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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Brexit: le meurtre de Jo Cox bouleverse la campagne PAR LUDOVIC LAMANT ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 17 JUIN 2016 La députée Jo Cox, en mai 2015. © Reuters À six jours du scrutin, l'assassinat de cette députée travailliste, favorable au maintien de son pays dans l'UE, bouleverse la Grande-Bretagne. Il pourrait obliger certains des partisans les plus bruyants du Brexit à baisser d'un cran leur rhétorique anti- migrants, très agressive depuis des semaines. Grande-Bretagne, de notre envoyé spécial.- Le meurtre de Jo Cox et l’intense émotion qu’il suscite au Royaume-Uni ont provoqué une trêve dans la campagne sur l’Europe. Après l’annonce du décès de cette députée travailliste de 41 ans, favorable au maintien de son pays dans l’UE, tout s’est suspendu : les déplacements de campagne des deux camps ont été annulés, les débats télévisés reportés. À six jours d’un scrutin sur lequel le Royaume-Uni joue son avenir, c’est une nouvelle campagne qui commence, peut- être sur un registre plus apaisé. Dès jeudi soir, sur les plateaux télé, des appels à davantage de « respect » se faisaient entendre, tant les derniers jours ont débordé d'agressivité, en particulier dans la rhétorique anti- migrants censée servir le camp du Brexit (le départ de l'UE). Les motivations du crime, qui s'est déroulé à l'extérieur du local de la députée, à Birstall dans le nord de l'Angleterre, ne sont pas encore connues avec précision. L’agresseur, Tommy Mair, âgé de 52 ans, aurait d'abord tiré au moins deux balles sur elle, avant de la poignarder. Selon des témoins, il a crié à plusieurs reprises « Britain First » avant de passer à l’acte, référence possible à une organisation d’extrême droite qu'on a déjà vu défiler « contre l'ouverture de nouvelles mosquées ». Mais la police n’a ni confirmé, ni infirmé cet élément. L’organisation en question a condamné le meurtre et démenti tout lien avec l’agresseur. Selon un groupe américain spécialiste de la surveillance des mouvements extrémistes, le Southern Poverty Law Centre, le tireur était un « partisan dévoué » d'un groupe néonazi implanté aux États- Unis, la National Alliance (lire leur analyse ici). Les habitants du quartier interrogés par les chaînes de télévision dressaient le profil d'un déséquilibré et solitaire, qui croyait aux vertus thérapeutiques du jardinage. La une du « Guardian » vendredi. Dans l’attente du dénouement de l’enquête, le grand public est en train de découvrir, avec émotion, le parcours de Jo Cox, l’une des plus ferventes partisanes du « Remain » (Rester dans l'Europe) au sein du parti travailliste, mais aussi une avocate des droits des migrants dans la crise des réfugiés (lire ici l'une de ses tribunes sur le sujet). Sa trajectoire ne cadre pas avec l’argumentaire traditionnel des défenseurs du « Brexit ». Ces derniers procèdent souvent à une lecture de classes, lorsqu’ils s’en prennent à l’« establishment »

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Brexit: le meurtre de Jo Cox bouleverse lacampagnePAR LUDOVIC LAMANTARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 17 JUIN 2016

La députée Jo Cox, en mai 2015. © Reuters

À six jours du scrutin, l'assassinat de cette députéetravailliste, favorable au maintien de son pays dansl'UE, bouleverse la Grande-Bretagne. Il pourraitobliger certains des partisans les plus bruyants duBrexit à baisser d'un cran leur rhétorique anti-migrants, très agressive depuis des semaines.

Grande-Bretagne, de notre envoyé spécial.- Lemeurtre de Jo Cox et l’intense émotion qu’il susciteau Royaume-Uni ont provoqué une trêve dans lacampagne sur l’Europe. Après l’annonce du décèsde cette députée travailliste de 41 ans, favorable aumaintien de son pays dans l’UE, tout s’est suspendu :les déplacements de campagne des deux camps ont étéannulés, les débats télévisés reportés. À six jours d’unscrutin sur lequel le Royaume-Uni joue son avenir,c’est une nouvelle campagne qui commence, peut-être sur un registre plus apaisé. Dès jeudi soir, sur lesplateaux télé, des appels à davantage de « respect » sefaisaient entendre, tant les derniers jours ont débordéd'agressivité, en particulier dans la rhétorique anti-migrants censée servir le camp du Brexit (le départ del'UE).

Les motivations du crime, qui s'est déroulé à l'extérieurdu local de la députée, à Birstall dans le nordde l'Angleterre, ne sont pas encore connues avecprécision. L’agresseur, Tommy Mair, âgé de 52 ans,aurait d'abord tiré au moins deux balles sur elle,

avant de la poignarder. Selon des témoins, il a crié àplusieurs reprises « Britain First » avant de passer àl’acte, référence possible à une organisation d’extrêmedroite qu'on a déjà vu défiler « contre l'ouverture denouvelles mosquées ». Mais la police n’a ni confirmé,ni infirmé cet élément. L’organisation en questiona condamné le meurtre et démenti tout lien avecl’agresseur.

Selon un groupe américain spécialiste de lasurveillance des mouvements extrémistes, le SouthernPoverty Law Centre, le tireur était un « partisandévoué » d'un groupe néonazi implanté aux États-Unis, la National Alliance (lire leur analyse ici).Les habitants du quartier interrogés par les chaînesde télévision dressaient le profil d'un déséquilibréet solitaire, qui croyait aux vertus thérapeutiques dujardinage.

La une du « Guardian » vendredi.

Dans l’attente du dénouement de l’enquête, le grandpublic est en train de découvrir, avec émotion, leparcours de Jo Cox, l’une des plus ferventes partisanesdu « Remain » (Rester dans l'Europe) au sein duparti travailliste, mais aussi une avocate des droits desmigrants dans la crise des réfugiés (lire ici l'une de sestribunes sur le sujet). Sa trajectoire ne cadre pas avecl’argumentaire traditionnel des défenseurs du « Brexit». Ces derniers procèdent souvent à une lecture declasses, lorsqu’ils s’en prennent à l’« establishment »

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favorable à Bruxelles. En résumé, le « Remain » seraitl'option privilégiée des riches Londoniens (à l’instarde David Cameron, le chef du gouvernement mêléaux Panama Papers), tandis qu’un « Brexit », lui,profiterait aux classes populaires.

Ce n’est pas ce que dit le parcours de Jo Cox. Issued’un milieu populaire (elle est la première de safamille à avoir étudié à l’université, en l’occurrenceà Cambridge), elle s’est formée à la politique par lemilieu des ONG internationales (Unicef puis Oxfam),voyageant du Darfour à l’Afghanistan. Elle a étéélue en 2015 à Westminster, où elle a rapidementacquis de l’autorité sur les enjeux internationaux quilui étaient chers – la protection des civils dans leconflit syrien (elle s’est abstenue lors du vote sur lesfrappes aériennes en Syrie), ou encore la questionpalestinienne (voir la vidéo de son premier discours àWestminster, ci-dessous).

Considérée comme l’un des espoirs du Labour, ellen’a pas voté pour Jeremy Corbyn lors des primairesdu parti l’an dernier. Elle était partisane d’une ligneplus consensuelle, plus proche de celle du nouveaumaire de Londres, Sadiq Khan. Mais elle avait donné àCorbyn sa signature pour lui permettre de se présenter.Elle vivait, avec son mari et ses deux enfants, surune péniche sur la Tamise. Sa dernière sortie publiqueremonte à mercredi, la veille de sa mort, comme ledocumente son compte Twitter : elle était avec safamille sur un bateau pneumatique, un grand drapeaublanc barré du « IN » à la main, en réponse à

une mobilisation de pêcheurs qui, le même jour,défendaient le Brexit contre les quotas de pêche vouluspar Bruxelles (photo ci-dessous).

Le contraste est saisissant entre les idéaux d’ouverture,de justice et de solidarité que Cox tentait de porter ausein du parlement, et l’instrumentalisation des peursqui sévit à l’approche du 23 juin, à la fois dans lecamp du Brexit, à partir des enjeux migratoires, etdans le camp du Remain, qui anticipe l’apocalypseéconomique en cas de Brexit. Cela pourrait-il produireun électrochoc dans la campagne ? Personne nes’aventurait jusque-là jeudi soir.

« Elle croyait à un monde meilleur, et elle se battaitpour cela au quotidien », titre le Guardian dansson édition de vendredi, reprenant une citation ducommuniqué de l’époux de Jo Cox. « Quel immensegâchis », regrette, de son côté, le Daily Mail (quidéfend par ailleurs, dans ses éditoriaux, le Brexit).Jeremy Corbyn et David Cameron y sont, eux aussi,allés de leur hommage appuyé. D'autres personnalités,figures du Brexit, ont également condamné l'acte, dontBoris Johnson (Tories) et Nigel Farage (UKIP).Le meurtre de Jo Cox est intervenu alors que lesprincipaux responsables politiques semblaient s'êtrelancés dans une surenchère épuisante ces derniersjours. Du côté des Tories (les conservateurs aupouvoir, divisés entre Remain et Brexit) par exemple,la guerre s'est déclarée aux yeux de tous. LorsqueGeorge Osborne, le ministre des finances prochede Cameron, a prévenu qu’il faudrait sans douteaugmenter les impôts en cas de Brexit, pas moins de65 élus conservateurs, favorables, eux, au divorce avecl’UE, lui ont répondu dans une lettre publique, qu’ilsne voteraient jamais un tel budget en cas de Brexit. Ce

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qui sous-entend que Cameron est en train de perdresa majorité au parlement, et qu’il devra sans doutedémissionner en cas de Brexit…

Autre exemple d’une campagne particulièrementmusclée : avant l’annonce du décès de Jo Cox jeudiaprès-midi, la polémique du jour tournait autour de lapublication de la dernière affiche campagne de NigelFarage, le patron du UKIP, qualifiée par certains depropagande nazie. Elle montre une colonne d'unecentaine de migrants en train de fuir la Syrie et marchervers l’Europe, barrée de l'avertissement : « Breakingpoint » (point de rupture), et d'un slogan : « Nousdevons nous libérer de l'UE et reprendre le contrôlede nos frontières ».

La campagne de la plateforme Leave.EU, dont leprincipal financier est aussi le principal donateur duUKIP, fait régulièrement l'objet de critiques pour sesmises en scène xénophobes. En mai, elle avait déjà faitpolémique, en mettant en ligne une vidéo raciste quireprenait le discours de Donald Trump, le candidataméricain à la présidentielle, sur l'immigration. Dansun entretien à la BBC jeudi soir, le député travaillisteécossais Neil Findlay était l'un des premiers à lancerun débat qui ne devrait pas manquer de s'amplifier,dans les jours à venir. L'élu a estimé que ce genre depropagande extrémiste pouvait « risquer d’inspirer »des comportements violents dans la société.

Ce drame pourrait aussi avoir pour autre effetcollatéral de remettre au centre du jeu, dans ladernière ligne droite, le parti travailliste. La formation

dirigée par Jeremy Corbyn s'était contentée du serviceminimum pendant des mois, prenant acte des divisionsde sa base sur les enjeux européens. Depuis unesemaine, Corbyn, sous la pression de ses alliés decirconstance du « Remain », avait tout de mêmecherché à hausser le ton. Avant le meurtre de Jo Coxjeudi, il avait visité une usine de fabrication de RollsRoyce, l'un de ces sites industriels dont l'avenir seraiten pointillés en cas de Brexit.

À court terme, la campagne, des deux côtés, estsuspendue depuis jeudi soir. Le premier ministreirlandais Enda Kenny, qui avait prévu un granddiscours sur l’Europe, l’a annulé. Idem pour le trèsinfluent patron de la banque d’Angleterre, qui areporté, lui aussi, son intervention. Cameron a annuléson déplacement de campagne à Gibraltar. Vu lavague d'émotion, il n’est pas certain que la campagnereprenne de sitôt. Côté travaillistes, certains élusparlaient d’une pause jusqu’à la fin de semaine.

D'après le décompte du Guardian, il s'agit du premiermeurtre d'un député britannique depuis ceux contreAirey Neave (1979), Tony Berry (1984) et Ian Gow(1990), tués par l'Armée républicaine irlandaise (IRA).Par la suite, Nigel Jones, en 2000, et Stephen Timms,en 2010, avaient été grièvement blessés. Ce dernier,travailliste lui aussi, avait été poignardé à l'estomacpar une femme de 21 ans mécontente du soutienque l'homme politique avait apporté à l'interventionbritannique en Irak. « Quelles qu'en soient les raisons,l'attaque d'un parlementaire rejaillit sur le parlementtout entier », avertit le quotidien.

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