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Grégoire Bignier P r i m é a u G r a n d P ri x d u li v r e d a r c h it e c t u r e 2 0 1 3 d e l a v ill e d e B ri e y 2 e é d i t i o n r e v u e e t a u g m e n t é e

ARCHITECTURE & ECOLOGIE - eyrolles.com · Théorique, la première partie repose sur le cours d’écologie de l’auteur à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles

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La crise écologique à laquelle nous sommes désormais sensibilisés — et contre laquelle la lutte s’organise progressivement à différents échelons de la société et du pouvoir — remet à l’ordre du jour la grande question de l’harmonie entre l’homme et la nature.Positions théoriques des uns ou action immédiate des autres convergent vers un questionnement commun auquel les architectes sont eux aussi appelés à répondre : dans quels champs évolue la pensée écologique ? Sur quelles valeurs repose la conception environnementale ? L’approche écologique en crée-t-elle de nouvelles ? Quel regard l’architecte peut-il porter sur la biodiversité ?En vue d’y répondre, ce petit livre contient différents outils tels que l’analyse du cycle de vie d’un bâtiment, la redéfi nition — fondée sur la notion d’échanges — des liens unissant architecture et aménagement du territoire, ou encore le com-portement biodynamique d’un territoire urbain. En s’appuyant sur l’écologie au sens scientifi que du terme, l’auteur propose, comme on le verra, un paramètre nouveau pour la conception architecturale et urbaine.Théorique, la première partie repose sur le cours d’écologie de l’auteur à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles tandis que la seconde partie décrit trois projets d’ouvrages d’art créés par B+M Architecture, agence dont l’au-teur est l’associé fondateur. Conçus à des échelles très différentes, ces projets sont les produits directs de l’enseignement de la première partie.

Grégoire Bignier est architecte, métier qu’il exerce en France comme à l’étranger, notam-ment en Inde et en Extrême-Orient. Titulaire d’un mastère en ingénierie de l’École natio-nale des ponts et chaussées, il enseigne par ailleurs l’écologie appliquée à l’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles (Ensa-V) ainsi qu’à l’Essec, dans le cadre du mastère spécialisé Management urbain et immobilier.

Couverture : Christophe Picaud

Grégoire Bignier

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rix du liv

re d’architecture 2013 de la ville de Briey

2e édition revue e

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Illustration de couverture : projet de pont sur la Liffey River (Irlande), détail © B+M Architecture

2e édition revue et augmentée

Grégoire Bignier

9782212142792_COUV_BAT.indd 19782212142792_COUV_BAT.indd 1 19/09/2015 12:31:5819/09/2015 12:31:58

Code éditeur : G14279ISBN : 978-2-212-14279-2

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La crise écologique à laquelle nous sommes désormais sensibilisés — et contre laquelle la lutte s’organise progressivement à différents échelons de la société et du pouvoir — remet à l’ordre du jour la grande question de l’harmonie entre l’homme et la nature.Positions théoriques des uns ou action immédiate des autres convergent vers un questionnement commun auquel les architectes sont eux aussi appelés à répondre : dans quels champs évolue la pensée écologique ? Sur quelles valeurs repose la conception environnementale ? L’approche écologique en crée-t-elle de nouvelles ? Quel regard l’architecte peut-il porter sur la biodiversité ?En vue d’y répondre, ce petit livre contient différents outils tels que l’analyse du cycle de vie d’un bâtiment, la redéfi nition — fondée sur la notion d’échanges — des liens unissant architecture et aménagement du territoire, ou encore le com-portement biodynamique d’un territoire urbain. En s’appuyant sur l’écologie au sens scientifi que du terme, l’auteur propose, comme on le verra, un paramètre nouveau pour la conception architecturale et urbaine.Théorique, la première partie repose sur le cours d’écologie de l’auteur à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles tandis que la seconde partie décrit trois projets d’ouvrages d’art créés par B+M Architecture, agence dont l’au-teur est l’associé fondateur. Conçus à des échelles très différentes, ces projets sont les produits directs de l’enseignement de la première partie.

Grégoire Bignier est architecte, métier qu’il exerce en France comme à l’étranger, notam-ment en Inde et en Extrême-Orient. Titulaire d’un mastère en ingénierie de l’École natio-nale des ponts et chaussées, il enseigne par ailleurs l’écologie appliquée à l’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles (Ensa-V) ainsi qu’à l’Essec, dans le cadre du mastère spécialisé Management urbain et immobilier.

Couverture : Christophe Picaud

Grégoire Bignier

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re d’architecture 2013 de la ville de Briey

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Illustration de couverture : projet de pont sur la Liffey River (Irlande), détail © B+M Architecture

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AArrcchh ii tt eecc tt uurree && ééccoo ll oogg iiee

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Conception graphique : Page B / Alain Bonaventure.

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle dela présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation,numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitueune contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Françaisd’exploitation du droit de Copie (CFC) – 20, rue des Grands-Augustins – 75006 PARIS

© Groupe Eyrolles, 2015ISBN 978-2-212-14279-2

ÉDITIONS EYROLLES61, bd Saint-Germain75240 Paris Cedex 05www.editions-eyrolles.com

Chez le même éditeur, en coédition avec Construir’Acier dans la collection « Les essentiels acier »Marc Landowski & Bertrand Lemoine, Concevoir et construire en acier, 112 pages (en couleurs), 2011Collectif Construir’Acier, Lexique de la construction métallique, 272 pages, 2012et des centaines de livres d’architecture, de construction et de génie civil dans le catalogue en ligne www.editions-eyrolles.com

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AArrcchh ii tteecc ttuurree && ééccoo lloogg ii ee

Comment partager le monde habité?2e édition, 2015

Grégoire Bignier

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Avertissement

Cet ouvrage se présente en deux parties :

- une première partie théorique, essentiellement bâtie à partir du cours d’écologie de l’auteur à l’École nationalesupérieure d’architecture de Paris-Versailles, objet du livre 1 ;

- une deuxième partie constituée par la présentation de projets d’ouvrages d’art créés par l’agence B+M Architecture,agence dont l’auteur est un des associés. Ces projets, conçus à des échelles très différentes, sont les produits directs de l’enseignement de la première partie.

L’objectif de l’auteur est de lier théorie et pratiques, questions et réponses soulevées par la prise en compte par l’architecte desexigences écologiques. Il aimerait contribuer à libérer les énergiescréatrices provoquées par la juxtaposition intime de ces deuxdisciplines.

Le lecteur jugera si cet objectif théorique est atteint et si les projets qui sont issus de cette approche contribuent à créer un nouveau langage architectural, que notre millénaire attend.

À Armelle et à Aurèle

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SSoommmmaa ii rree

Livre 1 9

Préface de Marc Bénard 10

Avant-propos 14

Introduction 18

Éthiques 22

Valeurs 34

Cycles 44

Flux 56

Énergies 70

Biodynamisme 86

Métabolisme 100

Matrices 114

Gouvernance 128

Prospective 146

Conclusion 158

Bibliographie 162

Remerciements 169

Livre 2 171

Préambule 173

Projets de ponts et passerelles : Gruissan,Maisons-Laffitte, canal du Lamentin(Martinique), Cherbourg, Le Havre 174

Infrastructures de la matriceProjet du viaduc aérien de la ligne B du métro de Rennes 186

Low Global Cost BridgeProjet de pont sur la Liffey River (Irlande) 198

Partager le monde

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LLii vvrree 11

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ÉÉtthh ii qquueess« L’homme passe l’homme. »Pascal1

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Livre 1

Dans l’Europe du XIIe siècle, le succès dela règle monastique de saint Benoît esttel que le besoin en infrastructures ca-

pables de recevoir de plus en plus de moines etde fidèles a amené la mutation de l’architectureromane, d’une trop faible capacité d’accueil, enune architecture gothique capable de recevoirdes milliers de pèlerins. C’est dire qu’une pen-sée et un mode de vie afférent sont à l’originede la mutation d’une architecture.De la même manière, les impératifs écolo-

giques du XXIe siècle conduiront peut-être à latransformation du modèle industriel généra-teur d’une croissance de l’entropie de la bio-sphère en un modèle qui s’invente aujourd’hui.C’est ce changement de pensée, dont nousvoulons montrer qu’il pourrait être à l’origined’un changement d’architecture, sans doute ra-dical, qui est décrit ici.Il est utile de s’interroger, à propos du rôle de

ce changement de regard, sur la constitutiond’une nouvelle approche conceptuelle. Oùchercher le nouveau paradigme qui présidera à

la construction d’un nouveau type d’organisa-tion? Pouvons-nous tirer des leçons du passé ?Nous inspirer des exemples offerts par la na-ture ? Comment faire d’un bâtiment une partied’un tout ? Comment parvenir à concevoir unélément d’infrastructure « immanent », en in-terconnexion avec son environnement ?Les projets émergeant de ce ou ces nouveaux

modèles dépendent évidemment de la penséede l’architecte, et on s’aperçoit maintenant,avec les premières leçons de la mondialisation,que cette pensée est largement tributaire ducadre culturel dans lequel elle évolue et que dif-férents modèles coexistent. Pour ne donnerqu’un exemple de cette géolocalisation des cultu res qui évoluent dans un cadre éthiquedonné, là encore, les travaux de Philippe Descola nous sont fort utiles. La classificationqu’il a proposée, sur la base des liens entremonde animal et monde humain (voir, pourplus de détails, le chapitre «Biodynamisme»),permet de comprendre intuitivement que, si lesproblèmes écologiques peuvent être intercon-nectés au niveau de la planète, les approches ar-chitecturales visant à leur apporter une réponsesont largement différenciées. Et la différence

1 - Blaise Pascal, Pensées, liasse VII,«Contrariétés», 1670.

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Éthiques

entre ces approches vient elle-même davantagede la variété de leurs cadres éthiques qued’éventuelles différences d’emploi de solutionsarchitecturales ou techniques.Le domaine de l’écologie étant très vaste, il

n’est donc pas anormal que les nombreuxchamps disciplinaires s’orientent, de par la na-ture même du cadre de leur pensée, vers desapproches très différentes. Ces grandes orien-tations révèlent un fond « idéologique » sous-jacent et des méthodes qui leur sont propres,reposant sur des conceptions différentes del’écosphère. Il nous semble que les difficultésactuelles soulevées par la donne écologiqueviennent en grande partie de ce que l’on passeconstamment d’un système éthique à l’autre.Par exemple, on pose souvent la question dela sécurité liée à l’utilisation de l’énergie nu-cléaire ; or la question est posée dans le champscientifique (statistiques des accidents, règlesde causalité accidentelle…), mais la réponseest souvent située dans le champ économique(rentabilité de cette énergie, lourdeur des in-vestissements consentis, etc.). Dans ces condi-tions, le dialogue n’est pas possible. C’estpourquoi un effort de clarification entre cessystèmes nous semble un préalable à toute ten-tative de solution.Nous avons identifié trois champs éthiques

différents qui encadrent généralement lesformes de pensée qui s’y rattachent. Ils sont lo-giquement fondés sur les piliers des disciplinesutilisées pour les définir. Soit :- un champ scientifique qui pense principale-ment la biosphère et les solutions à son évolu-tion en interface avec le développement hu-main selon une approche systémique ;- un champ économique qui considère la bio-sphère en termes d’échanges selon des organi-sations descriptibles et quantifiables ;- un champ philosophique et théologiquequi questionne en permanence la place del’homme au sein d’un système, à la fois tangible et spirituel.

Analysons successivement ces trois champs.

Les champs scientifiques

Le succès du livre Effondrement de Jared Diamond2 est symptomatique de l’intérêtporté aux leçons du passé. S’intéresser à l’his-toire permet de tirer profit des échecs et desréussites de ceux qui nous ont précédés. Alorsqu’aujourd’hui, on utilise souvent des techno-logies dont on ne maîtrise pas encore les consé-quences, le recours au passé permet un retourd’expérience, une limitation des risques et laconstruction d’hypothèses plus fiables.Notre regard se porte ainsi naturellement

vers la nature, source inépuisable d’exemples.Elle offre aux hommes des sources d’inspira-tion précieuses tant au niveau de la forme (fi-gures géométriques régulières), de la structure,des matériaux (résistance d’un brin d’herbe oudes toiles d’araignée, etc.) que des comporte-ments.Ainsi, l’intérêt porté à la Nature permet de

tirer des leçons des stratégies durables qu’elle amises en place. Elle est à même de nous four-nir des exemples pour repenser nos sociétéscontemporaines. La Nature élabore des micro-solutions riches d’enseignements. Dans sonlivre La Quatrième Feuille, Philippe Jamet3 dé-crit des herbacées de la savane qui ont réponduà la pauvreté du milieu en se recyclant elles-mêmes. La graminée Hyparrhenia diplandra or-ganise le recyclage de ses racines mortes en mi-néralisant ses propres nutriments (azote,carbone). Ainsi pourrait se penser le cycle devie de l’anthropocène.On peut également s’inspirer de la Nature à

une échelle plus vaste : Pascal Gontier met en

2 - Jared Diamond, Effondrement.Comment les sociétés décident de leurdisparition ou de leur survie,Gallimard, 2006.3 - Philippe Jamet, La QuatrièmeFeuille. Trois études naturelles sur ledéveloppement, Presses de l’Écoledes mines, 2004.

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Livre 1

avant la notion de symbiose pour définir unnouveau type de ville. Les bâtiments qui com-posent une « symbio-cité » ne sont pas conçuscomme des bâtiments passifs, autonomes, vé-ritables «bouteilles Thermos» ; ce sont les élé-ments constitutifs d’un écosystème urbain,échangeant entre eux ressources et déchets. Pascal Gontier4 définit d’ailleurs le cadre decette approche mimétique : «L’écologie indus-trielle ne vise pas nécessairement à imiter litté-ralement le fonctionnement des écosystèmesnaturels, avec leurs producteurs (les plantes),leurs consommateurs (les animaux) et leurs dé-composeurs (les bactéries et micro-orga-nismes), mais à s’en inspirer afin de minimiserles ressources et à valoriser les déchets dans undispositif de flux circulaire. »Cependant, la mise en réseau des éléments

qui constituent nos sociétés ne doit pas se limi-ter aux constructions humaines. Comme nousl’avons vu précédemment, nous faisons partie dela Nature et tout objet que nous créons dans lemonde devrait être pensé en continuité, enconnexion, avec son environnement.Dans sa trilogie intitulée Sphères, Peter

Sloterdijk5 résume clairement les idées que l’onremet aujourd’hui en cause. Cet ouvrage ana-lyse les conditions grâce auxquelles l’Hommepeut rendre son monde habitable, il dresse unemorphologie générale de l’espèce humaine.Ainsi, pour rendre intelligible le concept de so-ciété humaine, Sloterdijk emploie l’image del’écume; cette écume est composée d’une mul-titude de sphères (ou foyers). Une sphère est

une solidarisation, c’est-à-dire la création d’unespace intérieur (comme un couple ou une fa-mille). Ces cellules individualisées sont lesatomes qui forment l’écume sociale.L’aspiration anthropotechnique est un des

éléments à l’origine de la création d’une sphère.Cette notion permet de différencier l’hommede l’animal. En effet, l’homme utilise des outilsqui mettent à distance le monde. C’est ainsiqu’il se constitue un lieu propre, une sphèreontologique qui lui est réservée : la clairière(alors que l’animal évolue, lui, dans un envi-ronnement). Aujourd’hui, on ne peut plusconcevoir l’être humain comme un individudont le territoire (les sphères, la clairière) se su-perpose à la Nature. Cette vision du mondesous la forme d’un palimpseste évolue progres-sivement vers la pensée d’un espace partagé partous. Nous ne sommes plus des individus iso-lables, mais une véritable communauté. Parallèlement, avec le phénomène de la

mondialisation, on assiste à la clôture de la pla-nète sur elle-même. Raphaël Bessis6 parled’«écho-système» : l’échoïsation produit l’équi-valent d’un enchaînement de dominos. Toutest lié, soumis à l’effet papillon. Dans cesconditions, l’affrontement devient dangereux :dans un monde clos, une situation d’opposi-tion engendre la destruction de tous les prota-gonistes. Nous sommes donc amenés à penserla coexistence, le partage équitable des res-sources. Nous ne pouvons plus ignorer la Na-ture, sa biodiversité, sa fragilité, sous peine denous détruire nous-mêmes. L’homme doit sepenser dans son « immanence» vis-à-vis de sonmilieu.Au cours d’entretiens en juillet 2007, Francis

Hallé7 et Raphaël Bessis ont évoqué des straté-gies différentes d’existence dans les règnes ani-mal et végétal.F. Hallé : « Si l’on se place sur le plan de

l’évolution biologique, celle de Darwin, alorsl’évolution de la plante et celle de l’animal sonttrès différentes. Évoluer pour les animaux, c’est

4 - Pascal Gontier, «Symbiocité»,art. cit., p. 2.5 - Peter Sloterdijk, Sphères, vol. 1 : Bulles, microsphérologie,Pauvert, 2002; vol. 2 : Globes, macrosphérologie et vol. 3 : Écumes, sphérologie plurielle,Maren Sell, 2010 et 2005.6 - Raphaël Bessis, anthropologue français.7 - Francis Hallé, botaniste français.

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Éthiques

se dégager de mieux en mieux des contraintesdu milieu, et en ce sens, l’homme est bien placéau sommet de la pyramide, parce que pournous, à la limite, on ne sait même plus ce qu’estle milieu. Évoluer pour une plante, c’est seconformer de mieux en mieux aux contraintesdu milieu, cela consiste donc non pas à s’échap-per, mais au contraire à se dissoudre dedans, àdisparaître d’une certaine manière. C’est enquoi la plante m’est apparue immanente, alorsque l’animal serait transcendant. »R. Bessis : « Je pense que notre société ac-

tuelle développe un devenir de type végétal,mais elle n’en a pas véritablement le choix. Toutce qu’elle fait, soi-disant à “l’autre’’ (au milieu,à la nature, au monde) par volonté carnassière,c’est en fait à elle-même qu’elle le fait. Si bienque le meurtre de l’autre se retourne en suicide,et la pulsion d’agression en pulsion de mort.Le devenir végétal appelle, au contraire, à neplus vivre une opposition, mais à déployer uneimmanence. »Il apparaît au fil de ce développement que

le moindre des gestes humains doit être réflé-chi, pensé de manière à mesurer exactementson empreinte dans le temps, l’espace et sur levivant. Cependant, il apparaît tout aussi clai-rement que notre connaissance du monde vi-vant évolue vers de plus en plus de complexité,rendant toujours plus difficile pour les acteursdu développement la tâche d’en prendre la mesure.La complexité du fonctionnement biolo-

gique du monde a été mise en évidence par lestravaux d’Ilya Prigogine8, qui a opposé au dé-terminisme du monde de la physique classiqueun modèle non linéaire du développement bio-logique. C’est-à-dire qu’au caractère prédictifdu modèle de Laplace, il substitue un processusdont le déroulement comporte des «points debifurcation». Si on veut donner une image decette opposition entre les deux modèles, onpeut se figurer l’interaction gravitationnelleentre deux planètes (on peut dévoiler passé et

futur en connaissant l’état du système à l’ins-tant présent) et, parallèlement, considérer lemême jeu entre trois planètes : il est impossi-ble de décrire l’évolution autrement que parune approche probabiliste. Ainsi, il semble dif-ficile aujourd’hui de ne décrire la complexitédu monde vivant qu’au moyen d’une approcheexclusivement déterministe.Or, les architectes qui n’ont eu jusqu’à pré-

sent à utiliser du monde de la physique que lagravité dans un modèle simple et déterministe,se trouvent confrontés à la réalité d’un milieuvivant, donc, si l’on en croit Prigogine, à untout autre modèle. Ce dernier peut être décritcomme un modèle fondé sur l’auto-organisa-tion. Si le développement vivant obéit à desfluctuations, passe par des points singuliers ettrouve, à chaque changement de phase, ses pro-pres lois de comportement, les objets qui seprésentent à lui en interface (l’architecture)doivent pouvoir s’adapter à des réalités biendifférentes, dont la principale pourrait être unbrutal changement du contexte dans lequel ilsse trouvent.Il est à noter d’ailleurs que si ce changement

de paradigme n’a pas encore été pris en compteréellement comme une donnée fondamentalede l’architecture écologique, il a cependant, entant que modèle, été la source d’inspiration denouvelles approches structurelles, dites non li-néaires9, dont l’exemple le plus frappant est lapiscine de Pékin pour les Jeux olympiques de2008. Pour les architectes en général, les avan-cées scientifiques sont d’abord des sourcesd’inspiration avant d’être des déterminantsconceptuels.

Mais le savoir scientifique n’est pas le seul àannoncer un changement radical des condi-tions dans lesquelles évoluerait l’architecture.

8 - Ilya Prigogine, avec IsabelleStengers, La Nouvelle Alliance,Gallimard, 1986.9 - À ce sujet, voir le chapitre«Métabolismes».

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Livre 1

La littérature, quand elle s’empare des ques-tions actuelles du monde, est révélatrice dechangements qui peuvent interpeller les archi-tectes ou leur servir de sources d’inspiration.C’est le cas de Michel Houellebecq10, qui dansses romans Les Particules élémentaires et surtoutLa Possibilité d’une île s’interroge sur les consé-quences des progrès de la médecine sur l’avenirde l’homme. La Possibilité d’une île, par exem-ple, décrit l’évolution d’un homme nomméDaniel qui, successivement cloné, devient unautre être, Daniel X. Cet homme trouve, dansle clonage, la réponse à un monde en mutationconstante. Il n’est ni vraiment un homme, ausens où nous l’entendons usuellement (une sin-gularité unique), ni vraiment son projet, ausens où il aurait été conçu comme tel (le mythede Frankenstein), mais un process, qui évolue-rait en même temps que son milieu (un projetdont le sujet et l’objet se confondent).Ainsi, si le modèle de Prigogine, l’auto-

organisation, décrit mieux que la physique dé-terministe ou plus utilement pour les archi-tectes de l’écologie leur cadre conceptuel, et sila littérature en décrit des anticipations, l’ar-chitecture devrait pouvoir apporter ses propresréponses.Nous verrons, dans le chapitre «Cycles »,

qu’une des données principales de l’architec-ture écologique est la prise en compte de ladurée de vie des bâtiments. Cette durée de vie,si elle va au-delà de possibles changements ra-dicaux de conditions vitales, implique une ré-flexion sur la flexibilité des bâtiments écolo-giques caractérisés par l’incertitude qui pèse sur

leurs conditions de vie au sein d’un milieuchangeant. De cette façon, une des stratégies que l’ar-

chitecture écologique pourrait adopter face àcet univers malléable et incertain serait d’acterque l’anthroposphère peut muter au gré deschangements du milieu. Cette capacité de mu-tation a déjà été mise en œuvre, non pas envertu de considérations écologiques mais pourdes raisons de service. Par exemple, la concep-tion de la station spatiale internationale (ISS)s’est fondée sur des objectifs de possible inter-changeabilité de ses éléments constitutifs. Samodularité est une performance qui lui permetde muter, soit au rythme des progrès technolo-giques de ses composants de base, soit au gréde leur vétusté. Cette performance est de sur-croît permanente, dans la mesure où elle est at-teinte en phase de fonctionnement sans inter-ruption de service.Ainsi, cette stratégie de mutation de l’ISS, si

elle n’obéit pas à des impératifs écologiques, estune réponse à des conditions d’exploitation quivarient durant la période de fonctionnement.On constate que cette capacité a été d’embléerecherchée (du fait également de l’éloignementde la station de son centre de maintenance) etest issue d’une approche technologique de laquestion11.Dès lors, l’exemple de la mutation, en tant

que réponse architecturale, est-elle une stratégieécologique possible? Si la réponse à cette ques-tion dépend probablement des programmes etdes lieux dans lesquels ils s’inscrivent, l’exemplede l’ISS montre que la conception architectu-rale pourrait viser à définir un process plutôtqu’un projet figé pour une durée de vie habi-tuellement indéterminée.Ainsi, l’approche scientifique des questions

écologiques engendre des solutions qui, si elless’appliquaient strictement à l’architecture, sou-lèveraient des questions fondamentales quantaux principes conceptuels servant aujourd’huide paradigme aux architectes. Et donc relève-

10 - Michel Houellebecq, LaPossibilité d’une île, Fayard, 2005.11 - On pourrait même sedemander incidemment si l’ISSpeut être considérée comme«belle». Certainement pour sesconcepteurs, en tant que modèlescientifique élaboré pour répondreà des enjeux du même champ.

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Éthiques

raient de l’éthique, dans la mesure où le pointde vue strictement anthropocentrique se révé-lerait inopérationnel.

Les champs économiques

Là encore, nous allons nous appuyer, dansnotre entreprise de tri des approches concrète-ment utiles pour l’architecte, sur des travaux si-gnificatifs d’une nouvelle approche de la biosphère. En l’occurrence, ceux d’AlainGrandjean, Jean-Marc Jancovici12 et NicholasGeorgescu-Roegen.Dans leur ouvrage C’est maintenant ! publié

en 2009, Alain Grandjean et Jean-Marc Janco-vici ont exposé très clairement le découplageentre monnaie et valeur écologique. Sans douteen référence au livre Effondrement de Jared Diamond, ils ont situé leur démonstrationdans le cadre d’une île, fonctionnant originel-lement sur les bases d’une économie de troc.Ils en brossent les configurations financièressuccessives, depuis l’économie de troc jusqu’àune situation analogue à notre système écono-mique actuel.À l’origine, les ressources naturelles ont cha-

cune une valeur identifiée : énergétique avec lebois de chauffe, constructive avec le bois deconstruction, nutritive avec le poisson, esthé-tique avec, par exemple, des coquillages raresou remarquables, etc. Ces ressources sontéchangées selon le système du troc. Il y a doncun lien direct et visible entre les ressources,transformées ou non, et leur valeur, variablesuivant l’état de ces ressources. Mais, constatant qu’il est plus facile de trans-

porter un coquillage qu’un tronc d’arbre pourles évaluer, la monnaie est créée : elle affiche,selon la loi de l’offre et de la demande, une va-leur équivalente pour chaque bien au moyendes coquillages. Pour s’assurer que les habitantsne se fourniront pas en coquillages sans les in-dexer sur un bien, le pouvoir en interdira la ré-colte. De plus, puisque ces biens ont une va-

leur intrinsèque très différente, des coquillagessans valeur esthétique particulière seront em-ployés, car ils sont plus nombreux que les co-quillages rares. Pour en garantir la valeur, lepouvoir politique y apposera son sceau. Onconstate alors qu’il y a un premier découplageentre valeur écologique réelle et valeur moné-taire, surtout si le pouvoir politique ne l’adossepas à un stock réel.Puis, pour donner aux producteurs les

moyens de se développer ou de se garantircontre une catastrophe naturelle, le prêt ban-caire et l’assurance sont inventés. Ces contratsacquièrent eux-mêmes une valeur monétairegrâce à la loi de l’offre et de la demande quipousse à la négociation ou à la spéculation(promesse d’un gain monétaire). Le marchéboursier est né et sera complexifié par des pro-duits multiples formés de différents contrats,dont les plus sûrs seront mis « en haut du pa-nier » pour être plus attractifs, les fameux pro-duits dérivés. Ils acquièrent une valeur en soi,puisque adossés à la confiance que les habitantsde l’île accordent à la stabilité du système poli-tico-économique. À ce stade, le découplageentre valeur réelle et valeur fictive est complet.Mais, parallèlement, les habitants de l’île

constatent, grâce à leur meilleure connaissancedes ressources réellement à leur disposition (fi-nitude de leur île comme celle de notre bio-sphère), que ces ressources ne sont pas forcé-ment suffisantes pour satisfaire leur croissancedémographique. Dès lors, ils s’interrogent surla garantie que ce système économique leuroffre. Même si ce système a permis plus de flui-dité dans les transactions, notamment avec lesîles avoisinantes (la mondialisation), les res-sources réelles reprennent une valeur essen-tielle, qui n’aurait jamais dû être occultée par lecaractère virtuel du marché financier.

12 - Alain Grandjean et Jean-MarcJancovici, C’est maintenant ! Seuil,2009.

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Cet aperçu économique, même très simpli-fié, permet de montrer que les architectes del’écologie peuvent garantir une valeur à leur bâ-timent en travaillant sur des concepts qui intè-grent les fondamentaux économiques réels,c’est-à-dire couplés à une valeur écologique. Parexemple, en calculant le bilan carbone de leurbâtiment, au moyen des indicateurs environ-nementaux, pour en évaluer le coût écologique.Nous verrons qu’ils peuvent même créer de lavaleur en proposant des bâtiments producteursde ressources, notamment énergétiques.Un économiste et mathématicien roumain,

Nicholas Georgescu-Roegen, a théorisé dansles années soixante ce constat. Nous pouvonsen retracer ici les grandes lignes.Construire et faire fonctionner des bâti-

ments nécessite des ressources en matière eténergie puisées dans la lithosphère naturelle.Or, celles-ci ne sont pas inépuisables. Un despostulats du développement durable est deconsidérer une juste répartition de celles-cientre toutes les générations présentes et à venir.Si les réserves en hydrocarbures sont épuisableset partiellement épuisées à ce jour, nécessitantla recherche d’autres ressources énergétiques àl’avenir, et si on met momentanément de côtéles ressources renouvelables ou inépuisables(végétaux, énergie solaire, etc.), les autres res-sources, notamment les métaux et les roches,sont à gérer en fonction d’un capital puisé dansla lithosphère.Or, dans son ouvrage La Décroissance,

Nicholas Georgescu-Roegen13 a bien montréque la gestion de ces ressources n’obéissait pasaux règles usuellement utilisées par une ap-proche strictement économique : «Un pointimportant – apparemment ignoré des écono-mistes – est que le recyclage ne peut être inté-gral. Nous pouvons ramasser toutes les perles

tombées par terre et reconstituer un colliercassé, mais aucun processus ne peut effective-ment réassembler toutes les molécules d’unepièce de monnaie usée. »Pour bien faire comprendre les enjeux envi-

ronnementaux du développement, NicholasGeorgescu-Roegen se sert de la notion d’en-tropie comme grandeur fondamentale de me-sure de l’épuisement des ressources. Ici, l’en-tropie mesure le degré de désordre d’unsystème au niveau macroscopique. Plus l’en-tropie du système est élevée, moins ses élémentssont ordonnés, liés entre eux, capables de pro-duire des effets mécaniques, et plus grande estla part de l’énergie inutilisée ou utilisée defaçon incohérente.Cela revient à dire qu’utiliser des ressources

non renouvelables en tant qu’énergie ou ma-tière dispersée, c’est prendre le risque que lesgénérations à venir ne puissent plus les utiliseren tant que matière à un coût soutenable. L’en-tropie de la biosphère en serait trop élevée.«Plus d’avions militaires aujourd’hui, c’estmoins de socs de charrue pour demain. »La mesure de cette grandeur permet de

mettre en évidence quelques considérationsimportantes comme:- l’irréversibilité d’un état ou l’impossibilité derevenir à un état antérieur, notion qui peut êtreprise en compte au titre du principe de pré-caution ;- l’impasse du recyclage intégral des ressourcesminières, qui, avec le recul statistique, ressortde la prévention ;- la singularité des ressources en matière/éner-gie autre qu’inépuisable ou renouvelable.Pour illustrer son propos, examinons deux

exemples très différents de développement : lesvilles de Luang Prabang au Laos et de Paris enFrance.À Luang Prabang, il n’y a pas de feux rouges,

pas de stops, pas de couloirs de bus ou de vélos.Pas de klaxons, pas de problèmes de stationne-ment, pas d’embouteillages. La circulation y est

13 - Nicholas Georgescu-Roegen,op. cit., p. 70.

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dense, mais aussi fluide que le trafic fluvial surle Mékong qui longe la ville. On y croise plusde bonzes que de policiers, et la ville respire lasérénité, qualité que semblent apprécier ses ha-bitants autant que de nombreux touristes. Pourtout dire, un «paradis » comme il est difficiled’en imaginer un pour nous, les Occidentaux.À Paris, après des travaux d’aménagement qui

visaient à sectoriser les espaces de circulation(couloirs de bus et de vélos séparés de la chaus-sée automobile), la municipalité a mis à la dis-position des habitants le système de cycles Vélib’comme complément des transports en communet alternative aux transports privés. Cependant,les Parisiens ont pu constater que ces mesuresont été faites au prix d’incivilités croissantes :vélos qui brûlent les feux rouges, fourgonnettesde livraison stationnées sur les couloirs de bus,piétons traversant la chaussée au mépris detoutes les règles de prudence, conduite dange-reuse des voitures et des camions, dégradationsvolontaires de l’équipement public…, tout celaindique une organisation de plus en plus com-plexe dont les règles sont de plus en plus diffi-cilement acceptées.Est-ce à dire qu’une mesure louable (amé-

nagement de voies de service ou joliment ap-pelées douces), sans gouvernance urbaine adap-tée et sans appropriation par les usagers,préfigure l’échec d’une politique de dévelop-pement durable ? L’organisation de Luang Prabang, ville préindustrielle à faible densité,procède d’une volonté politique délibérée desautorités en place (contrairement à ses voisinsvietnamiens et chinois, qui recherchent unecroissance à deux chiffres). Paris, ville postin-dustrielle à très forte densité, continue deconcevoir son système de déplacement sur unvieux modèle mis en œuvre dans les annéessoixante, modèle fondé sur la sectorisation desvoies de déplacement (couloirs de bus et cycles,voies sur berge dévolues au trafic automobileou aux loisirs, autoroutes urbaines comme lepériphérique, etc.).

Malgré les différences de densité entre lesexemples laotien et français, les modèles sont-ils comparables ou transposables ? Existe-t-il unautre modèle de développement pour une villecomme Paris ? Par exemple, la décroissance, ousimplement le refus d’une croissance de la den-sité présentée comme une sempiternelle solu-tion à tous les maux, pourrait-elle être un mo-dèle possible de développement ?«Décroissance », le mot est lâché, provo-

quant généralement des réactions épider-miques : retour aux cavernes, élucubrations dequelques énergumènes, etc. (réactions déjà sus-citées par les écologistes dans les annéessoixante). La décroissance est un modèle de dé-veloppement fondé sur la gestion de l’entropiede notre biosphère, alors que le développementdurable est un modèle fondé sur la gestion au-torisée des ressources non renouvelables (mo-dèle acceptant d’emblée la croissance écono-mique). Un modèle fondé sur la décroissancen’est pas un modèle régressif d’antidéveloppe-ment : il permet une croissance à partir de res-sources renouvelables, mais empêche la crois-sance des biens élaborés à partir de ressourcesnon renouvelables. C’est, de ce fait, un autremodèle de développement.Appliquée à l’urbanisme, la décroissance s’y

matérialise par des offres de quantités non ba-sées sur l’extrapolation de chiffres en croissanceconstante comme, par exemple, le surdimen-sionnement des voies de circulation fondé surdes estimations de trafic à telle échéance. Certaines propositions vont jusqu’à limiter lesdéplacements dans la ville aux transports encommun et à ceux dévolus au strict fonction-nement de la ville (livraisons, enlèvement desdéchets, maintenance de l’équipement public).Loin d’être une utopie, la décroissance est déjàune hypothèse de travail. Florian Hertweck14

14 - Florian Hertweck,«Infraville», Actes du colloqueENSAPM, 2010.

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en a déjà exposé la réalité pour certaines régionsallemandes qui, face à la décroissance démo-graphique, entreprennent de réfléchir à un modèle de redéploiement urbain qui accom-pagnerait cette décroissance. Refus de flag-ships,gestion des réseaux et de leur démantèlement,aménagement en « archipel » de la ville de Berlin (îlots urbains denses au sein d’un terri-toire re-naturalisé), etc.Il cite d’ailleurs une anecdote significative à

propos de la gestion des réseaux de distributiond’eau de ces régions en décroissance. Alors queles pouvoirs publics avaient auparavant incité leshabitants à économiser l’eau potable grâce à descampagnes de sensibilisation écologique et deséquipements limitant sa consommation (chassesà débit variable, par exemple), ces derniers sontinvités à présent à consommer davantage d’eaupour assainir le réseau. Preuve s’il en est du lienentre gestion écologique et gouvernance.

Ainsi, Jim Harrison15, romancier américain,écrivait en 1975 dans son roman Farmer, à pro-pos de certaines aires urbaines américaines :«Villes balancées sur cette terre d’une certainehauteur et qui s’étalent comme de la bouse devache dans l’herbe. Flop, flop, flop. Sans ordre,acéphales. Une huile répandue sur des eauxcalmes ; abords de la ville avec motels, parkings,drive-in d’où l’on emporte ses hamburgers, sta-tions d’essence aux néons de trente mètres dehaut, pour être certain qu’on les voit de l’auto-route, et des milliers de petites entreprises auxactivités indéfinissables abritées dans des bâti-ments de brique ou de béton en rez-de-chaussée où l’on poursuit de sombres desseins.Vente de biens immobiliers et vente de vent.Installations sanitaires. Aux Mille Lampes.Chez Brad, Steak’n’Egg Stop. Mais nous savonstout ça et il n’y a pas moyen de recommencerà zéro. »

Si Nicholas Georgescu-Roegen a raison, ilfaut faire mentir Jim Harrison et, profitant, sil’on peut dire, des impératifs environnemen-taux qui s’imposent à nous et du débat sur ledéveloppement, ne pas écarter d’un revers demanche l’hypothèse qui serait celle de « recom-mencer à zéro».

Les champs philosophiqueset théologiques

L’amplification actuelle du débat autour du dé-veloppement durable est significative. En effet,cette préoccupation grandissante vis-à-vis denotre milieu de vie trahit un véritable change-ment de point de vue, la présence d’un ques-tionnement, d’une remise en cause fondamen-tale d’un modèle en crise.Cette récente prise de conscience de l’impact

des êtres humains sur leur territoire est révéla-trice de l’évolution du regard que nous portonssur notre environnement. Ce changement, loind’être le premier du genre, s’inscrit dans uneperspective historique au cours de laquelle lerapport de l’Homme à la Nature s’est successi-vement modifié au gré de l’évolution de la pen-sée et des civilisations.Durant l’Antiquité, les Grecs définissaient la

Nature comme l’ensemble des choses sur les-quelles l’action humaine n’a pas de prise (les ar-bres poussent, le soleil se lève, la pluietombe…). Platon voit le cosmos comme unensemble beau et ordonné, source de rationa-lité et témoin d’une sagesse. La Nature incarneun modèle éthique pour l’Homme. Cette conception éthique évolue avec la

montée en puissance des religions mono-théistes – judaïsme, christianisme, islam –, quiconsidèrent la Nature comme une œuvre parlaquelle la divinité est révélée, mais dont l’en-seignement éthique est incarné par un trans-metteur humain : le Prophète ou le Sauveur. Ceparadigme culmine avec le christianisme oùéthique et Nature sont nommément dissociées

15 - Jim Harrison, Farmer, 1975(trad. fr. Nord Michigan, RobertLaffont, 1984).

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en deux entités distinctes : Jésus (incarnationde l’éthique) et l’œuvre de Dieu (la Nature, laCréation, signes de la toute-puissance divine).À la fin du XVIIe siècle, la Nature est « éthi-

quement neutralisée » : Newton découvre leslois de la gravité et démontre ainsi que le rap-port entre les astres n’est pas régi par la perfec-tion, mais par un rapport de forces. L’Hommeest le seul à avoir une conscience du Bien et duMal ; la Nature n’a pas de finalité, elle n’est plusspirituelle mais matérielle, nous seuls pouvonslui donner un sens. Cette pensée atteint sonpoint culminant avec l’ouvrage de JacquesMonod, Le Hasard et la Nécessité16.Dès lors, la Nature n’est plus considérée

comme étant immuable ; elle devient «perfec-tible ». Par la technique, l’Homme est à mêmede la transformer en un monde meilleur. Cebouleversement de la perception de l’ordre na-turel signe l’avènement d’une ère nouvelle :celle de l’interventionnisme par lequell’Homme s’immisce dans la structure même deson milieu. Son instrumentalisation, son in-dustrialisation sont dès lors possibles, avec tousles excès que l’on connaît.Mais il est progressivement apparu que,

pour atteindre ces objectifs, l’espèce humaines’est retrouvée, du fait de son hégémonie, faceà une responsabilité vis-à-vis des autres es-pèces vivantes. La protection de la Nature envue d’un développement durable impliqueune prise en compte plus globale des intérêtscommuns. Notre approche ne peut plus se ré-duire au seul point de vue de l’Homme, maisdoit découler d’une vision holistique quiprenne en compte les multiples intérêts co-existants (ceux des êtres humains et de la bio-sphère dans son ensemble). Or si, parmi l’en-semble du corps vivant, chaque espèce disposede ses propres armes, de sa propre organisa-tion pour assurer sa survie (par exemple, lamobilité pour les mammifères ou la socialisa-tion chez certains insectes comme les fourmisou les termites), il en est une, indéniablement,

qui permet à l’Homme de s’imposer ou de réparer : la logique.Il n’est donc pas étonnant que la première

réponse ordonnée que les architectes françaisaient donnée aux enjeux écologiques ait étébâtie sur cette capacité de logique. Issue d’unedémarche «qualité» empruntée aux industriels,ils ont utilisé à partir de 1996 une méthode,dite HQE® (Haute Qualité Environnemen-tale), qui décrit les objectifs d’une approche en-vironnementale en quatre volets : écoconstruc-tion, écogestion, confort et santé. Poursatisfaire les objectifs (appelés « cibles ») de cesvolets, la démarche est rationnelle et peut êtredécrite comme suit.Le projet soulève des enjeux de toute nature

qu’il faut préalablement identifier et hiérarchi-ser. Cet «ordre» sera réputé capable d’éviter descontresens et permettra de définir des objectifsà atteindre en termes de performances. Dèslors, ces performances, relevant d’un engage-ment liant concepteur et maître d’ouvrage, se-ront obtenues par des moyens à mettre enœuvre, permettant d’atteindre une plus faibleempreinte écologique.Si c’est bien la logique, comme réponse à

une question écologique, qui permet le dérou-lement de cette méthode, on voit au travers deson énoncé qu’elle s’inscrit dans le cadre d’uneapproche fondamentalement anthropocentréeet qu’elle maintient l’approche architecturaledans un modèle ancien restrictif.Ainsi que nous l’explique Philippe Descola,

dans son article «À qui appartient la Nature ? »,les motivations qui animent aujourd’huil’Homme dans son rapport à l’élément naturelsont très souvent anthropocentrées : il instru-mentalise la Nature à des fins proprement hu-maines. Par exemple, la création des parcs na-tionaux aux États-Unis participe plus de la

16 - Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité, Seuil, coll. Points,1973.

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construction de l’imaginaire et de l’identité na-tionale que de l’action purement environne-mentaliste. On imprime à la Nature une valeurculturelle, symbolique, voire mystique. Demême, les raisons de la protection d’espèces« spectaculaires » telles que l’ours blanc ou ledauphin, relèvent d’une projection humainepurement affective (ordre de sentiments que laplupart des individus auraient peine à éprouverface à la disparition d’une espèce de néma-todes). Enfin, il arrive à certains de défendre laNature par crainte des effets néfastes que pour-rait avoir un trop grand bouleversement desécosystèmes sur leur sphère de confort (cimatpar exemple).Descola a ainsi établi une corrélation directe

entre, d’une part, la nature des liens qui lient legenre humain avec le monde animal et, d’autrepart, les grands groupes de croyances (natura-lisme, animisme, totémisme et analogisme).D’après lui, ce sont ces rapports qui définissentle cadre de pensée écologique dans lequel lescultures évoluent. Mais cette approche struc-turaliste ne prend que peu en compte les exi-gences du développement humain, à tout lemoins les interrogations qu’il soulève.Ainsi, on peut se poser la question du but

ultime, du sens à donner au développement.Penser la protection de l’environnement revientaujourd’hui à définir le positionnement del’Homme vis-à-vis de ce dernier. Le protège-t-il pour lui-même? Cette attitude est-elle absolument désintéressée ? Quelles raisons invoque-t-il ? Que révèlent-elles de son rapportà la Nature ?Ces interrogations ont été relevées par l’en-

cyclique papale Populorum Progressio de Paul VI

et rappelées par celle de Benoît XVI, Caritas inVeritate17. «Définir le développement commeune vocation, c’est reconnaître, d’un côté, qu’ilnaît d’un appel transcendant et, de l’autre, qu’ilest incapable de se donner par lui-même sonsens propre ultime18. »À l’image de la démocratie, dont il ne faut

attendre que ce qu’elle peut donner, le modèledu développement durable ne peut se référerqu’à sa stricte définition (préserver les res-sources naturelles des générations futures). Ilserait illusoire de lui associer ontologiquementune destinée pour le genre humain. Mais enparallèle, l’analyse des autorités théologiquesdes grandes religions concernant le développe-ment humain tente de lui donner un sens quilui soit extérieur, c’est-à-dire transcendant.On voit que se dessine une opposition entre

transcendance des religions monothéistes etimmanence des approches matérialistes. Mais àl’opposition pourrait se substituer la conjugai-son. Dans la sphère chrétienne, celui qui estallé le plus loin dans une pensée qui unissecongénitalement l’homme à la biosphère, c’estPierre Teilhard de Chardin. Même si sa penséea été considérée comme hétérodoxe par les au-torités ecclésiastiques de l’époque, elle procèded’un même projet de penser le développementconjoint de l’homme et de la biosphère en tantque destinée humaine.Pour le résumer, Teilhard figure ce projet par

ce qu’il a appelé la noosphère, laquelle possèdedeux dimensions : l’une est concentrique auglobe, constituée par l’ensemble des réseauxd’infrastructures qui font fonctionner le sys-tème homme/biosphère, l’autre est radiale etoriente la destinée de ce système vers un hori-zon cosmique représenté par Dieu.Il est intéressant de constater que certains

phénomènes actuels comme l’apparition du ré-seau Internet et le concept d’économie circu-laire renvoient au caractère concentrique de lafigure de Teilhard de Chardin, les encycliquesà son caractère radial. Les thèses de cet auteur

17 - Benoît XVI, Encyclique,Caritas in Veritate, Libreria EditriceVaticana, 2009.18 - Paul VI, Encyclique,Populorum Progressio, LibreriaEditrice Vaticana, 1967.

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Éthiques

se voient ainsi gratifiées d’un regain d’intérêt,comme en témoignent de récents travaux19.Notons également que l’approche scientifiques’inscrit parfois dans un cadre de pensée quifrise la théologie ; citons à cet égard PhilippeJamet : «La survie de chacun est dans l’alliancede tous, […] et dans la construction d’un par-tage […]. Ainsi, dans une crise sans retour, lasolidarité est-elle ce qui fait la différence entrel’extinction et la pérennité. »

Pour conclure, rappelons qu’on peut identi-fier trois champs encadrant les questions liantécologie et architecture : scientifique, écono-mique et, enfin, philosophique et théologique.Ces champs permettent de faire émerger desprojets dominants qui s’imposent, selon les dis-ciplines, comme modèles ou comme morales.Mais ces modèles s’excluent-ils ? Peuvent-ils secombiner pour définir un paradigme généralqui s’imposerait comme modèle pour la pé-riode à venir ? L’avenir le dira, mais retenonsque, d’une part, l’architecte doit être conscientdu champ éthique dans lequel il évolue et que,d’autre part, à cette condition, la combinaisonet l’hybridation entre ces modèles restent pos-sibles pour élaborer une réponse architecturale.On peut parfaitement confronter deux sys-

tèmes de pensée pour bâtir une approche pros-pective : par exemple, allier l’approche écono-mique de Georgescu-Roegen20 à celle issue dela pensée théologique de Teilhard de Chardin.Ainsi, une approche en termes de déchets et dedémantèlement, ce que les Anglo-Saxons ap-pellent “cradle to cradle” et les chrétiens “ashesto ashes”, doit s’accompagner d’une approcheen termes de ressources pour s’inscrire dans lecadre d’une économie circulaire, tenantcompte des limites de la biosphère (le contrairedu vieux modèle “end-of-pipe” décrit par SurenErkman).Mais, pour échapper à la finitude de la bio-

sphère, inéluctable si on la réduit à notre sys-tème planétaire, on est en droit de penser que

tant les mystères actuels du cosmos (sa topolo-gie, son origine, son sens) que la connaissanceque nous en avons aujourd’hui (essentielle-ment, la rupture d’échelle entre l’Homme etl’Univers21) peuvent simultanément renvoyer àl’adage de Protagoras, selon lequel l’Hommeest la mesure de toute chose. Dès lors, la desti-née comme la survie de l’Homme ne réside-raient-elles pas dans l’expansion de la biosphèreau-delà de ses limites actuelles, tel un principeactif vital ensemençant l’Univers parl’Homme? Les deux entités, habituellementpensées séparément, y trouveraient un sensconjoint.L’existence et le sens de l’Univers seraient

donc nécessairement liés à l’existence de la vie.Son mystère serait consubstantiel à son exis-tence, donnant un sens à celle de l’Homme etassurant ainsi sa survie par l’accomplissementd’un destin hégémonique22. �

19 - Gustave Martelet s.j., Et si Teilhard disait vrai…, Parole et silence, 2006.20 - Nicholas Georgescu-Roegen,op. cit.21 - De l’ordre de 1026, en l’étatactuel de nos connaissances.22 - Conférence GC’2011 del’Association française de géniecivil, Grégoire Bignier.

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Projets de pontset passerelles :Gruissan,Maisons-Laffitte,canal duLamentin(Martinique),Cherbourg,Le HavreInfrastructures de la matrice

Puisque nous avons émis l’hypothèse, dansles chapitres précédents, qu’une approcheécologique nécessitait de localiser les pro-cessus de conception en fonction du type delieu dans lequel ils s’inséraient, il nous resteà présenter des exemples de cette démarche,ici au cœur des matrices urbaines.

Rappelons notre définition d’une matrice :c’est le produit d’une géophysique alliée à unemorphologie urbaine au service d’une voca-tion écologique, de manière à créer une plus-value servant de potentiel d’échange entre la

géophysique et la morphologie urbaine. Ainsi,les projets sont bâtis pour créer ou renforcer lavaleur de cette matrice. C’est elle qui crée lavaleur écologique et – nous en sommesconvaincu – la valeur tout court.

Dès lors, si chaque matrice est évidementparticulière, la démarche architecturale estcommune : il faut d’abord identifier et connaître les paramètres géographiques dusite, à l’échelle adéquate (quand bien mêmecette géographie aurait déjà un caractère an-thropomorphique), puis s’inscrire dans unemorphologie urbaine dont les qualités auront

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Projets de ponts et passerelles

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été reconnues et enfin tendre le processus versla création d’une valeur qui aille au-delà de lasimple fonctionnalité de l’ouvrage.

C’est pourquoi nous présentons ici plusieursprojets dont la multiplicité montre les aspectssinguliers. Bien sûr, les lieux ont été choisis pourleur contraste en même temps que leur simili-tude de manière à mettre en évidence l’exem-plarité de chaque proposition, mais égalementleur cousinage. Ainsi, plusieurs lieux sont la-custres, mais à des échelles différentes, leurfonctionnalité (franchissement) est la même,mais dans des lieux très variés (ports, faisceauferroviaire, etc.). Logiquement, leur écriture ar-

chitecturale est très différente, mais cet éclec-tisme stylistique ne se rapporte pas, on l’auracompris, au souhait de la variété, mais à une dé-marche découlant des convictions que nousavons démontrées précédemment.

Cette entreprise de clarification, appelée denos vœux dans le chapitre «Éthiques », abou-tit à identifier des enjeux très différents : dura-bilité, biodiversité, santé, énergies, usages, etc.,qui sont les réalités décrites au chapitre «Pros-pective ». Nous voulons montrer que leurconvergence contribue à former une réponseécologique au défi actuel du développementurbain de la planète.

Une passerelle piétonne pour le port de Gruissan

Le site du projet de la nouvelle passerelle setrouve au-dessus d’un canal du port de Gruis-san dans l’Aude. Jusqu’au lancement du projet,il existait une passerelle en lamellé-collé avecun tablier métallique datant de 1977, permet-tant le passage d’une rive à l’autre pour uneportée d’environ 35 mètres.

Or, le canal se trouve très exactement dansl’axe de la tramontane et la passerelle, ayant desflancs pleins formant garde-corps, a subi régu-lièrement les coups de boutoirs d’un vent quipeut être puissant. Ainsi, au fil des ans, elle s’estprogressivement fissurée par fatigue. Des ren-forts métalliques ont été fixés pour tenter depréserver la cohésion de l’ensemble au cours deréhabilitations successives, mais sans succès.

Nous avons donc conçu un projet sur labase d’une analyse de cycles de vie : assurer ladurabilité de la future passerelle est quasimentl’enjeu unique du projet. La simplicité de laquestion permet d’en faire ressortir la valeurd’exemple : permettre le passage de piétonsd’un quai à l’autre, mais sous une contraintegéophysique majeure, le vent. Ainsi, pour lut-ter contre les ravages causés par la tramontane,son aérodynamisme devient un vecteur essen-

tiel de la conception technique et architectu-rale du projet.

De même, cette rapide analyse de cycles devie nous apprend que :- la phase de ressources est d’autant plus légèreque le poids des matériaux employés dans laconception de la passerelle est minime : les im-pératifs écologiques de cette phase imposentdonc une recherche poussée sur l’économie demoyens à réaliser ;- le démantèlement de la passerelle actuelle doitêtre pris en compte dans le bilan écologique duprojet, car la démarche écologique s’appuie surl’analyse d’un process et non sur la seule consi-dération d’un ouvrage en phase de fonctionne-ment : par exemple, pour ne pas démanteler lesfondations existantes, il convient de dessinerune passerelle plus légère que celle qui est ac-tuellement en place, nous serons ainsi certainque les fondations actuelles la supporteront ;- toutes les phases, par principe, impliquentun travail sur l’entropie du système et doncune utilisation réduite de la matière.

C’est ainsi que la recherche conceptuelles’est portée l’optimisation de l’aérodynamismeet du poids de l’ouvrage.

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Livre 2

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Les premières esquisses ont donc été ébau-chées avec le souci d’offrir le profil le plus àmême de résister aux assauts de la tramontane.Si nous suivons les recommandations du cha-pitre «Biodynamisme», nous savons que l’ob-servation et le respect de la biodiversité nouspayent en retour de l’inspiration de solutionsmimétiques. Ainsi, il existe de nombreuxexemples d’espèces animales dont les morpho-logies se sont élaborées à partir de contraintessimilaires : dauphin, phoque et raie mantacomptent parmi les exemples les plus achevés

d’une symbiose entre un corps vivant et le mi-lieu dans lequel ils évoluent.

Par exemple, la nage du dauphin, qui pro-fite de la forme du ressac et du bulbe de soncrâne dessiné pour casser la vague d’étrave (ins-pirant la nage moderne et la proue des super-tankers), et les propriétés hydrodynamique desa peau sont les paramètres qui lui assurentune efficacité optimale dans son milieu. Demême, la raie manta utilise sa « voilure » pourprofiter des courants marins afin de minimiserson effort.

Dès lors, sans qu’il soit besoin d’entre-prendre une étude aérodynamique poussée, leprofil de la passerelle se dessine de lui-même :un bord d’attaque tranchant, une forme géné-rale de lentille et une porosité de la peau de re-vêtement de la structure.

Pour former ce profil, la conception s’estorientée vers les caractéristiques suivantes :- une structure métallique constituée par uneossature dont les éléments forment un squelette(colonne vertébrale, vertèbres et côtes). C’est larecherche de la légèreté de l’ensemble et du bordd’attaque de la coupe transversale qui a définil’ossature métallique donnant sa forme généraleà la passerelle. La structure porteuse de la pas-serelle est constituée de deux poutres latéralesreliées entre elles horizontalement par des en-

tretoises métalliques. Chaque poutre latérale estcomposée de deux membrures supérieure et in-férieure courbes, inclinées légèrement vers l’ex-térieur, et d’un arc excentré, l’ensemble formantun triangle recouvert par la toile d’habillage.Dans ce triangle sont logés tous les fourreauxde l’éclairage de la passerelle. Ces deux poutrescaissons sont reliées entre elles par des montantsverticaux et diagonaux en profil creux carré ser-vant de contreventement. Les membrures alliéesaux montants verticaux et diagonaux formentau final une poutre-treillis figurant un fuseauou un croissant ;- une peau constituée par une tôle dont la per-foration permet d’équilibrer à la fois la pres-sion et la dépression sous obstacle. En effet,une perforation légère est plus efficace qu’une

La passerelle s’inspire des exemplesdu règne animal, ici la raie manta.

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Projets de ponts et passerelles

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tôle pleine pour s’affranchir des turbulencessous le vent. S’adaptant comme la peau des cé-tacés, la passerelle cherche le meilleur fonc-tionnement possible avec le milieu ;- une queue qui permet la stabilisation de lastructure générale face à des coups de vent ex-ceptionnels. La queue du phoque, qui fait of-fice de stabilisateur sur terre, a servi de modèlepour dessiner la morphologie générale de lapasserelle.

Conformément à l’intuition que nousavons suivie tout au long de cet ouvrage, cettedémarche n’a pas seulement l’ambition d’êtreécologique, elle présente également l’avantaged’offrir des qualités spécifiquement architec-turales, prouvant l’intérêt immédiat d’une ap-

proche mimétique. Pour la nouvelle passerelle,ces qualités sont :- sa fluidité et sa légèreté, répondant à un soucide transparence, nécessaire à la préservation dela perspective depuis les quais ;- son caractère arachnéen, permettant la trans-parence et l’accroche de la lumière, afin demettre en valeur les nombreux détailsconstructifs ;- son aérodynamisme, obtenu par une coupetransversale fluide, qui augmente son confortet sa durée de vie ;- sa ligne générale épousant une ligne courbeet douce et répondant à la sérénité du lieu etaux exigences d’accessibilité aux personnes àmobilité réduite.

La structure du pont en définit la forme.

L’ouvrage est sculpté par les contraintes géophysiques.

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