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Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n° 16 apport de pollution et de nutriments aux peuplements forestiers par l'atmosphère : intensité et variations dans le Massif vosgien par M. Bonneau, E. Dambrine, C. Aschan avec le concours de G. Nourrisson INRA, département des Recherches forestières, Champenoux, 54280 Seichamps Les pluies et les dépôts secs (gaz, poussières, aérosols) ou occultes (brouillard, rosée) apportent aux sols divers éléments. Les uns, éléments indispensables aux plantes, sont utiles si l'apport est modéré (le soufre S, l'azote N, le phosphore P, le calcium Ca, le magnésium Mg, le potassium K). D'autres sont considérés comme polluants, qu'ils soient sans utilité pour les plantes et nuisibles au sol, ou nui- sibles directement aux plantes s'ils sont apportés en fortes quantités (protons H+, sodium Na, chlore Cl). Les éléments utiles, déposés trop abondamment, peuvent provoquer des déséquilibres nutritifs (ion ammonium NH 4 + , ion nitrate NO3 - ) ou être sources d'acidification excessive (NH 4 + qui, en se ni- trifiant, libère des protons). La connaissance de ces apports n'est pas très intéressante en milieu agricole où les sols sont générale- ment bien tamponnés contre l'acidité et où les exportations par les récoltes et les fertilisations prati- quées sont très importantes en regard des dépôts atmosphériques. Au contraire, pour les forêts qui constituent dans la plupart des cas une spéculation très économe n'occasionnant que de faibles expor- tations d'éléments minéraux, les apports par l'atmosphère représentent un poste positif non négligeable du bilan de fertilité. Les peuplements forestiers, surtout ceux de résineux, grâce à la grande surface de contact de leurs feuillages avec l'atmosphère, grâce aussi à la rugosité de leur couvert qui freine le vent, sont des capteurs extrêmement efficaces des gaz, poussières, gouttelettes de brouillard et aéro- sols : les dépôts secs et occultes y sont très élevés, souvent d'importance équivalente aux dépôts hu- mides apportés par les pluies. Ce sont donc les apports totaux (humides, secs, occultes) qui intéressent les forestiers, que ce soit par le souci d'établir un bilan des gains et des pertes de l'écosystème ou pour mettre éventuellement en relation les apports d'éléments nuisibles avec des symptômes d'altération de la santé des peuplements. 27

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Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n° 16

apport de pollutionet de nutriments

aux peuplements forestierspar l'atmosphère :

intensité et variationsdans le Massif vosgien

par M. Bonneau, E. Dambrine, C. Aschanavec le concours de G. Nourrisson

INRA, département des Recherches forestières, Champenoux, 54280 Seichamps

Les pluies et les dépôts secs (gaz, poussières, aérosols) ou occultes (brouillard, rosée) apportent auxsols divers éléments. Les uns, éléments indispensables aux plantes, sont utiles si l'apport est modéré(le soufre S, l'azote N, le phosphore P, le calcium Ca, le magnésium Mg, le potassium K). D'autressont considérés comme polluants, qu'ils soient sans utilité pour les plantes et nuisibles au sol, ou nui-sibles directement aux plantes s'ils sont apportés en fortes quantités (protons H+, sodium Na, chloreCl). Les éléments utiles, déposés trop abondamment, peuvent provoquer des déséquilibres nutritifs(ion ammonium N H 4

+ , ion nitrate NO3-) ou être sources d'acidification excessive (NH 4+ qui, en se ni-

trifiant, libère des protons).La connaissance de ces apports n'est pas très intéressante en milieu agricole où les sols sont générale-ment bien tamponnés contre l'acidité et où les exportations par les récoltes et les fertilisations prati-quées sont très importantes en regard des dépôts atmosphériques. Au contraire, pour les forêts quiconstituent dans la plupart des cas une spéculation très économe n'occasionnant que de faibles expor-tations d'éléments minéraux, les apports par l'atmosphère représentent un poste positif non négligeabledu bilan de fertilité. Les peuplements forestiers, surtout ceux de résineux, grâce à la grande surface decontact de leurs feuillages avec l'atmosphère, grâce aussi à la rugosité de leur couvert qui freine levent, sont des capteurs extrêmement efficaces des gaz, poussières, gouttelettes de brouillard et aéro-sols : les dépôts secs et occultes y sont très élevés, souvent d'importance équivalente aux dépôts hu-mides apportés par les pluies. Ce sont donc les apports totaux (humides, secs, occultes) qui intéressentles forestiers, que ce soit par le souci d'établir un bilan des gains et des pertes de l'écosystème ou pourmettre éventuellement en relation les apports d'éléments nuisibles avec des symptômes d'altération dela santé des peuplements.

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28 Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n°16

Si la détermination des apports humides par les pluies est relativement aisée, celle des apports secs ouocultes est beaucoup plus difficile. A première vue, on pourrait penser que la collecte de la pluie, aprèsqu'elle ait traversé les feuillages (pluviolessivats) et donc lessivé les éléments déposés sur les feuilleset rameaux, peut fournir la somme des apports. En fait il existe, au niveau des feuilles, des échangesactifs entre l'eau de pluie qui ruisselle à leur surface et les cellules de l'épiderme et du mésophylle àtravers la cuticule et les stomates. Lors de ces échanges, les feuilles absorbent de l'ammonium et desprotons et libèrent des cations K, Ca, Mg. Cette libération constitue la récrétion. La différence des fluxd'un cation entre les pluviolessivats et les pluies représente donc la somme algébrique de la récrétionet des dépôts lessivés. Pour estimer ces derniers, il faut, le plus souvent sur des bases très indirectes ettrès incertaines, répartir la différence de flux entre les deux processus.Le dépérissement des forêts, très net dans les Vosges, nous a incités à connaître le mieux possible lesapports sur ce massif. Grâce à l'aide de la Commission des communautés européennes (direction del'Agriculture) et du ministère de l'Environnement, et avec le concours de l'APPA (Association pour laprévention de la pollution atmosphérique, comité de Lorraine) et de l'Office national des forêts (ONF),nous avons, pendant l'hiver 1988, équipé de collecteurs de pluie, à découvert et sous le couvert d'unpeuplement de sapin ou d'épicéa, 10 postes forestiers du Massif vosgien en nous efforçant de couvrirles différentes situations possibles (Nord et Sud, versant alsacien et versant lorrain, altitudes variées).Les collecteurs à découvert sont des dispositifs « wet-only », c'est-à-dire fermés entre les événementspluvieux et s'ouvrant automatiquement lorsque la pluie survient, de sorte qu'ils ne recueillent aucundépôt sec ou occulte. Les collecteurs sous le couvert sont de simples auges en matière plastique (PVC)raccordées à un bidon de recueil. Les collecteurs sont relevés chaque semaine par les agents de l'ONFqui stockent les eaux en congélateur ; un technicien ramasse les eaux mensuellement. L'analyse d'unéchantillon moyen mensuel des collectes hebdomadaires de chaque poste est effectuée au laboratoireINRA d'Arras.

Figure 1. Situation des 10 postesd'étude (Y) dans les Vosgesavec l'indicationde la pluviométrie annuelle

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Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n°16

Les principaux résultats

Les tableaux I, I I , I I I et IV indiquent respectivement :- les concentrations moyennes dans les pluies hors couvert en SO4", N0 3 -N, Cl-, NH4

+-N, Ca+\Mg+ + , K+, Na+ en mg. l 1 et le pH ;- les flux moyens en kg / ha / an hors couvert ;- les concentrations moyennes sous couvert et le pH,- les flux moyens sous couvert.Les chiffres indiqués, concentrations ou flux, sont tous exprimés en élément (N, S, Cl, Ca, Mg, K,Na).Le Massif vosgien apparaît comme une région où les apports, de nutriments ou de polluants, sont plu-tôt modestes.

Tableau I. Concentrations moyennes des précipitations hors couvert (mg.l-1)

stationsBan-sur-MeurtheCol du BonhommeGemamgoutteHousserasLe DononLa Petite PierrePlain de CanonSewenVal d'AjolWelschbruchmoyenne

stationsBan-sur-MeurtheCol du BonhommeGemamgoutteHousserasLe DononLa Petite PierrePlain de CanonSewenVal d'AjolWelschbruchmoyenne

Cl-

2,040,981,21,431.71,571,351,351,411,361,44

SO4

1,140,670,920,860,821,20,720,70,810,860,87

-S

Na+

0,610,360,520,450,560,360,410,430,440,380,45

NO3-N

0,470,320,720,490,370,550,340,330,440,460,45

K+

0,750,210,680,530,521,020,520,410,490,460,56

NH4+-N

0,390,41,70,430,340,650,360,410,40,560,56

Ca+ +

0,430,220,340,330,230,430,230,20,270,250,29

N total

0,860,722,420,920,711,200,700,740,841,021,01

Mg + +

0,070,070,10,070,050,080,050,040,060,040,06

PH

4,54,75,84,64,74,44,74,84,54,74,7

Apports hors couvert :L'élément apporté en plus grande quantité est le chlore. La confrontation avec les apports de sodiumou de protons amène à conclure que ce chlore n'est pas exclusivement d'origine marine. Le rapportCl/Na est nettement plus élevé que dans l'eau de mer : 2 à 5 suivant les stations contre 1,5 environ sil'origine était entièrement marine. Le sodium, en excédent également par rapport au magnésium parexemple, montre que l'excès de chlore vient davantage des salines voisines des Vosges (Sarralbe,Dombasle) que des installations d'incinération d'ordures ménagères. Les mines de potasse ne semblentpas en cause (vents dominants de l'ouest-sud-ouest).Les apports de soufre (7 à 13 kg) et d'azote (5 à 10 kg) sont faibles, l'azote nitrique (N03) et l'azoteammoniacal (NH4) sont sensiblement à égalité. Le pH des pluies est modérément acide (4,5 à 4,8)

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avec une valeur exceptionnellement élevée à Gemain goutte, poste sans doute fortement influencé parles activités d'élevage (neutralisation de l'acidité par NH3).

La variabilité entre les divers points du massif est grande, qu'il s'agisse des concentrations ou des ap-ports totaux : le rapport entre le maximum et le minimum des teneurs dans la pluie est souvent de 1,6 à2 (sulfates, nitrates, chlorures, sodium, calcium, magnésium) mais atteint 5 pour l'ammonium et lepotassium. Il n'y a pas parallélisme entre la variabilité des concentrations et celle des apports, c'est-à-dire que les stations où les teneurs d'éléments dans l'eau de pluie sont les plus fortes ne sont pas cellesqui reçoivent le plus d'éléments. En effet ces derniers dépendent beaucoup de la pluviométrie, elle-même très variable dans le massif (plus du simple au double entre les stations les moins arrosées et lesplus arrosées). Ainsi, pour ce qui est des sulfates par exemple, Plain du Canon et Val d'Ajol, où lapluie est modérément concentrée, reçoivent de très forts apports, tandis que la Petite Pierre doit sesapports très élevés à une forte concentration de la pluie. On peut dire la même chose des nitrates et dela plupart des éléments. La corrélation entre pluviométrie et apport de sulfates est particulièrementnette (fig. 2) alors qu'elle est très faible pour les apports de nitrates. On note également une corrélationpositive entre apports de sulfates et apports de nitrates (fig. 3) bien que les origines des uns et desautres ne semblent pas communes.

En effet, les concentrations en SO4-S dans les pluies ne sont pas liées à la teneur de l'air en SO2 à Pa-ris ou à Strasbourg (influence d'agglomérations industrielles plus lointaines), tandis que les teneurs lesplus élevées des précipitations en NO3-N apparaissent au même moment que les pointes de NO2 dansces deux villes.La concentration des eaux de pluie en divers éléments oppose l'ensemble Donon, Plain du Canon, Se-wen, Col du Bonhomme où la charge des pluies est faible, à l'ensemble La Petite Pierre-Ban-sur-Meurthe où elle est forte. Gemaingoutte, La Petite Pierre et Welschbruch ont des pluies très riches enazote minéral total.

Tableau II. Dépôts annuels d'éléments minéraux hors couvert (kg.ha-')

stationsBan-sur-MeurtheCol du BonhommeGemaingoutteMousserasLe DononLa Petite PierrePlain de CanonSewenVal d'AjolWelschbruchmoyenne

stationsBan-sur-MeurtheCol du BonhomGemaingoutteHousserasLe DononLa Petite PierrePlain de CanonSewenVal d'AjolWelschbruchmoyenne

cl-

23,413,411,213,021,626,431,327,522,120,821,1

SO4

8,797,529,925,628,88

10,0612,768,83

10,759,549,27

S

Na+

7,625,064,984,36,295,069,28,397,076,196,42

NO3-N

4,582,626,032,743,514,684,583,855,443,884,19

K+

4,272,24,112,944,95,677,484,143,713,364,28

NH4+-N

2,853,09

10,52,043,114,353,573,343,195,854,19

Ca+ +

4,482,482,322,452,333,64,232,953,062,453,03

N total

7,435,71

16,534,786,629,038,157,198,639,738,38

Mg + +

0,780,840,920,950,510,691,030,640,710,430,75

H+

0,240,40,050,180,250,280,420,290,40,190,27

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Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n°16 31

Forêt vosgienne (photothèque INRA)

Tableau III. Concentrations moyennes des précipitations sous couvert (mg.M)

Tableau IV. Dépôts annuels d'éléments minéraux sous couvert (en kg.ha-')

stationsBan-sur-MeurtheCol du BonhommeGemaingoutteHousserasLe DononLa Petite PierrePlain de CanonSewenVal d'AjolWelschbruchmoyenne

SO4"-S

2,432,452,71,842,084,011,441,662,113,022,37

NO3--N

1,291,471,690,631,592,470,871,021,312,611,49

NH4+-N

0,740,540,90,420,891,790,360,380,690,890,76

ci-

3,62,162,683,063,344,852,483,023,34,623,31

Na+

1,020,770,770,8711,620,680,761,031,440,97

K+

3,012,633,043,821,953,942,13,533,914,113,2

Ca + +

1,361,231,420,811,132,070,961,271,162,681,41

M g + +

0,350,250,370,220,230,460,190,280,260,550,32

PH

3,7393 93,93,93,84,24,03 84,03,9

stationsBan-sur-MeurtheCol du BonhommeGemaingoutteHousserasLe DononLa Petite PierrePlain de CanonSewenVal d'AjolWelschbruchmoyenne

SO4--S

12,815,517,69,6

18,423,916,710,115,316,115,6

N

7,412,315,85,7

16,520,815,16,3

12,416,412,9

cl-

24,118,615,316,63134,638,228,632,23026,9

Na+

76,44,94,8

10,71311,68,8

1010,98,8

K+

13,618,91616,713191820,422,83018,8

Ca+ +

5 87,36,53,36,711,211,85,96,412,27,7

Mg + +

1 61,51,911,62,92,41,51,52,51,8

H+

10,90,90,71,31,31,00,81,30,81,0

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32 Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n° 16

Apports sous le couvert forestier :Les concentrations d'éléments dans les pluviolessivats sont en moyenne 1,5 à 5 fois supérieures àcelles des pluies : 1,5 fois seulement pour un élément comme NH4+-N qui est plus ou moins absorbépar le feuillage après dépôt, 4 à 5 fois pour K, Ca, Mg qui sont l'objet d'une récrétion importante, 2 à 3fois pour Na, Cl, SO4-, -S, NO3-N qui ne sont ni consommés ni récrétés notablement. Ce facteur 2 à3 peut être considéré comme résultant du lessivage de dépôts secs et occultes et d'une concentrationpar évaporation partielle de l'eau lors de son passage sur les cimes, hors effet biotique important.L'augmentation de concentration est cependant très variable d'une station à l'autre : par exemple, pourles sulfates, on a 3,6 au Col du Bonhomme, 3,3 à la Petite Pierre, 3,5 à Welschbruch, ce qui traduitdonc des dépôts secs et occultes plus importants dans ces stations que dans les autres. On peut faire lamême observation pour les nitrates dans ces mêmes stations, tandis qu'Housseras n'a qu'un enrichis-sement très faible. Le climat de pollution par dépôts secs et occultes est donc beaucoup plus sévèredans la partie nord du massif, pour ce qui est des sulfates et des nitrates. La station de Sewen se ca-ractérise au contraire par une forte augmentation du taux de KC1 sous le couvert, ce qui s'expliqueprobablement par la proximité des mines de potasse.L'estimation des quantités récrétées de Ca, Mg, K est nécessaire avant que l'on puisse établir l'apportquantitatif de ces éléments. Elle est basée sur l'enrichissement des pluviolessivats en ces trois élémentscomparativement à l'enrichissement en sulfates, peu récrétés et peu absorbés. En déduisant la récrétiondu flux d'enrichissement des pluviolessivats par rapport aux pluies, on arrive à une estimation des dé-pôts secs et occultes, donc à un dépôt total (pluie + dépôts secs) sous peuplement de résineux(tabl. IV). On constate que les apports totaux sont en moyenne modérés : 15,6 kg de S / ha et / an,12,9 kg de N, alors que dans les Ardennes on atteint au moins 40 kg de soufre et 50 kg d'azote. Cesapports sont évidemment très variables d'un site à l'autre : 9 à 24 kg de soufre, 5 à 20 kg d'azote, 17 à38 kg de chlore, 13 à 30 kg de potassium, 3 à 12 kg de calcium, 1 à 2,9 kg de magnésium. L'apport deprotons, obtenu en ajoutant à ceux contenus dans les pluviolessivats 50 % environ de l'équivalent descations récrétés (qui ont été échangés sur les feuillages contre des protons), se chiffre environ à 1,0 kgpar ha et par an, donc relativement faible et moins variable que les autres apports : 0,9 à 1,5.

Il faut noter que la hiérarchie des stations en ce qui concerne les apports humides et celle que l'on peutétablir pour les apports totaux sous le couvert sont différentes. La Petite Pierre qui reçoit le plus de Set de N totaux ne venait qu'en 3e position pour les apports humides. Le Donon, en 2e position pour lesapports totaux de S et 4e pour les apports de N, n'était qu'en 4e et 8e positions pour les apports numidesde ces mêmes éléments. Tout ceci met en lumière le rôle important joué par les dépôts secs et occultesdans les Vosges.

Figure 2. Relation entre l'apport desoufre, sous forme de sulfates,à découvert, et la pluviométriemensuelle moyenneBSM : Ban-sur-Meurthe ;CdB : Col du Bonhomme ; D :Donon ; G : Gemaingoutte ;H : Housseras ; LPP : La Pe-tite Pierre ; S : Sewen ; VA :val d'Ajol ; W : Welschbruch.

Figure 3. Relation entre apports desoufre sous forme de sulfateset apports d'azote nitrique

Figure 4. Relation entre apport deprotons à découvert et pluvio-métrie mensuelle moyenne

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Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n°16 33

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34 Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n°16

En conclusionOn sait aujourd'hui que les pertes d'aiguilles des peuplements dans les Vosges sont en grande partiedues à la conséquence de périodes très sèches, et notamment de la dernière, de 1972 à 1976, dontl'effet a été particulièrement sensible sur les sols les plus superficiels ou les plus caillouteux et dans lespeuplements trop denses. Il est néanmoins prouvé, par des travaux précis (diagnostic foliaire dans denombreux peuplements, étude précise du cycle des éléments dans certains écosystèmes vosgiens- Aubure en particulier -, essais de fertilisation) que des carences minérales très accusées en magné-sium et calcium sont responsables d'un autre aspect très caractéristique du dépérissement, le jaunis-sement des feuilles et des aiguilles des résineux à partir de leur 2e année, et que la pollution acide estun des facteurs de genèse de ces carences. Comme co-facteur intervient la pauvreté de certaines rochesdes Vosges (certains granités et grès), comme l'ont montré divers travaux de cartographie aérienne dujaunissement et des pertes d'aiguilles qui lui sont liées (et qui s'ajoutent à celles entraînées par lemanque d'eau). Ce co-facteur défavorable explique que le jaunissement soit très répandu dans lesVosges malgré un niveau de pollution qui apparaît comme assez modéré : en moyenne 0,27 kg eq. / haet / an hors couvert et 1 kg eq. sous couvert en ce qui concerne les protons. Les apports d'azotesouvent accusés de déséquilibrer la nutrition des peuplements s'ils sont excessifs, et de contribuer àl'acidification du sol par l'apport de NH4+, sont ici assez faibles également : environ 13 kg / ha /ansous le couvert forestier.

La pollution acide varie cependant beaucoup au sein du massif, pour des raisons diverses : pluviomé-trie très diversifiée en fonction de l'altitude (les apports de sulfates et de protons par la pluie sont for-tement liés à la tranche d'eau annuelle), position géographique des stations par rapport à des sourceslocales (Gemaingoutte dans une zone rurale où le dépôt d'ammonium est important) ou par rapport àde grands courants de pollution acide générateurs de forts dépôts secs et occultes qui pénètrent peu àl'intérieur du massif (fort apport sous couvert d'acide sulfurique et nitrique dans les stations du Norddu massif). Housseras, à l'ouest du massif, se caractérise par de très faibles apports totaux de protonset d'azote.

Mais les dépôts atmosphériques peuvent être utiles (Ca, Mg, K, N). Si on estime que les apports hiver-naux sont en majeure partie perdus par lessivage (à cause de l'acidité des eaux de pluviolessivage ence qui concerne les cations ou par absence de fixation en ce qui concerne les nitrates) et que les ap-ports d'été sont au contraire à peu près totalement consommés, on peut comparer les exportations parle bois des peuplements forestiers (bois et écorce de tronc) au demi-apport annuel total d'éléments nu-tritifs. Face à des besoins moyens annuels de l'ordre de 3 à 8 kg d'azote, 0,5 à 1 kg de soufre, 2 à 5 kgde potassium, 3 à 7 kg de calcium, 0,5 à 1,2 kg de magnésium, ces demi-apports totaux qui vont de 5 à16 kg de N, 6 à 13 kg de S, 2 à 7 kg de K, 2 à 4,5 kg de Ca, 0,5 kg à 1 kg de Mg, s'avèrent excé-dentaires pour le soufre, généralement suffisants pour l'azote, parfois insuffisants pour le potassium etle magnésium et souvent déficitaires pour le calcium.

Sur un plan plus général, on espérait qu'un petit nombre de postes pluviométriques en France (unequarantaine, 15 du réseau MERA et 25 du réseau de placettes d'observation des écosystèmes forestiersen cours de mise en place) serait suffisant pour dresser des courbes d'iso-apport à partir desquelles onpourrait progresser vers un bilan de fertilité des sols forestiers. L'exemple vosgien démontre que cetespoir est probablement vain, au moins en pays de montagne puisque des variations du simple audouble ou même davantage sont tout à fait possibles dans un espace relativement restreint.Il serait intéressant de renouveler en plaine l'exercice effectué dans le massif vosgien afin de voir siune telle variabilité y existe aussi. Par ailleurs de grands progrès sont à accomplir dans la détermina-tion soit des dépôts secs ou occultes, soit de la récrétion, si l'on veut avoir une meilleure estimation desapports en milieu forestier •