai à ces trois scénarios. Celui de lavisite surprise me plut bien. J’avais de quoi m’inspirer : combien de fois étais-je passée voir Simonà son restaurant et combien de fois nos baisers se sont-ils enflammés dans son bureau ? Je meremémorai une baise improvisée sur son classeur et m’appliquai à l’écrire en falsifiant un peu laréalité. Dans le pire des cas, je lui offrirai mon histoire, dans le meilleur, elle m’en inspirerait uneautre, bien plus excitante.

Une fois la mise en situation établie, les mots sortirent très vite, j’en étais à la moitié du textequand la lumière de l’entrée s’alluma. Les joues en feu et légèrement surprise qu’on entre dans lesbureaux de la revue, je me redressai sur ma chaise et jetai un œil sur l’heure. Presque sept heures.C’était probablement le concierge qui faisait sa tournée. Deux minutes plus tard, la voix de Lenarésonna et, avant qu’elle ne passe devant la baie vitrée de mon bureau, j’étais déjà debout, raidecomme un piquet.

Dès qu’elle perçut de la lumière de mon côté, Lena s’arrêta brusquement et son visage perdit unpeu de contenance. Je compris pourquoi lorsque John apparut derrière elle et me remarqua à son tour.Quoique j’eusse préféré qu’elle fiche le camp, je me raidis pour ne pas me laisser retomber sur ma

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chaise, ce dont j’avais très envie. Je me butai à les fixer, agacée de les voir là, dans mes bureaux.Ensemble.

Avec un air confus, Lena força un sourire sur ses lèvres et se décida à ouvrir ma porte :— Je ne faisais que… lui faire visiter les bureaux de la revue…Pour éviter de perdre tous mes moyens, je fis un geste de la main pour l’inciter à poursuivre et

repris aussitôt ma place en faisant mine de retourner à mon ordinateur. En réalité, j’espérais que mongeste soit suffisamment impoli pour qu’elle déguerpisse sans attendre.

— Je ne savais pas que tu travaillais aussi tard.— Comme tu vois, ça m’arrive, dis-je en ne relevant pas les yeux vers elle.John s’avança. Je perçus le bruit de ses talons sur le sol avant qu’il n’entre dans mon bureau et je

serrai les dents pour éviter de m’emporter et de le foutre à la porte.— Bonsoir Annabelle.— Bonsoir John.Armée du peu de courage que j’avais en réserve, je relevai la tête vers eux et usai d’un ton que

j’essayai de rendre calme :— C’est gentil, cette visite, mais je suis occupée. J’aimerais clore ce dossier et rentrer chez moi.— Bien sûr, oui. Pardon.Lena fit un geste pour repousser John hors de mon bureau, mais il ne bougea pas d’un pouce,

comme si ses pieds étaient cloués au sol. Il me sourit et jeta un œil amusé autour de lui :— C’est joli. Plus grand que ton ancien bureau.Comme je ne répondis pas, il s’approcha et reporta son attention sur ma personne :— Je ne sais pas si Lena t’en a parlé, mais j’ai soumis deux textes à ton comité de lecture.— C’est bien, dis-je froidement, malheureusement, je n’ai aucune idée où ils en sont dans la

sélection.— Oh, mais je ne me fais aucun souci pour mes textes. Je me demandais seulement si tu avais

l’intention d’en écrire un, toi aussi ?Je me retins de fermer l’écran de mon ordinateur pour éviter qu’il ne sache que c’était

précisément ce sur quoi je m’afférais, mais je soutins son regard et essayai de paraître détachéelorsque je répondis en laissant la question ouverte :

— Possible. Qui sait ?— Si tu as besoin de conseils. Ou d’un lecteur objectif…— C’est gentil, mais non merci, le coupai-je.Je jetai un regard entendu en direction de Lena qui s’avança et posa une main sur le bras de John :— On y va ? Je meurs de faim !Encore une fois, John fit semblant de ne rien avoir entendu et poursuivit, sans jamais me quitter

des yeux :

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— Pour l’avoir relu, j’estime que ton premier texte était vraiment excellent. Je suis persuadé quetu gagnerais à recevoir quelques conseils d’un auteur d’expérience.

Cette fois, je refermai l’écran de mon ordinateur et croisai les bras devant moi :— Je te rappelle que je suis rédactrice en chef, pas écrivain.— L’un n’empêche pas l’autre. Tu as énormément de talent, Annabelle, il serait dommage que tu

le gâches pour une simple question d’orgueil.Son compliment m’aurait probablement flatté s’il n’était pas accompagné de cette remarque aussi

incisive à mon endroit. Je perdis mon calme et pointai ma porte du doigt :— Bon, ça suffit, dehors ! J’ai autre chose à faire !— Quel caractère ! rigola John, visiblement peu impressionné par l’ordre que je venais de lui

donner.— Allez, on part, insista Lena en tirant discrètement sur son bras.Pour la première fois depuis qu’il était entré dans mon bureau, John porta son attention sur elle,

mais cela ne fut que de courte durée. Il semblait plutôt la sommer de cesser de le brusquer. Au lieu decéder à sa demande, il tourna de nouveau les yeux vers moi et arbora un air faussement dépité :

— Je ne venais que t’offrir mon aide, Annabelle.— Que c’est gentil, sifflai-je, mais comme tu peux le constater, je m’en tire beaucoup mieux

depuis que je reste loin de toi.D’une main, je balayai l’espace pour lui signifier que je parlais de mon emploi et au lieu de se

buter, il hocha la tête :— Si tu le dis. Enfin… considère que l’offre t’a été faite. Et qu’elle tient toujours.Je levai les yeux au ciel et insistai d’un signe de la main pour l’inciter à ficher le camp. Il tourna

les talons et son rire résonna dans mon bureau. Avant de quitter, il se retourna une dernière fois :— C’était charmant de te revoir, Annabelle. Bonne soirée.Pendant que Lena me lançait un regard désolé auquel je ne répondis pas, John la tira hors de mon

bureau et conserva une main possessive sur sa taille, comme si elle était trop sotte pour retrouver sonchemin toute seule. Je ne ratai pas la façon dont il me jeta un dernier regard, jusqu’à ce que leurs pas,de l’autre côté de la baie vitrée, les masquèrent à ma vue.

Je pris de longues minutes pour retrouver mon calme, mais quand j’ouvris l’ordinateur, j’étaisdoublement déterminée à écrire un meilleur texte que celui de John. Si j’étais sélectionnée et qu’il nel’était pas, j’aurais tout le loisir de lui dire de mettre ses conseils là où je pense !

En sachant le contexte, l’écriture était déjà plus facile. Moi, Simon, son bureau, sa fougue, malangue sur lui, son sexe en moi, le bruit du classeur qui cogne contre le mur, nos plaisirs qui semélangent et qui coulent entre mes cuisses.

Une heure et demie plus tard, j’avais un brouillon, des images de Simon plein la tête et bien enviede me caresser. Je m’en refusai la chance et gardai les cuisses bien serrées, consciente que, même sile bureau était désert à cette heure, l’arrivée impromptue de Lena m’avait prouvé que n’importe quipouvait surgir à l’improviste. Quelle idée, ces bureaux en verre ! Impossible d’avoir la moindre

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intimité !Excitée, il n’y avait que deux choix s’offrant à moi : me faufiler en douce aux toilettes pour

calmer mes ardeurs ou attendre que Simon termine son travail pour me jeter sur lui. Et pourtant, lerestaurant ne fermait pas avant trois bonnes heures ! Sur un coup de tête, j’imprimai mon texte etsortis de mon bureau pour me rendre à sa rencontre. Après tout, Simon était le patron, je saurais bienle convaincre de prendre quinze petites minutes de pause…

Lorsque Simon me vit entrer dans la cuisine de son restaurant, il parut à la fois surpris et inquiet.Suffisamment pour qu’il blêmisse légèrement. Il délégua son plat en refourguant la poêle qu’il tenaitentre les mains à une collègue et vint se planter devant moi :

— Un problème ?— Non. J’avais juste envie de te voir. Et de te faire lire quelque chose.Je sortis mon texte, plié en deux, et pris un regard gourmand en espérant qu’il comprenne ce que

je sous-entendais par le mot « lecture ». Perplexe, il jeta un œil en cuisine où tout le monde s’activaiten quatrième vitesse, puis reposa les yeux sur moi, un peu crispé :

— Maintenant ?J’aurais dû me douter que je tombais mal : un vendredi soir, le resto relativement bien garni… Je

pinçai les lèvres et soupirai :— J’aurais dû téléphoner…Alors que je tentai de ranger mon texte, il s’interposa pour le récupérer et fit mine d’y jeter un

œil. Je ne sais pas ce qui le fit changer d’avis, mais il tourna la tête en direction de son assistant :— Étienne, tu peux me remplacer, une dizaine de minutes ?— Maintenant ? répéta l’intéressé, l’air légèrement paniqué.— Juste une dizaine.Malgré le regard ébahi de son assistant, Simon m’empoigna le bras et me tira vers le fond de la

cuisine, là où se trouvait son bureau. À la seconde où la porte se referma derrière lui, il me prit dansses bras et m’embrassa fougueusement. Très vite, je me retrouvai assise sur le petit meuble qui luiservait de bureau, avec des mains baladeuses sous ma jupe :

— T’es vraiment là pour que je lise ton texte ? chuchota-t-il en cherchant à me retirer ma culotte.— Non. Enfin… juste si t’as le temps…Mes doigts s’empressaient de défaire son tablier et d’ouvrir sa braguette. Les siens me

caressaient sans aucune gêne, me pénétraient lentement en attendant que je libère son sexe.— J’ai dix minutes, annonça-t-il en souriant.— Tant pis pour le texte, alors, répliquai-je en saisissant sa verge à pleine main.Je le masturbai langoureusement, mais je sentis qu’il s’impatientait lorsqu’il essaya de me

prendre sur le rebord du meuble.— T’as pas envie que je te suce ? lui proposai-je avant qu’il n’aille trop loin.— Pas le temps pour ça.

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Ses doigts se retirèrent, mais sa main s’accrocha à ma croupe, souleva mon bassin pour que sonsexe puisse me pénétrer d’un trait. Son geste me fit tomber à la renverse. J’accrochai mes jambesautour de lui pour l’obliger à me prendre encore plus fort. En moins de deux, il était juché sur moi,s’accrochant au rebord du meuble pour que ses coups de butoir se fassent à la fois rapides et secs. Sabouche écrasa la mienne à l’instant où je commençai à jouir, cherchant à étouffer mes plaintes que jen’avais nulle intention de retenir. Que cela ne tienne, je m’accrochai à ses épaules, puis à sescheveux que je tirai sans ménagement. Il rugit comme un animal et son déhanchement se fit plus brutalentre mes cuisses. Le plaisir s’installa en moi et il ne fit rien pour retarder l’orgasme dont j’avaisenvie. Ni le sien, qui suivit très rapidement. C’était une véritable course contre la montre.

À peine ai-je eu le temps de reprendre mes esprits qu’il se releva. Heureusement, car son corpsécrasait le mien et je crois qu’un crayon me tiraillait les côtes. Il se laissa tomber sur sa chaise et jem’assis sur son bureau avant de me mettre à rire, arborant un air faussement coupable :

— Désolée. C’était ça ou je me satisfaisais seule, dans les toilettes.Il soupira, encore à bout de souffle, avant de répondre à mon rire :— Tu me connais. Toujours prêt à rendre service…— Surtout ce genre de service.Ma raillerie le fit plisser des yeux, puis il récupéra mon texte, tombé sur le sol, auquel il prêta

attention.— T’es pas obligé de le lire…Il me fit taire d’un geste de la main avant de reprendre sa lecture et je me levai pour me revêtir,

surtout que mon temps était largement écoulé et qu’il n’était pas rare que l’un de ses employésdébarque sans crier gare dans son bureau. À la seconde page, Simon afficha un sourire malicieux etreleva les yeux vers moi :

— Tu vas publier ça ?— Euh… je ne sais pas. Il faut d’abord que ce soit sélectionné par le comité de lecture.Retournant à sa lecture rapide, sa main se posa sur son menton qu’il gratta mécaniquement, sans

expression particulière. Il tourna la dernière page, termina mon texte et soupira lorsqu’il referma lesfeuilles sur elles-mêmes.

— Alors ? C’est comment ? le questionnai-je, non sans être contrariée de n’avoir rien détecté surson visage.

— C’est bien. Mais ça reste moins subtil que ton dernier récit.Son visage s’égaya :— Par contre, ça me rappelle de très bons souvenirs…Au lieu de soulever ses paroles, j’insistai :— Moins subtil ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Que mon autre texte était meilleur ?Il baissa les yeux, là où mon texte était refermé, hésita avant de hausser les épaules :— Difficile à dire. Ici, on est dans l’action plus que dans la contemplation. Et il y a pénétration,

alors que dans l’autre, c’était… plus discret. Moins cru, si tu préfères.

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Je soupirai, un peu déçue par sa réponse. C’était pourtant le but visé : faire en sorte que mon textesoit incomparable avec le premier, ne serait-ce que pour fermer le clapet à John et à sa psychanalysede bas étage. Si j’avais pu, j’aurais même mis une scène épicée pour lui prouver que je pouvaisécrire des textes très différents de ce que j’étais.

— Mais c’est très excitant, reprit Simon en se relevant pour venir me reprendre dans ses bras. Lapreuve, dès que je rentrerai à la maison, tu peux être sûre qu’on reprendra notre petite conversationde corps, toi et moi.

Même si je laissai un sourire s’inscrire sur mon visage, je restai légèrement sur ma faim, non sansêtre heureuse que la plus urgente avait été rassasiée. Cependant, la question subsistait : qu’allais-jefaire avec ce texte ? Me fallait-il tout réécrire ? Pour être honnête, j’avais espéré un peu plus decompliments de la part de Simon.

Alors qu’il replaçait son tablier et s’apprêtait à prendre congé, il reprit :— Tu sais, quand je t’ai vu, en cuisine, j’ai cru que tu venais m’annoncer une mauvaise nouvelle.

Du genre… que John était revenu te voir ou quelque chose dans le genre.Bien malgré moi, mon sourire s’évanouit et, alors que je réfléchissais sur la façon de lui annoncer

ce qui s’était produit, un peu plus tôt, il remarqua mon air contrit et fronça les sourcils :— Quoi ? Tu l’as revu ?— Lena lui a fait visiter les bureaux de la revue, jetai-je en soufflant d’exaspération.Je lui résumai notre bref entretien en insistant sur la façon peu cavalière dont je l’ai fichu à la

porte de mon bureau, mais Simon m’interrompit brusquement :— Tu ne vas quand même pas le contacter pour obtenir des conseils ?— Bien sûr que non ! Quelle idée !On entra sans frapper dans son bureau :— Simon, on a un petit rush, là.— Deux minutes, grogna-t-il en jetant un regard sombre en direction de Chloé.Elle sursauta devant son ton sec et referma la porte sans insister. Je compris qu’il était plus

contrarié que je ne l’aurais cru de savoir que j’avais revu John et je l’observai tenter de conserverson calme :

— Deux fois en deux semaines. C’est le genre de hasard que je n’aime pas beaucoup, finit-il paradmettre.

— Ça n’a rien d’un hasard : il couche avec Lena ! Il est venu la chercher au bureau, c’est tout. Siça se trouve, c’est peut-être sérieux entre eux.

Même si je tentai de n’en rien laisser paraître, je grimaçai en prononçant ces mots. À choisirj’aurais préféré que John baise la moitié des filles de cette ville plutôt qu’une seule qui soit en liendirect avec moi. Surtout Lena. Dire qu’on s’entendait bien, elle et moi. À croire que John le faisaitexprès pour foutre le bordel dans ma vie.

— Et s’il essayait de se rapprocher de toi ? insista Simon en me jaugeant du regard.

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— Il se retrouverait devant une porte fermée. Combien de fois vais-je devoir te le dire ?Il croisa les bras et je le sentis anxieux de ne pas connaître les intentions de John. Sans parler que

le travail l’appelait et qu’il fallait mettre un terme à notre conversation. Je pointai la porte dumenton :

— Vas-y. On en reparlera plus tard.— Annabelle, je n’aime pas ça.— Je sais. Ça se voit sur ton visage.Du bout d’un doigt, je frottai entre ses yeux, là où un pli profond démontrait l’inquiétude qu’il

ressentait, comme chaque fois que le nom de John était évoqué.— Écoute, tu termines ta soirée. Moi, je rentre à la maison, je prends un bain et je profite de ton

absence pour essayer de retravailler mon texte. Évidemment, ça va me mettre dans tous mes états et turisques fort de devoir me faire sauvagement l’amour à la minute où tu vas rentrer du resto.

Il se dérida un peu et retint un petit rire. Après un soupir interminable, il hocha la tête.— J’en ai pour deux petites heures. Mets du blanc au froid, je ramènerai quelque chose à manger.Je caressai son tablier avec un sourire narquois :— Je t’avertis : on risque de manger froid.— T’auras intérêt à prendre des forces. Je peux déjà prédire que ta nuit sera courte.Pour me prouver ses dires, sa main me ramena près de lui et il glissa sa bouche dans mon cou

pour le dévorer doucement. Un frisson agréable parcourut ma colonne vertébrale et je grondai à laseconde où il se détacha de moi :

— Me voilà bien inspirée pour écrire, marmonnai-je en replaçant ma jupe.— Si ce petit rien t’inspire, attends de voir combien tu seras inspirée, demain matin, plaisanta-t-

il.Après un dernier baiser, il fila en douce et me laissa reprendre mes esprits dans son bureau.

Même après cet intermède, j’étais encore sur ma faim. Il faut dire que ces derniers temps, j’avaisl’habitude que nos ébats se prolongent. Autant utiliser les deux heures restantes pour peaufiner montexte. Le bon côté des choses, c’est que les sensations étaient encore fraîches à mon esprit.

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L’inspiration

Tout compte fait, un bain et un verre de vin plus tard, j’étais dans de délicieuses dispositionspour relire mon texte. Bien calée dans le canapé, en tenue légère, prête pour le retour de Simon, jereplongeai dans mon histoire et m’inspirai de ma visite impromptue au restaurant pour y ajouterquelques détails croustillants ici et là. J’essayai de rendre le tout plus subtil, m’attardant davantageaux sensations plutôt qu’aux faits.

Quand j’en eus terminé, je jubilais d’impatience de faire relire le tout à Simon. À tout le moins,dès qu’il en aurait terminé avec la petite urgence que je sentais poindre dans mon bas-ventre. Surtoutqu’il se faisait attendre ! N’avait-il pas dit qu’il en avait pour deux heures ?

Je fermai les yeux, songeai à son arrivée prochaine et, plus encore, à sa bouche entre mes cuisses.Juste à l’imaginer sur moi, j’étais déjà follement excitée. Bon sang ! Mais qu’est-ce qu’il attendaitpour rentrer ? Décidément, l’écriture de textes érotiques me mettait en appétit ! N’y tenant plus, jetendis l’oreille pour m’assurer qu’il n’était pas sur le point de surgir dans l’appartement, maiscomme tout me parut silencieux, j’hésitai à m’offrir un orgasme rapide, juste pour apaiser le feu quime ravageait. Une fois rassasiée, ne serais-je pas dans de meilleures dispositions, lorsque Simonrentrerait ?

Impatiente, je m’exécutai, me promis de me dépêcher. Pas que Simon ne m’avait jamais vue metoucher de la sorte, mais j’étais gênée à l’idée d’être prise en flagrant délit. En général, je mecaressais lorsqu’il était avec moi, pour accompagner son plaisir. Rarement seule. Et pourtant, justeen ayant l’impression de commettre un impair, mon excitation se décupla. Je posai mes doigts surmon sexe et me caressai doucement. Une vague de chaleur s’installa dans mon ventre et j’en oubliaiaussitôt mes réserves : je laissai mes cuisses s’ouvrir complètement, cherchai à pétrir ma poitrinesous ma nuisette, accélérai mes secousses en espérant en jouir le plus rapidement possible. Autantcalmer mon corps avant l’arrivée de Simon, autrement j’allais perdre tous mes moyens à la secondeoù il poserait sa bouche sur moi.

Malgré mon envie d’en finir au plus vite, je m’octroyai un répit lorsque je sentis que le vertigeme saisissait. C’était vite. Trop vite. Je voulais que le plaisir se fasse désirer, juste un instantsupplémentaire. Avec de la chance, il me foudroierait davantage. Je cambrai mon bassin, glissai deuxdoigts en moi avant de reprendre ma course folle sur mon clitoris. J’aimais sentir mon souffles’emballer de la sorte et, pour l’une des rares fois, j’appréciais pouvoir gérer la vitesse de mescaresses. Sous mes propres mains, je contrôlais tout. Je laissai monter la pression, tentai de ne rienprécipiter même si j’en avais follement envie.

J’étais à deux doigts de provoquer ma chute lorsque la voix de Simon me fit sursauter :— Ben ça !Le corps tendu, je cessai mes caresses et me redressai vivement, un peu confuse :— Quoi ? T’es… déjà là ?

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Ma question était bête. Il était non seulement là, mais en retard ! N’aurais-je pas dû entendre sespas ? Ma voix ne masquait ni mon inconfort ni l’essoufflement dont je faisais preuve. Sans parler quemon sexe palpitait toujours d’envie, encore anxieux d’atteindre l’orgasme, surtout qu’il m’avaitinterrompue alors que j’en étais si près. Une fois la porte refermée, il s’avança vers moi et pointamon entrejambe avec une expression amusée :

— Je t’en prie, continue.— Euh… je voulais juste…— Continue, répéta-t-il plus fermement en se plantant au bout du canapé.Devant mon hésitation, il se pencha par-dessus l’accoudoir et obligea mes jambes à s’ouvrir en

les écartant de ses mains. Son geste me fit reculer, mais au lieu de me rejoindre sur le meuble, il seremit à la verticale, comme s’il tenait à assister à la scène dans toute sa hauteur. Devant son regardinsistant, presque impatient, je me réinstallai plus confortablement et repris mes caresses, un peumollement, étrangement mal à l’aise de sentir son regard sur moi.

— Tu y mettais un peu plus d’entrain, il n’y a pas deux minutes, se moqua-t-il.— Mais… c’est que…Son corps revint sur le mien et sa bouche écrasa mes doigts sur mon sexe. J’en oubliai aussitôt

mes justifications maladroites, tentai de retirer ma main pour lui laisser un libre accès à mon plaisir,mais il releva la tête vers moi et me gronda doucement :

— Reprends tes caresses. Je veux te voir jouir.Je tentai de protester, agacée qu’il ait retiré sa bouche qui m’aurait fait perdre la tête de façon

bien plus agréable, mais il reposa ma main sur mon sexe et m’aida à retrouver mon rythme. Sous sonregard, je me sentis ridicule, gauche et incapable de me concentrer autrement que sur lui. Pourquoi neme prenait-il pas, tout simplement ?

— Ferme les yeux, ordonna-t-il. Fais semblant que je ne suis pas là. J’ai envie de t’admirer.Dans un soupir plein de doutes, j’obéis. Impossible de faire semblant que Simon n’était pas là.

Cependant, j’avais suffisamment envie de jouir pour que mon corps finisse par céder à sa requête.Laissant revenir mes doigts sur mon clitoris, je m’activai. Autant en finir, et vite ! Mes réflexionsallaient dans tous les sens, à Simon me prenant sauvagement sur son bureau, à l’envie qu’il me donneun coup de main, là, tout de suite. À la première vague de chaleur, j’ouvris les yeux, le suppliai duregard de se jeter sur moi, mais dès que je l’aperçus, le visage lumineux et empreint de désir, jecompris que la situation l’excitait. Une jolie bosse déformait son pantalon et il la caressait lentement,sans chercher à se débarrasser du vêtement.

— Ne t’arrête pas, souffla-t-il alors que je l’observais.Son regard, d’abord contraignant, devint soudain libérateur, provoquant une autre vague

d’excitation en moi. Cette fois, je n’eus plus aucune pudeur et je laissai libre cours à mes envies. Jegémis doucement, écartai davantage les cuisses pour qu’il voie à quel point j’étais brûlante de désir.Simon voulait assister à ma jouissance ? Que cela ne tienne. Je comptais lui donner entièresatisfaction, non sans espérer qu’il n’en soit que plus fougueux par la suite.

Je refermai les yeux, me mis à l’imaginer sur moi, en moi, non sans me remémorer notre petite

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baise impromptue au restaurant. Je me mis à jouir comme une folle, perdis la tête plus rapidement queje l’aurais cru, écrasant ma main entre mes cuisses pour faire augmenter la puissance de monorgasme, divin et plus fort que je ne l’aurais cru. Lourdement attendu, aussi.

Le temps que je revienne à la réalité, Simon se laissa tomber sur le canapé, écarta mes jambes,recommença à dévorer mon sexe tel un affamé. J’avais envie de lui en moi, mais j’étais tellement àfleur de peau que je ne résistai pas, je m’abandonnai à sa bouche. Mon esprit dérapa sans tarder etmon corps se cambra lorsque des doigts se faufilèrent entre mes fesses. Juste à songer qu’il allait mesodomiser, j’explosai entre ses lèvres, brûlante de fièvre.

— Tant pis pour la douche, grommela-t-il en forçant mon bassin à pivoter.Je ris, encore un peu amorphe du bonheur qu’il venait de m’offrir, mais je le laissai me

positionner à sa guise, me redressai légèrement et fis danser ma croupe devant lui pendant qu’ils’empressait de défaire son pantalon, visiblement très excité par mon geste. Une fois derrière moi, lechoc de nos corps fut violent. S’il se glissa d’abord dans mon sexe, je crois que ce fut uniquementpour lubrifier sa verge, car il plongea dans mon anus avec une telle fougue que ma tête en fut écraséecontre l’accoudoir du canapé. J’y étouffai un cri langoureux. Ses mains sur mes hanches empêchaienttout mouvement de mon côté. Quelle excitation l’animait ! Quelle rudesse aussi ! Ses ongless’enfonçaient dans ma chair et il jouissait d’un chant agréable, avide de perdre la tête à son tour.

— Oh Annabelle… tu vas me rendre fou…Mon dos se cambra vers lui, augmentant le plaisir qu’il provoquait à chaque poussée. Il se mit à

rugir, accélérant ses coups, s’agrippant de plus en plus fort à moi, puis il haleta :— Je ne pourrai… pas tenir… bien longtemps…Son corps m’écrasa de tout son poids, m’obligeant à revenir contre l’accoudoir. L’une de ses

mains relâcha ma hanche, tira sur mon épaule avec force, griffa mon dos sans ménagement en essayantde me cambrer, m’arracha un cri de douleur. Il cessa de se mouvoir pendant un instant, mais jetournai la tête et cherchai à poursuivre sa pénétration en me balançant devant lui, impatiente :

— Encore !— Anna…— Plus fort, bon sang !Ma plainte trouva preneur, assez pour que la poigne de Simon sur mon épaule revienne, plus

ferme et plus rustre, obligeant mon corps à revenir vers lui chaque fois qu’il me pénétrait. Sondéhanchement se fit plus rapide. Sa jouissance aussi. J’étais agréablement secouée lorsqu’ils’épancha en moi, dans un souffle bruyant, comme s’il se vidait de son souffle en même temps que deson sperme. Mon corps resta collé sur lui jusqu’à ce qu’il reprenne ses esprits, puis il me libéra engrognant :

— Merde !— Quoi ?— J’ai perdu la tête trop vite. Moi qui espérais qu’on se retrouve au sommet.Il tomba à mes côtés, sur le canapé et me tira pour que je tombe dans ses bras. C’était étrange de

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le voir sans pantalon, encore vêtu de sa chemise et de ses chaussettes. Devant mon air moqueur, il eutun rire las et embrassa ma tempe avant de soupirer :

— C’aurait été parfait si t’avais perdu la tête avec moi…— Oh, mais j’espère bien qu’on remette ça très vite.— Tout ce que tu veux, tant que tu me laisses prendre une douche !Il reprit doucement son souffle, les yeux fermés contre ma tête, puis chuchota :— Te voir comme ça… pendant que tu te masturbais… je ne te dis pas combien c’était excitant.— J’ai cru remarquer…— Tu fais ça souvent ?Surprise par sa question, je relevai des yeux inquiets vers lui et il s’empressa d’ajouter :— Pas que ça me dérange, seulement… je ne vais pas te mentir, ça m’étonne un peu. Surtout

après la dernière semaine…Il avait raison. Depuis le lancement de la revue, pas un jour ne s’était écoulé sans que nous

fassions l’amour. À croire que plus il m’en donnait, plus j’en voulais.— C’est de ta faute. Tu m’as bien excitée, tout à l’heure, dis-je sans chercher plus loin.— S’il n’y a que ça…Il fit mine de sourire et je compris qu’il laissait sous-entendre davantage. John, évidemment. Sa

présence modifiait-elle nos ébats ? Non. Peut-être. En tous les cas, je n’étais pas la seule à yréfléchir. Enfin, j’ajoutai, tout en retrouvant un sourire coquin :

— Je crois que l’écriture, ça m’excite…— Alors là, j’avais remarqué ! rigola-t-il.— Ne ris pas ! J’ai même l’intention de m’inspirer de notre petite mise en scène pour mon

prochain texte. Un gars qui entre et qui voit sa copine en train de se masturber…Son rire se confirma et son regard pétilla de malice :— Parce que tu crois que la sodomie se prête bien au genre de ta revue ?J’éclatai de rire en secouant la tête :— Je suppose que je peux tricher sur certains passages…— Y’a intérêt !Lorsque son rire s’estompa, je me redressai un peu plus :— Ça te dérange que j’écrive des textes érotiques ? Et que je m’inspire de ce qu’on fait

ensemble ?Son visage s’étira légèrement, puis il haussa les épaules :— Je suppose que tant que tu gardes ton pseudonyme… et tant que je suis le seul à t’inspirer…— Tu m’inspires beaucoup, le coupai-je en riant. Surtout ce soir…Ses mains se posèrent de chaque côté de ma tête et m’attira vers lui, plongea son regard dans le

mien :

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— Anna, je veux que tu sois heureuse, tu le sais, pas vrai ?— Oui.— Si ça te plaît d’écrire, alors je ne t’en empêcherai pas. Je ne t’empêcherai ni ne t’obligerai

jamais de faire quoi que ce soit.Mon cœur se serra devant ses mots, si lourds de sens, si vrais aussi. J’eus du mal à garder un

visage joyeux tellement je devins émotive :— Simon… je ne me suis jamais sentie aussi libre. Ni aussi heureuse.Je me jetai à son cou et l’embrassai avec force, surtout pour masquer le trouble qui me gagnait,

comme chaque fois qu’il faisait allusion à la force de ses sentiments pour moi. Par moment, j’avais lasensation qu’il était prêt à tout pour que notre couple conserve cet équilibre parfait que nous avionsconstruits. Son étreinte se raffermit autour de ma taille, puis il recula pour reprendre sonquestionnement :

— Anna, si je devais m’inquiéter… tu me le dirais, pas vrai ?— T’inquiéter ? Pourquoi ?Son regard s’assombrit et je fermai les yeux quand je compris qu’il parlait de John. Encore.

Soupirant d’exaspération, je grondai :— Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?— Une semaine et ça fait deux fois que tu le revois.— Je ne l’ai pas revu, c’est lui qui s’est pointé à mon bureau, me défendis-je aussitôt.Il pinça les lèvres, conscient que ses propos venaient de me choquer, mais il poursuivit

néanmoins :— Tout ce que je veux dire, c’est que… dans les deux cas, juste après, tu as eu ce que je pourrais

appeler… disons… une envie pressante ?Je fis mine de le menacer d’un doigt, puis l’utilisai pour le tapoter sur son torse pour l’énerver

davantage :— Faux. Au lancement, c’est toi qui as voulu qu’on baise dans les toilettes.— Et ce soir ?Je me rembrunis avant de rétorquer :— Ce soir, c’est à cause du texte que j’écrivais.— Rien d’autre ?— Rien d’autre, certifiai-je.Il me scruta un instant, comme s’il s’attendait à ce que je reprenne ma parole, ce qui me fâcha :— Simon, je n’ai aucune envie de retourner avec John, quand vas-tu le comprendre ?Son expression se défit, arborant un air triste, puis ses mains me forcèrent à revenir contre lui et

il chuchota :— Je suis désolé. Je ne t’en reparlerai plus.

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Juste à la lourdeur de son soupir, j’eus la sensation de l’avoir blessé en repoussant le sujet. Je medéfis de son étreinte et insistai :

— Simon, je ne te mentirai jamais. Si j’avais le moindre doute, je te jure que je t’en parlerais.— OK.— Et si tu veux vraiment tout savoir, je déteste son caractère condescendant ! Et le fait qu’il

couche avec Lena aussi. Et ce n’est pas de la jalousie ! jetai-je avant qu’il ne réagisse à mes dires.C’est juste que… on s’entendait tellement bien, elle et moi, avant qu’il ne débarque dans nos vies. Etencore, je ne te dis pas sa façon de vouloir me conseiller sur mes textes. À l’entendre, on dirait quec’est l’écrivain du siècle ! Si tu l’avais entendu ! J’espère que mon texte passera le comité de lecturebien avant le sien !

Il me toisa du regard, mais sa réaction fut lente à apparaître. Enfin, un sourire taquin éclaira sonvisage :

— Je ne te savais pas si compétitive…— Je ne le suis pas, dus-je admettre, enfin… sauf dans ce cas précis. J’ai bien envie de lui

prouver que je n’ai aucun besoin de ses conseils. Je sais que ce n’est pas professionnel, mais àchoisir, je préfèrerais qu’on publie n’importe quel texte plutôt que le sien.

Simon resta silencieux un moment, puis son inquiétude marqua de nouveau ses traits.— Quoi ? demandai-je, inquiète.— Je ne sais pas. Ça ne me plaît pas. J’ai l’impression que… qu’il te tourne autour.— Mais non !— Ne le sous-estime pas, Annabelle.Son ordre résonna comme une prière et je me braquai légèrement, consciente que je lui en

donnais peut-être l’impression :— Crois-moi, je ne ferai pas cette erreur, lui assurai-je.— OK, redit-il en forçant sa bouche à sourire.Je plaquai un baiser rapide sur ses lèvres pour essayer de le dérider :— Simon, John a fichu ma vie en l’air une fois. Je ne le laisserai pas recommencer.— Moi non plus, dit-il.Je lui volai un autre baiser :— Tu vois ? On est sur la même longueur d’onde toi et moi.Ma main caressa sa chemise :— Et si tu veux vraiment m’aider, tu vas me faire perdre la tête tellement souvent, ce week-end,

que j’aurai assez d’inspiration pour écrire cent textes.— Cent textes ? Rien que ça ? se moqua-t-il.— Oh, mais tu ne seras pas en reste, mon cher. N’oublie pas comme ça m’excite d’écrire…Mon corps se retrouva étroitement serré contre le sien :

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— Crois-moi, je ne risque pas d’oublier le spectacle auquel j’ai eu droit, ce soir…En moins de dix secondes, sa bouche dévorait mon cou et notre conversation devint autant

d’inspiration pour mes textes à venir…

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La compétition

Dès que je revins au travail, le lundi suivant, je fis venir Claire à mon bureau et lui tendis non pasun, mais deux textes de mon cru. Le second s’inspirait de ma petite mise en scène, mais je l’avaistransposée dans la chambre à coucher. Une femme émerge d’un rêve érotique et se masturbediscrètement pour satisfaire ses désirs, quand son conjoint s’éveille. Évidemment, ils poursuivent àdeux. Avec l’aide de Simon, j’avais retravaillé mes récits et j’en étais satisfaite. J’étais mêmepersuadée qu’ils étaient dignes d’être en compétition avec ceux de John, si tant est qu’il sache écriredes textes vanille !

Avant que mon assistante ne me questionne sur la provenance de ceux-ci, je déclarai, en essayantde conserver un air impassible :

— Voici deux textes supplémentaires de ma part. C’est moi, Hélène, mais je te défends d’enparler à qui que ce soit dans ce département, me suis-je bien fait comprendre ?

— Euh… oui. Bien sûr. Je… je ne dirai rien.Elle récupéra les feuilles que je lui tendais en me fixant d’une drôle de façon. Je l’avais surprise.

Peut-être un peu brusquée, aussi, mais j’étais tellement nerveuse de devoir avouer mon petit secretque je n’avais pas pu faire autrement.

— Je ne savais pas… euh… que tu écrivais, dit-elle, alors le silence persistait.— Moi non plus, admis-je en retrouvant un léger sourire. On avait besoin d’un texte pour le

premier numéro, j’ai essayé et puis… Lena a voulu qu’on le garde…Elle sourit et son visage se détendit, le reste de mon corps aussi, puis elle hocha la tête :— C’est normal ! Il était super ! Enfin… je suis contente que t’en aies refais un. Y’a pas mal de

gens qui l’espéraient sur le forum. J’irai le passer au comité de lecture, mais tu peux compter sur moi.Je ne dirai rien à personne.

J’affichai un air soulagé pour lui montrer ma gratitude :— Merci Claire.Pendant qu’elle me dévisageait avec un sourire étrange, Lena entra dans mon bureau et jeta un œil

agacé en direction de mon assistante :— Pardon Claire, mais il faudrait que je discute avec Annabelle…— En fait, puisque vous êtes là toutes les deux, autant en profiter pour ne le dire qu’une fois,

l’interrompis-je. J’ai remis deux textes érotiques à Claire. Évidemment, elle a promis de ne pasdévoiler que j’en étais l’auteure aux autres membres de l’équipe, mais comme je suis en conflitd’intérêt dans cette rubrique, je propose qu’elle sélectionne elle-même les deux textes que l’onpubliera dans le prochain numéro.

— Mais… euh… c’est toi la rédactrice en chef, me rappela Claire.— Elle a raison, soutint Lena, mais si tu ne veux pas t’en occuper, je peux le faire.

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Je fronçai les sourcils :— Pour que tu choisisses un texte de John Berger ? Pas question !— Je sais être impartiale, se défendit-elle, un peu choquée par mes propos.— C’est ma revue et j’ai décidé que ce mandat relèverait de Claire. Tu es autant en conflit

d’intérêt que je ne le suis dans cette affaire.Je détournai mon regard d’elle et le reposai sur ma nouvelle recrue :— As-tu un problème à t’occuper de ce dossier ?— Euh… non, bafouilla-t-elle, un peu anxieuse devant le malaise qui planait entre Lena et moi.— Bien. Lorsque tu auras cinq textes en présélection, Lena et moi les lirons avant que tu nous

exposes tes choix définitifs. Trois avis valent mieux qu’un, après tout.Je reportai mon attention sur ma supérieure :— Des objections ?— Euh… non. Ça me semble correct.— Bien. Ce sera tout. Tu peux y aller, Claire, je te rejoins à la salle de réunion dans cinq

minutes.Consciente qu’une drôle de tension emplissait l’air, mon assistante ne se fit pas prier pour sortir.

Dès que la porte en verre se referma derrière elle, Lena se planta aussitôt devant mon bureau :— T’as bien préparé ton coup, on dirait.— Tu m’as dit d’agir pour le bien de cette revue. C’est ce que je fais. Tu ne peux pas dire

l’inverse !Elle ne dit rien pendant un moment, puis son visage perdit de sa sévérité et je crus qu’elle allait

confirmer mes paroles lorsqu’elle bifurqua sur un tout autre sujet :— Annabelle… je voulais m’excuser pour vendredi dernier…La tristesse que je perçus dans le fond de sa voix me fit relever les yeux vers elle :— C’est… pas de problème, bredouillai-je, un peu surprise par ses propos.— Je ne pouvais pas savoir que tu serais encore là ! John voulait seulement…— Lena, c’est bon. On ne va pas en faire toute une histoire, non plus !Nerveuse, elle jeta un œil sur sa montre. Peut-être jaugea-t-elle du temps que nous avions avant la

réunion, car elle posa ses mains sur le rebord de la chaise, y prenant appui avant de se remettre àparler :

— Écoute, je ne suis pas le genre à tourner autour du pot, alors je vais le dire d’un coup : jetrouve vraiment triste ce qui nous arrive. Si j’avais su que ça nous éloignerait autant…

— Arrête, la coupai-je en levant une main pour la faire taire plus rapidement. J’ai été honnêteavec toi, je t’ai dit la vérité sur la nature de ma relation avec John…

— Mais t’as dit que tu fichais complètement que je couche avec lui !Je retins mon éclat de voix :

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— Je m’en fiche, OK ? T’es probablement la millième sur la liste de ses conquêtes, et alors ?Tout ce que je demande, c’est qu’il reste loin de moi. Je ne veux ni le voir ni en entendre parler, ilme semble avoir été claire sur le sujet !

Elle souffla bruyamment, serra le siège entre ses doigts, visiblement contrariée par mes paroles :— Et merde ! siffla-t-elle au bout d’un long silence. Pourquoi c’est aussi compliqué, tu peux me

le dire ?— Ça n’a rien de compliqué. On n’en parle pas et puis voilà.— Pas de ça avec moi ! Tu ne me regardes plus. Tu ne me parles plus. Est-ce qu’on n’était pas un

peu copines, avant ça ?Je lui jetai un regard noir et me défendis de lui répondre, mais elle insista :— Bon sang, Annabelle ! Tu crois que ça m’arrive souvent d’avoir une touche ? John est beau,

intéressant, il baise bien et il me fiche la paix quand j’ai du travail. Pourquoi je m’en priverais ?— Je ne t’ai jamais dit de t’en priver.— La belle affaire ! Je ne peux même pas t’en parler ! As-tu la moindre idée de ce que ça me fait,

à moi ? T’es jeune, belle, en couple avec un gars génial… je ne vois pas pourquoi je devrais mesentir coupable d’être avec ton ex !

Je la pointai du doigt, étonnamment choquée par ses paroles :— Je ne t’ai jamais dit de te sentir coupable ! Et John n’est pas mon ex, c’était mon Maître, Lena.

C’est totalement différent !Soudain, je cessai de parler, un peu contrariée d’avoir confirmé la théorie de Simon qui estimait

que la nature de ma relation avec John était plus importante que ce que je voulais lui accorder.Chassant mon malaise, je me repris aussitôt :

— Tout ce que je te demande, c’est de ne pas m’en parler !Elle gronda et contourna la chaise pour s’y laisser tomber, releva un visage contrarié vers moi :— Anna, pourquoi tu me fais ça ? Tu ne te rends pas compte ? S’il y a quelqu’un qui peut

comprendre ce que je vis, en ce moment, c’est bien toi !Ce que ses paroles sous-entendaient me déplurent. Était-elle en train de dire qu’elle vivait une

relation particulière avec John ? Même si j’aurais dû retenir ma question, elle franchit néanmoinsmes lèvres :

— Merde Lena, ne me dis pas que t’es sa soumise !Devant mon air craintif, elle étouffa un rire et secoua la tête :— Certainement pas ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer, encore ? On s’amuse, c’est tout. Ça

l’excite de me brutaliser un peu, alors je le laisse faire. Moi, tant que la baise est bonne, je me ficheun peu des détails…

Qu’elle admît ouvertement sa relation avec John me fit un choc plus grand que je ne l’escomptais.C’était pourtant évident. Ne m’avait-elle pas demandé la permission avant de coucher avec lui ? Etn’était-il pas revenu la chercher, vendredi dernier ? Je l’imaginais mal l’emmener au cinéma !

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Un peu malgré moi, je me laissai retomber sur ma propre chaise, ce qui m’obligea à la regarderdroit dans les yeux. Peut-être perçut-elle mon malaise, car sa question résonna sans attendre :

— T’aurais préféré que je ne dise rien, c’est ça ?— Non. Enfin… non. Si ça marche entre vous, tant mieux.Même si je souhaitais sincèrement être honnête, mon intonation sonnait faussement, mais Lena ne

parut pas s’en rendre compte, car son rire reprit :— Ho ! Du calme ! On est loin d’être un couple ! Et puis, moi, les gars qui carburent à la petite

pilule bleue… c’est pas trop mon genre.Je fronçai les sourcils et la questionnai du regard, ce qui la fit rire à nouveau :— Allons Annabelle, tu ne vas pas me dire que t’as jamais rien remarqué ! J’ai couché avec

assez de gars dans ma vie pour savoir que celui-là a un petit problème de performance.Je ne sais pas pourquoi, mais qu’elle rabaisse John, surtout au niveau de ses prestations

sexuelles, me fit perdre tous mes moyens. Je la fixai sans dire un mot pendant de longues secondes,puis éclatai de rire, comme si je n’arrivais pas à y croire.

— Attends, tu me fais marcher, là ? demandai-je en retenant mon rire.— Que non ! J’ai même jeté un œil dans sa pharmacie pour en être sûre ! Tu ne vas quand même

pas me dire que ton Simon, il bande autant ?— Euh… peut-être pas. Enfin… disons qu’il sait bien occuper les temps morts.Elle se remit à rire, probablement parce que mes joues s’étaient mises à rosir. Quand le calme

revint dans mon bureau, ce qui prit relativement du temps, elle jeta à nouveau un œil sur sa montreavant de soupirer :

— Faut qu’on y aille, mais… vraiment Annabelle, je n’ai pas envie de devoir choisir entre Johnet toi.

Je pris une respiration qui résonna interminablement dans mon bureau, puis je haussai lesépaules :

— Je ne vais pas te mentir, Lena, il a déjà foutu ma vie en l’air et je ne le laisserai pasrecommencer. J’ai déjà quitté un travail que j’aimais, déménagé et changé de téléphone pour ne plusle revoir. Je n’hésiterai pas à le refaire pour le garder loin de moi.

Sa bouche s’ouvrit sous la surprise, puis sa main balaya l’espace qui l’entourait :— Tu lâcherais tout ça à cause d’un homme ?— Je lâcherais n’importe quoi pour ne plus me retrouver là où il m’a mise. Et cette fois, je

n’attendrai pas qu’il soit trop tard avant de le faire.Elle cligna des yeux un bon nombre de fois avant de retrouver l’usage de sa voix :— Bien… ça le mérite d’être clair. Je suis contente que tu me l’aies dit. Je ferai attention.Devant la façon dont elle hocha la tête, je sus qu’elle était sincère. J’en profitai pour ajouter :— Puisqu’on est dans les confidences, j’apprécierais… que vous ne parliez pas de moi. Pas que

je pense que vous le faites, mais…

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— Alors là, t’as aucun souci à te faire, m’interrompit-elle. Avant même qu’on couche ensemble,après le lancement, je lui ai clairement dit que s’il voulait savoir quelque chose à ton sujet, il n’avaitqu’à aller te voir. Je ne mange pas de ce pain-là.

Je la scrutai avec un drôle de sourire, encore étonnée de la façon dont elle avait tenu tête à John.J’avais même un peu de mal à croire qu’il lui ait permis de le faire, d’ailleurs. Lorsqu’elle se leva,signe que nous étions sur le point d’être en retard à notre réunion, elle posa un autre regard inquietsur moi :

— Alors ? Est-ce qu’on peut se reparler comme avant ? Je promets d’essayer de ne pas t’enparler. C’est le mieux que je puisse faire.

Avec un sourire un peu contrit, je soufflai, légèrement rassurée du rapprochement que venait defaire Lena :

— OK.— Super ! Et j’espère que tu vas continuer à me faire lire tes textes, petite coquine !Je me levai en riant et la suivis hors de mon bureau, le cœur plus léger à l’idée que nous nous

étions réconciliées.* * *

Lorsque Claire revint dans mon bureau, en début de semaine suivante, l’appel à textes étaitclôturé et nous n’avions que peu de temps pour choisir ceux qui seraient publiés dans le prochainnuméro. Jessie les attendait pour les lire afin de pouvoir les illustrer, puis créer la maquette de sarubrique. Nous devions donc trancher sur les vainqueurs avant la fin de la journée.

Parmi les cinq textes retenus par le comité de lecture, il y avait un des miens, ce qui me plaçaitdirectement en conflit d’intérêt. J’en fus à la fois soulagée et anxieuse. J’étais passé au premier tour,mais je n’aurais pas le dernier mot. À la limite, si je n’avais pas été sélectionnée, les choses auraientété plus simples…

Me débarrassant de toutes mes obligations pour le reste de l’après-midi, je me calai dans monfauteuil et entrepris de lire tous les textes pour régler la question une bonne fois pour toute.

Le premier récit était surprenant, un peu rustre aussi : une femme attachait son mari à la tête du litpour lui faire passer un agréable moment. Au passage, une fellation, quelques griffures et unechevauchée fort bien écrite. Je plissai les yeux. D’abord parce que la scène était simple à visualiseret qu’il s’agissait du genre d’histoire qui me plaisait, quand je travaillais avec John. Était-ce l’un deses textes ? Certes, il n’était pas aussi fort que ceux que j’avais l’habitude de lire, mais onreconnaissait néanmoins sa marque : un homme attaché, quelques griffures… croyait-il vraiment queje ne remarquerais rien, juste en plaçant une femme comme dominante ? D’office, je le rejetai, nonsans grimacer devant la qualité de son écriture.

Pendant un moment, je pivotai mon siège de gauche à droite, sans quitter le texte des yeux. Avais-je le droit de le refuser uniquement parce qu’il était de John ? Lena finirait bien par me laisser sous-entendre mon manque de professionnalisme. Je soufflai, amère, et reprit les feuilles restantes. Ilfallait espérer que les autres textes soient tout aussi bons, sinon meilleurs que celui-ci.

Le second récit racontait une balade en voiture qui se terminait sur le bord de la route. Un couple

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échauffé allait terminer la soirée sur le siège arrière du véhicule. Classique, écriture simple, plus oumoins de détails, avec quelques tournures de phrases à revoir. Un amateur, probablement. De toutefaçon, j’avais l’impression que ce texte était trop similaire à celui que nous avions publié, dans lepremier numéro. Je le mis de côté, un peu déçue qu’il soit moins bon que celui du lit.

Le troisième texte relatait un déjeuner au lit qui devenait un jeu coquin alliant nourriture et sexe.Le tout avec une touche d’humour. Quand je l’eus terminé, j’eus un petit sourire agréable. C’étaitléger, peut-être un peu trop, car je n’étais pas du tout excitée, mais l’idée me donna néanmoinsmatière à réfléchir : confiture sur sexe de Simon ? Miam ! J’avais soudain très envie de tenterl’expérience…

Je posai mon texte de côté et récupérai les trois feuilles restantes. Dès le début de ma lecture, jerestai surprise devant les premières phrases : agréables, fluides, simples, mais efficaces. L’histoired’une femme sous la douche et de son amoureux qui venait la rejoindre. Si la situation était banale,l’écriture ne l’était définitivement pas. Vers la moitié du texte, je relevai les yeux et sentis que monsouffle se faisait plus court, sans parler d’un léger trouble que je reconnaissais bien dans le bas demon ventre. Merde. Quelle idée de lire ce genre de textes au bureau ! Au lieu de poursuivre malecture, je la recommençai et analysai les premières phrases, à la fois suspicieuse et impressionnée.Impossible que ce texte ait été écrit par John. Il était talentueux, certes, mais ce n’était absolumentpas son style. Et de là, à se mettre dans la peau d’une femme…

Tout en essayant de garder la tête froide, je repris ma lecture, mais le reste de mon corps nel’entendit pas de la même façon. Quand je reposai le texte, j’étais légèrement déstabilisée par cequ’il provoquait entre mes cuisses. Il y avait fort longtemps qu’une lecture érotique ne m’avait fait untel effet !

Pour me raccrocher à la réalité, je relevai les yeux et fis mine de sourire à ceux qui passaientdevant mon bureau. Quelle idée de faire des parois en verre ! N’importe qui pouvait me voir juste enpassant dans le couloir. Me laissant tomber plus confortablement sur mon siège, j’essayai de faire letri de mes réflexions tout en chassant le trouble que je ressentais. Au moins, nous avions une bellesélection de textes. J’étais même étonnée que l’un des miens en fasse partie.

Ne sachant quoi en penser, je téléphonai à Lena :— T’as lu les textes ?— Je viens de terminer. Et toi ?— Pareil. Alors ?— Alors, on devrait vraiment se plaindre d’être dans des cages en verre, rigola-t-elle. Je ne te

dis pas les idées que j’ai, en ce moment !Je retins mon rire et même si je me défendis de l’admettre, j’étais tout à fait d’accord avec elle.— Je dirai à Claire de nous les transmettre par courriel, au moins vingt-quatre heures à l’avance,

la prochaine fois, annonçai-je. Et sinon ? T’as fait un choix ?— Oui, mais… on va devoir attendre Claire, parce que… je suis en conflit d’intérêt.Sa voix avait baissée d’un ton et je percevais son malaise, même au bout du fil.— Oui, j’ai reconnu son écriture, avouai-je.

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— Ah. Euh… évidemment. Et toi ? T’es en conflit d’intérêt aussi ?— Ouais.La chaise de Lena grinça, assez fort pour que je l’entende, signe qu’elle venait de se redresser,

puis sa question me fit sursauter tellement elle parla fort :— Sérieusement ? Lequel ?— Lena…— Quoi ? Bon sang, Annabelle, t’as vu la qualité de ces textes ? Bon, d’accord, puisque tu ne

veux pas me le dire, je te donne mon classement. Déjà, celui de la voiture, je l’ai écarté. Ilressemblait trop à celui que nous avions publié.

Je souris sans répondre, non sans être fière d’avoir songé à la même chose, mais la longueur demon silence l’inquiéta :

— Ce n’est quand même pas ton texte ?— Non. C’est juste que moi aussi, je l’ai mis de côté. Et pour la même raison que toi.Elle pouffa de bon cœur et je dus admettre que de retrouver notre complicité des premiers temps

était fort agréable.— Et celui avec la bouffe ?— Léger. Peut-être trop ? la questionnai-je.— Ah oui. Beaucoup trop ! Mais c’est bien écrit, ajouta-t-elle très vite. C’est juste qu’en

comparaison, les trois autres sont largement en avance. Tant au niveau du scénario que de l’écriture.Sa remarque me flatta. Elle incluait donc mon texte dans le lot ? Étrangement, je me remémorai le

texte de John. Soudain, nous étions en bel et bien en compétition, lui et moi. Sans parler que nousl’étions avec un texte que je jugeai bien meilleur que les nôtres, mais comment le signaler à masupérieure sans avoir l’air d’essayer de l’écarter de ma revue ?

— C’est ton texte ? me questionne encore Lena.— Euh… non plus.— Attends, tu ne vas pas me dire que t’as écrit le texte de la fille qui se caresse devant son petit

ami ? Ben ça ! Wow !Qu’elle me pose la question en laissant sous-entendre qu’elle en était plutôt sûre me fit froncer

les sourcils :— Comment tu peux savoir que c’est le mien ?Anxieuse, je me repris aussitôt :— Attends… John a bien écrit celui du lit, pas vrai ?— Et celui de la douche aussi. Et ouais ! Il en a écrit deux et les deux ont passé le comité de

lecture. Impressionnant, hein ?Même si je tentai de conserver mon calme, ma respiration se bloqua pendant un petit instant.

Deux de ses textes s’étaient rendus en finale ? Pourquoi cela me dérangeait-il autant ? J’étais unamateur et j’étais arrivée au même résultat. Et pourtant, au lieu d’en être flattée, j’en étais légèrement

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choquée.— T’as seulement reconnu celui du lit ? me demanda Lena avec une petite voix.— Ouais.— Hum, bien… je trouve que celui de la douche est vraiment mieux, tu ne crois pas ?— Ouais, répétai-je, non sans être troublée de devoir l’admettre.Je remerciai le ciel d’être assise, et seule aussi. Je n’osai même pas imaginer apprendre

l’information autrement. Cette fois, je n’avais plus aucun doute. John allait être publié dans ma revueet je venais d’être battue à mon propre jeu. Merde. Pourquoi avais-je décidé d’écrire d’autres textesaussi ? Est-ce que je n’ai pas suffisamment de choses à faire dans cette revue ?

— Pourquoi on ne mettrait pas un texte chacun ? suggéra Lena. Celui de la douche et le tien ?Soudain, d’être publiée à côté de John ne me disait rien. Les gens allaient nous comparer et

verraient forcément à quel point j’étais médiocre en comparaison. Publier des textes amateurs,d’accord, mais en ce moment, je songeai qu’on aurait dû interdire aux auteurs connus de participer !

— Si tu veux, tu peux voter pour les textes de John, finis-je par annoncer. Si Claire est d’accordpour publier les deux, je ne m’y opposerai pas.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je comptais déjà voter pour le tien ! s’emporta-t-elle au bout dutéléphone. Il est bien meilleur que celui du lit !

— Lena, je n’ai pas envie d’être publiée avec John, finis-je par admettre.— Si tu ne voulais pas être publiée, alors il ne fallait pas envoyer de texte, ma jolie ! Bon sang,

Annabelle, tu devrais plutôt voir le bon côté des choses ! C’est ton deuxième texte et il est encorechoisi ! Et encore, ils étaient vraiment tous bons ! Tu devrais être contente !

Je soupirai, les épaules de plus en plus lourdes, mais lui dis la vérité :— C’était mon troisième texte. De toute évidence, mon autre n’a pas été retenu en sélection.L’admettre me dérangea plus que je ne l’aurais souhaité. Pourquoi ? Parce que John avait plus de

talent en écriture que moi ? N’était-ce pas normal, après tout ? C’était son métier ! Et pourtant,j’aurais aimé lui clouer le bec une bonne fois pour toutes !

Je fus soulagée lorsque mon assistante entra dans mon bureau et interrompit notre conversation. Jechangeai aussitôt de sujet :

— Claire est ici. Tu descends ? Ce sera plus simple si on en parle toutes ensemble.Dès que je raccrochai, mon assistante s’installa devant moi et parla vite :— Tu sais, avant que Lena n’arrive, je voulais te dire… c’est pas parce que ton deuxième texte

n’était pas bon. C’est juste que… il fallait faire un choix, tu comprends ?— Pas de problème. Ta sélection était très bien.Je forçai un sourire sur ma bouche et me parai d’un masque impassible :— Je viens d’en discuter avec Lena et on pense que tu devrais choisir les deux textes de John

Berger. À mon avis, ils sont largement en avance sur les autres.Même s’il m’en coûtait de l’admettre, j’eus la sensation de faire quelque chose de juste. En face

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de moi, Claire perdit contenance :— Mais… comment vous avez su que… ? Que c’était lui ?— J’ai été l’éditrice de John. Et Lena… Lena est très proche de lui.Malgré moi, je grimaçai de le lui avouer, mais Claire ne parut pas s’en rendre compte. Enfin…

pas ouvertement. Pourtant, elle commença à bafouiller :— C’est que… je comptais… je m’étais dit que…Alors que mon assistante cherchait ses mots en ouvrant son dossier, en équilibre sur ses genoux,

Lena entra tel un coup de vent, une pile de feuilles entre les mains :— J’ai manqué quelque chose ? Parce que je viens d’avoir une idée géniale !Tous les regards se posèrent sur elle, mais avant qu’elle ne puisse prendre place sur une autre

chaise, je la fis taire :— Voyons d’abord ce que Claire avait décidé. Après tout, il s’agit de son dossier, maintenant.D’un signe de la main, j’encourageai mon assistante à poursuivre, ce qu’elle fit avec une petite

voix trouble :— Bien… je me disais que… qu’on pourrait publier le texte dans la douche et celui de… celui

du couple dans le lit.Je serrai les dents, puis posai les yeux sur Lena pour lui montrer que je n’avais pas l’intention de

m’y opposer. Ma supérieure fronça les sourcils :— Tu parles duquel ? Celui où la fille attache son mec au lit ou celui où la fille se masturbe

après un rêve érotique ?— Celui de la masturbation, annonça Claire en tournant son visage vers moi.Étrangement, je fus étonnée qu’elle choisisse mon texte. Je ne l’avais pas relu, mais soudain, il

me paraissait bien terne en comparaison de ceux de John. Plus amateur, à n’en point douter.— Je ne l’ai pas choisi parce que c’est le tien, se justifia-t-elle devant mon manque de réaction.— Bien sûr que non, insista Lena. C’était un sacré texte. D’ailleurs, nos lecteurs vont en faire

dans leur culotte, avec ces deux-là ! On risque fort de s’en faire reparler sur le forum !Lena riait, comme si tout était simple. Moi, j’avais la gorge sèche et je m’entendis reprendre :— Je ne sais pas. Je crois qu’on devrait prendre les deux de John. Ou celui avec la nourriture,

tiens. On pourrait demander à l’auteur de faire quelques modifications pour que…— Stop, gronda ma supérieure en levant la main pour me réduire au silence. Claire a choisi. Tu

lui as donné carte blanche et tu n’es pas impartiale en ce qui concerne ton texte. En ce qui meconcerne, j’avais fait la même sélection. Bien. Maintenant que c’est fait, écoutez l’idée géniale que jeviens d’avoir !

Sans me laisser intervenir, elle se mit à parler du forum de discussions et de notre site internetqui était fort fréquenté depuis le lancement de la revue. Elle suggéra de mettre un ou deux textessupplémentaires en ligne, moyennant une rétribution plus faible aux auteurs, mais qui permettrait à lafois à nos lecteurs de venir récupérer de la documentation supplémentaire, tout en leur accordant une

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petite gratification supplémentaire.— Nos fournisseurs et nos commanditaires ont toujours besoin d’une plus grande visibilité. Si on

met un ou deux textes érotiques de plus par mois, je suis sûre que tout le monde y gagnerait.Claire sembla conquise par le projet, songea même à quelques textes parmi ceux éliminés qui

pourraient déjà figurer sur ce serveur. Pour ma part, j’étais encore en train de me faire à l’idée quemon texte allait apparaître à côté de celui de John Berger. Qu’allait en penser Simon ? Soudain, j’eussoudain très envie de changer de pseudonyme…

— Évidemment, il faut que j’en parle au conseil d’administration, nous expliqua Lena. Je ne vousle cacherai pas, ça peut générer des frais supplémentaires de faire ça, mais je suis sûre qu’ils vontadorer l’idée ! Depuis le temps qu’ils nous rabâchent les oreilles pour qu’on fasse quelque chose defort, en ligne…

Je forçai un sourire sur ma bouche, la laissai me convaincre sans trop de mal. De toute façon,lorsqu’elle était dans tel état de frénésie, rien ne pouvait l’arrêter.

— Bien, reprit Claire en se levant pour prendre congé, je vais tout de suite envoyer les deuxtextes gagnants à Jessie pour qu’elle les illustre. Et mettre quelques textes en banque pour le prochainnuméro. Juste au cas…

— Excellente idée, soutint Lena. Je vais envoyer un courriel au conseil pour leur demander cequ’il pense de mon idée.

Je restai là, comme si tout était joué sans mon aval. Dès que mon assistante sortit, ma supérieureresta confortablement assise dans son fauteuil et reposa ses yeux sur moi :

— Qu’est-ce qui se passe ? T’es pas contente ?— Je ne suis pas sûre, admis-je. Et pour tout te dire, je ne pense pas qu’Hélène soumettra de

nouveaux textes à la revue.— Mais arrête ! T’es douée, Annabelle ! Combien de fois je vais devoir te le dire ? D’ici deux

ou trois mois, je suis sûre que tu vas largement dépasser John ! N’oublie pas qu’il a des annéesd’expérience dans l’écriture…

Comment l’oublier ? Sans parler qu’il en avait autant, sinon plus, dans le domaine sexuel. Johnavait-il déjà été normal ? Même s’il m’en coûtait de l’admettre, son texte vanille m’avait vraimentimpressionnée. Jamais je ne l’aurais cru capable d’écrire avec autant de douceur…

— Tu veux qu’on aille prendre un verre ? suggéra Lena.— Euh… non. Sans façon.Elle fronça les sourcils et insista encore :— Allez, quoi ! Ça fait une éternité qu’on n’a pas papoté entre filles ! Et on pourrait en profiter

pour développer l’idée du serveur de textes en ligne ?Devant mon hésitation, elle m’envoya un clin d’œil complice :— Je promets de ne pas parler de tu-sais-qui.Je levai les yeux au ciel et soupirai longuement. Un verre. Du travail. Cela me parut bien simple,

tout à coup. Enfin, je forçai un sourire sur mes lèvres et me levai :

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— T’as raison. Simon rentre tard et j’ai bien besoin d’un verre…

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Corrections

Contrairement à ce que je craignais, Simon fut ravi que mon texte ait été sélectionné et, plusencore, qu’il soit publié. Il soutenait le même discours que Lena, soit que j’étais assez douée pourque l’on me place côte à côte avec un auteur d’expérience, même si celui-ci était John Berger.Dommage. J’aurais aimé avoir une excuse pour demander le retrait de mon texte à Claire.

Malheureusement, après ce fâcheux incident, je n’avais plus la moindre envie d’écrire. À croireque John pourrissait tout ce que je faisais. Il avait gâché mon lancement et maintenant, il s’imposaitdans ma revue. À quoi bon rivaliser avec lui en écriture : il était largement plus doué que je ne leserais jamais. Autant m’en tenir à la revue. Là, c’était mon territoire et je n’allais certainement pas lelaisser l’empiéter !

Il était tôt, lorsque j’arrivai au bureau, le lendemain matin. Pour une fois, j’avais envie deprendre un café devant mon agenda avant que les autres n’arrivent et que ce soit la folie autour demoi. Une fois devant mon ordinateur, ma gorge se serra lorsque le nom de John Berger apparut, engras, dans ma boîte de courriers électroniques. Mon premier réflexe fut de le ficher à la poubelle,mais comme l’objet de son message était « Félicitations », je me risquai, non sans hésitation, à y jeterun œil :

« Chère Annabelle, je suis très heureux que l’un de mes textes ait été retenu par ton comité delecture et, crois-le bien, tout aussi honoré de publier à tes côtés. Je n’ai pas encore eu la chance delire ton texte, mais sache que j’ai hâte de le découvrir. Décidément, vous avez bien des talents,mademoiselle. Toutes mes félicitations, John. »

Je grimaçai devant l’utilisation du mot « mademoiselle ». Même par écrit, il me déplaisait, maispeut-être était-ce juste parce que j’avais la sensation d’entendre sa voix dans ma tête. Je refermai lecouvercle de mon ordinateur et essayai de garder la tête froide. J’étais furieuse. Sous cescompliments, se moquait-il de moi ? Comment pouvait-il se dire honoré de publier à mes côtés ?

Un peu revêche, je rouvris l’ordinateur et lui répondis sans hésiter :« Merci de tes bons mots, John, mais comme tu peux le constater, il n’y a pas de quoi être honoré.

Mon texte n’a absolument rien de particulier. »J’ajoutai mon texte en pièce jointe, sans même signer mon message, et l’envoyai. Trois secondes

plus tard, je perdis le souffle en prenant conscience de ce que je venais de faire. Quelle imbécile !Pourquoi n’avais-je pas simplement ignoré son message ? Autant lui dire qu’il était cent fois meilleurque moi, au passage !

Un peu déstabilisée de m’être laissée emporter, je laissai tomber ma tête sur mon bureau engrognant. Alors que je me traitais silencieusement de tous les noms, Lena entra et me fit sursauter :

— Dure nuit ?— Hein ? Euh… non. Juste…Je fixai mon ordinateur un moment, hésitai de lui parler du courriel de John, mais comme je ne

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voulais rien cacher à Lena, je parlai franchement :— John m’a envoyé un courriel pour me féliciter.Le regard de Lena afficha un brin de surprise, puis son sourire se figea :— Ne me dis pas que je n’avais pas le droit de lui dire que t’avais gagné !— Hein ? Non. C’est juste que…Je soupirai tristement avant de me résoudre à tout lui dire :— Je trouve que mon texte n’est vraiment pas à la hauteur. Peut-être qu’on devrait publier autre

chose ?Devant son expression amusée, je grondai :— Ne t’avise surtout pas de lui dire ça !— Oh ! Du calme ! Qu’est-ce que t’es dure avec toi ! Il était génial, ce texte ! Bien meilleur que

ton premier, si tu veux mon avis…— Mais je suis largement deuxième, tu ne peux pas dire le contraire !Elle souffla d’exaspération, s’installa dans le siège devant mon bureau et reprit :— Annabelle, tu te compares avec un auteur qui a déjà un nom dans le domaine ! Laisse-toi une

chance !Son doigt se mis à danser devant moi, menaçant, puis son ton se durcit :— Pour ta gouverne, je te rappelle que John avait proposé de t’aider, mais que tu l’as fichu à la

porte de ton bureau.Je la fusillai du regard et elle tempéra aussitôt ses propos en cessant de me pointer de la sorte :— D’accord ! Tu ne veux pas le voir, tu ne veux pas qu’il t’écrive, tu ne veux rien avoir à faire

avec lui. J’ai compris. Mais personnellement, je trouve que tu fais toute une montage pour pas grand-chose ! Personne ne sait qui se cache derrière la belle Hélène.

Elle avait raison. À une exception près : John savait. C’était bien la dernière personne quej’aurais voulu qu’il sache, d’ailleurs.

— Il t’a félicitée, tu ne vas quand même pas lui en vouloir pour ça, reprit-elle.— Mais non. Je l’ai même remercié, ça te va ? Maintenant, changeons de sujet, tu veux ?— Enfin ! dit-elle en se réinstallant plus confortablement dans son siège. Bon, j’ai rendez-vous à

quatorze heures avec Bill et Stef pour cette histoire de serveur. Ils avaient l’air bien emballés parmon idée, mais ils doivent d’abord vérifier la faisabilité du projet. Tu pourrais m’accompagner ?

Reprenant mes esprits, je fouillai dans mon agenda et hochai la tête. À défaut de me traiter de tousles noms, autant plonger dans le travail. Là, au moins, je n’étais pas deuxième, mais bien première, etsur tous les plans !

* * *Je dévorai un sandwich en vérifiant des maquettes, quand le téléphone sonna. Je répondis sans

quitter l’article des yeux :— Annabelle Pasquier.

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— Bonjour Annabelle.Pendant le bref instant de surprise qui me gagnai, mes doigts écrasèrent le combiné et je tentai de

garder mon calme :— Bonjour John, tu as dû faire une erreur : le poste de Lena, c’est le 2254. Veux-tu que je te

transfère ?Son rire inonda mon oreille, mais il ne se laissa pas décontenancer par ma remarque :— C’est à toi que je voulais parler. J’avais envie qu’on discute de ton texte.— C’est inutile.— Annabelle, reprit-il d’une voix grave, j’ai été agréablement surpris. C’est excellent. Il y a

juste… un léger manque de rythme, mais rien de bien terrible.Un léger manque de rythme ? Ma bouche s’ouvrit et se referma automatiquement pour réprimer

mon désir de l’engueuler, mais devant mon silence, il poursuivit :— Si tu le voulais, nous pourrions corriger cela en moins de deux heures.Je me crispai sur ma chaise. « Nous » ? Ce mot, dans sa bouche à lui, amplifia mon sentiment de

panique. Je fermai les yeux. Il fallait que je reste calme. À quoi bon m’emporter ? Je respirai unefois. Deux fois. Puis je repris :

— Le problème, c’est que je n’ai pas le temps de le retoucher. Contrairement à toi, j’ai autrechose à faire de mes journées.

Malgré toute la volonté du monde à ne pas paraître aussi contrariée devant son offre, mon tonrésonna sèchement. C’était plus fort que moi, je ne pouvais pas être cordiale avec John. S’il n’entenait qu’à moi, j’aurais raccroché ce téléphone à la seconde où sa voix avait résonné dans monoreille. Reprenant le peu de contenance qu’il me restait, je soupirai :

— Écoute John, c’est une grosse journée et…— Pas de ça avec moi, me coupa-t-il. Que tu ne veuilles pas me parler, je peux le comprendre.

Mais tu vas au moins m’écouter : ce que tu m’as envoyé est un excellent texte. Tu as du talent,Annabelle ! Pourquoi refuses-tu de le voir ?

Je ne répondis pas. Pour cause ! Je ne trouvai rien à dire. Comment pouvait-il continuer de mecomplimenter alors que je le repoussais inlassablement ? Au bout d’un silence auquel je ne fis rienpour mettre un terme, il soupira bruyamment :

— Bien. J’ai annoté ta copie dans mon traitement de texte, je t’envoie mes propositions parcourriel. Libre à toi d’y apporter les corrections. Mais si tu veux mon avis, ce serait dommage de lepublier tel quel, alors qu’il pourrait être bien meilleur.

Pendait qu’il parlait, son courriel entra dans ma boite de réception et je fronçai aussitôt lessourcils en lisant l’objet de son message :

— Les points de tension ?— Oui, Annabelle. Ne t’en déplaise, c’est ce qui manque à ton texte.— Je pensais que c’était une question de rythme ?

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— C’est exactement ça. Seulement… je trouve que le concept est plus facile à comprendre decette façon.

Malgré la curiosité qui m’animait, je ne dis rien. Il comprit que je n’avais pas l’intention decéder, puis il soupira de nouveau :

— Bien, je ne vais pas te déranger plus longtemps…Énervée, je jetai mon sandwich sur mon bureau et cédai au temps qu’il laissait étirer :— Écoute, même si je le voulais, je n’ai pas le temps de faire des modifications sur ce texte. Tout

doit partir chez l’imprimeur demain, en fin d’après-midi.— N’es-tu pas rédactrice en chef ? grogna-t-il. Sérieusement Annabelle, ouvre le document que

je viens de t’envoyer et accorde au moins trois minutes d’attention aux modifications que je tepropose.

J’obtempérai. Pendant que mon traitement de texte s’ouvrit, ni lui ni moi ne brisâmes le silence,mais je blêmis lorsque le document apparut sous mes yeux :

— Tu veux que je change tout ça ?— Ce sont que des suggestions, Annabelle. Libre à toi de ne pas en tenir compte. Ceci dit, les

lignes rouges, ce sont les points de pression dont je te parlais.— Ce qui veut dire ?Je l’écoutai m’expliquer l’utilisation du rythme, important, surtout dans un texte érotique. Il me

proposait de laisser des hésitations, des reprises de souffle, des marques de tension pour que lelecteur s’impatiente avec le protagoniste. Quand il cessa de parler, je reculai dans mon siège.

— Annabelle ? Mon explication est-elle suffisante ou dois-je te donner un exemple ?— Euh… non, c’est… c’est très clair.En réalité, c’était si évident que je me maudis de ne pas y avoir songé moi-même. Nous en avions

pourtant discuté, au début de notre collaboration, il y a de cela fort longtemps. J’avais tout rejeté enbloc. Tout, même ce qui pouvait m’être utile.

— Comptes-tu appliquer mes conseils ? me demanda-t-il encore.— Je ne sais pas. C’est que… il y a plus de changements que je ne le pensais et… comme tu sais,

je suis très occupée…— Je sais, oui.Il laissa un autre silence s’installer, comme pour me donner le temps de réfléchir à ce que je

devais faire. Surtout pour en finir avec notre discussion, je dis :— J’essaierai de lui accorder une heure ou deux cet après-midi.— Voilà une sage décision. Si tu as besoin que je relise ta version finale, n’hésite pas à me le

retransmettre. N’oublie pas que tu seras toujours ton pire juge, Annabelle.Je pinçai les lèvres, probablement parce que je devais admettre qu’il avait raison, puis je fronçai

les sourcils :— Je peux savoir pourquoi tu fais ça ?

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— Je fais quoi ?— Tu m’aides.Un autre silence passa et j’avoue que celui-ci fut le plus long de notre conversation.— Parce que tu as du talent, Annabelle, dit-il enfin. Et que je te dois au moins ça.Il ajouta ses derniers mots sur un ton que je ne parvins pas à définir. J’eus envie de siffler

quelque chose de désagréable, du genre qu’il me devait davantage des excuses, mais cela aurait étépuéril de ma part. Ne les avais-je pas déjà reçues ? De toute évidence, cela n’avait pas suffi. Jefermai les yeux et attendis un moment, juste le temps que je puisse retrouver l’usage de ma voix et ilne s’impatienta pas.

— Merci, prononçai-je, non sans difficulté. Je verrai ce que je peux faire.Il y eut un autre silence. À croire que ceux-ci duraient plus longtemps que nos paroles. Peut-être

comprenait-il que je n’avais rien de plus à ajouter, car, enfin, il trancha :— Bien. Bonne journée, Annabelle.— Salut John.Je raccrochai sans attendre, les yeux rivés sur mon texte plein de couleurs. Je me sentais comme

une enfant qui aurait fait un tas de fautes dans son examen et à qui on demandait de tout refaire.Machinalement, je repris le téléphone et vérifiai auprès de Claire si je pouvais obtenir un léger délaipour modifier quelques passages de mon texte. Elle ne s’y opposa pas, ce qui m’obligea sérieusementà considérer la proposition de John.

Même si j’avais un nombre incalculable de choses à faire, je passai le reste de mon après-midi àcorriger mon texte. De toute façon, je n’arrivais pas à réfléchir à autre chose. Même s’il m’en coûtaitde l’admettre, John avait raison : je devais le rendre parfait avant de l’offrir à mes lecteurs. N’était-ce pas ce que l’éditrice en moi aurait dû faire, dès le départ ?

Bien qu’elles me parussent énormes, les corrections de John étaient relativement simples. Il avaitl’art et le vocabulaire de décrire le sexe, mais à aucun endroit, il ne laissa le moindre commentairedéplacé. Au contraire. J’avais l’impression de relire des remarques que j’aurais moi-même inscritesen marge de son texte. Les rôles semblaient inversés. C’était étrange. Pourtant, chaque fois qu’ilcomplimentait un passage, j’en éprouvais de la fierté. John était si exigeant. N’étais-je pas bienplacée pour le savoir ?

À la fin de la journée, j’étais fatiguée. Je relisais inlassablement mon texte, essayant d’avoir unregard neuf à chaque fois que je recommençais ma lecture. Je ne voyais plus rien à force d’ajouter lesfichus points de tension dont me parlait John. Alors que j’avais ressenti un vif plaisir à écrire lepremier jet, voilà que j’en avais plus qu’assez de retravailler mon texte. Ça n’avait plus riend’excitant, bien au contraire.

Quand je ne trouvai plus rien à modifier, je décidai de m’arrêter et le renvoyai à John sans écrirele moindre mot. Tant pis. J’étais épuisée, il était tard et je n’avais plus de temps à consacrer à cetexte. En plus, j’étais vraiment en retard dans la correction des maquettes. Je décidai donc de lesprendre avec moi pour les corriger de la maison.

Installée sur le sol, au salon, je grignotai en attendant le retour Simon, les maquettes d’un côté,

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mon ordinateur portable de l’autre. Quand le courriel de John apparut, j’eus peur de l’ouvrir. Peurqu’il exige d’autres modifications. Depuis mon retour, je m’étais trouvée un million de raisons pourabandonner l’écriture de ce texte. Après tout, le comité de lecture l’avait approuvé ainsi, ilsn’avaient qu’à le publier tel quel ! Et pourtant, lorsque j’aperçus son message, mon cœur se serra :

« Ce texte est parfait. Je suis très fier de vous mademoiselle ».

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Le territoire

J’étais encore sous le choc des mots de John lorsque Simon rentra du travail. Même si plus d’uneheure s’était écoulée depuis que j’avais pris connaissance de son message, ses mots me revenaienttoujours en tête. Je m’étais défendu de lui répondre. Pour cause ! Ce « mademoiselle » ne référaitqu’à une chose, ma condition de soumise, et je n’avais aucune intention d’y revenir.

Dès que son regard croisa le mien, Simon comprit que quelque chose n’allait pas. Son visagerevêtit cet air inquiet que j’avais vu trop souvent, ces derniers temps, à la différence près que, cesoir, je le partageais avec lui.

Il se laissa tomber à mes côtés, sur le canapé :— Qu’est-ce qu’il a fait ? questionna-t-il après avoir rassemblé son courage dans une longue

inspiration.Je tournai mon ordinateur vers lui, ouvris les trois messages de John, les uns après les autres. Il

assimila l’information avant de reporter son attention sur ma personne :— T’as corrigé ton texte à partir de son fichier ?— Oui.Il serra les dents, comme s’il cherchait à retenir les mots qui se bousculaient dans sa bouche. Sa

main essuya son visage, chassa tant bien que mal la fatigue de sa journée qui étirait ses traits, puis ilfixa un point imaginaire pour essayer de réfléchir calmement. Je ne le pressai pas. Après tout, jevenais de passer la dernière heure à faire exactement la même chose.

— Pourquoi il fait ça, à ton avis ? finit-il par me demander.Pendant une seconde, je crus que sa question était rhétorique, mais comme il attendait

sérieusement une réponse, je répétai les mots de John :— Il dit qu’il me doit au moins ça.— Au moins ça ? s’écria-t-il en se levant debout. Non, Annabelle, après ce qu’il t’a fait, c’est

des excuses qu’il te doit ! Qu’est-ce que je dis là ? Il devrait ramper à tes pieds, plutôt !Mon corps s’était figé en le voyant s’emporter de la sorte et lorsqu’il le remarqua, il revint à mes

côtés, étouffa sa voix dans un chuchotement qui sonna de façon peu naturelle :— Qu’est-ce que ça t’a fait de lire ça ?— Je ne sais pas.Ma réponse l’effraya. Peut-être parce qu’elle m’effrayait aussi et qu’il le sentit. Je chassai mes

idées sombres et tentai d’arborer un air plus léger :— Ça ne veut probablement rien dire…— Ne le sous-estime pas ! siffla-t-il en me fusillant du regard. Peut-être que tu ne te souviens pas

dans quel état tu étais quand je t’ai revue, dans ce café, mais moi, je ne suis pas près de l’oublier. Etencore moins de lui pardonner.

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Je sursautai sur le canapé et me braquai à mon tour :— Je n’ai pas l’intention de lui pardonner quoi que ce soit !— Et pourtant, on dirait que c’est ce qu’il cherche ! Tu ne vois pas qu’il se rapproche ? On dirait

un vautour qui tourne autour de sa proie. Il attend que tu sois prête à être dévorée !— Il est avec Lena, OK ? Peut-être que… qu’il veut juste… que c’est sa manière à lui de…

s’excuser ?Simon se releva encore, fit les cent pas devant moi, puis se remit à gronder :— Je ne veux pas qu’il s’excuse, je veux qu’il te fiche la paix !Il s’arrêta brusquement, expira longuement pour reprendre son calme, puis tourna la tête vers

moi :— Annabelle, je ne veux pas qu’on se dispute à cause de lui.— Je ne le veux pas non plus, affirmai-je. Tu m’as dit qu’on devait tout se dire, alors je te dis

tout.Très vite, il s’agenouilla devant moi, écrasa mes doigts dans les siens à m’en faire grimacer de

douleurs, mais sa voix resta douce :— Tu as bien fait de me le dire. Mais s’il te plaît, n’oublie pas ce que je t’ai dit : si tu crois avoir

besoin d’un Maître, j’en deviendrai un pour toi. Je ferais n’importe quoi pour toi.— Simon ! Ce n’est pas ce que je veux et tu le sais.Son regard s’assombrit, puis sa voix se brisa :— Annabelle, je peux devenir tout ce que tu veux, mais… je ne serai jamais lui, tu comprends ?La tristesse déformait sa voix d’un léger tremblement. Je libérai mes doigts pour venir caresser

son visage d’ange :— Simon, je ne veux pas retourner avec John. Je sais ce qu’il a fait de moi. Je t’assure que je n’ai

rien oublié. Il m’effraie, mais pas pour les raisons que tu crois.Il ferma les yeux quelques secondes, comme s’il avait besoin de l’obscurité pour respirer, puis il

grogna avant de reprendre :— Si tu me demandais quelque chose, je le ferais pour toi. Tu le sais, pas vrai ?Ma main écrasa sa nuque et chercha à l’attirer vers moi :— Rappelle-moi combien je suis à toi.Sa réaction fut instantanée, il glissa ses bras autour de ma taille et me tira jusqu’à ce que nous

chutions ensemble sur le sol. Sa bouche fouilla la mienne, explora mon cou et mon décolleté jusqu’àce que je comprenne qu’il cherchait à défaire mes vêtements. Je m’empressai de m’asseoir sur sescuisses, l’aidai à me défaire de ma chemise, puis me jetai contre son corps pour mordiller sa chairsalée. Sa sueur avait un léger goût de fumée, comme chaque fois qu’il revenait du restaurant. Jeléchai sa peau, de son cou à son oreille, en cherchant à le libérer de ses habits. J’avais follementenvie de lui.

Il résista. Ces derniers temps, nous étions dans une lutte constante pour savoir qui prendrait le

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contrôle de nos ébats. Je le repoussai sur le sol. Niveau force, je ne faisais pas le poids, mais unefois ma main autour de sa verge, il cessa de résister à mon attaque. Il ferma les yeux et je profitai desa docilité pour mordiller sa lèvre inférieure, répétai l’opération sur sa peau, laissai de petitesmorsures sur son menton et dans son cou. J’avais envie de le dévorer ainsi jusqu’à son sexe, mais sesbras me bloquèrent contre lui et il chercha mon regard, le souffle court :

— Sais-tu à quel point je te veux, Annabelle ?— Montre-moi, ordonnai-je.Sa main plongea dans mes cheveux, les empoigna pour m’obliger à me cambrer vers l’arrière.

J’eus un gémissement, à la fois de surprise et de douleur. Il chassa ma main de son entrejambe, mebascula sur le sol, s’enfonça en moi brusquement, sans jamais relâcher mes cheveux. J’étaisdélicieusement coincée sous lui et je le laissai diriger avec une joie non dissimulée. Peu importe quimenait la danse, ce soir. J’avais seulement besoin que son corps efface chacun de mes doutes.

Malgré la rudesse de ses gestes, je grondai :— Plus fort !Il se retira, si vite que lorsque j’ouvris les yeux, c’était pour le voir me retourner à quatre pattes.

Je remontai ma croupe vers lui, avide de le sentir à nouveau. Il caressa mes fesses d’une mainlourde :

— T’en veux encore ?— Oui.Je sursautai lorsqu’il me griffa le bas du dos, si fort que mon souffle se coupa. Peut-être parce

que j’étais restée silencieuse, il recommença, griffa de la base de ma nuque à ma fesse droite. Cettefois, je laissai un cri franchir mes lèvres. Par automatisme, mon corps chercha à se dérober et jetentai de m’avancer, mais sa main tira sur ma cuisse, me ramena contre lui, puis ses doigts seraffermirent sur ma hanche.

— Plus fort ? me défia-t-il.J’hésitai à répondre. Je sentais toujours la trace de ses ongles sur ma chair et pourtant, j’avais

follement envie d’être possédée. Qu’il use de moi comme il l’entende.— Oui, dis-je, avec une petite voix.Sa main s’enroula dans ma tignasse et je le laissai me redresser vers l’arrière. Sa bouche lécha

mon dos. Il suivit la trace de sa griffure avec sa langue, ce qui calma la douleur. Sa main libre megriffa de nouveau, cette fois l’intérieur de ma cuisse, puis remonta jusqu’à empoigner mon sexe, semit à le caresser à bon rythme.

— Encore ? chuchota-t-il contre mon oreille.— Oh oui ! gémis-je.Les caresses cessèrent et une autre griffure traversa ma cuisse, m’arrachant un cri rauque qui

n’avait rien d’agréable. De toute évidence, j’avais mal compris sa question. Sa main revint sur monsexe et deux doigts s’enfoncèrent en moi, rencontrèrent un torrent de cyprine, ce qui fit chanter sescaresses. J’avais tellement envie de lui. Pourquoi ne me prenait-il pas ? Ses caresses reprirent,

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humides, sur mon clitoris. Je fermai les yeux, mais mon accalmie ne fut que de courte durée. Simontira davantage sur mes cheveux, fit en sorte que mon dos se colle à son torse, et sa voix résonnaencore, menaçante :

— Encore ?— Oui, dis-je sans l’ombre d’une hésitation.Une autre griffure contourna ma cuisse, puis remonta vers ma fesse. Je criai, mais cette fois,

c’était un mélange de douleur et d’ivresse. Simon marquait ma chair comme si c’était son territoire.Et moi, j’avais envie qu’il le possède entièrement. À cette idée, j’étais doublement excitée, d’autantplus lorsqu’il chercha à s’introduire dans mon anus. Dès qu’il amorça son intrusion, je me mis à jouirà gorge déployée. Ses ongles se plantèrent dans ma cuisse, telle des serres qui me rappelaient quej’étais toujours une proie, mais la sienne. Seulement la sienne. Et c’était délicieusement grisant.

Je sentais poindre l’orgasme, enivrée par les plaintes de Simon et la force de ses déhanchements.Ma chair hurlait, tant de douleur que de plaisir. À la seconde où je perdis la tête, il grogna, puis jesentis ses dents sur mon épaule, une morsure sur ma peau brûlante. J’aurais voulu crier ou protester,mais ma réaction se résuma à une plainte étouffée. J’étais tellement amorphe que je ne réalisai qu’aubout d’une bonne minute que son corps avait cessé de se mouvoir. Une fois sa jouissance éteinte, lamain de Simon relâcha ma tête, puis ses griffes me libérèrent. Avant de basculer vers l’avant, sesbras réconfortants revinrent autour de ma taille et me ramenèrent contre lui. Ensemble, noustombâmes à la renverse, à bout de souffle.

Nous restâmes longuement ainsi, silencieux, dans cette torpeur agréable. Pour ma part, je sentaisque ma chair brûlait toujours, mais je n’avais pas la moindre envie de me plaindre.

— Anna ? souffla-t-il enfin.— Hum ?— C’était OK pour toi ?Je souris, même s’il ne pouvait pas me voir, puis répondis de vive voix :— Oui.Un autre silence passa, puis il se releva, me donna la main pour m’aider à me redresser à mon

tour. Je titubai en grimaçant de douleur et il me retint par les épaules, posa son regard inquiet surmoi :

— J’y suis allé trop fort ?Je retrouvai mon sourire que je savais déjà lumineux :— Non.Il ne parut pas me croire, alors je l’enlaçai et me collai contre son torse en sueur :— C’est exactement ce dont j’avais besoin, ce soir.Il caressa mes cheveux et je retins la plainte désagréable qui se forma dans ma bouche. Au bout

d’un temps, je crus entendre un soupir de soulagement franchir ses lèvres, puis il releva ma tête verslui et me scruta :

— Pas assez fort ?

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Je retins un rire et secouai la tête :— C’était parfait.Je laissai le rire poursuivre ma réponse, ce qui sembla enfin le soulager.— Un bain ? proposa-t-il.— Alors là, je veux bien !Quand il s’éloigna de moi, je lui claquai une fesse avec force. Assez pour qu’il sursaute

d’étonnement.— Aïe ! s’écria-t-il en tournant la tête vers moi.— Ce soir, c’est chacun son tour, mon chéri ! me moquai-je.Cette fois, il éclata de rire, visiblement heureux de ce revirement de situation pour le moins

étonnant. Très vite, sa main s’accrocha à la mienne et il m’entraîna en direction de la salle de bain.

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Rendez-vous suprise

Tout était parti chez l’imprimeur et nous étions déjà dans la préparation du prochain numéro.J’avais une maquette de la revue sur le coin de mon bureau. J’en étais tellement fière que je voulaisla ramener à la maison pour la montrer à Simon. Vers la fin, mon texte était sur une page, celui deJohn sur une autre. Le tout magnifiquement mis en scène grâce au talent de Jessie, notre graphiste.C’était à la fois étrange et gratifiant d’être publiée à ses côtés, mais je me défendis d’y songer. Autantoublier cette histoire. D’ailleurs, John ne m’avait pas réécrit ces deux derniers jours et j’en étaissoulagée.

Je me préparai à rentrer quand Jessie passa devant mon bureau et m’envoya un regardinterrogateur à travers la vitre. Je lui fis signe d’entrer et je récupérai la maquette que je fis danserdans une main :

— Encore une fois : chapeau ! C’est magnifique !Son visage s’illumina :— Merci ! Je… je venais vous donner une invitation pour un vernissage.Je pris le carton qu’elle me tendait et compris qu’il s’agissait d’une exposition de dessins et de

sculptures. L’image de l’invitation laissait sous-entendre que l’érotisme y serait mis à l’honneur.— Il y aura des dessins à toi, là-dedans ? la questionnai-je.— Oui. Une dizaine à peu près. Évidemment, si vous êtes occupée ou… si le nu ne vous plaît

pas…— Non. Enfin… je ne sais pas. Je ne suis jamais allée dans ce genre d’exposition, admis-je.M’installant contre mon bureau, je glissai le carton dans mon sac avant de reprendre :— Voilà ce qu’on va faire. Je vais à ton exposition et tu me tutoies, on fait comme ça ?— OK, dit-elle en hochant la tête à répétition.Elle sourit davantage et parut flattée que je l’autorise à me tutoyer. Pourtant, la plupart des gens

de mon équipe le faisaient depuis que la revue était lancée. J’ignorais pourquoi elle n’en avait jamaismanifesté le moindre intérêt. Était-elle trop timide ?

— En plus, je vais même essayer de convaincre mon petit ami de m’accompagner, ajoutai-je,histoire de la rassurer.

Alors que je terminais ma phrase, mes mots perdirent leur entrain. Mon trouble dut paraître, carJessie suivit la direction de mon regard. Juste derrière elle, je voyais John qui marchait en directionde mon bureau. Sans frapper, il entra, un sourire implacable accroché à ses lèvres :

— Bonjour Annabelle.Il tourna la tête en direction de Jessie et la salua d’un signe de tête avant de reporter son attention

sur moi :— Tu as dix minutes ? me demanda-t-il.

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— J’allais rentrer, dis-je froidement. Je peux savoir pourquoi la réceptionniste t’a laissé passer ?— Depuis le temps, tu devrais savoir que je sais être très persuasif, quand je veux quelque chose.À sa droite, Jessie le dévisageait. Peut-être le remarqua-t-il, car il se tourna à nouveau vers elle

et tendit une main dans sa direction :— Je suis John Berger.— Oh ! Monsieur Berger…. je suis… je suis Jessie. Jessie Boisvert.Elle rougit en acceptant sa main, visiblement sous son charme. Pour ma part, je serrai les dents et

levai les yeux au ciel avant de reprendre :— Jessie est notre graphiste. C’est elle qui a fait les illustrations et la mise en page des deux

textes érotiques de la revue. Dont le tien.L’avantage, avec John, c’est qu’il comprit que je ne tenais pas à ce que mes collègues sachent que

j’étais l’auteure du second texte. De toute façon, dès que je terminai ma présentation, Jessie se jetasur ma copie du magazine pour lui montrer son travail :

— J’ai opté pour des couleurs pâles, comme dans le premier numéro…Elle pointait les divers éléments graphiques, pourtant peu nombreux sur la page, comme s’il ne

pouvait pas les voir de lui-même. Je soupirai d’agacement, probablement parce que le sourire qu’ilaffichait indiquait qu’il était flatté de l’intérêt de la jeune fille pour sa personne.

— C’est magnifique, Jessie. Tu as vraiment beaucoup de talent.— Merci monsieur.Elle se remit à rougir, puis sorti un autre carton de la poche arrière de son jeans :— Si l’art vous intéresse, j’ai quelques dessins qui seront exposés…Je retins mes bras de chuter vers le bas. Elle invitait John à son vernissage ? Mais elle ne le

connaissait même pas ! Patiemment, il l’écouta en hochant la tête, récupéra le carton, puisl’interrompit :

— C’est gentil, mais comme tu dois t’en douter, je suis venu ici dans l’espoir de parler avecAnnabelle…

Pauvre Jessie ! Jamais des joues ne m’avaient semblé aussi rouge ! Très vite, elle se mit à bougerdans tous les sens, puis se confondit en excuses :

— Oh bon sang, je… je vous demande pardon. J’étais seulement très heureuse de vous rencontreret…

— C’est gentil, répéta John avec un air pincé. Et merci pour l’invitation. J’essaierai d’aller yfaire un tour…

Comme si je venais de réapparaître dans mon bureau, Jessie se tourna vers moi, l’air confus, puism’envoya un sourire gêné :

— Bien. Bonne soirée, Annabelle. À demain.— À demain.À la seconde où elle quitta mon bureau, la tête entre les épaules, je croisai les bras devant moi et

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attendis que John m’explique la raison de sa visite, mais il fit danser le carton au bout de ses doigtsen souriant :

— Intéressante, cette jeune fille.— John, qu’est-ce que tu veux ? m’impatientai-je en me retenant de taper du pied.Au lieu de me répondre, il releva le prochain numéro d’Amoureux et Coquins à la page de nos

textes avant de poser un regard intrigué sur moi :— Mon texte, il t’a plu ?— Celui-là, plus que l’autre, dis-je sans hésiter.Il rit et arbora un air ravi :— Dois-je comprendre que tu as lu les deux ?Je me retins de grimacer :— Je suppose que Lena ne t’a pas dit que tes deux textes étaient passés en sélection ?— Lena me dit rarement ce que j’ai envie de savoir, dit-il d’un ton sec. Cela dit, je serais curieux

de connaître tes impressions. Sur les deux textes.— Le lit, j’ai deviné que c’était toi, annonçai-je sans attendre.Son sourire se confirma et une lueur de malice passa dans son regard :— Pas la douche ?Comme je ne dis rien, il ne tarda pas à en tirer ses propres conclusions :— Je suis content. J’avais très envie de te surprendre avec ce texte. C’était un exercice très

intéressant, tout compte fait…Je ne bougeai pas, un peu agacée par sa prétention. Certes, ses textes étaient bons, mais comment

pouvait-il savoir qu’ils passeraient en finale ? Sans attendre que je n’ouvre la bouche, il mequestionna à nouveau :

— As-tu une idée de ce que tu écriras pour le prochain numéro ?— Non. Je n’ai plus le temps pour ces bêtises. Et puis… je crois que je vais laisser la chance aux

autres…J’en profitai pour terminer de ranger mes affaires, un peu aléatoirement, juste pour qu’il sache

que son temps était compté, mais il insista :— Tu as tort, Annabelle. Tu as un vrai talent.Cette fois, je m’impatientai de façon verbale en me retournant vers lui :— Tu vas te décider à me dire pourquoi t’es là ?— Pour t’inviter à prendre un verre.Même si l’information prit un temps considérable à atteindre mon cerveau, je finis par secouer la

tête :— Désolé John. Tu t’es trompée de bureau. Celui de Lena est plus haut.Je me plantai devant lui pour récupérer ma revue, toujours entre ses doigts, la lui arrachai des

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mains, puis la fichai dans mon sac avant de marcher en direction de la sortie. Sa voix résonna avantque je n’atteigne la porte :

— Annabelle, il faut qu’on discute.Je m’arrêtai, mais ne me retournai pas :— Je n’ai rien à te dire, John.— Alors je ferai la conversation pour deux, siffla-t-il, visiblement agacé par mon comportement.

Ne peux-tu pas m’offrir vingt minutes de ton temps ? J’ai passé plus de deux heures à analyser tontexte.

Je me retournai, tombai face à face avec lui, ce qui m’obligea à reculer d’un pas et, de ce fait,m’adossai à la porte vitrée de mon propre bureau.

— J’aurais dû me douter que tu ne le faisais pas gratuitement !Il me fixa un instant, puis soupira d’agacement :— Je ne t’oblige à rien. Seulement… j’apprécierais que tu m’accordes ce temps.Nerveuse de le voir aussi conciliant, je croisai les bras devant moi, ce qui fit tomber mon sac,

bien calé sur mon épaule, sur mon avant-bras. Dans l’état où j’étais, je ne le replaçai même pas.— Je t’écoute, insistai-je.— Pas ici.— Pourquoi ? T’as peur que Lena te voit dans mon bureau ? raillai-je.— Non. Parce que j’ai toujours détesté les bureaux, Annabelle, et que cet endroit n’est pas

adéquat pour la conversation qui s’annonce. Et aussi… parce qu’après ce que je t’aurai dit, tu aurasbesoin d’un verre.

Quelque chose m’effraya dans ses paroles, assez pour que je lui réponde sans chercher à prouverma supériorité :

— Je ne veux pas savoir ce que tu veux me dire.Il pinça les lèvres, hésitant à poursuivre. Probable qu’il se doutait que j’allais m’enfuir à toutes

jambes à la seconde où il reculerait d’un pas. C’était d’ailleurs la seule chose que j’avais en têtepour m’extraire de son regard. Au bout d’un silence, il expira bruyamment et, à son tour, croisa lesbras devant lui :

— Je voudrais qu’on discute de… de la thérapie que je suis.Je forçai un rire à sortir de ma bouche, mais celui-ci sonna étranglé :— Toi ? Tu suis une thérapie ?— Oui.Son expression resta impassible, comme toujours, et ce, malgré le doute que je venais d’émettre

sans aucune gêne. Aurais-je dû me sentir coupable de m’être moquée de lui ? De toute évidence, jen’y arrivais pas. John suivait une thérapie ? Quel genre de thérapie ? Un peu suspicieuse, je répétai :

— Je t’écoute.Il soupira et attendit près d’une minute avant de réitérer sa demande, avec une voix qui me parut

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presque suppliante :— Annabelle, s’il te plaît… pourrait-on en discuter autre part ? Ce que j’ai à dire est loin d’être

facile.Il paraissait épuisé de réitérer sa demande. À croire qu’il y tenait vraiment pour me supplier de

la sorte. Malgré la curiosité qui m’animait, j’avais toujours peur d’entendre ce qu’il souhaitait medire. J’étais encore debout, devant ma porte, mon sac pendouillant sur mon avant-bras, comme s’ilme retenait par un lien imaginaire. Pourquoi est-ce que je ne fichais pas le camp ? Ne pouvait-il pasme lancer ses mots en vrac et disparaître dans un nuage de fumée ?

— Peut-être que… ce serait plus simple si tu m’écrivais…Il sourit, mais mon offre ne parut pas lui convenir :— Un verre et vingt minutes de ton temps, c’est tout ce que je demande.Dans un geste plus nerveux qu’informatif, je jetai un œil sur ma montre, comme si le temps

m’était compté alors que Simon ne rentrait pas avant huit heures, ce soir. Je me retenais de trépigner,mais ce n’était pas sans mal.

— Annabelle… sais-tu à quel point je déteste devoir te supplier de la sorte ? chuchota-t-il enreposant un regard sombre sur moi.

— Mais je ne t’ai rien demandé ! me défendis-je.Mes jambes avaient bougé d’un pas vers la droite, comme pour m’éloigner de lui, mais dans mon

geste destiné à le fuir, le ton de John se radoucit à nouveau et se fit doublement anxieux :— Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Dois-je me mettre à genoux ? Peut-être est-ce là ce dont tu

as besoin ?— Je ne veux rien de toi !Avant que je ne termine ma phrase, il se laissa tomber sur le sol, devant moi. Je ne sais pas

pourquoi, son geste me donna le vertige et je reculai, déviai mon attention de sa personne, mal àl’aise :

— John, arrête… tout le monde peut nous voir.— Vingt minutes, répéta-t-il.— Oui. OK.Je reportai mon regard sur lui, toujours agenouillé devant moi. Ses yeux continuaient de me fixer.

Je m’impatientai en grognant :— Mais tu vas te lever, oui ?Il obtempéra. Lentement. Visiblement peu soucieux que mes employés le voient dans cette

position. Une fois debout, il arbora un sourire triomphant :— Dommage que tu n’aies pas profité du spectacle. Qui sait quand cela se reproduira ?— Jamais, s’il n’en tenait qu’à moi ! Bon, on y va ? Plus vite on y sera, plus vite je serai

débarrassée de toi !Je sortis de mon bureau, tremblante, encore sous le choc de sa petite mise en scène. Et pourtant,

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alors que j’attendais l’ascenseur, je me maudis d’avoir cédé aussi rapidement à sa demande.

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La thérapie

John resta silencieux pendant que nous marchions sur la rue. Il avait décidé de m’emmener dansune sorte de brasserie sombre, tout près de mon travail. Surtout pour éviter la pénombre, jem’installai proche d’une fenêtre et je fixai à l’extérieur. John commanda deux verres de vin blanc etje le repris, avant que le serveur ne s’éloigne :

— Du rouge, pour moi.Il me questionna d’un regard surpris auquel je ne répondis que lorsque le serveur disparut :— Quoi ? Je ne peux pas avoir envie de vin rouge ?— Tu as toujours préféré le blanc.— Comme tu vois, j’ai changé.Autant pour garder le contrôle de la discussion que pour le contrarier davantage, je tapotai ma

montre d’un doigt :— Bon, le compteur le tourne. Tu parles ou on discute de vin jusqu’à ce que ton temps soit

écoulé ?Il croisa les bras au-dessus de la table et y prit appui avant de se lancer :— Comme je te le disais, je suis une thérapie. Depuis près de huit mois.— C’est bien, dis-je, autant pour qu’il se dépêche, que pour masquer l’anxiété qui m’animait.— Ce faisant, il a fallu que j’admette plusieurs choses…— Laisse-moi deviner : que tu étais un pervers mégalo ?Au lieu de le choquer, il força un sourire sur sa bouche :— Non. Ce que j’ai été tenu d’admettre, c’est que j’ai été un mauvais Maître pour toi.— C’est rien de le dire ! sifflai-je. Et ne me dis pas que ça t’a pris huit mois pour en arriver à

cette conclusion ! T’avais qu’à me téléphoner, je t’aurais réglé ça en dix minutes, top chrono.— Crois-tu que les choses soient aussi simples, Annabelle ? Admettre une erreur est une chose,

mais la réparer…Mon bras quitta le dessous de la table où il s’était réfugié pour éviter qu’il perçoive ma

nervosité. D’une main, je le fis taire :— Je ne veux pas que tu répares tes erreurs. En fait, je ne veux absolument rien qui ne vienne de

toi !Mes jambes cherchèrent à se lever, mais sa main plaqua la mienne sur la table pour me retenir :— On a dit vingt minutes, me rappela-t-il.— C’est inutile. Ce que tu veux me dire ne m’intéresse pas.Au lieu de relâcher sa poigne, il la resserra et reprit, en accélérant le flot de ses paroles :

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— Je sais que tu as peur, Annabelle, et je ne peux pas t’en blâmer. Je t’ai détruite. Tu crois que jene le sais pas ? Regarde-toi : tu es belle, tu as un travail excitant, du talent à revendre et… et unhomme que tu aimes, je me trompe ?

Au moins, il ne banalisait pas le rôle de Simon dans ma vie. Soudain, je ne cherchai plus àreprendre ma main avant autant de ténacité :

— Tu ne te trompes pas. Au cas où tu ne le saurais pas, sache que Simon m’a sauvée. Quant à toi,je ne veux plus que tu fasses partie de ma vie, dis-je sans chercher à masquer mon animosité à sonendroit.

— Bien. Voilà qui est clair. Puis-je poursuivre, maintenant ?Je ne répondis pas, mais dès que je tentai de reprendre l’usage de ma main, il la relâcha sans

insister. Nos verres de vin apparurent et j’avoue que je fus contente d’avoir quelque chose à boire.Lui aussi, de toute évidence, car il vida la moitié de sa coupe d’un seul trait.

— Bien, reprit-il une fois qu’il eut cessé de boire.Il semblait chercher ses mots, laissa le silence perdurer une bonne minute avant que je ne réitère

mon geste et tapotai le dessus de ma montre avec la pointe de mon ongle. Pinçant les lèvres, ilpoursuivit :

— Je dois t’avouer que je suis content que tu écrives, Annabelle.— Viens-en aux faits.Il ferma les yeux quelques secondes et je compris que ma remarque l’avait piqué au vif, mais sans

me ramener à l’ordre, il poursuivit :— Ma thérapie passe énormément par le biais de l’écriture, tu t’en doutes. Je tiens une sorte de

journal de bord dans lequel je parle de mes regrets et de ce qui m’a poussé à avoir ces regrets.Bien que discret, mon pied se mit à frotter le sol, autant par nervosité que par désir qu’il termine

son discours le plus vite possible.— Tu n’es pas obligée de me croire, Annabelle, mais la plupart de mes regrets te concernent.— Oh, mais je te crois ! pestai-je ironiquement. D’ailleurs, la plupart de mes regrets te

concernent aussi.Il étouffa un rire et hocha la tête, nullement embêté par ma remarque :— Ah ! Je te reconnais bien, là ! Et je ne peux pas t’en vouloir pour ça !— Bien. En avons-nous terminé ?— Non. Non Annabelle, nous sommes loin d’en avoir terminé.Je tressaillis. Autant pour ce que ses mots disaient, que pour ce qu’ils sous-entendaient. Malgré

moi, je bondis de ma chaise :— Si tu es venu pour t’excuser, c’est trop tard. Quant à moi, j’en ai terminé avec toi.— Assis ! rugit-il avec un regard de feu.Je le fusillai du regard :— Tes ordres, tu te les gardes !

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J’aurais dû m’enfuir en courant, mais mes jambes restaient là, vissées au sol, incapable deprendre la fuite. Et je détestai cela. Sa main dansa dans l’air entre nous, finit invariablement parpointer en direction de ma propre chaise :

— J’essaie de prendre la manière douce, Annabelle. Tu pourrais au moins me donner la chancede terminer mon discours !

Avant que je ne le lui permette, il reprit, en haussant le ton :— Le fait est que tu as besoin d’aide et comme je suis celui qui t’a…— Je n’ai absolument pas besoin d’aide ! me défendis-je.Il se leva à son tour, visiblement déterminé à ne pas me laisser partir tant qu’il n’aurait pas vidé

son sac. Avant qu’il ne parle, je m’empressai de lui rappeler :— Ma vie est géniale, Simon est génial, mon travail est génial. La seule chose qui coince, en ce

moment, c’est toi, John. Alors si tu veux vraiment m’aider, retourne dans ton donjon et fiche-moi lapaix.

— Tu as besoin d’aide, reprit-il en détachant chacun de ses mots. Tu ne vois donc pas toute cettecolère qu’il y a en toi ?

— À qui la faute ?Il déglutit, puis ses bras se croisèrent de nouveau sur son torse :— Je n’ai jamais dit que j’étais innocent à tout cela, rumina-t-il, le visage défait. Et je t’assure

que j’essaie seulement de t’aider…Je tentai de m’écarter de la table, mais sa voix m’immobilisa de nouveau, à la fois douce et

suppliante :— Annabelle, je veux t’aider. J’en ai besoin. Cela fait partie de ma thérapie. Je veux te libérer de

toute cette colère qu’il y a en toi. Je sais que je peux le faire. Surtout maintenant que je sais quel’écriture t’est bénéfique…

Même si je tentai de ne pas afficher mon malaise, je ne pus m’empêcher de grimacer :— Je vais très bien, John, cesse de te faire du souci pour moi.Alors que je remontais la courroie de mon sac sur mon épaule, il fit un pas de côté pour capter de

nouveau mon attention et me pointa de son index :— Tu ne vas pas bien, Annabelle. J’en veux pour preuve les marques qu’il y a sur ton corps.Je portai machinalement la main à mon cou, là où je sentais toujours la morsure de Simon. Je

m’étais pourtant assurée que mon chandail la masquait. Comment l’avait-il vu ?— Crois-moi Annabelle, je sais reconnaître les signes d’une soumise sur le point de faire une

rechute et je ne pense pas que Simon soit prêt à devenir ton Maître de substitution…— Tu délires complètement !Mes yeux et ma gorge se mirent à piquer et je tentai de partir, mais sa main enserra mon avant-

bras et m’obligea à revenir face à lui :— Je peux t’aider. Laisse-moi t’aider.

Page 122: Annabelle 2 - ekladata.comekladata.com/htDga-n8sRHHYTaRAAc4iubBnoA/Annabelle... · — Annabelle Pasquier, répondis-je d’une voix terne. — Bonjour mademoiselle Pasquier, je m’appelle

— Tu ne crois quand même pas que je vais revenir avec toi ? dis-je, la voix étranglée à cetteidée.

— Nous n’en sommes pas encore à ce stade, heureusement, mais si tu t’obstines à nier l’évidence,les choses seront pires. Pour toi, bien sûr.

— Je ne retournerai jamais avec toi.C’était plus un souhait qu’une conviction, mais cela eut son effet. Il relâcha mon bras et se pinça

le haut du nez, expira bruyamment pour essayer de contenir son mécontentement avant de baisser leton :

— Fais cette thérapie avec moi, Annabelle. Je ne veux pas te l’ordonner, mais crois-moi, tu en asbesoin. Simon n’a pas à le savoir. Personne n’a à le savoir. On se concentrera sur l’écriture. Ce seraplus long, mais moins drastique. De toute façon, je crains que tu n’apprécies pas l’autre méthode quej’avais en tête.

Je secouai la tête, fis un pas de côté pour essayer de partir, mais il fortifia son regard sur moi :— Annabelle, je veux seulement t’aider. S’il te plaît, ne m’oblige pas à prendre les grands

moyens pour y parvenir.Mon corps se braqua aussitôt :— C’est une menace ?— Non, mais c’est une promesse. Je veux t’aider et je le ferai. Que tu le veuilles ou non. Et cette

fois, je ne te laisserai pas fuir. Il est temps que tu affrontes tes démons.— Le seul démon que je vois, c’est toi.Au lieu de se sentir offusqué, il retrouva son sourire :— Tu vois ? De la colère, Annabelle. Toujours cette colère que tu as pour moi. Comment allons-

nous t’en débarrasser ?Je fis mine d’arborer un air songeur en tapotant mon menton d’une main peu naturelle :— Laisse-moi réfléchir… par le fouet ?Un rire franchit ses lèvres :— Cela suffirait-il seulement ? Remarque, si tu me le demandais, je le ferais volontiers. Je serais

ravi de te servir d’exutoire.Ses mots provoquèrent un frisson le long de mon dos. M’offrait-il sérieusement la chance de le

frapper en contrepartie de tout ce qu’il m’avait fait subir ? D’un trait, il se laissa retomber sur sachaise et récupéra son verre de vin :

— Crois-le ou non, Annabelle, même si je suis loin d’être un soumis, le fouet ne m’effraie pasoutre mesure. Et si tant est que cela te fasse du bien, je suis prêt à m’y soumettre.

— Très drôle, dis-je avec une voix étranglée.Il releva la tête vers moi :— Je ne plaisanterais pas sur un sujet aussi épineux. Ton père battait ta mère. Nos souvenirs

d’enfance déterminent grandement ce que nous sommes, tu ne le sais donc pas ? Et puis qui sait ?

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Peut-être as-tu cette capacité en toi ? Vu la colère qui t’anime, cela ne m’étonnerait pas le moins dumonde.

La référence à mon passé me choqua. Assez pour que je tente de lui ficher un coup au visage.Coup qu’il arrêta en bloquant ma main dans la sienne, puis il comprima mes doigts jusqu’à ce que jegrimace de douleur. Enfin, il me libéra et je reculai d’un pas, le souffle court. Cette fois, son regardse fit plus dur :

— Si tu veux me frapper, ce sera au fouet et chez moi. Cela dit, avant que tu ne t’aventures dansce domaine, je te conseille de songer à mon offre en ce qui a trait à l’écriture. Ce ne sera peut-êtrepas aussi efficace ni aussi amusant que de me rouer de coups, mais crois-en mon expérience, tu t’ensortiras bien mieux par cette voie.

Soudain, l’idée de le frapper jusqu’à ce que je n’aie plus de force me dévora l’esprit, mais jerefusai son offre avant qu’elle ne me brûle :

— La douleur, c’est ton truc, pas le mien.— À en voir les traces sur ton cou, je ne te crois pas, pesta-t-il.D’une main, il récupéra mon verre et me le tendit. Je ne sais pas s’il espérait prolonger notre

entretien ou m’inciter à me rassoir, mais à la seconde où je le pris, je le vidai et le reposaibruyamment sur la table :

— Bien. Merci pour le verre, mais ton temps est écoulé. Au revoir John.Je replaçai la courroie de mon sac et tournai les talons. Avant que je n’arrive à la sortie, sa voix,

railleuse, résonna :— À bientôt Annabelle.Lorsque je sortis du commerce, je tremblais de partout, mais j’attendis d’être hors de sa portée

pour me mettre à pleurer.

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Les risques

— Il a raison sur une chose : je suis folle de colère contre lui ! m’emportai-je en concluant monhistoire.

J’avais débarquée au restaurant de Simon pour lui relater ma discussion avec John. Commed’habitude, il m’avait entraînée dans son bureau, mais au lieu de me prendre sauvagement pourobliger ma tête à cesser de tourner à cent à l’heure, il resta là, à me dévisager, le visage rigide et onne peut plus inquiet. Il m’écoutait comme si sa vie en dépendait, toujours à essayer de préciser uneinformation qui, à mon sens, n’en avait aucun.

Une fois que j’eus tout déballé et que le choc fut passé, il demanda :— Il a parlé de moi comme d’un Maître de substitution ?— Quelque chose dans le genre, oui.J’avais du mal à rassembler mes idées. La seule chose dont je me souvenais avec clarté, c’était

son offre de le rouer de coups et, en ce moment, cette idée ne m’était absolument pas désagréable.— J’aurais dû accepter de le fouetter ! sifflai-je. Ça m’aurait fait un bien fou ! Je lui aurais fait

ravaler son sourire, à ce petit prétentieux !— Annabelle, ne t’emporte pas, me pria Simon.Sa main suivait mes allers-retours devant lui, car j’étais incapable de rester en place. Se penchant

plus avant, il finit par m’accrocher par la main et me tira contre lui pour que je cesse de bouger. Dansses bras, je soupirai en essayant de reprendre mon calme, la tête enfouie dans son cou.

— Écoute, tout ça ne devrait pas nous surprendre. On se doutait qu’il avait une idée en tête, pasvrai ?

Je haussai les épaules. À dire vrai, j’espérais que Simon s’était trompé. Que John m’ait oubliéeet qu’il vive une passion torride avec Lena. Pourquoi est-ce qu’il ne pouvait pas me ficher la paix ?

— Qu’il veuille t’aider, je peux le comprendre.Je relevai des yeux ébahis vers lui :— Quoi ?— Anna ! Après ce qu’il t’a fait, n’importe quel homme finirait par avoir des remords de

conscience, tu ne crois pas ?— Eh bien… qu’il en ait ! Je ne veux pas qu’il m’aide ! Je ne veux rien de lui, compris ?

m’emportai-je en essayant de me défaire de son étreinte.Il lutta pour me garder dans ses bras et lorsque je cessai de me débattre, j’affichai une moue

boudeuse pour lui démontrer que je n’étais pas d’humeur à ce qu’il prenne le parti de John.— Je peux lui téléphoner, si tu veux. Lui dire que tu n’es pas prête à travailler avec lui. S’il

insiste, je lui dirai que nous allons commencer une thérapie de notre côté…

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Ses mots me choquèrent et cette fois, je chassai ses bras et reculai pour le fusiller du regard :— Parce que tu crois que je suis folle ?— Ça n’a rien à voir et tu le sais, me disputa-t-il. Mais le fait est que John n’a pas tort sur tout.

Quand tu le vois, la colère t’aveugle.— Pourquoi à ton avis ?— Annabelle, je ne dis pas qu’il est innocent à ce que tu as traversé, mais je suis bien placé pour

savoir que… tu ne t’es jamais vraiment remise de ce qu’il t’a fait. Si ça se trouve, c’est peut-être leseul moyen de se débarrasser de lui…

— De faire une thérapie ?— Oui.Les mots m’étranglèrent et même si j’essayai de les retenir, je n’y arrivai pas :— Je croyais que tu serais de mon côté.— Je suis de ton côté. Je l’ai toujours été et je le serai toujours, me certifia-t-il.— Et tu crois que j’ai besoin d’une thérapie ?— Je crois que tu n’es pas guérie de John.Alors que je blêmissais comme s’il venait de me frapper en plein ventre, il s’empressa de

poursuivre :— Je ne dis pas que tu l’aimes ou que tu vas retourner avec lui, mais si tu t’étais remise de cette

histoire, tu ne ressentirais certainement pas autant de colère à son égard.La colère m’aveuglait. Assez pour que j’aie envie de ficher le camp de son bureau, mais Simon

s’approcha de moi et força mon regard, qui s’évertuait à fuir, à revenir vers lui :— Anna… il a brisé quelque chose en toi. Tu ne peux pas dire l’inverse. Souviens-toi de l’état

dans lequel tu étais quand on s’est revus…Je ne dis rien, mais j’évitais de me remémorer cette époque. Cette partie de ma vie était révolue

et je ne voulais absolument pas qu’elle me colle en tête. Dans le silence qu’il laissait perdurer, jefinis par rager :

— C’est toi qui m’as sauvée, Simon. Toi qui as recollé le bordel qu’il a mis dans ma vie.— Mais… peut-être que je n’ai pas pu fixer tous les morceaux correctement ?Je le cognais sur l’épaule :— Ne dis pas ça ! J’aime notre vie ! Jamais je n’ai été plus heureuse !— Ça ne veut pas dire qu’il ne te manque rien, murmura-t-il.Je le repoussai et reculai, encore, agacée par sa façon de me forcer à réfléchir à la situation. Je

grondai, déterminée à clore le sujet une bonne fois pour toute :— Je ne veux pas redevenir une soumise. Combien de fois je vais devoir te le dire ?— Aussi souvent qu’il le faudra pour que tu y croies.Sa remarque me blessa et je fis mine de sortir de son bureau quand il bondit et me rattrapa de

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justesse. Il referma la porte dans un claquement assourdissant alors que je venais de l’ouvrir :— J’ai déjà été avec une soumise, Annabelle, et même si je déteste avoir à le dire, John a raison :

tu as des signes de rechute. Autrement, pourquoi je me soucierais de ce qu’il dit ?Machinalement, je portai la main à mon cou :— Tu dis ça à cause du sexe ?— Je dis ça parce que ton corps a des besoins de plus en plus intenses, Annabelle. Pas seulement

au niveau sexuel, mais aussi en ce qui a trait à l’intensité et, je ne te mentirai pas là-dessus, à ladouleur.

Mes mains se joignirent devant moi, se serrèrent pour en camoufler le tremblement qui lesgagnait. Simon avait perçu quelque chose de différent en moi. Il sentait que je glissais vers monpassé. Pourtant, je n’en avais pas l’impression.

— Je ne… je ne le ressens pas de cette façon, admis-je.Il soupira et, pendant un bref instant, je le sentis soulagé par ma réponse, puis son ton redevint

ferme :— Je vais être honnête : ça m’effraie, ce qui se passe. Pas seulement ce qui se passe dans ton

corps, car ça, je crois être en mesure de le gérer…Je hochai vigoureusement la tête. Je ne voulais surtout pas qu’il puisse en douter. — Ce qui me fait peur, Annabelle, c’est le fait que plus John s’approche de toi, plus les

symptômes de la rechute se font sentir.Ma gorge se noua et je secouai la tête, un peu mollement cette fois :— Mais… je ne veux pas retourner avec lui. Je suis bien avec toi, Simon. Je te le jure.— Et je n’en doute pas. Seulement…Ses mains cherchèrent les miennes et les caressèrent avec force :— Quoi qu’il arrive, je ne te laisserai jamais tomber. Ça, je t’en fais la promesse. Si tu chutes en

enfer, je te suivrai sans hésiter et je te ramènerai, compris ?Malgré son ton empreint de conviction, ma tête confirma sans enthousiasme. L’enfer, dans sa

bouche à lui, ne faisait qu’évoquer le nom de John à mon esprit. C’était effrayant. Intolérable.Devais-je comprendre que Simon doutait de moi ? Cette seule idée me donna la nausée. Et au lieu delui répéter que je n’avais pas la moindre envie de coucher avec John, la seule question qui me vint entête me glaça le sang :

— Ton ex… tu l’as quittée à cause de ça, hein ? Parce qu’elle a fait une rechute ?Sa mâchoire se crispa et il prit un bon moment avant de me répondre :— C’est vrai, admit-il enfin, mais je ne l’aimais pas comme toi je t’aime. Ce n’est même pas

comparable.Devant mes yeux embués de larmes, il me secoua doucement :— Tu peux d’ores et déjà oublier cette idée : je ne te quitterai pas, Annabelle. Je t’ai dit que

j’étais prêt à tout pour toi. L’aurais-tu déjà oublié ? Tout ça, ce n’est qu’une tempête. Tous les

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couples en ont.— Non. Les couples normaux ont des problèmes d’argent, de communication, de… dysfonction

érectile ! Qu’est-ce que j’en sais ? Ça n’a rien à voir avec ce qu’on vit, toi et moi !Il afficha un sourire moqueur sur ses lèvres :— À choisir, je préfère ça à la dysfonction érectile.Je me calmai. D’un coup. Puis étouffai un rire avant de laisser une énorme bouffée d’air frais

entrer dans mes poumons. Il me reprit dans ses bras et nous restâmes ainsi pendant un long moment.Même si j’avais pu chasser les pensées qui hantaient mon esprit pendant un instant, elles revinrentsans attendre.

— En fait, je crois que John exagère et qu’il essaie seulement de me tendre un piège, admis-je.Les bras de Simon me relâchèrent pour que je puisse relever les yeux vers lui. Après une

hésitation, il haussa les épaules :— C’est possible, mais il n’a pas tort sur certains points, alors autant ne pas prendre ses menaces

à la légère, tu veux ?Je recommençai à hocher la tête. Il avait raison. Je ne pouvais pas prendre le risque de perdre

Simon. Je ravalai mes larmes avant qu’elles ne remontent jusqu’à mes yeux et, enfin, expirai à m’enfendre les poumons :

— Simon, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que je suive une thérapie ? Dis-le-moi, je le ferai.Pour toi, je ferais n’importe quoi.

Il sourit. Tristement. Puis ses doigts caressèrent ma joue :— Étant donné la situation, je crois qu’il est important que tu décides de ce qui est bon pour toi.

Sans te soucier de moi.Je ne masquai pas l’angoisse que me procuraient ses paroles et il ajouta aussitôt :— Sache que je t’appuierai, quelle que soit ta décision.Je basculais le poids de mon corps, de mon pied gauche au droit, et vice-versa, comme si j’avais

mal aux pieds. En réalité, j’étais incapable de rester en place, surtout devant le regard insistant deSimon qui semblait attendre que je prenne une décision. Là. Tout de suite. Avant de ne plus être enmesure de le faire, je tranchai :

— Tout était parfait avant qu’il ne revienne dans ma vie, pas vrai ? Alors… on va juste… oublierqu’il existe. Et reprendre notre vie comme avant.

Le visage de Simon s’assombrit et j’ajoutai, avant qu’il n’intervienne :— On ira voir un thérapeute si tu y tiens, mais avant d’entreprendre quoi que ce soit, je vais

m’assurer que John ne s’approche plus de moi.— Et comment ?— Je ne sais pas, admis-je en toute honnêteté. Je vais déjà dire à la réceptionniste que s’il essaie

de me voir et qu’elle le laisse passer, je la fiche à la porte.Il sourit, mais juste à ses traits, je compris que, dans sa tête à lui, je n’avais pas réglé la question.

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Le serait-elle jamais ?— T’as une meilleure idée ? lui demandai-je.— Tu ne veux pas que je lui parle ?— Non. Ce serait lui accorder trop d’importance. Tu connais John, il adore faire le malin, sifflai-

je. Hors de question qu’on le laisse mener la danse.Il parut satisfait de ma réponse, même s’il prit un temps considérable à l’admettre dans un

hochement de tête :— Alors on fait comme ça.Enfin ! Affaire classée ! J’expirai de soulagement et forçai un sourire sur mes lèvres avant de

tourner les talons pour regagner la sortie. Avant que je pose une main sur la poignée de porte, il retintmon bras et me reprit contre lui :

— Qu’est-ce que tu fais ? questionna-t-il.— Je rentre. Je t’ai suffisamment empêché de travailler, tu ne penses pas ?Il rit contre ma tête et ses mains descendirent sur mon ventre :— Peut-être que ça me plaît quand tu me déranges au travail ?Ses mots me rassurèrent. Ces derniers temps, j’avais la sensation d’abuser de sa gentillesse et de

son temps. Le cœur gros, je me retournai vers lui et me jetai à son cou pour l’embrasser avec fougue.Sa bouche était mon refuge. Elle me permettait d’oublier tous les problèmes que nous avions.Problèmes qui m’incombaient, évidemment. Pourquoi fallait-il que je l’entraîne avec moi ?

Alors que je laissais voguer mon nez dans le creux de son cou, il chuchota :— On devrait partir, ce week-end. Prendre quelques jours, juste toi et moi. Qu’est-ce que t’en

penses ?— Hum. T’as le resto, lui rappelai-je.— Je trouverai quelqu’un pour me remplacer. La perle peut survivre sans moi, alors que moi, je

ne peux pas vivre sans toi.— Espèce d’adorable romantique, roucoulai-je en m’accrochant à son tablier.Il m’embrassa, doucement, puis il retint ma lèvre inférieure entre ses dents avant de la relâcher,

un regard coquin braqué sur moi.— Simon, le disputai-je en essayant de reprendre ma liberté.Il me retint par la taille, sembla amusé par ma réaction. Pour cause ! Ce genre de geste, tout

simple, m’allumait. Sans parler qu’il frottait délicieusement son bassin contre le mien. Je détournai latête. Depuis qu’il avait admis que cette augmentation libidinale que je ressentais était le symptômed’une possible rechute, j’avais peur de lui succomber. Je songeai à m’enfuir pour lui prouver que jepouvais m’en passer. Du moins jusqu’à ce qu’il rentre à la maison…

— T’as envie de moi ? chuchota-t-il en glissant sa bouche dans mon cou.— J’ai toujours envie de toi, mais… c’est plus sage si je rentre.En disant cela, je cherchai la poignée à tâtons. Il valait mieux partir avant que je ne change

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d’avis ! Mais sa main me plaqua plus rudement contre lui, tripota mes fesses à travers ma jupe.— Monsieur Hébert, dis-je en feignant d’être choquée par sa proposition, et si l’un de vos

employés nous surprenait ?— On n’a qu’à le faire sur la porte. Comme ça, personne ne pourra entrer. Et puis… je suis le

patron… que veux-tu qu’ils fassent ?Alors que je rigolais, il mit son idée à exécution, me colla contre la porte et sa bouche dériva

délicieusement sur mon cou, léchant et mordillant ma chair. Quand sa main chercha à soulever majupe, je pouffai nerveusement de rire :

— Bon sang, t’es sérieux !Dès que ses doigts trouvèrent l’entrée de mon sexe, il arbora un air satisfait sur l’excitation qui

régnait entre mes jambes :— Maintenant, ose me dire que t’en as pas envie ?— Mais… on est ici depuis déjà…Je fermai les yeux et ne cherchai plus à calculer à la seconde où il se mit à caresser mon clitoris.

Je détestais qu’il ait raison. Pas parce que je n’en avais pas envie, au contraire, mais parce quej’étais dans tous mes états à cause de John. Mon corps devenait insatiable. À croire que j’étais enmanque de sexe alors que Simon ne me laissait pratiquement jamais de répit. J’étais épuisée, gavée.Et pourtant, je ne m’en lassais pas.

— Oh Simon ! hoquetai-je, en le sentant chercher à ouvrir son pantalon. Ils vont se demander cequ’on fabrique ici…

Ma tête recula vers l’arrière, se heurta à la porte, mais déjà, son sexe se frottait sur le mien,caressait mon clitoris avec le bout de son gland :

— Dépêche-toi, le suppliai-je.— Quelle impatience ! se moqua-t-il.Quand il s’enfonça en moi, sa bouche s’écrasa sur la mienne pour retenir les gémissements de

joie qui franchirent mes lèvres. Chacun de ses passages me cognait contre la porte. À présent,personne ne pouvait douter de ce que nous faisions, dans ce bureau, mais je m’en fichaiscomplètement. Simon était ma drogue. Je ne pouvais plus m’en passer. J’avais besoin de lui, de soncorps, de sa bouche, de son sexe.

Ses mains empoignaient mes fesses, les malmenaient et les obligeaient à suivre ses mouvementsde bassin. Il mordit ma lèvre, si fort que je relâchai un grognement. Et pourtant, cette légère douleurfit augmenter mon excitation en puissance. J’explosai rapidement, comme si mon corps n’attendaitque ça. Alors que Simon poursuivait sa quête avec acharnement, je léchai ma lèvre endolorie, yperçut le goût de mon propre sang. Lorsqu’il éjacula, sa plainte fut douce à entendre :

— Anna, mon Anna…Oui. Son Anna. En ce moment, c’était tout ce que je souhaitais être. Et si je devais à nouveau

m’agenouiller devant un homme, nul doute que c’est devant Simon que je le ferais. Hors de questionque John me reprenne sous sa coupe. Jamais.

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Un bon Maître

Décidément, le sexe grugeait de plus en plus mon temps de sommeil. Je ne m’en plaignais pas,mais au petit matin, quand je partais pour le travail et que Simon se recouchait, je devais admettreque je trouvais difficile de passer le seuil de la porte. Sans parler que la fatigue commençaitsérieusement à affecter mon humeur.

J’en étais à mon troisième café quand Jessie se planta devant ma porte. Ravie de faire une pause,je lui fis signe d’entrer, mais avant même qu’elle se plante devant mon bureau, elle se mit à rougir età bafouiller :

— Vous savez… hier… dans votre bureau…— Jessie, je croyais qu’on se tutoyait, maintenant ?— Oh euh… oui. Pardon. Je voulais dire… ton bureau.— Oui ? insistai-je.— Bien… c’est que… il y avait… John Berger.En prononçant son nom, elle releva un drôle de regard sur moi. Pour ma part, juste à l’entendre,

je sentis mon visage perdre toute trace d’amicalité. Je dus faire un effort pour ne pas hausser le ton :— Et alors ?Ses yeux s’agrandirent, puis un éclair de curiosité traversa son visage :— Je ne savais pas que vous… que tu… le connaissais…— J’ai été son éditrice, tranchai-je très vite.— Oui. Oui, j’ai vu sur Internet. Pour son troisième tome…Mes sourcils remontèrent de surprise. De toute évidence, elle avait fait des recherches sur John.

Alors pourquoi était-elle là ? En essayant de maîtriser mon humeur, je parlai vite :— Jessie, qu’est-ce que tu veux savoir ?— Eh bien… c’est à propos de… de ce qu’il écrit…Ses joues continuaient de rougir, à croire qu’elle était une véritable torche humaine, à l’intérieur.

Comme je me doutai de sa question, je l’interrompis, en espérant couper court à son malaise :— Tu veux savoir s’il pratique le genre de sexualité auquel il fait référence dans ses livres ?Elle se raidit, puis après une brève hésitation, elle hocha la tête. Décidément ! Chaque fois que

John passait quelque part, la question résonnait sans cesse sur son sillage…— Oui, dis-je en espérant conclure rapidement notre conversation. Enfin… à l’époque, il le

faisait.Soudain, je n’en étais plus certaine. Après tout, ne m’avait-il pas dit qu’il n’avait plus de soumise

et que Laure appartenait à Maître Paul, désormais ? Bien malgré moi, j’observai la réaction deJessie. L’espace d’un instant, son regard dérapa dans le vide, puis elle retint un sourire de se former

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sur ses lèvres. De toute évidence, quelque chose l’avait séduite chez John. Un peu mal à l’aise, jesoufflai :

— Ne me dis pas que tu es une soumise !Était-ce là la raison pour laquelle John l’avait jugée « intéressante » ? Cette fois, je la dévisageai

sans vergogne, comme si une marque quelconque pouvait trahir cet état de fait. Quelque chosem’échappait-il ? Pourtant, je ne voyais rien. Pas de collier. Pas d’attitude particulière. Absolumentrien.

Mon attention se reporta sur son visage lorsqu’elle le secoua :— Je ne suis pas soumise, admit-elle. Enfin… je ne pense pas. Seulement… j’aurais aimé… je ne

sais pas… disons… essayer ?Malgré moi, mes traits s’allongèrent. Devant ma réaction, elle devint anxieuse :— Vous allez me juger ?Je la pointai d’agacement et bifurquai de sujet pour réfléchir plus longuement à sa question :— On se tutoie, OK ?— Ah euh… pardon. Est-ce que… ?— Non, je ne vais pas te juger, la coupai-je. C’est juste que… je ne pense pas que je devrais

savoir ce genre de choses…En réalité, c’était plutôt l’inverse qui me dérangeait. Allait-elle me demander comment je

connaissais cette information à propos de John ? Soudain, c’est moi qui me sentis rougir, mais Jessiene parut même pas s’en rendre compte.

— C’est que… j’aurais aimé… le contacter, m’avoua-t-elle. J’aurais pu demander à Claire,mais… je ne sais pas… je me sens… plus proche de toi.

Mon corps s’était reculé sur le siège, cherchant un appui supplémentaire, bien qu’il me parûtdérisoire. Jessie se sentait plus proche de moi ? Pourquoi ?

— Tu penses que… que je suis son genre ? me questionna-t-elle encore.Je haussai les épaules. Comment savoir ? John avait été avec Laure, Lena et moi. À croire qu’il

n’avait aucun genre prédéfini. En âge, du moins. Je la détaillai à nouveau, un peu mal à l’aise dedevoir la jauger d’un point de vue érotique, puis je détournai les yeux en grimaçant :

— Je ne sais pas. C’est à lui qu’il faut le demander.Avant qu’elle ne dise quoi que ce soit, je m’avançai pour prendre appui sur mon bureau et portai

un regard ferme sur elle :— Tu sais qu’il couche avec Lena ?— Madame Blouin ? Oh… bien… euh… non.Elle en parut contrariée. Plus que moi, d’ailleurs, ce qui me tira un léger sourire de satisfaction.

Au moins, je n’étais pas jalouse de Lena. Pas le moins du monde. Devant son air déçu, je repris :— Écoute, ça ne l’a jamais empêché de… et puis, ça ne me regarde pas. Vois ça avec lui, tu

veux ?

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Je tirai sur un bout de carton et y inscrivit le numéro de portable de John pendant qu’elle mescrutait attentivement. Lorsqu’elle récupéra l’information, elle la serra contre elle avec un air transi,mais resta quand même plantée devant moi.

— Autre chose ? m’impatientai-je.— Non, enfin… c’est que… ça me fait un peu peur…Je pinçai les lèvres, soudain consciente de ce que je venais de faire. Comment laisser une aussi

douce personne entre les mains destructrices de John ?— Jessie… as-tu vraiment envie de faire ce genre de choses ? lui demandai-je.Comme elle me fixait sans répondre, j’insistai, pour qu’elle sache à quoi s’en tenir :— Tu veux te faire attacher, humilier, fouetter… et te faire baiser par des hommes et des femmes

que tu ne pourras pas choisir ?Elle croisa les bras devant elle et se lécha les lèvres de nervosité, visiblement anxieuse de la

liste que je venais d’établir. Pourtant, sa réponse resta évasive :— Bien… peut-être…Je soupirai. Tant pis. Elle avait lu les livres de John, tout comme moi, et elle avait envie

d’essayer la soumission. Comment pouvais-je la juger ? N’avais-je pas fait la même chose, aprèstout ?

— Tu sais, je sais un peu ce que c’est, dit-elle en tentant de se justifier. J’ai lu des livres et… vuquelques vidéos sur Internet aussi… C’est juste que… maintenant que j’ai rencontré un vrai Maître…

Elle s’interrompit avant de me poser une autre question :— C’est un bon Maître, tu crois ? Parce qu’il paraît qu’il y en a de très mauvais… que ce n’est

pas toujours évident de choisir…Je fermai les yeux. Pourquoi devait-elle me poser cette question ? Et pourquoi à moi ? J’avais

envie de m’emporter, de lui dire quelque chose comme : « Comment je le saurais ? », mais juste à lafaçon dont mon visage s’empourprait, je me doutais qu’elle remarquerait sans trop de mal que jementais.

— Je suppose que ça dépend ce que tu cherches, finis-je par répondre en cherchantsoigneusement mes mots.

Elle hocha la tête, visiblement rassurée par mes paroles, puis baissa les yeux sur le carton que jelui avais remis avant de le faire tournoyer entre ses doigts. Possible qu’elle hésitait à sauter le pas.Fallait-il que je l’en empêche ? Était-ce là mon devoir ?

— Tu veux la vérité ? m’entendis-je demander.— Oui. Oui, s’il te plaît.Je rassemblai mon courage et parlai vite, avant qu’il ne me fasse défaut :— John a déjà détruit ma vie. S’il n’en tenait qu’à moi, je te dirais de jeter ce carton aux

poubelles et d’oublier jusqu’à son nom.La bouche de Jessie s’ouvrit sous la surprise, puis elle la referma très vite pour déglutir de

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nervosité. Maintenant que j’avais exprimé le pire, je tempérai mes propos :— Mais pour avoir rencontré d’autres Maîtres… je t’avoue que… même après tout ça… John me

semble encore le meilleur du lot.Malgré moi, ma bouche se tordit d’agacement, mais Jessie s’en ficha complètement. Le carton

revint contre sa poitrine et son sourire se confirma. On aurait dit une enfant devant l’annonce d’ungâteau au chocolat. Étais-je en train d’envoyer un agneau à l’abattoir ? Soudain, le nom de famille deJohn me parut doublement redoutable.

— Je vais… peut-être essayer, dit-elle en reposant les yeux sur moi. Merci Annabelle. C’est…c’est vraiment gentil de… de m’avoir dit tout ça.

Mon cœur loupa un tour. Qu’avais-je fait ? Un peu sous le choc, je repris :— Tu sais, aux dernières nouvelles, il n’avait plus de soumise, alors… je ne peux pas te garantir

qu’il fait encore ça. Et il couche avec Lena aussi. Tu ne trouves pas que ça te place en conflitd’intérêt ?

Elle haussa les épaules. De toute évidence, cela ne lui avait même pas effleuré l’esprit.— Je vais y penser.Devant la moue que j’affichai, elle insista, avec une voix plus ferme :— Je vais vraiment y penser. Je veux dire… sérieusement. Je t’assure que je ne ferais pas ce

genre de choses à la légère.— Bien… c’est déjà ça.Le carton recommença à danser dans sa main, puis elle tourna les talons et s’arrêta avant de

franchir ma porte :— Merci Annabelle. Je t’apporte la maquette de la couverture dès que je l’ai terminée.Elle disparut pendant que je restais là, à la suivre du regard, de l’autre côté de la vitre. La peur

me prit au ventre. Je n’aurais pas dû la pousser vers John. Mais n’est-ce pas ce qu’elle m’avaitdemandé ? Ne l’avais-je pas mis en garde ? Et pourquoi me sentais-je coupable de lui avoir dit lavérité ?

Ma tête se remit à réfléchir à toutes sortes de choses. John était-il un bon Maître ? Commentsavoir ? Il m’avait détruite, il est vrai, mais n’avais-je pas été heureuse de lui appartenir, à unecertaine époque ? Je balayai l’air devant moi pour essayer de chasser toutes ces idées de ma tête.Pourtant, c’était difficile de songer à autre chose. Était-ce le genre de sujet qu’il me faudrait aborderlors d’une thérapie ? Et en quoi cela pouvait-il m’aider de savoir si John était un bon ou un mauvaisMaître ? Ça ne changeait rien à ce qu’il m’avait fait !

Récupérant mon dossier de travail, j’y plongeai pour me vider l’esprit. J’avais bien assez de mamauvaise humeur et de mon manque de sommeil. Hors de question que je prenne du retard en plus !

* * *Simon me prépara un repas que nous partageâmes dans mon bureau. C’était la première fois qu’il

venait me voir au travail depuis que nous avions emménagé dans nos nouveaux locaux. Je savourai sacrème de pétoncle avec un plaisir non dissimulé, ce qui le fit sourire :

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— Dommage que les murs soient en verre, dit-il en posant un regard vibrant sur moi.Pendant un instant, je songeai à tous les recoins possibles dans les environs pour une baise

rapide. Dès que l’idée me traversa l’esprit, je fis clinquer mes clés et répondis à son sourire avec unair gourmand :

— J’ai accès à des toilettes privées maintenant.Il étouffa un rire et feignit d’être outré :— Seriez-vous en train de me faire une proposition indécente, mademoiselle ?Je léchai l’endos de ma cuillère de façon totalement suggestive quand mon regard bifurqua vers la

droite. Mon corps se raidit et Simon pivota au même instant où John entrait dans mon bureau. Jelaissai retomber mon poing sur mon bureau et m’emportai sans attendre qu’il n’ait le temps d’ouvrirla bouche :

— Ma parole, je rêve ! Tu ne pourrais pas me ficher la paix ?Il parut surpris par mes propos, détourna le regard en direction de Simon qui hocha la tête de

façon courtoise :— Salut John.— Simon…Je pointai devant moi :— Dehors !J’eus la sensation de parler dans le vide, car John poursuivit sans se soucier de mes paroles :— Je suis désolé d’interrompre votre tête à tête, mais il faut que je parle à Annabelle. C’est

important.Je fusillai Simon du regard pour l’empêcher de bouger de sa chaise, ce qui n’empêcha pas John

de poursuivre :— Jessie Boisvert m’a téléphoné, ce matin. Ça te dit quelque chose ?Quelque chose dans son ton me fit frissonner et les traits de mon visage s’effondrèrent

légèrement. Jessie avait téléphoné ? Déjà ? Elle n’avait pas perdu de temps ! N’avait-elle pas ditqu’elle y réfléchirait sérieusement ? Devant mon silence, John croisa les bras et afficha un airréprobateur :

— J’aurais aimé que tu me demandes mon avis avant de donner mon numéro privé à cette jeunefille.

Simon me questionna du regard et je bafouillai, un peu gênée de devoir l’admettre :— Elle a rencontré John dans mon bureau et… elle voulait… essayer, alors…— Annabelle, ça ne se fait pas, confirma Simon. Pourquoi ne l’as-tu pas envoyé au bar de Maître

Denis ?Un peu choquée d’être prise en défaut par lui aussi, je tentai aussitôt de me défendre :— Elle voulait contacter John ! Et je n’allais certainement pas l’envoyer dans un bar où

n’importe quel imbécile se serait jeté dessus !

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— Je ne suis pourtant pas le seul Maître que tu connais, rétorqua John.— Non, mais tu es le seul qu’elle a déjà rencontré.— Cela justifie-t-il que je la prenne sous mon aile ?— En voilà une drôle d’expression pour quelqu’un qui brutalise les femmes, sifflai-je.Simon se pencha vers moi et posa une main sur mon bureau, parla doucement pour me ramener à

l’ordre :— Annabelle. Arrête. John a le droit de ne pas avoir apprécié ton geste.Je serrai les dents, agacé qu’il prenne son parti de la sorte.— Je n’ai pas réfléchi, finis-je par admettre avec un ton cinglant. Elle est arrivée, elle m’a posé

des questions et comme je ne savais pas quoi lui dire, je t’ai refilé le problème. Voilà.Devant la froideur de son regard, ma colère se réanima :— Mais qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Cette fille est mon employée ! Je ne veux pas

avoir à discuter de ces choses-là avec des gens qui travaillent pour moi.— De ces choses-là ou de moi ? questionna John.— Des deux. Et sur ça, tu ne peux pas m’en blâmer.Simon retint un sourire qui me redonna confiance en moi. Suffisamment pour que je relève la tête

vers John qui sembla réfléchir un moment. Alors que j’imaginais que nous en resterions là, il plongeaà nouveau son regard sur moi :

— Tu lui as dit que j’étais un bon Maître.— Je lui ai aussi dit que tu avais gâché ma vie, rectifiai-je, mais pour ce que vaut mon avis…

Dire qu’elle t’a téléphoné après quoi ? Trois minutes ? Comment voulais-tu que je t’informe ?— Tu lui as dit que j’étais un bon Maître, répéta John en détachant chaque mot, comme si je

n’avais pas correctement entendu ses paroles, la première fois.L’expression qu’afficha Simon me fit regretter qu’il soit présent dans la pièce. Avais-je vraiment

dit que John était un bon Maître ? J’avais du mal à réfléchir pour essayer de retrouver maconversation avec Jessie, mais voyant qu’il attendait que je confirme l’information, je finis parhausser les épaules :

— Denis est un piètre amant, Paul est un sadique et vu comme elle te bouffait des yeux, çam’étonnerait qu’elle soit gouine. Alors… oui, je suppose que ça veut dire… que tu es le meilleurd’entre eux. En même temps, à qui voulais-tu que je la réfère ? C’est toi qu’elle voulait !

John tourna la tête vers Simon :— Tu as bien entendu ?Probablement pour être à hauteur égale, Simon se leva de sa chaise et pivota face à John :— Qu’est-ce que tu veux, John ? Pourquoi tu ne le dis pas franchement ?— Je suis venu réparer mes erreurs, expliqua-t-il sans sourciller par la froideur de Simon.

Annabelle a besoin d’aide, ça me paraît évident.— Je n’ai besoin de rien, m’interposai-je.

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— Je présume qu’elle t’a parlé de notre petite conversation ? poursuivit John.— Elle m’a tout dit, oui. Et même si je suis sûr que tes intentions sont honorables, Anna et moi

avons décidés d’aller voir un thérapeute de notre côté. Alors si tu pouvais prendre tes distances…Le visage de John devint livide, mais il conserva une voix impassible :— Tu as entendu ce qu’elle a dit : je suis un bon Maître. Je n’ai peut-être pas été le meilleur pour

elle, mais autant que tu le saches : j’ai l’intention de réparer mes erreurs. Je peux et je suis en droitde le faire.

— Tu ne peux aider quelqu’un qui ne le veut pas, soutint Simon.Le regard que John posa sur moi me fit froid dans le dos :— Oh, mais elle finira par accepter mon aide, n’aie crainte, mon ami. Et maintenant que je sais ce

qu’elle pense vraiment de moi, je crois qu’on va pouvoir commencer la partie.La partie ? Quelle partie ? Mon souffle se mit à s’accélérer. Était-il en train de me menacer ?

Devant mes craintes, il arbora un sourire plus confiant :— Je t’ai offert la méthode douce, Annabelle, mais je crois que ça ne suffira pas.Ses paroles, bien que douces, résonnèrent comme une effrayante promesse. Mes jambes se

dressèrent et je m’emportai aussitôt :— Bien, maintenant que tu nous as fait ton petit numéro : dehors ! Et si jamais tu reviens, je te

jure que j’appellerai la police !Avant qu’il n’ait tourné les talons, je me mis en communication avec la réceptionniste et parlai si

fort que tous les bureaux avoisinants au mien durent m’entendre :— Si jamais John Berger revient ici et que tu le laisses rentrer, tu retournes chez Zap¸ me suis-je

bien fait comprendre ?Je raccrochai le téléphone avant que la réceptionniste ne puisse me répondre. Si fort que j’en eus

mal à la main. Simon contourna le bureau pour venir me prendre dans ses bras et, juste à son contact,je me calmai légèrement :

— Hé ! Du calme !— Le salaud ! Il vient de me menacer, t’as entendu, pas vrai ?— Il essaie de te mettre en colère, Annabelle, et tu réagis exactement comme il le souhaite.

Pourquoi lui accordes-tu tant d’importance ?Il avait raison. Pourquoi ? On aurait dit que c’était plus fort que moi. Le simple nom de John

Berger me tordait l’estomac. Je fis mine de me calmer, mais la rage transparaissait dans ma voix :— Je suis désolée. Et je n’aurais pas dû envoyer Jessie vers cet imbécile. Je voulais juste régler

la question et ne plus jamais en entendre parler.Sa main caressa mon dos et nous restâmes ainsi un long moment.— Au moins, les choses sont claires, maintenant, dit-il soudain.Je relevai un regard effrayé vers lui, ce qui le poussa à s’expliquer :— Je pense qu’on ne tardera plus à connaître son plan d’attaque. Après quoi… nous aviserons.

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J’avais l’impression que nous étions en guerre. Nous contre John. Et tout ce que Simon proposait,c’était d’attendre. Ma tête se remit à réfléchir à toute vitesse et j’étouffai mon désir secret de toutplaquer à nouveau. Tenais-je davantage à la revue qu’à mon poste d’éditrice aux Quatre Vents ? Jen’en étais pas certaine. En tous les cas, quitter un travail me paraissait beaucoup moins dangereuxque de reconstruire ma vie à nouveau.

Mes doigts serrèrent la chemise de Simon. J’étais ridiculement terrifiée et je ne savais paspourquoi. J’avais peur que John ait raison et que Simon ne soit pas suffisamment fort pourm’empêcher de déraper vers mon passé.

Sans lui, j’étais déjà persuadée que je ne pourrais pas m’en sortir, mais était-il assez fort pour mesauver des griffes de John ?

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La rage au corps

Attendre, je crois que c’était pire que tout. John le savait, assurément, parce qu’il ne se manifestapas du reste de la semaine. Je plongeai dans le travail pour repousser les idées qui torpillaient matête, obligeai Simon à soumettre mon corps jusqu’à ce que mes craintes m’abandonnent. Jusqu’à ceque le sommeil m’écrase sous une couverture de plomb.

Quand nous fassions l’amour, John n’existait pas. La peur elle-même n’existait pas. Dans cesmoments-là, je n’étais qu’à Simon.

Au bout de deux jours, je sus que John avait fait une menace en l’air. Même en tournant lasituation dans tous les sens, je ne voyais pas comment il pouvait m’atteindre. À la limite, il luifaudrait me kidnapper pour que j’accepte de me retrouver dans la même pièce que lui ! Je doutaiqu’il soit capable d’une telle bassesse…

Même s’il essayait de ne pas le démontrer, Simon était inquiet. Cette attente le rendait fou, luiaussi. Chaque fois que je m’éloignais de lui, il me jaugeait discrètement du regard, comme s’ils’attendait à ce que je craque d’une quelconque façon. À quoi ça ressemble, une soumise quirechute ? Est-ce qu’il fallait que je me jette à ses pieds et que je le supplie de me faire sienne ? Loinde moi cette idée ! Et pourtant, si je sentais que j’étais sur le point de craquer, nul doute que c’est àSimon que je m’abandonnerais.

J’étais heureuse que le vendredi soit là. Enfin ! C’était le dernier jour avant le week-end. Simonétait parvenu à prendre deux jours de congé pour être avec moi. Il avait envie qu’on se retrouve,qu’on parte quelque part, juste tous les deux. À cette idée, plus qu’alléchante, je partis plus légère autravail, avec la ferme intention de boucler tous mes dossiers pour ne rien avoir à faire, ces deuxprochains jours.

J’en étais à mon deuxième café quand Lena entra dans mon bureau avec une expression que je nelui connaissais pas.

— On peut se parler, deux minutes ? s’enquit-elle.— Je t’écoute.Elle s’installa sur la chaise devant moi et se mit à chercher ses mots pendant un petit moment.

Soudain, je compris qu’elle était nerveuse et je m’entendis dire :— Surtout, ne me parle pas de John !— Lui et moi, c’est fini, annonça-t-elle sans se soucier de mes réserves.J’eus envie de lui dire que je m’en fichai et que je ne voulais pas le savoir, mais la curiosité

m’envahit. Avant que je ne lui pose la moindre question, elle ajouta :— Il est fou, Annabelle. J’aurais dû t’écouter. Je n’aurais pas dû… je n’aurais pas dû.Inquiète, je me braquai sur ma chaise et posai les yeux sur chaque parcelle de sa chair qui m’était

visible :

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— Qu’est-ce qu’il t’a fait ?Voyant que je cherchai une quelconque preuve de sévices sur sa personne, elle secoua rapidement

la tête :— Oh ! Non ! Il ne m’a pas frappé !— Alors quoi ?Ses doigts enserrèrent ses genoux et au lieu de tout me dire, elle diminua le ton de sa voix :— Je ne savais pas… je te jure que je ne savais pas !— Quoi ? m’impatientai-je.— C’est que… je ne t’ai pas reconnue, tu comprends ?— Merde Lena, tu vas me dire ce qui se passe ?Elle déglutit, tellement fort que je l’entendis de ma chaise. Enfin, elle se mit à me raconter que

John l’avait invitée chez lui, hier soir, et qu’ils avaient baisé dans sa chambre…— Lena, évite les détails, grimaçai-je.— Il faut que je te donne ces détails ! Tu vois, en haut de son lit, il y a cette photo… ça ressemble

à un poster, quelque chose de… de très sadomaso… mais soft, hein ?Ses mains bougeaient dans tous les sens et je croisai les bras devant moi :— Tu pourrais faire plus court ?— C’est toi sur cette photo ! s’écria-t-elle en se penchant plus avant vers moi. Toi, dans ce ruban

rouge, couchée sur ce lit, et complètement à la merci de ce détraqué !Quelque chose me fit sursauter et je secouai la tête, incertaine de ce qu’elle m’annonçait.— Tout ce temps où on baisait ensemble, lui et moi, il le faisait devant cette image de toi ! Tu te

rends compte ? Et c’est pas une petite image, hein ? C’est un poster ! Un truc géant !— Mais je… je ne me souviens pas de…Je cessai de parler alors que les souvenirs de cette nuit-là, alors que John me ficelait avec ce

ruban rouge et me prenait en photo, me revinrent en mémoire.— Tu te rends compte ! reprit-elle. Tout ce temps, il me baisait devant toi !Sur le moment, je ne compris pas ce qui la choquait. Quelle importance qu’elle se fasse baiser

devant une image ? Et pourtant, dans mon for intérieur, je n’arrivais pas à croire que John ait uneimage de moi dans mon plus simple appareil. Pire encore : accrochée dans sa chambre et à la vue detous.

Encore une fois, il venait de soumettre mon corps au rôle d’objet. Soudain, l’idée du nombre defemmes qu’il avait baisées là, devant cette image, me souleva le cœur. Et enfin, la colère gronda dansmon ventre. D’un trait, je me levai de ma chaise, récupérai mon sac à main et jetai un regard sombresur Lena :

— Toi, tu prends le relais de la revue.— Mais… qu’est-ce que tu fais ?— Je vais récupérer cette photo, annonçai-je.

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En réalité, j’avais envie de la lui faire avaler de force, mais à choisir, je me contenterai de lafracasser contre le mur. Il n’allait pas en croire ses yeux !

Alors que je roulai en direction de chez John, je songeai à tous les moyens possibles pour le fairerager. J’espérais qu’il avait fait encadrer mon image dans un cadre en verre pour que l’effet soitd’autant plus dramatique lorsque celui-ci éclaterait avec fracas.

Sans frapper, j’entrai chez lui telle une furie et claquai la porte derrière moi. Du haut desescaliers, il arriva, tout sourire :

— Bonjour Annabelle, entre, je t’en prie.— Toi, ne me parle pas ! ordonnai-je en le pointant d’un doigt menaçant.Sans attendre sa réponse, je grimpai l’escalier et me dirigeai vers sa chambre à coucher. Je restai

saisie par l’image en question. Grande, colorée, le rouge criant et mes jambes bien en évidence, plusque le reste d’ailleurs. Probablement que je l’aurais jugée différemment si je n’avais été le modèlede base.

Durant le bref instant où je m’arrêtai, sur le seuil de la pièce, John se planta derrière moi etchuchota :

— Joli, n’est-ce pas ?Je tournai un regard sombre vers lui et haussai le ton :— Ça ne va pas dans ta tête ? Comment tu peux ficher une photo de moi sur le mur de ton

baisodrome ?Alors que j’étais sur le point de perdre le reste de mes moyens, il se mit à rire :— Baisodrome ? Mademoiselle ! Dans votre bouche, cette expression est tout à fait charmante…— Va te faire voir, imbécile !J’entrai dans sa chambre, retirai mes souliers pour grimper sur son lit, mais durant mon

déplacement, il continua de se moquer de moi :— Tu sais, si tu en veux une copie, je serais ravie de te l’offrir. N’oublie pas que j’ai l’image en

fichier numérique…Le cadre en mains, je lui jetai un regard noir :— T’as intérêt à me donner les fichiers et à arrêter de faire le malin !Histoire de passer mes nerfs, je fracassai la vitre sur la tête de son lit, avec un plaisir que je ne

masquai pas. Je recommençai trois fois, jusqu’à ce que l’image, autant que le cadre, soientirrécupérables. Enfin, je laissai tout tomber en bordel sur le sol et descendis du lit. Du coin de lapièce, alors que je remettais mes souliers, John m’applaudit lentement, toujours ce sourirecondescendant accroché au coin des lèvres :

— Excellente performance, mademoiselle. J’avoue que je m’attendais à moins spectaculaire.Ceci dit, c’est dommage pour la photo. Je suis sûr que Simon l’aurait bien aimée, lui aussi…

Ma parole, il me provoquait ! D’un pas décidé, je me ruai sur lui pour lui ficher un coup depoing, mais il retint mon geste d’un bras ferme et son visage se durcit :

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— Je t’ai dit que si tu voulais me frapper, ce serait avec le fouet.J’arrachai mon bras de sa poigne et le toisai du regard :— Parfait. Va le chercher que je t’éclate la tête !Son visage retrouva un air amusé. Quel salaud ! Il me croyait donc incapable de le frapper ?— John, je ne plaisante pas, le menaçai-je.— Voyons cela. Tu m’accompagnes au sous-sol ?Je fronçai les sourcils, un peu surprise de sa question :— Pourquoi ?— Allons Annabelle, tu sais bien que c’est là où se trouve ma cravache ! Ne viens-tu pas de

manifester le désir de me frapper ?Essayait-il de me déstabiliser ? Lui emboîtant le pas, je redescendis l’escalier avec conviction :— T’as raison. Plus vite je t’éclate la tête, plus vite j’en aurai fini avec toi.Il me suivit dans un rire. Décidément, il le faisait exprès pour m’énerver ! Une fois au sous-sol, je

pointai la pièce où se trouvaient ses jouets et ordonnai :— Allez, va chercher ta cravache !— À vos ordres, Maîtresse.Ses mots me déplurent, autant parce qu’ils sonnaient pervers, que par l’intonation moqueuse qu’il

utilisait pour me les servir. J’en étais sûre : il s’imaginait que j’allais faillir. Alors là, il allait êtresurpris ! Il était hors de question que je cède.

Lorsqu’il revint avec sa cravache, je retins ma respiration avant de la saisir par la poignée.Chaque fois que je la lui avais apportée, je la tenais au centre, comme si je n’étais pas digne de latenir ainsi. Au moment où elle tomba comme une extension de mon bras, je sentis un drôle de pouvoirm’envahir.

Devant moi, John détachait sa chemise, bouton par bouton, en me scrutant du regard.— Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je, troublée par son geste.— Tu ne vas quand même pas me fouetter par-dessus mes vêtements !Il avait raison et pourtant, qu’il prenne le temps de retirer chaque morceau en me fixant de la

sorte me mis mal à l’aise. Il essayait de me m’intimider, évidemment ! Je me défendis de détachermon regard de sa personne, même quand il fut torse nu et que ses doigts se mirent à défaire sonpantalon.

— Tu peux garder tes pantalons, dis-je forçant la note. Je vais juste te frapper au niveau du dos.— Si tu veux mon avis, c’est beaucoup plus gratifiant de le faire sur les fesses et sur le haut des

cuisses. Les résultats sont garantis. Sans compter que je ne pourrai plus m’assoir convenablementpendant un jour ou deux. Enfin… si tant est que tu as suffisamment de cran pour y mettre la force qu’ilfaut.

Sa ceinture glissa, tomba sur le sol en clinquant, puis bientôt, son pantalon. Quand il fut nu devantmoi, je détournai le regard. Son érection me dérangeait. On aurait dit qu’elle me mettait au défi de

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m’exécuter et qu’elle me prouvait son courage.Histoire de l’intimider, je bougeai prestement la cravache pour en vérifier la souplesse, puis

pointai le sol avec elle :— À genoux, maintenant.Au lieu d’obéir, il s’approcha de moi, toujours avec cette expression de suffisance que je

détestais et, pendant un instant, je crus qu’il allait tenter de m’arracher la cravache des mains pourm’empêcher de le frapper. Très vite, je la cachai derrière mon dos pour la conserver, mais une foisdevant moi, il reprit un air sérieux :

— Je te conseille de donner tout ce que tu as, parce que tu n’auras jamais d’autre occasion de mefrapper. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Ne t’inquiète pas pour moi, crachai-je.— Je te donne dix coups. Pas un de plus.— Vingt, négociai-je. Et c’est peu cher payé pour ce que tu m’as fait.Il serra les dents et, au bout d’un silence, reprit :— Quinze. Si tant est que tu te rendes jusque-là.Je relevai la cravache dans les airs, la fit siffler dans l’air en espérant l’effrayer :— Tu l’as dit toi-même : c’est dans mes gènes.Il recula d’un pas, glissa un œil admiratif sur ma personne avant d’ajouter :— Si tu te rends jusqu’à quinze, je te redonnerai toutes les photographies.Je tentai d’afficher un sourire glacial :— Parfait. À genoux, maintenant.John me tourna le dos, se laissa tomber sur le sol et arbora une position de soumis. Aussitôt, mon

souffle s’emballa et je l’observai attendre mon premier coup. Je détaillai sa peau blanche et enessayant de déterminer l’endroit où je devais le frapper. Alors que je ne pensais qu’à le rouer decoups, voilà que la cravache me parut drôlement lourde dans la paume de ma main. Ou alors étais-jeintimidée devant l’obéissance dont il faisait preuve ?

— Puise dans ta colère, Annabelle, chuchota-t-il sur un ton menaçant.— Tais-toi !Agacée par son intervention, je le frappai dans le bas du dos, sursautai du bruit sourd qui résonna

dans la pièce. Bruit que je venais de provoquer sur sa peau. Étonnée du sentiment qui m’envahit, jeserrai la cravache contre moi, sentant que ma main allait bientôt se mettre à trembler.

John ricana :— C’est tout ce que tu as dans le ventre ? Je suis déçu, Annabelle. Je te croyais plus forte.Choquée par ses paroles, une autre vague de colère me submergea et je le fis cesser de rire en

cinglant sa chair pour une seconde et une troisième fois. Il ne cilla pas, mais ses mains se relâchèrentquelques secondes et il dut se replacer dans sa position initiale.

— Trois, compta-t-il.

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— Mais tu vas te taire ? m’énervai-je en le fouettant d’un coup supplémentaire.Cette fois, le coup atterrit sur ses fesses et il eut un sursaut qui me glaça le sang. Lui avais-je fait

mal ? Je fixai son dos qui s’était mis à rougir, marquai une pause, comme si j’attendais qu’il mesupplie d’arrêter, mais sa voix résonna encore :

— Quatre.Décidément, à croire qu’il avait l’habitude des coups ! Rugissant, je décidai d’en finir et claquai

l’arrière de ses cuisses par deux fois, recommençai à frapper ses fesses et m’acharnai de toute mesforces sur son dos. Au second coup, il tomba à quatre pattes et une sorte de grognement franchit seslèvres.

Sous ma main, le cuir de sa cravache me parut humide et je la serrai à nouveau contre moi,comme un objet rassurant, ce qui n’en était pourtant pas un.

— Dix, chuchota-t-il, la voix tremblante.Il avala sa salive et se releva tant bien que mal pour reprendre la position de soumis. Mes mains

se mirent à trembler. On aurait dit que toute la colère qu’il m’inspirait venait de s’envoler.— John ? soufflai-je.Toujours dos à moi, sa voix redevint ferme :— Il te reste cinq coups, Annabelle. Et si tu ne me les donnes pas, je promets de tapisser la ville

entière avec des photos de toi.Ce qui venait de disparaître reprit feu dans mon ventre et je serrai les dents.— Puisque tu insistes, dis-je en élançant le bras vers l’arrière.Je mis toute la force que je pus rassembler dans le prochain coup. Il cingla sur l’arrière de ses

cuisses. Cette fois, il retomba à quatre pattes et j’en profitai pour recommencer sur ses fesses.Souhaitant intérieurement qu’il ne puisse plus s’assoir, cet imbécile !

— Tu peux jouir, pestai-je.Enfin, je claquai le bas de son dos dans un bruit si vif qu’il m’éclata dans la tête. Alors que je

relevai la cravache devant moi pour l’admirer dans les airs, un sanglot résonna et estompalégèrement ma colère :

— T’en veux encore ? demandai-je.Je ne sais pas pourquoi, mais j’aurais aimé qu’il me supplie d’arrêter, qu’il me dise que ça

suffisait. Ma main transpirait, j’avais le souffle court et le corps en feu. On aurait dit que je venais decourir dix kilomètres.

— Expulse ta colère, Annabelle, dit-il avec une voix trouble. Donne tout ce que tu as.Ses mots m’effrayèrent. Pourquoi avais-je l’impression que j’étais exactement là où il le

désirait ? Était-ce là cette fichue thérapie dont il me parlait ? N’avait-il pas parlé d’un exutoire, à labrasserie ? Pendant un instant, je fus changée en statue de sel.

— Je ne te dis pas le nombre de fois où j’ai baisé Lena en te regardant Annabelle, rugit-il enessayant de contenir le tremblement de sa voix. Je me souvenais de ton cul qui s’ouvrait pour moi. Deta bouche qui suçait ma queue. Tu te souviens ?

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Avant que je ne puisse réfléchir, ma main se releva et je le frappai avec la cravache comme s’ils’agissait d’une batte de baseball. De toute mes forces, en hurlant de rage. Deux coups suffirent à lefaire tomber au sol. Il s’écroula, face contre terre, et je restai stoïque devant ce que je venais defaire.

— Quinze, dis-je, avec une voix tremblante.Mes doigts relâchèrent la cravache qui tomba dans un bruit que je perçus à peine. Mes oreilles

bourdonnaient, ma main picotait et je me sentis soudain très lasse. Devant moi, John tentaitdifficilement de se relever. Son corps tremblait autant que le mien et les traces que je venais delaisser sur sa peau me sautèrent aux yeux.

— Oh bon sang, soufflai-je en portant mes doigts à ma bouche, dans un geste d’effroi. Qu’est-ceque j’ai fait ?

D’un trait, j’éclatai en sanglots.

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La foudre

Alors que je pleurais comme une enfant, John se rua vers moi et j’angoissai à l’idée qu’il ne sevenge de mes gestes. Par souci de protection, je reculai en remontant un bras devant mon visage. Il lesaisit et me tira jusqu’à ce que je me retrouve contre lui.

— Ce n’est rien. Ça va, chuchota-t-il contre ma tête.Je secouai la tête, incapable d’évoquer de vive voix le trouble qui m’animait. J’avais été lui,

lorsqu’il me battait, furieux. J’avais été mon père qui s’en prenait à ma mère. J’avais été toute lacolère du monde pendant un instant. Pendant deux coups de fouet. Je ravalai ma peine en secouantmes cheveux de plus belle :

— C’était moi, hoquetai-je.— Oui.Aussi difficile que ce fût, il me fallait l’admettre : c’était moi, cette femme qui venait de le rouer

de coups. Moi dont la rage venait d’exploser sans que je ne puisse la contrôler.— Je sais ce que c’est, dit-il en retenant ma tête contre son torse.— Je t’ai… frappé.— Oui.J’eus un léger haut le cœur devant la violence dont je venais de faire preuve et je grimaçai en

essayant de repousser l’étreinte de John. Il émit un petit gémissement de douleur qui me ramena à laréalité. À sa réalité : son corps durement fouetté.

— John ? Est-ce que ça va ?Il ferma les yeux et hocha la tête en essayant de réprimer une moue d’inconfort, étira son dos pour

en assouplir la peau que je venais de tendre comme un animal. Je reportai les doigts à ma bouche,prise d’un vertige :

— Oh Seigneur…Soudain, j’avais envie de sortir d’ici et de prendre une bouffée d’air frais. Je tentai de me

relever, mais mes jambes tremblaient et, fort probablement, le reste de mon corps aussi. Une foisdebout, je vacillai et dus prendre une longue respiration pour retrouver, en partie, mes esprits.

— Bien, je… je vais… il faut que j’y aille, bafouillai-je.— Annabelle…La main de John se tendit vers moi et, dans son geste, je crus qu’il me demandait de l’aide pour

se relever. Je ne réfléchis pas et agrippai sa main pour le tirer vers le haut, mais dans la seconde, ilme ramena brusquement par terre, contre lui. Alors que je tentais de comprendre ce qui se passait, ilrepoussa ma jupe vers le haut et chercha à glisser une main entre mes cuisses.

— John ! Qu’est-ce que… ?

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— Ne résiste pas, Annabelle. Tu en as besoin.Je sursautai lorsqu’il s’attaqua à ma culotte, la contournant pour introduire ses doigts en moi.

Quelque chose de terrible se déclencha dans mon sexe. J’étais dans un état d’excitation improbable etpourtant, cela inondait ses doigts. Devant ma surprise, ses caresses se firent plus rustres, comme pourme forcer à lui céder.

Comme si la raison venait de retrouver le chemin de mon cerveau, je tentai de repousser sa main :— Arrête.Ma voix me parut faible, alors que dans ma tête, elle hurlait à plein volume. Il insista en poussant

mes hanches vers l’arrière pour mieux me pénétrer, tandis que je secouai la tête :— John. Non.— Tu en meurs d’envie. Laisse la colère se transformer en plaisir. Laisse ton corps relâcher la

pression…Il souriait en me susurrant ces paroles et moi, j’étais là, le corps en feu et les muscles de mon

vagin qui palpitaient autour de ses doigts. On aurait dit autant de requêtes muettes pour qu’il nes’arrête pas. Je ne remarquai même pas qu’il malmenait ma jupe pour qu’elle remonte au-dessus dema croupe. Bon sang ! Il était en train de gagner !

Je cherchai à reculer, mais son bras libre me retint en place, s’enroulant autour de ma taille, tel unserpent. Son regard dans le mien, il chuchota sur un ton ferme :

— Tu vas jouir.— Non…C’était une prière plus qu’une certitude, car vu ce qui se passait dans mon bas-ventre, seule ma

tête ne voulait pas que cela arrive. Je tentai de le repousser, reculai mes jambes pour essayerd’échapper à son emprise, mais le peu que je gagnai me tira un gémissement trouble. John s’avançavers moi, sur moi, me brusqua pour que mon dos s’étale sur le sol, cuisses écartés et sexe offertmalgré ma culotte qui ne me protégeait en rien de ses assauts. Ses doigts reprirent leur mouvementvers le centre de mon corps et même si je chuchotais des « non » à peine audibles, mon sexe lui disaitoui. Mille fois oui. C’était à la fois terrible et vertigineux.

Ma main chercha la sienne, se posa sur son avant-bras pour retenir ses gestes, mais contrainte parle plaisir qu’il provoqua, je ne le repoussai plus. Et pourtant, ma tête continuait de refuser son offre.Il accéléra le mouvement, caressa mon clitoris de son pouce et provoqua une vague de cyprine sur samain. Un râle quitta ma bouche, puis je me courbai vers l’arrière pour accueillir le flot qui grimpait àvive allure dans mon ventre. On aurait cru que j’étais retenue par des fils invisibles qui se rompirentdans un même souffle. Mon cri transperça ma gorge, sèche et douloureuse, puis je chutai. Sous luiautant dans le néant dans lequel je flottais.

Mon corps ressemblait à une poupée de chiffon, étalée sur le sol, un bras vers le haut, un autrevers le bas, un peu comme si l’orgasme venait de me disloquer. Le temps que je réalise la foudre quivenait de me tomber dessus, que John cherchait à retirer ma culotte. Cette fois, je m’éveillai de matorpeur et me redressai :

— T’es fou ! Arrête, maintenant !

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— Je ne fais que commencer…Mon sous-vêtement vola dans l’air et alors que je tentai de me redresser, il tira ma jambe vers

lui, ce qui me ramena au plancher et, emprisonnant mes pieds, il se glissa entre mes cuisses. Je metortillai pour me défaire de ses griffes lorsqu’il entreprit d’embrasser l’intérieur de mon genou enremontant, baiser par baiser, en direction de mon sexe. Son regard revenait sans cesse vers moi.

— S’il te plaît, le suppliai-je.Lui demandai-je d’arrêter ou de continuer ? Dans la confusion qu’il venait de semer dans mon

corps, je ne le savais plus. Alors que je tentais de rassembler mes esprits, sa langue traça un parcoursinvisible et langoureux le long de ma cuisse droite. Je fermai les yeux dans l’attente de sa venue, maisil se redressa encore :

— S’il te plaît ? se moqua-t-il.Me donnait-il l’occasion de refuser ? Je ne sais plus. Soit il était rapide, soit j’étais lente, car le

temps que j’ouvris la bouche que la sienne retourna mordiller ma chair. Je sursautai, me raidis engigotant dans tous les sens jusqu’à ce qu’il plonge là où mon ventre hurlait de désir. Ses lèvresembrassèrent mon sexe et sa langue allait et venait en moi, m’obligeait à se déverser sur elle. Jen’étais plus qu’un torrent et je n’avais plus la moindre envie que ça cesse. Il grogna au plus profondde moi, fit vibrer mon corps de sa voix autant de ses caresses. Mes mains s’échouèrent dans sescheveux et auraient facilement pu le repousser, mais je laissai mon bassin accueillir l’orgasme quis’annonçait.

À deux doigts de perdre la tête, il s’arrêta et remonta un visage humide vers moi :— Encore ?J’étais sonnée, pratiquement au bord du gouffre, et il me demandait de réfléchir ? Je le fixai avec

fureur, l’observai prendre du recul :— Quoi ? C’est… c’est tout ?Il tituba en se relevant et s’installa doucement sur le fauteuil en serrant les dents sous la douleur

que son geste provoquait. Son sexe dressé captiva mon regard et il le caressa devant moi, sansaucune retenue :

— Tu n’es pas la seule à avoir des besoins, Annabelle. Ce genre de séance, c’est tellement…intense… tu comprends ?

Il ferma les yeux, expira bruyamment et augmenta le rythme de ses caresses autour de sa verge. Laseule chose à laquelle je songeais, c’était que je la voulais. Tout de suite. En moi. Je bondis sur mesjambes, remontai ma jupe et grimpai sur lui. Sa main quitta son sexe pour venir se poser sur macroupe. Je m’empalai sur lui, sans douceur. Je le prenais sans vergogne en le chevauchant poureffacer cette brûlure qui ne me quittait plus le bas-ventre. Sa queue n’était qu’un objet que jepossédais et je fermai les yeux pour ne plus voir à qui elle appartenait. Dans ma course contre lamontre, je laissai un nombre incalculable de oui libérateurs franchir mes lèvres. Enfin, une fois aubout de ma descente aux enfers, mon corps céda et je lâchai un soupir de soulagement.

— C’est tout ? se moqua John alors que j’étais dans un état second.

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Sa voix m’obligea à reprendre contact avec la réalité et je fis un geste pour me retirer, mais sesmains retinrent à la fois mon geste et mon bassin contre lui.

— Je n’en ai pas encore terminé.Je frissonnai en réalisant ce qu’il venait de se produire dans cette pièce et John dut percevoir

l’angoisse dans mon regard, car d’un coup de boutoir, il tenta de chasser mes pensées en reprenant lecontrôle de nos ébats.

— John… je ne peux pas…Sa main força ma croupe à se positionner comme il en avait envie et ses yeux ne quittèrent pas les

miens :— Tu ne pouvais pas, il y a cinq minutes aussi, et pourtant, tu m’as sauté dessus.Il clôtura ses mots d’un coup sec qui me fit tressaillir, puis recommença, me pilonnant à chacune

de ses phrases :— Tu n’étais pas obligée de venir chez moi, Annabelle. Pas obligée de me fouetter. Pas obligée

d’accepter les orgasmes que je t’offrais. Mais tu les as pris, n’est-ce pas ?Un souffle rauque s’arracha de ma bouche et il poursuivit sa danse en moi jusqu’à ce que le

plaisir revienne insidieusement. Ma tête replongea dans un épais coton et, encore, il s’arrêta. Sa mainplongea dans mes cheveux, força ma tête à revenir près de la sienne et me cambra à sa guise :

— Ton corps en crève d’envie, Annabelle.Il me cogna brusquement de son sexe et je tentai d’étouffer le cri qui remonta dans ma gorge. Au

lieu de reprendre à vive allure, il ralentit, laissant nos corps se frotter doucement alors que le mienne demandait qu’à s’enflammer.

— Admets-le, ordonna-t-il d’une voix douce. Demande-moi de te faire jouir, Annabelle.— Oh… John ! le suppliai-je en secouant la tête.— Dis-le…Mon bassin tenta de se tortiller pour récupérer ce dont j’avais envie sans sa permission, mais

amusé par mon obstination, John bloqua mon geste, se retira et me bascula sous lui. Trois coups plustard, j’étais de nouveau docile et haletante du plaisir qu’il retenait en otage. Au-dessus de moi, ilétouffa un rire :

— Tu veux toujours que je m’arrête ?Je le fusillai du regard. Comment pouvais-je être à ce point en colère contre lui et encore

follement soumise à sa volonté ?— T’en as envie autant que moi, sifflai-je.— Alors là, je ne te contredirai pas là-dessus, dit-il en plongeant de nouveau en moi.Un fois tout au fond, alors que mon corps se soulevait pour accueillir son invasion, il s’arrêta

encore :— Dis-le. Dis-moi que t’en meurs d’envie.— Baise-moi, grognai-je.

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Son rire résonna, mais ma prière fut exaucée. Sa verge reprit son règne sur mon corps et sesmouvements se firent autant rapides que brutaux. Je fermai les yeux, assaillie par des penséestroubles et par le sexe de John qui n’eut aucun mal à soutirer toutes les plaintes qu’il souhaitaitentendre. Quand il força mon corps à jouir, je sentis son sperme chaud s’épandre en moi, puis Johns’échoua sur moi, lourd et collant.

Pendant de longues minutes, seul le bruit de nos souffles troubla le silence. J’avais les yeuxfermés. Je ne voulais surtout pas revenir à la réalité. Autant retenir le peu de confort que j’avaisavant que tout ne sombre, encore une fois. Le bras de John bougea, puis le bout de son doigt tapotamon épaule :

— Jolie morsure.Juste à ce mot, le souvenir de Simon refit surface. Prise de panique, je le repoussai hors du

canapé à l’aide de mes jambes et il tomba par terre. Il grimaça de douleur, mais j’étais déjà debout àdescendre ma jupe et à replacer mes vêtements.

— Tu devrais plutôt les retirer. Nue, tu es beaucoup mieux.— Espèce de salaud ! Tu m’as tendu un piège ! dis-je en lui donnant un coup de pied lorsqu’il

tenta de caresser mes jambes.Il me montra un petit écart entre ses doigts :— Il était tout petit.— Va te faire voir !— Allons Annabelle ! Tout ça fait partie de ta thérapie ! dit-il alors que je m’enfuyais.Sans prendre le temps de chercher ma culotte, je remontai à la surface des enfers, récupérai mes

souliers sous mon bras et c’est pieds nus que je fichai le camp de chez John Berger.

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Sienne

Je n’avais plus d’endroit où aller. Hors de question que je retourne au travail dans cet état et jene voulais certainement pas croiser Simon. J’avais tout gâché. Tout. Un claquement de doigts de lapart de John avait suffi pour que j’ouvre les jambes. Et pourtant, la colère était toujours là. Je ledétestais et mon corps venait de lui céder. C’était à n’y rien comprendre !

En cet instant, John était mon dernier problème. La seule chose à laquelle je songeais, en roulantsans destination précise, c’était la réaction de Simon quand il apprendrait mes frasques. Commentavais-je pu lui faire une chose pareille ? Il m’avait sauvée et qu’y gagnait-il en retour ? Je lui brisaisle cœur !

Je jetai un œil sur l’heure. Au moins, j’avais le temps de me rendre à l’appartement avant qu’il nerentre du restaurant. J’avais besoin d’une douche et de reprendre mes esprits. Ensuite, je ferais mesbagages et je sortirais de sa vie. Il ne méritait pas ça. Autant partir avant qu’il ne me fiche à la porte.

Lorsque j’ouvris la porte, je sursautai en apercevant Simon assis sur le canapé. Il bondit à laverticale et fit deux pas dans ma direction avant de s’immobiliser à un bon mètre de moi. Alors quej’avais cru avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, une nouvelle vague refit surface et, avantqu’il ne soit à ma portée, je levai la main pour l’empêcher de s’approcher davantage :

— Reste où tu es.— Anna…— Non ! Tu ne veux pas me toucher après ce que j’ai fait…Tout en reniflant, je marchai en direction de la chambre. Tant pis pour la douche. Je jetai une

valise sur le lit et m’appliquai à récupérer le strict nécessaire. Derrière moi, sa voix résonna,paniquée :

— Annabelle… qu’est-ce que tu fais ?— Je fiche le camp. Crois-moi, c’est mieux pour toi. Beaucoup mieux.Plus je le disais, plus cela me paraissait évident. De la garde-robe, je jetai mes vêtements en

bloc, sans les plier ou en retirer les cintres. Avant que je n’ouvre un tiroir, les bras de Simons’enroulèrent autour de moi et bloquèrent mes gestes :

— Arrête. Tu ne vas pas t’en aller. Tu n’es pas en état d’aller où que ce soit.J’éclatai en sanglots et retins ses mains sur moi. Leur chaleur paraissait si loin, en ce moment.

Qu’est-ce que j’aurais donné pour revenir un peu plus tôt, ce matin, et refuser d’aller chez John. Toutça pour une stupide photo dont je n’avais rien à faire !

Simon me berça longuement, jusqu’à ce que j’arrive à contrôler ma crise de larmes. J’étaistoujours dos à lui et je profitai du fait de ne pas avoir à croiser son regard pour lui avouer, d’unevoix tremblante :

— J’ai couché avec John.

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Si je n’eus été aussi lâche, je me serais probablement retournée pour vérifier sa réaction, mais jen’en avais aucune envie. Mes mains retombèrent de chaque côté de mon corps, libérant les siennes.J’attendis, persuadée qu’il finirait par s’éloigner de moi. Peut-être même me frapperait-il, maisc’était là un désir plus qu’une crainte. Oui, j’espérais qu’il me frappe. N’était-ce pas une bonne façonde me punir après ce que j’avais fait ? Pourtant, il n’en fit rien. Il ne me repoussa pas et ses brasrestèrent là, autour de moi, comme s’il n’avait rien entendu. Au bout d’un long silence, il soupiralourdement contre mon oreille, puis murmura :

— Je m’en fiche.Je repoussai ses mains, puis mon corps se retourna brusquement pour lui faire face :— Je viens de te dire que j’avais couché avec John !— Et moi que je m’en fichais, répéta-t-il, le plus sérieusement du monde.Le temps que je comprenne ce qu’il me disait, il grimaça, les yeux embués de larmes :— Je ne vais pas te mentir : ça ne me fait pas plaisir de le savoir. Mais est-ce une raison

suffisante pour qu’on se sépare ? Pas pour moi. Enfin… sauf si… si tu veux partir…Il me questionna du regard et une larme coula sur sa joue. Deux doigts l’essuyèrent et il renifla

pour essayer de garder un semblant de calme. Devant mon silence prolongé, il croisa les bras sur sontorse :

— Qu’est-ce que je dois comprendre ? Que c’est ça que tu veux ? Retourner avec lui ?Mon sang se glaça dans mes veines :— Bien sûr que non !— Alors cette valise, c’est pour quoi ?Ma voix se brisa :— Parce que… parce que tu ne veux pas d’une fille comme moi.— Qu’est-ce que tu dis ?Dans un souffle, il me reprit dans ses bras et je recommençai à pleurer contre son épaule :— Je ne veux pas te faire du mal, Simon. Fiche-moi dehors, s’il te plaît.— Jamais. Je t’ai dit qu’on vivrait ça ensemble, Anna. Tu te souviens ?— Mais pas comme ça ! Pas comme ça ! pleurai-je en secouant la tête.Ses mains se posèrent sur mes épaules et il me recula pour me disputer du regard :— Peu importe comment ça se passe. Je suis là, t’entends ? Si tu es honnête avec moi. Et si… si

tu veux encore de moi… alors John ne brisera pas ça. Je ne le laisserai pas faire.Je fus prise d’un vertige et je sentis mes jambes qui craquaient sous mon poids. Simon me retint

de tomber et je chassai ses mains bienveillantes pour m’asseoir sur le sol. Le lit m’effrayait. J’avaisl’impression que ma présence souillerait le bonheur que nous y avions vécu.

— Je n’ai pas résisté, Simon. Je n’ai pas pu. J’étais… tellement en colère !Tout en le disant, mes poings se serrèrent. Devant moi, il s’agenouilla et referma ses doigts sur

les miens :

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— Raconte-moi tout, ordonna-t-il. Je veux tout savoir. Du début à la fin, dans les moindresdétails. Et n’essaie pas de me protéger !

Son regard était larmoyant et j’eus l’impression qu’il me demandait de lui asséner le coup fatal.Mon cœur battait à tout rompre, mais je ne me désistai pas. Je déviai le regard, incapable de leregarder en face en lui racontant ce que j’avais fait avec John, mais je lui dis tout. De façon honnêteet crue. Je ne pouvais pas faire autrement. Peut-être qu’il finirait par voir que j’étais encore cette salepute que John avait fait de moi. Peut-être qu’il finirait par comprendre qu’on ne pouvait pas mesauver. Peut-être qu’il me ficherait à la porte et que son regard cesserait de libérer des larmes quema conscience n’arrivait pas à supporter.

Quand je terminai mon récit, je cherchai à me relever. Simon posa une main dans mon dos que jechassai :

— Je vais être malade, admis-je.Je courus jusqu’à la salle de bain pour vomir le peu que j’avais mangé, aujourd’hui. Dans

l’embrasure de la porte, Simon resta là, à attendre que je rince ma bouche et qu’une autre crise delarmes passe. Comme il ne disait rien, je daignai lui jeter un regard discret :

— Est-ce que… est-ce que je peux prendre ma douche avant que… que tu me fiches dehors ?— Je ne te ficherai pas dehors.Ses mots auraient dû me plaire, mais ils me fendirent davantage les yeux et mes larmes

recommencèrent à couler.— Simon, bon sang ! Je vais te briser le cœur !Je me retrouvai à nouveau dans ses bras, son regard forçant le mien :— Non, Annabelle. Ça n’arrivera que si je te laisse partir. Tant qu’on est ensemble, on va s’en

sortir.Je fronçai les sourcils :— Mais tu n’as donc pas entendu ce que j’ai dit ?— J’ai tout entendu et probablement tout vu dans ma tête, dit-il en bougeant un bras dans les airs.

Et alors ? Dis-moi que tu l’aimes et je ne m’opposerai pas à ce que tu partes. Dis-moi qu’on nepartage pas plus qu’une stupide baise, toi et moi. Dis-moi qu’il va te rendre plus heureuse que tu nel’es avec moi. Alors là, et seulement là, je te laisserai partir.

J’étais lasse et probablement en état de choc, car quand je me remis à cligner des yeux pourvérifier qu’il était sérieux. Simon pleurait en silence, en maintenant mes mains sur son torse. Quand ilse calma, sa voix redevint douce :

— Je vais te faire couler un bain, tu veux ?Il agissait comme si tout avait été dit. Que les choses étaient réglées entre nous. Je le laissai se

détacher de moi et j’entendis le bruit de l’eau qui coulait, puis la vapeur emplit l’air qui m’entourait.On aurait dit que mon corps était rigide, incapable de bouger. Enfin, Simon revint se planter devantmoi :

— Tu veux que je reste là ?

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Je hochai la tête et je crus apercevoir un sourire sur sa bouche. Il m’aida à retirer mes vêtementset je ne l’en empêchai pas. Pendant que la baignoire se remplissait, il m’aida à y prendre place,s’agenouilla à mes côtés pendant que je restais immobile en attendant d’être submergée par la chaleurde l’eau. Quand le bruit du jet s’arrêta, Simon se réinstalla sur le sol et retint ma main dans la sienne,sur le rebord de la baignoire.

— Pourquoi tu ne me fiches pas dehors ? lui demandai-je encore.— Parce que je t’aime, dit-il en essayant de ne pas s’emporter.Je tournai les yeux vers lui :— Comment tu peux m’aimer après ce que j’ai fait ?— Annabelle, ce n’était que ton corps. La femme que j’aime est plus qu’un corps, pour moi !Il tira sur mon bras pour m’obliger à m’approcher de lui et son ton se haussa :— Si tu m’aimes, peu m’importe les erreurs que tu feras.— Ne dis pas ça ! chuchotai-je en détournant les yeux.— C’est la vérité ! Annabelle, regarde-moi !Son ordre me fit relever la tête vers lui et il me disputa plus vertement :— Quand je t’ai connue, je savais ce que tu étais et le genre de relation que tu avais vécu avec

John. Je connaissais les risques et je t’ai quand même offert mon cœur, tu te rappelles ?— Tu n’aurais pas dû, pleurnichai-je.— Bien sûr que j’aurais dû ! Est-ce qu’on n’a pas été heureux durant la dernière année ? Est-ce

qu’on va laisser John détruire ce qu’on a vécu, toi et moi, sous prétexte qu’il t’a tendu un piège pourse glisser entre tes cuisses ?

Je haussai les épaules, incertaine de la réponse que je devais fournir à cette question. En réalité,je n’aurais jamais cru que j’aurais mon mot à dire sur le sujet. Je pensais que Simon me ficherait à laporte, fin de l’histoire. Pourquoi s’obstinait-il à vouloir d’une fille comme moi ?

— Veux-tu qu’on se sépare ? me demanda-t-il promptement.— Non !— Alors qu’est-ce qu’on fait ? On laisse John gagner ou on se bat contre lui ensemble ?Mes mains s’accrochèrent à celle qu’il avait laissée là, tout près, et je l’écrasai de toutes mes

forces :— Simon, je ne te mérite pas.— Si tu m’aimes, Annabelle, tu me mériteras toujours.D’autres larmes coulèrent sur mes joues, mais je ne les essuyai pas. Je laissai seulement ma tête

retomber sur nos mains jointes. Quand je cessai de pleurer, je relevai les yeux vers lui :— Si tu venais de ce côté-ci pour me serrer très fort contre toi ?Il sourit tristement, puis hocha la tête. Je l’observai retirer ses vêtements et je m’avançai pour lui

donner l’espace nécessaire dans l’eau, derrière moi. Une fois mon corps contre le sien, il mesemblait que les choses allaient déjà mieux.

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Il me frotta au savon et fit comme si je ne pleurais pas en silence. Il était doux alors que j’avaisenvie de me gratter la peau avec une laine d’acier. Comment pouvais-je effacer les doigts de John surma peau ? Quand il eut terminé de nettoyer le haut de mon corps, il ordonna :

— Lève-toi.Je pris appui sur le rebord de la baignoire pour me mettre debout, le laissai me savonner les

jambes, les fesses, puis détournai la tête quand sa main glissa sur mon sexe. Il s’arrêta, les doigts surma vulve, et essaya de croiser mon regard :

— Il t’a touchée, c’est bien ça ?Je retins mon souffle :— Oui.Ses doigts s’insérèrent en moi et je portai un poing à ma bouche, rouge de honte, quand je

compris ce qu’il faisait.— Je veux que tu jouisses pour moi, Annabelle. Et pas seulement avec ton corps, dit-il en

débutant un va-et-vient rapide entre mes cuisses.Ma main chercha un appui pour que je ne perde pas l’équilibre, mais j’avais la sensation que ma

tête était toujours dans l’impossibilité de relâcher la pression. Il insista, conscient que je restais demarbre :

— Tu ne veux pas jouir pour moi ?— Simon… tu sais bien que…Je retins un petit râle qui sembla le ravir, puis je tentai de retrouver mon souffle pour me

reprendre :— Je ferais n’importe quoi pour toi.Son sourire se confirma :— Alors jouis pour moi. C’est un ordre.Pendant que ses doigts me caressaient plus fermement, son autre main se posa sur ma fesse et

obligea mon bassin à suivre ses mouvements. Je fermai les yeux, oubliai John, me laissai entraînerpar la douceur qu’il semait en moi. John avait balayé le souvenir de Maître Denis et de Maître Paul.Simon ferait la même chose avec John. Il y était déjà parvenu. Il y parviendrait encore. Commentpouvais-je en douter, en ce moment ?

Quand une vague de chaleur se fit sentir, je gémis sans retenir le bruit qui s’échappait de meslèvres.

— Oui. Continue, dit-il en accélérant ses pénétrations.Lui, il ne me fit ni languir ni supplier pour me faire perdre la tête, alors je laissai un petit cri

résonner en écho dans la pièce, la main en appui sur le carrelage et le corps penché vers l’avant. Mesjambes étaient sur le point de flancher quand il me repoussa contre le mur :

— Il t’a léchée ?— Oui, soufflai-je.

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Il glissa son épaule sous ma jambe, obligea mes cuisses à s’ouvrir et dévora mon sexe avecfougue. Je fus rapide à céder à ses coups de langue, le corps tendu, en équilibre, incapable de résisterà l’oubli qu’il m’offrait. Tout en reprenant mon souffle, je me laissai tomber entre ses bras, le laissaime guider vers son sexe tendu, m’accrochai à son cou, encore haletante. Je trouvai étrange qu’il refitle même cycle auquel j’avais eu droit, avec John, et je ne pus m’empêcher de chuchoter :

— Simon… tu n’es pas obligé de…— Chut. Je reprends mes droits sur ce qui m’appartient, dit-il tout bas. Tu veux que je m’arrête ?Il stoppa ses gestes et attendit que je secoue la tête pour reprendre sa pénétration. L’eau tangua,

éclaboussa le sol, mais Simon me prenait sans s’en soucier. Ma tête se répétait ses mots et je gémis :— Redis-le.— Quoi ?Mes mains s’accrochèrent à ses cheveux et ce qui sortit de ma bouche ressemblait à une plante :— Dis que je t’appartiens.Ses bras m’enserrèrent et il cogna doucement mon corps contre le carrelage :— Tu es à moi, Annabelle. À moi.— Oh oui !Ses mots me firent un bien fou et voyant l’excitation qu’ils provoquèrent en moi, Simon les répéta

jusqu’à ce que l’orgasme me submerge.J’étais sienne. C’était là tout ce que je souhaitais entendre.

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La proposition

Simon passa le reste de la journée à me faire l’amour. À faire disparaître John de mon esprit etde mon corps. En réalité, oublier John n’était pas si difficile. Ce qui l’était, c’était la culpabilité queje ressentais au fond de moi. Malgré l’acharnement de son corps sur le mien, elle ne s’estompait pas.

Je somnolais alors que le soleil se couchait dans notre chambre. Il y avait des vêtements partoutsur le sol. Les miens. Simon avait repoussé ma valise et tout s’était écroulé par terre. Notre coupleavait survécu. Pourtant, la culpabilité me rongeait et le silence de Simon, alors qu’il fixait le plafond,m’effraya. N’osant pas le toucher, je chuchotai :

— Si tu veux, tu peux changer d’avis. Je ne t’en voudrais pas.Il tourna les yeux vers moi :— Je ne vais pas changer d’avis.— Alors à quoi tu penses ?— Je pense à John, dit-il sans me quitter du regard. J’essaie de prévoir son prochain coup. Il joue

avec toi, Annabelle, tu t’en rends compte, j’espère ?Je hochai la tête, un nœud au creux de l’estomac.— Il doit s’imaginer que tu ne m’as rien dit, ou que je vais te quitter. Il doit croire qu’il fallait

qu’il te baise pour nous séparer. Même si j’estime qu’il est descendu bien bas pour parvenir à sesfins !

Il grimaça de colère et je le vis qui cherchait à retrouver son calme avant de poursuivre :— Seule, tu es vulnérable, donc plus facile à récupérer. Qu’aurais-tu fait si tu étais partie d’ici ?— Je serais allée à l’hôtel. Ou chez Lena. Quoique… j’ai songé à changer d’emploi aussi.Simon posa un visage triste sur moi :— Logique. Il a fallu tout quitter pour t’en débarrasser une fois, tu pensais qu’il te suffisait de

recommencer pour que ça marche cette fois-ci.— Oui, admis-je.Il soupira d’énervement, passa un bras derrière sa tête pour y prendre appui, avant de secouer la

tête :— Tu ne vas pas fuir, compris ? Il est temps de régler cette histoire une bonne fois pour toutes.Conscient que ses paroles n’engageaient que lui, il chercha de nouveau mon regard :— Es-tu d’accord avec moi ?— Bien… je ne sais pas si… si je peux le faire.J’étais d’autant plus gênée de l’admettre devant lui. John était fort. Ne venait-il pas de le

prouver ?— Annabelle, John joue avec tes émotions. Il connaît la source de ta colère et de ta peur, que

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voulais-tu qu’il fasse d’autre ? Il sait que tu ne serais jamais allée chez lui si tu n’avais pas perdu toncalme. Il n’avait que ça en réserve ! Que veux-tu qu’il fasse, maintenant ?

— Qu’il crève, ça me plairait bien, sifflai-je.Simon se redressa sur le lit pour se tourner, un air réprobateur accroché à son visage d’ange :— Tu vois ? C’est ta colère qui parle, encore.Je soupirai en baissant piteusement la tête.— Je suis désolée. Je ne peux pas m’en empêcher.— Je sais.Il se laissa retomber sur son oreiller et me fit signe de m’approcher. Je jetai ma tête sur son torse

et émis un soupir de satisfaction quand ses doigts firent mine de peigner mes cheveux.— Je vais te poser une question, Annabelle, et j’ai besoin que tu y répondes en toute franchise.Je relevai les yeux vers lui, anxieuse de son préambule, puis hochai la tête. Après ce que je lui

avais avoué, pourquoi n’aurais-je pas été honnête avec lui ? Profitant que nos regards se croisent, ilretint ma tête face à la sienne, avant de me demander :

— As-tu envie de redevenir une soumise ?— Quoi ? Non ! jetai-je sans la moindre hésitation.Il fronça les sourcils pour sous-entendre que j’avais répondu trop vite, signe que je n’y avais pas

songé assez sérieusement. Je grondai aussitôt :— Comment peux-tu croire que je veuille redevenir sa soumise ?— Je n’ai pas demandé si tu voulais redevenir la sienne, précisa-t-il.Mon souffle se bloqua et je me redressai pour mieux le voir, puis ma voix s’emballa :— Tu… tu… Simon… tu n’es pas sérieux ?— Si c’est ce dont tu as besoin, Anna…— Mais… je n’ai pas besoin de…Je portai les mains à ma tête, comme si je n’arrivais plus à réfléchir à sa demande. Son corps se

releva pour se pencher vers moi :— Je le ferai si tu me le demandes, Anna.Ce fut long avant que mon regard n’affiche plus aucune crainte. Même dans mes rêves les plus

fous, je ne pouvais pas imaginer Simon en Maître. Je récupérai ses mains dans les miennes : sidouces, si pleines de douceur…

— Tu ne veux pas faire ça, chuchotai-je.— J’ai bien réfléchi, Annabelle, et ça me paraît être le seul moyen de rivaliser contre John.Soudain, je compris que sa requête allait bien au-delà d’un souhait. Il songeait toujours à

contrecarrer les projets de John.— Qu’est-ce que… qu’est-ce que ça va changer si… si je me soumets à toi ?— John ne pourra pas te toucher sans ma permission.

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Un sourire pervers traversa mon visage :— Il en serait fou de rage, tu crois ?Simon me lança un regard malicieux :— On ne peut pas le faire pour cette raison. En tant que Maître, j’ai le droit de délimiter mes

propres règles et j’entends bien que tu les respectes. John ne pourra avoir accès à ta personne que sije l’y autorise.

Je sursautai :— Tu ne ferais pas ça !— Je n’ai pas encore délibéré sur la question, dit-il sur un ton sec. Et si je te demandais de te

donner à un autre homme, n’oublie pas que tu te devrais d’obéir.Même si je tentai de rester calme, ma bouche se tordit dans une moue boudeuse et je croisai les

bras devant moi :— Ça ne me tente pas plus que ça, tout compte fait.— Tu préfères que John arrive à ses fins de façon sournoise, comme aujourd’hui ? me défia-t-il,

non sans laisser transparaître une pointe de colère dans le fond de sa voix.Ses paroles me blessèrent et je baissai les yeux pour hausser les épaules. Qu’est-ce qu’il

voulait ? Me donner à John plutôt qu’il me prenne de force ? Je ne voyais absolument aucunedifférence entre ces deux alternatives !

— Écoute, je n’ai pas dit que je te donnerais à lui. Dieu sait que je n’en ai aucune envie.Seulement… je connais John. Il trouvera forcément un moyen de t’attirer dans ses filets. Et je te l’aidéjà dit : je préfère qu’on vive ça ensemble plutôt que séparément.

Je hochai la tête. Sur ça, j’étais d’accord avec lui. Seule, je n’y arriverai pas. Hormis la fuite, jene voyais aucune solution pour échapper à John.

— Que tu couches avec lui ne me plaît pas, je ne te mentirai pas sur ça, reprit-il, mais toi commemoi avons connu d’autres gens par le passé. Ça ne nous a pas empêché d’être ensemble par choix,n’est-ce pas ?

— Bien sûr.— Et même si tu as couché avec lui, aujourd’hui, as-tu l’impression que tes sentiments pour moi

ont changé ?Je pris un temps pour réfléchir à la question avant de secouer la tête :— Non. Au contraire, dus-je admettre.— Explique.— Bien… je ne sais pas… c’est… bizarre…— Quoi ? insista-t-il, visiblement curieux.— Je ne sais pas. On dirait que… que le fait que tu m’aies pardonnée me rappelle à quel point

j’ai de la chance de t’avoir dans ma vie.Son sourire se confirma, mais je repoussai l’étreinte qu’il voulut m’offrir :

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— Est-ce que les choses ne devraient pas être différentes pour toi ? Tu devrais… m’aimer moins,te dire que j’ai trahi ta confiance ou…

Mon cœur se serra :— … ou commencer à croire que… je n’ai pas changé.Il posa une main lourde derrière mon dos :— Encore cette histoire ?Des larmes roulèrent sur mes joues et je haussai les épaules :— J’ai cédé si facilement, Simon. Et je ne t’ai pas menti : j’ai aimé ça.— Ton corps a aimé ça, Annabelle, c’est très différent. La preuve, ta tête s’est mise à te dénigrer

à la seconde où tu es partie de chez lui. Et maintenant qu’il t’a atteinte, tu t’imagines les pires chosesà ton endroit.

Je baissai les yeux, piteuse de honte. Il avait raison. John venait de raser tout ce que Simon étaitparvenu à me redonner. Cette fois, je ne refusai pas son étreinte et me laissai choir dans ses bras.

— Si tu veux mon avis, John joue à un jeu très dangereux : il essaie de nous séparer, veut te jeterà terre et t’aider à te relever pour te montrer qu’il peut être à la fois bourreau et libérateur. Pourt’obliger à le voir comme un sauveur.

Je grimaçai à cette idée :— Le seul qui m’ait sauvée, Simon, c’est toi. Et je ne suis pas prête à l’oublier.Nous partageâmes un moment de silence paisible, puis sa voix résonna de nouveau, bien enfouie

dans mes cheveux :— Anna ? Veux-tu qu’on essaie ? Si tu dois rechuter dans ce milieu, je veux être avec toi. Je veux

que ce soit avec moi.Je ne répondis pas pendant un moment, troublée par la journée qui venait de se dérouler, par tout

cet amour que m’offrait Simon et par sa proposition étrange.— On n’a qu’à faire un essai, répéta-t-il. On a deux jours pour ça. Pour déterminer nos limites et

voir si tu as envie de poursuivre.Le corps lourd, je reculai sur le lit pour mieux le voir, et parlai avec toute l’honnêteté dont je fus

capable :— Je ne veux pas retourner avec John. Je ne veux pas qu’il ait le moindre pouvoir sur moi,

mais… je sais qu’il en a. Aussi difficile que ce soit pour moi de l’admettre, il en a.— C’est bien que tu en sois consciente, dit-il en hochant la tête.— Je veux être à toi, Simon. Peut-être pas de cette façon-là, mais… si tu crois que c’est le seul

moyen.— Je n’ai pas dit que c’était le seul moyen, me contredit-il.— Si tu crois que c’est un bon moyen, me repris-je, sache que j’ai suffisamment confiance en toi

pour le faire.Il força un sourire sur sa bouche :

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— Dois-je comprendre que c’est un oui ?— C’est un oui, affirmai-je.Il parut surpris, puis il hocha la tête. Très vite, mon corps se rua sur le sien et je posai ma bouche

sur la sienne :— Simon, si j’ai pu commettre des bassesses pour John Berger, tu peux être sûr d’une chose :

j’en commettrais bien davantage pour toi.Ses yeux se plissèrent, comme pour essayer de détecter le moindre mensonge dans les miens :— Même si je te dis qu’il me faudra te punir pour ce que tu as fait, aujourd’hui ?Je tressaillis et mes dents claquèrent d’étonnement, surtout devant son ton froid qui n’avait rien

d’habituel. Pourtant, je ne me défilai pas :— Tu as raison. Je mérite une bonne punition.— Bien. Va prendre une douche, je vais nous préparer de quoi manger.Il se détacha de moi et se leva du lit. À peine fut-il sorti de la chambre que je me jetai sur mes

pieds et m’installai sur le rebord de la porte pour lui demander, la voix trouble :— Quoi ? On commence maintenant ?— Je n’ai que deux jours pour te mettre à ma main. Je ne pense pas qu’on ait du temps à perdre…Je l’observai ouvrir le frigo, sortir des steaks et de la salade, puis il se tourna vers moi :— Tu veux qu’on attende, peut-être ?Sa question me fit réagir aussi vivement qu’un coup de fouet et je secouai la tête avant de

disparaître prestement à la salle de bain. Je n’étais pas certaine de ce à quoi je devais m’attendreavec Simon. Je ne l’avais jamais vu autrement que comme un invité lors des soirées de John. Avait-ildéjà frappé quelqu’un ? Savait-il manier le fouet ? Le bondage ? Comment savoir ce qu’il meréservait ? Et pourtant, juste à songer à la situation qui m’attendait au sortir de la douche, je sentaismon sexe se gonfler. Je me jetais dans le vide avec l’homme que j’aimais et cela était la plusagréable de toutes les ivresses…

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L’essai

Je m’installai à ma place habituelle, au bout de la table, mais pour la première fois depuis quej’étais en couple avec Simon, je restai entièrement nue. Il me servit mon plat, puis retourna mangerdebout, au comptoir, comme s’il ne voulait pas me regarder pendant que je me nourrissais de moncôté. Peut-être avait-il compris que la situation m’excitait et que je l’acceptais, puisque j’étaisrevenue sans aucun vêtement, comme il me l’avait demandé. J’eus peur qu’il n’ait changé d’avis,mais je ne posai aucune question, me contentant simplement d’avaler mon repas en quatrième vitesse.Je n’avais rien mangé de la journée. Autant prendre des forces pendant qu’il m’en offrait la chance.

Il mangea vite, puis repoussa son assiette devant lui, sur le comptoir, et tourna la tête dans madirection. Je retenais mes cheveux sur le côté pour qu’ils ne tombent pas dans mon assiette et même sije sentais son regard sur moi, je m’empêchais de répondre à son geste. Sa voix fusa dansl’appartement silencieux :

— Tu as bien compris que c’était un essai, n’est-ce pas ?— Oui.— Veux-tu que nous établissions des limites avant que tout commence ?Je fis mine de réfléchir, puis secouai la tête :— Non.Je daignai le regarder. Ses yeux se plissèrent, surpris. Il sembla choqué par ma réponse et je dus

m’expliquer sans attendre :— C’est que… je n’ai aucune idée de ce à quoi je dois m’attendre avec toi.— Tu devrais quand même avoir une petite idée. Je te rappelle que j’ai lu le livre de John, je sais

donc ce qu’il t’a fait. Aimerais-tu que je m’en inspire ?Sa question m’effraya et je secouai doucement la tête, soudain moins encline à entrer dans le jeu

qu’il proposait et dont il restait seul Maître à bord.— Serais-tu en train de reconsidérer la question ?Chassant mes hésitations, je secouai la tête.— Alors ? J’ai toujours carte blanche ? insista-t-il.Je confirmai, non sans crainte. D’un doigt, il me fit signe de venir à lui et je m’exécutai sans

attendre, bondissant de mon siège et me positionnant tout près, devant lui. Il remonta mon menton versle haut et jaugea mon regard pendant qu’il reposa la question d’une voix brusque :

— Ai-je toujours carte blanche, mademoiselle ?Son ton instaurait déjà le début de notre séance et je bafouillai, un peu étonnée par la dureté de sa

voix :— Je… oui.

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— Bien. Je vais quand même instaurer quelques règles : je tiens au vouvoiement, cela ne fait quedémontrer de quel côté nous sommes. Surtout s’il me plaît de passer du jeu à la réalité.

Son œil se fit malicieux, ce qui provoqua aussitôt un sourire sur ma bouche, puis il retrouva sonsérieux :

— Avez-vous des réserves à émettre ?— Euh… non.— Des limites à m’imposer ? insista-t-il.Je pris un instant pour réfléchir sérieusement à la question, lui jetai, sur un air taquin :— Tu ne vas quand même pas me vendre ?Son regard s’assombrit et je compris que je l’avais choqué, pourtant, il répliqua on ne peut plus

calmement :— Pas de vente ? Est-ce là une limite que vous m’imposez ?Son vouvoiement me sommait insidieusement que je fasse preuve d’un peu plus de respect, alors

je hochai la tête et confirmai :— Pas de vente.— Et la fessée ?Mon ventre se noua devant cette question quelque peu déroutante et me voyais mal lui refuser ce

que John prenait à sa guise. Sans compter qu’après mes gestes de ce matin, j’étais la première àcroire que je méritais d’être punie. Ma voix trembla lorsque je répondis :

— Vous pouvez… disposez de moi comme vous l’entendez, monsieur.Un sourire malicieux apparut sur son visage :— Alors je crois qu’on peut commencer. Allez vous placer au salon. J’arrive.Je m’exécutai un peu mécaniquement, surprise du rapport de force qu’il essayait d’établir entre

nous.Au salon, je poussai la table basse dans un coin pour dégager l’espace, puis me positionnai à

genoux, mains derrière le dos, en cherchant une façon d’y rester qui ne soit pas trop désagréable. Lesol de cette pièce était froid et dur, lourdement inconfortable. J’entendais les pas de Simon fairel’aller et le retour dans la cuisine, rincer les assiettes et les ranger au lave-vaisselle, puis il s’éloignapour aller à la salle de bain. Je restai là, bien en place, pendant qu’il se douchait. Je sentais déjà mesgenoux se plaindre de ma position. Je n’avais plus l’habitude de rester aussi immobile et il me tardaitque Simon revienne s’occuper de moi.

Quand il finit par sortir de la pièce du fond, il marcha vers moi, une simple serviette autour de lataille en guise de vêtement. Il s’arrêta un peu en biais de ma personne et posa une main sur le dessusde ma tête :

— La situation vous excite-t-elle, mademoiselle ?— Oui. Je crois.— Voyons cela. Touchez-vous et montrez-le-moi.

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Son ton ne ressemblait en rien à celui du Simon que je connaissais : sa voix était sèche et dure,elle ordonnait sans ménagement et cela me troubla. Était-ce le début de ma punition ? Devant moninertie, il s’impatienta et haussa le ton :

— Obéissez !Je quittai mon dos pour glisser deux doigts dans mon sexe humide qui chanta lorsque mes lèvres

s’écartèrent pour les accueillir. Dans le silence qui régnait dans l’appartement, c’était plutôt gênant.— Enfoncez-le bien, dit-il alors que je m’apprêtais à relever les doigts vers lui.Je retournai entre mes cuisses en gardant la tête baissée, un peu inquiète à l’idée de croiser son

regard dans cette étrange position. Je poussai mes doigts à l’intérieur de mon sexe quand j’aperçus,du coin de l’œil, sa main qui me faisait signe de lui rendre la mienne. Je la remontai, bien humide,vers lui. Il tira sur mon bras, se pencha pour humer l’odeur de mes doigts et relâcha ma main :

— Pas mal. Nettoyez-les et couchez-vous sur le dos.Il me tourna le dos et alla s’installer confortablement dans le canapé. J’eus l’impression d’être

sourde jusqu’à ce qu’il me lance un regard noir qui me sommait de m’exécuter. Sans attendre, jeportai la main à mes lèvres et léchai mes doigts, puis obtempérai à ses ordres et me laissai retombersur le dos. Dans ma position, je ne le voyais plus. Seul le plafond et le téléviseur me semblaientvisibles. La patience n’était pas mon fort et il semblait prendre un malin plaisir à me garder dansl’attente.

Le téléviseur s’alluma et je vis les canaux défiler sur l’écran.— Écartez les jambes, voulez-vous ? Je voudrais avoir une jolie vue sur votre sexe.Je n’en croyais pas mes oreilles ! Il voulait me voir ou regarder la télé ? J’écartai les cuisses,

détournai la tête et fermai les yeux pour ne pas être dérangée par la lumière qui scintillait au-dessusde moi. Elle devait certainement attirer son attention. La musique et les dialogues d’un filmchassèrent le silence de notre appartement. Ce fut long, probablement parce qu’il écoutait réellementle film, puis lorsqu’un pause publicitaire eut lieu, il changea de chaîne et soupira avant de s’adresserà moi :

— Caressez-vous donc, cela me distraira un peu.Je sortis de ma torpeur et je posai rapidement ma main sur mon sexe. La chair extérieure était

sèche à force d’être ainsi exposée à sa vue. J’enfonçai donc le bout de mes doigts à l’intérieur, leslubrifiai avant de revenir caresser mon clitoris dans de petits gestes lents. Je laissai mon autre mainglisser sur mon corps, toucher ma poitrine et me réchauffer un peu.

Je me doutais bien que je n’avais que peu de temps pour le convaincre de renoncer à son filmpour s’occuper de moi, alors je ne perdis pas de temps : dès que mon sexe recommença à se lubrifier,je le fis chanter sous mes gestes que j’amplifiai, autant pour l’exciter que pour perdre la tête le plusrapidement possible. Je crois qu’il perçut mes intentions, car il gronda :

— Vous voilà bien pressée, mademoiselle.Oui ! Après avoir été mise à l’écart pendant un petit moment, il me tardait d’attirer son attention

et je savais exactement comment l’obtenir. J’écartai davantage mes cuisses devant lui, ne réprimai enrien la vitesse qui se faisait de plus en plus agréable dans mon bas-ventre, mais je m’autorisai à

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cesser ma course pour retourner glisser mes doigts à l’intérieur de mon sexe. Je remontai mon bassinpour lui offrir une meilleure vue sur le plaisir qui se propageait doucement dans mon corps et laissaimes gémissements franchir mes lèvres.

Au-dessus de ma tête, la lumière s’éteignit et le silence se réinstalla dans notre petit appartement.Cela ne fit qu’augmenter la vague d’excitation qui me gagnait et je poursuivis plus rapidement,fermement décidée à perdre la tête devant un spectateur qui venait de reposer toute son attention surmoi.

— Cela suffit. Arrêtez.Je fus sourde à sa requête, probablement parce que j’étais trop près du but pour avoir la moindre

envie de cesser ma course, et je poursuivis mes caresses en accélérant mon rythme.— J’ai dit : assez.Ce n’était pas un cri, mais dans le silence qui régnait, cela suffit à me faire sursauter et je retirai

brusquement mes doigts. Je ne pus m’empêcher de tordre ma bouche d’agacement en signe deprotestation. Dire que j’étais si près du but !

— Relevez-vous. En position, mademoiselle.Mon corps était lourd et difficile à redresser, encore en proie à de douces sensations entre mes

cuisses. Je repris ma position à genoux et perçus l’érection de Simon sous la serviette. Il l’ouvrit etfit apparaître son sexe dressé :

— J’aimerais sentir votre bouche. Là. Tout de suite.Je m’installai à quatre pattes et m’avançai vers lui. Il ouvrit les cuisses et je me faufilai entre elle

pour retrouver son sexe dans ma bouche. Je remis mes mains derrière mon dos et me courbaidifficilement pour prendre son membre convenablement. Sa main se posa sur mes cheveux, m’aida àêtre plus souple dans mes mouvements. Au bout de plusieurs minutes, il instaura un rythme plusrapide et laissa sa tête retomber contre l’assise du canapé. Son souffle soutenait mes gestes,m’encourageait, mais mes cheveux, épars autour de ma tête, m’empêchaient de voir autour de moi, secollaient à sa verge et s’infiltraient entre mes lèvres. Il ne semblait pas s’en plaindre, bien aucontraire, car ses gémissements devinrent de plus en plus bruyants. J’avais les genoux en feu et jem’empressai de le rendre fou : appliquant une légère succion supplémentaire pendant que j’enfonçaisson membre au plus profond de ma bouche, la relâchant dans mes retours pour lui laisser une petiteaccalmie. Je le sentais près de l’orgasme, juste au trouble que je percevais dans sa respiration àchacun de mes passages.

— Oh Annabelle…D’une main ferme, il chercha à accélérer mes gestes pour décharger entre mes lèvres, puis finit

par simplement retenir ma tête contre lui dans un grognement libérateur. Son sperme se propagea dansma bouche, tapissa mon palais d’un breuvage chaud et épais. Je le laissai terminer, prise entre sapoigne et son ventre, puis ses doigts devinrent légers sur mes cheveux et semblèrent me libérer de sonemprise.

Ce n’est qu’à ce moment que j’avalai ce qu’il venait de m’offrir et m’affairai à le nettoyerdoucement, avec de petits coups de langue que j’espérais taquins. Il ne dit rien, mais ne chercha pas à

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me repousser non plus. D’ailleurs, lorsque j’osai cesser mes caresses pour relever les yeux vers lui,sa main me ramena à ma tâche :

— Continue.Je repris son sexe au repos entre mes lèvres, recommençai à le sucer du mieux que je le pouvais

dans la position et la fermeté qu’il m’offrait. J’espérais que nous passions à une autre étape, puisquemes genoux commençaient sérieusement à me faire mal. Au bout de quelques minutes et d’une mainferme, il me repoussa et gronda :

— Retourne sur le sol. À quatre pattes et dos à moi.Je fus un peu surprise par sa requête, surtout qu’il commençait à peine à retrouver un peu

d’ardeur et que j’espérais qu’il me demande de grimper sur le canapé pour le chevaucher. C’est doncun peu à contrecœur que je reculai et me positionnai à quatre pattes, la tête vers le téléviseur où jevis son ombre se lever. Au lieu de se jeter sur moi, il quitta la pièce et je l’entendis ouvrir les tiroirsde la cuisine. Je ne sais pas ce qu’il y cherchait, mais il le trouva, car il revint au salon. Mes yeuxdétaillaient l’ombre dans le reflet du téléviseur, mais je ne vis rien. Il se positionna à genoux derrièremoi, posa une main sur mes fesses, les caressa quelques secondes avant de redescendre vers monsexe. Il jaugea de son humidité en y insérant deux doigts avant de les retirer.

— Voyons l’effet que cela produira.Je n’eus pas le temps de comprendre ce que ses mots signifiaient qu’un coup atterrit sur ma fesse

droite et me fit sursauter de surprise autant que de douleur.— Il est temps d’être punie, mademoiselle.Punie ? me répétai-je. Avant que je ne puisse protester, il recommença et un second coup atterrit

sur mes fesses. Je dus me retenir sur le sol pour ne pas tomber tête première vers l’avant. Ce n’étaitpas ses mains, mais un objet qu’il utilisait sur ma chair. Le bruit paraissait étouffé. Du bois, mesembla-t-il. Un troisième coup tomba et je commençai à ressentir une douleur vive qui m’élançait lapeau.

Enfin, il changea de côté et je repris mon souffle avec bruit avant qu’il ne recommence, constataique je le retenais pour m’empêcher de crier durant son assaut. Le premier coup arriva, si fort qu’ilm’arracha un gémissement.

— Allons, mademoiselle, un peu de tonus ! me disputa-t-il en frappant ma fesse gauche pour laseconde fois.

Je me mordis la lèvre et fermai les yeux, mais au bout des trois coups, alors que j’espérais queles choses se calment, il changea de côté. Cette fois, ma croupe était à fleur de peau et le premiercoup de sa nouvelle série sembla brûler ma chair. Il me fallut écraser ma bouche sous une main pourne pas crier, mais ma respiration restait suffisamment bruyante pour que Simon sache que je souffrais.

Soudain, il s’arrêta, et la spatule en bois apparut dans mon champ de vision, car il repoussa lamain qui retenait mes cris :

— Ne retenez pas vos cris. Et vous aurez bientôt besoin de vos deux mains pour rester enéquilibre.

La menace qu’il laissa planer m’effraya et je redescendis la main sur le sol. Lorsqu’il

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recommença, je mordis ma lèvre et pleurai en silence. Mon dos se courba vers le haut. Mes musclesme lâchaient petit à petit et mes genoux n’en pouvaient plus, eux non plus. Encore un coup. Cette fois,mon corps s’écroula et mes larmes se mirent à jaillir sans que je ne puisse les retenir. J’avaistellement retenu ma respiration que j’avais du mal à retrouver mon souffle. La spatule tomba sur lesol, dans un bruit qui me fit sursauter, puis Simon s’agenouilla près de moi, me prit dans ses bras etchercha à remonter mon visage vers lui :

— Anna ?Il me releva la tête, me détailla d’un regard inquiet :— Est-ce que ça va ?— Oui.Il garda une main sous mon bras pour essayer de me relever, mais je me remis simplement à

quatre pattes en équilibrant davantage mon poids sur mes bras.— Qu’est-ce que tu fais ?— Tu n’as pas fini. Il reste… trois coups.Je pointai la fesse sur laquelle il manquait les dits coups.— Annabelle ! Tu pouvais refuser la fessée. Je t’ai demandé tes limites.— John le faisait, alors tu dois le faire aussi.Que nous passions au tutoiement me troubla, comme si nous étions dans une parenthèse, au milieu

de la séance. Il se planta devant moi et me fusilla du regard :— Je ne suis pas lui !Son cri m’effraya et je m’assis sur mes chevilles en grimaçant avant de reprendre, espérant avoir

suffisamment de force pour lui préciser ma pensée :— Je sais que tu n’es pas lui, mais j’ai besoin de te donner tout ce que je lui donnais, tu

comprends ?— Non, admit-il.— Je t’aime, Simon. Et si John pouvait me battre, alors tu peux le faire, toi aussi.J’essuyai une larme qui tomba de mon œil droit avant de me racler la gorge :— Et si je le pouvais, crois-moi, je t’en donnerais bien davantage, ajoutai-je.Il soupira tristement :— Annabelle, ne te punis pas plus sévèrement que je ne le fais, tu veux ?Je haussai les épaules. Il avait raison, comme toujours. J’avais envie qu’il me punisse, parce que

j’avais cédé à John et que j’étais trop lâche pour le quitter. Je ne pouvais pas comprendre qu’il resteavec moi, alors autant qu’il puisse me punir comme il se doit. Feignant un air léger, je dis :

— Profitez, monsieur. J’établirai peut-être d’autres limites après cette séance.Ma remarque sembla lui plaire, assez pour qu’il réaffiche un sourire sur son visage. Enfin, il

récupérera sa spatule en bois. Je fermai les yeux, tentai de ne pas contracter ma peau pour éviter quece ne soit plus difficile et j’attendis.

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Un autre coup tomba et je faillis être projeté tête première vers l’avant. Décidément, il n’y allaitpas de main morte ! Je déplaçai donc ma main pour reprendre mon équilibre. Un autre coup suivit,très rapidement, et m’arracha un cri étouffé. Enfin, le troisième arriva, sans délai, lui non plus,comme si Simon espérait en finir au plus vite avec cette série. Soulagée, je laissai mon corpsretomber sur le sol et mes larmes couler sans retenue. Je sentais mon dos trembler, pris de petitssoubresauts. Les bras de Simon cherchèrent à me ramener auprès de lui et sa bouche plongea dansmes cheveux :

— Anna, dis-moi que ça va.— Ça va. C’est à cause de mes genoux, c’est tout. Ce plancher, il est… Il faudra acheter un

tapis…— Un tapis, marmonna-t-il, étonné par ma remarque.Simon se releva, caressa mon dos, puis ma croupe qui me parut brûlante à son contact. Il retourna

entre mes cuisses pour vérifier à quoi ressemblait mon humidité. Je me sentis comme une voiture malréglée, mais juste au bruit, je me doutais bien que sa petite séance avait fait son effet.

Au lieu de me prendre ainsi, ce que j’espérais, Simon se releva et vint porter ses doigts devantmes lèvres, força ma bouche pour que je les lèche et que je goûte ma propre intimité :

— Qu’en pensez-vous mademoiselle ? Devrait-on poursuivre ?Il retira ses doigts d’un geste brusque et me fixa, en attente de la réponse. Je le sentais contrarié.

Peut-être aurait-il préféré que je demande un arrêt, mais je ne pouvais pas. J’avais vécu pire avecJohn et je pouvais faire la même chose, sinon plus, pour Simon. Il fallait que j’aille jusqu’au bout.Pour lui. Avec lui.

— Oui, monsieur, répondis-avec un ton plus ferme.— Bien, si vous le souhaitez…Sa main appuya sur le haut de mon dos, me poussa jusqu’à ce que ma tête se retrouve contre le

sol, cul bien relevé. La position était inconfortable, mais surtout à cause de mes genoux sensibles,sans parler de la peau qui tirait sur mes fesses en arrière de mes cuisses.

— Puisque la douleur vous plaît…D’une main ferme retenant le haut de mon dos, l’autre s’élança et claqua mes fesses. Je réprimai

un gémissement de surprise et de douleur, mais je songeai : « Quoi ? Encore ? ». N’était-ce pasl’instant où il devait me prendre sauvagement ? Il recommença, se mit à me donner une sorte defessée bien sentie et je me sentis devenir rouge de honte dans cette position. Enfin, ses doigtsretournèrent dans mon sexe, le caressèrent sans ménagement dans un va-et-vient rapide et j’accueillisses quelques passages avec un encouragement discret. Il reprit ses coups, laissa fuir la douce torpeurqu’il venait de semer dans un bruit désagréable que je me refusai d’accompagner, mais c’était sisensible que ma respiration s’emballait quand même. Il revint en moi, se fraya sans mal un passagedans mon sexe, le pénétrait si fermement que mon visage s’écrasait sur le sol, mais c’était si agréableque je ne retenais aucun des souffles qui s’échappaient de mes lèvres. Cette fois, son intrusionindélicate se poursuivit, puis la main qui maintenait mon dos en place se retira et je sentis Simon sepositionner derrière moi. Je crois que son geste à lui seul généra un torrent dans mon ventre à l’idée

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de ce qui se préparait et ses doigts, toujours en moi, le constatèrent sans mal vu le bruit qui résonnaitdans la pièce.

Ses mains se positionnèrent de chaque côté de mon cul, se mirent à me griffer le bas du dos, puisses gestes s’amplifièrent lorsque ses ongles arrivèrent sur ma peau déjà trop sensible. Je fermai lesyeux devant la douleur que cela provoqua, mais il sembla déçu que je n’aie pas de réaction plusaudible, alors il empoigna mes fesses avec plus de force, les pinça jusqu’à ce que mon cri résonne,étouffé contre le sol.

Enfin, je perçus son sexe qui cherchait à pousser le mien, mais je l’accueillis si bien qu’il sefondit en moi aussitôt. Je laissai filtrer un soupir de soulagement auquel il répondit par une poignedure sur ma peau meurtrie. Il recommença, et chaque fois que son sexe s’enfonçait, j’avais lasensation que j’allais bientôt me mettre à jouir comme une folle. Pourtant, il me claquait fréquemmentune fesse, me griffait le dos, s’assurait que mon gémissement de plaisir était constamment entrecoupéd’un cri de douleur. Son poids s’ajoutait au mien et mes genoux tremblaient, mais j’étais constammentau bord du gouffre, prête à exploser. Malgré le tremblement de mes jambes, je me défendis dem’écrouler. Je crois que son manège l’épuisa, car son sexe restait de plus en plus souvent àl’intérieur, deux coups, puis trois coups. Ses doigts se retenaient à ma peau brûlée par ses soins, maisje n’y songeais plus, je me concentrais sur la vague qu’il provoquait à chacun de ses passages, finitpar ne plus tenir. J’étais sur le point de perdre la tête et je soufflai, très vite, en guised’avertissement :

— Oh monsieur !— Pas maintenant, gronda-t-il.Son ordre fit chuter mon excitation, mais cela fut insuffisant, car chaque fois qu’il me pénétrait,

mon corps se tordait délicieusement d’envie. Il s’arrêta, bien enfoncé en moi, puis ses doigts se firentplus rustres sur mes précédentes blessures. Il recommença à me donner la fessée, à frapper ma chair,comme s’il souhaitait concurrencer par la douleur, tout le plaisir qu’il provoquait en moi. Si cen’était de la serviette qui me retenait de glisser sur le sol, je me serais probablement déjà effondrée,mais je résistai à cette envie, je préférai fondre en larmes pour que le côté agréable de la séance sepoursuive.

— Vous voulez que je m’arrête ? demanda-t-il devant mon geste.J’eus envie de céder. Je ne me doutais que Simon me poussait à bout pour que je cède. Enfin, je

compris : il voulait me confronter à mon choix. Il m’offrait d’autres alternatives. Non. Je n’allais pasabandonner. Je me contentai de secouer la tête, toujours contre le sol. Ses doigts reprirent ma fesse enotage, serrèrent à m’en arracher un cri :

— Mademoiselle, je veux une vraie réponse, ordonna-t-il.— Non, monsieur, criai-je de douleur.— On continue, alors ?— Je… oui, monsieur.Je recommençai à pleurer en hoquetant et cela sembla lui suffire, car les coups cessèrent et son

sexe revint en moi. Je fermai les yeux de soulagement durant son assaut. C’était fort, si fort que mon

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dos se souleva instinctivement pour accueillir la vague qu’il venait de provoquer. Sa main merepositionna aussitôt, repoussa mon corps pour que je reprenne mon emplacement initial et ma têteatterrit sur le sol. Sa pénétration accéléra et je retins mon corps qui souhaitait bondir vers lui, mecambrer pour le sentir davantage. Mon souffle s’emballa vite. C’était fort, trop fort et j’eus du mal àjeter un autre « Monsieur » qu’un tremblement me saisit et qu’un cri s’échappa de mes lèvres. Monsexe poussait sur le sien, voulait à la fois le rejeter et l’aspirer dans sa course. Puis il y eut un délugeentre mes cuisses et Simon cessa de bouger pendant que je restai là, dans cette position ridicule, àessayer de retrouver mes esprits.

— Je vous avais demandé d’attendre ! siffla-t-il.Mon corps était si lourd qu’il me paraissait soudé au sol. Lorsqu’il fit un geste pour me relever,

mes genoux me lâchèrent. Il m’observa essayer de reprendre ma position, mais maintenant que j’avaisflanché, on aurait dit que mes muscles ne m’obéissaient plus. Mes jambes tremblaient sous monpropre poids et je savais déjà que je ne pourrais plus rester dans cette position plus de trois minutes.

Je lui jetai un regard désespéré :— Je suis désolée, je…Il fronça les sourcils pour m’empêcher de poursuivre, puis, jeta un regard rapide autour de lui, se

pencha, tira l’un des coussins du canapé qu’il jeta sur le sol, me fit signe d’y grimper. Comme j’étaislente à y parvenir, il m’aida, retint ma taille pendant que je montais sur la petite estrade qu’ilm’offrait. Ce fut plus agréable d’avoir ce confort sous les genoux, mais une fois à quatre pattes, maposition était étrange puisque ma croupe était plus haute qu’à l’habitude.

— Voilà une position bien aguichante, mademoiselle, dit-il en laissant de nouveau ses doigtss’aventurer dans mon sexe.

C’était doux et agréable. Je fermai les yeux, poussai mes fesses vers le haut pour l’exciterdavantage, pour l’inviter à revenir en moi. Mon stratagème fonctionna et Simon délaissa mon ventreet chercha à triturer l’entrée de mon anus avec le bout de son pouce. Je retins un soupir d’envie, maismon corps, lui, s’ouvrait déjà à l’idée qu’il me prenne ainsi. Son gland se cogna à ma porte, poussal’entrée sans attendre, m’arracha un petit cri au passage auquel il ne prêta guère attention. Son assautreprit et ma jouissance aussi. C’était rapide. Peut-être en avait-il assez d’attendre ou craignait-il queje ne m’écroule à nouveau, mais mon corps était transporté par ses gestes et je n’avais aucune envied’y mettre un terme. Il recommença à me griffer et à pincer ma chair sous ses mains, mais je fiscomme si rien ne me touchait. Je restai concentrée sur la jouissance qu’il générait plutôt que sur ladouleur. Quel heureux mélange. J’avais l’impression que le balancement entre l’un et l’autre étaitparfait. Soudain, je souhaitai qu’il me soumette encore. Plus fort. Pour la première fois, je necherchais pas à fuir et lorsqu’il serra ma taille avec force, j’en gémis de plaisir :

— Oh monsieur, oui !Sa main s’agrippa à mon bras, me tira si brusquement vers l’arrière que ses ongles s’enfoncèrent

dans ma peau. Douleur, plaisir, une lutte s’acharnait en moi et je savais déjà laquelle de cessensations allait avoir raison de mon corps. Je frémissais d’envie, balancée par ses soins, à peinecapable de rester stable, un peu comme un pantin suspendu à son bon vouloir. Mon corps étaitcomplètement à l’abandon et il en usait à sa guise. J’étais en proie à l’extase. Je me mis à jouir

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comme une folle, à accueillir tous ses coups avec une joie que je ne parvenais plus à retenir. J’éclataisans prévenir, sans même attendre sa permission, me laissai chavirer et me gavai de son sexe en moijusqu’à ce que mon cerveau en fût saturé. Je ne remarquai même pas que son sperme se déversait surmoi lorsque je m’écroulai sur le sol.

Dans la jouissance, tout cela m’importait peu.

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À ma manière

Je restai là, béate et heureuse, pendant que Simon bondit sur ses jambes pour aller à la salle debain. L’eau coula un moment, puis il revint avec une serviette, la jeta sur moi et m’ordonnadoucement :

— Essuie-toi.Mes gestes étaient lents et ma tête, lourde. Je me redressai pour lui obéir. J’étais courbaturée et

mon bras m’élançait au moins autant que mes fesses. M’avait-il tenu aussi fort ? Sans même vérifier,je m’essuyai la croupe pour retirer le sperme collé à ma peau. J’aurais largement préféré restée là,sur le sol, et qu’il sèche pendant que je laissais ma conscience revenir doucement.

Assis sur la partie du canapé encore en place, Simon attendit que je relève les yeux vers lui avantde prendre la parole :

— Annabelle, je ne veux pas que tu fasses un transfert sur moi. Je ne suis pas John. Cette mise enscène était davantage un jeu qu’une véritable punition.

Sans chercher à le contredire, je haussai les épaules, ce qui, visiblement, lui déplut :— Il faut que tu apprennes à faire la part des choses entre notre couple et notre relation SM. Je ne

suis pas devenu ton Maître par désir de me venger et tu ne dois pas te soumettre parce que tuconsidères devoir être punie.

Je pinçai les lèvres, un peu triste de la façon dont il percevait les choses. Malheureusement, jedus admettre qu’il n’avait pas tort sur tout.

— Il fallait que tu me punisses, dis-je, comme si je n’avais que ce mot-là à la bouche.— Il y a d’autres façons de punir qui n’exigent pas la violence.Je grimaçai sans répondre et cela le fit blêmir :— Dis ce que tu as à dire, me somma-t-il.Son ton autoritaire me ramena à ma récente soumission et je baissai la tête pour éviter son regard

sombre. Jamais Simon n’avait haussé le ton de cette façon et je commençai à croire que notre relationallait véritablement changer. Avions-nous commis une erreur en décidant de jouer à ce jeu ? Simonavait toujours été tendre avec moi. Je ne pouvais pas croire qu’il puisse agir autrement, mais peut-être avais-je tort ? N’avait-il pas déjà songé à devenir Maître, après tout ?

— J’attends, s’impatienta-t-il.— John m’aurait battue, dis-je en soupirant. Tu ne devrais pas… écarter cette voie uniquement

parce que j’ai failli craquer.— Crois-tu que je suis incapable de te faire souffrir autrement ?Je haussai les épaules, mais en réalité, je ne voyais pas ce qui pouvait être pire que la douleur

physique. Devant mon laxisme, Simon fit danser un doigt menaçant dans ma direction :— Attention à ton impolitesse, Annabelle ! Je pourrais la punir, elle aussi !

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Je me raidis devant ces mots et me défendis de bouger, sachant déjà que mes fesses ne pourraientpas en supporter davantage. Malgré ma position légèrement avachie, il reprit son ton de Maître :

— Considérez-vous avoir été suffisamment punie, mademoiselle ?Pour la première fois, je répondis sans hésiter :— Oui monsieur.— Et pourquoi avez-vous donc été punie, rappelez-moi ?Je me sentis rougir de honte et je baissai piteusement la tête :— Parce que j’ai donné mon corps à un autre homme.— Mais c’était avant qu’il ne m’appartienne complètement, n’est-ce pas ?Je fronçai les sourcils, incertaine de la réponse à fournir à cette question. Depuis que j’avais

accepté d’être sa soumise, notre relation était-elle réellement différente ?— Annabelle, avez-vous compris que ce corps dont vous étiez Maître, ce matin, n’est plus le

vôtre, désormais ?Étrangement, les paroles de Simon me plurent. Je ne pouvais plus utiliser mon corps comme je

l’entendais et donc, une barrière supplémentaire s’installait entre John et moi ? Affichant un sourireque j’espérais éclatant, je relevai les yeux vers lui :

— Oui monsieur.— Bien. Maintenant que nous en avons terminé avec cette punition, j’aimerais vous montrer le

genre de Maître que je suis. Après quoi, si vous êtes toujours disposée à m’appartenir, nous devronssigner un contrat.

Devant mon air confus, il haussa un sourcil :— Une question, mademoiselle ?— Bien… est-ce… vraiment nécessaire, le contrat ?— C’est la règle, dit-il en hochant la tête.Je réprimai un rire que j’expliquai dès qu’il fronça les sourcils :— C’est que… je n’ai pas vraiment l’intention de te faire un procès pour coups et blessures, si

c’est ce qui t’inquiète. Enfin… si c’est ce qui vous inquiète, monsieur, me repris-je en ne perdant enrien mon air joyeux.

Il fit une drôle de moue avant de répondre :— John exigera une preuve.Encore une fois, je me raidis et je lâchai le seul mot qui me vint à l’esprit :— Oh. Alors… d’accord.— Avez-vous d’autres questions, mademoiselle ?— Non.— Bien. Prenez une douche et installez-vous sur le lit. Je viendrai m’occuper de vous.Il se leva et disparut dans notre chambre à coucher. À cause de mes fesses en feu, j’eus du mal à

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me relever, mais une fois à la verticale, les choses me parurent moins douloureuses. Une fois ladouche prise, j’entrai dans la chambre où Simon m’attendait, un bout de tissu dans une main.

— Ça fait mal ? me demanda-t-il en pointant mon bassin du regard.— Un peu.— Venez là.Sa main tapota le lit. Je m’y glissai à quatre pattes, déjà persuadée qu’il valait mieux éviter de

poser les fesses quelque part. Il fit danser le tissu noir devant moi :— Maintenant, Annabelle, je vais masquer vos yeux.Sans attendre ma permission, il enroula le tissu à deux reprises autour de ma tête et serra jusqu’à

ce la nuit apparaisse complètement.— Pas trop serré ?— Euh non. Ça va.— Bien. Couchez-vous sur le ventre.Il me guida et je fus soulagée qu’il ne me demande pas de m’étendre sur le dos, même si, en

réalité, j’appréhendais un peu que mes fesses soient aussi exposées à sa vue. J’espérais qu’il n’aitpas l’intention de recommencer ses coups !

Il quitta le lit et je tendis l’oreille pour le suivre à travers les pièces de la maison. Il fit un saut àla cuisine, ouvrit des portes, puis revint dans la chambre, ouvrit des tiroirs, à croire qu’il rangeaitalors que j’étais là, à ne rien voir et à ne rien comprendre de ce qu’il attendait de moi.

Quand il se réinstalla sur le lit, je me figeai un instant. Soudain, je n’étais pas rassurée d’être à samerci, surtout avec l’état actuel de mon derrière. Quand il posa la main sur l’une de mes fesses, jesursautai, puis mon corps se raidit en percevant quelque chose d’étrange, retrouvai mon sourire endevinant qu’il promenait un glaçon sur ma peau. C’était paisible, sauf lorsqu’il la glissa sur mon dosoù le froid était plus saisissant. Sur mes fesses brûlantes, cela faisait un bien fou.

— Agréable ? demanda-t-il.— Oui.Le glaçon se promenait régulièrement de mon dos à mes fesses et des gouttes d’eau s’écoulèrent

lentement sur le lit alors qu’il fondit. Au bout de plusieurs passages de haut en bas, il poussa leglaçon légèrement entre mes fesses et descendit jusqu’à mon sexe où ses doigts écartèrent mes lèvrespour caresser mon clitoris. Le temps que j’entrouvre davantage mes cuisses qu’il était déjà de retoursur mes fesses.

Lorsqu’il recommença son manège, je soulevai mon bassin pour qu’il reste un peu plus longtempssur mon clitoris. Ses caresses, si brèves, ne faisait que me titiller et je détestais qu’il me provoque dela sorte. Encore une fois, la glace remonta sur mon dos, glissa sur le côté de mon flanc, s’arrêta surles parties endolories de mes fesses, puis revint plus bas. Je m’écartai légèrement, ne serait-ce quepour lui montrer que j’aimais son passage discret. Cette fois, il s’y attarda un peu plus, puis il poussale glaçon à l’intérieur de mon sexe. J’étouffai un cri de surprise pendant qu’il me pénétrait de sesdoigts, poussant le cube déjà petit le plus loin possible dans mon bas-ventre. Évidemment, la chaleur

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renvoyait l’eau du glaçon entre mes cuisses.— Quelle chaleur, mademoiselle.Une fois le glaçon fondu, il retira ses doigts et cessa de me caresser. Je me tortillai légèrement

pour l’inviter à reprendre, mais il claqua doucement ma fesse meurtrie. Je retins un grognementréprobateur et cessai mon déhanchement quand il frotta quelque chose que je ne reconnus pas sur lapeau de mon dos. Quelque chose qui grattait légèrement la chair.

— Avez-vous confiance en moi, mademoiselle ?Normalement, j’aurais dit oui sans hésiter, mais la sensation inusitée que je percevais me fit

hésiter :— Euh… oui, monsieur.— Voilà qui ne me convainc pas beaucoup, dit-il sur un ton réprobateur.L’objet descendit sur mes fesses et la sensation fut désagréable. Pas douloureuse, mais il s’en

fallait de peu, à peine un peu plus de force pour que j’en grimace de douleur.— Avez-vous confiance en moi, mademoiselle ?— Oui monsieur, me repris-je en répondant vite, surtout par crainte qu’il n’appuie plus fort.L’objet descendit sur ma cuisse gauche, griffa la peau vers l’intérieur et poursuivit sa route

jusqu’à mon genou avant de remonter sur le bord de mon sexe. Je lâchai un gémissement d’excitationet, poussant sur mes bras, je tentai de me mettre à quatre pattes pour qu’il recommence. L’objetclinqua dans un bruit métallique lorsqu’il l’utilisa pour me taper sur la fesse. Pas fort, maissuffisamment pour me surprendre et que je me raidisse.

— Cessez de mouvoir ce corps qui m’appartient, m’ordonna-t-il en écrasant une main sur le hautde mon dos pour que je reprenne ma position initiale.

Une fois en place, il recommença son numéro avec l’objet piquant. Descendit jusqu’à mes pieds,ce qui me chatouilla. J’enfouis la bouche dans le matelas pour éviter de rigoler, puis il remonta. Lagriffure était légère, agréable, excitante. Mon corps attendait son passage, sauf lorsqu’il repassait surmon fessier. Je m’abandonnai à ces allers et retours en soupirant d’aise. Enfin, l’objet tomba quelquepart vers la droite, puis la voix de Simon résonna de nouveau :

— Ouvrez la bouche.À peine m’exécutai-je qu’il poussa un objet en plastique que je ne tardai pas à reconnaître à sa

forme nervurée : mon vieux vibromasseur, celui que j’avais acheté après ma séparation avec John. Ily avait fort longtemps que je ne l’avais utilisé, celui-là ! Je le suçai en gémissant bêtement, espérantexciter Simon. Pourquoi ne remplaçait-il pas se stupide bout de plastique par sa propre verge ?J’avais la sensation de perdre mon temps.

— C’est bien. Lubrifiez-le. Encore.Ses paroles s’alliaient à ses gestes, poussant et ramenant la verge en plastique dans un va-et-vient

agaçant. Je me doutais qu’il l’enfoncerait quelque part ailleurs, alors je ne fus pas surprise qu’il leretire complètement. Je soulevai ma croupe lorsqu’il glissa une main sur mon ventre pour avoir unmeilleur accès à mon sexe, lâchai un petit cri lorsqu’il inséra le vibromasseur en place, bien au fond

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de mon ventre, sans activer le mécanisme. Déjà, mes muscles palpitaient autour de ce corps étranger.S’ensuivit une étrange pénétration que je ne fus pas certaine d’apprécier. Le plastique me paraissaitfroid et dur en comparaison de son sexe à lui. Je ne voyais pas pourquoi il s’évertuait à me prendreavec cette chose plutôt que de partager cet instant avec moi. N’avait-il pas envie de me prendre ? Dejouir, lui aussi ?

Au bout d’une dizaine de frottements, mon corps commença à s’impatienter. Même s’il m’encoûtait de l’admettre, j’allais bientôt céder à ce bout de plastique. Ce n’était pourtant pas la premièrefois que j’allais jouir ainsi, mais avec Simon comme Maître d’œuvre, oui. Pourquoi cela me gênait-il ? J’essayais de retenir mes halètements, mais chaque fois qu’il sortait le vibromasseur de monvagin et qu’il le replongeait, cela m’était de plus en plus difficile de masquer le trouble qui se faisaitd’autant plus bruyant entre mes cuisses.

— Seriez-vous excitée, mademoiselle ?— Je… oui monsieur.Ma voix était déformée par le passage insistant du corps étranger. Passage qui devint plus rapide

et provoqua une chaleur supplémentaire. Je me mis à supplier :— Monsieur, s’il vous plaît…— Quoi donc ?— Prenez-moi !— N’est-ce pas ce que je fais ?Plus il parlait, plus il enfonçait le vibromasseur rapidement. De toute évidence, ça l’amusait de

me voir ainsi, excitée, sur le bord de jouir, et le suppliant de me baiser.— Avec votre queue, finis-je par articuler.— Ce jouet ne vous plaît donc pas ? C’est pourtant vous qui l’avez acheté…Comment pouvait-il faire la conversation alors que je me languissais ainsi ? Je tentai de

m’avancer pour esquiver la profondeur de sa pénétration, mais sa main me claqua une fesse etobligea mon bassin à reprendre sa position initiale.

— Ceci est à moi, me rappela-t-il d’une voix sèche. J’en dispose comme bon me semble, n’est-cepas ce qui était convenu ?

— Oui. Oh oui, monsieur, haletai-je.Je dus faire un effort considérable pour ne pas me tortiller lorsque le plaisir s’insinua

sournoisement dans mon corps, mais je laissai mes gémissements fuser pour exciter Simon. Il finiraitbien par s’impatienter d’être spectateur ! Et pourtant, il poursuivait sans relâche, ralentissant,accélérant, selon son bon vouloir. Quand je pressentis l’orgasme, soudain, tout le reste disparut demon esprit. Que m’importait la chose qui me menait au septième ciel, tant qu’elle m’y menait ! Je meremis à le supplier, mais cette fois, pour une toute autre raison :

— Oh monsieur… continuez ! Continuez s’il vous plait !D’un trait, il retira le vibromasseur et je pris un moment avant de comprendre qu’il ne le

remettrait plus. Je relevai la tête, le corps en feu, toujours aveugle, sans comprendre ce qui

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m’arrivait.— Monsieur ? chuchotai-je.Seul le silence me répondit. Pourtant, je ne l’avais pas senti s’éloigner, ni quitter le lit. Il me

semblait que je percevais encore sa respiration, tout près. Dans l’attente, je serrai la couverture entremes doigts pour éviter de me mettre à gueuler. Il n’allait quand même pas me faire ça ? Pasmaintenant ? Pas alors que j’étais si près du but ?

Mon sexe paraissait impatient de recevoir ce qu’il attendait depuis quelques minutes et je serrailes cuisses pour essayer de le calmer. La main de Simon me claqua la fesse à nouveau et je retinsmon cri. De douleur, de surprise, mais aussi d’énervement. Il n’allait pas oser me laisser dans un telétat ?

— J’ai bien envie de vous laisser comme ça, dit-il soudain.— Monsieur… non !Un autre coup tomba sur ma fesse et je sus qu’il était destiné à me punir de mon impatience. Il est

vrai que ma voix s’était légèrement emportée, mais aurais-je pu faire autrement ?Décidément, Simon était patient. Il attendit que l’excitation redescende avant de réintroduire le

vibromasseur en moi. Il refit monter le plaisir et le retira de nouveau alors que j’étais sur le point deperdre la tête. Le salaud ! Cette fois, j’étais choquée et je dus me mordre la lèvre pour éviter de luifaire une scène !

— L’avantage de si bien connaître votre corps, mademoiselle, c’est que j’ai déjà bien des idéespour le pousser à bout…

Je me retins de lui dire que j’étais déjà à bout. J’avais envie de l’engueuler ou de me jeter sur luipour satisfaire mes envies. En guise de protestation, je dis, en espérant susciter sa pitié :

— Vous me faites bien souffrir, monsieur.— Oui. Cela semble bien terrible, en effet, se moqua-t-il. Ouvrez la bouche.Cette fois, au lieu de mettre un bout de plastique entre mes lèvres, il bougea sur le lit et ce fut sa

verge qui se glissa sur ma langue. Enfin ! Follement excitée de sucer quelque chose qui ressentait machaleur, je le dévorai avec passion, ce qui eut tôt fait d’emballer sa propre respiration. Brusquement,il se retira et tapota ma tête :

— Doucement mademoiselle.— Monsieur ! Laissez-moi faire !J’avançai la tête à la recherche de son sexe, mais il s’éloigna, retourna derrière moi et chercha de

nouveau à m’introduire le vibromasseur. Cette fois, je grimaçai d’exaspération et je fus heureusequ’il ne le remarque pas. Pour sûr, mon cul en aurait pris pour son rhume. Au bout de trois ou quatrepassages, il l’enfonça tout au fond et m’ordonna :

— Tenez-le ainsi.Avant que je ne comprenne ce qu’il me demandait, il guida ma main entre mes jambes et poussa

mes doigts sur le bout du vibromasseur. Je tentai de le glisser dans mon sexe, quand il me disputadoucement :

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— Immobile.Encore une autre moue s’afficha sur mon visage. Cette fois, je compris qu’il cherchait à me

rendre folle. Il n’y avait pas d’autres explications ! Je me souvins de sa phrase : « Il y a d’autresfaçons de punir qui n’exige pas la violence ». Était-ce là une punition ? À ce compte, je préféraislargement la méthode dure !

Le temps que je prenne à réfléchir, l’espoir rejaillissait en moi lorsque Simon se mit à caressermon anus. Je me tendis légèrement, surtout pour éviter qu’il ne me claque une fesse, mais je medoutais qu’il allait me sodomiser alors que je tenais le vibromasseur fermement enfoncé dans monsexe. Déjà, mon ventre en crevait d’envie.

Sa langue glissa sur mes fesses, me lubrifia délicieusement et le temps que j’eus de savourer cegeste empreint de tendresse, il me prit brusquement. Mon corps chuta vers l’avant et je lâchai le boutde plastique pour me retenir. D’une main lourde, Simon me claqua la fesse et m’obligea à revenirtenir le vibromasseur en place.

— La prochaine fois, vous serez attachée !Attachée ? Livrée à ce supplice ? Lorsque je replaçai le vibromasseur et que la verge de Simon

m’encula de nouveau, l’idée d’être attachée et prise de la sorte me donna le vertige. Ce fut rapide.Trop rapide. Les images défilèrent devant mes yeux aveugles et je perdis la tête dans un bruit degorge désagréable. D’un trait, il s’arrêta pour éclater de rire.

— Déjà ?La tête dans les vapes, je retrouvai rapidement la raison devant sa moquerie. Aurait-il fallu que je

lui demande la permission ? J’en aurais probablement été incapable. C’est à peine si j’avais eu letemps de reprendre ma respiration !

— Je… pardon, dis-je, sans trop savoir pourquoi.— J’ose espérer que vous n’allez pas me laisser en reste, mademoiselle !Sa voix masquait un rire qu’il tentait de camoufler et cela me redonna aussitôt toute confiance en

moi. Je fis danser ma croupe de gauche à droite :— Mais je vous en prie, monsieur, usez de moi comme bon vous semblera, dis-je en essayant de

ne pas paraître moqueuse.— Je n’en attendais pas moins de vous, mademoiselle. Retenez ce vibromasseur, je vous prie.Alors que je me repositionnai, les mains de Simon revinrent de chaque côté de mes fesses et il se

réinstalla dans mon arrière-train. Même si l’orgasme était déjà venu à moi, cette double pénétrationétait à la fois très excitante et drôlement agréable. Et comme Simon ne paraissait pas plus presséqu’il n’en faut de jouir, je me laissai aller à accompagner ses glissements en me contractant pourl’accueillir davantage.

— Voilà une bien douce attention, mademoiselle.Son compliment me fit sourire et son accélération raviva lentement mon plaisir. Comme il se

plaisait à prolonger cet instant, je commençai à croire qu’il n’en avait pas terminé avec moi. Mais decette façon… c’était loin de me déplaire.

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— Activez la vibration, mademoiselle, ordonna-t-il d’une voix essoufflée.Qu’il soit sur la corde raide me plut. Je m’exécutai à tâtons, en essayant de ne pas basculer vers

l’avant pendant qu’il me pilonnait ainsi. Dès que le moteur du vibromasseur se mit en marche, un râletrahit le plaisir qui me submergeait.

— Oui, j’adore, souffla-t-il en accélérant ses secousses. Mets-le à fond.Je m’exécutai et mon ventre se remit à se tordre d’envie.— Oh Simon ! laissai-je filtrer.Dès que les mots franchirent mes lèvres que je me contractai dans l’attente d’une claque, mais son

déhanchement se poursuivit, comme s’il était sourd à mes paroles. Il était excité et visiblement presséde perdre la tête, lui aussi. Pourtant, il changea de rythme pour prolonger nos ébats et ses paroles sefirent suppliantes :

— Viens Annabelle… je veux t’entendre jouir.Voilà une invitation que j’eus du mal à refuser. Ma main sur le vibromasseur cessa de le retenir et

je le laissai sortir avant de le replonger en moi. Je suivais son rythme, l’enfonçais en moi quand il mesodomisait, le relâchais quand il reculait. Ces petits gestes eurent l’effet escompté, autant sur majouissance que sur celle de Simon qui se faisait de plus en plus bruyante dans la pièce.

— Encore ! gronda-t-il.Mes gestes devinrent mécaniques et répétitifs. Heureusement, car j’étais dans tous mes états !

Alors que j’étais sur le point de le rejoindre, Simon ne put attendre plus longtemps. Il lâcha un cri quime parut interminable pendant qu’il éjaculait, puis son corps écrasa le mien et je chutai avec lui, surle lit. Dans le noir, je l’écoutai reprendre son souffle, puis, d’une main, il me retira le bandeau desyeux. La pièce était sombre, mais son visage, lui, était magnifique. Lumineux. Heureux. Je me collai àlui, étrangement émue de le retrouver.

— J’ai été trop rapide, dit-il, encore à bout de souffle.— C’était super, le contredis-je.J’écrasai mes dents sur son torse et fit mine de le mordre avant de lui jeter un regard empreint

d’émotion :— Tu es un Maître incroyable.Il grimaça, puis se remit à se moquer de moi :— Tu es une soumise exécrable ! Tu n’arrêtes pas de n’en faire qu’à ta tête !— Tu n’as qu’à me punir !Son doigt se refit menaçant devant mon nez :— Ne me tente pas !Je me figeai quelques instants, puis je repoussai la crainte qu’il venait de me faire ressentir et

laissai ma tête retomber sur son torse :— Je t’aime.Son rire reprit :

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— D’accord. Je te pardonne.Sa voix était à la fois moqueuse et douce. Nous partageâmes un rire complice. C’était

merveilleux. Autant d’être avec lui que d’être à lui.

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L’appel

Je m’éveillai, le corps endolori, mais merveilleusement heureuse. Dire que la journée d’hieravait commencé d’une bien mauvaise façon. Voilà que Simon était mon Maître et qu’il m’avaitdélicieusement ramenée vers lui, la nuit dernière.

Alors que je me levais, non sans mal, et que j’enfilais mon peignoir, sa voix résonna de lacuisine :

— Je te sers un café ?— Oui. Merci.Une fois que je le rejoignis et que je m’installai au comptoir, je grimaçai de la sensibilité de ma

peau. Cela fit apparaître un sourire moqueur sur le visage de Simon, mais celui-ci fut de courte durée.En même temps qu’il me tendit mon café, il poussa le téléphone devant moi :

— Tu as plein de messages. Lena a téléphoné ce matin. Elle était inquiète. Je lui ai dit que toutallait bien, mais je me doute qu’elle n’a pas été la seule à vouloir se mettre en contact avec toi, hier.

Soudain, la réalité me reprit de plein fouet ! Lena, le travail, John… Un peu craintive, je pris mesmessages, effaçai ceux de Lena, puis parmi ceux-ci, la voix de John se fit entendre :

« Bonjour Annabelle. Sais-tu seulement à quel point je déteste quand tu t’enfuis de la sorte ?Bien, rappelle-moi. Il faut qu’on tire certaines choses au clair. Au cas où tu l’aurais oublié, j’aitoujours ta culotte. J’ai très envie de l’envoyer à Simon, tu sais ? Crois-tu qu’il apprécierait mongeste ? Bonne journée, ma belle, j’ai encore ton odeur sur moi. Mmmm… c’était délicieux… »

Je fronçai les sourcils devant la menace qu’il laissait planer sous ses paroles, sans parler de cettevoix faussement érotique qu’il prenait pour essayer de me remémorer notre matinée ensemble. Devantl’air intrigué de Simon, je lui tendis mon téléphone et lui fis écouter le message de John. Quand il lereposa, il soupira lourdement, puis un sourire s’afficha sur ses lèvres :

— De toute évidence, il pensait pouvoir te faire chanter…— Comment il a pu croire que je n’allais pas te dire la vérité ?Simon haussa les épaules.— Soit il s’imaginait que tu ne dirais rien, soit il espérait qu’on se sépare. Ça me paraît logique.Il feignit un air triste :— Il sera déçu… sur tous les plans.Cela ne fit que me réjouir. Je tendis la main pour qu’il me donne la sienne et la tirai pour

embrasser ses doigts :— Qu’est-ce que je t’aime, toi !— Oh, mais je l’espère bien ! Allez, file à la douche. On a un tas de choses à faire aujourd’hui.Je le questionnai du regard, sans masquer l’espoir que ses paroles faisaient naître en moi, mais il

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retrouva un air sérieux :— Tu te douches. Ensuite, j’appellerai John.Mon étonnement étira mes lèvres jusqu’à ce que ma bouche s’ouvre, puis je relâchai sa main,

agacée qu’il lui accorde autant d’importance :— Pourquoi ? grognai-je.— Parce qu’il s’attend à ce que tu l’appelles, voilà pourquoi. Et parce qu’il ne te lâchera pas si

facilement. Crois-tu qu’il ait fait tout ça pour jeter l’éponge à la première difficulté ?Malgré l’angoisse que provoqua sa question, je dus secouer la tête en guise de réponse.

Évidemment ! Si devenir la soumise de Simon suffisait à maintenir John à l’écart, je l’auraisprobablement fait avant. Et après lui être tombée dans les bras aussi facilement, je me doutais qu’ilne me lâcherait pas sans essayer de me récupérer. Le tout était de savoir : pourquoi ? N’avait-il pascompris que je le détestais ? Je soupirai. Peut-être que non, après tout. Il y a certainement de piresfaçons de haïr quelqu’un que d’ouvrir les cuisses devant lui à la première occasion…

— Cela étant dit, tu n’as plus à te soucier de lui, maintenant. Tu m’appartiens. C’est donc à moide déterminer ce qu’il adviendra de toi. Et de John.

Je hochai la tête, même si j’étais un peu troublée qu’il ne me rassure pas davantage. À choisir,j’aurais préféré qu’il me promette de ne jamais me céder à cet imbécile. Je me glissai, tant bien quemal, en bas du tabouret, puis comme la question me hantait, je m’arrêtai avant d’arriver à la salle debain :

— Simon ? Tu ne vas quand même pas… me donner à lui, hein ?— Quand bien même je le ferais, tu te devras d’obéir, Annabelle.Je claquai les dents pour éviter de m’emporter. Pourquoi le contrarier ? Il ne pouvait pas

sérieusement songer à me donner à John ! N’avait-il pas pleuré, hier, en sachant ce que j’avais fait ?Il utilisait certainement cette idée pour m’effrayer. Pour m’obliger à me tenir tranquille… non ?

* * *Dès que je sortis de la douche, je retrouvai Simon au salon, assis sur le canapé et regardant la

télévision. Lorsque je m’avançai vers lui, il l’éteignit et ouvrit son peignoir pour me montrer son sexenon bandé.

— Chère mademoiselle, que me suggérez-vous pour me redonner la forme ?Son expression était ironique et je compris aussitôt ce qu’il attendait de moi. D’un geste lent, je

défis ma serviette et la laissai tomber entre ses jambes avant de m’y agenouiller. Au moins, mesgenoux seraient saufs…

— Puis-je, monsieur ? demandai-je en léchant ma lèvre inférieure de façon suggestive.— Avec joie.Alors qu’il s’installait confortablement sur le canapé, je me penchai pour débuter ma fellation.

Lorsque son sexe fut raide entre mes lèvres, je perçus sa main, du coin de l’œil, qui récupérait montéléphone. Je m’immobilisai un instant, ce qui me valut un regard sombre de sa part :

— Poursuivez, mademoiselle. Ne m’obligez pas à vous punir, aujourd’hui. Votre cul ne s’en

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remettrait pas.Je recommençai à le sucer plus rapidement, sentit un nœud se former dans mon estomac lorsque

sa voix reprit :— Bonjour John, c’est Simon. Je suis désolé, Annabelle n’est pas en état de te parler pour

l’instant, mais je me disais que ce serait plus simple si tu t’adressais directement à moi. Ah ! Et pourla culotte, tu peux la garder en souvenir. Je la préfère sans, de toute façon.

J’étouffai un rire devant ces mots, regrettai de ne pas entendre la réponse de John, mais au peuqui résonnait du haut-parleur, je sus qu’il haussait le ton. Simon dut percevoir le mouvement de mabouche qui s’étirait, car il tapota le dessus de ma tête :

— Mieux que ça, Annabelle. Pardon John, tu sais comment elle est. Impatiente et un peucaractérielle… bon, où est-ce qu’on en était ? Ah, je me souviens ! Si tu veux lui parler, ce sera enma compagnie. Et sur un terrain neutre. Dans un café, par exemple.

Mes lèvres allaient bon train et pendant que Simon restait silencieux, je m’appliquai à lui faireperdre la tête, ne serait-ce que pour faire rager John. Alors que je percevais sa voix, au loin, Simonsoupira bruyamment, plus que d’habitude, avant de chuchoter à mon intention :

— Vilaine ! Ça tu vas me le payer !Il tourna la tête pour ne plus me voir et tenta de se concentrer sur la conversation en cours :— Pardon John. Tu disais ? Ah, oui, je connais ce café. Seize heures ? Je n’y manquerai pas.

Nous y serons tous les deux, bien sûr. C’est ça. À demain. Au revoir.Il raccrocha et malgré mes gestes répétitifs, je lui envoyai un regard curieux pendant qu’il jetait le

téléphone plus loin, sur le canapé. Devant mon geste empli de curiosité, il plissa les yeux :— Accélère, j’ai envie de jouir.Je fronçai les sourcils, ce qui le fit sourire, mais pas céder. Il pointa sa verge du doigt :— Je te raconterai tout quand tu auras terminé.Impatiente, je me jetai sur lui, entrepris de le rendre fou et ce, en quatrième vitesse. Il ne tenta pas

de me résister, ce dont je lui fus reconnaissante. Quand il éjacula en répétant mon nom, j’attendisqu’il relâche mes cheveux pour me relever, m’installai à ses côtés, sur le canapé. Je ne lui laissai quepeu de temps pour se remettre de ses émotions :

— Alors ? Tu vas me dire ce qu’il a dit ?Il souffla et chassa la torpeur qui l’animait avant de tourner la tête vers moi :— Il paraissait surpris de mon appel. Je crois qu’il espérait que tu rappliques pour récupérer ta

culotte.J’affichai un sourire qui ne masquait pas une certaine fierté.— On doit le rencontrer demain après-midi. D’ici là, il aura probablement un autre plan en tête.

Connaissant John, ça ne va pas nous plaire.Le peu de joie que je venais de gagner s’évapora sur le champ. Pour me rassurer, Simon passa

une main derrière mon dos et me ramena contre lui, posa un baiser rapide sur ma bouche :

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— On est ensemble, pas vrai ?— Oui.— Tu seras sage ?— Oui, dis-je avec une moue désagréable.J’hésitai, puis je lui reposai la question :— Tu ne vas pas me donner à lui ?— Je ne sais pas. Et j’apprécierais que tu ne me poses plus la question.Même s’il formulait sa phrase de façon douce, je compris que c’était un ordre et je pinçai les

lèvres d’agacement, ce qui le fit aussitôt réagir :— Annabelle, je ferai ce qui est le mieux pour toi. N’en doute jamais.— John n’est pas bon pour moi.— Et pourtant, tu t’es précipitée chez lui pas plus tard qu’hier.Je reculai sur le canapé, avec une vive envie de bouder. Allait-il me reprocher mon erreur

jusqu’à la fin des temps ?— Si c’est pour me le remettre sous le nez chaque fois qu’on en parle, on aurait peut-être dû se

séparer, sifflai-je.Simon m’empoigna par le bras et me força à revenir contre lui, son visage tout près du mien :— Je fais ça pour nous, Annabelle. Et si tu ne me fais pas confiance, il ne fallait pas accepter de

devenir ma soumise.— Je te fais confiance ! protestai-je.— Si tu me fais confiance, alors tu dois obéir aveuglement à mes demandes. N’est-ce pas ce que

tu faisais pour John ?Ses paroles me blessèrent et devant la façon dont je serrai les dents, il le remarqua. Avant que je

ne retrouve mon calme, il insista :— Si tu veux changer d’avis… il est encore temps.J’expirai bruyamment par le nez et dus me faire violence pour retenir mon éclat de voix :— Va chercher ce fichu contrat qu’on règle la question une bonne fois pour toute.— Annabelle…Je le fusillai du regard pour le faire taire, puis baissai la tête devant ma propre réaction. De toute

évidence, les derniers mois avaient été profitables : Simon avait tout fait pour que je ne sois plus unesoumise et force m’était de constater qu’il y était parvenu. Et maintenant ? Maintenant, j’avais enviede lui arracher les yeux ! Pourtant, il avait raison sur une chose : si je l’avais fait pour John, jepouvais le faire pour lui. Et je le ferais.

— Pardon, m’empressai-je de dire. Tu as raison. Je lui faisais aveuglément confiance et je feraila même chose avec toi. Je te le promets.

Avec une grimace ironique, j’ajoutai :

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— Même si c’est loin d’être facile…Malgré mon ton, il ne perdit aucunement son sérieux :— Aimerais-tu y réfléchir encore un peu ?— Non.Devant son incertitude visible, je relevai des yeux tendres vers lui :— Être à toi est la chose que je souhaite le plus en ce monde, Simon. Je te prie de me croire.Il pinça ma joue et reposa un autre baiser sur ma bouche :— Ça, c’est joli à entendre.— Je t’aime. Ça te plaît de l’entendre, aussi ?Il éclata de rire et je me retrouvai contre lui, dans une étreinte qui n’en finissait plus, sa bouche

dans mes cheveux :— J’adore ces mots-là, avoua-t-il.— Moi aussi.Tout devint silencieux jusqu’à ce que je rassemble mes pensées et que je dise :— Ce n’est pas facile de redevenir une soumise. Même si c’est la tienne.— Je sais. Et si ça peut te consoler, ce n’est pas de tout repos d’être ton Maître !Il recommença à rire et sa légèreté me ravit. Par contre, quand il chercha mon regard, son visage

retrouva un air sombre :— Demain, il faudra que tu saches prouver à John que tu es vraiment ma soumise. Tu me laisseras

parler et tu ne t’emporteras pas, quoi que je dise, d’accord ?Je pinçai les lèvres et chassai la moue boudeuse que j’avais envie de faire avant de hocher la

tête :— D’accord, promis-je.— Une confiance aveugle, tu te souviens ?— Oui. Je ferai ce qu’il faut.— Bien…Il retrouva son sourire et claqua ma cuisse en me poussant hors du canapé.— Maintenant, allons vérifier si tu es aussi docile que tu le prétends. Au lit, mademoiselle !Pour une fois, je ne me fis pas prier pour obéir !

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Le choix de Simon

Lorsque nous arrivâmes au café, John était déjà là. Calme et impassible, comme toujours. Simons’installa et me pointa la chaise à sa droite où je pris place avec précaution, surtout pour éviter degrimacer sous la douleur qui persistait toujours sur mes fesses.

— Je suis content de vous voir. Tous les deux, précisa-t-il en posant son regard sur chacund’entre nous.

La main de Simon se posa sur mon genou, d’abord pour me rassurer, mais également pour meramener à l’ordre si je m’emportais. Celle de John se leva pour appeler le serveur, puis il nousquestionna du regard :

— Qu’est-ce que je vous offre ? Du vin ?Ses yeux se posèrent sur moi et son sourire se confirma :— Rouge pour toi ?Je ne répondis pas. Je me contentai de vérifier du côté de Simon qui hocha la tête :— Deux verres de blanc.— Aux dernières nouvelles, Annabelle préférait le rouge, se moqua John.— Ce sera du blanc, trancha de nouveau Simon.Je ne dis rien et je me contentai de baisser la tête, tel que Simon me l’avait recommandé. Selon

lui, il ne servait à rien de me disputer, de m’emporter ou d’entamer des pourparlers avec John. Nousn’avions qu’un seul but en tête : écouter ce qu’il avait à dire et ficher le camp au plus vite.

— Ainsi, Annabelle t’est soumise ? questionna John à la seconde où le serveur s’éloigna de notretable.

— C’est exact, confirma Simon.— Intéressant. Je suis content pour toi. J’espère qu’elle ne te donne pas trop de fil à retordre.

Depuis le temps, elle a probablement oublié deux ou trois petits trucs…Avant que je ne relève la tête, Simon serra mon genou pour me rappeler de ne rien dire. Je

soufflai discrètement et laissai mon Maître prendre la parole à ma place :— Bien, nous sommes là, alors… si tu nous disais ce que tu veux ?— Quelle impatience ! rigola John. Attendons au moins que le vin arrive !Simon chercha le serveur du regard, retint mal son air de soulagement lorsqu’il revint avec nos

verres, mais avant de réitérer sa demande, John prit l’usage de la parole :— Puisque tu es pressé, alors voilà : comme Annabelle t’est soumise et que j’ai à faire avec elle,

nous aurons deux points à traiter, toi et moi.Le doigt de John fit un aller-retour entre Simon et lui, comme s’il cherchait à m’exclure de la

conversation. Devant mon froncement de sourcil, il me toisa avec un air de reproche :

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— N’oublie pas que tu es seule responsable de cette situation.J’écarquillai les yeux de colère et les doigts de Simon se raffermirent sur mon genou, ce qui

m’obligea à détourner la tête. Évidemment, John se remit à rire :— La soumission te va tellement bien Annabelle. M’est avis que ton Maître a fort à faire avec toi,

ces jours-ci.Faisant mine de ne rien avoir entendu, je récupérai mon verre de vin et avalai une petite gorgée

avant de fixer un point imaginaire loin de lui.— Simon, sois gentil, laisse-là s’exprimer, tu veux ?— Annabelle n’a rien à te dire, John. Pas vrai, ma jolie ?Je tournai la tête vers Simon en lâchant un « hum ? » innocent, puis je me ravisai :— En fait, j’ai une question.J’attendis que Simon me donnât la permission de poursuivre avant de reporter mon attention sur

John, laissant paraître un petit sourire sur mes lèvres :— Tes fesses sont-elles encore sensibles ?Au lieu d’être choqué, son rire résonna, puis il hocha la tête :— Les fesses, ça va, mais j’avoue que tu n’y es pas allée de main morte dans le bas du dos.— Je sais, admis-je avec un air ravi.Son sourire se raffermit sur moi :— Je te redonnerais volontiers quinze coups supplémentaires si cela ramenait ma bouche entre

tes cuisses, ma jolie.Mon air joyeux se crispa et je serrai les dents pour ne pas avoir à lui répondre. Il ne fallait pas

que je laisse la colère rejaillir. Elle m’avait bien trahi, la dernière fois. Autant feindre l’ignorance.— Évidemment, ce n’est plus à toi d’en décider, aujourd’hui, alors avant que cela se reproduise,

il faut que je m’adresse à Simon. Voilà le premier point : je veux deux jours avec Annabelle.Il prononça ses mots avec fermeté, comme si cela lui était dû. Je fronçai les sourcils et tournai la

tête en direction de Simon en espérant qu’il refuse cette proposition en bloc, mais il resta calme etplissa les yeux sur John :

— Pourquoi je ferais ça ?— À ton avis ? Allons Simon, Annabelle a un problème, tu ne peux pas le nier.— Son plus grand étant qu’elle te déteste…— Bien sûr. C’est pour ça qu’elle est venue chez moi et est repartie après trois orgasmes ? Ils

étaient magnifiques, d’ailleurs.Je retins ma respiration et détournai à nouveau la tête, légèrement honteuse. Les doigts de Simon

appuyèrent sur mes genoux, mais je crois qu’ils se voulaient réconfortants.— Tu l’as piégée, dit-il enfin.John hésita, puis je le vis hocher la tête :

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— C’est juste, même si j’admets que je ne pensais pas qu’elle tomberait aussi rapidement dansma petite mise en scène. En passant…

Il fouilla dans la poche intérieure de sa veste et posa une carte mémoire d’appareil photo :— Ce qui est dû est dû. Voilà tes photos.Je faillis sauter sur la carte, mais Simon la récupéra plus rapidement que moi. Avec plus de

calme aussi. Pendant qu’il la rangeait, John reposa son regard sur moi, avec un air suffisant :— Je commence à croire que je te connais mieux que personne…— Je ne m’avancerais pas sur le sujet, le prévint Simon.John étouffa un rire :— Ne sois pas si mauvais joueur. Je te rappelle que j’ai beaucoup travaillé avec Annabelle. J’ai

appris à la connaître de différentes façons, à cette époque. Physiquement, bien sûr, mais également auniveau psychologique et littéraire. Comment aurais-je pu savoir qu’elle était l’auteure de ce texte,autrement ? Tu sais, celui qui se passe dans un restaurant ?

Simon tourna la tête vers moi et m’interrogea du regard. Sans un mot, je me sentis obligée debaisser les yeux, ce qui ne fit que raviver l’humeur de John :

— On dirait que ta petite amie a oublié de te parler de ce léger détail… — Tu pourrais te taire ? sifflai-je.Les doigts de Simon écrasèrent mon genou pour me ramener au silence et je claquai des dents

pour retenir le mécontentement dont j’étais habitée. Heureusement, une fois le choc passé, la voix demon Maître resta calme :

— Il est vrai que tu la connais bien. Peut-être mieux que moi dans le domaine littéraire, mais…— Pas que dans ce domaine, railla John.— Tu peux dire ce que tu veux, le coupa Simon. N’oublie jamais que tu l’as détruite. Et ne serait-

ce que pour cette raison, je ne vois pas pourquoi j’accéderais à ta demande.John se raidit et je ne masquai pas le sourire qui s’inscrivit sur ma bouche. Touché. Au moins,

Simon n’avait pas l’intention de céder et cela me remplissait de joie. J’anticipais déjà la tête qu’iltirerait quand nous repartirions.

— Tout d’abord, reprit John en chassant son air sombre, je n’ai pas l’intention de contredire surle sujet. Au contraire. Je dirais même que… c’est exactement pour cela que tu devrais me la confier.

Avant que Simon ne puisse placer un mot, il leva la main pour le faire taire et poursuivit :— Je veux aider Annabelle. Crois-moi, je ne désire que ça. Nous pouvons le faire de différentes

manières : avec une thérapie, ce qui peut prendre des années. Ou tu peux me la confier. Deux jours.— Deux jours ? répéta Simon avec un air ahuri. Tu es en train de me dire que tu peux guérir

Annabelle en seulement deux jours ?— Pas tout à fait guérie, mais disons… plus apte à accepter ce qu’elle est ? En tous les cas, je

sais comment purger toute cette colère qu’il y en a elle.— Quoi ? Tu vas la laisser te fouetter pendant deux jours ? questionna Simon, moqueur.

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— N’exagère pas ! se remit à rire John. De toute façon, je n’ai pas l’intention de discuter de sathérapie avec toi. Sache seulement qu’au bout de ces deux jours en ma compagnie, Annabelle seraune toute autre personne.

Cette fois, je ne pus m’empêcher de rétorquer, sèche et ironique :— Super, je vais redevenir une pute ! Quel excitant programme !La main de Simon me somma de me taire, mais John me répondit quand même :— Tu ne feras que ce dont tu as envie, Annabelle. Je ne t’obligerai à rien. À condition que ton

Maître te laisse libre de tes choix, il va sans dire…Avant que nous ne puissions réagir à ses paroles, il releva de nouveau la main pour conserver son

droit de parole :— Ce qui m’amène au deuxième point de cette rencontre.Son regard revint sur moi, puis se reporta sur Simon :— Sache que je suis prêt à tout pour la récupérer. Évidemment, je ne pense pas que cela puisse

arriver au bout de deux jours, mais je tiens quand même à t’en aviser. Je trouve que c’est… plus justeainsi.

— Je m’en doutais déjà, admit Simon.— Je sais. C’est pourquoi je ne vois plus de raison de te cacher mes intentions. La lutte sera plus

équitable si tu sais ce dont il retourne. Mais faisons les choses par étapes : d’abord, je guérisAnnabelle. Ensuite, je la récupère.

— Te voilà bien sûr de toi.John afficha un sourire confiant et hocha la tête :— Deux jours, Simon. C’est tout ce que je te demande. De samedi matin à dimanche après-midi,

ce qui est peu en comparaison à tous ces mois que tu as eus en sa compagnie. Après quoi, je prometsque je n’interviendrai plus. Annabelle sera libre. De son passé, d’abord, mais aussi de me choisir àta place.

Devant le silence qui s’installa, je tâtai machinalement la main de Simon, toujours crispée surmon genou. J’espérais que mon geste, dénué de paroles, l’implore de ne pas céder à sa requête.Probablement que John perçut son hésitation, car il insista :

— Sois réaliste. Tu sais qu’il reste toujours quelque chose entre Annabelle et moi. N’est-ce pasévident ? Les liens entre un Maître et sa soumise vont bien au-delà de l’amour, tu en es conscient,autrement, tu n’aurais pas fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. Deux jours, Simon, et tu en auras lecœur net. As-tu envie qu’elle traîne son passé indéfiniment ? Je peux l’aider. Et je le ferai. Aprèsquoi… il y a effectivement un risque que tu la perdes. Mais veux-tu réellement la garder dans cesconditions ?

Ma main écrasa les doigts de Simon. Tant pis pour le rôle de soumise auquel j’étais confiné, jem’entendis répondre :

— Il ne me perdra jamais. Je suis à lui, maintenant.John me fit taire d’un simple coup d’œil dans ma direction :

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— Dois-je te rappeler que tu n’as plus voix au chapitre, Annabelle ? Simon, tu as deux choix :soit tu cèdes et tu en as le cœur net, soit tu refuses et tu ne sauras jamais la valeur de votre union.

Un silence passa durant lequel tout le monde but une longue rasade de leur verre de vin. Sauf moi.Je ne cessais plus d’effectuer de légères pressions sur les doigts de Simon pour le supplier ne pasaccéder à la requête de John.

— Deux jours ? répéta Simon.Le sourire de John, déjà triomphant, me donna la nausée.— Deux jours, confirma-t-il. À condition que tu rendes les pleins pouvoirs à Annabelle et qu’elle

accepte de suivre cette thérapie.— Et ensuite ?— Ensuite, si Annabelle décide de retourner avec toi, vous n’entendrez plus jamais parler de

moi. Ni toi ni elle. En revanche, si elle souhaite revenir avec moi, tu devras accepter sa décision.Exaspérée, je bondis sur mes jambes :— Tout ceci est ridicule !— Annabelle, assis, ordonna Simon en pointant ma chaise.— Je ne veux pas y aller ! insistai-je.Le visage de Simon se releva vers moi et il me fusilla du regard :— Oserais-tu me désobéir ?Il était visiblement furieux que je le fasse devant John. Troublée, je laissai mes jambes se plier et

grimaçai quand mes fesses revinrent sur ma chaise. Je ne pus croire qu’il songeait sérieusement à melaisser entre les mains de John et je fis un effort démesuré pour ne pas lui arracher les doigts pourl’en empêcher.

— Et si tu lui faisais plus de mal que de bien ? s’enquit Simon au bout d’un long moment.— Je crains fort que ce soit impossible, dit-il en soupirant. Je vais simplement l’aider à se

débarrasser de ses vieux démons. Fais-moi confiance, je sais ce que je fais.Je détestai la certitude qui émanait de ses paroles, mais de toute évidence, j’étais la seule. Ce fut

long et, hormis moi, personne ne s’impatienta. Mes yeux se fermèrent avant que Simon n’ouvre labouche. Ses doigts sur mon genou s’étaient mis à me caresser doucement. Tristement. Et sa tête avaitconfirmé bien avant que ses mots résonnèrent dans l’air :

— Deux jours. Après quoi, je ne veux plus jamais entendre parler de toi.Quand j’ouvris les yeux, John peinait à ne pas paraître triomphant et tendait la main pour sceller

cet accord :— Deux jours et Annabelle sera définitivement libre de moi. Sauf si elle décide de me revenir,

évidemment…— J’ai confiance en elle, accepta Simon en serrant les doigts de John.— Oh, mais moi aussi. Moi aussi, mon ami.J’aurais voulu m’emporter, mais le choix de Simon venait de m’assommer. Autant laisser une

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tonne de briques me tomber sur la tête. Je gardai les yeux rivés sur la table pendant que John prenaitcongé, serrai les dents lorsqu’il s’adressa à moi :

— À samedi, Annabelle.

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La peur au ventre

Je boudai pendant tout le trajet du retour. À quoi bon être soumise à Simon s’il me donnait à Johnà la première occasion ? Il cherchait à me punir, forcément ! Autrement, je ne voyais aucune raisonpour qu’il m’abandonne de la sorte !

Nous n’avions pas dit le moindre mot depuis notre départ du café et ce n’est qu’une fois à lamaison, alors que je m’enfermai dans la salle de bain, qu’il frappa doucement à la porte :

— Annabelle, il faut que tu comprennes…— Je ne veux rien savoir. En ce moment, c’est toi que je déteste !Une hésitation plus tard, je haussai le ton en frappant le rebord du comptoir d’une main lourde :— Et je n’irai pas, compris ? Je ne peux même pas croire que tu me fasses une chose pareille !— Annabelle, sors de là immédiatement, ordonna-t-il.— Non !Il frappa plus fort sur la porte et grogna :— Sors ! Tu n’as décidément rien compris !Je ne sortis pas, mais j’ouvris la porte, les yeux rougis de colère, mais avant même qu’il ne dise

le moindre mot pour justifier sa conduite, je m’emportai :— Tu veux me punir, c’est ça ?— Ça n’a rien à voir, dit-il tout bas.Il tenta de toucher mon visage, mais je reculai. J’étais à bout de nerfs et je n’arrivais plus à

comprendre l’homme dont j’étais tombée amoureuse. À qui je venais de me soumettre, en plus ! Direque j’avais fait cela uniquement pour qu’il me protège de John !

— Comment peux-tu m’envoyer là-bas ? finis-je par lui demander.— Je le fais pour nous.— Pour nous ? répétai-je, le souffle court. Autant me ficher à la porte… ou me quitter ! Dis donc

la vérité : tu veux te venger de ce que j’ai fait !Je le repoussai pour quitter la salle de bain, mais à peine tentai-je d’accéder à la chambre qu’il

me retint par le bras :— Tu vas m’écouter, oui ?— Je ne veux rien entendre ! Je ne veux pas aller chez John ! Tu le savais et tu as quand même

accepté de m’y contraindre ! Avoir su que ma soumission impliquerait cela…— Quoi ? s’écria-t-il à son tour. Dois-je comprendre que John pouvait te donner à n’importe qui,

mais que moi je ne peux pas t’offrir à un homme que tu as aimé ? Aurais-tu préféré que je t’offre à unparfait inconnu ?

Choquée par ses propos, je gueulai :

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— Oui ! Je préfère encore baiser la moitié des hommes de cette ville plutôt que me sentir prise aupiège avec John ! Dire que je pensais que je pouvais te faire confiance…

Je me sentis fendre en deux. Je craquai comme si mes os venaient de me lâcher, tombant à genouxdevant lui. Je me mis à pleurer comme une idiote en secouant la tête :

— Je ne veux pas faire ça. Ne me demande pas ça. S’il te plaît…Simon me rejoignit sur le sol et me serra contre lui. Très fort. Et pourtant, sa voix dans mes

cheveux résonna doucement :— Annabelle… tu dois arrêter de fuir. Je veux que tu l’affrontes, tu comprends ? Cesse de le

craindre ! Tu dois arrêter de lui donner autant de pouvoir sur ta personne. Il n’en a aucun ! Ou alors ilen a trop. Je ne sais pas. C’est à toi de le découvrir.

Comme je continuai à pleurer, il insista :— Je veux ce qu’il y a de mieux pour toi, Annabelle, même si je dois te perdre. Est-ce que tu

comprends ce que je dis ?Je grimaçai, mais comme il ne pouvait me voir, je relevai la tête pour le fusiller du regard, me

mis à trembler devant son regard humide. Soudain, je compris que je n’étais pas la seule à avoirpeur. Simon n’avait pas pris cette décision à la légère, mais à choisir, j’aurais préféré qu’il ne laprenne pas du tout.

— Je ne veux pas, répétai-je dans un souffle.— Tu es forte, Annabelle. Passe ces deux jours avec lui, fais tout ce qu’il veut, purge-toi de lui,

baise-le jusqu’à ce que tu n’en aies plus envie et puis… reviens-moi. N’oublie pas ce qu’il a dit : il apromis de ne plus intervenir dans ta vie.

— Comment t’as pu le croire ? C’est forcément un piège !— Peut-être, mais je préfère t’envoyer là-bas et me dire que ce sera la dernière fois plutôt que de

craindre que tu me quittes à tout moment.— Je n’ai pas l’intention de te quitter ! m’énervai-je. Et je ne crois pas que tu aies besoin de ça

pour t’en assurer !Je fermai les yeux, étourdie. J’avais envie de pleurer, de vomir, de lui faire une crise

monumentale, mais mon corps ne réagissait plus. Il était écrasé d’un poids imaginaire. Le poids denotre avenir. Et cette fois, je craignais qu’il ne parte en fumée.

— J’ai confiance en toi, Anna. Non : j’ai confiance en nous. Quand tu reviendras, on reconstruirace qu’il reste de nous et cette fois, on sera débarrassé de lui. Pour de bon.

Ma tête se remit à refuser, mais les bras de Simon se raffermirent autour de moi et il insista,encore et encore :

— Tu ne dois pas te sentir coupable. C’est moi qui t’envoie là-bas. Et ce n’est pas une punition.S’il te plaît, crois-le. C’est une chance, Annabelle. La chance de te libérer de lui. Ou de découvrir cequi vous lie. Je ne sais pas exactement ce qu’il a prévu pour toi, mais je suis certain que ça ne vaudrajamais ce qu’on a vécu, tous les deux.

— Évidemment ! sifflai-je. Comme si j’avais besoin d’y aller pour savoir ça !

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Sa main se posa sur ma nuque et je compris qu’il cherchait à forcer la rencontre de nos regards :— Promets que tu ne te défileras pas.Je grognai :— Tu ne sais pas ce que tu me demandes.— Je te demande de régler cette histoire une bonne fois pour toute. Suis-je si exigeant ?Je détournai la tête en grimaçant :— Oui.— Annabelle, je sais que notre relation est plus saine que tout ce que John pourra t’offrir. Si je

t’envoie là-bas, c’est parce que je sais que tu me reviendras. Parce que tu finiras par comprendre queJohn ne te mérite pas. Tu m’aimes, pas vrai ?

Je le fusillai du regard :— Bien sûr que oui !— Alors prouve-le. Vas-y et finissons-en avec cette histoire.Mon ventre se serra :— Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Tu veux que je couche avec lui !— Bon sang, Annabelle ! Je n’ai que faire de ton corps si ton cœur m’appartient, quand vas-tu le

comprendre ? Je préfère cent fois que tu couches avec lui en sachant que ton cœur est à moi plutôtque l’inverse.

Ses paroles auraient été douces à entendre si sa requête n’avait pas été si exigeante. Malgré moi,j’étouffai un sanglot :

— Si tu m’aimais, tu ne me demanderais pas ça.— C’est justement parce que je t’aime que je te demande ça, me contredit-il. Parce que je veux

que notre histoire fonctionne, Annabelle. Je veux que tu sois complètement mienne.— Mais je suis à toi !— Cesse de mentir. Toi comme moi, on sait que ce n’est pas vrai et j’aurais dû m’en rendre

compte bien avant. Depuis le début, nous traînons le souvenir de John et de ta soumission dans notrecouple. Aujourd’hui, j’ai compris qu’il avait raison et qu’il était temps de régler votre histoire pourque la nôtre puisse s’épanouir.

Ses paroles me dégoûtaient et pourtant, je ne pouvais pas protester. C’était de ma faute si nous enétions là. J’avais cédé à John et maintenant, Simon doutait de nous. Dans tous les cas, j’étais coincée.Pour John, j’avais couché avec des gens que je ne connaissais pas ! Pourquoi ne pouvais-je pas fairela même chose pour Simon ? Ne méritait-il pas davantage ? Que je me jette à ses pieds, que je luidemande de faire tout ce qu’il voulait de moi ? N’avais-je pas promis de lui faire aveuglémentconfiance, après tout ?

Malgré ses tentatives pour me rassurer, j’essuyai ma joue trempée :— Je vais te perdre. Je le sens.— Jamais, Annabelle. Je t’en fais la promesse. Ou alors c’est toi qui ne voudras plus de nous.

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Je secouai la tête. Comment pouvait-il dire une chose pareille ? Mes mains cherchèrent lessiennes et les écrasèrent de toutes leurs forces :

— Simon… j’ai peur.— Je sais. Et c’est une bonne chose que tu ne prennes pas cette histoire à la légère. Tu connais

John. Tu sais que tu ne dois pas le sous-estimer.— Je ne le ferai pas, promis-je.Il libéra ses doigts des miens pour caresser ma joue, arborant un sourire confiant sur ses lèvres :— J’ai confiance en toi, Annabelle. Tu me reviendras et notre couple sera plus fort que jamais.

Tu entends ce que je dis ?Je hochai la tête en essayant de ne pas me remettre à pleurer, mais j’échouai lamentablement. Au

bout de trois secondes, je me jetai à son cou en pleurnichant :— Je ne te mérite pas. Pourquoi tu ne me chasses pas ? Pourquoi tu nous obliges à vivre ça ?— Parce que je t’aime. Et parce que je sais que nous sommes plus forts que ça.Je ne répondis pas, mais quelque part au fond de moi, j’espérais que Simon soit sincère dans ses

propos. Et moi, je savais que j’allais puiser ma force en lui pour surmonter cette épreuve. Etpourtant, j’avais peur de craquer et de m’enfuir de chez John en courant. Si c’était le cas, allait-iljamais me le pardonner ?

— Deux jours, Annabelle. Après quoi, nous nous retrouverons. Je te le promets.— D’accord, soufflai-je en tremblant.— Aie confiance, insista-t-il.Je hochai la tête contre la sienne, mais je n’étais pas certaine d’être honnête dans mon geste.

Avoir confiance en sachant que John allait chercher un moyen de me piéger ? C’était trop difficile.Comment pouvait-il en exiger autant de ma personne ? Lorsque ma respiration retrouva un rythmerelativement normal, Simon se détacha de moi et reprit la parole :

— Que les choses soient claires, Annabelle. Je ne veux pas que tu y ailles parce que tu m’essoumise et que je te le demande, mais de ton propre gré.

Sans ses bras autour de moi, je me sentais nue et je laissai mes fesses se reposer sur mes pieds,dans une position peu encline à la soumission, mais drôlement plus confortable. Je ne répondis pas,incapable de lui dire que j’étais prête à me rendre chez John par ma volonté.

— Et si tu y vas, insista-t-il, tu dois te soumettre à John comme il l’entend. Tu dois jouer le jeu,Annabelle, autrement tout cela n’aura servi à rien. Tu comprends ce que je dis ?

— Oui, dis-je simplement.Il me scruta longuement, comme s’il attendait quelque chose de moi, mais comme je restai

silencieuse, il demanda :— Le feras-tu dans ces conditions ?Je ne fus pas certaine d’être honnête lorsque je répondis, mais je tentai de l’être :— Oui. Je ferai ce que tu veux.

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Son étreinte m’emprisonna de nouveau et j’étouffai d’autres sanglots. Tendrement, Simon répéta :— Tout ira bien. Je te le promets. Aie confiance, Annabelle.Pendant qu’il essayait de me rassurer, j’angoissais déjà au plan machiavélique que m’avait

réservé John. Si Simon avait confiance, moi, je ne le pouvais pas. La peur me rongeait de l’intérieur.Alors que je profitais de son étreinte, Simon se détacha et pointa la chambre du regard :— Puisque tu viens de dire que tu ferais ce que je veux, retire ces vêtements et va te mettre au lit.Mes précédentes craintes me hantaient toujours et j’eus du mal à me relever, mais alors que

j’étais en direction de notre chambre, il reprit :— Anna ?— Hum ?— John aura deux jours. Nous en avons cinq.Je feignis un sourire, mais il était baigné de larmes.— Avant de te donner à lui, c’est à moi que tu vas te soumettre, ma belle. Et crois-moi, quand

j’en aurai fini avec toi, il pourra faire ce qu’il veut de toi, mon nom sera gravé sur chaque pore de tapeau.

Enfin, je retrouvai un air moins sombre.— Après ces deux jours, nous aurons toute la vie, dit-il enfin.— Tu me le jures ?— Je te le jure, confirma-t-il en opinant de la tête.Je chassai le souvenir de John et retrouvai plus d’entrain pendant les derniers pas qui me

séparaient de la chambre. Hors de question que nous perdions les cinq jours qui suivaient en nouslamentant sur mon sort. Je n’allais pas laisser John me séparer de Simon. Jamais.

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La soubrette

Je rentrai du travail, épuisée. Il m’avait fallu rattraper le retard de vendredi dernier, expliquer àLena que tout allait bien, que j’avais « simplement » fait une crise monumentale à John, ce qui étaitbien en-deçà de la vérité. Tant pis. Je me voyais mal lui dire que j’avais baisé avec lui, surtout qu’ilsvenaient tout juste de rompre.

En attendant le retour de Simon, je me servis un verre de vin quand mon regard accrocha un sacsur le canapé du salon. Intriguée, je m’en approchai et remarquai l’écriture de mon amoureux, bien envue, sur le dessus :

« Ce soir, tu porteras ceci et rien d’autre. Je serai là à 8 heures ».Si j’eus d’abord une réaction contrariée devant sa requête, la curiosité eut vite fait de ma raison.

Je me jetai sur le canapé et ouvrit le sac en espérant y trouver une tenue sexy, fut choquée en ytrouvant un costume de soubrette ridicule. Il n’était quand même pas sérieux ? Allait-il m’obliger àfaire le ménage ? Était-ce là le Maître que j’avais choisi ? Vidant mon verre, je jetai un œil nerveuxsur l’heure : il ne me restait que deux heures pour me préparer. Autant s’y mettre tout de suite.

Après un nettoyage rapide de la cuisine et de la chambre, juste au cas où il m’y destinait, je prisune douche et entrepris de revêtir ma tenue de soirée. Je ne devais porter que ça ? Le haut, un bustier,mettait ma poitrine en évidence. La jupe était courte, ne masquait en rien les bas retenus par un porte-jarretelle, et était relevée par une crinoline qui piquait désagréablement mes fesses.

J’attachai mes cheveux et ajoutai l’espèce de petit chapeau sur ma tête. J’avais l’air ridicule etc’était probablement l’intention de Simon. Devant le miroir, je vérifiai les positions que je pouvaisprendre sans que l’on voie mes fesses, puis je fis l’inverse. Autant s’assurer que mes postures soientaguichantes à souhait si je voulais que Simon me retire ces habits le plus rapidement possible.Prenant le plumeau d’une main, j’éclatai de rire devant mon reflet, puis je le fis passer sur mapoitrine en arborant un large sourire. Il était doux. La seule chose que j’avais envie d’épousseteravec lui, c’était mes fesses !

Finalement, ce n’était pas si mal. Un peu ridicule, certes, mais prometteur. Lorsque le tempsafficha près de huit heures, je m’empressai d’aller me positionner au salon, terminai de ranger etattendit. Dès que Simon entra, je me précipitai à sa rencontre et l’aidai à retirer son manteau enfaisant fi de son air moqueur sur ma personne.

— Monsieur a-t-il passé une bonne journée ?— Pas mal. Mais je suis content d’être rentré. Qu’est-ce qu’on mange ?Je le questionnai du regard, un peu troublée par sa question. En général, il apportait le repas du

restaurant ou il me faisait la cuisine. Me demandait-il de la lui faire, ce soir ?— Je crois que… qu’il reste… des pâtes, bredouillai-je.— Ça ira. Je vais me détendre au salon. Pouvez-vous m’apporter un verre de vin en attendant ?— Tout de suite, monsieur.

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Je l’observai s’éloigner et s’installer dans le canapé sans se soucier de ma présence, non sans enêtre légèrement contrariée. J’avais espéré que le jeu serait plus… sexuel. Il m’avait vraimentreléguée dans un rôle de soubrette ?

— Mademoiselle ? s’impatienta-t-il.— J’arrive !Je me précipitai à la cuisine, sortis les pâtes, un reste de fruits de mer, du vin blanc et de la

crème. Au moins, j’avais de quoi lui préparer un bon repas. J’allai lui servir un verre qu’il récupérasans m’accorder la moindre attention, les yeux rivés sur le téléviseur, puis je me remis à la tâche. Dixminutes plus tard, je posai un plat sur le comptoir :

— Monsieur est servi.— Ah ! Ça tombe bien, je meurs de faim !Il s’installa devant son plat, me fit remplir son verre avant de pointer le sol à sa gauche :— Attendez ici, je vous prie.Je contournai le comptoir et vins m’agenouiller sur le sol, en position de soumise, non sans

retenir la déception qui s’inscrivit sur mon visage. Il me fallait admettre que je n’appréciais pasbeaucoup ce genre de jeux, surtout que la partie agréable se faisait lourdement attendre. Sans compterque j’avais faim, moi aussi. Avoir su qu’il me confinerait dans ce rôle, j’aurais grignoté un peu avantson arrivée…

— C’est délicieux, Annabelle. Je vois qu’on se débrouille bien en cuisine. Peut-être devrais-jevous laisser préparer le repas, certains soirs de semaine ?

J’hésitai à répondre, puis hochai légèrement la tête sans relever les yeux vers lui :— Comme il vous plaira, monsieur.Il poursuivit son repas en silence et je sus qu’il en avait terminé lorsqu’il repoussa son plat sur le

comptoir.— Débarrassez et venez me rejoindre au salon, voulez-vous ?Je me redressai, un peu gauche, m’exécutai pendant qu’il retournait s’installer dans le canapé,

devant la télé. Allait-il donc me faire languir toute la soirée ? Une fois à ses côtés, il tendit la main :— Votre plumeau. Donnez, je vous prie.Un peu piteuse, je repartis à la cuisine pour me saisir du plumeau, revint le poser dans la paume

de sa main et observai Simon le bouger dans les airs avec un air satisfait.— Je l’ai choisi avec soin, vous savez ? N’est-il pas joli ?— Il est très joli, monsieur, dis-je sans trop savoir ce qu’il attendait de moi.Ses yeux se posèrent sur moi :— Vous aussi, vous êtes bien jolie, comme ça.Je fis mine de lui faire une révérence :— Je suis heureuse de vous plaire, monsieur.À l’aide du plumeau, il ordonna, en le faisant tourner devant lui :

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— Tournez que je vous regarde.Je fis un tour complet et il me fit signe de recommencer. Une fois dos à lui, il ordonna :— Restez ainsi.Je m’arrêtai et, déjà, le plumeau s’insinuait entre mes genoux pour remonter caresser mon

entrejambe de façon peu subtile. Il utilisa l’objet pour relever ma jupe et tapoter doucement mesfesses à l’aide des plumes. C’était agréable et j’avais envie de me pencher vers l’avant pour luifaciliter la tâche, mais il ne l’exigea pas.

— Mon cadeau vous plaît-il, mademoiselle ? me questionna-t-il en remettant le plumeau entremes cuisses et en remontant très fort sur mon sexe.

— Bien… il est… original, dis-je prudemment.— Je voulais que vous vous souveniez de votre promesse…Il continuait à tapoter mon sexe entre mes cuisses et je me retins de ne pas m’écarter davantage

pour qu’il puisse accéder à mon clitoris. Soudain, le jeu me parut très agréable…— Quelle est cette promesse, mademoiselle ?Alors qu’il posa la question, le plumeau donna un coup plus ferme et me fit sursauter de plaisir.

Je fermai les yeux en essayant de retrouver mes esprits, mais il se remit à bouger d’avant en arrière,ce qui obligea ma croupe à suivre son mouvement.

— Euh… je…— Vous avez déjà oublié que vous feriez n’importe quoi pour moi ? dit-il sur un ton réprobateur.— Non, monsieur… n’est-ce pas… ce que… je fais… là ?Je me retins de gémir et, pour éviter de me balancer, je serrai les mains devant moi.

Malheureusement, le mouvement délicieux entamé par Simon cessa et il retira le plumeau d’entre mescuisses. Derrière moi, je l’entendis humer les plumes, puis sa voix résonna, satisfaite :

— Hum… après cinq ou six séances… ces plumes seront bien parfumées, mademoiselle.Penchez-vous que je vérifie votre état…

J’obéis, me penchai vers l’avant en évitant de tomber comme une idiote avec ces talons. Simoncaressa ma cuisse, glissa deux doigts dans mon sexe qui me parut plus sensible que d’habitude, puisil se retira.

— Vous êtes bien délicieuse. Je ne vous dis pas à quel point vous m’excitez.— Oh monsieur, vous aussi ! admis-je, la gorge sèche.— Bien. Tournez-vous.Une fois face à lui, il délaissa le plumeau et me tendit un coussin décoratif avec un regard amusé :— Pour vos genoux. Ils sont sensibles, n’est-ce pas ?Je pris et serrai l’objet contre moi en bredouillant :— Euh… oui.— Posez-le sur le sol. Je serais très heureux que vous m’offriez votre bouche.J’étouffai un rire et laissai tomber le coussin entre ses jambes déjà ouvertes pour m’accueillir :

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— Je vous l’offre avec plaisir, monsieur.Une fois à genoux, je me dépêchai d’ouvrir son pantalon et trouvai sa verge, bien dure, en attente

de mes soins. Je la caressai sans masquer le plaisir que cela me procurait, mais il parut s’impatienteret sa main se posa sur ma nuque pour guider ma tête vers son sexe. Je le glissai entre mes lèvres etrepoussai ses jambes de mes mains pour y avoir un meilleur accès. Je fis de longs mouvements,laissant ma langue se frotter le plus longuement possible sur son gland, ce qui le fit tressaillir autroisième passage. Même les yeux fermés, je connaissais si bien son corps que je pouvais deviner sescontractions ventrales et je me régalais de la façon dont il retenait son souffle pour éviter de jouirtrop rapidement.

Je sus que je menais la danse lorsqu’il chercha à serrer mes cheveux et qu’il s’accrochamaladroitement au chapeau ridicule qui ornait ma tête. Impatient, il le repoussa et empoigna la masseretenue par un élastique :

— Seigneur, tu vas me rendre fou, souffla-t-il.Il semblait avoir oublié nos rôles et ne retint plus ses râles. Son bassin se soulevait à mes

passages et je ne le fis pas languir plus longtemps, j’accélérai jusqu’à ce qu’il m’explose en bouche,les doigts se retenant à mes cheveux et un cri libérateur dans mes oreilles.

Quand j’en eus terminé avec lui, je reculai et pris une position de soumise, mais je profitai de sonétat somnolent pour l’observer du coin de l’œil. J’adorais le voir ainsi, affalé, l’esprit embrouillé,bien qu’il aurait été bien plus joli complètement nu. Quand il retrouva l’usage de la parole, il fit minede se redresser sur le canapé et me jeta un air ravi. Je crois qu’il força un peu la note pour retrouverun ton ferme :

— Allez me préparer un bain, voulez-vous ?Je me redressai, lui refis une sorte de révérence :— À vos ordres, monsieur.Alors que je me dirigeais vers la salle de bain, il reprit :— Oh, mais vous n’avez pas fini de recevoir mes ordres, mademoiselle.Je fis couler le bain, mais à peine me relevai-je que Simon apparut derrière moi :— Retirez mes vêtements, dit-il sans attendre.— Bien, monsieur.M’attaquant aux boutons de sa chemise, je ne tardai pas à la faire tomber sur le sol. Je défis son

pantalon qu’il avait remis, le fit glisser le long de ses jambes et lui retirai ses chaussettes. Il mesuivait du regard, m’offrit la main pour m’aider à revenir à la verticale et je ne la refusai pas.

— Retirez ce chapeau. Je veux toucher vos cheveux.Sans le quitter des yeux, je l’ôtai, ravie de défaire ma tignasse qu’il avait bien emmêlée avec ses

doigts. Sa main les caressa, puis revint sur ma croupe. Enfin, ses doigts retournèrent entre mescuisses pour jauger de l’état de mon sexe et s’y promenèrent avec aisance pendant que je retenaismon souffle.

— Quelle humidité, mademoiselle.

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— Je suis… toujours prête pour vous, monsieur, chuchotai-je, lourdement excitée par sescaresses.

— C’est bien ce que je constate…Il me relâcha, me contourna pour entrer dans le bain en me laissant là, le bas-ventre en feu. À

peine pus-je retrouver mes esprits qu’il ordonna encore :— Venez me nettoyer.Expirant pour essayer de retrouver une respiration normale, je m’installai sur le rebord du bain,

entrepris de le savonner en caressant sa peau offerte à mes soins. Qu’il était beau ! J’avais envie deme laisser tomber à ses côtés pour lécher l’eau qui ruisselait sur son torse alors que je le rinçais.J’avais envie de m’enduire la poitrine de savon pour me glisser contre lui. Pendant une seconde, jem’arrêtai pour l’admirer et je dus admettre qu’il y avait fort longtemps que je n’avais été aussiexcitée. Devant mon hésitation, il releva les yeux vers moi :

— Un problème, mademoiselle ?— Je… non. Est-ce que… vous voulez… vous lever pour que… je nettoie le bas de votre corps ?— Non. Non, je crois que je vais le faire, dit-il en me reprenant la savonnette des mains. Mettez-

vous à quatre pattes et masturbez-vous.Je le fixai un instant avant de m’entendre dire :— Je… pardon ?— Je crois que vous avez très bien compris, mademoiselle, me gronda-t-il avec un air amusé,

mais puisque vous insistez, je serai un peu plus clair : placez-vous à quatre pattes, votre joli petit culvers moi, et avec une main, vous allez vous caresser jusqu’à ce que vous atteignez l’orgasme. Est-cesuffisamment précis pour vous ?

Ma main était restée figée vers lui et je reculai jusqu’à ce que je me retrouve sur le sol. Bonsang ! J’étais choquée par sa requête ! C’était à la fois Simon et un autre homme qui se trouvait là,dans cette baignoire que nous avions partagés des centaines de fois. Il m’avait pourtant vu jouir d’untas de façons, même alors que je me masturbais, alors pourquoi cela me gênait-il autant ?

— Dépêchez-vous, me somma-t-il.Je me positionnai selon ses désirs, à quatre pattes, les fesses relevées vers lui. D’une main sur

mon sexe, je commençai à me caresser, un peu troublée de ne pas voir son visage. Je percevais lebruit de l’eau, signe qu’il continuait de se laver pendant que j’étais là, dans cette position et cecostume ridicule, à me caresser pour son bon vouloir.

— Je vous pensais plus excitée, mademoiselle, grogna-t-il devant le peu de réactions que j’avais.Mettez-y plus de cœur, voulez-vous ?

— Je… oui, monsieur.Fermant les yeux, j’allai lubrifier mes doigts en imaginant qu’il s’agissait de ceux de Simon, puis

retournai caresser mon clitoris en priant pour que l’orgasme m’atteigne rapidement. Comment perdrela tête alors que j’ignorais ce qui se passait derrière moi ? J’aurais tout aussi bien pu être seule !

— Vous êtes fort jolie comme ça, dit-il dans un léger rire.

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Sa main trempée releva ma jupe et caressa ma croupe. Déjà, mon envie de jouir pour lui revint enforce. Je m’écartai davantage les cuisses, fit danser ma croupe sous ses doigts en me caressantlascivement. Des plaintes franchirent mes lèvres et elles furent bien accueillies par mon Maître :

— J’ai très envie de vous, mademoiselle, admit-il.— Oh monsieur, prenez-moi !— Pas maintenant. Je veux vous voir jouir. Plus vite vous en finirez avec votre tâche, plus vite

votre joli petit cul sera mien.Son doigt caressa le pourtour de mon anus en signe de promesse. Une vague de chaleur me

submergea et mon sexe se détrempa aussitôt. La course de mes doigts sur mon clitoris fut plus ferme.Autant en finir avec cette plaisanterie pour que le corps de Simon me prenne ! Il aimait me voir jouir,il allait être servi ! Je me cambrai dès que le plaisir se fit sentir entre mes cuisses. Simon avait déjàenfoncé son doigt en moi, ce qui n’avait fait qu’accélérer le processus qui me menait à l’orgasme. Jerugis, reculai pour le sentir plus profondément, perdis la tête si rapidement que son doigt avait reprissa liberté et qu’il sortait du bain.

— Enfin ! chuchota-t-il en se plaçant derrière moi.Son corps me poussa vers l’avant. J’étais encore perdue dans ma petite jouissance quand il me

sodomisa, les mains sous ma jupe, me tirant vers lui. J’émis un cri de douleur qui ne le fit pas ralentirsa course. De toute façon, celui-ci se transforma rapidement en gémissements de plaisir. Je le sentaispressé. Et je l’étais tout autant. Dans cet habit de soubrette, j’étais complètement sienne et,étrangement, je l’étais peut-être plus encore que si j’avais été nue.

— Annabelle, je veux t’entendre hurler de plaisir, grogna-t-il derrière moi.— Oh oui ! dis-je dans un cri.Je le laissai me transporter, bruyamment, vers l’orgasme. De toute évidence, il était aussi excité

que je l’étais de notre petite mise en scène. Quand ma conscience s’évapora et que la sienne merejoignit, je me laissai choir sur le carrelage froid. Drôlement agréable sur ma chair chaude. Uneminute passa, puis Simon me claqua une fesse en riant :

— J’adore ce costume !— Moi aussi, marmonnai-je en soupirant d’aise.Mon estomac gronda, ce qui le fit éclater de rire. Puis il se retira d’entre mes cuisses et me

claqua à nouveau une fesse :— Allez, au bain maintenant ! Tu meurs de faim ! Je vais te chercher quelque chose à manger…D’un trait, les rôles venaient de disparaître. Nous étions redevenus Simon et Annabelle. Je me

débarrassai de mon costume et me laissai glisser dans le bain chaud en savourant toujours mondernier orgasme.

Dire que la nuit ne faisait que commencer…

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Les amoureux

Toute la semaine, Simon se plaisait à organiser de petits jeux de rôle pour pimenter notre viesexuelle, mais également pour me rappeler que j’étais sienne et que je lui devais obéissance. Celaétait loin d’être évident. Nous avions des mois de relation où j’avais été sa reine et voilà que jedevais me plier à sa volonté, parfois contre mon gré. Pourtant, même s’il m’arrivait de grimacerdevant ses exigences, hors de question que je me plaigne. En comparaison, Simon était un Maîtredoux et même s’il prenait un malin plaisir à me déstabiliser, il terminait toujours par me faire perdrela tête. Autant dire que je gagnais à tous les coups.

Alors que je me préparais à rentrer du travail, il me téléphona :— Qu’est-ce que tu portes ? me demanda-t-il sans préambule.— Euh… mon costume gris.— Avec ta jupe ?— Oui. Pourquoi ?— Retire ta culotte et viens me rejoindre au restaurant.— Quoi ? Maintenant ?Je ne fus pas certaine qu’il entendit ma question puisqu’il me raccrocha la ligne au nez. Il voulait

que je le rejoigne à son restaurant ? Une fois la surprise passée, je souris et passai à la salle de bainpour lui obéir. Cette fois, j’anticipai déjà la scène : dans son bureau, prise contre sa porte ou sur sonpetit meuble. Qu’importait où, l’important c’était de le sentir en moi. Je conduisis vite, déjà en proieà une vive excitation.

Quand il m’aperçut, il quitta la cuisine et fit signe à l’un de ses employés qu’il s’absentait. Ilretira son tablier et vint plaquer un baiser rapide sur ma bouche :

— Salut toi. Tu as faim ?— Euh… plutôt oui, dis-je en espérant qu’il perçoive le type de faim qui m’animait.— Viens.Il me tira en direction de la salle à manger et me fit prendre place à une table avant de s’assoir

devant moi. Je le fixai sans comprendre, jetai un œil craintif autour de moi : la salle était bondée.Alors qu’il me tendait un menu, je dis à voix basse :

— Je ne suis pas sûre que… que ce soit… une bonne idée.— Tu crois ça ? se moqua-t-il. Je croyais que tu avais faim ?— Bien…Mes doigts tordirent ma jupe sous la table, un peu déçue du type de repas auquel il me conviait,

mais déjà, il tapota le menu du jour du bout de son index :— Je te suggère les moules. J’ai eu un bel arrivage, ce matin.

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— D’accord, dis-je sans grand enthousiasme.Faisant signe au serveur, Claude surgit de je ne sais où et se positionna à côté de notre table :— Salut les amoureux ! Vous avez fait votre choix ?— Une bouteille de picpoul et deux plats du jour. Demande à Charlotte de relever la sauce un

peu.— Bien chef !Il repartit aussi prestement qu’il était arrivé et Simon se mit à jouer avec la cuillère à dessert, me

questionna à voix basse, sans relever les yeux vers moi :— Avez-vous suivi mes ordres, mademoiselle ?Mon corps se raidit devant ses paroles qui instauraient le début du jeu. Quoi ? Ici ? Nerveuse, je

déglutis et chuchotai à mon tour :— Bien sûr, monsieur.Il fit danser l’ustensile devant lui en hochant la tête d’un air satisfait :— C’est bien. Je suis content. Tu es très docile, Annabelle, mais je n’en attendais pas moins de

toi.Lorsqu’il passait du vouvoiement au tutoiement, je ne savais jamais s’il désirait jouer ou s’il me

testait. Par précaution, je poursuivis le jeu :— Vous servir est à la fois un honneur et un plaisir, monsieur.Soudain, je me demandais si, en l’aguichant un peu, il céderait à mes charmes. N’avions-nous pas

le temps de nous éclipser en douce dans son bureau pendant qu’on préparait notre repas ?Le vin arriva. Déjà ? Ma parole, avait-il demandé à tout le monde de se dépêcher ? Je bus une

longue gorgée et découvris que j’avais la bouche sèche. Devant sa mise en situation, je ne savais pasà quoi m’attendre et je détestais cela.

— Il te plaît ? Le vin ?— Il est très bien, dis-je, même si je n’étais déjà plus certaine de me remémorer son goût.— Es-tu excitée, Annabelle ?Alors que mon regard papillonnait dans la salle à dîner, je revins sur lui, une étrange sensation de

crainte au fond du ventre :— Bien… un peu, finis-je par répondre.— Juste un peu ? Si tu trempais un doigt dans ta chatte, est-ce qu’il serait mouillé ?Je me retins de fermer les yeux, mais ma respiration s’emballa. Quoi ? Il me demandait de faire

ça ici ?— Je crois que…qu’il serait mouillé, finis-je par répondre en sentant l’excitation qui me gagnait.— Fais-le donc. Je voudrais m’en assurer.Je me sentis prise d’un vertige et ma main se posa sur le rebord de la table pour que ma

conscience se raccroche à la réalité. Je lui jetai un regard anxieux :

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— Simon… tu n’es pas sérieux ?— Refuserais-tu d’obéir ? me questionna-t-il en haussant un sourcil.Je sursautai et secouai aussitôt la tête, légèrement troublée par son ton autoritaire. Ma main

disparut sous la table, glissa sous ma jupe en évitant de jeter le moindre regard autour de nous. Trèsvite, j’insérai mon doigt dans mon sexe et le lubrifiai avant de le tendre vers lui, les joues rouges dehonte, en essayant de camoufler mon geste en cachant ma main du côté de la table où il n’y avaitpersonne.

— Trempez ce doigt dans votre verre et portez-le à ma bouche, dit-il en affichant un airmalicieux.

Mais c’est qu’il s’amusait ! J’obéis, trempai mon doigt dans le vin et m’avançai vers lui un peurapidement. Il retint ma main qui se dirigeait vers sa bouche, la plaça sous son nez et en huma l’odeuravant de lécher mon doigt de sa langue chaude. Un peu choquée, je fronçai les sourcils et dis,incapable de me retenir :

— Monsieur, vous m’excitez !— Et vous m’en voyez ravi.Il repoussa ma main que je portai à ma bouche, moi aussi, en lui lançant un regard de feu. Si nous

avions été seuls, je l’aurais remis entre mes cuisses pour le rendre fou, mais je n’avais visiblementpas besoin de ça pour le troubler.

— Si vous m’invitiez dans votre bureau, monsieur ? le suppliai-je en arborant une moueboudeuse.

— Plus tard, promit-il. Pour l’instant, j’ai très envie de vous faire goûter ce plat du jour. Je suissûr que vous allez l’adorer.

— J’aime tout de vous, monsieur, dis-je en lui décochant mon plus beau sourire.Il se pencha vers moi et reprit ma main pour l’embrasser de façon sensuelle :— L’inverse est tout aussi vrai, mademoiselle.Mon cœur s’emballa. J’étais folle de lui, pourquoi ne le voyait-il pas ? Soudain, tout le reste de

cette salle disparut de ma tête. J’avais envie de me jeter sur lui et de le faire mien. Cette attente merendait dingue !

— Quel regard vous portez sur moi, dit-il dans un soupir remplit d’envie. Si vous me disiez àquoi vous pensez ?

— Je pense que je suis follement amoureuse de vous, monsieur, et qu’il me tarde de vous leprouver.

Je léchai ma lèvre inférieure pour lui démontrer ce que j’avais en tête et mes cuisses se serrèrentsous la table. À peine eut-il le temps de me répondre que nos plats apparurent devant nous.

— Voilà, les amoureux ! Bon appétit !Je relevai difficilement les yeux vers Claude pour le remercier d’un sourire figé et j’eus un peu

de mal à me concentrer sur mon repas, mais déjà, Simon semblait pressé que j’y goûte :— Vas-y, j’ai hâte de savoir ce que t’en pense !

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Un peu triste de le voir revenir au repas en cours, je mangeai deux moules et une poignée de fritesavant de forcer un sourire sur mes lèvres :

— C’est très bon.— Je trouve aussi. T’as vu comme l’estragon relève bien le goût de la sauce ?Je m’impatientai en fortifiant mon regard sur lui :— C’est sur toi que je voudrais manger cette sauce !La moule à mi-chemin entre son plat et sa bouche, il me fixa en souriant, visiblement heureux,

puis se lécha les lèvres :— Quelle idée appétissante ! confirma-t-il avant de détacher le mollusque avec sa fourchette pour

l’enfouir dans sa bouche.Je suivais ses gestes avec attention, comme si je n’arrivais pas à le quitter des yeux.— Tu devrais manger, me conseilla-t-il en posant un regard moqueur sur moi.— Tu devrais mettre des nappes plus longues à ces tables, grondai-je.Il caressa le tissu d’une main, dans un geste lent et hautement sensuel, avant de froncer les

sourcils :— Pourquoi ? Je les aime bien, ces nappes, moi…— Si elles étaient plus longues, je pourrais me mettre à quatre pattes et te dévorer la queue

pendant que tu manges au milieu de tous ces gens.— Et tu crois que personne ne remarquerait que la magnifique jeune femme devant moi à

disparu ?— Je pourrais être aux toilettes, dis-je sans réfléchir.Il réfléchit en caressant sa lèvre du bout de son index. Visiblement, je l’avais mis en appétit et ce

dont il avait envie ne se résumait plus à ces satanées moules !— Puisque tu n’as pas faim, commença-t-il, pourquoi tu ne te masturberais pas sous cette jolie

nappe ?Mon corps se raidit et se recula sur la chaise. En face de moi, Simon scrutait ma réaction autant

que je détaillais la sienne. De toute évidence, il était sérieux ! Je n’osai pas le contrarier, mais devantmon hésitation, il reprit, non sans une pointe d’amusement :

— Dois-je l’ordonner, mademoiselle ?— Je… non, monsieur.Ma main droite disparut sous la table et j’avançai ma chaise le plus proche possible de lui pour

m’assurer que le tissu me cachait davantage. Mon pied chercha le sien quand je laissai mes doigtsrevenir entre mes cuisses et je me caressai lentement, un peu par crainte de perdre la tête devant toutle monde.

— Vous voilà bien silencieuse, mademoiselle, dit-il en riant.Je me concentrai sur ma respiration, inspirai, expirai, un peu troublée de la chaleur qui m’animait

et de la vitesse à laquelle je sentais le plaisir se faufiler dans tous les pores de ma peau.

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Devant moi, Simon poursuivait son repas en jetant régulièrement un regard intéressé dans madirection. Même si je me forçais à ne pas jouir devant lui, il me fut rapidement de plus en plusdifficile de masquer l’envie qui me prenait.

— Vous avez de fort jolies joues, mademoiselle, dit-il en léchant sa fourchette devant moi.Avant que je ne puisse lui répondre, je sursautai lorsque Claude se planta de nouveau à nos

côtés :— Alors ? C’est à votre goût ?— C’est très bon, répondit Simon en ne me quittant pas des yeux.— Et toi Anna ? Tu ne manges pas ? Ça ne te plaît pas ?Je cessai de m’activer sur mon clitoris et me raclai la gorge :— Oui, oui. C’est délicieux, bredouillai-je en portant plusieurs frites à ma bouche.Claude nous resservit du vin avant de repartir et Simon étouffa un rire :— Je vous en prie, poursuivez, mademoiselle.Malgré la gêne qui me tenaillait, je ne me fis pas prier pour reprendre mes caresses, soudain

doublement excitée de lui donner entière satisfaction.— On ne pourrait pas… terminer ce repas… dans ton bureau ? chuchotai-je, à bout de souffle.— N’est-ce pas là l’un de tes fantasmes, Annabelle ? Ça ne te rappelle rien ?Me demandait-il vraiment de réfléchir ? Maintenant alors que je peinais à rester présente dans ce

fichu restaurant ? Je le fixai avant de sursauter :— Mon texte !— Enfin ! Évidemment, si c’était moi qui te caressais, il y a fort longtemps que tu aurais étouffé

un cri dans cette serviette, se moqua-t-il.Juste à imaginer ses doigts sur moi qu’une vague de plaisir me submergea de nouveau et ma main

libre se mit à serrer le rebord de la table.— Comment vas-tu jouir au milieu de tous ces gens ? me questionna-t-il, visiblement intrigué par

la situation.Je ralentis et le fixai, un peu perplexe :— Tu ne vas pas… enfin, je veux dire… tu comptes… m’arrêter… avant que… ?J’avais de plus en plus de mal à parler, mais il secoua la tête :— T’arrêter ? Pourquoi est-ce que je ferais cela ? Si tu voyais le magnifique spectacle que tu

m’offres…Ses pieds se refermèrent sur l’un des miens et sa main le récupéra pour le coincer sur sa cuisse. Il

me déchaussa, se mit à masser le bas de ma jambe en reposant un regard de feu sur moi :— Jouis pour moi, Annabelle.Je fermai les yeux avant de murmurer :— J’avais peur que tu dises ça.

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— Ne me dis pas que tu n’en as pas envie, dit-il en arborant une moue faussement contrariée.— Oh, mais j’en ai envie, le contredis-je en tentant de ne pas m’emporter, mais pas ici !Ses mains repartirent sous la nappe pour caresser mon pied. Mon sexe se tordait de désir et

attendait la suite de mes gestes avec impatience. Je jetai un œil autour de nous, retournai memasturber et agrippai la serviette, prête à l’écraser contre mes lèvres lorsque je ne pourrais pluscontenir mes gémissements. Autant en finir et vite ! Je repris mes petites secousses, fortementinspirée par les mouvements de Simon sur mon pied. On aurait dit qu’il me dictait un rythme et je lesuivis docilement. Sous un délicieux spasme, mon corps se tendit vers l’avant et je m’arrêtaiquelques secondes.

— Dans notre chambre, une bien jolie musique serait sortie de votre bouche, mademoiselle,soupira-t-il.

Je ne répondis pas. Je n’avais ni le temps ni le souffle nécessaire pour le faire. Je ravalai mesgémissements en essayant d’oublier les gens autour de nous. Mon sexe criait famine, bien plus encoreque mon estomac, et je ne pouvais même plus m’empêcher de me toucher. J’aurais été bien embêtéequ’il me dise d’arrêter, d’ailleurs ! J’étais tout près et je voulais y parvenir. Les doigts de Simongriffèrent ma cheville, comme s’il cherchait à déclencher l’orgasme à ma place :

— Maintenant, ordonna-t-il.Étrangement, mon corps lui obéit. Je serrai les cuisses, écrasai mes doigts sur mon clitoris qui se

mit à convulser sur le champ. Malgré sa poigne, mon pied reprit sa liberté un peu brusquement et mongenou se cogna sous la table. Très vite, la serviette se retrouva sur mes lèvres alors que j’essayais deretenir le cri que je ravalais depuis plusieurs secondes. Penchée vers la table, je me mis à toussoter,à bout de souffle, pendant que je reprenais mes esprits.

De l’autre côté de la table, Simon se pencha et me tendit mon verre de vin :— Bois un peu, ça ira mieux.Boire ? Alors que tout mon corps était en feu ? Je relevai un visage que je savais bien rouge vers

lui, mais comme je n’avais pas encore le plein contrôle de ma voix, je me jetai sur mon verre que jevidai d’un trait. Lorsque je le reposai, je devins confuse en apercevant les marques que mes doigtsvenaient de laisser autour de ma coupe et entrepris de les essuyer avec ma serviette, non sans arborerun air honteux.

Visiblement amusé par le spectacle, Simon jeta sa serviette sur la table et fit signe au serveur derevenir vers nous :

— Tu peux nous mettre ça dans un plat pour emporter ? Annabelle est fatiguée. On terminera toutça à la maison.

— Ah les amoureux ! dit-il en riant. Un petit repas bien au chaud sur le canapé ? Je ne vous blâmepas ! D’ailleurs, Simon, ça m’étonne que tu l’aies invitée ici. Tu passes déjà le plus clair de tontemps dans ce resto !

Il sourit sans lui répondre et je crois que Claude comprit qu’il nous embêtait. Dès qu’il s’éloigna,je jetai un regard perdu en direction de Simon :

— Pourquoi pas… dans ton bureau ? m’entendis-je lui demander, soudain impatiente de me jeter

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sur lui.— Parce que j’ai envie de te faire hurler. Et pas qu’un peu, dit-il en affichant un sourire rempli de

promesses.Je me tortillai pour me rechausser et replacer ma jupe, mais je ne me fis pas prier pour le suivre

hors du restaurant.

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Un goût de paradis

Les jours passaient vite. Trop vite. Même si nous évitions d’en parler, le nom de John résonnaitconstamment dans ma tête, sachant que j’allais bientôt devoir me rendre chez lui et accepter de mesoumettre à sa volonté pendant deux jours. À chaque instant, j’imaginais que Simon revienne sur saparole, qu’il me supplie de ne pas y aller ou, dans le scénario le plus romantique, qu’il m’emmène àl’autre bout du monde, là où j’étais certaine que John ne me retrouverait plus.

À certains moments, j’aurais voulu que le temps passe plus lentement et, à d’autres, j’avais hâteque tout soit enfin terminé.

Le vendredi, alors que je rentrais du travail, il s’accrocha à ma main et me tira en direction de lachambre :

— Qu’est-ce que tu fais là ? demandai-je, surpris de le voir à la maison— J’ai changé mon horaire. Je travaille demain au lieu de ce soir.— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Je serais rentrée plus tôt !— Parce que j’avais besoin de temps pour tout préparer…Il me poussa dans la chambre où des tas de chandelles avaient été allumées autour du lit et je

restai figée sur le seuil, le cœur lourd devant son attention.— Trop romantique ? me questionna-t-il.Je me tournai vers lui et secouai la tête, partagée par un tas de sentiments contradictoires.— Je peux te fouetter, si tu veux, proposa-t-il sur un ton empreint de moquerie, mais j’avais plutôt

prévu de… de vérifier que tu m’étais bien obéissante. Puis de te faire l’amour.Tentant de repousser l’émotion qui me gagnait de plus en plus, je soupirai :— Aurais-tu… une raison de douter de mon obéissance ?— Pas encore, non. Mais comme demain… tu vas devoir faire quelque chose pour moi…Je détournai la tête lorsque je compris là où il voulait en venir. Il cherchait à s’assurer que je

n’allais pas me défiler, moi qui n’avais qu’un seul désir, le convaincre de changer d’avis.— Annabelle, tu dois y aller, dit-il en retrouvant un ton plus ferme.— Je ne veux pas y aller. Est-ce qu’on n’a pas passé une super semaine, toi et moi ?— Oui, confirma-t-il en hochant la tête, et nous en repasserons une aussi belle, la semaine

prochaine. Et l’autre encore après.Ma gorge se serra et je déglutis avec difficulté en sentant poindre des larmes dans le coin de mes

yeux.— Anna, j’ai vraiment besoin que tu comprennes pourquoi j’ai accepté la requête de John.— C’est impossible. Je n’y arrive pas.Alors que je passais mon temps à garder mes yeux loin des siens, il me prit par les épaules et

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m’obligea à cesser de le fuir de la sorte :— Anna… j’ai hésité entre deux scénarios, ce soir. Le premier était de t’emmener dans un club

échangiste pour que tu sois prise par un parfait inconnu. Devant moi.Mes genoux se mirent à trembler et je m’accrochai à ses bras pour éviter de m’écrouler sur le sol.

Prise d’un vertige, je secouai la tête :— Seigneur, non !— Et tu m’aurais vu avec une autre femme, aussi. Je l’aurais baisée devant toi et tu sais

pourquoi ? Pour que tu voies que ça ne change rien entre nous. Je pourrais baiser cent femmes autresque toi Annabelle et je suis sûr que tu verrais que ça n’a rien de comparable avec ce que nousvivons, tous les deux.

À l’idée qu’une autre femme puisse le toucher, j’aurais dû me sentir jalouse, mais étrangement,cela me rassura. Pourquoi ne l’avait-il pas déjà fait ? Il me semblait que je partirais plus légère si jesavais qu’il pouvait m’être infidèle, lui aussi.

— Pourquoi tu as choisi ça, alors ? finis-je par lui demander en pointant une bougie au hasard.— Parce je vais te partager pendant deux jours et que ce soir… j’avais envie que tu sois à moi.

Mais si l’idée te plaît, peut-être qu’on ira faire un tour dans ce bar dans les prochaines semaines…Mes bras se nouèrent autour de son torse et je soupirai en écrasant mon visage contre lui :— Simon, je me sens… affreusement mal.— Pourquoi donc ? C’est moi qui t’envoie à lui, Annabelle. John n’est qu’un homme comme les

autres. Le seul pouvoir qu’il a, est celui que tu lui donnes. Ne l’oublie pas, veux-tu ?Au lieu de répondre, je soupirai encore, plus lourdement que jamais :— Pourquoi tu n’irais pas… à une soirée ou… quelque part ? finis-je par dire.Il ne dit rien pendant une longue minute, puis sa voix résonna contre ma tête :— Tu te sentirais mieux si je baisais une autre femme, c’est ça ?— Oui, admis-je tristement.Son soupir se fit lourd à son tour :— D’accord. Je trouverai une façon de passer le temps quand tu seras avec lui.Peut-être aurais-je dû me sentir plus légère, mais il n’en fut rien. Ce n’était pas de la jalousie, ni

de la culpabilité, mais une énorme boule d’angoisse qui me serrait la gorge. J’avais peur de céder àJohn, peur d’y prendre du plaisir et je refusais que Simon soit en reste.

— Tu mérites mieux que moi, chuchotai-je.— Annabelle… non, ne dis pas ça.Il me repoussa et tenta de me jeter un regard noir :— Je t’ordonne de ne pas dire ça, plaisanta-t-il tristement. Et de ne pas le penser non plus ! Je ne

me sens pas lésé, compris ? Et en réalité, j’avais plutôt envie de me reposer, demain soir. C’estque… ce n’est pas de tout repos avec toi, ces temps-ci…

Encore et toujours, il souriait, visiblement détendu de savoir que j’allais devenir la chienne de

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John. Pour ma part, j’étais en proie à lui faire une crise de larmes monumentale.Il me repoussa jusqu’à ce que je tombe assise sur le lit et s’agenouilla devant moi :— Qu’est-ce qui t’effraie ? Dis-le moi. As-tu peur qu’il retrouve le chemin jusqu’à ton cœur ?Je grimaçai de dégoût :— Ça n’a rien à voir ! J’ai peur qu’il nous brise, Simon, c’est de ça que j’ai peur ! Il va passer

son temps à me piéger, à s’imaginer que j’ai besoin de ses coups pour jouir alors que je n’en ai pasla moindre envie !

Il se remit à réfléchir, tellement longtemps que, pendant un moment, je crus qu’il allait céder à marequête et me permettre de ne pas m’y rendre, mais ses mots eurent vite fait de me ramener à l’ordre :

— Annabelle, j’ai besoin que tu le fasses. Besoin que tu replonges dans ton passé, que turetrouves ce que tu as aimé chez cet homme et que tu l’affrontes. Si ça te facilite les choses, essaied’oublier que j’existe.

Une larme coula sur ma joue et je gueulai en même temps que je l’essuyai :— Comment peux-tu me demander une chose pareille ?— Je te le demande parce qu’on ne passera jamais au travers de cette histoire si tu n’y mets pas

du tien. Tu l’as aimé et il reste quelque chose de cet amour-là en toi. J’en veux pour preuve la facilitéavec laquelle il t’a attirée dans ses filets, la semaine dernière. Cette fois, je ne veux pas que tu luirésistes. Je veux que tu plonges dans la relation qu’il va t’imposer et que tu la vives pleinement.Parce qu’après ces deux jours, c’est moi qui te reconquerrai, Annabelle. Il aura eu sa chance et je tepromets qu’il n’en aura pas d’autres, compris ?

Je hochai la tête, un peu sonnée par ce mélange contradictoire d’émotions qu’il suscitait en moi,puis mon esprit dérapa sur les boutons de ma chemise qu’il s’évertuait à détacher sans se presser :

— Puis-je avoir toute confiance en vous, mademoiselle ?Qu’il instaure le jeu, là, tout de suite, ne me rassura pas davantage, mais je ravalai aussitôt mes

larmes :— Je ne vous décevrai pas, monsieur, promis-je.— Je sais. Vous ne m’avez jamais déçue, Annabelle. Pas une fois, me certifia-t-il en plongeant

son regard dans le mien.Incapable de répondre, je grimaçai. Comment pouvait-il dire ça après ce que j’avais fait et après

ce que je m’apprêtais à faire ? Sa main empoigna mon sein et il parut agacé par mon soutien-gorge oupar mon attitude, car il me tira vers lui et me fit chuter du lit jusqu’à ce que je me retrouve dans sesbras :

— Je n’ai pas peur, Annabelle, tu vois ? dit-il en affichant un large sourire. Parce que j’aiconfiance en nous. Pourquoi tu n’as pas cette même confiance ?

Il continuait de me dévêtir pendant que je cherchais une réponse. La seule que je trouvai résonnaenfin :

— C’est en John que je n’ai pas confiance.— Alors ne crains rien. Il n’aura que deux jours, alors que moi, je t’aurai pour le reste de ma vie.

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Dis-toi que ça le rendra fou, parce qu’il aura échoué sur tous les plans…Je ne pus m’empêcher de rire, mais effectivement, si le plan de John ne fonctionnait pas, je

n’osais pas imaginer sa tête lorsque j’en aurais terminé avec lui.Une fois que mes vêtements furent retirés, Simon me plaqua dos au sol et se mit à lécher ma

poitrine de sa langue délicieusement chaude. Descendant vers mon sexe, il s’arrêta pour vérifierl’effet de ses gestes sur ma respiration, puis attendit que j’ouvre les yeux avant de poursuivre :

— Sois la femme la plus désirable, la plus vilaine, la plus excitante qu’il ait jamais vue, medemanda-t-il. Je veux qu’il goûte au paradis que tu es avant que tu me reviennes.

J’arborai un sourire ravi devant ces paroles, étonnamment charmée de son plan, à lui :— Vous êtes bien cruel, monsieur, dus-je admettre.— Voilà ce qu’il en coûte de toucher à la femme que j’aime.Sa bouche fila entre mes cuisses, me dévora jusqu’à m’arracher un cri auquel je m’abandonnai

avec joie, puis me mena à l’orgasme plus vite que je ne l’aurais cru. Décidément, ses mots m’avaientexcitée plus que je ne l’aurais cru. Empressé, il retira ses vêtements et enfonça son sexe en moi dansun grognement agréable. Ses mains bloquèrent chacun de mes gestes, puis il m’enlaça à m’en fairemal, forçant mon corps à accueillir ses coups de boutoir à chacune de ses plongées.

— Tu es à moi, Annabelle, répéta-t-il en me prenant.Je recommençai à jouir et me cambrai pour qu’il me prenne davantage. J’étais à lui, oui, et je

n’avais pas l’intention que John change quoi que ce soit à cet état de fait. Alors que je me gavais ducorps de Simon, je me délectais tout autant de son plan machiavélique. J’allais succomber à John etlui donner tout ce qu’il exigerait de moi. Après quoi, je reviendrais vers Simon, pure et libre, et iln’aurait plus jamais le loisir de m’avoir.

Juste à cette idée, mon corps se mit à vibrer en force sous les assauts de Simon.

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L’honnêteté

J’arrivai chez John à l’heure prévue, non sans ressentir une pointe de nervosité au fond du ventre.De toute évidence, il m’attendait, car il m’ouvrit la porte à la seconde où je fus devant. Qu’il soitvêtu d’un peignoir me fit déjà craindre le pire, mais je fis mine de ne pas le remarquer.

— Bonjour Annabelle, je suis content de te voir, m’accueillit-il.Je ne répondis pas et ne forçai aucun sourire à apparaître sur mes lèvres. Je m’étais promis d’être

sage, mais maintenant que j’étais là, cela m’était plus difficile que je ne l’aurais cru. Tant pis. Autantqu’il sache que je n’avais pas la moindre envie d’être en sa compagnie et que j’y étais contre mongré. Comme j’étais tenue de lui obéir, autant profiter du peu de lest que j’avais pour l’user à maguise. D’un pas lourd, je le suivis au salon et il pointa l’escalier qui menait aux chambres :

— Je ne pense pas avoir à te montrer où se trouve ta chambre. Tu n’as qu’à y laisser tes affaires.J’ai pris la liberté de déposer un peignoir sur le lit. Enfile-le. Tu n’auras qu’à redescendre quand tuseras prête.

J’eus envie de rétorquer que je ne serais jamais prête, mais j’étais surprise de son histoire depeignoir. En tant que soumise, n’étais-je donc pas tenue d’être nue ? Devant mon air intrigué, ilsourit :

— Mets le peignoir et reviens vite. J’ai une surprise pour toi.Ses paroles ne me rassurèrent pas et, avant de tourner les talons pour grimper l’escalier, je jetai

un œil rapide autour de moi. Rien n’accrocha mon regard. Si surprise il y avait, elle étaitprobablement au sous-sol. Quoique, à choisir, j’aurais préféré ne jamais y remettre les pieds.

Quand je redescendis, vêtue de mon peignoir, John ne me poussa pas au sous-sol, comme jel’avais craint. Il me fit simplement assoir sur son canapé et prit place à côté de moi :

— Comment te sens-tu ?— À ton avis ? demandai-je sèchement.— Je suppose que tu as connu de meilleurs jours, dit-il en ne paraissant pas troublé le moins du

monde par cette certitude. Je ne vais pas te mentir, Annabelle, ces deux jours ne seront pas de toutrepos, mais plus tu coopéreras, plus ce sera facile pour toi.

— C’est bon, John, j’ai promis à Simon que j’allais t’obéir, alors dis-moi ce que tu veux qu’onen finisse…

Malgré la colère que je laissais transparaître dans ma voix, je me mis à trembler en anticipant sapremière demande. Quand la main de John se posa sur la mienne, j’eus un geste de recul qui ne lesurprit pas, mais ses doigts ne relâchèrent pas les miens pour autant.

— Je ne vais rien te demander Annabelle, dit-il lorsque je relevai les yeux vers lui. Sauf unechose : d’être honnête. Si tu veux te libérer de ta colère, il faut que tu parviennes à me refaireconfiance.

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— Alors là, tu peux rêver !Il étouffa un rire et ses doigts s’éclipsèrent des miens :— Je te demande juste de me croire quand je dis que je peux t’aider. Et si ça peut te rassurer : je

promets de ne pas te demander de coucher avec moi.Je le fixai, un peu étonnée par ses propos. Il n’allait pas m’obliger à coucher avec lui ? J’avais du

mal à le croire ! N’était-ce pas pour ça qu’il m’avait piégée, après tout ?— Où est le piège ? lui demandai-je.— Le piège, Annabelle, c’est que si tu es honnête avec toi-même, tu verras que c’est toi qui auras

envie de coucher avec moi.Je réprimai un rire, mais ne retins pas mes mots :— Tu es fou !— Crois-tu ? Je ne te suis certainement pas indifférent puisque tu as cédé, la dernière fois.— Tu m’as piégée, lui rappelai-je.— C’est vrai, mais je te n’ai pas violée.Mon corps se raidit sur le canapé et je ne pus m’empêcher de hausser le ton :— À peine !John me pointa du doigt :— L’honnêteté, Annabelle. J’ai admis t’avoir piégé. Admets que tu avais envie de moi.— Ça n’a rien à voir ! J’étais folle de rage !Il se pinça le nez et souffla :— Décidément ! Nous n’arriverons à rien, comme ça !Je croisai les bras, agacée par sa façon de me prendre de haut, et jetai, en bloc :— Le fait est que Simon et moi, on baise comme des lapins depuis des semaines, ce qui fait que

j’ai les hormones en feu. Et toi, tu m’as poussée à bout ! Voilà la seule explication logique à ce quis’est passé, la semaine dernière.

Il conserva un regard impassible sur moi, puis au bout d’un moment terriblement long, il hocha latête :

— Soit. Admettons que ce soit vrai…— C’est vrai !D’un doigt levé, il me réduisit au silence :— J’ai dit : « admettons que cela soit vrai », peux-tu promettre d’être honnête avec moi pendant

ces deux jours ? Il va s’en dire que j’en ferai de même avec toi.— Bien sûr, raillai-je.— Tu ne me crois pas ?Je lui jetai le regard d’une adolescente en crise existentielle :— Que vaut ta parole, John ?

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— Elle vaut tout, Annabelle, trancha-t-il sans hésiter. Et si tu ne me crois pas, tu n’as qu’à poserune question et voir par toi-même si je mens.

Ma tête se mit en quête d’une question que je trouvai sans mal :— Dis-moi John, est-ce que tu te drogues ?Visiblement, je le surpris, car il toussota avant de poser un regard trouble sur moi :— Pardon ?Plus confiante, je repris :— Oh, je ne parle pas de drogues dures, tu sais ? Juste des petites pilules bleues. De celles qu’on

utilise pour renforcir la virilité…Dans la seconde, il se mit à rire à gorge déployée, puis hocha la tête à répétition :— Ah ! Lena ! Je me doutais bien qu’elle avait jeté un œil dans ma pharmacie ! Eh bien…

puisque tu veux tout savoir, ça m’arrive, admit-il.Peut-être aurais-je dû ne pas paraître aussi surprise, mais je le fixai sans comprendre, espérant

qu’il m’en dise davantage sans que je n’aie à poser de questions supplémentaires. Quand il lecomprit, il n’en parut pas choqué outre mesure et poursuivit, en baissant le ton, comme s’il souhaitaitme faire une confidence :

— Dans les soirées, il arrive qu’on ait plus ou moins envie de certaines personnes… autant éviterde blesser les autres, tu ne crois pas ?

J’aurais aimé ne pas avoir une réaction aussi étonnée, mais ma bouche s’ouvrit d’elle-même, et ilne se gêna pas pour se moquer de moi :

— Mademoiselle, je vous choque !— Non ! me braquai-je.— Honnêteté, Annabelle…Je laissai redescendre mes épaules, soudain tendues vers le haut, avant de concéder :— D’accord. Peut-être que ça m’étonne un peu…— Bien ! Je suis content !Ses paroles paraissaient sincères et je le fixai sans comprendre.— Je suis content que tu sois honnête, évidemment. Pour ce qui est de ces petits cachets bleus, tu

n’as aucun souci à te faire : aucun homme sain d’esprit n’en aurait besoin avec toi.Son rire recommença et je ne fus pas certaine de la réaction que je devais avoir devant sa

confidence. Devais-je en être flattée ou suspicieuse ? En avait-il eu besoin pour Lena ? Soudain,tellement de questions me flottaient dans la tête auxquelles je refusai de songer. De toute façon, il ycoupa rapidement court :

— Puis-je avoir ta parole, Annabelle ? Peux-tu me promettre d’être honnête avec moi en touteschoses pendant les prochains jours ?

— Je peux essayer, dis-je prudemment.— Je suppose que c’est de bonne guerre, rigola-t-il, nullement surpris par mes réserves. Ah, et

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pour le principe, sache que je m’octroie le droit de t’ordonner une ou deux petites choses, mais c’estseulement une précaution supplémentaire. Advenant le cas où tu ne serais pas coopérative, parexemple…

Lorsque je fronçai les sourcils, il se justifia aussitôt :— Si cela peut te rassurer, aucun de ces ordres n’impliquera le sexe.Je crois que, depuis le début de notre conversation, je passais mon temps à le fixer sans croire

réellement à ce qu’il me disait. Il se gardait le droit de me donner des ordres qui ne touchaient pas audomaine sexuel ? Mais alors… que pouvait-il demander hormis cela ? Tout compte fait, je ne savaisvraiment plus ce que cette séance en sa compagnie me réservait… ni ce que Simon en penseraitlorsque je rentrerais…

— Tu parais surprise, constata-t-il.— Oui.L’admettre me parut moins pénible que je ne l’aurais cru. Heureusement, il n’exigea pas de savoir

ce à quoi je m’attendais. La réponse m’aurait gênée, car j’étais persuadée que son plan consisterait àessayer de me soumettre jusqu’à ce que je redevienne son Annabelle…

Et ça, c’était hors de question.— Cette question étant réglée, reprit-il, passons à une autre. Plus délicate, cette fois.Un silence passa avant qu’il ne se décide à la poser :— Depuis la dernière fois que tu es venue, as-tu l’impression d’avoir libéré un peu de ta colère à

mon égard ?Par son ton amical, je fus légèrement consternée qu’il me parle de cette séance de fouet comme

s’il s’agissait d’un sujet on ne peut plus banal. Qu’espérait-il que je réponde ? Devant mon airconfus, il insista :

— Dis la vérité, c’est tout ce que je demande.— Je suis toujours en colère après toi, affirmai-je.— Autant qu’avant ? Et est-ce à cause du piège que je t’ai tendu la semaine dernière ou cette

colère est-elle plus profonde ? Provient-elle toujours de ce que je t’ai fait subir en tant que soumise ?Sous son regard, j’avais la sensation de ne pas arriver à réfléchir calmement à sa question, mais

il ne lâcha pas prise pour autant :— Selon toi, où se trouve la source de ta colère ? De mon manquement en tant que Maître ? Du

fait que je n’ai pas su te protéger correctement ? Du viol que tu as subi ? Ou peut-être de la trahisondont tu as cru être victime ?

Je serrai les dents pour essayer de conserver mon calme. Je compris ce qu’il cherchait àaccomplir par cet interrogatoire : à raviver ma colère. J’étouffai le cri qui chercha à remonter dansma bouche et secouai la tête :

— John… tout ça… qu’est-ce que ça change ? C’est tellement loin !— Pas si loin, apparemment. Dois-je te reparler de ces coups de fouet dont tu m’as si gentiment

gratifié ? Et encore, je ne parle pas du reste.

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— Arrête.Je déviai mon regard loin du sien. De toute évidence, ça ne le troublait pas outre mesure d’avoir

été roué de coups.— Annabelle, tout ce que je veux savoir, c’est… pourquoi m’as-tu frappé ? Précisément.Mes yeux revinrent sur lui :— Je te rappelle que tu l’as bien cherché !— Je sais ce que j’ai fait pour y parvenir et le but recherché par la manœuvre, mais toi, à quoi

pensais-tu lorsque tu me frappais ? Si tu y réfléchis bien, Annabelle, ce sont là deux desseins trèsdifférents.

— Je ne peux pas croire que tu as fait tout ça uniquement pour coucher avec moi ! sifflai-je.— Ta réponse est réductrice, mais si tu réponds correctement à la mienne, je répondrai à la tienne

avec toute l’honnêteté que tu es en droit d’exiger de ma personne.Mon corps se raidit sur le canapé :— Je n’exige rien de ta personne, John. C’est là toute la différence entre toi et moi.Malgré l’acerbe de ma réplique, il continua de sourire et continua d’insister :— Cesse de te défiler. J’exige une réponse.Comme il ne semblait pas avoir la moindre envie de changer de sujet, je replongeai dans mes

souvenirs, finis par retrouver ma colère de la semaine dernière, alors que je le rouais de coups. Jen’aimais pas la femme que j’étais devenue lorsque John m’avait réduite au néant. Ni tout ce qu’ilm’avait fait perdre. Et pourtant, même si c’est lui qui avait subit ma colère, je réalisai que ce n’étaitpas contre lui qu’elle était dirigée.

— J’étais… en colère contre moi, avouai-je, non sans être troublée de ce fait.— Pourquoi cela ?— Parce que… je n’aurais pas dû te faire confiance. Parce que je savais que cette relation allait

me détruire et j’ai quand même choisi de m’y jeter corps et âme.— Mais tu étais bien en colère contre moi, aussi, non ? insista-t-il.Je haussai les épaules, mais devant le flou de ma réponse, il reprit :— Les gens qui frappent les autres, Annabelle, ont souvent un problème d’image face à eux-

mêmes. Par exemple, ton père battait probablement ta mère parce qu’il savait que l’image qu’elleavait de lui le dégoûtait. C’est une sorte de transfert. Enfin… dans certains de cas.

Qu’il dérive sur mon passé m’énerva et je m’empressai de faire dévier le sujet :— Dois-je comprendre que tu n’aimes pas l’image que tu projettes, John ?Il étouffa un rire et secoua la tête :— C’est plus compliqué que ça.— Évidemment, dis-je en laissant l’ironie se faire entendre.Il s’étira vers l’arrière et prit une longue respiration avant de reporter son regard sur moi :

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— Ton père battait ta mère, le mien, c’est moi qu’il battait. Il ne voulait pas d’enfant et ma mèrem’avait quitté en même temps que lui. Et plus il se sentait coincé avec moi, plus il me battait. Cen’est qu’au bout de vingt ans, quand j’ai été capable de le battre à mon tour, que j’ai compris que monpère, en deçà de ce qu’il m’avait fait subir, m’aimait. D’une manière très particulière, je l’admets,mais quand même…

Son aveu me rendit nerveuse. Pourtant, il me tendait là une perche pour me moquer de lui, maismalgré toute la colère qu’il m’inspirait, je me tus. Probablement parce que, pour avoir vécu dans unefamille dysfonctionnelle du même ordre, je me doutais de ce qu’on y ressentait…

— J’aime la souffrance, Annabelle, et je ne m’en suis jamais caché. Mais il y a des momentsoù… quand je frappe une femme, c’est par amour. Comme mon père.

Je ne sais pas s’il s’attendait à ce que je dise quelque chose, mais je ne trouvai aucun mot. Nid’ironie, ni de réconfort. De toute façon, comme pour mon histoire, il n’y avait rien à en dire.

— Quand je t’ai attirée dans mon piège, comme tu aimes tant me le rappeler, ce n’était pasuniquement pour coucher avec toi, Annabelle, autrement je ne me serais pas arrêté là, tu t’en doutes.C’était d’abord pour que tu saches que tu avais toujours envie de moi, et aussi pour voir le niveau decolère qui t’habitait.

Une fois le choc de ses paroles passées, je retrouvai l’usage de la parole :— Et ma colère était-elle assez intense pour toi ?— C’était pas mal, dit-il simplement, mais je dois admettre que tu es bien plus forte que je ne le

pensais.Je ne sais pas s’il espérait me faire plaisir, mais je n’affichai aucune joie.— Crois-tu que cette séance de fouet t’a libérée d’un peu de colère à mon endroit ? demanda-t-il

encore.— Si je dis oui, tu vas me permettre de te fouetter encore ? lançai-je avec une pointe d’espoir.Il rit longuement et secoua la tête :— Je t’ai prévenue que tu n’aurais que quinze coups. À moins que tu me le demandes gentiment,

mais je ne pense pas qu’une autre séance de fouet te libérerait davantage…— Oh, mais ça me ferait certainement plaisir, avouai-je en répondant froidement à son sourire.Son œil se mit à briller de malice et il me pointa sans paraître décontenancé par mes paroles :— J’ai souvenir de bien des tensions qu’il m’a fallu évacuer de ce joli petit corps, quand tu en as

eu fini avec moi. Est-ce une envie secrète qui se cache derrière cette autre séance ?Je refusai à mes joues de rougir et je croisai les bras, mal à l’aise. Peignoir ou non, je ne m’en

sentais pas moins nue sous son regard.— Je te rappelle que c’était la première fois. Je ne savais pas à quoi m’attendre, me défendis-je.

Maintenant, je serais… sûrement moins nerveuse.— Je suis content que tu le croies, parce que tu vas retoucher à la cravache aujourd’hui.Mon corps se raidit devant ses paroles et je le toisai avec anxiété. Devant mon angoisse, il

s’empressa de me rassurer :

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— Oh, mais ne t’inquiète pas : c’est toujours toi qui la tiendras entre tes mains.— Mais… ?— Non, je ne serai pas ta victime, confirma-t-il à nouveau. Allons, Annabelle, n’es-tu pas fâchée

contre d’autres personnes ? Suis-je donc le seul à t’avoir trahie, dans cette histoire ?Sans réfléchir, je secouai la tête :— Non. Vraiment… je ne vois pas…Soudain, je serrai mes bras plus fermement autour de moi quand je les sentis se mettre à trembler

et je fixai John avec anxiété, mais avant que je ne lui pose la question ouvertement, il me réduisit ausilence en posant son index sur sa bouche :

— Chut. Ne gâche pas la surprise, tu veux ? Allons plutôt manger. Tu sors peut-être avec uncuisinier, mais on dirait que tu as perdu du poids. Et si tu veux un bon conseil, il vaut mieux que tuprennes des forces avant la séance de cet après-midi. Tu vas en avoir besoin…

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Le doute

Je grignotai, anxieuse de ce qui m’attendait pour la suite des événements, et je ne fus pas étonnéelorsque Laure arriva. Qui d’autre, après tout ? Elle m’avait blessée, elle avait semé le doute dansmon esprit, mais je ne lui en voulais plus. Enfin… il me semblait que c’était le cas. Après tout, elleavait été jalouse et ça, je pouvais aisément comprendre sa réaction. N’avais-je pas été amoureuse deJohn, moi aussi ?

Tout comme pour moi, John l’accueillit directement dans l’entrée, mais de la cuisine, je nepouvais les voir. Par contre, il lui parla à voix basse et, au lieu de monter me saluer, elle descenditdirectement au sous-sol. Mon repas parut fade, soudain. J’avais la gorge sèche et je bus deux verresd’eau pour essayer de calmer mes angoisses.

Lorsqu’il revint, John reprit place sur sa chaise, comme si personne ne nous attendait en bas :— Nerveuse ? demanda-t-il.Je le suppliai du regard :— Je ne veux pas faire ça.— Faire quoi ? se moqua-t-il.— Lui donner… des coups, dis-je en étouffant le son de ma voix pour éviter que Laure ne

m’entende.John réfléchit quelques secondes en fixant ma lèvre inférieure, assez pour que cela me fasse

tourner la tête, puis il renchérit :— C’est important que tu le fasses, Annabelle. Important pour toi, pour moi et pour Laure.— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?— N’est-ce pas évident ? Laure se sent coupable de ce qu’elle t’a fait. De ce qu’elle nous a fait,

rectifia-t-il. Quand un Maître administre une punition, c’est parce qu’il pardonne, Annabelle. Et c’estla même chose pour elle : en ayant reçu ta punition, Laure se pardonnera également.

Je grimaçai :— Je lui ai déjà pardonné.— Je sais. Et tu ne lui as plus donné aucune nouvelle. C’est dire à quel point tu étais sincère !

railla-t-il.— Ça n’a rien à voir, je voulais sortir du milieu !J’avais haussé le ton, mais d’un seul regard, je compris que John ne cèderait pas. D’ailleurs, il

semblait en avoir assez de négocier, car il trancha :— N’oublie pas que je pourrais te l’ordonner, Annabelle, mais ce ne serait pas aussi efficace. Il

faut que tu sortes toute cette colère qu’il y a en toi. Si tu ne le fais pas, je serai obligé de trouver unautre moyen pour que tu le fasses et crois-moi, je le trouverai. Ceci est encore la méthode douce.

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Il insista sur ses mots et quand je hochai la tête, il poursuivit sur un ton moins acerbe :— Tu sais que tu en es capable. Tu me l’as fait et je n’en suis pas mort, tu vois ? Et au cas où tu

ne t’en rappellerais pas, Laure adorait ma cravache. Juste à savoir ce qui s’amène, elle doit en êtreterriblement excitée.

Je restai immobile, mais il est vrai que j’avais certains souvenirs de Laure qui quémandait plusde coups. Elle certifiait que ses orgasmes étaient plus intenses, par la suite. À cette idée, je rougis.Allait-il falloir que je la mène à l’extase après la cravache ? Devant ma réaction, John étouffa un rireet sembla comprendre mes réserves :

— Si tu ne peux pas accomplir ta tâche jusqu’au bout, je me chargerai de la seconde partie,annonça-t-il. Quoique ce ne sera pas la même chose. La jouissance est plus forte lorsque c’est lamain du bourreau qui l’administre, mais puisque c’est toi, je ne pense pas que Laure s’enformalisera…

Je posai une main sur ma poitrine pour essayer de calmer ma respiration, secouai la tête, encoreune fois :

— Je n’y arriverai pas.— Bien sûr que oui, Annabelle. Si tu te sens plus à l’aise avec le concept, tu n’as qu’à te dire

qu’il s’agit d’un jeu.— D’un jeu cruel !— D’un jeu hautement excitant durant lequel toutes les parties prendront du plaisir.Je fronçai les sourcils, ce qui le fit aussitôt éclater de rire :— Sauf toi, si tu n’en as pas envie, bien entendu. Autrement, c’est un cycle : après punition, il y a

réconciliation. Tu serais drôlement cruelle de la laisser dans un tel état. Le but de cette séance étantprincipalement de te purger de ton passé.

— C’est ridicule ! dis-je, plus par envie de gagner du temps que par certitude.— Au contraire ! Pour obtenir ton pardon, Laure a accepté de recevoir dix coups de fouet de ta

main. En contrepartie, tu devras lui pardonner. C’est important pour elle. Et même si tu ne le sais pasencore, ça l’est pour toi aussi.

Je bondis de ma chaise :— John, je n’ai pas besoin de la frapper pour lui pardonner !— Mais tu le feras, dit-il d’une voix grave.Je marchai de long en large dans sa cuisine, les bras croisés, sans le quitter des yeux. À choisir,

j’aurais préféré qu’il me baise et qu’il me fiche la paix !— C’est un piège, c’est ça ?— Non, Annabelle. Je suis là uniquement pour t’aider à régler tes conflits internes. Et qui sait ?

Peut-être seras-tu douée en tant que Maître ? Il n’est pas rare qu’une soumise devienne l’une desnôtres, tu sais ?

Je m’arrêtai dans ma course pour le fusiller du regard :

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— Je ne suis pas comme ça.— Tu as pourtant pris un peu de plaisir, la dernière fois, oserais-tu me mentir sur le sujet ?Je me défendis de répondre et je serrai plus fermement mes bras contre moi. Je ne pouvais pas

faire ça. Quelque chose dans sa requête me terrifiait et il le savait. Devant mon immobilisme, il seleva et vint se positionner devant moi, sans me toucher et sans me provoquer du regard :

— Laure a besoin de ça et tu te sentiras beaucoup mieux après. Je peux te l’ordonner, mais toimieux que personne sait qu’on ne peut pas faire ce genre de choses à la légère. Si tu descends cetescalier, Annabelle, tu devras jouer le jeu et le faire jusqu’au bout.

Sa main se posa sur mon bras et il pinça les lèvres lorsqu’il comprit que je tremblais, puis se mità le frotter doucement :

— Je serai là. Si tu sens que tu craques, tends-moi la cravache et je terminerai la séance avecelle. Ce qui compte, c’est d’essayer. Et que Laure comprenne que vos différends sont réglés. Pour debon, cette fois.

Je hochai la tête, mais je n’en étais pas moins remplie de doutes. Comme si j’étais une gamine quipartait en colonie de vacances, il pinça ma joue et ajouta, sur un ton plein d’entrain :

— Allez ! On y va !Il me poussa en direction des escaliers, me retint avant que je descende la première marche et me

colla contre lui pour chuchoter, contre mon oreille :— Tu peux y prendre du plaisir, Annabelle. Laure n’en sera que plus heureuse si c’était le cas.Je fermai les yeux et pris une énorme respiration :— Tu ne sais pas ce que tu me demandes.— Oh, crois-moi, je le sais, se moqua-t-il. Allez, ne fais pas attendre ta soumise !

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Le pardon

Au sous-sol, Laure nous attendait, nue, exactement là où je me tenais, il n’y a pas si longtemps.Même si elle ne releva pas la tête, j’aperçus un sourire illuminer son visage et John, d’une mainlourde, caressa sa tête et fut le premier à prendre la parole :

— Laure, si tu saluais ta Maîtresse ?Au lieu de se lever, Laure avança vers moi à quatre pattes et colla sa tête sur mes pieds :— Maîtresse, c’est un honneur de vous revoir !Je détournai la tête et me fit violence pour ne pas reculer afin d’échapper à cette étrange marque

d’affection, mais John la ramena à l’ordre :— Il suffit, Laure. N’en fais pas trop, tu veux ? Si tu expliquais plutôt à Annabelle pourquoi tu es

là ?La tête baissée devant moi, elle parla vite, me raconta que John l’avait demandée à Maître Paul

afin d’obtenir réparation pour ce qu’elle m’avait fait. Mal à l’aise, je posai une main sur sescheveux :

— Je ne t’en veux plus, Laure.Ses doigts se posèrent sur les miens et me retinrent sur sa tête :— Punissez-moi, Madame. Je jure que je me sentirais mieux si vous me punissiez.À ma gauche, je perçus le sourire de John qui s’affirmait. Croyait-il que j’allais craquer ? De

toute façon, il avait tout le loisir de me l’ordonner, autant lui donner ce qu’il demandait. Après unsoupir résigné, je haussai le ton :

— John, puis-je emprunter votre cravache ? lui demandai-je.— Avec grand plaisir, Madame.Il s’éloigna dans la pièce du fond et Laure se prosterna à nouveau devant moi :— Oh merci, Madame ! Merci ! Je serai forte, je vous le promets.— Je sais, Laure, dis-je en essayant de contenir le tremblement de ma voix.John revint, se pencha prestement pour me tendre sa cravache en me jetant un regard malicieux.

C’était un piège, assurément, autrement je ne voyais pas pourquoi il m’avait ramenée ici, unecravache à la main. Il n’allait pas me demander de coucher avec lui, mais il allait tout faire pour queje me jette à ses pieds, comme Laure le faisait avec moi, à cet instant précis.

Une fois la cravache en main, je la serrai si fort que j’espérais que ce simple geste dissipe lestensions qui s’entassaient dans mon ventre. Et ce fut le cas ! En moins de trois secondes, monangoisse chuta d’un trait et au lieu de me sentir anxieuse, un sentiment de puissance m’envahit.

Je ne sais pas si John le perçut, car il ne me quittait plus des yeux, arborant un air ravi. Avec lapointe de la cravache, je désignai le coin de la pièce :

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— Place-toi là, ordonnai-je. À genoux et les mains derrière la tête.Laure quitta mes pieds, galopant à quatre pattes à l’endroit indiqué et se positionna docilement.

Malgré moi, je ne pus m’empêcher de sourire et John le remarqua, encore.— On dirait que vous avez fait ça toute votre vie, Madame.Alors que je me dirigeais vers Laure, il se planta à mes côtés et attira mon attention d’un geste de

la main :— Puis-je me permettre quelques suggestions ?Je le fixai sans répondre, mais comme il insista du regard, je hochai la tête, intriguée. Dans la

seconde, il se glissa derrière moi et vint agripper mon poignet droit, le côté où je tenais la cravache,il bougea mon bras pour m’apprendre quelques mouvements de base :

— Laisse glisser, tu vois ? Sois ferme. Il n’y a rien plus désagréable qu’un coup de cravachehésitant. Aucune hésitation, compris ?

— Compris, répétai-je.Il relâcha mon poignet, utilisa le dos de Laure comme d’un tableau :— Ici et ici, deux endroits particulièrement sensibles. Ah, et pour Laure, ici.Il caressa sa croupe et descendit à la frontière de ses fesses et de ses cuisses :— En frappant ici, c’est le succès assuré. Je suis même déjà arrivé à la faire jouir comme ça.

N’est-ce pas ma jolie ?— Oui Monsieur, souffla-t-elle.Elle paraissait déjà excitée par la situation et je dus admettre que son désir d’être ainsi frappée

me consternait. Me soulageait aussi. Après tout, elle avait à la fois une raison et un désir d’être punie.Quand John s’écarta, je me déplaçai lentement autour d’elle. J’avais souvent assisté à ce genre deséances, j’y avais même été frappée, alors je savais pertinemment le rituel qu’il imposait.Étrangement, cela me mis en confiance et laissai traîner le bout de la cravache sur le corps de Laurealors que je tournais autour d’elle.

— Mérites-tu d’être punie, Laure ?— Oui Madame.— Et pourquoi donc ?— Parce que je vous ai trahie.Son regard fixait le vide et le mien ne la quittait plus. Qu’espérais-je ? Qu’elle craque ? Qu’elle

me supplie de ne pas la frapper ? Je ne sais pas, exactement. Mais j’insistai :— Comment m’avez-vous trahie ?— Je vous ai parlé de l’autre éditrice, dit-elle à voix basse.Les souvenirs me fracassèrent la mémoire. Je me rappelais bien la scène et tout ce qui en était

découlé. John m’avait punie, moi, parce que j’avais été bouleversée par cette information. Et même sije perçus l’accélération de mon rythme cardiaque, je me défendis de le lui montrer :

— Pourquoi avoir fait ça, Laure ?

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— J’étais jalouse, Madame.Je me remis à tourner autour d’elle en hochant la tête :— Oui. Vous étiez jalouse…Cela, je ne pouvais que le comprendre, mais pour l’heure, j’étais tenue de la punir. Et de me

remémorer tous ces souvenirs me donnait bien envie de le faire. Avant de m’exécuter, je tournai lesyeux vers John dont les yeux pétillaient, visiblement excité d’assister à cette séance. Avait-ilremarqué que je commençais à en avoir envie ?

— Dix coups, c’est bien ce qui a été convenu ? le questionnai-je.— Dix coups, confirma-t-il. En aurez-vous suffisamment pour obtenir réparation ?Je caressai la croupe de Laure du bout de ma cravache et l’observai tressaillir d’envie avant de

hocher la tête, étonnamment satisfaite de sa réaction :— Je crois que ça ira. Bien, je crois qu’on peut commencer.Le dire provoqua une onde d’excitation et de puissance dans tout mon corps. Je restai concentrée

sur ma respiration pour qu’elle ne s’emballe pas, mais je remarquai que je n’en avais nul besoin.J’étais parfaitement à l’aise. Probablement parce que j’avais déjà usé de la cravache sur John etqu’elle ne m’intimidait plus autant. Sans parler que le corps de Laure paraissait fort excité de ce queje m’apprêtais à lui faire subir.

Sans attendre davantage, je visai l’endroit que John m’avait montré, à la limite de ses cuisses etde ses fesses, frappai un coup, très sec. Elle eut du mal à conserver sa position, mais se replaça sansrechigner. Je la fixai un moment, comme si j’espérais qu’elle me dise de poursuivre, mais devant sonsilence, je recommençai. Encore une fois, elle tangua, puis reprit sa position initiale.

Posant le dessus de ma cravache sur le haut de son dos, je la poussai vers l’avant :— Mettez-vous à quatre pattes, Mademoiselle.Ses bras quittèrent l’arrière de son dos et elle se laissa tomber vers l’avant, croupe relevée vers

moi. Je pris une pause. Pas longtemps, juste pour la faire languir. On aurait dit que la pièce changeaitde parfum, qu’elle était lourde de la peur et du désir de Laure. Ou peut-être était-ce ma colère ?Pourtant, je ne la ressentais pas aussi vivement que la dernière fois, alors j’osai jeter un coup d’œildu côté de John pour vérifier si je m’y prenais correctement, et son hochement de tête ne masquait nison admiration ni son excitation.

— Poursuivez, je vous prie, dit-il en paraissant avide que je recommence.Je me replaçai, caressai les fesses de Laure, toujours avec le bout de ma cravache, la glissai sur

l’arrière de ses cuisses, eut envie de la remonter vers son sexe, un peu comme Simon l’avait fait avecle plumeau. Je me retins, puis m’élançai à nouveau. Deux coups plus tard, elle émit une sorte degrognement et, s’étant avancée, elle recula sa croupe pour la repositionner correctement.

— Cela plaît-il ? demanda John.Je ne sais pas à qui s’adressait la question, mais Laure se mit à pleurnicher :— Oh oui, Monsieur !— Et vous, Madame ?

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Je serrai la cravache dans ma main et dus admettre que quelque chose me plaisait. Peut-être lesentiment de puissance et de pouvoir, peut-être aussi de sentir Laure à ma merci, comme si j’étaistributaire de son plaisir autant que de sa douleur. Je me sentais plus en confiance, aussi, et pourtant,la colère était là. Je la sentais. La différence, c’était que je pouvais… la contrôler.

— Ce n’est pas désagréable, dis-je prudemment.Je le pointai de ma cravache et lui servis un regard moqueur :— On dirait que je ne suis pas la seule à y prendre plaisir…Il écarta les pans de son peignoir pour afficher l’érection qu’elle masquait et hocha la tête :— On ne peut rien vous cacher, Madame.Peut-être croyait-il que cela me gênerait, mais il n’en fut rien. J’étais là, comme dans un rêve,

étonnamment en contrôle de la situation. Je glissai un regard admiratif sur sa verge avant de reportermon attention sur Laure. Cette fois, je compris ce que John attendait de moi et je laissai grimper lacolère avant de m’élancer pour frapper le cul de Laure à deux autres reprises. Plus fort,probablement, car le bruit qui en découla fut sec, éclatant dans la pièce.

— Oh, Madame…Son gémissement était faible, mais sa position, elle, était en tous points parfaite. J’y avais mis

tout mon cœur et elle n’avait pas bougé. Ravie, je glissai la cravache entre ses cuisses et m’y frayaiun chemin jusqu’à son sexe :

— Cela t’excite-t-il ?— Oh Madame, si vous saviez…Je bougeai doucement la cravache sur son sexe et elle se cambra de plaisir, tremblante.— La douleur avant le plaisir, Madame, me gronda John.Je pris une longue inspiration et retirai l’objet avant de le porter à mon nez. Je pris mon temps

pour humer l’odeur de son sexe sur la pointe de ma cravache. Un étonnant parfum, s’il s’en fut…— Voilà qui est bien intéressant, dis-je en envoyant un sourire à John.— Je n’aurais pas mieux dit, confirma-t-il.— Bien, finissons-en, clamai-je en reprenant ma position.Laure tendit sa croupe vers moi, comme un appel à la souffrance. Je ne m’y dérobai pas. Je

frappai les coups restants en y mettant toute ma colère et ma force. Tellement que la main me faisaitmal lorsque je relâchai la cravache en respirant avec bruit.

— Dix, annonçai-je.Ce n’est qu’à ce moment que je remarquai les pleurs de Laure. Il est vrai que je n’y avais pas été

de main morte, lors des derniers coups. Je la contournai et posai une main sur sa tête, comme Johnl’avait si souvent fait avec moi. Elle la saisit et se mit à embrasser mes doigts :

— Je vous demande pardon, Madame. Je ne voulais pas vous trahir, je vous le jure !— Je te pardonne Laure, chuchotai-je.Je me laissai tomber devant elle, essuyai ses larmes avec le bout de mes doigts et lui sourit :

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— Je ne suis plus en colère contre toi, certifiai-je.Le dire me démontra à quel point j’étais sincère. Je venais de la battre et voilà que tout était

terminé. Laure se remit à pleurer, de satisfaction, de douleur, je ne sais pas, alors je l’attirai à moi etla serrai dans mes bras.

— Madame, je ne voulais pas…— Je sais, la calmai-je.Son corps ondulait contre le mien et je savais que son corps était en manque de sexe. Je ne

pouvais pas nier que j’étais dans un drôle d’état, moi aussi, mais cette fois, je n’étais pas soumise,mais Maître. J’aurais pu demander à John de terminer la séance, mais j’eus la sensation qu’il enincombait de ma responsabilité. Je l’avais frappée, c’était à moi de la calmer. Je l’embrassai doncdoucement, dans un baiser auquel elle répondit telle une affamée, écrasant sa bouche sur la mienne ets’empressant de me tendre sa langue. Décidément, elle était dans un état ! Ma main se glissa entre sescuisses, se mit à la caresser, vite et fort. L’heure n’était pas à la tendresse, mais aux résultats. Soncorps s’arqua vers l’arrière et à peine la touchais-je ainsi qu’elle se mit à jouir sous ma main. Ce futrapide, explosif, elle cria en retenant ma main sur son sexe, l’écrasa davantage jusqu’à ce que touts’estompe.

— Oh Madame, souffla-t-elle en revenant chercher ma bouche.Elle paraissait en exiger davantage, essayait de repousser mon peignoir pour passer sa main sur

mon corps. Je cherchai John du regard. De toute évidence, il ne nous quittait plus des yeux. Jedétournai la tête, à la recherche d’une idée, puis repoussai Laure et l’étendis sur le sol. Ses cuissess’ouvrirent et je claquai des doigts :

— John, pourriez-vous calmer cette jeune fille ?Il tomba à genoux, à mes côtés, et ses mains se firent brusques sur les jambes de Laure pour la

maintenir écartée de la sorte. Elle était tellement excitée qu’elle ne restait plus en place. Au lieu dese jeter sur elle, John tourna son visage vers moi :

— Je serais ravi de vous calmer toutes les deux, Madame.Peut-être espérait-il me faire réagir, mais je n’avais qu’une seule idée en tête : calmer Laure dont

le corps me paraissait brûlant. Je lui fis signe de se dépêcher et il disparut, la bouche entre lescuisses de la jeune soumise. Elle se remit à jouir, bras allongés au-dessus de sa tête, se tortillant sousles coups de langue de John qui, je dus l’admettre, me firent légèrement envie. Et pourtant, je merefusai de céder. Pas comme ça. Si piège il y avait, je n’avais certainement pas l’intention de tomberdedans, la tête la première, comme la dernière fois.

La main de Laure me chercha et me tira vers elle. Alors qu’elle jouissait de la bouche de John,elle exigea de prendre la mienne. Je l’embrassai sans attendre et ne fus pas mécontente que sa mains’aventure sous mon peignoir pour caresser ma poitrine :

— Oh Madame, je suis tellement heureuse de vous revoir ! Je m’en voulais tellement !Elle hoquetait de plaisir et de chagrin.— Chut, la calmai-je en caressant son front.

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C’était étrange de me sentir à ce point responsable de l’état dans lequel elle se trouvait etpourtant, c’était le cas. Soudain, tout me parut clair. Je me redressai, chassai John de son sexe et m’yjetai à mon tour. Je n’eus besoin de rien lui dire, il s’était éloigné pour me la confier à nouveau.Laure était mienne et j’étais responsable d’elle. Je la dévorai donc avec fougue, retrouvai à la fois legoût de son sexe et la facilité de la mener à l’extase. Contrairement à ce qu’elle venait de faire avecJohn, elle s’y laissa glisser sans résister. Une fois son corps calmé, je me redressai, à genoux, entreses cuisses et soupirai de satisfaction. Un drôle de sentiment m’habitait, celui du devoir accompli ?En tous les cas, c’était étrange, mais je me sentais bien. Mieux que bien : en paix. Ce qui m’avaitparu un piège fonctionnait-il donc ?

John était là, entre elle et moi, et m’observait avec un air ravi. De toute évidence, j’avais passéson test et j’en étais plutôt fière. Sans trop de mal, qui plus est !

— Vous avez été parfaites. Toutes les deux, dit-il en nous regardant à tour de rôle.Sa main caressa les cheveux de Laure qui paraissait béate et heureuse, puis elle m’ouvrit les bras

et je la rejoignis sur le sol. J’avais la sensation d’avoir fait un saut dans la passé, quand nous étionscomplices et que nous pouvions rester là, dans les bras l’une de l’autre, pendant des heures.

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Un moment de détente

Alors que je laissais le calme revenir en moi, la main de Laure se remit à bouger, se fit lourde surmon ventre, puis sa bouche embrassa mon épaule :

— Madame, est-ce que je peux… ?Je n’ouvris même pas les yeux pour lui répondre :— Je suis bien, Laure, je t’assure.— Mais j’ai très envie de vous.Comme si elle cherchait à me le prouver, sa main s’aventura à la frontière de mon sexe et frotta

mon bas-ventre en attendant ma permission.— Vous m’avez bien pardonnée, n’est-ce pas ? insista-t-elle.Qu’elle pose la question me fit ouvrir les yeux. Exigeait-elle une preuve ? Je la fixai un moment,

alors qu’elle paraissait s’impatienter, puis cherchai le regard de John qui n’avait pas bougé, assis àla gauche de Laure, comme s’il ne pouvait intervenir tant que je ne lui en donnais pas la permission.Devant ma question muette, il hocha subtilement la tête.

Je ne sais pas pourquoi, j’aurais dû me douter que le sexe faisait partie intégrante de ce rituel,mais j’avais espéré que le plaisir de Laure aurait suffi. Pendant un instant, j’hésitai à demander l’aidede John, mais Laure aurait certainement vu cela comme un refus de ma part. Je posai donc ma mainsur la sienne et, bien qu’elle n’en ait nul besoin, je la guidai entre mes cuisses :

— Fais ce dont tu as envie, chuchotai-je en refermant les yeux.Elle me caressa doucement, descendit pour joindre sa bouche à ses doigts et je m’abandonnai à

ses soins. Il n’y avait plus rien de rustre ou d’urgent, tout n’était que plaisir. Et pourtant, force m’étaitde constater que cette petite séance m’avait bien chauffée, moi aussi. Maintenant que la langue deLaure se frottait sur mon clitoris, j’avais envie de perdre la tête. Malgré le sentiment agréable qu’ellefaisait naître en moi, je me sentais calme. Étrangement calme. J’aurais pu rester de glace tellement laséance m’avait comblée. Ça n’avait rien à voir avec la dernière fois. C’était autre chose que du sexe.C’était un sentiment de plénitude.

Malgré tout, j’acceptais de m’offrir à Laure, parce qu’elle avait besoin de sentir que nous étionsréconciliées. Et c’était le cas.

Ce fut long. J’aurais pu jouir rapidement si je l’avais voulu, mais je n’en avais pas la moindreenvie. Je la laissai faire monter la pression dans mon corps, répondant à ses gestes par de petitsgémissements invitants, puis quand j’en eu assez de languir, je vidai ma tête et cédai à ses lèvres.L’orgasme m’envahit, doux et puissant à la fois. Mécaniquement, ma main s’était posée sur sa tête etje la sentais qui léchait ce qui s’écoulait de moi. Soupirant d’aise, je cherchai John du regard etordonnai, bien que ma voix fût lasse :

— Baise-là.

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Son visage s’illumina et il admit :— Enfin ! Dans ta cruauté, j’ai bien cru que tu allais me maintenir à l’écart !Réprimant mon rire, je l’observai se dénuder avec empressement. Son peignoir tomba par terre et

le corps de Laure fut très vite courbé vers l’arrière lorsqu’il empoigna ses cheveux pour la soulever,puis il la poussa sur moi :

— Permettez que je vous place ensemble ?Avant que je ne puisse répondre, il la prit et juste à la façon dont elle sursauta, je compris qu’il

venait de la sodomiser. Au lieu d’en paraître choquée ou jalouse, je pris appui sur mes bras que jecroisai derrière ma tête pour observer la scène qui se déroulait au-dessus de moi. John était fébrile etexcité, je le voyais juste à la vitesse où il s’enfonçait en elle. De toute évidence, notre petite séancel’avait bien inspiré, lui aussi. Laure criait et jouissait. J’étais aux premières loges de leurs ébats.Quand il relâcha sa tête, elle chuta sur moi et se mit à m’embrasser. Ses gémissements troublaient nosbaisers et je la sentais sur le point de perdre la tête. De son propre chef, elle se cambra de nouveau :

— Oh Monsieur !Elle se mit à chanter de plaisir et pourtant, son visage était inondé de larmes. C’était à la fois

étrange et magnifique. Lorsqu’il s’épancha en elle et qu’il la relâcha, elle retomba sur moi, le soufflebruyant et le sourire aux lèvres.

— Oh Monsieur, chuchota-t-elle dans mes bras, comme vous m’avez manqué.Entre nos jambes, il lui caressa la croupe en souriant, puis hocha la tête :— Toi aussi, tu m’as manqué, Laure.Ses yeux cherchèrent les miens et il afficha un sourire heureux :— Vous m’avez manqué. Toutes les deux.Laure roucoula dans mes bras et il se laissa tomber à nos côtés. Ce n’était pourtant pas le lieu le

plus confortable de la pièce. À choisir, je me serais étalée sur le fauteuil, mais que m’importait oùj’étais. Tout ce que je voulais c’est qu’il ne me touche pas en traître. Au bout d’un long silence, Laurereleva la tête vers moi :

— Où étiez-vous, Madame ? Êtes-vous… toujours soumise ?— Crois-le ou non, Laure, Madame est en couple avec Simon. Tu te souviens de lui ? Il venait à

nos soirées, avant…Les yeux rivés sur moi, le visage de la soumise s’illumina d’un trait :— L’ange blond ? Waouh ! Vous en avez de la chance !Je ris et affichai un air qui ne masqua en rien ma fierté :— Je sais.— Vous êtes sa soumise, alors ? Il est devenu Maître ?Ma joie se figea sur mon visage. Comment lui dire qu’il était devenu Maître pour contrecarrer les

plans de John ? Autant peindre en toutes lettres qu’il le craignait ! Pour éviter d’en discuter troplonguement, je fis au plus simple :

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— Je suis d’abord sa petite amie et, à l’occasion, sa soumise.Elle se redressa, comme si mes paroles venaient de l’alerter :— Il en cherche d’autres, vous croyez ?Un peu surprise par sa question, je secouai la tête, mais elle insista encore :— Vous faites des soirées ?— Laure, la gronda John, Simon et Annabelle ne font que s’amuser. Ils sont… pratiquement

exclusifs.En disant cela, il m’envoya un clin d’œil complice auquel je ne répondis pas. Oui. Nous étions

pratiquement exclusifs, mais j’aurais préféré que nous le soyons totalement. Nous l’aurions d’ailleursété sans le retour de John.

— Dommage, admit Laure, il avait de sacrées mains !— Oh, mais il les a toujours, dis-je en retrouvant mon rire.Elle retomba à mes côtés et sa tête pivota du côté de John :— Vous allez me reprendre, Monsieur ?— Tu ne te plais pas avec Maître Paul ?— Bien… oui, mais…Elle parut gênée par sa question, car sa voix se fit plus étouffée :— J’étais bien avec vous, aussi.Il ne dit rien. Peut-être qu’il ne savait pas ce qu’il devait répondre ou qu’il craignait de la

blesser. Au bout d’un silence, les yeux de Laure revinrent sur moi :— Tu vas… je veux dire… vous songez à… revenir avec Maître John ?Son vouvoiement forcé me fit rire, mais je répondis sans hésiter, autant pour elle que pour lui :— Alors là, il peut rêver !— C’est pourtant un bon Maître, le défendit Laure, visiblement choquée par ma réponse.Je souris. J’avoue que j’avais envie de rire, mais je me retins pour ne pas la froisser davantage,

puis je dis, le cœur léger :— Désolée. J’ai trouvé mieux.Laure soupira, étonnamment triste de ma réponse. Mal à l’aise, je me redressai, un peu gênée

d’avoir fait étalage de ma chance devant elle, puis je me tournai vers John :— As-tu prévu autre chose ? Parce que j’ai envie de prendre une douche.Sa main pointa l’escalier qui menait à l’étage :— Mais faites donc, Madame.Alors que je me dirigeais vers les escaliers, la voix de Laure résonna encore :— Merci Annabelle.Je me figeai sur la première marche et lui envoyai un sourire :— C’est moi qui vous remercie, Mademoiselle.

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L’aveu

Lorsque je sortis de la douche, je ne me pus m’empêcher d’entendre les pleurs de Laure àl’entrée. Je restai là, un instant, à l’écouter se confondre en excuses et à supplier John de la reprendreà son service. Il essayait de la calmer, de lui dire qu’il ne se sentait pas prêt à redevenir Maître, maisrépéta qu’il avait été heureux de la revoir.

— J’aurais voulu… faire davantage pour vous, Monsieur, dit-elle en reniflant.— Vous avez fait énormément, Mademoiselle, croyez-le bien.— Mais vous… vous auriez voulu… vous espériez… qu’elle vous revienne, n’est-ce pas ?Il laissa filtrer un petit rire :— Oh, ma petite Laure, ne sois pas si triste. Tu sais bien que je n’ai pas encore dit mon dernier

mot…Il parvint à lui arracher un petit rire alors que c’est une grimace qui s’inscrivit sur mon visage. Il

n’avait pas dit son dernier mot ? Je cherchai l’heure du regard. Il ne lui restait que vingt-quatreheures avant qu’il ne me laisse ficher le camp d’ici ! Il avait intérêt à faire vite, parce que, pourl’instant, je n’étais pas très impressionnée !

Dès que Laure fut partie, je me plantai en haut de l’escalier, toujours enveloppée dans monpeignoir :

— Est-ce que je peux m’habiller ? demandai-je, un peu sèche.— Pourquoi ? Vous n’êtes pas bien, comme ça ? Allez, venez un peu qu’on discute.Il m’encouragea d’un signe de la main. J’eus envie de rester là, autant pour le contrarier que par

crainte de m’emporter après ce que je venais d’entendre. Nous nous retrouvâmes sur le canapé dusalon, exactement comme ce matin, mais je dus avoir une drôle de tête, car il demanda, sanspréambule :

— Ai-je fait quelque chose pour te contrarier, Annabelle ?— J’ai entendu ce que tu as dit à Laure.— Et alors ? insista-t-il, comme s’il n’avait pas compris ce à quoi je faisais allusion.— Tu lui as dit que tu n’avais pas dit ton dernier mot, me concernant.Il eut un petit rire léger et haussa les épaules :— Je n’ai pas menti sur le sujet. Je crois même avoir été des plus honnêtes, envers Simon autant

qu’envers toi. Tu ne vas pas me dire le contraire !— Je ne veux pas revenir avec toi, John. Quand vas-tu le comprendre ?— Demain, si tu es toujours d’accord avec ta propre affirmation, me répondit-il sans paraître

décontenancé par ma réplique.Ses paroles me déplurent. Qu’avait-il donc prévu ? Il ne m’avait pas touchée et avait promis de

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ne pas le faire sans mon autorisation. Je ne comprenais pas ce qu’il espérait, mais je n’eus pas leloisir de le questionner davantage, car il bifurqua sur un tout autre sujet :

— Dis-moi plutôt si tu étais contente de revoir Laure ?Aussitôt, mon sourire revint en force et je hochai la tête :— Très contente, avouai-je.— Tant mieux. J’espérais que ça te fasse plaisir…Je l’arrêtai d’un signe de la main :— Pourquoi tu n’es plus son Maître ? Parce que, de toute évidence, tu lui manques.— De toute évidence, répéta-t-il en acquiesçant.Il se perdit un instant dans ses réflexions avant de reporter son attention sur moi :— J’étais devenu un mauvais Maître pour elle. Pas qu’elle s’en soit plainte, tu sais, mais il fallait

que j’arrête avant que ça n’aille trop loin.Je ne sais pas pourquoi, mais j’eus l’impression que ça lui en coûtait de me dire ça, alors je le

regardais sans dire un mot, un peu sous le choc de son aveu. Au lieu de bifurquer sur un autre sujet, ilpoursuivit, non sans laisser planer l’ombre d’une hésitation :

— Vois-tu Annabelle, quand tu es partie, j’en ai voulu à Laure. Après tout, c’est elle qui t’a miscette idée ridicule en tête. Et au cas où tu te poserais encore la question : je ne collectionnais pas leséditrices ! Mais comment résister lorsqu’elles sont magnifiques ? Jade avait envie d’essayer, alorsque toi… je ne te dirai pas le contraire, j’avais envie que tu cèdes.

Qu’il parle de moi en ces termes, un peu comme si j’avais été sa proie, me déplut, mais au lieu delaisser le silence devenir inconfortable, il bougea la main comme s’il espérait effacer ses propresmots :

— Bref, après tout ça, j’ai cru qu’il valait mieux mettre un terme à ma relation avec Laure. Je luiai pardonné, depuis, évidemment, mais ça ne change rien aux faits : je ne me sens pas prêt à assumerce genre de responsabilités.

Je ne sais pas pourquoi, je restai là, les yeux remplis de surprise et de curiosité. J’aurais pul’écouter me raconter cette histoire encore et encore, comme s’il venait d’éclairer des zones d’ombrede mon propre passé. Combien de fois avais-je désiré savoir si j’avais été un jouet pour lui ? S’ils’était moqué de moi ? Et voilà qu’il parlait de tout cela sans rechigner et avec un calme étonnant.

Au bout d’un long silence, il changea de sujet et retrouva un air plus léger :— Je suis content, Annabelle, je crois que notre séance de ce matin a porté ses fruits. Qu’en

penses-tu ?— Ça a été, finis-je par dire.— Allons ! N’essaie pas de me mentir : j’ai vu le plaisir que tu as pris.J’eus un haussement d’épaules, mais je tempérai ses propos :— Je n’ai pas détesté ça. J’étais même… plutôt en contrôle.— Oui, confirma-t-il en hochant la tête. Décidément, tu me surprendras toujours.

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Son compliment me fit plaisir, mais je me défendis de le lui montrer. Alors qu’il réfléchissait, jeme permis de le questionner à mon tour :

— Dis-moi, John, en prenant Laure, tu espérais me faire revenir dans le passé et que je tetomberais dans les bras ?

Il sourit :— Pas tout à fait, non. Quoique… je ne te mentirai pas : je n’aurais pas refusé ton corps si tu me

l’avais offert.Devant mon haussement de sourcil, il se mit à rire plus fort et me pointa du doigt :— D’accord, j’admets que je l’espérais un peu. Mais tu as été très forte.Il écarta le sujet en balayant l’air devant lui :— À toi de répondre à la question, maintenant : est-ce ça t’a plu ?— Quoi, exactement ?— Ce qu’on ressent quand on est Maître. Quand on a la responsabilité d’une personne. De sa

douleur autant que de son plaisir.Il plissa les yeux sur moi, visiblement avide de connaître ma réponse, et je soupirai, anxieuse de

devoir le lui avouer :— C’était… incroyable. Je ne pensais pas que c’était aussi fort.Il caressa sa lèvre inférieure de son pouce tout en dévorant mes paroles, un geste que j’adorais

autrefois, mais je détournai la tête et ajoutai, avant qu’il ne me pose la question :— C’est bizarre. Ça n’avait rien de sexuel. C’étaient… des sentiments à l’état brut. De la pure

violence.— Non, Annabelle. C’était à la fois de la violence, de la compassion et du plaisir. Tous ces

sentiments dans des phases très distinctes et dans toute leur pureté. Et c’était magnifique à voir.Je pinçai les lèvres :— C’était malsain.— Tu as tort. En dehors du contexte, ce serait malsain, mais tout ceci était contrôlé, Annabelle.

J’étais là, prêt à intervenir, tu te souviens ? Et toi, tu as pu laisser jaillir ta colère à travers ce simplejeu.

Mon visage se tendit et je secouai la tête :— Ça n’a rien d’un jeu !— Encore là, tu as tort. C’est un jeu, Annabelle. Ça en a toujours été un. Un jeu extrême, certes,

mais ça n’en reste pas moins un. Mon erreur a été de te faire croire que c’était plus que ça.Les mots que j’eus envie de dire séchèrent dans ma bouche. À quoi bon lui rappeler que j’avais

été amoureuse de lui et que tout ça était loin d’un jeu pour moi ? Que ça n’en avait jamais été un ?Peut-être espérait-il que je le lui dise, car il me dévisagea longuement, en attente d’une réaction quine vint pas.

— Aimerais-tu retenter l’expérience ? me questionna-t-il soudain.

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Je me braquai sur mon siège et haussai le ton :— Redevenir ta soumise ? Alors là, jamais !Son sourire augmenta, mais il ne se moqua pas de moi, au contraire :— Annabelle, tu n’as décidément rien compris. Je ne veux plus de toi comme soumise. Je pensais

que la séance de ce matin t’avait éclairée à ce propos.Je restai étonnée par son aveu et je ne fus pas certaine d’apprécier ce que cette information

laissait sous-entendre.— Je ne comprends pas, dis-je enfin. Tu as pourtant dit à Simon que tu voulais me récupérer, pas

vrai ?— C’est vrai. Et le fait qu’il s’imagine que je te voulais soumise n’était pas tout à fait innocent à

mon stratagème, admit-il avec un air moqueur.Je fronçai les sourcils et le fixai sans comprendre :— Qu’est-ce que t’essaies de me dire ? Que tu me veux en tant que Maître ?Son rire éclata dans la pièce, mais il secoua la tête :— Je te veux comme tu es, Annabelle. Soumise ou Dominante, selon tes désirs.— C’est ridicule, dis-je, non sans être troublée par sa réponse.— Pourquoi ? N’est-ce pas ce que tu désirais de moi, autrefois ?Je levai les yeux au ciel :— C’était avant que Simon n’entre dans ma vie !Il serra les dents, visiblement contrarié que je ramène Simon entre nous. Pourtant, je n’avais pas

le souvenir qu’il m’ait empêchée de mentionner son nom. Retenant son mécontentement, il expiraavant de reprendre la parole :

— Tu es avec Simon depuis… presque un an, c’est ça ?— Un peu plus que ça.— Bien. Tu as été son amoureuse et sa soumise, exact ?— Exact.— Tu le connais bien, alors. Es-tu sûre que c’est cet homme que tu veux pour le reste de ta vie ?Juste à son intonation, j’eus l’impression qu’il me tendait un piège. Si je connaissais Simon ? Oui.

Allait-il me déballer des insanités à son sujet ? Des secrets bien gardés ? Plus sèche que je nel’aurais souhaité, je grondai :

— John, où est-ce que tu veux en venir ?— Il a eu un an, j’ai exigé deux jours, bien qu’un seul m’eût suffi. Seulement… je m’en serais

voulu de ne pas avoir une nuit en ta compagnie.Mon corps se raidit :— Je savais que tu ne tiendrais pas parole ! Tu vas m’obliger à coucher avec toi !Il se mit à rire comme si je venais de dire une énorme bêtise :

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— Annabelle ! Crois-tu vraiment que tu ne puisses plus avoir envie de moi ?Je me défendis de répondre, incertaine que je sois capable de lui dire la vérité, et mon silence ne

parut pas lui déplaire.— Ce soir, je vais exiger quelque chose de toi, mais pas cela. Je veux seulement que tu laisses

libre cours à tes envies. Pas avec moi, nécessairement, mais en général.Mes bras se resserrèrent autour de ma taille, dans une sorte d’étau protecteur qui n’eut guère

d’effet :— Pourquoi ça ne me rassure pas ce que tu dis ?— Parce que tu vas devoir affronter tes fantasmes, Annabelle. Oh, mais ce sera fort intéressant, tu

sais ? Tu vas t’amuser, tu verras. Nous allons d’abord dîner ici, puis nous irons au bar de MaîtreDenis…

Au souvenir de l’endroit, je frissonnai, mais John insista :— Tu ne seras pas là en tant que soumise, Annabelle, mais en tant que Maître. Ou enfin…

quelque chose qui s’y rattache. Et pour être honnête, j’ai très envie de te voir à l’œuvre…Une chose était certaine, je n’étais pas rassurée par ses paroles, et je le dévisageai avec

angoisse :— John, vraiment… je ne comprends pas ce que tu essaies de faire…— J’essaie de te libérer, Annabelle. De toi, de moi et de tout ce qui t’entrave. Je veux que, pour

une fois dans ta vie, tu te sentes libre. Complètement et parfaitement libre. Juste ça.— Juste ça ? répétai-je.— Oui.Incertaine, je le questionnai encore :— Et qu’est-ce que t’y gagnes ?Son sourire devint lumineux :— Tu vivras un avant-goût de la vie qui nous attend. Si tu me choisis, moi, évidemment.Ma bouche se tordit pour éviter de lui éclater de rire au visage, mais ce fut tout sauf facile :— John, vraiment… tu perds ton temps.— Si tu le dis. Dans tous les cas, nous aurons passé une très bonne soirée. Qu’as-tu à perdre ?Je ne répondis pas, mais connaissant John, il valait mieux ne rien présager. Mon silence lui suffit,

car, frappant des mains, il se leva pour mettre fin à notre discussion :— Bon, tu m’excuseras, mais je dois préparer le dîner, car il me faut éblouir une bien jolie jeune

femme, ce soir. Surtout que celle-ci habite avec un cuisinier, alors… tu comprends, j’ai intérêt àmettre les bouchées doubles.

Son aveu me fit rire, car il avait le mérite d’être honnête. Il fit mine de repartir en direction de lacuisine, puis se tourna à nouveau vers moi, le doigt en l’air :

— Oh, et je te suggère de faire une sieste. Nous allons rentrer tard et je serais triste que tu soispas en pleine forme pour profiter de notre soirée. Et aussi : j’ai pris la liberté de t’acheter une tenue

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pour l’occasion. Évidemment, tu ne dois rien porter d’autres. Elle se trouve derrière la porte de tachambre. Je crois qu’elle va te plaire…

Il bonifia ses propos d’un clin d’œil entendu. Surprise, je l’observai s’éclipser sans bouger, puisje ne résistai pas à l’envie de regagner ma chambre. J’étais rongée de curiosité. Tant pour la soiréequi s’annonçait que pour la robe qu’il m’avait achetée.

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Un autre John

Dès que je m’éveillai, j’enfilai la tenue que John m’avait offerte en vérifiant mon reflet dans lemiroir. Je m’étais attendue à une robe de mauvais goût, quelque chose qui inspirait le sexe, maisc’était loin d’être le cas. La robe était noire, longue et élastique. Elle était complètement fermée auniveau du col et s’attachait derrière ma nuque. Mon dos, lui, était nu. En revanche, la jupe s’ouvraitsur le côté et montrait subtilement ma jambe droite lorsque je me déplaçais. Jolie, mais assurémentétrange pour aller au bar de Maître Denis.

Même si je savais que John préférais mes cheveux détachés, je les remontai derrière ma tête,laissai quelques mèches retomber de chaque côté. Lorsque je fus satisfaite du résultat, je descendis àla cuisine. J’avais faim et l’odeur du repas qui se propageait dans la maison ne me laissait pasindifférente. Je remontai ma robe pour ne pas trébucher dans l’escalier et, comme j’étais pieds nus,John ne m’entendit pas arriver. Heureusement, car j’eus du mal à masquer ma surprise lorsquej’arrivai à l’étage inférieur : la maison baignait dans la pénombre et John avait allumé quelqueschandelles au salon. Une bouteille dans un seau et deux verres étaient installés sur la table basse ainsique plusieurs petits plats remplis de nourriture. Je restai là, ébahie, quand John surgit de la cuisine ets’arrêta net quand il me vit. Il était habillé en habit, le premier bouton de sa chemise détaché, sacravate en pendant de chaque côté et lui, avec un plat dans chaque main. Un moment de silence passa,puis il eut un petit rire :

— Je n’étais pas tout à fait prêt, mais… approche ! J’espère que tu as faim !Il alla déposer les plats sur la table basse, s’empressa de refermer sa chemise et noua sa cravate

sans difficulté. Comme je restais plantée là, il me pointa le canapé. Correctement vêtu, il sortit labouteille de vin du seau et me questionna du regard :

— Un peu de blanc ? J’ai du rouge aussi, si tu préfères…— Non, euh… du blanc. Ça ira.Il paraissait pris au dépourvu que je sois descendue aussi tôt, et moi, je l’étais juste à être là, à

observer sa mise en scène. Je récupérai mon verre et restai toujours debout, dans le coin de la pièce.On aurait dit que quelque chose ne tournait pas rond. J’avais oublié de me réveiller, forcément !

Un autre malaise silencieux passa, puis John pointa la cuisine :— Donne-moi cinq minutes, tu veux ? Il faut que… que je mette le repas au four. Cinq minutes,

répéta-t-il en balayant en direction de la nourriture. Installe-toi. Je reviens tout de suite.Avant que je ne dise quoi que ce soit, il disparut de la pièce. Loin de son regard, je me laissai

tomber sur le canapé et bus pratiquement tout mon verre en trois gorgées. Malgré ma faim, je n’osaitoucher à rien. J’étais visiblement sous le choc de l’ambiance qu’il avait créée. Je m’étais attendue àn’importe quoi sauf à ça.

Lorsqu’il revint au salon, il semblait plus à l’aise. Je le suivis des yeux pendant qu’il meresservait du vin, puis une fois qu’il eut un verre en main, il s’installa à mes côtés :

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— Voilà. Tout est sous contrôle, annonça-t-il. Je t’avertis, je n’ai rien fait de bien complexe. Duveau avec une sauce dont tu me diras des nouvelles.

Je forçai un sourire sur mes lèvres auquel il répondit, puis il tendit sa coupe dans ma directionpour trinquer et, avant que je ne puisse imiter son geste, il la retira brusquement. Son regard s’attardasur moi et un drôle de sourire apparut sur son visage :

— Je manque vraiment à tous mes devoirs : Annabelle, tu es magnifique !Je fronçai les sourcils :— John, à quoi tu joues ?— Mais je ne joue pas, se défendit-il. Je ne peux pas dire que tu es magnifique dans cette robe ?Sans attendre ma réponse, il avança de nouveau son verre vers moi et je trinquai en lui jetant un

regard suspicieux. Il plongea dans son verre avant de reprendre la parole :— Je sens que je vais faire bien des jaloux, ce soir, dit-il en étouffant un rire.Il récupéra un plat qu’il tendit vers moi :— Tu as faim ?Je pris une bouchée, la portai à ma bouche sans attendre pendant qu’il m’expliquait ce que c’était.

Avant qu’il n’éloigne son plat, j’en repris un autre en souriant :— C’est délicieux ! C’est toi qui as fait ça ?— Oui, Madame ! confirma-t-il fièrement. N’ai-je pas dit que je voulais te surprendre ?— C’est réussi !Je ne réprimai pas mon rire et me régalai de ses bouchées. Probablement par nervosité, je bus

mon verre plus vite que je ne l’aurais dû et, avant qu’il ne me resserve, je le déposai sur la table :— Je crois que je vais arrêter l’alcool.Il bondit sur ses jambes :— Je vais te chercher un peu d’eau…Devant sa vitesse d’exécution, je grondai :— John ! Tu peux arrêter deux minutes ? Tu m’étourdis !Il se figea, debout, devant moi, et je pointai la place qu’il venait de quitter. J’attendis qu’il s’y

remette avant de l’engueuler :— Mais qu’est-ce qui te prend de faire ça ? le questionnai-je. Ça n’a aucun sens ! T’as qu’à

m’obliger de coucher avec toi qu’on en finisse !— Tu crois que je fais tout ça pour coucher avec toi ?— Pour quoi d’autre ?Il retint un rire et sa moquerie me déplut. Lorsqu’il le remarqua, il baissa la tête et soupira :— Je dois t’avouer que j’espérais que cette conversation ait lieu un peu plus tard.— Ce ne serait pas la première fois que je défais tes plans, rétorquai-je. Allez, crache le

morceau ! Je n’aime pas du tout ce que t’essaies de faire.

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— Quoi ? Qu’est-ce que je fais ?Je montrai la pièce d’une main comme si mes paroles étaient évidentes :— Ça, John ! Ce n’est pas toi !Son verre retourna entre ses mains et, cette fois, c’est lui qui le vida d’un trait. Je venais de le

dérouter et, tout bien réfléchi, ça ne me déplaisait pas du tout.— Si je voulais coucher avec toi, Annabelle, je n’aurais pas besoin de tout ça. Il m’aurait suffi de

me mettre à genoux et de te remettre une cravache.Je ne réagis pas à sa plaisanterie et il souffla avant de me renvoyer la question :— Pourquoi je fais tout ça, à ton avis ?Je détestais qu’il m’incombe la réponse, alors je dis la première chose qui me vint en tête :— Pour me déstabiliser. C’est tout à fait ton genre.— Tu crois que c’est un jeu ?Je n’hésitai qu’une petite minute avant de hocher la tête :— Oui, John, c’est un jeu.Il serra les dents et je compris que je venais de le blesser. Tant pis. Il avait exigé que je sois

honnête, je l’avais été, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Au bout d’un silence terriblementlourd, il jeta, comme on largue une bombe :

— Je suis amoureux de toi, Annabelle, n’est-ce pas évident ?Même si ma bouche était vide, je me mis à toussoter, puis mes jambes se levèrent comme si je

venais d’être piquée par un serpent. Je ne sais pas le temps que je pris pour retrouver mes esprits etl’usage de ma voix, mais elle résonna en force dans son salon :

— C’est une blague !— Pas le moins du monde.Je le fixai comme s’il était complètement fou. J’avais envie de rire, mais je n’y arrivai pas, alors

je sifflai :— Mais tu ne me connais même pas !Ses yeux tombèrent vers le bas, puis remontèrent vers moi lorsqu’il trouva une réponse à me

servir :— Je ne suis pas d’accord avec ton affirmation. Je te connais sous des angles bien plus

particuliers que Simon. Pas les mêmes, certes, mais j’apprendrai le reste.Je restai là, au bout du canapé, prête à ficher le camp de ce salon. Tout compte fait, j’avais très

envie de reprendre du vin et de me saouler jusqu’à ce que John disparaisse de mon esprit.— Je ne te demande pas de m’aimer, Annabelle, quoiqu’il fût un temps où c’était le cas. Je te

demande seulement de passer la soirée avec moi. De voir ce que ce serait si… si nous étions uncouple.

Même s’il m’en coûta de le faire, je retrouvai un ton sec :— Bien sûr ! Tu vas cuisiner pour moi tous les soirs ?

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— Pas tous les soirs, non, mais ça m’arrive assez souvent. Il faut bien que je me nourrisse…Tout revenait à un ton léger dans sa bouche. À croire qu’il venait de m’offrir des billets pour une

exposition au musée. Et moi, je sentais mes jambes prêtes à déguerpir. Bon sang, j’étais lâche !Pourquoi est-ce que je ne lui riais pas au nez, tout simplement ?

Retrouvant un ton plus ferme, je pointai mon verre du doigt :— Je crois que je vais reprendre du vin.— À la bonne heure ! dit-il, heureux, en hochant la tête.Une fois ma coupe bien garnie, il me la tendit en émettant ses réserves :— Ne te saoule pas, tu veux ? Je ne voudrais pas que tu m’accuses d’avoir abusé d’une femme

aux facultés affaiblies.Je grimaçai avant de porter mon verre à mes lèvres :— Qu’est-ce que ça change, puisque t’as le droit de faire ce que tu veux avec moi ?Avant que je ne boive, il m’arrêta et son regard devint plus dur :— N’oublie pas que nous allons au bar de Maître Denis. Si tu t’offres à quelqu’un, je veux que ce

soit de ta propre volonté.Ses paroles eurent l’effet escompté. Assez pour que je repose mon verre et me défende d’y

retoucher. Malgré tout, il fit comme si nous n’avions jamais échangé nos derniers mots et me tenditdes plats avec toutes sortes de bouchées. À défaut d’être saoule, je serais gavée, mais c’était là ledernier de mes soucis.

John me parla de littérature, des textes qu’il avait envie d’écrire, de ceux qu’il avait lus, d’uneidée de roman qu’il avait envie d’écrire aussi. Si j’étais sur mes gardes, le sujet chassa rapidement lemalaise qu’il avait lui-même instauré. Il était amoureux de moi ? Soit ! C’était à n’y rien comprendre,puisqu’il ne connaissait rien de moi, mais s’il voulait y croire, je n’allais pas l’en empêcher. Avec dela chance, je lui briserai le cœur lorsque je partirai, demain après-midi. Bien que je n’étais pas très àl’aise avec cette idée, après tout ce qu’il m’avait fait, ce ne serait que justice.

Le repas était délicieux et j’avoue que je passai un bon moment. Je n’avais que rarementl’occasion de parler de littérature et même si Simon faisait des efforts considérables pour liredavantage, c’était loin d’être son passe-temps favori.

Alors qu’il desservait et que je le suivais du regard avec un sourire accroché aux lèvres, il melança un regard moqueur :

— Je vous surprends, Madame ?— Un peu, je l’avoue, confirmai-je.— Parce que je suis normal ou parce que j’essaie de vous charmer ?Je lui lançai un regard que j’espérais sombre, mais j’étais tellement bien que je ne sois pas

certaine qu’il ait eu la portée voulue :— John, je ne sais pas la lubie qui t’anime, en ce moment, mais tu perds ton temps. Pourquoi tu ne

reprends pas Laure ou… une petite minette de vingt ans pour passer le temps ?

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— Je prendrai une minette de vingt ans si cela vous sied, Madame, et si vous m’aidez à la mater,dit-il en m’envoyant un clin d’œil complice.

— Je ne suis pas Maître, arrête.— Tu t’en sortais pourtant très bien avec Laure, ce matin. À nous deux, nous ferions des

merveilles, tu ne penses pas ?Je pivotai sur ma chaise pour mieux le voir et lui lançai un regard choqué :— Alors c’est ça, ton idée de couple ? On s’amuse avec des soumises le week-end et on fait des

soupers romantiques la semaine ?— Rien n’est défini. C’est pourquoi je veux que tu gardes un esprit libre, ce soir. Je ne dis pas

qu’on doit prendre une soumise, même si Laure serait ravie de revenir ici, mais nous pourrions fairequelques soirées à l’occasion.

Les yeux au ciel, je secouai la tête :— Vraiment John, tu me connais mal.Le temps que je reprenne ma place qu’il apparut devant moi et s’agenouilla pour mieux me voir :— Annabelle, ne repousse pas cette alternative sous prétexte que c’est différent de ce que tu

voudrais être. Je t’ai dit que tu pourrais prendre ta décision demain, et je te promets de la respecter,mais cela implique que tu te sentes libre, ce soir. Complètement libre !

Je lui jetai un air anxieux :— Qu’est-ce que je dois comprendre ? Que tu veux que je couche avec n’importe qui ?— Pas n’importe qui. Avec tous ceux dont tu as envie. Librement. Sans penser à Simon, sans

craindre d’être jugée. Sans entrave, Annabelle.Ma gorge se serra et je lui en fus reconnaissante de m’empêcher de lui répondre, mais il insista,

comme si sa vie en dépendait :— Nous avons tous un côté sombre en nous, Annabelle. Tu connais le mien, je connais le tien. Je

crois que tu ne l’as pas suffisamment laissé s’exprimer, alors je vais te donner la chance de le faire,ce soir. De ton propre chef et non en tant que soumise. C’est très différent, tu sais ?

Je ne répondis pas, mais je m’en doutais déjà. Qu’il était facile d’obéir et de rejeter la faute deses actes sur une tierce personne. Là, il me demandait de commettre des gestes que j’allaisprobablement regretter demain et avec lesquels j’allais devoir apprendre à vivre.

— Ce n’est pas le week-end auquel je m’attendais, finis-je par dire en espérant dévier laconversation.

— Je m’en doute. Mais je voulais que tu voies qui j’étais.— Je sais qui tu es, dis-je un peu sèchement.Il pointa la table où des bougies brillaient toujours :— Ça, c’est aussi moi, Annabelle. Et la femme que tu laisseras vivre, ce soir, ce sera toi,

également. Nous sommes des êtres complexes et multiples. Nous avons des rêves, des fantasmes, desdésirs. Tout ça compte, Annabelle. Et moi, c’est ce que je t’offre. Une vie à notre image : complexe,

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riche, différente…Il se releva, mais ne me quitta pas des yeux :— Tout ce que je demande, c’est que tu l’essaies. Un soir. Après, tu pourras retourner à ta vie

normale, je ne t’en empêcherai pas. De toute façon, c’est ce que je suis et je serais incapable departager ma vie avec une femme qui ne l’accepterait pas.

Un peu vite, je dis :— Je ne pourrais pas accepter ça.— Tu étais prête à le faire, il y a un peu plus d’un an, se moqua-t-il. Un soir, Annabelle, c’est tout

ce que je demande.Sa main caressa ma joue du bout des doigts :— Ne m’oblige pas à te l’ordonner, tu veux ?Je détournai la tête pour lui démontrer que je n’avais pas envie qu’il me touche, puis je me

relevai et marchai en direction de l’entrée :— Bien. Si tel est ton souhait, allons nous vautrer dans la luxure !Son rire éclata derrière moi et je dus serrer les lèvres pour ne pas en faire autant. Qu’est-ce que

j’étais dramatique ! Il fallait que je laisse mes préjugés de côté et que j’oublie ma vie avec Simon,juste ce soir. Si c’était là le désir de John, autant le satisfaire et lui prouver qu’il avait entièrementtort à mon sujet.

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Plaisir sur banquette

Je fus surprise de la foule qu’il y avait au bar de Maître Denis, mais il est vrai que je n’y avaismis les pieds que deux fois et jamais le samedi soir. Dans ma robe, plus habillée que la plupart desgens présents, et au bras de John, j’attirais les regards. Possible que les gens étaient curieux de levoir en compagnie d’une femme qui ne soit pas en laisse. En tous les cas, nous ne passions pasinaperçus.

Alors qu’il me guidait à une table, John susurra des règles à mon oreille :— Ce soir, vous êtes une Maîtresse, Annabelle. Ne détournez pas les yeux. Soyez provocante.

Ordonnez. Acceptez ou refusez les offres que l’on vous fait. Vous êtes libre de vos choix.Ses paroles m’effrayèrent et il dut le remarquer, car une fois installée sur une banquette, John se

glissa à ma gauche et se pencha vers moi :— N’ayez pas peur. Je ne serai jamais loin. Je vous protègerai.Lorsqu’un homme arborant un collier passa près de nous, il ordonna, d’un ton sec :— Apportez une bouteille de champagne.— Tout de suite, Maître John.Dès que le serveur s’éloigna, il tourna vers moi un visage heureux :— Tu vois ? Tout est dans l’attitude.Je hochai la tête sans conviction. Parler haut et fort, soutenir les regards… ça ne me paraissait

pas bien difficile. De toute façon, il faudrait bien que j’essaie…Quand la bouteille arriva devant nous et pendant que le serveur nous servait, le soumis garda les

yeux baissés et demanda :— Y’a-t-il autre chose que je puisse faire pour votre plaire, Maître John ?— Pas pour moi, mais peut-être pour Madame ?Il me relança la question avec un air moqueur et je gardai la tête froide en récupérant ma flûte,

fixai le soumis sans sourciller :— Pas maintenant, mais peut-être plus tard ?— J’en serais ravi, Madame.Il s’inclina et prit congé. John cogna son verre contre le mien :— Peut-être plus tard, répéta-t-il avec un air amusé.Il me dévora des yeux et prit une longue inspiration :— J’adore te voir comme ça.— Comment ? demandai-je en soutenant son regard.— Aussi sûre de toi. Et libre aussi.

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Je bus une petite gorgée avant de déposer mon verre :— Pour l’instant, ça ne me paraît pas trop difficile.— Et c’est encore mieux quand on en abuse, m’avoua-t-il à voix basse.Il semblait heureux. Vraiment heureux. On aurait dit un gamin dans un magasin de jouets.

Discrètement, il récupéra un comprimé qu’il glissa dans sa bouche et le conserva entre ses dents pourme le montrer avant de l’avaler. Je fronçai les sourcils :

— Quoi ? T’as besoin de ça ? Maintenant ?Il balaya la salle d’une main :— Il y a tant de femmes à combler. J’ai besoin d’aide !Je le frappai d’un coup d’épaule, mais je ne pus m’empêcher de rire :— Tu es fou !— Il faut bien qu’un homme profite des bonnes choses de la vie. C’est facile pour toi, de dire ça !

Dès que tu es excitée, tu es prête ! Mets-toi un peu à ma place !— Je ne veux pas me mettre à ta place ! rigolai-je. Tu as beaucoup trop de pression !Son nez se frotta sur ma joue et sa voix chuchota près de mon oreille :— Il y en aura toujours pour toi. Avec ou sans cachet.Je levai les yeux au ciel et soupirai :— C’était presque romantique.— Il n’y a rien de plus romantique que de te voir jouir, ma jolie. Et j’espère bien y avoir droit.Sa prétention m’énervait, mais de le voir prendre ce cachet ne cessait de me faire sourire. C’était

comme si John était devenu un homme à mes yeux et il ne s’en cachait pas. C’était agréable.— Et ça prend combien de temps avant de faire effet ? m’entendis-je demander.— Un peu moins d’une heure. Quoique je n’aie pas de trouble de ce genre, alors si tu veux qu’on

passe directement aux choses sérieuses, je suis tout à fait disposé à te satisfaire sur le champ.Son doigt caressa mon épaule nue et le frisson qu’il m’inspira me déplut. Je pris ma flûte de

champagne, en bus une bonne rasade avant de me forcer à rire :— Je ne suis pas encore assez saoule pour coucher avec toi !Il me lança un regard entendu, visiblement agacé que j’utilise l’alcool pour libérer mes

inhibitions de la sorte. Docile, je repoussai le verre en guise de bonne volonté, avant d’ajouter :— C’était pour te faire marcher. Je ne suis pas saoule du tout.— Bien.Sa tête dévia autre part que sur moi et cela me soulagea. Je l’imitai, consciente qu’il y avait

toujours de quoi voir, dans ce genre d’endroit. J’observai certains couples qui dansaient, la plupartde façon franchement provocante, puis m’amusai à distinguer les Maîtres des Soumis. Parfois,j’apercevais un doigt qui se faufilait entre des cuisses, puis, au loin, j’aperçus une femme quidiscutait avec des hommes et qui se faisait lécher par une autre femme, à quatre pattes sous la table.

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— Dis donc, il y a de l’action ! dis-je pour essayer de banaliser l’effet que cela produisait surmoi.

John me sourit :— Il est vrai que tu n’as pas l’habitude. Tu sais, tout ça est un peu redondant, à la longue, dit-il en

faisant un geste vague avec la main. Remarque, c’est mieux qu’un film porno. Au moins, on peutparticiper !

Je le toisai du regard, un peu surprise par le côté blasé de la situation.— Si tout ça t’indiffère, pourquoi t’y viens ?— Parce que j’aime le sexe, me répondit-il tout bonnement, et qu’il arrive que certaines scènes

m’inspirent plus que d’autres.Il se pencha plus près de moi et afficha un air intéressé :— Et ce soir, j’espère que tu en joueras une ou deux pour moi…— Avec toi ou avec d’autres ?— Avec qui tu voudras.Il répondit sans hésitation, mais après un bref silence, il ajouta :— Quoique je serais honoré de faire partie des élus.Mes doigts faisaient tourner mon verre sur la table et je songeai qu’il serait bien intéressant de

coucher avec un tas d’hommes sans me soucier de John. Cela le rendrait fou et peut-être finirait-il parcomprendre que son idée de m’emmener dans ce bar était ridicule ? À sa place, j’aurais pris la nuitde sexe et je serais passé à autre chose ! La seule chose dont j’avais envie, c’était qu’il s’en mordeles doigts !

— Puisque tu aimes le spectacle, me permets-tu une distraction ? me demanda-t-il soudain.Avant que je ne puisse lui répondre, il fit signe à une soumise de s’approcher et la fit tourner par

deux fois devant notre table pour la contempler. Après quoi, son regard revint sur moi :— Elle te plaît ?Je me braquai légèrement :— Pourquoi ?— Parce que je vais lui demander de me sucer. À moins que tu préfères le faire à sa place, se

moqua-t-il.J’étouffai le malaise qui me gagnait et je feignis l’indifférence en haussant les épaules :— Amuse-toi !— Oh, mais j’y compte bien !Il fit signe à la soumise de passer sous la table :— Venez Mademoiselle. Montrez-moi ce que vaut cette jolie bouche dont vous êtes pourvue.À ma gauche, son corps se positionna plus confortablement et j’étais plutôt contente que la table

masque ce qui se passe en dessous. Quand il soupira et que je compris qu’elle venait de le prendre enbouche, il tourna un visage serein vers moi :

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— Elle n’est pas mal. Pas aussi douée que toi, évidemment, mais si ça t’intéresse, je suis sûrequ’elle sait lécher les chattes aussi.

Je retins la grimace que j’eus envie de lui faire et conservai la tête froide :— Je préfère les hommes, John. N’est-ce pas une preuve que tu ne me connais pas tant que ça ?— Oh, mais il y en a deux ou trois jeunes hommes qui m’ont l’air pas mal. Malheureusement,

pour satisfaire ce genre de besoins, tu devras te contenter d’un soumis. Les Maîtres ne s’agenouillentpas sous une table, tu t’en doutes.

Alors qu’il disait cela, il ferma les yeux et se laissa transporter par une vague de plaisir. Je serrailes dents. Pendant trois secondes, j’en arrivai jusqu’à oublier la femme sous cette table. Quandl’attention de John se reposa sur moi, il arbora un large sourire :

— Allez, Annabelle ! Fais-toi plaisir ! Si ça te gêne d’ordonner, je peux le faire pour toi !Il leva un bras auquel je m’accrochai pour l’empêcher de poursuivre :— John, arrête !— Quoi ? Ose me dire que la situation ne t’excite pas ? Et ne mens pas ! ajouta-t-il en fronçant

les sourcils.Sa main se posa sur ma cuisse, par-dessus ma robe, et il serra doucement ma chair :— Si tu es trop timide, je peux aussi glisser mon doigt dans ta petite chatte et te faire jouir sans

trop de mal…Je le fixai avec un air faussement outré, non sans détester que mon corps réagisse à ses paroles

alors que je refusais de céder. Lui, il ne parut pas le remarquer, trop occupé qu’il était à soupirerd’aise sous les coups de bouche que la soumise lui prodiguait. Juste à la force que je percevais surses doigts, toujours sur ma cuisse, je sus qu’il était sur le point de perdre la tête. Troublée, je chassaisa main et je fis signe au premier soumis qui passait :

— Toi, à genoux, retire mes souliers et masse mes pieds !L’homme resta surpris, mais se débarrassa du plateau qu’il tenait entre ses mains, et obtempéra

sur le champ. Je fus surprise de sa réaction et d’autant plus du sentiment qui m’animait lorsqu’ils’exécuta. Alors qu’il caressait mon pied avec soin, John tourna un regard amusé vers moi. Avantqu’il ne se moque, je répondis, le plus sérieusement du monde :

— Sache que ces souliers sont tout sauf confortables.— Dois-je espérer que la robe l’est aussi pour qu’on vous la retire ?— Désolée Monsieur, mais elle est très confortable, dis-je en laissant ma tête retomber vers

l’arrière.Lorsque la soumise se releva, John la remercia et lui fit signe de ficher le camp, puis il pivota sur

la banquette pour mieux m’observer :— Il est doué ?— Assez doué pour que je songe à lui laisser lécher mes orteils, dis-je en essayant de ne pas me

mettre à rire.

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— Jeune homme, procédez ! ordonna John. Léchez-lui les orteils. Avec de la chance et si vousvous exécutez bien de votre tâche, elle vous laissera peut-être lécher autre chose.

Je sursautai lorsque la bouche de l’homme se fit sentir autour de mon gros orteil, mais cette fois,je m’empressai de poser une main sur ma bouche pour m’empêcher d’éclater de rire.

— Agréable ? demanda John, des yeux remplis de malice posés sur moi.— Ça chatouille, admis-je en étouffant un fou rire.— Je ne vous connaissais pas des fantasmes de cet ordre, Madame, mais il me tarde de vous voir

jouir. Dois-je vous resservir un peu de champagne ?Avant que je ne puisse lui répondre, il remplit mon verre et me le tendit, mais je le refusai,

surtout par crainte de ne pouvoir réprimer ni mon rire ni le tremblement nerveux qui m’habitait touten buvant.

Quand le soumis changea de pied, je recommençai à rire et dus me faire violence pour ne pasm’excuser auprès du fautif.

— Soyez plus doux, plus… sensuel ! le disputa John. On ne vous a donc rien appris ?Dans la seconde, le soumis se remit à caresser mes pieds, remonta le long de ma cheville et de

mon mollet tout en embrassant ma plante de pied. Mon rire disparut comme par enchantement etdevant mon changement de réaction, John me questionna aussitôt :

— Mieux ?— Beaucoup mieux, confirmai-je.— Continuez comme ça, ordonna John en haussant la voix.Je retournai à ma détente et fermai les yeux, mais John s’avança plus près de moi et glissa une

main sur ma cuisse :— Annabelle, ordonne-moi de te faire jouir, tu veux ? J’ai très envie de te caresser. Personne ne

le remarquera. Et je suis sûr que tu en crèves d’envie, toi aussi…Je lui jetai un regard que j’espérais noir, mais la façon dont il me fixait sembla me rappeler ma

promesse de ne pas mentir. Avais-je envie de jouir ? Oui ! À la seconde où il avait permis à cettefille de lui faire une fellation, j’avais ressenti une pointe d’agacement et une vive chaleur entre mescuisses, mais il était hors de question que John me touche. Forçant une voix ferme, j’écartai lesjambes :

— Jeune homme, montrez-moi si vous léchez les chattes un peu mieux que les orteils. Je vousdonne cinq minutes et pas une de plus.

Mon ordre ne passa pas inaperçu et le soumis tira sur mes jambes, ce qui obligea mon bassin àglisser vers lui, puis il écarta mes cuisses et se glissa sous ma robe avant de jeter sa bouche contremon sexe. Même si je tentais d’avoir l’air détendue, il était visiblement déterminé à me faire perdrela tête dans le temps que je lui avais imparti.

John jeta un œil à sa montre et parla fort :— Je chronomètre, jeune homme, et je vous fouetterai moi-même si vous ne comblez pas les

attentes de cette dame.

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Je voulus le faire taire, mais j’étais déjà incapable de parler, trop occupée à retenir le souffle quis’échappait de mes lèvres. L’ordre de John avait donné plus de raisons qu’il n’en fallait au soumispour dévorer mon sexe et moi, je dus admettre que j’avais fort envie de céder à sa bouche.

— Tu pourrais résister un peu, me gronda faussement John, voyant le plaisir que j’y prenais.Je déglutis et attendis de trouver une voix ferme avant de lui répondre :— Dois-je comprendre que tu as envie de le fouetter ?— Que ne ferais-je pas pour toi, dit-il en frottant le bout de son nez sur mon épaule.Ses paroles me plurent et, paradoxalement, je détestai cela. Je détournai la tête loin de la sienne

pour profiter de cette bouche qui me chavirait avec plus d’aisance que je ne l’aurais cru. Alors quej’étouffai un râle, John grogna :

— Mais laisse-moi te voir !— Oh ! Fiche-moi la paix, soufflai-je.Probablement parce qu’il sentait que les intrusions de John ralentissaient mon plaisir, le soumis

insista de plus belle, si fort que je crus qu’il allait me faire chuter sous la table. Je me retins sur labanquette pour éviter de le rejoindre par terre et j’aurais certainement éclaté de rire si je n’étais pasaussi proche du but, puis John passa un bras autour de ma taille et me colla contre lui pour me retenir.

— Oh Seigneur ! dis-je en me cambrant comme il m’était possible de le faire.— Lâche tout, Annabelle, chuchota John.Je ne sais pas si son ordre m’octroya le droit de perdre la tête ou si j’étais incapable de me

retenir plus longtemps, mais j’obéis sur le champ. Un petit cri franchit mes lèvres et je l’étouffaiavant qu’il ne dérange tout le monde. Dans de petits soubresauts agréables, je me laissai revenir à laréalité et je ne réalisai que lorsque le soumis fut debout, devant notre table, qu’il avait quitté mesjambes, toujours écartées et en feu.

— Ai-je été à la hauteur de vos attentes, Madame ?John jeta un coup d’œil rapide sur sa montre :— Quatre minutes et demie. C’est pas mal.— C’était délicieux, admis-je, encore à bout de souffle.D’une main agacée, John fit signe au soumis de disposer, comme il l’avait fait précédemment

avec la jeune femme. Je laissai ma tête retomber sur son torse avant de comprendre qu’il medévisageait avec intensité.

— John, arrête de me regarder, dis-je en le repoussant et en reprenant tant bien que mal uneposition correcte sur la banquette.

Je chassai son bras autour de ma taille et récupérai mon verre. Soudain, j’avais soif.Terriblement soif. Et je n’étais pas sûre que le champagne suffise à combler ce besoin qui m’habitait.

— Je ne faisais que regarder, se défendit-il. Serais-tu à ce point cruelle pour ne pas me laisseradmirer tes orgasmes ?

Je haussai les épaules en évitant de le regarder :

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— Peut-être que je suis plus douée pour la cruauté que je ne le pensais, dis-je en essayant decontenir ma voix.

John éclata d’un rire franc :— Alors là, je n’en doute absolument pas.Il se pencha de nouveau vers moi et reprit, d’une voix suave :— Et je suis prêt à souffrir bien des affres si cela me mène à ton cœur, Annabelle.— John, arrête, dis-je en essayant de ne pas paraître déstabilisée par ses propos.— Quel est le problème ? Ma déclaration te troublerait-elle ?Je lui jetai un regard sombre :— La vérité, John, c’est que je ne pense pas que tu sois capable d’aimer.Son sourire augmenta, nullement perturbé par ma remarque :— La vérité, Annabelle, c’est que tu n’as jamais connu un amour aussi grand que celui que je

t’offre.Je grimaçai et il ajouta, dans un murmure :— En fait, je crois même que ça t’effraie.— Tu rêves !— C’est ce que nous verrons…Il se redressa pour reprendre place et son air suffisant me déplut. Encore. Décidément, il ne

semblait pas avoir envie de lâcher prise !

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Vilaine

Les salles arrière semblaient bondées. On voyait régulièrement des gens entrer et sortir. Pour mapart, je ne pouvais pas m’empêcher de songer à ce que j’y avais vu, lors de ma première visite. Alorsque je croyais qu’il fixait autre part, John se pencha vers moi :

— Avez-vous envie d’aller y faire un tour, Madame ?— Pas maintenant, dis-je, bien que je songeais à répondre quelque chose comme « jamais ».Un homme passa devant nous en tenant une femme qui semblait avoir du mal avec son équilibre. Il

la poussa en direction des salles arrière et dès qu’ils disparurent sous le rideau noir, John hélaquelqu’un au loin et Maître Denis apparut, tout sourire :

— Maître John !— Maître Denis, je crains qu’une invitée douteuse ne vienne de franchir votre rideau.Maître Denis fronça les sourcils :— Alcool ou drogue ?— Je ne sais pas, mon ami, mais je te suggère d’intervenir et vite.D’un pas lourd, l’homme disparut sous le rideau et je jetai un œil intrigué vers John :— Qu’est-ce qui se passe ?— Une femme qui n’est pas en état de marcher, n’est certainement pas en état de choisir l’homme

avec qui elle a envie de coucher.Il me toisa aussitôt du regard :— J’espère que tu n’es pas saoule !J’arborai un petit sourire moqueur :— Si c’était le cas, est-ce que tu me sauverais du grand méchant loup ?John éclata d’un rire franc et secoua la tête :— J’en doute, ma chère, puisque le loup, c’est moi, et que j’ai fort envie de te dévorer.Il fit claquer ses dents devant moi, avant de retrouver un air plus sérieux :— Ceci dit, si tu étais saoule, ne serait-ce qu’un tout petit peu, il faudrait mettre un terme à cette

soirée. Et je trouverais dommage qu’elle se termine si tôt.Je m’accoudai sur la table et me tournai complètement vers lui :— Qu’est-ce que je dois comprendre ? Que si je veux partir d’ici, soit je me saoule, soit je

couche avec quelqu’un, c’est bien ça ?Il pinça les lèvres :— Voilà qui est très réducteur. Si je t’ai emmenée ici, c’est pour que tu y prennes du plaisir, que

tu réalises tes fantasmes… Simon en ferait-il autant pour toi ?

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Je tournai un visage dur vers lui, contrariée qu’il parle de mon amoureux en termes aussidéplacés :

— Simon ne m’obligerait pas à venir ici.— Peut-être parce qu’il ne connaît pas bien la femme qu’il aime, soutint-il sans paraître choqué

par ma réplique. Allons Annabelle, c’est ta dernière soirée de liberté ! Demain, si tu le souhaites, turetourneras auprès de ton prince charmant et tu n’entendras plus jamais parler de moi. D’ici là, puis-je te demander d’en profiter un peu ?

Je récupérai mon verre et levai froidement la tête pendant qu’il insista :— N’en as-tu pas envie ?— Pas plus que ça.C’était faux, évidemment. Depuis que ce soumis m’avait léché sous la table, j’avais bien envie de

sauter sur le premier venu. Sans parler que des scènes torrides accrochaient mon regard chaque foisque je prenais la peine de jeter un œil autour de moi.

Devant ma réponse évasive, les bras de John m’enlacèrent et il obligea mon regard à soutenir lesien. Malgré mon sursaut qui me fit craindre le pire, sa voix résonna, douce, à mon oreille :

— Je te rappelle que je n’ai que cette soirée, Annabelle. Tu n’as jamais eu envie de savoir ce quece serait, de vivre une relation avec moi ? Quelque chose de vrai, pas juste un lien de Maître àsoumis ?

Je le fixai sans répondre et il ajouta, sans hausser le ton, même si cela n’en restait pas moins unordre :

— La vérité.— Ça m’est arrivé, oui, dis-je après m’être raclé la gorge.Ses bras me relâchèrent, mais ses yeux restèrent sur moi :— Voilà ta chance. Avec moi, tu serais libre, Annabelle. Libre d’assouvir tes rêves les plus fous.

Mais en as-tu seulement le courage ?J’angoissai. Il me mettait au défi et moi, je détestais l’envie que j’avais d’y céder. Et cette fois,

ce n’était pas la colère, mais la curiosité qui m’animait. Était-ce là le genre de relation que Johnpouvait m’offrir ? C’était loin de l’idée que je me faisais du couple parfait.

Je récupérai mon verre que je vidai d’un trait avant de le repousser sur la table :— D’accord ! Puisque tu veux que je baise avec quelqu’un d’autre, allons faire un tour derrière le

rideau !Alors que je glissais hors de la banquette, il me retint par le bras et sa voix s’alourdit :— Annabelle, tout ce que j’exige, c’est que tu fasses tout ce dont tu as envie. Crois-moi, ça n’a

rien à voir avec mes désirs, autrement nous n’aurions pas quitté ma chambre de la journée ou de lanuit. Pas même pour manger.

Son ton rageait et il me dévorait des yeux. Jamais je ne l’avais vu aussi désireux de ma personneet comme j’affichais un air à la fois trouble et surpris, il insista :

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— Je te veux libre, Annabelle. Je veux que, juste pour ce soir, tu embrasses toutes les facettes deta personnalité. Douce, vilaine, cruelle et magnifiquement toi. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Vilaine ? répétai-je.— Oui.Devant la moue que j’affichai, il haussa un sourcil et demanda :— Vas-tu oser ?Je relevai fièrement le menton :— Tu vas voir si je vais oser !Je n’assistai pas à son regard triomphant, je tirai sur mon bras pour poursuivre ma route et il se

faufila devant moi pour me tirer galamment le rideau. Le couloir menant aux salles arrière était bondéet, de toute évidence, à entendre les gémissements qui résonnaient de partout, les pièces étaient bienoccupées, elles aussi. Certaines personnes restaient dehors pour observer à l’intérieur et quelquespièces étaient closes, signe que nous ne pouvions pas y pénétrer. Devant chaque porte ouverte, jedevais m’étirer le cou pour essayer d’apercevoir quelque chose au travers des curieux et quand j’yparvenais, John me questionnait du regard et je secouais la tête.

Heureusement, au bout du corridor, il y avait moins de monde et l’air me parut plus respirable,aussi restai-je un moment devant la porte ouverte où un homme prenait une femme en levrette sur unpetit lit alors que, dans l’autre coin, une femme à genoux suçait un homme soumis dont les poignetsavaient été attachés à des chaînes.

— Classique, se moqua John.Je haussai les épaules sur un air faussement blasé. En réalité, je n’avais pas beaucoup aimé ces

chaînes quand Maître Denis m’y avait attachée et je me demandais si John accepterait de s’ysoumettre. Si j’étais libre de faire ce dont j’avais envie ; lui, allait-il m’obéir ?

— Ces chaînes, elles vous iraient bien, mon cher Monsieur, lui dis-je en instaurant levouvoiement.

Son sourire s’étira et ses yeux se posèrent sur moi :— Me feriez-vous une offre, Madame ?Il sembla à la fois surpris et heureux par ma proposition. J’observai l’homme éjaculer dans la

bouche de la Dominatrice et remarquai les traces qu’il arborait aux poignets lorsqu’il tomba sur lesol. Je ne pus m’empêcher de sourire en imaginant les mêmes sur John. Je ne sais l’expression quis’inscrivit sur mon visage devant cette pensée, mais il parut en jubiler d’avance :

— Madame, on dirait bien que vous avez une vilaine pensée…— C’est possible, acquiesçais-je. Aimeriez-vous y prendre part ?Il se courba vers l’avant en me faisant une étrange révérence :— Je ne saurais vous refuser quoi que ce soit, Madame.Avant qu’il ne change d’avis, j’agrippai son poignet et le tirai rudement dans la pièce. Je profitai

que les chaînes soient libres pour les récupérer et, sans me soucier du couple qui baisait sur le lit, jeles fis descendre à ma portée. John se laissa plaquer contre le mur avec un air ravi et remonta avec

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un air faussement docile les bras vers le haut. Ses yeux lançaient des éclairs de feu à l’idée quej’allais lui faire une fellation, mais mes préoccupations étaient d’un tout autre ordre : je dus memettre sur la pointe des pieds pour l’attacher et mon visage frôla fréquemment le sien. Il en profitapour chuchoter :

— Voilà ta vraie nature, Annabelle.— Vraiment ? dis-je en profitant du fait qu’il soit prisonnier des chaînes pour lui défaire sa

cravate que je laissai tomber sur le sol.Lentement, je défis les boutons de sa chemise en gardant mes yeux rivés aux siens. Ils étaient

remplis d’un désir non masqué pour ma personne et cela me plut. Énormément. Je me sentais habitéed’un pouvoir. Le même que celui que je ressentais en tenant la cravache, mais cette fois, c’était Johnque je tenais en laisse. C’était à la fois nouveau et grisant.

Du coin de l’œil, je vis des gens entrer et prendre place sur des chaises. En plus de mon planmachiavélique, fallait-il que je m’assure que le spectacle soit bon ? Je n’avais pas le temps de m’ensoucier. À ma gauche, l’homme sur le lit avait fini par jouir et pendant qu’il se levait, la femmerestait étalée, cul en l’air, comme si elle attendait qu’un autre homme vienne poursuivre sachevauchée. D’une main lourde, je caressai l’érection de John au travers son pantalon en étouffant unrire :

— On dirait que vos cachets font effet, Monsieur.— Avoir su que j’aurais eu à subir vos affres, Madame, je n’en aurais point pris.Il avait le ton léger et ne semblait pas anxieux outre mesure d’être à ma merci. Au contraire ! La

situation semblait l’exciter davantage. M’agenouillant devant lui, je descendis son pantalon et laissaijaillir sa verge aux yeux de tous, mais au lieu d’en user moi-même, je me tournai vers l’assemblée etpointai une femme, à genoux sur le sol et portant un collier de soumise. Je questionnai son Maître,assis derrière elle :

— Puis-je vous l’emprunter ?Le visage de l’homme s’illumina et il poussa sa chienne d’un coup de pied vers moi :— Va voir la dame.Je pointai alors le sexe de John en m’adressant à la soumise :— Suce petite, et fais en sorte qu’il se tortille bien au bout de cette chaîne.Elle se jeta sur l’offrande bandée et John me lança un regard sombre qui s’estompa rapidement,

puis son rire résonna :— Vilaine !— Tu crois ça ? Tu n’as rien vu, mon cher !Pendant qu’il se faisait sucer par une parfaite inconnue, je m’installai sur le lit, près de la femme

qui restait là comme une idiote. Je relevai une jambe et remontai ma robe jusqu’à ce mon sexe soitvisible pour tous. Je jetai un œil en direction des gens présents dans la salle :

— Y’a-t-il des intéressés ?Deux hommes, dont le Maître qui venait de me prêter sa soumise, bondirent dans un même geste

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et je réprimai mon rire de les avoir fait réagir aussi prestement. Les chaînes clinquèrent. John étaitcoincé et il ne pouvait visiblement pas manifester son intérêt pour ma personne. Je n’avais qu’uneenvie : qu’il m’observe pendant que j’allais me faire baiser à un mètre de lui. Il avait souhaité mevoir ici et avec d’autres hommes ? Il allait être servi ! Je ne pouvais pas espérer mise en scène pluscruelle, sauf lorsqu’il me fallut choisir entre mes deux prétendants, mais je réglai rapidement laquestion :

— S’il y en a pour un, il y en a certainement pour deux, annonçai-je en leur faisant signe des’approcher.

Je vérifiai la réaction de John, les mains prises entre des chaînes et le sexe dans une bouche defemme, mais son regard restait rivé sur moi. Les hommes s’approchèrent et attendirent que je leurordonne quelque chose. Pourtant, à leur allure, il s’agissait de Maîtres, je n’en doutais pas, mais cettefois, c’est moi qui allais les commander. Quelque part, j’en jubilais de joie. D’un air hautain, je leurfis détacher leur pantalon et je jaugeai leur verge à tour de rôle, comme s’il s’agissait d’un vulgairesteak. En taille, il n’y avait guère de différence, alors, un peu au hasard, je récupérai un préservatif etle tendis à celui dont le sexe me paraissait plus gros :

— Toi derrière.Alors que je m’installais à quatre pattes sur le lit et que je remontais ma robe, je fis signe au

second Maître de s’approcher et il grimpa devant moi. Je me jetai sur sa queue sans hésiter pendantque l’homme derrière moi cherchait à enfiler son préservatif. Quand il y arriva, il me tira versl’arrière pour me prendre d’un coup sec. Tout mon corps se raidit et je relâchai l’homme devant moipour savourer le plaisir qu’il me prodiguait. Devant, une main ramena ma tête vers le sexe en attenteet je me laissai guider sans rechigner. Alors que j’étais Maîtresse de la situation, je ne deviens plusqu’un objet soumis à leur bon vouloir. Dans le peu de conscience que je gardai, je m’affairais à offrirdu plaisir à l’homme devant moi, comme une fausse contrepartie de ce qui se passait derrière moi.Deux inconnus me prenaient et j’en jouissais doublement.

Quand je fus au bord du gouffre, je m’accrochai aux fesses devant et m’acharnai sur son sexeavec la même ferveur que l’on m’octroyait par derrière. Très vite, il se mit à gueuler et du spermeinonda ma bouche. Aussitôt, je repoussai l’homme qui me parut inutile et m’affalai sur le lit lorsqu’onse retira de mon sexe. Comblée, je pris un temps pour profiter de cet instant, si doux, puis je tournaila tête vers John. Ses mains étaient toujours enchaînées et si ses yeux ne s’étaient jamais détournés dema personne, la soumise avait bel et bien disparue. Et son Maître aussi.

Mollement, je me redressai et replaçai ma robe quand un homme s’avança d’un pas :— Puis-je vous offrir d’autres plaisirs, Madame ?Je refusai d’un geste de la main. En réalité, je voulais relâcher John. Je me trouvais bien cruelle

et j’avais envie de le voir tomber à mes genoux, poignets endoloris, à mon service. Pourtant, une foisdevant lui, je le dévorai des yeux et affichai un petit sourire en coin :

— Vous êtes bien joli comme ça.— Et vous seriez bien plus jolie nue, me répondit-il sans hésiter.D’une main, je détachai le haut de ma robe qui tomba et dévoila ma poitrine dans la seconde.

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— Suis-je assez vilaine pour toi ?Les chaînes clinquèrent et il fit mine de vouloir sauter sur moi :— Détache-moi et on verra lequel des deux est le plus vilain.Ses mots étaient à la fois effrayants et terriblement excitants. Assez pour que je recule d’un pas.

Étrangement, je n’étais pas certaine d’avoir suffisamment de courage pour m’approcher de lui.Encore moins pour le libérer.

Je revins près du lit et il dut comprendre que je n’avais pas l’intention de défaire ses liens, car ilchuchota, sur un ton empreint de menaces :

— Approche ma jolie…Je glissai une main entre mes seins, caressai mon ventre et descendit le long de l’entaille de ma

robe pour dévoiler davantage ma cuisse à sa vue.— Ou sinon ? le provoquai-je en posant mes doigts sur mon sexe.Un homme se leva et fit un pas en attente d’une invitation, mais John le fusilla du regard :— Désolé, c’est mon tour.L’homme vérifia de mon côté, mais John avait déjà reposé ses yeux sur moi :— Annabelle, si tu ne me détaches pas, je retirerai moi-même ces chaînes et là, je t’avertis, je ne

répondrai plus de moi.Je retins un rire. Ses yeux me lançaient des éclairs et j’adorais cela. Je me laissai retomber sur le

lit et commençai à me masturber devant tout le monde. Le cliquetis des chaînes se firent entendre,puis le temps que j’augmente le rythme de mes caresses qu’un corps se rua sur moi. Sans réfléchir, jele repoussai, mais avant que je ne puisse le jeter hors du lit, des mains maintinrent les miennes enplace, puis le visage de John apparut au-dessus du mien alors que j’étais sur le point de paniquer.

— Qu’est-ce que… ? Comment t’as fait… ?— Je connais le mécanisme, dit-il, non sans paraître peu fier. Oublierais-tu que je viens souvent

ici ?Sa bouche se posa sur ma poitrine et tout mon corps se souleva lorsque sa langue glissa sur ma

peau. Je n’avais qu’une envie, qu’il me prenne sur le champ ! Mais sa tête se releva vers moi :— Demande-le-moi, Annabelle. Et vite, car tu n’as aucune idée à quel point j’en meurs d’envie !Je gloussai comme une idiote. Avait-il seulement conscience que cet état d’esprit était partagé ?

Au lieu de lui ordonner de me baiser, je grondai :— Non ! C’est moi qui vais te baiser !Il relâcha mes mains, parfaitement obéissant, et je me relevai mollement pour lui indiquer un coin

de mur, sur le sol. Il se jeta hors du lit et je l’imitai. Ce n’est que là que je remarquai qu’un autrecouple s’était mis à baiser contre le mur en utilisant les chaînes, mais je les chassai de mon esprit. Jene voulais plus voir que lui. Je le rejoignis par terre et il m’ouvrit les bras, sexe tendu et visiblementimpatient. Alors que je me jetais à son cou, il remonta ma robe, empoigna mes cuisses et guida monbassin pendant que je m’empalais sur lui. Cette pénétration fut lente et je la savourai quelquessecondes lorsqu’il fut complètement en moi, ma tempe contre la sienne.

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— Oh Annabelle, souffla-t-il à mon oreille.Il embrassa ma joue et je crois qu’il espérait atteindre ma bouche, mais j’étais déjà loin, le corps

arqué vers l’arrière et me déhanchant sur lui. Ses mains m’empêchaient de glisser hors de son sexe.Heureusement d’ailleurs, car j’étais trop excitée pour gérer ma chevauchée. Je voulais jouir, vite etfort, ce que je fis sans attendre, dans un cri que je n’essayai même pas d’étouffer. Enfin, à bout deforce et haletante, je m’effondrai sur lui.

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Toutes les facettes

Alors que je baignais dans une torpeur délicieuse, tout s’enchaîna très rapidement. John rattachama robe, m’entraîna hors des salles arrière et me fit boire une bonne rasade de champagne avant dem’emmener hors du bar de Maître Denis. Si vite que j’eus peur d’avoir commis un impair, bien queje ne voyais pas quoi. Avais-je manqué de respect à un Maître ? Je n’en avais pas l’impression.

Une fois à l’extérieur, alors que l’air de l’extérieur raviva mes esprits, je tirai sur son bras pourle ralentir dans sa course :

— John ! Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai fait quelque chose de mal ?Il s’arrêta, sec, et se tourna vers moi :— Quoi ? Non !— Alors pourquoi on part comme des voleurs ?— Parce que tu vas bientôt te rendre compte de ce que tu viens de faire et que ce sera peut-être un

choc pour toi.Je fronçai les sourcils et haussai les épaules :— J’ai fait bien pire quand j’étais ta soumise.— Mais ce soir, tu étais libre de tes choix, Annabelle. C’est même toi qui as tout orchestré.Je faillis secouer la tête, puis je me ravisai. Étais-je vraiment responsable de ce qui s’était

produit dans les salles arrière ? Oui et non. Je présume que si John ne m’avait pas emmenée dans cebar et s’il ne m’avait pas défiée, je ne l’aurais pas fait, mais en même temps… je ne pouvais pas direque ça m’avait déplu. C’était plutôt agréable de sentir aux commandes, pour une fois.

— Tu ne vois aucune différence ? me questionna-t-il à nouveau, visiblement troublé devant lalongueur de mon silence.

Je lui jetai un regard sombre quand je compris ce qu’il attendait de ma personne :— Tu veux que je me sente coupable, c’est ça ?Il sourit et s’empressa de secouer la tête :— Bien au contraire ! Je veux que tu acceptes ce que tu as fait ! Ce que tu es, rectifia-t-il.Ses mots me choquèrent et je l’apostrophai aussitôt :— Parce que je suis quoi ? Une garce ?Ses yeux s’agrandirent de surprise, puis de colère :— Tu es une femme libre, bon sang ! Pleine de feu, de fantasmes, de rêves ! Ce que j’ai vu, ce

soir, c’était magnifique, Annabelle ! Comment peux-tu croire que je puisse penser quelque chosed’aussi terrible de toi ?

Plus il parlait, plus les images de la soirée me revenaient en tête, et moins j’arrivais à lesupporter. Bon sang ! J’avais vraiment été une garce ! Je reculai d’un pas, soudain furieuse par la

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façon dont il m’avait piégée. Encore !— C’était donc ça ton but ! l’accusai-je. Tu croyais qu’en me laissant agir comme une pute,

Simon me ficherait à la porte et que tu pourrais me reprendre en claquant des doigts, c’est ça ? Alorslà, t’es vraiment idiot, John !

D’un pas, il m’empoigna par les épaules et m’empêcha de reculer davantage :— Simon n’a rien à voir dans cette histoire, Annabelle. C’est toi qui m’intéresses.Il se tut un instant avant de se raviser :— Quoique je ne serais pas contre le fait qu’il me laisse le champ libre, je ne te mentirai pas là-

dessus.Alors qu’il cherchait ses mots, je chassai ses mains sur moi et dis, en le défiant du regard :— Tu veux qu’on y retourne ? Je m’en tape dix ou douze, si ça te fait plaisir. Ça ne changera

absolument rien. Demain, je vais retourner avec Simon et son corps va effacer tout le reste. Toi ycompris.

Ses dents claquèrent lorsqu’il serra les lèvres, si fort qu’il en grimaça. Au bout d’un temps lourdde non-dits, il soupira :

— Je crois que tu n’as pas compris ce que j’ai voulu faire.Mes bras se nouèrent devant moi et je haussai un sourcil pour lui démontrer que j’attendais ses

explications et il ne se fit pas prier pour me les offrir :— J’ai envie que tu sois libre, Annabelle. Et cesse de te leurrer : Simon ne va rien effacer du

tout ! À la limite, quand j’étais ton Maître, tu pouvais rejeter tes actions sur moi, puisque je te lesavais commandées. Ça te donnait bonne conscience. Mais ce soir, je n’ai rien fait. Je t’ai seulementdonné la chance de goûter à ce qu’on ressent quand on est Maître de soi.

Je n’aimais pas la façon dont il me remettait tout ça sur mes épaules, alors je détournai la tête endirection de là où il s’était stationné :

— Ce n’est pas plus agréable que ça, dis-je sèchement. Bon, on peut rentrer, maintenant ?Le vent s’était levé et j’avais froid. Ou alors c’était un frisson d’effroi qui glissa sur mes épaules.

Je tentai de repartir en direction de la voiture, mais John me retint de nouveau, cette fois par la taille.Ses bras m’enlacèrent par derrière et il me colla dos contre son torse :

— Annabelle, il y a des tas de facettes en toi. Tu sais être douce, soumise, généreuse,sensuelle…, mais tu es aussi cette autre fille : cruelle, dominante… vilaine.

Son ton essaya d’être léger, mais je grimaçai sans répondre. Peut-être le remarqua-t-il, car ilsoupira encore :

— Crois-moi, Annabelle, je sais ce que c’est que de découvrir des facettes de soi qu’onpréférerait ne jamais avoir, mais il y a des façons bien plus terribles de les utiliser, tu ne pensespas ?

Je chassai ses bras pour lui refaire face. Qu’est-ce qu’il me disait ? Qu’il aurait aimé ne pas êtrece qu’il était devenu ? Devant ma question muette, il fit mine de sourire :

— Si je n’étais pas devenu Maître pour libérer toutes ces pulsions, qu’aurais-je été ? Comme

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mon père ? Ou le tien ? Quand on y pense, j’ose croire que je ne m’en suis pas trop mal tiré.— Pas trop mal, en effet, admis-je, un peu à contrecœur.— Tout ce que je veux pour toi, c’est que tu ne te voiles pas la face comme le font la plupart des

gens. Tu es passée de l’autre côté, Annabelle. Tu as vu que l’humain était fait de côtés sombres et quetu en avais, toi aussi.

J’essayai de rester calme lorsque je jetai :— Et alors ?— Et alors ? répéta-t-il en haussant le ton. Alors je veux que tu les acceptes !— Je les accepte, dis-je en espérant clore la discussion.Il se pinça le nez, choqué que je tente d’esquiver toute réflexion sérieuse sur le sujet, mais avant

que je ne puisse lui demander de me laisser partir, il leva la main et reprit, sur un ton las :— Puisque tu refuses de coopérer, je vais faire au plus court : tu ne t’acceptes pas, Annabelle. La

seule facette que tu aimes chez toi, c’est la femme comblée, rédactrice en chef et en couple. C’est lecôté normal de ta vie. Et encore, je ne te parle pas de cette relation que tu entretiens avec Simon. Jesuis persuadé que tu l’as choisi lui, parce qu’il savait ce que tu avais fait, avec moi.

— Tais-toi !Je m’étais emportée, suffisamment pour que les gens qui passèrent près de nous se mirent à nous

jeter des regards curieux. Agacé par nos spectateurs, John me tira plus près de la voiture. Pendant uneseconde, je crus que nous en avions terminé, mais devant ma portière, il se replanta devant moi :

— Demain, si c’est vraiment ce que tu veux, tu pourras te voiler la face à nouveau, te dire quec’est ça, la vie que tu souhaites : si belle, si parfaite, si normale ! Mais ce soir, Annabelle, jevoudrais que tu te voies comme je te vois : avec tes zones d’ombres et toutes ces facettes qui font detoi la femme sublime que tu es.

J’eus l’impression qu’il cherchait à me provoquer, mais qu’il enrobait le tout de compliments. Jele scrutai sans répondre et sans comprendre ce qu’il attendait de moi.

— Avec moi, tu aurais tout, Annabelle. Tu serais à la fois libre et entièrement mienne. Tuapprendrais à aimer chacune de tes facettes, même celles que tu refuses de voir…

Je détournai la tête :— John, arrête. Je veux rentrer.— Je n’ai pas fini ! Bon sang, Annabelle ! Tu crois que je t’aurais emmenée là-bas si je ne

pensais pas que c’était important pour toi ? Si j’étais vraiment égoïste, je n’aurais pas perdu toutesces heures dans ce bar alors que j’aurais pu simplement te garder pour moi ! Tout ça, c’est pour toique je l’ai fait !

Je le fusillai du regard. Cette fois, je l’engueulai sans me soucier de l’endroit où nous étions etdes gens qui marchaient tout près de nous :

— Si tu voulais vraiment faire quelque chose pour moi, alors tu serais resté hors de ma vie ! Et tune m’aurais certainement pas ramenée là-bas !

D’un trait, je tournai les talons, déterminée à le laisser là et à rentrer chez moi, en taxi, mais la

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main de John s’accrocha à mon bras et alors que je crus perdre pied, je me retrouvai plaquée contresa voiture et sa bouche sur la mienne, dans un baiser si fougueux que j’en oubliai nos différends.Quand il libéra mes lèvres, son corps resta contre moi, comme s’il voulait m’empêcher de fuir, puisil cogna son front sur le mien et son visage devint triste :

— Je t’aime Annabelle. Je fais au mieux avec le peu que tu me laisses. Je suis conscient de ceque je t’ai fait, autrement crois-tu que je t’aurais laissée me fouetter ? Je voulais apaiser ta colère,que je mérite, je ne dirai pas l’inverse. Et tu remarqueras que je n’ai jamais exigé ton pardon. Et queje ne le ferai pas, non plus, parce que je sais que certains des gestes que j’ai commis à ton endroitsont impardonnables.

Son aveu m’étrangla et j’eus du mal à poser ma question sans me mettre à trembler :— Alors… qu’est-ce que tu veux ?— Je te l’ai dit : je veux réparer mes erreurs. Ce n’étaient pas des paroles en l’air, Annabelle. Je

veux que tu saches que c’est possible qu’on t’aime complètement, sans avoir à choisir une seulefacette de ta personnalité. Et même si tu ne veux pas l’entendre, il n’y a pas que Simon qui puisset’aimer ou te combler comme tu le mérites. Je crois même être en mesure de le faire bien mieux quelui…

Je le fusillai du regard tout en ravalant difficilement les larmes qui me rongeaient les yeux. Johnse redressa, libérant mon corps qui frissonna loin de la chaleur du sien. Je croisai les bras et frottaimes épaules pour les réchauffer.

— Bien, je crois que j’ai tout dit, annonça-t-il.Il déverrouilla la portière et je ne me fis pas prier pour monter dans la voiture. Je me

recroquevillai sur mon siège. Ses paroles me revenaient en tête et se superposaient avec les imagesde la soirée. Pendant plusieurs minutes, je crus avoir décelé ses intentions : il voulait me rendrefolle. Et malheureusement, il était sur le point d’y parvenir !

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Libre

Après un retour des plus silencieux, je m’enfermai pour prendre un bain et me défendis dedemander la permission à John. J’avais toujours froid et pendant que l’eau continuait de couler, jeprofitai du bruit que faisait le jet pour pleurer en silence. Pourquoi ? Je n’en étais pas certaine. Il yavait un vide à l’intérieur de moi. Était-ce parce que j’étais triste d’avoir cédé à sa requête et dem’être laissée entraîner dans les salles, derrière ? Était-ce la peur de la réaction de Simon ? Non.J’étais certaine qu’il allait me pardonner. Et moi, alors ? Serais-je à nouveau capable de me regarderdans un miroir ? Allais-je pouvoir me pardonner ?

Je sursautai quand John cogna à la porte et fus soulagée qu’il ne me demande pas d’entrer dans lapièce. De l’autre côté, sa voix résonna, douce :

— Annabelle ? Tu es toujours fâchée contre moi ?Je déglutis pour m’éclaircir la voix et dis, non sans être certaine que ce soit vrai :— Oui.— Pour quelles raisons, exactement ?Je me penchai pour m’asperger le visage d’eau chaude et remontai mes jambes pour y déposer la

tête :— Pour tout, dis-je enfin.— Mais encore ?Un glissement se fit entendre et je compris qu’il venait de se laisser tomber sur le sol, de l’autre

côté de la porte. Mon corps se détendit, sachant qu’il n’entrerait plus sans mon aval. Peut-êtres’attendait-il à une longue liste de reproches, mais je m’arrêtai là. À quoi bon lui rappeler seserreurs ? Nous en aurions pour des jours et je savais que les énoncer ne servirait à rien, sauf à meremettre en colère.

Comme il persistait à attendre une réponse de ma part, j’allai au plus court :— Déjà, pour avoir le culot d’être revenu dans ma vie après ce que tu m’as fait !Malgré moi, ma voix s’était emportée et, avec elle, une note de chagrin filtra. Au lieu de hausser

le ton, John parut surpris par ma réponse :— Du culot ? Moi qui espérais que tu verrais dans mes gestes un acte de courage !— Du courage ? répétai-je à mon tour. Où ça ?— Crois-tu qu’il soit simple pour moi de revenir dans ta vie et de t’avouer que je t’aime ?

Surtout après ce que je t’ai fait, justement ?Si j’avais eu des lasers à la place des yeux, je l’aurais transpercé à travers la porte :— Mais je ne veux pas que tu m’aimes !Il étouffa un drôle de rire avant de soupirer :

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— Et moi ? Crois-tu que je le veuille ?Sa voix était triste et elle m’empêcha de lui jeter une réplique acerbe. J’avais l’impression de

rêver. John Berger était là, à me répéter qu’il m’aimait. Qu’aurais-je donné pour obtenir ces mots-là,il y a plus d’un an… Et même si ce n’était pas la première fois que je les entendais, je ne pouvais pascroire qu’un homme comme lui puisse réellement tomber amoureux. De qui que ce soit, d’ailleurs !

Ayant besoin de bouger, je relâchai mes jambes, fermai le robinet et m’étalai dans le fond de labaignoire pour essayer de retrouver un peu de quiétude dans la chaleur de l’eau. Peut-être espérait-ilque je dise quelque chose, mais je préférai éviter le sujet. Lui, par contre, reprit la parole :

— Tu sais, la thérapie que j’ai suivie, elle m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses.Ça va te paraît bizarre, mais… j’ai vécu une situation difficile en tant que Maître avec toi.

— Je n’ai pas le souvenir d’avoir été très coriace à mater, ironisai-je.— Pas dans ce sens-là, non, rigola-t-il. Ce que je veux dire, Annabelle, c’est que… c’était la

première fois que j’étais réticent à donner l’une de mes soumises à d’autres hommes. Souviens-toicomme ça été long avant que je cède. À mon mentor, à Denis, à Paul aussi…

Je fermai les yeux. J’aurais aimé qu’il se taise et qu’on ne reparle jamais de tout ça.Paradoxalement, j’étais contente qu’il me l’avoue. Ne l’avais-je pas pressenti, à une certaineépoque ? Juste avant que Laure ne fasse éclater la vérité au grand jour ?

— Le problème, c’est qu’en te refusant aux autres, je transgressais mes propres règles,Annabelle. Il aurait fallu que je me justifie auprès de tout le monde. Sans parler qu’il étaitinacceptable que je puisse faire une distinction entre Laure et toi. Cela n’aurait pas été juste pourelle.

Je grimaçai et je fus ravie qu’il ne puisse pas me voir. À quoi bon me raconter tout ça,aujourd’hui ? Laure avait senti notre différence. Elle me l’avait fait payer cher, d’ailleurs. Quoique, àbien y réfléchir, John avait fait bien pire…

— Annabelle, nous vivions une relation… tellement unique.— Oui et tu as tout gâché, sifflai-je, heureuse de le lui reprocher.— J’en suis conscient.— Tant mieux. Parce que tu as détruit ma vie, John Berger. Sans toi, elle aurait été drôlement plus

simple !— Drôlement plus simple ? répéta-t-il. Elle aurait été bien plus triste, oui ! Regretterais-tu déjà

de ne plus être en couple avec Steven ? Je te rappelle que, sans moi, tu serais mariée avec lui, àl’heure actuelle. Je me trompe ?

Je serrai les dents et fus forcée d’avouer :— Tu as raison, je ne regrette pas Steven. Et je n’oublie pas que c’est aussi grâce à toi si j’ai

rencontré Simon.— Et que tu as décroché ce poste de rédactrice en chef, ajouta-t-il.— C’est bon, je te dois toute ma vie, tu es content ? jetai-je sèchement en claquant bruyamment le

dessus de l’eau. C’est ça que tu voulais m’entendre dire ?

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— Non, admit-il avec une voix grave. Ce n’était pas ce que je voulais. Quoique je suis contentd’avoir pu contribuer à ton bonheur.

Je levai les yeux au ciel et cognai ma tête contre le carrelage avant de grogner :— Pour l’amour du ciel, John, qu’est-ce que tu veux ?J’étais lasse et sur le point de m’emporter. Toute la journée, j’avais l’impression qu’il jouait au

chat et à la souris avec moi. J’avais envie qu’il me dise simplement ce qu’il voulait, le lui donner, etqu’on en finisse. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas être simples avec John ? Au bout d’unsilence, il avoua :

— Je veux que tu regardes la vérité en face, Annabelle, parce que je crois qu’il reste toujoursquelque chose entre nous.

Ma réponse fut aussi triste que sèche :— Entre nous, il n’y a que de la colère et de la déception, John.— Je dois avoir un problème de vision, parce que je n’ai vu aucune colère dans tes yeux quand tu

m’as chevauchée, tout à l’heure.Au lieu de m’offusquer ou d’essayer de mentir, je dis, en espérant que ce soit le cas :— On dirait que tu m’as guérie de ma colère…— Ça dépend de ce que tu entends par guérir, Annabelle, et c’est là une question à laquelle toi

seule pourrait répondre.Je calai ma tête plus confortablement sur le rebord du bain et fixai le plafond. Ressentais-je

encore de la colère envers John ? Pas en ce moment. Lorsque je m’étais jetée sur lui, c’était par envied’être vilaine, de le piéger à son propre jeu, mais il est vrai qu’il n’y avait pas une once de colère enmoi…

— Je crois que… ça va mieux, dis-je prudemment.Il ne dit rien pendant un long moment, tellement que je crus qu’il s’était endormi de l’autre côté

de la porte, puis sa voix résonna de nouveau :— Dommage, parce que moi, je ne suis toujours pas guéri de toi, Annabelle.Je reportai mon attention vers la porte et la scrutai avec la même intensité que s’il était dans la

pièce. Faisait-il référence à ses sentiments pour moi ? Un peu rudement, je dis :— Je ne te savais pas malade.— Hélas oui, Madame ! Et je commence sérieusement à regretter de ne pas m’en être tenu à ma

première idée : me guérir de toi plutôt que te guérir de moi.Son ton dramatique me fit rire :— Et en quoi consistait cette idée, je peux savoir ?— À t’attacher à mon lit et à te baiser jusqu’à ce que tu me supplies d’arrêter. Si tant est que ce

soit possible.Je pouffai de rire plus fort encore :— Tiens… c’est exactement ce que je m’étais imaginé que tu ferais ! Oh, mais je te rassure : tu

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m’as quand même bien surprise avec ton repas aux chandelles.Mon rire ne cessait plus de résonner et je me sentis étonnamment en confiance. Tout compte fait,

je ne m’étais pas complètement trompée sur son compte : il avait réellement eu envie de me soumettreà sa volonté.

— Remarque, tu as encore le temps de changer d’avis, dis-je en faisant clapoter l’eau sous mesdoigts.

Aussitôt dit, je portai une main à ma bouche en réalisant les mots qui venaient d’en sortir. Trèsvite, sa question fusa :

— Me ferais-tu une offre, Annabelle ?Je rassemblai mon courage. Simon avait dit que je devais aller au bout de cette histoire. Il

m’avait demandé de baiser John jusqu’à ce que mon corps en purge le souvenir de sa peau.Évidemment, je ne m’étais pas préparée à ce qu’il attende une offre formelle de ma part, alors,prudemment, je répondis :

— Ce n’est pas à moi d’offrir quelque chose, John. Tu as exigé deux jours et Simon te les aaccordés. À toi d’en user comme bon te semble.

Après un silence qui m’angoissa, John soupira contre la porte :— Le problème, Annabelle, c’est que j’avais espéré que tu t’offres à moi. De ton plein gré.Ma gorge se noua et soudain, je compris ce qu’il essayait de faire : il refusait que je cache mes

désirs derrière un ordre. Que ce soit le sien ou celui de Simon. Il me voulait libre. Libre d’êtresoumise ou dominante, libre d’être à lui ou à qui je voulais, libre d’être sage ou vilaine. Cette idéeme donna le vertige. Soudain, il me paraissait tellement plus simple d’être soumise et de ne pas avoirà réfléchir à mes propres envies. Devant la durée et la lourdeur de mon silence, il ajouta :

— Si tu t’offres à moi, Annabelle, sache que je n’ai pas l’intention de te baiser, quoique l’idée neme soit pas désagréable, tu t’en doutes.

Malgré l’absurde de la situation, je le questionnai du regard à travers la porte. Il ne voulait pasme baiser ? Comme il attendait que la curiosité m’oblige à briser le silence, je cédai, et un peu plusvite que je ne l’aurais voulu :

— D’accord, je veux savoir ! Qu’est-ce que tu vas faire de moi ?— Te faire l’amour, évidemment !Ma première réaction fut de me redresser dans l’eau, puis, surprise, j’éclatai de rire :— Ah John ! Décidément, tu ne cesseras jamais de me surprendre !Je posai ma main sur ma bouche pour essayer d’étouffer mon rire et de retrouver mon calme, mais

c’était vraiment difficile. John amoureux ? John qui voulait faire l’amour avec moi ? C’était à la foisincroyable et ridicule ! À y songer, mon rire reprit et je dis, en essayant de l’arrêter :

— Pardon John, je ne peux pas m’en empêcher.— Je présume que c’est bien fait pour moi, dit-il sans paraître choqué par ma réaction.Je pris deux bonnes respirations pour retrouver mon calme, mais je n’y arrivai pas. Même dans

mes rêves les plus fous, John me baisait. Était-il seulement capable de faire autre chose ?

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— D’accord, John, tu m’as eue, je veux absolument voir ça ! dis-je en me remettant à rire.Il bougea, car son corps fit craquer la porte contre laquelle il était adossé, puis sa voix résonna

en laissant planer une légère menace :— Tu veux voir ça ? Vraiment ?— Vraiment, confirmai-je en hochant la tête.Le silence dura encore. Peut-être hésitait-il ? Peut-être s’était-il convaincu que j’allais refuser ou

qu’il n’avait aucune idée de ce que faire l’amour impliquait…— Ordonne-moi, Annabelle, et j’obéirai.Je me remis à rire : il voulait un ordre ? D’accord ! Ma voix trembla de moquerie lorsque je dis :— Entre et viens me faire l’amour, John Berger.

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La déroute

Quand la porte de la salle de bain s’ouvrit, mon rire s’estompa sur le champ. Devant le regard deJohn, plutôt sérieux pour ce que nous nous apprêtions à faire, je regrettai l’ordre que je venais de luidonner. Tout compte fait, il avait peut-être une bonne idée de ce qu’il voulait faire avec moi et celame rendit étrangement mal à l’aise. Malgré la nervosité qui s’installait dans mon ventre, je me butai àne pas détourner les yeux de sa personne quand il défit ses vêtements qui tombèrent un à un sur le sol.Devant son érection, je retrouvai un semblant de sourire :

— Encore le petit cachet bleu ?— Avec ou sans, le résultat serait le même. J’espère que tu n’en doutes pas.Il entra dans l’eau sans attendre ma réponse. Qu’aurais-je pu dire, de toute façon ? Je glissai vers

l’avant pour qu’il puisse s’installer derrière moi. La situation m’effrayait et m’excitait à la fois. Cen’était pourtant pas la première fois que je prenais un bain avec John, ni que nous allions baiser, luiet moi, enfin… si tant est qu’il soit capable de faire autre chose…

Une fois assis, John enroula ses bras autour de moi et me serra contre lui. Son souffle augmentaen rythme et en bruit, sans parler que son érection se collait dans le haut de mes fesses. Même si jetentai de rester calme, tout mon corps se raidit à son contact. Il dût le remarquer, car il conserva sesbras dans la même position, mais les éloigna doucement, créant ainsi un enclos imaginaire autour demoi qui ne me touchait plus.

— Je suis trop rapide ? me questionna-t-il.— Non.D’une main, je ramenai ses bras autour de moi et je fermai les yeux pour essayer de retrouver

mon calme. Néanmoins, je me sentais encore crispée. Pourquoi l’air était-il si lourd, tout d’un coup ?Trente secondes plus tard, ses mains se détachèrent de moi et vinrent se poser sur mes épaules.Lentement, mais fermement, il se mit à les masser.

— Quand tu es nerveuse, ça me rend nerveux, chuchota-t-il.— Pardon.Je laissai un rire franchir mes lèvres :— Merde, on a baisé il n’y a pas une heure, pourquoi est-ce qu’on est aussi stressé ? demandai-je

sans réfléchir.— Parce qu’on ne va pas baiser. Voilà pourquoi.La moquerie dont je faisais preuve, il n’y a pas cinq minutes, se volatilisa. Il rendait notre

conversation sérieuse. Trop sérieuse. Comme je ne répondis pas, il augmenta la force de son massageet ajouta :

— Le sexe, c’est un jeu, mais l’amour, Annabelle… c’est autre chose.— Tu vas me sortir tes bêtises toute la nuit ? demandai-je d’une voix agacée, autant pour le faire

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taire que pour chasser la tension qu’il laissait planer entre nous. Je te signale qu’il est tard et que lecompteur tourne, chéri…

Dans mon cou, je sentis que sa respiration s’arrêtait, puis elle reprit. Merde. Il était vraimentnerveux, mais à peine l’idée de prendre les devants m’effleura l’esprit, qu’il embrassa mon lobed’oreille. Ses mains relâchèrent mon cou, contournèrent mes épaules et allèrent directement entre mescuisses. Enfin !

— On va déjà évacuer ces petites tensions…Pendant qu’il parlait, une main ouvrit ma jambe alors que la seconde se fraya un chemin vers mon

sexe. Je sursautai, autant par sa rapidité que par la sensibilité qui trahissait mon corps.— Que de tensions, Madame, se moqua-t-il avant de se mettre à lécher l’arrière de mon oreille.Peut-être parce que son « Madame » venait d’instaurer le jeu ou parce que ses doigts étaient déjà

en moi, mais mon corps se détendit d’un seul coup. Quand il comprit que mes jambes resteraientouvertes à ses caresses, il utilisa sa main libre pour venir caresser mes seins. Ma respiration faisaitun bruit d’enfer et même si je jouissais sous ses soins, je serrais les lèvres pour tenter de garder lecontrôle le plus longtemps possible. C’était une idée bête, parce que, hormis ma tête, tout en moiavait envie de se soumettre à ses caresses.

Quand j’eus un petit sursaut de plaisir et que ma bouche laissa filtrer un râle que je tentai,bêtement, de ravaler, je sentis le corps de John se détendre derrière moi et ses doigts se firent plusinsistants. Alors que j’avais cru qu’il allait me faire languir, voilà qu’il s’acharnait à me rendre àl’orgasme le plus rapidement possible. L’idée de lui résister me traversa l’esprit, mais il dérouta mesplans dans la seconde. Mon corps s’arqua et je me mis à me tortiller de plaisir en rompant le silenced’un cri qui s’étira jusqu’à ce que j’arrive à l’étouffer. Enfin, je me laissai choir contre lui et ilembrassa ma tempe.

— Madame se sent-elle plus détendue ? se moqua-t-il doucement.— Oui.— Bien. Si on passait aux choses sérieuses ?Sa voix laissa transparaître une menace, mais avant que je ne puisse être effrayée, je retrouvai

mon rire : il venait de s’emparer du savon. Je me redressai mollement pour le laisser me savonner ledos, soupirai lorsqu’il caressa ma poitrine et soulevai mon bassin pour lui permettre d’explorer monbas-ventre à sa guise. Je m’étais attendue à d’autres attouchements de sa part, mais avant que je nepuisse fermer les yeux, il était déjà en train de me rincer.

Comme s’il avait perçu mon trouble, il expliqua son geste :— L’eau est tiède. Je ne veux pas que tu prennes froid.Après la vague de chaud qu’il venait de m’offrir, je trouvais, au contraire, la température de l’eau

très agréable. Par souci d’équité, j’essayai de lui prendre le savon des mains, mais il secoua la têted’un air réprobateur. Je ne sais pas pourquoi, sa réaction me donna envie de le défier. Pivotant dansle bain pour me placer face à lui, je fis mine de l’observer pendant qu’il se nettoyait et récupérai saverge sous l’eau. Un éclair traversa son regard :

— Ne me tentez pas, Madame.

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— Vous me voyez bien effrayée, Monsieur, le narguai-je en le masturbant de plus belle.Mon effronterie le fit rire, mais à peine me laissa-t-il le temps de caresser son sexe que sa main

me tira vers lui pour contrecarrer mes intentions. Je cherchai aussitôt à me glisser sur lui. Il tenta deme repousser pendant dix secondes, mais finit par lâcher prise. Une fois que je parvins à m’empalersur lui et que je laissai un gémissement franchir mes lèvres, il m’enlaça et obligea nos corps à resterl’un dans l’autre, immobiles, pendant que son œil pétillait de malice :

— Veux-tu être Dominante ou Soumise ?Je lui jetai un regard perplexe. Comment pouvait-il me demander quelque chose en ce moment ?

Comme j’avais envie de bouger mon bassin au-dessus du sien, j’empoignai ses cheveux dans mesmains avant de lui répondre :

— Dominante.Il sourit, visiblement satisfait de ma réponse. Je soupçonnais qu’il aurait eu la même réaction

quel qu’eut été soit mon choix. Quand ses mains me relâchèrent, me donnant le feu vert pourreprendre nos ébats, je le chevauchai doucement, ralentis lorsque l’eau commença à tanguerdangereusement sur le rebord du bain, mais d’un seul coup rustre, John attendit que je sois relevéepour me ramener prestement contre lui. La plainte qu’il m’arracha me fit oublier tout ce qui n’étaitpas son sexe en moi, me rappelant que, même dans ma position actuelle, je n’étais pas nécessairementcelle qui dirigeait les opérations. Écrasant ses cheveux de mes doigts et tirant jusqu’à ce qu’ilbascule la tête vers l’arrière, je le forçai à respecter mon rôle de Dominante. Je montais etdescendais sur son sexe avec avidité en obligeant sa tête à rester dans l’angle que lui imposait mesdoigts. Tant pis pour sa douleur, tant pis pour l’eau. Soudain, tout ce qui comptait, c’était cette queueen moi et le plaisir qu’elle m’offrait. John rugit, embrassa mon cou quand je me cambrai versl’arrière dans un cri délicieux, et il se mit à rire lorsque ma tête chercha le repos contre la sienne.

À peine me laissa-t-il le temps de reprendre mon souffle qu’il bougea en moi pour me montrerque son érection était toujours d’actualité. Je pouffai :

— Encore les cachets ?— T’en plaindrais-tu ?Je relevai la tête et le toisai du regard en essayant de ne pas rire :— En tant que Dominante, sachez que je n’ai pas à me soucier de votre plaisir, Monsieur.Sa main remonta dans mes cheveux, les tira et força mon corps à suivre son geste. Aïe ! Dans la

seconde, il inversa les rôles en me plaquant contre le carrelage, replongea en moi en rivant sonregard dans le mien :

— À mon tour de dominer, alors…À chaque fois qu’il me pénétrait, je glissais contre le mur froid, la tête coincée vers l’arrière par

ses soins et un pied sur le rebord du bain qui préservait ce qui me semblait être un mince équilibre.Au lieu de se précipiter sur sa jouissance, John conserva un rythme lent, tenta de conserver ses yeuxdans les miens, ce qui me troubla. Gênée, je détournai la tête et fermai les yeux pour me concentrersur le plaisir.

— Annabelle, regarde-moi.

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Alors que son corps s’imposait au mien, sa voix résonna, douce. J’ouvris les yeux, les fixai dansles siens, même si je ne fus pas certaine de pouvoir soutenir son regard très longtemps. Sesdéhanchements se firent plus rapides et je perdis pied. John rattrapa notre position, me coinça dans uncoin, et son visage apparut devant le mien, heureux et haletant :

— Jouis, Annabelle.Son ordre déclencha une vague délicieuse dans mon corps. Ou peut-être était-ce la façon dont il

me dévisageait, comme s’il ne pouvait plus décrocher ses yeux de moi. Je laissai mes gémissementsenvahir la pièce et, à la façon dont j’écrasai ses épaules sous mes doigts, il dut comprendre quej’allais bientôt perdre la tête. Il devint si empressé que mon corps se cognait au mur chaque fois qu’ilme pénétrait. Le cri qu’il m’arracha fut brutal et exquis, se mêla au sien, essoufflé, mais visiblementsatisfait. Pendant deux secondes, il posa son front contre le mien, puis il souffla :

— Si tu savais comme tu m’as manqué…Je laissai un sourire lui répondre. De toute façon, je n’avais pas de mots à lui offrir.— J’avais oublié à quel point tes orgasmes étaient divins à regarder…— Oh, mais les avoir, c’est pas mal, aussi ! admis-je dans un sourire ravi.Ses yeux ne me quittaient plus, puis sa bouche se posa sur la mienne et m’embrassa furtivement.

Une fois détaché de moi, je clignai des yeux, un peu surprise par son geste. C’était la seconde foisqu’il m’embrassait, ce soir. Même quand nous étions ensemble, ce genre de marques d’affection étaitrare et j’étais souvent celle qui les initiait. John continua de me dévisager, serra les dents avant delâcher, sur un air aussi étonné que s’il venait de le découvrir :

— Je crains d’être très amoureux de vous, Madame.Le sourire qu’il afficha sonnait faux, mais je n’eus pas le temps de le voir longtemps, car il reprit

ma bouche dans un baiser que je ne lui refusai pas. Sa langue était douce et chaude contre la mienne,me fit frissonner d’envie. Quand il libéra mes lèvres, j’étais étourdie. Il me questionna du regard,mais comme je restai silencieuse, il se retira de moi et je me remis à rire devant son érection qui nefaiblissait pas :

— Sérieusement ?— Les joies du progrès, Madame, dit-il en répondant à mon rire.Il se nettoya rapidement et je l’imitai, un peu étonnée de voir ce sexe toujours dressé après ce que

nous venions de vivre. L’eau était froide et je grelottai quand il me frictionna d’une serviette.— Tu veux un peignoir ? proposa-t-il.— Quoi ? C’est tout ce que t’as à proposer pour me réchauffer ? le narguai-je.Son sourire redevint lumineux et sa main s’accrocha à la mienne :— Vos désirs sont des ordres, Mademoiselle.

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Sans masque

John m’entraîna dans la chambre comme s’il était empressé, mais dès que nous fûmes debout aupied du lit, il se planta face moi et me détailla du regard comme si c’était la première fois qu’il mevoyait. Sa main, encore sur mon poignet, me tira vers lui et je me retrouvai dans ses bras, ses doigtssur ma joue et son nez contre ma tempe :

— Annabelle, j’ai l’impression de rêver.— C’est peut-être le cas, me moquai-je.Il me lança un regard réprobateur, mais je ne bronchai pas. J’avais envie de rire, d’autant plus

fort lorsqu’il arborait un air sérieux. Le John qui posa sa bouche sur la mienne était un homme et nonun Maître. Cet homme-là ne m’effrayait pas et, pour l’une des rares fois depuis que je le connaissais,il n’exigeait rien de moi. Pour ma part, mes attentes à son endroit étaient élevées. Le temps filait etj’avais l’intention de prendre tout ce qu’il m’offrait. Autant en finir en beauté. Pendant qu’il dévoraitma bouche avec la sienne, ses doigts trouvèrent refuge dans mon sexe, mais je le repoussai :

— Je veux ta bouche, annonçai-je en levant fièrement le menton.Il lécha sa lèvre supérieure en arborant un large sourire :— On dirait que ça te plaît de donner des ordres.— En effet, confirmai-je en fortifiant mon regard et en pointant le sol d’un doigt pour qu’il

s’exécute.John posa un genou par terre, visiblement amusé par la situation. Je l’étais tout autant. Jamais je

ne m’étais sentie aussi puissante et c’était d’autant plus enivrant de l’être avec lui.Je tentai de reculer pour me glisser sur le lit, mais il me retint par la croupe et me ramena vers

l’avant. Je lui jetai un regard anxieux. Il voulait que je reste debout ? D’une main, il écarta une jambe,positionna mon bassin vers lui et jeta sa bouche sur mon sexe. Durant les premières secondes, je meconcentrai sur mon équilibre, surtout lorsqu’il faillit me faire tomber en juchant ma cuisse sur sonépaule. Puis sa langue me fit tout oublier. Elle n’avait visiblement rien oublié de mes plaisirs etsavait très exactement comment faire en sorte que je m’abandonne à ses caresses. Fermant les yeux,je tanguai. John grogna, la bouche enfouie dans mon sexe. Lorsque je peinai à rester droite, il fit pliermes genoux et je me retrouvai par terre. Dès lors, il eut tout le loisir de revenir vers mon entrejambeet força mon corps à se soumettre au plaisir qu’il me procurait. Je ne résistai pas, bien au contraire,et je perdis le fil des événements pendant un petit moment lorsque son rire reprit :

— Toujours aussi rapide, à ce que je vois.Il posa son menton sur mon ventre pour mieux me regarder, se mit à embrasser ma peau et titilla

la pointe de mes seins avec ses lèvres. Décidément, il savait comment faire remonter mon désir enforce. J’attendis que sa bouche soit proche de la mienne pour l’embrasser avec fougue, nouant mesbras autour de son cou, ondulant mon corps sous le sien pour qu’il le prenne sur le champ, mais Johnse redressa légèrement et resta un moment à m’observer.

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— Tu veux me faire languir, c’est ça ? demandai-je en essayant de conserver mon calme.— Quelle gourmande, tu fais ! sourit-il. Je viens pourtant de te donner de quoi patienter. Une…

entrée en quelque sorte.Je le poussai sur le dos pour me jeter sur lui à mon tour :— C’était bien, mais j’ai envie du plat principal.Son érection m’appelait et, en même temps, je dus admettre que le calme dont il faisait preuve me

consternait. Lorsque j’enjambai son corps, il repoussa mon bassin, puis me fit chuter sur lui pourreprendre ma bouche dans un baiser qui n’en finissait plus. À bout de souffle, je lui jetai un regardimpatient :

— Bordel John ! Qu’est-ce que t’attends pour me baiser ?Il se redressa, mon corps sur le sien et nos sexes si près l’un de l’autre, mais je ne tentai même

pas de me glisser sur lui, car son regard venait de s’assombrir, me figeant sur place :— J’attends que tu comprennes que je n’ai aucune envie de te baiser, Annabelle, voilà ce que je

fais. Combien d’orgasmes te faut-il pour que le masque que tu portes tombe ?— Je… je ne porte aucun masque, dis-je avec une petite voix, légèrement troublée qu’il soit aussi

furieux par ma demande.Ses yeux s’agrandirent, faussement surpris, puis il pinça les lèvres avant de jeter, sur un ton sec :— Tu as peur.Après un moment d’absence, j’étouffai un rire :— Qu’est-ce que tu racontes ? Non !— Alors pourquoi te caches-tu derrière un masque ?— Quel masque ? Je ne vois pas ce que tu veux dire !— Annabelle, je n’ai pas envie de jouer. Et je vois bien que tu te caches derrière un rôle.

Pourquoi le ferais-tu à moins d’avoir peur d’être toi-même pendant qu’on fait l’amour ?Je me braquai en essayant de reculer, mais ses bras me retenaient fermement par la taille et son

regard ne me quittait plus. Après un silence lourd, il expira bruyamment et fronça les sourcils :— Tu veux qu’on arrête ?Je cessai de me débattre. Pour cause ! Je n’en avais pas envie ! Heureusement, il ne m’obligea

pas à répondre de vive voix et comme je restais immobile, à attendre, il comprit que j’attendais sesexplications.

— Annabelle, j’ai porté un masque assez longtemps pour reconnaître ceux qui en portent.Sa phrase me coupa le souffle et même si je tentai de rester de marbre devant sa déclaration, mes

épaules s’abaissèrent un peu. Je n’aimais pas ce que ses mots sous-entendaient.— Il est plutôt paradoxal que tout ce temps où j’ai été ton Maître, j’ai porté ce masque, alors que

toi… même en tant que soumise, tu étais toujours toi.— Euh… oui, dis-je, incertaine de ce qu’il essayait de me dire.— C’est ce qui te rendait… aussi exceptionnelle, Annabelle.

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Je ne sais pas pourquoi, mais quand il me complimentait, ça me rendait mal à l’aise. Si proche delui, j’avais du mal à ne pas me tortiller et je craignais sa réaction si je détournais la tête, mais monregard ne restait jamais bien longtemps dans le sien.

— Et cette nuit, alors que, pour la première fois depuis longtemps, je n’ai pas envie de porter demasque… tu comprendras que c’est plutôt agaçant de te voir tenter d’en mettre un, admit-il.

Je haussai nerveusement les épaules, puis je me sentis ridiculement rougir :— Je ne m’en rendais pas compte. C’est juste que… ça me plaît bien… de te dire quoi faire.Son sourire revint en force et il hocha doucement la tête :— Ce n’est pas dans ce que tu dis ou dans ce que tu fais que tu portes un masque, Annabelle,

c’est… dans ce que tu dégages. Dans ton regard aussi.Il me scrutait avec intensité, comme s’il espérait que ça suffise comme explication, ce qui était

loin d’être le cas. Était-ce mon empressement ? Ma façon de le regarder ? Je me grattai l’arrière dela tête en soupirant :

— John, je… je ne suis pas sûre de comprendre ce que tu veux…— Je veux que tu sois toi. Que tu ne te caches pas derrière un ordre ou un rôle, quel qu’il soit. Je

veux qu’on partage un véritable instant d’intimité tous les deux.Je ne sus pas quoi lui répondre, mais juste à la façon dont mon corps se braqua devant ses

paroles, je me doutai qu’il n’avait pas tout à fait tort. J’avais peur. Pas de John, pas complètement, entous les cas. Seulement de la partie de lui qui m’était méconnaissable. Quelqu’un de profondémenthumain, qui ne cherchait pas à masquer ses émotions.

Oui, ça me rendait nerveuse.Quand il embrassa doucement ma bouche sans me quitter des yeux, je compris qu’il analysait ma

réaction. Mon corps trembla quelques secondes et pour essayer de le masquer, je repris sa boucheavec plus de fougue.

— J’aime quand tu m’embrasses, souffla-t-il entre deux baisers.Dans ses gestes, il s’abandonna et je pris facilement les commandes en poussant son corps par

terre. Je pris mon temps pour laisser mes lèvres et ma langue dériver sur son torse et son ventre.— Annabelle ?Alors que j’étais sur le point d’entamer une fellation, je redressai la tête vers lui, inquiète de son

intervention. Il me questionna du regard :— Ne fais que ce dont tu as envie.Je ravalai un rire :— Oh, mais c’est ce que je fais, le rassurai-je.Je ne sais pas si c’est ce qu’il vit sur mon visage ou le fait qu’il avait autant envie que moi de

sentir ma bouche sur son sexe, mais son regard s’illumina et son corps se détendit à la seconde où jeglissai son gland sur ma langue. D’une main, il caressa mes cheveux et je posai mes doigts sur lessiens pendant que je contrôlais son plaisir. C’était étrange et extrêmement excitant de le sentir à mamerci, de faire jaillir ses rugissements et d’entendre mon nom résonner dans sa bouche à lui. Quand

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son ventre se contracta, ses doigts se faufilèrent entre les miens et il rugit :— Grimpe sur moi, Annabelle.C’était plus une prière qu’un ordre et je relevai la tête pour mieux le voir avant de faire mine de

le gronder :— Tu ne me laisses pas terminer mon entrée ?Sa main tira sur la mienne et me ramena sur lui pendant qu’il secouait la tête :— J’ai envie d’être en toi, dit-il en positionnant mon sexe sur le sien.À la façon dont il me dévorait des yeux, j’eus la sensation que son désir était urgent, mais à la

seconde où il obligea mon bassin à se coller au sien, je fermai les yeux de joie et me tendis versl’arrière. Sous moi, John ondulait, contraignait mon corps à se soumettre au sien, ce qu’il fit avecautant de docilité que de plaisir. Je commençai à jouir lorsqu’il se redressa brusquement et que sesmains ramenèrent ma tête près de la sienne :

— Je veux te voir.Mes cuisses tentaient de poursuivre les gestes auxquels il venait de mettre un terme et je

m’accrochai à ses épaules en le suppliant :— Oh John ! Ne t’arrête pas !Son air inquisiteur retrouva un sourire, puis il écrasa sa bouche sur la mienne avant de se

balancer sous moi. C’était doux et fort à la fois, autant parce que John s’était remis à tout diriger quepar mon envie de perdre la tête. Mes gémissements m’obligeaient à interrompre nos baisers, mais illes recommençait constamment. Il fit grimper la tension jusqu’à ce que je sois sur le point d’exploser,puis ralentit pour me retenir de plonger dans le gouffre, ce qui lui mérita un air sombre qu’ilaccueillit d’un visage heureux :

— J’adore quand tu es comme ça, m’avoua-t-il.— Arrête de me faire languir !Je n’avais plus qu’un filet de voix et pour un peu, je l’aurais supplié, mais il reprit un rythme

agréable et je me remis à jouir de plus belle.— J’adore être en toi, Annabelle, murmura-t-il avant de se mettre à lécher mon cou.J’étouffai un cri, heureuse de ne pas être capable de lui répondre, car c’était délicieux de le sentir

ainsi. En moi. Autour de moi. À moi. Oui. Pendant une fraction de seconde, je compris ce que Johnvoulait et je sentis mes doigts serrer très fort sa chair :

— Pas tout de suite, ordonnai-je.Ses coups de bassin se calmèrent, mais sa bouche chercha la mienne, encore et toujours. Nous

partageâmes un baiser brûlant et je hoquetai quand il cogna brusquement son sexe en moi.— Oh John !Je peinais à soutenir son regard. J’étais partagée entre le désir de le supplier de me mener à

l’orgasme et celui de prolonger ce moment. Un moment parfait. Un moment où nous étions tous lesdeux sans masque. Peut-être perçut-il mon trouble, car il s’arrêta, des yeux interrogateurs posés surmoi :

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— Que veux-tu Annabelle ?— Que ça ne s’arrête pas, dis-je sans hésiter.Il modifia notre position et je me retrouvai dos contre le pied du lit, coincée entre le meuble et

John, bien empalée sur son sexe qui reprit de la vitesse entre mes cuisses. J’aimais me sentir ainsiprise. Je me sentais autant à sa merci qu’il était à la mienne. Il me fixait, comme s’il était en attented’un ordre de ma part. Quand sa main se resserra sur ma nuque, un désir gronda en moi et les motsquittèrent ma gorge sans que je ne puisse les retenir :

— Soumets-moi.Il s’arrêta et ce n’est que par son geste, un peu raide, que je compris ce que je venais de dire.

Devant son regard étonné, je bafouillai :— Je ne voulais pas… je ne sais pas… pourquoi j’ai dit ça.Le sourire qu’il afficha fut lourd et remplit d’émotions.— Parce que tu es toi, répondit-il soudain. Et parce que ça fait partie de toi.Sa main glissa de ma nuque à mes cheveux dans lesquels ses doigts s’enroulèrent, puis il tira

doucement ma tête vers l’arrière et termina son geste d’un coup de boutoir brusque qui m’arracha uncri délicieux :

— C’est ça dont tu as envie ?— Oui !Il recommença et mon corps se mit à vibrer agréablement, mais il demanda, d’un ton plus ferme :— Plus fort ?Ses yeux me scrutaient avec attention et moi, je n’avais qu’une seule envie, qu’il me mène au

septième ciel. Je repris mollement mes esprits pour lui sourire, léchai ses lèvres avant de hocher latête, sur un ton moins ferme que je ne l’aurais souhaité :

— Beaucoup plus fort.Je vis son air satisfait un bref instant avant d’être durement plaquée contre le lit. Je fermai les

yeux, en proie à des sensations intenses que j’avais cru perdues depuis longtemps. Mon corps sesoumettait au sien, si naturellement. Il força ma tête à rester vers l’arrière, dévora mon cou pendantqu’il me pénétrait à bonne vitesse. J’avais envie de perdre la tête, mais je voulais que ce soit encoreplus fort.

— Encule-moi, dis-je à bout de souffle.John ralentit et il relâcha mes cheveux pour que je puisse retrouver son regard :— Voilà un ordre que j’attendais avec impatience, admit-il avec un sourire ravi.Il bascula mon corps vers l’arrière pour se retirer de mon sexe, laissa sa verge se glisser entre

mes fesses avec une douceur qui fit grimper mon impatience. Mes doigts écrasèrent sa peau et je legriffai en le serrant dans mes bras. Une fois tout au fond de moi, il plaqua un baiser rapide sur mabouche :

— J’ai envie de te faire hurler de plaisir.

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En entendant ces mots, j’en jubilais d’avance. Il reprit ses pénétrations, me soutira des cris que jen’avais aucune envie de retenir. Quand mon corps lâcha prise, j’eus la sensation d’avoir attendu cetorgasme pendant des siècles et je l’accueillis avec une joie non feinte. John lâcha un cri qu’il étouffasous ma bouche, dans un baiser ridicule, puis il laissa sa respiration reprendre un rythme normal, lenez plongé dans mes cheveux.

Sous mes doigts, sa peau frissonna et il chuchota, sans relever les yeux vers moi :— Merci amour.J’eus du mal à ne pas retenir ma respiration, mais je fus contente qu’il ne puisse pas voir mon

trouble, dans notre position. Autant je me serais moquée de lui, il n’y a pas une heure, autant j’étaisfoudroyée par ce mot. Amour. John m’aimait. Autant c’était impensable, autant je réalisai, en lesentant aussi fragile entre mes bras, que c’était la pure vérité.

Son masque était tombé.Étrangement, j’aurais aimé pouvoir remettre le mien.

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Entre nous

J’étais lasse et pourtant, je m’obstinai à fixer le plafond de la chambre de John, étalée sur son lit,son bras sur mon ventre, comme si nous avions toujours été ainsi. Paradoxalement, je savais que, dèsl’instant où je m’endormirais, la nuit serait fichue et que le matin nous ramènerait à la réalité. Et jedevais admettre que j’étais bien, dans cet espace intemporel, avec lui.

— À quoi penses-tu ? demanda-t-il.— Je pense que c’est bizarre d’être là.Je tournai les yeux dans sa direction avant de m’expliquer :— On dirait que j’ai fait un saut dans le temps.Son sourire se figea, mais sa main se mit à caresser nonchalamment la zone entre mon nombril et

mes seins :— Oui. Sauf que la situation est différente. Maintenant, c’est moi qui suis amoureux de toi. C’est

plutôt ironique, quand on y pense…Il feignit un rire que son regard rendit plus triste encore et, pendant un instant, je me sentis

étrangement coupable des sentiments qu’il éprouvait pour moi.— John, tu devrais arrêter de me le dire. Ça me gêne.— Je pensais que tu t’en moquerais davantage, admit-il. Ou que tu en profiterais pour te venger

un peu plus…Comme je ne répondis pas et que je tentai de me dérober à son regard, il prit appui sur son bras

pour se redresser partiellement, désirant m’observer d’un peu plus haut :— Soit tu y crois, soit… tu t’en fiches…— John !— Quoi ? Je ne peux pas te poser la question ?— Je ne sais pas ce que j’en pense, OK ? Et pour tout te dire, je ne suis pas tout à fait sûre d’y

croire, non plus…Je détournai la tête, encore, et il grimpa sur moi pour m’empêcher de me dérober à son regard

inquisiteur. Son visage s’illumina doucement :— Tu y crois ! Forcément ! Sinon, tu ne serais pas aussi gênée d’en parler…Je plongeai mes yeux dans les siens, consciente qu’il détaillait chacune de mes expressions, dans

l’attente d’une faille que je n’avais pas l’intention de lui offrir :— Le problème, John, c’est qu’il y a aussi quelqu’un qui m’aime et qui m’attend à la maison. Et il

se trouve que je l’aime aussi.— Mais tu as fait l’amour avec moi…— Faux, me défendis-je en le pointant du doigt. Tu as fais l’amour avec moi. C’est ce que tu

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voulais, il me semble. Et au cas où tu aurais envie de me menacer, sache que c’est l’idée de Simonqu’on aille au bout des choses, toi et moi…

Dès que je prononçai ces mots, son visage changea et devint dur. Je ne sais pourquoi, mais j’eusla sensation que John remettait son masque, puis il me lança un regard ironique :

— Parce que tu crois qu’on est allés au bout des choses ?— Bien… je crois qu’on en a réglé certaines, affirmai-je.— Par exemple ?Qu’il me pose la question directement me troubla et je le repoussai pour essayer de me redresser

à mon tour. Le fait qu’il soit ainsi, au-dessus de moi, me déplaisait pour discuter. Autant l’affronter àla bonne hauteur. Une fois devant lui, je repris :

— C’est un peu tôt pour le dire, mais… je suis contente que tu aies des sentiments pour moi. Pasque je veuille les encourager, dis-je très vite, mais ça prouve que tu es humain.

— C’est ça ta révélation ? Que je suis humain ?Il haussa le ton et, sans réfléchir, je posai une main sur son visage et le disputai sans craindre ses

représailles :— Enlève ton masque, John. Je ne fais pas ça contre toi. Et tu ne peux pas m’en vouloir d’avoir

cru l’inverse après ce que tu m’as fait. Quelqu’un d’humain ne m’aurait pas piégée comme tu l’as faitquand on s’est quittés. Je t’offrais tout sans rien attendre en retour et tu as tout fait pour que jeredevienne ta soumise !

Son visage redevint tendre et il retint les doigts que j’avais posés sur sa joue :— Redonne-moi cette chance, Annabelle.Je luttai pour reprendre possession de ma main, mal à l’aise de sa requête :— Je ne peux pas. Et tu le sais.— Pourquoi ? À cause de Simon ?— Oui.— Je suis sûr qu’on pourrait trouver un compromis, lui et moi. Pourquoi devrait-il t’avoir de

façon exclusive ?Je le fixai un moment, un peu surprise de la façon dont il simplifiait les choses, puis je retins un

rire :— John ! Je ne suis pas une part de tarte que tu peux prendre à ta guise !— Mais Simon t’a laissé revenir vers moi. C’est un signe, pas vrai ? Ça veut dire qu’il est

capable de partager. On peut dire… un week-end sur deux ?— John !— Sur trois ? négocia-t-il aussitôt. Tu vois, je suis prêt à faire un tas de concessions. Avec lui, tu

aurais la vie normale dont tu as envie, mais avec moi…Je le fusillai du regard et levai la main pour le faire taire :— Stop ! Je ne veux pas !

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Il recula, le visage défait, et alors qu’il s’était redressé partiellement sur le lit, ses fessesretombèrent sur ses chevilles :

— Pourquoi ? Annabelle, tu ne peux pas dire que je ne fais pas d’effort ! S’il ne tenait qu’à moi,je te voudrais toute entière ! Mais je t’aime suffisamment pour te partager. Pourquoi pas lui ?

— L’entente, c’était deux jours. Tu les as eus. Ça s’arrête là.Il fronça les sourcils :— Tu cherches à te venger, c’est ça ?— Non.Ma réponse, un peu sèche, le contraria. Il eut d’ailleurs beaucoup de mal à ne pas remettre son

masque. Souffrir devant moi n’était décidément pas facile, pour lui. C’était peut-être même unenouveauté. Avec une voix plus douce, je dis :

— Puisque tu veux tout savoir… ça m’a aidée de passer cette journée avec toi. J’ai apprisbeaucoup. Sur moi, sur toi et sur toute cette colère que je ressentais et que je n’arrivais pas àcontrôler…

— C’était le but. Enfin… l’un des buts, opina-t-il, la mâchoire toujours rigide.— Et je crois que ça t’a aidé, toi aussi.Je posai la main sur son torse pour mettre un peu d’emphase sur mes paroles. Il serra les dents,

hésitant à le confirmer, puis il finit par hocher la tête, même si sa réponse verbale resta vague :— Possible.Nous restâmes ainsi longtemps, sans masque, à nous observer sans parler, puis il lâcha, comme

on largue une bombe :— Je ne veux pas te perdre, Annabelle. Dis-moi ce qu’il faut que je fasse…Ses paroles rendaient ma respiration drôlement lourde. Qu’espérait-il en me questionnant de la

sorte ? À part me rendre plus inconfortable encore, je ne voyais rien.— John, je… je ne sais pas quoi te dire.— Dis que tu vas y réfléchir, au moins !Surtout par crainte qu’il ne s’emporte, je restai silencieuse. À quoi bon gâcher nos dernières

heures ? Peut-être le sentit-il, car il dévia le sujet autre part :— Tu as quand même découvert que tu avais un petit côté dominant. Qu’en pensera Simon ?— Ne t’inquiète pas. On gérera tout ça.— Tu vois ? Avec moi, tu n’aurais pas à gérer tout ça, siffla-t-il.Devant mon regard noir, il poursuivit :— Et si tu avais envie de… je ne sais pas, moi, d’aller voir ailleurs ?Je le toisai du regard :— Pourquoi je ferais ça ?— Parce que tu as ça en toi, Annabelle. Ce côté… vilaine fille, tu sais ?

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— Je ne suis vilaine qu’avec toi, John. Et je suis sûre qu’une fois que tu seras sorti de ma vie, çane se reproduira jamais.

Ses épaules retombèrent et il parut surpris par ma réponse :— Comment peux-tu en être certaine ? Et tu sais qu’avec moi, tu n’aurais pas à choisir. Avec moi,

tu pourrais être… tout ce que tu veux.Se positionnant à quatre pattes, il s’avança vers moi et força mon corps à s’étendre vers l’arrière.

Sa bouche souffla sur ma peau, descendant de ma poitrine à mon sexe, puis il releva la tête pourreprendre notre discussion qui s’évanouissait doucement dans mon esprit :

— Amour, je promets de réaliser tous tes fantasmes. Je sais que ça paraît déroutant et que monoffre n’a rien du couple traditionnel que tu essaies de former avec Simon, mais… on trouvera nosbalises, Annabelle. On sera un couple. Il sera juste un peu différent, voilà tout.

Pourquoi devait-il m’exciter autant ? J’avais du mal à savoir quel regard lui donner. Il était là, àme supplier que je cède et tout ce dont j’avais envie, c’était qu’il ouvre mes jambes et qu’ils’enfonce en moi. Avec difficulté, je dis :

— John, soit on discute, soit on baise. Si tu m’arraches un aveu, quel qu’il soit, pendant nosébats, je considérerai que c’est de la triche, compris ?

Il fronça les sourcils, mais son corps recula loin du mien. La preuve que je n’étais pascomplètement bête à ce qu’il essayait de faire. Me relevant un peu mollement, je soupirai, déçue qu’iln’ait pas choisi l’autre option. Pourquoi fallait-il toujours que l’on discute ? Lasse, j’allai au pluscourt :

— John, je veux retourner avec Simon et retrouver la vie qu’on a construite.— Quelle vie ? grogna-t-il. Tu ne vois donc pas que c’est un leurre ! Même cette soumission que

tu partages avec lui… ça n’a rien de réel !Sa main récupéra la mienne et me tira jusqu’à ce que je me retrouve dans ses bras :— Annabelle, je sais ce que tu veux et ce dont tu as besoin. Je connais ton corps, tes rêves et tes

doutes…— Arrête. C’était vrai, avant, mais…— Ne dis pas ça, me supplia-t-il. Nous avons partagé une relation… tellement intense ! Je ne

peux pas croire que tu n’aies pas envie de revivre ça. Ou que tu ressentes quelque chose d’aussi fortavec Simon.

Même si j’eus envie de protester, je n’en fis rien. Je n’étais pas certaine de pouvoir le faire sansmentir. Ma relation avec Simon était parfaite, mais était-elle aussi puissante que celle que nousavions vécue, John et moi ? Probablement pas. Peut-être était-ce de ma faute, aussi. J’étais tellementbrisée après notre histoire qu’il m’était impossible de m’offrir de la même façon à un autre homme.Même à Simon qui l’aurait mérité davantage que John et qui, ironiquement, ne l’avait jamais exigé.

— Ce que je vis avec Simon me convient parfaitement, finis-je par dire en choisissant chacun demes mots.

— Bien sûr ! Je te rappelle que ce que tu vivais avec Steven te convenait aussi lorsque nous nous

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sommes rencontrés !— Les deux situations ne sont absolument pas comparables ! le contredis-je sans attendre. Simon

est incroyable et tu le sais ! Tu l’as vu à l’œuvre dans tes petites fêtes et côté amoureux, je suis auregret de t’annoncer que tu es loin d’être à la hauteur…

Il leva les bras au ciel :— Dis-moi ce que je dois faire pour te prouver l’inverse ? Les chandelles, le repas… ça ne te

suffit donc pas ?— L’amour n’est pas dans ce genre de choses, John ! L’amour c’est… c’est savoir que Simon

m’attend, en ce moment même, alors que je suis avec toi.— Je ferais bien plus encore pour toi, Annabelle ! Moi, je te veux libre et entière ! Je veux toutes

tes facettes. Pas seulement… la femme que je veux que tu sois !Je me braquai sans attendre :— Quoi ? Tu ne me veux pas soumise ? C’est ça que je dois comprendre ? Parce que je me

souviens que ça ne t’a pas déplu que je te le demande, tout à l’heure…— Ça n’a rien à voir ! s’emporta-t-il. La soumission fait autant partie de toi que la domination de

moi ! Et tu peux dire ce que tu veux : ton corps le désirait bien avant que ta bouche ne l’avoue ! C’estbien la preuve que je peux répondre à tous tes désirs, Annabelle ! Si tu voulais une soumise, je tel’offrirais sur le champ, aussi !

Peut-être se douta-t-il du malaise qui me gagna, car il laissa son nez revenir près de mon épauleet laissa son souffle chaud caresser ma peau.

— Amour, à mes yeux, tu es bien plus qu’un simple corps à soumettre. Tu es autant une louvequ’un chaton. Et avec moi, tu n’aurais jamais à choisir en toutes ces facettes. Tu pourrais être tout ceque tu veux…

Son nez dériva sur mon sein qui se dressa à son passage et qu’il se mit à taquiner du bout de salangue. Je me raidis dans l’espoir qu’il me prenne sur le champ, mais il chuchota de nouveau, labouche déjà sur mon ventre :

— Moi, je ne te mettrai jamais ce genre de balises entre nous.— John ! Tu triches ! hoquetai-je.Il se releva en expirant bruyamment. De toute évidence, il n’avait plus envie de discuter, lui non

plus, mais comme je n’avais pas encore cédé, il s’impatienta :— Je suis là, à te supplier de m’accorder une chance… et toi… tu ne vas même pas réfléchir à

mon offre ?— J’ai respecté ma part du marché, dis-je simplement.— Annabelle, si tu pars… je n’aurai plus le droit de te contacter de nouveau. C’est ça, l’entente !— Je sais.Sa main poussa ma cuisse et ses doigts s’enfoncèrent dans mon sexe. Une fois. Deux fois. Puis au

troisième passage, je fermai les yeux pour profiter de la douce chaleur qu’il provoquait en moi.

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— Vois. Ton corps a toujours envie du mien…Je grognai avant de chasser sa main inquisitrice :— Tu triches, répétai-je.Il reprit son geste et garda ses doigts loin de moi avant d’insister à nouveau :— Dis que tu m’appelleras.— Non.— Mais t’as envie de moi, pas vrai ?Je retins mon souffle avant de devoir admettre, baissant les yeux comme s’il s’agissait d’une tare

que je portais :— Oui.— Et de savoir que je t’aime… ça ne te fait rien ?Pourquoi fallait-il constamment qu’il revienne sur le sujet ? Pour qu’il voie que sa question me

déplaisait, je répondis vite et un peu abruptement :— Ça me touche, John, mais je ne ressens pas la même chose pour toi.— Mais tu m’as déjà aimé ! Après ce qu’on vient de vivre, tu ne vas pas me dire que tout a

disparu ?Je ne sais pas pourquoi, mais je restai un moment à réfléchir à la réponse que j’allais lui donner.

Si je lui disais qu’il restait ne serait-ce que la moindre bribe de mes sentiments pour lui, il n’allaitjamais céder, alors je répondis en évitant la question :

— C’était avant Simon.Peut-être était-ce durant la légère hésitation qui précéda ma réponse, mais il me scruta un instant

avant de retrouver un air moins sombre, puis il me repoussa sur le lit et ses mains emprisonnèrent lesmiennes au-dessus de ma tête :

— Ose dire que ça ne te plaît pas ce que l’on vit, là, tout de suite ?Son corps se frotta sur le mien et j’arborai mon plus beau sourire :— Je ne le nie pas, John, mais ça ne change rien : demain, ce sera fini.Ses doigts s’écrasèrent sur ma peau, un peu brutalement, et il s’emporta :— Dis au moins que tu vas y réfléchir.Au lieu de lui mentir, je me tus et détournai la tête, ce qui sembla le blesser, car il recula de

nouveau, ne laissant qu’un courant d’air froid sur ma peau. Quand je reportai mes yeux sur lui, jecompris qu’il réfléchissait à la réaction qu’il devait avoir, songeant probablement à remettre sonmasque. Au bout d’une longue inspiration, l’homme triste réapparut devant moi :

— Annabelle, je ne veux pas te perdre.Je me relevai, encore, et dit :— C’est comme ça que tu veux qu’on passe nos dernières heures ? À parler ?Il soupira, puis sa main chercha de nouveau la mienne :

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— J’ai le droit de te faire l’amour encore une fois ?— Je suis tout à toi pour encore quelques heures…J’étouffai un rire lorsqu’il m’étendit prestement sur le lit et qu’il se positionna sur moi :— Ma belle, je vais tellement bien t’aimer que ton corps sera très vite en manque de moi. Je

laisserai ma marque partout en toi.D’un trait, son sexe entra en moi et mes jambes l’encerclèrent pendant que je l’accueillis avec un

râle délicieux. Enfin ! Je crus que nous en avions terminé avec cette discussion et que nouslaisserions nos corps faire le reste. Mais au bout de quelques minutes, et chaque fois qu’il plongeaiten moi, sa voix résonnait dans le creux de mon oreille :

— Annabelle, je t’aime. Je te rendrai heureuse. Je réaliserai tous tes rêves.— John, arrête.Il laissa nos actes en suspens, laissant mon corps tremblant d’envie et il me lança un regard

sombre :— Tu es à moi jusqu’à demain, me rappela-t-il sur un ton ferme. Et c’est ainsi que je veux te faire

l’amour.Je dus admettre qu’il savait comment me faire entendre raison. C’était quoi ? Du chantage ? J’en

avais assez d’attendre !Devant son air scrutateur, je pinçai sa joue et ordonnai :— Jette ton masque.Il se détendit aussitôt et retrouva un sourire discret. C’est alors que mon pied cogna sa fesse :— Je m’impatiente !Il n’en fallait pas plus pour le ramener en moi.

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La dernière offre

Je ne sais pas combien de temps je dormis, mais lorsque je m’éveillai, c’était en sursaut. Dans lapièce, il faisait clair et froid. Je ne me souvenais plus de l’heure à laquelle j’avais sombré, dans lesbras de John, alors qu’il m’avait refait l’amour, encore une fois. L’esprit dans les vapes, je tendisl’oreille en me redressant lourdement. De toute évidence, je n’avais pas suffisamment dormi pouravoir l’esprit clair, mais comme le bruit de la douche se faisait entendre, j’eus envie de m’y rendre,moi aussi. Cela me permettrait de reprendre un peu de tonus. Je vérifiai l’heure sur la table de chevet,presque dix heures du matin. Alors ça y était ? Je n’avais pas craqué. Ouf ! Un sourire se dessina surmon visage. Malgré tous ses efforts, John n’était pas parvenu à me faire promettre quoi que ce soit.

Je me glissai hors du lit, me faufilai dans la salle de bain sur la pointe des pieds, jetai un œildiscret derrière le rideau de douche pour contempler le corps de John. Je me figeai lorsque jel’aperçus : assis, sous le jet d’eau chaude, la tête sur les genoux. Un frisson désagréable me parcourutet dans mon geste de recul, il me vit, sursauta et tira le rideau pour me voir.

— Déjà réveillée ? me questionna-t-il avant de se racler la gorge.Il s’était relevé en prenant appui sur le mur. Je ne sais pas pourquoi, mais je sus que je n’aurais

pas dû me retourner. J’aurais dû m’enfuir comme une idiote, mais je m’adossai contre le mur et luijetai un regard à la dérobée avant de le fixer sur mes pieds :

— John, je suis désolée.— Ne le sois pas. S’il te plaît. Bien. J’en ai pour dix minutes, après j’irai préparer quelque chose

à manger.Il referma le rideau d’un trait pour se masquer à ma vue et j’entendis son corps se déplacer

derrière. Merde. Je détestais le sentiment qu’il venait de créer en moi. Autant j’aurais dû ficher lecamp, autant je me sentais responsable du chagrin qu’il portait et affichait sans chercher à se déroberà mon regard. J’avais encore l’image de son corps recroquevillé et de ses yeux rougis dans monesprit. John, mon Maître. Comment en était-il arrivé à devenir aussi humain ? Étais-je vraimentresponsable de ce changement ?

Sans réfléchir et très rapidement, je me faufilai derrière lui, sous la douche, et le pris dans mesbras alors qu’il était toujours dos à moi. Il ne réagit pas, comme s’il s’attendait à mon geste. Ou peut-être refusait-il simplement de se retourner. Je collai ma joue sur son dos humide et le serrai fort, sansdire le moindre mot.

— Tu es adorable, murmura-t-il en posant ses bras sur les miens. Si douce et si cruelle à la fois.Tu ferais une Maîtresse redoutable, tu sais ?

Sa voix essayait de tourner ses mots à la plaisanterie, mais je ne fus pas dupe. Il peinait à lesdire. Ce fut long avant que lui ou moi ne bougeâmes. L’eau me coulait sur la tête et mouillait mescheveux et c’était la sensation la plus agréable qui soit dans la situation actuelle.

Enfin, il se tourna et alors que je le tenais contre moi, ce fut à mon tour d’être dans ses bras. Il

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renifla dans mes cheveux, puis me relâcha d’un trait en retrouvant un ton ferme :— Je vais préparer le repas.Il chercha à quitter la douche, mais je le retins par la taille. Il baissa les yeux vers moi, comme

pour me demander ce que j’espérais en le gardant ainsi. J’osai relever la tête et affronter son regarddéfait. Il abandonnait la lutte et j’en étais à la fois heureuse et consternée. Au lieu de le relâcher et dele laisser partir, je posai un baiser rapide sur son torse et laissai glisser ma main sur lui jusqu’àemprisonner son sexe entre mes doigts. Il retint sa respiration pendant quelques secondes et je sentisson érection se raffermir doucement. Je souris et lui demandai, un peu ironiquement :

— Pas de cachet ?— Non.Il me répondit sérieusement, les yeux rivés sur moi, comme s’il attendait de voir ce que j’allais

faire avec sa verge que je tenais et caressais. Au fil de mes attentions, elle se tendit fièrement. Peut-être s’impatienta-t-il, car il souffla, avec une voix légèrement déformée :

— Comment puis-je vous servir, Madame ?Je lui dégotai un regard sombre pour le ramener à l’ordre avant qu’il ne remette son masque :— John, pas de ça avec moi.La façon dont je le foudroyai des yeux parut le rendre inconfortable, car il détourna la tête et

avoua, mal à l’aise :— C’est plus facile si… si tu me laisses jouer.— Je m’en fiche. Je t’ordonne de ne pas jouer, dis-je.Son visage s’égaya devant l’absurde de mes propos et probablement que ma plaisanterie le

détendit, car il laissa son visage revenir vers moi. Sa main se posa sur ma joue et je le laissai mevoler un baiser avant de le repousser. J’étais aux prises avec des sentiments partagés, incapable de lelaisser se renfermer dans sa coquille alors qu’il était allé si loin. Pourtant, je me sentais trop fragilepour le laisser me faire l’amour de nouveau. J’allai au plus simple : je me laissai tomber à sesgenoux et glissai sa verge entre mes lèvres. C’était le seul moyen de m’offrir à lui sans que je n’aieenvie de porter un masque, moi aussi. Une sorte de lot de consolation, peut-être.

Sous mon geste, son corps se tendit, puis se relâcha d’un trait. Ses doigts s’enfoncèrent dans mescheveux. Alors qu’il était généralement silencieux dans sa jouissance, il laissa ses râles envahir lapièce et plus sa jouissance résonnait, plus je m’efforçais d’être tendre. Je lui faisais l’amour avec mabouche. C’était tout ce que je pouvais lui offrir. Peut-être le sentit-il, car son désir s’emballarapidement et il éjacula dans un cri, puis ses mains recommencèrent à caresser mes cheveux.

— Oh Amour ! Tu es exquise ! murmura-t-il.Je restai un moment à genoux devant lui, à la fois Soumise et Maître, malgré ma position. J’aurais

pu lui ordonner n’importe quoi, j’étais persuadée qu’il m’obéirait sans attendre, mais je n’étais pascertaine de pouvoir faire face à mes propres envies. La fatigue, sans aucun doute. Sans me relever etla tête baissée, comme j’avais coutume de le faire lorsque j’étais sienne, je coupai court au malaisequi m’animait :

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— J’en ai pour dix minutes.Je fus soulagée qu’il comprenne que c’était terminé. Il ne tenta pas de me rejoindre sur le sol. Son

corps se glissa hors de mon champ de vision et j’expirai en silence avant de me relever pour mepositionner sous le jet d’eau chaude.

Quand ses pas s’éloignèrent. Je laissai quelques larmes tomber.* * *

Nous mangeâmes en silence. Il n’y avait plus rien à dire et j’étais soulagée qu’il n’essaie plus deme supplier ou de me retenir. Soudain, j’avais hâte de retourner chercher mes affaires et de ficher lecamp de chez lui. Hâte de sentir que notre histoire était bel et bien terminée.

Je remontai à ma chambre où le lit n’avait pas été défait et où mon sac m’attendait. Je n’avaispratiquement rien utilisé de mes vêtements.

Sur le coin du lit, John avait déposé la robe qu’il m’avait offerte et un cahier beige, sobre, quej’observai un moment avant d’ouvrir la couverture rigide pour voir ce qu’il contenait. Les premiersmots me brûlèrent les yeux et je le refermai brusquement avant de reculer, la main sur mes lèvrespour étouffer un cri. Ce que j’avais cru être un cahier vide ou une sorte de roman se révélait être unelettre. Une énorme lettre vu l’épaisseur du cahier et le titre me donnait envie de pleurer :

« Ce que j’ai oublié de te dire »Le salaud ! Il le faisait exprès ! Je retrouvai un semblant de contenance et repoussai le cahier et la

robe. Hors de question que je ramène le souvenir de John avec moi. Autant tout laisser là, comme lui.Je m’habillai rapidement et descendis en chassant le souvenir de cet objet.

John m’attendait au bas des escaliers, scruta mes yeux, probablement dans l’espoir d’y avoir faitjaillir des larmes avec son cahier. Je me félicitai que ce ne soit pas le cas. Toute cette fatigue merendait vulnérable et je n’avais qu’une envie : partir au plus vite. Partir avant de craquer.

— Es-tu en état de conduire ? me questionna-t-il.— Oui.Il hocha la tête et je m’avançai vers la porte. Sa main m’arrêta en se posant sur ma taille et il

chuchota, visiblement anxieux de me voir sur le point de quitter sa vie sans avoir pu obtenir unequelconque promesse de ma part :

— Annabelle… tu ne pourrais pas… disons… réfléchir à ma proposition ?— John, ce que tu proposes, c’est de foutre ma vie en l’air.— Non, dit-il en secouant la tête. Ça ressemble plutôt à… n’importe quoi ou…. à ce que tu veux.Il grimaça en prononçant ces mots, visiblement troublé de devoir me les répéter à nouveau. Je

soupirai :— J’ai envie de rejoindre Simon.En réalité, je n’étais pas sûre que ce soit tout à fait vrai, mais une chose était certaine, il fallait

que je parte. Sa main me libéra et m’ouvrit la porte, puis il attendit que je sois sur le point de franchirle seuil de sa maison pour tendre la bouche vers moi. Je l’embrassai rapidement, l’empêchai de meprendre dans ses bras en reculant un peu vite. J’étais légèrement sous le choc de la nuit que nous

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venions de vivre.Une fois hors de sa portée, je marchai en direction de ma voiture en me défendant de me

retourner. Hors de question de lui jeter ne serait-ce que le moindre regard. Je ne sais pas pourquoi.J’avais peur de craquer si je me retournais et si j’étais sûre d’une chose, c’est que je ne devais pasperdre mes moyens. Encore moins devant John.

Ma voiture démarra et je m’éloignai enfin de lui. Je roulai un moment sans regarder où j’allais. Jem’arrêtai dans une rue où je me sentis en sécurité, loin de John et de son amour. Loin de tout. Enfin,je cognai ma tête contre le volant et je pleurai.

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La triste vérité

Il était tard lorsque je rentrai chez moi. J’avais roulé un moment pour me calmer, puis je m’étaisdécidée à revenir vers Simon, surtout par crainte qu’il ne s’impatiente.

À la seconde où j’ouvris la porte, son corps bondit de notre canapé et il posa un visage anxieuxsur moi. J’eus l’impression que mes gestes étaient lents et, avec ceux-ci, toute la vie que j’avais misede côté, depuis hier, me revenait en mémoire.

— Salut, dit-il, visiblement avide de briser le silence.— Salut.Il resta debout, devant le canapé, au lieu de venir me prendre dans ses bras. Je ne sais pas ce que

j’aurais préféré, mais je n’avais pas envie de porter un masque ou de lui mentir, alors je marchai verslui. Ses genoux plièrent et il se laissa retomber sur le canapé, puis sa question fusa avant que je ne l’yrejoigne :

— Alors ? Comment c’était ?Je me plaçai devant lui, à la recherche de la réponse idéale, mais devant mon hésitation et mon

regard fuyant, il s’impatienta :— La vérité, Annabelle.— C’était… merveilleux.Le mot m’arracha la gorge et je me laissai tomber à genoux pour me glisser dans ses bras avant

de pleurer comme une enfant. Heureusement, il ne me les refusa pas et son étreinte fut à la fois lourdeet apaisante. Silencieuse aussi. À croire que nous avions, tous les deux, à digérer l’information que jevenais de lâcher. Quand je daignai relever les yeux vers lui, mon cœur se brisa lorsque remarquaiqu’il pleurait aussi.

— Je ne veux pas te faire de la peine, soufflai-je.— Ce n’est pas grave. Je veux toujours la vérité, Annabelle. Peu importe ce que ça me coûte.Il essuya son visage et tenta de reprendre contenance, avant de reculer sur le canapé. Ce faisant, il

cessa de me toucher, ce qui me troubla un moment.— Alors… il a réussi ? finit-il par me demander en essayant de préserver une voix calme. Tu vas

juste… retourner avec lui ?— Quoi ? Non ! m’écriai-je.Ses yeux me questionnèrent. Visiblement, ma réponse le consternait et je comprenais sans mal

pourquoi.— Je n’ai pas l’intention de retourner avec lui, statuai-je.Le regard de Simon se détendit, puis il esquissa un drôle de sourire avant de m’attirer dans ses

bras.

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— Bon sang, Anna ! Tu m’as fait une de ces peurs !Sa bouche chercha la mienne, m’embrassa longuement. Patiemment. Ses mains restèrent sur mes

hanches, sans chercher à me toucher autre part, ce qui m’embêta légèrement. En tant que Maître, nedevait-il pas effacer le corps de John par le sien ?

— J’ai cru que je t’avais perdue, admit-il en m’écrasant contre lui.— Jamais. Il était…— Je ne veux rien savoir. Pas maintenant.Il caressa mes cheveux encore humides, dévora mon cou et y laissa de chauds baisers, puis me

jeta un regard inquisiteur. Je le sentais inquiet et anxieux de ma réaction qui ne se fit pas attendre :d’un geste, je basculai mon t-shirt par-dessus ma tête. Son visage retrouva une certaine sérénité, puisil me retira mon soutien-gorge avant de m’étendre sur le canapé, sa bouche sur ma poitrine et soncorps empressé par-dessus le mien. Si empressé qu’il se contenta de remonter ma jupe et d’arracherma culotte, ce qui me tira une grimace de douleur, mais à peine étouffai-je mon cri qu’il se rua surmoi et me pénétra sans attendre.

— J’avais tellement besoin qu’on se retrouve, expliqua-t-il en restant longuement plongé dansmon sexe.

Son nez se frotta un moment sur mon front, puis il parsema mon visage de baisers légers. Mespieds repoussèrent tant bien que mal son jeans qu’il n’avait fait qu’ouvrir pour me prendre et je tiraisur son chandail jusqu’à ce qu’il valse dans la pièce à son tour. Au lieu de s’activer entre mescuisses, il resta un moment à me contempler, immobile et les yeux luisants.

— Anna, dis-moi que tu m’aimes encore.— Je t’aime encore, dis-je sans aucune hésitation.Il expira de soulagement, puis reposa ses lèvres sur les miennes, dans une douceur qui contrastait

avec l’impatience de son corps cherchant à prendre possession du mien. Je me cambrai, heureuse dele sentir de nouveau lui-même, de le sentir en moi et avide qu’il écrase le souvenir de John.

Quand nos gémissements se retrouvèrent étouffés sous des baisers bruyants, Simon devint rustre,secouant mon corps, partageant mes cris entre douleurs et plaisirs. Quand je fus sur le point de jouir,il s’arrêta, à bout de souffle, et gronda :

— Tourne-toi !Une vague de plaisir me submergea avant même qu’il m’encule. Autant parce que j’aimais qu’il

me prenne de la sorte, que parce que tout était différent avec Simon. Que ce soit par ses ordres ou parla rudesse de ses gestes, il n’y avait aucune distinction à faire : il me faisait toujours l’amour. Cetteseule pensée suffit à faire emballer mes cris et je perdis la tête rapidement, coincée entre l’accoudoiret son corps massif. Il se pressa d’éjaculer à son tour, se glissa à mes côtés pour me reprendre dansses bras, le souffle court et le cœur qui battait si vite que je percevais ses battements dans mon dos.

Une fois que le silence fit rage dans notre maison, il chuchota :— Maintenant. Dis-moi tout.Je fus soulagée d’être dos à lui et peut-être le comprit-il, car il ne chercha pas à me faire pivoter

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de son côté. Je parlai vite, lui racontai tout et dans les moindres détails. La séance avec Laure et ceque j’ai fait au bar de Maître Denis, je n’eus aucun scrupule à les lui raconter. Par contre, je fisplusieurs pauses en lui racontant les sentiments de John à mon égard, et la façon dont il avait tenu àme faire l’amour. Je n’omis même pas notre dernier rapport, ce matin, dans la douche. À aucunmoment, il ne brisa mes silences ou ne s’impatienta. Peut-être en avait-il tout autant besoin que moipour absorber le choc des mots qui sortaient de ma bouche.

— J’ai roulé un moment pour me vider la tête. J’ai pleuré. Puis je suis rentrée, terminai-je, lagorge serrée.

À mon tour, j’attendis. Je n’étais pas impatiente de savoir ce qu’il en pensait, mais devant letemps qu’il prit pour reprendre la parole, j’eus peur d’en avoir trop dit.

— Merde, finit-il par lâcher.Même si je crevais d’envie de me retourner, je ne le fis pas. Je me contentai de chuchoter un

faible :— Quoi ?— J’aurais préféré qu’il te prenne en tant que soumise. Qu’il te fouette et qu’il essaie de te briser.

Tout plutôt que ça.Ses bras se raffermirent autour de ma taille, comme s’il cherchait à me sceller à son corps.— C’est aussi ce que j’espérais, admis-je piteusement en laissant l’arrière de ma tête se frotter

sous son menton.— Merde, répéta-t-il.Agacée de ne pas le voir, je me tortillai pour lui faire face sur le canapé et lui jetai un regard

inquiet :— T’es fâché contre moi ?— Non. Contre lui. Et même pas, en fait ! Tout ça, c’est de ma faute. Je n’aurais pas dû te laisser

y aller. J’aurais dû me douter qu’il me préparait un coup fourré. Il agit avec nous comme si tout çan’était qu’une stupide partie d’échec !

Je ne répondis pas, mais je devais admettre que je n’étais pas tout à fait d’accord avec lui. Johnm’aimait. Il avait peut-être brouillé les cartes pour m’attirer chez lui, mais je ne pense pas quel’homme que j’ai vu, ce matin, était le manipulateur que je croyais qu’il était. À la limite, ça m’auraitsoulagée qu’il le soit. Devant mon silence, Simon insista :

— Il savait que je ferais de toi ma soumise, Anna. Il savait que tu n’oserais pas allée chez lui deton propre chef et que, s’il mettait un doute raisonnable dans ma tête, c’est moi qui t’ordonnerais d’yaller. Merde ! J’ai vraiment été bête !

— Simon, arrête. J’y suis allée et je suis revenue.— Mais il t’a troublée. Bon sang, Annabelle, s’il y a une chose que je voulais, c’était que ça

cesse ! Pas qu’il te tripote la tête, encore !Je repoussai ses bras et me redressai tant bien que mal sur le canapé, me plantant de l’autre côté,

loin de lui.

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— Il ne m’a pas tripoté la tête, OK ?De son côté, il se releva aussi et coincé dans son jeans à moitié retiré, il le remit, ce qui était

étrange. Moi avec ma jupe, lui avec son pantalon, chacun de notre côté. C’aurait été cocasse si jen’avais pas eu autant envie de pleurer.

— Alors qu’est-ce qu’il a fait ? me questionna-t-il. Tout ça t’a troublée, Annabelle, tu ne peuxpas dire le contraire !

— Je ne m’attendais pas à ça, c’est vrai, confirmai-je en hochant la tête, mais…Je fermai les yeux avant d’ajouter, un peu gênée de devoir l’admettre :— Il n’a rien fait que je ne voulais pas. Il m’a laissée libre. Et chaque fois, il a vérifié au moins à

deux reprises que c’était bien ce que je désirais.Quand je me décidai à reporter mon attention sur Simon, c’est lui qui ferma les yeux :— Ne dis pas ça, me supplia-t-il.— Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Que je le repousse et que je revienne ? Tu m’as dit de

tirer cette histoire au clair !— Et tu l’as fait, tu crois ?Ses yeux étaient revenus sur moi et son ton grimpa en force, me poussant à réfléchir à la question.

En avais-je définitivement terminé avec John ? Je n’en étais pas certaine, mais je savais que je nevoulais plus lui donner la moindre chance, alors je hochai la tête et, sans répondre directement à laquestion, je dis :

— Je suis revenue pour être avec toi. Ça ne compte pas ?Il me scruta, hésitant. Mon cœur se serra devant le doute qu’il affichait et je compris que je

n’aurais jamais dû lui parler aussi ouvertement. Je me décidai de me lever de ce canapé où nousvenions à peine de faire l’amour, me réfugiant dans la chambre avec la ferme intention de retournerme changer avant d’aller rouler une bonne heure ou deux. Simon surgit derrière moi :

— Qu’est-ce que tu fais ?— Je m’habille. J’ai besoin de prendre l’air.— Je ne veux pas que tu partes.Je lui jetai un regard sombre :— Je pense, au contraire, que tu as besoin de réfléchir. Peut-être que tu n’es pas vraiment prêt à

me pardonner. Peut-être que tu veux que je te quitte, au fond.— Non !Son corps me plaqua contre la commode et il secoua la tête :— Annabelle, je t’aime. Il n’y a rien de plus vrai que ça, compris ? John pourrait dire ou faire

n’importe quoi, ça ne changera jamais rien à ce fait. Et même s’il y croit dur comme fer, jamais il net’aimera autant que moi.

Ses mots avaient éclaté dans la pièce, si forts que j’en tressaillis. Cela ne sembla pas lui suffire,car il grogna, visiblement agacé par mon silence :

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— Dis que tu me crois.— Je te crois.Il attendit, même s’il venait d’obtenir ce qu’il espérait, puis une autre question survint :— Et lui, tu le crois ? Quand il dit qu’il t’aime ?Je pinçai les lèvres avant d’acquiescer. Oui, je le croyais. J’aurais largement préféré que ce ne

soit pas le cas, d’ailleurs.— Ok, dit-il en essayant de conserver son calme. Alors… qu’est-ce que tu as prévu pour la

suite ? Tu veux le revoir ou… ?Il laissa sa phrase en suspens et fixa autre part tandis que je fronçai les sourcils :— Non ! Simon, je viens de te raconter la façon dont je suis partie !Son soupir fut lourd et il attendit un moment avant de reporter son attention sur moi :— Écoute, c’est vrai que… dans le pire des cas et si… si c’est vraiment ce que tu veux… je peux

te partager. Quoique je préfèrerais que ce soit avec n’importe qui plutôt qu’avec lui, mais…Il leva les yeux au ciel, comme s’il n’arrivait pas à croire qu’il puisse prononcer ces mots-là,

puis il ajouta, plus fort :— Anna, si tu m’aimes, tout ça n’a que peu d’importance, au fond.Un peu maladroitement, je m’assis sur la commode et enroulai ses jambes des miennes, ce qui

l’obligea à se rapprocher de moi. Mes bras se nouèrent autour de son cou et je plongeai mes yeuxdans les siens :

— Je suis revenue pour être avec toi. Je suis allée là-bas, j’ai fait ce qu’il voulait et voilà.Maintenant, est-ce qu’on ne pourrait pas laisser toute cette histoire derrière nous ?

Le sourire qu’il afficha fut la plus belle de toutes les réponses et il me serra contre lui en expirantde joie :

— Rien ne me ferait plus plaisir…Je savourai ce moment de quiétude, puis je dis, sur un ton ironique :— Par contre, on va avoir un problème.Simon se détacha de moi et attendit, me dévisageant comme si j’étais sur le point de lui annoncer

la fin du monde.— Je ne veux plus être ta soumise, annonçai-je. D’après John, il paraît que j’ai un petit côté…

dominant. Et je t’avoue que j’ai hâte de te montrer ça…Il retrouva un air anxieux :— Tu ne veux quand même pas me soumettre !Je pouffai de rire :— Non ! Quoique… qui sait ?Ses mains glissèrent sous mes fesses et il me souleva pour me jeter sur le lit. Son corps grimpa

sur le mien et il semblait avoir rajeuni de quelques années :

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— On fera ce que tu veux, dit-il simplement.— Oh, mais quel soumis tu fais ! me moquai-je.Je fis semblant d’être forte et de pouvoir le basculer dos au matelas et il se laissa faire sans

broncher. Enfin, je montai sur lui et je profitai de ma position pour dire :— À toi, maintenant.— Quoi moi ?— Raconte ta soirée d’hier.Il pinça les lèvres et hésita avant de me répondre :— J’étais fatigué, alors… je suis resté ici.Autant ses paroles me soulagèrent, autant j’eus l’impression qu’elles venaient d’ajouter un poids

supplémentaire sur mes épaules. Suffisamment pour que je recule et finisse par quitter le lit. Devantmon air contrarié, Simon se redressa et leva une main pour me retenir :

— Anna, tu étais avec lui. Je n’avais vraiment pas la tête à ça.— Tu m’avais dit que tu irais coucher avec une autre fille ! Avec des tas d’autres filles ! C’est

pour ça que je ne me sentais pas coupable de… que je me disais qu’on pourrait juste… se retrouver !— Mais c’est ce qu’on fait, là !— Non ! rugis-je. Oh Simon ! Pourquoi tu n’es pas allé à cette stupide soirée ?— Qu’est-ce que ça change ?— Ça change tout ! grondai-je. Ça fait deux fois que je fais des trucs terribles ! Que je te suis

infidèle ! Sans parler qu’hier, au bar…Je fermai les yeux en me remémorant la facilité avec laquelle je m’étais donnée à deux parfaits

inconnus.— Anna, je m’en fous. Je te jure que c’est vrai.Ma main le fit taire en se dressant vers lui :— Je t’interdis de dire ça ! J’ai fait une connerie, je le sais ! Si tu en avais fait une, aussi, ça

m’aurait aidé à… on aurait été quittes, tu comprends ?— Quoi ? Tu veux que je couche avec n’importe qui uniquement pour me venger ?— Oui ! m’écriai-je. Parce que moi, je l’ai fait, et parce que je sais que je ne vais pas pouvoir

me pardonner si… si tu ne le fais pas toi aussi.Il me dévisagea pendant un moment, alors que j’étais sur le point de me mettre à pleurer comme

une idiote. Quelque part, j’aurais voulu que cette histoire soit derrière nous. Que Simon ait déjàfranchi le pas pour que je n’aie pas à savoir que ça finirait par arriver, mais je ne pouvais pasreprendre ma parole. Je voulais qu’il baise avec une autre et lui pardonner, moi aussi. De la mêmefaçon qu’il l’avait fait pour moi. Pourtant, l’idée que ces mains-là touchent une autre femme medonnait mal au cœur.

— D’accord, concéda-t-il. Je le ferai. Donne-moi quelques jours pour réfléchir à tout ça, tuveux ?

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À la fois triste et soulagée, je hochai la tête. D’un mouvement rapide, il se positionna sur le boutdu lit et d’une main, il me ramena contre lui :

— Bon… tu me le montres ton petit côté dominant ? Autrement, je veux bien te montrer le mien !Je pouffai de rire et laissai sa bouche effacer notre petite dispute. Je ne voulais plus songer aux

autres. Je voulais que Simon inonde à la fois mon corps et mon esprit.

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Jalousie

J’avais dormi tout le dimanche après-midi, dans les bras de Simon, puis nous avions refaitl’amour et pendant qu’il cuisinait, je m’étais replongée dans mes dossiers du travail. J’avais troismaquettes à vérifier et un article de fond à lire. Même si je ne voulais pas y songer, je savais qu’ilrestait encore une semaine avant la fin des appels à textes érotiques. Cette fois, j’espérais que Johnn’y soumettrait rien.

Je revins au bureau, le lundi suivant, légèrement courbaturée et fatiguée de mon week-end. Toutela matinée se déroula sans encombre, jusqu’à ce que je revienne de ma réunion hebdomadaire et quela réceptionniste m’arrête :

— Annabelle, c’est arrivé pour toi, ce matin.Elle poussa une boîte dans ma direction avant de reprendre un appel. Je récupérai mon dû avec

un air surpris et retournai dans mon bureau. Il n’était pas rare que je reçoive des produits à tester oudes livres à faire commenter dans la revue, mais en général, la réceptionniste les ouvrait et lesdistribuait aux personnes de mon équipe qui étaient concernées.

Je récupérai mes messages sur ma boîte vocale en triturant le colis avec un coupe papier quand lamention « Courrier privé » me sauta aux yeux. Je raccrochai avant d’atteindre le premier message enattente et ouvris le paquet, soudain intriguée par son contenu, puis mon visage se décomposa lorsqueje retrouvai la robe et le cahier que j’avais délibérément laissés chez John.

Un carton accompagnait le tout : « Ceci t’appartient. Pour la robe, je suis désolé, mais elle ne meva pas du tout. Et pour le cahier… je l’ai écrit pour toi. Fais-en ce que bon te semble. Avec Amour,J. »

Par cette simple note manuscrite, je sentis mon cœur s’emballer comme une idiote. Commentavait-il osé m’écrire et m’envoyer tout ça ? Il avait pourtant promis de rester à l’écart ! Je retins mongeste de lui téléphoner. C’était sûrement ce qu’il espérait que je fasse. Autant tout oublier et fairecomme si je n’avais rien reçu. Je poussai le colis sur le coin de mon bureau et récupérai mesmessages téléphoniques, puis courriels, mais dès que j’eus cinq minutes de libres, la curiosité medévora et je repris le cahier pour le feuilleter.

Je restai un moment sur le titre : « Ce que j’ai oublié de te dire » qui, à lui seul, m’attristait. Aubout d’une bonne minute, je tournai la page et lus la mise en garde de John. C’était un texte écrit dansle cadre de sa thérapie, revu et corrigé, dans lequel son seul objectif était d’avoir le courage de toutme dire au cas où il n’aurait pas le temps de le faire durant le temps qui lui avait été imparti. Qu’est-ce que je devais comprendre ? Qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps ? Et alors ? C’est lui quiavait demandé deux jours, après tout ! Il n’avait qu’à en exiger davantage !

Choquée qu’il ait tenté de me contacter, je jetai le cahier sur mon bureau en grondant. Hors dequestion que je le lise maintenant. C’était probablement ce qu’il espérait, m’atteindre alors qu’il étaitencore sous ma peau. Cette fois, j’étais déterminée à déjouer ses plans. Je sursautai lorsque Lena

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entra et je récupérai le cahier pour le jeter dans le premier tiroir qui me tomba sous la main.— Salut. T’as le temps d’aller prendre un verre, ce soir ?— Euh… non. Non, je dois… Simon rentre tôt, finis-je par dire, comme si cela expliquait tout.— Ah. Bon.Elle fit durer le silence et je m’impatientai :— Un problème ?— Non. Ou peut-être que oui. Je ne sais pas.Elle parut hésiter, mais comme j’attendais qu’elle crache le morceau, elle finit par le faire,

visiblement gênée de l’admettre :— Je suis passée devant la maison de John, samedi soir. Je peux savoir pourquoi ta voiture était

là ?Mon visage se défit et je laissai tomber ma tête contre l’assise de mon siège avant de reprendre

mes esprits. Au lieu de lui répondre, je lançai :— Et toi, alors ? Qu’est-ce que t’es allée faire dans une rue déserte, un samedi soir ?— Si tu répondais plutôt à ma question.Je m’avançai avant de la regarder droit dans les yeux :— J’ai passé la nuit avec lui. Voilà, tu sais tout.Lena me scruta un moment. Peut-être espérait-elle que je retire mes propos, mais je n’en fis rien.

Je n’avais pas menti à Simon, je ne voyais pas pourquoi je l’aurais fait avec elle. Une fois le chocpassé, elle bredouilla :

— Mais… et ton blondinet ?— C’était une entente entre eux deux. Je devais être à John de samedi à dimanche, après quoi, il

me ficherait la paix.Les yeux Lena s’agrandirent :— Et t’as accepté ça ?— C’est compliqué, dis-je simplement.À choisir, je préférais éviter de lui parler de ma soumission avec Simon. D’autant que ce n’était

plus vraiment à l’ordre du jour, depuis hier. Devant son air étonné, je levai la main et ajoutai :— S’il te plaît, ne me fait pas la morale. J’essaie de gérer cette histoire comme je le peux.Elle ne dit rien, ne bougea pas pendant un long moment, puis quand elle finit par en avoir assez du

silence qui régnait, elle contourna une chaise pour se laisser tomber devant moi :— Annabelle, vraiment… je ne te comprends pas. Est-ce que tu n’as pas déjà le gars parfait qui

t’attend à la maison ?Je la fixai avec un air ironique, agacée qu’elle me rappelle ce fait :— Et toi alors ? Que faisais-tu chez John, un samedi soir ?Elle s’emporta aussitôt :

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— Quoi ? Je n’ai pas le droit de passer devant chez lui ?Je ne déviai pas le regard et elle soupira, avant de céder à son tour :— Je m’ennuyais et je n’avais rien de mieux à faire. Et de toute évidence, son téléphone était

débranché.— Je pensais que tu le trouvais fou ? me moquai-je, en me remémorant ses mots de la semaine

dernière.Son visage tendu se relâcha et elle afficha un drôle de sourire :— Ouais. Il est fou, mais ça n’empêche pas qu’il baise bien.Je pinçai les lèvres en guise de réponse. Elle avait raison. Comme je ne parlais pas, elle continua

son interrogatoire :— Qu’est-ce que je dois comprendre ? Que tu joues sur deux tableaux ?— Non, dis-je simplement. J’ai été avec John pendant deux jours. C’est fini. Je suis revenue avec

Simon.— Et il t’a reprise ? Juste comme ça ?— Oui.J’aurais bien aimé que ma réponse suffise, mais de toute évidence, elle attendait davantage de ma

part, alors je lâchai :— C’était une façon de vérifier que c’était terminé avec John.Malgré la moue désagréable qu’elle affichait, Lena devint néanmoins très curieuse :— Et ça l’était ?— Ça l’est maintenant.Elle haussa les sourcils de surprise avant d’avouer :— Eh bien… je ne sais pas quoi en penser. Des histoires bizarres, j’en ai vues, tu t’en doutes,

mais là… il doit drôlement t’aimer, le blondinet, pour te laisser baiser ailleurs et te reprendre commeça.

Elle claqua des doigts, dans un bruit troublant, comme si je me servais de Simon. Je serrai lesdents, un peu outrée de son commentaire :

— Je sais qu’il m’aime.Elle hocha la tête, encore troublée par ce que j’avais fait et, pour me défendre, j’ajoutai :— Ne t’inquiète pas pour Simon. Je lui ai dit qu’il pourrait aller voir ailleurs, lui aussi. Histoire

de… d’équilibrer les choses.Très vite, elle se posta sur le bout de sa chaise et son ton grimpa en flèche, tellement que je crus

qu’elle allait s’étouffer :— Quoi ? T’es sérieuse, là ?Je ne dis rien et, après une grimace peu jolie, elle me renvoya un air intrigué :— Tu cherches quelqu’un ?

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Avant qu’elle n’aille plus loin, je sursautai sur ma chaise :— Lena !— Quoi ? Il est mignon ton blondinet ! Et si tu le préfères à John, alors… il doit avoir bien des

talents ! Je me dévoue, si tu veux…À cette idée, je posai un regard meurtrier sur sa personne :— Je t’interdis de toucher à Simon !Elle pouffa et ses mains se levèrent devant moi :— Enfin une réaction normale !— Si tu cherches une queue, John est libre, va donc lui faire ton numéro ! sifflai-je.— Quoi ? Tu vas laisser une étrangère toucher ton blondinet, mais tu ne le permettrais pas à une

amie ?Je tendis un doigt menaçant vers elle :— Si tu le touches ou si tu lui fais ne serait-ce qu’un quart de proposition, on ne sera plus jamais

amies, Lena.Ma promesse me fit me dresser de ma chaise et je remarquai que j’étais plus jalouse que je ne

l’aurais cru en ce qui concerne Simon.— D’accord, concéda-t-elle en haussant les épaules. Tu ne peux pas m’en vouloir de chercher un

peu d’amusement ! Pourquoi ce serait à toi de tous te les taper ?Elle se leva pendant que j’avais férocement envie de lui répéter de ne pas toucher à Simon.

Pourquoi elle traînait dans mes plates-bandes ? Elle n’avait qu’à aller se trouver un gars bien à elle,pour une fois ! Je ravalai difficilement mes mots, consciente que c’était ma colère qui cherchait àprendre la parole. Jamais je ne me serais crue jalouse et pourtant, depuis que j’avais insisté pour queSimon couche avec une autre, l’idée ne cessait plus de me hanter. Aussi ridicule que cela puisse être,sa peau était mon territoire et je ne voulais pas qu’une autre y ait accès. D’autant plus ridicule que,malgré mon insistance, j’étais de moins en moins sûre de pouvoir accepter ce que Simon avait faitpour moi. Quelle terrible petite amie j’étais !

— Bon, j’ai du travail, dis-je en espérant la chasser de mon bureau.— OK, bien… si tu changes d’avis…Mes yeux s’écarquillèrent et, avant que je ne m’emporte, elle ajouta, très vite :— Ho ! Du calme ! Je parlais du verre ! Je ne vais pas y toucher à ton blondinet, j’ai compris !Je la fusillai du regard jusqu’à ce qu’elle sorte de mon champ de vision avant de me laisser

retomber sur mon fauteuil. J’étais en colère et je détestais cela. Après ce que j’avais fait, pourquoi nepouvais-je pas laisser Simon faire la même chose ? Soudain, j’avais hâte qu’il baise autre part pourque nous puissions retrouver notre vie d’avant. Hâte de rétablir l’équilibre dans notre couple…

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Jeux de rôle

Je m’étais achetée une jolie petite robe avant de rentrer à la maison. Quelque chose de court et demoulant, qui retenait suffisamment ma poitrine pour ne pas avoir à porter de soutien-gorge. Noire,avec des lanières de cuir sur le ventre, s’attachant derrière, un peu comme un corset. Pour couronnerle tout, j’avais trouvé une jolie paire de bottes avec lesquelles je ne serais jamais sortie, mais quiconvenait très bien pour le jeu que je prévoyais. Devant le miroir, je trouvais que ma tenue medonnait un air dominant. Il ne restait qu’à espérer que cela plaise à Simon.

Lorsqu’il rentra, plus tôt que d’habitude, il posa le repas sur le coin du comptoir avant dem’apercevoir, de l’autre côté. Je retins mon air curieux pour garder la tête bien droite et ne déviaipas mon regard, étouffai mon rire lorsque le sien apparut sur son visage.

— Joli costume, dit-il en s’approchant de moi.D’un simple coup d’œil de ma part, Simon comprit qu’il n’avait pas le droit de me toucher, mais

avant que je ne démarre le jeu, il avoua, un peu contrarié :— Je ne suis pas sûr de faire un très bon soumis…— Tu me laisses vérifier ? proposai-je.Il oscilla entre le doute et la moquerie, opta pour une seconde question avant de jouer le jeu :— Tu n’oserais pas me donner la fessée, quand même ?Je fis mine de réfléchir en grattant le dessous de mon menton avant de hausser les épaules :— Je n’y avais pas songé, mais maintenant que tu en parles…— Anna !— Quoi ?Il croisa les bras devant lui :— Je ne suis pas sûr d’avoir très envie de jouer…Ma main glissa à l’intérieur de ma botte et sortit un ruban noir que je fis tournoyer devant moi :— Crois-tu ?Il cligna plusieurs fois des yeux :— Tu veux m’attacher ?— T’attacher, d’abord, puis abuser de ton corps. C’est dans mes projets, oui, admis-je en faisant

mine de passer le ruban entre mes lèvres.Il hésita encore :— Je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre avec toi.— Il n’y a pas trente-six façons de le savoir. Et si tu me fais attendre trop longtemps, je risque de

m’impatienter… et de te le faire payer très cher.Ma menace sembla faire effet, puisqu’il s’avança tout en retirant son chandail qu’il laissa tomber

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sur le sol. Il jouait le jeu. Enfin ! Je l’observai avec un air gourmand, non sans songer qu’il étaitmagnifique et tout à moi. Je lui fis signe d’aller dans la chambre avant de le suivre :

— Retire ce pantalon, ordonnai-je.— Avec joie.Il me fit face pour s’exécuter et soutint mon regard avec une pointe d’amusement. Malgré les rôles

que j’essayais d’imposer, il ne put s’empêcher de demander, d’une voix moqueuse :— Dois-je t’appeler Madame ? Ou te vouvoyer ?— Non, mais dépêche-toi, le grondai-je, j’ai hâte de te chevaucher.Son sourire s’illumina et il parut oublier ses craintes, car il s’étendit sur le lit et se laissa attacher

ses mains de chaque côté de sa tête. Je tirai un second ruban de mon autre botte. Vu la taille de sonérection, et malgré sa crainte d’être à ma merci, il ne pouvait nier que la mise en scène lui plaisait.Pendant que je le ligotais, sa bouche se frotta sur mes seins et je me levai, tant bien que mal, pour mepositionner debout, sur le lit et au-dessus de lui, en essayant de garder l’équilibre avec ces fichustalons. Ainsi, il avait tout le loisir de voir que je ne portais aucun sous-vêtement.

— Elle te plaît ma robe ?— Elle est jolie, mais tu seras toujours mieux sans, admit-il, les yeux rivés sur mon sexe.Ma position était loin d’être confortable. Les talons s’enfonçaient dans le matelas, mais tant pis.

Je restai là, debout, sur lui, et me caressai doucement à sa vue.— Ça, c’est très cruel, souffla-t-il.— Je croyais que ça te plaisait de me voir me masturber ?— Ce que j’aime, c’est te voir jouir. D’ici, je ne vois pas ton visage, se plaignit-il.Je lui jetai un sourire ravi :— Il faut bien que tu souffres un peu…Il gigota doucement sous moi avant de faire mine de s’avouer vaincu :— D’accord. C’est le genre de souffrance que je peux endurer…Je remontai ma robe un peu plus haut, frottai plus rapidement mon clitoris tout en essayant de ne

pas perdre l’équilibre, mais à la première vague de chaleur, je sus que je n’arriverais jamais à jouirdans cette position. Tant pis, je me laissai tomber sur lui et me cambrai vers l’arrière, mon sexe toutprès de son visage, en laissant mes doigts m’emmener vers l’extase. Simon se jeta vers l’avant,coincé par ses liens, en essayant de rapprocher sa bouche de mon sexe que je masturbais à quelquescentimètres de ses lèvres. Il bougeait, essayait de se redresser, modifiait notre position quand je luijetai un regard sombre :

— Les femmes d’abord !— Laisse-moi te toucher ! Tu vas me rendre fou, comme ça ! grogna-t-il en essayant de tirer sur le

ruban.— C’est mon intention.Il se tortilla dans tous les sens, fit claquer ses dents et lécha sa bouche à répétition alors que

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j’essayais de me concentrer sur mon plaisir :— Approche juste un peu ! me supplia-t-il.— Simon ! Si tu n’arrêtes pas, je recule, le prévins-je.Il me toisa du regard, probablement pour vérifier si j’étais sérieuse, puis cessa de se débattre

avant de reporter ses yeux sur mon sexe. Il n’eut nul besoin de me demander de poursuivre, j’encrevais d’envie. Sous son regard, je me masturbai avec fougue, imaginant sa bouche sur mon sexe etses doigts en moi. Je perdis rapidement la tête et restai un petit instant, dans un épais coton, jusqu’àce qu’il chuchote :

— Annabelle… approche !Dans mes caresses, je m’étais avancée et j’étais tout près de sa bouche, quoique sa tête tirât vers

l’avant, en extension pour mieux voir la scène. Je glissai mes doigts entre ses lèvres et il les dévoraavec un regard brûlant de désir. Dire que cet homme magnifique était à moi. J’avais seulement enviede lui dire que je l’aimais, de détacher ses mains et de les sentir sur moi. Il gémit encore :

— Approche ! Je veux te goûter !Je me remémorai le rôle que je devais tenir, quoiqu’il me semblât bien plus complexe de le tenir

avec Simon que cela ne l’était avec John. D’un coup de rein vers l’avant, je lui offris mon sexe qu’illécha avec le bout de la langue avant de grogner à nouveau :

— Plus proche !Je lui retirai ce plaisir avant qu’il ne puisse y goûter davantage. Alors que je reculais, il se remit

à gigoter :— Anna !— Décidément, tu es un très vilain soumis ! me moquai-je.— Mais je suis un très bon dévoreur de chattes, laisse-moi te montrer, rétorqua-t-il en me scrutant

avec envie.— Oh, mais je connais bien ton talent, me moquai-je, mais j’ai envie de diriger, aujourd’hui.

Pourquoi tu ne me laisses pas faire ?Je changeai de position, en faisant attention à ne pas le toucher de mes bottes qui, tout compte fait,

me causaient plus d’inconfort que de plaisir. M’agenouillant entre ses cuisses, je léchai doucementson gland avant de me redresser pour mieux le voir :

— Et ça ? C’est pas bien ?— Bordel Anna, tu veux me rendre fou ?Sa voix démontrait son impatience et son bassin se soulevait. Son sexe tentait de venir à la

rencontre de ma bouche.— C’est mon intention, dus-je admettre, en faisant mine de ne pas voir son empressement.— Ça fonctionne ! Continue !Je retins un rire. Décidément, j’étais loin d’être à la hauteur pour gérer une telle situation. Le

costume ne faisait pas tout ! Si je m’en tenais à mon plan initial, je l’aurais laissé attendre encore un

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peu, mais je n’avais pas prévu qu’il serait aussi affamé de la suite. Décidant de limiter sa patience, jereposai ma bouche sur son sexe, le glissai à l’intérieur, le suçai pendant quelques coups avant derelever à nouveau la tête.

— Oh non, ne t’arrête pas !Sans ses doigts dans mes cheveux, cette fellation me paraissait moins agréable, mais ses

supplications étaient adorables, alors je me concentrai pour ne pas sourire et le fixai avec un airfaussement sérieux :

— Tu n’es pas très résistant.— Détache-moi. On verra qui de nous deux l’est le moins, me menaça-t-il.Je retins un rire, reposai mes lèvres sur sa verge et attendis qu’il se remette à gémir avant de

m’arrêter, encore une fois.— Anna ! rugit-il en se débattant avec ses liens.— Je te signale que tu es à mon service, lui rappelai-je.— Défais ce nœud et tu verras combien je le suis !J’avais du mal à ne pas pouffer de rire et je dus pincer les lèvres pour qu’il ne remarque pas mon

air moqueur :— Si tu éjacules, qu’est-ce qu’il me restera, à moi ?— Tout ce que tu veux ! Il suffit de demander ! dit-il sans réfléchir.Puis quand il comprit enfin le sens de mes paroles, il se reprit, en posant sur moi un regard

suppliant :— Viens sur moi. T’as envie de me chevaucher, c’est bien ça ?— Oui, admis-je.J’étais déjà tellement excitée de le voir ainsi que je ne songeai même plus à le faire patienter

davantage. Je m’installai sur lui, laissai son sexe se lover tout au fond de moi avant de fermer lesyeux pour profiter de ce moment où nous étions ensemble. Simon donna un coup de bassin qui me fitréprimer un cri et je lui jetai un regard réprobateur :

— Je ne t’ai pas donné la permission.— Anna ! Ça me rend fou de ne pas pouvoir participer !Ses mains se remirent à tirer sur leur ruban et je ne pus m’empêcher de le prendre en pitié. Il est

vrai qu’il était toujours le premier à se jeter sur moi et, en général, il cherchait à m’offrir le premierorgasme. Jamais je n’aurais cru que lui retirer l’usage de ses mains allait autant le contrarier.

Prenant appui sur son torse, je le chevauchai doucement, prenant soin de le regarder dans lesyeux. Il quémanda un baiser que je ne pus me résoudre à lui refuser. Une fois sa langue sur la mienne,mon corps se déhancha davantage, puis je me jetai vers l’arrière pour que les sensations soient plusfortes. Ses mains me manquaient. Sa bouche aussi. D’une main, je gardai l’équilibre ; de l’autre, jecaressai maladroitement ma poitrine par-dessus ma robe. Incapable de rester immobile, Simoncomplétait ma chevauchée en soulevant son bassin dans des gestes brusques. Bien que délicieux, cemouvement m’obligeait constamment à me retenir pour ne pas perdre l’équilibre.

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— Libère-moi, me supplia-t-il en essayant de tendre la bouche vers ma poitrine.J’avais tellement besoin de sentir ses mains sur moi que je ne réfléchis même pas, je me penchai

vers lui pour défaire ses mains. Une fois libre, il se rua sur moi comme si je l’avais privé de soncorps depuis trop longtemps et je me retrouvai contre la tête de lit, ses mains sur mes cuisses et sabouche dans mon cou. Simon venait de reprendre le contrôle de tout : de la situation, de moi et duplaisir qui grimpait dans mon corps. Je perdis la tête rapidement. Si rapidement qu’il poursuivit deme prendre pour achever sa propre quête. Lorsqu’il fut enfin calmé, il me tira vers l’arrière et je meretrouvai dans ses bras, haletante et heureuse.

— Je suis un très mauvais soumis, rigola-t-il.Il plaqua un baiser sur ma bouche en feignant un air triste :— Pardon Maîtresse.Je m’étirai jusqu’à ce qu’il retire son bras, dans mon dos, qui m’empêchait de m’étaler plus

confortablement sur le lit, puis je tournai un visage souriant vers lui :— J’adore quand tu prends le contrôle.— Je croyais que tu avais un petit côté dominant ?Je lui montrai un faible écart entre mes doigts :— Oh… un tout petit. Juste pour corser les choses, tu sais ?Il se tourna vers moi, glissa une main sur ma cuisse, puis caressa doucement ma botte avant de

grimacer :— J’aime mieux sans.Avant que je ne puisse réagir, il me les retira et les jeta dans le fond de la pièce, avant de m’aider

à enlever ma robe. Une fois nue devant lui, il se mit à embrasser mes seins avec une telle fougue quej’eus hâte que son érection revienne.

— Simon, je t’aime, soufflai-je en caressant ses cheveux.Son visage se releva vers le mien et c’est ma bouche qui eut droit au plaisir de sa langue. Le

temps de m’étourdir de son baiser qu’il chercha à nouveau mon regard :— Je suis content qu’on se soit retrouvés, dit-il avec un drôle de sourire.— Moi aussi.Je le repoussai pour retourner vers son sexe, toujours au repos, mais il grogna lorsque je cherchai

à le reprendre entre mes lèvres. Il détestait mon côté soumise et se dépêchait souvent pour aller senettoyer pour éviter ce genre de scène, mais je retiens son geste de recul et fis mine de le disputer :

— J’ai envie de te faire plaisir, je peux ?— Laisse-moi aller me nettoyer.— Non.Je fus ferme dans ma réponse et profitai de son air surpris pour me remettre à titiller son gland du

bout de ma langue. Malgré mes caresses, Simon resta tendu et alors que je m’attendais à détecter duchangement dans son érection, il gronda :

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— Je n’aime pas que tu fasses ça.Je relevai des yeux moqueurs sur lui :— Toi, tu me le fais, parfois.— C’est différent. Moi, je n’ai pas été soumis.Devant mon expression, il réprima un rire :— Je veux dire… à part ce soir.Je laissai tomber son sexe et me relevai pour être à sa hauteur :— Simon, ça n’a rien à voir avec ce que j’ai été. J’en avais vraiment envie.Un coup d’œil en direction de sa verge me redonna le sourire et j’ajoutai, ironique :— On dirait que je ne suis pas la seule à en avoir envie.Alors que je revenais vers son entrejambe, il arrêta mon geste et sa question me fit trembler de

l’intérieur :— Dis-moi qu’il ne s’est pas mis entre nous.Qu’il ramène John dans notre discussion après ce que nous venions de faire me déplut. Je dus

admettre que cela venait d’assombrir ma bonne humeur. Mais comme l’angoisse perçait dans leregard de Simon, je secouai la tête et répondis de vive voix :

— Il n’est pas entre nous. Enfin… il n’y était pas avant que tu en parles…Il afficha une moue désolée et je regrettai de lui avoir répondu aussi sèchement. J’avais passé

deux jours avec un autre homme et je m’offusquais que Simon soit inquiet. N’était-ce pas normal,après tout ? Pour le rassurer, je revins me serrer contre lui :

— Je t’aime Simon.Malgré ses bras autour de moi, il soupira :— Mais tu l’as aimé, aussi.— Oui, mais c’est fini.Devant ma réponse, il chercha mon regard et je confirmai mes dires en hochant la tête. Je ne sais

pas s’il me crut, car il bifurqua la conversation autre part :— T’étais sérieuse, hier, quand tu m’as demandé de coucher avec une autre fille ?Ma respiration se bloqua pendant quelques secondes, surtout quand je me remémorai la

discussion que j’avais eue avec Lena et la jalousie qui m’avait animée, il n’y avait que quelquesheures. Simon attendait ma réponse et j’étais coincée dans tous les cas. D’abord, parce qu’il m’avaitpardonné ce que j’avais fait avec John et qu’il m’avait permis de le retrouver pendant deux jours.Ensuite, parce que si je refusais, cela signifiait que je ne pouvais pas lui pardonner ce que moi-même, je lui avais fait. Ne devais-je pas lui montrer plus de preuves d’amour qu’il m’en avaitoffert ?

— J’étais sérieuse, oui, finis-je par dire, non sans arborer une tête d’enterrement.Il pinça les lèvres, légèrement contrarié, ce qui me redonna courage. C’est pourquoi je

m’empressai d’ajouter :

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— Pas que j’en ai envie. Loin de là ! Seulement… ça me paraît plus juste.— OK.Jamais une réponse ne me parut plus désagréable à entendre, mais je me défendis de le lui

montrer. Après un bref moment de réflexion, il ajouta :— Je vais essayer de régler la situation le plus rapidement possible. Pour qu’on puisse tourner

définitivement la page. J’en ai assez qu’on traîne cette histoire.Je ravalai un sanglot et hochai la tête. Quand il me serra contre lui, je ne fus pas mécontente qu’il

ne puisse plus voir mon visage. J’étais terrifiée. Comment avait-il pu me laisser partir ? Déjà, j’avaisdu mal à respirer en imaginant ce corps sous les mains d’une autre.

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Ensemble

La semaine se passa sans encombre et sans nouvelle de John. À croire qu’il avait enfin comprisque c’était terminé entre nous. Plus le temps passait, plus j’étais heureuse d’avoir tiré cette histoireau clair avec lui. Depuis que j’étais revenue avec Simon, je me sentais plus heureuse, plus libreaussi.

Chaque soir, je retrouvais le corps de Simon avec un plaisir renouvelé. J’adorais le surprendreavec un ordre ou deux et il sembla s’y faire, car il y répondait avec une joie non dissimulée. Aveclui, j’étais autant Maître que Soumise, sans avoir à faire la moindre distinction. C’était un jeu et peuimporte la façon dont il se déroulait, nous finissions toujours par nous retrouver. Lui et moi. Simon etAnnabelle. Tout simplement.

C’était jeudi après-midi lorsque je revins d’une réunion avec Serge, un nouveau en charge de lapartie en ligne de notre revue. Je lui avais donné mon accord pour à peu près tout, puisque j’avaisbien d’autres choses à faire avec la version papier de la revue. De toute façon, la seule chose quim’intéressait, c’était de partir d’ici. Simon s’était fait remplacer pour la soirée, au travail, et j’avaishâte de boucler mes dossiers pour le retrouver.

Le son m’indiquant un nouveau courriel me fit tourner les yeux vers l’écran de mon ordinateur etje serrai les lèvres lorsque le nom de John Berger apparut, en gras. Me souvenant de son cahier quej’avais jeté dans le tiroir de mon bureau, je songeai, pendant un instant, à effacer son message sansprendre le temps de le lire, mais alors que je scrutais son nom, je réalisai que ça ne me faisait nichaud ni froid de recevoir un courriel de sa part. Par prudence, j’attendis quelques secondessupplémentaires, afin de m’assurer que c’était réellement de l’indifférence qui m’animait, puisj’ouvris son message :

« Chère Annabelle, je sais que je transgresse toutes les règles en t’écrivant de la sorte, mais tonsilence me rend fou et quand je suis dans un état pareil, je ne sais faire qu’une chose : écrire. J’avaisenvie de soumettre ce texte à ta revue, mais j’ai peur que tu ne sois pas d’accord, puisqu’il traite d’unsouvenir commun. Comme je ne peux pas te téléphoner, j’ai décidé de laisser son destin entre tesmains. Soit tu le remets à Claire, soit tu l’effaces du serveur comme tu m’as effacé de ta vie. Pour mapart, je ne peux qu’espérer qu’il ait reçu un peu d’attention de ta part, comme je voudrais en recevoir,moi aussi. Avec tout mon amour, John ».

Je fixai son message avec un air amusé. John se languissait de moi ? Décidément, c’était unepremière et, malgré ce que nous avions vécu, c’était toujours aussi difficile à croire ! J’ouvris sontexte que j’imprimai sans réfléchir. Nul doute qu’il témoignerait d’un moment que nous avionspartagé, mais comme il avait publié nos séances dans un livre sans se soucier de mon avis, quem’importait qu’il fasse la même chose avec la revue ? Tout ce dont je voulais m’assurer, c’était quema personne ne soit pas reconnaissable parmi ces lignes, surtout pour éviter de contrarier Simon.Pour le reste, je devais avouer que je m’en fichais complètement.

Jetant un œil sur l’heure et heureuse d’avoir encore du temps à accorder à ma lecture, je plongeai

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dans son histoire qui relatait notre soirée au bar de Maître Denis. Je fronçai les sourcils au bout dupremier paragraphe : ça ne rentrait absolument pas dans le cadre de ma revue ! Il se limitait à parlerde notre visite dans les salles arrières en insistant sur le côté dominant qui m’animait, à ce moment-là. Et il avait vu juste. En me remémorant la scène, je me souvenais à quel point j’avais eu envied’être libre et de contrôler mes envies plutôt que John m’impose les siennes. Je voulais le choquer enme faisant baiser par deux inconnus alors que je savais à quel point il avait envie de moi. Je voulaislui montrer que je me fichais qu’une autre le touche et, en ce moment, je n’avais pas la moindre enviede faire la même chose avec Simon. Je reposai le texte et dus admettre qu’il ne me faisait ni chaud nifroid.

Était-ce possible d’être guérie de John après les instants que nous avions vécus, le week-enddernier ? Je ne sais pas et, pour l’heure, la question me paraissait loin d’être urgente. J’avais enviede rejoindre Simon, de lui demander pardon de ce que je lui avais fait endurer, la semaine dernière,et de lui dire que je ne voulais absolument pas le partager. Enfin… sauf s’il y tenait, ce qui ne seraitque justice…

Je récupérai le texte imprimé que je posai sur le bureau de Claire :— C’est de John Berger, mais ça ne rentre pas dans notre ligne éditoriale. Envoi-lui le baratin de

refus.— Euh… je peux le lire, avant ?— Hein ? Oui, bien sûr ! Évidemment ! Je ne voulais pas interférer dans ton dossier, m’excusai-

je aussitôt. Bon, il faut que je file.— Tu rentres déjà ? me questionna-t-elle, surprise.— Oui. J’ai rendez-vous avec mon amoureux.Je partis sans attendre sa réponse, bêtement heureuse de parler de Simon en ces termes. Mon

amoureux. N’était-ce pas le plus beau mot du monde ? Alors que j’étais à quelques pas de la sortie,je me heurtai à Jessie qui m’arrêta à son tour :

— Oh, Anna… t’as pas oublié pour ce soir ?Je clignai des yeux avant d’afficher un air contrarié :— Aïe ! Ton expo, c’est ça ? C’est ce soir ?— Euh… oui.Elle rougit avant d’essayer de prendre un air détaché :— Mais si t’as autre chose, c’est pas grave… je comprends.Je bougeai nerveusement devant elle et fouillai dans mon sac pour vérifier que j’avais encore son

invitation, incluant l’heure et l’adresse du lieu en question. Je me mordis la lèvre, un peu contrariéedans mes plans pour la soirée, puis je reposai les yeux sur elle :

— Écoute… je te jure que j’essaierai de passer un peu plus tard. Je vais même essayerd’emmener mon petit ami de force.

Juste à la faiblesse de son sourire, je sus qu’elle ne me croyait pas, alors je lui répétai que j’étaisdéterminée à y aller, ce qui était vrai, enfin… surtout pour lui faire plaisir. D’un autre côté, je me

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doutais que Simon n’en aurait aucune envie, mais n’avait-il pas déjà fait bien pire pour moi ? Avecde la chance, et si je lui promettais tout et n’importe quoi, il ne pourrait pas refuser.

— Jessie, je ne resterai pas longtemps, mais je viendrai faire un tour, promis-je.Une fois que je la sentis plus rassurée, je quittai les bureaux de la revue, déterminée à me rendre

chez moi le plus rapidement possible. De toute évidence, le temps m’était compté, ce soir !* * *

Quand j’arrivai à la maison, mon air soulagé d’être enfin arrivée à destination se figea. Simon seleva pour venir à ma rencontre :

— Anna ! Te voilà ! C’est drôle, je pensais que t’arriverais un peu plus tard, dit-il en venantm’embrasser sur la joue.

Mon regard resta rivé sur la jeune femme blonde, assise à notre comptoir de cuisine qui nousservait également de table à dîner. Je questionnai Simon en silence, passai ses derniers mots en revuedans ma tête : il pensait que j’allais rentrer plus tard ? Qu’est-ce que je devais comprendre ? Qu’ilvoulait baiser cette fille chez nous ? Avant mon arrivée ?

— Viens que je te présente Camille.Comme une idiote, je me plantai devant la blonde et je serrai sa main pendant que Simon faisait

les présentations. Elle était décidément beaucoup trop jolie pour me plaire. De façon un peu tropdirecte, elle me dévora du regard avant de sourire de façon ridicule à Simon. Derrière moi et la mainsur ma hanche, il chuchota :

— Camille va passer la soirée avec nous.— Oh, euh…Je retins ma surprise, quoique je fusse certaine qu’elle se trouvait inscrite en noir sur blanc sur

mon visage. Simon se dégagea, contourna le comptoir et me proposa un verre de vin que je me hâtaid’accepter. Avec un rire nasillard, Camille se pencha vers moi :

— Ne sois pas si nerveuse. Je te rassure : ce n’est pas la première fois que je baise avec uncouple.

Évidemment, j’avais compris la raison de sa présence, mais qu’elle le dise de vive voix, cela mecontraria. Possible que Simon le remarquât, car une fois que j’eus reposé mon verre, à moitié vide,sur le comptoir, il posa les yeux sur moi :

— On peut se parler deux minutes ?Je ne me fis pas prier pour le rejoindre dans notre chambre, le laissai s’excuser seul du temps que

nous prenions entre nous auprès de son « invitée ». Je fus rassurée qu’il ferme la porte, mais pouréviter de perdre mes moyens, j’attendis qu’il soit le premier à prendre la parole.

— Tu voulais que je baise ailleurs, me rappela-t-il sans autre préambule.— Ouais, bien… j’aurais préféré que tu m’en parles avant, avouai-je en essayant de ne pas avoir

un ton plein de reproches.Je passai sous silence le fait que je détestais savoir qu’il allait baiser une autre femme. Surtout

ici. Chez nous. Je jetai mon regard autre part, sur le lit qui me parut sale alors que personne n’y avait

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encore touché :— Si tu veux, je peux revenir plus tard, proposai-je.— C’est que… j’aimerais qu’on fasse ça ensemble.Je croisai les bras. Évidemment, je savais qu’il dirait ça, mais à choisir, j’aurais préféré qu’il ne

le fasse pas.— J’ai une collègue qui… je dois aller à une exposition, bredouillai-je.— Qu’est-ce que je dois comprendre ? Que tu le ferais pour lui, mais pas pour moi ?Je lui décochai un regard sombre qu’il me rendit dans la seconde. Je présume que, si j’avais été à

sa place, j’aurais cru la même chose. Et peut-être que c’était le cas, en fin de compte. Peut-êtreaurais-je dû lui parler de mes doutes avant qu’il ne me mette devant le fait accompli. Ou qu’ilm’implique dans la combine…

— J’aurais préféré… que tu le fasses sans moi, finis-je par admettre. Je ne suis pas sûre d’êtrecapable de…

Ses yeux me transpercèrent et m’empêcha de terminer ma phrase. Soudain, je compris que monrefus le choquait et il avait certainement raison de l’être. Pour John, j’aurais fait bien pire que ça,mais pour Simon… ça me rendait déjà folle de rage qu’une autre ait le droit de s’approcher de lui.

— C’est toi qui as insisté, dit-il encore.— Je sais. Mais j’ai vraiment une expo, ce soir.Pour la première fois, j’étais heureuse d’avoir une excuse. Une vraie, qui plus est ! Dans le

meilleur des pires scénarios, il me laisserait partir, ferait ce qu’il veut avec cette blonde et nous n’enreparlerions jamais. Déjà, j’aurais aimé ne jamais savoir ce dont elle avait l’air et me l’imaginercomme je l’entendais. Elle devait avoir moins de vingt-cinq ans. En comparaison, même si latrentaine n’était toujours pas au compteur, je me sentais drôlement vieille !

— Ce n’est pas obligé que ce soit très long, dit-il au bout d’un long silence. Je la paie à l’heure.Je le questionnai du regard et il se contenta de hocher la tête. Il avait pris une prostituée ? Devant

mon air surpris, il s’expliqua :— Je ne voulais ni une ex, ni quelqu’un du réseau.— Oh. Bien… je comprends. C’est… c’est une bonne idée.À la seconde où je laissai ces mots sortir de ma bouche que je me serais fichue une claque. Une

bonne idée ? Et puis quoi encore ?Sa main chercha la mienne, la serra très fort :— Anna, je t’aime. Je ne veux pas faire ça sans toi.Étrangement, ces mots-là, dans la bouche de John, je les aurais adorés. Mais dans celle de Simon,

c’était tout sauf charmant. Ce fut long avant que ma tête ne cesse de m’engueuler. Après tout, si j’étaislà, c’était uniquement de ma faute. Et comme j’avais fait pire pour John, comment pouvais-je refuserquelque chose d’aussi ridicule à Simon ? Peut-être qu’il avait envie de s’offrir deux femmes ? Peut-être que c’était un moindre mal, après tout. Qui sait combien de femmes il aurait baisées dans unesoirée ?

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— OK, finis-je par dire, avec la gorge aussi sèche qu’un désert.Il plaqua un baiser sur ma bouche et, au lieu de me serrer contre lui comme j’en avais besoin, il

ouvrit la porte pour que nous retournions à la cuisine. Toujours au comptoir, Camille se resservait unverre de vin et nous jeta un regard curieux :

— Alors ? Elle est réglée votre petite dispute, les amoureux ?— On ne s’est pas disputés, la rassura Simon.Ses doigts relâchèrent les miens et je me jetai sur la bouteille de vin à mon tour. À peine portai-je

le verre à mes lèvres que la blonde s’impatienta :— Bon, les cocos, vous êtes gentils, mais… l’heure tourne, alors…Simon me jeta un regard incisif, de ceux qui ordonnent quelque chose, mais comme j’ignorais ce

que c’était, je ne fis que me lever. À tout hasard, je montrai la chambre à notre « invitée » et elle vidason verre de vin avant de s’y diriger. Mes pas étaient lents, mais Simon attendit que je passe devantlui. Quand j’aperçus Camille qui retirait ses vêtements et les laissait tomber sur le sol de notrechambre, j’eus un léger haut le cœur. Qu’étions-nous en train de faire ? À la limite, baiser dans unbar, dans un hôtel ou au salon m’aurait paru moins terrible. Ici, c’était notre chambre et j’avaisl’impression que nous étions sur le point de la souiller.

Une fois à moitié nue, Camille se jeta sur moi et posa sa bouche sur la mienne, rude et empressée.Sa langue força mes lèvres à s’ouvrir et je répondis à son baiser pendant qu’elle essayait de défairemon chemisier. Pour ne pas la repousser trop abruptement, je pointai dans la direction de Simon :

— Tu m’aides à lui retirer ses vêtements ?Camille se rua sur lui avec la même rapidité qu’elle l’avait fait sur moi et j’eus du mal à ne pas

détourner la tête quand sa bouche se posa sur celle de Simon. Heureusement, il me chercha du regard,me tendit la main et je me retrouvai contre lui à mon tour. Toutes les deux, nous retirions sesvêtements et il se laissait faire sans opposer la moindre résistance.

— Wah ! Voilà un bien joli moineau, siffla Camille en empoignant le sexe de Simon d’une main.Je fermai les yeux et pris une longue bouffée d’air avant que la colère ne m’aveugle, mais

personne ne le remarqua. Visiblement aguichée par la verge de Simon, Camille se jeta à ses pieds etalors qu’il portait toujours son pantalon, elle récupéra son sexe dans sa bouche. Malgré la main deSimon sur ma hanche et son nez dans mes cheveux, je reculai. Il chercha mon regard et je me raclai lagorge avant de prétexter :

— J’ai besoin que… il faut que j’aille aux toilettes.La blonde cessa sa fellation pour tourner la tête vers moi, un large sourire accroché aux lèvres :— Dépêche-toi ! Y’en aura pas pour tout le monde !Elle avait raison. Il n’y en aurait pas pour moi. Cela me frappa comme une évidence. Je tournai

les talons et quittai la chambre en évitant le regard de Simon. Une fois hors de leur portée, jerattachai mon chemisier, récupérai mon sac en quatrième vitesse et quittai la maison sans meretourner. J’étais à bout de souffle et la tête me tournait en me remémorant ce qui se passait dansnotre chambre. C’était peine perdue. Je ne pouvais pas faire ça. Autant ficher le camp et revenir

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quand tout serait fini. Tant pis si Simon ne comprenait pas. Je lui expliquerais tout plus tard.

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Le mauvais moment

Je roulai sans but pendant un moment, m’arrêtai dans un service à l’auto pour grignoter et fouillaidans mon sac pour retrouver le carton d’invitation de Jessie. Au passage, je cherchai mon téléphonequi fut introuvable. Merde ! Où l’avais-je laissé, celui-là ? Probablement au bureau ou dans lespoches de mon veston, resté quelque part à la maison. Si Simon essayait de me joindre, il ne metrouverait pas et peut-être que c’était un moindre mal. Il aurait le temps d’en finir avec cette fille etde se calmer avant que je revienne. Bien que, à choisir, je me doutais que c’était moi qui avaisbesoin de me calmer.

La seule chose à laquelle je songeais c’était : « Comment en étions-nous arrivés là ? » Tout allaittellement bien. À croire que j’avais un talent inné pour tout gâcher. En plus, je savais qu’il ne medemandait rien de terrible. Pourquoi est-ce que je ne pouvais pas le faire ? C’était ridicule !

Je jetai un œil à ma montre. Il m’avait dit qu’il payait cette fille à l’heure. Deux suffiraient-elles ?Cela me donnait le temps de faire un saut à l’exposition, d’essayer de me calmer, à défaut de me faireune raison sur ce qui se passait chez moi, puis de revenir demander pardon à Simon. Pardonpourquoi, je ne le savais pas exactement, mais en y réfléchissant, je trouverais. Dans le pire des cas,je lui expliquerais l’erreur que j’avais commise en lui demandant de coucher avec une autre. Etmalgré le goût amer qui tapissait ma bouche, j’essayais de me convaincre qu’après ce soir, Simon etmoi serions quittes. C’était faux, parce que ce serait trop peu pour lui et peut-être trop pour moi.Mais en ce moment, je voulais croire que ce pût être possible. Il m’aimait et je l’aimais. Nousfinirions bien par trouver une solution.

Je m’attachai les cheveux, me mis un peu de rouge sur les lèvres pour ressembler à quelque choseavant de me rendre à la salle d’exposition. C’était petit, intime et chaleureux, une sorte de grandesalle sombre où les gens se massaient devant des toiles et des sculptures. Au bout de dix pas, Jessiesurgit devant moi, me prit dans ses bras, les yeux brillants de joie :

— Tu es là ! C’est incroyable !— Mais… euh… je t’avais dit que je viendrais, lui rappelai-je, un peu gênée par son exubérance.— Oui, mais… euh… j’ai vu que… t’avais oublié.Elle repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille, visiblement mal à l’aise de me le faire

remarquer.— J’ai eu une grosse semaine, dis-je pour m’excuser.Je songeai qu’elle n’était pas encore terminée, d’ailleurs, mais je ne fus pas mécontente lorsque

Jessie récupéra deux verres de vin, dont un qu’elle tendit dans ma direction. Je le pris et la laissai meguider à travers la foule. Je ne sais plus combien de mains je serrai : les parents de Jessie, ses amis,d’autres artistes qui exposaient dans la salle. À en croire la jeune fille, j’étais une patronne géniale,parce que je tenais compte des avis de mes employés et que je les laissais être créatifs au travail. Jefeignis un sourire, heureuse que ma présence soit appréciée quelque part, mais dès que les

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conversations reprirent, je m’écartai en espérant pouvoir filer en douce. J’étais venue, Jessie m’avaitvue, je pouvais rentrer chez moi. D’un coup d’œil rapide, je vérifiai ma montre. Ça ne faisait pas toutà fait deux heures, mais le temps que je retourne chez moi suffirait à s’en approcher.

Rendant mon verre vide à un serveur, je marchai d’un pas rapide en direction de la porte lorsqueJohn se planta devant moi. Si rapidement que je faillis le percuter.

— Annabelle, dit-il en affichant un large sourire.— John, c’est gentil d’être passé, mais je m’en allais. Bonne soirée.Avant que je ne puisse le contourner, il posa une main sur mon bras et m’arrêta, le regard incisif :— Ça ne va pas ? Où est Simon ?J’hésitai avant de reposer mes yeux dans les siens. Autant John m’énervait par sa façon de tout

déceler, autant j’étais heureuse que quelqu’un remarque que je n’étais pas tout à fait moi-même, cesoir. Malgré tout, il avait le don de toujours se pointer au mauvais moment. Une seule idée m’anima :je n’avais pas la moindre intention de lui révéler où se trouvait Simon en cet instant. Encore moins cequ’il faisait !

— Il est occupé. J’allais justement le rejoindre.Il me bloqua le passage alors que je tentais de le contourner :— Tu ne peux pas m’accorder trois minutes ?Je lui jetai un regard sombre :— Tu as promis de ne plus m’importuner.— Je ne t’importune pas. Je suis simplement là où tu te trouves. Je ne vais quand même pas te

violer en public ! siffla-t-il, visiblement agacé par le ton dont j’usais.— Et ose me dire que si tu es là, ce n’est pas parce que tu espérais me voir ? À moins que tu sois

venu faire une offre à Jessie ?Mon ton était ferme, un peu hautain, las aussi, mais je refusai qu’il puisse voir ma déroute. Le

connaissant, il me ferait craquer sans hésiter. Pendant plusieurs secondes, il soutint mon regard, puislaissa ses épaules retomber :

— Je l’avoue. Je suis venu uniquement dans l’espoir de te voir. Est-ce un si grand crime que devouloir respirer le même air que la femme qu’on aime ?

— Respirer le même air, non, mais me parler, oui. Au revoir, John.Je fis un autre pas et sa main relâcha mon bras. Il me laissait partir ? En voilà une première ! Je

savourais ma petite victoire lorsque, trois pas plus tard, sur le point d’arriver à la porte, je tombaisur Simon. Je m’arrêtai brusquement et le fixai sans arriver à comprendre comment il avait su où jeme trouvais. Et pourtant, j’étais drôlement heureuse de le revoir et je songeai à me jeter à son cou. Ilétait ici, avec moi, et pas avec cette fille !

— Tu m’as laissé en plan, dit-il, visiblement en colère.Les gens nous jetèrent des regards curieux et, d’une main, je lui indiquai la sortie :— On pourrait en discuter dehors ?

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Son regard balaya la salle, comme s’il venait de remarquer que nous n’étions pas seuls, puis ilme tourna le dos pour sortir. À quelques pas de la salle, il fit volte-face et sa voix déchira l’air :

— Tu t’es enfuie, Annabelle !— Je ne pouvais pas… je suis désolée, bredouillai-je.— Tu peux pour lui, mais pas pour moi, c’est ça ?— Non ! Non, Simon, ce n’est pas ça !— Alors quoi ?Il criait. Jamais je ne l’avais vu aussi furieux. Il peinait à garder le rythme de sa respiration en

attendant ma réponse.— Je ne voulais pas… que tu couches avec une autre fille, articulai-je avec difficulté.— Je vois. Toi, tu peux faire ce que tu veux, mais pas moi, c’est bien ça ?Sa colère m’effrayait, assez pour que je baisse piteusement la tête et que je croise les bras en

guise de rédemption. Au fond, c’était ça, mais je me doutais que ce n’est pas le genre de réponsequ’il avait envie d’entendre. Ravalant un sanglot, je dis :

— C’est juste que… je ne voulais pas être là.— J’ai remarqué, oui, cingla-t-il sèchement. Tu m’as laissé tomber, Annabelle, alors que moi, je

ne l’ai jamais fait pour toi. Je ne t’ai jamais abandonnée !— Pardon.Je ravalai mes larmes et osai relever la tête. Ses mains se posèrent de chaque côté de sa tête,

comme pour essayer de réfléchir dans un bruit qui n’existait pas, puis il lâcha un rire amer :— Dire que j’étais fou d’inquiétude ! J’aurais dû me douter que tu viendrais le retrouver ! Un peu

plus et c’est chez lui que je te retrouvais !— Ça n’a rien à voir avec John !Il leva une main pour me faire taire, puis ses bras se nouèrent devant lui pendant qu’il tentait de

reprendre son calme. Il expira bruyamment et secoua doucement ses cheveux blonds :— On ne peut pas continuer, Annabelle.Mon sang se glaça dans mes veines et les mots que j’avais en tête gelèrent avant de quitter ma

bouche. Simon sembla avoir repris le contrôle de lui-même. Peut-être même un peu trop, car il parlavite :

— Je ne sais pas ce dont tu as besoin, mais de toute évidence, je ne peux pas te le donner.— Simon… non. Tu ne comprends pas…— Tu as raison, je ne comprends pas, me coupa-t-il. Et pour être honnête, en ce moment, je ne

suis pas certain d’en avoir très envie.Je fis un pas vers lui, mais il recula prestement, comme pour éviter mon contact. Encore une fois,

ses mots franchirent rapidement ses lèvres :— Tu es libre, Anna. Fais ce que tu veux, je m’en lave les mains.Il ferma les yeux avant de perdre la contenance qui l’animait, puis un autre rire amer résonna :

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— Remarque, tu n’as jamais eu besoin de ma permission pour le faire !Je m’avançai à nouveau, mais il s’obstina à reculer à chacun de mes pas. Je frappai du pied pour

essayer de le raisonner :— Tu ne me laisses même pas le temps de m’expliquer !— Parce que j’en ai assez, Anna. J’ai été plus que patient. Plus que compréhensif.— C’est vrai, dus-je admettre.Alors que je tentais de rassembler mes pensées, il trancha, sec :— Je te laisse jusqu’à la fin du mois pour venir récupérer tes affaires.Je lui jetai un regard perdu, mais son image se brouillait déjà quand il me tourna le dos. Simon

repartait. Il me laissait tomber. Et moi, je n’avais même pas le courage de lui demander de rester.Pourquoi l’aurait-il fait ? Il avait raison. Il m’avait donné bien plus que ma chance et moi, au premierobstacle, je m’étais débinée comme une idiote.

Ma main chercha un appui, quelque chose de solide et je bougeai pour m’avancer vers le bâtimentquand une main se posa sur ma hanche.

— Je suis là.La voix de John se voulait douce et moi, aveuglée par ma colère, je lui fichai un coup de coude

pour me défaire de son étreinte.— Annabelle, chuchota-t-il en essayant de revenir vers moi.— Fiche le camp, John ! Avec ou sans Simon, je ne veux pas de toi dans ma vie, compris ?Je partis sans attendre qu’il ne tente de me rattraper. Une fois dans ma voiture, je me brisai

comme du verre. Je ne sais pas ce qui était le pire : d’avoir perdu Simon ou d’avoir l’impression demériter cette perte.

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Le refuge

En téléphonant à Lena pour qu’elle m’héberge pour la nuit, je compris que c’était par elle queSimon avait découvert l’adresse de l’exposition. Comme il n’arrivait pas à me contacter, il lui avaittéléphoné et elle lui avait simplement donné l’information. Comment lui en vouloir ? Elle ne pouvaitpas savoir que John y serait, ni que mon couple allait aussi mal. Pour être honnête, il y a quelquesheures, je ne le savais pas non plus.

L’avantage avec Lena, c’est qu’elle sortit une bouteille de scotch et qu’elle m’en servit un verresans me poser la moindre question. Pourtant, à son regard, elle crevait d’envie de savoir ce quis’était passé. Quand le calme revint dans mon corps, j’allai au plus court, en espérant limiter lenombre de mots qui sortiraient de ma bouche :

— Tout compte fait, il ne m’a pas pardonné.Ça me paraissait une explication logique, bien que fausse. Ou peut-être pas, au fond. Peut-être

qu’il avait simplement compris que ça ne pouvait plus fonctionner, que nous étions allés trop loin etque je ne méritais pas son pardon. Autrement, pourquoi aurait-il fait tout ce cinéma uniquement àcause de cette fille ?

— Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas le laisser partir sans te battre ? me questionna-t-elle.Je haussai les épaules. Si je croyais que ma présence était bénéfique pour Simon, possible que je

me serais battue pour le récupérer, mais est-ce qu’il n’était pas mieux sans moi, en fin de compte ?J’avais commis trop d’erreurs pour pouvoir toutes les corriger. À commencer par ne pas lui avoiraccordé la confiance qu’il méritait. Est-ce qu’il n’était pas trop tard pour tout réparer ?

— Tu vas retourner avec John, alors ?Je lui jetai un regard sombre avant de lui répondre :— Alors ça non ! Jamais !— C’est pourtant avec lui que tu l’as trompé, dit-elle en déviant la tête loin de moi. Tu dois bien

ressentir quelque chose pour lui.— Je ne l’ai pas trompé. Enfin… pas vraiment.Je grimaçai. Même s’il était hors de question que je l’avoue, c’était le cas. La première fois, à

tout le moins. Après ce qui s’était produit, ce soir, peut-être que Simon m’avait donnée à John dansl’espoir que je rentre et que je comprenne mon erreur avant que je ne commette l’irréparable ? Quelledéception je lui avais causée ! Et moi qui n’étais même pas foutue de coucher avec cette fille encontrepartie. J’avais vraiment le don de tout gâcher.

Et si je l’appelais pour lui dire que j’avais changé d’avis sur le sujet ? Et s’il ne fallait que çapour que notre couple se retrouve, comme avant ? Est-ce que nous n’étions pas à deux doigts delaisser toute cette histoire derrière nous ?

— Je crois que John aimerait te ravoir, ajouta Lena, comme si c’était une information que

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j’ignorais.— Dommage pour lui, ça ne me dit rien.Ma voix résonna sèchement et je terminai mon verre en essayant de ne pas tousser tellement le

breuvage était fort, mais avant que je ne puisse me lever du canapé, Lena me lança un drôle deregard :

— Te voilà bien difficile !— Je ne suis pas difficile, je suis imbécile, rectifiai-je avec une voix éraillée par l’alcool.

Imbécile parce que je n’ai réalisé trop tard que j’avais avec Simon ce que je pensais avoir avecJohn.

C’était exactement ça. Tout ce temps, avec Simon, je me sentais coupable de ne pas partager unlien aussi intense que celui que je vivais avec John. Et maintenant qu’il était rompu, il me paraissaitbien plus fort que tout ce que j’avais connu. Avec un œil ironique, je fixai mon verre et commençai àcroire que ce scotch me rendait la vue. D’une main, je récupérai la bouteille pour m’en resservir.

— Ho ! Du calme ! On travaille demain !— J’aurai la gueule de bois, répondis-je comme si cela ne me gênait pas le moins du monde.— Si tu veux récupérer ton blondinet, utilise la méthode simple : tu te jettes à ses pieds et tu

implores son pardon. S’il t’aime, il finira bien par céder.Je reniflai en serrant mon verre contre moi. J’imaginai sans mal cette scène. Peut-être même

arrivai-je à croire que Simon me pardonnerait de nouveau.— Il est bien mieux sans moi, soupirai-je tristement.— Quel pessimisme ! se moqua mon amie. T’as fait une connerie, ça arrive ! Si tu l’aimes, tu dois

au moins essayer d’arranger les choses !Je vidai le verre en retenant ma grimace, puis je me levai pour prendre congé.— Je suis crevée, je vais me coucher.— À ta place, je prendrais un peu d’eau et de l’aspirine, avant ! me conseilla-t-elle.Sans écouter ses conseils, je me dirigeai vers la chambre d’amis et je me laissai tomber sur le lit

sans même retirer mes vêtements. À quoi bon prévenir la gueule de bois qui viendrait ? Ça ne pouvaitpas être pire que le reste. Et dans le meilleur des cas, elle m’obligeait à me concentrer sur autrechose que sur la perte que je venais de subir.

* * *Lena passait sa garde-robe en revue pour essayer de me dénicher des vêtements qu’elle ne portait

plus depuis longtemps. Elle songeait à un tas de petits détails qui m’indifféraient complètement,comme le fait d’avoir une tenue adéquate pour affronter la journée et qu’il fallait faire en sorte quepersonne ne sache que j’avais dormi chez elle. À l’entendre, il fallait éviter que les gens se doutentde quelque chose.

— Si ça se sait, tu vas passer la journée à devoir répondre aux questions de tout le monde,insista-t-elle en brandissant deux ensembles devant moi.

Si je gardais les yeux ouverts plus longtemps, la tête allait m’exploser, alors je me laissai

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retomber sur le lit et fermai les yeux :— C’est trop compliqué. Je ne viens pas.— Anna ! Les nouveaux documents seront mis en ligne aujourd’hui ! Il faut que tu sois là !— C’était ton idée. Occupe-t’en.Je gémis devant la douleur lancinante qui me transperça la nuque lorsque j’essayai de poser un

regard sur elle, me décidai à lui parler les yeux fermés et la bouche pâteuse :— De toute façon, il faut que j’aille récupérer mes affaires chez Simon.Avec la gueule de bois que j’avais, je n’étais pas certaine de pouvoir le faire, mais le prétexte

était parfait. Sans parler qu’il me faudrait aussi me trouver un nouvel appartement. Un point quej’étais certaine de mettre sur ma liste de choses à faire… mais pas aujourd’hui !

— C’est une mauvaise idée, chuchota Lena. Donne-lui donc deux ou trois jours avant de tepointer chez lui. Le temps qu’il réfléchisse…

Attendre ? Pour quoi faire ? C’était trop difficile. Autant en finir au plus vite. Déjà, je songeai àabandonner toutes mes affaires. Je ferai au plus simple en prenant mes vêtements et mes livres. Cinqou six boîtes suffiraient. Après, je n’aurai qu’à trouver un appartement meublé. Je l’avais déjà fait, jepouvais recommencer.

— Allez, habille-toi ! me somma Lena en jetant un habit sur le rebord du lit.— Non, grognai-je, la tête enfouie dans l’oreiller.— Annabelle, je te rappelle que je suis ta patronne, alors je t’ordonne d’aller au boulot !Malgré le ton léger qui soutenait sa menace, je me braquai comme si elle avait été sérieuse :— T’as qu’à me ficher dehors. J’ai l’habitude de recommencer à zéro.À ces paroles, je rugis avec bruit, puis je sifflai, comme si le ciel pouvait m’entendre :— Saleté de John Berger ! J’espère qu’il ira pourrir en enfer !— Alors là, ça ne m’étonnerait pas, rigola Lena. Bon, puisque tu ne veux pas venir à la revue,

mange au moins quelque chose. Et fais en sorte de te ressaisir un peu. Je ne veux pas d’une loquedans ma maison quand je rentrerai ce soir !

Je ne la saluai pas. J’étais déterminée à rester dans ce lit jusqu’à la fin des temps. Ou, dans uncontexte plus réaliste, jusqu’à ce que Lena me fiche à la porte. Ce qui ne tarderait probablement pasvu l’état lamentable dans lequel je me trouvais…

* * *Une fois seule, je dormis une heure, me douchai, pris un bout de pain avec de la confiture en

fixant le temps qui passait avec une lenteur effroyable. Il était déjà midi lorsque l’on cogna à la porte.Enveloppée dans le peignoir de Lena, j’ouvris, et le sourire feint que j’affichai s’évanouit dèsl’instant où je vis John.

— Qu’est-ce que tu veux, encore ? m’emportai-je.— Je suis passé à la revue. J’ai vu Lena. C’est elle qui m’a dit où tu te trouvais. Et que t’avais

une gueule de bois.

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Il peinait à ne pas afficher un sourire radieux. Je suivis son mouvement lorsqu’il remonta un sacduquel émanait une drôle d’odeur :

— Je t’ai pris une soupe vietnamienne pour te remonter. Je suis sûr que ça te retapera en moinsde deux. Si tant est que tu as pris de l’aspirine.

Avant que je ne réponde, il m’écarta du passage et se dirigea vers la cuisine pendant que je lesuivais du regard :

— Je ne t’ai pas invité !— D’abord, ce n’est pas chez toi. Ensuite, tu as besoin qu’on te force à manger quelque chose.

T’as vu ta tête ? Tu ne vas quand même pas te mettre dans cet état-là pour un homme qui ne le méritepas !

Il récupéra un plat dans lequel il versa la soupe, puis d’un simple regard dans ma direction, jecompris que je n’avais pas bougé et qu’il était temps que je referme la porte. Je la claquai avec bruitavant de revenir vers lui. Malgré ma mauvaise humeur, j’obéis lorsqu’il me désigna la table etm’installai là où il déposa la soupe. Sans réfléchir, j’y goûtai, parce que l’odeur était agréable et quej’avais faim. Après une légère hésitation, John se laissa tomber sur la chaise à ma gauche :

— C’est bon ?— Ça va, dis-je simplement.Après un temps, il demanda :— Alors… comment tu te sens ?Je le fusillai du regard :— À ton avis ?Il ne répondit pas à ma question, mais m’en reposa une autre :— Tu veux qu’on en parle ?— Pas vraiment, non.Pour éviter son regard inquisiteur sur ma personne, je plongeai dans ma soupe.— Qu’est-ce que tu comptes faire ? Je peux savoir ? insista-t-il.Comprenant sans mal le sous-entendu de sa demande, je relevai un visage sombre vers lui et

annonçai, sans l’ombre d’une hésitation :— Je ne vais pas revenir avec toi, compris ?Son visage se défit et il fronça les sourcils :— Pourquoi pas ?— J’aime Simon !— Annabelle, tu dis ça aujourd’hui, mais dans quelque temps…Ma main se leva prestement pour le faire taire et j’usai de toute ma patience pour maintenir mon

calme :— C’est gentil pour la soupe, mais si tu pensais me trouver jambes écartées, tu fais fausse route.

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Il se raidit sur sa chaise et annonça, visiblement choqué par mes paroles :— Je suis venu pour t’aider ! Comme un ami le ferait !— Bien sûr. C’est probablement ce que dirait le loup au mouton.Son corps se redressa et juste à sa respiration, je compris qu’il était en colère. Pourtant, je ne

pris même pas la peine de lever la tête vers lui, mais ses mots fusèrent quand même :— Je vois que tu es de mauvais poil. Bien. Je reviendrai un autre jour.— Ne te donne pas cette peine, raillai-je.Même sans le regarder, je sus que ma réponse le choqua, car j’entendis le claquement de sa

mâchoire.— Annabelle, tu finiras bien par digérer cette histoire avec Simon. Peut-être même verras-tu que

c’est une bonne chose.Ma tête resta immobile, mais mes yeux se relevèrent vers les siens, remplient de rage :— Tu devrais suivre ton propre conseil, John.— Allons Amour, notre relation n’a rien à voir avec ce que tu vis avec Simon.Je bondis de ma chaise à mon tour pour le toiser à hauteur égale :— Non, ce que je vivais avec Simon surpasse largement tout ce que j’ai jamais vécu avec toi.

Fais-toi une raison, John, je ne reviendrai pas avec toi.— Tu dis ça maintenant, mais…— Dehors ! gueulai-je, exaspérée par son insistance.Un autre claquement de mâchoire se fit entendre. Alors qu’il était sur le point de prendre congé, il

se posta à ma gauche et se pencha pour poser un baiser sur ma joue, mais je reculai si brusquementqu’il n’eut d’autre choix que de laisser son geste en suspens. Moins contrarié que je ne l’espérais, ilfit patte blanche avant de me saluer d’un signe de tête :

— Bien… j’espère que tu te remettras vite de tes émotions…Je soutins son regard :— N’y compte pas trop.— Tu as toujours trop dramatisé, Annabelle, mais ça a un certain charme, je te l’accorde.Il leva la main et marcha en direction de la porte, se retourna une fois sur le seuil et je fis mine de

balayer l’air pour lui montrer que poursuivre sa route. Hors de question que je perde ma salivedavantage pour cet imbécile. Sans lui, rien de tout ça ne serait jamais arrivé. En ce moment, j’avaisseulement envie de lui tordre le cou !

* * *Tout en essayant de rassembler le peu de courage qu’il me restait, j’attendis que le quart de

travail de Simon débute au restaurant avant de quitter l’appartement de Lena. Autant débarrasser leplancher de sa vie au plus vite en évitant de le revoir. Je n’étais pas certaine de pouvoir affronter leregard empreint de déception qu’il avait posé sur moi, hier soir. Avec de la chance, il apprécieraitque je disparaisse sans laisser de trace.

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J’entrai dans ce qui avait été notre maison, le souffle court. Un peu plus, je frappais avantd’ouvrir la porte. Comme je m’y attendais, il n’y avait personne. Vu l’heure à laquelle il rentrerait, jedisposais de tout le temps nécessaire pour faire mes bagages, mais je ne tenais pas à m’attarder plusqu’il n’en faut.

À en voir la bouteille de vin blanc, toujours à moitié pleine, sur le comptoir de cuisine, on auraitdit qu’il n’avait pas mis les pieds ici, lui non plus. Quoique la salle de bain encore humidem’indiquait le contraire. Un sac à ordures dans la main, j’y jetai tout ce qui m’appartenait jusqu’à cequ’il soit trop lourd à porter. Crèmes, shampoing, rasoirs, serviettes hygiéniques, tout ce qui prouvaitque j’avais déjà habité ici disparaissait petit à petit.

Dans la chambre, mon cœur s’arrêta en songeant à cette fille qui était juste là, hier soir. C’étaitune bonne chose que j’aie dormi chez Lena, tout compte fait, car je ne suis pas certaine que j’auraisété capable de revenir ici sans difficulté, de toute façon. Qu’est-ce qui m’énervait autant dans le faitque cela se passe dans notre chambre ? Notre lit n’était pourtant pas sacré ! Évitant de jeter un œilvers le matelas, je jetai mes habits dans quelques sacs et deux valises qui m’appartenaient.

Dernier arrêt, mais non le moindre, je récupérai une boîte dans laquelle je plaçai mes livres. Tantpis pour la bibliothèque. Il en ferait ce qu’il voudrait. Une fois l’essentiel empaqueté, je portai le toutà ma voiture en plusieurs trajets, ressentis une vive émotion lorsque je fermai le coffre de ma voiture,étonnée de voir que ma vie tenait dans si peu de choses.

Je sursautai lorsqu’une voiture se gara derrière la mienne. Anxieuse de la reconnaître. Je voulusrejoindre mon véhicule avant que Simon ne descende du sien, mais dans ma nervosité, je verrouillaima portière alors qu’elle était déjà ouverte. Lorsque j’arrivai à la déverrouiller, il était déjà dehors.Paniquée, je bafouillai :

— J’ai pris ce que j’ai pu. T’as qu’à jeter le reste.— C’est tout ?Je ne compris pas sa question, mais elle résonna assez sèchement pour que je veuille mettre un

terme au reste de la discussion, alors je confirmai d’un signe de tête avant de me laisser tomber surmon siège. Simon ne bougea pas. Peut-être espérait-il que je lui fasse une crise de larmes, mais jen’avais plus rien en réserve. En plus, j’avais peur de ne pas être capable de voir la route si je memettais à chialer. Autant partir avant de ne plus avoir le courage de le faire. Malgré tout, ma vue sebrouilla quand je jetai un œil à son corps qui diminuait en taille dans mon rétroviseur.

Même si cela me déchirait le cœur, c’était fini. Tout compte fait, j’étais contente d’avoir vidél’appartement aussi vite. Peut-être que si je commençais mon deuil au plus vite, ce calvaire prendraitfin sans trop tarder…

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Le ménage

Le week-end fut interminable. Même si Lena essayait de me redonner le moral, je peinais àsourire. La seule chose dont j’étais capable, c’était de boire jusqu’à sombrer dans un profondsommeil, avoir la gueule de bois et recommencer. Autant le refaire aussi souvent que possible avantmon retour au travail.

John téléphonait tout le temps. Je ne lui répondais pas, mais Lena lui parlait. Elle lui disait quej’allais mieux, ce qui revenait à mentir. Elle y arrivait drôlement bien. Pour ma part, j’en aurais étéincapable. Malgré son insistance, je refusai de lui parler. D’abord parce que j’étais en colère contrelui, mais surtout parce que j’avais du mal à dire trois mots sans me mettre à pleurer. Pour tenir uneconversation, c’était loin d’être l’idéal.

J’émergeai de mon état lamentable en fin d’après-midi, le dimanche, avec une nouvelle quête :trouver un appartement. Je passais systématiquement toutes les petites annonces au peigne fin. Lename disait de ralentir, d’attendre, elle soutenait que les choses n’étaient peut-être pas terminées entreSimon et moi, que ça ne la dérangeait pas que je reste chez elle encore un peu. L’attente était pire quele reste. Simon n’avait pas téléphoné et je croyais de moins en moins qu’il le ferait. Sa patiencevenait d’atteindre ses limites. C’était déjà un miracle qu’il ait attendu aussi longtemps avant derompre. Dans les méandres de l’alcool, je m’étais vue dans un miroir et mon reflet m’avait dégoûtée.Alors que je m’efforçais d’oublier mon passé, le voici qui revenait dans mon esprit avec une luciditédécapante. J’avais besoin de faire le ménage de ma vie, de ma tête et de mon corps.

Je passai la semaine à éviter John. Je n’avais rien à lui dire hormis le fait que tout ça, c’était desa faute, ce qui revenait à mentir. Au fond, j’avais plus que ma part de responsabilité dans cettehistoire, mais j’étais certaine d’une chose : plutôt crever que de l’admettre à cet imbécile. Autantruminer seule sur mon sort.

Le bon côté des choses, c’est que j’avais un boulot fou à la revue et je m’y plongeai corps et âme.Je mangeais sur place, bien en sécurité dans mon bureau de verre. John ne pouvait ni me joindre, nivenir. La réceptionniste passait son temps à l’éconduire et de douze à quinze messages par jour, j’enétais arrivé à cinq ou six à la fin de la semaine. De son côté, Lena m’en parlait souvent, elle aussi. Àcroire qu’il essayait de me contacter par tous les moyens.

— Tu vas le tenir à l’écart combien de temps ? me demanda-t-elle, le jeudi soir.— Jusqu’à ce qu’il arrête.— Dis-le-lui, simplement !Je lui jetai un regard sombre :— On parle de John, là. Il est pire qu’un chien enragé avec son os !Elle fit une drôle de moue en faisant clinquer ses ongles sur sa coupe de vin.— Et ton blondinet ? T’as eu de ses nouvelles ?— Non, dis-je en arborant une tête d’enterrement.

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— Et pourquoi tu ne l’appelles pas, toi, au lieu d’attendre ? Quand une femme veut un homme,elle va le chercher !

Je ne dis rien. J’étais lâche, faible et brisée de partout. Je n’avais pas envie d’obliger Simon àrevivre ça, encore une fois. Sa vie avait suffisamment été en bordel à cause de moi.

— Il n’attend peut-être que ça ! s’écria-t-elle, agacée devant mon mutisme.— J’en doute.— Peut-être qu’il s’imagine que t’es avec John ? Pourquoi tu n’appelles pas, juste pour voir

comment il va ? Juste pour lui dire qu’il te manque ?Mon regard bifurqua sur l’heure et je haussai les épaules :— Il travaille.— T’as fini de chercher des prétextes ? s’énerva-t-elle. Soit tu vas de l’avant, soit tu récupères

ton gars, merde ! C’est pas compliqué, il me semble !D’une main, je balançai le journal devant elle :— T’inquiète, j’ai trois appartements à visiter dans les trois prochains jours. Avec de la chance,

je ne serai plus là avant la fin de la semaine prochaine.— Mais ça n’a rien à voir ! Écoute, fais quelque chose ! Tu ne peux pas rester là à attendre !— Je fais quelque chose, la contredis-je en haussant le ton, je fais le ménage de ma vie.— En laissant tout tomber ?— Oui.Ironiquement, je songeai qu’en partant de chez Simon, je faisais aussi le ménage de la sienne.

Peut-être qu’il me regretterait un peu, mais au bout du compte, il verrait que je n’étais pas bonne pourlui. J’étais mauvaise. Vilaine. Au moins autant que John l’était pour moi.

— Et si on sortait demain soir ? me proposa-t-elle soudain. On pourrait aller danser, boire…flirter ?

— Non. Sans façon.Le ménage que je voulais faire passait par l’élimination de la tentation. Je voulais faire table rase

du passé, me purger de tout. Du souvenir de Simon, d’abord, ce qui me paraissait le plus complexe àréaliser, mais aussi de tous ces doutes que je trainais depuis trop longtemps. Il était plus que tempsque j’apprenne à contrôler ma vie. Elle ne pouvait pas déraper chaque fois que cet idiot de JohnBerger surgissait. Cette fois, j’étais déterminée à la reconstruire pour de bon. Plus jamais je neperdrais pied de la sorte. J’en faisais le serment.

* * *Il était tard. Je n’arrivais pas à dormir, comme si les mots de Lena tournaient en boucle dans ma

tête. Simon espérait-il vraiment que je fasse les premiers pas ? L’appeler, c’était une idée quim’excitait autant qu’elle me terrifiait. De toute façon, pour quelle raison je le ferais ? Je mesouvenais déjà d’un tas de trucs que j’aurais pu avoir oubliés, mais à quoi cela m’avançait-il ? Est-ceque je n’allais pas simplement souffrir davantage lorsqu’il me raccrocherait au nez ?

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Profitant de ma solitude, je composai le numéro de la maison et laissai la sonnerie résonnerplusieurs fois avant de raccrocher. Il n’était pas là. Il était pourtant onze heures. Est-ce qu’iln’arrivait pas un peu après dix heures, d’habitude ? Soudain, les pires scénarios me passèrent par latête. Il était sorti, il usait de sa liberté, il était avec une autre. Bref, il m’avait déjà oubliée.

Je sursautai lorsque le téléphone vibra dans mes mains et je le collai à mon oreille :— Allô ?— Tu as téléphoné ?La voix de Simon au bout du fil me surprit. Elle ne dégageait aucune chaleur, mais je n’y décelais

aucune animosité, si tant est que je puisse l’entendre en si peu de mots.— Oh, euh… oui… je voulais… je te dérange ? Je peux rappeler demain, si… ?— J’étais sous la douche. Qu’est-ce que tu veux, Annabelle ?Cette fois, sa question me parut sèche. Je ne le dérangeais pas, mais il n’avait pas envie de me

parler. Je pinçai les lèvres jusqu’à ce que je retrouve la raison ridicule pour laquelle je lui avaispassé cet appel :

— Je crois que… j’ai oublié ma jupe rouge. Tu sais celle qui va avec… enfin…— Tu m’as dit que je pouvais tout jeter, me rappela-t-il.Je ravalai un sanglot et pris un temps considérable avant de lui répondre :— Oui. C’est pas grave. Je comprends.— Je n’ai rien jeté, annonça-t-il sur un ton moins rustre. J’ai tout mis dans un sac. Tu veux que je

te les fasse livrer quelque part ? Chez lui, peut-être ?Sa question me fit relever la tête. Lena avait-elle vu juste ? Simon croyait que j’étais retournée

avec John ? Avec une voix moins ferme que je ne l’aurais voulu, j’annonçai, en espérant que celasuffise :

— J’habite avec Lena.Comme il ne répondit pas, je me sentis obligée de combler le silence qui persistait :— C’est temporaire, évidemment, le temps que… que je me trouve un appartement.— Je te les enverrai au bureau.Le peu d’espoir qui s’était faufilé sous ma chair venait de s’évanouir. Bien sûr. Il préférerait

faire livrer mes affaires. Autant dire qu’il n’avait aucune envie de me voir. Pouvais-je lui envouloir ? En essayant de contenir les larmes qui enrouaient ma voix, je soupirai :

— Bien. Comme tu veux.Je ne dis plus rien pendant un moment. Il fit de même. À croire que nos silences faisaient la

conversation à notre place. Voyant qu’il ne tenait pas plus que moi à raccrocher, je chuchotai :— Simon, est-ce que… tu vas bien ?— Ça va, merci. Il y a autre chose ?Le soupir qu’il laissa filtrer après sa question me surprit, mais comme je n’avais plus d’excuse en

réserve, je bafouillai :

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— Euh… non.— Bien. Tu devrais recevoir tes affaires la semaine prochaine. Salut.Il parla vite, puis coupa la communication d’un coup sec, comme s’il s’était décidé à en finir

avec cette discussion qui n’en était pas vraiment une. Merde ! Après avoir pris presque deux heurespour rassembler mon courage pour pouvoir lui téléphoner, voilà qu’il réduisait tous mes efforts ànéant.

Le téléphone serré contre ma poitrine, j’analysai chacune de ses paroles comme si ellescamouflaient un espoir que je n’avais pas su entendre. Je ne comprenais plus rien de l’homme que jecroyais connaître. Il m’avait paru triste et en colère, mais n’avait fait aucun geste vers moi, n’avaitmême pas demandé comment j’allais. Avait-il espéré que je fasse davantage ? Ou peut-être voulait-ilsimplement en finir avec notre histoire ? Pourquoi ne pouvais-je en faire autant ?

Tout compte fait, je n’étais peut-être pas la seule qui cherchait à faire le ménage de sa vie.

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Le déni

Je terminai la semaine en avançant mes dossiers pour la suivante. Lena m’avait laissé unmessage : « On mange à sept heures », signe que je ne pouvais pas traîner au bureau plus longtempsqu’il n’en faut. Il me tardait d’avoir un endroit à moi. Une fois dans mon propre appartement, j’avaisla sensation que les choses seraient plus simples. Je pourrais disposer de mon temps comme bon mesemble. Déjà, j’espérais que, parmi tous ceux que j’allais visiter durant le week-end, l’un deux meconviendrait. Pas que je sois difficile, mais les derniers que j’avais vus étaient terribles etnécessitaient trop de rénovations. Je ne demandais pourtant pas grand-chose : juste un petit coin oùposer mes vêtements et mes livres.

Je rentrai un peu avant le repas, me figeai en voyant John et Lena en train de cuisiner. Jen’arrivais pas à le croire ! Ma propre amie m’avait tendu un piège ? Furieuse, je lui décochai unregard meurtrier et j’annonçai, en reculant d’un pas :

— Tout compte fait, je préfère aller au restaurant.John bondit à mes côtés et referma la porte derrière moi, ce qui me déplut. Essayait-il de me

garder prisonnière ? Avant que je ne cède à la panique, il prit la parole en plongeant ses yeux dansles miens :

— Je crois t’avoir laissé suffisamment d’espace.— Qu’est-ce que tu racontes ? Ce que tu fais, c’est pire que du harcèlement !— À qui la faute ? Tu ne réponds jamais à mes appels !— Parce que je n’ai rien à te dire.Il souffla avant de diminuer le ton, me montra la table d’une main :— Est-ce qu’on pourrait s’asseoir et discuter ? Tu ne risques rien. Lena restera présente tout le

long…Je le toisai d’un regard hautain :— Parce que tu crois que j’ai peur de toi ?— Pourquoi refuserais-tu de me voir, autrement ?Je levai les yeux au ciel. Avais-je vraiment besoin d’une raison ? Pour lui prouver mes dires, je

laissai tomber mon sac sur le sol et j’entrai dans l’appartement de Lena.Mon amie me servit un verre de vin et je m’installai au salon, dans le canapé, pendant que John

prit place devant moi. Il me scruta de la tête au pied, à la recherche d’un je-ne-sais-quoi quim’énerva :

— Crache le morceau qu’on en finisse.— Je vérifie que tu vas mieux, tu permets ?Il envoya un regard sombre en direction de Lena et je compris qu’il avait envie de l’engueuler.

Lui avait-elle menti ? Allais-je si mal que ça ? Inquiète, je baissai les yeux vers moi, pour tenter de

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comprendre ce qu’il avait vu de si terrible.— Tu as maigri, dit-il avec un ton lourd de reproche.— Pas tant que ça, me défendis-je.— Annabelle, reprends-toi. Tu n’es quand même pas de ces femmes qui meurent d’amour, pas

vrai ?Je plissai les yeux, agacée par sa certitude :— Qu’est-ce que t’en sais du genre de femme que je suis ?Un bruit de bouche désagréable résonna, puis il pinça son nez d’énervement :— Annabelle, je ne tiens pas à avoir cette discussion avec toi. Malgré ce que tu en penses, je te

connais. Mieux que toi-même, probablement.— Dans tes rêves, John.Ma phrase avait résonné simplement, sans hargne ni rien. À la limite, je lui aurais ri au visage si

je n’étais pas si lasse. À quoi bon le contredire sur un sujet qui avait aussi peu d’intérêt ? Il neconnaissait qu’une seule partie de moi, la vilaine, celle dont je ne voulais plus avoir affaire. Pour mapart, je n’avais qu’une envie : manger avant de me glisser sous les couvertures et dormir. Fermer lesyeux sur le monde et sur lui.

— Tu vas jouer les victimes combien de temps, dis-moi ?— Je ne suis pas une victime, c’est Simon la victime, annonçai-je.Juste à dire son nom que je pinçai les lèvres en ressentant une vive culpabilité. Toutes ces

hésitations que j’avais eues depuis le début de notre relation. Tous ces doutes aussi. Qu’est-ce quej’avais dû lui en faire baver ! Peut-être que s’il avait baisé pendant que j’étais avec John, nous n’enserions pas là, lui et moi. Non. Tout ça, c’était de ma faute. J’étais tombée dans le piège de Johncomme une imbécile ! J’étais allée trop loin. Un retour en arrière n’était plus possible. Simon avaitcessé de croire en nous. Si seulement je pouvais l’en blâmer !

Et si je baisais avec lui et une autre fille, là, maintenant, est-ce que ça pourrait tout réparer ? Jesoufflai d’exaspération en essuyant mon visage. Il fallait que j’arrête d’y songer. Ça me rendait folle.

— Tu vas me dire ce qui s’est passé ? insista John, déterminé à me passer un interrogatoire enrègle.

— Non.— Annabelle, il faut que tu en parles ! Si c’est de ma faute, pourquoi tu ne le dis pas ?J’eus un rire à la fois triste et amer :— Au cas où tu ne le saurais pas encore : le monde ne tourne pas autour de ton nombril, John

Berger ! Et je suis capable de prendre mes responsabilités !Mon ton s’était haussé. C’était la vérité, en plus : Simon ne m’avait pas quittée à cause de John,

mais parce que je n’avais pas été à la hauteur de ses attentes. Parce que j’avais refusé de coucheravec cette prostituée. C’était peut-être un mensonge, aussi, car il est fort probable que Simon n’auraitjamais exigé cela de moi si je n’avais pas cédé aux avances d’un autre homme. C’était peut-être unepunition ? Un rétablissement de l’équilibre dans notre couple ? Comment savoir, désormais ?

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— Amour, si tu ne me dis rien, je ne pourrai pas t’aider.Son ton doux m’horripila, mais je gardai le contrôle de moi-même en lui répondant :— C’est exactement ce que j’attends de toi : que tu ne m’aides pas.Je tournai la tête vers Lena :— C’est prêt ? Je meurs de faim.— Annabelle, insista John. J’ai besoin de comprendre…Mes yeux se reposèrent dans les siens et je parlai d’une voix calme, déterminée à le ficher dehors

le plus rapidement possible :— Il n’y a rien à comprendre, John. Simon m’a plaquée, je suis d’accord avec sa décision et je ne

reviendrai pas avec toi. Maintenant que tout a été dit, est-ce que tu pourrais me ficher la paix unebonne fois pour toutes ?

— Rien n’a été dit, me contredit-il d’une voix grave. Je t’ai demandé pourquoi il t’a quittée. Il mesemble que ma question était claire. Pourquoi tu ne me réponds pas, tout simplement ?

— Parce que ça ne te regarde pas. Et je te rappelle que tu avais promis de ne plus me contacter.— C’était avant que tu sois célibataire !— Qu’est-ce que ça change puisque je me tue à te répéter que je ne vais pas revenir avec toi ?Il serra les dents. Probablement parce que ma réponse était ferme et sans équivoque, mais il ne

lâcha pas prise pour autant :— Pourquoi il t’a quittée ? Tu vas me le dire, à la fin ?— Si tu tiens à le savoir, va donc lui demander !Il recula dans la causeuse de Lena et croisa les jambes, probablement pour me démontrer qu’il

était prêt à rester là pendant un temps indéfini. J’attendis. Assez longtemps, puisque je vidai monverre et me relevai pour m’en servir un autre. Lena, qui terminait le repas, me jeta un regard sombrequi me mit hors de moi :

— Quoi ?— John veut seulement t’aider.— M’aider ? Non. John veut me récupérer, c’est très différent.Du salon, la voix de John résonna :— Je n’ai pas à mentir là-dessus, mais ça n’empêche pas que Lena dit la vérité : je veux t’aider,

Annabelle.Je fis un pas de côté pour lui jeter un regard noir. Quelle idée de m’être installée chez Lena.

Pourquoi lui avait-elle permis d’entrer ? Sans me soucier de lui, je reportai mon attention sur monamie :

— Qu’est-ce qu’il t’a promis pour pouvoir s’incruster chez toi de la sorte ?Lena ne dit rien, mais je la sentis gênée par ma question. Nullement embêté, John répondit, sans

même se lever de son siège :

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— Du sexe, évidemment ! Tu n’es pas sans savoir que j’assure, de ce côté-là…— T’as pris tes petits cachets, mon chéri ? le narguai-je. Franchement, Lena, tu me déçois.Elle eut un moment d’hésitation, puis se reprit :— Il a quand même raison, Annabelle, tu as besoin d’aide. Il faut que tu en parles à quelqu’un. Je

suis ton amie et tu ne me dis rien !Je pointai John, de l’autre côté du mur de sa cuisine :— Super, l’amitié ! C’est drôle, après tout ça, j’aurais presque envie de te raconter ma vie !Revenant au salon, le verre plein, je me laissai tomber sur le canapé et je jetai, espérant que John

comprenne que je voulais en finir le plus rapidement possible :— Bien, puisque tu ne me ficheras pas la paix tant que je n’aurai pas déballé mon sac, alors

voilà : Simon m’a quitté parce que j’ai refusé de coucher avec une pute. C’est bon, t’es content ?En me remémorant le mot « pute » que je venais de lâcher avec dédain, je tournai les yeux vers

Lena qui me fixait, visiblement sous le choc de mon aveu. Mal à l’aise, je diminuai l’intensité de mavoix et j’ajoutai :

— Euh… je n’ai pas dit ça pour te blesser.— Ça va, me rassura-t-elle.Elle avait cessé de bouger et s’était accoudée au comptoir pour mieux me voir. Décidément, il

n’y avait pas que John de curieux ! Après un silence gênant, il reprit :— Pourquoi Simon t’a-t-il demandé une chose pareille ?— Parce que je voulais qu’il couche avec quelqu’un. C’était… disons… une façon de rétablir la

balance, mais au lieu de le faire, il a voulu qu’on fasse ça ensemble.Le regard de John m’aurait dévissé la tête :— Et tu as refusé ?— Oui. Et non seulement je n’ai pas voulu le faire, mais je me suis, comme qui dirait, un peu…

enfuie. En le laissant avec cette fille.Encore troublé par mon histoire, John répéta :— Mais pourquoi ? Elle n’était pas mignonne ?— Ça n’a rien à voir !Un drôle de sourire s’inscrivit sur sa bouche. Probablement parce qu’il venait d’en déduire la

même chose que Simon : que je l’aurais fait sans discuter pour lui. Je secouai la tête et je grognai,pour qu’il chasse immédiatement cette idée de son esprit tordu :

— Je ne voulais pas qu’une autre femme touche à Simon. J’étais jalouse.— Mais tu l’aurais fait sans hésiter pour moi, dit-il avec un air ravi.— Parce que je me fiche de savoir avec qui tu couches, John ! Je ne t’aime pas !Son corps s’avança et se pencha vers le mien, très vite, comme s’il voulait s’assurer que je sois

attentive à ses propos :

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— Nous deux, c’est un amour qui va bien au-delà de toutes ces considérations. Ce n’est pas unamour possessif, mais ouvert et basé sur une confiance absolue.

Je levai les yeux au ciel en soupirant d’exaspération :— T’es vraiment qu’un imbécile, John ! Je n’ai aucune confiance en toi ! Et même si je suis très

flattée que tu sois amoureux de moi, je ne reviendrai pas avec toi.— Tu dis ça ce soir, parce que tu es encore en état de choc, mais d’ici quelques jours…— Jamais, certifiai-je. Crois-moi, John, avec toi, c’est une histoire de sexe et c’est tout. Il est

trop tard pour ça. T’as raté ta chance.— Annabelle…— J’aime Simon, le coupai-je rudement. Mets-toi ça dans le crâne. Et même si on a rompu, je

préfère encore me mettre en couple avec Maître Paul qu’avec toi. J’espère que ça te montre à quelpoint j’en ai envie ?

Il serra les dents et dévia le regard, ce qui était relativement rare pour John. Peut-être l’avais-jesuffisamment blessé pour qu’il comprenne que j’étais sérieuse ? Le silence étant enfin revenu dansl’appartement, je bus mon verre à grandes gorgées jusqu’à ce qu’il repose ses yeux sur moi etchuchota :

— Annabelle, ne repousse pas tout ce qu’on a vécu, tu veux ?— Je ne repousse rien, John. Vraiment, ça me touche que tu m’aimes et je ne te mentirai pas : ça

m’a vraiment aidé de sortir mon agressivité, autant sur Laure que sur toi, mais… je ne suis pasamoureuse de toi.

— C’est que tu n’as pas une vision juste de l’amour, Annabelle…— Peut-être, admis-je en haussant les épaules, mais la tienne ne m’intéresse pas le moins du

monde. Écoute, j’ai bien réfléchi et… j’ai beaucoup de respect pour toi, de l’admiration aussi, et dudésir, probablement. Quoiqu’il m’arrive de croire que c’était une sorte de nostalgie qui m’a pousséevers toi…

— Arrête, tu ne sais pas ce que tu dis, me coupa-t-il.Soudain, j’eus la sensation que j’étais plus à l’aise que lui dans cette conversation. Plus forte,

aussi, car j’insistai :— Je sais très précisément ce que je dis, John. Je ne me vois pas en couple avec toi. Ni

maintenant ni plus tard. Ta vision de l’amour est… elle est à cent lieues de moi !J’étouffai un rire amer :— C’est seulement dommage que je m’en sois pas rendue compte avant. Cela m’aurait évité de

tout gâcher avec Simon.Devant le chagrin que je laissais poindre, il retrouva contenance :— Peut-être que ça ne pouvait pas marcher, vous deux ?— Peut-être, mais je préfère encore attendre et trouver un homme normal plutôt que de me jeter à

tes pieds. Je ne serai ni ta soumise, ni ta maîtresse, ni rien du tout. Fais-toi une raison, tu veux ?

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Je n’étais pas dure, mais ferme. Autant qu’il sache à quoi s’en tenir. Et même si son visage tentaitde rester impassible, je compris que je l’avais scié en deux. Si je n’eus été aussi triste de monhistoire avec Simon, je m’en serais peut-être délectée, mais au fond, je n’étais même pas certained’en avoir envie. Simon m’avait rejetée et je faisais la même chose avec John. Je ne pouvais quecompatir à sa perte.

Et même si je me sentais faible après les événements des derniers jours, je réalisai que j’étaisbien plus forte que je ne l’aurais cru.

Sans me soucier de son air perdu, je me levai et me plantai devant Lena, encore accrochée auspectacle que nous offrions :

— C’est prêt ? Je meurs de faim.— Euh…Elle se détacha du comptoir et sortit trois assiettes avant de tourner la tête vers John :— Tu manges avec nous ou… ?— Non. Je crois que je vais y aller. De toute évidence, Annabelle est dans une période de déni.Je réprimai un rire, étonnamment confiante face à lui :— Sans vouloir te vexer, John, je ne sais pas qui de nous deux est dans le déni, en ce moment.Avant que je ne puisse le repousser, il apparut à mes côtés, plaqua un baiser sur ma joue avant

d’afficher un air satisfait :— On en reparlera quand ton corps sera en manque, ma jolie. Et vu comme tu es gourmande, ça

ne devrait pas trop tarder…Sa menace m’effraya, mais je ne me laissai pas atteindre :— Si tu veux, je te laisse seul avec Lena ? Je suis fatiguée, mais si ça peut te rendre service, je

vais me taper un film au ciné. T’as pris tes petits cachets bleus, mon chéri ?Il sourit et lança un regard de biais à Lena :— Ce n’est que partie remise, promit-il.Ses yeux revinrent sur moi :— Peut-être même que je vous baiserai ensemble, tiens. Histoire que tu comprennes une bonne

fois pour toute que nous vivons quelque chose de bien plus grand que tu ne le crois.Plaçant mes deux index face à face, j’ajustai le tout à la longueur de sa verge avant de répondre :— Au moins… aussi grand que ça.Enfin, il s’éloigna de ma personne, contourna le comptoir et embrassa Lena sur la bouche avant

de ficher le camp en claquant la porte. Je laissai filtrer un rire :— Enfin ! Je pensais qu’il ne s’en irait jamais !— Moi, j’aurais bien voulu qu’il reste, admit-elle en gardant son attention rivée sur la porte qu’il

venait de franchir.Je grimaçai :— T’inquiète. Il va revenir. Cet idiot est pire que la peste !

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Le plan

Je passai le week-end à chercher un appartement. Même si rien ne convenait tout à fait à mesbesoins, je finis par signer un bail au mois, pour un deux pièces minuscules. C’était près de la revueet cela me permettrait d’avoir un toit sur la tête en attendant de trouver mieux. Avec Lena du côté deJohn, il valait mieux partir de chez elle le plus rapidement possible.

Quand je rentrai de ma quête, ce dimanche soir, John était – évidemment – déjà de retour. Assissur le canapé, les jambes croisées, comme s’il était chez lui. Je soufflai en le voyant, mais feignis dene pas être contrariée outre mesure en annonçant à Lena :

— Bien, je vois que t’as de la visite. Je serai dans ma chambre. J’ai des textes à lire.— Annabelle, me retint John avec un ton grave, il faut qu’on discute.— Avec toi, il faut toujours qu’on discute, raillai-je en balayant la conversation d’une main avant

de me diriger vers ma chambre.— C’est à propos de Simon.Sa voix s’était haussée et même si je soupçonnais un piège, je ne pus m’empêcher de revenir me

planter au bout du canapé qu’il partageait avec Lena.— Quoi ? demandai-je, alors qu’il prenait son temps pour me raconter la suite.— Au cas où ça t’intéresserait de le savoir, Simon était au bar de Maître Denis, hier soir. À ce

qu’il paraît, il n’a pas fait que regarder.Mon cœur se serra devant cette information et je demandai, avant de ne plus avoir de voix pour le

faire :— Comment tu sais ça ?— Le milieu est petit et comme Denis est un ami, il a jugé bon de me passer un petit coup de fil…Je croisai les bras :— Qu’est-ce qui me dit que c’est la vérité ?— Pourquoi je te mentirais ?— Pour me blesser. En général, la souffrance des autres t’excite.Il soupira :— Pas ce genre de souffrance, Annabelle. Et si je tenais à t’en parler, c’était pour que tu saches à

quoi t’en tenir. Simon est passé à autre chose ou, à tout le moins, il essaie.Je fermai les yeux pour retenir le vertige qui me saisissait, puis croisai les bras pour éviter de

gesticuler comme une idiote. Pour un peu, je me serais mise à chialer, mais devant John… jamais !— D’accord, alors je vais supposer que tu es venu me dire tout ça pour mon bien, sifflai-je.Je tentai de tourner les talons quand sa voix m’arrêta encore :— Sachant qu’il baise ailleurs, pourquoi ne ferais-tu pas la même chose ? Je ne vois pas

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pourquoi il n’y a que lui qui profiterait de tous les avantages de votre séparation ?Mon rire fusa, aussi amer qu’ironique :— Franchement John ! Tu penses que je vais m’écarter les cuisses sous prétexte que Simon baise

ailleurs ? Je n’ai pas à me venger de ce qu’il fait. Il est libre, je te rappelle.— Mais cela te fait souffrir.Je croisai plus fermement les bras contre moi, mais je choisis de dire la vérité :— Oui. Et si ça me fait souffrir, c’est parce que je l’aime.John se leva et je reculai avant qu’il ne s’approche trop près de moi. Devant mon geste, il

respecta une certaine distance entre nous avant d’arborer un air triste :— C’est probablement une simple réaction dû à votre séparation. Je doute que Simon puisse

trouver quelqu’un d’aussi spécial que toi dans ce genre d’endroit.— C’est gentil de dire ça, dis-je, incertaine que ce soit le cas.Il croisa les bras à son tour, un peu en reflet de moi, puis il demanda :— Souhaites-tu le récupérer ?Je clignai des yeux, sans comprendre le sens de sa question :— Qui ? Simon ?— Oui. Je peux t’aider à le reconquérir, si tu le souhaites.Sa proposition résonna comme un piège et, après un léger moment d’absence, ma question alla

autre part :— Pourquoi tu ferais ça ?— Parce que je t’aime, Annabelle. Je ne nie pas que, par ce procédé, je souhaite que tu réalises

que tu ne l’aimes pas autant que tu le prétends. Peut-être aussi… que tu comprendras que je n’aiaucun problème à te partager avec un autre. Mes sentiments pour toi sont plus grands que ça. Plusgrands que tout ce que tu peux imaginer.

Je déglutis nerveusement. Pas à cause de l’amour qu’il me portait, non, mais parce que cela meremémorait que Simon avait déjà ressenti la même chose à mon endroit. Il m’avait suffisamment aimépour me pardonner mon écart de conduite avec John. Était-ce déjà du passé pour lui ? Et pourquoiavais-je été incapable de lui rendre la pareille ? Était-ce par manque d’amour ? Non ! Je refusais dele croire !

— Je vais me coucher, annonçai-je en lui tournant le dos.— N’as-tu pas envie de passer ta frustration autrement ?J’éclatai de rire en retenant mes pas pour lui décocher un regard ironique :— Laisse-moi deviner : avec toi et en m’ouvrant les jambes ?Il émit un rire et précisa :— Plutôt… avec Lena et moi. Elle est d’accord, tu sais ?— Moi pas. Désolée. Bien, je vais me coucher. Amusez-vous bien.

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Je repris mes pas jusqu’à ma chambre et m’y enfermai à double tour. Heureusement que ma porteétait munie d’une serrure, autrement je ne suis pas certaine que je serais restée dormir. Avoir su,j’aurais pris possession de mon appartement dès ce soir !

Je récupérai mon ordinateur et entrepris de préparer ma réunion de demain, mais très vite, lescris de Lena se firent entendre. Doucement, d’abord, puis assez forts pour que je ressente la solitudedu célibat qui me pesait. Dans un soupir, je récupérai mes écouteurs et mon lecteur de musique etmontai le volume jusqu’à ce qu’il me coupe du monde extérieur. J’avais décidé de faire le ménage dema vie et cela incluait celui de mon corps. Je n’allais certainement pas céder à la première occasionet encore moins avec John. Même en sachant que Simon ne s’en privait pas de son côté !

* * *Alors que je sortais de la chambre pour prendre mon petit déjeuner, Lena rougit et John afficha un

air ravi :— Bon matin, Annabelle.Je pris un air détaché :— Bon matin, John. Ah, Lena, j’ai oublié de te dire que j’ai trouvé un appartement, hier après-

midi. Et comme il est libre, j’y emménagerai ce soir.Son air gêné fit place à de la surprise :— Bien… euh… ce n’était pas pressé.— Peut-être, mais pour moi, ça l’était. Personnellement, quand je rentre après une journée de

travail, j’ai envie de tout sauf de trouver un ex en rut sur mon chemin.— En rut ? rigola John. Annabelle, ne passe pas ta frustration sur moi, tu veux ?— Je ne passe pas ma frustration sur toi, John, mais le fait est que je trouve déplorable que tu te

serves de Lena pour constamment te placer sur mon chemin. Une fois que j’aurai mon propreappartement, j’espère que tu respecteras mon intimité.

Il avança la tête vers moi et fit claquer ses dents avant de me répondre :— J’ai très envie de respecter ton intimité, Annabelle.Je levai les yeux au ciel et me glissai dans la cuisine pour me préparer quelque chose à manger.

Avec leurs bêtises, je n’avais rien avalé depuis hier après-midi et j’étais morte de faim.— Dois-je comprendre que mon offre ne t’intéresse pas ? finit-il par me demander et voyant que

je m’intéressais ni à leur conversation, ni à sa présence dans cet endroit.Je baillai avant de tourner un regard las vers lui :— Quelle offre ?— Celle de récupérer Simon, évidemment !— Ah. Euh… non. Sans façon.— Pourquoi ? Tu as ton propre plan ?— Non plus.Il tapota sa tasse de café de ses longs doigts avant de soupirer :

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— Je ne te comprends pas. Tu l’aimes, mais tu ne veux pas le récupérer.— Je crois qu’il est mieux sans moi. Je suis vilaine, tu te souviens ?Le visage de John s’égaya :— Ton côté vilain ne me déplaît pas, à moi.— Pour cause, John ! À côté de toi, je suis Blanche-Neige ! raillai-je. Bon, je file, il faut que je

termine de préparer la réunion de ce matin.Je saluai Lena d’un signe de la main. Un geste auquel elle ne répondit pas. Elle me fixait avec un

drôle de regard et je n’avais aucune envie de m’attarder pour savoir ce qu’il signifiait. Une fois horsde l’appartement, je planifiai ma journée, non sans avoir hâte de quitter cet appartement le plusrapidement possible.

* * *Je sortais à peine de ma réunion hebdomadaire, lorsque Lena surgit dans mon bureau, l’air

accablé. Déjà, je me figeai en la voyant ainsi et je m’inquiétai aussitôt :— Quoi ? J’ai fait quelque chose de mal ?— Hein ? Ah, non. La réunion, c’était super, seulement…Elle se laissa tomber sur le siège du visiteur, devant moi, avant de soupirer :— Annabelle, je m’excuse. Je suis vraiment une mauvaise amie.— Mais non, la rassurai-je. John est mon ex, tu te souviens ? Je sais très précisément ce dont il

est capable pour arriver à ses fins. Ne t’inquiète pas. Ce soir, je serai hors de portée de ce malade.— Il t’aime vraiment, je crois.Elle grimaça en prononçant ses mots et affichai un air déconfit avant de me questionner :— Tu crois qu’il se sert de moi ?— Je crois que John se sert de tout le monde pour arriver à ses fins. Il se servirait probablement

de sa mère, s’il le pouvait !Ma remarque eut le mérite de la faire rire, mais elle retrouva rapidement son sérieux :— Si tu veux rester, je peux m’arranger pour qu’il ne mette plus les pieds chez moi.— J’ai envie d’être seule, admis-je. Et au cas où tu en douterais, j’ai vraiment trouvé un

appartement. C’est minuscule, mais je n’ai pas besoin de plus. Comme c’est meublé et que personnen’habite là, je peux vraiment en prendre possession dès ce soir. Bon, je vais avoir besoin dequelques articles de cuisine, des serviettes de bain et d’un tas de petites choses, mais… au moins jeserai chez moi.

Elle se mit à tapoter nerveusement du pied :— Si John ne t’intéresse plus, alors je ne comprends pas pourquoi tu n’essaies pas de récupérer

ton gars !Je haussai tristement les épaules :— Je lui ai téléphoné, finis-je par admettre piteusement, mais c’est à peine s’il ne m’a pas

raccroché la ligne au nez !

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— Et c’est tout ? T’as téléphoné et t’abandonnes ?— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?— Pointes-toi à poil à son appartement ! T’as encore les clés, non ?Je me raidis sur ma chaise. Oui, j’avais les clés. Soudain, cela me paraissait une excellente

raison de revoir Simon. Je n’allais quand même pas les lui envoyer par la poste !— Tu te couches sur son lit et t’attends qu’il revienne du travail, suggéra-t-elle.Je songeai à cette idée, puis secouai la tête :— Imagine qu’il rentre avec une autre fille ! Je ne te dis pas la honte !— Tu les baises tous les deux, c’est tout ! dit-elle en se mettant à rire de bon cœur. Si ça se

trouve, ça te permettra de retrouver ton blondinet !Soudain, l’idée ne me parut pas inintéressante, mais j’avais du mal à entrevoir la possibilité que

Simon m’ouvre les bras aussi facilement. Est-ce que cela suffirait pour qu’il sache que j’étais prête àtout pour lui ? Enfin… évidemment, il aurait été plus simple de m’en rendre compte avant de m’enfuirde notre chambre à coucher…

Alors que je réfléchissais à ce plan ridicule, la voix de la réceptionniste résonna dans le haut-parleur de mon téléphone :

— Annabelle ? Une certaine madame Hébert est sur la deux.Mon sang se glaça dans mes veines et devant mon air stupéfait, Lena me questionna du regard.— Ma belle-mère, expliquai-je. Enfin… mon ex belle-mère !Je fixai le téléphone, incertaine de devoir prendre l’appel. Impatiente, Lena me fit signe de le

faire et comme je crevais d’envie d’avoir des nouvelles de Simon, je récupérai le combiné, attendisle déclic, puis demandai, d’une voix détachée :

— Johanna ?— Anna ? Ah ! Enfin ! Au moins, toi, tu ne refuses pas mes appels.Je fronçai les sourcils. Simon refusait-il les appels de sa mère ? Cela me consternait de

l’entendre. Ils étaient plutôt proches, en général.— Anna, tu veux bien m’expliquer ce qui se passe entre Simon et toi ?Retenant ma grimace, je cherchai rapidement un prétexte pour couper court à la conversation,

mais devant mon hésitation, elle insista :— Et ne me dis pas de demander à mon fils, tu veux ?— C’est que… je ne sais pas quoi vous dire, Johanna, bafouillai-je. Disons que la situation est un

peu… compliquée ?— Il paraît, oui. Simon n’a pas arrêté de me répéter ça. Qu’est-ce que c’est ? Tu ne l’aimes

plus ?— Bien sûr que non ! me défendis-je, surprise que Simon lui ait mis une idée pareille dans la

tête.— Alors qu’est-ce qui se passe ? Il a fait une bêtise ? Pitié, Annabelle, ne me dis pas qu’il a

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baisé avec une autre fille ou je lui arrache les yeux !Je scellai mes lèvres, un peu anxieuse à l’idée qu’elle ne surgisse dans mon bureau pour

m’arracher les yeux, à moi, mais au lieu d’attendre ma réponse, elle poursuivit :— Je n’arrive pas à le croire ! Pour une fois qu’il avait tout ce qu’il voulait ! Je ne peux pas

croire qu’il ait tout gâché ! Surtout que… enfin…Son hésitation cessa et elle se tut brusquement, ce qui me fit tendre l’oreille et questionner :— Quoi ?— Rien.— Quoi ? insistai-je.— Je voulais seulement dire… surtout avant ton anniversaire.Je fermai les yeux en me remémorant que c’était le cas. J’allais bientôt avoir trente ans. Trente

ans et célibataire. Comme si je n’avais pas suffisamment de quoi m’apitoyer sur mon sort…La voix douce et remplit de compassion de Johanna reprit :— Anna, tout allait si bien entre vous deux… dis-moi qu’il reste de l’espoir ! Ça ne peut pas être

terminé ! Je refuse de le croire !Je ravalai un sanglot et soupirai :— Je ne sais pas quoi vous dire, Johanna.— Explique-moi ! Simon refuse de me dire ce qui se passe et je suis sûre qu’avec un petit coup

de pouce… je ne sais pas… peut-être que je peux vous aider ?— Je ne pense pas, non.— Mais tu l’aimes ?— Oui.Je l’admis sans l’ombre d’une hésitation et cela parut la surprendre, car son intonation devint

trouble :— Alors c’est lui qui t’a quittée ? Parce que… d’après ses dires… non, ça ne peut pas être lui !— C’est compliqué, répétai-je.— Arrête de dire ça ! me disputa-t-elle. Simon est dans tous ses états depuis que c’est arrivé ! Il

t’aime, tu l’aimes, je ne vois vraiment pas ce qui peut vous séparer !Je détournai la tête pour ne pas voir la réaction de Lena lorsque je jetai, en essayant de ne pas me

mettre à pleurer :— C’est moi qui suis allée avec un autre homme. Voilà, vous savez tout.Un long silence accueillit mes paroles. Assez long pour que je commence à croire qu’elle avait

raccroché sans que je ne le remarque. C’était possible, après tout, ma respiration faisait un tel bruitque je faillis sursauter lorsque sa voix résonna de nouveau :

— Bien… tout s’explique.— Je suppose.

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Un autre silence dura, puis elle reprit :— Tu es… avec l’autre ?— Non. C’était une erreur.— Et Simon le sait ?Je haussai les épaules. Comment savoir ? Nous n’avions plus reparlé de John, mais peut-être que

Simon croyait que j’étais retournée avec lui ? Peut-être que de lui dire que j’habitais chez Lena ne luiavait pas suffi ?

— Je crois que oui, finis-je par répondre.Encore un silence. À ce rythme, je ne terminerais jamais ma journée, mais hormis mon

déménagement, je n’avais rien de très palpitant à faire pendant ma soirée, alors… j’attendis. Tant queJohanna ne raccrochait pas, j’avais l’impression de ne pas être complètement en dehors de la vie deSimon.

— Tu l’aimes ?— Oui.Elle soupira lourdement avant de prendre un ton faussement réprobateur :— Tu lui as dit, au moins ?— Il me semble. Je ne sais plus, admis-je.— Mais tu vas essayer de réparer les choses ?Je ravalai un sanglot, mais ma voix tremblait lorsque je lui répondis :— Comment ? C’est à peine s’il m’écoute quand je téléphone ! Et puis… je ne peux pas lui en

vouloir d’être furieux contre moi. Peut-être que… peut-être que c’est mieux pour lui ?— Qu’est-ce que tu racontes ? Vous étiez heureux, c’est tout ce qui compte, il me semble ! Et s’il

ne peut pas te pardonner cette erreur…— Johanna… vous vouliez savoir et maintenant vous savez, mais… s’il vous plait… évitez de lui

en reparler.J’étais prête à la supplier pour ça. Même si j’avais pris le blâme sur mes épaules, je voyais mal

Simon se faire sermonner par sa mère à cause d’une erreur que j’avais commise. Sans parler qu’ilserait d’autant plus furieux contre moi. N’étais-je pas déjà du mauvais côté de la barrière ?

— Laisse-moi gérer tout ça, Anna, tu veux bien ? Bon, faut que j’y aille, je crois que j’ai mapetite idée…

Avant que je ne puisse lui demander ce que c’était, elle raccrocha. Je dévisageai le combiné avecangoisse, songeai à téléphoner à Simon pour lui demander pardon avant qu’il n’apprenne ce que jevenais de faire. Bon sang ! Je gâchais tout ! Encore !

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La clé

Tout l’après-midi, je m’attendis à recevoir un appel d’insultes de la part de Simon, mais rien nese produisit. Tout compte fait, sa mère avait peut-être décidé que je n’en valais pas la peine. Ou alorsc’est son fils qui s’était dit la même chose. Possible que je ne méritais même pas d’être engueulée.Déjà, pour le moral, cette idée était plutôt déprimante.

Je partis tôt pour récupérer mes sacs chez Lena. Autant transférer mes affaires le plus vitepossible pour avoir la paix, ce soir. Comme je n’avais ni vaisselle, ni ustensiles, je me commandaide la pizza et passai la soirée à corriger des textes. Si la solitude me plaisait, elle n’avait riend’agréable en soi. La présence des autres m’empêchait de réfléchir. Ce soir, même en essayant de meconcentrer sur le travail, je ne pouvais pas m’empêcher de songer à Simon. Au fait qu’il avaitdéfinitivement tourné la page, alors que j’étais là, en manque de lui et que j’allais bientôt avoir trenteans.

Pour me consoler, je tentai de voir le côté positif des choses : cette fois-ci, John ne m’avait pastout pris. Contrairement à la dernière fois, il me restait toujours la revue. Quoique, à choisir, j’auraisvolontiers échangé Simon contre mon travail.

Je bus un peu plus que permis, m’endormis sur mon canapé-lit que je n’ouvris même pas pour enuser de son plein potentiel et sombrai dans un sommeil de plomb. Un sommeil qui n’eut aucun aspectréparateur. Lorsque je m’éveillai, en plus d’une légère gueule de bois, j’avais le dos en compote etme promis de ne plus jamais dormir sur le canapé de cette façon. Comme je n’avais rien pour mefaire du café, je pris une douche rapide et déjeunai en chemin, avant de me rendre à la revue.

Le temps d’ouvrir mon ordinateur et de passer en revue le travail de la journée qu’un sac se posalourdement sur mon bureau. Je faillis m’étouffer en reconnaissant Simon, droit comme un piquet,devant moi.

— Tes affaires, dit-il avec un ton rustre.Je n’osai même pas toucher le sac tellement j’eus peur que son contact me brûle, mais j’y réfugiai

mon regard avant de répondre :— Merci, mais… ce n’était pas la peine de te déplacer.Il sortit une pile de lettres de la poche arrière de son jeans et les jeta devant moi :— Et ton courrier.— Ah, euh… oui. Je passerai à la poste pour régler la situation, promis-je avec une petite voix.Troublée par sa présence, je m’obstinai à éviter son regard, les mains cramponnées à mes

cuisses, comme une gamine qui attend qu’on l’engueule, ce qui ne tarda pas à arriver :— Comment t’as pu aller raconter à ma mère ce qui s’est passé entre John et toi ?Cette fois, je relevai la tête :— Qu’est-ce que ça change ?

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— Ça change que… ce n’est absolument pas pour ça que j’ai rompu, Annabelle !— Mais qu’est-ce que tu voulais que je lui dise ? Que tu m’as quitté parce que j’avais refusé de

coucher avec une pute ? Sincèrement Simon, je pense que ma version est bien meilleure. Et puisqu’ony est, t’as qu’à dire la même chose aux autres, tiens, comme ça tout le monde va me détester.

— Tu crois que c’est ce que je veux ? Que les gens te détestent ?Je haussai les épaules en détournant à nouveau les yeux et j’avouai, un peu tristement :— Je ne sais pas ce que tu veux Simon. J’ai cru le savoir pendant un moment et puis… maintenant

je ne sais plus.— Je ne voulais certainement pas que ma famille s’en mêle ! siffla-t-il.Sa colère me piqua au vif et je lui décochai un regard sombre :— Tu crois peut-être que je m’attendais que ta mère me téléphone au travail ? Qu’est-ce qu’il

aurait fallu que je lui dise ?— Que ça ne la regarde pas ! Ce qui est vrai, quand on y pense !Je croisai les bras et tentai d’afficher un air désolé :— Écoute… elle m’a prise par surprise, OK ? Tu connais ta mère ! Elle ne lâche pas facilement

le morceau !À son tour, il croisa les bras et son index se mit à tapoter nerveusement sa peau. Un geste tout

bête, mais qui me donna le courage de relever les yeux vers lui. On aurait dit que son expressionavait perdu un peu de sa dureté. Sa mère était-elle parvenue à lui faire entendre raison ? Parprudence, je n’osai ni lui poser la question, ni couper court au silence qu’il imposait. À choisir, jepréférais qu’il reste là, à m’engueuler ou à ne rien dire. N’importe quoi, tant qu’il ne partait pas.

— Comment va John ? finit-il par me demander.Sa voix retrouva un ton acerbe et j’utilisai le même pour lui répondre :— Je ne sais pas. C’est avec Lena qu’il couche. Tu veux que je l’appelle pour savoir ?Il fronça les sourcils et reprit, avec un doute audible au fond de sa voix :— Tu vas me dire que tu ne l’as pas revu ?Cette fois, je plongeai dans son regard avec détermination :— Je ne suis pas avec John, si c’est que tu veux savoir.— Et combien de temps lui faudra-t-il pour te récupérer, tu crois ?— Plus que ça t’as en pris avant d’aller au bar de Maître Denis, en tous les cas.Le temps que les paroles franchissent mes lèvres que je les scellai avant de ravaler ma salive,

troublée de le mettre ainsi au banc des accusés.— Merde, dis-je en rebaissant les yeux sur la maquette que j’étais en train de corriger. Oublie ce

que j’ai dit. T’as le droit de faire ce que tu veux, après tout.— Je suppose que cette information vient de John ?Comme je ne répondis pas, il en tira ses propres conclusions :

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— Il couche avec Lena, t’habites avec Lena… c’est plutôt facile de faire le rapprochement…J’inspirai avant de lui répondre, en essayant de conserver mon calme :— Puisque tu veux tout savoir, alors oui, je ne te mentirai pas : John était fou de joie de venir

m’apprendre la nouvelle. Il paraît même que tu t’en es donné à cœur joie, là-bas.Il me fixa un moment avant de me poser la question :— Qu’est-ce que ça t’a fait de le savoir ?— À ton avis ?Sentant les larmes me monter aux yeux, je fis une pause pour retrouver ma voix avant d’ajouter,

un peu froidement :— Qui sait ? J’irai peut-être assister à ta performance, la semaine prochaine ?— Annabelle…Je levai rapidement une main pour l’empêcher de poursuivre :— Non, c’est pas la peine. Je ne veux rien savoir.Je me levai pour récupérer le sac qu’il avait déposé sur le bureau et le déposai sur le sol en ne

m’arrêtant pas de parler. C’était le seul moyen de ne pas me mettre à chialer devant lui :— C’est gentil d’être venu, mais j’ai vraiment une grosse journée. Je te promets que je ferai mon

changement d’adresse avant la fin de la semaine… Saisissant mon trousseau de clés, je défis rapidement celle qu’il m’avait remise et la posai devant

lui. Je ne voulais pas le toucher. J’étais certaine que j’allais me mettre à pleurer si ses doigtstouchaient les miens, alors autant garder mes distances ainsi.

— Tiens. Je crois que je n’en aurai plus besoin.— Anna…— Simon, s’il te plait… je ne veux rien savoir.La voix de la réceptionniste m’interrompit et, pour la première fois, j’étais heureuse qu’elle

coupe court à mon tête-à-tête avec Simon.— Annabelle, il y a Claire qui s’impatiente. Elle t’attend dans son bureau pour sélectionner les

textes du prochain numéro…J’agrippai mon sac à main, étonnamment ravie d’avoir un prétexte pour clore cette discussion :— Tu m’excuseras, mais… comme je te le disais…— C’est bon. J’ai compris, dit-il en retrouvant un air sombre. Lui, tu l’écoutes, mais moi, je n’ai

pas voix au chapitre, comme toujours. Bien. Au moins, je sais à quoi m’en tenir, maintenant.Il tourna les talons sans me saluer et sortit de mon bureau, visiblement furieux de la façon dont je

l’avais interrompu. Mes genoux plièrent et je me retrouvai assise sur mon fauteuil, le souffle court,probablement entravée par la culpabilité qui grimpait en moi. Venais-je de faire une autre erreur ?Fallait-il que je sorte de mon bureau en courant pour le retenir ? Que m’importait qu’il ait été au barde Maître Denis, au fond ? Si nous avions la chance de nous retrouver, est-ce que ça ne devait pas mesuffire ?

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Trois minutes plus tard, alors que je luttais toujours contre les larmes, Lena entra dans monbureau, une pile de feuilles entres les mains :

— Qu’est-ce que tu fous ? Claire nous attend !— Simon vient de passer, annonçai-je, comme si sa visite justifiait mon absence.Elle haussa un sourcil curieux :— Alors ? Y’a du nouveau ?Je secouai la tête, la mort dans l’âme, mais son ton se haussa :— Tu l’as laissé partir ?— Qu’est-ce que je pouvais faire ?— Lui sauter dessus ! Ou le traîner de force dans les toilettes privées, tiens !Elle avait de bonnes idées, il fallait que je lui donne ça. Ce qui ne fit que me déprimer davantage.

Oui, j’avais laissé Simon repartir. Je n’avais rien voulu entendre. Décidément, je n’étais bonne à rienavec lui. Croisant les bras sur le dessus de mon bureau, j’y laissai tomber ma tête en grondant :

— Quelle conne je fais !Elle frappa sur mon bureau et son cri me fit sursauter :— T’as fini de te lamenter ? Lève tes fesses et va le chercher !Son geste fit tomber quelque chose sur le sol et le bruit métallique attira notre attention à toutes

les deux. Lena se pencha, remonta la clé avec un air intrigué. Ma gorge se serra en la retrouvant.Simon ne l’avait pas touchée. Il me l’avait laissée. Était-ce un signe ou un oubli ?

— On dirait que t’as une raison de lui courir après, me nargua-t-elle.Mes doigts s’emparèrent de la clé que je serrai contre moi. Il était déjà loin, maintenant, mais je

pouvais toujours faire un saut au restaurant. Ou chez lui, après son quart de travail…Cette fois, je le laisserais parler et j’allais écouter ce qu’il avait à me dire comme un boxeur

encaisse les coups. Tant pis si ça me blessait. Ne lui avais-je pas tout raconté, moi ?* * *

Je me sentis bête lorsque j’arrivai chez Simon. J’avais bien la clé, mais… comme je la lui avaisrendue, un peu plus tôt, je ne me sentais pas le droit d’entrer chez lui sans sa permission. Alors jefrappai à la porte, la gorge serrée. J’avais passé la journée à imaginer cette scène, aux mots que jedevais lui dire, à la façon dont je devais réagir, imaginant toutes les situations possibles à notrerencontre. J’avais l’espoir qu’il m’embrasse à nouveau et que tout se règle, comme par enchantement.Pourtant, quand la porte s’ouvrit et que Simon arriva, vêtu d’un peignoir, je perdis tous les mots quej’avais en tête et n’eus qu’une seule envie : lui sauter dessus.

— Qu’est-ce que tu fais là ? me demanda-t-il, visiblement surpris.— Euh… je voulais…J’absorbai un bol d’air frais avant de me reprendre :— Je ne pouvais pas te parler, ce matin. J’étais… c’était trop émotif. Et j’avais peur de me

mettre à pleurer.

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Il haussa un sourcil et sa voix devint un peu moqueuse :— Alors tu viens pleurer devant ma porte ?Je feignis un sourire :— Si c’est ce que tu veux.Cela pouvait-il être aussi facile ? Pleurer un bon coup, me jeter à ses genoux et voilà ? Il allait

m’ouvrir les bras ?Sans m’inviter à entrer, il prit appui sur le rebord de la porte :— Anna, je suis furieux que tu aies parlé de cette histoire à ma mère.— Je ne lui ai pas tout dit. Juste… le minimum.— Tu lui as dit que t’avais couché avec ton ex !Voyant qu’il s’emportait, il étouffa son cri et se mit à souffler bruyamment.— Et ce matin, tu n’as même pas daigné me demander si c’était vrai, l’histoire du bar. À croire

que tu donnes foi aux paroles de John bien plus qu’aux miennes.Ravalant ma fierté, je me redressai avant de lui demander :— C’est vrai ? T’étais vraiment au bar de Maître Denis ?Il hésita, puis son regard balaya le sol entre nous avant de revenir sur moi :— J’y suis allé, c’est vrai. Au début, je voulais surtout savoir si t’y étais. Je me disais que si je

t’y trouvais avec John…Il laissa sa phrase en suspens avant de reprendre :— Tu sais, quand on va dans ce genre d’endroit, il faut consommer. Surtout les hommes. Ils

n’aiment pas trop les voyeurs, en général…Alors que l’espoir s’était forgé un chemin en moi, ses dernières paroles ajoutèrent une ombre au

tableau, mais je me défendis de le lui montrer.— Je n’étais pas là, dis-je en espérant dévier le sujet.— Je sais.Le silence persista pendant un moment, puis il jeta, très vite, comme s’il souhaitait en finir avec

cette histoire :— Anna, je ne vais pas te mentir : j’ai fait jouir deux femmes, l’une avec mes mains, l’autre avec

ma bouche. Après quoi, elles m’ont fait une fellation à tour de rôle.Une tonne de briques me tomba dessus, mais je restai droite et tentai de ne pas montrer à quel

point les images qui me passaient par la tête me donnaient mal au cœur.— C’est tout ? finis-je par demander, la voix tremblante.— Oui.— OK. Bien… ce n’est pas… si mal.Même en le disant avec un ton détaché, je sentis une larme qui s’échappait de mon œil droit et je

l’essuyai en détournant la tête, gênée que mes paroles ne concordent pas avec mes gestes.

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— Nous sommes séparés, Anna. Toi-même, tu as fait en sorte que les choses se fassentrapidement. Tu as vidé l’appartement sans attendre, comme si tu étais pressée d’en finir avec moi.

— Ce n’est pas ça ! le contredis-je. C’est juste que… je me disais que ce serait mieux pour toi.— Mieux pour moi ? s’écria-t-il. Sais-tu que moi, j’espérais que tu me supplies de ne pas te

quitter ? Que tu réalises tout ce que nous partagions et que tu te battes pour le garder au lieu de ficherle camp comme tu l’as fait ? Qu’est-ce que tu crois que je me suis imaginé ?

Son cri me fit sursauter et j’osai m’avancer d’un pas, parlai vite avant de ne plus en avoir lecourage :

— Simon, je ne veux pas qu’on se sépare. Demande-moi ce que tu veux, mais donne-moi uneautre chance.

Il secoua la tête puis la laissa tomber vers l’avant avant d’étouffer un rire triste. Enfin, il reposases yeux dans les miens, mais rien de joyeux ne s’afficha :

— C’est trop tard, Anna. Je t’aime comme un fou et ça me tue de te dire ça, mais… j’ai bienréfléchi et… je ne veux pas passer ma vie à me battre contre John, ni à me demander quand il vasortir de l’ombre pour détruire ce qu’on a construit. Je ne peux pas vivre comme ça.

— Simon, je t’aime. Est-ce que ça ne suffit pas ?Juste à la façon dont son visage se contractait, je compris qu’il luttait contre les larmes, alors que

moi, je les laissais tomber sans aucun scrupule.— Je sais que tu m’aimes, Anna, mais c’est insuffisant. Parce que tu ne m’aimes pas comme lui.

Parce qu’il va toujours rester… quelque chose entre vous deux. À la limite, nous aurions plus dechance d’être heureux s’il se lassait de toi et qu’il te fichait la paix.

Mes bras se croisèrent et je les serrai très fort devant moi, comme par désir d’obtenir un appuiquelconque.

— Alors… au fond, tu ne me fais pas confiance, dis-je.— C’est plus compliqué que ça, mais… admettons que ce soit le cas, pourrais-tu vraiment m’en

blâmer ?Je pinçai les lèvres et secouai la tête, reniflai avant de répondre de vive voix :— Non.Mes bras se dénouèrent avec difficulté et je récupérai sa clé, dans le fond de ma poche, avant de

la lui tendre :— Tiens. Tu l’as oublié, ce matin.Il la prit en évitant de toucher mes doigts et je ne sais pas si cela me rassura ou me déplut. Je

détestais les larmes qui tombaient sur mes joues et j’avais seulement envie de me laisser tomber àgenoux, devant lui, pour le supplier de m’accorder cette seconde chance. Dans ma tête, ses motsrésonnaient en boucle : « C’est trop tard ». Quoi ? Déjà ? Au bout de sept jours ? Je me sentis bête dene pas avoir agi avant. Et terriblement vide, tout d’un coup.

— Bien, je ne te dérangerai plus.Il ne me répondit pas et ne tenta pas de me retenir lorsque je lui tournai le dos. Pour ma part,

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j’avais déjà bien assez de mal à marcher droit, alors je concentrai toute mon attention sur ce gestebanal pour éviter de m’effondrer devant lui.

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L’invitation

Jamais je n’avais été aussi assidue dans mon travail. Dès que j’étais debout, je m’y rendais et jen’en sortais que lorsque je n’arrivais à rien. Autant dire que je menais une vie de moine. C’était ça ouje devenais folle.

John me laissait des messages sur ma boîte vocale auxquels je ne répondais pas. Lena n’osaitplus m’en parler. Depuis que je lui avais dit que Simon m’avait rejetée, elle avait cessé de mepousser vers lui. Et même si elle s’en défendait, je me doutais qu’elle était plutôt accrochée à John.Elle n’avait probablement pas envie que je m’en rapproche. Depuis la nuit où l’espoir s’était envolé,elle jouait les amies dévouées, mais discrètes.

Comme je n’avais plus rien soumis en textes érotiques, Claire venait souvent me demander monavis sur ceux qu’elle recevait. Je les lisais sans envie et ils ne faisaient que me rappeler que j’étaisseule. Seule, mais étrangement, pas en manque. Un mal pour un bien, je présume. Alors que Simonprofitait de sa liberté sans aucun scrupule, la mienne me pesait. Son absence me coupait du monde etm’empêchait de ressentir le moindre désir. J’étais tombée dans un gouffre. Je me doutais que cela nedurerait pas, mais je n’en étais pas mécontente. J’avais déjà suffisamment de souci à songer à Simonque je n’aurais probablement pas pu gérer deux problèmes en même temps.

Je relisais un texte pour la troisième fois, incapable de me concentrer sur mon travail, lorsqueLena entra :

— Qu’est-ce que tu fais ?Je levai les feuilles sans la regarder :— Je lis.— Il est six heures, t’as remarqué ?Cette fois, mon regard chercha l’heure et je haussai les épaules :— Et alors ?— Alors, il serait temps que t’aies une vie en dehors du travail ! Tu sais que t’es une vraie plaie

pour ton équipe depuis que t’es célibataire ? Tu passes ton temps à les mener à la baguette. Une vraiedictatrice !

— Je n’aime pas quand les choses se font à la dernière minute, dis-je, en guise d’explication.Elle se laissa tomber sur la chaise devant mon bureau :— John m’a invitée à sortir, ce soir. Il voulait savoir si t’avais envie de nous accompagner.— Sans façon, merci.— On va dans un bar, un truc SM, il paraît que t’aimes bien.Je daignai enfin relever les yeux sur elle et ne masquai pas ma surprise :— Il t’emmène te faire baiser au club de Denis ?

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— Il dit que je vais adorer ! Comment on s’habille pour aller dans ce genre de truc ? T’as uneidée ?

Malgré moi, un rire sortit de ma bouche et je me penchai, ouvrit un tiroir et sortit la robe quem’avait offerte John.

— Tiens, je crois qu’elle devrait t’aller.Lena se leva, mit le vêtement devant elle avant de me jeter un œil admiratif :— Tu gardes ça dans ton bureau ?— Ah, euh… c’est un cadeau que j’ai reçu et je ne sais pas quoi en faire. Tu peux la garder.Je masquai mon fou rire en imaginant la tête de John lorsqu’il la verrait dans cette robe, mais au

fond, ce n’était qu’un vêtement.— Ça te dit de venir avec nous ?— Pas le moins du monde.Autant je n’avais pas envie de revoir John, autant je craignais de tomber sur Simon. Le voir

baiser avec d’autres femmes ? Sans façon, merci. J’avais suffisamment de mal à le rayer de ma têtesans que j’aie à me taper un spectacle de ce genre.

— T’as peur que je te saute dessus ou quoi ? me questionna-t-elle, visiblement troublée par maréponse.

Je pouffai de rire en me remémorant l’idée de John qui espérait nous baiser, elle et moi.— Bordel Lena, j’espère que t’as pas envie de me baiser, parce que tu risques d’être déçue.Elle se laissa retomber sur la chaise, la robe serrée contre elle :— John dit que t’es douée avec les femmes.— John dirait n’importe quoi pour te faire faire ce qu’il veut.— Bof, ça ne me gêne pas plus que ça de baiser avec une femme. Si ça lui plaît.Je levai les yeux au ciel, légèrement exaspérée par le pouvoir qu’il avait sur mon amie, puis je

m’inquiétai :— Tu ne vas quand même pas devenir sa soumise ?Elle pinça les lèvres :— Pas vraiment. Enfin… ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour, mais…— Quoi ? T’y songes ? Toi ?Encore une fois, je ne pus m’empêcher de me mettre à rigoler comme une idiote.— Bon sang, Lena ! T’as vraiment besoin d’un truc pareil pour jouir ?— Bien sûr que non ! Mais avoue que John est intéressant ! Et il sait comment faire jouir une

femme, sur ça, je ne t’apprends rien.— Oui, bien… il n’est pas le seul.— C’est vrai, admit-elle en hochant la tête, mais on n’a pas toutes la chance d’avoir un amant

comme lui sous la main. Et je t’avoue que je n’ai jamais été très bonne pour les relations de couple.

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Au moins, avec lui, je m’amuse. Et si je peux me taper d’autres gars en plus, pourquoi je dirais non ?Je ne répondis pas. Peut-être que je l’enviais, au fond, de pouvoir faire la distinction entre sa

relation avec John et ces jeux auxquels il la conviait. Pourquoi est-ce que moi, je n’y arrivais pas ?— Tu sais… John aimerait vraiment que tu viennes avec nous, insista-t-elle.— Je n’en doute absolument pas, raillai-je.Elle joua nerveusement avec la robe que je venais de lui donner avant de soupirer :— Si c’est fini avec ton blondinet, pourquoi tu refuses de venir ?J’hésitai à répondre. Était-ce parce que je détestais ce que je devenais quand je laissais mon côté

vilain prendre le dessus ? Ou parce que j’avais peur de croiser Simon ? Je ne sais pas. À choisir, jetrouvais plus simple de rester là, seule, à fixer le plafond de ma chambre.

— Ça ne me dit rien, dis-je simplement.Elle attendit. Peut-être espérait-elle que je change d’avis, mais comme je restais silencieuse, elle

ajouta :— John dit que t’as peur de lui.— John se prend pour le nombril du monde, dis-je en retenant mon rire.— C’est possible, après tout… t’as déjà cédé.— Il m’a tendu un piège, OK ? Et c’est vrai que j’agis comme une idiote quand il est là, mais…

je ne sais pas… maintenant que Simon n’est vraiment plus là… on dirait que je ne crains plus rien.Pas même lui.

— Pourquoi tu ne viens pas avec nous, alors ?— Parce que dans ce genre d’endroit, il faut consommer, dis-je avec un ton rustre, en me

remémorant les paroles de Simon. Et il arrive que je n’aie pas envie de me faire baiser par n’importequi !

Merde. Je m’emportais. Pour retrouver mes esprits, je fermai les yeux en me concentrant sur marespiration, mais les mots de Lena m’obligèrent à les rouvrir.

— Hum. John ne sera pas content de savoir que tu refuses.— Oh, mais qu’est-ce que je m’en fous de ce que John pense ! m’énervai-je.D’un geste, je fis mine de la balayer hors de mon bureau :— Bon, va t’amuser avec ton imbécile. J’ai du travail, moi.Devant ma détermination, elle bondit hors de sa chaise en gardant la robe entre ses mains. Une

fois sur le point de sortir, elle se retourna vers moi :— Annabelle, je me doute que je suis loin d’être une bonne copine pour toi, mais je crois que ça

te ferait vraiment du bien de sortir un peu. Change-toi les idées, tire un coup ! Aussi génial qu’ilpuisse être, ton blondinet, ça n’en reste pas moins un homme et pas des plus sages, d’après ce que medit John. Crois-moi, tu ne l’as peut-être pas encore compris, mais ils sont tous remplaçables.

Je ne pris même pas la peine de lui répondre. À quoi bon lui dire que Simon était irremplaçablepour moi ? Nous n’étions pas différents de tous ces couples qui se séparent. J’allais forcément m’en

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remettre, comme je m’étais remise de ma rupture avec John, mais quelque part en moi, je savais queje regretterais longtemps notre histoire…

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Le test

Les jours passaient et, fatiguée d’être un bourreau de travail, je dévalisai une librairie et entreprisde passer mes soirées à lire. C’était la seule chose qui me permettait de m’évader de ma vie. Revenirà ses anciennes amours valait mieux que de ne rien aimer du tout.

La rumeur de mon célibat s’était propagée comme une traînée de poudre au bureau. On venaitm’inviter à prendre un verre. Même Éric avait dû en entendre parler, car il passa prendre de mesnouvelles à deux ou trois reprises. Que les gens de la revue se doutent que j’étais libre, c’était unechose, mais si des gens au conseil d’administration avaient appris la nouvelle, cela ne pouvaitsignifier qu’une chose : que Lena essayait de me caser avec quelqu’un.

De son côté, elle était plutôt discrète, ces derniers temps. Elle n’assistait plus qu’à une réunionsur deux, prétextant que j’étais désormais suffisamment autonome pour gérer la revue toute seule. Detoute façon, d’après le peu que nous avions échangé, au cours des jours précédents, elle s’investissaitbeaucoup sur un autre projet, une revue masculine, quelque chose de viril. Ça semblait bienl’emballer.

Comme chaque soir, je sortais de la revue tard et je rentrais chez moi. À pied, chaque fois que letemps s’y prêtait. Ma routine était pratiquement établie : retrait des chaussures, un petit verre de vinet hop ! Un peu de lecture sur le canapé. Ça m’aidait à m’endormir. Rien d’exceptionnel, quoi.

Ce soir-là, à peine mon verre fut-il versé que l’on frappa à ma porte. Sans réfléchir, j’ouvris,persuadée qu’il s’agissait d’un voisin ou du propriétaire puisque personne ne savait où j’habitais,mais ma bouche s’ouvrit en y découvrant John.

— Bonsoir Annabelle.— Qu’est-ce que tu fais là ? m’emportai-je aussitôt. Et comment t’as su où je me trouvais ?— Le truc le plus vieux du monde : je t’ai suivie.Je le scrutais avec un air abasourdi :— Non, mais t’es malade ?— Pas à ma connaissance, mais toi… de toute évidence, tu ne vas pas mieux.— Je vais très bien, le contredis-je en refermant la porte.D’une main, John bloqua mon geste et s’invita à l’intérieur sans attendre ma permission. Il fit le

détail des lieux d’un seul regard, puis s’attarda sur mon verre de vin :— Tu m’en offres un ?— Que non ! Faut-il que j’appelle la police pour que tu me fiches la paix ?Ses yeux se posèrent sur moi :— Annabelle, je veux juste te parler.— Le téléphone, tu connais ?

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— J’ai bien essayé, mais tu ne réponds pas à mes appels. Et ta réceptionniste m’empêche d’allerte voir au bureau ! À croire que je suis devenu l’ennemi public numéro un !

Il souffla bruyamment avant d’ajouter :— Sans parler que Lena ne veut plus te faire le moindre message de ma part…— Il était temps !Je contournai le comptoir, récupérai mon verre et le bus sans même lui en offrir une goutte. Cela

parut l’amuser, mais il ne se gêna pas pour me suivre et fouilla partout, dans mes armoires, pour setrouver un verre dans lequel il se versa du vin avec son habituel sans-gêne.

— Tu sais que t’as un sacré culot ? lui dis-je.— Et encore, tu n’as rien vu.Son verre rempli, il se dirigea au salon et s’installa sur mon canapé.— Je suis déçu, admit-il en inspectant l’endroit. Avec ton salaire, tu aurais pu trouver quelque

chose de beaucoup mieux.— J’avais besoin que ce soit libre immédiatement. Et meublé, aussi.Il se tourna pour mieux me voir :— Où sont tes meubles ?— Aux poubelles, probablement. À moins que Simon ait décidé de les garder en souvenir.De toute façon, j’avais abandonné la majorité de mes affaires quand j’étais partie habiter avec lui

et le peu qu’il en restait… il pouvait certainement s’en passer. Qu’en avait-il fait ? Je ne saurais ledire et, au fond, je préférais croire qu’il restait un peu de notre vie là-bas, autour de lui.

Il soupira lourdement, assez pour que je l’entende, bien que la petitesse de l’endroit y aidât, puisil posa son verre sur une minuscule table avant de reporter son attention sur ma personne :

— Annabelle, je me sens coupable de ce que tu vis.— Tu peux, dis-je simplement, mais je suis sûre que ça ne t’empêche pas de dormir.Il me jeta un regard triste avant de reprendre :— Amour, je veux t’aider.Je levai la main et retint un rire amer :— Sans vouloir t’insulter, John, je crois que tu en as bien assez fait.— Tu sais que les choses seraient beaucoup plus simples si tu me donnais ma chance ?— Ça ne m’intéresse pas.Il me montra mon propre appartement avec un air dédaigneux :— On dirait que bien peu de choses t’intéressent, ces temps-ci.— Pas faux, admis-je, nullement contrariée par sa remarque, mais si ça peut te rassurer, sache

que je continue de chercher un plus bel appart.Comme je restais loin de lui, il finit par délaisser le canapé et vint se positionner devant moi en

arborant un air grave :

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— Écoute, je suis sérieux : si tu veux vraiment récupérer Simon, je peux t’aider.— Le problème, John, c’est que Simon ne veut pas être récupéré, mais je suppose que tu sais déjà

tout ça, avec Lena comme espionne.Ses traits se détendirent et il laissa même filtrer un léger rire.— J’avoue qu’elle m’aide beaucoup à comprendre ce qui se passe dans ta vie.— Il n’y a rien à comprendre. Simon m’a jetée comme une malpropre et je ne peux même pas lui

en vouloir.Il caressa ma joue du bout de ses doigts et je détournai la tête pour lui montrer que son geste

m’était désagréable. Laissant retomber son bras, il reprit :— Annabelle, même si je préférerais que ce soit le contraire, je sais que Simon n’est pas idiot. Il

sait que tu es spéciale. Je ne peux pas dire l’inverse. Ne suis-je pas à ta botte depuis des semaines ?Si tu le veux, il serait aisé pour toi de regagner son cœur.

Je détestais l’espoir qu’il faisait jaillir en moi. À l’entendre, retrouver Simon serait simple. Non.C’était forcément un piège. Et Simon lui-même détestait que je prête foi en ses paroles.

— Je… je préfère respecter son choix, finis-je par murmurer, non sans difficulté.— Laisse-moi t’aider. Je suis le seul à pouvoir te le ramener.Je feignis un rire qui résonna trop haut et m’éloignai de lui, me retrouvai assise dans un coin de

mon propre canapé, le verre serré contre ma poitrine, si fort que je dus le relâcher un peu, j’avaispeur qu’il m’éclate entre les doigts. Sans surprise, John s’installa à ma gauche :

— Je ne suis pas revenu pour te rendre malheureuse, Annabelle. Si tu es certaine que Simon estton choix, alors je ferai tout pour t’aider à le reconquérir.

Je ne pus m’empêcher de le fusiller du regard et m’écriai, soudain choquée par sa proposition :— Hors de question que tu impliques Simon dans tes sales petites combines, compris ? Bon sang,

John ! Pourrais-tu nous ficher la paix ? Je ne veux pas de toi et je ne veux pas que tu te mêles de mavie, c’est pourtant simple à comprendre, il me semble !

À bout de nerfs, je ravalai mes larmes, mais il les sentit venir sans trop de difficulté. Lorsqu’ilposa la main sur mon épaule, je fondis en pleurs comme une idiote, le laissai m’arracher mon verrepour le poser sur la table et ne me débattis même pas lorsqu’il me serra contre lui.

— C’est bien, laisse tout sortir, chuchota-t-il en caressant mes cheveux.C’était étrange d’être dans ses bras, mais c’était le dernier de mes soucis pour le moment, sauf

quand il se mit à caresser mon dos un peu trop bas. D’une main, je le repoussai en le disputant :— Tu ne penses qu’à ça, ma parole !— Je t’aime, tu es désirable, n’est-ce pas normal ?— Moi qui pensais que t’avais un peu de cœur !— Qu’est-ce que tu racontes ? J’ai beaucoup de cœur ! La preuve : j’ai envie de te faire du bien !Sa main chercha à toucher ma cuisse que je repoussai à nouveau :— Mais t’as fini, oui ?

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— Quoi ? Tu es célibataire, tu me désires, tu sais que tu ne seras pas en reste avec moi. Et Simonne se prive pas, de son côté.

Qu’il parle de Simon en ces termes me choqua, assez pour que je bondisse hors du canapé et queje m’emporte :

— T’es vraiment qu’un salaud, toi !— Pourquoi ? Je te dis que tu peux retrouver Simon, mais d’ici là… je ne vois pas pourquoi tu

resterais chaste ! Et puis, ce n’est pas bon pour toi ! Tu réfléchirais bien mieux après une bonnebaise. Ça calmerait ton corps et ton esprit.

— Bien sûr, raillai-je en levant les yeux au ciel. On croirait vraiment que tu as réponse à tout !Je marchai de long en large devant lui, ce qui ne fit que m’énerver davantage :— J’aurais dû me douter que tu allais vouloir quelque chose en contrepartie de ton offre. Offre

que je n’ai pas acceptée, d’ailleurs !— Je n’ai rien exigé que tu ne m’aies déjà donné de ton plein gré. Allons Annabelle, qu’est-ce

qui t’en empêche ? Tu n’as aucune attache ! Je suis sûr que si je téléphonais à Simon, en ce momentmême, il me donnerait la permission de te baiser !

Ma parole, il cherchait vraiment à me mettre hors de moi !— Je n’ai pas envie de toi, dis-je sèchement.— Je ne te crois pas.À dire vrai, je n’étais pas certaine de dire la vérité non plus, mais j’étais déjà persuadée qu’une

partie de moi y croyais, alors je croisai les bras et pris un air d’autant plus déterminé :— Je suis guérie de toi. Complètement.Soudain, je me demandais si c’est cela que Simon aurait voulu entendre de ma bouche. Que

j’étais guérie de John, que je n’en avais plus envie. Était-ce seulement possible ? Avec un air amusé,il haussa un sourcil :

— Prouve-le et je te croirai.— Comment ?Son index caressa son menton, puis sa lèvre inférieure pendant qu’il réfléchissait à la question.

Ce temps de silence m’inquiéta. Le connaissant, j’avais tout à perdre. Je réprimai un sanglot.N’avais-je pas déjà tout perdu, de toute façon ?

— Depuis combien de temps ne t’a-t-on pas touchée ? me questionna-t-il soudain.Je haussai les épaules en réprimant mon envie de répondre : « depuis Simon » que je transférai en

notion temporelle :— Trois semaines. À peu près.Il fit mine d’être embêté par ma réponse, mais comme il retint un sourire, je compris qu’il ne

l’était pas vraiment.— Tu te masturbes, au moins ? demanda-t-il en forçant la note.Je pouffai de rire. Un peu plus et j’aurais eu l’impression d’entendre un médecin qui s’inquiétait

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pour ma santé mentale !— Trois semaines sans le moindre frisson. Je suppose que tu t’imagines que ça va te simplifier la

tâche ?Cette fois, il laissa son sourire illuminer son visage. Touché. Je l’avais cerné sans trop de mal.

De son côté, on aurait dit qu’il avait déjà gagné la partie. Sa main se posa sur son genou et se mit à lefrotter lentement pendant qu’il réfléchissait. Enfin, il daigna reprendre la parole :

— Laisse-moi t’embrasser et te montrer que tu me désires encore, proposa-t-il enfin.— Ça ne m’intéresse pas.— Qu’as-tu à perdre ?— Mon âme, John. Et c’est trop cher payé pour le peu que tu vas m’offrir. Crois-moi, j’en sais

quelque chose.Il recula dans le canapé, comme pour m’indiquer qu’il était loin d’en avoir terminé sur le sujet.

Comme je restais immobile, il reprit :— Vois-le comme un test. À la limite, je peux te promettre de ne pas franchir la limite de ta petite

culotte. Quoique j’adorerais te voir jouir, je ne te mentirai pas là-dessus…Ses yeux parcoururent mon corps et il frotta son pouce contre son index avant de tracer une ligne

imaginaire sur moi :— Je me contenterai de te toucher par-dessus tes vêtements, ce qui est loin d’être mon genre, tu

t’en doutes.Je soupirai :— Vraiment John, ça ne me dit rien.— Trouillarde ! me nargua-t-il.Un autre soupir franchit mes lèvres et, voyant qu’il ne me ficherait jamais la paix, je me laissai

tomber à ses côtés, déterminée à en finir une bonne fois pour toute avec lui.John ne se fit pas prier pour me prendre dans ses bras, m’enserrant à la taille et laissant son nez

parcourir ma tempe jusqu’à ce que sa bouche se retrouve sur la mienne. Je le laissai m’embrasser, unpeu troublée par son geste. J’avoue que, même après le week-end que nous avions passé, je préféraisencore que sa bouche se trouve autre part sur mon corps. Cela m’était plus familier. Se détachant demoi un bref instant, il chuchota :

— Tu pourrais participer ?— J’attends d’en avoir envie, dis-je sans grand émoi.— Vilaine fille, rigola-t-il en cessant d’embrasser ma bouche pour enfouir son nez dans mon cou.Je fermai les yeux. Ce n’était pas désagréable, il est vrai, et je suppose qu’avec un peu de bonne

volonté, j’aurais même caressé ses cheveux, mais mes doigts auraient vite fait de distinguer ce qu’ilsn’étaient pas, alors je me le refusai. Autant le laisser me bercer d’illusions un peu plus. Le laisser mefaire croire que ce corps chaud contre le mien, c’était celui d’un homme que j’aimais. Celui deSimon.

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Sa main s’aventura dans mon décolleté, caressa mon sein, bifurqua rapidement sur ma cuisse ouplutôt : entre mes cuisses. Je sursautai et posai mes doigts sur son bras pour l’empêcher de montertrop haut.

— John, non.— Annabelle, laisse-moi faire, me supplia-t-il. Je suis sûr que tu en as envie. Et ça t’aidera à tout

oublier. Tu le sais, pas vrai ?Sa main caressait ma chair, à la frontière de ma culotte, tout près de mon sexe. Il attendait que je

le relâche, comme si cela suffisait à lui donner la permission d’aller plus loin. Je ravalai un sanglotet le laissai faire. Dans la seconde, ses doigts franchirent la barrière de ma culotte, s’écrasèrentcontre mon clitoris et je détournai la tête lorsqu’il essaya de reprendre ma bouche.

— Annabelle, laisse-toi aller, me gronda-t-il doucement.Je chassai son geste inquisiteur et reculai sur le canapé, me mis à pleurer comme une idiote, en

enfouissant ma tête entre mes mains.— Je ne peux pas, pleurnichai-je.Il resta immobile pendant quelques secondes, puis se glissa à mes côtés pour me prendre dans ses

bras. Dans sa vitesse d’exécution, j’eus peur qu’il n’insiste encore, mais mon regard effrayé futrapidement apaisé par ses paroles :

— Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser.Pour une fois, il n’essaya pas de me tripoter pendant que je vidais mes réserves de larmes sur son

épaule. Si je n’eus été aussi triste, je crois même que je lui en aurais été reconnaissante.

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L’avenir

Je ne sais plus combien de temps je pleurai contre John, mais une fois calmée, il me relâchadoucement et essuya ma joue humide avec le bout de ses doigts :

— Je n’aime pas te voir comme ça, admit-il tout bas.— Moi non plus.J’étais plus ironique que sérieuse, mais que pouvais-je y faire ? Je me sentais impuissante dans

ma propre vie. Devant sa moue réprobatrice, j’ajoutai, surtout pour tenter de le rassurer :— J’ai besoin d’un peu de temps, c’est tout.Ce fut long avant qu’il ne réagisse. Peut-être analysait-il ma réponse. Après tout, c’était le genre

de chose qu’il faisait constamment. Enfin, une autre question surgit, mais son visage, lui, n’affichaitaucune joie :

— Tu l’aimes donc tant que ça ? Simon ?Je haussai les épaules, mais mes lèvres se pincèrent pour éviter de me remettre à pleurer, ce dont

j’avais toujours envie quand je me remémorais ce que j’avais perdu. Incapable de le masquer pluslongtemps, je hochai la tête et me dépêchai de prononcer, la voix brouillée par mes larmes :

— C’est bête d’avoir attendu de le perdre pour m’en rendre compte, hein ?— Si ça peut te rassurer… il m’est arrivé quelque chose d’assez similaire, il y a un peu plus d’un

an… Sa voix tenta d’être légère, mais elle sonna faux. Comme tout le reste, d’ailleurs. Aussi étrange

que cela puisse paraître, je me sentis coupable des sentiments qu’il éprouvait à mon égard. Ou alorsje l’étais de ceux que je ne ressentais pas. Qui sait ? En espérant que l’un d’entre nous s’en sorteindemne et aussi, un peu pour flatter son égo, je dis :

— Si j’avais vingt-cinq ans, possible que ton offre m’aurait tentée…— L’âge n’a rien à voir là-dedans, Annabelle, siffla-t-il. La preuve : Lena est plus vieille que toi

et elle crève d’envie que je lui fasse la même offre.— Oui, ça, je m’en doute, rigolai-je. D’ailleurs, vous feriez un mignon petit couple, tous les deux.Il me jeta un regard sombre, puis glissa de l’autre côté du canapé, récupéra son verre de vin qu’il

vida d’un trait. De toute évidence, mon refus de baiser avec lui l’avait secoué. Ou alors c’était l’idéede se retrouver en couple avec Lena. Pour ma part, tout ça ne me touchait pas le moins du monde.J’en étais la première étonnée, d’ailleurs. À croire que mon corps était mort avec Simon. Quelleironie ! J’avais envie de John lorsque j’étais en couple et maintenant que je ne l’étais plus… jen’arrivais pas à retrouver le moindre sentiment à son endroit. Finalement, j’étais loin d’appréciercette liberté que m’apportait ma rupture avec Simon. Le comble, c’était que je ne m’étais jamaissentie plus libre qu’en lui appartenant. Même maintenant, alors que son corps m’était inaccessible, jeme sentais liée à lui. Combien de temps cela me prendrait-il pour m’en remettre ? Une éternité si je

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me basais sur le temps que cela m’avait pris pour me guérir de John…Le bruit du verre qu’il reposa sur la table basse me ramena à la réalité, puis il tourna la tête vers

moi :— Explique-moi au moins ce qu’il a que je n’ai pas ! Je t’ai fait à manger, j’ai mis des bougies…

j’ai sorti le grand jeu pour toi, il me semble…— L’amour n’est pas un jeu, John.— C’est une façon de parler, évidemment ! Est-ce que je ne t’offre pas davantage que lui ? La

liberté ? Le contrôle de ton corps ? Des tas d’orgasmes aussi !Je haussai les épaules, prononçai la seule réponse qui me vint en tête :— Je ne suis pas amoureuse de toi.— Mais tu l’as déjà été. Pourquoi ça ne pourrait plus arriver ?Je pouffai de rire, même si, quelque part, un chagrin immense me ravageait de l’intérieur :— John ! Te rends-tu compte que ce que tu m’offres, c’est du vent ? Ce n’est absolument pas ce

que j’ai envie de vivre !— Mais… alors qu’est-ce que tu veux ? Dis-le !— Je veux… une vie normale ! dis-je comme si cela tenait de l’évidence. Un homme amoureux

de moi, à qui je pourrais jurer fidélité et… je ne sais pas, moi ! Fonder une famille, tiens !Ma main valsait dans tous les sens en parlant, puis je redevins immobile lorsque son visage se

rembrunit :— Des enfants ? Tu ne m’as jamais parlé de ça !— Pourquoi je t’aurais parlé de ça ? Ce n’est pas avec toi que j’imagine cet avenir, qu’est-ce que

tu crois ?— Oui, bien… je m’en doute, dit-il en fronçant les sourcils.Pendant une fraction de seconde, je crus qu’il me regardait comme si j’étais une autre personne.

Quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Enfin ! Que de temps avant qu’il ne comprenne que j’étais trèsdifférente de la femme qu’il voyait en moi !

— Je ne pensais pas ça de toi, finit-il par admettre.— John ! Quand tu m’as connue, j’étais fiancée avec Steven ! J’étais loin d’être une garce !— Mais ne t’ai-je pas montré que l’amour allait bien au-delà de toutes ces conventions ? Qui se

marie encore, de nos jours ?— C’est ainsi que j’ai envie d’appartenir à un homme, pas en me laissant battre par lui ! C’est

une vision plus romantique de la chose…Il grimaça, presque dégoûté par mes paroles. Un peu moqueuse, je me sentis forcée d’avouer :— Il est vrai que j’y ai cru, moi aussi, que ça pouvait marcher comme ça avec toi. Pendant un

temps, du moins. Et peut-être que si je n’avais pas revu Simon…— Tu peux arrêter d’en parler, deux secondes ? me coupa-t-il sèchement.Son ton me fit grincer des dents et je jetai aussitôt :

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— Non, je ne peux pas John. Je ne peux pas, parce que je ne pense qu’à lui, voilà la vérité !Quand tu me touchais, ce sont ses mains que je voulais sentir sur mon corps et pas les tiennes !

Quand son regard se fit triste, je cessai de parler. Je n’étais pas certaine que j’aurais pu accepterque Simon me parle de son amour pour une autre femme, alors je trouvais cruel de faire subir lemême sort à John. Je retrouvai mon calme avant d’ajouter, un peu embêtée de devoir l’admettre :

— Avec Simon, j’ai l’impression… que tout est possible.— Tout est possible avec moi aussi ! Enfin… presque, rectifia-t-il très vite.— Tu ne comprends pas. Simon voit le meilleur de moi. Il me pousse à être meilleure aussi.

Alors que toi…— Aimer le sexe ne fait pas de toi quelqu’un de terrible, Annabelle.— C’est vrai, concédai-je, mais je n’aime pas la femme que je suis avec toi.— Tu n’aimes pas être vilaine ?— Non.— Allons donc ! Tu étais magnifique quand tu t’es offerte à ces deux hommes !— Oui et quand je me regarde dans le miroir, c’est une garce que je vois.— Parce que tu ne l’assumes pas, c’est tout ! Donne-toi un peu de temps pour…— Non, John. Ce n’est pas une question de temps, c’est une question d’identité. On a tous des

côtés sombres, mais ça ne veut pas dire qu’il faille les laisser prendre le dessus sur le reste. Ce n’estpas le genre de vie que je veux pour moi. Ni le genre de personne que je veux être. Ce qu’il faut,c’est… pouvoir être soi-même avec une autre personne. Même le côté vilain.

Il fit une drôle de moue, triste, puis il soupira :— Je ne pensais pas que tu l’aimais tant que ça.— Oui, bien… si je l’avais compris avant…Je laissai ma phrase en suspens. Cela signifiait que je ne serais jamais tombée dans le piège de

John, ni vécu ce week-end étrange avec lui. À quoi bon revenir en arrière ? Je ne pouvais plus rien ychanger, désormais. Comme s’il cherchait à tempérer mes paroles, il reprit :

— Ça ne sert à rien de t’en vouloir. Notre histoire n’était pas réglée, Annabelle. Tu ne peux pasconstruire une relation sérieuse en traînant ce genre de regrets.

— Oui bien… je ne te dis pas le nombre de regrets que j’ai, maintenant, admis-je un peusèchement.

Il haussa les épaules et afficha une moue qu’il espérait sûrement plus joyeuse :— N’empêche, l’avenir que je t’offre est bien plus excitant qu’une vie bien rangée avec un

morveux sur les bras !Je grimaçai :— Sans façon ! Je n’ai aucune envie de me faire baiser par tout le monde ou de voir l’homme que

j’aime se faire sucer par une pute. Même quand j’étais ta soumise, je détestais ça !— Même avec Laure ?

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— Hum… non, pas avec Laure, dus-je avouer. Quoique, je ne te mentirai pas, au début, j’en étaisdrôlement jalouse.

— C’est normal, rigola-t-il. J’étais moi-même furieux quand mon mentor a exigé une fellation deta part. Enfin… tu as dû le lire dans mon cahier…

— Euh… je ne l’ai pas lu, non, admis-je en lui jetant un regard trouble.— Ah ? Bien… ce n’est pas grave.Il tapota ses genoux. Jamais je ne l’avais vu aussi nerveux. Assez pour que je me sente obligée

d’ajouter :— Je ne l’ai pas jeté. Je l’ai juste… mis dans un tiroir.— Ce n’est pas grave, répéta-t-il.Il se leva, frotta ses vêtements, comme pour en enlever des plis que je ne voyais pas, puis il me

lança un dernier regard, visiblement intrigué par notre récente discussion :— Mariage et enfants ? C’est vraiment ça que tu veux ?Je haussai les épaules :— Disons que c’est ce que j’espérais avec Simon. On verra bien ce que le prochain m’inspirera.Ma réponse sembla lui plaire, car il demanda aussitôt :— Et ça ne peut pas être moi ? Parce que… je peux attendre ?— Oh, ça, je sais ! Heureusement, tu n’es pas du genre fidèle, ça m’évitera de me faire du souci

pour toi !— On a tous nos limites, tu sais !Son rire s’estompa et comme je ne me levai pas, du coup, il fut obligé de se pencher pour

m’embrasser sur la joue. Je restai immobile. Ce contact amical ne me déplut pas. Je forçai même mabouche à esquisser un sourire en guise de remerciements.

— Bien, je vais te laisser à tes lamentations d’amoureuse abandonnée en proie au désespoir, semoqua-t-il en se redressant à la verticale.

Il s’éloigna et, avant qu’il n’atteigne ma porte, les mots sortirent de ma bouche sans que je netente de les retenir :

— Merci John.Au lieu de me répondre, il me fit un geste de la main, mais j’insistai :— Pas seulement d’être passé ce soir, mais… pour m’avoir fait passer ce test.Il s’arrêta une fois que sa main fut sur la poignée et se tourna vers moi :— Oh, m’est avis que tu aurais été bien plus réceptive dans deux ou trois semaines, mais que

veux-tu ? On ne peut pas gagner à tous les coups.— Si je me cherche un amant, promis, je te téléphone.Même si ma phrase me donna envie de rire, je cédai à la bonne humeur lorsque je vis ses grands

yeux ravis :

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— Mais j’y compte bien !Il ouvrit la porte, fit un pas hors de mon appartement, puis se ravisa de nouveau :— C’est bien ton anniversaire, la semaine prochaine ?Je soupirai et eus du mal à répondre de façon joyeuse :— Il paraît.— Je peux t’inviter à sortir ?Devant mon air sceptique, il s’empressa d’ajouter :— Je promets d’être sage. J’inviterai même Lena.Comme je ne répondis pas, il ajouta :— Annabelle, tu ne vas pas rester seule, ce soir-là ! Quoique ça tombe un mercredi… si on disait

plutôt vendredi ? Je paie le champagne !Je haussai les épaules. Je n’avais rien à fêter et si je restais là, j’allais probablement vider une

bouteille de vin et m’écrouler sur le canapé.— Je risque de ne pas être de bonne compagnie, admis-je, hésitante.— Je me charge de l’ambiance. Se saouler est toujours plus agréable en groupe. Et bien meilleur

avec du champagne, évidemment.Un rire résonna et je cédai à sa proposition sans trop de mal :— D’accord, mais uniquement si Lena y est.Il se pencha légèrement vers l’avant :— Vos désirs sont des ordres, mademoiselle…L’instant d’après, il avait disparu. Je devais vraiment être à côté de la plaque : je refusais mon

corps à John, je n’avais même pas envie de sexe et j’allais fêter mon trentième anniversaire aveccelui que je considérais comme mon pire ennemi, il n’y a pas si longtemps…

Décidément, les choses changeaient dans ma vie…

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Trente ans

Le jour de mes trente ans, je reçus un petit mot de John par courriel, quelque chose de simple, quivoulait surtout me rappeler notre soirée de vendredi. Comme si mon agenda était chargé au pointd’oublier un détail pareil ! Malgré tout, j’étais contente que quelqu’un pense à moi. Pas exactement lapersonne que j’espérais, mais Simon n’avait jamais été le genre à envoyer des messagesélectroniques.

Lena m’invita pour le repas du midi, parla sans arrêt, me répéta combien elle se réjouissait quenous fêtions, à trois, mon anniversaire, vendredi prochain. Elle ne savait pas ce qu’il avait prévu,mais depuis qu’il l’avait emmenée au bar de Maître Denis, elle ne pensait qu’à y retourner.Personnellement, j’espérais qu’il avait prévu autre chose. Hors de question que je le suive là-bas !

Alors que je revenais à mon bureau, on me livra des fleurs. Des tulipes jaunes. Mon cœur se mit àbattre jusqu’à ce que je déchiffre la carte : « Une petite pensée pour toi, pour que la journée teparaisse plus ensoleillée. À vendredi. John ». Même si je fus touchée par son attention, le soupir queje laissai filtrer fut lourd de tristesse.

Je marchais en direction de chez moi lorsque mon téléphone vibra dans le fond de ma poche et jeretins ma respiration lorsque le numéro de Simon s’inscrivit sur mon écran.

— Salut, dis-je en essayant de masquer la joie que son appel me procurait.— Salut. Je te dérange ?— Non. Je rentrais.— Ah. Tu rentres tôt, je pensais… que t’allais fêter un peu. Après tout, c’est un grand jour pour

toi…— Oh euh… bof.— Rien de prévu ?— Ce soir ? Non. Mais la fête est prévue pour vendredi.Pendant un moment, il ne dit rien et je crus qu’il allait me proposer quelque chose, puis je

compris qu’il s’adressait à quelqu’un à côté de lui.— T’es occupé on dirait, lâchai-je, un peu déçue qu’il ne m’accorde pas plus d’attention.— Pardon, c’est que… je suis au resto. Pas que ce soit très occupé, mais Kevin n’a pas pu venir

travailler, alors… on est un peu à court de personnel.Devant la longueur de ses silences et de mes attentes qui effritaient peu à peu mes espoirs, je

tranchai :— Bien… c’est gentil d’avoir appelé.— Si j’avais su que tu n’avais rien de prévu… et si je n’avais pas été coincé au resto, je t’aurais

invité à prendre un café… avec un gâteau et une bougie, évidemment.L’idée de passer un petit moment en sa compagnie me plut et alors que je songeai à lui proposer

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de passer après le travail, il coupa court à la discussion :— Bon, faut que j’y aille, mais je voulais quand même te souhaiter un bon anniversaire.— Merci.— À bientôt, Anna, porte-toi bien.Il raccrocha sans me laisser le temps de le saluer à mon tour. Si je n’étais pas en pleine rue, je

crois que je me serais laissée tomber sur le sol pour chialer un bon coup. À bien y réfléchir, je croisque j’aurais préféré qu’il évite ce coup de fil. Moi qui pensais que je ne pouvais pas être plusdéprimée qu’avant son appel…

* * *Lena arriva la première, chez moi. Elle portait la robe que John m’avait offerte et je la

complimentai en devant admettre que la tenue lui allait presque mieux qu’à moi. Lorsque John nousrejoignit, il me gratifia d’un clin d’œil complice en remarquant le vêtement que portait sa cavalière.À tour de rôle, il nous embrassa sur la joue. Quand ce fut mon tour, je dis, à voix basse :

— Merci pour les fleurs. Elles m’ont vraiment fait plaisir.— Tant mieux.Il recula d’un pas pour jauger mon accoutrement, puis fit danser son doigt dans les airs :— Les cheveux défaits. C’est plus joli.Sans même songer à protester, je retirai ma pince et acceptai son bras. Alors que je montais à

bord de sa voiture, il rigola :— J’espère que tu es prête à vivre la soirée de ta vie !Je pouffai à mon tour :— La soirée de ma vie ? Juste ça ? Quel prétentieux tu fais, John !— On en reparle demain, si tu veux !Assise derrière, je regrettai de ne pas avoir posé davantage de questions sur l’endroit où il

comptait m’emmener, mais je n’eus pas longtemps à attendre bien longtemps. Dès que la voiture sestationna, je jetai un regard sombre vers John :

— Je ne vais pas là-dedans !Il se tourna sur le siège conducteur pour mieux me voir et semblait tout à fait à l’aise avec ma

réaction. Évidemment, il s’y attendait !— Tu ne seras pas obligée de participer.— J’ai dit non ! Bon sang, John ! Tu essaies encore de me tendre un piège ?— Tu ne peux pas m’en vouloir d’essayer !Il n’arrêta pas de rire, à croire qu’il avait bu avant de venir nous chercher. Je refusai de sortir de

la voiture pendant que Lena trépignait d’impatience. Tout ce à quoi je songeais, c’était que j’auraisdû m’y attendre, que j’étais bien idiote, car je savais que je ne pouvais décidément pas faireconfiance à John Berger !

— Annabelle, une bouteille de champagne. C’est tout ce que je te demande. Après quoi, si tu tiens

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vraiment à t’en aller, je te raccompagnerai.— Ah non ! Je veux aller dans les salles arrière ! protesta Lena.— Tu n’auras qu’à y aller. Je reviendrai te chercher, répondit John, comme si cela n’avait rien de

bien compliqué.Voyant que je restais immobile sur la banquette arrière de sa voiture, il s’accroupit devant moi :— Amour, tu veux bien descendre de là ?— Je ne peux pas, dis-je simplement. Je crois que je vais prendre un taxi et rentrer.— Qu’est-ce que tu racontes ? C’est ton anniversaire ! On va jouer à un jeu, d’accord ?Je le fusillai du regard avant même qu’il ne poursuive son récit :— Pas question ! Je ne veux pas jouer avec toi !— Mais écoute au moins le jeu que je te propose ! Tu fais semblant d’être ma soumise et je te

refuse à tout le monde. Dans cette robe, il y aura file pour avoir droit à tes faveurs. Même si personnene pourra te toucher, tu verras qu’à trente ans, tu es toujours incroyablement désirable.

— Il a raison, acquiesça Lena, même moi, je te baiserais dans cette robe !J’essayai de retenir mon fou rire, mais ma bouche se tordit quand même et je fis mine de

l’engueuler :— Je ne couche pas avec ma patronne !— Tu parles ! Je t’en filerais des complexes ! rétorqua-t-elle.John leva une main pour la faire taire :— À ta place, je ferais attention à ce que je dis. Annabelle pourrait certainement te montrer

quelques petites choses…Il bonifia ses paroles d’un autre clin d’œil à mon intention et même si j’ignorais de quelles

choses il parlait, son compliment me flatta. Enfin, il ajouta, histoire de me convaincre :— J’ai invité Laure. Je me suis dit que ça te ferait plaisir qu’elle vienne.Mon hésitation cessa et j’acceptai enfin la main qu’il me tendit, en précisant toutefois, un peu sur

la défensive :— Si tu me forces à faire quoi que ce soit… ou si je sens que tu essaies de me piéger…— Du calme ! rigola-t-il. Je ne vais pas te sauter dessus !Il claqua la fesse de Lena qui sursauta de surprise :— J’aurai déjà fort à faire avec cette demoiselle. Remarque, tu me connais, il y en aura toujours

pour toi.Sans aucune gêne, il sortit un cachet bleu de la poche de son veston avant de le porter à ses

lèvres. Encore ? Devant son geste, Lena roula les yeux vers le haut avant de se mettre à rire comme sielle était saoule :

— Bordel qu’on va s’amuser ! Qu’est-ce que j’adore cet endroit !Mes gestes étaient un peu raides lorsque j’entrai à l’intérieur et John posa une main derrière mon

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dos pendant que je donnais mon sac à l’accueil. Il me guida vers la pénombre et se pencha vers monoreille pour murmurer :

— Même si je paie le champagne, je te défends de te saouler en cet endroit, c’est bien compris ?Je confirmai par un léger signe de tête, consciente que la perte, même temporaire de mes facultés,

risquait de m’entraîner quelque part où je ne voulais certainement pas être. Mon air inquiet le fitrire :

— Détends-toi, Annabelle. N’oublie pas que c’est ton anniversaire ! Je peux déjà te promettreque tu passeras une très bonne soirée…

À dire vrai, c’était exactement ce qui m’inquiétait…

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Le piège

Aussi peu probable que cela puisse être, j’oubliai complètement l’endroit où je me trouvai dèsl’instant où Laure apparut devant moi. Malgré sa tenue indécente, elle me sauta au cou et remerciaJohn au moins trois fois de l’avoir invitée à cette petite soirée. Au loin, sur une table voisine, jeremarquai des mains qui se levèrent pour me saluer : Maître Paul, Dame Sylvie, leurs soubrettes etd’autres personnes que je ne connaissais pas. Je répondis à leurs gestes en hochant la tête tandis queJohn me sourit :

— Je me suis dit que tu apprécierais davantage s’ils restaient loin de toi.— Euh… oui, confirmai-je.Lorsque Laure me relâcha, sa main me tira sur une banquette et je me retrouvai coincée entre John

et elle. Lena récupéra une chaise devant nous, entre notre table et celle des Maîtres. De touteévidence, à la vitesse avec laquelle elle fraternisa avec eux, elle les connaissait déjà.

— Surprise, chuchota John au creux de mon oreille.Je lui jetai un regard incertain :— Surprise ou piège ?— Qui sait ? se moqua-t-il en appelant le serveur à qui il commanda deux bouteilles de

champagne.Quelque chose me dérangeait dans cette devinette, mais Laure n’arrêtait pas de répéter à quel

point elle était contente de me voir, que la soirée allait être bien plus intéressante avec moi dans lesparages. Encore une fois, je tournai un visage sombre du côté de John qui haussa le ton pour ramenerla jeune fille à l’ordre :

— Laure, dois-je te rappeler qu’Annabelle n’est pas obligée de participer ?— Avec tout le monde ici présent ? Ce serait un crime ! dit-elle en feignant un air révolté.Elle cogna son épaule contre la mienne :— Tu sais, le premier pas est toujours le plus difficile. Si tu veux, je t’aide ! On va se faire une

soirée d’enfer pour ton anniversaire !À la seconde où John poussa un verre dans sa direction et qu’elle le porta à sa bouche, je n’eus

pas besoin de voir l’air réprobateur qu’il lui fit pour comprendre qu’elle venait d’être grondée ensilence. Il suffisait de voir la vitesse avec laquelle elle le reposa sur la table en affichant un airdésolé. La mise en garde de John me revint en mémoire : ne pas trop boire, ne pas perdre tous mesmoyens. Surtout… rester calme.

Une fois tout le monde servi, John leva son verre en mon honneur et non seulement notre table,mais également celle des Maîtres. De leur côté, tout le monde imita son geste.

— À Annabelle, puissent tous ses vœux se réaliser ce soir.Je fus la dernière à trinquer avec les autres, mais autour de moi, les rires fusaient et la bonne

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humeur semblait au rendez-vous. Mes lèvres touchèrent à peine le breuvage qu’il venait de me serviret pourtant, je crevais d’envie de vider mon verre en quatrième vitesse. J’étais partagée sur la raisonpour laquelle John m’avait emmenée ici. Espérait-il que je craque ? Que je me donne en spectacle ?Dans tous les cas, il avait emmené un sacré public !

— Je ne suis pas sûre… d’apprécier, lui avouai-je tout bas.— D’ici deux ou trois heures, tu changeras d’avis.Ses mots étaient confiants et son visage d’autant plus. C’était assurément le Maître qui parlait et

je me surpris à me demander si l’homme, derrière cette façade, se disait la même chose.— Alors ma mignonne, cria Paul pour couvrir le bruit ambiant, qu’est-ce que tu deviens ?— Maître Paul, vous savez parfaitement ce que cette jeune femme devient, l’interrompit John.— Il est vrai que la question qui m’intéresse serait plutôt… qu’a-t-elle l’intention de devenir ?Ma main serra plus fermement mon verre avant que je ne lui réponde, sans crainte :— Certainement rien qui ne vous concerne, mon cher.Il éclata de rire et je ne pus m’empêcher de faire la même chose. De toute évidence, il avait fait

exprès pour me provoquer et j’avais tenu le choc. J’allais probablement en voir de toutes lescouleurs, ce soir, mais je me sentais étrangement sereine. Pourtant, je n’avais rien bu. Était-ce parceque, pour une fois, je n’avais aucune crainte de déplaire à mon Maître ?

— Nous avons vu ton petit ami, il y a… quoi ? Deux semaines ? demanda-t-il en direction deDame Sylvie.

Elle hocha la tête :— Il est toujours aussi mignon.— Et qu’est-ce qu’il a de bonnes mains ! confirma Laure.— Ah oui, c’est une belle prise, celui-là, soutint Dame Sylvie.Je serrai les dents sans relever leurs remarques. Oui, Simon était assurément une jolie prise, mais

ce n’était plus la mienne. Je n’osai pas leur répondre, surtout par peur de me mettre à chialer devanteux. Valait-il mieux leur annoncer que je n’étais plus avec Simon ou les laisser croire l’inverse ?Dans ce cas précis, ils me ficheraient peut-être la paix ?

— À quelle heure va-t-il nous rejoindre ? me questionna Maître Paul.Pendant que ma respiration se bloqua, John prit la parole :— Probablement un peu plus tard.Mes yeux se braquèrent sur John. Quoi ? Simon ? Ici ? Je le questionnai du regard et il se laissa

désirer en buvant lentement son verre de champagne.— C’est une blague ? finis-je par demander.— Qui sait ? plaisanta-t-il sans tourner la tête vers moi.Je le frappai sur la cuisse pour obtenir son attention :— John !— Je l’ai invité, évidemment, annonça-t-il, comme si cela était tout à fait normal. C’est ton

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anniversaire, tout le monde est là, alors… je trouvais plus juste qu’il se joigne à nous.Mes doigts, toujours sur sa cuisse, formèrent une serre sur son pantalon et je paniquai

légèrement :— Mais… et s’il venait ?— Oh, mais j’espère bien qu’il viendra ! rigola-t-il. Si tu savais ce que je lui ai dit pour ça !Encore une fois, il attendit que je le supplie avant de poursuivre son histoire. Je n’arrêtais pas de

le frapper sous la table, ce qui, au lieu de l’énerver, paraissait l’amuser. Par contre, lorsqu’il repritla parole, ses doigts se posèrent sur les miens et son visage, maintenant dans ma direction, redevintsérieux :

— Ne t’ai-je pas dit que si tu voulais vraiment ce garçon, je te le rendrais ? Après tout, c’est dema faute si tu l’as perdu.

— Mais… mais… tu ne peux pas…Réalisant que je bafouillais comme une imbécile, je me raclai la gorge et me repris :— Tu dis ça… comme si c’était facile.— Bien sûr que c’est facile, confirma-t-il. Et après ce que je lui ai dit, tu peux me croire, il va

accourir dans ce bar pour te ramener par la peau du cou. Si tant est qu’il ait une once de bon sens, cedont je doute vu qu’il t’a laissé filer !

Soudain, j’eus peur de ce que sous-entendaient ses mots :— Merde John, qu’est-ce que tu lui as dit ?— Que tu étais chaste depuis près d’un mois et que je me réjouissais à l’avance des bêtises que tu

ferais dans cet endroit plein de grands méchants loups.Pour ajouter à l’aspect dramatique de ses paroles, il claqua des dents à quelques reprises avant

de reprendre son verre de champagne. Je l’imitai. Ma gorge était sèche et le breuvage me rassuralégèrement. Simon allait croire que j’étais… quoi ? En danger ? Il allait surgir pour me sauver detous ces loups ? Soudain, mon cœur se mit à battre si fort dans ma poitrine que cela en étaitassourdissant.

Avant de céder à l’espoir, la peur m’étrangla de nouveau et John dut le remarquer, car il insista,sur un ton convaincu :

— Il viendra.J’hésitai avant de demander :— Et sinon ?Son rire résonna et nous étions si proches que cela me fit trembler.— Vois le bon côté des choses, Annabelle. Est-ce qu’il n’y a pas assez d’hommes en cet endroit

pour te satisfaire ?D’une main, il caressa le rebord de son veston et me servit un sourire charmeur :— À commencer par moi, évidemment.Mes yeux plongèrent dans le fond de mon verre et je fis mine de suivre le parcours des bulles qui

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remontaient à la surface. Autrement dit, soit Simon venait pour me récupérer, soit il m’abandonnait àmon sort. Dans cette seconde alternative, John ferait probablement tout pour me reprendre, lui aussi.Déjà, cette perspective ne m’enchantait pas du tout.

— Donc, c’est un piège, finis-je par prononcer.— Il n’y a que des pièges dans la vie, Annabelle. Il faut que tu apprennes à les éviter ou à

apprécier ceux dans lesquels tu te laisses tomber.Je lui jetai un regard sombre :— J’aurais dû me douter que tu préparais un mauvais coup.— Oh, mais j’espère que ce sera un bon coup. Je dirais même… un très bon coup, insista-t-il en

posant des yeux gourmands sur ma personne.Comme si son excitation venait de prendre le dessus, il pivota de l’autre côté, cogna la table,

juste en face de Lena et ordonna :— Je voudrais bien que tu me suces, ma jolie.Elle hésita quelques secondes pendant que Maître Paul se frotta les mains d’envie.— Enfin ! Que les réjouissances commencent ! Allez, ma mignonne, fais donc plaisir à ton

homme !Lena disparut sous la table et j’étais si proche de John que je détournai la tête vers Laure qui riait

aux éclats en fixant derrière moi :— Oh Monsieur, j’espère que vous m’en garderez !— Tu sais qu’il y en aura toujours pour toi, Laure, dit-il sur un ton chaleureux.Contre moi, son corps se détendit et sa voix diminua en intensité, comme un souffle dans mon

cou :— Pour toi aussi, Annabelle.Je déglutis nerveusement. Oui, j’étais tombée dans un piège, coincée sur une banquette, entre John

et Laure. Et cette fois, le manque des dernières semaines se faisait véritablement sentir.— Laure, tu veux bien montrer à Lena ce que j’aime dans une fellation ? Elle est un peu trop

rapide à mon goût.— À vos ordres, Monsieur.Pour un peu, elle en aurait bavé de joie. À son tour, elle disparut et bouscula mes jambes en

essayant de rejoindre Lena sous la table. Je récupérai sa place pour m’éloigner de John, mais sa mainse posa sur mon bras et il me jeta un regard sombre :

— J’espère que tu ne penses pas à t’enfuir…— Euh…Sur le moment, l’idée ne m’avait pas traversée l’esprit, mais maintenant qu’il en parlait…— Je ne t’oblige à rien, sauf à rester jusqu’à ce que cette bouteille soit vide, me rappela-t-il.Je fixai le contenant et regrettai que tout le monde prenne son temps pour savourer son

champagne. Même moi, je n’osais pas vider mon verre par crainte de perdre tous mes moyens. Avec

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Maître Paul dans les parages, nul doute qu’il se ficherait bien de savoir que l’alcool m’étourdissait etil était hors de question que ses doigts se posent sur moi.

Devant mon air figé, John rigola de nouveau :— Dommage que tu ne puisses rien voir. Je sais à quel point tu aimes mater…— Ça ira, merci.Il se pencha vers moi et j’eus un geste de recul un peu vif, ce qui l’amusa d’autant plus :— Lena a peut-être été une professionnelle, mais tu peux me croire : ses fellations sont loin d’être

à la hauteur des tiennes.Je soutins son regard et réprimai un rire, autant de fierté que de malice :— Laure est un très bon professeur.— Oh, mais la matière de base n’était pas mal non plus.Sa main chercha à caresser ma joue et ses yeux se fermèrent quelques secondes, dans un soupir

qui n’avait rien de désagréable. Je ne repoussai pas son geste, ce qui sembla lui faire plaisir. Sonpouce caressa ma lèvre inférieure et juste à la façon dont sa respiration s’emballait, je compris qu’ilallait bientôt perdre la tête. Ses doigts se raidirent sur ma peau et il ouvrit ma bouche avant desouffler :

— Annabelle, je voudrais…Son geste était clair et je ne résistai pas lorsqu’il inséra son pouce entre mes lèvres.

J’accompagnai sa jouissance en le caressant de ma langue et en effectuant de petites succions sur sondoigt. Il serra les dents pour ne pas gémir lorsqu’il éjacula, mais tout son corps se raidit contre moi.Quand il recouvra ses esprits, il retira son pouce et le porta à sa bouche pour le lécher, visiblementravi de ma participation, pourtant maigre, dans son plaisir. Une fois que sa respiration prit un rythmenormal, il me sourit :

— Annabelle, tu es une vraie merveille.Mon cœur se serra sous ses paroles. J’aurais voulu ne pas être charmée par son compliment. Oui,

il m’avait tendu un piège et cette fois, j’avais doublement peur d’y tomber.En deux gorgées, mon verre de champagne fut vidé.

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Encore une offre

Quand Laure réapparut, elle changea de place avec Lena qui, à son tour, vint s’installer à magauche. Sans me regarder ou me demander la permission, elle récupéra mon verre et le cala d’untrait.

— Doucement, ordonna John en s’empressant toutefois de remplir notre coupe.Mon regard vérifiait constamment la bouteille. Combien de verres avant que je puisse ficher le

camp d’ici ? Soudain, je ne me sentais plus aussi à l’aise d’être coincée entre John et elle. Même sielle ne l’affichait pas ouvertement, qu’il se tienne aussi près de moi devait forcément l’agacer. Sanstourner la tête vers nous, elle se mit à se tortiller sur la banquette :

— On va derrière ? J’ai envie de voir du spectacle !— Quelle impatience ! rigola Maître Paul. Je ne vais pas le nier, Maître John, vous nous dégotez

toujours des sacrés numéros !— Je dois avoir un certain flair, acquiesça-t-il en hochant la tête.Lorsque son regard s’attarda sur moi, j’arborai un air sombre et le réprimandai sans attendre, un

doigt tendu dans sa direction :— Je ne suis pas là pour jouer avec toi.— Mais je ne joue pas, se défendit-il en levant innocemment les mains. N’ai-je pas été honnête en

toutes choses ? Je t’ai dit que je t’aimais, je ne t’ai pas forcé la main, l’autre soir, et je t’avais promisde payer le champagne…

Il fit clinquer son ongle sur le goulot de la bouteille, bien que, dans tout ce bruit, personne nel’entendit.

— J’ai même invité Simon à notre petite fête. N’est-ce pas un geste noble ?— Et tes intentions, sont-elles nobles, elles aussi ? le questionnai-je en levant le menton pour lui

faire front.— Elles le sont toujours, Mademoiselle, dit-il en réprimant un rire.Mes doigts se posèrent sur sa joue, obligeant son visage à rester dans ma direction et je fortifiai

mon regard sur lui, agacée de le sentir fuyant dans ses réponses :— John, baisse ton masque et dis-moi la vérité.Mon ton s’était adouci, assez pour qu’il n’y ait que lui qui m’entende. Je ne sais pas pourquoi, je

me doutais que ça ne lui plairait pas d’être rabroué de la sorte devant les autres. Lentement, sa mainse posa sur la mienne pour la caresser, puis son sourire fondit sur le champ :

— La vérité, Annabelle, c’est que si ton idiot de cuisinier ne débarque pas très bientôt, j’estimequ’il ne te mérite pas. Et s’il est assez stupide pour faire la même erreur que moi, je n’ai pas lamoindre intention de le plaindre. Suis-je bien clair ?

— Euh… oui, dus-je admettre.

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— Dans ce cas de figure précis, je ne te cache pas le désir que j’ai que tu acceptes l’offre que jet’ai faite…

Gênée qu’il insiste à nouveau sur la question, je repris ma main et secouai la tête :— John, je te l’ai déjà dit : je ne t’aime pas. Et je t’ai déjà expliqué que cette vie-là ne

m’intéressait pas.— Peut-être que je ne t’offre pas la petite vie rangée dont tu rêves, mais en attendant que le

prince charmant frappe à ta porte, il faut bien que quelqu’un comble tes besoins primaires !Je pouffai de rire en voyant très exactement à quels besoins primaires il faisait allusion, mais il

insista encore :— Allons, Amour, mon offre est alléchante, tu ne peux pas dire l’inverse…Je raffermis mon regard sur lui en forçant un peu la note pour paraître autoritaire :— Arrête de m’appeler Amour.— Va pour le mot, puisqu’il t’embête. Qu’en est-il de mon offre ? renchérit-il aussitôt.— Elle ne m’intéresse pas.Je fus prompte à répondre, assez pour qu’il plisse les yeux. Je venais de le toucher et qu’il se

montre aussi désarmé devant moi me toucha. C’est peut-être la raison pour laquelle je me repris,avec une voix plus douce :

— Écoute, si j’avais envie de me faire baiser et que je voulais être certaine de ne pas rater moncoup… pour sûr, c’est à toi que je téléphonerais, mais…

Devant la durée de mon hésitation, il termina, avec un air triste :— Mais tu n’es pas prête.— Je ne suis pas prête, répétai-je en hochant la tête. Cela dit, j’apprécie ton offre. Et tout ce que

tu as fait pour moi, ces derniers temps.Il fronça les sourcils, et je compris qu’il était légèrement choqué par mes paroles :— Annabelle, je ne veux pas de ta pitié !J’éclatai d’un rire franc :— De la pitié ? Toi ? Tu es tout sauf à plaindre, John !— Crois-tu ?— Oh oui, confirmai-je en hochant vigoureusement la tête. Déjà, ce soir, tu vas te taper Lena,

Laure et possiblement Dame Sylvie, plus ces deux soubrettes. Et peut-être même une fille ou deuxderrière ce rideau noir.

Je retins un rire avant de le toiser d’un regard moqueur :— Tout compte fait, je comprends mieux pourquoi t’as besoin de ces cachets bleus.— Il y a tellement de femmes à satisfaire, n’est-ce pas ?Il afficha un air faussement blasé qui se transforma rapidement en fou rire. Quand il redevint

sérieux, il se pencha vers moi pour me chuchoter à l’oreille :

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— Tu sais que je refuserais toutes ces femmes si tu t’offrais à moi, n’est-ce pas ?Je masquai mon rire sous une main avant de le narguer sans aucun remord :— Peut-être ce soir, mais combien de temps avant que tu aies besoin d’une autre femme pour

satisfaire tes envies de petit dépravé ?Il fit mine de réfléchir avant de répondre, avec le même ton dont j’usais :— Pas longtemps, probablement.— C’est bien ce qu’il me semblait…Il plaqua un baiser rapide sur mon front et pendant une fraction de seconde, je crus déceler en lui

quelque chose qui ressemblait à de l’amitié, mais le temps que je le questionne à ce sujet que Lena, àma gauche, soupira d’ennui :

— Bon, on peut y aller, maintenant ? On ne peut pas boire, on ne peut pas jouer…— Si tu veux jouer, ma jolie, proposa aussitôt Maître Paul en posant une main sur son entrejambe,

j’ai de quoi te satisfaire…— Non merci, railla-t-elle, j’ai déjà donné. Là, j’ai envie de jouir. D’une partouze, tiens ! Je suis

sûre que plein de gens là-bas attendent des renforts !Dame Sylvie se mit à rire, la main fourrée sous la jupe de sa soubrette :— Dis donc, elle a un sacré caractère, celle-là.John caressa subtilement mon genou :— Oui. À croire que je les aime comme ça…Je chassai sa main en le ramenant à l’ordre d’un simple regard et il rangea sa main baladeuse.

Sans reporter son attention sur moi, il glissa hors de la banquette :— Lena a raison, allons nous amuser un peu.— Enfin ! s’écria-t-elle en se jetant sur le sol.Une fois debout, John se tourna vers moi et m’offrit la main pour que je l’accompagne dans les

salles arrière. Très vite, je me braquai :— Euh… non merci, refusai-je en essayant de rester calme.— Annabelle, me gronda-t-il, tu ne vas quand même pas rester ici, toute seule ?— Pourquoi pas ?En voyant tout le monde se lever, je compris que je commettais peut-être une erreur en refusant de

les suivre. Et pourtant, je ne voulais pas retourner là-bas. J’étais persuadée que John me tendait unpiège et j’essayais, malgré l’angoisse qui grimpait doucement en moi, de vérifier si je me sentaissuffisamment d’attaque pour l’y accompagner. Je pris une interminable respiration avant de secouerla tête :

— Je vais juste… terminer mon verre. Puis je vais rentrer. Ne t’inquiète pas pour moi, jeprendrai un taxi.

Il afficha un air déçu et tenta encore de me convaincre alors que la plupart des autresdisparaissaient derrière l’épais rideau noir.

Page 376: Annabelle 2 - ekladata.comekladata.com/htDga-n8sRHHYTaRAAc4iubBnoA/Annabelle... · — Annabelle Pasquier, répondis-je d’une voix terne. — Bonjour mademoiselle Pasquier, je m’appelle

— Si tu restes ici, sais-tu combien d’hommes viendront te proposer leurs services ? Une joliefemme seule, sans protection… c’est vraiment ça que tu veux ?

Malgré la peur et le dégoût que ses mots m’inspiraient, je croisai les bras et ne bronchai pas :— Je sais me défendre, John. Je leur dirai non et c’est tout.— Tu pourrais aussi dire oui, se moqua-t-il.Mon air s’assombrit davantage et, nullement embêté par ma réaction, il insista encore :— Tu es sûre ? C’est ma dernière offre, Annabelle…— J’ai dit non, tranchai-je fermement.Son doigt se posa sous mon menton, releva un peu plus ma tête vers lui et son sourire se

raffermit :— Avec ce regard-là, je plaindrais quiconque oserait se mesurer à toi, ma douce.Il se pencha plus avant vers moi :— Pour le principe, je dirais quand même à Maître Denis de garder un œil sur toi.Enfin rassurée, j’osai le remercier d’un sourire :— C’est gentil.Il recula d’un pas et me pointa d’un doigt moqueur :— Ne te méprends pas, jeune fille : je vais quand même espérer que tu te décides à venir nous

rejoindre…Laure apparut derrière lui et, voyant que j’étais toujours sur la banquette, me fit signe de me

dépêcher :— Qu’est-ce que tu fais ? Viens !— Laure, laisse Annabelle. Elle est assez grande pour savoir ce dont elle a envie.Il envoya un clin d’œil dans ma direction et je lui fus étrangement reconnaissante de prendre mon

parti. Pourtant, lorsqu’il disparut derrière le rideau et que la foule présente me redevint réelle, j’eusune légère hésitation. Peut-être aurais-je dû les suivre, ne serait-ce que pour ne pas me retrouverparmi tous ces étrangers ?

D’une main, je pris mon verre que je calai d’un trait et même si Lena en avait bu la majorité etque j’avais soif, je ne me risquai pas à me resservir. Autant disparaître pendant que personne nepouvait me voir. Me glissant hors de la banquette, je fus bloquée à la sortie par un corps imposant.

— Tu partais ?Je frémis en reconnaissant la voix de Simon et relevai les yeux vers lui, à la fois surprise et

intriguée de le voir là. Quelle réaction me fallait-il avoir ? Devais-je paraître gênée qu’il me trouveici ? Heureuse de le voir ? Était-il venu me sauver des loups, comme me l’avait sous-entendu John ?À tout hasard, je me risquai à sourire. Bon sang qu’il était beau ! J’avais envie de me lever et de letirer dans une salle arrière pour lui faire sa fête, mais me remémorant sa question, je bafouillai :

— Euh… oui, je… je m’en allais.— Où sont les autres ?

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Son ton n’était ni joyeux ni triste, un peu sec cependant, mais peut-être était-ce dû au fait qu’ildevait hausser le ton pour se faire entendre par-dessus tout ce bruit ? D’un signe de tête, je désignailes salles arrière.

À sa droite, un homme se planta et me dévisagea avec un large sourire :— Mademoiselle, puis-je… ?— Madame, le contredit Simon avant qu’il ne puisse terminer sa phrase.— Bien, euh… Madame, reprit-il en jetant un regard troublé en direction de son adversaire, puis-

je vous offrir une virée dans les salles de derrière ?Avant que Simon ne tourne les yeux vers moi pour vérifier ma réponse, qu’elle sortit sans

attendre :— Je suis flattée de votre offre, cher Monsieur, mais… non.Un peu pantois, il repartit. Pour la seconde fois, je fis un geste pour me relever, mais le corps de

Simon me bloquait toujours le passage. Au lieu de s’écarter pour me laisser le champ libre, sa mainse tendit devant moi :

— Et avec moi ? Cette virée, elle t’intéresse ?Je restai surprise de son offre. Peut-être même un peu choquée. Simon ne me demandait pas de

quitter les lieux, ne venait visiblement pas me sauver de tous ces loups, mais me proposait dem’emmener exactement là où je refusais d’aller ? Je le détaillai du regard. Il affichait un drôle desourire. Anxieux ? Malgré mes craintes et mon hésitation, je savais qu’il était hors de question que jerefuse son offre. Cette fois, je ne referais pas la même erreur. S’il fallait que je baise tout un bataillonpour retrouver le corps de Simon, j’entendais bien accepter le défi qu’il m’imposait. Il n’avait qu’àdemander, je savais déjà que je me plierais à chacune de ses exigences.

Retrouvant mon air déterminé, j’acceptai sa main et le laissai m’entraîner derrière le rideau noir.

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Le spectacle

Ma main dans celle de Simon semblait avoir le pouvoir de me couper de tout ce qui n’était paslui. J’étais dans une bulle : la sienne. Tous les autres n’existaient plus. Je le suivis pendant qu’il sefaufilait parmi des gens attroupés devant une pièce ou une autre, contournant les corps sans jamais lesvoir. Jamais je ne relevai la tête. J’aurais aussi bien pu porter un collier de chienne tellement j’étaisdéterminée à le suivre jusqu’en enfer, les yeux fermés, prête à subir tout et n’importe quoi, si tant estque cela m’offre une seconde chance avec lui. Ma main était moite, elle glissait dans la sienne, maisil fortifia sa prise pour la retenir.

Quand il me relâcha, je daignai relever les yeux, inquiète de ce contact perdu, mais ses doigtseurent vite faits d’atterrir sur ma taille. Il me poussa vers l’intérieur d’une pièce. Tout à faitsemblable aux autres : un lit, un mur avec des chaînes, une chaise et un petit panier rempli depréservatifs. La pièce était vide. Ou presque, puisque nous y étions. Lorsqu’il cessa d’exercer unepression dans mon dos, je m’arrêtai aussi brusquement que si mes gestes étaient dictés en fonctiondes siens.

Je ne tournai pas la tête pour observer le bruit que je perçus, mais je n’eus aucun mal àcomprendre que des gens se massaient derrière nous. Des chaises bougeaient. On prenait place enfonction du spectacle qui allait bientôt débuter. Un spectacle durant lequel Simon et moi serions lesacteurs. Et qui d’autre encore ? Quand il me contourna pour se planter devant moi, je tentai, tant bienque mal, de retenir la peur qui m’animait.

D’une main, il me montra les attaches au mur en me questionnant du regard. J’eus la sensationqu’il attendait ma permission. Ne comprenait-il pas qu’il pouvait tout exiger de ma personne ? Sansattendre, je me déplaçai là où il me voulait, levai les bras pour qu’il m’attache à ce mur et je fusheureuse lorsqu’il descendit les chaînes pour éviter que je me balance, comme cela avait été le cas, ily a fort longtemps. Une fois les menottes autour de mes poignets, il afficha un air ravi. Ma docilité luisuffisait-elle ? Sa main caressa ma cuisse et il fronça les sourcils lorsqu’il toucha à mon sous-vêtement. Constatant que je n’avais pas songé à le retirer, je bafouillai :

— C’est que… je ne savais pas où j’allais.D’un coup sec, il arracha le bout de tissu qui pinça ma peau en se déchirant. Je sursautai. Un

sourire discret apparut sur sa bouche, visiblement heureux de ma réaction, puis il fourra ce qu’ilrestait du vêtement dans la poche de son veston. Devant le bruit qui augmentait vers l’accueil, j’eusl’impression qu’on se bousculait pour observer la scène, mais je me refusai de quitter Simon desyeux pendant que sa main retourna frotter ma cuisse avec force avant d’entreprendre de faufiler sesdoigts en moi. Je fus stupéfaite de l’excitation qui m’animait et cela ne fit qu’empirer lorsqu’il se mità me caresser. Je fermai les yeux, en proie à une vague de chaleur si intense que j’eus peur de perdrela tête avant que cela ne débute. Je frissonnai et mon corps se mit à se tortiller au bout des chaînes.

— Chut. Rien ne presse, chuchota Simon en me plaquant contre le mur pour empêcher mesmouvements involontaires.

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Quand il s’attarda sur mon clitoris, je retins ma respiration pour étouffer un gémissement. Ilfeignit de me disputer du regard, mais je secouai la tête, impuissante :

— Pardon.Ses gestes s’arrêtèrent un moment. Peut-être parce qu’il comprit que mes excuses se référaient à

notre rupture plutôt qu’à mon incapacité à repousser le plaisir qu’il me procurait. Pendant que sesyeux restaient rivés sur moi, j’eus peur de me mettre à pleurer. Surtout quand ses doigts se retirèrentde mon sexe. Je crus qu’il allait me laisser là, attachée et offerte à tous, mais son corps descendit etje sentis qu’il juchait l’une de mes jambes sur son épaule. Le temps que je penche la tête que lasienne s’enfonça entre mes cuisses. Cette langue que j’aimais tant se mit à me lécher avec une tellefureur que je me laissai glisser dans la jouissance sans résister. En un instant, j’oubliai tout ce quin’était pas lui. L’endroit où je me trouvais, les gens qui nous observaient, ces menottes sur lesquellesje prenais parfois un appui trop lourd et qui nuisait à mon plaisir. C’était exquis de m’abandonner àses soins et de songer que c’était Simon qui me prenait ainsi. Si exquis que tous mes senss’enflammèrent en même temps et je sombrai dans un orgasme à la fois rapide et délicieux.

Impossible de savourer un instant de répit. Deux ou trois applaudissements me tirèrent de matorpeur. Ouvrant les yeux, je tombai dans ceux de John. Merde. Pas lui. Je n’avais pas envie qu’ilbrise ce moment parfait. Je détournai la tête, fus heureuse de retrouver le sourire de Simon. Jem’approchai, tentai de l’embrasser, mais il secoua la tête. Mon cœur se serra devant ce refus, mais ilétait déjà en train de défaire les menottes qui me retenaient dans cette position peu confortable. Pourune fois, je ne tombai pas à genoux et je me défendis de frotter mes poignets. Par contre, je medépêchai de faire tomber son veston sur le sol et d’ouvrir sa chemise avant de descendre défaire sabraguette. Ses vêtements, je les connaissais par cœur. Son corps aussi. Quand sa verge fut dans mamain, je la serrai doucement sous mes doigts, partagée par tous les sentiments contradictoires quis’emmêlaient dans ma tête, puis posai sur lui un regard plein d’émotions. Il était là, tout à moi. Aprèscette absence, c’était à la fois irréel et magique. Je ne sais pas s’il comprit à quel point j’étais raviede sentir son érection sous mes doigts, car son sourire m’était soudain devenu aussi incompréhensibleque le gouffre qui s’était ouvert entre nous.

Sa main caressa mes cheveux et même s’il n’effectua aucune pression, je m’agenouillai devantlui. D’un geste, j’obligeai son pantalon et son caleçon à lui descendre aux chevilles, titillai le bout deson gland jusqu’à ce qu’il grogne d’impatience et j’appréciai qu’il n’essaie pas de m’enfoncer saqueue au fond de la gorge. J’avais envie de l’envelopper avec mes lèvres, de faire de longs aller-retour, de toucher chaque parcelle de sa peau durant mes passages. Peut-être y déployais-je trop desoins, car sa verge se gonfla rapidement sur ma langue et son soupir se fit entendre, chantant etlangoureux. Un sentiment de puissance m’envahit et je tentai d’accélérer mes gestes quand sa mainm’arrêta dans ma course :

— Anna… non.C’était une prière plus qu’un ordre, mais je lui obéis sans hésiter. Je reculai la tête, la relevai

vers lui, en attente du moindre désir qu’il aurait à formuler. Il ferma les yeux quelques secondes, tentade retrouver ses esprits avant de les reposer sur moi. Sa main m’aida à me relever. Dans maremontée, je laissai mes mains caresser son corps. Cette peau que je connaissais par cœur et qui

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m’avait tellement manquée, je la touchais, l’embrassais avec une dévotion indescriptible. Impatient,il me poussa vers l’arrière et je fus rapidement plaquée contre le mur. Sa bouche dévora mon cou,mais son corps ne cherchait qu’à dominer le mien. Il remonta ma cuisse et s’enfonça en moi d’uncoup sec, resta un moment, sans me quitter du regard. Mes mains s’agrippèrent à ses épaules. Soncorps était contre le mien. Enfin ! À sa seconde pénétration, j’étais déjà en proie à un délicieuxvertige. Peut-être parce que c’était lui, mon Simon, ou parce que je venais de vivre toutes cessemaines sans sexe. Dire que je nous avais crus perdus à jamais…

— Anna, souffla-t-il contre ma bouche.Sa main tirait sur mon bassin chaque fois que son sexe s’introduisait en moi et à la seconde où il

posa sa bouche sur la mienne, je perdis la tête. Trop vite, encore une fois, incapable de lutter contrele bonheur qu’il me procurait. Je n’en avais d’ailleurs aucune envie. Ses déhanchements cessèrent,puis il rigola contre mes lèvres :

— Déjà ?Je portai une main à mon front et répondis à son rire :— Pardon, je suis…Je ne terminai pas ma phrase, incapable de clarifier ma pensée. Était-ce l’émotion, le manque ou

seulement sa présence, si désirée, qui me comblait de la sorte ? De toute façon, il venait de relâcherma jambe, ce qui me fit perdre l’équilibre, mais personne n’aurait pu le remarquer, car il m’entraînaavec lui sur le sol. Je recouvrai mes esprits, remarquai qu’un homme et deux femmes accaparaienttout le lit, tout près de nous, puis, tout d’un coup, toute la pièce redevint réelle.

— Anna.La voix de Simon, puis la main qu’il posa sur ma joue força mon attention à revenir sur lui. Nous

échangeâmes un regard et, d’un coup, tout le reste s’évanouit de nouveau. Je posai ma bouche sur lasienne. J’avais envie de le retrouver. Pas seulement son corps, mais aussi son cœur. Lorsqu’il relevama robe et tira mon bassin vers le sien, mon corps suivit ses subtiles indications. Je grimpai sur lui,laissai entrer son sexe en moi en accueillant son geste avec un soupir langoureux. Alors que jecommençais à le chevaucher, il accéléra la cadence en ramenant ma croupe de plus en plusrapidement contre lui. Ses baisers étouffaient mes plaintes, puis les siennes se firent entendre. Nousnous aimions devant tout le monde et ce tableau m’excita terriblement. Dès qu’il relâcha ma bouchepour me permettre d’haleter en toute liberté, j’explosai, le corps tendu et arqué vers l’arrière. Sonsexe, qui ne cessait plus de plonger en moi, faisait un bruit terrible. Quand il perdit la tête à son tour,il serra mon corps contre le sien et gémit bruyamment contre ma tête. C’était à la fois adorable etassourdissant. D’autant plus lorsqu’il chercha ma bouche et m’embrassa à m’en faire perdre lesouffle. Enfin libres de nos pulsions, nos regards se retrouvèrent et je sentis une autre vagued’émotion me submerger. Pour essayer de la maîtriser, je détournai la tête et déglutis pour tenter dechasser le désert qui s’installait dans ma bouche. J’avais envie de lui dire que je l’aimais, mais petità petit, les spectateurs redevenaient présents et soudain, j’eus peur de me mettre à pleurer devant tousces gens. À l’idée que Simon s’éloigne de moi, je me sentis redevenir complètement vulnérable.

D’une main il caressa ma cuisse, puis me questionna avec un regard trouble :

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— Tu veux rester là ?Je ne compris pas le sens de sa question. Voulait-il continuer ? Inviter d’autres gens à nous

rejoindre ou parlait-il seulement de moi ? Dans tous les cas, la réponse était la même et je secouai latête :

— Non.Sa bouche s’étira, mais ne forma ni une grimace ni un sourire, on aurait dit qu’il était hésitant sur

l’attitude à adopter face à ma réponse.— Je te raccompagne ? proposa-t-il.— Oui. S’il te plaît.D’un simple regard, je compris que je devais me relever et je replaçai rapidement ma robe qui,

depuis la fin de nos ébats, ne couvrait plus grand-chose de mon corps. Il se rhabilla aussi, ce qui luiprit plus de temps que moi. Alors qu’il remettait sa chemise dans son pantalon, un couple s’avançavers nous et j’eus peur que Simon ne change d’avis. Après tout, ne m’avait-il pas quitté parce quej’avais refusé de coucher avec une femme ? Tout se passa très vite. John apparut dans mon champ devision et arrêta le geste de l’homme en posant une main sur son épaule. Il échangea un regard avecSimon et, sans qu’aucun mot ne soit prononcé, la main de Simon s’accrocha à la mienne et ilm’emmena hors de la pièce.

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Réfléchir

Le trajet du retour fut terriblement silencieux. Hormis pour me demander mon adresse, Simon nedit rien. À croire que j’aurais eu plus de chance avec un chauffeur de taxi pour faire la conversation.Je ne sais pas ce qui me dérangeait le plus dans cette situation, probablement le temps que j’avaispour réfléchir à ce qui venait de se produire, au fait qu’il espérait peut-être que je dise quelquechose, alors que je n’étais pas certaine de la raison pour laquelle Simon m’avait emmenée dans lessalles arrière.

— Tu n’étais pas… obligée de me raccompagner, finis-je par dire. J’aurais pu prendre un taxi.— Ça ne me gêne pas. C’est sur la route.Je serrai les lèvres pour éviter de lui montrer ma déception. Évidemment, il allait me laisser

devant mon immeuble et repartir comme si rien ne s’était produit. Mais à quoi jouait-il ?— Au cas où ça t’intéresse, je n’étais pas en danger, là-bas.Il tourna un drôle de regard dans ma direction. Enfin ! À croire qu’il évitait de poser les yeux sur

moi depuis que nous étions dans la voiture ! Avant qu’il ne me contredise sur le sujet, et plutôt fièred’avoir obtenu plus que trois secondes de son attention, je déclarai, non sans fierté :

— Au moment où tu es arrivé, j’allais partir. En fait, tu m’as bloquée le passage.— Et tu allais où ?— Chez moi, bien sûr ! J’allais prendre un taxi et puis… c’est tout.Il tourna dans ma rue. Merde, déjà ? Mon cœur se serra lorsqu’il changea complètement de sujet,

comme si nous venions de boucler le dernier en liste.— C’est lequel, ton immeuble ?— Euh… le gris, au bout.Sa voiture s’arrêta devant la porte, là où il n’avait pas le droit de se garer. Deuxième indice qu’il

ne songeait pas à s’éterniser ici plus longtemps qu’il n’en fallait. Je défis ma ceinture de sécurité.Autant ficher le camp avant que je ne me mette à pleurer. À la seconde où je posai ma main sur laportière, il reprit :

— Pourquoi tu parlais de danger, un peu plus tôt ?Maintenant, il voulait faire la conversation ? Je me tournai vers lui, intriguée, mais comme il

paraissait sérieux et, de toute évidence, qu’il ignorait de quoi je parlais, je dis :— John m’a dit qu’il t’avait téléphoné. Tu n’étais pas obligé de venir sauver mes fesses. Je sais

me défendre.— Ce n’est pas pour ça que j’y suis allé, dit-il en fronçant les sourcils.Il n’était pas venu me sauver ? Soudain je le toisai du regard, incertaine de comprendre, et une

boule de feu me ravagea la gorge :

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— Alors quoi ? T’es venu pour me baiser ? Au cas où tu ne le saurais pas, t’étais pas obligé depasser par là pour que je m’ouvre les jambes.

J’ouvris la portière, un peu rudement, mais avant que je sorte de la voiture, il m’agrippa par lebras et me ramena sur le siège passager :

— John ne t’a pas dit ?— Dit quoi ?— Ce qu’il voulait, au téléphone ?Très vite, je rassemblai l’information qu’il m’avait donnée, puis je haussai les épaules, un peu

confuse dans mes pensées :— Il a dit que… qu’il t’avait fait peur avec une histoire de méchants loups.— Il m’a fait peur, ça oui ! siffla-t-il. Sais-tu ce qu’il avait prévu de te faire si je n’étais pas

arrivé ?— Rien du tout, répondis-je.— Il a dit que tu étais chaste depuis notre rupture et qu’à chaque jour, il s’approchait un peu plus

de la victoire.Je pouffai de rire, plus ironique que joyeuse :— Quelle victoire ? Celle de pouvoir me baiser ? Il l’a fait des milliers de fois, je te rappelle. Et

d’après ce que j’ai compris de notre dernière discussion, toi, tu n’attendais que ça, que je lui cède !— Mais tu ne l’as pas fait, dit-il en me foudroyant du regard.Je haussai les épaules et sifflai :— Si c’est ce qui t’embête, je peux retourner au bar et régler la question une bonne fois pour

toutes. Qu’est-ce que je m’en fous, au fond. D’ailleurs, toi qui voulais tellement qu’on baise engroupe, je suis surprise que tu te sois uniquement contenté de moi.

— Anna, je n’ai jamais eu besoin des autres.— Oui, bien… tu as quand même décidé que tu n’avais plus besoin de moi, alors je ne vois pas

trop pourquoi t’es venu me chercher si c’est pour qu’on en reste au même point.Sa main me relâcha pour se remettre sur le volant. J’avais oublié qu’elle était encore sur mon

bras. Son absence sur ma peau me laissa une drôle d’impression. Son visage fixa droit devant lui,comme s’il s’apprêtait à repartir, mais avant que je n’essaie de descendre de la voiture, sa voixrésonna de nouveau, un peu rude :

— John m’a dit qu’il te laisserait tranquille si je te baisais devant tout le monde, que c’était sadernière offre et… possiblement… ma dernière chance de pouvoir te récupérer.

J’eus une drôle de réaction, autant j’étais touchée par son aveu, au point de sentir des larmes mepicoter les yeux, autant un rire incontrôlable franchit mes lèvres et ce dernier choqua Simon dont laquestion fusa aussitôt :

— Ça te fait rire ?— Non, enfin… oui. Bon sang, Simon ! Comment as-tu pu croire John ?

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— Il n’est peut-être pas loyal, mais il n’a qu’une parole. S’il dit qu’il te laissera tranquille, il lefera.

— Et tu ne t’es pas demandé pourquoi il te faisait une offre pareille ?Je levai la tête vers le haut et je parlai, comme si le principal intéressé pouvait m’entendre :— Alors là, John, bravo ! Tu as fait fort !— Quoi ? s’impatienta Simon.Mes yeux se reposèrent sur lui :— C’est évident ! Parce qu’il n’a plus aucune emprise sur moi ! Autrement, tu te doutes bien qu’il

ne m’aurait pas lâchée aussi facilement !Je me remis à rire, à la fois légère et heureuse, puis je tentai de retrouver mon calme avant de

chuchoter, une pointe d’émotion au fond de la voix :— Ça n’empêche pas que je suis contente que tu sois venu…— Dans quel sens ? se moqua-t-il.Je pouffai de rire :— Dans tous les sens, dus-je admettre.Enfin, il se dérida et se mit à rire à son tour. Quand le calme revint dans la voiture, il retrouva

son sérieux :— Quand tu dis qu’il n’a plus d’emprise sur toi, tu veux dire… que tu as été capable de lui

résister ou… ?Je haussai les épaules :— Je n’ai pas eu à le faire, je crois qu’il a senti… que je n’étais pas libre. Ce qui est bizarre

étant donné que, techniquement, je l’étais.Simon me dévisageait. À croire qu’il essayait de soupeser chaque mot qui sortait de ma bouche,

ce qui me gêna un peu, alors j’ajoutai, sur un ton que j’espérais plus léger :— Possible qu’une fille qui pleure et qui pense à un autre ne l’excite pas beaucoup, non plus. Ou

que sa thérapie marche trop bien…Comme je ne savais plus quoi dire et qu’il ne parlait pas non plus, je me demandai s’il était

temps que je prenne congé. Son moteur tournait toujours, signe qu’il comptait repartir. Alors quoi ?Nous avions fait tout ça pour rien ? Les doigts toujours crispés sur le volant, il finit par soupirer :

— John a dit… il a dit que…— Quoi ? m’impatientai-je.— Il a dit qu’il te ferait attacher dans une salle. Qu’il t’obligerait à jouir devant tout le monde si

je ne me présentais pas pour le faire moi-même. Que pour se venger de ma lâcheté, il ferait en sorteque la moitié du bar te passe dessus et que tu ne t’en sortirais pas indemne.

Je levai les yeux au ciel. Décidément, John n’y était pas allé de main morte dans son scénario !— Parce que tu crois que je l’aurais laissé faire ? l’interrompis-je. À ce que je sache, on ne peut

pas violer des gens dans cet endroit ! Maître Denis est très strict sur ce point !

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— Tu crois que c’est à ça que j’ai pensé ? Aux règles ? Non, Annabelle, la seule chose à laquellej’ai réfléchi, c’est à la femme brisée que j’ai rencontrée, il n’y a pas si longtemps. Et je me suis ditque s’il te faisait subir ne serait-ce que la moitié de ce qu’il prévoyait te faire… il allait te briser. Etça, crois-moi, je sais qu’il peut le faire. Je le sais, parce qu’il l’a déjà fait.

Ses mains se tendaient sur le volant. On aurait dit qu’il n’arrivait plus à le relâcher. Trèslentement, je posai mes doigts sur celle qui était de mon côté et je tentai de rester sérieuse :

— C’est toi qui l’as dit, Simon : John n’a de pouvoir sur moi que parce que je lui en donne.Je réprimai un rire avant d’ajouter :— C’est pareil pour toi, on dirait.— Peut-être, confirma-t-il en faisant un signe hésitant de la tête.Quand il daigna reporter son attention sur ma personne, il soupira :— Anna, qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Que je te laisse te débrouiller seule ?— Je crois que j’y serais arrivée sans trop de mal, mais je ne vais pas te mentir : je suis contente

que tu te sois dévoué pour venir me sauver, admis-je.Il arbora une moue triste :— J’aurais préféré te sauver d’un réel danger.— Qui sait ? Peut-être que John avait réellement l’intention de mettre sa menace à exécution ?

l’encourageai-je, sans vraiment y croire.Retrouvant un air sombre, il me toisa du regard pour me ramener à l’ordre :— Je n’aime pas quand tu le sous-estimes de la sorte.— Oh, mais je ne le sous-estime pas, lui assurai-je. Bien au contraire ! Quand je pense qu’il a

tout manigancé pour nous jeter dans les bras l’un de l’autre. Ça me paraît incroyable !Devant la pensée que cette idée m’inspirait, je me sentis obligée de la divulguer à voix haute :— Je ne pensais pas qu’il m’aimait autant.— Parce que tu crois que c’est l’amour qui le motive ?Un peu contrariée du ton avec lequel il me posa la question, je restai prudente dans ma réponse :— Tu n’es pas obligé de le croire, mais je crois qu’il y a de ça.Je passai sous silence l’offre de John de me ramener Simon. Même sans que j’aie à le lui

demander et malgré ses sentiments pour moi. Je crois qu’il avait voulu m’offrir le seul cadeaud’anniversaire qui me rendrait heureuse. N’était-ce pas suffisant pour croire que, sous son apparencede Maître intransigeant, John était un homme de cœur ?

— De toute façon, ajoutai-je en retrouvant un rire, nos visions de l’avenir ne concordaient pastout à fait, lui et moi.

— C’est-à-dire ?— Bien… quand il a su que j’avais des envies tout à fait banales, du genre me marier et avoir des

enfants, j’ai cru qu’il allait disparaître dans un nuage de fumée.— Tu… tu lui as vraiment parlé de ça ? me questionna-t-il, surpris.

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— Bien… oui, après tout, il me proposait une vision du couple qui ne m’allait pas. Si j’avaisvingt-deux, vingt-cinq ou même vingt-huit ans, tiens, je ne dis pas. Peut-être que son offre m’auraittentée, mais là… je ne sais pas. Remarque, si j’étais amoureuse de lui, aussi, la question ne seposerait pas en ces termes, mais… aujourd’hui, ce n’est pas du tout l’avenir que j’envisage.

— Et tu envisages quoi, exactement ?Je haussai les épaules. Essayait-il de vérifier si nos visions de l’avenir concordaient ? Et si

Simon m’offrait la même chose que John ? Ma réponse aurait-elle été la même ?— Je ne sais pas trop, finis-je par répondre. Probablement une relation qui m’attire vers la

lumière plutôt que la noirceur.Il inspira, puis retint sa respiration en suspens pendant quelques secondes avant de la libérer

bruyamment.— C’est… relativement clair, finit-il par dire.— Oui. Je crois aussi.Comme le silence se réinstalla entre nous, j’osai prendre les devants :— Et là… si je t’invitais à monter… ça te dirait ?Alors que son regard fixait un point imaginaire au loin, il le ramena vers moi :— Je ne sais pas. Je crois que j’ai besoin de réfléchir à tout ça.— Ah, euh… oui. Bien sûr.Je réprimai mon envie de grimacer, mais je ne masquai pas la déception que me procura sa

réponse. Qu’est-ce qui clochait ? Ma vision de l’avenir ? Je ne pouvais pas croire que nous étionsrevenus à la case départ. Il était venu me sauver, m’avait ramenée chez moi et nous avions mêmediscuté comme si les choses étaient sur le point de s’arranger entre nous. Et puis hop ! Soudain, j’eusla sensation que rien n’avait changé.

— Bien, bonne nuit, arrivai-je à formuler avant de descendre de la voiture.— Anna ?Le cœur rempli d’espoir, je m’accroupis pour le voir et il pointa mon immeuble du regard :— Tu permets que je te demande… à quel appartement tu es ?— Le sept.— D’accord. Merci. Bonne nuit.C’est tout ? Légèrement contrariée, je refermai la porte en la faisant claquer avec force et marchai

en serrant mon sac à main contre ma poitrine. J’étais furieuse. Ou triste. Ou les deux. J’avaisl’impression d’avoir laissé passer ma chance ou d’avoir raté mon entretien d’embauche. Malgré monhumeur maussade, j’essayai de voir le bon côté des choses. Il restait peut-être de l’espoir. Il fallaitqu’il réfléchisse. D’accord. Mais combien de temps ? N’en avions-nous pas perdu suffisamment ?

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Toute réflexion faite

Un peu déçue du déroulement de ma soirée, je décidai d’en finir avec la bouteille de vin quej’avais entamée avant de partir avec John et Lena. À peine posai-je un verre vide sur mon comptoirque l’on frappa à ma porte. Quoi ? Simon ? Déjà ? Mon cœur bondit dans ma poitrine et je meprécipitai à l’entrée. Je restai figée lorsque Simon m’apparut, une expression confuse inscrite sur sonvisage :

— Finalement… j’ai bien réfléchi et…Il s’avança vers moi et, d’une main, me ramena brusquement contre lui. Sans terminer sa phrase,

sa bouche se posa sur la mienne. Il garda les yeux ouverts, comme s’il vérifiait que j’étais d’accordavec son geste. Je me jetai à son cou en espérant que ma réponse lui convienne, me retrouvai très vitedans ses bras à reculer vers l’intérieur de mon propre appartement. D’un coup de pied, il fit claquerla porte derrière lui. Entre deux baisers, il fit le détail des lieux et fronça les sourcils :

— T’as pas de chambre ?— C’est un… euh… un canapé-lit, dis-je en désignant le meuble du regard.— Décidément ! Tu ne me facilites pas la tâche ! dit-il en laissant un rire filtrer.D’un geste rapide, il fit glisser ma robe par-dessus ma tête, la jeta au loin, s’empêtra un peu dans

les agrafes de mon soutien-gorge. J’étais aussi empressée que lui et je dus me calmer pour ne pas luiarracher ces satanés boutons de chemise que je n’arrivais plus à défaire tellement mes doigtstremblaient. À peine son sexe fut-il à l’air libre que je me risquai à vouloir me jeter à ses pieds,quand il contra mon geste :

— Non, je veux… je veux plus que ça.Je ne compris pas tout de suite sa demande, mais il dansa sur place pour se débarrasser de son

pantalon, toujours coincé le long de ses chevilles, puis me poussa jusqu’au canapé où il se laissatomber le premier avant de me faire signe de m’installer sur lui.

— T’aurais pu prendre un appart avec un lit ! railla-t-il, visiblement troublé par le seul meubledisponible pour accueillir nos ébats.

— Je ne m’attendais pas à ta visite.Une fois bien empalée sur lui, je fermai les yeux. Il aurait pu m’engueuler pour n’importe quoi,

c’est à peine si je percevais autre chose que le bruit de nos sexes qui s’aimaient. Je le chevauchaisdoucement, heureuse de sentir sa peau contre la mienne et ses mains sur mes hanches quiaccompagnaient mon déhanchement.

— Il n’est pas trop mal, ton canapé, tout compte fait, souffla-t-il en glissant ses doigts dans mescheveux pour ramener ma bouche sur la sienne.

Son baiser était tendre et j’aimais sentir ses plaintes sur ma langue. J’étais à fleur de peau,sensible, émotive, à tel point que j’avais du mal à garder la tête froide. Sans doute parce que Simon

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semblait déterminé à me faire perdre la tête en quatrième vitesse. Lorsque le premier cri résonnacontre ses lèvres, il tenta de me basculer dos sur le meuble, mais dans sa précipitation, nous nousretrouvâmes par terre, à rigoler comme des idiots. De toute façon, le meuble était loin d’êtreconfortable et trop court pour nous accueillir ensemble, dans cette position.

Je m’abandonnai à son corps. J’aimais les sons qu’il faisait jaillir de moi. J’avais envie que nousnous fondions l’un dans l’autre, que nos retrouvailles soient parfaites. Mon corps chercha àl’envelopper. Mes jambes et mes bras se nouèrent autour de lui tandis que sa bouche dévora mon couet chuchota mon nom à répétition. Jamais je ne l’avais autant aimé, mais en cet instant précis, j’auraisété incapable de le lui avouer sans me mettre à pleurer. De toute façon, mon corps lui parlait d’amourbien mieux que n’importe quelle déclaration que j’aurais pu lui faire.

Sur le point de me perdre dans le néant, il se retira pour me sodomiser. Son geste fut à la foisdoux et lent, mais me soutira une plainte interminable.

— Qu’est-ce que tu m’as manqué, dit-il en m’observant, ainsi offerte à ses désirs.— Toi aussi, murmurai-je, haletante, en cognant ses fesses pour qu’il reprenne ses coups de

boutoir.Il laissait la pression grimper dans mon corps, ralentissait pour me laisser le temps de reprendre

mon souffle, recommençait. C’était à devenir folle. Assez pour que je finisse par le supplier :— Non, n’arrête pas, n’arrête pas !J’essayais de contrer ses gestes en me tortillant sous lui, mais il remonta mes bras au-dessus de

ma tête et les retint prisonniers en arborant un sourire heureux :— Tu es magnifique.— Je le serais bien plus après l’orgasme, dis-je en espérant que cela suffise pour faire en sorte

qu’il cesse de me tenir ainsi en haleine.— Je sais, mais j’ai envie de prolonger ce moment.Revenant en moi, je me cambrai tant bien que mal en gémissant pour l’accueillir, grognai

lorsqu’il s’arrêta une nouvelle fois :— Simon, tu vas me rendre folle !— J’attends.— Quoi ?— Je ne sais pas. Que tu me dises que tu m’aimes, par exemple.Je me débattis sous son corps jusqu’à ce qu’il libère mes poignets, puis je pris son visage entre

mes mains, étrangement émue par sa requête.— Tu sais que je t’aime, dis-je simplement.— Peut-être que j’ai besoin de l’entendre ?Je posai ma bouche sur la sienne et lui offris un baiser empreint d’une infinie tendresse :— Je t’aime. Et j’ai besoin de toi.Il émit un soupir de satisfaction qu’il écrasa contre mes lèvres. Mon petit baiser ne lui avait pas

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suffi. Il en voulait plus. Je profitai de la liberté de mes mains pour le repousser, si fort qu’il eut uneréaction de surprise en se retrouvant mis à l’écart de la sorte. Je revins m’asseoir sur lui,réintroduisis son sexe dans mon anus avant de me raisonner pour rester immobile, puis, aux dépensd’une envie de jouir que je laissai de côté, je plongeai mes yeux dans les siens :

— Je t’aime Simon. Tu peux me demander n’importe quoi. Je te jure que je ne ferai pas la mêmeerreur deux fois.

Son sourire s’étira :— Moi non plus.Une fois sa promesse évoquée, il reprit ses déhanchements sous moi. Je ne résistai pas,

accompagnai ses mouvements en me balançant doucement. Ses mains suivaient mes gestes,m’enveloppaient, me cambraient, puis me ramenaient contre lui. Mes yeux se fermèrent, en proie à unplaisir langoureux qui, très vite, devint incontrôlable. Je me mis à gémir de plus en plus fort et,comme il ne cessa de poursuivre nos ébats, je chutai dans un orgasme lourdement attendu. Je neréalisai qu’à mon retour à la réalité que je n’étais pas la seule à y avoir cédé.

Encore à bout de souffle, je sentis sa main sous mon menton et de son geste, je compris qu’ilcherchait la rencontre de nos yeux :

— Tu ne sais pas à quel point tout ça m’a manqué.— À moi aussi.Ses bras se refermèrent autour de moi, formèrent un étau protecteur si confortable dans lequel je

me reposai, puis il défit un peu notre étreinte pour m’embrasser avec fougue. Enfin, il trouva le reposà son tour, sa bouche contre mon cou, qui laissait un souffle chaud parcourir ma peau. Au bout d’unlong silence, il murmura :

— Anna, j’ai cru devenir fou… Je retins ma respiration, troublée par son aveu autant que par le tremblement discret de son corps.

J’embrassai le bout de sa tête qui m’était accessible et reniflai pour essayer de contenir mes larmes.Au bout d’une minute, il soupira avant de chasser l’émotion qui l’habitait pour un sujet plus léger :

— Pitié, dis-moi que t’as un bain dans cet appartement !— Hum… une douche. Ça te va quand même ?Il écarquilla les yeux sur moi :— On y rentre à deux dans ta douche, au moins ?— On peut essayer.Devant mon air incertain, il éclata de rire, puis me claqua une fesse pour que je me lève :— D’accord. Va pour la douche.

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Chez nous

Je m’éveillai lorsque le corps de Simon quitta mon lit, parce que le meuble grinça et qu’il faisaitjour dans mon appartement. Je n’osai pas me tourner, mais par le bruit, je le suivais dans l’espacerestreint qui me servait d’appartement. Il entreprit de faire du café, soupira en ouvrant mon frigo,probablement déçu du peu qui s’y trouvait. La plupart du temps, je mangeais au travail et je mecontentais souvent de terminer la journée avec un plat congelé. Quand je me retournai vers lui, il posades yeux sombres sur moi :

— Ton frigo est vide.— Je sais.— Je n’ai même pas de quoi te faire une omelette ! Bon sang, Anna, t’es restée presque un an

avec un cuisinier, je ne peux pas croire que tu ne manges pas mieux que ça !Je feignis d’arborer un air triste, me redressai sur le lit avant de hausser les épaules :— Au moins, j’ai du café.— Ouais bien… à part des toasts et de la confiture, je ne peux pas te faire grand-chose, soupira-t-

il, visiblement consterné par ce fait.— Ça me va.Il me jeta un regard réprobateur qui ne diminua en rien la joie que je ressentais. Simon était là,

dans mon appartement. Nu.Alors que le café coulait, il s’accouda sur mon minuscule comptoir. Dans ma cuisine, il semblait

à l’étroit, mais loin de moi l’idée de m’en plaindre ! Sa présence prenait, de toute façon, toute laplace dans mon esprit.

— Bon, alors, commença-t-il, quels sont tes plans ?— Mes plans ? répétai-je, un peu surprise par sa question.— Cet appart, tu l’as loué pour combien de temps ?— Ah, euh… au mois. C’est en attendant de trouver mieux.Il soupira de soulagement et je m’empressai d’ajouter :— Et si l’état de mon frigo te déprime autant, j’irai faire des courses dès cet après-midi.— Ah non. Hors de question que je cuisine dans ça ! Tu vas me faire le plaisir de ramasser tes

affaires et de tout rapatrier chez moi !Sa main valsait dans toutes les directions quand ses mots fusèrent, pendant que je le dévisageai,

un peu sous le choc. Devant ma réaction, il fronça les sourcils :— Quoi ? Tu veux rester ici ?— Euh… c’est que… on n’a pas vraiment parlé de se remettre ensemble, articulai-je avec

difficulté.

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Laissant en plan les deux tasses vides qui n’attendaient que le café, il revint se planter devantmoi, complètement nu, ce qui ne m’aidait en rien à garder la tête froide devant la discussion qu’ilamorçait.

— Il faut qu’on en parle ? demanda-t-il.— Bien… je pense que oui. Je veux dire… pas que je ne veux pas retourner chez toi…— Chez nous, rectifia-t-il.J’eus du mal à retenir mon sourire devant ses mots, si doux à mon oreille, puis il s’accroupit

devant moi, l’air contrarié :— Qu’est-ce que je dois comprendre ? Que tu as besoin de temps pour y réfléchir ?— Non. Enfin… je ne sais pas. Peut-être que tu devrais y penser un peu plus longtemps ? Ce n’est

pas parce qu’on a passé la nuit ensemble que… ou parce que j’habite dans un appartement minusculequ’il faut obligatoirement se remettre ensemble.

Son visage se durcit :— Tu ne veux pas revenir ?Mes mains se posèrent autour de son cou et je tentai, tant bien que mal, de résumer les pensées,

alors que son corps nu brouillait mon esprit :— Tout ce que j’essaie de dire, c’est que je ne veux pas que tu prennes cette décision à la légère.

Je peux attendre, Simon. Et, en fait, je préfère attendre et que tu sois sûr que c’est bien ce que tu veuxplutôt que… plutôt que de croire que tout est réglé entre nous. Et de te perdre encore. Parce que…vraiment… je ne suis pas sûr de pouvoir revivre ça.

Il pinça les lèvres devant les larmes qui m’obstruaient la vue et enrouaient ma voix. Je croismême qu’il avait du mal à ne pas m’imiter, car malgré le sourire qu’il essayait d’afficher, sa voixtremblait, elle aussi :

— Annabelle, si je n’étais pas certain de mon choix, je ne serais jamais venu frapper à ta porte,hier soir. Maintenant, c’est trop tard. Et je n’ai pas l’intention de te perdre à nouveau, compris ?

J’essuyai mon visage du revers de la main, tentai de conserver mon calme, mais j’avais justeenvie de me jeter à son cou et de chasser mes doutes à coup de pieds aux fesses. Et pourtant,j’insistai :

— Vraiment, Simon… tu ne trouves pas que c’est rapide ? Parce qu’on n’a pas vraiment reparléde tout ça.

— De quoi exactement ?— Du fait qu’on se soit séparés, par exemple. Pour être honnête, je ne suis pas sûre d’avoir

compris tout ce qui s’est passé.Lorsque son visage se défit, je m’empressai d’ajouter :— Je ne te fais aucun reproche, c’est juste que… quand tu m’as pardonné ce que j’ai fait avec

John, tu m’as dit que tu n’allais jamais me quitter ! Et puis… sous prétexte que je ne voulais pascoucher avec cette fille…

— Ça n’a rien à voir !

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Je l’arrêtai et fis mine d’effacer les mots que je venais de prononcer pour reprendre :— Je sais, tu t’es dit que si je le faisais pour John, je le ferais aussi pour toi…— En partie, admit-il en retrouvant un air renfrogné.— Le problème, c’est que je me fiche que John couche avec d’autres filles, parce que je ne suis

pas amoureuse de lui. Alors que toi…— Je te rappelle que c’est toi qui m’as dit de baiser ailleurs ! se défendit-il.— Oui, mais… je ne pensais pas que tu voudrais le faire devant moi ! Et je n’avais pas prévu que

je serais jalouse !Son visage s’égaya subtilement :— Merde Anna, pourquoi tu n’as rien dit ?— Parce qu’après ce que j’avais fait, je ne m’en sentais pas le droit ! Sans parler que tu l’as

emmenée chez nous ! Dans notre chambre !— Au prix qu’elle me coûtait, tu crois que j’avais envie de lui payer l’hôtel, en plus ?Je pinçai les lèvres en imaginant le coût de cette fille. Surtout pour un bien peu consommé…

Malgré toute la volonté que j’avais à vouloir garder mon sérieux, mon rire filtra quand même.— Parce que tu trouves ça drôle ?Au lieu de m’engueuler, il me fit chuter sur lui et entreprit de me chatouiller. Je le laissai faire et

rigolai en force, tellement heureuse que notre conversation ne se soit pas transformée en dispute,comme je le craignais. Une fois étalée sur le sol, dans ses bras, il reprit, aussi curieux qu’essoufflé,quoiqu’une note de fierté teinta le son de sa voix :

— T’étais vraiment jalouse ?— Tu parles ! Quand je l’ai vue te toucher… je lui aurais crevé les yeux !Il eut un rire ravi et je pris appui sur un coude pour le surplomber en tentant de retrouver un ton

posé, même si je sentais que mon visage perdait légèrement de sa gaieté :— Si tu veux qu’on recommence… ne serait-ce que pour t’assurer que je suis capable de te

donner ce que je donnais à John… c’est OK. Je le ferai. Et cette fois, je promets de ne pasm’enfuir…

Ses bras se refermèrent sur moi et m’attirèrent vers lui. Longuement, je l’entendis humer l’odeurde mes cheveux.

— Anna, chuchota-t-il, je ne veux aucune autre femme. Je n’aurais pas dû te laisser partir… et jen’en avais pas la moindre envie ! Seulement… je ne voulais pas que tu me choisisses par dépit. Oupar pitié.

Je le repoussai pour lui faire face :— Es-tu complètement fou ? Tu crois que je ne sais pas la chance que j’ai d’être aimée par toi ?— Oui, mais je ne m’attendais pas à ce que John t’offre son cœur. Après ce que vous aviez vécu,

je me suis dit que… je ne sais pas, exactement… que tu avais peut-être envie de tenter ta chance aveclui ? Peut-être que tu te sentais coincée avec moi ?

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S’il continuait, il allait me faire exploser le cœur et je déglutis pour essayer de ravaler les larmesqui ne cessaient plus de remontrer :

— La vérité, Simon, c’est que je n’ai jamais été aussi malheureuse que ces dernières semaines.— Crois-moi, tu n’es pas la seule ! Je t’ai imaginé avec John au moins un million de fois !Je laissai tomber ma tête dans le creux de son épaule et j’étouffai un rire :— Au fond, c’était peut-être une bonne chose qu’on se sépare. Autrement, John n’aurait jamais

compris à quel point je t’aimais. Il croyait qu’une fois que je serais libre, j’allais lui tomber dans lesbras, mais en fait…

Devant mon hésitation, il fronça les sourcils et me secoua doucement pour que je continue :— Quoi ?— Bien… je crois que… qu’avec tout ça… on est devenus amis.Le regard de Simon se troubla et c’est lui qui se redressa partiellement pour me scruter :— Amis ? répéta-t-il sur un ton d’effroi.— Oui. C’est bizarre, mais je crois que ça résume bien ce qu’est devenue notre relation.Après un regard que je ne compris pas, il secoua la tête :— Je ne veux pas que tu sois amie avec lui !— Oh, mais je n’en ai pas envie non plus, rigolai-je, mais je suis quand même contente d’en être

arrivée à ce constat. Et sans vouloir te contrarier, si John n’était pas intervenu…— Je ne veux pas entendre ça, bougonna-t-il.— Quoi ? C’est la vérité ! Sans cet appel, tu ne serais jamais revenu pour moi !Il grinça des dents avant de soupirer d’exaspération, mais malgré ce qu’il lui en coûtait de

l’admettre, il fut bon joueur :— D’accord. Peut-être qu’il y est un peu pour quelque chose, concéda-t-il enfin.Je le tirai jusqu’à ce qu’il revienne dans mes bras :— Il m’a offert le plus beau cadeau d’anniversaire que je pouvais espérer…Son soupir me parut interminable, mais son regard s’illumina néanmoins :— J’ai aussi un cadeau pour toi et j’espère bien qu’il pourra battre le sien !— Alors là, désolée, mais tu n’as aucune chance ! Mais je veux bien savoir ce que c’est !— Je ne te le donnerai certainement pas dans cet appartement ! refusa-t-il. Si tu veux ton cadeau,

alors tu remballes tes affaires et tu rentres à la maison. Là on pourra fêter. Avec de la vraienourriture, par exemple.

Ses yeux s’agrandirent et m’envoyèrent une sorte de reproche dont je me fichai éperdument. Je meserrai contre lui en laissant jaillir toute la joie qui m’animait devant sa proposition.

— Ça y est, t’as gagné. Ça, c’est le plus beau cadeau que tu pouvais me faire…— Je ne t’ai encore rien donné !— Retrouver notre vie d’avant, c’est tout ce que je désire…

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Sa main caressa mes cheveux et il soupira lourdement :— Moi aussi.Avant de me mettre à pleurer, je me redressai :— T’es sûr que tu ne veux pas y réfléchir un peu ?— Anna ! Si je rentre encore une fois chez nous et que tu n’es pas là, je te ramène de force, est-ce

que je me suis bien fait comprendre ?— Oui, confirmai-je.Avant que je ne puisse revenir contre lui, il se leva et ses fesses s’éloignèrent de moi :— Qu’est-ce que tu fais ?— On mange et je te ramène à la maison.Je bondis sur mes jambes, le cœur et le corps léger. Il suffisait d’un ordre de Simon pour me

retrouver au paradis. En encore, je n’étais même pas revenue chez nous !

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Le cadeau de John

Simon était parti au travail et je profitai de ma solitude pour ranger mes affaires là où ellesétaient avant. C’était étrange de revenir ici. Même après un mois, rien n’avait changé. Mes tiroirsétaient vides, l’espace que j’utilisais dans la salle de bain, la pharmacie ou la bibliothèquem’attendaient toujours. Et j’étais heureuse de les combler à nouveau.

Étendue sur le lit et me gavant de l’odeur de Simon, je tirai mon sac à main vers moi lorsque montéléphone résonna. Au moment où je vis le numéro inscrit que je répondis, d’une voix joyeuse :

— Bonsoir John.— Bonsoir Annabelle. Je suis content d’entendre ta voix. Tu as l’air bien.— Je le suis, confirmai-je sans retenir le rire qui me tenaillait de façon constante depuis ce matin.— Dois-je comprendre que tu as aimé mon cadeau d’anniversaire ? demanda-t-il avec une pointe

de moquerie au fond de la voix.Je me laissai retomber sur le lit avant d’avouer :— Rien n’aurait pu me faire plus plaisir.— Tant mieux. Je présume que Simon a enfin compris son erreur ?— Si tu veux tout savoir, je suis en train de me réinstaller chez lui…— Je suis content, répéta-t-il. Ça fait du bien de t’entendre comme ça.Il laissa passer un silence et je restai là, à fixer le plafond, sans avoir envie de couper court à

notre discussion. De toute évidence, il n’en avait pas envie non plus, alors quand je crus que les non-dits furent suffisamment longs, je dis la seule chose qui me sembla important :

— Merci John. Je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi.— J’y compte bien ! Je ne te dis pas tout le mal que je me suis donné pour y parvenir.Je rigolai encore. S’il avait été là, je crois que je lui aurais sauté au cou tellement je lui étais

reconnaissante de ce qu’il m’avait donné. Le bonheur, quand même, ce n’était pas rien !— Je dis n’importe quoi, se reprit-il au bout d’une hésitation, ça n’a pas été si compliqué que

cela, finalement. Il suffisait simplement que je fasse une offre qu’il ne pouvait pas refuser.— Il m’a dit, oui ! Tu sais qu’il a vraiment cru que t’allais me faire baiser par la moitié des gars

de ce bar ?— Oh, mais il y a deux mois, tu m’en aurais cru capable, toi aussi.Je retins mon rire, mais confirmai quand même :— C’est possible, en effet.Intriguée par le doute qu’il laissait planer, je le questionnai aussitôt :— Tu n’aurais quand même pas osé ?— Hum… si tu me le permets, je préfère te laisser croire l’inverse…

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Il étouffa un rire que je partageai avec lui. Décidément, il me surprenait à chaque instant !— J’ai fait fort, c’est vrai, admit-il encore, mais il fallait bien que je m’assure que Simon vienne

à ta rescousse ! Je lui ai donné exactement ce dont il avait besoin pour se décider.— C’est-à-dire ?— Il a eu peur pour toi. Et il suffisait qu’il sache que je n’interférerais plus dans ta vie. Au fond,

je ne peux pas l’en blâmer : il a envie de t’avoir pour lui tout seul…Devant son aveu, je serrai les dents et un nœud se forma dans le creux de mon ventre. Je venais

seulement de comprendre ce que John avait fait : il s’était éliminé de la compétition pour que Simoncesse d’avoir peur de lui. Pour que nous puissions nous retrouver. Peut-être à cause de la longueur demon silence ou parce que mon rire s’était éteint, il insista :

— Tu me connais, je suis bon joueur, Annabelle. Simon avait besoin d’être rassuré, je l’airassuré. Je lui ai fait croire que je lui faisais un cadeau, mais toi et moi, on sait ce dont il retourne,pas vrai ?

— Je… je crois, oui, dis-je dans un souffle.— J’allais perdre, de toute façon, conclut-il. Si j’étais mauvais joueur, je t’aurais laissée souffrir

pour me venger, mais il faut croire que je t’aime suffisamment pour que ton bonheur passe avant lemien.

Je ne dis rien. Même si son ton sonnait léger, j’eus l’impression qu’il lui en coûtait de me fairecet aveu. Et moi, je ne savais pas quoi dire, alors je répétai :

— Merci.— Ne me remercie pas. Disons que c’est le moins que je puisse faire après m’être conduit

comme un imbécile avec toi. Je sais que je t’en ai fait baver. Je ne suis pas un tendre, en général,seulement… je me suis promis que j’allais te rendre heureuse alors… je crois que j’ai tenu mapromesse. Pas exactement comme je l’espérais, mais… on ne peut pas gagner à tous les coups, pasvrai ?

Un autre silence passa entre nous, puis sa voix retrouva un rire :— C’est drôle, je m’attendais à ce que tu aies une question pour moi.— Une question ? Laquelle ?— Tu ne veux pas savoir pourquoi j’ai exigé que Simon te baise devant tout le monde ?Mon corps se redressa dans le lit et je tendis l’oreille, soudain très intriguée par cette attente.

Dans l’espoir de ne pas paraître trop curieuse, je tentai de détourner la discussion :— Je ne te savais pas si voyeur, John !— Oh ! Si peu ! se moqua-t-il.Comme je n’osai pas insister, il me titilla de nouveau :— Tu veux savoir ou non ?— Euh… oui. Je crois, oui.— Tu ne devines pas ?

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— Non, enfin… je ne sais pas. Tu as déjà vu Simon à l’œuvre, alors… ça m’étonnerait que cesoit pour des fins de comparaison. Non… vraiment… je ne vois pas.

Je m’attendais à l’entendre rire, comme s’il s’agissait d’une blague de sa part, mais il n’en futrien. Son silence s’étira jusqu’à ce que je commence à m’inquiéter :

— John ?— Je voulais… voir ton visage quand tu faisais l’amour. Et j’entends par là… vraiment faire

l’amour, pas comme tu l’as fait avec moi, pour me faire plaisir…Mon cœur se serra et j’eus du mal à retenir mes larmes devant sa déclaration, surtout qu’il

continua sans attendre :— Tu étais vraiment magnifique, Annabelle. Et heureuse. C’est une image que je garderai en

mémoire longtemps.On aurait dit qu’il venait de m’assommer avec une tonne de briques. Tellement que je laissai mon

corps s’étaler sur le lit, comme s’il était désormais trop lourd à soutenir. Soudain, j’étais lasse. Etincroyablement triste.

— Disons que… c’était mon prix de consolation, ajouta-t-il tout bas.J’essuyai une larme qui coula en traître sur ma joue et je dis, en essayant de ne pas laisser

transparaître le chagrin dans ma voix :— John… je ne sais pas quoi dire.— Ne dis rien. Ou redis-moi merci, tiens.— Merci, dis-je très vite. Je suis touchée.— Je sais. Et je suis absolument certain que tu pleures en cachette, en ce moment, feignit-il de se

moquer.Je pouffai dans un mélange inégal de rire et de larmes.— Touché, admis-je.Il soupira au bout du fil et personne ne brisa le silence pendant une bonne minute. Enfin, il rompit

le malaise que je ressentais :— Je vais continuer à voir Lena, alors si jamais on se croise dans un ascenseur ou qu’elle te

parle de moi, sache que cette fois, je n’y serai pour rien.Le rire que je laissai jaillir résonna tristement. Il était forcé aussi, parce que j’étais toujours sans

voix.— Et Laure va probablement redevenir ma soumise, annonça-t-il. Comme tu vois, je renoue avec

mon passé, petit à petit. Tu me connais : je ne suis vraiment pas le genre d’homme à se cantonnerdans une relation monogame !

— Oui, confirmai-je en retrouvant ma bonne humeur.— Et toi, Annabelle, je te défends de gâcher le cadeau que je t’ai fait, compris ?— Promis.— Parfait. Bon… bien… je crois qu’on s’est tout dit.

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Je ravalai mes larmes et j’attendis. Était-ce un adieu ? Non ! Il allait poursuivre sa relation avecLena, j’allais possiblement le voir par hasard, mais… alors que j’avais la sensation d’avoir trouvéun ami, voilà que je le perdais dans un même souffle.

— Allez. Au revoir, Annabelle, trancha-t-il enfin.— Au revoir John.Il fut le premier à raccrocher. Une fois que je l’imitai, je serrai mon téléphone contre ma poitrine.

J’étais troublée. Partagée entre le sacrifice qu’avait fait John et le bonheur qu’il m’apportait.Personne n’avait fait quelque chose d’aussi chevaleresque pour moi. C’était étrange. Après avoir faitde ma vie un enfer, John Berger m’avait fait le cadeau le plus extraordinaire qui soit.

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Définitivement sienne

Je rangeais mes livres dans la bibliothèque lorsque Simon rentra du travail, un sac de nourriture àla main. Avant qu’il ne puisse déposer le tout sur le comptoir, je laissai tout en plan pour venir mejeter à son cou. Ma bouche sur la sienne, j’entrepris de le dévêtir. Son absence m’avait manqué. Jen’avais songé qu’à ça toute la soirée. Sans arrêter mes gestes, il caressa ma joue en posant sur moi unregard ému :

— Qu’est-ce que c’est bon que tu sois là…— C’est bon d’être là, aussi. Et c’est encore mieux quand t’es là.Je fis tomber sa chemise, mais avant que je n’attaque son pantalon, il retint mes poignets avant de

retenir un rire :— Tu me laisses prendre une douche ?— Permission refusée, dis-je en forçant un peu pour recouvrer l’usage de mes gestes.Je léchai son torse en laissant un soupir comblé jaillir de mes lèvres, m’emparai de sa verge

d’une main pendant que l’autre repoussait son vêtement qui m’empêchait de le voir entièrement nu.— Anna… j’en ai pour cinq minutes à la douche… tu peux même venir avec moi !— Plus tard.J’écrasai mon nez sur sa peau, me laissai tomber devant lui et me dépêchai à prendre son sexe

dans ma bouche avant qu’il ne fasse un pas fuyant vers l’arrière. Quand il se décida à rester sage, jem’arrêtai avant de relever la tête vers lui, comme si je tenais à lui expliquer mon empressement :

— J’aime le goût de ta peau quand tu reviens du travail. Et celle de ta sueur, aussi. Bien que jepréfère celle qu’il y a sur ton ventre juste après qu’on a fait l’amour.

Il parut charmé de mon aveu et alors que je reprenais ma fellation, il souffla, le corps tendu :— Tu ne veux pas… manger quelque chose avant que… ?Avant qu’il ne parvienne à terminer sa phrase, je pouffai de rire, sa queue entre mes lèvres.

Encore une fois, je m’arrêtai et relevai les yeux vers lui :— Oh, mais je mange, mon cher monsieur. Ça ne se voit pas ?Il répondit à mon rire et se sentit obligé d’expliquer ses propos :— J’ai apporté… ton repas préféré.— Je vois ça. Et il est délicieux !Nous partageâmes un rire qui n’en finissait plus. Je n’étais pas la seule à avoir envie de rire pour

tout et n’importe quoi. Malgré notre courte nuit et ses traits tirés par la fatigue, il était détendu.Heureux. Le voir ainsi me submergea de bonheur. D’un geste discret, il me fit signe de me redresseret je me retrouvai pendue à son cou. Ses mains cherchèrent à retirer mon peignoir, mais je fis mine dele disputer :

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— Monsieur Hébert, je n’ai pas terminé mon repas.Sa bouche dériva sur mon cou :— J’ai faim, moi aussi.— Moi d’abord.Il m’entraîna vers le salon et je ne résistai pas à le suivre, sachant que notre confort commun n’en

serait que meilleur. Je le poussai sur le canapé, l’obligeai à me laisser faire malgré ses mainsbaladeuses sur mes hanches, me glissai entre ses jambes pour reprendre ma fellation. Malgré seslégères protestations, il eut vite fait de s’abandonner à mes caresses. Son excitation était palpable.Ses halètements résonnèrent vite et en force. À croire que je n’étais pas la seule à avoir attendu cemoment toute la journée. Et plus son souffle s’emballait, plus je le suçais avec application. J’adoraisqu’il soit sous mon contrôle et quand je le sentis prêt à exploser, je retins sa main sur ma tête,caressai ses doigts pendant qu’il se déversait dans ma bouche. Comblé, il laissa son corps sedétendre contre le coussin moelleux.

— J’ai beaucoup de chance, murmura-t-il sans ouvrir les yeux.Je le rejoignis sur le canapé, me serrai contre lui en souriant, heureuse de sentir ses bras autour

de moi. Moi aussi, j’avais de la chance. J’avais encore du mal à croire que nous nous étionsretrouvés.

— Je t’aime, dis-je simplement.— Je t’aime aussi.J’étais incapable d’empêcher ma bouche de sourire, aussi je masquai mon visage en embrassant

son épaule, son torse et son cou. Ma main caressait sa cuisse et son ventre. Je ne me lassais pas de letoucher.

— Tu es drôlement gourmande, ce soir, dit-il en paraissant ravi de ce constat.— Je te rappelle que j’ai été à sec pendant un mois.Il posa un drôle de regard sur moi et, malgré l’hésitation dont il fit preuve, il ne résista pas à

l’envie de me demander :— C’est donc vrai, cette histoire ?— Oui, monsieur, confirmai-je en essayant de ne pas me mettre à rire.Ses sourcils se froncèrent et il me toisa, en plus en plus intrigué :— Mais John… il a bien… il a bien essayé, pas vrai ?— Tu parles ! rigolai-je.Devant son air perplexe, je compris qu’il se sentait mal à l’aise de poursuivre son interrogatoire,

alors je me redressai pour tout lui raconter, la fois où John était passé à mon appartement.— Quand il m’a touchée… je me suis mise à pleurer, admis-je avec une petite voix.— Pourquoi ? Est-ce qu’il… il était trop pressé ou… ?— Non ! Non, c’est juste que… je sais que c’est à n’y rien comprendre, mais… je ne pouvais

pas.

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— Mais tu étais libre.Je grimaçai en levant les yeux au ciel :— À propos de ça : je déteste être libre ! Et ne prends pas mal ce que je vais dire, mais… je ne

t’ai jamais autant appartenue que quand nous étions séparés.Ses épaules s’affaissèrent et je crus qu’il blêmit :— Quoi ? Tu veux dire que… qu’il faut que je te quitte pour que tu te sentes liée à moi ?— Non ! Seulement… toute cette histoire, ça m’a fait comprendre ce que je cherchais.Ses yeux parcoururent mon visage et, probablement parce que la joie se lisait partout sur moi, il

hocha finalement la tête, déterminé à entendre la suite :— OK, dis-moi.Je réprimai un fou rire. Je l’avais connu plus courageux que ce soir, mais je le trouvais

néanmoins adorable de continuer à craindre le pire. Enjambant ses cuisses, je m’installai sur lui pourmieux le dominer du regard :

— Quand je t’ai connu, Simon, je me sentais perdue. Et toi, tu m’as guidée. Tu as… construittoute cette vie pour moi.

— Avec toi, rectifia-t-il.— Oui, enfin… je ne comprenais pas pourquoi tu m’aimais. Et je ne suis toujours pas sûre d’y

arriver, d’ailleurs…Ses bras se serrèrent autour de moi :— Comment peux-tu dire ça ? Tu ne vois donc pas à quel point tu me rends heureux ? À quel

point toute cette vie que nous avons construite me plaît ? Pendant notre séparation, je passais montemps au restaurant pour éviter cette maison. J’ai même songé à déménager ! m’avoua-t-il avec un airrenfrogné. Sais-tu que ton souvenir est partout ici ? Dans la chambre, sur ce canapé, dans la douche…même la cuisine me rappelait ta présence !

Je souris devant le manque que je lui avais causé, mais il avait raison : dans chaque pièce decette maison, il y avait des images de nous. Des images d’un nous heureux, en plus. Tout compte fait,j’étais soulagée de ne pas avoir vécu notre séparation dans cet endroit…

— La vérité, Simon, c’est que je me sentais coupable de ne pas te donner le même type derelation que j’avais avec John, lâchai-je enfin. Tu ne voulais pas d’une relation SM et tu étaistellement merveilleux avec moi que je ne comprenais pas comment je pouvais t’aimer avec la mêmeintensité. Et je ne savais pas si je pourrais à nouveau… m’offrir comme ça.

Il retint ma main de la sienne lorsqu’elle glissa sur son torse et sa bouche se tordit légèrement :— Ça, je crois que je l’avais compris, avoua-t-il, troublé.— Oui. Et c’est peut-être ça qui a tout compliqué, ajoutai-je. Le problème, c’est que je ne

cherchais pas une relation SM, mais simplement une façon de m’offrir à toi sans que tu imagines quej’avais envie de recréer ma relation avec John. Ce qui me manquait, c’était cette confiance aveugleque j’avais. Cette façon de m’abandonner à lui, même quand j’étais terrifiée par ce qu’il exigeait demoi. Je ne sais pas. Ce lien que nous avions, lui et moi, il me paraissait… indestructible, tu

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comprends ? Même dans les pires instants de ma vie, John m’aimait et il me pardonnait…Plus je parlais, plus Simon serrait les lèvres. Du bout des doigts, je tirai sa joue pour qu’il cesse

de se raidir de la sorte, ce qu’il fit sans toutefois parvenir à retrouver le sourire, puis je repris,déterminée à le rassurer :

— Ce que je ne voyais pas, à l’époque, c’est que ce lien, si fort, que nous partagions, était enpartie dû aux épreuves qu’il me faisait subir pendant ma soumission.

— Ça me paraît logique, acquiesça-t-il.— Sauf que je ne suis plus une soumise, aujourd’hui. Enfin… je veux bien qu’on joue, toi et moi,

mais…— Ça me va, dit-il très vite.Son visage se dérida. Enfin ! Puis quelque chose de similaire à un sourire s’inscrivit sur son

visage et il tenta de me ramener contre lui, mais je secouai la tête. Je voulais tout dire, maintenant,pour qu’on puisse enfin tourner la page sur cette histoire avec John.

— L’ironie Simon, c’est que je cherchais quelque chose que j’avais déjà avec toi, mais quej’étais incapable de voir. Ne va surtout pas te méprendre sur mes paroles, ajoutai-je en le pointantd’un doigt autoritaire. Je savais la chance que j’avais, c’est seulement que… j’avais peur que notrerelation ne me suffise pas.

Ma main avait glissé et prenait repos sur son ventre, c’est pourquoi je réalisai qu’il retenait sarespiration pendant que je laissais un silence passer entre nous.

— Quand tu as fait venir cette fille ici…— Non, attends ! Je ne pouvais pas savoir que…— Laisse-moi finir ! m’énervai-je. Si tu le veux vraiment, je te laisserai baiser une autre fille,

OK ? Tout un bataillon, si tu veux !— Ce n’est pas ce que je veux !Mon regard sombre le fit taire à nouveau, puis je l’allégeai avant de reprendre :— Je te laisserais faire, même si je n’ai aucune envie de te partager. Je suis jalouse, tu

comprends ? Je veux que ce corps n’appartienne qu’à moi.Mes mains se baladaient sur son torse et pendant un moment, je songeai à abandonner notre

conversation pour quelque chose de beaucoup plus agréable. Simon, dont l’érection revenait petit àpetit, ne m’aidait pas beaucoup à garder mon sang-froid.

— Ce corps ne sera qu’à toi, certifia-t-il. Je suppose que je peux exiger la même chose de tapart ?

— Tu parles que tu peux !Je dévorai sa bouche et perdis la notion du temps pendant quelques minutes, puis je me redressai

en expirant bruyamment et en chassant ses mains inquisitrices sur mes cuisses :— Attends, je ne t’ai pas dit la meilleure.— Vite ! s’impatienta-t-il.

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— John m’a beaucoup aidée, dis-je sans hésitation. Et quand il a tenté de faire une approche, jecrois qu’il a découvert la même chose que moi. Au même instant que moi, en plus !

Malgré mon rire, il fronça les sourcils et s’impatienta de mon silence :— C’est-à-dire ?— Que je t’appartenais, bien sûr ! Complètement !Je soupirai lourdement, laissant la joie rayonner à travers mon visage :— Et même si tu ne veux pas l’entendre, sache que je suis ravie de ce que John a fait pour nous.

Sans lui, je n’aurais jamais compris à quel point je t’aimais…Avant que son regard s’assombrisse d’inquiétude, je m’empressai d’ajouter, à voix basse, comme

s’il s’agissait d’un secret d’État :— Et crois-moi, je ne l’encense pas ! S’il a fait tout ça, c’est uniquement parce qu’il savait qu’il

n’avait plus la moindre chance de me récupérer.Son sourire s’agrandit, mais sa question fusa quand même :— T’es sûre de ça ?— Certaine. Et lui aussi, d’ailleurs. La preuve, il a téléphoné ce soir pour s’assurer que nous

nous étions bien remis ensemble.Il plissa les yeux :— Qui te dit que ce n’est pas pour vérifier que tu étais encore célibataire ?— Parce que John a beaucoup de défauts, mais c’est un homme intègre. Il a lutté tant qu’il a cru

pouvoir gagner, mais à partir du moment où il a compris que mon cœur était à un autre, il s’est retiréen beauté. Et je te rappelle qu’il nous a bien aidés à nous réconcilier !

— Il est aussi responsable de notre séparation.— Oui, mais elle a été bénéfique, puisque je suis là, plus tienne que jamais. C’est un beau cadeau

qu’il nous a fait, tu ne peux pas dire l’inverse !Il grimaça. Visiblement, il n’était pas aussi convaincu de ma théorie. D’un geste, il me repoussa

et disparut dans la chambre. Si vite que je me demandai si je l’avais choqué par mes paroles.— Simon ? Qu’est-ce que tu fais ?— Deux secondes !Lorsqu’il revint, il secoua une boîte emballée de rouge :— J’en ai assez que tu parles de son cadeau comme si c’était la plus belle chose au monde.Je pouffai devant sa pseudo crise de jalousie et l’engueulai sans attendre pendant qu’il revenait

sur le canapé :— C’est toi le cadeau, idiot ! Je ne peux pas dire que je suis contente de t’avoir retrouvé ?— Prouve-le ! me défia-t-il en tendant la boîte vers moi.Je la pris. À la taille et au poids du présent, je compris qu’il s’agissait d’un bijou et, avant de

l’ouvrir, je le mis aussitôt en garde :

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— Comment tu peux croire qu’un seul de ces joujoux pourrait rivaliser contre ce corpsmagnifique ?

Je terminai ma phrase en léchant mes lèvres, mais devant l’insistance de son regard, j’ouvris laboîte. Mon corps se figea devant la bague qu’elle contenait. Un moment d’absence plus tard, jerelevai des yeux perdus sur lui.

— C’était… je l’ai achetée… avant qu’on se sépare, admit-il en pinçant les lèvres. Je voulais…j’avais songé… te l’offrir pour ton anniversaire…

Il me parut nerveux. Au moins autant que moi. La gorge sèche, je lui tendis la boîte :— T’es pas obligé de… de me la donner.— Qu’est-ce que tu racontes ? Je veux te la donner ! J’en rêve depuis des mois ! s’écria-t-il en

repoussant mon geste. Bon, j’avoue que dans ma tête, on était habillé, avec des fleurs, du vin et…D’un coup de bassin, il se laissa tomber sur le sol et, une fois à genoux devant moi, il récupéra

ma main qui tenait la boîte.— Annabelle, tu as dit que tu voulais être mienne et, à mon sens, il n’y a qu’une seule façon de le

devenir. Épouse-moi.Mon cœur battait tellement fort qu’il m’assourdissait. Je fermai les yeux et les ouvris à répétition.

Je rêvais, assurément ! Pourtant, il était toujours là, anxieux et dans l’attente de ma réponse.— Simon, je ne sais pas quoi dire… je ne m’attendais pas à…— Ça t’effraie ? Tu veux qu’on attende ? Parce qu’hier, tu as parlé de mariage, d’enfants…— Oui, mais…J’expirai avec bruit :— Bon sang, Simon, je ne m’attendais pas à ça !— C’est de ta faute ! Tu n’arrêtes pas de me dire que le cadeau de John est extraordinaire… je

lui en ferai un cadeau, moi !Devant son ton sec, je pouffai de rire et je sentis une larme de joie qui tomba sur ma joue :— Tu es incroyable.— J’attends une réponse, grogna-t-il.— C’est oui. Comment peux-tu en douter ?— Avec toi ! Comment savoir ?Il arracha la bague de l’écrin et s’empressa de la mettre à mon doigt avant de se jeter sur moi,

m’embrassant avec passion.— Pas de fleurs, pas de vin, mais crois-moi, il va y avoir du sexe, dit-il en écartant mes cuisses.J’accueillis son geste en m’abandonnant complètement à son corps. Il me comblait. Sur tous les

points. Et j’étais définitivement sienne.

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Le cahier

Les semaines passèrent. Mon lien avec Simon s’était raffermit et, au fil des jours, lui-mêmeconstatait à quel point nous partagions quelque chose de solide. Les premiers temps, nous parlionsbeaucoup de notre séparation. Des libertés qu’il avait prises, de celles que je m’étais refusées, dutype de relation que nous souhaitions vivre, à l’avenir. Nous tombions facilement d’accord sur tout,quoiqu’il me fallût admettre que les négociations avec lui étaient loin d’être désagréables.

Même si je portais sa bague, j’étais gênée d’avouer que nous étions fiancés. Tout allait si vitedepuis que nous nous étions réconciliés. Même Johanna paraissait ravie qu’il ait osé me demander enmariage. Profitant de l’absence de son fils et après avoir bu quelques verres de vin ensemble, elle meraconta que son mari et elle avaient vécu une situation similaire, bien avant la naissance de Simon. Àl’époque, son fiancé s’était entiché d’une autre fille avec qui il était allé « trop loin », puis il étaitrevenu la supplier pour qu’elle le reprenne. Elle avait d’abord refusé, puis, au bout de plusieurssemaines de chagrin, avait finalement décidé de lui offrir une autre chance.

— Et ça été la meilleure décision de ma vie, admit-elle avec un air ému.Je l’observais avec tellement d’espoir. Si seulement Simon pouvait se dire la même chose, dans

plusieurs années. Je ne voulais aucun regret entre nous. Pour ma part, je savais que je n’en avaisaucun. Ma relation avec John était bel et bien terminée et ma vie avec Simon n’avait jamais été plusheureuse.

Grâce à cette conversation, je cessai, enfin, de masquer mes fiançailles avec Simon. Au bureau etpartout ailleurs, j’affichai mon bonheur sans vergogne et montrai ma bague avec fierté. Tout était siparfait, en ce moment. Pourquoi fallait-il que je traîne mon passé avec moi ? L’avenir était rempli depromesses et je me doutais qu’il comporterait son lot de soucis. Autant laisser les anciens problèmeslà où ils étaient : derrière nous.

J’avais appris, de Lena, que sa relation avec John était terminée. Même si elle tentait de ne rienlaisser paraître, je voyais que cela ne lui convenait pas. Elle avait refusé de devenir sa soumise etcomme il avait retrouvé son statut de Maître, c’est ainsi qu’il la désirait, désormais. Même si je merefusais de lui en parler, je ne pus nier que j’étais flattée qu’il m’ait offert, à moi, un rôle d’égale àégal, mais il était hors de question de m’en vanter devant Lena. À la voir aussi piteuse, depuisquelques jours, je commençais à croire qu’elle allait bientôt changer d’avis et accepter son offre.C’est qu’il savait être persuasif !

En rangeant mon bureau, ce jour-là, je tombai sur le cahier de John, au fond de mon tiroir. Écriteen lettre manuscrite, contrairement à ses courriels ou à ses textes, en général tapés à l’ordinateur.Consciente que j’avais une petite heure à tuer, je me lançai dans sa lecture.

Au début, il parlait surtout de sa thérapie durant laquelle il devait tenir une sorte de journalintime. Journal qu’il avoua avoir tenu pour moi, comme une longue lettre dont ce cahier étaitfortement inspiré. Au lieu d’écrire dans le vide, c’est à moi qu’il avait envie de parler.

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C’est donc à moi qu’il parla, à travers son journal, de son enfance, de son adolescence, de lafaçon dont il avait découvert les penchants particuliers de sa sexualité et de l’homme qu’il étaitdevenu. Il me raconta comment il était devenu Maître, les épreuves qu’il avait subies, puis restasensiblement vague jusqu’à ce qu’il traite de sa relation avec Laure. Très vite, il enchaîna sur notrerupture. Il me racontait ce que je savais déjà : que leur relation s’était détériorée quand j’étais partie,parce qu’il était en colère contre elle, parce qu’il la tenait responsable de notre séparation. Et plus letemps passait, plus il comprenait la perte qu’il avait subit et l’amour qu’il éprouvait pour moi.Certes, il affirmait avoir tenté de le repousser, parce qu’il s’était toujours refusé à montrer sesfaiblesses à qui que ce soit. Son aveu était à la fois honnête et touchant. Je le trouvai d’ailleurs fortcourageux d’avoir pris la peine de m’écrire pour m’avouer tout cela. J’étais doublement flattée. Johnétait véritablement un homme de cœur et j’eus l’impression qu’il n’y avait que moi qui connaissaitcette facette de sa personnalité.

Après ce qu’il avait fait naître en moi, il me semblait que c’était un bien juste retour des choses…Vers le milieu de son carnet, les histoires devinrent davantage des fragments épars et sans liens,

un peu comme des nouvelles qu’il aurait écrites sur des moments importants de son existence. Sur unepage, j’appris que, s’il était devenu écrivain, c’était pour contrarier son père qui lisait péniblement.Sur une autre, il essayait de s’imaginer le genre de relation que nous aurions pu avoir, connaissantnos penchants naturels pour le sadomasochisme. Il nous imaginait, avec Laure, comme une soumisecommune, sur qui j’aurais tout pouvoir ; ou dans les fêtes, alors que je serai libre de choisir ceuxavec qui j’aurais envie de coucher. D’après ses dires, ce qui comptait, dans ces cas-là, c’était lui etmoi, parce que nos cœurs auraient été unis bien au-delà de nos corps.

J’affichai un sourire idiot devant cette dernière phrase, bien que ce soit à Simon que je songeaiset non à John. C’était à lui que mon cœur était lié. Et mon corps aussi, désormais. Pour John, je neressentais qu’une forte amitié et beaucoup de respect, je devais l’admettre. Il avait pris la peined’écrire son histoire et ses rêves. Et c’est à moi qu’il avait choisi de les confier. J’étais touchée.Pour ma part, je ne savais pas si j’aurais eu le courage d’en faire autant.

Quand je refermai le cahier, je le glissai dans une enveloppe que je scellai, puis je demandai àLena de venir dans mon bureau. Une fois devant moi, je lui tendis le tout et elle me dévisagea avec unair intrigué :

— Qu’est-ce que c’est ?— C’est pour John. Pourrais-tu le lui remettre ?Elle se braqua aussitôt et sa voix résonna, sèche :— Je ne le vois plus et même si c’était le cas : je ne suis pas ta messagère !— Lena, tu crèves d’envie de le revoir. Deviens sa soumise et arrête de faire ta mijaurée,

l’engueulai-je.D’un trait, elle se laissa tomber sur le siège devant moi et son masque de colère tomba aussitôt :— Pourquoi il ne m’offre pas un truc comme à toi ? On pourrait être partenaires… libres…

quelque chose… Et je veux bien qu’il me fasse des trucs pas très nets, mais ça… non, vraiment, c’estpas pour moi.

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Elle secoua vivement la tête et je pris mon air réprobateur :— Qu’est-ce que tu racontes ? John est un très bon Maître. Je suis sûre que tu vas adorer être sa

soumise.— C’est toi qui dis ça ?— À moi, ça ne convenait pas, mais si j’étais à ta place ou que je n’étais pas amoureuse de

Simon, crois-moi : je sauterais sur l’occasion !Devant la certitude que j’affichai, elle haussa un sourcil, soudain moins sur ses gardes :— Tu crois ?— Tu parles ! Et si tu veux mon avis, il est bien plus doué en Maître ! Il a une imagination

débordante, tu sais…Même si elle tenta de le retenir, un sourire déforma son visage :— Ouais… j’ai remarqué.Ma main fit danser l’enveloppe devant elle en attendant qu’elle la récupère, mais sa question fusa

très vite :— Pourquoi tu ne l’envoies pas par la poste ?— Parce que t’as besoin d’une raison de le voir. Et que celle-ci est toute indiquée, tu ne penses

pas ?Ses doigts écrasèrent le paquet et elle ne put s’empêcher de me demander :— Qu’est-ce que c’est ?— C’est un livre, annonçai-je en restant le plus vague possible sur ce qu’il contenait.Elle le posa sur ses genoux, jeta un œil autour d’elle avant de reprendre :— Alors, avec ton blondinet, ça roule toujours ?Je fis danser mes doigts et ma bague de fiançailles :— Comme tu vois.— Et le mariage, c’est pour quand ?— Je crois que c’est pour bientôt, dis-je en souriant bêtement. On doit encore négocier une date.— Mais tu vas m’inviter, hein ?— Évidemment !Du regard, je pointai l’enveloppe, toujours sur ses genoux :— Je peux compter sur toi ou je le lui envoie par la poste ?Son sourire se confirma et elle serra le paquet contre elle :— Bien… je crois que je peux aller lui faire une petite visite…— Tant mieux ! approuvai-je en riant.Elle se leva et se dirigea vers la sortie, s’arrêta juste avant de franchir la porte et tourna un

visage souriant dans ma direction :— On ne sait jamais, après tout, je risque d’avoir besoin d’un cavalier pour ton mariage…

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Dans la seconde, son expression se figea :— À moins que tu ne veuilles pas que… ?— Il sera le bienvenu, la rassurai-je.— Ah ? Bien… super ! Bon… je vais aller passer un petit coup de fil…— Tu le salueras de ma part.— Sans faute.Je l’observai marcher, de l’autre côté de la vitre, et j’eus la sensation qu’elle était beaucoup plus

légère qu’à son entrée dans mon bureau. Étrangement, moi aussi. Je venais de rendre la dernièrechose qui me restait de John, à Lena. Comme la robe qu’il m’avait offerte. Peut-être John le verrait-ilcomme un signe ? Qui sait ?

Lasse de ma journée, je récupérai mon téléphone et composai le numéro de Simon, encore aurestaurant. Quand sa voix résonna au bout du fil, je compris au bruit que je percevais, qu’il était encuisine et fort occupé, mais je demandai quand même :

— Je peux être dans ton bureau dans vingt minutes, Une pipe, ça t’intéresse ?— Euh…Après un moment de surprise, il éclata de rire :— Je suis sûr que je peux me libérer…— Ça tombe bien, j’ai envie de toi, et j’ai l’intention de négocier serré.— Négocier ? Quoi ? s’inquiéta-t-il.— La date de notre mariage.Il se remit à rire et j’entendis quelque chose qui grésillait près de lui ainsi qu’une serveuse qui lui

commandait un plat du jour.— Travaille bien, lui dis-je, parce que dans vingt minutes, je t’arrache à ton fourneau et tu seras

fort occupé à jouir, mon chéri.Laissant son rire niais me répondre, je raccrochai, le cœur léger…

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Épilogue

Je sirotais un jus d’orange à la terrasse d’un café tout en frottant amoureusement la jambe deSimon sous la table. C’était la fin de l’été, mais il faisait bon et nous avions décidé de sortir pourprendre notre petit déjeuner. Même s’il tentait de le masquer, mon fiancé était nerveux, mais jefaisais tout pour le rassurer convenablement.

Lorsque Lena et John arrivèrent, je me levai pour les accueillir. Surpris de me voir, John jeta unregard en coin en direction de sa cavalière, ni heureux, ni sombre :

— M’auriez-vous tendu un piège, mademoiselle ?— Oh Monsieur, aurais-je osé ? se moqua-t-elle.Il passa une main ferme sur sa taille et glissa subtilement sur ses fesses :— Je m’en souviendrai, tout à l’heure…— Mais j’y compte bien, roucoula-t-elle.Je tapai du pied et lui montrai que je m’impatientai :— Bon, tu me salues ou tu vas me laisser poireauter toute la matinée ?Il hésita, puis comme il ne bougeait pas et que son regard se portait vers Simon, je me décidai à

venir l’embrasser sur la joue. Son masque de Maître tomba un moment, puis il le remit en fronça lessourcils :

— Que me vaut l’honneur de ce piège ?Je pointai la chaise à côté de moi et Lena s’installa sur celle à la gauche de Simon. Une fois assis,

je me tournai vers lui et lui montrai ma bague de fiançailles :— Je suppose que Lena t’a dit pour la bonne nouvelle ?Il feignit un drôle de sourire :— Euh… oui. Félicitations.Au passage, il salua Simon d’un signe de tête. Pendant que je fouillais dans mon sac, il me lança

un regard faussement contrarié :— Je ne pensais pas que tu oserais utiliser mes propres méthodes pour m’atteindre, Annabelle…

je suis déçu…— J’ai eu un très bon Maître, rétorquai-je aussitôt.D’une main, je lui tendis un petit carton :— Voilà, t’es invité. C’est dans trois semaines.Sa bouche s’ouvrit pendant un petit moment, puis il se ressaisit en récupérant le faire-part. Une

fois qu’il eut lu l’annonce, il promena son regard entre Simon et moi, visiblement surpris d’avoirreçu une invitation. Devant sa question muette, je hochai la tête :

— Oui, tu es invité. Et t’as intérêt à venir ! me moquai-je.

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Il jeta un regard en direction de Lena, mais je ne sais pas s’il était contrarié ou juste perplexe parson petit stratagème pour le mener jusqu’ici. Enfin, il vérifia l’information du côté de Simon qui sedécida à prendre la parole :

— Tu nous as présentés, séparés, puis réconciliés, dit-il sans animosité. On ne peut pas dire quetu n’as pas joué un rôle important dans notre couple.

— Tu m’en vois ravi, certifia John, avec une voix trouble.Très vite, il rangea le carton d’invitation dans la poche arrière de son pantalon, puis il tendit une

main franche, par-dessus la table, en direction de Simon. Une hésitation plus tard, mon fiancél’accepta et daigna même afficher un sourire sur ses lèvres. Petit à petit, il se détendait…

Pendant que John consultait le menu, bien que je me doutais qu’il le connaissait bien puisqueLena et lui venaient ici très souvent, ces dernières semaines, je gardai le silence. Je me doutais qu’ilavait besoin d’un moment pour reconstruire son masque. Sirotant mon jus d’orange, je profitai de cemoment de silence pour recommencer mes caresses de pied sur la jambe de Simon. Lui aussi, il sedérida doucement. De voir que je n’avais d’yeux que pour lui, même en ayant John comme voisin detable, parut le rassurer.

Une fois que les repas furent commandés, John ressortit le carton d’invitation et le fixa avant dedemander :

— Dans trois semaines, alors ? Voilà qui est rapide.— C’est de sa faute, me pointa Simon, heureux de le dire. Elle a comploté avec ma mère.— Pas juste avec ta mère. Avec toi aussi, et dans ton dos, qui plus est ! le narguai-je sans

éprouver le moindre remord.Le serveur vint leur apporter du café, mais je lui fis signe que je n’en prenais pas. Alors que John

portait la tasse à ses lèvres, il la reposa aussitôt et me toisa d’un regard surpris :— Quoi ? Déjà ?Je lançai un regard triomphant du côté de Simon :— Je t’avais bien dit qu’il devinerait !Mon fiancé étouffa un rire que je partageai avec joie, lorsque Lena afficha un air dérouté, perdue

par notre discussion :— Deviner quoi ?John me détailla du regard avant de hocher la tête, puis il lança la nouvelle sans hésiter :— Annabelle est enceinte.Lena eut une sorte de choc qui fit trembler la table, puis me fixa du regard avec stupéfaction :— Quoi ? Non ! Tu ne m’as rien dit !— On attendait le troisième mois pour l’annoncer, expliqua Simon.Folle de joie, elle se leva pour venir m’étreindre et me féliciter. John l’imita, mais il paraissait

un peu plus ébranlé par cette information. Une fois dans ses bras, il me serra contre lui et demanda,tout bas :

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— Alors ça y est ? Tu es heureuse ?— Heureuse comme jamais, confirmai-je en me reculant pour qu’il puisse voir mon regard.Il expira longuement avant de relâcher ma taille :— Tant mieux. Je suis content.Je me jetai sur mon sac, leur montrai les clichés de mon échographie, la racontai minute par

minute. Simon ne me quittait pas des yeux. Chaque fois que je parlais du bébé, il disait que j’étaisradieuse, qu’il ne m’avait jamais vue ainsi et qu’il ne se lasserait jamais de voir ce bonheur-là surmon visage.

Pendant le repas, je plaisantais avec Lena, lui racontai que ma revue aurait très certainement unesection jeune famille dans les prochains mois. J’avais déjà un tas d’idées sur le sujet !

Sur le rebord de la table, la main de Simon caressait la mienne, et ce simple geste me remémoraità quel point nous étions liés. Plus que jamais, désormais, et c’est la raison pour laquelle j’avais tenuà rencontrer John en sa présence. En celle de Lena aussi. Je voulais que tout le monde sache que laprésence de mon ancien Maître ne me dérangeait plus. Au contraire ! Je ne voulais plus fuir monpassé, je voulais le remercier de m’avoir rendue plus forte, plus vraie et plus heureuse, aussi.

John soutint la conversation et nous racontât qu’il allait bientôt sortir un nouveau livre, mais laplupart du temps, il resta silencieux. Ce n’est qu’au moment de nous séparer qu’il tendit de nouveaula main en direction de Simon :

— Je suis content pour toi. Vraiment. Prends-en bien soin.Mon fiancé me serra contre lui avant de rigoler :— Je suis sûr que si tu ne me sentais pas capable de relever un tel défi, tu ne me l’aurais pas

confié, admit-il.John afficha un rire plus franc et confirma d’un hochement de tête :— Tu n’as pas tort, mon ami, mais malgré tout l’amour que j’éprouve pour cette magnifique jeune

femme, je dois le confesser : je n’aurais jamais pu lui offrir tout ça.Je pouffai :— Mais je ne te l’ai pas offert !— Heureusement !Il se mit à rire de bon cœur et se pencha pour m’embrasser sur la joue.— On se voit dans trois semaines, Mademoiselle ?— Avec plaisir, mon cher Monsieur.Lena pendue à son bras et sautillant comme une gamine, Simon et moi les regardions s’éloigner.— Ça ne s’est pas trop mal passé, dit-il enfin.— Ça s’est même très bien passé, confirmai-je.Il me serra contre lui et m’embrassa du bout des lèvres :— Je t’ai dit que je t’aimais ce matin ?— Au moins huit fois.

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— Et combien tu me rendais heureux, aussi ?— Oui, oui ! Mais tu sais, plus vite on sera à la maison, plus vite on pourra se remettre au lit… et

là, tu vas voir, je vais te rendre très très heureux, promis-je en le tirant en direction de la voiture.