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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Alep, coeur du conflit syrien PAR PIERRE PUCHOT ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 3 MAI 2016 En bombardant les civils d'Alep, deuxième ville de Syrie, au mépris de la trêve conclue fin février, Bachar al-Assad tente de prendre l'ascendant sur le conflit grâce à son aviation. À Alep, c'est pourtant l'espoir de revoir une Syrie multiconfessionnelle et pacifiée qui meurt chaque jour. D’un côté, le régime syrien qui agit seul, de sa propre initiative et au mépris des vies humaines. De l’autre, une communauté internationale réduite à l’impuissance, malgré les appels à l’aide des civils syriens depuis plusieurs années maintenant. En Syrie, la semaine qui vient de s’écouler est une nouvelle démonstration d’un constat observé depuis plus de cinq années : pas plus que l’État islamique, l’armée de Bachar al-Assad ne respecte les civils ni les trêves. Plus de 250 civils ont péri depuis la reprise le 22 avril des violences à Alep, pour la majorité dans des raids menés par l’aviation de l’armée syrienne, en violation de la trêve entrée en vigueur le 27 février à l’initiative des États-Unis et de la Russie. © Wikipédia/Mediapart/CC-BY-SA Parmi les centaines de récits tragiques, celui du docteur Mohammad Wassim Maaz, tué aux côtés d’un confrère dentiste, de trois infirmiers et de 22 autres civils dans le bombardement aérien de l'hôpital Al- Qods, mercredi 27 avril. Un nom qui s'ajoute à ceux « d’au moins 730 de nos collègues, d’autres médecins, qui ont été tués dans notre pays au cours des cinq dernières années », écrit un collectif de médecins syriens dans un texte où il réclame désormais que la Russie fasse cesser les frappes de son allié de Damas. Selon l’Observatoire syrien des droits de l'homme, la guerre a fait plus de 270 000 morts depuis 2011, dont 13 500 enfants. L’ONG recense le décès de 3 116 personnes rien que pour le mois d’avril 2016, dont l’immense majorité du fait des bombardements du régime syrien. « Quand un raid aérien frappe un quartier, ce sont d’abord les voisins qui apportent les premiers secours aux blessés, raconte le 28 avril pour l’Agence France Presse le photographe Ameer Alhalbi, dans un reportage intitulé “Jour d’enfer à Alep”. Les sauveteurs de la défense civile, qui ont souvent été formés en Turquie, prennent le relais quand ils arrivent. C’est comme ça que les choses se passent ce jeudi. Au moment où nous arrivons, une femme est en train de crier à l’aide depuis les hauteurs d’un immeuble endommagé par les explosions. Elle, son mari et son enfant sont coincés dans ce qui reste de leur appartement au deuxième étage, ils ne peuvent plus descendre. » En images, le making-of de ce récit est visible ici. Après un bombardement contre le quartier d'Al- Kalasa à Alep, le 28 avril 2016 © AFP / Ameer Alhalbi Depuis 4 ans, Alep est le coeur du conflit syrien. La guerre civile syrienne aurait pu y trouver son dénouement : à l’été 2012, l’Armée syrienne libre (ASL) lance une grande offensive à Alep, pour ce qui s'annonce à l'époque comme la dernière conquête avant la victoire face à l'armée syrienne. Une initiative qui sera finalement quasi fatale à l'ASL. Car depuis, Alep a vu les fronts se multiplier, entre le régime, les révolutionnaires syriens, et l’État islamique qui a pris pied dans la ville, avant de s’en faire à nouveau rejeter. Depuis 4 ans, l’ASL s’est peu à peu désunie, et le régime du président Bachar al-Assad, qui jouit

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Alep, cœur du conflit syrienPAR PIERRE PUCHOTARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 3 MAI 2016

En bombardant les civils d'Alep, deuxième ville deSyrie, au mépris de la trêve conclue fin février, Bacharal-Assad tente de prendre l'ascendant sur le conflitgrâce à son aviation. À Alep, c'est pourtant l'espoir derevoir une Syrie multiconfessionnelle et pacifiée quimeurt chaque jour.

D’un côté, le régime syrien qui agit seul, de sapropre initiative et au mépris des vies humaines.De l’autre, une communauté internationale réduite àl’impuissance, malgré les appels à l’aide des civilssyriens depuis plusieurs années maintenant. En Syrie,la semaine qui vient de s’écouler est une nouvelledémonstration d’un constat observé depuis plus decinq années : pas plus que l’État islamique, l’arméede Bachar al-Assad ne respecte les civils ni les trêves.Plus de 250 civils ont péri depuis la reprise le 22 avrildes violences à Alep, pour la majorité dans des raidsmenés par l’aviation de l’armée syrienne, en violationde la trêve entrée en vigueur le 27 février à l’initiativedes États-Unis et de la Russie.

© Wikipédia/Mediapart/CC-BY-SA

Parmi les centaines de récits tragiques, celui dudocteur Mohammad Wassim Maaz, tué aux côtés d’unconfrère dentiste, de trois infirmiers et de 22 autrescivils dans le bombardement aérien de l'hôpital Al-Qods, mercredi 27 avril. Un nom qui s'ajoute à ceux« d’au moins 730 de nos collègues, d’autres médecins,qui ont été tués dans notre pays au cours des cinqdernières années », écrit un collectif de médecinssyriens dans un texte où il réclame désormais que laRussie fasse cesser les frappes de son allié de Damas.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l'homme, laguerre a fait plus de 270 000 morts depuis 2011, dont13 500 enfants. L’ONG recense le décès de 3 116personnes rien que pour le mois d’avril 2016, dontl’immense majorité du fait des bombardements durégime syrien.

« Quand un raid aérien frappe un quartier, cesont d’abord les voisins qui apportent les premierssecours aux blessés, raconte le 28 avril pour l’AgenceFrance Presse le photographe Ameer Alhalbi, dansun reportage intitulé “Jour d’enfer à Alep”. Lessauveteurs de la défense civile, qui ont souvent étéformés en Turquie, prennent le relais quand ilsarrivent. C’est comme ça que les choses se passentce jeudi. Au moment où nous arrivons, une femme esten train de crier à l’aide depuis les hauteurs d’unimmeuble endommagé par les explosions. Elle, sonmari et son enfant sont coincés dans ce qui reste deleur appartement au deuxième étage, ils ne peuventplus descendre. » En images, le making-of de ce récitest visible ici.

Après un bombardement contre le quartier d'Al-Kalasa à Alep, le 28 avril 2016 © AFP / Ameer Alhalbi

Depuis 4 ans, Alep est le cœur du conflit syrien.La guerre civile syrienne aurait pu y trouver sondénouement : à l’été 2012, l’Armée syrienne libre(ASL) lance une grande offensive à Alep, pour cequi s'annonce à l'époque comme la dernière conquêteavant la victoire face à l'armée syrienne. Une initiativequi sera finalement quasi fatale à l'ASL. Car depuis,Alep a vu les fronts se multiplier, entre le régime,les révolutionnaires syriens, et l’État islamique qui apris pied dans la ville, avant de s’en faire à nouveaurejeter. Depuis 4 ans, l’ASL s’est peu à peu désunie,et le régime du président Bachar al-Assad, qui jouit

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d'une supériorité aérienne décisive dans son conflitface aux révolutionnaires syriens, contrôle aujourd’huiles secteurs ouest d’Alep, où ses positions sont solides.

En combattant les rebelles syriens par tous les moyens,y compris en profitant de la trêve, l’armée syriennetente désormais de prendre un avantage décisif dansl’ensemble du conflit. Alep est en effet cette villeaux multiples fronts où les rebelles et les fractionsde l’Armée syrienne libre se maintiennent encoreaujourd’hui, après avoir perdu l’essentiel de leurspositions à l’ouest du pays et dans les environs deDamas. Et c'est surtout à Alep que les membres del'ASL ont eu l'espoir d'inventer la Syrie de l'après-Assad.

À la mi-2015 déjà, Yahia Nanaa, ex-président duConseil du gouvernorat d'Alep, de passage à Paris,expliquait lors d’une rencontre à l’Institut du mondearabe que «la société civile sera[it] le moteur detout projet politique à venir en Syrie. Cela supposeque la communauté internationale nous aide, etpas seulement avec de l'humanitaire et l'accueilde réfugiés» (ses propos sont cités par nos confrèresde Télérama). « Alep est l'exemple d'une ville quin'appartient ni au régime de Bachar al-Assad, ni auxislamistes», résumait lors de cette soirée le politologuelibanais Ziad Majed. « Comme les écoles sont cibléespar les bombardements, nous continuons d'organiserdes cours là où nous le pouvons, dans les mosquées,les caves, les salles des fêtes », rapportait en juillet2015 Abdulkareem Anees, responsable de l'éducationau conseil d'Alep, cité par Le Monde. Multiculturelle,

résistante face au régime comme aux organisationsdjihadistes, Alep a manqué d’être la cité où la Syrie del’après-Assad aurait pu se construire.

Des habitants du quartier de Bustan Al-Qasr, tenu par lesrévolutionnaires syriens, inspectent les dégâts après les bombardements

de l'armée syrienne, jeudi 28 avril. © Abdalrhman Ismail/reuters

Un an plus tard, 250 000 Syriens vivent encore à Alep.Mais l’armée syrienne bombarde indifféremment lesquartiers civils et les fronts tenus par les organisationsproches de Jabhat En Nosra, l’organisation qui a prêtéallégeance à Al-Qaïda et combat le régime syriencomme l’État islamique. La violence sur le terrainparalyse ainsi tout espoir de processus politique detransition.

Le 28 avril, au lendemain du bombardement del’hôpital Al-Qods par l’armée syrienne, l’envoyéspécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura,en a appelé aux présidents russe et américainpour tenter de sauver le processus de négociationsofficiellement toujours en cours entre l’oppositionsyrienne et le régime de Damas. Ce processus achoppenotamment sur le départ de Bachar al-Assad, conditionjugée indispensable par l’opposition syrienne.

Les États-Unis, « scandalisés » par le bombardementde l'hôpital Al-Qods effectué par le régime syrien,ont appelé la Russie à contenir le régime de son alliéBachar al-Assad. De son côté, Moscou affirme êtreen train de négocier avec son allié pour que Damascesse ses frappes. « Actuellement, des négociationsactives sont en cours pour établir un “régime desilence” dans la province d'Alep », a déclaré dimanchele général Sergueï Kouralenko, chef du Centre russepour la réconciliation des parties belligérantes enSyrie, une structure créée par l'armée russe poursuperviser la trêve. Mais la priorité de la Russie (etdu régime de Damas) est aujourd’hui d’obtenir de lacommunauté internationale qu’elle classe les groupes

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rebelles Ahrar al-Cham et Jaïch al-Islam, qui harcèlentle régime syrien avec une certaine efficacité, parmi lesorganisations terroristes.

Face aux exigences russes, Washington apparaîtaujourd’hui démuni. Et le tournant qui s’amorce dansla bataille d’Alep est aussi le reflet de la faillite dela stratégie de non-intervention d’Obama en Syrie,annonçant tantôt des « lignes rouges » au momentde l’attaque à l’arme chimique par le régime syrienen 2013, se rétractant ensuite pour laisser la coalitionsyro-russo-iranienne dicter le tempo des négociations.« L’abdication d’Obama en Syrie doit cesser »,estimaient ainsi deux chercheurs dans une tribune trèsremarquée et publiée par le Washington Post dès le9 février, « sans quoi Alep demeurera une tache surnotre conscience pour toujours ». Pour « mettre fin àl’horreur d’Alep », les auteurs du texte suggèrent queles États-Unis, sous l’égide de l’Otan, usent de leurpotentiel naval et aérien pour créer une « no-fly zone »

au-dessus d’Alep et empêcher Damas de bombarderles civils syriens. Une solution à laquelle Washingtonse refuse toujours.

Preuve des résultats désastreux de l’absence destratégie chez Obama, que toutes les initiatives depaix à Genève n’ont pu compenser, de nouveaux raidsaériens ont visé lundi 2 mai avant l’aube la villesyrienne d’Alep, au moment même où le secrétaired’État américain John Kerry cherchait à trouverune issue politique à Genève pour faire cesser lescombats. Ce lundi, lors du point presse à l’issue dela rencontre entre John Kerry et le ministre saoudiendes affaires étrangères – partisan, contrairement àObama, de l’envoi de troupes sur le sol syrien –,le secrétaire d’État a dit espérer se rapprocher d’uncompromis dans les heures qui viennent pourramener la trêve. Mais à Alep, outre les civils, c’estl’espoir d’une Syrie de l’après-guerre multiculturellequi meurt un peu plus, jour après jour.

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