36
Pierre Trépos Les saints bretons dans la toponymie In: Annales de Bretagne. Tome 61, numéro 2, 1954. pp. 372-406. Citer ce document / Cite this document : Trépos Pierre. Les saints bretons dans la toponymie. In: Annales de Bretagne. Tome 61, numéro 2, 1954. pp. 372-406. doi : 10.3406/abpo.1954.1969 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1954_num_61_2_1969

article_abpo_0003-391x_1954_num_61_2_1969

Embed Size (px)

Citation preview

Pierre Trépos

Les saints bretons dans la toponymieIn: Annales de Bretagne. Tome 61, numéro 2, 1954. pp. 372-406.

Citer ce document / Cite this document :

Trépos Pierre. Les saints bretons dans la toponymie. In: Annales de Bretagne. Tome 61, numéro 2, 1954. pp. 372-406.

doi : 10.3406/abpo.1954.1969

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1954_num_61_2_1969

372 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

LES SAINTS BRETONS DANS LA TOPONYMIE

Je ne m'imaginais pas, en recherchant dans les Nomenclatures des écarts des départements bretonnants (1) des exemples de pluriels anciens ou le singulier de mots dont seul le collectif ou le singulier était attesté par ailleurs, que l'application de l'étude du nombre à la toponymie m'aurait amené à mettre en doute l'authenticité de certains saints bretons. Ce n'est pourtant qu'après avoir relevé dans ces nomenclatures les noms de lieux Beuzayer, pluriel de Beuzeg, Le Logo et son singulier Log, et Sanou, pluriel de Le Zan, autre toponyme en même temps que patronyme, que j'ai voulu revoir, avec une certaine idée préconçue, les noms relevés et commentés dans les deux ouvrages fondamentaux sur les saints bretons : Joseph Loth, Les Noms des Saints Bretons, 1910 (que je désignerai par Ns dans cette étude), et Largillière, Les Saints et l'organisation chrétienne primitive dans V Armorique bretonne, 1925 (que je désignerai par S) : cette étude m'a confirmé dans mon scepticisme à l'égard de certains de ces saints mystérieux aux étranges noms d'oiseaux, d'arbustes ou de galets.

On reste perplexe devant le nombre de saints que l'on attribue à la Bretagne. Dans la plupart des cas, il est vrai, ce sont des saints particuliers, dont le culte n'est attesté que sur une aire très limitée, et parfois même ne sort pas de la paroisse : survivances christianisées de cultes païens, souvenir de lointains ermites gallois, canonisation populaire de prêtres vénérés, christianisation de statues romaines (2), tout a contribué à peupler la Bretagne d'une

(1) Nomenclature des hameaux, écarts, lieu-dits du Finistère, des Côtes-du-Nord, etc. Institut National de la Statistique, 25, rue Bri- zeux, Rennes.

(2) Largillière, S., p. 130; A. Le Braz, Les saints bretons d'après la tradition populaire, Ann. de Bret., XIII.

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 373

multitude de saintsr4oc*ux. Et des savants eux-mêmes, en analysant les toponymes, en ont découvert, et les ont révélés à la population qui les ignorait (3).

La publication des Nomenclatures des départements bretons, listes complètes rangées par ordre alphabétique de tous les hameaux, nous en a fait connaître un certain nombre d'autres ; et la liste est loin d'être close, car les toponymes portés sur les cadastres, bien plus nombreux que les écarts, mais qui n'ont pas encore été relevés d'une façon méthodique, en contiennent certainement un nombre considérable : Loth en cite, qui ne sont attestés que sur les quelques registres cadastraux qu'il a pu consulter.

Ce nombre, encore inconnu, mais déjà impressionnant, de saints bretons dont la plupart ne pourront jamais être identifiés, constitue un élément de scepticisme auquel vient s'ajouter la signification, dans la langue courante, du nom de certains d'entre eux. Ce peut n'être qu'une rencontre fortuite du nom d'un saint avec un nom du règne animal, végétal ou minéral. Mais les noms que nous avons relevés se retrouvent très souvent en toponymie, avec un sens évident ; et ils se présentent fréquemment sous des formes dérivées qui sont surprenantes parmi les noms de saints. C'est ainsi que je n'ai pu m'empêcher de souligner St Dreyer, qui me paraissait être le pluriel d'un autre nom de saint : St Dreg ; Loth ne peut identifier le premier et se contente, pour le second, de rendre à Sant le D initial de Dreg, qu'il rapproche du saint de Lanrake, en Cornouaille anglaise. Toujours sous l'angle de l'étude du nombre, j'avais relevé d'autres noms sur ces listes de saints, swt parce qu'ils coïncidaient avec des pluriels ou des collectifs qui m'avaient arrêté (Goazou, Bily...), soit parce qu'ils semblaient être les mots dont j'avais noté le pluriel dans d'autres toponymes (particulièrement des

(3) « Quand j'ai interrogé les habitants de Plestin sur ee que pouvait être Saint-Loffot, on ignorait que ce nom puisse comporter jm nom de saint, on n'# pas voulu l'admettre... » (S. 2). Il en a été de même pour Saint-Junay et Saint-Carné (S., 3 et 4).

374 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

mots en -ec : Beuzec, Caouënnec...), soit enfin parce qu'ils rappelaient, ou complétaient, des groupes remarquables de différents degrés dans le nombre (Can, Cano, Canenn...).

Devant ces saints inconnus Loth et Largillière se sont surtout préoccupés de les identifier ; ils ont recherché dans les textes anciens (litanies, manuscrits d'Iolo, etc...)» et parmi les saints — reconnus, ou révélés par la toponymie — des autres pays celtiques, des noms de saints, de parents ou de compagnons de saints auxquels pût se rattacher le nom du saint dont l'étude des noms de lieux bretons leur apprenait l'existence. C'est un terrain sur lequel ils n'avançaient qu'avec prudence et, dans bien des cas, il ne faut donner à leurs affirmations que la valeur d'hypothèses que des éléments nouveaux, tels que la liste complète des toponymes bretons, les auraient amenés à revoir (4).

C'est qu'à la base des études sur les noms de saints bretons nous trouvons toujours l'idée exprimée par Dom Lobineau dans la préface de ses Vies des Saints de Bretagne, et mise sous forme de postulat par Loth : « On peut poser en principe que le nom qui suit les termes Lan, Loc, ploue (plou, plu, pie) est un nom de saint » (Ns p. 3).

Loth admet certaines exceptions ; il cite des Lan, « monastère », complétés par des adjectifs ou des noms communs ; et il conseille d'autre part de « se méfier des lan qui ont le sens d'ajoncs et de lande » (ibid.) ; et, à

(4) Loth a souvent insisté sur le manque de consistance de la base sur laquelle on doit s'appuyer pour ces études. C'est ainsi qu'il explique comment, à Porspoder (F.), saint Budoc, qui a sa statue dans une niche au-dessus d'une fontaine du quartier an Dré (an Dreff), est devenu saint André (San an Dré); et comment, dans les environs de Quimper, Saint André (dont on prononce le nom Andréo) est invoqué contre la coqueluche : an dreo en breton (cf. R.C. XLVI, p. 119). Largillière semble avoir une plus grande confiance : « La Bretagne n'est pas le pays des saints apocryphes. Nos Bretons n'inventent pas de saints; en particulier ils ne créent pas de personnages en décomposant les noms de lieu » (S, p. 127).

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 375

propos de Lannoizoc (qu'il note Lan-oazoc) en Ploudaniel, F» il écrit : » Ici le sens de Lan n'est pas sûr ; cela peut signifier : Lande arrosée par des ruisseaux » (Ns. p. 44, sv Goazec). D'autre part, il y a des Lan- qui sont d'anciens Nant-, « vallée », tels que Lantivy en St Nolff, M., Lancarré en Plestin C.du-N. (cf. Rev. celt. XII, 1901, p. 112 ; Larg. S, p. 76).

Il en est de même pour les Plou- : d'une part la paroisse, au lieu d'avoir emprunté son nom au saint patron, peut l'avoir emprunté à « la présence d'une chose remarquable située sur le territoire » : c'est le cas de Plou-castel, Plou- magoar, Plou-guer, Plo-bannalec, qui sont des Plou- suivis de mots signifiant château, mur, ville, gênetaie (S 211) ; d'autre part, si Plou- peut dans certains cas s'écrire Poul- (Poullan, pour Plou-Lan), l'inverse est également possible : poul, « mare », peut se rencontrer sous la forme plou, et Largillière écrit, à propos de Plougannou, en Ploumagoar, C.-du-N. : « Plougannou... soulève des difficultés considérables, et à défaut de formes anciennes, on n'oserait y voir une forme sincère ; ce n'est pas une paroisse, aussi le premier terme Plou- doit être interprété comme représentant un ancien Poul- » (S. 57).

Des confusions sont donc possibles, pour les Lan- et les Plou-.

A l'égard des Saint- Largillière semble d'abord prendre également une attitude critique. Il avait remarqué que certains toponymes notés Saint-X. en français sont en breton Crèc'h-X., Toull-X., c'est-à-dire que le nom considéré comme nom de saint est précédé d'un élément qui n'a aucun rapport avec le culte ; il cite Saint-Melar, en Plouzelambre, C.-du-N., qui est en réalité Run-ar-Belar : « II est fort probable, ajoute-t-il, qu'un examen très sérieux des noms en Saint-X..., situés en .zone bretonnante,, en laisserait subsister fort peu » (S. p. 38). Ceci rend d'autant plus surprenante la facilité avec laquelle il accepte et essaie d'expliquer comme noms de saints tous les mots qui suivent Saint- dans la toponymie bretonne,

378 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

ou plus exactement dans la transcription française des toponymes bretons. Loth avait pourtant déjà été amené à signaler que dans un cas au moins où Saint était une erreur de graphie, et que Saint Alerin portait un titre usurpé : « Celui-ci, dit-il, est à rayer de la liste des saints... Le nom de lieu visé est Soult-Alarun dans le cartulaire de Quimperlé » (Ns. p. 9).

Quant à une confusion possible pour les mots en Loc-> à ma connaissance il n'en a jamais été question ; et, en résumé, la seule à laquelle on ait sérieusement pensé concerne Lann-Lan : la confusion Poul-Plou suppose une métathèse qui ne se produit que dans certains cas ; la confusion Soult-San semble exceptionnelle ; et dans Run- ar-Belar, devenu Saint-Melar, ainsi que dans les cas analogues que cite Largillière, il s'agit, non point d'une confusion de Sant avec un autre terme, mais d'une substitution de mots qui ne peut s'expliquer que par la confusion du second terme avec le nom d'un saint connu.

Existe-t-il, ou a-t-il existé, un Loc, Log, et un Sant, San, (car la seconde prononciation dé « saint » est la plus courante), qui seraient différents de Loc « lieu sacré,, monastère, prieuré, chapelle, sépulchre » etc.. et de Santr « saint », et qui ne seraient pas obligatoirement suivis d'un nom de saint ?

On peut aller jusqu'à dire que s'ils n'existaient pas il faudrait les supposer. Quelques noms de saints que nous étudierons plus bas, tels que Beuzit, Don, Ster, Sterling etc., imposent l'idée d'une confusion ; et s'il y a eu confusion dans certains cas (comme il y en a eu pour des Lan- et des Plou-), s'il y a eu assimilation de certains Loc ou San laïcs par les prestigieux Loc et San sacrés, rien n'empêcherait de supopser une assimilation totale, et une disparition complète des premiers — et leur non-existence dans les toponymes actuels (dans la transcription française des toponymes) ne serait en aucune façon concluante.

Mais Log et San existent dans les noms de lieux bretons.

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 377

LOG -- LOC

Nous trouvons, dans les Nomenclatures : Loc, en Landévennec (F.), en Ploumilliau, en Pluzunet

et en Tonquédec (C.-du-N.). Faeunten-Loc, en Plouisy (C.-du-N.).

Log, en Pédernec (C.-du-N.), Le Log, en Ambon et en Noyalo (M.).

Le mot se présente également sous sa forme plurielle Logo, à Berric et à Questembert, M. (Le Logo), ainsi qu'à St-Connan, (C.-d-uN. (Logo).

Nous relevons aussi ses dérivés, au singulier ou au pluriel :

— Loguel, en Pleumeur-Gautier, C.-du-N. (Loguel- Jégoiec).

— Loguellou, Loguelou, Loguello, Loguelo : 4 fois dans le F. et 8 fois dans les C.-du-N.

— Logan à Ploézel, C.-du-N., Le Trévoux, F., Logant et Logannou, à Pouldreuzic, F.

Nous pouvons ajouter les formes Noguel, Noguellou et Nogant, que l'on relève surtout dans le Morbihan (cf. Nocunolé, en Pont-Scorff, M., et Locunolé, commune du F.; et cf. nodjiel, « corne pour la pierre à affûter », à Baden, M., ailleurs logell, pr. loguel).

Puisque loc, log, existe, formant à lui seul un toponyme, il n'est pas surprenant de le trouver, dans d'autres noms de lieux, comme premier élément. Dans les toponymes suivants du Finistère il est suivi d'un mot dont la signification est tellement évidente qu'on l'a détaché à l'aide d'un trait d'union :

Loc-ar-Brug, Ploudaniel (brug : « bruyère »). Loc-Izella, en Loc-Melar (izel, « bas » ; izella, « le plus

bas », « d'en-bas »). Loc-Halec, en Fouesnant (haleg, « saule »). S'il demeurait des doutes sur l'existence d'un loc qui

n'ait aucun rapport avec la religion et qui ne soit pas suivi d'un nom de saint, ces trois toponymes devraient suffire à les dissiper.

11

378 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

Et le rapprochement avec d'autres toponymes composés en Coat-, « bois », Milin, « moulin », Parc-, « champ », Creac'h, « côte », etc., nous montre que lorsque Loc est suivi d'un nom de personne — qui peut être également le nom d'un saint authentique — , nous ne devons pas obligatoirement supposer un Loc sacré suivi d'un nom de saint. Nous avons Loconan (Loc-Conan), Loconé, Loc- Marzin,Locouic, Lossulien, etc., mais nous avons également Creac'h-Corvé, Coat-Conan, Moulin-Conan, Parc- Conan, pour ne citer que des toponymes rappelant les deux premiers (Loconan, Locorvé) ; et dans ces Loc, suivis d'un nom propre nous pouvons supposer, aussi raisonnablement qu'un saint, le propriétaire du Loc laïc : dans le Locorvé de Glomel et dans celui de Plouray où Loth voit le nom breton correspondant à saint Gorfyw au Pays de Galles (Ns. p. 46), rien n'empêche de supposer, jusqu'à preuve absolue du contraire, un propriétaire Corvez (comme dans le Saint-Norvez en Bégard — que nous verrons plus loin — , où selon Loth, le nom du saint doit être Orvez ou Gorvez).

Avec la publication des nomenclatures des écarts des départements bretons la liste des noms en Loc-, Lok-, Log-. Lo-, s'est considérablement allongée : le dépouillement de tous les cadastres ajoutera des centaines de noms à cette liste. Mais en cherchant des titres d'authenticité à des saints nouveaux tels que Ouarn, Derval, Ispar, Hozan, Oyarne - Oyerne, Kestin, Huon, Adour - Gadour, dont on peut penser que le culte est attesté à Locouarn, Loterval, Loguispar, Lorozan, Locoyarne, Locoyerne, Loques tin, Locuon, Locadour, il sera bon d'avoir toujours présents à l'esprit la certitude qu'il y a des Loc- qui ne sont pas des Loc- sacrés.

Quel est le sens de ce Loc laïc, pi. Logou, Logo ?

Il semble avoir, dans la langue courante, deux significations distinctes :

— « loge, hutte, cellule, niche, corne pour la pierre à aiguiser » (Ernault, Geriadurig) ; « loge, lat. tigurium »

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 379

{Catholicon). Dans ce sens de « hutte, -abri », le Sud- Finistère emploie plutôt Loj, Loch (Cf. Loth, les mots latins dans les langues britt., p. 182 : « Le mot logel, loge, cabane, ainsi que log, loge, sont écrits par erreur avec g dur dans Le Gonidec ; c'est le français loge avec une orthographe du moyen-armoricain - Cathol. log, loge, logaff, loger... »).

— « petite parcelle de terre » : c'est le sens qu'Ernault done à Logell (pr. loguel), placé dans la même note que log, comme son dérivé et synonyme ; c'est également le sens que lui donne Loth (Ns. p. 92), sv. Bergat) : Logell {Loguel en top.) « vient de locellus et est fréquemment employé pour désigner un lopin de terre » autour de Saint- Brieuc et Tréguier.

Loth indique un troisième sens : log-i, louer à intérêts ; log, prêt (Mots latins, p. 182) (5).

Ainsi le premier log est un emprunt français « loge », qui vient lui-même du germanique Laubia, alld Laude, « feuillée, abri de feuillage ». Et il est permis de penser qu'il s'agit là du Log- sacré « hutte, retraite d'un moine,- sépulchre d'un saint, monastère » (cf. Ns. p. 135), interprété et traduit locus dès le XP siècle : ceci expliquerait pourquoi il apparaît si tard dans la toponymie bretonne, et pourquoi on ne le trouve ni au Pays de Galles ni en €ornwall (cf. pourtant le composé gallois monach.log, monastère, Loth, Mots latins, 182). Ce serait le second, et «es dérivés logell, logan, qui pourraient se rattacher à locus.

Pour l'étude de l'authenticité de saints douteux, et pour la délimitation de l'aire du culte de saints incontestablement authentiques, le sens exact de log importe peu. L'essentiel est d'admettre qu'outre le Loc sacré, il existe un second log, dont il y a lieu de se méfier autant que de

(5) II est possible également que certains Log~, Noc-, et leurs dérivés, désignent un endroit où l'on rouit le chanvre ou le lin. «Rouir» : ogctn, ogan, eogi, ao'gein; rouissoir : ogenn, ogerez, etc. V. p. 11, sv. Saint Sterlin (pour og/log, cf. Avallot/Lavallot, Abat/ Labat, Ervily/Lervily, etc..). — Enfin, une graphie Loc pour Loc'hv -« étang », ne serait pas surprenante.

380 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

lann, « lande », qu'il signifie simplement « pièce de terre », où « pièce de terre louée », ou « pièce de terre prêtée, en salaire, à un ouvrier agricole » (cf. le 3e sens donné par Loth ; et cf. gallois Uôg : lat. merces, J. Davies 1632. « wages or hire », Richards ALBT).

SAN -- SANT

La confusion san-sanl semble aussi évidente que la confusion log-loc ; elle est beaucoup plus grave :

— le mot loc, avec le sens de « lieu sacré », n'existe que dans les toponymes, et n'est connu que de la minorité qui s'intéresse à cette question ; au contraire le mot sant, san, zan, « saint », est employé par tous dans la langue courante, et il lui aura été très facile d'absorber un san dont la signification aura été oubliée, et dont l'existence même, en bien des endroits, n'aura pas été soupçonnée ;

— cette interprétation, soit des paysans soit des scribes s'est concrétisée dans la graphie courante « Saint » (et, dans les anciens écrits, dans la graphie Sanctus) ; s'il y a eu erreur, elle est définitivement masquée, et figée, II ne reste en effet aucun doute sur le mot « saint » en tonony- im'e : il traduit le breton sant, et le mot qui le suit ne peut désigner qu'un saint authentique (bien que parfois oublié). Pour Pion-, Loc-, et en général pour Lan- (quelquefois Lande-), aucune traduction, aucun changement amené par l'écriture dans la prononciation', n'est venu rendre définitives les erreurs d'interprétation, et empêcher tout retour en arrière. Et il faut ajouter que s'il y a eu des confusions, elles ne se sont produites que dans l'esprit des spécialistes: le paysan n'a jamais cherché à interpréter les toponymes en Lan-, Loc-, Plou-, comme il été amené à le faire pour Ise toponymes en San- ; ce n'est que dans ces derniers qu'il a spontanément cherché des saints.

Et a-t-il cru à des saints, après tous les San- ? Largillière s'est heurté à ce que l'on peut appeler le bon

sens des habitants de Plestin, qu'il interrogeait sur la signification du nom du village voisin Saint-Logot : il st

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 381

provoqué un rire incrédule lorsqu'il leur a affirmé que ce nom de lieu comportait un nom de saint : « ...on n'a pas voulu l'admettre et l'on me proposait une explication par Zan=\a\\ée » (S., p. 99, n. 12).

Ceci est grave : il y a trente ans la possibilité d'une confusion zan, « vallée », san, « saint », a été suggérée à Largillière, suggérée par les habitants mêmes du seul lieu où se trouvait ce saint Logot qui l'embarrassait et qu'il ne pouvait rattacher à aucun autre. Eût-il simplement accepté d'envisager cette possibilité que bien des problèmes qui se sont posés à lui en eussent été éclairés, et que toute son œuvre en eût été changée. Mais il l'a immédiatement écartée, pour deux raisons qu'il estimail décisives :

« Cette explication n'est pas acceptable : san, dans Le Gonidec et dans Ernault, Gloss. moy. bret., p. 596, signifie canal, acqueduc, gouttière, et on ne le trouve nulle part aevc le sens de vallée ; on ne le rencontre jamais dans les toponymes » (ibid.).

Il est surprenant que Largillière qui n'avait à sa disposition que le Dictionnaire des Postes, Rosenzweig, les cartes d'état-major (et tout le monde sait qu'un toponyme y passe facilement inaperçu), et quelques cadastres, ait pu mettre tellement d'assurance dans sa dernière affirmation: il lui était impossible de connaître tous les toponymes bretons (et nous ne les connaîtrons que lorsque le dépouillement des cadastres sera achevé — et, pour les formes anciennes, de tous les actes et de toutes les chartes des archives et de bibliothèques). D'autre part, c'est la présence de san dans les toponymes qui est inattendue : il eût été naturel qu'ils eussent entièrement disparu, assimilés par les saint, « saint ». C'est ce que j'ai d'abord pensé, en recherchant vainement, dans d'autres toponymes, le singulier de Sanou, en Ploudalmézeau, F., singulier que je connaissais comme patronyme (Le Sann, Le Zan), qui peuvent d'ailleurs être des Le Saint), et que j'ai retrouvé, après la parution de la Nomenclature du Finistère, à Plouescat : Le Zan. Outre le pluriel Sanou de Ploudalmé-

Ô82 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

zeau, nous avons un dérivé Sannig, diminutif, à Mûr-de- Bretagne, C.-du-N., complété par un nom d'homme : Sanni- guerousse (Sannig-Er-Rouz) . Enfin Ar Zan a tout naturellement été traduit par Le Saint (village de Trégrom, C.-du-N., et paroisse du Morbihan), comme ont été traduits par Ville et Fontaine ces Ker et ces Feunteun dont le sens semblait évident au secrétaire de mairie (Cf. P.T., La notation des top. bret., Ann. de Bret., LX, 1953, fasc. lr p. 207). Et le mot semble entrer dans la composition de toponymes en -zan : Kerazan, Landouzan, Tremazanr Douarzan, etc.. Lorsqu'un fichier contenant tous les noms portés sur tous les cadastres des départements bretons sera accessible, bien d'autres san seront révélés, car ils ne désignent pas tous des endroits habités.

L'autre argument de Largiliière est plus suprenant que celui qui n'était, en fait, qu'une affirmation trop hâtive. Il ne veut pas croire les habitants de Plestin, qui donnent à san le sens de « vallée », parce que ses dictionnaires le traduisent autrement. Le premier fascicule des enquêtes de M. Le Roux venait à peine de paraître, et le respect des formes et des significations dialectales n'avait pas encore été enseigné. D'autres travaux plus récents sur la vie des mots bretons, en étudiant les variations de ces formes et de ces significations, en s'appuyant sur leur répartition géographique actuelle pour jeter une lumière nouvelle sur leur histoire et sur l'histoire de la langue, nous ont appris qu'un mot peut n'avoir conservé son sens primitif que dans un seul endroit, inexploré par les auteurs de dictionnaires ; nous savons qu'il faut considérer comme un fait respectable l'emploi particulier d'un mot par le paysan, et toujours donner raison à celui-ci contre le lexicographe, particulièrement lorsqu'il s'agit d'élucider un problème concernant sa localité (6).

(6) En fait, je donne à san le sens qu'ont stank et stankenn dans le sud de la Cornouaille, et qu'ils semblent avoir, en toponymie, sur une aire beaucoup plus vaste.

Stank ne signifie, pour Le Gonidec, Ernault et les autres lexicographes, que «étang, écluse d'un moulin». On essaierait vainement,.

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 383

L'évolution san, « vallée », où peut couler un ruisseau, en san, « conduit d'eau artificiel », semble d'ailleurs assez naturelle, surtout si l'on considère que sanell, dérivé de san, et rigol, sont synonymes dans le Catholicon, et que saounen, autre dérivé de san, et can auquel Le Gonidec renvoie à propos de san, ont le sens de « vallon » dans Grégoire de Rostrénen.

Je pense que l'on peut interpréter san dans les topony- mes par « vallée », « vallon », comme le font les habitants de Plestin (7).

* * *

en s'appuyant sur ces autorités, de persuader les habitants de Stang- ar-Choat ou de Stang-Vian, en Plozévet, ou encore de Stang-an- Amand, Stang-Irvin, Stang-ar-Rhun, en Mahalon, que leur village doit son nom à un étang ou à une écluse. C'est que, dans cette région, «étang» ne se dit que lenn; stank n'est utilisé que dans les noms de lieux, mais il y possède pour les habitants le sens bien précis de stankenn, « vallée », son dérivé qui l'a remplacé dans la langue courante, et que Le Gonidec également traduit par « vallée » .

$tank a donc autrefois, au moins dans cette partie de la Cor- nouaille, désigné une vallée, et c'est son dérivé qui lui a été substitué dans ce sens. Ceci semble être une règle générale : des mots courts ont été remplacés par leurs dérivés en -enn, -an, -ell, -ik, et ont disparu de la langue courante. En ce qui concerne le problème des saints, log a cédé la place à logel, « pièce de terre », et san à saonenn, «vallée, vallon».

Il est remarquable que le Finistère seul a échappé à la traduction de Stang en « Etang » dans les toponymes : aucun nom de lieu n'y commence par Etang, et il y a 270 Stang, Slang- (Morb. : 6 Etang, Etang-, 75 Stang, Stang-; C.-du-N. : 27 Etang, Etang-, dont un lieu noté «Etang-Neuf ou Stang-Nevez », 45 Stang-). C'est pourquoi je pense que l'aire stang = vallée, au moins en toponymie, couvre tout le Finistère. La traduction par Etang y aurait paru un contresens, d'autant plus que l'absence de l'étang est facilement contrôlable. Pour san devenant saint, le contresens n'était pas flagrant : d'une part san était oublié, d'autre part les saints sont, bien plus que les étangs, enveloppés de mystère. Mais certaines graphies Saint-X... doivent être aussi absurdes que ne le serait la graphie Etang-du-Bois pour le Stang-ar-C'hoat de Plozévet : il n'y a pas plus de saints dans ces lieux que d'étang à Stang-ar-C'hoat.

(7) Depuis que cet article a été composé, une enquête rapide m'a permis de constater que le mot san, zan, est encore bien vivant, avec le sens de «vallée» ou de «versant», non seulement à Plestin, mais à Plounérin, Trédrez, Plufur, Plounévez-Moédec, Ploubezre et au Vieux-Marché.

Il faut, d'autre part, signaler que M. P. Le Roux a relevé san, à Crozon, comme un des mots employés couramment dans le sens de «ruisseau» (voir A.L.B.-B., carte 278) : certains de ces san de la toponymie peuvent donc n'être ni des «Saint-», ni des «Vallée».

384 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

Le mécanisme de la confusion est simple.

Nous avons vu que San peut constituer à lui seul un toponyme. Mais obmme tout terme général (stang, menez, prat, park...) il est le plus souvent précisé par un second élément ; San-X... a été interprété Sant-X..., et traduit Saint-X... Si nous imaginons un san-dour ou un san-Jegu (comme nous avons Stang-dour et Kerjegu), avec le sens de « vallon où il y a de l'eau, vallon de Jegu », il est inévitable qu'ils soient interprétés Saint-Dour et Saint* Jegu, surtout si le nom peut se rattacher à celui d'un saint attesté par ailleurs (Saint Jacut).

Il ne semble pas impossible, à priori, qu'un suffixe accolé à san puisse ê're considéré comme un nom de saint.

Loth nous révèle (Ns. p. 98), à propos des saints — ou du saint — Niel, Iel, Iudel, que Saint-Niel, près de Pontivy, s'écrivait Saniel en 1416. Cette décomposition du mot en deux noms distincts a pu se faire dans le Morbihan où, dans les dérivés comme dans les composés, la dernière syllabe porte l'accent. Sanou en Ploudalmézeau, F., aurait pu, s'il avait été placé dans les mêmes conditions (si l'accent avait été sur -ou), devenir Saint-Ou (un saint Gou, Hou, ou Nou). A Landudal, dans une zone où l'accent hésite entre le vannetais et le KLT, Stancou, pi. de Stang, est devenu Stang-Cou. Mais à Ploudalmézeau l'accent est placé sur la pénultième : il n'aurait été placé sur ou que si Sanou avait véritablement été un composé : San-Ou, comme Coat-Bran, Poul-Pry, etc..

C'est également l'accent qui a préservé Sanniguérousse, en Mûr-de-Bretagne, C.-du-N. : l'accent secondaire est resté sur la dernière syllabe, sur le nom de la personne qui a donné son nom à ce sannig, et nous n'avons pas eu de Sain t-Niguéroux, Sain t-Higuéroux. . .

Ce n'est enfin qu'à cause de l'accent que j'hésite à considérer Saint-Nic, F., devant lequel Loth met un point d'interrogation, comme le même diminutif sannig : la prononciation bretonne actuelle san-vig ne constitue pas en effet un obstacle plus insurmontable pour cette intei>

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 385

prétation que pour l'interprétation Saint-. Mais on ne pourrait admettre sannig qu'à la condition de supposer qu'une interprétation erronée sani Nie a provoqué un déplacement d'accent, ou plutôt la création d'un accent sur Nie, senti comme mot indépendant et non plus comme suffixe.

QUELQUES SAINTS D'UNE AUTHENTICITÉ DOUTEUSE

Cette étude ne vise qu'à donner quelques exemples d'interprétations dont nous sommes en droit de douter, et à montrer que l'examen critique de tous les toponymes dans lesquels on a cru voir jusqu'ici des noms de saints, examen fait avec l'idée que le premier élément — lann, poul, log, san —, n'a peut-être aucun rapport avec le culte, ne manquerait pas de révéler un nombre considérable de confusions.

Nous ne considérerons que les noms qui suivent, dans les noms de lieux, le mot Saint- ; et encore laisserons-nous de côté ceux qui, bien que nous paraissant très douteux comme noms de saints, ne se laissent pas immédiatement interpréter comme noms d'hommes, adjectifs ou noms comuns : St Hilidu, St Guinel et St Guinée, St Homme etc.. Nous ne citerons que ceux qui se rencontrent dans d'autres toponymes où, de façon évidente, ils ne désignent pas des saints, mais servent simplement à qualifier un premier élément d'un sens plus général.

Une vallée peut être distinguée par

— un nom de personne — un caractère particulier indiqué par un adjectif — la proximité d'un point remarquable — la nature du sol — la présence de cours d'eau ; — la présence de certains animaux sauvages — sa végétation, arbres, arbustes ou cultures.

386 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

En donnant aux noms de saints que nous citons le s"ens qu'ils ont dans d'autres toponymes, nous pourrons les étudier dans cet ordre.

Certains d'entre eux étaient inconnus de Loth et de Largillière. Pour ceux qu'ils ont cités, plusieurs cas se présentent :

— les auteurs ont renoncé à les identifier : point d'interrogation ou « forme non sincère ».

— une étymologie est supposée, qui explique le nom du saint (Saint Logot ; log, gallois Uwg, brillant - Ns. 81, S. 120), ou une forme ancienne est rétablie (Haer-wethen, T-aer-wathen, ou Taer-wethen, pour Hervezen).

— le nom est rapproché du nom d'un saint connu.

Dans les deux premiers cas, l'interprétation proposée ici semble avoir plus de consistance ; mais même lorsque le nom est attesté comme nom de saint par ailleurs — ou semble l'être, car des confusions analogues peuvent s'être produites ailleurs, et des erreurs peuvent servir à étayer d'autres erreurs — , sa présence dans d'autres toponymes avec un autre sens interdit d'affirmer qu'après Saint transcription française d'un mot breton prononcé sant ou san, il désigne, dans tous les cas, un saint.

— Saint-VAKY : Inc. Ns, Inc. S. Nomenclature du Morbihan : Saint-Vary, Pluvigner. Non relevé dans d'autres toponymes.

Hyp. : forme mutée d'un nom de personne en B ou en M; ou composé dont le premier élément est une des formes sous lesquelles se présente, dans les toponymes le mot goaz, « ruisseau » (et cf. Rozvari, en Locarn, C.-du-N.).

— Saint NORVEZ (Orvez, Gorvez, Gorvé, Gorfwyr) : Largillière cite simplement Saint-Norvez, comme une ancienne très de Trézélan, rattachée à Bégard, C.-du-N. (S. 175, n. 7, 227, n. 35). Loth pense que le vrai nom doit être Orvez ou Gorvez (Ns. p. 99) et il rapproche d'autre

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 387

part (p. 46) du saint gallois Gorfwyr le saint Corvé qu'il voit dans Locorvé, en Glomel, C.-du-N.

Hyp. : L'N de Norvez appartient bien à san, comme le suppose Loth ; mais on doit rétablir un C et non un G ; c'est une double mutation dont la première peut être C/G ou C/H (Kergadiou, Kerhor..., -cadio, -cor...), suivie de la chute de la consonne initiale ; elle est fréquente dans les toponymes (cf. Keradiou, Kerado, Penors, Quillabonet, Quillor, avec Cadiou, Cado, Corz, Cabonet, Cor...). Nous pouvons supposer San-Corvez, comme Loc-Corvé, de même que nous avons Créac'h-Corvé, et, parallèlement, des Coat- Conan, Parc-Conan, Creac'h-Conan, Moulin-Conan, etc.

— Saint VIAN : Inc. S. Saint-Vian, en Pleugriffet (M). Loth suppose une mutation de Bihan : « il y avait une famille noble de ce nom à Fouesnant. Aussi est-il fort possible que dans Pleu-bihan (Plo-vian) le second terme soit le nom d'un saint » (Ns. p. 44).

Hyp. : II s'agit bien d'une forme mutée de bihan, mutation obligatoire après san, mais anormale après sant. L'adjectif bihan, qui est aussi un nom de personne très répandu, signifie « petit », et est le contraire de meur (/veur) et braz (/vraz). C'est ainsi qu'on doit l'interpréter dans Pleu-bihan, Plo-vian (cf. Ploemeur). Saint-Vian, en Pleugriffet, a la même formation (et sans doute exactement le même sens, v. n. 5) que le Stang-Vihan de Saint- Tugdual, et les 11 Stang-Vian du Finistère (contraire : Stang-Veur, Stang-Vras, F.).

— Saint DON : Inc. Larg. Saint-Don, en Glenac, Morb. Loth rapproche ce saint de Don fils de Non ap Selyf, en Galles (Ns. p. 34).

Hyp. : don, « profond » (bien que san-zon, avec la mutation d/z, eût été normale) ; peut-être est-ce le même mot que Saindo, en Theiz, Morb. : cf. Catholicon dou, profundus.

388 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

— Saint DEVAL : Inc. Larg. Saint-Deval, en St-Hernin, (F). Loth suppose un saint Eval (de Et-Wal) dont il croit voir le nom dans Meneval, en Kerlouan, et Kereval, en Plonéour-Trez (Ns. p. 40). (Ces deux communes sont, rappelons-le, voisines).

Hyp. : Deval, forme mutée de teval (avec un e généralement nasalisé), « sombre, obscur ». Cet adjectif ne serait pas surprenant après san, « vallée » (présence de grands arbres feuillus le long du chemin qui suit la vallée) ; mais je ne l'ai pas identifié avec certitude dans d'autres topony- mes, où il pourrait se présenter, comme second élément, sous différentes formes : teval, deval, eval, tenvel, tinval, tinvel etc.

— Saint HINGUER, Saint INGAR, Saint IUNCAR : Inc. Larg. Saint-Hinguer, Loguivy-Plougras, C.-du-N. Loth y voit Ingar, ou lnguer — un ancien luncar — qu'il retrouve dans après Lan dans Laninguer, en Saint-Pierre-Quilbi- gnon, et même après Créac'h, dans Creah-Ingar, en Tréfla- ouenan (Ns. p. 62).

Hyp. : San-Henguer, « le vallon du village de Henguer ». Ce composé (hen, « vieux », ker, « village ») se rencontre fréquemment dans les toponymes : dans les trois départements 24 Henguer, Hinguer, Hingair, Linguer, Ninguer, constituant à eux seuls des noms de lieux.

San-Hinguer, à 42 hectomètres au sud du bourg de Loguivy-Plougras, doit son nom au village de Hinguer, également au sud du bourg, à 24 hectomètres, de même qu'à Milizac (F.) Prat-an-Hinguer, à 40 hectomètres au sud du bourg, doit son nom au village de Hinguer, à 28 hect. sud.

Quant à Ingar (que l'on trouve seul, sous la forme Hingard, à Saint-Jean-du-Doigt, F., et à Brélévenez, C.-du-N.), les 14 Keringar que l'on trouve dans le Finistère (aucun dans les C.-du-N., M.) écartent, à cause de Ker, autant l'idée d'un saint que l'idée de hen-ker.

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 3891

— Saint VREGUET : Inc. Loth. Largillière : « II existe un saint Vréguet, qui donne son nom au hameau de Saint- Vréguet en Saint-Alban (C.-du-N.), zone française » (S. p. 49). Et l'auteur ajoute à propos de ce saint et de saint Brevet (chapelle de Kerbrevet, village de Sebrevet — un saint ?) : « II faudrait connaître les formes anciennes de ces différents noms de lieu avant de proposer aucun rapprochement sérieux » (S. p. 49).

Hyp. : nous pouvons au moins rapprocher le nom de saint Vréguet des toponymes du Morbihan : Vréguet, en St-Jean-Brévelay, Vrigouët, en Ploéren et Vré-Coët, en Colpo. Le premier élément est la forme mutée de Bré (colline), qui entre dans la composition d'une centaine de toponymes ; guet est également fréquent dans les toponymes, surtout comme second élément : T réguet, Trégouet, Le Fouguet, Hinguet, etc.. Le sens de Bréguet /Vréguet doit se rapprocher de celui de Raguet, en Plélauff, C.-du-N. ; et nous avons sans doute une déformation du mot dans La Braguette, en Plélo, C.-du-N.

— Saint CANEN, Saint CANO, Saint CANOU :

Le mot kano, qui n'est cité dans aucun dictionnaire breton, a subsisté dans le sud-ouest de la Cornouaille ; Ernault l'avait déjà relevé à Audierne : kano, sablon (R.C. IV, p. 157). Il est couramment employé à Plozévet et les communes environnantes, avec son dérivé kanoyenn, < endroit sablonneux, crique sablonneuse » (8).

(8) Cette hypothèse est fondée sur le fait qu'une partie de la Basse- Bretagne a conservé, dans la langue courante, un mot qui n'est plus attesté ailleurs. Pour les mêmes raisons, une autre interprétation peut être proposée, qui est aussi valable. Kan, qui n'a dans Grégoire de Rostrenen que le sens de « vallon ■», se trouve dans Le Pelletier avec une autre signification : « on dit aussi cân pour un courant d'eau ». C'est avec ce sens que M. P. Le Roux l'a relevé à Ouessant et à Plouhinec, F. (voir A.L.B.-B.^ carte 278). Il y a donc des toponymes dont les éléments can, canen, canou, cano — et leur formes mutées gan, han, an, etc.. — peuvent indiquer la présence d'un ou plusieurs cours d'eau

390 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

Kan, son collectif kano, son singulatif kanenn, avec tous les trois le sens du mot kanoyenn (singulatif formé plus récemment sur kano) doivent entrer dans la composition de bien des noms de lieux interprétés différemment, dans lesquels ils peuvent être masqués par des mutations (can, gan, han, an...). Une forme en -t semble avoir existé parallèlement à can. Loth cite, à propos de Saint Canen : Llanganen et Llanganten, en Galles, Lan-ganen en Plou- névez-Moedec, C.-du-N., et Roz-e-ganten, en Ploerdut, M. On peut ajouter que l'on trouve, à côté des Trégan, Trégano, Kerganou et Langanou : Kergant, en Clohars- Carnoët, F., Kerganten, en Penmarc'h, F., Langantec, en Cleden-Poher, F., et le nom de deux plages de Plozévet, F., Cante-Vihan et Cante-Vraz.

Saint-Cano, en Erquy, C.-du-N., ne peut s'expliquer que par la confusion san-sant, le deuxième élément étant kano, « sable », que nous retrouvons, avec kanenn, dans les toponymes Langanou, Langanen, etc.. — et très probablement dans ce Plougannou de Ploumagoar, C.-du-N., dont Largillière interprète le Plou- par un ancien Poul (S. p. 57), rejetant ainsi l'interprétation de Loth : le plou de saint Catoc (Ns. 19).

— Saint DRÉ, Saint DREG, Saint DREYER :

Outre kano (et sab, zab — cf. Poul-Zabren, en Pleubian, C.-du-N.), un autre mot traduit « sable » : traez, treaz, en vannetais treh, tre. Un toponyme san-dreh, san-dré, « la vallée où il y a du sable, où l'on prend du sable » dans le Morbihan, ne serait pas surprenant. Pour ce saint Dré (Saint Dré, en Noyal-Pontivy, M.), Loth n'est pas affir- matif : « On ne peut guère se fier à ce nom isolé et dont la prononciation n'est pas établie » ; et il se contente de le rapprocher de Llan-dre, en Carmarthenshire (Ns. p. 34).

J'hésite à interpréter par « sable » le Saint-Dreg de St-Goazec, F. : à moins de supposer une reconstitution d'un singulier en g d'après un pluriel trehier, treyer, de treh ou de tré, il semble difficile de passer d'une forme à l'autre. Mais il est néanmoins probable que nous nous

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 391

trouvons devant un san-dreg, et que treg est un nom commun dont le pluriel Tregou, Trego, est attesté à Plouasné et à Pléneuf, C.-du-N. ; et nous retrouverions sans doute ce treg parmi les toponymes habituellement interprétés Tré-g... (et cf. Queldrec, en Plozévet, F.).

Saint-Dreyer, en Plouhinec, F. (un point d'interrogation dans Loth) peut contenir un autre pluriel de treg, ou le pluriel de tré — à moins que treyer ne soit une forme palatalisée de Tréguer (mais il ne se trouve pas dans une zone où la palatalisation de g est courante. Et noter qu'à Plouhinec on trouve, sur la côte, an Dregan, avec l'accent sur -an).

— Saint PRY3 Saint BRY : Inc. Loth et Larg. Saint-Bry, en Plélo, C.-du-N.

Hyp. : pri, « argile, terre glaise ». C'est un élément que l'on rencontre fréquemment en toponymie : Poulpry, etc.; San-Bri : « vallée argileuse », ou « d'où l'on extrait de l'argile ».

— Saint B1LY, Saint VILY : Inc. Larg. Nomenclature du Morbihan : Saint-Vily, en Loyat, Saint-Bily, en Plau- dren. Ce dernier est noté Saint-Vily par Loth (Ns. p. 14), qui cite également Lan-Vily, en Argol, F., et se demande s'il s'agit de saint Bili, évêque de Vannes.

Une mutation B/V serait anormale après le masculin sant ; le féminin san} au contraire, exige cette mutation en V aussi bien pour B que pour M. La forme donnée par Loth nous montre que Saint-Bily, en Plaudren, est une réfection moderne de San-Vily.

Hyp. : bien que bili soit un nom propre très fréquent dans les chartes (Loth Chrest. p. 110), nous interprétons ce toponyme : « vallée où il y a des galets, de petits cailloux ». Le collectif bili se retrouve dans d'autres noms de lieux : Billy, Biliguen, Billiec, Lanarvily, Nervily, et sans doute Trevily, Kervily, Glevîly. San-vily est construit comme Pourbily, M.

392 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

— Saint STER, Saint STERLIN : Nom. du Finistère : Saint-Ster, en Ste-Sève ; Nom du Morbihan : Saint-Sterlin, en Kervignac. Inc. Larg. Loth ne cite pas le premier ; pour le second il suppose une faute de transcription.

Hyp. : ster (estuarium- esterium, « étier ») se rencontre dans les noms de lieux, soit isolé, soit suivi d'un qualificatif : Ster-goz, Ster-zu, Ster-Kreiz, Sternalé, Sterlan, Stervins, etc., soit comme second élément : Pen-er-Ster, Pont-Ster, Kerester, etc..

Saint-Sterlin se trouve dans le canton de Port-Louis où les Ster, qualifiés ou non, sont fréquents (cf. Buffet, Top. du canton de Port-Louis, in Ann. de Bret., LIX, 1952, p. 332).

M. Buffet, à propos de Saint-Sterlin, écrit : « Je ne sais quel est l'éponyme de Saint-Sterlin (Saint-Cerdevin, 1398, K.). Là non plus il n'y a pas de chapelle » (ibid., p. 320). La forme ancienne qu'il cite semble confirmer la supposition de Loth d'une forme non sincère. Mais il est probable qu'il s'agit là de deux mots totalement différents.

Hyp. : Sterlin est composé, comme Sterlan, en Pluvi- gner, M., de ster et d'un qualificatif désignant une végétation (lin, « lin » ; et voir Saint-Lin). Sterlin désigne plus exactement (car on ne cultive pas le lin dans les vallées) un endroit où l'on rouit le lin ; ce bassin, naturel ou artificiel, est encore appelé stang-lin, poull-lin, lenn-og, oglenn (dans les toponymes : Noglenn, Noglennou), poull- og, poull-ogan (og, « eau de rouissage », ogan, ogi, « rouir ») ; ce sont des mots que l'on rencontre fréquemment comme noms de lieux (et cf. infra : Saint-Voirin).

On trouve d'ailleurs le pluriel de ster-lin comme nom de deux hameaux, l'un au Faouët, l'autre à Priziac (M.) : Steroulin (9).

— Saint LENO : Inc. Larg. Loth (Ns. p. 79) : « Leno (saint) en Lanouée, Morb. : cf. st Llynawg (Iolo Mss) ? ».

(9) Dans le même ordre d'idées : Komm, « foulerie, lieu où l'on foule les draps », milin-gomm, « moulin à foulon » (Le Gonidec) ; c'est peut-être l'explication de Saint-Homme en Plouha, C.-du-N.

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 393

Hyp. : Lenn, « étang », pi. lènnou, Lenno.Ci. les topo- nymes Le Len, Le Lenne, Le Lenno, Le Leno, etc., et les nombreux composés dont il constitue le second terme : Pratelen (Prat-el-Len), Stang-Lenn, etc..

— Saint DOUÉ : Inc. Larg. Nom. du Morb. : Saint-Doué, en Questembert. Loth identifie ce saint au saint Doe de Doelan, Plouay (Ploe-zoe) et de Llan-Ddwy, en Galles.

Hyp. : Doué, (Douai, Douais, Douets) fréquent dans les noms de lieux, soit seul, soit en composition : « lavoir ».

— Saint MAZOU, Saint GOAZOU, Saint GOAZEC, Saint VOIRIN :

Loth est incertain pour saint Mazou (Ns. p. 90) qu'il voit dans Goarem-Saint-Vazou, en Plourin, F.

Vazou peut également être une forme adoucie de Bazou, Fazou, ou Gwazou. Loth rétablit d'ailleurs (ibid. p. 139) saint Goazou d'après une variante locale Saint-Oazou qu'il trouve du même toponyme. Pour ce saint Goazou il se contente de renvoyer à saint Goazec, autre saint embarrassant, qu'il ne faut pas confondre avec Gouezec, Gouez- nou : son nom rapelle « le gallois Gwassawc qui apparaît dans le Livre noir : gwassawc meu fit, le garant de ma foi » (Ns. p 44) ; Lan-oazoc, en Ploudaniel, lui suggère une autre hypothèse pour une forme ancienne du nom du saint : Goathoc, Goethoc.

Hyp. : des dérivés d'un des mots bretons pour « ruisseau » (Gr. de R. : à côté de gouer, indique goaz, goez, vann. goëli ; Ern. Geriadurig : gwazeg, lieu plein de ruisseaux).

Goaz est le nom d'un très grand nombre de lieux, sous ses différentes formes du singulier : Goaz, Gouez, Goah, etc., et du pluriel : Le Gouezo, Gouachou, Goajou, etc. ; le plus souvent il est qualifié, et il n'est pas toujours facile à reconnaître : Voas-Ven, Woas-Ven, Oasven, Noasven, (Goaz, et gwenn, blanc), Woalas, Oalas {glaz, vert), etc. Goaz est probablement le second élément de Ouioua, Le Faouët, M.

12

394 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

San Oazou, Goarem-Sant-Vazou, en Plourin, est formé comme Penvoaziou, en Plougonven, F., Stang-er-Gouay, en Bubry, M., etc..

Nous pouvons supposer également que dans certains au moins des toponymes où ils apparaissent, Goazec et Gouezec sont des dérivés de goaz, gouez. Loth lui-même hésite à supposer un saint Goathoc, Goethoc — d'où Goazec — en partant du toponyme Lan-oazoc, en Plouda- nel, F. : celui-ci peut signifier : « Lande arrosée par des ruisseaux » (JMs. p. 44). C'est l'hypothèse la plus vraisemblable : Lan-oazoc est formé coinme Pratoizec (Prat- Goazec) en Plounez, C.-du-N. Loth a hésité parce qu'il se méfiait de la confusion possible Lann-Lan : s'il avait relevé un San-Oazoc ou un San-Oizec, aucun doute n'aurait subsisté dans son esprit.

Quant à Saint-Voirin, en Le Cloître-Pleyben, F., que ne cite ni Loth ni Largillière, les différentes formes que nous avons citées plus haut de goaz (woalas, Oalas...) dans les toponymes nous permettent de voir dans ce nom un autre composé de goaz ; le deuxième élément peut être un lin masqué par le rhotacisme de l'initiale (cf. skoulm, « nœuf », skourm à Keramoroc, C.-du-N. ; die et dre, « doit, du verbe dleout, « devoir », etc..) . goaz- lin aurait le même sens que s ter-lin, « endroit où l'on rouit le lin ». Mais il est plus probable qu'il s'agit d'un rin, ren, que nous étudierons plus tard, et qui est un des nombreux termes désignant un cours d'eau dans la toponymie celtique.

— Saint DOURVEN, Saint DOURIEN, Saint DOU- RIENO, Saint FROVEN, Saint OURZAL :

Largillière donne le cas de la chapelle Saint-Dourven en Lanvellec, C.-du-N., dédiée à saint Goulven, comme exemple de substitution de saints bretons connus à des saints locaux (S. p. 96).

Hyp. : l'adjectif gwenn, « blanc », qualifie un ruisseau dont l'eau est claire et peu profonde, et laisse voir le sable blanc du lit ; Gr. de R., sv « Canal » : Canal blanc, dont le

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 395

fond est de sable blanc, canol venu, froud venn (cf. Sterven, en Ste-Sève, F., Stanguen et Stanven, noms de plusieurs villages du M. — pour Stang-guen - — et cf. les Goasven, Oasven etc.. cités plus haut). Gr. de R. donne également, pour indiquer un « canal noir, dont l'eau est profonde », canol du, froud du (cf. Sterzu, en Lennon, F.).

Dour, qui n'a dans la langue courante que le sens général de « eau », désigne plus particulièrement en toponymie un « cours d'eau » (10). On note dans le Finistère seul 56 noms de lieux Dour, Dourig, Dourigou, et composés dont Dour- est le premier élément.

Parmi ces Dour- du Finistère, nous relevons 6 Dourguen, et en Trédrez, C.-du-N., un Dourven. Ces noms sont des synonymes des Canol venn et froud venn de Gr. de R., et San-dourven de Lanvellec peut signifier « la vallée où coule un ruisseau aux eaux claires ».

Et c'est froud venn que nous avons dans le nom du hameau de Kermaria-Sulard, C.-du-N., que ne cite ni Largillière ni Loth : Saint-Froven (cf. Froutven, en Gui- pavas, F., Guenfrout, en Plouvorn, F.).

Dans le Finistère, nous notons 2 Douryen ; ce mot semble formé sur dour, signifiant également ruisseau. Nous le retrouvons comme nom de saint à Servel, C.-du-N.: Saint-Dourien sur la carte E.-M., Saint-Urien dans la Géogr. dép. des C.-du-N. (Cf. Larg. S. p. 96, n. 3), et Saint- Dourieno sur la Nomenclature des C.-du-N.,

C'est enfin le même mot Dour qu'il est permis de voir dans le Saint-Ourzal de Borspoder et de Landunvez, F., dans lequel Loth suppose soit un saint Tourzal, soit un saint Wrzal (Gourzal, d'un ancien Gwrthal). « II y a en Galles, dit-il, un nom qui en est très voisin : c'est Wrthwl ou Gwrthwl, qui a donné son nom à Llan-wrthwl en Brecknockshire et maes Llan-wrthwl en Carmarthenshire » (Ns. p. 100). Ces deux Saint-Ourzal que cite Loth ne sont pas cités dans la Nom. du F. (Landourzan, à Landunvez ?).

; (10) En top. marine, dour, dourig, ont le sens de « ruisseau d'eau douce » (cf. A. Guilcher, Top. côte bret. entre Audierne et Gamaret, p. 12 et p. 80).

396 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

* * *.

— Saint EOST : Inc. Larg. Inc. Nomenclatures. Loth l'a noté, comme ayant donné son nom à un village de Rosnoen, F., Saint-Eost : « Eost = Agustus, pour Augustus : ce serait un saint Auguste quelconque » (Ns. p. 132).

Hyp. : Eost, « rossignol », qui, dans la langue courante^ a été remplacé par un dérivé, son diminutif eostig (cf. ran, ranig, « grenouille », et cf. gallois eos, « rossignol »): san-eost, « la vallée au rossignol ».

— Saint GOUIDI : Inc. Larg. Inc. Nom. Loth a noté un hameau Saint-Ouidi, en Tréflez, F., et suppose un saint Gouidi ou Houidi (Ns. p. 47).

Hyp. : si la forme relevée est exacte (sur la nom. il existe un Kerouili) Houidi peut être le pluriel de nouât, « canard » ; san-ouidi, « la vallée aux canards ».

•■— Saint BRAN, Saint VRAN : (non cité dans Larg.), Saint-Vran est une paroisse des C.-du-N. Loth signale un Bran, cousin de Saint Columba, et un Bran ap Llyr, qui aurait été le premier chrétien de l'île de Bretagne (Ns. p. 15).

Hyp. : bran, « corbeau », pi. brini ; bran apparaît souvent dans les toponymes, et san-vran est formé comme Stang-Vran, à Riec-sur-Belon, F., Rubran à Spézet et à Trégunc, et Rubrini, à Plouarzel, etc..

— Saint LOGOT : Saint-Logot, village de Trémet (ancienne trêve de Plestin, C.-du-N.). La forme bretonne du nom se trouve dans le nom du village qui touche au premier, Becherel-Zan-Logot.

Loth (Ns. p. 81) se demande si le nom de ce saint ne serait pas un « dérivé de log = gallois llwg, brillant (am- Iwg) ». C'est le sens qu'accepte Largillière (S. p. 119-120), qui rejette l'interprétation logod, « souris » (que lui suggéraient les habitants même du lieu, en même temps que zan '■= « vallée »), bien qu'il signale que logod =

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 397

souris » ait servi à former un nombre considérable de noms de lieu » ; et il cite Collogot (Coat-logot), en Plestin. à 3 kms de Saint-Logot (11).

Hyp.: celle des paysans de Plestin, san-logod, « la vallée aux souris ».

Le mot qui désigne une végétation peut se présenter sous différentes formes qui toutes semblent avoir le même sens « couvert de cette végétation » (adj.) ou « lieu couvert de cette végétation » (subst.), même le singulatif, qui ne désigne dans la langue courante qu'une unité parmi ces plantes (Scavenn, « un sureau » ; mais en toponymie : « un bosquet de sureaux »).

Prenons comme exemple spern (« épines, arbrisseaux » — Ern. Ger.), scao (« sureau ») et beuz (« buis »), et cherchons leurs formes diverses dans les toponymes des trois départements bretons :

— le collectif : Spern-ar-Bic ; Bos-Cao, Coscau, Boscave {Bod-Scao) ; Beuz.

— le pluriel du collectif : Lespernou, en Plouhinec, F., Pembuzo (Penn-Buzo) ; Kerscavier (cf. Bodivino, Brugou, Korzou, etc.).

— le singulatif : Spernen ; Scaven ; Pont-ar-V euzenn (nom breton de Pont-de-Buis, F.).

— le pluriel du singulatif : Scavennou (cf. Dreinenno). — le dérivé en -it, -et, -ot : Spernit, Spernot ; Scaouit,

JSquivit, Scavet, Scaouët, Scaout, Scout, et peut-être Caouët,

(11) II faut citer en entier un paragraphe de Largillière, car la marche de son raisonnement est assez difficile à suivre :

« II ne peut y avoir de doute^ il s'agit bien d'un saint; les hypothèses qui tendraient à voir dans ce nom de lieu une déformation d'un ancien nom de lieu en -logod : souris, ne sont pas possibles (en note : exemples de top. avec logod et français souris). On ne sait rien de ce saint; il n'y a aucun souvenir de chapelle en cet endroit; qui plus est les paysans ne se rendent pas compte que le nom de ce hameau comporte le nom d'un saint. Le nom de lieu n'a pour eux aucune signification, ils ne cherchent pas à l'interpréter. Raison de plus pour décider que ce nom de lieu complètement figé est ancien et qu'il ne s'agit pas d'un saint fabriqué par les paysans » (S 120).

398 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

Caout — v. sv. Saint-Gaouënnec ; Beuzit, Veuzit, Buzit, Vuzut.

— le pluriel de ce dérivé en -it : Bouzidou, Buzidoii, Beuzedo.

— le dérivé en -ec, -oc : Spernec, Spernoc ; Squiviec, Beuzec.

— le pluriel de ce dérivé en -ec ; ce suffixe -ec peut devenir -eger ou -ejer, et, dans le Morbihan, egui : Sper- neger (]pron. Spernejer), Sperneguy ; Beuzaifer.

— le dérivé en -ec, -oc, du singulatif (cf. .anthr. Scaven- nec, Favennec...).

— le pluriel de ce dérivé : Scavenneger. — des dérivés secondaires, en ic, -el, -an : Squividan •

Buzidan, Beuzidel, Veuzidel (cf. Nervennic, Nervouedic, de Dero, « chêne »).

On ne trouve pas toujours, dans les toponymes, un exemple pour chacune des formes possibles et pour chaque nom d'arbre. Une étude méthodique des composés, dans les nomenclatures et sur les cadastres, permettrait sans doute de compléter la plupart des séries.

Pour les noms de saints, ces séries offrent un double intérêt :

— la présence, parmi les saints, de noms appartenant à une même série permet de supposer qu'il ne s'agit pas toujours de saints authentiques : saint Beuzec, saint Beuzit ; saint Onen, Saint Onet.

— C'est parmi les noms de saints que l'on trouve parfois les formes que l'on cherche pour compléter des séries : c'est en cherchant dans les noms de lieux le singulier de Beuzayer, en Moustéru, C.-du-N., qu'on est amené à l'imaginer dans certains Beuzec.

— Saint BEUZEC, Saint BEUZIT :

Pour Loth, tous les toponymes Beuzec et composés dé Beuzec contiennent le nom de saint Budoc (Cornwall : Saint Budock), même Parc-bras-Beuzec (Ns. p. 14). Pas plus que Loth, Largillière n'envisage la possibilité d'une identification erronée de Budoc et de beuzec, dérivé de

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 399

beuz, « buis », et signifiant « buissaie » : il écarte simplement comme sans valeur l'explication par la possibilité d'une telle confusion de la présence de Beuzec comme nom de paroisse sans que le nom soit précédé de Saint-, Pion-...

Hyp. : sans affirmer qu'aucun des Beuzec né doit son nom à saint Budoc, nous pouvons dire qu'aucune raison majeure n'oblige à voir le nom du saint dans tous les toponymes. L'existence de noms dérivés en -ec, -oc, tels que Spernec, Spernoc, Drenneg, etc., et surtout du nom Beuzayer, à Mousteru ,C.-du-N., pluriel d'un Beuzec comme Sperneyer est le pluriel d'un Spernec, sont des raisons suffisantes pour imposer la nécessité sinon d'affirmer du moins d'envisager une confusion dans certains cas entre le nom du saint et le nom commun beuzec. Le hasard seul a dicté, dans la formation des noms de lieux, le choix, pour « buissaie, buissière, boexière », entre les mots beuz, beuzit, beuzidou, beuzenn, beuzec, beuzayer... Et Pont-ar- Veuzen, nom breton de Pont-de-Buis, F., eût pu être Pont- Beuzec ou Pont-Veuzec, comme certains Beuzec eussent pu être des Beuzenn, Beuzit, etc.

Quant à Saint-Beuzit, en Riec-sur-Belon, que ne cite ni Loth ni Largillière, aucun rapprochement ne semble possible avec un nom de saint : c'est le Beuzit, Veuzit, de plus de 20 autres villages du Finistère. San-Veuzit est construit comme Ménez-Buzit, en Châteauneuf-du-Faou, et signifie « la vallée au buis ».

— Saint CAOUENNEC : Loth ne cite pas ce saint. Caouënnec est le nom d'une commune des Côtes-du-Nord. Largillière rapproche ce nom de celui de St Cavan (6 Saints, p. 38) ; il signale que c'est le seul exemple de nom de lieu formé avec un nom d'homme et le suffixe -ec (S. p. 71) ; et il s'appuie sur cet exemple pour en supposer un autre : Pedernec (Saint Pedern, Paternus), et pour émettre l'hypothèse d'un emploi du suffixe breton -ec dans les toponymes, semblable à celui du suffixe gallo-romain -acus.

400 CHRONIQUE DE ÎOPONYMIE

On pourrait voir dans Caouënnec, non un saint, mais un dérivé de caouenn, « chouette », qui voudrait dire « lieu infesté de chouettes », comme Logodec (sur Logod), Brannec, Branhoc, Vranec (sur bran) désignent des lieux infestés de souris, de corbeaux.

Hyp. : le singulier, que je recherchais dans les topony- mes, de Scaveneyer, en Santec, F., et le correspondant, dans les noms de lieux, du patronyme Scavennec, dérivé de Scao, « sureau » (12).

La correspondance sk-k est fréquente en breton : skarza et karza, « curer », skorz et korz, « roseau », skoulm et koulm, « nœud », etc.. Et nous en avons des exemples en toponymie, parmi les dérivés mêmes de scao, désignant tous un lieu planté de sureau : Quivit, à Châteaulin, Lannédern, Plogonnec, F. (Squivit), Quividec, en Plougon- ver, C.-du-N. (Squividec non attesté), Caouët, Kerlaz, F. (Scaouët) et Caout, Plouigneau et Lannéanou, F. (Scaout).

— Saint MEZO : Inc. Larg. Loth identifie ce saint qu'il voit dans Liorz sant Vezo, en Lanhouarneau, au saint gallois Medwy, qui a donné son nom à Llan-fedwy, Glan. (Ns. p. 93).

Hyp. : Bezo, « bouleaux », (V peut être aussi bien une forme adoucie de B que de M). Loth ne cite ce nom d'arbre dans son article que pour comparer l'évolution du nom du saint en Mezo à celle de betuos en bezo. Le mot bezo et ses dérivés se rencontrent fréquemment dans les topony- mes : Le Bezo, Le Bezit, Bezidel, Bezidant, Bezoué, Vevit, etc..

— Saint YV1NET, Saint ÏVINEC, Saint IVONNEC : Inc. Larg. Pour le premier (Saint-Yvinet, en Guiscriff, M.), Loth met un point d'interrogation. Pour le second (Saint-Ivinec, en Huelgoat, F.), il suppose To-winoc (Ns. p. 68).

(12) Le nom Scahunec (Alanus dictus...) que l'on trouve dans le Cartulaire de Quimper, peut être différent — bien que là aussi il ait pu y avoir une graphie fautive. Loth le rapproche des verbes cahuni, cafuni, « couvrir le feu, couvrir quelqu'un avec soin dans son lit » (Chrest., p. 230).

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 401

Hyp. : « un lieu planté d'ifs » ; on trouve fréquemment dans les toponymes, avec ce sens, seuls ou dans des composés : ivinet, Ivinit, Ivinoc, Iv.it — et Nivit, Nivot — , Ivo, Ivino, Ivin, Ivinen...

Quant à Saint-Ivonec , en Plesidy, C.-du-N., pour lequel Loth (ibid) se demande si le nom du saint n'est pas un dérivé de Yvon, on peut aussi raisonnablement y voir un ivinet contaminé par ivo.

Ces toponymes désignent, comme Stang-Nivinan, en Penvenan, C.-du-N., « une vallée plantée d'ifs ».

— Saint DERVEN, Saint ERVEN, Saint HERVEZN : Loth (Ns. 40) relève Saint-Derven à Grandchamp et à Meucon, M. (on le trouve encore à Brandivy et à Pluvigner, M.), et considère que c'est une mauvaise graphie pour Saint-Erven. qu'il trouve écrit correctement à Plouay, M. Il rapproche ce nom de celui du saint gallois Erwyn et de la sainte Armine des ancienne litanies.

Hyp. : Dervenn, « chêne » ; en toponymie, seul ou dans des composés : Dero, Derff, Derf, Derc'h, Dervenn, Der- vennic, Nervouët, Nervouédic, Nervennic, Nervido... ; san-dervenn : « la vallée au chêne ».

Saint-Ervenn est acceptable avec ce sens : mauvaise graphie pour san-dervenn. L'assimilation du d par Vn qui le précède est fréquente (de même que le développement d'un d ou d'un t après n) : cf. ounnar, annouar, andour, m. bret. annoer, « génisse », v. br. ender-ic, « jeune taureau », v. irl. ainder, « jeune fille ».

Quant à Saint-Hervezen, en Lignol, M., peut-être est-ce, comme le suppose Loth (Ns. 62), un ancien Haer-wathen, T-aer-wethen, ou Taer-wethen. Il s'agit d'une chapelle ; en 1414 la forme était Saint-Terguezen, et en 1418 Saint- Arvezen. La prononciation locale Zanterwen que signale Loth fait penser au saint Derven que nous venons de voir, et il admet qu'il puisse s'agir du même saint. Une autre hypothèse, en restant dans les qualificatifs possibles d'une « vallée », serait er wen, « l'arbre » (cf. ALBB, cartes 291 et 298: er weyen, à Ploerdut, er wen, au Faouët, « l'arbre »)

402 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

— cf. d'autres topônymes : Locquervezen, à La Chapelle- Neuve, C.-du-N., Stang-ar-Vezen, à Rosnoen, F. etc.. Cette interprétation supposerait un développement de d, t, après Vn de san, ce qui n'est pas impossible (cf. Tromande, en Pouldavid, écrit Tromanne au 18e siècle — Per Denez, Rannyezh Douarnenez, st. 1, p. 7 ; et cf. poandiou, pour poaniou, « peines », dans une chanson populaire bretonne, n° 6 du rec. fact. Rennes B.M. 77.755).

— Saint DRENO, Saint DERENO : Nom. des C.-du-N. : Saint-Dreno, en Ploulec'h. Le même village est cité Saint- Dereno par Larg. : « ...Comme le nom commence par un D dans l'écriture, il est probable que la forme sincère commence par une voyelle et que l'on doit rétablir Saint- Ereno » (S. p. 120-121). Nous ne connaissons rien de plus sur ce saint.

Hyp. : San-dreno, « la vallée aux épines », dreno étant le pluriel formé sur le collectif drein, « des épines », singulier drean, singulatif dreinenn. Parallèlement à spern « épines, aubépine », et à ses dérivés (Spernot,' Spernec, etc.), à drez « ronces », et à ses dérivés (Drezit, Drezidou, Drezec, Drezoc, Mestrezoc, etc.), drein et ses composés ont été utilisés en toponymie pour désigner « l'épinaie », « la roncière » : Pouldren, Poul-Dreigne, Drenec, Dreneuc, Drenoc, Drenit, Dreno, Dreinenno, Dreignennou... Le Dereno que Largilliere considère comme un saint (Ereno) est le même Dreno que nous relevons à St-Gilles -Vieux- Marché, C.-du-N., et Saint-Dreno en Ploulec'h a la même formation que Pont-Dreno (13) en Le Cours, M. Les graphies Derenot et Dereni que Largilliere relève sur le cadastre confirment cette hypothèse : ces mots peuvent être employés indifféremment s'ils désignent « l'épinaie » {drenot, drenit), mais ne pourraient constituer, avec Dereno, une série de 3 formes d'un même nom de saint.

(13) Drean, dans Pont-Drean, qui aurait pu être une mauvaise graphie pour Rean {rean, ran, « grenouille », cf. Pont-Rean, interprété ainsi), doit également désigner une épinaie, car Pont-Drean et Pont- Dreno ne sont attestés qu'une fois sur les Nomenclatures, et se trouvent sur la même commune (Le Cour, M.)-

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 403

— Saint LIN : Inc. Larg., inc. Loth (qui a noté un Saint Lienne, en Thédillac, avec un point d'interrogation) ; Nom. des C.-du-N. : Saint-Lin, en St-Vran.

Hyp. : l'un des premiers papes a été Saint Lin ; mais dans ce toponyme il est possible que nous ayons simplement lin, « lin », que l'on trouve fréquemment dans les toponymes: Le Lin, Kerlin, Kerlino, Lingoz, Linhos, Linru, Poullin, Poulino, Pont-Lin, Poulinoc, Kerlineut, etc.). C'est le même Lin que nous avons vu plus haut dans Saint- Sterlin et Steroulin. San-lin sl la même formation que Poul-Lin, et désigne « la vallée où l'on rouit le lin ».

— Saint ONEN et Sainte ONENNE, Saint ONET : Saint- Onen, Plenée-Jugon, C.-du-N. (inc. Loth, Larg.) ; Sainte- Onenne, en Tréhorenteuc, M., que Loth rétablit Ste Onen : « Galles : Onen était la mère de Saint Elaeth... et fille de Gwallawc » (Ns. 101).

Hyp. : onenn, « frêne », singulatif de onn; cf. Rosnonen, en Le Téhoux, F. (Roz-an-onen, formé comme Rosnivinen, en Bolazec, F.) ; on trouve le plus souvent onn et ses dérivés munis de Vil de l'article an : Nonen, Noneno, Nonennou, etc..

Un autre dérivé de onn est le saint Onet que Loth (ibid.) suppose dans Logonet, en Sauzon, Belle-Isle.

CONCLUSION

Je ne me dissimule pas que certaines des hypothèses émises ici au sujet de quelques noms de saints risquent d'être un jour infirmées. Le relevé complet des noms portés sur les cadastres apportera des éléments de comparaison ; le dépouillement des chartes et des actes qui dorment encore dans les archives et les bibliothèques nous donnera lès formes anciennes indispensables à la sûreté d'une interprétation (si Loth, p. 98, n'avait pas relevé pour Saint- Nio en Caudan, M. — pr. Zaniaw — une forme Saint-Niziau

404 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

de 1497, je n'aurais pas hésité à considérer ce toponyme comme un dérivé de s an). Enfin, les meilleurs éléments de, jugement nous seront peut-être apportés par l'observation même du terrain ,en particulier pour les san : nous n'insisterons pas pour interpréter par « vallée » un san situé sur une plaine, ou sur le sommet d'une colline. Il y a par contre de fortes probabilités pour que nous ayons ce san dans le nom du village Douar-Zan (nom. : Douar-Zant) en Langolen (F.) : il n'y a en cet endroit aucun souvenir de saint, et le village se trouve dans une petite vallée où coule un petit affluent de l'Odet.

L'objet de cette étude était de montrer que la possibilité de confusions entre san, « vallon », et sant, « saint », entre log, « pièce de terre » (14), et loc, « lieu sacré », est aussi évidente que la possibilité de confusions — dont Loth et Largillière tiennent compte — ■ entre lann, « lande », et lan, « chapelle, oratoire, monastère », et entre plou, forme metathetique de poul, « mare » et plou, « paroisse » ; et de montrer que la seule présence de Plou-, Loc- ou Lan- devant un nom ne permet pas d'affirmer que ce nom est celui d'un saint : avant de conclure, pour chaque cas particulier, par une affirmation nette, il faut d'autres éléments de discrimination.

(14) Revenons, en fin d'article, sur le sens de san et de log. Certains mots^ en général courts, ont été remplacés, pour des rai

sons que nous analysons ailleurs par des dérivés (soit sur toute l'aire bretonnante, soit sur une partie seulement) : tels sont par par exemple to, «toit» (toenn), moug, «fumée» (moged) ; eienenn, « source », pl.e/e/î, a remplacé eg, que l'on retrouve en top.; etc.. Le mot enez, « île», a été évincé, dans la langue courante, par son dérivé enezenn, et ne s'emploie en général plus que pour désigner un lieu bien déterminé, c'est-à-dire comme toponyme : mont d'an Enez signifie, dans la baie d'Audierne et le Cap, « aller à l'île de Sein ». Et nous avons vu (note 6) que stank, avec le sens de «vallée», a subi le même phénomène, et ne se retrouve plus que dans les toponymes, la langue de tous les jours utilisant son dérivé stankenn.

Nous avons donc de très fortes raisons de croire que san et log sont d'autres illustrations de ce phénomène si fréquent en breton, et que nous pouvons leur donner, en toponymie, le sens que l'on donne dans la langue courante à leurs dérivés saonenn, «vallon», et logel (pr. loguel) « pièce de terre »,

CHRONIQUE DE TOPONYMIE 405

Ceux qui ont été utilisés ici, pour les seuls noms qui suivent Saint- dans les toponymes bretons, sont les suivants :

t— tous les noms de saints que nous avons analysés se retrouvent dans d'autres toponymes, avec un sens bien déterminé; en les interprétant avec ce sens, ce sont des mots qui qualifient tout naturellement une « vallée » ;

— tous les groupes de qualificatifs qui peuvent se présenter à l'esprit pour déterminer une « vallée » sont représentés parmi ces noms de saints (voir p. 385) ;

— enfin certains de ces noms se présentent sous des formes et en des séries, qui seraient normales pour des noms communs, et qui le sont beaucoup moins pour des noms de saints : singuliers de pluriels attestés par ailleurs en toponymie (Saint-Sterlin, et Steroulin), pluriel et singulier (Saint-Dreg, Saint-Dreyer), différents dérivés du même mot (saint Beuzec et saint Beuzit, saint Goazou et saint Goazec...).

Largillière, et surtout Loth, ont étudié les noms de ces saints que leur révélait la toponymie ; ils ont essayé de les identifier, par des rapprochements avec d'autres saints gallois, comiques, ou irlandais. Bien que les résultats n'aient pas toujours été convaincants, même pour les auteurs, il était indispensable de faire ces recherches. Les nombreuses confusions que les deux savants ont relevées, et celles contre lesquelles ils ont mis en garde, font que cette étude, loin d'être une critique de leur œuvre, en est en quelque sorte un prolongement,; elle n'a été possible que grâce à elle, et elle a été facilitée par la publication de listes plus complètes de toponymes qui ont permis de faire des rapprochements plus nombreux et de relever, d'une part, des noms de lieux dans lesquels san et loc n'ont pas le sens sacré qui leur était traditionellement accordé, d'autre part, des noms de lieux dans lesquels les noms portés par ailleurs par des saints sont de toute évidence des noms communs. Et surtout elle applique la grande leçon de prudence qui se dégage de l'œuvre des deux savants. Même lorsque le nom du saint breton rap-

406 CHRONIQUE DE TOPONYMIE

pelle le nom d'un saint découvert dans la toponymie galloise, il n'est pas prouvé pour cela qu'il s'agit d'un saint authentique, car . rien n'écarte la possibilité de confusions analogues au Pays de Galles. Et dans les cas les plus probants où le nom a pu être identifié à celui d'un saint gallois incontestablement authentique, il est hasardé d'affirmer pour autant que tous les lieux portant le nom de ces saints leur sont consacrés, et qu'en aucun cas nous ne nous trouvons par exemple devant un beuzeg « boexière » ou un Conan simple nom d'homme.

Il y a eu des confusions, et les conséquences sont de deux sortes :

— on a supposé des saints oubliés, et on a allongé une liste déjà longue ;

— on a élargi, et déformé, l'aire du culte de certains saints connus, eh y comprenant des lieux qui ne leur sont pas en réalité consacrés.

Et ce dernier point tire un intérêt particulier de la publication du dernier ouvrage du Professeur Bowen : Settlements of Saints in Wales. Dans cette étude le géographe d'Aberystwyth accorde une importance primordiale aux renseignements apportés par l'étude des toponymes. Une carte sur laquelle sont reportés les lieux où le nom de tel saint est attesté indique d'une façon très nette l'aire de son culte ; et la comparaison de cartes établies pour plusieurs saints éclaire l'histoire de ces saints et des grands mouvements religieux de la même manière que la comparaison des cartes d'un atlas linguistique éclaire l'histoire des mots et met en relief les grandes zones d'influence des villes et des routes.

Mais avant de dresser ici, comme on l'a fait en Galles, ces cartes d'aires de culte, et pour qu'elles ne risquent pas d'être faussées par de nombreuses erreurs d'interprétation, une étude critique s'impose de tous les noms de lieux dans lesquels on a cru, traditionnellement, voir des noms de saints.

Pierre Trépos.