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Antidépresseurs. Données sur les propriétés pharmacocinétiques Pharmacokinetic properties of antidepressants H. Lôo, M.-F. Poirier, F. Chauchot, A. Galinowski, F. Hartmann, M.-O. Krebs, J.-P. Olié * Service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis Paris cedex 14, France MOTS CLÉS Antidépresseurs ; Monitoring pharmacocinétique ; Rapport concentration-efficacité ; Dosages plasmatiques et intraérythrocytaires KEYWORDS Antidepressants; Pharmacokinetic monitoring; Concentration-efficiency ratio; Plasmatic and intra-erythrocyte concentration Résumé Le dosage plasmatique d’antidépresseurs révèle des différences importantes d’un produit à l’autre. La résorption digestive des tricycliques est importante et rapide : ils sont fortement liés aux protéines plasmatiques, à 90 %. Les nouveaux antidépresseurs n’ont pas un devenir homogène. Pour certains, agissant sur la recapture de la sérotonine, leur résorption est moins importante que pour les tricycliques. La transformation méta- bolique des nouveaux antidépresseurs est souvent complète, avec peu de catabolites actifs. Leur élimination est urinaire et fécale. Leur demi-vie est très variable d’un produit à l’autre, parfois très brève ou au contraire très longue. Le monitoring pharmacocinétique est une méthode excellente pour connaître le rapport entre la concentration plasmatique ou intraérythrocytaire et l’efficacité. Enfin, les auteurs soulignent l’existence de patients à risque à effets secondaires : les personnes âgées, les insuffisants rénaux ou hépatiques et les alcooliques. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Plasmatic levels of antidepressant drugs give quite different results from one class of antidepressant to another. For tricyclics, digestive resorption is excellent and fast and they are strongly bounded to plasmatic proteins, around 90 %. The new classes of antidepressants do not have an homogeneous destiny. Their resorption is less important, especially for SSRI ones. Their metabolic transformation is often complete, with a reduced proportion of active catabolites. Their elimination is both urinary and fecal. Important differences in their half-life are observed from one to another, sometimes very brief, sometimes very long. The pharmacokinetic monitoring is an excellent method to measure the correspondence between plasmatic and intra-erythrocyte concentration and efficiency. The authors highlight the existence of patients at high risk: elderly people, patients with kidney and liver deficiency, and alcoholics, in whom the risk of side-effects is important. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Olié). EMC-Psychiatrie 1 (2004) 260–265 www.elsevier.com/locate/emcps 1762-5718/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcps.2004.06.001

Antidépresseurs. Données sur les propriétés pharmacocinétiques

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Page 1: Antidépresseurs. Données sur les propriétés pharmacocinétiques

Antidépresseurs. Données sur les propriétéspharmacocinétiques

Pharmacokinetic properties of antidepressantsH. Lôo, M.-F. Poirier, F. Chauchot, A. Galinowski, F. Hartmann,M.-O. Krebs, J.-P. Olié *

Service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique, centre hospitalier Sainte-Anne, 1,rue Cabanis Paris cedex 14, France

MOTS CLÉSAntidépresseurs ;Monitoringpharmacocinétique ;Rapportconcentration-efficacité ;Dosages plasmatiqueset intraérythrocytaires

KEYWORDSAntidepressants;Pharmacokineticmonitoring;Concentration-efficiencyratio;Plasmatic andintra-erythrocyteconcentration

Résumé Le dosage plasmatique d’antidépresseurs révèle des différences importantesd’un produit à l’autre. La résorption digestive des tricycliques est importante et rapide :ils sont fortement liés aux protéines plasmatiques, à 90 %. Les nouveaux antidépresseursn’ont pas un devenir homogène. Pour certains, agissant sur la recapture de la sérotonine,leur résorption est moins importante que pour les tricycliques. La transformation méta-bolique des nouveaux antidépresseurs est souvent complète, avec peu de catabolitesactifs. Leur élimination est urinaire et fécale. Leur demi-vie est très variable d’un produità l’autre, parfois très brève ou au contraire très longue. Le monitoring pharmacocinétiqueest une méthode excellente pour connaître le rapport entre la concentration plasmatiqueou intraérythrocytaire et l’efficacité. Enfin, les auteurs soulignent l’existence de patientsà risque à effets secondaires : les personnes âgées, les insuffisants rénaux ou hépatiqueset les alcooliques.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Plasmatic levels of antidepressant drugs give quite different results from oneclass of antidepressant to another. For tricyclics, digestive resorption is excellent and fastand they are strongly bounded to plasmatic proteins, around 90 %. The new classes ofantidepressants do not have an homogeneous destiny. Their resorption is less important,especially for SSRI ones. Their metabolic transformation is often complete, with areduced proportion of active catabolites. Their elimination is both urinary and fecal.Important differences in their half-life are observed from one to another, sometimes verybrief, sometimes very long. The pharmacokinetic monitoring is an excellent method tomeasure the correspondence between plasmatic and intra-erythrocyte concentration andefficiency. The authors highlight the existence of patients at high risk: elderly people,patients with kidney and liver deficiency, and alcoholics, in whom the risk of side-effectsis important.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Olié).

EMC-Psychiatrie 1 (2004) 260–265

www.elsevier.com/locate/emcps

1762-5718/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.emcps.2004.06.001

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Introduction

La pharmacocinétique des antidépresseurs déter-mine comment l’organisme agit sur ces substances.L’intérêt du dosage des antidépresseurs repose

sur la constatation d’une très grande variabilitéinter- et intra-individuelle des taux sanguins mesu-rés à l’état d’équilibre à posologie identique. Enrevanche, chaque classe d’antidépresseur sembleposséder des caractéristiques assez homogè-nes.1,2,3,4 Ainsi, les antidépresseurs tricycliquesprésentent une excellente et rapide résorption di-gestive, une forte fixation aux protéines plasmati-ques, environ 90 % : ce sont des éléments basiquesqui se lient à l’albumine et à l’alpha-1 glycopro-téine acide. Au cours d’un premier passage hépati-que, une grande partie de l’antidépresseur est mé-tabolisée en catabolites actifs et inactifs. Les tauxcirculants restent faibles, la diffusion tissulaire estintense et les transformations métaboliques sonttotales. Des facteurs très divers influencent lapharmacocinétique des antidépresseurs tricycli-ques.Les antidépresseurs proposés depuis 1980 consti-

tuent un groupe moins homogène5 que les antidé-presseurs tricycliques classiques. Leur rapiditéd’absorption est parfois moins importante, surtoutpour les inhibiteurs de recapture de la sérotonine(5-HT).3,6 L’importance de l’effet de premier pas-sage hépatique est rarement connue. Ces médica-ments suivent les mêmes voies de transformationmétabolique que les antidépresseurs classiques :déméthylation, hydroxylation et oxydation. Ce mé-tabolisme est souvent total et, à l’inverse des tri-cycliques, peu de métabolites actifs sont retrouvés.L’ensemble de ces médicaments est fixé dans uneproportion d’au moins 75 % aux protéines plasmati-ques. Les volumes de distribution sont du mêmeordre que ceux des tricycliques. L’élimination deces produits est le plus souvent urinaire et fécaleavec une prédominance de l’excrétion rénale. Lesdemi-vies sont très variables selon les produits,parfois très brèves, parfois plus longues commepour les inhibiteurs de recapture de 5-HT.

Pharmacogénétique et métabolismedes antidépresseurs7

Les causes biologiques de la variabilité des concen-trations d’antidépresseurs sont essentiellementd’origine métabolique.1 La fraction libre d’antidé-presseur reste pratiquement constante quelles quesoient les concentrations plasmatiques observéesen thérapeutique. Les interférences pouvant en-

traîner une défixation protéique n’ont vraisembla-blement aucune conséquence thérapeutique. Enrevanche, la variation de biodisponibilité due àl’existence de phénotypes d’oxydation hépatiquedifférents selon les sujets,8,9 et notamment selonles ethnies, peut être un facteur expliquant desdifférences d’efficacité et de tolérance. Les enzy-mes de dégradation ont leur synthèse sous contrôlegénétique. Un polymorphisme génétique est dé-montré et serait gouverné par un mécanisme auto-somal récessif ; on retrouve ainsi des sujets méta-boliseurs rapides et des sujets métaboliseurs lents.Le métabolisme d’hydroxylation est ralenti chezenviron 15 % des Chinois, 3 % des Suédois, 1 % desEspagnols. Le métabolisme d’acétylation est ralentichez les Canadiens, les Esquimaux, les Asiatiques.Le métabolisme de glucuronisation est moins effi-cace chez les Chinois que chez les Caucasiens.Ainsi, chez les sujets de race blanche, on observe

7 à 10 % de métaboliseurs lents aboutissant à unebiodisponibilité du produit père plus grande, majo-rant certains effets secondaires, pour des concen-trations totales identiques de produit père et demétabolite. À l’inverse, chez les métaboliseurs ra-pides lorsque le produit père est seul actif, desposologies supérieures sont nécessaires pour at-teindre des taux sanguins efficaces.En pratique, le niveau d’activité d’une enzyme

donnée peut être mesuré en évaluant sa capacité àmétaboliser une substance de référence d’ungroupe donné. Ainsi ont été développés les testsutilisant la débrisoquine, la spartéine, le dextromé-thorphane déterminant les capacités d’oxydationet d’hydroxylation.10,16 La déméthylation est ex-plorée par l’utilisation de la méphénytoïne.Parmi les nouveaux antidépresseurs, le métabo-

lisme de la paroxétine, de la fluvoxamine, et trèscertainement de la fluoxétine, est sous un contrôlegénétique du type spartéine-débrisoquine.Les principales actions métaboliques sont réali-

sées au niveau du foie et de l’intestin par le sys-tème enzymatique à cytochrome P450 (Cy P450).Après être passé par la barrière intestinale et lefoie, l’antidépresseur est en partie sous forme in-changée et en partie sous forme biotransformée.Plusieurs systèmes CYTP450 ont été mis en évi-dence ; les cinq plus importants sont représentésdans le Tableau 1 suivant ainsi que l’action desantidépresseurs sur ces différents systèmes.Les antidépresseurs tricycliques sont des sub-

strats de la 2D6 qui les hydroxyde et les inactive.Or, plusieurs inhibiteurs spécifiques de la recapturede la sérotonine (ISRS) sont des inhibiteurs de cetteenzyme avec des puissances très différentes. Pres-crits en association avec des tricycliques, ils vontaugmenter par inhibition métabolique les concen-

261Antidépresseurs. Données sur les propriétés pharmacocinétiques

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trations de ces derniers, parfois jusqu’à des tauxtoxiques. Cette enzyme intervient également dansle métabolisme des nouveaux antipsychotiques.De même, les ISRS sont inhibiteurs de l’enzyme

1 A2 qui intervient dans la déméthylation. Ils vontaugmenter les taux plasmatiques des médicamentssubstrats de l’enzyme comme les amines secondai-res tricycliques ou la théophylline.Le CYP 450 3A4 est la troisième enzyme impor-

tante dans le métabolisme des antidépresseurs,certains d’entre eux étant inhibiteurs. Ils vont ainsiaugmenter les taux des autres substrats tels que lesbenzodiazépines ou le cisapride, la terfénadrine,l’astémizole, dont l’accumulation peut avoir desconséquences toxiques cardiovasculaires gravesavec un allongement du QT.À l’inverse, l’activité 3A4 peut être induite par

des composés comme la carbamazépine et l’acti-vité IA2 par la nicotine, obligeant à augmenter laposologie des médicaments associés substrats deces enzymes. Ce phénomène inducteur peut aussiêtre à l’origine de manifestations toxiques à l’arrêtbrutal du médicament qui interrompt le métabo-lisme accéléré des substrats.

Quelques caractéristiquesdes inhibiteurs de recapturede sérotonine6

L’absorption et la résorption gastro-intestinalessont généralement bonnes avec un pic de concen-tration plasmatique atteint environ 4 à 6 heuresaprès l’absorption.La biodisponibilité absolue est variable selon les

substances : celle du citalopram atteint 100 % ; lesautres composés présentent un effet métaboliquede premier passage hépatique.Après des doses répétées, la clairance rénale est

très réduite, particulièrement pour la fluoxétine etla paroxétine.Le niveau de fixation protéique de la fluoxétine,

de la paroxétine et de la sertraline est supérieur à

95 % ; celui de la fluvoxamine (77 %) et du citalo-pram (50 %) est beaucoup plus bas.L’élimination survient après catabolisme. Les

métabolites de la fluvoxamine et de la fluoxétinesont excrétés principalement dans les urines ; degrandes quantités de paroxétine et de sertralinesont excrétées de manière fécale.Les demi-vies de la fluvoxamine, de la paroxé-

tine, de la sertraline et du citalopram sont d’envi-ron 1 jour. La demi-vie de la fluoxétine atteint2 jours (6 jours après administrations répétées) etcelle de son métabolite actif, la norfluoxétine, estde 7 à 15 jours.

Bénéfices du monitoringpharmacocinétique

Le développement récent de nouvelles techniquesde dosage des médicaments par chromatographieliquide à haute performance, chromatographie enphase gazeuse, chromatographie gaz-liquide, chro-matographie sur couche mince, spectrométrie demasse, radio-immuno-essais et radiorécepteur-essais, ont permis de réaliser de nombreuses étudespharmacocinétiques et métaboliques des antidé-presseurs. Un monitoring de routine de ces médica-ments est disponible dans certains laboratoires tantà l’hôpital qu’en ville.Quel est l’intérêt actuel du dosage des antidé-

presseurs ?3 Une fourchette thérapeutique des tauxplasmatique des antidépresseurs n’est pas claire-ment établie pour bon nombre d’entre eux.2,11,12

L’imipramine (IMI) a été particulièrement explo-rée et fait l’objet d’un consensus relatif.3,13 Larelation taux/efficacité est linéaire ou sigmoïde,lorsque l’on considère globalement les taux plas-matiques de l’imipramine et de son principal méta-bolite, la desméthylimipramine. La majorité despatients répondent lorsque les taux atteignent oudépassent 200 ng/ml, et les effets secondaires de-viennent marqués au-dessus de 250-300 ng/ml.

Tableau 1 Inhibition des systèmes enzymatiques CYP450 par les antidépresseurs.

Niveau relatif 1A2 2C9/19 2D6 3A4Élevé fluvoxamine fluvoxamine paroxétine fluvoxamine

fluoxétineModéré ATC tertiaires sertraline ATC secondaires sertraline

fluoxétine fluoxétine ATCparoxétine paroxétine

Faible venlafaxine venlafaxine venlafaxine venlafaxinecitalopram citalopram citalopram citaloprammirtazapine mirtazapine mirtazapine mirtazapinesertraline sertraline

paroxétine fluvoxamine

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La desméthylimipramine (DESI), lorsqu’elle estadministrée en première intention, semble donnerlieu à une relation linéaire taux/efficacité, l’effi-cacité apparaissant à partir de 125 ng/ml.L’idéal serait de déterminer la posologie opti-

male adaptée à chaque patient pour obtenir unefourchette thérapeutique individuelle ; certainsauteurs l’ont tenté en déterminant les taux obtenusaprès une prise orale.14 Mais, même en l’absencede fourchette thérapeutique bien définie, la me-sure des taux plasmatiques de l’antidépresseurpeut être utile dans des situations précises :9,15

quand un patient répond mal à un traitement, ellepermet de vérifier l’observance,5,9 de déceler unmétabolisme particulier et de décider rapidementdu changement de posologie ou de médicamentlorsque les taux ne sont pas dans la fourchettethérapeutique. Ceci est particulièrement impor-tant lors des traitements au long cours.5 En cas dedoute sur l’observance, il faut rappeler qu’un tauxélevé de dérivés desméthylés avec un taux bas deproduit père peut signifier que le traitement a étéarrêté les jours précédents ; à l’inverse les tauxélevés du produit père alors que ceux des dérivéssont bas, peuvent traduire un début récent detraitement, en dehors du cas des métaboliseurslents. Les techniques de dosage intraérythrocytaireméritent d’être développées. La mesure du tauxintraglobulaire de l’antidépresseur permettrait derefléter le passage intracellulaire de la fractionactive du médicament.17,18

Une très grande variabilité du rapport concentra-tion érythrocytaire/concentration plasmatique aété observée à l’état d’équilibre. Matuzas et al. en19839 n’ont pas trouvé de différence de concentra-tion plasmatique d’imipramine entre répondeurs etnon-répondeurs. En revanche, la concentration in-traérythrocytaire d’imipramine et le rapportDESI/IMI étaient plus élevés chez les répondeurs.Dans une étude ancienne, Aymard et al.17 ont

montré que les patients traités par maprotiline enassociation avec des neuroleptiques avaient destaux intraérythrocytaires de l’antidépresseur et deson dérivé déméthylé plus élevés que les autrespatients ; les répondeurs au traitement avaient unrapport intraérythrocytaire dérivés/produit pèreplus élevé que les non-répondeurs.Seules les valeurs intraérythrocytaires de l’anti-

dépresseur et de ses métabolites actifs pourraientêtre corrélées avec l’efficacité.

Interactions médicamenteuses

Les patients déprimés sont souvent polymédiqués.Nous l’avons vu, c’est le plus souvent par des

interférences avec le métabolisme hépatique que

certaines associations de médicaments bloquent oustimulent la transformation des antidépresseurs.2

Les neuroleptiques, la cimétidine et la fluoxétineinhibant le cytochrome P450, bloqueraient l’oxygé-nase hépatique dépendante du cytochrome P450,augmentant ainsi la biodisponibilité des antidépres-seurs tricycliques de 40 à 75 %. D’autres médica-ments peuvent modifier le métabolisme de l’anti-dépresseur en ayant un rôle inducteur de soncatabolisme :15 il s’agit de la carbamazépine, duGardénal®, de l’hydrate de chloral, du méproba-mate, du disulfirame ; de même, toutes les sub-stances inductrices du métabolisme hépatiquecontenues dans l’alimentation pourraient modifierles taux plasmatiques des antidépresseurs.Dans le cas des inhibiteurs de capture de 5-HT,

une interaction médicamenteuse systématique auniveau du cytochrome P450 a été décrite pourchacun d’entre eux, mais il existe des différencesentre les isozymes inhibées. La fluvoxamine inhibele métabolisme du propranolol, de la warfarine, dela théophylline, du bromazépam, de la carbamazé-pine, de l’antipyrine et la déméthylation des anti-dépresseurs tricycliques.4,19 L’hydroxylation desantidépresseurs tricyliques est fortement inhibéepar la fluoxétine, en raison de l’action inhibitricemajeure qu’exercent la fluoxétine et la norfluoxé-tine sur le cytochrome P450 Il D6.6 Ainsi observe-t-on une élévation des concentrations plasmatiquesdes médicaments tricycliques lorsque la fluoxétineest associée avec une absence de modification durapport produit père/métabolite déméthylé. Lafluvoxamine inhibe surtout la déméthylation desantidépresseurs tricycliques : elle entraîne ainsiune élévation importante des concentrations plas-matiques de ces médicaments en cas d’association,notamment pour les amines tertiaires.19 Le citalo-pram provoque in vitro, une inhibition modérée ducytochrome P450 et de l’hydroxylation de l’imipra-mine.20 Une interaction légère mais significative ducitalopram et de l’imipramine a été mise en évi-dence chez le sujet sain.21 La paroxétine et lasertraline exercent une inhibition plus importante,comparable à celle de la fluoxétine ou de la nor-fluoxétine.Des résultats en faveur d’une légère interaction

entre la désipramine et la sertraline ont été com-muniqués récemment.22 La paroxétine réduit de18 % la clairance de la digoxine et prolonge le tempsde saignement chez les patients recevant de lawarfarine.6 Aucune interaction entre tricycliqueset paroxétine n’a été publiée mais il est montréqu’in vivo la paroxétine inhibe très fortement lemétabolisme de la spartéine, reflet de l’activité ducytochrome P450 2D6.23

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Populations à risque

Les paramètres pharmacocinétiques sont influen-cés par l’âge, le sexe, l’ethnie, l’état fonctionneldu foie et du rein, divers processus inflammatoiresou dysmétaboliques, parfois par l’état psychiatri-que.15 Ainsi, les personnes âgées, les insuffisantsrénaux et hépatiques, les alcooliques, présententun métabolisme particulier.2

Chez les sujets âgés, des concentrations plasma-tiques élevées de médicament antidépresseur ontété observées pour une posologie minime. La dimi-nution de la masse corporelle, une relative déshy-dratation avec augmentation de la masse grais-seuse, une diminution de la filtration glomérulairepeuvent expliquer cette constatation et justifierles dosages des médicaments dans cette populationafin de déterminer la posologie minimale efficace.Chez ces patients, la demi-vie du médicament estallongée mais sa biodisponibilité est inchangée.Bien que les données chez l’enfant soient beau-

coup plus éparses, il est certain que le métabolismedes antidépresseurs est aussi très différent de celuide l’adulte. L’élément essentiel est que la capacitéde déméthylation est beaucoup plus importantechez l’enfant que chez l’adulte ; les posologiesdoivent donc être au moins aussi élevées que chezl’adulte sur une base évaluée en mg/kg.La fonction rénale dans l’élimination des antidé-

presseurs est d’une grande importance.Si les médicaments tricycliques pères ne sont pas

excrétés par le rein, leurs métabolites le sont.L’insuffisance rénale entraîne une diminution del’élimination des métabolites hydrophiles avec ac-cumulation progressive dans le sang et dans leliquide céphalorachidien.Pour les inhibiteurs de recapture de 5-HT,4 bien

que leur élimination rénale soit minime, lesconcentrations plasmatiques de paroxétine sontélevées chez des patients en insuffisance rénale. Lemétabolisme de la paroxétine, du citalopram et dela sertraline est réduit chez les patients âgés.

Autres facteurs : tabac et alcool3

Le tabac contient un certain nombre de substancesinductrices et inhibitrices du métabolisme oxydatifdes médicaments. Son influence sur le métabolismedes tricycliques n’a pas été démontrée de manièreévidente ; quelques études apportent des résultatscontradictoires ; elles montrent soit une baisse,soit une absence de changement dans l’état d’équi-libre des concentrations d’antidépresseurs tricycli-ques.L’alcool peut induire le métabolisme des médi-

caments lié au système enzymatique, dépendant du

cytochrome P450. Cette induction chronique peutentraîner une réduction des concentrations àl’équilibre des produits pères mais aussi des dérivéshydroxylés. À l’inverse, une intoxication alcooliqueaiguë peut réduire la clairance des tricycliques.La surveillance plasmatique des antidépresseurs

peut améliorer le résultat thérapeutique sur desterrains particuliers, et prévenir certains effetssecondaires. L’usage des tests métaboliques per-mettant d’apprécier les capacités d’hydroxylationet de déméthylation d’un sujet pourrait s’envisagerplus fréquemment. L’intérêt du dosage intra-érythrocytaire des antidépresseurs en référence àl’activité thérapeutique mérite d’être exploré. En-fin, il faudrait s’intéresser à la mesure de l’activitébiologique des antidépresseurs, comme peut l’ap-précier le radiorécepteur-essai.

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