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- 1 - UNIVERSITE RENE DESCARTES (PARIS 5) Faculté de Médecine PARIS 5 ANNEE 2005 THESE pour le DOCTORAT EN MEDECINE DIPLOME D’ETAT PAR Mr BOUNAN Thibaud Né le 16 mars 1977 à Choisy-le-roi (94) Présentée et soutenue publiquement le 21 septembre 2005 TITRE : PRESENTATION DU RESEAU HTA-GWAD Premier réseau de santé sur l’hypertension artérielle en France Président de thèse : Monsieur le Professeur Loïc CAPRON Directeur de thèse : Monsieur le Docteur André ATALLAH cadre réservé à l’Administration cadre réservé à l’Administration Paris le Vu et permis d’imprimer

ANNEE 2005 N° THESEhtagwad.com/admin/publis/thesereseau1.pdf · 2008. 4. 30. · pour la révision des connaissances, le travail d’équipe, le sens de l’urgence et de l’efficacité,

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UNIVERSITE RENE DESCARTES (PARIS 5)

Faculté de Médecine PARIS 5

ANNEE 2005 N°

THESE

pour le

DOCTORAT EN MEDECINE

DIPLOME D’ETAT PAR

Mr BOUNAN Thibaud Né le 16 mars 1977 à Choisy-le-roi (94)

Présentée et soutenue publiquement le 21 septembre 2005

TITRE : PRESENTATION DU RESEAU HTA-GWAD Premier réseau de santé

sur l’hypertension artérielle en France

Président de thèse : Monsieur le Professeur Loïc CAPRON Directeur de thèse : Monsieur le Docteur André ATALLAH

cadre réservé à l’Administration

cadre réservé à l’Administration

Paris le Vu et permis d’imprimer

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REMERCIEMENTS

En premier lieu, je voudrais remercier ceux qui m’ont permis de réaliser ce

travail et de le présenter : le docteur André ATALLAH, chef du service de cardiologie du Centre Hospitalier de la Basse-Terre, promoteur et coordinateur du réseau HTA-Gwad, qui m’a proposé ce sujet de thèse et a accepté de le diriger - en me confiant ses documents, et en m’accordant chaleureusement de son temps ; le professeur Loïc CAPRON, chef du département de médecine interne de l’Hôpital Européen Georges Pompidou, qui me fait l’honneur et l’amitié de présider le jury de cette thèse ; le professeur Gilles GRATEAU, chef du service de médecine interne de l’hôpital Tenon, un de mes premiers maîtres dans l’apprentissage de la médecine, qui a accepté de participer à ce jury ; le professeur Gilles CHATELLIER, du département d’informatique médicale de l’hôpital européen Georges Pompidou, pour sa précieuse contribution au jury ; mademoiselle Myriam ELUTHER, chargée de communication du réseau HTA-Gwad, pour sa disponibilité et sa gentillesse ; madame Séverine VANDAL, chargée de mission à la Caisse Générale de la Sécurité Sociale, pour sa compétence et ses éclaircissements ; madame Pâquerette LAFONTAINE, cadre de santé, consultante en évaluation des politiques, stratégies et pratiques, pour son approche critique ;

monsieur Alexandre MIGNARD de l’INSEE, pour ses documents ;

ceux qui ont fait preuve d’intérêt pour mon travail ;

et ma femme Aurore pour son attention, et toute la disponibilité qu’elle m’a offerte.

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Mais aussi, au terme de ma formation universitaire de médecine générale, j’ai plaisir à citer :

mon père, Michel ; je le remercie profondément de m’avoir convaincu

d’apprendre ce métier de médecin ; de m’en avoir fait sentir la richesse inépuisable, et de m’en avoir montré l’exemple ;

monsieur Loïc Capron, dans le service duquel j’ai eu la chance d’effectuer

mon premier stage d’externe ; j’y ai été initié à une médecine encore inconnue, générale, savante, rigoureuse, et pourtant accessible, dont l’exercice stimulant a nourri mes journées alors assez creuses ;

ma sœur Raphaële, qui m’a fraternellement aidé, de sa chambre à côté, à

franchir les premières étapes un peu laborieuses des études, et m’a constamment rassuré sur mes possibilités ;

mes camarades d’externat, M. Novotny, C. Jung, C. Boucher, F. Carillo, R. Baumann, J. Malarewicz, J. Girard, B. Pitrat ; mes internes, J. Halfon, N. Silland, C. Codreanu, Floriana, P. Ou, N. Lerolle, N. Molko, Marc… les différents médecins qui m’ont montré, auprès des patients, l’empathie et la réserve, la précision clinique, la rigueur, l’esprit critique, l’indépendance, le goût pour la révision des connaissances, le travail d’équipe, le sens de l’urgence et de l’efficacité, et par tout cela, le dévouement ; je les remercie également pour l’ensemble de ce qu’ils m’ont appris dans leurs disciplines propres : mes chefs de clinique et enseignants : F. Lejoyeux, S. Dauchy, N. Berkane, B. Haettich-Pialoux, G. Grateau, M. Benchenoune, J. Gilquin, P. Matthieu, H. Grivois, S. Consoli, A. Rabbat, Ralph, B. Jacquot, X. Belenfant, Mr Houiller, J. Mayer, N. Barri, S. Uzan, P. Merviel, J. Priollet… les médecins du Centre Hospitalier de la Basse-Terre où j’ai réalisé la majeure partie de mon résidanat ; ils ont été de précieux guides, toujours amicaux : E. Felicie-Dellan, M. Fondevila, C. Machuron, E. Pellegrini, E. Estrade-Chappelaz, M.-P. Adam, B. Hihi, N. Dargent, V. Rodne, S. Sainte-Foie, J. Desbordes, Alain et André Atallah, N. Moussinga, C. Hajjar, P. Lancelot, K. Benazza, S. Sid-El-Mrabet, G. Sibille, F. Boteko, J. Meyer, S. Pelczar, H. Sing, D. Colin, P.-Y. Hardy, F. Boulard, L. Ba, B. Giffo, L. Benoist, S. De Givry, les médecins du service des urgences de l’hôpital Tenon : D. Meyniel, P. Bouvard, S. Dhauteville, E. Bernardini, E. Burgraff, S. Damelincourt, S. Candella, M. Fremont, E. Karoubi, M. Denis…

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les médecins généralistes libéraux : L.-H. Sir, V. Sim, C. Bourgeois, P.

Morin, M. Réveillaud, C.-H. Bourgeois, B. Francoz, B. Puydupin…

le personnel de la PMI de Basse-Terre, où j’ai notamment découvert des formes d’intervention médico-sociale par les organismes d’Etat, principalement en milieu précaire : F. Famelart, A. Lalande, M. Biagini, Y. Lerus, Mme Jean-Baptiste, les intervenants para-médicaux, infirmier(e)s, puéricultrices, aide-soignant(e)s, sage-femmes, kinésithérapeutes, orthophonistes, diététicien(ne)s, psychologues, neuropsychologues, assistantes sociales, pompiers, et ambulanciers, ainsi que les intervenants administratifs notamment hospitaliers, pour le plaisir que j’ai pu avoir de travailler avec eux et pour m’avoir fait sentir les limites de ma compétence strictement médicale en me rappelant concrètement que les soins forment un ensemble cohérent d’éléments très disparates, qu’il faut reconnaître et coordonner.

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ABREVIATIONS UTILISEES

ALD Affection de longue durée ANAES Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé ANDEM Agence nationale de l’évaluation médicale ARA 2 Antagoniste du récepteur de l’angiotensine 2 ARH Agence régionale d’hospitalisation AVC Accident(s) vasculaire(s) cérébral(aux) CFHTA Comité français de lutte contre l’HTA CGSS Caisse générale de sécurité sociale CH(S) Centre hospitalier (spécialisé) CHBT Centre hospitalier de la Basse-Terre CHU Centre hospitalo-universitaire CHR(U) Centre hospitalier régional (universitaire) CLASS [dispensaire départemental] CME Commission médicale d’établissement CMU Couverture mutuelle universelle CNAM(TS) Caisse nationale de l’assurance maladie (des travailleurs salariés) CNIL Commission nationale informatique et libertés CNR Coordination nationale des réseaux COGES Comité guadeloupéen d’éducation en santé CPAM Caisse primaire d’assurance maladie CPS Carte professionnelle de santé CRP C reactive protein DASD Direction de l’action de solidarité départementale DDASS Direction départementale des affaires sanitaires et sociales DGS Direction générale de la santé DH Direction hospitalière DIU Diplôme inter-universitaire DMP(I) Dossier médical partagé (informatisé) DOM Département d’outre-mer DNDR Dotation nationale des réseaux DRASS Direction régionale des affaires sanitaires et sociales DRDR Dotation régionale des réseaux DSDS Direction de la santé et du développement social ECG Electrocardiogramme EPU Enseignement post-universitaire ESC Société européenne de cardiologie ESH Société européenne d’hypertension artérielle

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FAQSV Fonds d’aide à la qualité des soins de ville FMC Formation médicale continue HDL High density lipoprotein HL Hôpital local HTA Hypertension artérielle HVG Hypertrophie ventriculaire gauche ICM Indice comparatif de mortalité IEC Inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine IMC Indice de masse corporelle INPES Institut national de prévention et d’éducation en santé INSEE Institut national de la statistique et des études économiques INSERM Institut national de la santé et de la recherche médicale IRCT Insuffisance rénale chronique terminale ISH Société internationale d’hypertension JNC Joint national committee LDL Low density lipoprotein MAPA Mesure ambulatoire de pression artérielle OMS Organisation mondiale de la santé PA(S ou D) Pression artérielle (systolique ou diastolique) PIB Produit intérieur brut PMI Protection maternelle et infantile PRS Programme régional santé RMI Revenu minimum d’insertion SFHTA Société française d’HTA SIDA Syndrome d’immunodéficience acquise SROSS Schéma régional d’organisation sanitaire et sociale URCAM Union régionale des caisses d’assurance maladie URML Union régionale des médecins libéraux VIH Virus d’immunodéficience humaine

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« Au moment d’être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité.

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »

Début du Serment d’Hippocrate, réactualisé en 1996 (1).

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Introduction

Apparus dans les années 90 en France pour coordonner les soins donnés aux

patients infectés par le virus d’immunodéficience humaine, les réseaux de santé se sont rapidement développés et étendus à la prise en charge de nombreuses autres pathologies, pour devenir un maillon aujourd’hui reconnu et bien spécifique au sein de l’organisation sanitaire française. Dans chaque région, de nouveaux réseaux voient le jour, répondant aux besoins particuliers d’une population donnée.

En Guadeloupe, l’hypertension artérielle (HTA) fait partie des priorités

régionales de santé. Notre travail consiste à présenter le réseau de santé « HTA-Gwad », créé en 2001, et dont l’objectif est, selon les statuts de son association, de « contribuer à l’amélioration de la prise en charge globale de l’hypertension artérielle en Guadeloupe à travers une nécessaire graduation et continuité des soins ». Malgré la forte prévalence de l’HTA dans les pays occidentaux, et notamment en France, et les nombreuses difficultés de sa bonne prise en charge (observance, hygiène, diététique…), aucun réseau de ce type n’avait à notre connaissance encore été créé.

Nous tenterons de définir la place qu’occupent actuellement les réseaux dans

l’organisation des soins en France, puis nous étudierons le problème que pose l’hypertension artérielle dans l’archipel guadeloupéen. Nous détaillerons ensuite l’organisation du réseau HTA-Gwad, expérience-pilote pour un meilleur contrôle de l’HTA, qui reste une priorité de santé publique en France.

L’organisation des professionnels et des patients au sein d’un réseau de santé est-elle finalement pertinente pour la prise en charge de l’HTA ?

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I - LE PHENOMENE DES RESEAUX DE SANTE

Le développement, pendant les vingt dernières années, de ce qu’on appelle aujourd’hui les « réseaux de santé », s’est effectué dans un cadre historique et géographique particulier. Malgré ses nombreuses qualités, le système de soins français est depuis plusieurs années une source d’insatisfactions pour ses gestionnaires et pour ses bénéficiaires, patients et médecins, auxquelles les réseaux de santé viennent apporter des éléments de réponse.

Nous ne prétendons évidemment pas ici à l’exhaustivité, notre but étant de donner une vue d’ensemble des enjeux et des principaux textes de référence, à partir desquels le lecteur intéressé pourra retrouver par lui-même, s’il le souhaite, les détails qui lui manquent. Si les sources bibliographiques importantes sont notées, un certain nombre de relevés, sur internet, d’expériences éparses alimentent notre propos, pour lesquelles nous n’avons pas cru nécessaire de restituer à chaque fois les origines multiples. 1 – CONTEXTE HISTORIQUE

Sans prétendre faire ici une analyse approfondie historique, sociologique et

politico-économique de l’environnement qui a favorisé l’apparition et l’extension de telles structures, nous voudrions tout de même rappeler quelques-unes de ses caractéristiques.

A - Des soins curatifs développés

Les soins « curatifs » ont pour but la guérison d’une maladie déclarée (Larousse). On leur oppose les soins « préventifs », qui s’attachent à devancer et empêcher l’apparition des troubles, et les soins « palliatifs » qui recherchent le soulagement et l’accompagnement des malades « incurables ».

• Un modèle historique du soin Si ces soins dits curatifs ont connu un essor puissant au cours des derniers siècles, cela peut selon nous s’expliquer par l’exigence générale d’objectivité de la science après la Renaissance, qui, s’agissant de médecine, n’a pris en considération dans un premier temps que ce qui se voit, se palpe, s’entend, se sent, et même parfois se goûte. Cette objectivation de la maladie, qui suppose donc évidemment qu’elle soit déclarée, était tellement primordiale pour les anatomopathologistes du dix-neuvième siècle qu’elle était quasiment assimilée au soin. On connaît bien dans

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cette veine la plaisanterie classique de cette « opération qui s’est très bien déroulée, bien que le malade n’ait pas survécu ». La guérison, qui était tout de même le but des médecins, a parallèlement consisté à supprimer ces manifestations morbides, en accordant, selon la même logique, une prééminence aux manifestations objectives sur les symptômes. Les moyens pour y parvenir se sont développés, le meilleur étant pour tous le traitement « étiologique », c’est-à-dire celui de sa « cause » - la (ou les) cause(s) d’une maladie étant sa (ou une de ses) condition(s) sine qua non (2). Et « avec Pasteur, le corps social a adopté un schéma simple et précis de la maladie : des agents externes, figurés, identifiables (modèle : les bactéries), agressent un organisme sain, y provoquent des lésions se traduisant par des signes dont le regroupement permet de reconnaître la maladie » (3). Une conception commune s’est ainsi répandue : le malade est une personne saine à laquelle vient s’ajouter une maladie ; un traitement soustrait la maladie et rend la personne saine. Cette vision dite « ontologique » de la maladie, que l’on peut retrouver à différents moments de l’histoire de la médecine, s’opposant à une vision globale - sur laquelle nous reviendrons ensuite - de l’homme malade, a le mérite d’être simple, donc facilement compréhensible et fédératrice ; de valoriser le médecin et ses auxiliaires par l’impact spectaculaire rapide de leurs interventions et à travers eux, la science moderne et toutes ses implications ; enfin de s’intégrer parfaitement à l’organisation économique marchande contemporaine, conceptuellement (la maladie comme objet indésirable acquis par malchance) et concrètement (la maladie supposant un traitement spécifique bien identifié facilement monnayable). • Techniques et spécialités Poursuivant ce même mouvement, forte notamment de ses succès en bactériologie avec la vaccination puis la découverte des antibiotiques vers le milieu du vingtième siècle, la science médicale moderne n’a pas cessé de se compliquer en multipliant les moyens d’exploration et de modification du corps humain. Biologie, cytologie et pharmacologie, génétique et biologie moléculaire, enregistrements électriques, imagerie, réanimation, explorations fonctionnelles, fibroscopies et chirurgie, se sont développées à grande vitesse, créant de nouvelles spécialités médicales, et de nouvelles spécialités à l’intérieur de chaque spécialité.

Apparue au cours du dix-neuvième siècle, la spécialisation des études médicales, officialisée dans les années 1870, s’est progressivement accentuée. Et le métier de médecin s’est divisé en un nombre de plus en plus grand de disciplines très diverses, chacun s’efforçant de connaître le mieux possible son domaine restreint. Dans chaque discipline, le recours à des techniques instrumentales (analyses biologiques, radiologie conventionnelle, imagerie par résonance magnétique, échographie, doppler, laser, électrocardiographie etc.) s’est progressivement imposé pour le diagnostic et le traitement des maladies.

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Régulateurs ou exécutants de cette technique médicale, certains praticiens, se souvenant qu’ils étaient encore de notables savants pendant la première moitié du vingtième siècle, regrettent parfois maintenant d’être devenus de simples « prestataires de services », des dépanneurs. Certains aspects de la prise en charge - même strictement médicale - de nos patients nous échappent souvent, puisqu’il est devenu impossible d’avoir une connaissance scientifique exhaustive.

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• Le temple hospitalier Le 21 décembre 1941, une loi consacre l’hôpital comme établissement

sanitaire et social, mettant fin aux hospices qui avaient reçu pendant plusieurs siècles les pauvres, les vieillards, les vagabonds et les orphelins, et pose les bases de l’institution moderne ; en 1958, une réforme initiée par le professeur Robert Debré crée les centres hospitalo-universitaires et leur organisation hiérarchique.

L’hôpital est déjà le lieu de la nécessaire concentration de moyens techniques et de personnel spécialisé ; il est « le temple où les grands savants posséderaient tout ce dont le praticien est dépourvu : appareils, laboratoires et médicaments rares ou produits sanguins, non en vente dans les pharmacies. Là officient les spécialistes, les professeurs, les super-techniciens de la machine corporelle » (4).

En 1955, Jean Estève et le Pr Denoix, deux initiateurs de la première forme d’hospitalisation à domicile en France, notent déjà que le recours à l’hospitalisation est de plus en plus fréquent, pour des raisons qui restent d’actualité : « Le traitement d’une maladie nécessite désormais l’emploi d’un armement technique de plus en plus complexe, servi par un personnel médical et infirmier hautement qualifié. (...) L’hôpital est déjà, et deviendra de plus en plus, un centre de diagnostic et de traitement perfectionné, doté de moyens techniques puissants, le recours à l’hospitalisation étant le procédé le plus commode pour les utiliser. La médecine a un champ d’action chaque jour plus étendu. (...) Des malades, considérés dans le passé comme incurables, peuvent être traités aujourd’hui avec chance de succès. (...) Les maladies chroniques, en particulier, deviennent maintenant, au moins à certaines phases de leur évolution, justiciables, au même titre que les maladies « aiguës » d’une concentration de moyens techniques de haute valeur que seul peut offrir un hôpital général. (...) La législation, en étendant à tous le bénéfice d’une médecine de qualité, pousse inéluctablement à l’hospitalisation. (...) Cette tendance à l’hospitalisation a des conséquences fâcheuses : elle aggrave l’insuffisance du nombre de lits dont dispose notre armement hospitalier, (...) elle creuse davantage le fossé regrettable qui sépare la médecine hospitalière et le praticien de ville, en retirant peu à peu à ce dernier sa clientèle sans rien lui apporter en échange (…). »

Et ils notent même : « A devenir de plus en plus scientifique, la médecine se déshumanise : on ne lutte plus pour le malade, mais contre la maladie ! et cet écueil est extrêmement inquiétant (...). » (5)

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B - Un défaut de coordination

Les différents intervenants de santé, dont l’efficacité curative est souvent bonne, s’articulent mal entre-eux, et l’ensemble du système en pâtit. Nous évoquerons quelques-uns de ces domaines, complémentaires mais cloisonnés, en nous limitant aux soins proprement dits – mais on peut signaler ici les cloisonnements correspondants financiers et administratifs, public et privé, ainsi que celui qui sépare les professionnels de santé et l’administration.

• Ville et hôpital Les médecins libéraux, dont on vient de voir qu’ils perdent parfois leurs

patients après les avoir adressés à l’hôpital, déplorent par ailleurs fréquemment la difficulté de communication avec ce dernier : difficulté à obtenir un avis spécialisé, même par téléphone, silence en cas d’hospitalisation ou de décès d’un de leurs patients à l’hôpital, retard dans la transmission des compte-rendus d’hospitalisation.

C’ est une source de frustration, chez les omnipraticiens libéraux en particulier, qui se sentent parfois seuls et négligés, alors qu’ils assurent la première ligne des soins médicaux.

Du point de vue du médecin hospitalier, on peut noter une certaine méfiance, en grande partie justifiée, concernant les connaissances imparfaites du confrère libéral (plus spécialement généraliste), moins au fait des nouveaux fruits de la recherche, et souvent plus irrationnel dans ses prescriptions.

En effet, le rapide développement des techniques et des spécialités, des publications, nécessitent une mise à jour continuelle des connaissances du praticien, au moins en ce qui concerne sa spécialité propre, pour honorer son « obligation de moyens » : les mécanismes des maladies se précisent, leur épidémiologie change, des maladies apparaissent, de nouvelles molécules efficaces sont créées (même si les véritables progrès restent rares, comparativement aux nombreuses nouveautés prétendues « révolutionnaires » mises sur la marché par les firmes pharmaceutiques).

Confronté quotidiennement à des lacunes dans ses connaissances médicales (dans une étude d’observation menée en 1993 aux Etats-Unis chez cinquante médecins (6), cela concernait une consultation sur deux !), et soumis à la pression de sa clientèle, à l’exigence personnelle de ne pas « rater » de diagnostic, et à la peur de négliger une maladie grave, le praticien a multiplié la prescription d’examens complémentaires, d’avis spécialisés, de demandes d’hospitalisation ou de médicaments actifs.

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Analysées objectivement, ces prescriptions s’avèrent régulièrement inappropriées ; souvent complètement inutiles, parfois dangereuses. Ces actes déraisonnables ne sont pas d’ailleurs le seul privilège de la ville.

Ce gâchis est aggravé par le manque de communication (dans les deux sens)

entre les deux secteurs, responsable d’une répétition rapprochée dans le temps d’examens identiques, parce-que l’on ignore ce qui a déjà été fait, ou que les résultats n’ont pas été transmis.

• Thérapeutiques divergentes La compartimentation du dossier médical entre médecine libérale et

hospitalière, médecine générale et spécialités, se complique en outre parfois d’une discordance dans les options thérapeutiques.

En effet, les études analysent fréquemment le devenir d’un organe ou d’un système soumis à un traitement, et concluent plus rarement sur le bénéfice en terme de mortalité globale. Tel médicament peut avoir un effet bénéfique démontré sur tel organe, mais être délétère sur tel autre. ; un cardiologue pourra souhaiter donner un diurétique à un patient hypertendu, là où son néphrologue préfèrerait lui donner un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC). Et même au sein d’un seul système, différentes études, d’interprétation délicate, peuvent avoir des résultats discordants, et créer plusieurs « écoles ».

Cette complexité, qui fait la richesse et l’intérêt de la science, cette absence

de dogmatisme qui authentifie son caractère expérimental, entraîne aussi des confusions pour le non-spécialiste et le malade.

• Patients écartelés « Découpé » par les différents acteurs de sa prise en charge, dont on vient de

voir qu’ils ne s’accordent pas toujours, et qu’ils se parlent peu, le malade, qui a naturellement conscience de son unité, peut avoir du mal à s’y retrouver.

Le statut de malade, qu’il réclame parfois, peut lui être refusé par les médecins - et inversement, selon que la personne ressent des symptômes ou que le praticien objective une lésion.

Plus ou moins bien informés, par les médias, les nombreux ouvrages de

vulgarisation, et plus récemment l’internet, sur le mal qui les atteint et sur ses possibilités de traitement, tributaires des contradictions de leurs différents interlocuteurs, devinant des insuffisances dans le corps médical (sans savoir toujours précisément où elles se situent), aidés financièrement par les caisses d’assurance maladie, les patients n’hésitent pas à répéter d’eux-mêmes consultations

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spécialisées et examens complémentaires, sans en informer leurs différents médecins, ce qui accroît encore le gâchis dont on parlait plus haut.

Quelques-uns, convaincus que la médecine a désormais les moyens de

mettre, en quelques heures, par le biais d’une radiographie ou d’un dosage, un nom de maladie précis sur n’importe quel trouble ressenti, assorti d’un traitement spécifique rapidement efficace, n’hésitent pas à réclamer des investigations ou des résultats thérapeutiques délirants d’un point de vue scientifique.

Cette confiance dans la toute-puissance médicale est néanmoins tempérée

par plusieurs facteurs. L’apparition, parfois retardée, d’effets indésirables graves de nouveaux traitements (diéthylstilbestrol, thalidomide) ; les infections nosocomiales ; les erreurs médicales de plus ou moins grande envergure, d’autant plus graves que les moyens utilisés sont plus puissants, ont entraîné une certaine méfiance vis-à-vis des procédés médicaux modernes. L’affaire du sang contaminé, l’émergence de nouveaux fléaux sanitaires (épidémie de sida, encéphalopathie spongiforme…) ont sensibilisé l’opinion aux enjeux de Santé Publique, et renforcé sa vigilance concernant la sécurité des soins.

La relation traditionnellement verticale, autoritaire, du patient avec son médecin qui « ordonne » ses prescriptions, s’estompe ainsi pour privilégier le « consentement éclairé » voire une participation active du patient à son traitement.

En réaction à la dispersion et au caractère toujours réducteur de leur prise en

charge médicale, à l’absence de parallélisme entre le trouble ressenti et la maladie objective, les malades se sont organisés personnellement. Ils se rapprochent de méthodes alternatives de guérison (acupuncture, homéopathie, nutrithérapie, méditation…) ; s’informent et se soutiennent dans des associations de patients ; tributaires du consumérisme, et considérant de plus en plus les prestations de santé comme un service parmi d’autres, soutenus par l’accroissement des droits civiques, et sans doute influencés par le culte moderne de la jeunesse compétitive et l’éloignement de la mort, ils font valoir leur « droit à la santé », droit de juger et sanctionner aussi les fautes médicales dont ils peuvent avoir été victimes.

• Secteurs médical, paramédical, psychosocial, associatif A côté de ces nouvelles structures associatives, les patients sont aussi soutenus, plus classiquement, par leur pharmacien ou des membres du personnel para-médical, infirmier(e), kinésithérapeute, aide-soignant(e), orthophoniste, sage-femme, podologue, diététicien(ne)… qui offrent chacun un abord spécifique de la personne, au sein de sa famille, de son quartier ; seuls bénéficiaires parfois d’une confidence, au décours d’un soin ou d’une toilette.

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Il faut rappeler par ailleurs que, partageant le même souci scientifique d’explication rationnelle des phénomènes naturels, et parallèlement à la médecine de la maladie authentifiée par une lésion organique, la psychologie s’est développée en créant ses propres sciences. Son influence en médecine a été grandissante au cours du vingtième siècle ; elle est intégrée au cursus des études médicales depuis le début des années soixante. En effet, « les succès mêmes de la médecine d’organe et de la méthode anatomo-clinique, ont permis de percevoir les limites de cette approche et ainsi de mieux cerner la place occupée par les autres facteurs : génétiques, socio-économiques, environnementaux et plus particulièrement psychologiques, c’est-à-dire interrelationnels. (…) La multiplication et l’efficacité des examens complémentaires, comme des thérapeutiques, permettent beaucoup plus aisément que par le passé de prouver ou d’éliminer la lésion. On peut alors s’apercevoir par des enquêtes que 50 à 75 p. cent des malades venant consulter les médecins généralistes n’ont pas de maladie lésionnelle.» (7) pp. 6 et 7 Ce vaste domaine des troubles dits « fonctionnels », c’est-à-dire sans support lésionnel organique retrouvé (il n’est pas exclu, les moyens d’investigation s’affinant, que l’on découvre une organicité sous-jacente à un symptôme jusque-là considéré comme purement fonctionnel), la pathologie psychosomatique (concernant un « trouble somatique qui comporte dans son déterminisme un facteur psychologique intervenant non pas de façon contingente, comme cela peut survenir dans n’importe quelle affection, mais par une contribution essentielle à la genèse de la maladie » (7) p. 175), la démonstration de l’existence de l’ « effet placebo » (différence entre la modification constatée après administration d’un produit et celle imputable à son effet pharmacodynamique), les problèmes soulevés par l’observance au cours des maladies chroniques, le retentissement psychologique du traumatisme de la maladie, ou encore la médicalisation de la vie qui amène à consulter un médecin pour une tension conjugale, une difficulté professionnelle ou l’échec scolaire d’un enfant, (7) ont fait du psychologue ou du psychiatre les acolytes obligés du somaticien. Le travailleur social également, que ce soit en raison de cette médicalisation croissante qui conduit devant le médecin des problèmes de nature purement sociale, en raison de la fréquente influence du milieu social dans l’apparition d’une maladie et du rôle préventif qu’ils peut ainsi assurer, ou encore des répercussions socioprofessionnelles qu’une maladie peut entraîner, peut intervenir de manière cruciale à tous les stades du soin.

Ces différents secteurs : médical, para-médical, psychosocial, associatif ou encore éducatif, s’ils se rencontrent nécessairement à certains moments, travaillent indépendamment ; leurs efforts pour se faire comprendre des autres, et tenter une démarche globale d’accompagnement dépendent grandement des personnalités impliquées.

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La nécessaire coordination, à la fois du milieu libéral et du milieu hospitalier, des interventions thérapeutiques, ou des intervenants médicaux et de leurs collègues dont la formation relève d’une toute autre formation et vis-à-vis desquels ils gardent régulièrement un complexe de supériorité hiérarchique (alors même que le rôle thérapeutique de ces derniers peut être supérieur au leur dans certaines situations), cette cohérence manque souvent à l’organisation des soins, autour de patients qui souhaitent que leur singularité humaine soit reconnue comme un tout indissociable.

• Télémédecine L’immense accroissement des moyens de transmission des informations au

cours des dernières décennies permettent maintenant aux médecins d’échanger des dossiers, des images et des sons en une fraction de seconde, voire d’intervenir chirurgicalement à distance. Ces outils, qui relient instantanément tant de disciplines entre-elles, ont rendu anachronique toute opacité entre les différents secteurs de la santé.

C – Un coût trop important L’augmentation mal maîtrisée des dépenses de santé, et ses conséquences

sociales, alimentent depuis des décennies les discussions politiques et économiques. Nous donnerons simplement quelques chiffres.

Pour les seuls médicaments, les dépenses pharmaceutiques annuelles des ménages, qui avaient déjà été multipliées par neuf de 1970 à 1992 (8), ont encore pratiquement doublé entre 1990 et 2001 (de 14,4 à 27,3 milliards d’euros) (9). La consommation de soins et de biens médicaux en France, qui représentait 7% du produit intérieur brut (PIB) en 1981, s’élève à 9,5% en 2002 (10). Et les dépenses de santé ont augmenté de 6,6% en 2003 (11).

En France, actuellement, la Sécurité Sociale prend en charge au sein de l’Assurance Maladie environ 75% des dépenses de santé, les 25% restant étant assurés par les ménages (directement, ou indirectement par l’intermédiaire de mutuelles privées) (9). Son monstrueux déficit financier (quatorze milliards d’euros en 2004 – (12)), en majeure partie lié à sa branche santé (treize milliards d’euros) , oblige constamment responsables politiques et économiques à proposer des solutions pour le combler.

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D – Vers une meilleure prévention

Fruits du travail de la recherche médicale, les facteurs de risque des maladies se précisent. La suppression de certains d’entre eux permet d’éviter, ou de retarder ces dernières.

On peut remarquer que certains de ces progrès (comme la démonstration de l’impact de l’environnement et des comportements sur la santé, ou la découverte de prédispositions génétiques à certaines maladies), font apparaître une continuité de la santé à la maladie déclarée, qui remet en question la vision ontologique de la maladie que l’on évoquait plus haut. Le rôle de facteurs psychologiques, économiques, sociaux et environnementaux dans le développement des maladies (13), la constatation que la tuberculose avait régressé avant la vaccination et l’emploi des antibiotiques, et que sa morbidité était liée au niveau socio-économique et éducatif d’une population ; que la pollution de l’air, de l’eau peut réduire l’espérance de vie (14), nous obligent à revoir notre conception de la maladie, à l’envisager dans une dynamique beaucoup plus globale : un malade n’est pas une personne saine à laquelle vient s’ajouter une maladie ; la santé ne peut pas se résumer à l’absence de maladie.

La seconde remarque que l’on puisse faire est que cette mise en évidence de facteurs non médicaux dans la santé fait intervenir une multitude d’intervenants aux côtés des médecins. On a déjà évoqué le milieu associatif, le personnel para-médical, les travailleurs sociaux ou les psychologues ; on peut maintenant ajouter de nouveaux métiers des « sciences humaines », les sociologues, les anthropologues, les philosophes ; les hommes politiques ; les responsables industriels ; les métiers de l’écologie.

La prévention, qui se propose d’éviter, ou de réduire, le nombre et la gravité des maladies ou des accidents, et dont on apprend à la faculté qu’elle constitue toujours la meilleure médecine, est classiquement divisée en trois niveaux :

• la prévention primaire tend à diminuer l’incidence, c’est-à-dire l’apparition de nouveaux cas d’une maladie, par des actions d’information, de formation, en vue d’éviter les comportements à risque (consommation de drogues, sédentarité, alimentation déséquilibrée etc.) ; • la prévention secondaire veut réduire la prévalence, c’est-à-dire la durée d’évolution de la maladie, par le biais notamment d’un dépistage précoce ; • la prévention tertiaire vise la réduction des complications, des incapacités, et favorise la réinsertion sociale et professionnelle après la maladie.

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Les moyens de cette prévention sont de trois ordres (15) pp. 44 - 45 : - techniques ; non spécifiques, par le dépistage (prévention

secondaire), ou spécifiques à chaque type de maladie - sanitaires ; « ils protègent la population des nuisances extérieures et

favorisent des comportements individuels non nocifs » ; il s’agit de la protection de l’environnement et de l’éducation pour la santé

- politiques ; recherche d’une meilleure égalité sociale et économique ; planification familiale dans les pays en voie de développement par exemple.

L’éducation thérapeutique, pratique relativement récente qui s’adresse en

priorité aux patients chroniques (représentant de ce fait un moyen privilégié de la prévention secondaire et tertiaire), est depuis 1998 définie par l’organisation mondiale de la santé (OMS) de la manière suivante : « l’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s’agit, par conséquent, d’un processus permanent, intégré dans les soins, et centré sur le patient. » (16)

L’efficacité de cette éducation a été démontrée dans plusieurs études. Par exemple, un abaissement de moitié du coût médical chez des patients asthmatiques éduqués, avec une prévention de 75 p. cent des crises d’asthme et une diminution de 80 p. cent des visites en urgence et des hospitalisations (17). Les patients diabétiques éduqués parviennent à éviter 80 p. cent des cas de comas hyperglycémiques (18) et 75 p. cent des amputations des membres inférieurs (19), ce qui représente une économie financière estimée à 6,7 millions de dollars. Concernant ces mêmes économies, on peut encore citer l’analyse allemande, en 1993, d’un programme national d’éducation des patients diabétiques non insulino-dépendants, qui a observé que l’économie introduite par la diminution de la consommation des antidiabétiques oraux rentabilisait l’investissement de l’éducation dès la deuxième année. (20)

Et pour la situation qui nous concerne plus spécialement dans cet exposé, les hypertendus peuvent réduire, en moyenne, de 20 à 30 mm de Hg leur pression artérielle en améliorant le suivi de la prescription médicamenteuse (21), avec une réduction de 30 p. cent de la mortalité à cinq ans. (22)

Les politiques ont depuis longtemps pris part à la prévention médicale, des

mesures d’évitement d’un danger épidémique immédiat (peste, choléra), à l’ « assainissement » des villes, en passant par les campagnes contre l’alcoolisme ou la prévention routière. S’appuyant sur le puissant développement des médias, ils mettent depuis quelques années l’accent sur ce type d’intervention sanitaire, dont on voit qu’elles sont « rentables », pour limiter notamment le développement des maladies chroniques. En effet, le vieillissement de la population occidentale et les progrès médicaux - qui permettent de vivre plus longtemps avec une maladie, et de

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mieux la dépister - ont démultiplié le nombre de personnes vivant avec une affection chronique, dont le coût de prise en charge est très lourd.

Comme le notent J.-F. d’Ivernois et R. Gagnayre , la prise en charge « classique » de ce type d’affections n’est pas pleinement satisfaisante : « La médecine scientifique ayant fait preuve de son efficacité dans les maladies aiguës, a laissé penser qu’elle serait également capable de vaincre les maladies chroniques, dont la prise en charge et la prévention des facteurs aggravants ont constitué progressivement son activité principale. Cependant, il faut bien constater que la médecine se heurte à un problème qu’elle a la plus grande difficulté à résoudre. D’abord, parce-qu’il n’est pas question de guérison (il s’agit tout au plus de maintenir dans un état de fonctionnement des personnes malades), d’autre part parce-que les thérapeutiques sont bien souvent inadaptées à un usage à long terme. Les médicaments qui font merveille dans les affections aiguës peuvent avoir des « effets iatrogènes » quand ils sont utilisés dans des maladies de longue durée. Enfin, la prise en charge des maladies chroniques exige une telle permanence de prestations et d’attention qu’inévitablement est sollicitée la participation du patient à ses propres soins. » (23)

Soutenue par les pouvoirs publics, en particulier parce-que son développement

est bien plus rentable financièrement et humainement que les avancées techniques susceptibles de se réaliser, la prévention est ainsi en plein essor.

Là aussi, une meilleure coordination avec les soins curatifs semble bénéfique aux uns comme aux autres :

- ceux-ci prennent tout leur sens si une vraie démarche préventive est engagée au décours (par exemple : un accompagnement social rapproché après traitement d’une tuberculose pulmonaire chez un homme sans domicile fixe) ;

- la motivation des patients et de leur entourage pour la prévention est renforcée par l’illustration concrète des conséquences d’un mauvais contrôle des facteurs de risque (par exemple la maîtrise de l’hypertension artérielle après accident vasculaire cérébral) ;

- finalement elle propose aux personnes des soins cohérents dans une approche plus globale de leur santé.

E – Modèles biomédical et global

Equilibrant l’aspect technique spécialisé du soin, à visée essentiellement curative - qui risque de s’enfoncer toujours plus profond dans les processus morbides en se coupant des demandes des patients et de leur qualité de vie – se dessine ainsi, depuis plusieurs dizaines d’années, une autre forme d’accompagnement, plus complexe, qui se réfère à cette autre conception plus globale de la maladie et de ses causes.

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On apprend dans le livre de P. Jeammet, M. Reynaud et S. Consoli (7) pp

178 et 234, que cet affrontement n’est pas récent puisque « deux courants complémentaires s’opposent dès le début de l’histoire de la médecine, en ce qui concerne la pratique médicale et la conception de la maladie. »

L’un « est illustré par Galien et par l’école de Cuide. Il repose sur la notion de maladie à laquelle est conférée une existence autonome. L’origine d’une maladie est authentifiée dans une lésion anatomo-clinique. (…) L’intervention médicale consiste à localiser le mal dans le corps et si possible à l’extirper. Il s’agit donc d’une conception positiviste et mécaniciste. » Les auteurs remarquent que « les conceptions religieuses de la maladie, comme sortilège, envoûtement ou possession, participent de la même façon de voir. »

L’autre « est illustré dans l’antiquité grecque par Hippocrate et l’école de Cos. C’est une médecine qui a pour objet l’homme malade dans sa totalité. Elle tient compte du tempérament du malade et de son histoire. La maladie est conçue comme une réaction globale de l’individu, impliquant son corps et son esprit, à une perturbation externe ou interne. L’intervention thérapeutique doit rétablir l’harmonie perdue de l’homme avec son milieu et avec lui-même. (…) » et ils ajoutent plus loin : « La maladie est tout à la fois expression du tempérament, ou, d’une façon plus moderne, de la personnalité, et déjà effort d’ « adaptation ». Elle n’est donc plus obligatoirement l’ennemi à abattre mais demande une alliance thérapeutique ou, au moins, une compréhension du rôle qu’elle joue dans le nouvel équilibre. »

J. Bury résume quant à lui en 1988 ces deux modèles historiques de conception des maladies ainsi (24) :

Le premier appelé modèle biomédical, infère que la maladie provient principalement d’un problème organique. Il véhicule l’idée selon laquelle toute maladie a une cause qui peut être guérie. Le développement médical est essentiellement centré sur une approche curative comportant des investigations diagnostiques et des actions thérapeutiques. Le médecin est le seul référent dans cette approche.

Le second modèle, appelé couramment modèle global, tente de montrer que la maladie résulte d’un ensemble complexe de facteurs organiques, psychosociaux et environnementaux. Il en résulte une approche qui prend en compte ces différents facteurs, depuis la prévention jusqu’à l’accompagnement du mourant. Pour lutter contre la maladie, la collaboration d’un grand nombre de professionnels est indispensable.

Le premier modèle considère la médecine comme une discipline scientifique dont l’objet d’étude est la maladie ; alors qu’elle est pour le second une pratique humaniste centrée sur le malade.

La volonté des professionnels de santé d’élargir le champ de la médecine au

domaine psychosocial se serait d’abord fait sentir dans les années soixante aux

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Etats-Unis (23), face à une conception scientiste qui avait prévalu le siècle précédent.

Il faut remarquer aujourd’hui que si le modèle biomédical – qui prévaut largement dans l’enseignement universitaire - comporte le risque d’une médecine technicienne et réductionniste, le modèle global peut quant à lui manquer de force opérationnelle au fur et à mesure que s’élargit la prise en compte de tous les facteurs, et qu’il semble donc souhaitable d’intégrer ces deux approches au bénéfice du sujet-patient.

F – Promotion de la Santé En 1948 l’OMS définissait, dans l’article premier de sa Constitution, la santé

comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. »

Ce qui suggère déjà que la santé : - est multidimensionnelle (liée au bien-être physique, mental et

social) - dépend donc de nombreux facteurs (situation sociale, relations

avec les autres, paix, justice, économie, environnement…) - est dynamique (susceptible de changer librement et souvent) - est subjective.

Ce vaste concept reste très actuel et différencie la santé des soins - mis en

œuvre pour faire disparaître la maladie, ou pour en diminuer les effets – et sur lesquels repose essentiellement le système dit « de santé » français.

Poursuivant le même but qu’à Alma Ata en 1978 (promotion des soins de

santé primaires dans le monde entier et en particulier dans les pays en développement en vue de permettre à « l’humanité tout entière [d’]accéder à un niveau acceptable de santé en l'an 2000 », « objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socio-économiques autres que celui de la santé » (25)), l’OMS prolonge en 1986 à Ottawa ce mouvement mondial de santé publique dans sa charte pour la promotion de la santé : « La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci. Cette démarche relève d’un concept définissant la « santé » comme la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, et d’autre part évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie. (…) La promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être. (…) [Elle] exige l’action concertée de tous les intervenants : les

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gouvernements, le secteur de la santé et les domaines sociaux et économiques connexes, les organismes bénévoles, les autorités régionales et locales, l’industrie et les médias. (…)

Le rôle du secteur sanitaire doit abonder de plus en plus dans le sens de la promotion de la santé, au-delà du mandat exigeant la prestation des soins médicaux. Ce secteur doit se doter d’un nouveau mandat comprenant le plaidoyer pour une politique sanitaire multisectorielle, ainsi que le soutien des individus et des groupes dans l’expression de leurs besoins de santé et dans l’adoption de modes de vie sains. (…) Ceci doit mener à un changement d’attitude et d’organisation au sein des services de santé, recentrés sur l’ensemble des besoins de l’individu perçu globalement. (…) » (26)

On peut noter ici que ce « changement d’attitude et d’organisation » induit

quelques changements significatifs dans le vocabulaire. Le terme de patients, que nous utilisons pour parler des malades qui

consultent, suppose une certaine passivité, tout comme celui d’usagers qui désigne les utilisateurs d’un service public. On parle de plus en plus de personnes malades pour désigner ceux qui, informés, participent aux décisions qui les concernent.

De même, on parle de prise en charge d’une maladie ou d’une personne quand il s’agit de décider et d’organiser l’ensemble des soins et de la surveillance qui sont nécessaires. Alors que dans l’accompagnement de la personne malade, on considère que celle-ci a le rôle actif et le médecin celui d’expert et de conseiller.

******** Cette promotion de la santé - qui en fait un bien à produire (et non plus à

consommer), un « capital » à valoriser par tous, et par tous les moyens nécessaires - conclue notre brève analyse ; le but de l’organisation des soins est la santé ; son centre est la personne malade. Dans une approche politique stratégique, on peut remarquer qu’il s’agit de promouvoir la « santé de chacun par la santé de tous avec pour corollaire la prolongation de la vie, l’amélioration de la productivité, de la consommation et donc de l’économie. » (15) p.1 ; la santé est aussi un déterminant économique et politique puissant.

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2 – LES PREMIERS RESEAUX

JM. Vinas a retrouvé des traces d’expériences françaises d’organisation coordonnée et décloisonnée des soins dès le début du vingtième siècle dans la prise en charge des tuberculeux (27). En 1972, la réforme de la psychiatrie et l’instauration d’équipes psychiatriques de secteur tendaient au même objectif. Les premières expériences marquantes datent de la fin des années 70 (réseaux gérontologiques, visant l’accompagnement et le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes).

Mais c’est à partir du milieu des années 80 qu’elles se sont rapidement étendues, devant les problèmes soulevés par la nouvelle épidémie du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). La nouveauté et la complexité de cette maladie nécessitaient un suivi spécialisé ; les personnes touchées étaient majoritairement issues de milieux précaires, parfois toxicomanes ; la sévérité du pronostic et l’absence de traitement efficace mettaient brutalement en faillite l’organisation des soins dits « curatifs » (bien que ceux-ci restent très opérationnels pour le traitement des infections opportunistes) et suscitaient facilement les démarches irrationnelles ; la contagiosité enfin rendait la prévention prioritaire. Les référents spécialistes hospitaliers, pour certains « starisés » par les médias, furent rapidement débordés, sans pouvoir déléguer le suivi de leurs patients aux médecins de ville dont ils ne connaissaient pas les compétences ; cette maladie a rapidement constitué une lourde charge pour les finances hospitalières, malgré l’effort des structures ambulatoires (consultations, hôpitaux de jour, hospitalisation à domicile) ; les médecins libéraux de leur côté avaient du mal à trouver des structures hospitalières pour accueillir leurs patients, et restaient incertains quant aux relais psychosociaux possibles ; et il était impératif de faire comprendre sa maladie au patient pour le faire participer à la prévention de sa contamination. La coordination des prises en charge curative, préventive, éducative et sociale autour de la personne devenait urgente.

A l’initiative de femmes et d’hommes de terrain, médecins libéraux ou

exerçant en institution, pharmaciens, infirmiers, ne pouvant plus faire face, dans les cadres traditionnels, à ce type de situations complexes, des réseaux informels de pratiques coordonnées et coopératives sont ainsi apparus dans le milieu des années 80. Les échanges, lors de réunions ou de cessions de formation, la connaissance des conditions d’exercice et des missions de chacun, ont progressivement facilité les relations entre les différents professionnels.

Ces structures ont permis à leurs usagers de mieux s’orienter dans le système de santé, de leur apporter des réponses concrètes sur les différents aspects du maintien à domicile accessibles dans leur secteur d’habitation (médecins et autres professionnels de santé, aides ménagères, bénévoles, assistantes sociales, avocats, repas à domicile, blanchissage...) ; de participer, avec leur entourage, à des actions d’information et de prévention ou à des groupes de paroles ; de rejoindre diverses associations.

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Les premiers réseaux « ville-hôpital » pour la prise en charge des patients

atteints du SIDA s’étendent rapidement à la prise en charge d’autres pathologies touchant le même milieu (toxicomanie ou plus généralement pratiques addictives, hépatite C), pour devenir parfois des réseaux, non plus centrés sur une pathologie spécifique, mais sur une population (précarité).

Des méthodes de travail issues d’autres secteurs sont appliquées au domaine de la santé. Ainsi à Colombes, des promoteurs d’un réseau affilié à l’hôpital Louis Mourier ont fait appel à des ethnologues pour étudier le comportement social des toxicomanes suivis par le réseau, en particulier dans leurs relations avec leur généraliste traitant. Des « personnes-relais » sont formées ailleurs, issues de communautés dans lesquelles « une personne extérieure risque fort de ne pas être comprise si elle ne connaît pas les habitudes de ce groupe », afin de « relayer des informations » dans leur groupe d’origine (on peut parler ainsi, selon les actions, d’habitants-relais, de jeunes-relais, etc.).

Et si, avec la découverte de traitements efficaces contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), une prise en charge plus conventionnelle de la maladie a finalement été permise, celle-ci a d’abord révélé les limites de notre système de santé, et ainsi favorisé l’émergence de nouvelles organisations, « assemblage[s] non structuré[s] d’acteurs libres entretenant entre-eux une communauté forte » (28), qui ont pu tout aussi bien se consacrer aux soins palliatifs, à la cancérologie, à la périnatalité, au diabète etc. Elle a permis l’ « ouverture d’un espace à des réflexions ou des organisations qui auraient été autrement considérées comme subversives ou plutôt n’auraient pas été comprises. »

Ces nouvelles pratiques occasionnaient des frais nouveaux. La gestion des

réunions et le suivi des différents professionnels ; les charges administratives ; la création d’un système d’information ; l’incitation financière pour les nouvelles tâches supportées par les coordinateurs ou les adhérents ; l’évaluation des processus mis en œuvre ; ou encore la rémunération de soins pris en charge par le réseau représentaient un investissement lourd.

Leurs premiers financements ont fait appel à plusieurs sources : privées (mutuelles et assurances, laboratoires pharmaceutiques intervenant dans la thérapeutique de la pathologie concernée...), crédits d’Etat gérés par la Direction générale de la santé, crédits nationaux ou régionaux de prévention des différents régimes de Sécurité sociale, Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), enveloppe hospitalière (pour les réseaux entre hôpitaux)...

Leur reconnaissance - trop tardive selon les pilotes de réseaux - par les

pouvoirs publics, a finalement été enthousiaste. Le 4 juin 1991, une première circulaire de la Direction générale de la santé et de la Direction des hôpitaux est publiée, dont l’objet est de régir et d’harmoniser les réseaux ville-hôpital chargés de la prise en charge des personnes atteintes du VIH (29). Suivront près d’une vingtaine de textes similaires intéressant d’autres pathologies (toxicomanie, hépatite

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C, actions de santé en faveur des personnes les plus démunies etc.), toutes de portée limitée, ouvrant des crédits d’Etat spécifiques. Il faudra attendre les ordonnances de 1996 pour voir apparaître les premiers textes d’ordre plus général.

« La législation en ce qui concerne les réseaux de soins a retranscrit les pratiques de terrain, en laissant faire d’abord, en réglementant ensuite, en légalisant enfin ces processus, annonçant à terme la construction d’un autre système de soins. » (30)

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3 – L’EVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE

De ces textes officiels qui ont suivi et encouragé le développement des réseaux de santé en France depuis une dizaine d’années, nous citerons les principaux.

Ils s’insèrent dans une trame de nouvelles réglementations, visant une réforme de l’organisation des pratiques sanitaires. Son contrôle de plus en plus grand par les services de l’Etat, en vue de maîtriser l’évolution des dépenses, est l’un de ses principaux traits. Cette maîtrise passe notamment par l’adaptation de l’offre de soins aux besoins locaux de la population, avec les restructurations que cela implique ; et par sa rationalisation, par le biais notamment d’une meilleure formation des médecins et d’une meilleure coordination, en s’appuyant sur le développement de l’informatique médicale.

L’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, qui suppose leur évaluation et des recommandations de bonne pratique, est un autre trait saillant de cette réforme ; ainsi que la défense des droits des malades.

Sans rentrer dans les détails des textes, qui nous éloigneraient du cadre que nous nous sommes fixé, nous ne nous limiterons tout de même pas aux articles strictement consacrés aux réseaux, pour donner un aperçu des mesures conjointes, qui permettront de mieux comprendre la logique d’ensemble.

A - ordonnances du 24 avril 1996 : les expérimentations « Soubie »

Trois ordonnances sont datées du 24 avril 1996.

▪ L’ordonnance n° 96-344 portant mesures relatives à l’organisation de la sécurité sociale instaure des contrats d’objectifs et de moyens entre l’Etat et les différentes caisses de sécurité sociale, et crée dans chaque région une Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) chargée de « définir dans son ressort territorial une politique commune de gestion du risque, notamment dans le domaine des dépenses de soins de ville, et de veiller à sa mise en oeuvre. A cette fin, elle détermine les actions prioritaires à mener, émet un avis sur les plans d'action des caisses des différents régimes, procède à leur suivi et à leur évaluation. (…) Elle contribue à la mise en oeuvre par chacune des caisses des actions de prévention et d'éducation sanitaire nécessaires au respect des priorités de santé publique arrêtées au niveau régional. Elle mène avec les unions des médecins exerçant à titre libéral toutes les études utiles à la mise en oeuvre de ses attributions, notamment en matière d'évaluation des besoins médicaux, d'évaluation des comportements et des pratiques professionnelles et d’organisation et de régulation du système de santé. » (31)

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▪ L’ordonnance n° 96-345 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins (32) se décline en sept titres.

Le titre premier institue les conférences nationales et régionales santé. « Le ministre chargé de la santé réunit chaque année une conférence nationale de santé. Cette conférence a notamment pour objet : d’analyser les données relatives à la situation sanitaire de la population ainsi que l’évolution des besoins de santé de celle-ci ; de proposer les priorités de la politique de santé publique (…). »

Le titre II, qui allonge la formation initiale des médecins généralistes de six mois par l’instauration d’un stage en cabinet médical, oblige tout médecin à la formation continue, validée par les conseils national et régional de formation médicale continue ; son article 4 crée un fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale, prévoyant notamment une aide à l’informatisation des cabinets qui doit permettre notamment les échanges informatisés avec l’assurance maladie (télétransmission des feuilles de soins)(titre IV).

Mais c’est le titre III, intitulé « Coordination des soins », qui nous intéresse tout particulièrement. En plus du carnet de santé, distribué à tout bénéficiaire de l’assurance maladie âgé de plus de seize ans « afin de favoriser la continuité des soins », un chapitre intitulé « filières et réseaux de soins » stipule que :

« Pendant une durée de cinq ans à compter de la publication de l’ordonnance, des actions expérimentales sont menées dans le domaine médical ou médico-social sur l’ensemble du territoire, en vue de promouvoir, avec l’accord du bénéficiaire de l’assurance maladie concerné, des formes nouvelles de prise en charge des patients et d’organiser un accès plus rationnel au système de soins ainsi qu’une meilleure coordination dans cette prise en charge, qu’il s’agisse de soins ou de prévention.

Ces actions peuvent consister à mettre en œuvre : 1°) des filières de soins organisées à partir des médecins

généralistes, chargés du suivi médical et de l’accès des patients au système de soins ;

2°) des réseaux de soins expérimentaux permettant la prise en charge globale de patients atteints de pathologies lourdes ou chroniques ;

3°) tous autres dispositifs répondant aux objectifs énoncés au premier alinéa.

Les projets d’expérimentation peuvent être présentés par toute personne physique ou morale. Ils sont agréés par l’autorité compétente de l’Etat, compte tenu de leur intérêt médical et économique, après avis d’un conseil d’orientation (…). » (article L. 162-31-1 du Code de la sécurité sociale).

Si dans leur attribution les réseaux de soins sont distingués ici des filières, plus

spécialement destinées à limiter le gaspillage, on remarque qu’il s’agit tout de même en priorité – et l’intitulé de l’ordonnance le dit clairement – de limiter les dépenses

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de santé, plutôt que de rechercher une meilleure satisfaction des personnes prises en charge.

Le « conseil d’orientation des filières et réseaux », appelé parfois

« commission Soubie », du nom de son président, a été installé officiellement en octobre 1997. Il devait donner des avis sur les projets proposés, et susciter des projets novateurs sur les priorités de santé publique du Gouvernement.

En juin 2000, soit deux ans et demi après la mise en place de cette commission, cent cinquante dossiers étaient en cours d’instruction, dix-neuf avaient passé le cap du conseil d’orientation, et six seulement étaient agréés par le Ministère… Parmi ces derniers ne figuraient en outre aucun des réseaux pionniers des années 80 !

Cet agrément, qui nécessitait le calcul au centime près de toutes les prestations, ou encore l’écriture de référentiels médicaux et de procédures d’évaluation comme préalable à toute approbation, ne s’est donc pas révélé très productif. La lourdeur, le cheminement long et complexe et le caractère aléatoire de la réussite de cette procédure ont été critiqués par les responsables impliqués, promoteurs de réseaux, gestionnaires de l’assurance maladie et conseillers politiques, parce-qu’ils décourageaient les professionnels d’abord motivés par une organisation fluide et décloisonnée des soins, et qui ne se retrouvaient pas dans cette institutionnalisation rigide.

Pour la mise en œuvre des actions expérimentales, il est par ailleurs précisé

dans le texte de l’ordonnance que des dérogations peuvent être accordées, concernant « les tarifs, honoraires, rémunérations et frais accessoires dus aux médecins par les assurés sociaux », et notamment en ce qui concerne « le paiement direct des honoraires par le malade » ou les « frais couverts par l’assurance maladie ». En effet, comme le notait le Rapport Paillerets en 1999 (33), « le développement des réseaux, en introduisant des nouvelles modalités de prise en charge du patient, rend incontournable et urgente l’adaptation de la nomenclature des actes des professionnels de santé. Le besoin d’adaptation peut se traduire par de simples ajouts ou par la révision des cotations existantes. Mais il peut s’agir de la création de prestations totalement nouvelles et innovantes (éducation du patient, accompagnement social, forfaits correspondant à des « gestes » professionnels nouveaux, …). »

▪ L’ordonnance n° 96-346 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée (34) qui commence par un article sur les droits des malades hospitalisés, en précisant que chaque établissement « doit procéder à une évaluation régulière de leur satisfaction, portant notamment sur les conditions d'accueil et de séjour », insère une définition des réseaux à l’article L. 712-3-2 du Code de la santé publique :

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« En vue de mieux répondre à la satisfaction des besoins de la population tels qu'ils sont pris en compte par la carte sanitaire et par le schéma d'organisation sanitaire, les établissements de santé peuvent constituer des réseaux de soins spécifiques à certaines installations et activités de soins (…) ou à certaines pathologies. Les réseaux de soins ont pour objet d'assurer une meilleure orientation du patient, de favoriser la coordination et la continuité des soins qui lui sont dispensés et de promouvoir la délivrance de soins de proximité de qualité. Ils peuvent associer des médecins libéraux et d'autres professionnels de santé et des organismes à vocation sanitaire ou sociale. »

S’agissant d’une ordonnance traitant de l’hospitalisation, les réseaux définis ici sont constitués par les établissements de santé, il s’agit donc de réseaux entre établissements et de réseaux ville-hôpital, à l’exclusion des réseaux ambulatoires. On peut remarquer encore dans cette description que les réseaux sont plus centrés sur l’organisation des soins que sur la santé et les besoins des personnes, et qu’ils doivent répondre aux besoins régionaux de santé reconnus par le Gouvernement.

Cette même ordonnance inscrit la création de l’ Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES), « établissement public de l'Etat à caractère administratif » - qui remplace l’Agence nationale de l’évaluation médicale (ANDEM) créée en 1990 - dont la mission est :

1°) « De favoriser, tant au sein des établissements de santé publics et privés que dans le cadre de l'exercice libéral, le développement de l'évaluation des soins et des pratiques professionnelles », ce qui suppose notamment l’élaboration des méthodes de cette évaluation et des recommandations de bonnes pratiques cliniques ;

2°) « De mettre en oeuvre la procédure d'accréditation des établissements de santé », procédure externe d'évaluation rendue obligatoire pour tout établissement public ou privé, ainsi que pour les réseaux de soins, « afin d'assurer l'amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ».

Des agences régionales de l’hospitalisation (ARH) sont créées pour réguler les dépenses hospitalières. Sous l’autorité administrative de leur directeur nommé par décret, elles ont pour missions de « définir et de mettre en œuvre la politique régionale de l’offre de soins hospitaliers, d’analyser et de coordonner l’activité des établissements de santé publics et privés et de déterminer leurs ressources. » Elles signent avec les établissements des contrats d’objectifs et de moyens, qui se substituent au budget global ; ceux-ci « déterminent les orientations stratégiques des établissements, en tenant compte des objectifs du schéma d'organisation sanitaire, et définissent les conditions de mise en oeuvre de ces orientations ». D’importantes restructurations sont enfin ordonnées ; des communautés d’établissements de santé doivent se mettre en place dans le secteur public, afin de « réunir les lits et places précédemment autorisés sur des sites distinct à l’intérieur

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d’une même région sanitaire », très explicitement en vue de réduire leur nombre et de « rendre les moyens déficitaires ».

B - Fonds d’aide à la qualité des soins de ville

La loi de financement de la sécurité sociale 1999 (35) prévoit dans son article

25 la création d’un « fonds d’aide à la qualité des soins de ville » (FAQSV) au sein de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

Selon le décret qui en fixe les modalités d’application, ce fonds « participe à l’amélioration de la qualité et de la coordination des soins dispensés en ville, et contribue au financement d’actions concourant notamment à l’amélioration des pratiques professionnelles et à la leur évaluation, à la mise en place et au développement de formes coordonnées de prise en charge et notamment des réseaux de soins liant des professionnels de santé exerçant en ville à des établissements de santé. Le fonds peut financer notamment les dépenses d’équipement (…) ainsi que les dépenses d’étude et de recherche (…). L’attribution de l’aide est subordonnée à l’engagement du ou des professionnels (…) d’établir une évaluation de l’action financée. » (36)

Quatre thèmes sont privilégiés : - la promotion de la coordination des soins : entre professionnels de santé

libéraux - prescripteurs et prescrits, entre médecine de ville et médecine hospitalière (ex : implication des libéraux dans l’organisation des urgences et des gardes) ;

- l’amélioration des pratiques professionnelles : développement de démarche qualité, élaboration de référentiels communs (ex : programmes spécifiques de formation pour les professionnels - à l’évaluation, au travail en coopération, à la prise en charge de la douleur… - ou programmes d’éducation pour les patients) ;

- le développement du partage des informations (ex : dossier médical interdisciplinaire, fiches de liaison entre professionnels de santé…) ;

- le développement de l’évaluation des pratiques professionnelles (ex : études épidémiologiques pour mesurer l’impact de certaines actions)

Nous retrouvons bien là le champ des réseaux de soins. Pourtant, géré en

partenariat par des représentants des professionnels de santé et de l’Assurance maladie, le FAQSV – qui provient de l’enveloppe budgétaire des soins de ville - s’adresse exclusivement aux professionnels de santé libéraux, et aux centres de santé (l’implication d’établissements de santé est possible si le projet concerne une majorité de professionnels de santé libéraux). Et cette condition a été souvent

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critiquée puisqu’elle oppose un cloisonnement financier nuisible aux réseaux dont une des vocations est précisément de décloisonner ville et hôpital.

Les subventions sont limitées au niveau régional à 762 245 euros (dépenses maximales fixées par la loi de financement de la sécurité sociale à 106 millions d’euros pour 2004) et attribuées pour un an renouvelable par un bureau régional ; elles font l’objet de versement successifs conditionnés par des évaluations.

Créé initialement pour une durée de cinq ans, la FAQSV a été prolongé jusqu’à fin 2006 par la loi de financement de la sécurité sociale 2002. S’agissant des réseaux, compte tenu de la création d’une enveloppe spécifique par cette même loi (cf. infra la DNDR), le champ d’intervention du fonds se limite désormais aux frais d’étude de faisabilité et d’évaluation ; il peut aussi constituer une aide au démarrage de nouveaux réseaux (d’origine ambulatoire) innovants, spécialement lorsque ceux-ci comportent une prise de risque, en raison de la complexité du projet, ou d’un coût particulièrement important.

C - Des circulaires d’application difficile

Plusieurs circulaires émanant de la Direction hospitalière et de la Direction générale de la santé, concernant des sujets importants de Santé Publique, sont parues ces cinq dernières années, en vue d’une meilleure organisation des soins. Nous en citons quelques-unes, pour remarquer leur tendance générale au décloisonnement et à l’intégration de la prévention aux différents stades des soins, mesures propres aux réseaux, et dont on imagine mal la concrétisation en dehors d’eux.

Celle du 4 mai 1999, qui traite du diabète de type II (37), insiste sur l’importance de la prise en charge éducative de ces patients, eu égard aux risques de complications cardiovasculaires. Néanmoins, comme le notait en juin 2000 F.Martin , vice-président du Comité Français d’Education pour la Santé (remplacé depuis par l’INPES) : « que ce soit la coordination avec la médecine générale, la mise en œuvre d’actions extra ou intra-hospitalières d’éducation pour la santé en groupe sur le thème de l’alimentation, la réalisation de séquences éducatives thérapeutiques… il s’agit d’activités chronophages, peu valorisées en termes de point ISA, et la structure hospitalière ou ambulatoire du paiement à l’acte n’est actuellement que peu adaptée organisationnellement et culturellement à ces modalités de prise en charge. » (28)

Concernant la cancérologie, une circulaire d’avril 98 (38) insiste sur la pluridisciplinarité, la transversalité de la prise en charge, et F. Martin souligne : « les SROSS1 de deuxième génération (39) reprenant en compte les recommandations de cette circulaire, ont insisté sur la coordination avec les démarches de prévention 1 Schémas Régionaux d’Organisation Sanitaire et Sociale

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primaire et secondaire qui devraient être mises en œuvre pour tendre vers des améliorations significatives des indicateurs régionaux de mortalité ou de morbidité cancéreuses. Le cloisonnement actuel ne permet que difficilement de décliner des programmes régionaux qui soient effectivement appropriables par les différents acteurs de cette prévention. »

Une circulaire de 2000 proposant de lutter contre le tabagisme (40) - première cause de mortalité et de morbidité évitables - sous forme d’unités de coordination hospitalières, et une autre de 1998 « relative à la mission de lutte contre l’exclusion sociale des établissements de santé participant au service public » (41), illustrent encore cette volonté de prise en charge plus globale, pluridisciplinaire et coordonnée, des affections chroniques et des problèmes de dépendance ou de précarité sociale.

On constate facilement ici que les réseaux sont le parfait théâtre de ces nouvelles transformations ; leurs soutiens législatifs et financiers se sont donc étendus, répondant toujours mieux aux réalités du terrain.

D - Circulaire du 25 novembre 1999

Nous reproduisons intégralement en annexe I cette circulaire n° 99-648

« relative aux réseaux de soins préventifs, curatifs, palliatifs ou sociaux », qui reste pertinente dans son ensemble - même si elle n’est plus tout à fait d’actualité en ce qui concerne l’organisation du financement des réseaux. Destinée aux services des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), elle propose une définition large des réseaux de soins, en les centrant cette fois sur les « besoins des personnes ».

Après le détail instructif des grandes règles de fonctionnement des réseaux,

elle définit leur « progression » souhaitable vers des réseaux de santé polyvalents de proximité, centrés sur le patient, qui élargissent les soins à la prévention voire aux actions de santé publique.

Elle note que les réseaux doivent « être soutenus dans leur démarche, quel qu’en soit le stade, dès l’instant où celle-ci répond à un cahier des charges (cf. annexe 1) définissant précisément leurs objectifs, prévoyant une évaluation périodique de leurs résultats et visant à une amélioration de l’organisation des soins ». Ce cahier des charges unique pour tous les réseaux candidats à un financement public facilite l’instruction des dossiers et supprime les limites trop strictes précédemment assignées aux réseaux, tout en précisant les principaux jalons garantissant la qualité de la structure.

On remarque que les services sanitaires de l’Etat sont invités à susciter officiellement la création de réseaux dans certains secteurs, et le mode d’emploi en est donné (cf. annexe 3 « la nouvelle génération des réseaux »).

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Sa typologie enfin propose quatre grandes familles de réseaux. En plus des réseaux inter-établissements et des réseaux expérimentaux déjà définis par les ordonnances 96-346 et 96-345 (types I et IV), elle détaille les caractéristiques des « réseaux thématiques purs » et résume celles des « réseaux de santé de proximité » (types II et III), qui comprennent la très grande majorité des réseaux existants.

Si le contenu de ce texte et l’évolution qu’il a permis correspondaient mieux

aux attentes des promoteurs de réseaux que celui des ordonnances de 1996, ces derniers lui ont toutefois reproché sa portée limitée de simple circulaire, et attendaient impatiemment la loi annoncée depuis 1999, qui devait inscrire une nouvelle définition des réseaux dans le code de la santé publique - moins restrictive, donc plus adaptée aux réalités du terrain que les précédentes – et susciter des financements nouveaux. Ce tournant dans l’histoire – et la pratique - des réseaux s’est finalement opéré au cours de l’année 2002.

E - Dotation nationale de développement des réseaux

C’est la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 (42) qui crée au sein de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie une enveloppe spécifique pour le financement des réseaux appelée « dotation nationale de développement des réseaux » (DNDR). Cette dotation, longtemps réclamée par les réseaux, est répartie en dotations régionales (DRDR) d’un montant limitatif fixé par arrêté. Les directeurs des ARH et les directeurs des URCAM, sont chargés d’instruire conjointement, dans chaque région, les demandes de financements au sein d’un guichet unique, qui fournit en outre renseignements pratiques, outils méthodologiques, conseils et aides aux promoteurs pour l’orientation et le montage du projet. Il permet d’expliciter aux acteurs les priorités nationales et régionales ainsi que les critères d’octroi ou de refus des financements.

Selon le décret d’application de cette loi, cette décision conjointe des autorités hospitalière et de l’Assurance maladie prend en considération, pour chaque demande :

a) « La prise en compte des priorités pluriannuelles de santé publique ; b) « L'intérêt médical, social et économique, au regard de l'organisation,

de la coordination, de la qualité et de la continuité des soins tenant compte de l'offre de soins existante et des orientations définies par les schémas régionaux ou nationaux d'organisation sanitaire et les schémas médico-sociaux ainsi que des actions de prévention, d'éducation pour la santé et de formation ;

c) « Les critères de qualité et les conditions d'organisation, de fonctionnement et d'évaluation ;

d) « L'organisation et le plan de financement du réseau, les conditions de prise en charge financière des prestations ;

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e) « La justification des dérogations demandées en application de l'article L. 162-45. » (43)

Les « critères de qualité et les conditions d'organisation, de fonctionnement et d'évaluation » évoqués au c) ont été détaillés dans un second décret instructif, daté du 17 décembre 2002, dans lequel on retrouve la nécessité d’une « démarche d’amélioration de la qualité des pratiques » ; de la liberté de l’usager d’adhérer ou non au réseau et d’y choisir ses interlocuteurs ; de la transparence de l’organisation ; de l’écriture d’une charte et d’une convention constitutive, dont les contenus sont détaillés ; ainsi que les échéances imposées pour les rapports d’évaluation.

Le financement est prévu pour trois ans renouvelables, après évaluation. Il

prend la forme d’un règlement forfaitaire versé aux professionnels ou au réseau. Là encore, la demande des acteurs a été entendue : les actions ne sont plus isolées du fonctionnement du réseau et des charges afférentes. En effet, la circulaire n° 2002-610 du 19 décembre 2002 prévoit que les dépenses pouvant être imputées sur la DRDR sont :

- les frais de fonctionnement (notamment rémunération de la coordination),

- les actions collectives de prévention, - les formations pluridisciplinaires au travail en réseau, - la rémunération des professionnels hors champ conventionnel, - les dérogations aux prestations légales au bénéfice des assurés ou

des professionnels de santé. Ces dérogations tarifaires peuvent être : des taux de remboursement inhabituels

pour les patients (une personne dont la pathologie ne permet pas une prise en charge à cent p. cent par l’Assurance maladie pourra par exemple être totalement indemnisée à l’intérieur du réseau) ; des financements exceptionnels d’actes (podologie en diabétologie) ; ou encore la rémunération de prestations à des professionnels de santé, comme une action de coordination (sous forme de forfait), la sur-cotation d’une consultation particulière (éducation du patient), un acte dérogatoire (prévention). Ces dérogations sont négociées au moment de l’instruction du dossier par l’ARH et l’URCAM. D’après un responsable de la CNAM, « A terme, on référencera les actes ou les prestations les plus fréquemment demandés pour les basculer dans la nomenclature, s’ils sont pertinents et si on arrive à en déterminer le juste prix. » (44)

Ce versement global au réseau permet une souplesse de gestion jusque-là inédite. Il n’exclut pas d’autres subventions publiques (de l’assurance maladie, de l’Etat, des collectivités territoriales), à condition que leur participation ne soit pas utilisée à des fins de promotion et de publicité, et que les règles déontologiques soient respectées.

Le succès de cette dotation peut se mesurer à son volume, qui croît

rapidement. D’après la division de l’hospitalisation et de l’organisation des soins,

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que nous avons jointe par téléphone, environ 350 réseaux ont perçu une part de cette enveloppe en 2004 (contre 175 en 2003), et l’on prévoit qu’ils approcheront du millier en 2007. Le montant de la DNDR, qui avait déjà doublé entre 2002 et 2003, a presque triplé entre 2003 et 2004, pour atteindre un volume de 125 millions d’euros (un peu plus de 102 millions distribués).

F - Loi du 4 mars 2002 Cette loi « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé »

(45), contemporaine de la création de la DNDR, est longue et détaillée. Après une partie consacrée à la « solidarité envers les personnes

handicapées », des notions de « démocratie sanitaire » sont précisées, concernant par exemple les droits de la personne (« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. » art. L. 1110-1 du code de la santé publique), les droits et responsabilités des usagers (« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne. » art. L. 1111-4) ou encore l’organisation régionale de santé (« Il est créé dans chaque région (…) un conseil régional de santé qui a pour mission de contribuer à la définition et à la mise en oeuvre des politiques régionales de santé. » art.L.1411-1).

La deuxième grande partie de cette loi traite de la « qualité du système de

santé ». Son chapitre IV définit les axes d’une « politique de prévention » assez

précise, qui comprend la réduction des facteurs de risque de maladies ; la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé ; des actions de prophylaxie, de dépistage et d’identification des facteurs de risque ; des actions d’information et d’éducation pour la santé ainsi que des actions d’éducation thérapeutique. « Un établissement public de l'Etat dénommé "Institut national de prévention et d'éducation pour la santé" (INPES) a pour missions : d'exercer une fonction d'expertise et de conseil en matière de prévention et de promotion de la santé ; d'assurer le développement de l'éducation pour la santé, y compris de l'éducation thérapeutique (…) » (art. L. 1417 - 3-4)

Mais c’est le cinquième chapitre qui inscrit à l’article L. 6321-1 du code de la santé publique cette dernière définition des réseaux :

« Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l'accès aux soins, la

coordination, la continuité ou l'interdisciplinarité des prises en charge sanitaires,

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notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l'éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins. Ils peuvent participer à des actions de santé publique. Ils procèdent à des actions d'évaluation afin de garantir la qualité de leurs services et prestations. Ils sont constitués entre les professionnels de santé libéraux, les médecins du travail, des établissements de santé, des centres de santé, des institutions sociales ou médico-sociales et des organisations à vocation sanitaire ou sociale, ainsi qu'avec des représentants des usagers.

Les réseaux de santé qui satisfont à des critères de qualité ainsi qu'à des conditions d'organisation, de fonctionnement et d'évaluation fixés par décret peuvent bénéficier de subventions de l'Etat, dans la limite des crédits inscrits à cet effet chaque année dans la loi de finances, de subventions des collectivités territoriales ou de l'assurance maladie ainsi que de financements des régimes obligatoires de base d'assurance maladie pris en compte dans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie visé au 4o du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.

Dans les articles L.(…), la référence aux réseaux de soins (…) est remplacée par la référence aux réseaux de santé et à l'article L. 6321-1. »

A partir de cette loi, le qualificatif de soins est ainsi remplacé par celui de santé,

afin de souligner officiellement la vocation des réseaux de promouvoir auprès des personnes une santé positive et globale, qui inclue la notion de prévention, plutôt que de se limiter à l’organisation les soins.

G - Réforme en cours de l’assurance maladie Bien que ne concernant pas les réseaux de santé (il s’agirait plus ici de filière

de soins), on remarque tout de même (dans le même but d’une amélioration de la coordination ainsi que d’une rationalisation des pratiques et des dépenses) :

- la mise en place d’un dossier médical personnel, informatisé sur une nouvelle carte à puce et partagé par l’ensemble du corps médical, et sur lequel chaque praticien indique les actes qu’il a pratiqué et ses prescriptions, dans le but de réduire les doublons, et de mieux contrôler – et sanctionner – les « mauvaises pratiques ». Celui-ci répond aux demandes de la majorité des praticiens, confrontés à l’échec du carnet de santé (que les patients ne présentent pas toujours pour ne pas révéler systématiquement leur parcours) ;

- l’obligation de choisir un médecin traitant référent, que chaque assuré

devra indiquer à sa caisse, dont l’accord sera nécessaire pour pouvoir consulter un spécialiste (hors certaines spécialités comme

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la gynécologie ou l’ophtalmologie) en étant normalement remboursé, en vue de réduire le nomadisme médical (12).

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En conclusion de cette partie consacrée aux textes juridiques qui ont encadré leur développement, on remarque que les réseaux de santé occupent désormais une place dans l’offre de soins, avec un chapitre spécifique intitulé « réseaux » tout à la fois dans le code de la sécurité sociale et dans le code de la santé publique : leur développement est reconnu et encadré.

Ils peuvent faire appel aux financements des ARH et des URCAM - spécialement la DNDR – surtout s’ils s’inscrivent dans le cadre des priorités régionales de santé publique définies par la Conférence régionale de santé et les SROSS, s’ils répondent à un besoin clairement identifié, ou s’ils sont ciblés sur une population présentant un risque social ou médico-social particulier et à laquelle le réseau apporte une vraie valeur ajoutée en terme d’organisation des soins par rapport à l’offre hospitalière et ambulatoire existante. Le FAQSV peut encore prendre en charge, jusqu’en 2006, des études préalables, des évaluations ou des aides au démarrage. D’autres subventions d’Etat spécifiques à certaines prises en charge sont possibles, ainsi que des aides des collectivités territoriales ; les industriels, les assureurs, et les institutions peuvent accorder des aides financières privées.

Chaque acteur adhérent reste responsable de ses actes ; on attend de lui qu’il

se forme à la pratique du travail en réseau, et qu’il utilise des protocoles et des référentiels existants (notamment ceux de l’ANAES) pour améliorer et évaluer ses pratiques.

Les patients doivent être placés au cœur du dispositif, dans le respect des principes figurant dans la loi du 4 mars 2002, notamment : liberté d’entrer et de sortir du réseau, non discrimination dans l’accès à la prévention et aux soins, respect de la vie privée et de la dignité de la personne, information sur son état de santé et consentement aux soins.

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4 – SITUATION ACTUELLE Avant de clore notre première grande partie, sur ce « phénomène des réseaux de santé », voici une brève synthèse de ce que nous avons retenu de la mise en place générale, des aléas du fonctionnement des réseaux de santé, et des problèmes posés par leur évaluation. Nous terminerons en nous posant la question de leur devenir, qui reste le sujet de vives polémiques.

A - Mise en place d’un réseau

« Le réseau constitue, à un moment donné, sur un territoire donné, la réponse organisée d’un ensemble de professionnels et/ou de structures, à un ou des problèmes de santé précis, prenant en compte les besoins des individus et les possibilités de la communauté. » 2

En nous appuyant en partie sur le guide de développement des réseaux rédigé en 1999 par la Coordination nationale des réseaux (CNR)3, la Fédération régionale des réseaux de santé Provence Alpes Côte d'Azur, et la Direction générale de la santé (46), nous voudrions donner une idée du fonctionnement général des réseaux en relevant quelques-uns de leurs points forts.

► La mobilisation d’acteurs autour d’un besoin Tout réseau part de la constatation, par un seul ou par un ensemble d’acteurs du domaine sanitaire, d’un besoin plus ou moins nouveau, bien souvent ressenti avant d’être conçu comme tel – d’un problème de santé concret, qui concerne plusieurs compétences professionnelles, et pour lequel une solution doit être trouvée.

Il semble fondamental que ces premiers acteurs s’entendent préalablement sur la définition qu’ils donnent du réseau, et qu’ils commencent à se coordonner entre-eux avant même de créer officiellement la structure du réseau. Les patients pourraient être avantageusement associés au projet dès ce stade, puisque comme le souligne le Pr. Philippe, chef du service de gynécologie obstétrique du CHU de Limoges, du réseau " Maternité en Yvelines ", dans un débat organisé par l’URCAM d’Ile-de-France en juin 2000, « non seulement le réseau doit être fait pour le malade, mais aussi avec le malade. La problématique n’est pas de faire un 2 Définition de la Coordination nationale des réseaux, légèrement modifiée dans le Rapport Paillerets (33). 3 La CNR, association loi 1901 créée en 1997, fédère les réseaux sanitaires et sociaux répartis dans toute la France. Organisée en fédérations et coordinations régionales, elle s’est donnée pour buts de participer à l’organisation de formations communes, d’apporter une aide méthodologique à la création, au fonctionnement et à l’évaluation des réseaux, de favoriser la communication entre les réseaux, et d’assurer leur représentation nationale. Elle a organisé plusieurs fois un « congrès national des réseaux », en collaboration avec la Direction générale de la Santé.

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réseau avec les hospitaliers et/ou les libéraux, mais de convaincre les professionnels de travailler autour du malade. »

Il est souhaitable de vérifier si le besoin ressenti correspond à la réalité, et si des solutions ont déjà été apportées, localement (la création d'un réseau empiète souvent sur le territoire d'associations préexistantes) et ailleurs, puis de formaliser un contrat d’objectifs qui précise : le bassin géographique concerné, les indicateurs qui matérialisent les problèmes, et les solutions envisageables pour traiter le problème (étude bibliographique). Cette formalisation, qui doit conclure la démarche collective du réseau – et non servir de préalable, pour ne pas « réduire la dimension créative et singulière des réseaux à un simple jeu de nouvelles procédures » (30) – s’inscrit notamment dans la charte et la convention constitutive.

Les initiateurs doivent d’emblée soigner leur communication (et peuvent en ce domaine se faire avantageusement conseiller par des professionnels), afin de faire partager le sentiment initial du besoin à d’autres acteurs pour les mobiliser. Cette communication doit aussi être négociation, car le sentiment initial du besoin peut ne pas être partagé par tous, et certains intervenants peuvent même se sentir mis en danger par la création du réseau.

Ces préliminaires représentent une quantité de travail non négligeable, puisque d’après G. Arcega, directeur de la CPAM d’Avignon, « il faut deux ans en moyenne pour monter un projet, avec un risque non négligeable d'échec. Il s'agit d'un domaine neuf, dans lequel le savoir faire et l'expérience manquent, il n'y a que des méthodologies, qui sont intéressantes, mais lourdes et parfois un peu théoriques. »

► Le choix d’un statut juridique Afin d’être facilement accessibles à l'ensemble des professionnels des

champs sanitaire et social, notamment pour recevoir des subventions, la création d'une structure, distincte de la structure hospitalière, autonome et souple est souhaitable. Une association type “ loi 1901 ” semble être la plus favorable ; c’est cette forme qu’adoptent les trois quarts des réseaux aujourd’hui.

Le quart restant se limite à une convention entre établissement(s) de santé et libéraux. Les réseaux qui adoptent la forme de Groupement de coopération sanitaire, de Groupement d’intérêt économique ou de Groupement d’intérêt public sont exceptionnels. ► La recherche de financements

Les initiateurs du réseau doivent connaître les coûts et établir des programmes de financement, en se faisant aider si besoin par des gestionnaires. Puis, à partir de ces programmes, rechercher des financements et négocier avec des financeurs possibles.

Il est important que la transparence soit établie dès le début, et que les économies éventuellement produites par le réseau soient clairement définies. Le coût de l’évaluation doit être compris dans le budget.

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Le guichet unique de chaque comité régional des réseaux remet aux promoteurs un dossier-type à remplir, assez volumineux et comprenant de nombreux commentaires, qui doit définir l’identité du réseau, la philosophie de son projet et sa cohérence avec les priorités de santé, ses acquis, les résultats opérationnels attendus pour les trois années à venir (objectifs médicaux, économiques, organisationnels et de qualité, processus et outils à mettre en œuvre pour les atteindre, échéances prévisionnelles et indicateurs de suivi), l’économie du projet (budget prévisionnel, récapitulatif des sources de financement), et l’évaluation envisagée (outils, méthodologie).

► Le fonctionnement Nous voudrions reprendre ici quelques éléments-clés du décret 2002-1463

du 17 décembre 2002, et les expliciter. • La vitalité d’un réseau de santé, point de rencontre entre les patients, les

professionnels (de santé et du secteur social) et les financeurs, est conditionnée par la qualité et l'efficacité des relations qui existent entre les différents partenaires.

Il est bon de définir les rôles à remplir au sein du réseau et de mettre en évidence leurs complémentarités, dans un fonctionnement non hiérarchique. C’est le rôle de la charte, dont le contenu réglementaire est fixé dans le décret 2002-1463 (nous donnons en annexe II la « Charte des réseaux de santé » réalisée par la CNR, qui rappelle les grands principes des réseaux et peut servir de trame pour la rédaction de chartes plus spécifiques).

• De plus, afin que chacun des intervenants puisse se reconnaître dans le réseau, et d’éviter des prises de pouvoir (en particulier par les membres du bureau), il paraît important qu’une association type « loi 1901 » fonctionne avec un comité de pilotage indépendant, formé de représentants des usagers, des professionnels et des financeurs, auxquels il est possible d’associer des experts (communication, finances, gestion, technique etc.). Son rôle doit être de participer à la prise de décision quant aux orientations du réseau, aux plans de formation, aux contrats d’objectifs, aux évaluations et aux décisions financières. Il évite un fonctionnement « maffieux » du réseau et en assure la transparence et la qualité. Les professionnels intervenant dans le cadre de structures organisées peuvent y êtres représentés sans déroger à leur statut administratif (DDASS, CHU etc.). • « La formation continue est un élément majeur de la dynamique des réseaux » (47). Le travail en réseau, qui favorise le transfert de missions de l’hôpital vers la ville, et du sanitaire au social - ou réciproquement - justifie en effet des formations adaptées. Elles doivent être, selon la CNR, destinées aux différents acteurs impliqués dans le réseau - les professionnels du sanitaire et du social, mais aussi les partenaires

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politiques et institutionnels – voire aux universitaires, aux patients, et à la population locale. Cette formation, qui « n’a pas seulement pour objectif d’augmenter les niveaux de connaissance, mais bien de modifier des pratiques », se doit d’être « interprofessionnelle, transdisciplinaire et transversale », ce qui n’exclut pas bien sûr des temps spécifiques pour chaque catégorie professionnelle consacrés à l’amélioration des compétences cliniques et techniques.

Si les responsables de ces formations peuvent être des experts ou des organismes extérieurs, il peuvent aussi naître du réseau lui-même (professionnels ou usagers). Il peut s'agir encore « de rencontres entre acteurs de différents réseaux permettant une analyse réciproque des pratiques et des expériences ». • La coordination enfin se centre sur deux éléments : le patient (coordination des soins, traitement global, réduction des coûts), et la structure (relations entre professionnels, formations). Elle peut être assurée par un seul coordinateur, ou par plusieurs individus réunis au sein d’un « pôle de coordination ». Ce pôle de coordination n'a pas vocation à supplanter les services et structures existants mais simplement à coordonner leur intervention dans l'intérêt du patient.

Le coordinateur est garant du fonctionnement, il doit avoir un bon sens du relationnel et doit être capable de suivre chaque étape de la prise en charge. Quelle que soit sa formation initiale, il doit se faire assister par des « experts » pour certains points techniques : assistance sociale, médecin, psychologues, auxiliaires de justice etc. Le temps nécessaire pour cette fonction « doit être évalué clairement afin que le(s) coordonnateur(s) puisse(nt) prendre un engagement réel vis-à-vis du réseau auquel il(s) appartien(nen)t », et aussi afin de déterminer le cas échéant son coût pour le réseau.

Au nouveau métier de coordinateur correspondent de nouvelles formations universitaires : depuis 2003, un DESS de « coordinateur de réseaux sanitaires et sociaux » existe à l’université d’Aix-Marseille ; ainsi qu’un DESS d’« ingénierie des réseaux de santé » à l’université de Marne-la-Vallée qui comprend en outre une formation à l’évaluation des réseaux. Un livre a été écrit à leur intention (48). Des séminaires privés existent également (1900 euros pour deux jours) ayant pour thème « Réseaux de santé, réseaux ville-hôpital : Structurer, organiser et sécuriser votre projet ».

Il faut noter enfin que la place de l’outil informatique est bien souvent centrale au sein de la coordination. Le partage du dossier du patient et son hébergement sur un serveur commun posent le problème du respect du secret professionnel. Des solutions sécurisées validées par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) sont ainsi mise en place par les industriels, notamment sur la base du système CPS.

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B - Typologie La genèse spontanée des réseaux sur des terrains et avec des acteurs singuliers, « le manque de repères donnés à dessein pour favoriser la créativité de l’expérimentation, et le manque de méthodes des acteurs jusque-là encadrés par l’organisation [hospitalière] » (30) ont donné naissance à une très grande diversité de structures, tant du point de vue des objectifs que du développement, de l’organisation et des moyens. Certains thèmes sont récurrents. En Ile de France, en 2000, 85 p. cent des projets se sont concentrés autour de cinq problématiques sanitaires : périnatalité, pathologies chroniques, soins palliatifs, précarité et pathologies de l'enfant. Les maladies chroniques les plus fréquemment retrouvées sont : les infections virales chroniques, le diabète de type II, la douleur, les maladies rhumatologiques, les cancers, l’insuffisance respiratoire ou rénale chroniques. Ces pathologies ou ces milieux sociaux dépendent bien sûr du territoire géographique concerné : on trouve davantage de réseaux de gériatrie ou d’organisation de la permanence des soins d’urgence en campagne, et de réseaux de prise en charge des toxicomanes en ville.

Plusieurs typologies ont été proposées pour tenter de classer cet ensemble disparate.

En 1999, le Rapport Paillerets (33) proposait de distinguer les réseaux en fonction du secteur concerné (hôpital et/ou ville) et de l’origine de l’initiative fondatrice. Ce qui donnait quatre groupes :

- les réseaux V-H (ville-hôpital) : « d’initiative ambulatoire, plutôt de proximité, généralement tournés vers une population spécifique, avec une composante sociale souvent forte. »

- les réseaux H-V : « d’initiative plutôt hospitalière, ciblés sur une pathologie lourde chronique, à dimension généralement plus technique. »

- les réseaux H-H : « réseaux interhospitaliers allant au-delà des simples coopérations ou restructurations, mettant en commun les savoirs-faire et organisant la complémentarité des établissements dans le cadre d’une graduation. »

- Les réseaux V-V : « réseaux de proximité organisant le parcours du patient en médecine ambulatoire. »

La même année, la circulaire « relative aux réseaux de soins préventifs,

curatifs, palliatifs ou sociaux » (cf. annexe I), propose un autre découpage, repris ensuite par la CNR et l’ANAES. Hormis le quatrième type, qui concernait spécifiquement les rares réseaux expérimentaux dits « Soubie », nous rappellerons ici les trois autre types décrits (nous renvoyons le lecteur, pour plus de précisions, à l’annexe 2 de la circulaire) :

- Les réseaux d’établissements : visés par l’article L. 712-3-2 du code de la santé publique (ordonnance 96-346 (34)) sont bien

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formalisés et bénéficient d’une accréditation délivrée par les ARH ; ils n’ont par pour objet la coordination entre la ville et l’hôpital.

- Les réseaux de santé de proximité, ou réseaux ambulatoires sont centrés sur les populations (personnes âgées, handicapées, précaires, petite enfance…), à l’échelle du quartier ou de la ville. Ils développent parallèlement à la prise en charge médico-sociale des personnes une activité de santé publique, et associent les services publics locaux, les professionnels de santé et les associations autour de projets de diagnostic, de prévention et de formation. Ils ont tous une attache avec l’hôpital voisin.

- Les réseaux ville-hôpital monothématiques, ou réseaux monothématiques de référents qui « ont vocation à transmettre un savoir ou un mode de traitement très spécifique » (cancer, diabète, douleur, maladies rares…) sont centrés sur les professionnels et couvrent une zone plus étendue que les précédents.

Ces deux derniers types réseaux couvrent l’immense majorité des réseaux

existants ; ils prennent souvent une forme associative. Les recoupements sont possibles : si les réseaux pionniers étaient d’abord des réseaux monothématiques (VIH, toxicomanie), ils sont finalement souvent devenus des réseaux de proximité (précarité).

C - Le problème de l’évaluation

Dans tous les textes qui ont organisé le développement de réseaux de santé, l’évaluation figure comme une étape indispensable – indissociable des financements accordés. Pourtant, la grande diversité des organisations qui se reconnaissent comme « réseaux de santé » que l’on évoquait plus haut, et qui se complique en outre du fait que chaque réseau est une construction instable qui doit sans cesse adapter ses objectifs aux réalités du terrain, rend malaisé le travail de l’évaluateur. L’absence de mode d’organisation comparable dans d’autres pays développés inscrit cette évaluation dans une « démarche de recherche évaluative », selon les termes de l’ANAES qui, dans le cadre de son mandat d’accréditation des réseaux, a réalisé et publié trois dossiers sur ses principes et sa méthodologie, afin d’aider les acteurs à entreprendre, idéalement dès l’initiation du projet de réseau, une auto-évaluation (ou évaluation interne) rigoureuse, garante de la qualité du fonctionnement.

Le premier dossier, intitulé Principes d’évaluation des réseaux de santé, date de

1999 (49). Il pose comme préalable l’évaluation de la pertinence du réseau par l’inventaire détaillé et documenté des besoins de santé auxquels il veut répondre. Six dimensions sont proposées sous forme de questions :

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- les objectifs opérationnels (qui doivent être dès le commencement précisément définis, et suivis à l’aide d’indicateurs) sont-ils atteints ?

- quelle est le qualité des processus (protocoles de soins, système d’information etc.) et des résultats atteints ?

- les personnes prises en charge sont-elle satisfaites ? - quel est l’apport spécifique de l’organisation en réseau dans le

degré d’atteinte des objectifs, la qualité des processus et les résultats ? (changement d’attitude ou de comportement des acteurs par le biais d’outils communs comme les réunions de coordination par exemple)

- quels sont les coûts engendrés par le réseau ? - quels sont les effets indirects, positifs et négatifs, induits par le

réseau ? Il propose, entre l’évaluation externe périodique, à but sommatif,

commanditée par les financeurs et autres autorités, et l’évaluation interne continue, à but formatif, qui permet aux acteurs de connaître leur fonctionnement, la création d’un comité de pilotage de l’évaluation composé de représentants des différentes instances et d’experts en évaluation, qui intègre leurs différents intérêts.

Des éléments de méthodologie, retrouvés dans la littérature internationale sur l’évaluation d’organisations des soins principalement anglo-saxonnes et transposables aux réseaux français, concluent l’ensemble.

Dans le deuxième dossier (50), qui date de 2001, et qui s’est nourri de

l’observation comparée de plusieurs réseaux, la rédactrice, constatant un « décalage important entre l’image que les réseaux donnent à voir de l’extérieur, notamment aux institutions, et leur fonctionnement réel », soulignant « la « difficulté des réseaux à définir le contenu de leur réalité », conclue que « le rôle de l’évaluateur est prépondérant dans la construction de l’évaluation et donc de la structuration du réseau ».

Après un « bilan de l’existant », qui inventorie les caractères structurants des réseaux, internes et externes, elle pose les principes méthodologiques « permettant l’élaboration par les acteurs eux-mêmes d’une démarche évaluative sur le long terme nécessaire à la pérennisation de l’expérimentation ». Il s’agit notamment de la « définition négociée collectivement par les promoteurs » - élaborée, comprise et acceptée par l’ensemble des intervenants - de ce que sont : leur projet de réseau, leurs objectifs généraux et leurs objectifs opérationnels. L’évaluation finale consistera ensuite en une mesure de « la performance globale du réseau en regard direct de ces objectifs initiaux » ; elle permettra les réajustements éventuels.

Un troisième dossier (51), qui vient d’être publié en 2004, donne d’abord

aux acteurs les outils concrets nécessaires à leur auto-évaluation, au sein de grilles

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qui reprennent quatre dimensions déjà valorisées dans les deux dossiers précédents :

- l'intégration des usagers et des professionnels dans le réseau ; - l'évaluation du fonctionnement (existence d’un pilotage,

dynamique de l’organisation, trace formalisée des évolutions) ; - la qualité de la prise en charge des patients (mesure de l'apport de

l'organisation par rapport aux modalités traditionnelles de prise en charge) ;

- l'efficience économique.

Une seconde partie établit une liste des critères devant être pris en compte par les évaluateurs externes, qui doivent s'assurer de la réalité du réseau, de la sécurité et de la qualité de la prise en charge des patients ainsi que de l'optimisation des ressources et l'adaptabilité du dispositif.

D - Quel avenir pour les réseaux ?

« Le réseau de santé tente de résoudre cette équation entre l’hyperspécialisation technologique et l’aspiration du patient à être considéré comme une personne. » (44) Vecteur de la promotion d’une santé globale, qui intègre la prévention et l’éducation aux soins, il tente de coordonner de nombreux intervenants autour de personnes actrices et informées, dans et avec leur environnement.

Démunis face à une détresse sociale nouvelle, et dans un foisonnement de données scientifiques complexes, pressés en outre par un système de protection sociale en péril, certains médecins, qui ont choisi de collaborer avec des travailleurs sociaux ou des spécialistes de sciences humaines et politiques pour une meilleure infiltration et une réintégration plus efficace de secteurs marginaux à l’ensemble de l’organisation socio-économique, proposent ainsi dans un système sanitaire moderne à la fois concentré (regroupement des techniques et spécialités au sein des hôpitaux) et diffus (multiplicité des disciplines touchant à la santé, intervenants dispersés), la création de systèmes intégrés au sein de réseaux de santé.

Ce progrès, d’abord fruit de l’expérience spontanée et « ludique » d’acteurs

de terrain, s’est réalisé, comme on l’a vu, dans un contexte général de recherche d’amélioration des pratiques, et de restriction budgétaire - en particulier hospitalière. La nécessité de transférer une partie de l’activité hospitalière, dans le cadre de cette réorganisation de l’offre de soins, a conduit certains responsables politiques à s’orienter vers des structures telles que les réseaux, qui s’adaptent de près aux besoins locaux.

Néanmoins, les attentes des promoteurs des premiers réseaux et celles des « décideurs » politiques ne s’accordent pas. Là où les premiers voient, selon la

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problématique soulevée dans le Rapport Paillerets (33) une fonction « interstitielle » au réseau (« visant à apporter une réponse à certains dysfonctionnements du système actuel d’offre de soins, sans remettre nécessairement en cause celui-ci »), les seconds s’intéressent plutôt à sa fonction « substitutive » possible. Passée la première phase d’encouragement des innovations, les tutelles cherchent à modéliser les réseaux au plus près des enjeux de santé publique et selon certains impératifs économiques immédiats ; alors que pour D. Ménard, de la CNR, « modéliser, rigidifier, organiser le réseau comme une structure de soins, c’est signer la mort du réseau ». (52)

On peut, à titre d’exemple, opposer deux points de vue. Selon G. Arcega,

directeur de la CPAM d’Avignon : « En identifiant les besoins prioritaires de prévention et de santé publique, en s'appuyant par exemple sur les données des Observatoires régionaux de santé, et les priorités déterminées par les Conférences régionales de santé publique, on peut déterminer une politique volontariste et organisée. » Alors que selon D. Ménard : « Le réseau n’est pas l’effecteur des politiques de santé des institutions ; il est un nouveau mode d’organisation des professionnels des champs médicaux et sociaux, pour apporter des réponses plus pertinentes aux personnes malades. La thématique portée par le réseau n’a de sens que si elle permet l’émergence de ces nouvelles pratiques. Ce n’est pas la nature de la maladie, cible du réseau, qui est importante ; c’est la manière de travailler ensemble pour faire face à cette maladie dans le cadre de l’approche médico-psycho-sociale. »

Quand les premiers parlent d’ « industrialisation des réseaux » (« Sortir d’une approche ponctuelle et partielle pour apporter une réponse globale face aux insuffisances de notre système de soins »), les seconds défendent le « ré-enchantement du monde dans l’espace limité du territoire où vivent et travaillent les acteurs des réseaux » et demandent : « Les réseaux à venir auront-ils pour objectifs de mieux distribuer les médicaments comme nous le propose le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie ou d’aider les personnes (professionnels et usagers) à mieux vivre et, parfois, à mieux mourir ? » (53)

Les réseaux, en étant sélectionnés, voire créés de toutes pièces par les ARH et les URCAM selon certaines thématiques, pour satisfaire à la nécessaire réorganisation du système de santé, resteront-ils ces foyers d’innovation qui ont permis de répondre à des besoins nouveaux ? Par ailleurs, s’ils ont rapidement été distingués des filières de soins en ce qu’ils ne visaient pas directement la diminution des coûts de santé, mais plutôt l’amélioration de la qualité de prise en charge, ils ne pourront tout de même pas peser trop lourd dans l’enveloppe des dépenses de santé s’ils veulent perdurer. L’Etat acceptera-t-il cet important surcoût pour améliorer la qualité des soins ? Les réseaux se tourneront-ils davantage vers des mécènes privés, à l’heure où l’industrie pharmaceutique finance de plus en plus de « formations » pour les professionnels et de campagnes d’ « information » pour le grand public ? En perdant leur indépendance, seraient-ils encore garants de la meilleure qualité des soins ?

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Comment pourrait-on de plus envisager concrètement une généralisation des réseaux dans les pratiques ? Comme le notait B. Kouchner dans un discours au troisième congrès national des réseaux : « un médecin généraliste a en moyenne dans sa clientèle une vingtaine de patients diabétiques. Il n’est pas aujourd’hui raisonnable de penser que tous les médecins généralistes vont s’inscrire demain dans un réseau diabète. De même, il est matériellement impossible à un médecin généraliste de pouvoir participer à tous les réseaux pour lesquels il pourrait être sollicité. »

Finalement, s’il est difficile de prédire si les réseaux seront viables à long terme, et la forme qu’ils prendront, on peut noter qu’ils participent aujourd’hui, au même titre que d’autres acteurs d’ailleurs (actions menées par les Unions régionales de médecins libéraux, expérience des médecins référents etc.), à une diversification des formes d’organisation des soins, permettant de les restructurer au niveau régional (quelle graduation ? quels centres de référence ?), de développer l’éducation thérapeutique et l’échange de données entre les acteurs, de familiariser ces derniers enfin avec les recommandations de bonnes pratiques cliniques, leur évaluation continue, la planification sanitaire et la gestion d’une structure de santé, dans le cadre d’une restructuration globale du secteur de la santé en France.

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II – LE PROBLEME DE L’HYPERTENSION ARTERIELLE EN GUADELOUPE

Le rôle que joue l’hypertension artérielle dans le développement de pathologies fréquentes et sévères regroupées sous le terme de « maladies cardio-vasculaires » s’est précisé au cours des dernières décennies. Et le bénéfice incontestable de sa prévention, médicamenteuse et non-médicamenteuse, a fait l’objet de nombreuses études solides.

Malgré cela, le nombre de personnes hypertendues sans prise en charge adéquate ou mal équilibrées sous traitement reste très insuffisant (30 p. cent environ des hypertendus traités présentent des valeurs tensionnelles normales en France et aux Etats-Unis). C’est la raison pour laquelle experts scientifiques internationaux et responsables politiques multiplient depuis quelques années les tentatives pour remédier à ces insuffisances.

Et, pour plusieurs raisons, la situation de la Guadeloupe en matière d’hypertension semble spécialement préoccupante, avec des prévalences de l’HTA et de ses complications bien supérieures à celles de la France métropolitaine.

Qu’en est-il précisément ? Quels problèmes pose l’HTA aux pays développés ? Et quelles sont les spécificités de l’archipel guadeloupéen ? 1 – RAPPELS SUR L’HTA

Touchant selon les estimations entre 700 millions et un milliard d’individus dans le monde (un adulte de moins de 60 ans sur cinq serait hypertendu, et plus de 40 p. cent au-delà de 60 ans), on considère que l’hypertension artérielle est le troisième facteur de risque contribuant à la mortalité internationale, après la malnutrition et le tabagisme.

En France, elle représente l’anomalie que médecins généralistes (environ 15 p. cent des actes) et cardiologues libéraux (environ 25 p. cent des actes) ont à prendre en charge le plus fréquemment dans leur pratique quotidienne. Elle y serait à l’origine de 72 000 décès par an. Et près de 8 millions d’adultes français sont traités par des médicaments anti-hypertenseurs. (54)

La vente de ces médicaments, qui se chiffre chaque année en milliards d’euros, occupe la première place des dépenses du poste médicament de l’assurance maladie en France, où les maladies cardiovasculaires sont, après les accidents de la route, le motif le plus fréquent d’hospitalisation. (14)

Comment définit-on l’HTA ? A quels risques est-elle associée ? Et comment la prend-on couramment en charge dans les pays occidentaux ?

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A – Un facteur de risque cardio-vasculaire

• Définition et grades

La pression artérielle (PA) d’un être humain, que l’on estime selon diverses techniques sur lesquelles nous reviendrons, et dont l’unité de mesure est le millimètre de mercure (mm Hg), est la pression exercée par le flux sanguin sur la paroi artérielle. On note à chaque fois deux valeurs, qui correspondent respectivement aux niveaux de pression artérielle systolique (PAS) et diastolique (PAD). La différence entre ces deux chiffres est appelée « pression pulsée ».

Il est bien établi aujourd’hui que le niveau de pression artérielle d’un individu (pression artérielle systolique et/ou diastolique et, surtout après 55 ans, pression pulsée), est corrélé positivement au risque de survenue de maladies cardio-vasculaires, et particulièrement (par ordre de fréquence des complications) : maladie coronaire, accidents vasculaires cérébraux, insuffisance cardiaque et insuffisance rénale chronique4. Cette corrélation est continue, sans seuil identifiable au-delà duquel un risque cardio-vasculaire lié à la pression artérielle apparaîtrait.

Le seuil arbitraire au-delà duquel on parlera d’ « hypertension artérielle » pour un individu donné (qui implique la nécessité de sa prise en charge médicale) n’est donc pas facile à déterminer. Les dernières recommandations européennes pour la prise en charge de l’hypertension artérielle, établies par la Société européenne d’hypertension (ESH) et la Société européenne de cardiologie (ESC) et publiées en juin 2003 (55), qui rappellent la formule de Rose en 1971 (56) : « l’hypertension pourrait être définie comme le niveau de pression artérielle au-dessus duquel explorations et traitement font plus de bien que de mal », concluent : « toute définition numérique doit être flexible ; elle dépend de la preuve du risque encouru et de la disponibilité de médicaments efficaces et bien tolérés ».

En s’appuyant sur le tableau établi par l’OMS en 1999 - lui même réalisé sur la base des recommandations américaines du sixième rapport du Joint National Committee (JNC VI) en 1997 - et qu’ils modifient peu, les experts européens adoptent en 2003 la classification que nous reproduisons dans le tableau 1.

4 L’insuffisance rénale est une complication qui survient électivement sur deux types de terrains particulièrement répandus sur le territoire antillais : les personnes d’origine noire africaine (beaucoup d’études ont concerné les noirs américains), et les personnes diabétiques.

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Catégorie

Systolique (mm Hg)

Diastolique

(mm Hg)

Optimale

< 120 < 80

Normale

120 – 129 80 – 84

Normale haute

130 – 139 85 – 89

Grade 1 (HTA légère)

140 – 159 90 – 99

Grade 2 (HTA modérée)

160 – 179 100 – 109

Grade 3 (HTA sévère)

> ou = 180 > ou = 110

HTA systolique isolée

> ou = 140 < 90

Tableau 1 : Définitions et classification des niveaux de pression artérielle (mm Hg),

selon les recommandations de l’ESH et de l’ESC de 2003.

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• Risque cardio-vasculaire global Le pronostic pour une personne ayant - dans de bonnes conditions de

mesure - des valeurs élevées de pression artérielle, n’est pas le même si cette personne cumule d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire, si on objective chez elle l’atteinte d’un ou plusieurs organes-cibles, ou si elle présente certaines « conditions cliniques associées » (complications sévères de l’HTA ou d’une autre maladie affectant les mêmes organes).

L’ESH et l’ESC définissent ainsi :

► comme autres facteurs de risque cardio-vasculaire : - l’âge et le sexe (risque plus élevé pour un homme à partir de 55 ans

et pour un femme à partir de 65 ans) ; - le tabac ; - les dyslipidémies (cholestérol total>6,5 mmol/l soit 2,5 g/l – ou

LDL5-cholestérol>4 mmol/l soit 1,55 g/l – ou HDL6-cholestérol<1 mmol/l soit 0,4 g/l chez les hommes et <1,2 mmol/l soit 0,48 g/l chez les femmes) ;

- des antécédents familiaux de maladie cardio-vasculaire chez les parents du premier degré (homme de moins de 55 ans ou femme de moins de 65 ans) ;

- une obésité abdominale (tour de taille>102 cm pour un homme ; >88 cm pour une femme) ;

- une CRP7>1 mg/dl. Le diabète sucré, dont les complications vasculaires sont très sévères

(doublement au moins du risque), n’est pas mis sur le même plan que les autres facteurs de risque.

► comme atteinte d’un organe-cible :

- l’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) (électrique ou échographique, selon certains critères précis) ;

- l’athérosclérose carotidienne, aortique, ou des artères des membres inférieurs objectivée à l’échodoppler ;

- une légère augmentation de la créatinine sérique (115 – 133 µmol/l chez l’homme et 107 – 124 µmol/l chez la femme) ;

- une microalbuminurie (30 – 300 mg/24h).

5 Low-density lipoprotein 6 High-density lipoprotein 7 C-reactive protein

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► et comme conditions cliniques associées : - les accidents vasculaires cérébraux (ischémiques, hémorragiques ou

transitoires) ; - certaines atteintes cardiaques (infarctus du myocarde, angor, atteinte

coronaire nécessitant une revascularisation, insuffisance cardiaque congestive) ;

- certaines atteintes rénales : néphropathie diabétique, insuffisance rénale évoluée (créatinine sérique>133 µmol/l chez l’homme ou >124 µmol/l chez la femme), protéinurie (>300 mg/24h) ;

- l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ; - une rétinopathie évoluée (hémorragies ou exsudats, œdème

papillaire). La prise en considération, pour chaque niveau de pression artérielle, de la

coexistence d’autres facteurs de risque, d’un diabète, de l’atteinte d’organe(s)-cible(s), ou des « conditions cliniques associées » pré-définies, permet - sous certaines réserves que nous ne détaillerons pas (« l’évaluation du risque cardio-vasculaire est une science inexacte ») – d’établir, selon le modèle de l’étude de Framingham, un tableau de stratification du risque cardio-vasculaire global (tableau 2). Nous rappelons que les termes de risque faible, moyen, élevé et très élevé, signifient un risque approximatif respectif de développer dans les 10 ans une maladie cardio-vasculaire de <15 p. cent, 15 à 20 p. cent, 20 à 30 p. cent et >30 p. cent. A chaque niveau de risque correspond un mode de prise en charge différent.

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Pression artérielle (en mm Hg)

Autre facteur de risque et histoire de la maladie

Normale 120-129 ou

80-84

Normale haute

130-139 ou 85-89

GRADE 1 HTA légère 140-159 ou

90-99

GRADE 2 HTA

modérée 160-179 ou

100-109

GRADE 3 HTA sévère≥ 180 ou >

110

Pas d’autre facteur de risque Pas de risque surajouté

Pas de risque surajouté

Risque faible Risque moyen

Risque élevé

1-2 facteurs de risque Risque faible Risque faible Risque moyen

Risque moyen

Risque très élevé

3 facteurs ou plus ou atteinte organe cible ou diabète

Risque moyen

Risque élevé Risque élevé Risque élevé Risque très élevé

Condition(s) clinique(s) associée(s)

Risque élevé Risque très élevé

Risque très élevé

Risque très élevé

Risque très élevé

Tableau 2 : Stratification du risque cardio-vasculaire (d’après ESH – ESC 2003)

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• Nouvelles recommandations américaines : le JNC VII Ces dernières recommandations de l’ESH/ESC, suivies de près par celles de

l’OMS et de la Société internationale d’hypertension (ISH) (57), sont essentiellement des réactualisations de textes antérieurs, prenant en considération des études publiées depuis 1999. Simultanément, les experts américains, en publiant leur « septième rapport du JNC sur la prévention, le dépistage, l’évaluation et le traitement de l’HTA » (58), reviennent quant à eux sur plusieurs notions importantes, et introduisent des nouveautés dans la prise en charge de l’HTA ; nous en évoquerons trois.

► Un stade « pré-hypertensif » : Entre 120 et 139 mm Hg de PAS ou entre 80 et 89 mm Hg de PAD, là où les précédentes classifications parlaient de PA normale et normale haute, le JNC VII parle de pré-hypertension (les PA normales étant pour eux <120 mm Hg pour la PAS et <80 mm Hg pour la PAD). Et ce stade nécessite déjà une prise en charge, le plus souvent non médicamenteuse (sauf en cas de diabète ou de nephropathie). ► Une décision thérapeutique qui ignore le risque cardio-vasculaire global : Si l’on avait jusque-là considéré que le but du traitement de l’hypertension artérielle n’en était pas un en soi, et qu’il n’était légitime qu’en tant qu’il diminuait le risque cardiovasculaire individuel - qui devait donc être évalué au cas par cas - les auteurs du JNC VII établissent au contraire un algorithme simple de prise en charge qui ne dépend que des chiffres de PA. ► Un traitement simplifié, une bithérapie fréquente : Aux deux stades de l’hypertension définis par le JNC VII correspondent des traitements médicamenteux (même en l’absence d’autre facteur de risque) :

- Stade 1 = PAS 140 – 159 mm Hg ou PAD 90 – 99 mm Hg : un traitement doit être débuté, et – en l’absence de complication – il doit s’agir d’un diurétique thiazidique (étude ALLHAT).

- Stade 2 = PAS > ou = 160 mm Hg ou PAD > ou = 10 mm Hg : il est légitime de commencer le traitement par une bithérapie d’emblée, car les monothérapies auront du mal à abaisser la PAS de 20 mm Hg ou la PAD de 10 mm Hg, et ne seront donc pas suffisantes pour atteindre l’objectif de PAS<140 et PAD<90 mm Hg. (NB : l’objectif pour les diabétiques étant une PAS<130 et une PAD<80 (étude HOT), une bithérapie sera nécessaire dès que PAS > ou = 150 mm Hg ou que PAD > ou = 90 mm Hg)

Abaissement du seuil de traitement et simplification de la prise en charge

sont ici destinés à diminuer efficacement la morbi-mortalité cardiovasculaire, par le biais de messages simples adressés aux praticiens. Les auteurs du rapport soulignent

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en effet dans leur introduction l’échec relatif de leurs précédentes recommandations (entre 1991-94 et 2000, aux Etats-Unis, le taux d’hypertendus traités avec un objectif tensionnel de moins de 140/90 est passé de 27 à 34 p. cent seulement).

B – Diagnostic et traitement Poser chez une personne un diagnostic d’hypertension artérielle justifie

d’une surveillance médicale accrue, de la réalisation d’examens complémentaires, et le plus souvent, à terme, de l’instauration d’un traitement à vie. Il importe donc en premier lieu d’utiliser une méthode de mesure validée.

• Techniques de mesure La seule technique permettant d’établir de manière exacte la valeur de

pression artérielle d’un individu est sa mesure directe par l’intermédiaire d’un cathéter endovasculaire. Ceci n’étant évidemment pas réalisable dans des conditions de pratique courante, on évalue indirectement le niveau des pressions artérielles (systolique et diastolique) d’une personne par la mesure des pressions qu’un brassard relié à un manomètre à mercure doit exercer, classiquement sur le bras, pour interrompre respectivement le flux et les turbulences dans l’artère (humérale).

La pression artérielle étant très labile au cours de la journée chez une même

personne, et influencée par de nombreux facteurs, dont l’effort et les émotions, il n’est pas possible de déterminer à partir d’une seule mesure si telle personne est hypertendue ou si elle ne l’est pas. A fortiori si cette mesure est effectuée dès l’entrée du patient dans le cabinet médical (fausses hypertensions regroupées sous le terme d’ « effet blouse blanche »).

Plusieurs méthodes ont été validées, et reproduites dans les différents guides de bonnes pratiques (JNC, OMS/ISH, ANAES, ESH/ESC) :

- au cabinet : l’OMS recommande, pour poser le diagnostic d’HTA,

la réalisation, chez un patient assis ou couché au calme depuis au moins dix minutes, de trois mesures espacées de plusieurs minutes ; le renouvellement des mesures sur au moins trois consultations en tout, espacées sur une période de deux à trois mois ; la moyenne des valeurs obtenues donnant le niveau de pression artérielle du patient. Le dispositif doit être validé, la référence étant le manomètre à colonne de mercure, et le brassard doit être adapté à la largeur du bras du patient.

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Ces recommandations ont été un peu allégées ensuite, mais les seuils retenus par tous sont 140/90 mm Hg (et maintenant 130/80 chez les diabétiques).

- Mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) : un appareil

porté par une personne pendant 24 heures prend automatiquement sa PA à différents moments du jour et de la nuit. Ces mesures, indépendantes des effets « blouse blanche » et placebo, sont mieux corrélées que les mesures du cabinet aux atteintes d’organes-cibles et au risque cardiovasculaire. Cette technique est spécialement indiquée en cas de suspicion de fausse hypertension « blouse blanche », de résistance au traitement, ou de suspicion de syndrome d’apnée du sommeil. Les seuils de PA retenus sont 125/80 mm Hg.

- automesure : la mesure par le patient, selon un rythme précis, de sa

PA pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines a aussi ses avantages. Elle permet notamment d’améliorer l’observance au traitement. Elle doit néanmoins être bien encadrée pour ne pas être une source d’anxiété ni induire de modification du traitement par le patient lui-même. Les seuils sont 135/85 mm Hg.

• Explorations Une fois le diagnostic d’HTA posé, un ensemble de mesures s’imposent à la

recherche : • d’HTA secondaire : moins de 5 p. cent des HTA résultent de

causes identifiables (et environ 1 p. cent de maladies curables) : nephropathie (polykystose rénale notamment), sténose de l’artère rénale (athérosclérose ou fibrodysplasie), phéochromocytome, hyperaldostéronisme primaire, syndrome de Cushing, syndrome d’apnée du sommeil, hyperthyroïdie, coarctation de l’aorte chez les enfants, médicaments (contraceptifs oraux, anti-inflammatoires non stéroïdiens, sympathomimétiques…), réglisse, drogues illicites ; la surconsommation d’alcool et l’obésité, qui peuvent être à l’origine de l’HTA, sont en outre de facteurs de risque indépendants ;

• de facteurs de risque cardiovasculaire associés ;

• d’atteinte(s) d’organe(s)-cible(s). Il s’agit de signes à rechercher lors de l’examen clinique, et d’explorations

para-cliniques.

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L’OMS recommande en première intention les examens suivants, qui peuvent être réalisés ou demandés par le médecin généraliste : kaliémie, créatinine sérique, glycémie à jeun, cholestérolémie totale, HDL-cholestérolémie, triglycéridémie, bandelette urinaire (recherche de protéinurie et hématurie) et électrocardiogramme.

L’ESH ajoute l’hémoglobinémie et l’hématocrite, et recommande dans certains cas : échographie cardiaque, écho-doppler des troncs supra-aortiques, CRP, micro-albuminurie, et fond d’œil.

La plupart de ces derniers examens sont du ressort du spécialiste. Une prise en charge spécialisée, souvent en milieu hospitalier, sera également nécessaire si l’on suspecte à ce stade, au vu des résultats précédemment obtenus, une HTA secondaire.

• Traitements Le but de la prise en charge médicale d’une personne hypertendue est la

réduction de son risque cardiovasculaire. Elle passe par le traitement, non médicamenteux et parfois médicamenteux de l’HTA, et par celui des facteurs de risque associés. On a déjà vu que le moment de l’intervention médicale, et le type de traitement à envisager, n’étaient pas tout à fait identiques dans les dernières recommandations européennes et américaines.

► Hygiène : les stratégies non médicamenteuses, diététiques et comportementales, qui permettent d’abaisser les chiffres tensionnels ou de contrôler d’autres facteurs de risque, doivent être instaurées dans tous les cas. Elles sont à encourager même en l’absence d’HTA ; elles sont parfois un traitement suffisant, et elles doivent toujours accompagner le traitement médicamenteux. Ce sont :

- l’arrêt du tabac ; - la réduction pondérale en cas de surpoids (Indice de masse

corporelle ou IMC8 > 25 kg/m² pour l’adulte de moins de 65 ans) et surtout d’obésité abdominale (tour de taille >1m chez l’homme, >90cm chez la femme) ;

- la diminution de la consommation d’alcool en dessous de 20 à 30 g par jour ;

- la pratique d’une activité sportive d’endurance, l’exercice physique optimal étant la réalisation de 3 séances de 30 à 60 minutes par semaine, strictement aérobie et de moyenne intensité (50 à 70 p. cent des capacités maximales) ;

8 IMC = poids (Kg) / taille (m)² ; le poids idéal correspond à un IMC compris entre 18,5 et 25 kg/m² ; un surpoids à un IMC > 25 kg/m² ; une obésité à un IMC > 30 kg/m² ; une obésité morbide à un IMC > 40 kg/m².

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- la réduction des apports sodés (inférieurs à 6 g par jour) ; - l’augmentation des apports alimentaires en fruits et légumes ; - la réduction des apports alimentaires en graisses, et particulièrement

en acides gras saturés. ► Médicaments : parmi les anti-hypertenseurs disponibles sur le marché pharmaceutique, tous ont démontré le bénéfice de leur utilisation dans des essais contrôlés, aux exceptions près des alpha-bloquants et des anti-hypertenseurs centraux. Les grandes classes médicamenteuses actuelles sont donc :

- les diurétiques ; - les β-bloquants ; - les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ; - les antagonistes du récepteur de l’angiotensine II (ARA II) ; - les antagonistes calciques.

Leur principal effet bénéfique en terme de morbi-mortalité cardiovasculaire

semble principalement lié à la baisse tensionnelle qu’ils entraînent. Néanmoins, certaines classes sont préférables sur des terrains particuliers (personnes âgées, diabétiques, atteinte rénale ou cardiovasculaire déclarée, grossesse).

Le choix doit se faire au cas par cas, en tenant compte des effets indésirables de chaque molécule, du terrain du patient, de ses précédents traitements anti-hypertenseurs et de ses autres traitements en cours, de ses préférences éventuelles. Il est important pour favoriser la bonne observance thérapeutique que le produit ne s’administre qu’en une prise par jour. A efficacité et tolérance égale, le choix devra également se porter sur le médicament le moins cher.

Dans tous les cas, il doit être introduit graduellement, dans le but d’atteindre l’objectif tensionnel progressivement. Les associations des différentes classes entre elles sont souvent nécessaires ; elles s’effectuent selon certaines règles de synergie. On parle d’HTA résistante si les mesures d’hygiène et l’association de trois anti-hypertenseurs (ou plus) dont un diurétique, n’ont pas permis d’obtenir des chiffres satisfaisants de PA. Un certain nombre d’éléments doivent alors être recherchés, que nous ne détaillerons pas ici.

• Surveillance A l’instar de ce qui est proposé pour le diabète, on a pu proposer une grille

de surveillance de l’hypertendu contrôlé sans complication connue. Ce suivi doit s’attacher à dépister la survenue de complications et d’autres facteurs de risque ; il doit permettre de remotiver les patients et favoriser ainsi l’observance.

Aucun schéma de surveillance n’est officiellement validé. Il semble raisonnable de suivre le calendrier suivant :

- mesure de PA : tous les 3 à 6 mois ;

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- interrogatoire et examen cardiovasculaire : tous les ans ; - bandelette urinaire : tous les ans ; - créatinine sérique et kaliémie : tous les 1 à 2 ans (et au moment de

l’introduction d’un traitement par diurétique et/ou IEC) ; - glycémie à jeun : tous les 3 ans - cholestérolémie (totale, HDL) et triglycéridémie : tous les 3 ans si

initialement normales ; - ECG en cas de signe clinique d’appel. C – Contrôle insuffisant • Un constat international décevant « Malgré les efforts considérables réalisés pour la dépister et la traiter,

l’hypertension reste une des principales causes de morbidité et de mortalité dans le monde, et les objectifs tensionnels sont rarement atteints. Il est donc hautement souhaitable d’améliorer cette délivrance insatisfaisante des soins.

Cela nécessite la participation de tous les professionnels impliqués dans la protection de la santé, du gouvernement au médecin praticien. » (Recommandations ESH/ESC 2003) (55)

Une étude réalisée chez 30 000 travailleurs français en 1997 et 1998 a pu

constater que parmi les personnes qui se savaient hypertendues et qui étaient traités par des médicaments anti-hypertenseurs seulement 12,5 p. cent des hommes et 33,2 p. cent des femmes avaient des chiffres tensionnels inférieurs à 140/90 mm Hg… (59) Et l’on a pu estimer leur nombre à 6 p. cent au Royaume-Uni ! (60)

Les rédacteurs du JNC VII illustrent quant à eux, à l’échelle de leur pays, ces

insuffisances dans un tableau réalisé à partir de données jusqu’alors non publiées du National Heart, Lung, and Blood Institute. Il contient les pourcentages d’adultes américains (entre 18 et 74 ans) hypertendus qui : connaissaient leur statut d’hypertendu, étaient traités, et étaient contrôlés, entre 1976 et 2000 :

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1976 – 80

1988 – 91

1991 – 94

1999 – 2000

Conscients de l’HTA

51

73

68

70

Traités

31

55

54

59

Contrôlés

10

29

27

34

Tableau qu’ils commentent ainsi : « L’hypertension représente le diagnostic

le plus courant aux Etats-Unis (35 millions de visites au cabinet par an). Le contrôle tensionnel, s’il s’est amélioré, reste encore loin de l’objectif de santé publique fixé à 50 p. cent d’hypertendus contrôlés pour 2010 ; 30 p. cent ignorent encore qu’ils sont hypertendus. » (58)

• Les bénéfices du traitement

Pourtant, en terme de morbi-mortalité, le bénéfice statistique d’un bon

contrôle tensionnel est bien démontré, et surtout chez les patients à haut risque. Ce bénéfice est même prouvé depuis quelques années chez les personnes âgées de 60 à 80 ans, qui présentent dans 12 à 20 p. cent des cas une HTA « systolique isolée » (cf. tableau 1) – bénéfice prouvé si PAS > ou = 160 mm Hg.

Nous reproduisons sous forme d’histogrammes les valeurs moyennes de réduction du risque établies par l’ESH/ESC. On peut remarquer que si, comme on l’a déjà noté, l’HTA a comme première complication l’insuffisance coronaire, le traitement de l’HTA en revanche apporte le plus grand bénéfice pour la prévention des AVC.

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HTA systolo-diastolique

Evénements (mortels ou non)

-50

-40

-30

-20

-10

0

%

AVC (p<0.001)insuff coronaire (p<0.01)

Mortalité

-25

-20

-15

-10

-5

0

%

totale (p<0.01)cardiovasculaire (p<0.001)

HTA systolique isolée

Evénements (mortels ou non)

-35-30-25-20-15-10-50

%

AVC (p<0.001)insuff.coronaire (p<0.001)

Mortalité

-20

-15

-10

-5

0

%

totale (p=0.02)cardiovasculaire (p=0.01)

Histogrammes résumant les bénéfices du traitement anti-hypertenseur chez l’adulte

(pourcentage de réduction du risque relatif d’événements mortels ou non) établis sur la base de grands essais contrôlés.

D’après les recommandations de l’ESH/ESC 2003.

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D’après la bibliographie du JNC VII, on a estimé que pour les personnes présentant une PAS entre 140 et 159 mm Hg et/ou une PAS entre 90 et 99 mm Hg, et d’autres facteurs de risque associés, une réduction de la PAS de 12 mm Hg maintenue pendant plus de 10 ans préviendrait une mort pour 11 patients traités. Et qu’il suffirait de traiter de cette manière 9 patients pour prévenir une mort en cas d’atteinte d’organe-cible. (61)

On peut néanmoins tempérer ces estimations en notant que la plupart des études sont de courte durée (environ 4 ou 5 ans) comparativement à l’espérance de vie des adultes d’âge moyen le plus souvent concernés par cette prévention (20 à 30 ans) ; et que les bénéfices à long terme de l’abaissement des chiffres de PA sont mal connus.

D’un point de vue financier, le coût annuel du mauvais contrôle tensionnel a

été estimé en 2002 à 964 millions de dollars pour l’ensemble de la population hypertendue des Etats-Unis. (62)

• Des obstacles reconnus Plusieurs obstacles ou insuffisances ont été identifiés dans la prise en charge

de l’HTA, et des solutions proposées pour l’améliorer.

► Une observance difficile : Dans leur synthèse de 1999 sur les problèmes que pose l’observance dans le suivi de l’hypertension artérielle, les Dr X. Girerd, K. Lahlou-Laforêt et J.-M. Mallion notent (63) : « L’observance se définit comme la concordance entre le comportement d’un patient et les prescriptions faites par son médecin. (…) Le terme d’ « adhésion au traitement » paraît plus adéquat dans la mesure où il souligne un accord actif du patient vis-à-vis des recommandations thérapeutiques prodiguées par son médecin, alors que le terme d’observance a une connotation d’obéissance à la règle, qui, justement, peut être problématique. »

Cette adhésion du patient, dans le cadre de l’HTA, comprend sa capacité à prendre la totalité du (ou des) médicament(s) antihypertenseur(s) prescrit(s) à un horaire régulier (dans les études, le seuil de 80 p. cent des médicaments pris sur la période étudiée définit un sujet qui a une bonne observance médicamenteuse), mais aussi sa participation aux consultations médicales et aux examens complémentaires, ainsi que son respect des règles hygiéno-diététiques énoncées plus haut, sur lesquelles nous ne revenons pas mais qui représentent sans doute à elles seules la plus grande difficulté du traitement.

Concernant l’observance strictement médicamenteuse, dans une ancienne

étude portant sur un suivi de 6 mois, seulement 57 p. cent des malades prenaient 80 p. cent des doses ou plus. (64) Et à plus long terme, l’observance est susceptible de diminuer encore davantage, comme le montrent les résultats d’une étude française de 1983 dont nous donnons les résultats dans l’histogramme suivant (65) :

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- 63 -

100

80

60

40

20

0% d

es m

alad

es p

ours

uiva

nt

le tr

aite

men

t

1 2 3Années

« L’observance des recommandations non médicamenteuses est encore plus

médiocre. L’essai THOMS qui a étudié l’effet de mesures diététiques (réduction de la prise d’alcool ou des rapports sodés, réduction du poids et augmentation des dépenses physiques) a montré que l’effet bénéfique de ces actions disparaissait au bout d’un an en moyenne chez la majorité des sujets. La raison étant l’abandon de ces mesures par lassitude. » (63)

En effet, l’HTA, anomalie sans substrat organique et le plus souvent

asymptomatique, qui n’est pas une maladie en soi mais pour laquelle il faut néanmoins prendre un traitement - qui peut entraîner des effets secondaires – quotidiennement et à vie, souvent changer son mode d’alimentation et plus largement ses habitudes, est particulièrement propice à l’inobservance.

Des croyances sans fondement solide sont fréquemment retrouvés chez les « mauvais observants » (arrêt des médicaments si l’on se sent bien, pendant les congés, ou si les chiffres de PA sont redevenus normaux sous traitement, substitution du traitement classique par celui de médecines alternatives etc.) ► Des thérapies inadaptées : « L’absence de titration ou de recours aux associations médicamenteuses, chez un patient qui n’a pas atteint son objectif tensionnel, est une inertie clinique qui doit être surmontée. » (58) D’après le JNC VII, l’insuffisance (quantitative et qualitative) du traitement médicamenteux prescrit est aussi un obstacle fréquent au contrôle tensionnel. ► Un dépistage défaillant : on a vu qu’on estimait à 30 p. cent le nombre d’hypertendus qui s’ignorent aux Etats-Unis ; dans l’étude française déjà citée réalisée en médecine du travail, cela concernait 50 p. cent des hommes et 27 p. cent des femmes. (59) Ce qui peut s’expliquer par : des mesures de la PA trop rares dans la population générale, une mauvaise technique de mesure (appareil défaillant

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notamment), une mauvaise interprétation des résultats, ou une négligence des patients (pas de contrôle en cas de chiffres élevés). ► Précarité : Plusieurs études ont mis à jour des inégalités en matière de santé cardiovasculaire, corrélées au statut socio-économique. Concernant l’HTA, les classes sociales basses présentent une prévalence plus grande et un moins bon contrôle thérapeutique que les classes plus hautes, notamment en raison de facteurs de risque d’HTA (alcool, surpoids, sédentarité) plus fréquents dans ces milieux (66). On a pu d’ailleurs noter dans certaines recommandations (en particulier celles de l’ANAES sur la prise en charge de l’HTA) qu’un milieu social défavorisé constituait à lui seul un facteur de risque cardiovasculaire (67).

Contrairement aux Etats-Unis, le coût des soins n’intervient probablement pas pour beaucoup en France, où la protection sociale est meilleure. Néanmoins, en l’absence d’HTA déjà compliquée (donc prise en charge à 100 p. cent par l’assurance maladie) et de mutuelle, on peut raisonnablement concevoir que le coût des traitements, des examens, éventuellement des transports, des consultations de contrôle (médecin, infirmier, parfois diététicien) - auxquels il faut ajouter celui qu’un régime riche en fruits et légumes ou que la pratique d’une activité physique peuvent engendrer – peut représenter un obstacle à la prise en charge optimale de l’HTA.

• Les interventions envisageables

Elles se situent à plusieurs niveaux, et concernent aussi bien le patient et son entourage que les médecins et autres professionnels de santé, ou que les industriels, les éducateurs, les responsables de petites ou grandes collectivités, les travailleurs sociaux. ► Mesures de santé publique : Afin de réduire à grande échelle la prévalence de l’HTA et de ses complications, des mesures nationales sont nécessaires. Des campagnes de dépistage peuvent être organisées ponctuellement, ou des appareils d’automesure validés mis à disposition dans des lieux publics ou des pharmacies. Les campagnes d’information incitent au dépistage.

Des mesures visant à réduire la teneur en sel des aliments préparés par l’industrie agro-alimentaire (qui représentent plus des trois quarts de l’apport en sel moyen des français) tentent de se mettre en place depuis plusieurs années. Des recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) préconisaient en 2002 de diminuer cette consommation dans l’ensemble de la population de manière progressive, pour atteindre une réduction de 20 p. cent au bout de 5 ans (68) ; projet repris en 2003 par le ministre de la santé dans le cadre d’un projet de loi relatif à la politique de santé publique, avec notamment comme objectif de lutter contre l’HTA « en réduisant de 5 mm Hg la PAS moyenne dans la population hypertendue et de 2 mm dans la population normotendue d’ici à 2008 »

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(69). Des revendications similaires de l’American Public Health Association réclament la réduction des apports alimentaires en sel de 50 p. cent pour les dix prochaines années, auprès des restaurants et des industriels. (58)

► Education pour la santé, informations du grand public : Les campagnes d’information font aussi partie des politiques de santé publique. Il s’agit de sensibiliser la population au problème de l’HTA en l’informant sur ce que l’on sait de cette maladie, de ses complications et de ses traitements. La population hypertendue doit être la première à bénéficier de cette éducation qui, comme pour toute maladie chronique, renforce la motivation des patients, leur implication dans les soins et leur observance. Le fait de présenter l’HTA comme une maladie à part entière (même si, chez certains patients, la notion de risque - donc de défi - présente un certain attrait) conduit à une meilleure observance. (63)

Plus largement, il s’agit aussi de lutter contre le tabagisme ; d’inciter à la pratique d’une activité physique régulière, dans les entreprises, les écoles ou dans la rue (édition récente sous l’égide du ministère de la santé du fascicule « La santé vient en bougeant », affiches dans le métro incitant à utiliser les escaliers etc.) ; de promouvoir une alimentation saine (« La santé vient en mangeant » id.), riches en fruits, légumes et graisses poly ou mono-insaturées, et pas trop calorique ; de lutter contre l’alcoolisme et autres dépendances aux drogues illicites qui, outre leur effet presseur propre, représentent des facteurs puissants de mauvais contrôle tensionnel (moins bonne couverture sociale, rapports moins bons et moins fréquents avec les professionnels de santé, autocritique comportementale plus difficile, mauvaise observance) (70) (l’éducation et l’information s’insèrent alors évidemment dans une prise en charge beaucoup plus vaste). ► Travail d’équipe multidisciplinaire : Un essai randomisé contrôlé a évalué deux types de prise en charge chez 309 jeunes hypertendus afro-américains (population à forte prévalence d’HTA et à haut risque de complications précoces) : un premier groupe a bénéficié d’interventions thérapeutiques éducatives, comportementales et pharmacologiques intensives par un groupe coordonnant infirmière, médecin et auxiliaire de santé, alors qu’un second groupe a été suivi de manière plus « usuelle ». A trois ans, les moyennes de PA avaient diminué de 7,5 (PAS) et 10,1 mm Hg (PAD) dans le premier groupe alors qu’elles avaient augmenté de 3,4 (PAS) et diminué de 3,7 mm Hg (PAD) dans le second groupe (p=0,001 et 0,005 respectivement pour PAS et PAD). La TA était contrôlée dans 44 et 31 p. cent des cas (p=0,045), l’HVG estimée à 274 et 311 g (p=0,004), et la progression de l’insuffisance rénale (définie comme l’augmentation de la créatinine sérique de 50 p. cent) de 5,2 et 8 p. cent (p=0,08). (71)

L’importante diminution de la morbi-mortalité cardiovasculaire démontrée dans les grands essais, qui n’arrive pas à atteindre la pratique quotidienne, pourrait ainsi s’expliquer par le suivi plus strict d’équipes multidisciplinaires bien formées,

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qui n’existent pas couramment. Le face-à-face singulier et exclusif du patient avec son médecin entraîne plus de dépendance, et semble moins efficace, qu’une approche diversifiée au cours de laquelle on apprend au patient à se prendre en charge lui-même. Les mesures préventives sont sensiblement mieux appliquées lorsque les médecins sont périodiquement incités à les mettre en œuvre (72). De plus, l’ensemble des informations cliniques, biologico-radiologiques, historiques et environnementales sur un patient, habituellement disséminées entre l’hôpital, le médecin traitant ou son infirmière peuvent être ici réunies pour une meilleure connaissance et un meilleur suivi des personnes.

Dans un éditorial consacré à l’amélioration nécessaire de l’observance, H.M. Hill concluait en 1996 : « Les potentialités de la prévention secondaire en matière d’insuffisance coronaire sont bien connues. Le rôle de l’éducation multidisciplinaire et du travail d’équipe, dans la pratique et au cours de la recherche, a été bien établi. Nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer l’évidence plus longtemps. L’utilisation de ce potentiel, par la réduction des facteurs de risque, passe par une modification de la délivrance des soins, et des comportements à la fois des patients et des médecins. » (73)

► Approche thérapeutique centrée sur le patient : Plusieurs conseils avaient été donnés par le JNC VI afin d’améliorer l’observance, parmi lesquels on retrouve la nécessité de responsabiliser le patient, de l’éduquer pour en faire un partenaire des soins. Comme on l’a déjà évoqué dans notre première partie, le rapport classiquement autoritaire du médecin-contrôleur et du patient-passif doit évoluer vers une relation de médecin-facilitateur et de patient-autonome, actif dans la relation et le choix thérapeutique (74). Une bonne relation entre médecin et patient, dans laquelle ce dernier est mis en confiance, où l’on entend ses attentes et ses difficultés, au sein d’un interrogatoire davantage centré plus sur lui que sur les préoccupations du médecin, est un facteur connu de bonne observance. (75)

En effet, « dans une maladie chronique, le patient peut se sentir dépossédé de tout pouvoir décisionnel et enfermé dans un statut de soumission où il n’a pas son mot à dire. Un défaut d’observance peut refléter la marge de liberté qu’un patient s’accorde face au médecin qu’il imagine tout-puissant. Restituer à l’hypertendu une part importante de responsabilité dans sa propre prise en charge permettra probablement que son « mot à dire » s’exprime autrement que par un acte de « désobéissance » ». (63)

D’après une étude américaine de référence en la matière (76), les principaux

facteurs influençant l’observance à long terme lors du traitement anti-hypertenseur peuvent être résumés dans le schéma suivant :

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B o n n e re latio n en tre le m alade e t so n m édec in

B o n n e co m p réh en s io n de ce que rep résen te l'h yp erten s io n artérie lle

A ccep ta tion d u tra item en t

a n tih yp erten seu r A b sen ce d ’effe ts seco n d aires

P as d e d im in u tio n de la qualité de v ie

S im p lic ité du tra item en t

P ress io n artérie lle n o rm alisée so us tra item en t

Les méthodes de médecine comportementale, qui se centrent sur le patient, et établissent des contrats personnalisés dans lequel on fixe des objectifs tensionnels, qui encouragent l’automesure et la tenue d’un carnet de suivi, ont d’ailleurs démontré dans de nombreuses études leur efficacité sur le contrôle de l’HTA (77) ou plus largement sur la diminution du risque cardiovasculaire (78). ► Formation médicale initiale et continue : Motif le plus fréquent de consultation en médecine générale, l’HTA doit être bien connue des praticiens (techniques de mesure, facteurs de risque associés, complications, traitements).

La multiplication récente des guides de bonnes pratiques pour l’HTA, souvent assortis d’un résumé tiré à part à l’usage du généraliste, traduit cette volonté de sensibilisation des praticiens à cette prise en charge.

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2 – SITUATION GEOGRAPHIQUE ET SANITAIRE DE LA GUADELOUPE

Avant d’exposer le problème qu’y pose l’HTA, nous voudrions noter ici quelques traits spécifiques de la Guadeloupe, pour permettre au lecteur de se faire une idée du terrain sur lequel est né le réseau HTA-Gwad. Les chiffres que nous donnons sans indiquer de source nous ont été aimablement communiqués par Mr Mignard, de l’INSEE. A – Généralités sur l’archipel guadeloupéen Tout d’abord, avant de fournir les indicateurs sanitaires notables de l’île, voici, très brièvement bien sûr, une évocation de quelques-unes de ses caractéristiques géographiques, culturelles et économiques qui seront utiles à notre propos. • Géographie Colonisée au quinzième siècle, la Guadeloupe, devenue en 1946 département français d’outre-mer (DOM), est l’île la plus grande et la plus peuplée des « petites Antilles ». Elle est en fait composée de deux îles reliées par un pont, la Grande-Terre (590 km²) et la Basse-Terre (848 km²), auxquelles s’ajoutent plusieurs « dépendances » proches : les Saintes (14 km²), Marie-Galante (158 km²), et la Désirade (22 km²). Plus lointaines à tous les niveaux, l’île de Saint-Barthélemy et une partie de l’île de Saint-Martin sont aussi administrativement reliées à la Guadeloupe (carte 1). Son chef-lieu est la ville de Basse-Terre, mais sa capitale économique est à Pointe-à-Pitre. • Populations et croyances Au dernier recensement de 1999, la population totale de la Guadeloupe avait été chiffrée à 422 496 habitants (densité de 252 hab./km²). Plus de 40 p. cent des individus ont moins de 25 ans (33 p. cent en métropole). Elle se compose aux trois-quarts de noirs métis, mais aussi d’Indiens (environ 13 p. cent), recrutés pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle dans la région de Pondichéry, pour travailler dans les plantations désertées après l’abolition de l’esclavage. Les minorités restantes sont composées de communautés de blancs (békés, blancs créoles, petits blancs, métros…), de Libanais, de Syriens, et de quelques Chinois, Africains, Italiens ou Juifs sépharades.

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Les clivages sociaux sont malheureusement souvent doublés de clivages raciaux, sources d’amertume et de tensions multiples. Néanmoins, le métissage forcé des sociétés et des cultures y a créé une échelle propre de valeurs qui compose une identité guadeloupéenne unificatrice. Le langage, la musique et la danse, la cuisine et autres arts populaires, la manière d’être, de vivre ses relations sexuelles et sa famille (36 p. cent des enfants sont issus de familles monoparentales), ou encore la religion, la magie ou la pharmacopée, forment un ensemble complexe et singulier. La religion catholique voisine avec le vaudou, aux côtés de la communauté hindoue, de groupes chrétiens alternatifs (Adventistes du septième jour, Témoins de Jéhovah, Baptistes, Méthodistes…) ou de « rastas ». Comme ailleurs en France, les guérisseurs et autres voyants ou jeteurs de sorts y sont très populaires, sous les noms de « gadédzafé » ou « quimboiseurs ». Ils entretiennent des rapports étroits avec les morts et les esprits de la nuit, et sont un recours très fréquent en cas de maladie, qu’ils combattent au moyen d’amulettes, philtres, tisanes, bains corporels à base d’herbes, etc. • Economie

Le commerce du fruit des plantations coloniales (sucre, tabac, coton, indigo, cacao, café, épices), moyen puissant, en son temps, pour le développement économique et financier de l’Europe, cherche toujours sa relève. Après l’effondrement du cours du sucre de canne, du café ou du cacao, le commerce de la banane n’est pas beaucoup plus fructueux. Malgré les subventions de l’Etat (pour l’industrie sucrière), le nombre d’exploitations agricoles chute (diminution de surface de 20 p. cent entre 1989 et 1997) ; l’agriculture ne représente plus que 4 p. cent du produit intérieur brut (PIB) contre 22 p. cent en 1966. Le taux de couverture des importations par les exportations n’est que de 6 p. cent… Seul le tourisme (première activité économique de l’île) se développe activement.

Les importants transferts de fonds publics augmentent artificiellement le

niveau de vie d’une large part de la population dont la situation est réellement précaire :

- Le chômage touche aujourd’hui 30 p. cent de la population active (trois fois plus qu’en métropole), avec 56 000 demandeurs d’emploi – 48.6 p. cent sont en chômage de longue durée (29.4 p. cent en métropole) – 11 p. cent des chômeurs ont moins de vingt-cinq ans ;

- 29 340 personnes perçoivent le revenu minimum d’insertion (RMI), ce qui représente un adulte sur cinq (quatre fois plus qu’en métropole) dont une majorité de moins de 35 ans ;

- près de la moitié des collégiens sont boursiers (un sur cinq en métropole) ;

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- 130 729 personnes bénéficient de la couverture mutuelle universelle (CMU), soit plus d’un quart de la population totale.

B – Situation sanitaire • indicateurs généraux L’espérance de vie à la naissance en Guadeloupe reste depuis plusieurs décennies légèrement inférieure (de un à deux ans) à la moyenne nationale, pour les hommes comme pour les femmes, avec un taux de mortalité infantile plus élevé (8,83 p. mille en 2003, contre 4.1 p. mille sur l’ensemble du territoire français).

La mortalité prématurée, définie comme la mortalité survenant avant 65 ans, permet de cibler les politiques de prévention. Les données régionales permettent d’établir les indices comparatifs de mortalité (ICM)9 prématurée (cf. carte 2). On constate une opposition entre le nord et le sud de la France, mais aussi entre les DOM (sauf Martinique) et la métropole. Si ces écarts peuvent s’expliquer en partie par la plus grande proportion de personnes jeunes dans la population de ces régions, l’analyse des causes de ces décès prématurés, et de leurs différences entre la France métropolitaine et les DOM (nous n’avons pas trouvé de chiffres limités à la Guadeloupe) est tout de même intéressante (tableau 3) ; nous relevons que :

- le poids des maladies cardio-vasculaires est beaucoup plus lourd dans les DOM (avec notamment une mortalité prématurée par accident vasculaire cérébral proportionnellement deux fois plus importante) ; les maladies vasculaires cérébrales étaient en 1988 - 90 la première cause de décès chez les 35 – 64 ans en Guadeloupe, alors qu’elles occupent en moyenne entre la cinquième et la sixième place dans les régions métropolitaines (document 1) ;

- la responsabilité de l’alcool est plus souvent retrouvée dans les DOM qu’en métropole.

On peut noter ici que l’analyse des taux comparatifs de décès par grandes

pathologies, tous âges confondus, met les maladies cardio-vasculaires en tête des causes de mortalité chez les femmes en France, mais seulement en deuxième position chez les hommes (après les cancers), alors qu’en Guadeloupe (comme dans les autres DOM), elles viennent largement en tête dans les deux sexes (tableau 4). Ceci peut s’expliquer par la forte prévalence du diabète et de l’hypertension artérielle en Guadeloupe, comme nous le verrons plus bas. 9 L’ICM permet de comparer la situation des régions en éliminant les effets de la structure par âge. L’ICM est le rapport en base 100 du nombre de décès observés au nombre de décès qui serait obtenu si les taux de mortalité pour chaque tranche d’âge dans chaque région avaient été identiques aux taux nationaux. La base est 100 en France métropolitaine. Les ICM des hommes et des femmes ne peuvent pas être comparés les uns aux autres.

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Les autres particularités sanitaires régionales de l’archipel sont : - la forte prévalence de l’infection par le VIH, qui place la Guadeloupe

en deuxième position (après la Guyane et avant l’Ile-de-France) ; - un moins bon suivi obstétrical (manque de visites prénatales), chez

des mères plus jeunes et plus souvent seules au moment de la grossesse qu’en métropole ;

- l’endémicité de la dengue, de la leptospirose et de l’infection à HTLV 1 (Human T cell leukemia/lymphoma virus type 1).

• couverture médicale

Au premier janvier 2000, la densité de l’ensemble des médecins était de 123 pour 100 000 habitants en Guadeloupe (200/100 000 en métropole), avec une différence surtout marquée pour les spécialistes : 50/100 000 contre 85/100 000.

La densité des infirmiers diplômés d’Etat est en revanche plus grande : 112/100 000 contre 98/100 000.

On dénombre :

▪ neuf hôpitaux : - un centre hospitalo-universitaire (CHU) ; - cinq centres hospitaliers (CH) généraux, dont deux sur les

dépendances (Marie-Galante et Saint-Martin) ; - un CH spécialisé (CHS) en psychiatrie ; - deux hôpitaux locaux (HL), dont un sur une dépendance (Saint-

Barthélemy) ;

▪ vingt-trois cliniques, de taille très inégale, à vocation médicale générale, gériatrique, thermale, de soins de suite et de réadaptation, de dialyse, chirurgicale générale, urologique… ▪ plusieurs centres médico-psychologiques ▪ sept dispensaires (CLASS) de la DSDS10 Plusieurs réseaux existent en 2005. Selon la Typologie des réseaux de santé agréés ou en voie de constitution en Guadeloupe réalisée par Mme P. Lafontaine (79), « l’archipel guadeloupéen n’a pas connu de développement de réseau de type « Soubie », et il 10 Direction de la Santé et du Développement Social, organisation spécifique aux DOM qui regroupe DDASS et DRASS.

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n’existe qu’un réseau ville-hôpital VIH depuis 1995. L’ARH de Guadeloupe en partenariat avec la CGSS11 a entrepris une vaste action de communication autour de la nouvelle réglementation (…), incitant les promoteurs de réseaux à s’informer, se former, s’organiser en conséquence. »

A la différence des réseaux pionniers de métropole, on constate qu’il s’agit ici d’une « politique volontariste et organisée » de mise en place des réseaux, pour reprendre l’expression déjà citée de G. Arcega (I-4-D). On lit en effet dans le rapport du SROSS 2000/2004 que « les établissements publics de santé sont invités à favoriser et formaliser la création et le développement de filières et réseaux de soins. (…) Les institutions doivent s’engager au travers de contrats et de protocoles écrits, gages de pérennité. » (SROSS 2000/2004, p. 67). Les créations attendues sont, par ordre d’apparition dans le SROSS : périnatalité, cancérologie, prise en charge de la douleur chronique (intégrée à la cancérologie), soins palliatifs, toxicologie, diabète, HTA, IRC (constitution d’une filière diabète – HTA – IRC), gérontologie.

Si plusieurs projets ont bénéficié du FAQSV (réseau ville-hôpital VIH, centre d’éducation nutritionnelle, télé-médecine, réseau cancer, école de l’asthme, adaptation du test de dépistage de la maladie d’Alzheimer à la population guadeloupéenne, réseau diabète, réseau périnatalité, réseau HTA, maison de garde et de régulation des urgences…), seulement trois réseaux bénéficient à ce jour d’un financement de la DRDR : le réseau cancer (KARUKERA-ONCO), le réseau périnatalité (PERINAT-GUADELOUPE) et le réseau HTA (HTA-GWAD).

Nous retenons de l’analyse de Mme Lafontaine (79), qui concerne les réseaux cancer, périnatalité, HTA et l’école de l’asthme, que leur fonctionnement actuel est une coordination entre professionnels de santé où le corps médical est majoritaire ; que tous les réseaux sont centrés sur une pathologie, et centralisés dans la région Abymes – Gosier - Pointe-à-Pitre (à l’exception du réseau HTA) ; que le CHU ne s’est pas engagé dans la vie des réseaux ; et que le choix a presque partout été d’attendre la constitution d’un dossier médical partagé informatisé pour commencer à inclure les patients.

11 Caisse Générale de Sécurité Sociale, organisation spécifique aux DOM qui réunit l’URCAM, la CRAM (Caisse Régionale d’Assurance Maladie), les centres de paiement des CPAM (Caisses Primaires d’Assurance Maladie), l’assurance maladie des exploitants agricoles et l’URSSAF (Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales).

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3 – UNE PRISE EN CHARGE DE L’HTA INSATISFAISANTE A – Prévalence et contrôle

La plus grande fréquence de l’HTA dans les populations d’origine noire africaine ou indienne, par rapport aux populations d’origine caucasienne, est bien établie. Aux Etats-Unis, les afro-américains - qui font en outre partie des classes sociales basses - sont, comme on l’a déjà noté, particulièrement à risque d’HTA et de complications sévères (80).

En Guadeloupe, l’étude la plus récente qui a le mieux évalué la prévalence de l’HTA dans la population générale a été réalisée sous l’égide de l’INSERM en 1985 (81). Avec une définition de l’HTA qui était alors une PAS > 160 mm Hg et / ou une PAD > 95 mm Hg, elle retrouvait une prévalence globale (chez les individus de plus de 18 ans) de 23 p. cent, répartie comme suit :

- 28 p. cent chez les femmes – 18 p. cent chez les hommes ; - dans la population métissée d’origine africaine : 26 p. cent chez les

femmes – 21 p. cent chez les hommes ; - dans la population d’origine indienne : 22 p. cent chez les femmes –

28 p. cent chez les hommes ; - dans les populations d’autres origines : 16 p. cent chez les femmes –

18 p. cent chez les hommes.

Elle atteignait 65 p. cent après 60 ans (alors qu’elle est estimée en France, selon les normes de 140/90 mm Hg, autour de 50 p. cent après 65 ans). Cette forte prévalence de l’HTA dans la population noire âgée des Etats-Unis ou de la Caraïbe – et en particulier chez la femme - est rapportée à des facteurs génétiques mais aussi environnementaux (indice de masse corporelle et ration sodée élevés) (82).

Le lien familial est d’ailleurs bien retrouvé dans l’étude, puisqu’elle note 58 p. cent d’HTA parmi les parents du premier degré chez les hypertendus, contre 46 p. cent chez les normotendus.

90 p. cent des hommes et 74 p. cent des femmes ignoraient leur statut

d’hypertendu. Chez ceux qui se savaient hypertendus et étaient traités, le contrôle

tensionnel (TA<160/95 mm Hg) était obtenu chez la moitié des hommes et un tiers des femmes.

Lors d’une enquête réalisée ultérieurement au sein du service de cardiologie du Centre Hospitalier de la Basse-Terre (83), 30 p. cent des hypertendus ont reconnu interrompre leur traitement temporairement pour le remplacer par des « tisanes ».

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L’HTA est en Guadeloupe la deuxième cause d’exonération du ticket modérateur12 (après le diabète) chez les 35 – 64 ans, et de loin la première cause après 65 ans, alors qu’elle représente en moyenne dans les autres régions de France respectivement la cinquième la quatrième cause de cette admission en « affection de longue durée » (ALD) (documents 2 et 3).

Nous terminerons ce paragraphe sur la prévalence et le contrôle de l’HTA en

Guadeloupe par la comparaison instructive de trois grandes études, réalisées exactement selon le même protocole de mesure13, et en partie par la même équipe.

Les deux premières ont été réalisées en milieu du travail, dans une population ayant la même moyenne d’âge. L’étude IHPAF, déjà citée (59), a été réalisée en métropole chez 27 490 sujets ; l’étude INHAPAG (84), a été réalisée en Guadeloupe, Martinique et Guyane chez 6113 sujets.

La troisième étude, PHAPPG (85), concerne uniquement une population précaire guadeloupéenne (c’est-à-dire ne vivant que du RMI, des allocations de chômage, des prestations sociales ou familiales).

Les tableaux suivants résument leurs principaux résultats :

Prévalence

Connaissance de l’HTA

Contrôle TA<140/90 sous traitement

H F H F H F IHPAF travailleurs métropole

16,2% 9,4% 50% 73% 34% 52%

INHAPAG travailleurs Antilles-Guyane

19,5% 18,9% 49% 82% 38% 62%

PHAPPG précaires Guadeloupe

25,2% 22,1% 40% 67,7% 19% 37,8%

On relève : - la forte prévalence connue de l’HTA aux Antilles et en Guyane,

comparativement à la métropole, avec des chiffres encore plus importants en milieu précaire ;

12 L’HTA est prise en charge à 100 p. cent par l’assurance maladie lorsqu’elle est « sévère », c’est-à-dire souvent déjà compliquée. 13 Mesure standardisée de la PA par un appareil automatique validé, à trois reprises, et contrôle à un mois selon le même protocole si la moyenne est supérieure à 140/90 mm Hg, et si la personne n’est pas hypertendue connue et traitée.

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- les progrès du dépistage en Guadeloupe depuis l’étude de 1985, avec une proportion d’hypertendus qui s’ignorent beaucoup plus faible ;

- mais un contrôle tensionnel sous traitement plus mauvais en milieu précaire qu’en milieu du travail.

Toujours issus de ces mêmes études, les relevés de poids, et plus précisément

d’indices de masse corporelle (IMC) sont aussi révélateurs : Femmes N Age (ans)

IHPAF 11 395 39 ± 10

INHAPAG 2979 40 ± 10

PHAPPG 1332 40 ± 11

Index pondéral (kg/m²) 23,7 ± 4,4 25,3 ± 4 27,1± 6,4 Obésité (>30 kg/m²) 9% 16,1% 28,9% Prévalence d’HTA 9,3 % 18,9% 22,0 % Risque relatif estimé d'HTA lié à l'obésité

4.2 3,1 3.2

Hommes N Age (ans)

IHPAF 16 095 39 ± 10

INHAPAG 3134 39 ± 10

PHAPPG 1088 41,9 ± 10

Index pondéral (kg/m²) 24,9 ± 3,6 24,9 ± 3,9 24,8 ± 4,9 Obésité (>30 kg/m²) 7 % 10% 12,5% Prévalence d’HTA 16,1 % 19,5% 25,2% Risque relatif estimé d'HTA lié à l'obésité

4.3 3,2 4.7

La prévalence de l’obésité plus forte en milieu précaire ressort bien, et surtout chez les femmes guadeloupéennes, presque deux fois plus obèses que leurs homologues du milieu du travail (p=0,001) ; parmi les travailleurs, la plus grande proportion d’obèses dans les deux sexes aux Antilles apparaît si l’on compare les résultats des études IHPAF et INHAPAG.

Le rôle de l’obésité dans la genèse de l’HTA semble clair, avec un risque relatif estimé d’HTA lié à l’obésité supérieur à 3 dans tous les cas. Dans les milieux sociaux défavorisés, une plus grande consommation d’alcool et de sel a été relevée dans d’autres études, qui permettent également d’expliquer la plus forte prévalence d’HTA dans ces populations. Et en dehors des facteurs génétiques, le régime antillais très salé est un facteur aggravant très probable.

Mais aussi, indépendamment de son rôle hypertensif, l’obésité ajoute un facteur de risque cardiovasculaire à la population guadeloupéenne, qui en cumule déjà beaucoup.

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B – L’association des facteurs de risque En effet, au-delà de l’HTA, d’autres risques majeurs de maladie

cardiovasculaire se multiplient les uns par les autres dans la population antillaise.

• Diabète Le diabète sucré était à la fin des années 80 en Guadeloupe la première cause

d’exonération du ticket modérateur chez les 35 – 64 ans (troisième cause en moyenne dans les régions de métropole), et la deuxième cause chez les plus de 65 ans (entre la cinquième et la sixième cause en moyenne en métropole) (documents 2 et 3). Il y représentait en 1988 – 90 la quatrième cause de décès des plus de 65 ans, alors qu’il ne figurait pas parmi les neuf premières causes de décès à ces âges en métropole (document 4).

Il s’agit presque toujours de diabètes de type II. Cette prévalence a été rapportée, comme toujours, à des facteurs à la fois héréditaires et environnementaux (surpoids, régime riche en féculents).

D’après deux études réalisées chez des adultes, en Guadeloupe, en 1985

(étude INSERM) (86) et au début des années 90 (87), sa prévalence totale est supérieure à 6 p. cent (définition du diabète par une glycémie à jeun supérieure à 8 mmol/l) ; elle est de 2 p. cent en France.

On notait un forte corrélation à l’obésité (surtout chez les femmes), et une susceptibilité génétique (prévalence de 22,5 p. cent chez les sujets d’origine indienne des deux sexes). (86)

La seconde étude retrouvait comme premier facteur de risque de diabète la présence d’un parent du premier degré diabétique, puis l’obésité qui est cependant le seul facteur sur lequel il soit possible d’intervenir en prévention primaire. Elle relevait le faible pourcentage de diabétiques traités par insuline (14 p. cent). (87)

HTA et diabète sont souvent associés ; plusieurs grandes études le

soulignent. Nous citerons simplement l'essai MRFIT, dans lequel parmi 347 978 hommes âgés de 35 à 57 ans, la prévalence de l'hypertension (définie par une PAS > 160 mmHg) était de 13 p. cent chez les diabétiques contre 4,6 p. cent chez les non-diabétiques. (88)

Et leurs risques se multiplient, puisque d’après Dupree (89), chez les hypertendus atteints de diabète de type II, la mortalité est :

- multipliée par 4 par rapport à une population non diabétique, non hypertendue sur une période de 10 ans ;

- multipliée par 2,5 par rapport à une population diabétique non hypertendue ;

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- multipliée par 1,5 par rapport à une population hypertendue non diabétique.

D’où l’importance d’un contrôle encore plus strict de la PA chez les

diabétiques, corroborée par les résultats de l’étude HOT (90), qui retrouve pour des niveaux de contrôle de PAD différents la survenue des événements suivants (sur des échantillons de 501 malades pour le groupe PAD < 90 mm Hg, et de 499 malades pour le groupe PAD < 80 mm Hg) :

Si PAD < 90 mm Hg

Si PAD < 80 mm Hg

p

Tous les événements cardio- vasculaires majeurs

45 22 < 0,005

Infarctus du myocarde 14 7 0,11

AVC 17 12 0,34

Mortalité cardio-vasculaire 21 7 0,016 Toutes cause de mortalité 30 17 0,068

• Dyslipidémies Une étude réalisée chez 1000 adultes guadeloupéens consultant dans un

centre de santé en 1999 (91) retrouvait chez 27 p. cent une cholestérolémie totale supérieure à 2 g/l (18 p. cent une LDL-cholestérolémie supérieure à 1,60 g/l). Seulement 22 p. cent connaissaient ce diagnostic, et 5 p. cent étaient traités.

Surtout, le risque d’avoir une hypercholestérolémie était significativement plus grand en cas d’hypertension.

• Syndrome métabolique Ce syndrome, dont on a pu démontrer qu’il était un facteur de risque

cardiovasculaire indépendant des facteurs classiques, associe : - obésité abdominale (tour de taille >1m chez les hommes et >90cm

chez les femmes) ; - intolérance au glucose (glycémie à jeun > 1,1 g/l) ; - TA > ou = 130/85 mm Hg (mais <180/110 mm Hg) ; - Triglycéridémie > ou = 1,5 g/l ; ou HDL-cholestérolémie < 0,40 g/l

chez les hommes et < 0,50 g/l chez les femmes

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D’après ce qui précède, on peut prédire que la prévalence de ce syndrome est

élevée en Guadeloupe. Son traitement repose en premier lieu sur la réduction pondérale et la pratique d’une activité physique aérobie, ainsi que sur la diminution de la consommation de sel « car il existe une forte corrélation entre l’obésité, l’hypertension artérielle, la sensibilité au sodium et l’insulino-résistance14 » (92).

• Précarité Nous avons déjà donné des chiffres qui dénotent d’une grande précarité en

Guadeloupe (comparativement à la métropole). Nous rappelons seulement que si l’appartenance à une classe socio-économique basse a pu être notée comme un facteur de risque à part entière, il semble qu’elle le soit surtout par le surcroît de comportements « à risque » dans ces milieux.

• Associations à l’HTA Dans l’étude de 1985, les facteurs de risques associés à l’HTA n’ont été

relevés que chez les personnes ayant des origines africaines. Elle retrouvait : l’obésité, l’hyperglycémie, un faible niveau d’éducation, des antécédents familiaux d’HTA et d’AVC. Les auteurs concluaient : « Un réel programme éducatif est nécessaire, tout particulièrement concernant les comportements associés à l’obésité : la diététique et l’activité physique ».

Plus récemment, une étude cas-témoins portant sur 4210 adultes

guadeloupéens (2105 hypertendus appariés par âge et sexe à 2105 normotendus), a cherché à quantifier cette association entre l’HTA et les autres facteurs de risque cardiovasculaire (93).

Chez les hypertendus, par ordre de fréquence décroissante, on retrouvait : - l’obésité (30 p. cent) ; - les dyslipidémies (23,2 p. cent) - le tabac (11,5 p. cent – mais 13,9 p. cent chez les normotendus

p<0,01) ; - l’hyperglycémie (8,2 p. cent). Mais surtout, la proportion de sujets cumulant plusieurs de ces facteurs

de risque (au moins deux) était beaucoup plus élevée chez les hypertendus (55,5 p. cent contre 6,5 p. cent chez les normotendus, p<0,001).

14 Défaut d’action de l’insuline sur ses tissus-cibles (muscle squelettique, foie).

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Une autre étude a retrouvé une augmentation significative de l’hypercholestérolémie et de l’obésité lorsque la PA augmente, chez 1016 adultes guadeloupéens consultant en centre de santé (94).

Chez les guadeloupéens d’origine indienne, population à forte prévalence de

diabète de type II et de coronaropathie, une étude cas-témoin a évalué cette association des facteurs de risque chez 86 diabétiques et 86 non-diabétiques (95). Par rapport au groupe témoin, on retrouvait de manière très significative chez les diabétiques une plus grande prévalence d’obésité abdominale, d’hyper-LDL-cholestérolémie, d’hypertriglycéridémie, d’hypo-HDL-cholestérolémie, et de chiffres élevés de PAS et de PAD.

C – Complications

• Accidents vasculaires cérébraux Les AVC, ischémiques ou hémorragiques, ont les mêmes facteurs de risque

que les maladies coronariennes. Mais l’HTA est le facteur de risque le plus puissant (96) ; et la corrélation statistique entre l’HTA et le risque d’AVC encore plus étroite que pour le risque coronarien (97).

Le bénéfice du traitement curatif des AVC ischémiques (thrombolyse) est encore imprécis ; tous les efforts doivent donc se porter sur leur prévention primaire, pour laquelle on dispose de moyens évalués (et à un moindre degré sur leur prévention secondaire, que l’on connaît moins bien). Le bénéfice préventif majeur de la baisse tensionnelle, pour laquelle on a déjà donné des chiffres, semble proportionnel à celle-ci (96).

Les conséquences directes des AVC sont souvent graves (invalidité ou décès), et leur retentissement socio-économique (handicap chronique, hospitalisations) lourd.

En Guadeloupe, les décès par AVC totalisent 43 p. cent de la mortalité

cardiovasculaire totale (25 p. cent en métropole) ; nous avons déjà vu le poids qu’ils y ont dans la surmortalité prématurée (première cause de décès chez les 35 – 64 ans ; entre la cinquième et la sixième cause en métropole pour cette tranche d’âge). Finalement, l’index comparatif de mortalité par AVC est de 151 en Guadeloupe (base 100 pour l’ensemble de la France, cf. II.2.B).

Dans une enquête réalisée au CHBT sur 270 AVC, l’HTA était présente dans 90 p. cent des cas. (83)

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• Insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) L'hypertension artérielle et le diabète, qui sont les principales causes de

l'insuffisance rénale terminale, sont, comme on l’a vu, fréquents en Guadeloupe. De plus, l’insuffisance rénale complique davantage l’HTA chez les personnes

ayant des origines noires africaines. L’IRCT est 1,5 à 2 fois plus fréquente en Guadeloupe qu’en France

métropolitaine ; l’HTA y est rendue responsable de 20 à 25 p. cent des nouveaux cas d’IRCT (83).

• Autres complications

► Artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) : dans une étude portant sur 320 hospitalisations pour AOMI au Centre Hospitalier Régional (CHR) de Pointe-à-Pitre, les trois premiers facteurs de risque retrouvés étaient l’HTA (75 p. cent), le diabète (57 p. cent) et le tabac (49 p. cent). ► Insuffisance coronaire : sur 51 infarctus du myocarde confirmés et hospitalisés en cardiologie au CHBT et au CHR de Pointe-à-Pitre, l’HTA était notée dans 38 cas (76 p. cent) ; et l’association HTA – diabète retrouvée dans 17 cas (25 p. cent). ► Grossesse : en Guadeloupe, l’HTA est responsable de 50 p. cent des décès maternels et de 13 p. cent des décès périnataux (deuxième cause de mort fœtale in utero). La prééclampsie complique 20 p. cent des HTA de la grossesse. (83)

D – Une priorité régionale de santé En 1996 (cf. I.3.a les ordonnances d’avril 96), la première conférence

régionale de santé considère l’HTA comme une des priorités de santé publique. Un Programme Régional Santé (PRS) est mis en place pour cinq ans (1998 – 2003).

Parallèlement, le schéma régional d’organisation sanitaire et sociale (SROSS) 2000 – 2004 (cf. II.2.B) retient parmi sept thèmes prioritaires la constitution d’une filière HTA – diabète – insuffisance rénale.

Sous l’égide d’un coordinateur référent de la DDASS, un groupe de travail

réunissant des représentants de la DASD, de la CGSS, du Comité Guadeloupéen d’Education pour la Santé (COGES), de l’URML et d’acteurs des établissements de santé a élaboré un programme d’actions, piloté et animé par deux praticiens hospitaliers (le Dr Gabriel, chef du service de néphrologie du CHRU de Pointe-à-

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Pitre, et le Dr Atallah, chef du service de cardiologie du CHBT). Six groupes de travail ont étés définis : éducation, formation et information, amélioration de soins, HTA et grossesse, financement, recherches scientifiques.

Leurs objectifs, « délibérément orientés vers la prévention secondaire et

l’amélioration de l’observance », ont été de manière générale de diminuer de 10 p. cent la mortalité et de 20 p. cent la morbidité liées à l’HTA.

Et plus spécifiquement, d’informer 20 000 patients hypertendus pendant ces cinq années, en élaborant un programme d’éducation adapté. Des documents ont été conçus (dépliants sur l’HTA et sur l’hygiène de l’hypertendu, affiches, ainsi qu’un vidéogramme de douze minutes en versions française et créole), destinés à servir de supports pédagogiques pour des séances d’éducation – information réalisées par les infirmières des dispensaires (CLASS). Ces séances ne sont malheureusement restées qu’expérimentales.

Au cours de ce programme, qui abordait pour la première fois concrètement

le problème de l’HTA en Guadeloupe, plusieurs points forts ont été relevés par l’évaluateur (COGES, évaluation PRS 2002), parmi lesquels : l’intérêt et la motivation très sensibles des membres du groupe, un travail pluridisciplinaire permettant des échanges professionnels enrichissants, la création de liens entre des institutions de compétences différentes, des objectifs réalisables, des supports pédagogiques de bonne qualité, une bonne participation des associations, et le relais des CLASS qui permettrait en cas d’application « une couverture très large de la population ciblée par un personnel compétent ».

Néanmoins, ce programme a rencontré plusieurs obstacles difficiles à franchir dans son cadre d’action (nous citons le rapport d’évaluation du COGES) :

- le manque de moyens avant tout : financiers, matériels (tensiomètres pour les infirmières des CLASS, ordinateurs pour le secrétariat ou la communication…), humains (secrétariat, recherche de financements, suivi des actions) ;

- le manque de soutien méthodologique ; - le manque de suivi et de pilotage par les instances concernées ; - la manque de communication avec la DSDS, entraînant

notamment un manque de précision sur la place de chacun (coordinateurs, partenaires éventuels) ;

- le manque d’engagement véritable, formel et officiel, des décideurs et des financeurs ;

- la nécessité de pouvoir stocker, centraliser et diffuser les données concernant les actions du PRS auprès d’un lieu de ressources ;

- l’absence d’évaluation des actions mises en place ; - le manque d’implication initiale des médecins libéraux.

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Plusieurs besoins se sont fait sentir : celui d’un administratif permanent qui puisse assurer le relais pour toutes les questions logistiques, budgétaires, et pour assurer le suivi général du PRS ; celui de prolonger la mise en œuvre d’actions envisagées ou engagées pendant trois ans ; celui de réactualiser les données statistiques et épidémiologiques.

C’est finalement au sein d’une branche du réseau HTA Gwad que ce

programme trouvera son prolongement, et la réponse à ses principaux problèmes.