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APPROCHES DU SENS DU TEXTE LITTERAIRE. Le sens, traditionnellement, est conçu comme référence : aliquid pro aliquo, un signe renvoie à quelque chose, à un élément de la « réalité ». Pourtant, depuis Saussure, la référence est remise en question. Celui-ci affirmait, en effet, que le sens se définit comme différence à l’intérieur du système de la langue. La référence est sans pertinence. Le mot « arbre » n’est pas compris parce qu’il aurait un lien intrinsèque à la réalité qu’il désigne, il est identifié par son rapport différentiel aux autres mots du système de la langue. En tant que signifiant, le mot « arbre » se définit par sa différence avec des termes morphologiquement voisins comme « marbre », par exemple, et en tant que signifié, par son opposition à tous les autres contenus qui constituent la face intelligible des signes de la langue française. A la suite de Saussure, le structuralisme a remplacé la notion de sens par celle de structure : le sens c’est la structure du texte, une structure qui est inhérente au texte. En pratique, cela a donné lieu au développement d’écoles critiques, la poétique, la narratologie et lasémiotique, qui se sont efforcées de définir les textes littéraires selon les relations structurales qu’entretiennent leurs divers constituants. Il fallait néanmoins dépasser la simple analyse linguistique pour rendre compte de la spécificité de l’objet que constituait le texte littéraire. Ainsi fut énoncé le concept de littérarité. I. SENS ET LITTÉRARITÉ. Tout texte peut s’analyser selon trois paramètres : L’analyse syntaxique rend compte du texte par rapport à la langue. L’analyse pragmatique rend compte du texte en tant que discours. L’analyse sémantique rend compte du texte en tant que message. Cette trichotomie s’applique naturellement au texte littéraire, mais en définissant des niveaux d’analyse autonomes. Comme l’a fait remarqué Iouri Lotman, « la littérature parle un langage particulier qui se superpose à la langue naturelle comme système secondaire. C’est pourquoi on la définit comme un système modélisant secondaire » (52).

Approches Du Sens Du Texte Litteraire

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APPROCHES DU SENS DU TEXTE LITTERAIRE.

 

          Le sens, traditionnellement, est conçu comme référence : aliquid pro aliquo, un signe renvoie à quelque chose, à un élément de la « réalité ». Pourtant, depuis Saussure, la référence est remise en question.

          Celui-ci affirmait, en effet, que le sens se définit comme différence à l’intérieur du système de la langue. La référence est sans pertinence. Le mot « arbre » n’est pas compris parce qu’il aurait un lien intrinsèque à la réalité qu’il désigne, il est identifié par son rapport différentiel aux autres mots du système de la langue. En tant que signifiant, le mot « arbre » se définit par sa différence avec des termes morphologiquement voisins comme « marbre », par exemple, et en tant que signifié, par son opposition à tous les autres contenus qui constituent la face intelligible des signes de la langue française. 

A la suite de Saussure, le structuralisme a remplacé la notion de sens par celle de structure : le sens c’est la structure du texte, une structure qui est inhérente au texte. En pratique, cela a donné lieu au développement d’écoles critiques, la poétique, la narratologie et lasémiotique, qui se sont efforcées de définir les textes littéraires selon les relations structurales qu’entretiennent leurs divers constituants. Il fallait néanmoins dépasser la simple analyse linguistique pour rendre compte de la spécificité de l’objet que constituait le texte littéraire. Ainsi fut énoncé le concept de littérarité. 

I. SENS ET LITTÉRARITÉ. 

          Tout texte peut s’analyser selon trois paramètres :

         L’analyse syntaxique rend compte du texte par rapport à la langue.

         L’analyse pragmatique rend compte du texte en tant que discours.

         L’analyse sémantique rend compte du texte en tant que message.   

          Cette trichotomie s’applique naturellement au texte littéraire, mais en définissant des niveaux d’analyse autonomes. Comme l’a fait remarqué Iouri Lotman, « la littérature parle un langage particulier qui se superpose à la langue naturelle comme système secondaire. C’est pourquoi on la définit comme un système modélisant secondaire » (52).

          Quelle que soit, en effet, la façon dont on l’aborde, le texte littéraire se démarque du langage ordinaire. Il obéit à des critères esthétiques de forme et de contenu qui le caractérisent en tant que texte « littéraire » ; c’est ce que Todorov définit comme l’objet de la poétique : « cette propriété abstraite qui fait la singularité du fait littéraire, la littérarité » (Poétique, 20).

          La poétique, en tant que science du texte littéraire n’est bien sûr pas nouvelle. Elle fut inaugurée par Aristote. Il a fallu cependant attendre le début du XXe, avec les Formalistes russes, pour assister à une tentative de systématisation de ce qui fait la littérarité d’un texte. Ils ont jeté les bases des concepts repris par Todorov, Barthes et Genette :

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On appelle fable l’ensemble des événements liés entre eux qui nous sont communiqués au cours de l’œuvre. La fable pourrait être exposée d’une manière pragmatique, suivant l’ordre naturel, à savoir l’ordre chronologique et causal des événements, indépendamment de la manière dont ils sont disposés et introduits dans l’œuvre.La fable s’oppose au sujet qui est bien constitué par les mêmes événements, mais il respecte leur ordre d’apparition dans l’œuvre et la suite des informations qui nous les désignent.La notion de thème est une notion sommaire qui unit le matériel verbal de l’œuvre. L’œuvre entière peut avoir son thème et en même temps chaque partie de l’œuvre possède son thème. La décomposition de l’œuvre consiste à isoler les parties de l’œuvre caractérisées par une unité thématique spécifique […]A l’aide de cette décomposition de l’œuvre en unités thématiques, nous arrivons enfin jusqu’aux plus petites particules du matériau thématique. […] Le thème de cette partie indécomposable de l’œuvre s’appelle un motif. […]Les motifs combinés entre eux constituent le soutien thématique de l’œuvre. Dans cette perspective, la fable apparaît comme l’ensemble des motifs dans leur succession chronologique, et de cause à effet ; le sujet apparaît comme l’ensemble de ces mêmes motifs, mais selon la succession qu’ils respectent dans l’œuvre. […] Les motifs d’une œuvre sont hétérogènes. Un simple exposé de la fable nous révèle que certains motifs peuvent être omis sans pour autant détruire la succession de la narration, alors que d’autres ne peuvent l’être sans que soit altéré le lien de causalité qui unit les événements. Les motifs que l’on peut exclure sont appelés motifs associés ; ceux que l’on ne peut écarter sans déroger à la succession chronologique et causale des événements sont des motifs libres.   (Tomachevski, 270-2, souligné par nous).

          La différence entre fable et sujet correspond à la différence entre histoire et discours chez Todorov, diégèse et récit, chez Genette. Les deux catégories de motifs correspondent respectivement aux fonctions et aux indices, chez Barthes.          Mais ce qui est encore plus intéressant, du point de vue du sens, c’est que les Formalistes russes, en particulier ceux qui ont travaillé sur la poésie, comme Tynianov, ont cherché à comprendre comment les éléments significatifs d’un texte étaient mis en évidence. Ces procédés reposent sur des mécanismes intuitifs : la répétition, l’emphase. Trois procédés principaux ont ainsi été mis en lumière : l’itération, la dominante, la défamiliarisation (ostranenie). Appliqués à la prose, ces principes supposent qu’un auteur met en évidence les éléments significatifs de son texte grâce à des réseaux sémantiques, des axes thématiques, des figures marquantes. C’est ainsi, en effet, que se comprend la modélisation secondaire d’un texte : les éléments significatifs du message sont, en quelque sorte, mis en relief sur la trame textuelle, le sens du message n’est pas le sens du texte, mais résulte d’une sélection et d’une organisation de certains éléments pertinents dans le texte. Nous verrons plus loin comment le concept greimasien d’isotopie répond en partie à ce critère de sélection et d’organisation pertinentes. 

          Que veut donc dire l’affirmation que la littérarité se constitue comme un système modélisant secondaire par rapport au langage ? Les correspondances sont les suivantes :

         au niveau syntaxique, correspond l’analyse du récit, fondée sur la poétique,

         au niveau pragmatique, correspond l’analyse de la narration, fondée sur la narratologie,

         au niveau sémantique, correspond l’analyse du message, fondée sur la sémiotique.  

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          Compte tenu des recoupements et des différences de perspective entre les approches poétiques et narratologiques, je résumerai les apports de Todorov pour le niveau du récit, de Genette pour la narration et de Greimas pour le sens du message. 

            1. LE RÉCIT.

          Todorov propose de le découper en séquences.

            a) Le récit varie par rapport à l’histoire, dans l’organisation linéaire de la présentation des événements.

C’est en particulier le cas quand on est en présence de plusieurs intrigues:

Les histoires peuvent se lier de plusieurs façons. Le conte populaire et les recueils de nouvelles en connaissent déjà deux : l’enchaînement et l’enchâssement. L’enchaînement consiste simplement à juxtaposer différentes histoires : une fois la première achevée, on commence la seconde. […] L’enchâssement, c’est l’inclusion d’une histoire à l’intérieur d’une autre. […] Il existe toutefois un troisième type de combinaison, l’alternance. Il consiste à raconter les deux histoires simultanément, en interrompant tantôt l’une tantôt l’autre, pour la reprendre à l’interruption suivante (Littérature et signification, 72, souligné par nous).

            b) Le récit varie par rapport à l’histoire, dans l’organisation chronologique.

            --Ordre :« Le rapport le plus facile à observer est celui de l’ordre : celui du temps racontant (du discours) ne peut jamais être parfaitement parallèle à celui du temps raconté (de la fiction) : il y a nécessairement des interventions dans l’ « avant » et l’ « après ».[…] L’impossibilité de parallélisme aboutit donc à des anachronies, dont on distinguera évidemment deux espèces principales : les rétrospections, ou retour en arrière, et les prospections, ou anticipations » (Poétique, 53). Cela correspond, chez Genette, respectivement à l’analepse et à la prolepse.

        --Durée : « Au point de vue de la durée, on peut comparer le temps qu’est censé durer l’action représentée avec le temps dont on a besoin pour lire le discours qui l’évoque » (Poétique, 54):

     -Suspension du temps : pause

     -Omission d’une période : ellipse

     -Coïncidence : scène

     -Condensation : résumé 

        --Fréquence : « Trois possibilités théoriques sont offertes ici : un récit singulatif où un discours unique évoque un événement unique ; unrécit répétitif, où plusieurs discours évoquent un seul et même événement ; enfin un discours itératif, où un seul discours évoque une pluralité d’événements (semblables) » (Poétique, 55, souligné par nous).  

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            2. LA NARRATION.

          Il convient de rappeler ici que Genette n’envisage l’histoire et la narration que dans leurs rapports au récit qui fait l’objet de son étude : « Notre étude porte essentiellement sur le récit au sens le plus courant, c’est-à-dire le discours narratif, qui se trouve être en littérature, et particulièrement dans le cas qui nous intéresse, un texte narratif.[…] Je propose[…] de nommer histoire le signifié ou contenu narratif[…], récitproprement dit le signifiant, énoncé, discours, ou texte narratif lui-même, et narration l’acte narratif producteur et, par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place. » (Figures III, 72). On retiendra, pour ce qui nous concerne ici, l’apport de Genette dans la classification des différents types de voix narratives, de focalisations, et de transgressions.            

            a) La Voix.

« […] Tout événement raconté par un récit est à un niveau diégétique immédiatement supérieur à celui où se situe l’acte narratif producteur de ce récit. La rédaction par M. de Renoncourt de ses Mémoires fictifs est un acte (littéraire) accompli à un premier niveau, que l’on diraextradiégétique ; les événements racontés dans ces Mémoires (dont l’acte narratif de Des Grieux) sont dans ce premier récit, on les qualifiera donc de diégétiques, ou intradiégétiques ; les événements racontés dans le récit de Des Grieux, récit au second degré, seront ditmétadiégétiques. » (Figures III, 238, surligné par nous). Le qualificatif « extradiégétique » ayant suscité des confusions, Genette a insisté qu’il s’agissait du niveau où se situe l’acte narratif de la diégèse, dans son ensemble: un narrateur peut être dans une histoire, comme personnage, il sera néanmoins extradiégétique, en tant que narrateur, s’il est responsable du récit premier (le narrateur intradiégétique est responsable d’un récit secondaire à l’intérieur de l’histoire): « le nœud de la confusion est sans doute dans une mauvaise entente du préfixe extradiégétique, qu’il semble paradoxal d’attribuer à un narrateur qui est justement, comme Gil Blas, présent (comme personnage) dans l’histoire qu’il raconte (comme narrateur, bien sûr). Mais ce qui compte ici, c’est qu’il soit, comme narrateur, hors-diégèse, et c’est tout ce que signifie cet adjectif » (Nouveau discours du récit, 56).

          En effet, par rapport à l’histoire qu’il raconte, le narrateur, peut en être, ou non, un personnage. Cela définit des catégories différentes : « On distinguera […] deux types de récits : l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte […], l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte […]. Je nomme le premier type […] hétérodiégétique, et le second homodiégétique » (Figures III, 252, surligné par nous). «Si le narrateur est en même temps le héros de son récit, et non un personnage secondaire, il sera également qualifié d’autodiégétique» (Figures III, 253, surligné par nous). 

            b) La Focalisation.

          « […] la théorie des focalisations n’[est] qu’une généralisation de la notion classique de ‘point de vue’ » (Genette, Nouveau discours du récit, 55). Reprenant et précisant les anciennes notions de « narrateur omniscient », de point de vue subjectif ou objectif, Genette établit trois types de focalisation :

          --Focalisation zéro, ou récit non-focalisé : « le narrateur en sait plus que le personnage, ou plus précisément en dit plus que n’en saurait aucun des personnages » (Figures III, 206).

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          --Focalisation interne : « le narrateur ne dit que ce que sait tel personnage » (Figures III, 206). « Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de ‘champ’, c’est-à-dire en fait une sélection de l’information narrative […]. L’instrument de cette (éventuelle) sélection est un foyer situé, c’est-à-dire une sorte de goulot d’information, qui n’en laisse passer que ce qu’autorise sa situation […]. En focalisation interne, le foyer coïncide avec un personnage, qui devient alors le ‘sujet’ fictif de toutes les perceptions, y compris celles qui le concernent lui-même comme objet : le récit peut alors nous dire tout ce que le personnage perçoit et tout ce qu’il pense […]. » (Nouveau discours du récit, 49-50)

          --Focalisation externe : « le narrateur en dit moins que n’en sait un personnage » (Figures III, 206). « En focalisation externe, le foyer se trouve situé en un point de l’univers diégétique choisi par le narrateur, hors de tout personnage, excluant par là toute possibilité d’information sur les pensées de quiconque – d’où l’avantage pour le parti pris ‘behaviouriste’ de certains romanciers modernes » (Nouveau discours du récit, 50).  

            c) Les transgressions.

          Parfois le récit n’obéit pas aux « règles du jeu » de la narration. C’est le cas quand le narrateur en dit trop, ou pas assez, par rapport à son statut. Genette parle alors de paralepse et de paralipse : « les deux types d’altérations concevables consistent soit à donner moins d’information qu’il n’est en principe nécessaire, soit à en donner plus qu’il n’est en principe autorisé dans le code de focalisation qui régit l’ensemble. Le premier type porte un nom en rhétorique […] : il s’agit de l’omission latérale ou paralipse. Le second ne porte pas encore de nom ; nous le baptiseronsparalepse. (Figures III, 211).

          Il existe également un autre type de transgression de la narration par rapport aux niveaux diégétiques, que Genette définit ainsi : « Toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique […], ou inversement, […] produit un effet de bizarrerie soit bouffonne […] soit fantastique. Nous étendrons à toutes ces transgressions le terme de métalepse narrative » (Figures III, 244, surligné par nous). 

            d) Le contexte d’énonciation.

          Il convient également de prendre en considération le contexte de la communication, tel qu’il se manifeste dans le texte, avec une analyse du discours. Il n’est pas rare que le narrateur s’adresse à son interlocuteur virtuel, le narrataire. De même, par rapport à la fonction phatique de Jakobson (qui établit le contact entre le narrateur et le narrataire), il peut être utile de repérer les déictiques (cf. linguistique énonciative de Benveniste) ; et par rapport à la fonction conative (qui traduit l’influence du narrateur sur le narrataire), l’étude des modaux peut se révéler très importante. 

            3. LA DIÉGÈSE.

          Comme Genette l’a indiqué dans sa définition du récit, l’histoire, ou diégèse, peut être considérée comme le niveau du sens : « je propose […] de nommer histoire le signifié ou contenu narratif » (Figures III, 72). On peut dire, en effet, que la première question à se poser, pour comprendre le sens d’un texte, c’est « de quoi parle-t-il ? ». Il y a cependant une seconde question à  poser, toute aussi importante : « que veut-il dire?» Le contenu d’un texte littéraire, quelque soit sa

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nature, est toujours susceptible d’être converti en un message, au sens sémiotique du terme.

          Cet aspect du sens pose plusieurs problèmes:

         Comment définir le sens de l’histoire (sens diégétique)?

         Comment passe-t-on du sens diégétique au « message » ?

         Quelle différence fait-on, dans l’analyse du sens, entre compréhension et interprétation ?

          La première tâche de cette analyse du sens suppose qu’on identifie les éléments significatifs, porteurs de sens. Le texte ne peut évidement pas être étudié comme une somme de signifiés.          Diverses tentatives ont été faites pour aboutir à une définition de l’unité pertinente d’un texte littéraire : Barthes parle de lexies, qu’il classe en fonctions :« tout segment de l’histoire qui se présente comme le terme d’une corrélation » (Communications 8, 7) ou indices : « l’unité renvoie alors, non à un acte complémentaire et conséquent, mais à un concept plus ou moins diffus, nécessaire cependant au sens de l’histoire » (Communications 8, 8) ; Todorov parle de propositions et de séquences. La proposition est une unité d’action constituée d’un actant et d’un prédicat, les propositions s’enchaînent dans des séquences, qui décrivent des états ou des transformations (Poétique, 82).

          Dans cette perspective, les personnages et l’action se définissent en termes de logique événementielle. A la suite des travaux de Propp et de Brémond, Greimas a développé ce que l’on pourrait appeler une grammaire du récit. En voici les principes directeurs.

          Résumons, avec Barthes, comment le modèle greimasien décrit les personnages :

            A.J. Greimas a proposé de décrire et de classer les personnages du récit, non selon ce qu’ils sont, mais selon ce qu’ils font (d’où leur nom d’actants), pour autant qu’ils participent à trois grands axes sémantiques, que l’on retrouve d’ailleurs dans la phrase (sujet, objet, complément d’attribution, complément circonstanciel) et qui sont la communication, le désir (ou la quête) et l’épreuve ; comme cette participation s’ordonne par couples, le monde infini des personnages est lui aussi soumis à une structure paradigmatique (Sujet / Objet, Donateur / Donataire, Adjuvant / Opposant), projetée le long du récit ;  et comme l’actant définit une classe, il peut se remplir d’acteurs différents, mobilisés selon des règles de multiplication, de substitution ou de carence. (Communications 8, 17, surligné par nous). 

          L’histoire elle-même est analysée selon la logique du programme narratif :

            L’unité complexe pertinente est le programme narratif (séquence réglée et hiérarchisée de transformations et d’états autour d’une transformation principale). Tout P.N. comporte logiquement quatre phases : Manipulation – Compétence – Performance—Sanction. Chaque phase présuppose les autres. Si on reconnaît dans un texte une de ces phases, il faut tenter de retrouver les autres pour reconstituer l’ensemble du P.N. (Groupe D’Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, 20, ci-après : G.E). 

          Voici une définition plus précise de chacune de ces phases :

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          - « On appelle phase de manipulation la phase du récit où intervient le destinateur comme agent de persuasion » (G.E., 18).          - « On appellera compétence les conditions nécessaires à la réalisation de la performance pour autant qu’elles sont rapportées au sujet opérateur » (G.E., 17).          - « On appelle performance toute opération du faire qui réalise une transformation d’état. Cette opération réalisée présuppose un agent, c’est le sujet opérateur » (G.E., 16).          - « On appelle phase de sanction ou de reconnaissance cette phase du programme narratif, où intervient à nouveau le destinateur, mais comme agent d’interprétation » (G.E., 19). 

     Cette grammaire du texte fonctionne selon un modèle voisin de la linguistique chomskienne, en reconnaissant deux niveaux d’analyse : une structure superficielle et une structure profonde. La structure profonde, le niveau sémantique, correspond, chez Greimas, au carré sémiotique qui rend compte des axes thématiques générateurs du récit.          Cette approche a deux inconvénients majeurs : elle est stéréotypée car tous les récits s’inscrivent dans la même logique ; elle est également réductrice : le sens profond d’un texte est encapsulé dans un carré logique articulé sur trois axes : les relations de contradiction, d’assertion et de contrariété (pour plus de détails, voir l’article carré sémiotique dans : Greimas et Courtès, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage).          Greimas est néanmoins à l’origine d’un concept très utile pour l’analyse du sens : l’ isotopie ; mais il s’agit ici du sens dans notre seconde acception, celui qui répond à la question : qu’est-ce que l’histoire veut dire ? 

            II. L’HISTOIRE ET SON « MESSAGE ».

          Paradoxalement, le structuralisme a abouti à la conclusion que le texte littéraire n’avait pas de sens. Comprenons par là, d’une part, qu’ il n’a pas de sens univoque, selon la relation d’un signifiant à un signifié et d’autre part, qu’il ne veut rien dire, au sens d’une intention signifiante: c’est le texte qui parle, non l’auteur.           Roland Barthes et Jacques Derrida ont abondamment exploité ce pseudo-paradoxe qui suppose que l’on s’en tienne à une définition saussurienne du sens et lacanienne de l’intentionnalité.  Ainsi Barthes oppose dénotation (univoque) et connotation (plurielle): «les uns (disons: les philologues), décrétant que tout texte est univoque, détenteur d’un sens vrai, canonique, renvoient les sens simultanés, seconds, au néant des élucubrations critiques. En face, les autres (disons: les sémiologues) contestent la hiérarchie du dénoté et du connoté » (S/Z, 13).

          De la même façon, Derrida récuse la sémiologie au nom de la grammatologie :

          Pesant sur le modèle du signe, cette équivoque marque donc le projet ‘sémiologique’ lui-même, avec la totalité organique de tous ses concepts, en particulier celui de communication, qui en effet, implique la transmission chargée de faire passer, d’un sujet à l’autre, l’identité d’un objet signifié, d’un sens ou d’un concept en droit séparables du processus de passage et de l’opération signifiante (34) [...] Il s’agit de produire un nouveau concept d’écriture. On peut l’appeler gramme ou différance. Le jeu des différences suppose en effet des synthèses et des renvois qui interdisent qu’à aucun moment, en aucun sens, un élément simple soit présent en lui-même et ne renvoie qu’à lui-même. Que ce soit dans l’ordre du discours parlé ou du discours écrit, aucun élément ne peut fonctionner comme signe sans renvoyer à un autre élément qui lui-même n’est pas simplement présent. Cet enchaînement fait que chaque « élément »—phonème ou graphème—se constitue à partir de la trace en lui des autres éléments de la chaîne ou du système. Cet enchaînement, ce tissu, est le texte

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qui ne se produit que dans la transformation d’un autre texte. Rien, ni dans les éléments ni dans le système, n’est nulle part ni jamais simplement présent ou absent. Il n’y a, de part en part, que des différences et des traces de traces. Le gramme est alors le concept le plus général de la sémiologie—qui devient ainsi grammatologie—et il convient non seulement au champs de l’écriture au sens étroit et classique mais à celui de la linguistique. (37-8)

          Le modèle sémiologique auquel Barthes et Derrida font référence correspond à la conception étroite de la communication en théorie de l’information: le transfert de l’émetteur au récepteur d’un message au sens univoque, selon un code où chaque signe ne peut avoir qu’un sens fixe et prédéfini. Il ne s’agit naturellement pas de cela en littérature. On ne peut non plus affirmer que le texte ne « veut » rien dire, en le réduisant à un symptôme de l’inconscient de son auteur. Malgré tout l’intérêt que peut représenter la critique psychanalytique, elle n’épuise pas le champ de l’analyse

sémantique littéraire.  

            1. LE MESSAGE. 

          Le sens du message est, en quelque sorte, une traduction de l’histoire en contenus notionnels, ce qui fait apparaître une nouvelle difficulté: faut-il parler de compréhension ou d’interprétation? Dans quelle mesure le sens est-il autre chose qu’une réponse à un stimulus, élaborée selon les codes d’interprétation propres au lecteur? C’est ce qu’affirme un courant critique très populaire outre atlantique, le Reader’s Response. Pour Stanley Fish, “interpretation is not the art of construing but the art of constructing. Interpreters do not decode poems; they make them » (327).Certes, on ne peut éviter une surdétermination du sens, mais surdéterminer ne veut pas dire ignorer toute intention de communication de la part de l’auteur. Comme Saul Bellow l’a dit, non sans humour, « I have in mind another human being who will understand me. I count on this. Not on perfect understanding, which is Cartesian, but on approximate understanding, which is Jewish” (Harper, 186).

          Pour mieux comprendre le processus sémiotique à l’œuvre dans la communication littéraire, on peut faire appel au philosophe américain C.S. Peirce. Peirce définit le sens comme une sémiose qui fait intervenir trois composantes: le signe, ou representamen, ce pour quoi il est mis, sonobjet, et l’idée qu’il fait naître dans l’esprit de l’interlocuteur, l’interprétant: « A sign, or representamen, is something which stands to somebody for something in some respect or capacity. It addresses somebody, that is, creates in the mind of that person an equivalent sign, or perhaps a more developed sign. That sign which it creates I call the interpretant of the first sign. The sign stands for something, its object. It stands for that object, not in all respects, but in reference to a sort of idea, which I have sometimes called the ground of the representamen.”(99)          On a beaucoup glosé sur la notion d’interprétant. Umberto Eco la comprend comme le principe de la lecture « encyclopédique » d’un texte: tout signe renvoie à un autre signe et seul l’univers du discours limite le processus de renvoi infini de signe à signe dans l’interprétation. Tout signe est un texte en puissance: “a sememe is in itself an inchoative text whereas a text is an expanded sememe”. (18)

          Peirce, en fait, synthétise deux conceptions du sens qui avaient déjà été mises en évidence par Locke et Berkeley. L’ancienne définition du signe, aliquid pro aliquo, a été précisée dans le sens où aliquo ne renvoie pas qu’à l’objet dénoté, mais à une idée (Locke). Le rapport de dénotation du signe à l’idée qu’il évoque est complexe, il fait appel autant à la référence codifiée qu’à l’inférence contextuelle: « in certain

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cases a sign may suggest its correlate as an image, in others as an effect, in others as a cause. But where there is no such relation of similitude or causality, nor any necessary connexion whatsoever, two things, by their mere coexistence, or two ideas, merely by being perceived together, may suggest or signify one the other, their connexion being all the while arbitrary” (Berkeley, 241).

          On peut même dire, sur la base du texte fondateur de sa sémiotique, « On a New List of Categories » (1867), que Peirce avait perçu les trois modes possibles d’un processus de signification: la référence, rapport du signe à son objet, l’inférence, rapport du signe à son interprétant, mais aussi la différence, en des termes qui ne se sont guère éloignés de la conception saussurienne du signe. En effet, le ground de Peirce est la qualité prédicable d’un objet qui ne peut se définir que par opposition aux autres qualités prédicables de cet objet. Prenant l’exemple d’une proposition élémentaire comme “the stove is black”, Peirce explique :

            this blackness is a pure species or abstraction, and its application to this stove is entirely hypothetical. The same thing is meant by “the stove is black”,” as by “there is blackness in the stove”. [...] the conception of a pure abstraction is indispensable [sic], because we cannot comprehend an agreement of two things, except as an agreement in some respect, and this respect is such a pure abstraction as blackness. Such a pure abstraction, reference to which constitutes a quality or general attribute, may be termed a ground. [...] Empirical psychology has established the fact that we can know a quality only by means of its contrast with or similarity to another. By contrast and agreement a thing is referred to a correlate [...] (CP1.551).

          Le ground, comme le signifié, se découpe dans le continuum conceptuel de la représentation du monde. Selon Saussure, en effet, « si vous augmentez d’un signe la langue, vous diminuez d’autant la signification des autres. Réciproquement, si par impossible on avait choisi au début que deux signes, toutes les significations se seraient réparties sur ces deux signes » (Saussure, in Rey, 258). 

          Une approche sémiotique du sens du texte littéraire ne se réduit donc pas à une lecture univoque. Elle doit prévoir des procédures d’élucidation du sens, qui selon le principe de modélisation secondaire, applique au message les trois modes de la signifiance textuelle: la différence, qui se définit en langue, l’inférence, qui se définit en discours, et la référence, qui correspond au contenu notionnel du texte.

           Une telle approche suppose également que l’interprétation prolonge la compréhension. La compréhension établit des axes thématiques à partir du repérage des unités textuelles pertinentes, l’interprétation développe la thématique, grâce au renvoi potentiellement infini d’un interprétant à un autre.        

            2. L’ISOTOPIE.

          En partant de l’unité minimale du discours, le lexème, Greimas reconnaît qu’il se définit, non seulement de façon négative (« tête » par opposition à « thème », « terre », « thèse », etc.), mais aussi selon un contenu positif : son noyau sémique. Le lexème est un terme-objet qui se définit positivement comme une collection de sèmes (27) (« tête » a deux noyaux sémiques : la notion d’extrémité et celle de sphéroïdité, qui se manifestent selon un certain nombre de sèmes répertoriés lexicalement (« tête de ligne », « tête d’épingle » etc.) : « considérons ce contenu positif comme le noyau sémique et désignons-le par Ns, en supposant qu’il se présente comme un minimum sémique permanent, comme un invariant » (44).

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          Greimas reconnaît aussi que les lexèmes sont sujets à des « variations sémiques » selon le contexte discursif dans lequel ils sont employés. Néanmoins, ces variations contextuelles peuvent mettre en évidence un dénominateur commun. Imaginons ces différentes occurrences dans un discours : « fendre la tête », « se casser la tête », « la tête de mort » ; elles ont en commun la notion : partie osseuse de la tête. (45).  

          Ainsi, tel qu’il se manifeste dans le discours, le lexème, produit un « effet de sens », qui est doublement déterminé : par ses invariants, définis lexicalement, les noyaux sémiques, ou sèmes nucléaires ; par le contexte discursif, les sèmes contextuels, ou classèmes. Cet effet se sens, la combinaison d’un sème nucléaire et d’un classème, est appelé un sémème. 

          Greimas a aussi reconnu que les classèmes fonctionnent de façon isotope, c’est-à-dire que leur itérativité dans le discours permet de comprendre « comment les textes entiers se trouvent situés à des niveaux sémantiques homogènes » (53).  Voici comment J. Courtès résume ce concept d’isotopie :

            Comme le souligne A.J. Greimas (le premier à avoir introduit ce concept opératoire), l’isotopie permet la désambiguïsation d’un énoncé : alors que les figures nucléaires paraissent comme étrangères les unes aux autres et ont tendance […] à s’associer à d’autres figures apparentées, et donc à jouer dans l’ordre paradigmatique, les catégories classématiques constituant l’isotopie ont, au contraire, pour mission de refréner ce mouvement qui deviendrait vite anarchique, en imposant aux figures sémiques, dans leur distribution syntagmatique, une sorte de plan commun (= isotopie), quitte à ce que celles-ci mettent entre parenthèses, à ce moment-là, leur trop grande spécificité. L’homogénéité ainsi obtenue (par la suspension partielle des particularités et par la mise en place d’un dénominateur commun permanent) détermine un niveau de lecture, un plan isotope ; bien entendu, il va de soi qu’un texte donné peut au contraire exploiter l’ambiguïté comme telle en introduisant à dessein des isotopies différentes et parallèles (sans qu’elles soient nécessairement subsumées par une ordonnance hiérarchique sémantique) : tel sera souvent le cas du discours poétique qui est susceptible d’admettre une pluri-isotopie. (51) 

          Comme on le voit, l’isotopie s’oppose à la signifiance, telle que Barthes l’a définie : « lorsque le texte est lu (ou écrit) comme un jeu mobile de signifiants, sans référence possible à un ou à des signifiés fixes, il devient nécessaire de bien distinguer la signification, qui appartient au plan du produit, de l’énoncé, de la communication, et le travail signifiant, qui, lui, appartient au plan de la production, de l’énonciation, de la symbolisation : c’est ce travail qu’on appelle la signifiance » (« Théorie du texte », dans l’Encyclopédie Universalis).

          Il convient donc de bien distinguer le processus de symbolisation par connotation (dissémination) de celui qui fonctionne par isotopie(homogénéité). Cette différence n’est pas toujours évidente car la connotation et l’isotopie utilisent les mêmes procédés rhétoriques: deux lexèmes peuvent être textuellement apparentés par métaphore, métonymie, homonymie, homophonie, synonymie, une racine étymologique commune ou tout autre procédé rhétorique, y compris une association purement contextuelle. Mais alors que la connotation fait parler le texte, en établissant des rapports signifiants sur la base d’apparentements formels, l’isotopie repose sur le principe d’un codage du sens. Les éléments pertinents des réseaux isotopes sont mis en relief, soit par itération, soit par un positionnement stratégique dans le récit, soit par emphase narrative.

            3. LE NOÈME.

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          On doit ce concept de noème à des sémioticiens proches de Greimas, Bernard Pottier et François Rastier.  Le sens, tel qu’il se manifeste dans le discours, correspond, selon Greimas, à un sémème ; c’est-à-dire que le lexème, articulé sur le plan du contenu, renvoie à la fois, à un sens fixe, déterminé lexicalement et à un sens variable, déterminé contextuellement. Il convient cependant de compléter cette analyse par une troisième dimension—indispensable—du sens : le noème.

          En effet, comme Pottier et Rastier l’ont fait remarquer, on ne peut faire l’impasse sur la dimension conceptuelle du signe. La traduction d’une langue dans une autre serait impossible sans ce niveau conceptuel du sens, qui ne dépend pas de sa manifestation dans une langue donnée. C’est en quelque sorte le chaînon manquant entre le signifié, uniquement déterminé par la langue, et le « référent » classique, la réalité extra-linguistique. Voici comment ces deux auteurs définissent le noème :

          Chez Bernard Pottier : « un noème apparaît [donc] comme une relation abstraite universelle sous-tendant les opérations sémantiques générales des langues, et il est visualisable afin de se rapprocher le plus possible de l’intuition d’une représentation mentale partagée » (78). Le noème est un concept universel, une représentation relationnelle, abstraite de l’expérience, « dont les traces linguistiques prennent des formes très variées dans les LN [langues naturelles] » (71).

          Chez François Rastier : « il reste trace des concepts, dans la mesure où les noèmes en tiennent lieu : ils sont indépendants des langues, ce pourquoi on les nomme aussi unités conceptuelles, ou encore primitives » (« La Triade sémiotique », 20).  

          Dans le cadre de l’analyse littéraire du sens, cela signifie donc que le message est susceptible d’une analyse sémiotique qui mette en évidence des axes thématiques fondés sur le repérages d’unités textuelles pertinentes. Celles-ci (lexèmes ou lexies) produisent des effets de sens (sémèmes) qui correspondent à la double action d’un sens donné en langue (le sème nucléaire) et d’un sens acquis en discours (le classème). L’axe thématique est constitué du repérage des lexèmes isotopes (de par leurs correspondances sémiques nucléaires ou classématiques) qui renvoient un à contenu notionnel commun (le noème). 

           Différence, avec le repérage des unités significatives, inférence, avec le fonctionnement des associations discursives, référence, avec le contenu notionnel, l’isotopie se soumet bien à la tridimensionnalité du sens et démontre qu’une analyse sémiotique des textes littéraire est possible, sans réductionnisme à un pseudo sens univoque. Elle démontre également qu’un texte littéraire s’inscrit dans un processus de communication où le vouloir dire, la compréhension et l’interprétation ont chacun leur place. 

 

 

RÉFÉRENCES CRITIQUES: CITATIONS ESSENTIELLES

 

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La littérature parle un langage particulier qui se superpose à la langue naturelle comme système secondaire. C’est pourquoi on la définit comme un système modélisant secondaire […] Dire que la littérature possède son langage qui ne coïncide pas avec la langue naturelle, mais qui s’y superpose – c’est dire que la littérature possède un système qui lui est propre de signes et de règles pour leur combinaison, qui servent à transmettre des informations particulières, non transmissibles par d’autres moyens

(I.Lotman, La Structure du texte artistique, Paris : Gallimard, 1973, p.52.)

 

Texte littéraire :

1.     Récit = ordre de présentation de l’information / ordre de l’histoire

2.     Diégèse = histoire en tant que système de représentations3.     Narration = modalités de la communication de l’information

Notre étude porte essentiellement sur le récit au sens le plus courant, c’est-à-dire le discours narratif, qui se trouve être en littérature, et particulièrement dans le cas qui nous intéresse, un texte narratif […] Je propose […] de nommer histoire le signifié ou contenu narratif […], récitproprement dit le signifiant, énoncé, discours, ou texte narratif lui-même, et narration l’acte narratif producteur et, par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place.

(G. Genette, Figures III,  Parsi :Seuil,1972, p.72)

 

1 Le récit : ordre des histoires ; relation récit / histoire : ordre, durée, fréquence

Les histoires peuvent se lier de plusieurs façons. Le conte populaire et les recueils de nouvelles en connaissent déjà deux : l’enchaînement etl’enchâssement. L’enchaînement consiste simplement  à juxtaposer différentes histoires : une fois la première achevée, on commence la seconde. […] L’enchâssement, c’est

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l’inclusion d’une histoire à l’intérieur d’une autre. […] Il existe toutefois un troisième type de combinaison, l’alternance. Il consiste à raconter les deux histoires simultanément, en interrompant tantôt l’une tantôt l’autre, pour la reprendre à l’interruption suivante. 

(T. Todorov, Littérature et signification, Paris : Larousse, 1967, p. 72) 

An analepsis is a narration of a story-event at a point in the text after later vents have been told. The narration returns, as it were, to a past point in the story. Conversely, a prolepsis is a narration of a story-event at a point before earlier events have been mentioned. The narration, as it were, takes an excursion into the future of the story. 

(S. Rimmon-Kenan, Narrative Fiction, London: Methuen, 1983, p. 46) 

La suspension du temps, ou pause, se réalise lorsque au temps du discours ne correspond  aucun temps fictionnel: ce sera le cas de la description, des réflexions générales, etc. Le cas inverse est celui où aucune portion du temps discursif ne correspond au temps qui s’écoule dans la fiction : c’est évidemment l’omission de toute une période, ou ellipse. Nous connaissons déjà le troisième cas fondamental, celui d’une coïncidence parfaite entre les deux temps : elle ne peut se réaliser qu’à travers le style direct, insertion de la réalité fictive dans le discours, donnant lieu à une scène. Enfin […] le résumé […] condense des années entières en une phrase. 

(T. Todorov, Poétique, op. cit., pp. 54-55) 

La fréquence. Trois possibilités théoriques sont offertes ici : un récit singulatif où un discours unique évoque un évènement unique ; un récitrépétitif, où plusieurs discours évoquent un seul et même évènement ; enfin un discours itératif, où un seul discours évoque une pluralité d’évènements (semblables) 

(T. Todorov, ibid., p.55)

 

2. La diégèse : unités de contenu ; fonctions, indices ; actants, programme narratif ; isotopies

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La proposition […] comporte deux espèces de constituants, que l’on a convenu d’appeler respectivement actants et prédicats 

(T. Todorov, Poétique, Paris : Seuil, 1968, p. 79) 

Les propositions ne forment pas des chaînes infinies ; elles s’organisent en cycles que tout lecteur reconnaît intuitivement (on a l’impression d’un tout achevé) et que l’analyse n’a pas trop de mal à identifier. Cette unité supérieure est appelée séquence ; la limite de la séquence est marquée par une répétition incomplète (nous préférons dire : une transformation) de la proposition initiale. […] Un récit idéal commence par une situation stable qu’une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre ; par l’action d’une force dirigée en sens inverse, l’équilibre est rétabli ; le second équilibre est bien semblable au premier, mais les deux ne sont jamais identiques. Il y a par conséquent deux types d’épisodes dans un récit : ceux qui décrivent un état (d’équilibre ou de déséquilibre) et ceux qui décrivent le passage d’un état à un autre. 

(T. Todorov, ibid. p. 82) 

Depuis les Formalistes russes, on constitue en unité tout segment de l’histoire qui se présente comme le terme d’une corrélation. L’âme de toute fonction, c’est, si l’on peut dire, son germe, ce qui lui permet d’ensemencer le récit d’un élément qui mûrira plus tard, sur le même niveau, ou ailleurs, sur un autre niveau

(R. Barthes, Introduction à l’analyse structurale des récits, Communications, 8, pp.6-7) 

Indices: l’unité renvoie […] non à un acte complémentaire et conséquent, mais à un concept plus ou moins diffus, nécessaire cependant au sens de l’histoire: indices caractériels concernant les personnages, informations relatives à leur identité, notations d’”atmosphère”, etc.; la relation de l’unité et de son corrélat n’est plus alors distributionnelle (souvent plusieurs indices renvoient au même signifié et leur ordre d’apparition dans le discours n’est pas forcément pertinent), mais intégrative. 

(R. Barthes, ibid., pp. 8-9) 

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Programme narratif : séquence réglée et hiérarchisée de transformations et d’états autour d’une transformation principale. Tout P.N. comporte logiquement quatre phases : Manipulation – Compétence – Performance – Sanction. Chaque phase présuppose les autres. Si on reconnaît dans un texte une de ces phases, il faut tenter de retrouver les autres pour reconstituer l’ensemble du P.N.

On appelle phase de manipulation la phase du récit où intervient le destinateur comme agent de persuasion.

On appellera compétence les conditions nécessaires à la réalisation de la performance pour autant qu’elles sont rapportées au sujet opérateur.

On appelle performance toute opération du faire qui réalise une transformation d’état. Cette opération réalisée présuppose un agent, c’est le sujet opérateur.

On appelle phase de sanction ou de reconnaissance cette phase du programme narratif, où intervient à nouveau le destinateur, mais comme agent d’interprétation. 

(Groupe d’Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, Lyon : PU Lyon, 1979, pp. 18-20 

A.J. Greimas a proposé de décrire et de classer les personnages du récit, non selon ce qu’ils sont, mais selon ce qu’ils font (d’où leur nom d’actants), pour autant qu’ils participent à trois grands axes sémantiques, que l’on retrouve d’ailleurs dans la phrase (sujet, objet, complément d’attribution, complément circonstanciel) et qui sont la communication, le désir (ou la quête) et l’épreuve ; comme cette participation s’ordonne par couples, le monde infini des personnages est lui aussi soumis à une structure paradigmatique (Sujet / Objet, Donateur / Donataire, Adjuvant / Opposant), projetée le long du récit ; et comme l’actant définit une classe, il peut se remplir d’acteurs différents, mobilisés selon des règles de multiplication, de substitution ou de carence. 

(R. Barthes, op. cit., p.17) 

Selon la théorie de A. J Greimas, on distinguera deux sortes de sèmes : les sèmes nucléaires et les classèmes. Les sèmes nucléaires sont ceux qui rentrent dans la composition de ces unités syntaxiques que sont

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les lexèmes (éléments du niveau de la manifestation), tandis que les classèmes au contraire « se manifestent dans des unités syntaxiques plus larges comportant la jonction d’au moins deux lexèmes (GR 1966, 103) […]

Les sèmes contextuels ou classèmes, définissent, dans un texte donné, l’(ou les) isotopie(s) qui garanti(ssen)t son homogénéité : une séquence discursive quelconque sera dite isotope si elle possède un ou plusieurs classèmes récurrents ; […] le concept fondamental d’isotopiedoit ainsi s’entendre comme « un ensemble redondant de catégories sémantiques (= classématiques) qui rend possible la lecture uniforme du récit, telle qu’elle résulte des lectures partielles des énoncés et de la résolution de leurs ambiguïtés, qui est guidée par la recherche de la lecture unique » (GR 1970, 188). 

(J. Courtés, Introduction à la sémiotique narrative et discursive, Paris : Hachette, 1976, pp. 47,50)

 

3. La narration: statut du narrateur; niveaux de la narration ; transgressions des niveaux ; focalisation ; communication, modalisation.

The main difference between a personalized first-person narrator and an authorial third-person narrator lies in the fact that the former belongs to the represented reality, the fictional world in which the characters live ; the latter does not. 

(F.K. Stenzel, A Theory of Narrative, Cambridge: Canbridge UP, 1986, p. 90) 

Tout évènement raconté par un récit est à un niveau diégétique immédiatement supérieur à celui où se situe l’acte narratif producteur de ce récit. La rédaction par M. de Renoncourt de ses mémoires fictifs est un acte (littéraire) accompli à un premier niveau, que l’on diraextradiégétique ; les évènements racontés dans ces mémoires (dont l’acte narratif de des Grieux) sont dans ce premier récit, on les qualifiera donc de diégétiques, ou intradiégétiques ; les évènements racontés dans le récit de des Grieux, récit au second degré, seront ditsmétadiégétiques. 

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(G. Genette, Figures III, op. cit., p. 238) 

Les deux types d’altération concevables consistent soit à donner moins d’information qu’il n’est en principe nécessaire, soit à en donner plus qu’il n’est en principe autorisé dans le code de focalisation qui régit l’ensemble. Le premier type porte en nom en rhétorique […] : il s’agit de l’omission latérale ou paralipse. Le second ne porte pas encore de nom ; nous le baptiserons paralepse 

(G. Genette, ibid. p. 211) 

Toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique […], ou inversement, […] produit un effet de bizarrerie soit bouffonne […] soit fantastique. Nous étendrons à toutes ces transgressions le terme de métalepses narratives. 

(G. Genette, ibid., p. 244) 

On distinguera […] deux types de récits : l’un a narrateur absent de l’histoire qu’il raconte […], l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte […]. Je nomme le premier type […] hétérodiégétique, et le second homodiégétique. 

(G. Genette, ibid., p. 252) 

Récit non-focalisé ou à focalisation zéro : le narrateur en sait plus que le personnage, ou plus précisément en dit plus que n’en sait aucun des personnages

Focalisation interne : le narrateur ne dit que ce que sait tel personnage. (Selon qu’il y a un, deux, ou plusieurs personnages – narrateurs, la focalisation interne est fixe, variable ou multiple)

Focalisation externe : le narrateur en dit moins que n’en sait le personnage. 

(G. Genette, ibid. pp. 206-7) 

L’analyse de la relation narrateur – narrataire, ou communication narrative fait appel aux :

-       Fonctions de Jacobson :

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Même si la visée du référent, l’orientation vers le contexte – bref la fonction dite « dénotative », référentielle – est la tâche dominante de nombreux messages, la participation secondaire des autres fonctions à de tels messages doit être prise en considération […]. La fonction dite « expressive » ou émotive, centrée sur le destinateur, vise à une expression directe de l’attitude du sujet à l’égard de ce dont il parle.[…] L’orientation vers le destinataire, la fonction conative, trouve son expression grammaticale la plus pure dans le vocatif et l’impératif […]. Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit fonctionne […] Cette accentuation du contact – la fonction phatique, dans les termes de Malinowski – peut donner lieu à un échange profus de formules ritualisées […]. Chaque fois que le destinateur et / ou le destinataire jugent nécessaire de vérifier s’ils utilisent bien le même code, le discours est centré sur le code : il remplit une fonction métalinguistique (ou de glose).

(R. Jakobson, Essais de Linguistique générale, Paris : Minuit, 1963, pp. 214-18) 

-       Marqueurs  et modalisations du discours : déictiques et modaux de  Benveniste.

L’énonciation est la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation […] Toute énonciation est, explicite ou implicite, une allocution, elle postule un allocutaire. […]L’acte individuel d’appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole […]. La présence du locuteur à son énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de référence interne. Cette situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation. […] c’est d’abord l’émergence des indices de personnes (le rapport je – tu). […]. De même nature et se rapportant à la même structure d’énonciation sont les indices nombreux de l’ostension (type ce, ici, etc.) termes qui impliquent un geste désignant l’objet en même temps qu’est prononcée l’instance du terme. […] Une troisième série de termes afférents à l’énonciation est constituée par le paradigme entier […] des formes temporelles, qui se déterminent par rapport à l’EGO, centre de l’énonciation. […]

Dès lors que l’énonciateur se sert de la langue pour influencer en quelque manière le comportement de l’allocutaire, il dispose à cette fin

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d’un appareil de fonctions. C’est d’abord l’interrogation, qui est une énonciation construite pour susciter une « réponse » […] On y attribuera pareillement les termes ou formes que nous appelons d’intimation : ordres, appels conçus dans des catégories comme l’impératif, le vocatif […] Moins évidente, peut-être, mais tout aussi certaine est l’appartenance de l’assertion à ce même répertoire. […] l’assertion vise à communiquer une certitude, elle est la manifestation la plus commune de la présence du locuteur dans l’énonciation. […] Plus largement encore, quoique d’une manière moins catégorisable, se rangent ici toutes sortes de modalités formelles, les unes appartenant aux verbes comme les « modes » (optatif, subjonctif) énonçant des attitudes de l’énonciateur à l’égard de ce qu’il énonce (attente, souhait, appréhension), les autres à la phraséologie (« peut-être », « sans doute », probablement ») et indiquant incertitude, possibilité, indécision, etc., ou, délibérément, refus d’assertion.