Anthony Buckeridge Bennett 08 IB Un Ban Pour Bennett 1957

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UN BAN POUR BENNETT

ANTHONY BUCKERIDGE

UN BAN POUR BENNETT!M. WILKINSON, professeur au collge de Linbury, a toujours du fil retordre avec l'lve Bennett, qui ne peut pas s'empcher de dchaner les catastrophes les plus dsopilantes.C'est cause de Bennett que M. Wilkinson doit se dbattre entre un cric sans voiture, une voiture sans cric, une tte coince dans une grille, un cochon d'Inde en libert, Henri IV dans un carr de navets, une marmite incendiaire, un faux inspecteur de police, qui est peut-tre un vrai inspecteur d'Acadmie...Et tout le monde s'amuse bien, sauf M. Wilkinson :Vous trouvez a drle? Moi, je ne sais plus que faire de ce garon! .Pourtant, c'est Bennett qui finira par tirer M. Wilkinson d'une situation dlicate, et le bouillant professeur le reconnatra loyalement.Un ban pour Bennett!ANTHONY BUCKERIDGEUN BAN POUR BENNETT TEXTE FRANAIS DE VLADIMIR VOLKOFF ILLUSTRATIONS DE JEAN RESCHOFSKY

HACHETTE247

l'dition originale de ce roman

a paru en langue anglaise

chez Collins. Londres,

sous le titre :

THANKS TO JENNINGS

librairie hachette, 1963. tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation rservs pour tous pays.

TABLE

I. LES TROIS ERREURS DE M. CARTER

8II. LES GOINFRES

15III. PROJETS GASTRONOMIQUES

25IV. LA CHASSE AUX FAUVES

34V. UNE EXCURSION INSTRUCTIVE

49VI. LA METHODE MORTIMER

63VII. C'EST UNE URGENCE !

74VIII. QUIPROQUO

85IX. DES CHATS ET DES COCHONS DINDE

97X. DERNIERES NOUVELLES DE CHARLES

112 EDWARD MUNCHICOURT

XI. CE QUE L'ON APPELLE DES CONTRIBUTIONS

126 INDIRECTES

XII. SERVICE D'INTENDANCE

137

XIII. AS DE FUMEE SANS FEU

149XIV. LA VISITE DE L'INSPECTEUR

164XV. DE QUELQUES MALENTENDUS

174XVI. GRACE A BENNETT!

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CHAPITRE PREMIER

LES TROIS ERREURS DE M. CARTERM. CARTER, professeur au collge de Linbury, entrouvrit la porte du dortoir n 1 et jeta un regard l'intrieur.Binns junior et Blotwell, les benjamins du collge, employaient leur demi-heure de repos, aprs le djeuner, faire du saut au tremplin sur leur lit.Leurs camarades avaient beau mettre des sifflements divers pour les prvenir du danger, ils continuaient bondir et rebondir, tandis que les ressorts des lits protestaient en grinant : Niaoung!... niaoung!... niaoung!... Tout coup, Blotwell leva les yeux et aperut M. Carter qui le regardait.Aussitt, le gymnaste abandonna ses contorsions mi-hauteur, et, dans un pdalage arrire hasardeux, atterrit gauchement au has de son lit. Une fraction de seconde plus tard, Binns junior, les yeux ferms pour faire semblant de dormir, retomba lourdement sur son sommier qui vibrait encore. Vous est-il jamais venu l'ide, Binns et Blotwell, que si l'on vous oblige vous tendre aprs le djeuner, c'est pour que vous puissiez digrer convenablement? demanda M. Carter. Si, m'sieur, dit Blotwell. Et vous imaginez-vous, par hasard, que vous facilitez votre digestion en vous transformant en engins balistiques? Binns junior ouvrit les yeux. C'est justement ce qu'on essayait de faire, m'sieur, expliqua-t-il. Le pudding tait un peu bourratif : alors, on essayait de le faire descendre. Vraiment! dit M. Carter sans sourire. Que je ne vous y reprenne plus. Et sa rputation tait telle que, jusqu' la fin de la demi-heure de sieste, Binns junior et Blotwell ne bougrent plus.M. Carter poursuivit sa ronde. Dans la bibliothque, au premier tage, il trouva une guirlande d'lves de troisime division installs dans les postures inconfortables qu'ils affectionnaient tant.Prs de la fentre, Mortimer jouait les cigognes: debout sur le pied droit, la main droite maintenant la cheville gauche, il regardait fixement une feuille de buvard tremp qui s'gouttait sur l'appui de la fentre.Plus loin, le regard de M. Carter s'arrta sur un garon de quelque onze ans, qu'il connaissait bien, l'air sympathique et vif, avec des yeux veills et une tignasse brune. Du reste, pour l'instant, ses traits n'taient gure visibles, car il s'tait roul en boule sur l'extrme bord de sa chaise, le dos bossu, la tte entre les genoux, et les coutures de la veste tendues craquer. D'abord, M. Carter pensa que ce garon se trouvait mal. Puis, il remarqua un livre ouvert sur le plancher, et comprit que cette trange posture tait destine permettre au jeune lecteur de prendre connaissance du document dpos entre ses pieds. A moins de se suspendre un arbre par un orteil, pas de moyen plus inconfortable pour lire un livre , pensa le professeur.Et il ajouta haute voix : Bennett! Le garon quitta son attitude de boa constrictor et se leva prcipitamment : M'sieur? Le sang va vous monter la tte si vous restez dans cette position. Ne pourriez-vous pas tenir votre livre la main? Je crois que je pourrais, m'sieur. Je n'y avais pas pens , dit Bennett.Il poursuivit avec enthousiasme : Il est chouette, ce livre, m'sieur! Il explique comment faire pour avoir une mnagerie prive. Vous savez, m'sieur, des souris blanches, des rats apprivoiss, des cochons d'Inde, des tortues, des poissons des Tropiques, et tout... Et mme des pigeons voyageurs, m'sieur. Ah! oui? dit M. Carter.Il devinait sans peine dans quelle direction la conversation allait maintenant dvier. Ce n'est pas la peine d'insister, Bennett, dit le professeur. Pas pendant l'anne scolaire, en tout cas. Pendant les vacances, vous pourrez avoir tous les animaux que vous voudrez. Mais M. le directeur ne vous permettrait certainement pas de transformer le collge en jardin zoologique. On les surveillerait si bien, m'sieur! plaida Bennett. On leur donnerait des miettes de pain, et puis de la verdure : c'est sain, la verdure. Par exemple... De la moutarde et du cresson! intervint Mortimer d'un ton premptoire, de l'autre bout de la pice.Il accourut vers M. Carter avec sa feuille de buvard tremp. C'est ce que je fais pousser sur ce morceau de buvard, m'sieur , expliqua-t-il, car le professeur avait eu un recul lorsque Mortimer lui avait fourr son spcimen de mousse verdtre sous le nez. C'est trs facile. Il n'y a qu' mettre un peu de graine sur le buvard mouill, et a dmarre en flche! J'en cultivais pour faire de la salade mais je veux bien en rajouter pour approvisionner la mnagerie. Je viens de dire Bennett de renoncer cette ide, ft observer M. Carter. Je sais, m'sieur, j'ai entendu. J'tais seulement en train de me dire que ce serait amusant, si on pouvait. Peut-tre, mais on ne peut pas , trancha M. Carter.Ds que le professeur fut sorti, Bennett leva les yeux de son livre. Quel sale bahut! maugra-t-il. On ne peut jamais rien faire d'intressant! La cloche qui indiquait la fin de la demi-heure de repos sonna comme M. Carter frappait la porte du directeur, l'autre bout du btiment.A la diffrence de ses lves, M. Pemberton-Oakes, le directeur, prfrait faire sa sieste horizontalement tendu, dans un tat de sereine lthargie, sur le canap de son bureau d'o il

se relevait avec des forces nouvelles pour affronter les catastrophes de l'aprs-midi. Entrez, entrez! dit M. Pemberton-Oakes, avec un effort pour achever de se rveiller. Ravi de vous voir, Carter. J'tais justement sur le point de...Le directeur se creusa la mmoire. Qu'tait-il donc sur le point de faire au moment o il s'tait endormi? Quelque chose d'important, sans doute, mais quoi? J'tais justement en train de... d'examiner des questions de... des questions de service..., conclut-il faiblement. "Voici le sujet de ma visite, dit M. Carter. J'aimerais organiser une excursion pour notre Club Photo dans le courant des semaines qui viennent. Le temps a t si mauvais depuis le dbut du trimestre que les garons n'ont pratiquement pas eu l'occasion de prendre un seul clich. Une excursion photographique? Le directeur pina les lvres et leva un sourcil pour mieux examiner cette suggestion. Oui, pourquoi pas? Vous pourriez vous en charger, M. Wilkinson et vous. Pendant une sance de plein air, un jour o il n'y aurait pas de football, vous les emmneriez Dunhambury. Nous nous en ferions un plaisir. Parfait. Je suis sr que les garons trouveront les sujets de photos qu'il leur faudra dans une ville historique comme Dunhambury, avec ses remparts du XVIe sicle, son march du XVIIe, son htel de ville du XVIIIme, son...D'un geste large de la main, M. le directeur engloba le reste des chefs-d'uvre d'architecture de Dunhambury, depuis la caserne des pompiers du XIXe jusqu' la station-service du XXe.M. Carter consulta son agenda et constata qu'il n'y aurait pas de match de football le deuxime mercredi de mars. Il nota en consquence : Club Photo : Excursion Dunhambury. Le professeur tait sur le point de prendre cong quand M. Pemberton-Oakes le rappela. Le cerveau du directeur, revigor par la sieste, avait repris sa pleine activit, et lui rappelait le point prcis qui lui avait chapp quelques instants plus tt : A propos, Carter! Le comptable et son assistant doivent venir demain pour entreprendre la rcapitulation des comptes du collge. Ils en auront pour plusieurs jours, et je ne peux pas leur laisser mon bureau, car j'en aurai besoin. Cela vous drangerait-il qu'ils travaillent dans la salle des professeurs? Nullement, dit M. Carter. O prendront-ils leurs repas? Au rfectoire, avec tout le monde? M. Pemberton-Oakes hsita. Hum!... Le plus simple serait peut-tre que Mme Smith leur porte un plateau dans la salle des professeurs. Ainsi ils pourront manger quand ils voudront, et ils n'auront pas se proccuper des horaires du collge. Et je pense qu'ils aimeront mieux cette solution, plutt que de voir soixante-dix-neuf paires d'yeux inquisiteurs pier leur moindre bouche, dit M. Carter en souriant. Trs bien, monsieur le directeur. J'arrangerai cela avec Mme Smith. Ce sera le plus simple. Le plus simple? En vrit, toutes les mesures que M. Carter venait de prendre dans le courant de cette petite demi-heure avaient paru trs simples : une mise en garde au sujet des animaux ne pas introduire au collge; une excursion organiser pour le Club Photo; des repas servir deux comptables dans la salle des professeurs.Il arrivait rarement M. Carter de prendre des dcisions peu sages. Mais cette fois-ci, en moins de trente minutes, il avait commis trois erreurs, grosses de consquences.

CHAPITRE II

LES GOINFRESLE premier symptme de complication apparut le lendemain, pendant le djeuner, lorsque le bouchon de la salire, qui s'tait dviss, atterrit dans l'assiette de Bennett. Viande, choux et pommes de terre disparurent sous l'avalanche neigeuse, et la sauce fut presque entirement absorbe par les grains de sel.Inutile de dire que Bennett avait peine fini son plat de rsistance et entam sa crme renverse aux pruneaux, qu'il se sentit dvor par une soif inextinguible. De l'eau, s'il vous plat! rclama-t-il.A l'autre bout de la table, pas de rponse. Briggs, qui avait la cruche porte de la main, tait trop occup pourchasser un pruneau rebelle autour de son assiette, tandis que Morrison, assis ct de lui, jouait les dentistes au profit d'une fourchette qui souffrait d'une malformation des dents. De l'eau, s'il vous plat! De l'eau! Pour dominer le brouhaha des conversations, il s'tait mis crier. Tout le monde s'arrta brusquement de parler. A la table des professeurs, le directeur fit tinter la clochette dont il se servait lorsqu'il voulait attirer l'attention des garons.Soixante-dix-neuf ttes pivotrent vers la table directoriale. Le directeur, indign : Qui de vous s'est rendu coupable de ce glapissement? Bennett se leva. C'est--dire que, m'sieur... Dites franchement : C'est moi. Oui, m'sieur. C'tait moi, m'sieur. Je voulais un verre d'eau et personne ne me passait la cruche, m'sieur. Ce n'est pas une excuse pour se conduire d'une faon aussi inconvenante table. Si quelquun commet encore la moindre incorrection, je svirai, et la troisime division finira le repas en silence. Le directeur fit tinter la clochette pour signifier que l'incident tait clos, et les conversations reprirent voix plus basse. Tu es compltement dboussol, Bennett? demanda Morrison. Tu as failli nous faire tous mettre au silence! II aurait poursuivi ses reproches si, ce moment, Mme Smith ne s'tait dirige vers le guichet de service. Morrison l'arrta au passage : Il y a du rab de dessert, madame Smith? Je ne sais pas encore, rpondit Mme Smith.Il faut que je demande d'abord aux professeurs s'ils en veulent. Morrison souffla Briggs, avec un haussement d'paules: Autrement dit, il n'y en aura pas pour nous! Quel sale bahut! dit Briggs. Et c'est toujours pareil! gmit Atkins, de l'autre ct de la table. Il secoua un index menaant et tach d'encre sous le nez de ses camarades d'infortune. Mais a changera un jour, annona-t-il. Attendez seulement que je sois grand, et on verra ce qu'on verra. Avec une angoisse croissante, les garons suivaient les sourires d'acquiescement des professeurs qui, les uns aprs les autres, se laissaient servir une deuxime portion de crme renverse aux pruneaux. Regardez-moi un peu Wilkie, comment il se les enfourne! s'cria Morrison, indign. On croirait qu'il n'a pas mang depuis la guerre de Cent Ans ! Je vous parie un million qu'il n'en restera plus quand ce sera notre tour. Ses prvisions ne se rvlrent pas tout fait exactes. Chacun eut droit une deuxime portion, mais, mesure que le plat approchait de la troisime division, les rations diminuaient de faon inquitante. Bennett fut servi le dernier et le plus mal. Il se plaignit amrement : Deux pruneaux! Deux sales petits pruneaux! En classe, ils nous obligent travailler nous en faire grsiller la cervelle, et ici, ils nous laissent mourir de faim! Mortimer, assis ct de son ami, se pencha pour examiner l'objet de tant d'indignation : Et mme pour la taille, ils ne sont pas rglementaires, confirma-t-il. Regardez-moi ce petit bout de pruneau rachitique! Il faudrait un microscope lectronique pour le voir. Tu veux ma longue-vue de poche, Bennett? demanda Briggs en manire de plaisanterie.Il fut surpris de voir sa proposition accepte : Tu parles que je la veux! Tu ne crois pas que je vais m'abmer la vue chercher un pruneau peine visible l'il nu? Briggs tira la longue-vue de sa poche et la lui fit passer.Un murmure amus suivit lorsque Bennett braqua l'instrument sur son assiette. Il se rendit aussitt compte du succs qu'il obtenait parmi ses camarades. Ze suis un grand sasseur de pruneaux et ze parcours la zungle africaine la ressersse d'un spcimen trs rare, appel le Pruneau Dznr! annona-t-il sur un ton de gravit zzayante, tout en astiquant les lentilles de la longue-vue avec sa serviette.Le murmure amus monta d'un ton, et les spectateurs se prparrent admirer la pantomime invente pour leur plaisir. C'tait le genre de comdie qu'ils apprciaient. Ze vais maintenant vous faire une dmonstration de ma mthode brevete pour le harpon-naze des pruneaux. Ze braque la longue-vue sur l'obzet... Oui, ze crois que ze le vois se vautrer dans les bas-fonds marcazeux de la crme zla-tineuse... C'est le plus petit spcimen de pruneau rpertori par les savants! Attention, il va se sauver! prvint Mortimer, et une vague de rire parcourut la troisime division. Chut! Pas de bruit, Morty! Tu vas lui faire peur! chuchota Bennett, en faisant des gestes grotesques, comme pour le mettre en garde. Arrire, tout le monde! Maintenant, ze vais donner l'assaut, avec, pour toute arme, une foursette tordue de l'arzenterie du collze! La clochette rsonna la table principale, plus fort que la fois prcdente. Bennett! A en juger par le ton, M. Pemberton-Oakes tait trs mcontent. Que faites-vous table avec cette longue-vue? La chaise de Bennett grina sur le plancher. Tel avait t le succs de sa mise en scne, que le grand chasseur de pruneaux ne s'tait pas aperu qu'on l'observait de l'autre bout de la salle. Il se tint debout, sans rpondre, confus et pas trs fier de lui. Je vous ai demand, Bennett, ce que vous tiez en train de faire avec cette longue-vue? Rien, m'sieur... Je regardais seulement mon pruneau, m'sieur... Rponse peu convaincante, et qui ne satisfit pas le directeur. Peut-on vous demander la raison de cet trange comportement?

Que rpondre? Impossible d'expliquer haute voix, toute une salle silencieuse, une plaisanterie qui avait cess d'tre drle, surtout sous l'il glacial du directeur. Je ne sais pas, m'sieur... Si cette douteuse manifestation tait une plaisanterie, je la trouve d'un got dplorable, Bennett, dit M. Pemberton-Oakes. Vous prendrez vos repas en silence pendant une semaine. Sortez immdiatement. Pas de chance, Ben! chuchota Mortimer son ami qui, la tte basse, quittait le rfectoire.Bennett n'attendait pas depuis longtemps, quand la porte de l'office s'ouvrit, et Mme Smith parut avec un plateau charg d'assiettes et de plats fumants destins au repas des comptables. Qu'est-ce que vous faites l, Bennett? demanda-t-elle. On ne vous a pas mis la porte, j'espre? II fit signe que si. Et, comme il prfrait changer de sujet de conversation, il s'empressa d'ajouter : Votre plateau a l'air bien lourd, madame Smith. Voulez-vous que je vous le porte jusqu' l'infirmerie? Non, merci, je m'arrange, rpondit-elle en s'loignant. D'ailleurs ce n'est pas pour l'infirmerie. Ce sont simplement des repas supplmentaires que je porte la salle des professeurs. Des repas supplmentaires?... Bennett suivit Mme Smith des yeux, au comble de la stupfaction. Peu peu la signification de ses paroles imprgnait l'esprit du garon. Il ne savait videmment rien des comptables qui attendaient leur djeuner, et il ne pouvait trouver qu'une seule explication l'nigme. Mais une explication monstrueuse!Un grondement de tonnerre annona que, dans le rfectoire, soixante-dix-huit garons repoussaient leur chaise. Quelques instants aprs, Mortimer, Briggs et Atkins apparurent en tte de la colonne qui se rpandit dans le couloir. Ah! tu es l, Ben! Tu n'as pas eu de veine, de te faire mettre la porte comme a, dit Mortimer en tirant de sa poche un mouchoir, jadis blanc, roul en boule. Tiens, je t'ai apport tes pruneaux, si tu les veux. Mais Bennett paraissait sous le coup d'une violente motion : Merci bien, Morty, mais je ne pourrais pas les manger, dit-il d'une voix blanche. Ils ne passeraient pas! Mon mouchoir tait propre, tu sais! expliqua Mortimer. Mme Smith me l'a donn ce matin, et... II s'interrompit en voyant l'expression de son ami. Qu'est-ce qu'il y a donc, Bennett? Ecoute, Morty. Vous autres aussi. Je viens de faire une dcouverte importante. Bennett chuchotait sur le ton d'un conspirateur qui dvoile un secret d'Etat : Il se passe dans cette maison quelque chose dont vous n'avez pas ide. Les garons se pressrent autour de lui, dvors de curiosit. Et c'est trs grave : les profs se goinfrent en cachette! Il fallut quelques instants pour que la nouvelle ft comprise. Se goinfrent en cachette? Qu'est-ce que tu veux incinrer par l? demanda Briggs, mfiant. Eh bien, M. Carter, et M. Wilkinson, et le directeur, et tous les autres, ils viennent de djeuner avec nous, pas vrai? Un peu, qu'ils ont djeun! Ils ont mme repris du dessert avant nous! dit Morrison, inconsolable, en rejoignant le groupe.

Eh oui! Mais vous ne savez pas ce qu'ils vont faire maintenant? Ils vont s'en mettre jusque-l une deuxime fois dans la salle des professeurs ! Emotion gnrale. C'est honteux! Ce n'est pas juste! Tu es bien sr, Ben? demanda Mortimer, comme si la nouvelle paraissait trop horrible pour tre vraie. Je peux le prouver! Je viens de voir Mme Smith qui portait l-bas un plateau grand comme a, lourd comme a, avec de la viande, et des pruneaux et de la crme, jusqu'au plafond. Et elle ne s'est pas gne pour me dire que c'tait des repas supplmentaires !

Oh! s'cria Morrison. Il ne manquait plus que a! Ils s'empiffrent nos dpens!... Voil donc pourquoi ils filent tout de suite aprs le djeuner! Bien sr! Et c'est moi qui ai vent la ruse! ajouta Bennett, plein d'une juste indignation. D'un bout l'autre du djeuner, les profs nous regardent avec un petit sourire en coin et pensent au deuxime repas qui les attend! Et nous, il faut qu'on vive de pruneaux rachitiques et d'eau claire. Et encore, il faut qu'on se prive d'eau quand il y a des fainants qui ne veulent pas vous passer la cruche! Morrison ne releva pas cette pierre dans son jardin. Atroce! Je me sens tout vide l'intrieur rien que d'y penser! dclara-t-il en resserrant sa ceinture pour montrer quel point il souffrait.Les derniers attards quittaient le rfectoire, suivis par MM. Carter et Wilkinson, qui taient rests en arrire afin de rgler l'emploi du temps de l'aprs-midi. L. P. Wilkinson, licenci es lettres, surnomm Wilkie, tait un professeur du genre poids lourd, avec une grosse voix et une dmarche pesante. Sous des manires brusques, il cachait une affection relle pour ses lves; mais, la diffrence de M. Carter, il jugeait le comportement des enfants du point de vue d'un adulte, et ne parvenait pas comprendre pourquoi ils s'obstinaient se conduire d'une manire qui lui paraissait parfaitement draisonnable. Voulez-vous vous en aller de l? Vous encombrez le couloir! vocifrait M. Wilkinson de sa voix de stentor. Vous devriez dj tre tous dans la bibliothque, vous reposer. Bennett fit M. Wilkinson la faveur d'une grimace. L'impntrable sourire, croyait-il, de celui qui sait tout. Qu'est-ce qui vous arrive, Bennett? Vous tes atteint de distension des maxillaires? tonna le professeur. Non, m'sieur. Alors ce n'est pas la peine de rester l bayer aux corneilles comme un idiot de village. Tous, tant que vous tes, je me demande bien pourquoi vous prouvez le besoin de traner autour du rfectoire aprs le djeuner. On croirait que vous attendez un deuxime service! Echange de coups d'il entre Bennett et Mortimer. M. Wilkinson ne venait-il pas de trahir ses penses les plus secrtes?En montant l'escalier, Bennett ne fit aucun commentaire. Mais Mortimer, qui le suivait, lisait dans l'esprit de son camarade comme s'il s'tait agi d'un de ces personnages qu'on voit dans les bandes dessines avec sa pense inscrite dans un rond, au-dessus de sa tte, en gros caractres :ah! si seulement wilkie savait que son secret est dcouvert!

CHAPITRE III

PROJETS GASTRONOMIQUES

cet aprs-midi-la, la demi-heure de repos dans la bibliothque fut particulirement mouvemente. A mesure que la nouvelle de la dcouverte de Bennett se rpandait, sa thorie gagnait des partisans. Mme ceux qui en doutaient s'efforaient d'y croire, car elle leur donnait l'agrable conscience d'une injustice criante qui leur tait faite. Mais enfin, on ne peut pas le prouver! soutenait Bromwich l'an, lve de troisime division, les cheveux boucls et foncs, membre influent de la bruyante minorit d'incrdules dont faisait aussi partie Briggs. Bennett se monte toujours la tte! Je parie que c'est encore une de ses ides coucher dehors. Non! Je te parie que j'ai raison, et je le prouverai. Comment? Eh bien, je... Bennett chercha un moyen de convaincre les sceptiques, n'en trouva pas, et acheva vaguement : Je vais leur tendre un pige. Tu verras a!Les dbats continurent pendant quelques minutes, jusqu'au moment o Atkins se prcipita dans la bibliothque, annonciateur d'un danger certain. Chut! Attention! Wilkie sera l dans une minute. Je l'ai vu sortir de la salle des profs avec M. Carter. Et ils ont l'air de venir par ici. Clture immdiate des dbats. Livres ouverts en hte, sourcils froncs, lecteurs studieux.Lorsque M. Wilkinson et M. Carter entrrent dans la bibliothque, ils trouvrent les garons occups lire dans le plus grand silence et dans les attitudes inconfortables de leur choix.Derrire son livre, Bromwich chuchota Bennett : Voil le moment. Prouve-le, si tu es capable!Bennett hsita. Il avait un sachet de bonbons aciduls dans sa poche. Comment les goinfres ragiraient-ils devant un deuxime supplment? Un bonbon, monsieur? demanda-t-il poliment, en offrant le sachet froiss M. Carter. Vous tes trs gentil, Bennett, mais je n'ai vraiment plus faim : nous sortons peine de table.Mortimer jeta un regard pntrant M. Carter : de quelle table le professeur parlait-il?... Puis il vit Bennett tendre le sachet M. Wilkinson, qui parut plutt surpris de cette gnrosit bien soudaine : Merci, Bennett. Je crois qu'il me reste assez d'apptit pour un bonbon. Et, non sans difficult, M. Wilkinson parvint extraire un bonbon acidul de la masse gluante agglomre au fond du sac. Mmm!... Excellents, ces bonbons! Carter, vous devriez les goter! s'cria-t-il. Je n'ai vraiment plus de place , rpondit M. Carter en riant.Ds que les professeurs eurent quitt la salle, Bennett poussa un cri de triomphe : Tu vois ce que je t'avais dit, Bromo ! Ce n'est pas une preuve, a? Bromwich ne paraissait pas convaincu : Une preuve de quoi, gros malin? L'un a dit oui, l'autre a dit non : a fait zro! Tu en tiens une couche, Bromo! M. Carter a dit non, parce qu'il a tant mang qu'il n'a mme plus de place pour un bonbon acidul, expliqua Bennett. Conclusion : il a djeun deux fois. Mais Wilkie en a pris un. Ce qui prouve quel point il est goinfre. Il a djeun deux fois et il en veut encore! Morrison acquiesa : C'est logique. Bennett a raison, c'est sr! Certains conservaient des doutes. Peu peu le ressentiment s'estompa, et les garons revinrent d'autres proccupations. Avant le soir, ils n'y pensaient plus......Sauf Bennett! Assis dans son lit du dortoir n 4, il ne parlait toujours que de sa dcouverte, en attendant que le professeur de service vnt teindre la lumire. Et ce qui ravissait le jeune garon, ce n'tait pas tant la conclusion laquelle il tait arriv que la

rigueur de son propre raisonnement : Cela m'est venu comme un clair, Morty, ds que Mme Smith m'a dit o elle portait le plateau. Je me suis dit : Ah! ah!... a va, a va! protesta Briggs, la bouche pleine de pte dentifrice ros. a fait la vingt-cinquime fois que tu me racontes comment tu t'es dit : Ah! ah! Et aprs? Tu n'as pas l'intention d'aller conseiller Wilkie de se mettre la dite? Bien sr que non. Je pense seulement que si les profs se dbrouillent pour avoir deux repas au lieu d'un sans que personne s'en aperoive, nous pourrions en faire autant. Tu n'es pas un peu drang? intervint Atkins, debout son lavabo. O veux-tu qu'on les prenne, d'abord, ces soixante-quatre repas par semaine? Un seul suffirait, pour commencer, dit Bennett. Un banquet o nous mangerions de quoi n'avoir plus faim jusqu'... jusqu'au repas suivant, au moins. L'ide offrait en tout cas un beau sujet de conversation. Et o le ferait-on, ce banquet? demanda Briggs, enfin approbateur. Ici, dans le dortoir, bien sr. Rien que nous cinq. Aprs tout, pourquoi pas? dit Morrison. On pourrait le faire dans le noir, pendant que Wilkie et compagnie s'envoient leur deuxime dner. Le dortoir n 4 semblait dsormais acquis la cause. J'ai une bote de sardines, comme hors-d'uvre, proposa Morrison. Et moi, j'ai de la moutarde et du cresson sur mon buvard, comme salade , offrit Mortimer.Bennett n'eut qu'un grognement de ddain : Des sardines! De la moutarde! Du buvard! Pour un casse-crote, d'accord, mais pour un banquet de premire classe, on pourrait peut-tre trouver autre chose que des sandwiches au buvard et des sardines rances! Trs juste. Il nous faut de la vraie cuisine, approuva Briggs, sans concder une seule pense aux difficults matrielles. De la viande, des pommes de terre, du lard, des petits oignons, des champignons... Mortimer secoua tristement la tte. Et o fera-t-on cuire a? Bennett, bien entendu, n'tait pas court de rponses : Au sous-sol, dans la chaufferie! On mlangerait le tout, on en ferait un ragot, et on le mettrait sur le feu avant l'tude. Puis, quand les profs seraient partis dner, on pourrait aller le rcuprer. Fumant! s'cria Atkins en dansant la danse du scalp avec son ponge. Alors, c'est rgl. 11 y a plus qu'... Un instant, intervint Morrison. O allons-nous prendre la viande, les lgumes et tout le reste? C'est que a ne pousse pas sur les arbres! Problme important. Les fonds taient bien bas cette priode du trimestre, et un banquet de cet ordre entranerait des dpenses considrables.Cette fois, ce fut Atkins qui vint la rescousse : Je m'occuperai de cet aspect de la question, dclara-t-il, dans un lan de gnrosit. Ma grand-mre vient me voir mardi en huit, et elle apporte toujours des tas de choses manger. Elle apporte de la viande crue, ds pommes de terre et des petits oignons? demanda Mortimer, d'un ton dubitatif. Gnralement, non, admit Atkins. Mais il existe du ragot en conserve, et si je lui crivais pour lui dire d'en apporter une ou deux botes, je suis sr qu'elle ne demanderait pas mieux. Alors, on n'aurait plus qu' mettre les botes sur le calorifre et les reprendre quand ce serait chaud.Premire difficult, deux jours plus tard : Atkins tomba malade d'une angine, et prit la direction de l'infirmerie. La consternation envahit le dortoir n 4. Sale lcheur! s'indignait Morrison. a, c'est de l'Atkins tout crach. J'ai bien envie de lui donner une bonne racle quand je le verrai. Brillante ide! railla Bennett. Il dcommandera les botes de ragot, si tu fais une chose pareille. On n'a qu' remettre notre banquet plus tard, voil tout. Et on le fera ds qu'il sera rentr. Mais l'approvisionnement? demanda Mortimer. Nous ne savons mme pas s'il crit sa grand-mre ou non. Or, Atkins crivit sa grand-mre dans le courant de sa deuxime journe d'infirmerie, lorsqu'il commena se sentir mieux. Il expliqua qu'il tait la dite, qu'il avait du mal avaler, et qu'elle serait bien gentille de lui apporter plusieurs botes de ragot quand elle viendrait le voir.Mme Atkins douairire se dit que son petit-fils avait le dlire. Comment expliquer autrement une aussi trange demande? Elle n'en tint aucun compte et, le mardi suivant, elle se mit en route pour Linbury, munie d'un panier de raisins et d'une bouteille de sirop.Lorsqu'elle traversa la ville commerante de Dunhambury, quelque dix kilomtres du collge, il lui vint l'ide que le malade aurait besoin de distraction pendant sa convalescence. Que lui acheter? Un puzzle? Un jeu de cartes?Elle arrta la voiture et regarda par la portire : la grande rue tait pleine de monde, mais il n'y avait pas trace de magasin de jouets. Une boucherie, un caf, une quincaillerie : rien d'autre. Mme Atkins, due, allait reprendre sa route lorsqu'elle remarqua une petite boutique avec des sacs de millet dans la vitrine et des colliers de chien dessins sur le coffrage. L'enseigne portait : Oisellerie, Animaux d'appartement.Allche, Mme Atkins douairire descendit de voilure et traversa la rue...M. Wilkinson tait en train d'pingler une affiche sur le panneau des sports lorsque Mme Atkins, qui descendait de l'infirmerie, traversa le hall pour sortir. Bonjour, monsieur Wilkinson, dit Mme Atkins. Je viens de monter voir Robert, je lui ai trouv bonne mine. Une mine superbe , dit M. Wilkinson, en se torturant la cervelle pour essayer de deviner qui pouvait bien tre cette dame. Je lui ai apport quelques petites choses, poursuivit Mme Atkins en montrant des paquets qu'elle avait dposs sur la table du hall. Mme Smith tant absente cet aprs-midi, j'ai tout laiss ici pour qu'elle s'en occupe quand elle rentrera. Je n'ai pas dit Robert ce que j'ai apport, parce que je ne sais pas ce qu'il a le droit de recevoir ou non, et je ne voudrais pas que le pauvre garon soit du. C'est entendu : je prends note, dit M. Wilkinson en, reconduisant Mme Atkins. Au revoir, madame... euh... hum... madame Parslow. Mme Atkins, corrigea-t-elle. Bien sr, c'est ce que je voulais dire, mille pardons. M. Wilkinson referma la porte et revint dans le hall. Il dcida d'emporter les paquets chez Mme Smith : il en aurait juste le temps avant de...M. Wilkinson sursauta et retira sa main. Un piaillement aigu venait de sortir de l'un des colis : une bote carre, en bois, avec des trous dans le couvercle.Il y avait l comme un dfaut . Quel produit de rgime pour convalescent pouvait bien mettre ce genre de bruit? Prudemment, M. Wilkinson souleva le couvercle, et ses yeux s'carquillrent d'tonnement ! Du fond de la bote, un petit cochon d'Inde blanc et roux le regardait fixement, sans ciller. Je... je... Brrloum, brrloumpff ! M. Wilkinson referma le couvercle d'un seul coup, traversa le hall d'un seul bond, et ouvrit la porte d'une seule secousse...... Juste temps pour voir la dernire bouffe fuser du tuyau d'chappement de la voiture, au moment o Mme Atkins prenait le tournant.Dcidment, certaines grand-mres dpassaient la mesure! M. Wilkinson fulminait en ramassant les paquets sur la table du hall. Pas la moindre notion de discipline. Pas l'a moindre! Comme si lui, Wilkinson, n'avait pas dj assez faire, sans qu'on lui donnt tout un cheptel confisqu garder! Si cela continuait, il n'aurait plus qu' s'acheter une casquette de gardien, et demander un emploi au jardin zoologique!

CHAPITRE IV

LA CHASSE AUX FAUVES

quand, le matin suivant, M. Carter vint faire une petite visite son collgue, pendant la rcration, M. Wilkinson constata-t-il avec surprise _ tait occup faire le tour de la pice quatre pattes. Que faites-vous l, Wilkinson? Vous calfatez les fentes du parquet? demanda M. Carter.M. Wilkinson interrompit sa reptation pour lever les yeux. Je cherche quelque chose, grogna-t-il. Qu'avez-vous perdu? h bien, voyez-vous, je... M. Wilkinson hsita, comme s'il n'tait pas sr que M. Carter allait le croire. Eh bien... Je sais que cela a l'air absurde, Carter, mais, de vous moi, j'ai perdu un cochon d'Inde. M. Carter leva un sourcil. Je ne savais pas que vous leviez des cochons d'Inde, fit-il. Mais je n'lve pas des cochons d'Inde! s'cria M. Wilkinson, indign par cette monstrueuse accusation. Je n'ai jamais lev de cochons d'Inde de ma vie. D'abord, je ne peux pas souffrir ces animaux-l! Autrement dit, vous avez perdu une chose que vous n'avez jamais eue. Comment avez-vous fait? M. Wilkinson remit le tapis en place et se leva. On m'en avait confi un. Temporairement. L'explication tait simple. La gnrosit inopportune de Mme Atkins avait t porte la connaissance du directeur, qui avait aussitt crit une lettre, o il informait la donatrice que son initiative tait contraire aux rgles tablies, et lui demandait de bien vouloir dbarrasser le collge de l'intrus aussi vite que possible. Dans l'attente de quoi, concluait le directeur, le cochon d'Inde serait confi la garde vigilante de l'un des professeurs. Et maintenant, le maudit rongeur s'est chapp! acheva M. Wilkinson, non sans rancur. Quand je suis parti ce matin, il tait l dans sa bote, se lisser les moustaches, et quand je suis rentr, le couvercle tait moiti ouvert, et la bote vide. Si la porte tait ferme, il doit encore tre dans la pice, dit M. Carter, en ttonnant derrire la bibliothque. Oui, mais, tait-elle ferme? Je n'en suis pas sr. A la rflexion je crois mme qu'elle tait entrebille, dit M. Wilkinson. De toute faon, comment vouliez-vous que je devine qu'un aussi petit animal

pourrait avoir assez de force pour soulever ce couvercle?

Il avait faim, probablement. Vous lui aviez donn quelque chose manger? M. Wilkinson haussa les paules : Pas ce qu'il aime, j'ai bien peur. Le seul comestible que j'aie pu trouver dans ma chambre, c'tait une espce de caramel tout aplati qu'un gamin avait laiss entre les pages de son cahier d'histoire. Mais le stupide animal n'a mme pas voulu regarder mon bonbon. H a fronc le nez et il a tourn le dos. M. Carter abandonna ses recherches derrire la bibliothque. Votre cochon d'Inde est parti se chercher une pitance plus son got. C'est vident, dclara-t-il. Vous feriez mieux de prvoir un stock de feuilles de choux pour le nourrir quand vous le retrouverez. En admettant que je le retrouve! corrigea M. Wilkinson, d'un ton maussade.Si seulement M. Wilkinson avait tourn gauche au lieu de tourner droite en sortant de son bureau, ses recherches auraient abouti plus vite. Car, alors, il serait arriv au sous-sol, dans le magasin d'habillement, et il aurait trouve Bennett stupfait devant un cochon d'Inde aux yeux ross qui fouinait derrire les casiers, dans l'espoir de trouver un repas substantiel.Mais M. Wilkinson tourna droite, et ce fut Mortimer, qui tait descendu en toute hte au magasin d'habillement la recherche d'une pantoufle disparue, qui eut la chance de trouver son ami, sur le visage duquel se peignaient l'tonnement et l'agitation. Tu as fini de moisir ici, Ben? demanda Mortimer voix haute. Nous devrions tous tre dehors et...- Chut! Tais-toi, Morty! Bennett s'tait retourn vivement et, par gestes, implorait le silence. Et ne fais pas de bruit avec tes pieds. On dirait un scaphandrier qui danse le hoogie-woogie ! Qu'est-ce que tu racontes? Tout ce que j'ai dit, c'est que... Mortimer s'arrta brusquement. Car il venait d'apercevoir deux petits yeux ross qui battaient des cils en le regardant, devant le casier de Bromwich l'an. Hein? Par la barbe du Pre Nol! s'cria-t-il avec lyrisme. Un vrai cochon d'Inde! Vivant! Dis donc, Ben, d'o sort-il? La paix, Morty! ordonna Bennett, dans un chuchotement sinistre. Pas la peine de radiodiffuser la nouvelle tout le collge. Pense au ouin-ouin qu'il va y avoir si Wilkie ou les autres apprennent qu'il y a un cochon d'Inde dans la maison. Oui, mais comment y est-il entr, dans la maison? insistait Mortimer, un peu moins fort. Il n'est pas toi? S'il tait moi, je te le dirais. Non, je suis descendu pour chercher un casse-crote que j'avais fourr dans mon casier hier, et il tait l, sur le plancher. Qui, le casse-crote? Mais non, imbcile! le cochon d'Inde! Bennett frona le nez de perplexit, tout en s'agenouillant pour inspecter l'animal de plus prs. Tu comprends, Morty, il ne peut tre aucun des lves, cause du rglement. Et je ne vois pas de professeurs qui iraient faire de l'levage... Et Mme Smith? Elle aime les btes. Elle a dj un chat, alors... C'est justement. Un cochon d'Inde, a ne plairait pas du tout son chat.

a pourrait lui plaire, si a a un got de souris. Mais je vois ce que tu veux dire. Il faut bien qu'il soit quelqu'un, pourtant, ce cochon d'Inde!Plus ils se posaient de questions, moins ils trouvaient de rponses, et ils conclurent rapidement en dclarant que la provenance du petit animal devait figurer parmi les problmes insolubles de l'poque moderne. Maintenant, que faire? Question aussi embarrassante.Ce fut Bennett, comme d'habitude, qui prit la dcision. Moi je vote pour qu'on le garde, fit-il. Au moins jusqu' ce qu'on trouve qui il appartient. Mais... le rglement? protesta Mortimer, mal l'aise.Bennett haussa les paules. Notre cochon d'Inde sera un cochon d'Inde secret, c'est tout. Il faudra faire attention ce que personne n'apprenne rien, et surtout pas Wilkie, ni les autres profs. Il ramassa le petit animal, le caressa et lui gratta la tte avec l'index. Le cochon d'Inde parut apprcier ces manires, car il ne fit aucune tentative de fuite.Les yeux de Bennett luisaient de plaisir. Il y avait peine une semaine que son imagination avait forg une situation comme celle-ci. A aucun moment il n'avait eu la faiblesse de croire qu'elle pt devenir possible. Et voil que, par un miracle inexpliqu, le destin la ralisait pour lui! II faut qu'on lui donne quelque chose de bon manger, afin qu'il sache que nous sommes ses amis. Il doit srement y avoir des feuilles de choux dans les botes ordures, dit Bennett en dposant doucement le cochon d'Inde dans une corbeille papiers. Arrive! On va voir ce qu'on peut trouver. Il ne faudrait pas le laisser ici, dit Mortimer, prudent. Pourquoi pas? Il sera heureux comme un roi. Il a mme une jolie vue sur les casiers travers le grillage de la corbeille. Je ne dis pas le contraire. Mais tu sais qu'on vide cette corbeille au moins trois fois par trimestre, et si quelqu'un avait brusquement envie de commencer le grand nettoyage de printemps pendant que nous serons partis... Ce sera trs bien pour quelques minutes, coupa Bennett. De toute faon, nous ne pouvons pas le prendre avec nous : si on rencontrait quelquun! Heureusement, le cochon d'Inde avait le caractre arrangeant. Il n'essaya pas de se sauver de la corbeille : au contraire, il s'installa commodment parmi les papiers de bonbons et les pluchures d'orange qui en rembourraient le fond. Pour plus de sret, Bennett cacha la corbeille derrire le dernier casier. Aprs quoi, les garons se dirigrent vers la cour des cuisines, o taient ranges les botes ordures. Il faudrait lui trouver un nom , dit Bennett.Mortimer en improvisa aussitt une srie : Pingo? Pongo? Pango? proposa-t-il en passant devant la salle de ping-pong.Et en apercevant par la fentre le terrain de football, il ajouta : Corner? Touchtouche? Pnaltieff? Ballonsky?... Assez de btises, Mortimer! protesta Bennett. Tout a, c'est des pseudomines! Moi, je veux un vrai nom. Je crois que je vais l'appeler Charles Edward Munchicourt. Pourquoi? Pourquoi pas? Tu t'appelles bien Mortimer, toi. Oui, mais a n'a aucun rapport... Le rapport, coupa Bennett, c'est que ce cochon d'Inde ressemble vaguement un monsieur que je connais, et qui s'appelle Charles Edward Munchicourt. Alors... II s'interrompit : la haute figure de M. Wilkinson venait de dboucher du corridor et s'avanait vers eux. Son regard, qui furetait de gauche et de droite, ne parut rien prsager de bon Mortimer.M. Wilkinson passa prs des garons sans un mot, et disparut dans la direction du magasin d'habillement. Qu'est-ce qui arrive Wilkie? demanda Mortimer lorsque le professeur fut hors de porte. On dirait qu'il a vu le fantme du papa d'Hamlet! C'est normal : il doit avoir une indigestion aprs tout le rabiot qu'il a mang en cachette, dit Bennett. D'accord. Mais s'il va au magasin d'habillements et qu'il commence fourrager dans la corbeille papiers? Pourquoi veux-tu qu'il fasse a? Pour chercher le cochon d'Inde. Tu n'es pas un peu toqu, Morty? Wilkie ne sait pas qu'il y a un cochon d'Inde dans la maison. Alors comment pourrait-il le chercher dans la corbeille papiers?Tant de logique dissipa quelque peu les craintes de Mortimer. Les garons continurent donc leur progression vers la cour des cuisines, et ne purent, par consquent, observer celle de M. Wilkinson vers le sous-sol.A vrai dire, le professeur n'avait pas la moindre intention d'aller fouiller dans les casiers. L'endroit lui paraissait trop improbable. Mais alors qu'il passait devant la porte du magasin, il se vit accoster par Martin, le garon de service, qui venait de commencer balayer le sous-sol. Pardon-excuse, monsieur, fit Martin. Il y a quelque chose de pas normal dans le magasin. Que voulez-vous dire par pas normal ? demanda M. Wilkinson.- a m'a fait un coup, dit Martin. J'avais entendu comme qui dirait vin bruit derrire les casiers. J'ai d'abord cru que c'tait une souris, ou un rat. Et puis, quand j'ai regard dans la corbeille papiers, j'ai vu cette petite bte avec ses yeux ross, qui... M. Wilkinson ne le laissa pas achever : il tait dj dans le magasin, en train d'explorer la corbeille.Les feuilles de chou ne manquaient pas dans les botes ordures, derrire les cuisines, et Bennett et Mortimer eurent tt fait de remplir leurs poches de tout ce qu'il fallait Charles Edward Munchicourt pour un succulent djeuner.Ils refermrent soigneusement la porte de la remise aux poubelles et revinrent sur leurs pas. Ils progressaient prudemment, de faon ne pas attirer l'attention... Le malheur voulut que M. Carter sortt de l'une des classes vides au moment prcis o ils passaient devant.S'ils n'avaient pas fait de tels efforts pour paratre naturels, le professeur ne leur aurait donn qu'un regard en passant. Mais le sursaut coupable de Mortimer et l'expression d'innocence exagre de Bennett lui mirent la puce l'oreille.M. Carter dtailla les garons des pieds la tte, et son il expert crut voir que la veste deBennett avait des bosses inhabituelles. D'un ton de reproche : Voyons, Bennett, dit-il, regardez-moi vos poches! Vingt fois je vous ai dit de ne pas les bourrer de bric--brac inutile. Vous dformez votre veste. Oui, m'sieur. Le garon restait au garde--vous, et, avec ses bras, essayait d'aplatir les bosses rvlatrices. Et vous, Mortimer, vous tes aussi mal fagot, continua le professeur. Qu'avez-vous donc dans vos poches? Mortimer avala sa salive grand-peine et regarda la pointe de ses souliers. Euh... du chou, murmura-t-il. Du chou? M. Carter paraissait surpris. Mais on ne fait aucun mal, m'sieur : c'est du chou cru! Un silence. Puis M. Carter reprit : Allons, Bennett, dites-moi ce qui se passe. Bennett, mal l'aise, se balanait d'un pied sur l'autre. Pas moyen d'luder une question aussi directe. Mais s'il rpondait, c'en tait fait du secret de l'existence de Charles Edward Munchicourt. Il tait sur le point d'avouer, quand, tout coup, les sourcils froncs de M. Carter se dfroncrent, et un sourire de comprhension apparut sur ses lvres... Bien sr! Des feuilles de chou... Le cochon d'Inde disparu... Je commence y voir clair, Bennett, dit-il. Vous venez de voir M. Wilkinson, n'est-ce pas? Oui, m'sieur. Il y a dix minutes, dans le couloir. Le mystre tait rsolu dans l'esprit de M. Carter. Manifestement, M. Wilkinson avait enrl Bennett et Mortimer dans sa chasse au cochon d'Inde, et les avait envoys lui chercher du fourrage. Bon, tout s'explique, dit M. Carter. Mais vous n'avez pas besoin de prendre ces airs de conspirateurs, ni de cacher les feuilles de chou dans vos poches. D'ailleurs vous feriez mieux de vous dpcher d'aller les porter M. Wilkinson : il doit les attendre. Bennett en croyait peine ses oreilles. Porter les feuilles de chou M. Wilkinson, m'sieur? Bien sr. Vous n'avez pas l'intention de les manger vous-mmes, je prsume? Oh! non, m'sieur. Seulement je pensais... c'est--dire, je ne pensais pas... ou plutt... Srement, M. Carter plaisantait !Bennett le regarda, esprant trouver la clef de l'nigme, mais le professeur, qui pensait dj autre chose, lui avait tourn le dos. Bennett fit volte-face sans comprendre, et partit dans la direction oppose, avec Mortimer qui trottinait ct de lui. Je n'y comprends rien, bredouillait Bennett, tout soucieux. C'est M. Carter qui est fou, ou bien c'est Wilkie? Du chou! Du chou cru! A cette heure-ci de la matine! s'indignait Mortimer. Wilkie peut tre goinfre, il y a tout de mme des limites ! Pendant quelques minutes, ils discutrent pour savoir si M. Carter s'tait moqu d'eux. S'ils suivaient ses instructions la lettre, ne risquaient-ils pas des ennuis de la part de M. Wilkinson ? Ils n'avaient encore pris aucune dcision lorsqu'ils arrivrent la porte du bureau.

Chiche que tu le fais, alors! dit Mortimer. Donne-lui tes choux, et je garde les miens pour Munchicourt. M. Carter a bien dit, pourtant... C'est possible. a n'empchera tout de mme pas Willde de piquer une colre et de dire que nous avons t insolents. Peut-tre pas, mais... Allez, vas-y, chiche! Chiche rglait la question. Bennett frappa la porte, lgrement. Si M. Wilkinson prenait la plaisanterie du mauvais ct, ce serait la faute de M. Carter. Mais les profs taient parfois si incomprhensifs que...La porte s'entrebilla et la figure de M. Wilkinson apparut. Qu'est-ce qu'il y a encore? demanda le professeur sans amnit. Excusez-moi, m'sieur! je vous ai apport un peu de...Tout coup, le courage de Bennett l'abandonna. Ce qu'il avait dire aurait l'air d'une impertinence grossire, et il tait clair, voir l'expression de M. Wilkinson, que l'irascible professeur n'tait pas d'humeur apprcier une farce. Ce n'est rien, m'sieur! balbutia Bennett. Comment, ce n'est rien ? Qu'est-ce que vous m'avez apport? Rien du tout, m'sieur. Mais vous venez de me dire, petit nigaud, que vous m'aviez apport quelque chose. C'est--dire, m'sieur, que c'est quelque chose que M. Carter a dit, mais peut-tre que ce n'est pas pour de vrai, m'sieur, ou alors il ne l'aurait pas dit, m'sieur. Je veux dire, m'sieur... M. Wilkinson en tait dj taper du pied d'impatience. C'est--dire, m'sieur, qu'il m'a dit de vous demander si... Euh!... Si vous ne voudriez pas un peu de chou cru, m'sieur... , acheva Bennett eu s'tranglant.L'expression de M. Wilkinson changea, mais non pas pour le pire, comme Bennett l'avait craint. Au contraire, un bon sourire de gratitude claira ses traits, et il tendit la main pour prendre les choux que Bennett lui offrait en tremblant. Bien volontiers, dit-il d'un ton amical. C'est exactement ce dont j'avais besoin. Vous n'auriez pas pu venir un meilleur moment. Merci, Bennett. Merci bien. Et la porte se referma sur la vision fantastique d'un M. "Wilkinson dvorant d'un regard goulu une poigne de feuilles de chou fltries.Bennett chancela de stupeur et s'appuya au mur pour ne pas tomber. M. Carter avait donc dit vrai, aprs tout! Eh bien, mon vieux! s'cria-t-il. Si on m'avait racont a!... On peut dire que c'est lu joli, de voir des professeurs s'enfermer dans leur chambre pour manger du chou cru entre les repas ! Extraordinaire! acquiesa Mortimer. Et jour-tant, tu sais, mon papa dit qu'il ne faut jamais discuter des gots et des couleurs. Tout en descendant au magasin d'habillement, Bennett ne put s'empcher d'exprimer de la compassion devant l'tat de l'infortun M. Wilkinson : II doit tre bien atteint, le pauvre, homme! murmura-t-il. Enfin! Dpchons-nous d'aller nourrir Charles Edward Munchicourt, avant que Wilkie ne tombe comme un nuage de sauterelles sur tous les lgumes, dix kilomtres la ronde. Dans le magasin d'habillement, nouvelle catastrophe! Il n'y avait plus le moindre signe de vie animale dans la corbeille papiers. Par la trompe de l'lphant roulettes! Il s'est sauv! s'cria Bennett, au comble de l'horreur. Il a grimp le long du grillage, et il est parti. Cherchons-le vite! conseilla Mortimer. Il n'a pas eu le temps d'aller bien loin. Une fouille approfondie du magasin et des couloirs adjacents montra que l'animal avait pris de l'avance. Les garons eurent beau continuer leurs recherches pendant tout le temps libre qu'ils eurent durant la journe, la soire arriva sans qu'elles eussent abouti. Pour l'instant, Charles Edward Munchicourt avait disparu aussi mystrieusement qu'il tait venu. Il ne faut pas dsesprer, dit sentencieusement Bennett, en montant se coucher. J'y mettrai peut-tre une semaine, mais je le retrouverai. Tu verras a, Morty!

CHAPITRE V

UNE EXCURSION INSTRUCTIVE

pendant deux jours Bennett et Mortimer cherchrent en vain la trace de leur cochon d'Inde, sans se douter qu'il tait sous la garde efficace de M. Wilkinson. Il devait d'ailleurs y demeurer encore quelque temps, car Mme Atkins douairire ne paraissait pas presse de rcuprer sa proprit. Elle avait crit au directeur pour lui dire qu'elle ne comprenait nullement pourquoi il faisait tous ces embarras propos d'un malheureux petit animal, et que, de toute faon, elle ne pourrait pas venir Linbury avant la fin de la semaine.Entre-temps, M. Wilkinson s'tait presque habitu son rle de gardien. Je viens de donner sa pitance mon fauve! dclara-t-il M. Carter, lorsque les deux professeurs se runirent pour discuter de l'excursion du Club Photo prvue pour l'aprs-midi suivant. A propos, Carter, merci d'avoir envoy Bennett et Mortimer chercher du fourrage l'autre jour. Cela tombait bien, parce que je venais juste de retrouver le maudit rongeur, et je n'avais rien lui donner manger. M. Carter parut surpris : Moi? Je ne les ai jamais envoys chercher du fourrage. C'est vous qui avez d leur dire... Rien du tout. Je croyais que c'tait vous qui... M. Carter frona le sourcil. Quel est ce mystre, Wilkinson ? Puisque ni vous ni moi, nous n'avons rien dit aux garons, comment pouvaient-ils savoir qu'il y avait un cochon d'Inde dans la maison? Et s'ils ne le savaient pas, pourquoi se sont-ils donn la peine d'aller ramasser ces feuilles de chou? M. Wilkinson haussa les paules. Bah! qui pourra jamais dire ce qui passe par la tte de ces garons?... C'est gal, il faudra ouvrir l'il, Carter, pour savoir s'ils ne nous prparent rien de louche. Mais les jours suivants furent si pleins de complications les plus alarmantes que le professeur en oublia momentanment ses soupons.Et d'abord il y eut cette excursion du Club Photo Dunhambury, dont M. Carter voulait absolument discuter. Je pense, dit-il, que le mieux serait de rpartir nos photographes en deux groupes, ds que nous serons descendus d'autobus. Il y a une exposition de photos de paysages au muse, et je pense que certains des garons aimeraient la voir. Si vous voulez prendre ce groupe-l, je ferai faire le tour de la ville aux autres. Trs peu pour moi, Carter, merci, dit M. "Wilkinson avec fermet. Nous ferons l'inverse, si vous le voulez bien. J'ai horreur d'tre enferm tout l'aprs-midi dans un muse. J'y touffe! Bon, c'est entendu, dit obligeamment M. Carter, en tirant une liste de sa poche et parcourant une colonne de noms. Je prendrai le groupe muse , et vous le groupe ville . Il n'y aura pas beaucoup d'lves dans celui-l. Vous aurez Briggs, Morrison, Rumbelow, Bromwich l'an. Et puis, videmment, Bennett et Mortimer! M. Wilkinson poussa un gmissement : Non, Carter. Pas ces deux-l, je vous en supplie ! Ce sont tous les deux des photographes passionns. Je ne dis pas le contraire, mais... En hte, M. Wilkinson prit une dcision : Ecoutez-moi, Carter. Rflexion faite, je pense que je prendrai le groupe du muse. Vous n'allez pas changer d'avis ainsi chaque instant! protesta M. Carter. N'ayez donc aucun souci! Quelles sottises voulez-vous qu'ils fassent, se promener dans la ville et photographier des difices historiques? Le directeur tient beaucoup ce qu'on leur montre les remparts du XVIe sicle, le march du XVIIe, l'htel de ville du XVIIIe... Plus vraisemblablement, dit M. Wilkinson, il y aura un petit imbcile qui tombera dans l'abreuvoir du XIXe, et il faudra que j'aille le repcher! Un essaim bourdonnant de garons descendit de l'autobus sur la place du march de Dunhambury et vint se mettre en rangs par deux le long du trottoir. Ils portaient tous des appareils photographiques dans des sacoches de cuir, en bandoulire ou autour du cou. M. Carter partagea le groupe en deux quipes.

Rendez-vous ici, l'arrt de l'autobus, quatre heures et demie, Wilkinson! dit-il son collgue, avant d'emmener l'quipe qu'il s'tait rserve dans la direction du muse, un grand btiment de pierre situ quelque distance du centre de la ville.M. Wilkinson prit la tte de son groupe. En route ! Nous allons faire le tour en passant par le parc, et puis : direction le chteau. Restez en rangs et ne vous gaillez pas dans la nature. S'il vous plat, m'sieur, commena Mortimer, vous n'aimeriez pas que je prenne une photo de vous, ct du... A ct de rien du tout. Rentrez dans le rang. Nous devrions dj tre en route. Pouvons-nous nous arrter quand nous voyons quelque chose d'intressant photographier, m'sieur? demanda Briggs.M. Wilkinson y consentit contrecur : Oui, pourvu que cela ne prenne pas des heures chaque fois. Je ne veux voir personne un kilomtre en arrire. Bennett et Mortimer marchaient joyeusement la queue du groupe. Pour la premire fois depuis deux jours ils avaient oubli leur cochon d'Inde disparu, et ils entendaient profiter de chaque minute de cet aprs-midi. Quelles photos crois-tu qu'on devrait prendre? demanda Mortimer en balanant son appareil au bout de la bretelle.Mortimer n'avait un appareil que depuis peu de temps, et il comptait sur Bennett, plus expriment, pour lui donner de sages conseils. Nous pourrions prendre des photos d'animaux, proposa Bennett. Des oiseaux, par exemple. Et si on n'en voit pas, il y aura des tas de ruines prhistoriques du ct du chteau. J'aimerais prendre une photo de Wilkie, s'il me laisse faire. Wilkie n'est pas photognique! dit Bennett. D'ailleurs, je trouve que c'est gcher de la pellicule que de prendre les photos des profs. Une fois j'ai... Il s'arrta brusquement. Derrire les grilles du parc, sa droite, il venait d'apercevoir un cureuil gris, debout sur ses pattes de derrire, et qui jetait de ct et d'autre des regards vifs. Par hasard, il se tenait en face d'un criteau qui proclamait : Ne pas marcher sur les pelouses.N'tait-ce pas l un tableau digne d'un photographe avis? Un cureuil effront, en train de contrevenir avec dsinvolture aux dits du conseil municipal de Dunhamhury! N'tait-ce pas cocasse? Mais, pour russir cette photo-l, il fallait user de mille prcautions, Chut, Morty ! Chchchchut! souffla Bennett. Ne bouge pas! Regarde, L-bas... Dans le parc... Un cureuil en train de lire un criteau, juste derrire la grille. Mortimer suivit du regard l'index tendu de son ami. Tu as raison! Vite, Ben! Vite, une photo! a fera un clich formidable! s'cria-t-il, tout surexcit, pendant que Bennett se htait de retirer l'appareil de son tui et le braquait sur l'cureuil. II y a quelque chose de dtraqu dans ce machin, dit Bennett. Je ne vois rien dans le viseur. Tu le bouches avec ton doigt! chuchota Mortimer. Hein? Oui, tu as raison. Le doigt enlev, Bennett put voir son cureuil. Malheureusement, il voyait aussi la grille du parc, ce qui, sur la photo, donnerait l'impression que l'animal tait en cage. Pour conserver l'illusion qu'il souhaitait crer, Bennett traversa donc le trottoir, et introduisit son appareil entre deux barreaux. Nouvelle difficult. Les barreaux n'taient plus visibles, mais

comme l'appareil tait au-del, et Bennett lui-mme en de, il ne pouvait plus pencher la tte en avant pour regarder dans le viseur. Passe ta tte entre les barreaux, conseilla Mortimer. Tu as juste la place. Mais dpche-toi : l'cureuil ne va pas rester t'attendre. L'audacieux chasseur d'images suivit ce conseil sans plus tarder. Non qu'il ft facile suivre, car l'espace entre les barreaux avait presque la mme largeur que sa tte. Mais enfin, aprs s'tre tortill dans tous les sens, il y russit, aux dpens de deux oreilles un peu froisses.Clic! fit l'appareil une seconde aprs. L'cureuil, surpris par le bruit, ne fit qu'un bond jusqu' l'arbre le plus proche. Tu l'as eu? demanda Mortimer, inquiet. Oui. Je l'avais pile dans le milieu de mon viseur. a fera un clich du tonnerre! Mortimer se retourna. M. Wilkinson et le reste du peloton des photographes avaient pris de l'avance, et grimpaient dj la pente qui conduisait aux remparts. Viens vite ! Il faut qu'on rattrape les autres, dit Mortimer. Wilkie va avoir une crise, si nous tranons. Je sais. On va filer comme des sous-marins raction, et on... Ae! Bennett poussa un cri de terreur : il ne parvenait pas rcuprer sa tte, reste de l'autre ct de la grille. Il essaya une fois, deux fois, prudemment d'abord, puis de toutes ses forces, en s'arc-boutant. Hlas! ce n'tait que trop vrai : i7 tait pris.La panique s'empara de lui : Au secours! Sortez-moi de l! hurlait-il. Allons, arrive, Ben. Ne fais pas l'imbcile, dit Mortimer, press. Je... Je ne fais pas... Fini... l'imbcile... Parole, Morty! hoquetait Bennett. A quoi joues-tu, alors? Je n'arrive pas retirer ma tte d'entre les barreaux. Quoi? Lorsque Mortimer comprit ce que signifiaient ces contorsions dsespres, ses yeux s'carquillrent d'horreur. Malheur de malheur! Tu es sr? Tire plus fort. Aououhwwouf !... a ne sert rien de tirer plus fort. Elle ne sort pas. Pourtant, elle est entre, fit remarquer Mortimer titre d'encouragement. a doit tre cause de tes oreilles. Je t'ai toujours dit que ta tte me faisait penser une coupe d'argent avec deux grandes poignes, comme on en donne aux vainqueurs des matches de football.

Je t'en supplie, Morty! cria Bennett, hors de lui. Ne reste pas l m'expliquer quoi te font penser mes oreilles. Fais quelque chose. Tu veux que je te tienne ton appareil? A quoi a servirait? Essaie plutt de me sortir la tte de l, gros malin! Tu as raison. Laisse-moi rflchir. Mortimer se creusa la cervelle. Impossible d'carter les barreaux la force du poignet, comme un hercule de foire; impossible de laisser un ami dans une telle position! En vrit, il n'y avait qu'une chose faire, et quelles consquences elle entranerait!... Mais G. E. J. Mortimer n'hsita pas : II va falloir que j'appelle Wilkie , dit-il.M. "Wilkinson tait mi-chemin de la pente qui montait vers les ruines du chteau, lorsqu'il entendit derrire lui des cris de dtresse. Il se retourna, et vit une petite silhouette, vtue d'un impermable beige et coiffe d'une casquette aux couleurs du collge, qui battait des bras comme tin moulin vent et dsignait un camarade, occup admirer le paysage travers la grille du pat.M. Wilkinson ne pouvait, cette distance, distinguer les traits des garons, mais il n'prouva aucune difficult identifier les deux insparables qui troublaient l'ordre d'une excursion jusque-l si paisible : ce ne pouvaient tre que Bennett et Mortimer. Ah! ces deux-l! marmonna-t-il en leur faisantsigne de cesser leurs jeux et de rejoindre le gros de la troupe.Ses signes ne furent pas obis. Bien au contraire, la silhouette reprit de plus belle sa danse, en y ajoutant des cris rauques et des gestes frntiques de dsespoir. Vous devriez y aller, m'sieur. C'est peut-tre une urgence, m'sieur, suggra Bromwich. J'y vais, et j'espre pour eux que c'en est une , dit M. Wilkinson, sombrement.La plupart des garons avaient dj atteint le sommet, si bien que M. Wilkinson leur envoya Bromwich l'an pour leur dire d'attendre prs des ruines. Puis, le sourcil fronc, le professeur redescendit en marmottant d'un ton bourru. Briggs et Morrison le suivirent bonne distance, esprant de tout leur cur qu'il y aurait des difficults, et qu'ils ne perdraient rien du spectacle.Lorsque M. Wilkinson arriva porte de voix des deux fautifs, il n'avait toujours pas la moindre ide de la raison pour laquelle on l'avait drang. D'aprs les apparences, Mortimer tait devenu fou, tandis que Bennett mettait vraiment un peu trop de temps photographier un objet qui se trouvait l'intrieur du parc. Et alors? tonitrua M. Wilkinson en fonant droit sur eux. A quoi jouez-vous? Je croyais vous avoir dit de ne pas traner en arrire. C'est qu'il y a un petit ennui, monsieur, rpond Mortimer. Voyez-vous, Bennett tait en train de prendre une photo, et... M. Wilkinson se tourna vers Bennett, toujours immobile. Bennett! Cessez de regarder travers cette grille et rejoignez les autres. Vous avez dj eule temps de prendre cinquante photographies. A la surprise du professeur, le garon ne tourna pas la tte et rpondit d'une voix tremblante : Je ne peux pas rejoindre les autres, m'sieur...J'ai la tte prise! Qu'est-ce que c'est que cette plaisanterie ridicule? Ce sont ses oreilles, m'sieur! expliqua Mortimer. Elles sont comme les poignes de la coupe de football,

m'sieur. Pas la coupe des minimes, bien sr; la grande, celle qui est dans la bibli... Brrloum brrloumpfl1! fit M. Wilkinson. Quel besoin aviez-vous, petit sot, d'aller fourrer votre tte entre ces barreaux? J'avais vu un cureuil, m'sieur. Un cureuil? Oui, monsieur. Il tait tout gris, m'sieur. Et puis aprs? vocifra M. Wilkinson. Entre-temps, Briggs et Morrison s'taient rapprochs pour prendre part aux vnements. Je ne vois pas comment il s'y est pris, dit Morrison. Si sa tte a pu entrer, il faut bien qu'elle sorte. Mais non. Pas avec les oreilles qu'il a, expliqua Mortimer. Tu veux que je te montre comment c'est arriv? Il a pass ses mains travers la grille, comme a, pour tenir son appareil, et puis il a pass la tte... Du coin de l'il, M. Wilkinson avait aperu la reconstitution du crime. Halte-l, Mortimer! s'cria-t-il. Du calme : un seul prisonnier me suffit. Excusez-moi, m'sieur, dit Mortimer, en quittant la zone dangereuse. Je voulais seulement leur faire une

dmonstration de... Assez! Avec des grognements d'exaspration, M. Wilkinson entreprit de dlivrer Bennett. Mais, bien que, malgr toutes ses prcautions, il lui corcht copieusement les oreilles, il n'obtint aucun rsultat. Allons, voyons, Bennett, il faut tout de mme que vous vous sortiez de l! J'essaie, m'sieur! protestait le garon en gmissant et en se dbattant. Je crois que ma tte a gonfl, m'sieur, ou que les barreaux se sont resserrs, m'sieur, ou quelque chose comme a. Ridicule! fulminait M. Wilkinson. Bennett, vous tes un petit imbcile ! Je sais, m'sieur. Une action prompte et immdiate, telle tait la devise de M. Wilkinson. Mais que faire avec des mains nues? Il fallait des outils, un matriel spcial pour carter les barreaux. Je vais aller chercher de l'aide, annona M. Wilkinson. Vous pouvez avoir besoin de quelqu'un, m'sieur, dit Morrison, pour vous aider chercher de l'aide. Oui, venez avec moi, Morrison. Nous allons tout de suite nous mettre la recherche d'une cabine tlphonique , dcida M. Wilkinson.Et il ajouta ce qui n'tait pas indispensable : Restez o vous tes, Bennett. Ne bougez pas avant mon retour. Puis, accompagn de Morrison, le professeur prit en hte le chemin de la ville.

CHAPITRE VI

LA MTHODE MORTIMERmortimer et Briggs passrent les quelques minutes qui suivirent le dpart de M, Wilkinson compatir avec l'infortun prisonnier et prendre des photos de lui, sous divers angles.Tu ne pourrais pas essayer de tordre la tte encore un peu plus de ct, Bennett? demandait Briggs, l'il dans le viseur. Il ne me reste plus qu'un clich prendre, et je voudrais un joli sourire pour conclure. Je ne sais pas si tu sourirais beaucoup ma place, grogna Bennett. D'o je te vois, reprit Briggs, tu ressembles ces bonshommes du Moyen Age dont nous parlait Wilkie. Tu sais, on les mettait dais des cages de fer, et les gens se rassemblaient tout autour et leur jetaient des... a va, a va. Je la connais, ton histoire. Je voulais seulement te remonter le moral, expliqua Briggs. Aprs tout, ta situation n'est pas si tragique que a. Wilkie sera bientt de retour, et, en attendant, tu as une jolie vue sur le parc travers les rhododendrons. Le prisonnier n'tait pas d'accord. Ce n'est pas le moment de me dire d'admirer le panorama , grommela-t-il.Cependant, Mortimer et Briggs en eurent bientt assez d'exprimer leurs condolances l'infortun captif, et d'enregistrer sur pellicule son trange posture. Je me demande combien de temps Wilkie va mettre, dit Mortimer, en regardant sa montre. Je propose d'aller jusqu'au coin pour voir s'il revient. Allons-y! acquiesa Briggs, et il partit au trot.Des lamentations et des protestations retentirent derrire eux : Bande de lcheurs ! Vous n'allez pas me laisser tout seul?... On va seulement jusqu'au coin, rpondit Mortimer avec flegme. On sera de retour dans trois secondes. Et puis, d'abord, c'est pour ton bien qu'on le fait : on pourra te renseigner sur l'arrive des renforts. Mais, derrire le coin, l o la route du parc croisait la route du village, il n'y avait pas de M. Wilkinson, pas de passants, peu de maisons : rien qu'une voiture qui stationnait quelques mtres du carrefour. Ctait une vieille guimbarde verte d'un modle trs ancien, avec des ailes monumentales pardessus de petites roues maigrichonnes. La capote toute troue battait au vent; le coffre tait ouvert et, au fond, l'on apercevait des outils de dpannage.Des outils! Mortimer resta l, comme hypnotis, les yeux rivs sur la voiture.Tout coup, une brillante ide lui traversa le cerveau; il se frappa le crne, et, les yeux brillants de triomphe derrire ses lunettes poussireuses, se tourna vers son camarade. Eurka! s'cria-t-il. Une intuition supersonique, ou je ne m'y connais pas. Briggs ne parut pas comprendre : Hein? demanda-t-il. C'est cette vieille bagnole, dit Mortimer, avec un geste dans la direction de la voiture. Si nous empruntions un cric dans le coffre, nous pourrions dlivrer Bennett sans attendre Wilkie. Briggs mit du temps apprcier la substantifique moelle de l'intuition supersonique. A. quoi servirait, demanda-t-il, de soulever Bennet l'aide d'un cric, comme si quelque chose de commun pouvait exister entre un jeune garon et l'essieu arrire d'une automobile? Qui parle de soulever Bennett? demanda Mortimer. Gros malin! Il faut simplement carter les barreaux avec le cric. Rien que de trs raisonnable dans la Mthode Mortimer pour l'Extraction des Ttes coinces noble appellation, dont l'inventeur lui-mme gratifia son systme. Il n'y avait qu' mettre le cric dans une position horizontale et l'introduire entre les barreaux, un peu au-dessus de la tte de la victime. Puis, par rotation de la manivelle, le cric largirait de lui-mme l'ouverture. Sensationnel ! s'cria Briggs avec enthousiasme lorsqu'il eut compris. Et c'est toi, Morty, qui as trouv a tout seul? L'inventeur rectifia son nud de cravate. Simplement une petite ide que j'aie eue par hasard. Il y a des gens, comme a, qui ont des traits de gnie... Tu prendras ces airs-l quand nous aurons vu si a marche, dit Briggs. Il faut commencer par demander la permission d'emprunter le cric. Hlas! la voiture tait vide, et le chauffeur ne semblait pas se trouver dans le voisinage. II a d la garer ici et aller se promener, supposa Briggs. On peut toujours regarder s'il y a un cric. II fourragea dans le coffre, puis, avec une exclamation de triomphe, ramena un vieux cric tout rouill et sa manivelle. -Avec un grand bruit, il les laissa tomber sur le trottoir. Et voil! Juste ce qu'il nous faut. On va voir si ton tuyau est bon, Morty. Repli, le cric avait environ quinze centimtres de long, ce qui quivalait peu prs, d'aprs Mortimer, au diamtre de la tte de Bennett, oreilles non comprises. Avec un peu de chance, l'instrument entrerait tout juste entre les barreaux-Parfait. Mais qu'arriverait-il si les garons emportaient des outils sans avoir obtenu l'accord de leur propritaire? Sans perm', a ne me plat pas beaucoup, murmura Mortimer, plein de scrupules. Mais puisqu'on va tout rapporter dans deux minutes? Je sais bien, mais papa dit qu'il ne faut jamais... Toi, avec tes sermons la chlorophylle! s'cria Briggs, plus soucieux, peut-tre, d'exprimenter la mthode que de dlivrer le prisonnier. Qu'est-ce que tu veux qu'il dise, le propritaire? Il serait trop heureux de nous le prter, son cric, s'il savait pour quoi c'est faire. Hum!... oui,... aprs tout, c'est un cas d'urgence, dit Mortimer aprs rflexion. Et on pourra demander la perm' en allant rapporter le cric, si le monsieur est revenu. Et s'il n'est pas revenu, il ne saura pas ce que nous aurons fait : donc, a n'aura pas d'importance.

Briggs referma le coffre, ramassa le cric et repartit vers le parc. Mortimer le suivit, brandissant la manivelle comme un tambour-major sa canne.Entre-temps, Bennett commenait en avoir assez d'admirer le parc et les rhododendrons. Sales lcheurs! ronchonna-t-il. O avez-vous t? Vous tes des poules mouilles, de m'avoir laiss tomber comme a. a va, a va, Bennett, dit Mortimer d'un ton d'encouragement. J'ai eu une super-intuition lectronique. Regarde ce que j'ai apport. Comment veux-tu que je regarde? J'ai des yeux dans le dos, peut-tre? Pardon, j'oubliais. C'est une de mes fameuses inventions. Ne bouge pas. Briggs et moi, on va excuter la manuvre. Briggs installa le cric en position au-dessus de la tte de Bennett, et Mortimer entreprit de tourner la manivelle. Aprs quelques efforts, l'instrument fut solidement encastr entre les barreaux, mais quant les carter, Mortimer ne put y parvenir tout seul.

Oh! l l! a ne va pas tre facile! haleta-t-il. Viens m'aider tourner la manivelle, Briggs! Les deux garons unirent leurs forces, et au bout de quelques instants leur labeur fut rcompens. a y est ! Ils s'cartent ! Je les vois ! cria Briggs. Un centimtre encore et... Essaie maintenant, Bennett. Le prisonnier tira, et mesure que les barreaux cdaient la pression, il parvint peu peu dgager la tte.Libre! Il bondit sur le trottoir en poussant un cri de triomphe : Hourra! criait-il pendant que ses librateurs, abandonnant leur travail, le rejoignaient dans une danse chevele au milieu de la route. Brave vieux Morty! Brave vieux Briggs! chantait Bennett, tout en dansant. Bravo, vous deux! Flicitations sincres et remerciements distingus! Je ne sais pas o tu trouves toutes ces ides, Morty. A te voir, on ne te croirait pas si malin! Un peu de flair, et voil! expliqua l'inventeur en revenant au calme. Papa dit toujours que certaines personnes... Laisse ton pre tranquille, interrompit Briggs. Maintenant, il faut aller remettre dans le coffre l'instrument de notre triomphe. Bien sr, dit Mortimer. Et tu ferais mieux de venir aussi, Bennett, pour le cas o le chauffeur serait l et demanderait des explications. Tu n'aurais qu' lui montrer la forme de tes oreilles, et il comprendra pourquoi nous avions besoin d'un quipement spcial. Ils replirent le cric, et inspectrent la grille, qui ne portait pas de trace visible de dformation, car les barreaux n'avaient t repousss que d'un ou deux centimtres dans chaque sens. Et Wilkie va tre joliment content, remarqua Briggs. Nous avons tout arrang sans le dranger, lui! Les traits de Mortimer rayonnaient d'une modeste fiert : On rapporte le cric, on revient ici, et on attend Wilkie, dcida-t-il. Veux-tu que je porte l'instrument de ma libration? proposa Bennett. Non. C'est moi l'inventeur de la mthode, et j'ai le droit de porter mes outils! La dcapotable verte stationnait toujours au bord du trottoir lorsque les garons arrivrent au coin de l'avenue. Ils eurent juste le temps de voir un vieux monsieur en pardessus marron et chapeau dfrachi se mettre au volant. On a de la chance. Le propritaire est l. On pourra demander la perm', dit Mortimer en htant le pas. Pour la perm', c'est un peu tard , dit Bennett.A ce moment le grincement du dmarreur retentit; le moteur toussota et se mit en marche. On pourra toujours lui expliquer pourquoi on avait besoin de son cric. C'est peut-tre un peu tard aussi, reprit Bennett, car il est juste en train de... II s'interrompit. Un nuage de fume bleue venait de s'chapper du tuyau, et l'automobile s'tait mise rouler une vingtaine de kilomtres l'heure.

Panique et consternation. Hol! ho! Stop! Revenez! criait Mortimer. Arrtez! Vous partez sans vos outils! hurlait Briggs.Peine perdue! Le chauffeur changea de vitesse avec un bruit effroyable qui couvrit les glapissements des garons, et la voiture acclra notablement. Cent mille allumettes au fromage! Qu'est-ce qu'on va faire? gmissait Mortimer. Il faut bien qu'on lui rende son truc. On ne peut pas le garder. Courons! Vite! commanda Bennett, qui prit le pas gymnastique. A pied? Mais on ne pourra jamais le rattraper! Il s'arrtera peut-tre un feu rouge! cria Bennett par-dessus son paule. Dpchez-vous un peu, vous autres!Briggs obit, et laissa Mortimer l'arrire-garde.La nature n'avait pas cr Mortimer pour en faire un sprinter. Et maintenant, ploy sous le poids du cric, embarrass par la longue manivelle qui lui battait les jambes, ce fut peine s'il put, pendant les trente premires secondes de la poursuite, rester en vue de ses camarades. Pourquoi ai-je insist pour trimbaler cet engin? gmissait-il en se tranant quelque peu en zigzag la suite des autres.Sur cent mtres, la route tait droite, et Bennett ne perdit pas la voiture de vue. Puis il y avait un tournant et la visibilit devenait nulle.A mesure que Bennett courait, il sentait l'espoir diminuer. Au mieux, il apercevrait encore unefois la voiture, car aprs le tournant, la route tait de nouveau droite. De toute faon, il tait impossible de maintenir cette allure-l beaucoup plus longtemps. Tout tait perdu, moins que, par quelque chance, l'automobiliste ne s'arrtt bientt.Haletant, le souffle coup, Bennett atteignit le tournant. La voiture devenait un point l'horizon. Bennett la vit tourner dans une route transversale, et reprit sa poursuite.Mais, lorsqu'il atteignit le carrefour, il n'y avait plus de voiture, et plus rien faire que d'attendre Briggs et Mortimer. Pas de chance! Briggs, tout essouffl, arriva quelques instants plus tard. Il fallut attendre encore longtemps, avant qu'un bruit qui rappelait celui d'un camion-citerne dans le col du Saint-Gothard n'annont l'approche de G. E. J. Mortimer. C'est cuit! dclara Briggs, lorsqu'il eut repris haleine. Nous avons couru pour rien! Non, dit Bennett. Il faut continuer. On peut toujours aller voir au prochain tournant. Arrive, Mortimer! en route! En route? demanda Mortimer, extnu et cramoisi. Tu ne manques pas de toupet! Tu me fais transporter cette machine qui pse au moins cent tonnes, et tu crois que je peux courir comme un drat! C'est ta faute : je t'avais offert de la porter, ta machine. Eh bien, porte-la, puisque tu y tiens. Pour a, tu repasseras. Tu ne peux pas tre volontaire pour une chose grave comme celle-l, et puis te dgonfler cinq minutes aprs.

Mais je ne pouvais pas prvoir comment a allait tourner! rtorqua Mortimer. De toute faon, c'est ta faute. Si tu n'tais pas all fourrer ta bobine entre ces barreaux, nous ne serions pas o nous en sommes. Gros malin, va! Bravo! dit Briggs. Moi, je suis d'avis qu'on renonce la poursuite. Bennett n'en crut pas ses oreilles : Voyons, on ne peut pas encore abandonner! D'abord, qu'est-ce qu'on ferait du cric? Si nous le gardons, nous aurons des ennuis pour l'avoir pris sans perm'.- On pourrait peut-tre le renvoyer par la poste?

Ne sois pas idiot. O le renvoyer? A qui? On ne sait pas. On n'a mme pas not le numro de la voiture. Il n'y a rien faire : il faut continuer chercher. Mortimer souffla bruyamment et jeta ses camarades un long regard d'indignation. Ce n'tait pas juste, dcida-t-il, pas juste du tout, que sa brillante intuition, qui aurait d, l'heure qu'il tait, former le seul sujet de toutes les conversations, ait t remplace par ces dbats futiles. Lui, l'inventeur de la Mthode Mortimer pour l'Extraction des Ttes coinces, lui, qui aurait d ce moment sourire avec modestie, au soleil de la gloire et aux flicitations de ses camarades, il devait, cras sous la fatigue, et sous les fardeaux, se traner sur les routes poussireuses, la recherche d'un automobiliste trop press. Non, ce n'tait pas juste!Mortimer allait d'ailleurs exposer son point de vue, quand Briggs s'cria tout coup : Atomisation de la dsolation! Et Wilkie?II doit tre revenu et se demander o nous sommes! Les vnements avaient pris un rythme si rapide, depuis le dpart du professeur, que les garons avaient oubli ses instructions. Il faut que l'un de nous y aille, dit Bennett. Toi et Mortimer, vous n'avez qu' fouiller les environs et voir si vous trouvez la voiture; moi, je vais aller tout expliquer Wilkie. Rendez-vous ici. D'accord, mais ne sois pas trop long, dit Briggs. Si nous n'avons pas repr la voiture avant que tu reviennes, on porte le cric au commissariat de police. Ne t'inquite pas, rpliqua Bennett en quittant ses camarades au carrefour. Wilkie saura se dbrouiller. Aprs tout, c'est lui qui commande! Tant pis pour lui s'il y a du ouin-ouin.

CHAPITRE VII C'EST UNE URGENCE!

il fallut M. Wilkinson beaucoup plus de temps qu'il ne l'avait cru pour appeler du secours. La premire cabine tlphonique qu'il trouva tait occupe par une dame bavarde, et la conversation semblait devoir durer tout l'aprs-midi.M. Wilkinson administra des coups de poing aux vitres de la cabine, se livra une pantomime expressive pour expliquer l'urgence de sa mission, mais tous ces signes ne rencontrrent que ddain : la bavarde tourna le dos et refusa d'ouvrir la porte.M. Wilkinson partit la recherche d'une autre cabine. Morrison, joyeusement surexcit, le suivait.Ce n'tait pas un jour de chance pour M. Wilkinson. La cabine suivante portait une pancarte: En drangement. Lorsqu'ils arrivrent la troisime, qui tait une distance considrable du parc, M. Wilkinson avait perdu cette humeur froide, calme et rflchie, dont on ne. saurait se passer pour rgler en douceur des questions dlicates.Nerveux, le souffle court, il ouvrit violemment la porte, dcrocha le combin, et y dversa un flot d'indications. Puis il se rappela qu'il n'avait pas encore fait l'appel. Avec un grognement agac, il composa le numro de la poste, et tambourina nergiquement sur l'appareil en attendant la rponse.Dehors, sur le trottoir, Morrison aplatissait son nez contre la vitre et coutait... All! all! La poste? Vous m'entendez?... Urgent, mademoiselle, urgent! vocifrait M. Wilkinson dans le micro.Une question dut tre pose l'autre bout du fil, car M. Wilkinson reprit avec indignation : Mais non, mais non, je ne demande pas Mlle Urgent!... Si j'ai dit urgent , c'est qu'il y a urgence, voil!... Les pompiers, la police, une ambulance, je ne sais pas, moi... Enfin, ceux qui ont ce qu'il faut pour dlivrer les gens qui sont coincs. Ecoutez-moi : je suis dans une cabine publique, du ct du parc, et je... Mais non, mademoiselle, ce n'est pas moi qui suis coinc! C'est un garon qui tait avec moi. Il a barr sa tte entre les fourreaux... Je veux dire qu'il a fourr sa tte entre les barreaux!

Morrison, serviable, ouvrit la porte et demanda par l'entrebillement :

Tout va bien, m'sieur? Je ne peux pas vous aider, m'sieur?

Taisez-vous et ne m'interrompez pas! Je ne vous ai rien demand! aboya M. Wilkinson.Manifestement, on n'apprcia pas cette remarque l'autre bout du fil, car M. Wilkinson plongea de nouveau dans un torrent d'explications : Non, ce n'est pas vous que je parle, mademoiselle. Je parle un garon qui a pass sa tte dans la porte... Non, pas le mme garon : un autre! Le premier avait grill sa tte... euh!... avait pass sa tte dans la grille, et j'exige que vous me donniez tout de suite les autorits comptentes ! Quelques secondes aprs, M. Wilkinson se retrouvait oblig d'expliquer la mme situation aux pompiers de Dunhambury. All? Les pompiers?... C'est de la part de M. Wilkinson, pour un cas d'urgence! commena-t-il. Vous voulez que j'pelle? Bon : U, R, G, E, N, ... Je veux dire W, I, L, K, I, N, S, O, N. Amenez-moi tout de suite le machin pour enlever les ttes... Mais non, pas la guillotine! Pour enlever les ttes barres travers les passeaux, c'est--dire passes travers les barreaux, vous comprenez? L'un de mes lves est coinc dans une grille, au bas de la tente du chapeau... euh!... de la pente du chteau!... Rouge et furibond, M. Wilkinson mergea de la cabine, et saisit Morrison par le bras : En route, mon garon. Pas le temps de lambiner. Il faut que nous soyons sur place avant les pompiers.- Oui, m'sieur. Ce qu'on s'amuse, m'sieur! s'cria Morrison, en partant au petit trot, coude coude avec le professeur. Vous appelez a vous amuser, vous? Moi, pas. Plus vite! Les pompiers vont arriver avant nous, et il faut que je sois l pour leur expliquer.

Sans mot dire, ils prirent le chemin du parc, au pas de course. Morrison faisait des efforts hroques pour ne pas parler : jamais il ne s'tait tant amus. Le programme de l'aprs-midi, dj agrable alors qu'on ne parlait que d'excursion photographique, avait t considrablement amlior par Bennett... Et maintenant, on allait voir des voitures de pompiers se rpandre travers les rues somnolentes; des cloches allaient rompre toute vole le calme de l'aprs-midi... Grce Bennett, on aurait pass quelques heures pas comme les autres ! On arrive, m'sieur. Ds qu'on aura tourn le coin, on pourra voir, m'sieur! haletait Morrison.Dans sa hte de tout raconter au captif et ses camarades, Morrison piqua un sprint, et commena crier, en tournant le coin : Dites donc, vous autres, je vous... II s'arrta, bouche be : la route qui montait au chteau tait dserte.Morrison n'avait pas encore fini d'carquiller les yeux de surprise lorsque M. Wilkinson le rejoignit, quelques secondes aprs. II n'est plus l, m'sieur! Il est parti! Ils sont tous partis. Briggs et Mortimer aussi! bgayait le garon.M. 'Wilkinson resta stupfait. Morrison avait raison. Que s'tait-il donc pass? Nous nous sommes peut-tre tromps de ct, m'sieur?- Ne dites pas d'neries. C'est ici que nous l'avons laiss, au bas de la pente, et c'est ici que j'ai dit aux pompiers de venir.

A ce moment une cloche retentit, moins bruyante, il est vrai, que Morrison ne l'avait espr, mais enfin, une belle cloche de pompiers tout de mme. Et lorsque l'norme engin rouge eut tourn le coin, M. Wilkinson bondit de ct et se retint la grille du parc pour ne pas tomber.

Que dire? Comment expliquer? N'avait-il pas fait venir les pompiers pour sauver quelqu'un qui s'tait sauv tout seul?

Morrison, d'agitation, sautait d'un pied sur l'autre.

Les voil! Sensationnel! Hip, bip, hourra! s'criait-il.

La voiture s'arrta dans un crissement de pneus. Le caporal des pompiers sauta terre et aborda poliment M. Wilkinson :

Je vous demande pardon, monsieur, dit-il d'un ton press. Un certain M. Wilkinson vient de nous appeler pour nous dire de venir quelque part prs du chteau, mais je crois que nous nous sommes tromps d'endroit.

Non, non. Vous ne vous tes pas tromps, dit M. Wilkinson, mal l'aise. C'est bien ici.

Le caporal regarda autour de lui. Srement pas : on nous a parl d'un garon coinc dans une grille.

Parfaitement exact. Voyez-vous, c'est moi qui ai tlphon.

Ah! Alors, si c'est vous qui avez tlphon, vous allez nous montrer o se trouve ce garon.

M. Wilkinson avait du mal avaler sa salive et se triturait les doigts d'nervement. Mais je n'en sais rien! je n'y comprends rien moi-mme... Il doit tre quelque part par ici. Il ne peut pas tre all ailleurs.

Rponse peu convaincante. M. Wilkinson vit bien que le caporal l'observait d'un il souponneux. Perdant son calme, le professeur reprit :

C'est tout fait extraordinaire. Il tait ici, il y a quelques minutes, coinc dans la grille, et maintenant il n'y est plus. Disparu ! Evanoui !

L'il souponneux du pompier se durcit encore. Il dsigna Morrison :

Et celui-l? Vous tes sr que ce n'est pas celui-l que vous cherchez?

Certain. Celui-l ne m'a pas quitt depuis le dbut. Je vous dis qu'il s'agit d'un autre garon : je l'ai laiss ici avec deux autres. Il y avait trois garons en tout.

Tous les trois avec la tte coince dans la grille?

Mais non! Il n'y en avait qu'un de coinc. Et mme celui-l, il n'y est plus. Je vous dis que c'est incroyable de bout en bout!

C'est bien mon avis. Vous nous avez drangs pour rien.

Et le caporal des pompiers menaa M. Wilkinson d'un doigt loquent :

Vous tes certain que cette histoire est vraie? Parce que si c'est une fausse alerte...

Grands dieux, non! Ce n'est pas une fausse alerte. Nous sommes en excursion organise. Je dirige un groupe de collgiens.

Vous en organisez souvent, des excursions comme celle-l?

- Mais vous ne comprenez donc rien!...

- Il y a une chose que je comprends trs bien, monsieur, dit le pompier en donnant du doigt dans la poitrine de M. Wilkinson. Vous nous faites venir en nous racontant une histoire dormir debout : il y a quelqu'un sauver, et, puis, pfft! voil qu'il n'y a plus personne. Si ce n'est pas une fausse alerte, je me demande ce que c'est. Je vais faire un rapport.

Si vous voulez, mais je peux expliquer... Ou plutt, je ne peux pas m'expliquer... M. Wilkinson s'arrta sur un haussement d'paule : que dire d'autre?Le caporal des pompiers revint sa voiture en secouant la tte d'un air mcontent. Retour la caserne! commanda-t-il. Je vous prviens, monsieur, que notre capitaine n'aime pas beaucoup qu'on se paie sa tte. Mais je vous assure que..., plaida M. Wilkinson.- a va. En route, Charlie. Encore une fausse alerte! Le moteur vrombit, la voiture fit demi-tour et repartit vers la ville. M.. Wilkinson, ros d'humiliation jusqu'au bout de ses oreilles, la regarda disparatre. Lorsqu'elle eut pris le tournant, il s'essuya le front et poussa un soupir d'exaspration. Allons, bon! Il ne manquait plus que a! grommela-t-il. Pourquoi ce petit imbcile n'est-il pas rest o il tait? Mais je croyais que vous vouliez qu'on le dlivre? s'cria Morrison avec surprise. Bien sr, je voulais qu'on le... Ali! Morrison, cessez de me mettre en colre en disant des sottises. Attendez que je revoie Bennett, un point, c'est tout. Son souhait fut exauc plus tt qu'il ne l'esprait, car il n'avait pas fini de parler qu'une petite silhouette en casquette grenat et en impermable beige apparut au tournant.Les cordes vocales de M. Wilkinson rendirent un piaillement trangl : Bennett! Je... Arrivez ici, mon garon, et plus vite que a! Son appareil photographique la main, Bennett approcha. M'sieur? Vous... Saperlipopette! Qu'est-ce que vous venez encore de fabriquer? Maintenant, m'sieur? demanda Bennett en remettant l'appareil dans son tui. Je viens de prendre une photo de la voiture des pompiers, m'sieur. Vous l'avez vue, m'sieur? C'est un nouveau modle! Et il ferma calmement l'tui de cuir.M. Wilkinson, lui, n'avait pas l'air prcisment calme. Il se prit la tte deux mains et esquissa sur le trottoir quelques pas qui faisaient penser la danse guerrire d'une tribu primitive.