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Irène Sorlin Folklore, ethnographie et histoire : Les travaux de V. Ja. Propp et les recherches soviétiques In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 29 N°1. Janvier-Mars 1988. Maksim Gor'kij (1868 - 1936) cinquante ans après. pp. 95-137. Résumé Irène Sorlin, Folklore, ethnographie et histoire. Les travaux de V. Ja. Propp et les recherches soviétiques. Les études folkloriques, développées en Russie depuis près de deux siècles, ont connu une réorientation décisive, importante pour les historiens comme pour les ethnologues, avec l'essor de l'analyse typologique. Le nom de Propp, principal animateur de ces recherches, est fréquemment cité en Occident où pourtant la majeure partie de son œuvre demeure inexploitée. L'analyse typologique considère le folklore, à l'instar du langage, comme une forme en constante réélaboration ; les versions dont nous disposons, recueillies tardivement, ne portent pas trace des conditions qui ont produit les contes, mais cette base a existé, elle peut être retrouvée par comparaison avec d'autres traditions que recueille l'ethnologie. Des conditions socio-économiques semblables induisent des structures proches et ces structures demeurent, alors que les significations attribuées à chacun de leurs éléments changent quand les rapports économiques se transforment. Abstract Irène Sorlin, Folklore, ethnography and history. V. la. Propp's work and Soviet research. Folkloric studies which developed in Russia since nearly two centuries have been subjected to a decisive and important reorientation - concerning historians as well as ethnologists - with the rise of typological analysis. The name of Propp, main promoter of this research, is often quoted in the West where nevertheless most of his work remains unexploited. Typological analysis considers folklore - as well as the language - as a continuously re-elaborated form. The versions at our disposal - belatedly transcribed - reveal no trace whatsoever of the conditions that produced the tales but this basis did exist and can be found by comparison with other traditions that are collected by ethnology. Similar socio-economic conditions induce neighboring structures which remain in force, while the significance ascribed to each of their elements changes when economic relations are transformed. Citer ce document / Cite this document : Sorlin Irène. Folklore, ethnographie et histoire : Les travaux de V. Ja. Propp et les recherches soviétiques. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 29 N°1. Janvier-Mars 1988. Maksim Gor'kij (1868 - 1936) cinquante ans après. pp. 95-137. doi : 10.3406/cmr.1988.2135 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1988_num_29_1_2135

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Irène Sorlin

Folklore, ethnographie et histoire : Les travaux de V. Ja. Proppet les recherches soviétiquesIn: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 29 N°1. Janvier-Mars 1988. Maksim Gor'kij (1868 - 1936) cinquanteans après. pp. 95-137.

RésuméIrène Sorlin, Folklore, ethnographie et histoire. Les travaux de V. Ja. Propp et les recherches soviétiques.Les études folkloriques, développées en Russie depuis près de deux siècles, ont connu une réorientation décisive, importantepour les historiens comme pour les ethnologues, avec l'essor de l'analyse typologique. Le nom de Propp, principal animateur deces recherches, est fréquemment cité en Occident où pourtant la majeure partie de son œuvre demeure inexploitée. L'analysetypologique considère le folklore, à l'instar du langage, comme une forme en constante réélaboration ; les versions dont nousdisposons, recueillies tardivement, ne portent pas trace des conditions qui ont produit les contes, mais cette base a existé, ellepeut être retrouvée par comparaison avec d'autres traditions que recueille l'ethnologie. Des conditions socio-économiquessemblables induisent des structures proches et ces structures demeurent, alors que les significations attribuées à chacun deleurs éléments changent quand les rapports économiques se transforment.

AbstractIrène Sorlin, Folklore, ethnography and history. V. la. Propp's work and Soviet research.Folkloric studies which developed in Russia since nearly two centuries have been subjected to a decisive and importantreorientation - concerning historians as well as ethnologists - with the rise of typological analysis. The name of Propp, mainpromoter of this research, is often quoted in the West where nevertheless most of his work remains unexploited. Typologicalanalysis considers folklore - as well as the language - as a continuously re-elaborated form. The versions at our disposal -belatedly transcribed - reveal no trace whatsoever of the conditions that produced the tales but this basis did exist and can befound by comparison with other traditions that are collected by ethnology. Similar socio-economic conditions induce neighboringstructures which remain in force, while the significance ascribed to each of their elements changes when economic relations aretransformed.

Citer ce document / Cite this document :

Sorlin Irène. Folklore, ethnographie et histoire : Les travaux de V. Ja. Propp et les recherches soviétiques. In: Cahiers du monderusse et soviétique. Vol. 29 N°1. Janvier-Mars 1988. Maksim Gor'kij (1868 - 1936) cinquante ans après. pp. 95-137.

doi : 10.3406/cmr.1988.2135

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ETUDE

IRÈNE SORLIN

FOLKLORE, ETHNOGRAPHIE ET HISTOIRE LES TRAVAUX DE V. Ja. PROPP

ET LES RECHERCHES SOVIÉTIQUES

Deux préoccupations, d'ailleurs complémentaires, ont dicté le choix du sujet que nous abordons dans cette mise au point.

- Les documents historiques, écrits par et pour des groupes sociaux ayant l'usage de l'écriture nous donnent souvent, de manière fragmentaire, des informations de type « folklorique » sur d'autres groupes ou sur des peuples qui eux ne connaissent pas l'écriture. Dans quelles conditions un matériel « historique » peut- il être considéré comme une source « ethnographique » et comment doit-on alors l'interpréter ? Pour le Moyen Age, cette préoccupation concerne la majorité des peuples européens dont seule une élite pouvait s'exprimer par écrit. Les historiens byzantins se souciaient peu de décrire les usages et les croyances des populations administrées par l'Empire. Des éléments de « folklore » ont néanmoins pénétré de nombreux textes, chroniques, vies de saints, canons ecclésiastiques, épopées et romans et la question peut se poser de les étudier systématiquement dans une perspective à la fois ethnographique et historique.

- Les groupes ou peuples sans écriture ont souvent élaboré des traditions orales, un folklore, qui nous sont généralement parvenus grâce à des enregistrements tardifs, mais sous une forme telle qu'une structure archaïque y demeure perceptible. Comment ce matériel peut-il servir à étudier, dans une perspective historique, l'état social, les croyances, le passé des peuples sans histoire ?

Alors qu'ils disposaient de peu de documents historiques sur les Slaves, les chercheurs russes et soviétiques se sont trouvés en possession de nombreux témoignages d'une tradition orale recueillie, depuis le début du XIXe siècle, auprès de communautés aujourd'hui disparues. Les méthodes d'analyse appliquées à ce matériel par les chercheurs soviétiques nous ont paru devoir intéresser tous les historiens du Moyen Age.

Cahiers du Monde russe et soviétique, XXIX (1), janvier-mars 1988, pp. 95-138.

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Le folklore russe, nous entendons sous ce terme l'ensemble des récits et témoignages qui se sont transmis oralement, est l'un des plus riches et des mieux conservés d'Europe. Comment s'explique la vitalité d'une tradition qui, bien que détachée, au XIXe et au XXe siècle, de la culture dominante, s'est prolongée au-delà de la révolution sans donner prise aux influences littéraires1 ? L'histoire de la littérature russe nous donne un élément de réponse : jusqu'à la fin du xviie siècle, la prose écrite est en Russie un monopole de l'Eglise. Celle-ci confère à toute la production littéraire, y compris à l'histoire conçue, sur le modèle byzantin, comme un prolongement de l'histoire ecclésiastique2, un caractère sacré qui en fait un objet d'édification et d'instruction. La littérature profane est une littérature orale ; aussi ce que nous appelons aujourd'hui « folklore », et qui embrasse des genres très divers (conte merveilleux et novellistique, épopée, chant historique, chanson rituelle, exorcisme...), a représenté en Russie, jusqu'à une époque tardive, une littérature de divertissement commune à toutes les catégories sociales, appréciée des boyards comme des paysans3. Aussi bien la tradition orale s'est-elle conservée de façon homogène sur tout le territoire de la Russie d'Europe, tout au moins en ce qui concerne certains genres : le conte, la novcllette, la chanson rituelle sont, jusqu'au premier tiers du XXe siècle, restés aussi vivants aux alentours des grandes villes que dans les campagnes éloignées4. C'est à une emprise plus faible du contrôle de l'État et de l'Église qu'il faut, semble-t-il, attribuer la pérennité, dans le nord et le nord-est, de la poésie épique et des pratiques rituelles étrangères au christianisme3.

Avec l'apparition au xvnie siècle d'une prose russe profane, la tradition orale, ressentie par l'aristocratie comme culture du peuple, devient « folklore »6. Mais cette cassure crée la distance nécessaire à l'enregistrement des textes oraux. Source d'inspiration nationale pour les grands écrivains russes7, la tradition orale sera systématiquement recueillie par des intellectuels de moindre envergure et par diverses sociétés savantes8, avec un assez grand souci de précision. Les meilleurs témoins du conte russe ont été consignés par A.N. Afanas'ev (1826-1871), qui, malgré une tendance à fabriquer des archétypes à partir des variantes de ses textes a laissé un recueil irremplaçable de près de 600 récits9. Très tôt fut exprimée l'idée qu'un texte oral ne devait subir aucune retouche10 et l'on s'intéressa aux conditions de l'enregistrement, à la personnalité des conteurs ou des bardes11. C'est dans cet esprit que P. Rybnikov constitua, aux environs de 1860, son recueil de « bylines » ou chants épiques12.

A la fin du siècle dernier l'enregistrement du matériel de base des folkloristes est achevé. Les expéditions ethnographiques poursuivies à la veille et après la révolution permettront de mieux connaître le contexte social des narrations ou des célébrations rituelles, mais les textes qu'elles auront contribué à collecter ne peuvent être comparés, ni en quantité ni en qualité13, avec le bloc imposant légué par les folkloristcs du XIXe siècle.

L'ÉTUDE DU FOLKLORE EN RUSSIE AUX XIXe ET XXe SIÈCLES

Nous nous contenterons de rappeler très brièvement les différentes orientations scientifiques qui, depuis le milieu du XIXe siècle, ont présidé à l'étude de ce matériel.

L'école mythologique, qui se situe dans le prolongement de l'école mythologique allemande inspirée par les frères Grimm, fut représentée en Russie par

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F.I. Buslaev, A.N. Afanas'ev, Orcst Miller1*. Ces auteurs ont considéré que les contes et les chants épiques traduisaient des mythes relatifs aux divinités élémentaires, et plus particulièrement solaires15, de l'antiquité indo-européenne. Une mythologie slave primitive fut ainsi reconstruite là où elle n'était nullement attestée16. Appliquée à l'épopée cette théorie a donné naissance à la distinction, qui s'est longtemps maintenue dans les travaux occidentaux consacrés au folklore russe17, entre héros « aînés », représentant des éléments naturels et relevant du mythe antique, et héros « cadets », simples mortels rendus illustres par la chanson historique ; cette distinction rigide, qui se fonde sur les caractères extérieurs de la figure des héros, sans prise en considération de leurs actes, ne repose sur aucune base scientifique verifiable.

L'école comparatiste qui s'appuie sur l'étude philologique des textes et de leur transmission dans l'aire des langues indo-européennes, a donné, surtout avec les travaux de A.N. Vcsclovskij18, des résultats beaucoup plus féconds. La dette que les folkloristcs soviétiques contemporains sont unanimes à reconnaître à l'égard de cet auteur, s'assortit d'un certain nombre de critiques, dont la plus sérieuse s'adresse à sa théorie de l'emprunt et de la migration des thèmes folkloriques. Pour A.N. Vcselovskij et ses disciples, si un même motif légendaire peut naître à partir de conditions sociales et économiques similaires dans différents pays, l'articulation de plusieurs motifs en un même thème ne peut résulter que d'un emprunt. Les ressemblances surprenantes que l'on peut observer entre les contes et les récits épiques des différentes nations s'expliqueraient par la migration d'un thème initial19. Ainsi l'épopée russe s'est-clle vu attribuer tour à tour une origine orientale, byzantine ou occidentale20. Sans vouloir nier l'apport des influences extérieures il est clair que la théorie de l'emprunt ne peut suffire à justifier l'importance et la vitalité des différents corpus folkloriques russes, et l'on est tenté de penser que A.N. Vcsclovskij a reporté sur l'étude des textes oraux une méthode adaptée à l'analyse littéraire.

L'école historique dont le représentant le plus célèbre fut Vsevolod Miller, exerça une influence profonde sur les études folkloriques, notamment en ce qui concerne la poésie épique, tant en Russie qu'en Occident21. Pour V. Miller la byline est le récit oral d'un événement historique ; bien que ne possédant pas la crédibilité d'une chronique écrite, elle joue un rôle comparable. Créées dans les milieux aristocratiques proches des événements, les bylines se seraient embrouillées et déformées au cours de leur transmission, puis de leur conservation dans le milieu paysan (voué ici à un rôle de simple répétition). En analysant les épopées à la lumière des documents historiques, en particulier des chroniques, on pourrait retrouver les éléments de réalité qui auraient présidé à leur naissance.

L'hypothèse d'une origine aristocratique de la byline est aujourd'hui unanimement rejetée, bien qu'elle ait l'avantage de rapprocher l'épopée du milieu où l'on écrivait l'histoire. Paradoxalement, les historiens soviétiques, désireux de trouver dans le folklore, et surtout dans l'épopée, une source immédiate de l'histoire, se sont laissé influencer par une œuvre dont la théorie centrale était remise en cause. Les années 20 à 50 voient s'affirmer une tendance à analyser les contenus des œuvres épiques sans s'arrêter au problème du genre ou des particularités poétiques des épopées22. Le relevé des * realia » que les épopées véhiculent servait de fondement à une datation contestable des objets décrits et des textes23. De l'après-guerre aux années 60, ce courant historique, bien représenté par les travaux de

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B.A. Rybakov, s'impose d'autant mieux qu'il est soutenu par les travaux des historiens de la littérature. Au cours des années 50, l'Institut Gor'kij (Institut de littérature mondiale, Moscou), s'attache à l'étude du folklore des différents peuples de l'URSS ; l'Institut de littérature russe (Maison Puškin, Moscou), fait paraître de 1952 à 1956 un ouvrage collectif, consacré à la Création poétique populaire russe2*, dont l'un des principaux objets était de définir une chronologie du folklore et surtout de la poésie épique qui focalisait l'attention des historiens. Mais cette pé- riodisalion, qui assigne aux xe-xie siècles la naissance de l'épopée russe, apparaît comme une projection sur le folklore des cadres historiques définis pour la littérature. Une telle démarche est cohérente si l'on postule que les informations des chroniques ont précédé la création poétique populaire25. Mais cette thèse se heurte à deux objections majeures : elle ne peut rendre compte des œuvres épiques qui n'ont aucun rapport avec l'histoire événementielle26 ; elle tend à ne prendre en considération qu'un seul genre folklorique, les bylines, et à se contenter, pour le reste de la tradition orale, d'études partielles qui évitent à leurs auteurs de s'interroger sur la genèse et la fonction du folklore.

Jusqu'aux années 60 l'école historique impose ses théories et condamne au silence un autre groupe de folkloristes qui se constitue, au cours des années 30, dans le cadre de l'Institut de linguistique generative de N.Ja. Marr, et en liaison avec la Section folklorique de l'Institut d'ethnographie27. Ce n'est que depuis une quinzaine d'années que les noms de V.M. Žirmunskij, de V. Ja. Propp nous sont bien connus ; ces auteurs ont pourtant, à la fin de la guerre, une grande partie de leur œuvre derrière eux. Ils n'auront de diffusion à l'étranger qu'après 1958, date à laquelle V.M. Žirmunskij peut exposer dans son livre sur la Création épique des peuples slaves les principes et les méthodes de l'analyse typologique et historique du folklore28. Au cours de la môme année, la traduction anglaise de la Morphologie du conte merveilleux de V. Ja. Propp, va connaître un retentissement international. En France c'est à cet ouvrage et à l'audience qu'il a rencontrée auprès des anthropologues et des linguistes29 que le savant russe doit sa notoriété. Curieusement, le reste de son œuvre n'a pas eu, faute de traductions, une grande diffusion dans notre pays30 ; d'où une tendance générale à définir V. Ja. Propp comme un « formaliste », alors que lui-même se considérait surtout comme un historien du folklore31. L'étude structurale d'un genre était pour V. Ja. Propp un préalable à son étude historique32. La Morphologie trouve son prolongement dans les Racines historiques du conte merveilleux, mais ces deux ouvrages ne constituent qu'un volet de l'investigation du folkloriste qui s'est également attaché au problème de la genèse et du développement de l'épopée, à l'étude de l'évolution des motifs et des thèmes folkloriques, à l'analyse des rites agraires de la Russie. Sans vouloir négliger les travaux des folkloristes soviétiques contemporains comme E.M. Meletinskij, B.N. Putilov, E.V. Pomeranceva et d'autres que nous aurons l'occasion de citer, c'est à cette œuvre, si largement représentative des méthodes de Yécole de typologie historique, qu'il nous a paru légitime de prêter une particulière attention.

LES PRINCIPES DE L'ANALYSE TYPOLOGIQUE

Sous le terme de folklore nous n'avons jusqu'à présent désigné que les textes oraux. Cette définition restrictive est commune aux folkloristcs russes ; elle est soulignée par V. Ja. Propp comme l'une des bases de l'analyse typologique33. Les

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études folkloriques en Europe occidentale embrassent un domaine apparemment plus large puisqu'elles réunissent l'étude des textes à celle de la culture matérielle. Mais en n'établissant pas de distinction entre ces deux objets de la recherche, le folkloriste doit limiter son investigation à une classe sociale - généralement la paysannerie - qui est censée détenir des vestiges du passé, à une nation ou à une région géographique. Les études folkloriques s'apparentent alors à l'ethnographie locale ; elles ne peuvent saisir les phénomènes de folklore dans leurs transformations. Pour les tenants de l'analyse typologique et historique, la distinction des deux sphères de l'activité créatrice des peuples, l'une spirituelle, l'autre matérielle, est indispensable34. Même si l'étude des textes oraux passe inévitablement par leur confrontation avec la culture matérielle des sociétés qui les produisent, la notion de folklore n'englobe que la littérature orale et la musique35. Cette définition repose sur trois principes essentiels dont il nous paraît nécessaire d'envisager les implications.

1. Le folklore est à l'origine l'expression des idées et des représentations communes à une société tout entière.

Dans nos sociétés industrielles développées, le folklore apparaît comme le résidu d'une culture, dont seuls quelques groupes sociaux plus traditionalistes que les autres conserveraient des fragments. Mais le folkloriste ne s'intéresse pas aux traces du passé en tant que telles ; comme l'historien, il entend restituer, à partir de la documentation dont il dispose, une image cohérente des sociétés dont le folklore est issu. En se fondant sur les témoignages ethnographiques, les folkloristes soviétiques montrent que dans les sociétés primitives36, où la distinction des classes n'intervient pas de façon sensible, le folklore est un bien commun à tout le groupe : « l'ensemble de la création poétique des peuples primitifs est folklore », écrit V. Ja. Propp37. Lorsque intervient la différenciation sociale, le folklore appartient encore à toutes les catégories de la société, exception faite de la classe dominante qui s'exprime par l'écriture38 ; encore faut-il nuancer cette affirmation : la littérature à ses débuts est souvent du folklore écrit et peut témoigner de l'unité temporaire des représentations du peuple et de la classe dominante39. Production culturelle de tous les groupes sociaux sans écriture, le folklore a un caractère universel que les études nationales ou régionales, toutes légitimes qu'elles soient, ne peuvent ignorer. C'est pourquoi l'étude typologique et historique du folklore s'appuie, comme nous le verrons plus loin, sur un matériel comparatiste très large. Cette perspective « universaliste » ne se fonde pas seulement sur la constatation de rapports historiques entre le folklore et la société. Elle est également la conséquence de la parenté qui unit le folklore au phénomène de la langue.

2. Le folklore est un phénomène comparable à celui de la langue.

Il nous est difficile d'imaginer la création littéraire sans intervention d'un auteur, d'un groupe social particulier. Or c'est ce qui se passe dans le cas du folklore dont l'expansion s'apparente davantage aux origines de la langue qu'à la naissance de la littérature. L'œuvre littéraire intervient à une date déterminée ; elle a un auteur ou tout au moins, si l'on répugne à donner au concept d'auteur un contenu trop individuel, elle est représentée par un texte original, dont dépendent les versions et les rédactions ultérieures. Comme la langue, l'œuvre folklorique n'est « inventée »

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par personne ; elle naît et se transforme logiquement sans intervention d'une volonté consciente ; contrairement à l'œuvre littéraire elle ne possède pas de « version originale » : elle est également représentée par toutes ses variantes40 ; enfin sa conservation dépend de sa transmission41 : tout auditeur est un narrateur potentiel qui, selon sa personnalité, son idéologie, son époque, pourra apporter au texte oral des transformations intentionnelles ou inconscientes. Mais ces transformations, nées des individus, obéissent à des règles communes, car la tradition orale ne peut se transmettre que si elle est l'objet d'un consensus42. Comme la langue, la littérature orale est une propriété collective : ses structures simples et peu nombreuses répondent à des lois universelles43. Aussi l'identité des mythes, des motifs et des thèmes folkloriques chez différents peuples à différentes époques, ne doit-elle pas s'expliquer par l'emprunt ou par l'influence culturelle44 ; elle est appelée par l'identité des systèmes de pensée dans des situations semblables45. Le postulat de l'universalité des processus mentaux humains dans des conditions sociales et économiques comparables est le principe de base de l'analyse typologique du folklore46.

La comparaison du folklore avec la langue met en évidence le caractère dynamique de la tradition orale : le folklore ne se conserve qu'au prix d'une transformation permanente. Même si, pour les raisons évoquées plus haut, celte transformation n'intervient qu'avec une « lenteur géologique »47, elle n'en reste pas moins un des traits spécifiques du folklore, celui qui contribue le plus à le séparer de la littérature. Vouloir expliquer cette évolution, en rechercher les règles, contraint le fol- kloriste à se situer par rapport à l'ethnographie et à l'histoire.

3. Le folklore n'est pas le reflet immédiat de l'histoire.

La création poétique orale est une manifestation de la superstructure idéologique des sociétés primitives, aussi le folkloriste qui s'intéresse à l'origine de cette création doit-il se tourner vers les travaux ethnographiques qui constituent la première étape d'une étude historique et matérialiste du folklore. Le conte merveilleux, l'épopée, la chanson rituelle ou l'exorcisme, de très nombreux motifs, ne peuvent être expliqués sans recours aux informations données par l'ethnographie sur les croyances, les rites, les institutions des peuples primitifs. L'ethnographie apporte également des lumières sur l'évolution primitive des œuvres folkloriques, sur leur désacralisation progressive, leur passage d'une fonction religieuse, souvent entourée d'interdits48, à une fonction profane de divertissement qui laisse place à la création artistique49. Elle nous renseigne aussi sur les transformations économiques et sociales, qui ont présidé à cette évolution50. Mais le folklore n'exprime pas de façon directe une réalité sociale, il ne décrit pas des coutumes, des usages51 ; il en donne une représentation conforme à un système de pensée différent du nôtre et dépendante d'une pratique magique et religieuse destinée à agir sur les forces de la nature. Le folklore naît du système de la pratique religieuse et rituelle52. Son étude historique passe par la confrontation de ses structures avec les éléments structuraux des pratiques institutionnelles et religieuses attestées chez différents peuples à divers stades de développement.

Les textes oraux comportent certes de nombreux détails « historiques » qui changent avec les époques : statut social, apparence des personnages, désignation des lieux et des personnes, modalités des actions. Tous ces facteurs externes ne

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modifient ni la forme archaïque ni la motivation de l'œuvre, et ne peuvent par conséquent suffire à expliquer sa genèse53. On peut donc constater une asynchronie entre le développement de l'histoire et celui du folklore ; ceci explique que des textes chronologiquement très anciens, comme ceux qui nous ont conservé les mythes de la Grèce antique, appartiennent à un type de civilisation beaucoup plus récent que celui dont seraient issus les contes merveilleux russes recueillis au XIXe siècle54.

Le second volet de l'analyse historique du folklore concerne l'étude de ses mutations. Auprès de formes archaïques qui ne changent pas55 peuvent se développer, à la faveur des transformations de l'ordre économique et social, des formes folkloriques nouvelles : nouveaux genres (l'épopée est généralement reconnue comme un genre postérieur à celui du conte)56, nouveaux thèmes, nouveaux motifs. Ces formations neuves n'entretiennent pas, elles non plus, un rapport direct à la réalité. Elles traduisent les contradictions qui se font jour entre le folklore ancien et le nouvel ordre social, ou entre les motifs anciens et les figures nouvelles, et apparaissent comme des solutions de compromis dont il n'est pas toujours aisé de reconnaître les éléments constituants57.

LES MÉTHODES DE L'ANALYSE TYPOLOGIQUE

La typologie est la mise en évidence des régularités, déterminées par une série de facteurs objectifs, qui structurent les phénomènes naturels ou sociaux. Appliquée au folklore dans une perspective historique cette démarche comporte trois étapes, dont la première est la description, destinée à distinguer les caractères spécifiques et les cléments invariants qui donnent sa forme à l'objet de l'investigation. Cette première étape, que l'on peut appeler structurale, s'applique, chez les folklo- ristes soviétiques, à la classification des différents genres couverts par la tradition orale et à la définition des règles de composition interne auxquelles ils obéissent58. Une telle recherche, qui est loin d'avoir été menée de façon systématique pour toutes les manifestations du folklore, a été illustrée par V. Ja. Propp dans sa Morphologie du conte merveilleux. Nous ne nous arrêtons à cet ouvrage bien connu que pour en souligner les conclusions les plus importantes, nous semble-t-il, pour l'étude scientifique des textes folkloriques.

Autour du schéma narratif dégagé par Propp59 peuvent s'organiser un grand nombre de thèmes, mais ceux-ci entretiennent entre eux une parenté étroite qui interdit de les étudier isolément60, de la même façon aucun motif ne peut être interprété hors de sa relation à un thème et à une structure narrative : « une sémantique absolue, donnée une fois pour toutes n'existe pas. »61 C'est selon la place qu'il occupe dans l'ensemble narratif, selon sa relation à l'action que l'on peut voir si un motif entretient avec celle-ci un rapport structural et, par conséquent, s'il ressortit au système idéologique qui a produit le récit. Il nous semble utile de donner quelques exemples.

Dans le conte, la mise en scène de l'intrigue constitue le stade préliminaire de la narration ; elle représente cependant une formation secondaire, subordonnée à l'étape suivante : le départ ou la fuite du héros (ou des enfants) dans la foret, qui est un invariant du conte russe et plus largement européen. Cette introduction est un élément « faible » ; elle contribue à créer le contexte qui rend la fiction acceptable

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pour l'auditeur, clic est de ce fait perméable aux innovations : le conteur peut y introduire soit des données qui lui sont immédiatement contemporaines soit des éléments de rationalisation ou de moralisation62. Les motifs qui y sont développés, même s'ils appartiennent à une époque très ancienne (comme, par exemple, la mise au secret des enfants royaux)63 n'ont aucun effet sur le déroulement ultérieur de l'action qu'ils ne peuvent, par conséquent, pas expliquer.

La place occupée par un motif dans le schéma « actantiel » peut, en revanche, donner des indications sur les mutations subies par un thème en fonction d'un nouveau système idéologique. En comparant le mythe d'Œdipe, tel qu'il apparaît dans la tragédie de Sophocle, à divers documents ethnographiques et folkloriques, notamment au conte russe, V. Ja. Propp remarque que le motif de la rencontre avec le sphinx (monstre) qui dans le conte russe se situe avant le mariage du héros, mais aussi avant le meurtre du roi (père de la fiancée), intervient dans la tragédie grecque avant le mariage d'Œdipe mais après le meurtre de Laios. Il est ainsi ramené au motif des épreuves qui précèdent régulièrement dans le conte le mariage du héros. Ce déplacement signale une différence de la représentation des pratiques successorales ; selon l'image que les sociétés se font de la succession royale, le meurtre du beau-père est (conte russe), ou n'est pas (Athènes au v« siècle), une condition de l'accession au trône64.

Enfin un même motif peut avoir un sens différent suivant le genre folklorique qui l'utilise : le mariage qui, dans le conte, couronne la quête du héros et lui donne accès au pouvoir, apparaît dans l'épopée comme motivation de la quête et début des aventures et des conflits dont le héros devra sortir vainqueur. Le héros du conte russe s'intègre à la famille de la femme (motif du héros à qui sa fiancée demande « d'où viens-tu ? », et qui répond « je ne sais pas » ou « j'ai oublié ») ; le héros de l'épopée enlève son épouse qui se révèle souvent l'alliée des forces hostiles65.

A partir de cette donnée de base qu'est la description, deux ouvertures sont possibles : toutes deux se fondent sur la confrontation des textes folkloriques avec un vaste matériel ethnographique témoignant des mythes, contes, pratiques rituelles et institutions de divers peuples appartenant à différents types de civilisation. A ce matériel, réparti par « stades » de développement des civilisations (nous reviendrons plus loin à ce problème), doivent correspondre les étapes de l'évolution du folklore. Ainsi les folkloristes soviétiques espèrent-ils : premièrement reconstituer une « poétique historique », c'est-à-dire retrouver, grâce aux exemples « vivants » de l'ethnographie, les conditions de la genèse et de l'évolution des systèmes folkloriques constitués que nous connaissons66 ; deuxièmement reconstruire les bases mythiques anciennes du matériel oral connu par des enregistrements tardifs. Le folklore pourrait constituer une source précieuse là où les témoignages écrits ou ethnographiques font défaut et permettrait de se faire une idée de l'ordre social et du système de pensée de peuples à propos desquels l'histoire reste silencieuse67.

La perspective diachronique de cette démarche la rend étrangère aux méthodes de la linguistique et de l'ethnologie structurales, et il n'est pas surprenant que Cl. Lévi-Strauss, dans son compte rendu critique de la Morphologie du conte merveilleux, ait souligné « l'obsession des explications historiques » qui habiterait V. Ja. Propp68. C'est le matériel choisi par ce dernier comme objet d'investigation, c'est-à-dire les contes russes, qui l'amènerait à dissocier structure et contenu et à postuler une antériorité du mythe par rapport au conte alors que les deux genres participent, de son propre aveu, d'une structure identique. Les observations

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ethnographiques démentent incontestablement cette antériorité dans les sociétés primitives où mythes et contes coexistent et « exploitent une substance commune »69. Ce qui manque à Propp, écrit Lévi-Strauss, ce n'est pas le passé mais le contexte70.

Cette critique appelle deux réponses. La première est que V. Ja. Propp ne fait pas de différence entre mythe et conte dans les sociétés primitives ; bien au contraire, il en reconnaît l'existence simultanée et la parenté71. Ce qu'il oppose c'est le mythe primitif et le conte classique tel qu'il est parvenu jusqu'à nous après une série de transformations, dues tout d'abord à la désacralisation du récit mythique et à la perte de sa fonction étiologique, puis à une évolution soumise aux changements des conditions socio-économiques72.

La seconde est que si l'on suivait jusqu'au bout le raisonnement de Cl. Lévi- Strauss, il faudrait renoncer à trouver un sens à un matériel dont le contenu serait tombé en désuétude. On perçoit les conséquences qu'une telle attitude entraînerait pour l'histoire. Aussi bien est-ce l'« absence de contexte » qui rend la démarche de Propp et des folkloristes soviétiques importante pour les historiens. Il n'y a plus aucune correspondance entre le conte contemporain et la base socio-économique où il s'origine. Cependant cette base a existé ; elle ne se révèle pas dans les modalités du récit mais dans sa structure. C'est pourquoi chaque thème, chaque motif peut faire l'objet d'une étude « paléontologique », menée grâce à sa comparaison avec les croyances et les rites des sociétés primitives que l'ethnographie nous fait connaître73 ; les discordances chronologiques, la distance géographique n'enlèvent rien à la légitimité d'une telle confrontation si l'on accepte le principe selon lequel des conditions économiques et sociales semblables engendrent des systèmes de pensée identiques.

Nous sommes gênés, en revanche, lorsque les folkloristes soviétiques appliquent à cette analyse le concept de « stades ». L'étude « stadiale » du folklore implique une perspective évolutionniste et une tendance à étendre à toutes les civilisations la dynamique du développement des sociétés européennes. Sous le terme de « sociétés primitives », les folkloristes soviétiques, comme de nombreux ethnologues contemporains74, désignent, en se fondant sur les distinctions établies par F. Engels75, des civilisations différentes : les sociétés tribales, vivant de la chasse et ne connaissant pas la distinction de classe ; les sociétés pratiquant l'agriculture primitive ; celles enfin où le développement de l'agriculture et de l'élevage favorise la naissance de la propriété familiale privée et la différenciation des classes sociales. Cette dernière étape, marquée par la décomposition du système tribal, précéderait la naissance de l'État et des grandes civilisations agricoles fondées sur l'esclavage76. L'ignorance de l'écriture et l'absence d'une histoire constituent le caractère commun qui permet d'englober sous un même terme des réalités aussi différentes. Mais les témoignages ethnographiques ne nous autorisent pas à inclure ces divers types de société dans une continuité, ni à postuler le passage régulier et nécessaire d'une étape (stade) à une autre77.

En s'attachant à la notion de « stade », les auteurs soviétiques semblent tributaires du matériel européen qu'ils étudient et du principe de la périodisation marxiste. Cette difficulté n'a pas échappé à V. Ja. Propp qui remarque que l'histoire et l'ethnographie ne sont pas parvenues à définir une périodisation précise du développement des sociétés et que le schéma de Morgan repris par Engels n'a pas été démontré sur un matériel assez vaste78. Dans la pratique, la notion de « stade » est

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utile en tant qu'elle s'oppose à une vue chronologique de l'histoire et permet de comparer des matériels appartenant à des époques différentes. La théorie de l'évolution « stadiale » du folklore reste, pour les folkloristes soviétiques, un horizon de la recherche, mais n'y joue pas un rôle déterminant. C'est la comparaison du matériel russe avec les traditions des sociétés primitives, ou celle des mythes grecs avec le conte russe ou européen, qui a donné les résultats les plus convaincants.

ORIGINE ET MUTATIONS D'UN MOTIF OU D'UN THEME i

Les processus d'évolution du folklore au sein d'une même société, ou de sa transformation à l'occasion du changement de ce système, sont trop nombreux pour être énumérés. L'un des plus réguliers consiste en ce que les figures acquises ne correspondent plus au nouvel ordre social : elles sont alors niées, c'est-à-dire inversées ou commentées de façon négative79, ou bien encore elles fusionnent avec des éléments neufs pour constituer des figures hybrides80 ; enfin, et c'est l'un des cas les plus fréquents, elles sont réinterprétées81. V. Ja. Propp, dans une série d'études, s'est attaché à suivre les étapes de ces transformations.

L'arbre sur la tombe :

« L'arbre sur la tombe »82 apparaît dans un certain nombre de contes comme un élément structurant et invariable (non comme un simple motif) ; les contes de « Brunette » (Burenuska, Afanas'ev, 56, 57), de « Cendrillon » et du « Plant de tulipe » dans les versions des frères Grimm, du « Fifre magique » en sont les exemples les plus typiques. Ils comportent des éléments constitutifs semblables que l'on peut résumer ainsi : les os d'un humain ou d'un animal mort prématurément (ou de mort violente) sont recueillis et inhumés dans l'espoir d'empêcher une mort définitive ; le défunt continue à vivre sous la forme d'une plante et apporte son aide aux membres vivants de sa famille ; le défunt est généralement la mère du héros ou un être ayant un rapport à la mère.

Dans l'ordre des contes merveilleux, affirme Propp, il n'est pas un seul motif qui n'entretienne un lien originel avec l'économie des sociétés antérieures aux divisions de classe83. Ceci étant posé on doit se demander où, ailleurs que dans le conte, on rencontre l'usage d'enterrer les ossements. Cette coutume existe dans les sociétés de chasse telles que celles des Indiens de l'Amérique du Nord, ou des peuples de l'Asie septentrionale et de l'Europe orientale. Les Lopari du littoral de Murmansk, selon des observations de la fin du siècle dernier, recueillaient soigneusement les os de l'ours qu'ils consommaient, s'abstenaient d'en sucer la moelle, et considéraient que si l'animal défunt était satisfait, il se laisserait tuer une autre fois. Cette pratique était fondée sur la croyance commune à la plupart des peuples chasseurs84, selon laquelle les animaux ont une âme qui ne disparaît pas avec la mort ; la conservation des os rend possible la réincarnation de cette âme et la résurrection de l'animal. L'usage ici s'apparente à une pratique magique ; il peut prendre une forme rituelle avec, chez le même peuple, le sacrifice du renne dont les os recueillis et enterrés représentent le tribut payé à la divinité. Celle-ci a le pouvoir de faire revivre l'animal et de le prendre pour elle. L'usage et le rite ont ici un résultat un peu différent : dans le premier cas l'animal ressuscite pour qu'on puisse le chasser à nouveau ; dans le second, il continue à vivre dans l'autre monde83. Ces deux

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croyances sont exprimées par le conte ; la vache Burenuška (Brunette) dont les os sont recueillis après qu'elle a été abattue, continue à vivre dans l'autre monde ; le jeune garçon du « Plant de tulipe », tué par sa marâtre puis enseveli par sa sœur qui prend soin de rassembler ses os86, ressuscite. Mais les croyances et les rites des peuples vivant de l'économie de chasse, s'ils expliquent le motif du recueil des os des victimes, n'apportent aucune lumière sur celui de l'arbre ou de la plante qui croît sur leur sépulture. Ces deux motifs sont à l'origine distincts. Le second ressortit à un type de civilisation différent ; il apparaît chez les peuples pratiquant l'agriculture primitive. Chez les populations horticoles de la Nouvelle Guinée, de Tahiti, du Brésil, etc.87 l'idée que l'ensevelissement du cadavre des aïeux dans le jardin en assure la fertilité est très largement répandue. Le caractère « familial » de celle croyance permet de penser que Burcnuška est à la fois une vache et la mère de l'héroïne du conte88. Dans les sociétés qui pratiquent une agriculture plus développée la fertilité doit être assurée par un rite magique ; celui-ci peut consister en sacrifices humains : les corps des victimes sont mis en pièces, puis sont enfouis dans les champs afin d'en favoriser la fécondité. Ces rites peuvent prendre la forme d'une fête fixée au calendrier (Aztèques, Konds du Bengale)89.

Les mythes et les contes qui ont pour objet d'expliquer ou de fonder cette pratique traduisent la conviction, semblc-t-il générale, que les plantes naissent des différentes parties du corps humain90. Plusieurs de ces légendes, appartenant à des peuples différents, mentionnent l'usage d'arroser régulièrement la sépulture, non seulement, pour favoriser la pousse des végétaux qu'elle engendre, mais pour assurer la survie du mort, l'eau étant considérée comme un élément apotropaïque91. Cette coutume est reflétée également dans le conte par une expression précisant que la tombe « était arrosée d'eau chaque jour », véritable lieu commun dont on peut entrevoir l'origine historique.

Arrivé à ce point, Propp peut conclure que l'usage ancien des chasseurs a acquis, avec le passage à une économie agricole, une interprétation nouvelle. L'inhumation destinée chez les chasseurs à la conservation de l'espèce animale, devient chez les agriculteurs la condition de la fertilité des jardins. L'objet du rite change également : la victime sacrificielle, animale chez les chasseurs, devient humaine chez les agriculteurs. Pratique magique, chez les chasseurs, ce sacrifice devient, chez les agriculteurs, un rite solennel lié à une date précise, à partir duquel se développent des récits mythiques à fonction étiologique.

Les grands états agricoles, comme l'Egypte, connaissent également le motif de l'arbre sur la tombe, mais à travers de nouvelles modifications. L'objet du rite et des croyances des agriculteurs sédentaires est le grain. Les cérémonies sacrificielles des agriculteurs primitifs sont conservées sous une forme symbolique (culte d'Osiris en Egypte, rites agraires de la Grèce antique), et les mythes, des récits brefs et fragmentaires qu'ils étaient auparavant, deviennent des systèmes complexes se distinguant par leur valeur poétique. La légende d'Osiris et le rite correspondant qui consiste à enterrer sous un sycomore l'effigie du dieu (au jour de la fêle des semailles) afin qu'il renaisse avec la croissance des céréales, illustre bien cette nouvelle phase. Plusieurs mythes grecs, en particulier la légende de Pelops, rassemblent des éléments communs aux sociétés primitives et au conte92.

Dans les sociétés européennes de l'époque « féodale », ces rites ne sont plus pratiqués par la classe dominante qui les réprouve ; ils sont, dans une certaine mesure, conservés par les paysans sous forme de superstitions93, tandis que les récits

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sacrés qui leur étaient autrefois parallèles deviennent des contes indépendants des pratiques contemporaines. Le motif de l'arbre sur la tombe ne se rencontre que dans les contes de l'aire indo-européenne, d'où l'on a pu conclure à une origine géo- graphiquement et linguistiquement bien délimitée94. Les témoignages ethnographiques montrent qu'il est atteste chez bien d'autres peuples, mais à un stade de développement différent, sous forme de croyances, de pratiques ou de mythes.

«r Nesmejana » ou la princesse qui ne rit pas : La princesse à conquérir est une figure classique du conte russe95. V. Ja. Propp

isole une série peu nombreuse et, apparemment récente, de princesses qui « ne veulent pas rire ». Il s'agit là d'un motif modeste, n'ayant pas de valeur fonctionnelle dans le développement des contes, et qui se résume à ceci : pour une raison inconnue, la princesse Nesmejana ne rit jamais. Son père la promet en mariage à qui la fera rire ; plusieurs stratagèmes sont employés par le héros, l'un d'eux, le plus intéressant pour la suite de l'étude, consistant à faire danser devant les fenêtres de la princesse, trois porcelets96.

Le motif des porcelets entre également dans la composition d'un autre conte, celui des « Marques de la princesse », qui présente avec le premier des affinités qui autorisent leur étude commune : la main de la princesse est promise à celui qui saura deviner les marques secrètes qu'elle porte sur le corps. Le héros, à l'aide des porcelets, obtient de la princesse qu'elle dénude ces marques97. Apparemment mineur, le motif de la princesse qui ne rit pas s'éclaire par une étude comparative des usages rituels du rire et, tout d'abord, de son interdiction. L'interdit du rire intervient particulièrement dans les récits d'origine chamanique qui décrivent l'intrusion d'un vivant dans le monde des morts98. A son rire, les habitants de l'au-delà reconnaissent que le héros n'est pas un mort et en tirent une vengeance immédiate99. Dans le conte russe, il est interdit de rire lorqu'on entre dans la maison de la sorcière Jaga, gardienne de l'autre monde100. Cet interdit, de môme que, dans des circonstances analogues, celui de parler, de manger ou de dormir101, montre que la mort a été longtemps considérée comme une vie en négatif. Les vivants rient, parlent, dorment, les morts ne le font pas, mais les domaines de la vie et de la mort ne sont pas entièrement distincts102.

Si le rire est prohibé dans le royaume des morts, il signale au contraire, l'entrée dans la vie. Le rire peut accompagner la fin de rites initiatiques ; dans le folklore des Iakoutes il fait partie des rites de naissance : « trois jours après la naissance d'un enfant, les femmes se réunissent pour la cérémonie du départ de la déesse de la parturition. Au cours du repas rituel, l'une d'elles est saisie d'un rire frénétique, ce qui provoque l'allégresse générale et présage la grossesse de la rieuse »103. La description de ce rite porte à penser que la fonction magique du rire est de provoquer la grossesse. Dans un traité gréco-égyptien sur la création du monde, la naissance de Psyché est attribuée à un rire de joie du démiurge104. Tous ces exemples qui font apparaître le rire comme signe de la vie, ou, à l'inverse de la mort, révèlent la persistance d'un même système de pensée105. Dans les sociétés de chasse, le rire a pour fonction de multiplier le monde animal106 ou le genre humain ; la procréation semble être rapportée entièrement à la femme et les hommes n'ont pas de place dans les rites de fécondité107. Dans les sociétés agricoles primitives, le rire est lié à l'épanouissement de la végétation et à l'apparition du soleil. Dans le conte russe et européen, cette idée est exprimée par le motif de la déesse ou de la princesse dont

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le sourire fait naître et s'épanouir les fleurs108. Au contraire des sociétés de chasse, les sociétés agricoles accordent une place à l'homme dans les rites de la fertilité. Le rire rituel au moment des semailles s'accompagne du rite de l'accouplement dans les champs ; mariage et rire ont le pouvoir magique de multiplier la récolte, d'où les rires et les chansons obscènes, les gestes de denudation qui, selon certains témoignages, auraient constitué une pratique rituelle en Grèce durant les semailles et les labours109. Dans les Hymnes homériques, le mythe de Démétcr et de Persephone réunit les principaux éléments de cette pratique : Démêler à la recherche de sa fille Persephone ne rit pas ; elle est appelée « 'oeyé Xotatoç » (équivalent du russe « Nesmcjana »), jusqu'à ce que la vue de sa servante Iambé retroussant sa robe la fasse éclater de rire. La terre redevient alors fertile et le sourire de la déesse ramène le printemps110. Le mythe grec comparé au conte russe des « Marques de la princesse » permet de découvrir l'origine de ce dernier et l'on peut penser que, dans un premier temps, ce motif et celui de « Nesmejana » s'articulaient en un même thème. Les deux contes ont généralement la même conclusion : le vainqueur de l'épreuve doit, au cours d'une nuit passée avec la princesse, donner la preuve de sa virilité. C'est à cette condition qu'il peut écarter ses rivaux et cire accepté pour époux. Le mariage apparaît dans le conte comme condition de la fertilité alors que dans le mythe grec, la déesse, figure plus archaïque, est féconde sans intervention masculine111. Mais la ressemblance de la « princesse qui ne rit pas » avec la déesse grecque est frappante et se révèle en de nombreux détails : comme Déméter, Nesmcjana siège sur un trône souterrain ou sur un char d'or traîné par des dragons ; comme elle, elle exerce un pouvoir sur le monde animal112. Son caractère agricole est évident et situe l'origine du motif à une époque relativement tardive. Dans les contes russes la figure de la princesse n'est, en effet, généralement pas liée à l'agriculture mais aux représentations propres aux sociétés de chasse. La princesse- grenouille, femme et animal, crée, le jour de ses noces, les forêts et les eaux en dansant113. Dans des contes d'origine, peut-être, plus tardive, la princesse est la donatrice de l'eau, parfois même elle en est l'identification : « partout où passait la princesse, quel que fût le lieu que foulaient ses chevaux, des sources jaillissaient »114 ; « s'étant étendue, la jeune fille dormait profondément ; de ses mains et de ses pieds sourdait l'eau de guérison »115. Enfin la princesse est aussi celle qui produit les arbres : « sous les aisselles de la géante Usonša (Dormeuse) croissent les arbres qui portent les pommes de jouvence »116. La princesse des contes est donc une figure qui s'est construite en dehors des représentations propres à l'agriculture céréalière. Les agriculteurs pratiquent des rites différents comportant rire, denudation, « hieroporneia » ; ainsi se constitue le type de la « princesse qui ne rit pas ». Le motif des porcelets qui est un élément stable des histoires de « Nesmcjana » et des « Marques de la princesse », apporte un indice supplémentaire. Le porc est un animal qui apparaît rarement dans le conte russe, peuplé surtout d'animaux sauvages et forestiers. En revanche, il joue un rôle important dans le culte de Démêler. Dans le ravin habité, croyait-on, par la déesse, on jetait des porcs. La viande décomposée était ensuite reprise et confiée au prêtre qui accomplissait le labour rituel ; elle était alors mélangée aux semences et jetée dans le sillon117. La légende éleusienne du berger Euboléos englouti par la terre avec son troupeau de porcs semble confirmer l'association du porc au sillon118.

En procédant à une élude comparative, V. Ja. Propp a mis en relief l'intérêt d'un détail qui révèle comment un motif, propre aux sociétés primitives de chasseurs,

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est remployé et reinterprete dans une société d'agriculture développée. Il a également montré la coexistence, dans les contes qui sont parvenus jusqu'à nous, d'une double tradition, l'une « cynégétique », l'autre « agricole ».

La figure polymorphe du dragon et le motif du combat :

Dans son ouvrage sur le problème des centaures119, G. Dumézil insiste à plusieurs reprises sur le caractère ambivalent et sur la permutabilité des monstres zoo- morphes qui apparaissent dans les rites de carnaval ou dans les légendes indo- européennes relatives aux fêtes de commencement d'année. En partant d'une méthode d'analyse différente, V. Ja. Propp développe, avec l'étude de la figure du dragon dans le conte et dans les récits ethnographiques120, un point de vue analogue. Mais l'ambivalence que G. Dumézil tient pour une régularité de la pensée populaire, est expliquée « historiquement » par le folkloristc. Le dragon, figure tout d'abord positive, se transforme peu à peu en personnage agressif. Cette évolution est couronnée par le motif du combat contre le monstre, qui n'apparaît selon Propp qu'avec la naissance des grands états agricoles. Figure polysémique, le dragon est, selon les peuples et les civilisations, doué d'une apparence et d'attributs différents ; ses fonctions également sont multiples.

Comme le centaure, avec lequel il entretient une étroite parenté121, le dragon est une Figure mouvante et les traits précis que lui prête l'iconographie récente induisent en erreur dans la mesure où ils effacent sa nature polymorphe. Dans le conte russe le dragon ou zmej (serpent) n'est jamais décrit bien qu'il présente certains traits constants : il possède toujours plusieurs têtes, se déplace en volant (mais il n'est jamais dit qu'il ait des ailes) en soulevant de véritables tempêtes. Parfois il se déplace à cheval et, dans ce cas, sa monture bronche. Comme le cheval, le zmej est une créature qui participe du feu122, mais ce caractère invariable n'est pas expliqué. Le dragon a également affaire à d'autres éléments : maître du feu, il est aussi maître de l'eau dans laquelle il vit et qui se soulève lorsqu'il en sort ; le dragon habite encore la montagne ce qui ne contredit pas son habitat marin ; bien qu'il gîte dans une caverne, il sort de l'eau à l'approche du héros. Cette figure composite assume dans le conte plusieurs fonctions :

- Le dragon est un ravisseur de femmes, mais il n'est pas seul à assurer ce rôle qu'il partage avec d'autres monstres (Košcej.Žar-Ptica)123.

- Il impose aux cités un tribut vivant, constitué généralement par des jeunes filles. Dans ce rôle le dragon apparaît toujours comme une créature aquatique.

- Il est un gardien de frontières. Dans ce cas il séjourne généralement auprès d'une rivière (souvent une rivière de feu) et contrôle l'accès du pont qui mène au royaume de l'au-delà. Pour interdire ce passage au héros, il cherche à le dévorer.

- Le héros du conte est toujours l'ennemi prédestiné du dragon qui sait qu'il mourra de sa main, aussi peut-on penser que le lien entre le héros et le dragon a préexisté au conte.

Le conte russe syncrétise plusieurs états du dragon. Le recours aux témoignages ethnographiques permet de dissocier les différents aspects de cette figure liée aux rites d'initiation et aux représentations relatives à la mort et à la fécondité.

Le thème du combat contre le dragon est une formation tardive qui ne se rencontre que chez les peuples gouvernés par un État. 11 est bien connu, dans l'Antiquité, par les grandes civilisations agricoles - il n'a pas cours dans les sociétés primitives. Les observations menées par Radcliffe-Brown en Australie124, celles

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de A. Schurtz en Nouvelle Guinée125 montrent que la figure du dragon est étroitement lice aux rites d'initiation durant lesquels les jeunes garçons devaient faire un séjour dans une construction affectant l'apparence d'un monstre zoomorphe. Les mythes qui accompagnent cette célébration en expliquent l'efficacité. En ressortant du ventre du monstre, l'initié ou le héros acquiert des facultés thérapeutiques d'une part, la connaissance du langage des animaux d'autre part, moyen magique destiné à favoriser la chasse126. Le monstre procure encore d'autres biens nécessaires aux humains : le feu, les premiers végétaux, les premiers instruments. Le héros trouve souvent dans ses entrailles des pierres précieuses et surtout des morceaux de cristal, substance magique utilisée par les chamans127. Ce dragon engloutisscur et bienveillant apparaît comme la première étape de la figure développée par le conte. On peut observer les traces du rite d'engloutissement dans la littérature européenne médiévale, par exemple dans la légende talmudique de Salomon se laissant avaler par le démon Asmodée pour acquérir un nouveau savoir. Remarquons à ce propos qu'Asmodée, qui tient ici la place du dragon, a reçu dans la littérature apocryphe slave le nom de « Kitovras », c'est-à-dire de centaure128. Ceci nous ramène au caractère polymorphe du dragon engloutisseur qui peut, selon les aires géographiques, être représenté par n'importe quel animal, notamment par un oiseau ou par un loup129, et, chez les peuples côtiers par un grand poisson. Nous voyons se manifester ici le lien établi par les sociétés primitives et attesté encore en Europe à une époque récente, entre les animaux et le monde de la mort130. Le rite d'initiation est une mort fictive, un voyage dans l'au-delà destiné à dérober aux morts ce dont les humains ont besoin. Dans le ventre du monstre engloutisscur le héros des récits mythiques rencontre souvent des morts ou les ossements de ses aïeux131. Le résultat heureux de ce séjour n'enlève rien au caractère mortel (parfois réalisé dans le rite d'initiation) de l'expérience. Ainsi s'expliquent deux développements de la figure du dragon : d'une part son évolution vers une interprétation négative, d'autre part son association au monde des morts dont il apparaît comme le gardien.

Nous nous arrêterons brièvement au premier point. Le motif du héros avalé par un poisson, si répandu dans le folklore international, constitue, selon Propp, une étape intermédiaire entre le dragon initiatique et le dragon malfaisant. Les exemples rapportés par Frazcr, Frobenius, Boas132 montrent que certains caractères du rite d'initiation sont encore associés au séjour dans les entrailles du poisson. La mention régulière du feu à l'intérieur du monstre (songeons à Pinocchio allumant un feu dans le ventre de la baleine) ne peut s'expliquer qu'à la lumière du rite. Cependant l'engloutissement est interprété de façon négative puisque, à la fin de ce type de récits, le héros tue généralement le monstre de l'intérieur en lui arrachant le foie et le cœur ou par éventration. Le combat contre le poisson est le premier degré du combat contre le dragon. Des mythes grecs gardent la trace de cette étape intermédiaire et témoignent de son existence dans les civilisations agricoles de l'Antiquité. Selon une version de la légende d'Héraclès, le héros se jette dans la gueule du dragon pour sauver Hésione ; il passe trois jours dans le ventre du monstre qu'il tue de l'intérieur133. Un vase attique représente Jason se jetant dans la gueule du dragon, gardien de la toison d'or134.

L'évolution de la figure du dragon signale un changement idéologique qui se manifeste aussi dans la transformation de la figure du héros : dans la phase primitive celui-ci acquérait un pouvoir magique en se soumettant au monstre ; à l'étape suivante c'est en le tuant qu'il fait preuve d'héroïsme.

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On peut observer une évolution parallèle de la représentation du dragon aquatique. Contrairement à son frère cngloutisseur, celui-ci est toujours décrit comme un serpent, même dans les récits les plus archaïques recueillis en Australie par Spencer et Radcliffe-Brown135. Quelques traits invariables peuvent être retenus : le dragon a toujours des dimensions fantastiques, il vit dans l'eau qu'il peut avaler, retenir et restituer136 ; il engloutit des humains qui, soit ne reviennent pas, soit réapparaissent munis de dons magiques et thérapeutiques. En Afrique pastorale et agricole le culte du serpent des eaux comporte des rites de fécondité137. Le dragon aquatique a donc, comme le dragon cngloutisseur, un aspect bienveillant : c'est un donateur. Son caractère négatif est cependant plus accentué : en tant que maître des eaux il peut provoquer la sécheresse ou, au contraire, les inondations ; c'est pourquoi, dans les sociétés agricoles, on lui sacrifie des jeunes filles pour l'apaiser. Ce rite pratiqué par les peuples les plus divers, et pour certains jusqu'à une époque récente, intervient avant les semailles dans les pays où l'agriculture dépend des fleuves138. Il est à l'origine, dans le conte, du motif du tribut vivant que le dragon exige de diverses cités139.

Dans les mythologies des grands états agricoles de l'Antiquité, le dragon aquatique acquiert un caractère entièrement négatif. Il est combattu par les nouvelles divinités anthropomorphes140 qui entendent assurer à sa place la régulation des eaux. Cette étape est bien attestée pour la Chine, la Grèce et l'Inde par des exemples littéraires dans lesquels le combat des dieux contre le serpent est généralement motivé par la sécheresse141. Parallèlement, l'abandon progressif du sacrifice humain offert annuellement au génie des eaux donne naissance au motif du héros livrant bataille au monstre pour délivrer sa victime. Les légendes grecques de Persée et d'Andromède, d'Hercule et d'Hésione apparaissent comme les témoignages les plus anciens de l'interprétation négative de ce rite agraire, longtemps, sans doute, après sa disparition142.

Comme le dragon aquatique, le dragon infernal prend des femmes et les deux figures tendraient à se confondre dans ce rôle, si le conte n'introduisait dans le rapt une composante erotique. Cette particularité donne à penser que le dragon ravisseur de femmes résulte d'une formation relativement tardive bien que liée à un système de représentation ancien, où la mort serait comprise comme un enlèvement. Les témoignages rassemblés par Levy-Bruhl et par Frazer permettent d'affirmer que, dans les sociétés primitives, cet enlèvement est censé être perpétré par un mort ou par l'âme d'un mort qui, menant une vie indépendante sous la forme d'un animal, s'empare de l'âme d'un vivant soit pour apaiser sa faim, soit pour satisfaire son désir sexuel143.

La première motivation semble être la plus ancienne. La mort est, tout d'abord, une dévoreuse et elle garde ce caractère dans certaines grandes civilisations agraires telles que l'Egypte et Babylone. Les mythes de la Grèce antique, relatant l'enlèvement de mortelles par des dieux zoomorphes, illustrent de façon éclatante la seconde motivation, et expliquent aussi, sans doute, la symbolique nuptiale des monuments et des rites funéraires. Dans sa Clef des songes Artémidore prédit la mort à un malade ayant rêvé qu'il s'accouplait à un dieu ou à une déesse144. L'idée que toute mort, surtout prématurée, est atlribuable à un esprit de l'au-delà qui, amoureux d'un vivant, le tue pour l'emporter dans l'autre monde, ressortit à une croyance répandue chez divers peuples à une époque récente145.

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Dans le conte russe, le dragon est à la fois « dévoreur » et « amoureux » : « le dragon emporta la princesse et l'entraîna dans son antre, mais il ne la mangea pas ; elle était belle et il la prit pour épouse ». (Afanas'ev, 85) Mais on ne peut expliquer entièrement le contenu du conte en affirmant que l'enlèvement par le dragon est une figuration de la mort. La princesse du conte ne meurt jamais complètement et connaît généralement deux mariages, l'un forcé avec un animal, l'autre avec un homme146. V. Ja. Propp pense que le conte reflète ici des rites d'initiation, représentant une mort symbolique, que les femmes attachées aux « sociétés secrètes » masculines devaient subir avant de retrouver leur communauté villageoise et de se marier147. L'ouvrage de G. Dumézil sur les centaures nous incite à opérer un rapprochement avec les rites nuptiaux de l'Inde védique fondés sur la conviction que le « Gandharva » est le possesseur normal de toute femme avant son mariage148. Le lien de la femme non mariée avec les forces de l'au-delà explique à la fois le motif des épreuves nuptiales et le rôle souvent ambigu de la princesse du conte et de l'épopée149. Gardien de l'autre monde, le dragon en contrôle d'abord l'accès, qu'il s'agisse du dragon engloutisseur des rites d'initiation, du dragon aquatique (les puits, les cours d'eau communiquent avec l'autre monde)150, du dragon des montagnes dont l'antre rocheux mène aux enfers. Avec le développement de représentations spatiales, la mort apparaît comme un voyage151 et le dragon passe des frontières à l'au-delà lui-même. Il devient le dernier obstacle de la quête du héros. A cette étape il est représenté comme une créature chtonienne ou céleste, solaire et ignée. Les deux formations sont relativement tardives et s'imposent dans les civilisations agricoles développées, avec, peut-être, une antériorité du dragon chto- nien. Cerbère possède encore certains traits du dragon aquatique, puisqu'il se tient à l'embouchure de l'Achéron, et l'on peut penser qu'une certaine utilité lui est reconnue par les humains puisque Héraclès se contente de le terrasser152.

Dans les grands états agricoles tels que l'Inde védique ou l'Egypte, le dragon céleste est associé au soleil ou aux eaux du ciel : dans le Rigveda le serpent Vritra retient l'eau et mange le soleil ; son meurtre par Indra provoque la pluie. Le Livre des morts associe l'au-delà au lieu où disparaît le soleil. Le serpent Apopi qui tous les jours menace d'engloutir l'astre, tente aussi de dévorer les âmes qui se présentent au pays des morts ; grâce aux formules magiques dont il est muni pour son voyage le défunt écarte cette menace153. C'est également chez les sociétés agraires développées que se constitue la figure hybride du dragon, réunissant les traits de plusieurs animaux qui, dans les sociétés primitives, incarnaient les morts. L'association, bien connue dans l'iconographie médiévale154, du serpent et de l'oiseau, répond à une représentation nouvelle de l'au-delà, conçu comme un royaume lointain155, situé sous terre ou à la limite du ciel. La figure du dragon ailé unit les fonctions du serpent chtonien et de l'oiseau transporteur d'âmes. Mais bien d'autres combinaisons connues, sphinx, griffons, centaures156, pouvaient lui être substituées.

Le dragon du conte russe correspond à cette image tardive liée à l'économie agraire. De même que les âmes des morts égyptiens, le héros du conte échappe au monstre grâce à des auxiliaires magiques. Le dragon a essentiellement pour fonction de le poursuivre sur le chemin du retour dans le monde des vivants, sans doute parce que l'objet de la quête héroïque est obscurément ressenti par les conteurs comme un larcin157. Mais le motif de la poursuite est une formation secondaire qui ne fonde pas les structures du conte merveilleux.

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Un dernier aspect du conte mérite d'être évoqué, celui de la parenté qui unit le dragon au héros et qui se manifeste en ce que le héros est l'ennemi prédestiné du « zmej ». On peut voir ici la condensation de deux types de héros, à l'origine distincts. Le héros est d'abord celui qui a subi avec succès l'épreuve initiatique et qui est sorti des entrailles du monstre muni d'un pouvoir magique. Le dragon est ici comparable à une matrice d'où le héros serait issu. Plus tard le héros se définit comme tel en tuant le dragon. La combinaison de ces deux rôles dans le conte produit la figure du héros fils et tueur de dragon158, qui a connu un développement particulièrement intéressant dans l'épopée slave avec la byline russe de « Volk Vsesla- vič » et le chant épique serbe de « Zmej ognjeni Vuk », œuvres qui célèbrent des princes, nés d'un dragon et d'une princesse. L'épopée russe insiste sur les dons magiques du héros, l'épopée serbe, sur sa volonté de combattre le monstre pour venger l'honneur de sa mère. De même que le dragon dont ils sont issus, les deux personnages sont étroitement liés au monde de la mort comme en témoigne leur don de lycanthropie159.

En analysant longuement la figure du dragon, Propp a voulu montrer qu'un symbolisme stable des rôles et des motifs n'existait pas. Le dragon n'est ni le symbole du soleil, ni celui de la pluie ; pris isolément il ne signifie rien qui puisse faire l'objet d'une généralisation. Phénomène historique, il change de fonction et de forme au gré des représentations liées aux différents types de société. Le conte est le dépositaire de ces images successives dont le folkloriste doit s'efforcer de distinguer les strates160.

Les origines de la structure du conte merveilleux :

Nous avons jusqu'à présent mis l'accent sur le caractère évolutif des figures du conte ; celle du dragon nous a paru mériter un développement particulier en raison de ses racines religieuses primitives et des nombreuses réinterprétations auxquelles elle a donné lieu tant dans le monde antique que dans le monde chrétien161. La méthode typologique a montré que les figures et les motifs pouvaient et devaient faire l'objet d'une étude historique. Mais si les figures et les motifs changent, la structure narrative ne change pas : « Permanence de la composition et évolution des figures, telle est la loi immuable qui commande le développement du conte au cours du temps »162. L'étude historique de cette composition se définit par conséquent comme une recherche de ses origines. La comparaison des contes merveilleux russes, qui par leur forme ritualisée occupent une place particulière dans le folklore européen163, avec le matériel ethnographique américain, océanien et africain164, a permis à V. Ja. Propp de montrer de façon convaincante que de nombreux motifs, qui constituent des éléments stables du conte, s'éclairent par leur confrontation avec les rites et les usages des sociétés primitives vivant de l'économie de chasse. Les rites d'initiation donnant aux jeunes gens accès aux sociétés secrètes masculines, et les autorisant au mariage, apparaissent comme la première source d'inspiration du conte merveilleux. Le départ des enfants dans la forêt, la découverte de la cabane de la sorcière Jaga, les épreuves auxquelles cette dernière soumet le héros : mutilations, lacérations, épreuve du feu et de la cuisson, engloutissement et renaissance, obtention, enfin, d'un auxiliaire et d'un savoir magiques, reproduisent dans le conte les étapes du rite d'initiation. Tous les motifs cités peuvent s'articuler en un grand nombre de thèmes différents, mais si l'on raconte dans

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l'ordre tout ce qui arrivait aux jeunes initiés, on obtient un schéma qui est celui du conte.

Les représentations relatives à la mort et au passage dans l'autre monde constituent la seconde source d'inspiration du conte mais entre les deux cycles on ne peut faire une délimitation très nette. Le rite d'initiation était conçu comme un séjour chez les morts et, inversement, le mort était censé subir toutes les épreuves des initiés. Le voyage du défunt répond à une même composition que le rite d'initiation, tout en apportant au conte des éléments étrangers à cet usage165. La combinaison des deux cycles produit presque tous les thèmes fondamentaux du conte merveilleux166. Cette ambivalence s'exprime nettement dans la figure centrale de la sorcière Jaga167, maîtresse des animaux, qui apparaît à la fois comme gardienne du pays des morts168 et comme ancêtre féminin du clan qui contrôle l'initiation, et dans lequel le héros prend femme169.

Une autre question se pose : comment le conte merveilleux se constitue-i-il en tant que narration ? Le matériel ethnographique ne permet pas de répondre à coup sûr, mais on peut supposer qu'au cours des cérémonies d'initiation on racontait aux jeunes gens ce qui allait leur arriver, en attribuant les péripéties du rite à un ancêtre fondateur de la tribu et de ses usages. C'est du moins ce que suggère la coïncidence de la forme des mythes et des contes avec la structure du rite. L'interdit qui frappait la divulgation de ces récits permet de penser qu'ils faisaient partie du culte170. On sait par exemple, grâce aux études de Dorscy sur les Pawnee, et de Boas sur les Kwakiutl, que la cérémonie de transmission des amulettes comportait un récit sur l'origine mythique du talisman. Chaque propriétaire d'amulette possédait ainsi son récit qu'il transmettait en même temps que l'objet magique. Le récit apparaît comme une sorte de talisman oral. Enlever à un homme son récit équivaut à lui enlever la vie171. A la différence du conte qui n'est plus qu'un vestige, le récit mythique entretient un lien vivant avec la réalité d'un peuple, sa production, sa structure sociale, ses croyances. Mais lorsque le rituel tombe en désuétude, le récit s'en sépare, perd sa signification religieuse, est raconté comme une histoire. Ce moment représente la préhistoire du conte merveilleux. En ce qui concerne le conte russe et européen, la disparition du rite se situe à une époque, sans doute, extrêmement lointaine, encore que l'archaïsme du conte russe ne permette pas de l'affirmer avec certitude pour les Slaves orientaux. Mais les représentations relatives à la mort ont longtemps survécu aux pratiques d'initiation. Elles ont profondément influencé le chamanisme et l'on peut observer la parfaite concordance du voyage chamanique à la recherche de l'âme avec la quête du héros dans l'autre monde172. Ainsi peut s'expliquer la pérennité et l'« actualité » du conte merveilleux face à l'apparition de nouveaux genres173.

LES BYLINES

Plus sensible à l'histoire, l'épopée, comme le conte, se nourrit à ses débuts de Г« arsenal » du mythe ; cependant elle ne « mythologise » pas l'histoire, comme le pensait A. N. Veselovkij174. L'évolution de l'épopée la porte, au contraire, à « historiciser » les mythes qui passent progressivement à l'arrière-plan pour laisser place à des représentations plus conformes à l'actualité. Cependant, l'épopée ne naît pas des événements ; elle répond à un « sentiment » de l'histoire et ne peut être étudiée que par grandes périodes à partir de son contenu idéologique175.

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La byline diffère essentiellement du conte et des divers récits épiques qui, à partir du xvne siècle, ont pénétré dans la littérature russe176, par sa forme versifiée. La byline est un poème chanté et cette définition permet de la distinguer de toutes les autres œuvres à contenu héroïque avec lesquelles elle a longtemps été confondue177. Elle se sépare également du conte, non par les figures qu'elle utilise, mais par sa thématique. Le protagoniste du conte n'est pas un héros moral, dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui. Il est héroïque parce qu'il a su, généralement par ruse, se procurer les moyens magiques qui lui assurent le pouvoir. Le héros de l'épopée lutte par ses propres forces contre les monstres, anciens maîtres des éléments ; il est toujours vainqueur d'un combat mené pour le bien des humains. Les deux pôles structurant du conte : la quête et le vol de l'objet magique sont remplacés dans l'épopée par le combat et la victoire. L'épopée se construit en contradiction avec les représentations mythiques dont elle est issue. Propp attribue cette transformation idéologique aux conditions économiques et sociales nouvelles qui ont présidé à la naissance du genre et qui se caractérisent par une certaine indépendance des hommes vis-à-vis de la nature, obtenue grâce aux acquisitions techniques. Cette indépendance est reflétée dans le chant épique par la lutte active du héros contre les forces naturelles représentées tout d'abord par les monstres de l'au- delà. Au cours de l'histoire ces ennemis primitifs tendront à se socialiser, et à prendre la figure de l'ennemi idéal - le paganisme, dans la byline de « Dobrynja »178 - ou de l'ennemi héréditaire - les Polovtsiens, dans la byline ď« Aleša et Tugarin »179 - ce qui explique, sans doute, que les héros des bylines sont majoritairement des guerriers180. On peut observer la même évolution dans les épopées ayant pour thème le mariage. Le monstre primitif qui fait obstacle à la quête de l'épouse, est progressivement remplacé par la famille de la femme. Plus tard, la quête de la fiancée apparaît comme une campagne contre l'ennemi héréditaire (les Turcs dans les chants épiques des junaki) et les cortèges nuptiaux apparaissent comme deux armées se faisant face181. Contrairement à ce qui se passe dans le conte, le combat dans la byline est toujours représenté comme un combat réel, ayant lieu dans un espace réel. Les descriptions réalistes qui, au cours des siècles, enrichissent le récit, de même que la mention de personnages historiques, ne peuvent cependant pas servir à dater les œuvres182. Seule la thématique, née des préoccupations fondamentales d'une société, autorise une hypothèse sur l'époque à laquelle s'est constitué tel ou tel chant épique.

Les bylines russes les plus anciennes nous sont parvenues dans le cadre du Cycle de Kiev (ou Cycle de Vladimir), qui s'élabore avec la naissance de l'État kié- vien au Xe siècle et se développe jusqu'à l'époque moscovite. Mais plusieurs œuvres qui font partie de ce cycle ont, sans doute, une origine beaucoup plus ancienne. Elles sont nées à l'époque de la communauté slave primitive, et témoignent de la création littéraire des Slaves orientaux. Faute de matériel comparatif slave, Propp s'est tourné, pour étayer cette thèse, vers l'étude des chants épiques des peuples de l'URSS qui, jusqu'à une date récente, vivaient dans le cadre d'une organisation tribale. L'analyse de l'épopée des Giliaks (Sibérie du nord) et des Iakoutes, l'amène à définir certaines régularités183. Il remarque d'une part que la tribu, bien qu'implicitement présente dans le récit, n'est jamais clairement désignée184 ; d'autre part que le thème essentiel des cycles épiques de ces peuples concerne la recherche d'une épouse et les fondations d'une famille. Les monstres de toutes sortes cherchent à contrecarrer ces projets, notamment en enlevant la femme du héros. Celui-

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ci sort toujours vainqueur du combat. De ces observations, Propp conclut d'abord que l'épopée est un genre qui apparaît tardivement, lorsque l'organisation tribale communautaire commence à se décomposer au profit du développement de la famille patriarcale (la tendance « matrilinéaire » du conte, est ici inversée ; les femmes sont « enlevées » et ramenées dans le pays de l'époux). Il affirme, en second lieu, que le thème de la recherche des femmes est l'un des plus anciens de l'épopée. Ainsi peut-on considérer que les bylines russes ayant pour thème le mariage (bylines de « Sadko », de « Mihail Potyk », de « Dobrynja Nikitič », de « Dunaj » -)185 et le combat contre les monstres de l'au-delà, le rapt des femmes et le pillage (byline de « Volk Vscslavič »)186, la défaite des anciens maîtres des éléments (byline de « Svjatogor »)187, appartiennent à l'« antiquité slave », même si le Cycle kiévien leur a assuré par la suite une grande diffusion sous une forme, sans doute, réélaborée. L'épopée primitive, telle qu'elle est représentée chez les peuples de la Sibérie et de l'Asie du nord, possède des particularités formelles étrangères à la byline. Les chants épiques des Iakoutcs et des Giliaks apparaissent comme des complexes, composés de plusieurs épisodes commençant chacun par le départ du héros. L'œuvre peut être indéfiniment prolongée, non par complication de l'intrigue, mais par adjonction de nouveaux exploits répondant tous à une même structure. La byline russe obéit à une intrigue unique et relativement courte. En revanche, elle s'organise en cycles, phénomène inconnu des chants épiques primitifs. Entre le Xe et le xvi* siècle, les bylines connaissent un centre géographique, Kiev, d'où les héros, quelle que soit leur origine, partent pour l'aventure.

Les bogatyri font partie de l'entourage du prince « Vladimir », figure idéalisée et passive qui établit un lien formel entre les différents héros, leur permet de se connaître et de se rencontrer188. Ce personnage central a peut-être été lui-même, autrefois, un héros épique ; devenu chef de sa tribu puis de l'État, il ne représente plus, dans la byline, que l'unité du pouvoir, alors que l'accent est mis sur les prouesses de ses preux189.

La byline du Cycle kiévien n'est donc pas à proprement parler le prolongement de l'épopée primitive. Ses idéaux sont différents puisque les germes d'une conscience nationale y sont déjà perceptibles. Elle apparaît de plus comme le témoin d'un certain équilibre entre la culture populaire et celle de la classe dominante qui se nourrit encore de la création folklorique et l'utilise selon des représentations qui lui sont propres190. A celle étape la figure du prince est bienveillante (Vladimir est appelé « Beau-Soleil », « Prince légitime de Kiev ») ; elle sert à affirmer, jusqu'à l'invasion mongole qui, selon Propp, marque la première césure dans l'histoire de l'épopée russe191, une volonté d'unité face au morcellement féodal. C'est ce qui explique vraisemblablement la grande popularité de cette image princière et l'importance de la diffusion géographique du Cycle kiévien. Des bylines locales ont dû exister dans toutes les principautés russes comme en témoignent encore aujourd'hui les bylines de Novgorod qui forment un ensemble à part192. Mais il est certain que les bylines, « pan-russes » du Cycle kiévien étaient chantées sur tout le territoire, et c'est dans le nord de la Russie qu'elles se sont conservées jusqu'à nous.

A l'époque moscovite les conflits de classe font leur apparition dans la byline. Les boyards y sont tournés en dérision. L'attitude du prince devient hostile aux héros (révolte d'H'ja Muromec contre Vladimir)193 qu'il va jusqu'à condamner à mort. Parallèlement, un nouveau genre se développe au xvie siècle, celui de la chanson historique que l'on a, à tort, confondu avec la byline, et qui, contrairement

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à celle-ci, s'attache au récit d'événements historiques précis194. Cette innovation entraîne le rétrécissement de la circulation de la byline qui, au xvra« siècle, ne subsiste plus que dans le nord, resté longtemps en retrait de l'évolution capitaliste.

La byline russe s'est donc construite sur une série de thèmes appartenant aux organisations tribales des Slaves. Encore proche des motifs du conte, ces thèmes ont subi une profonde réinterprétation. Ils s'articulent en un genre différent, né de conditions sociales et économiques nouvelles. La forme métrique, la thématique éloignent la byline du conte. Les conditions du récit également, et il est intéressant de noter que les conteurs et les chanteurs de byline formaient, encore au début du siècle, des catégories professionnelles distinctes195. Là, en revanche, où le chant épique a depuis longtemps disparu, c'est-à-dire en Russie méridionale, la byline a été absorbée par le conte qui en a retenu de larges fragments196.

LES FETES AGRAIRES RUSSES

Nous ne pouvons clore cet aperçu de l'œuvre de V. Ja. Propp sans parler de son dernier ouvrage, consacré aux fêtes agraires russes197. Le sujet n'est pas étranger au folklore dans la mesure où il repose sur des témoignages oraux recueillis à une époque récente, ou sur les descriptions anciennes des croyances et des rites qui s'attachaient aux fêles saisonnières sur l'ensemble du territoire de la Russie. Ces rites ont été longtemps pratiqués par la population tout entière, aussi bien dans les villes que dans les campagnes malgré les condamnations répétées dont ils ont fait l'objet de la part de l'Église. Au XIXe siècle ils n'étaient plus considérés dans les villes que comme un divertissement et leur sens rituel s'est conservé de façon plus nette en milieu rural.

Les usages, fêtes, rites, superstitions de la paysannerie russe ont donné lieu à de très nombreux ouvrages consacrés à leur description et à leur interprétation198. A tous ces travaux, VJa. Propp reproche d'avoir étudié les fêtes du calendrier agricole indépendamment les unes des autres, alors qu'elles ne peuvent être comprises que par une vue d'ensemble du cycle festal. Toutes les fêtes comportent des éléments semblables, dont la mise en forme diffère parfois, mais qu'il convient de définir et de confronter. Nous n'en retiendrons ici que l'essentiel.

Les grandes fêtes de l'année agraire sont liées au calendrier solaire : les « Svjatki » (fêtes des lumières) couvrent la période du solstice d'hiver et s'étendent de Noël au Nouvel An ; les fêtes de la rencontre du printemps coïncident avec l'équinoxc de printemps ; celles de la Saint-Jean (Ivan Kupala) marquent le solstice d'été. Des fêtes mobiles, dépendant de la date de Pâques, entrent dans l'orbite du cycle solaire, et se confondent avec les rites printaniers : fêtes de la semaine précédant le carême (Maslenica), fêtes de la Trinité comportant le Semik (septième jeudi après Pâques) et les Rusalija.

Comme chez beaucoup d'autres peuples, toutes ces dates pouvaient servir de début d'année, phénomène à la fois climatique et culturel puisque la Russie a connu, jusqu'au xvni« siècle, plusieurs calendriers fixant à des dates différentes le début du cycle annuel199. Mais, qu'il faille attribuer cette coutume à une tradition gardant le souvenir d'un calendrier solaire plus ancien que les calendriers ecclésiastiques200, ou aux exigences du labeur agricole201, c'est le solstice d'hiver qui a toujours été considéré par les paysans russes comme début de l'année nouvelle. A

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cette date, débute une série de fetes rituelles, coïncidant avec les fêtes chrétiennes de la Nativité, et s'étendant du 24 décembre au 6 janvier.

Ces célébrations commencent par un repas qui ne peut être compris que comme une commémoration des morts. La traditionnelle bouillie de céréales non moulues (kutija), posée parfois sous les icônes, les bliny, ou galettes représentant, sans doute, la forme la plus ancienne de panification (d'où leur sens rituel), sont autant de plats caractéristiques des repas funéraires ou commémoratifs. Au cours du réveillon de NoCl, une part de ces aliments était réservée aux morts de la famille ; dans certains cas on répandait sous la table une portion de tout ce qui était bu ou mangé. Des galettes étaient déposées sur le rebord des lucarnes de la maison à l'intention des morts errant dans les rues. Dans certaines régions on allumait des feux dans les cours pour permettre à ces défunts vagabonds de se réchauffer. Ces feux devaient aussi assurer la croissance du blé d'hiver. L'ensemble des rites destinés à apaiser les mânes devaient aussi contribuer à la prospérité de la récolte future202. Des rites de commémoration, ayant un caractère collectif et débutant souvent par un office religieux, avaient lieu durant la semaine du Mardi gras203, et à l'occasion du Semik (septième jeudi après Pâques). Cette dernière fête était marquée par une cérémonie réunissant dans les cimetières l'ensemble des familles d'une communauté villageoise. Chaque famille appelait ses morts, célébrait leurs mérites et se lamentait comme au cours d'un enterrement. Puis un repas commun était pris sur les tombes avec abondance de libations et de victuailles dont une part était offerte aux défunts. Ces banquets mortuaires se terminaient rituellement par des réjouissances et des divertissements dont le caractère effréné n'a pas manqué d'alerter les autorités ecclésiastiques204. C'est également durant les fêtes de la Trinité qu'étaient organisées les funérailles des morts qui, pour une raison ou une autre, n'avaient pas été enterrés durant l'année205. Les fêtes de printemps clôturaient le cycle annuel de la commémoration206. La décroissance des forces de la terre après le solstice d'été rendait inutile, jusqu'à l'hiver, l'invocation des défunts, indissocia- blcment liés dans la conscience paysanne au cycle de la croissance du grain. L'immortalité des morts, garantie par la renaissance de la nature, était assurée par la nourriture rituelle (semences et œufs) qui symbolisait la vie. De nombreux rites de fécondité constituaient l'autre face de ces cérémonies. Nous les citerons brièvement car ils sont bien connus ; ils avaient lieu surtout durant les fêtes de Nouvel An : promenade du cheval ou de la chèvre207, rites de divination concernant le mariage des jeunes filles, simulacres de processions nuptiales, jeux erotiques et travestissements208. Une place importante était tenue par les chants conjuratoircs ou votifs, appelés « koljady » (calendes)209, chantés de maison en maison par des groupes de jeunes gens organisés en confréries210.

Toutes ces pratiques ne peuvent être dissociées du rite commémoratif dont elles sont complémentaires.

Culte des plantes et « mise à mort » :

Les fêtes de printemps étaient marquées par la célébration de la végétation. Le bourgeon du saule qui en signale la première êclosion (en Russie), et dont l'Église russe s'est servie pour fêter les Rameaux jouissait d'une considération particulière. On le mangeait pour se protéger de la fièvre ou pour rendre fécondes les femmes stériles ; en rentrant de l'église on en frappait les enfants et les domestiques en prononçant des formules propitiatoires augurant la prospérité de la maison, on en

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distribuait au bétail211, on en posait sur les ruches. Mais les rites collectifs consacrés au culte de la végétation avaient lieu principalement à l'occasion des Rusa- lija212 (dans la semaine qui précède le dimanche de la Trinité) et avaient pour objet le bouleau, seul arbre que les Russes aient jamais révéré213. A cette date, on procédait à la cérémonie du « bouclage » du bouleau, pratique qui consistait, après avoir choisi un arbre dans la forêt, à en tresser les extrémités en couronnes, ou bien encore à lier ensemble les cimes de deux jeunes arbres, afin d'obtenir un arc, comme pour empêcher la déperdition de la force végétale. Le rite du « bouclage » du bouleau était réservé aux femmes de la communauté villageoise qui accomplissaient à cette occasion, dans le secret, une cérémonie de fraternisation ou de « commérage »214 dont on peut penser qu'elle avait pour but l'initiation sexuelle des jeunes filles. Après deux jours de fêtes collectives, l'arbre, souvent paré de fleurs et de rubans, ou habillé d'une robe de femme, était coupé ou brûlé, puis jeté dans un champ de céréales dont il devait, croyait-on, assurer la fertilité.

A la fin de la moisson, on enterrait dans les champs la dernière touffe d'épis non coupés, dont, au préalable, on prenait soin de « boucler » les extrémités ; on recouvrait cette « sépulture » d'une pierre sur laquelle une offrande de pain et de sel était déposée215. La dernière gerbe, où, pensait-on, se concentrait toute la force de croissance des céréales, était parfois revêtue d'une chemise et devenait ainsi un

\ simulacre humain. * Plusieurs fêtes comportaient des jeux consistant à parodier les funérailles d'un

mannequin ou d'un homme faisant le mort (ce dernier cas étant plutôt réservé aux fêtes du Nouvel An). Les processions funèbres avaient un caractère satirique, particulièrement dirigé contre le clergé et les autorités ; elles s'accompagnaient d'un certain libertinage. Les chansons et devinettes attachées à ce rite à l'occasion du Nouvel An montrent que le pseudo-défunt symbolisait le grain de blé appelé à renaître, ou encore l'opposition du blé de printemps au blé d'hiver216. Les funérailles du mannequin du Mardi gras (Maslenica) revêtaient une solennité particulière puisqu'elles étaient célébrées par des villes ou villages entiers. La procession se terminait par la mise en pièces du mannequin, que l'on brûlait, et dont on jetait les restes dans les champs ensemencés217.

Les fêtes de la Saint- Jean clôturaient le cycle annuel des cérémonies agraires ; elles comportaient des usages communs à beaucoup de peuples : recherche des herbes médicinales, jeux organisés autour des feux auxquels on prêtait des vertus curatives et purificatrices218. La noyade dans les cours d'eau et les rivières de poupées faites de branchages figurant le saint219, ou de l'arbre « marina » (représentant la mort 7)220, apparaît comme une pratique plus particulière aux Slaves. Il ne s'agit pas là d'un rite de fin de moisson, mais une fois encore, d'une cérémonie destinée à favoriser la moisson future, l'abondance de l'eau, et la fertilité des champs auprès desquels abordaient les simulacres. La noyade des poupées était suivie d'un bain collectif des jeunes de la communauté villageoise221.

Tous les rites que nous avons essayé de décrire comportent des différences : différences de nom, de dates, variations des pratiques selon les régions. Ils présentent aussi des traits communs évidents qui manifestent, d'une part, la relation qui est faite entre la fertilité et le culte des morts, d'autre part, une croyance qui veut que la croissance des céréales passe par une pratique sacrificielle. L'apparence ambiguë de l'objet du sacrifice, à la fois végétal et humain, mérite d'être notée. Enfin la nécessaire présence du divertissement et du rire durant les pseudo-processions

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funéraires qui précèdent le sacrifice, rappelle l'usage rituel du rire qui nie la mort et provoque la fécondité.

Dans Le rameau d'or, Frazer met ces pratiques en relation avec la mort et la résurrection des dieux de la végétation des grandes civilisations de l'Antiquité222. Mais si cette interprétation peut convenir aux religions constituées, elle ne s'applique pas bien aux fêtes paysannes slaves. Dans les fêtes russes il n'est pas fait allusion à la résurrection d'une divinité végétale. C'est la « mise à mort » qui s'accompagne d'allégresse et la renaissance attendue n'est pas celle d'un dieu mais celle de la végétation. Aucune des figures symboliquement sacrifiées au cours des fêtes ne sont des divinités : on ne leur rend aucun culte, elles ne sont jamais évoquées en dehors des fêtes spécifiques dont nous avons parlé. Les plantes, les arbres incarnent la force de croissance de la végétation, mais ils ne sont jamais anihropo- morphisés ni divinisés.

Les fêtes agraires russes témoignent d'une religion primitive, sans doute commune à tous les Slaves, qui tente par des pratiques propitiatoires de se concilier le monde des morts et de contrôler les forces vitales de la terre. Étrangères à toute doctrine, ces croyances ont pu se conserver avec une étonnante vitalité jusqu'au début du XXe siècle. L'Église en a condamné les aspects jugés subversifs : danses, travestissements, libertinage, mais elle les a également tolérées dans la mesure où elles échapaient à sa compétence. De même que les contes, ces croyances et ces pratiques s'inscrivent dans la longue durée, et nous donnent une idée des origines slaves.

Les études folkloriques sont longtemps apparues en Europe occidentale comme un rameau secondaire de l'ethnologie, bon tout au plus à sauver quelques traditions locales, incapable d'ouvrir à une meilleure connaissance des sociétés anciennes ou présentes. Dans la Russie impériale, elles ont acquis une dignité scientifique que le régime soviétique ne leur a pas retirée, même si certains folkloristes ont eu à souffrir des tournants de l'idéologie officielle. Le désir de compenser les lacunes d'une documentation historique pauvre, l'existence d'un important matériel, recueilli à partir du x vin» siècle, la survivance jusqu'aux années 30 de groupes porteurs de traditions anciennes, expliquent en partie l'importance du folklorismc russe et soviétique. A ces facteurs il convient cependant d'ajouter une donnée que le présent bulletin a voulu souligner : le folklorisme est une recherche intellectuelle complexe, une tentative faite pour interpréter de manière systématique des documents dispersés et apparemment dénués d'intérêt historique. Les méthodes utilisées par les folkloristes ont de quoi surprendre les historiens. Elles font peu de place à la critique des sources, puisque, en tout état de cause, la « bonne foi » des informateurs n'entre pas en ligne de compte. Elles ne visent pas les détails, ne cherchent ni à séparer l'essentiel - les faits, les realia - de l'accessoire - l'habillage littéraire, ni à marquer des étapes chronologiques. Les folkloristes visent les permanences, ou du moins les structures stables à long terme. Sur plusieurs points leurs travaux peuvent intéresser les historiens.

Le comparatisme. Envisagées sur le court terme, les comparaisons portent surtout sur les différences ; les conditions concrètes du développement historique de

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deux pays, de deux fonctions sociales entraînent, à partir de phénomènes identiques (crises, invasions, guerres) des évolutions divergentes. Ignorant, par force, la datation, le folklorisme met l'accent sur les ressemblances. Il permet ainsi de combler les lacunes d'une documentation particulière en faisant appel à d'autres documentations, chronologiquement distinctes mais structurel lement analogues. L'hypothèse, nettement développée par Propp, d'un passage quasi nécessaire par certains « stades » a de quoi choquer les historiens ; elle n'est pas centrale ; il est possible d'en faire l'économie et de se contenter d'une autre proposition, acceptable celle-là : des structures sociales comparables se traduisent par l'utilisation de structures narratives comparables dans les traditions transmises oralement sur de longues périodes.

Le temps immobile. Les folkloristes invitent ainsi les historiens à prendre en compte cette longue durée que la documentation classique, axée sur l'événement, sur les relations au jour le jour, ne permet guère de percevoir. Les époques médiévales sont peut-être celles pour lesquelles ce temps long a le plus d'importance, et d'intéressants travaux lui ont déjà été consacrés, cependant la rareté et surtout l'origine sociale des textes que nous avons à notre disposition ne nous permettent pas de le percevoir. Les folkloristes peuvent nous aider à combler cette lacune. Partant d'une période presque contemporaine, ils nous montrent la survivance de pratiques et de systèmes relationnels dont ils trouvent ensuite la trace très loin dans le passé ; les médiévistes sont encouragés à utiliser, faute de mieux, les traces récentes pour reconstruire certaines régularités sociales déjà peu actives voici plusieurs siècles.

L'interstice des textes. Surtout, les folkloristes nous montrent l'importance de ce qui, dans nos documentations, n'est pas informatif. Le recours au structuralisme est aujourd'hui largement accepté par les historiens qui s'intéressent autant à la construction qu'au contenu. En général, pourtant, l'analyse structurale vise à restituer les cadres de pensée immédiats, les modèles à utiliser à tel ou tel moment. Les folkloristes ont un abord différent du problème : la structure leur signale les continuités. Reprenant leur démarche, l'historien est en mesure de séparer les éléments datables des données « permanentes » ; entre les « faits » il repère les indications inutiles pour la connaissance immédiate d'une période particulière, utile pour la mise en évidence de la « durée ». Un « genre » comme l'hagiographie, qui est pour une certaine part, le conte merveilleux du Moyen Age, se prête parfaitement à une double approche menée sur ce modèle, et la démonologie chrétienne gagnerait à être envisagée dans le cadre d'une étude générale sur les « créatures hybrides ».

Les folkloristes soviétiques ont peu travaillé sur la documentation médiévale230 ; en partant de leurs méthodes, en les critiquant, en leur ajoutant une meilleure attention aux données proprement chronologiques, il serait possible d'ouvrir un autre chantier à cette connaissance « profonde » des structures médiévales que tente de promouvoir la « nouvelle histoire ».

Paris, CNRS, 1988.

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1. Les premiers contes rosses consignés sous leur forme orale l'ont été à la fin du XVIIe siècle, par un Anglais, Samuel Collins, physicien à la Cour du tsar Alexis Mihajlovič. L'adaptation de certains thèmes folkloriques dans la littérature russe de la fin du XVIIe siècle a été, en revanche, réalisée avec des déformations telles qu'elle n'a eu aucun effet de retour sur la tradition orale, voir R. Jakobson, « Russian fairy tales » (New York, 1945), in R. Jakobson, Selected writings, Paris-La Haye, 1966, V, pp. 82-85.

2. V.M. Istrin, Očerk istorii drevnerusskoj literatury (Histoire de la littérature russe ancienne), Pe- trograd, 1922, pp. 5 sq.

3. R. Jakobson, art. cit., pp.84-86. 4. Durant longtemps les folkloristes ont cru que l'extrême nord de la Russie était le véritable con

servatoire de la tradition orale, ce qui se révélait exact en ce qui concerne le chant épique ; des expéditions ethnographiques aux alentours de Moscou à la veille de la révolution ont permis la récolte d'une abondance de contes, ibid., p. 92.

5. Des pratiques sacrificielles accompagnées de mythes relevant de l'économie de chasse ont été enregistrées dans la région de Novgorod jusqu'en 1924. C'est à la riche documentation relative aux pratiques du nord de la Russie que sont aujourd'hui consacrés les travaux d'« ethnographie rétrospective » édites à Leningrad dans la revue : Fol'klor i etnografija russkogo severa, voir en particulier l'article de G.G. Šapovalova, « Severnorusskaja legenda ob olene » (La légende du cerf en Russie du nord), ibid., 1973, pp. 209-249.

6. Il était impossible, au XVIIIe siècle, de publier des contes dans un ouvrage littéraire de haut niveau, Čulkov fut vivement attaqué par la critique lorsqu'il voulut éditer des contes, et PuSkin fut accusé de vouloir, en s'inspirant de sources folkloriques, introduire le moujik dans la société des nobles, voir R. Jakobson, art. cit., pp. 85-86.

7. Sur l'utilisation du folklore par les auteurs rosses voir les recueils de travaux parus sous le titre de Fol'klornaja tradicija i literatura (Tradition folklorique et littérature), Vladimir, 1980 et /z istorii russkoj sovetskoj fol'kloristiki (De l'histoire de l'étude du folklore russe soviétique), Leningrad, 1981.

8. Les contes recueillis systématiquement par la Société russe de géographie constituent l'une des sources principales du corpus des contes d'Afanas'ev ; ils ont été édités par A. Smimov, Sborník veliko- russkih skazok arhiva Russkogo geografičeskogo ObSCestva (Recueil des contes de Grande Russie des archives de la Société russe de géographie), Saint-Pétersbourg, 1-П, 1917. Citons aussi les Contes recueillis par les instituteurs ruraux, édités par A. Erlevejn, Narodnye skazki sobrannye sel'skimi učiieljami, Moscou, 1863.

9. La première édition d'Afanas'ev, parue entre 1855 et 1863 en huit fascicules, est aujourd'hui remplacée par celle de M. Azadovskij, N. Andreev, J. Sokolov, Narodnye russkie skazki (Contes populaires russes), 1-Ш, Moscou-Leningrad, 1936-1940, et par l'édition de V. Ja. Propp, Narodnye russkie skazki A. N. Afanas'eva, I-Ш, Moscou, 1958, dont Edina Bozoki a donné une traduction française réduite à cent contes : Afanassiev, Contes russes, Paris, 1978 (« Les littératures populaires de toutes les nations », N.S., 25) ; dans le présent article les références à Afanas'ev sont données d'après l'édition de Propp. A. N. Afarîas'ev a également publié des recueils mineurs intitulés Russkie narodnye legendy (Les légendes populaires russes), Moscou, 1 860 et Russkie zavetnye skazki (Les récits russes sacrés), Genève, 1865 ; il s'est aussi intéressé aux croyances populaires auxquelles il a consacré un important ouvrage, Poetiâeskie vozzrenija Slavjan na přírodu (Les idées poétiques des Slaves sur la nature), I-Ш, Moscou, 1865-1868. Plusieurs de ses études partielles ont dernièrement été rééditées sous forme de recueils : A. N. Afanas'ev, Drevo iizni (L'arbre de vie), Moscou, 1982 ; A. N. Afanas'ev, Narod hudoinik (mif, fol'klor, literatura) (Le peuple artiste, mythe, folklore, littérature), Moscou, 1986 ; sur l'influence exercée sur Afanas'ev par les frères Grimm, voir E. V. Pomerančová, « A. N. Afanas'ev i brat'ja Grim » (A. N. Afanas'ev et les frères Grimm), Sovetskaja etnografija, 6, 1985, pp. 84-90.

10. Voir l'introduction de I. Hudjakov à son édition des Velikorusskie skazki (Contes de Grande Russie), I-Ш, Saint-Pétersbourg, 1860-1862.

11. P. Rybnikov appelait les chercheurs à s'intéresser à toutes les caractéristiques, fussent-elles purement individuelles, du narrateur. П fut suivi dans cette voie, avec quelque exagération peut-être, par les chercheurs soviétiques, tout particulièrement par les frères Boris et Jurij Sokolov qui poussèrent l'intérêt pour les caractères personnels des œuvres orales au détriment de leurs traits généraux ; le grand mérite de ces chercheurs est toutefois d'avoir su unir la récolte des contes et des bylines à des observations ethnographiques, voir B. Sokolov, Skaziteli (Les conteurs), Moscou, 1924 ; Russkij fol'klor (Le folklore russe), I-Ji, Moscou, 1929-1930 ; Ju. Sokolov, « Follcloristika i literaturovedenta » (Études de folklore et études littéraires), in Pamjati P. N. Sakulina (Pour la mémoire de P. N. Sakulin), Moscou, 193 1 ; Russkij fol'klor (Le folklore russe), Moscou, 1938.

12. Pesni sobrannye P. N. Rybníkovým (Chants réunis par P. N. Rybnikov), I-IV, Moscou, 1861-

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1867 (2e éd., Moscou, 1909-1910). L'édition de Rybnikov apparaît comme le corpus de base de toutes les recherches ultérieures, elle avait été précédée par un recueil édité par K. Kalajdovic* sous le titre de Drevnie rossijskie stihotvorenija sobrannye KirSej Danilovym (Poèmes russes anciens recueillis par Kirša Danilov), Saint-Pétersbourg, 1 8 1 8 (2e éd. sous la direction de P. N. Scheffer, Sborník girSi Danilo- va (Le recueil de Kir Sa Danilov), Saint-Pétersbourg, 1901 et Moscou, 1938). Moins complet que celui de Rybnikov, et proposant un classement contestable des chants épiques, ce recueil est à l'origine des premières études à caractère historique de la byline russe. Les bylines consignées par Rybnikov ont connu encore quelques éditions récentes, notamment celle de N. Ja. Propp et B. N. Pu lilo v , parue sous le titre de Epičeskaja poezija russkogo národa (La poésie épique du peuple russe), I-II, Moscou, 1958 ; dans le 1. 1, consacré aux bylines, les éditeurs proposent un nouveau classement chronologique des œuvres qui a donné et donne encore lieu à discussion. On trouvera dans l'ouvrage de Л. M. Astahova, Byliny, itogi i problémy izučenija (Les bylines, bilan et problèmes des recherches), Moscou-Leningrad, 1966, pp. 167- 214, une bonne mise au point sur l'histoire de l'enregistrement et de la publication des chants épiques russes.

13. La période рте-révolutionnaire est marquée par une tendance à l'étude régionale du folklore. Cette orientation se manifeste par des publications partielles tenant davantage compte de la provenance des sources orales que de leurs caractères communs. On trouvera une bibliographie complète de ces travaux dans S. Šavčenko, Russkaja narodnaja skazka (Le conte populaire russe), Kiev, 1914. Les expéditions ethnographiques et la découverte de conteurs professionnels, témoignant de l'étonnante vitalité du conte en Russie, se poursuivront après la révolution jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale. On trouvera dans R. Jakobson, art. cit., p. 93, n. 12 et 13, un aperçu des publications auxquelles ces expéditions ont donné lieu et auxquelles il convient d'ajouter des éditions plus récentes, fondées principalement sur des documents d'archives : Skazki leningradská'} oblasti (Contes du district de Leningrad), éd. M. Bahtin, P. Širjacva, Leningrad, 1976 ; Russkie narodnye skazki Sibiři (Les conies populaires russes de Sibérie), éd. R. P. Matveeva, Novosibirsk, 1979-1981 , 3 vols ; Russkie narodnye skazki Pudožskogo kraja (Les contes populaires russes de la région de Pudoï, Karélie), éd. A. P. Razumova, T. I. ScnTcina, Petrozavodsk, 1982. Dans la même période la collecte des bylines aura des résultats beaucoup moins féconds ; la décadence du genre se manifeste dès la fin du XIXe siècle, et l'on a pu percevoir chez les derniers chanteurs du XXe siècle des marques certaines de contamination littéraire, voir B. N. Rybakov, Drevnjaja Rus', skazanija, byliny, letopisi (La Russie ancienne, récits, bylines, chroniques), Moscou, 1963, p. 43 ; A. M. Astahova, op. cit., p. 260 ; V. I. Čičerov, « Ob etapah razvitija russkogo cpičeskogo eposa » (Les étapes du développement du chant épique russe), in Istoriko-literaturnyj sborník (Recueil d'histoire et de littérature), Moscou, 1947, pp. 56-60, et Russkoe narodnoe tvorčestvo (La création populaire russe), Moscou, 1959, pp. 419-424.

14. F. L. Buslaev, « Narodnaja poezija : nisskij bogatyr'skij epos » (La poésie populaire : l'épopée héroïque russe), in Sborník oldelenija russkogo jazyka i slovesnosti (Recueil de la section de langue et littérature russes), 42, 2, 1887, pp. 66-102 ; Orest Miller, IV ja Muromec i bogatyr'slvo kievskoe (Ilia de Mur от et les héros /deviens), Saint-Pétersbourg, 1869.

15. Rapprochements largement fondés sur le vocabulaire poétique des bylines : l'expression «r krasnoe solnyško » (beau soleil) qui qualifie souvent le prince Vladimir fut comprise à la lettre et l'on en déduisit que Vladimir incarnait le soleil. On trouvera un exposé pénétrant des thèses mythologiques des frères Grimm et de Max Mùllcr dans les chapitres 2 et 4 de Nicole Belmont, Paroles païennes, mythe et folklore, Paris, Imago, 1986.

16. Ces interprétations ont influencé notamment N. Ja. Marr et ses disciples dans leurs tentatives de reconstitutions de mythes slavo-russes à partir de la tradition orale, voir V. Ja. Propp, Russkij geroičesky epos (L'épopée héroïque russe), (cité infra Epos), Moscou, 1958, p. 23.

17. L. A. Magnus, The heroic ballads of Russia, Londres, 1921 ; H. M. et N. К. Chadwick, « Russian heroic poetry », in The growth of literature, П, Cambridge, 1936.

18. A. N. Veselovskij s'est exprimé à propos de l'épopée dans de nombreuses études partielles et dans une œuvre inachevée Tri glavy iz istoričeskoj poeliki (Trois chapitres de poétique historique), dans laquelle étaient repris les cours qu'il avait donnés, en 1894, à l'Université de Saint-Pétersbourg ; cet ouvrage a été réédité, avec une longue introduction, par V. M. Žirmunskij sous le litre : A. N. Veselovskij, Istoričeskaja poetika (La poétique historique), Leningrad, 1940. On trouvera une étude critique bien documentée des thèses de Veselovskij dans V. M. ?jrmunskij, « Epičeskoe tvorcestvo slavjanskih narodov i problémy sravnitcl'nogo izučenija eposa » (La création épique des peuples slaves et les problèmes de l'étude comparatiste de l'épopée), in Doklady IV-go meždunarodnogo s"ezda slavistov (Rapports du IVe Congrès international des slavistes), Moscou, 1958, p. 23 ; voir aussi, A. N. Veselovskij, Istoričeskaja poetika, op. cit. pp. 14-16, 24-36.

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19. Ibid., pp. 446-492 ; et « Južnorusskie byliny » (Les bylines de la Russie méridionale), in Sborník otdelenija russkogo jazyka i slovesnosti, 22, 2, 1881, 78 pp.

20. Sur linfluence exercée par les littératures byzantine et occidentale sur l'épopée russe voir A. N. Vcselovskij, « Byliny о Saule Levanidoviče i grečeskaja pesnja ob Armuri » (Les bylines de Saul Levanidovič" et le chant épique grec d'Armuris), in ibid., 36, 3, 1 884, pp. 1-35 ; et « Byliny ob Ivane gos- tinom syne i starofrancuzskij roman ob Iraklii » (Les bylines divan, le fils de marchand et le roman vieux-français d'Eraclès), in ibid., pp. 37-68. Les influences et les emprunts occidentaux dans l'épopée russe et slave ont également été étudiés par V. M. Žrmunskij, art. cit., pp. 90-1 13 et id., « Literaturnye otnoíenija Vostoka i Zapadá как problema sravnitel'nogo literaturovedenija » (Les relations littéraires de l'Orient et de l'Occident, un problème de littérature comparée), Trudy jubile jnonauč no j sessii sekciifilo- logičeskih nauk LGU (Travaux de la session du jubilee de la section de philologie de l'Université de Leningrad), 1946, pp. 156 sq.

21. V. F. Miller a exposé l'essentiel de ses théories dans ses Ekskursy v oblast' russkogo narodnogo eposa (Essais sur l'épopée populaire russe), Moscou, 1 892 ; ses nombeux travaux consacrés aux bylines sont réunis dans les Očerki russkoj narodnoj slovesnosti (Études de littérature populaire russe), 1-Ш, Moscou, 1897, 1910, 1924. Chaque byline y est étudiée séparément en relation avec les informations historiques auxquelles elle est censée se rapporter. Les thèses de V. F. Miller ont inspiré les analyses de A. Mazon, voir» Mikula le prodigieux laboureur », Revue des Études slaves , П, 1931, pp. 149-170 ; on perçoit leur influence dans l'article, par ailleurs si pénétrant, consacré par R. Jakobson et M. Szeftel à la byline de « Volk Vseslavič » : les auteurs cherchent au prix d'une forte sollicitation des textes, à rattacher ce héros fabuleux aux informations données par les chroniques de Kiev et de Novgorod à propos du prince Vseslav de Polock, voir R. Jakobson, M. Szeftel, « The Vseslav epos », Annuaire de l Institut de Philologie orientale et slave, X, 1951 ; repris dans R. Jakobson, Selected writings, op. cit., IV, pp. 301- 379.

22. Tendance bien illustrée par l'ouvrage de A. P. Skaftymov, Poetika i genezis bylin (La poétique et la genèse des bylines), Moscou-Saratov, 1924, et qui est loin d'être abandonnée de nos jours, voir V. P. Anikin, Teorija fol'klor no j tradicii i ее značenie dlja istoričeskogo issledovanija bylin (La théorie de la tradition folklorique et son importance pour l'étude historique des bylines), Moscou, 1980, pp. 259 sq-

23. A l'exemple de certaines tentatives telles que celle de S. K. Sambinago, « Drevnerusskoe fMte. po bylinám » (L'habitat russe ancien d'après les bylines), in Jubilejnyj sborník v čest' V. F. Millera (Recueil en l'honneur de V. F. Miller), Moscou, 1900, pp. 129-149, qui a cru pouvoir reconstituer d'après des textes dont la chronologie est contestable, l'image des habitations moscovites du XVIe siècle ; voir K. V. Čistov, « FolTclor i etnografija » (Folklore et ethnographie), in Fol'klor i etnografija, Leningrad, 1970, pp. 3-15 ; S. Vdovin, « О sootnoSenii follclora s istoriko-etnografičeskimi dannymi » (Les relations du folklore aux données historiques et ethnographiques), in ibid., pp. 16-24.

24. Russkoe narodnoe poetičeskoe tvorčestvo ; Očerki po istorii russkogo narodnogo poetičeskogo tvorčestva, I : X-XVllI v. (La création poétique populaire russe ; Études pour l'histoire de la création poétique populaire russe, I : X-XVIII' siècle), Moscou-Leningrad, 1953 ; l'ouvrage comprend 4 volumes et embrasse l'histoire littéraire russe jusqu'aux premières années du XXe siècle.

25. D. S. LihaČev fut, pour la littérature médiévale, l'un des principaux représentants de Г« école historique marxiste », qui définissait les bylines comme une histoire orale, voir de cet auteur Voznikno- venie russkoj literatury (La naissance de la littérature russe), Moscou-Leningrad, 1952, pp. 47-90 ; « Narodnoe poetičeskoe tvorčestvo vremeni raseveta drevnerusskogo feodal'nogo gosudarstva » (La création poétique populaire à l'apogée de l'État russe féodal), in Russkoe narodnoe..., op. cit., I, pp. 178-208 ; « Epičeskoe vremja russkih bylin » (Le temps épique des bylines russes), in Sborník v čest' akademika B. D. Grekova (Recueil en l'honneur de B.D. Grekov), Moscou, 1952. Ses thèses ont été pour l'essentiel adoptées par B. A. Rybakov, op. cit., pp. 39-58.

26. Le thème de bylines telles que celles de « Dobrynja zmeeborec » (Dobrynja le tueur du dragon), de « Volk Vseslavič », « Solovej razbojnik » (Solovej le brigand) ou de « Sadko » peut difficilement être mis en rapport avec des événements historiques, voir B. N. Putilov, Russkij istoriko-pesennyj fol'klor XIII XVI v. (Le folklore épique chanté des Russes, XIII XVI s), Moscou -Leningrad, 1960, pp. 23 sq. ; V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy razvitija russkogo geroiceskogo eposa » (Les principales étapes du développement de l'épopée héroïque russe), in Doklady /V 'met dunarodnogo s"ezda..., op. cit., pp. 23-24.

27. Sur la genèse du groupe de typologie historique voir B. N. Putilov, Metodologija sravnitel'no- istoričeskogo izučenija fol'klora (Méthodologie de l'étude comparatiste et historique du folklore), Leningrad, 1974, pp. 39-41. Dans les années 30, l'école de typologie historique était notamment représentée par L L Tolstoj, I. M. Trockij, S. Ja. Lure, V. Ja. Propp, et travaillait en liaison avec l'équipe de lin-

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guistes qui entouraient N. Ja. Мал* ; l'ouvrage de ce dernier « Tristan i Izol'da, ot geroini Ijubvi feo- dal'noj Evropy do bogini matriarhal'noj Afrevrazii » (Tristan et Isolde, de l'héroïne amoureuse de l'Europe féodale à la déesse de l'Hurasie et de l'Afrique matriarcales), in Trudy Institula jazyka i mySlemja (Travaux de l'Institut de langue et pensée), II, Moscou-Leningrad, 1932, bien que contestable dans ses méthodes et ses résultats, représenta une première tentative d'analyse des transformations sémantiques d'un thème folklorique et littéraire. Le nouveau groupe collabora également avec des ethnographes tels que U. G. Bogoraz cl surtout D. K. Zelenin qui consacra d'importants travaux au contexte rituel de la narration des contes chez les chamans, voir « Religiozno-magiďcskaja funkcija folTdornyh skazok » (1л fonction magique et religieuse des contes folkloriques), in Sborník v čest' S. F. Ol'denburga (Recueil en l'honneur de S. F. Ol'denburg), Leningrad, 1934, pp. 215-240 ; « Tabu slov u narodov vostočnoj Evropy i severnoj Azii » (Le tabou des mots chez les peuples de l'Europe orientale et de l'Asie septentrionale), in Sborník Muzeja antropologii i etnografii (Recueil du Musée d'anthropologie et d'ethnographie), IX, 1929 et X, 1930. On trouvera des renseignements détaillés sur cette période d'activité des folkloristcs so

viétiques dans N. P. Andrecv, « Gruppa foITdora gosudarstvcnnogo Instituta rečevoj kul'tury v 1929- 1930 » (1л groupe de folklore de l'Institut d'État de civilisation orale en 1929-1930), Sovetskaja etnogra- fija, 3-4, 1931 ; M. K. Azadovskij, « Sovetskaja folTcloristika za 20 let » (Les études folkloriques soviétiques depuis vingt ans), Sovetskijfol'klor, 6, 1939.

28. V. M. Zirmunskij, « Epičteskoc tvorčestvo... », art. cil. ; voir aussi id., Narodnyj geroičeskij epos, sravniteťno-istoričeskie očerki (L'épopée héroïque populaire, études comparalistes et historiques), Moscou-Leningrad, 1962, pp. 75-194.

29: Paru en 1928 cet ouvrage a connu, en 1969, une dernière édition russe qui fut traduite en français en 1970 : V. Propp, Morphologie du conte (cité infra Morphologie), trad. M. Derrida, T. Todorov, C. Kahn, Paris, 1970. Mais, dès la parution de la traduction anglaise, Cl. Lévi-Strauss avait consacré à la Morphologie un compte rendu critique qui fit date : « L'analyse morphologique des contes russes », Cahiers de l'Institut de Science économique appliquée, 9, 1960, pp. 3-36 (repris dans Cl. Ixvi- Strauss, Anthropologie structurale, Paris, 1973, II, chap. 8, pp. 139-173). On trouvera dans A. Régnier, « Les commentateurs français de V. Ja. Propp», in La crise du langage scientifique, Paris, 1974, pp. 283-392, un panorama des travaux inspirés parle folkloriste russe.

30. Les traductions françaises des œuvres de Propp sont, en effet, très récentes : Lise Gruel-Apert donne en 1983 la version française des Racines historiques des contes merveilleux (parue chez Gallimard avec une préface de D. Fabre et J. C. Schmitt), et en 1987, celle des Fêles agraires russes (Maisonncuve et I^arose) ; jusque-là l'essentiel de l'œuvre du savant russe a été connu par des traductions italiennes : Le radici storiche de i raconti difate, Turin, 1949 ; L'epos eroico russo, dell' ordinamento communitario primitive allô sviluppo délia cultura specialista, 1978 ; Feste agrarie russe, Bari, 1978 ; Edipo alla luce delfolclore, quallro studi di ethnografia storicostrutturale, Turin, 1975 et 1983. Ce recueil d'études partielles de folklore et d'ethnographie publiées par V. Ja. Propp entre 1934 et 1946 dans divers périodiques, est introduit par une préface intéressante de Clara Strada-Janovič ; c'est à cette traduction, qui a le mérite de réunir des articles épars et difficiles à consulter, que nous nous référons dans la suite de cet article. Signalons encore l'édition, en 1984, d'un ouvrage intitulé : V. Ja. Propp, Russkaja skazka (Le conte russe), édité par K. V. Čistov et V. I. Ercmin, qui représente la mise en forme de conférences données par Propp, à l'Université de Ixningrad, au cours des années 60. Le chapitre le plus neuf de ce recueil, concernant le « conte cumulatif », est déjà paru en Italie sous le titre de Riserche semiotiche, Turin, Ei- naudi, 1973, pp. 87-106.

31 . Voir l'article consacré à Propp après sa mort (le 21 août 1970) par ses disciples de l'Université de Tartu, dans Егцжюткт), Trudy po znakovým sistemam, Tartu, 5, 1 97 1 , pp. 5 ss.

32. Voir la réponse de Propp aux critiques de Lévi-Strauss, parue en français sous le titre de « Structure et histoire dans l'étude du conte », Langues et littératures (Faculté des Ixttres de Rabat), I, 1981, pp. 161 -183 ; l'édition italienne de la Morphologie du conte (Einaudi, 1966) contient cette réponse en appendice. Voir aussi E. M. Meletinskij, S. Ju. Nekljudov et alii, « Problémy strukiumogo opisanija vol&bnoj skazki » (Les problèmes de la description structurale du conte merveilleux), ibid., 5, 1971, pp. 63-91.

33. V. Ja. Propp, « Specifika folTclora » (La spécificité du folklore), Trudy jubilejnoj..., op. cit., pp. 138-151 , cité d'après la traduction italienne, « Lo specifico del folclore » (cité infra « Specif. »), in Edipo alla luce del folclore, op. cit., pp. 141-143.

34. « Specif. », p. 142. 35. « Specif. », p. 143. Propp intègre la musique au folklore dans la mesure où la chanson popul

aire est fondée sur la poétique. Nous verrons plus loin qu'une part importante de la tradition orale russe, épopée, chanson conjuraloire, etc. se caractérise par sa forme métrique et par le récitatif ou le chant.

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V.Ja.PROPP 125

36. Sur le sens à donner à ce terme voir CL Lévi-Strauss, « La notion d'archaïsme en ethnologie », in op. cit., I, p. 13.

37. « Specif. », p. 144. 38. S'appuyant sur l'exemple russe, Propp considère que la création folklorique, jusqu'à l'époque

socialiste, a été le fait de toutes les catégories sociales « opprimées » y compris la petite bourgeoisie (« Specif. », pp. 144-145).

39. Les folkloristes russes se sont peu occupés des rapports de la littérature et du folklore ; V. Ja. Propp remarque toutefois à propos de certains témoins de la littérature antique tels que le Livre des morts, la Légende d'Osiris, l'Epopée de Gilgamesh, seuls vestiges des croyances des grands États agricoles de l'Antiquité, qu'à l'origine la littérature est souvent un enregistrement du folklore, « Specif. », pp. 159-160. Les œuvres épiques de nombreux peuples ont été le bien commun de toutes les catégories sociales (V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy... », art. cit., p. 27 ; voir aussi V. M. Zirmunskij, « Epičeskoe tvončestvo... », art. cit., pp. 1 14-1 15). Cependant le folkloriste ne peut se servir de mise en forme littéraire de la tradition orale sans tenir compte de la réélaboration idéologique et formelle des matériaux qu'elle a contribué à fixer. Pour les époques antique et médiévale, il n'existe pas de « littérature populaire », et la transmission des œuvres écrites suit des lois radicalement différentes de celles des œuvres orales.

40. La comparaison des diverses variantes permet de distinguer les éléments stables du conte et d'établir le paradigme des variables remplissant une même fonction à l'intérieur de la narration. Ces variables peuvent donner une indication sur l'ancienneté relative des différentes versions d'un même thème, étant entendu que, entre deux éléments différents remplissant une même fonction, le plus rationnel est le plus récent (V. Ja. Propp, chap. Les transformations..., « Specif. », pp. 183-184). L'étude des œuvres folkloriques est donc à la fois « horizontale et verticale » et repose sur un grand nombre d'enregistrements et de variantes qui peuvent être empruntés à des corpus très différents. Le principe de répétition et de régularité des transformations dans la littérature orale autorise cependant à généraliser les conclusions d'une étude menée sur échantillon {ibid., pp. 33-34 ; « Specif. », p. 150 ; Istoričeskie korni vdSebnoj skazki (Les racines historiques du conte merveilleux) (cité infra Istor. korni), Leningrad, pp. 23-24).

41. A l'opposé de l'œuvre littéraire qui peut, tout au moins en principe, être conservée sans être lue grâce à son support manuscrit, et qui ne subit pas de transformations (si ce n'est à l'occasion d'une nouvelle rédaction) du fait que l'attitude de son public change avec le temps.

42. « Specif. », pp. 150-151 ; R. Jakobson, art. cit., p. 89. 43. « Specif. », p. 148 ; R. Jakobson, art. cit., p. 90 et Essais de linguistique générale, Paris, 1963,

pp. 72-73. 44. Ce qui ne signifie pas que des influences culturelles ne se sont pas exercées d'un peuple à un

autre, mais que la constatation d'un emprunt doit pouvoir être expliquée par des circonstances historiques précises (colonisation, routes commerciales, pèlerinages, etc.), voir B. M. Rybakov, op. cit., p. 40 ; V. M. Žrmunskij, « Epičeskoe tvorčestvo... », art. cit., pp. 1 13 sq., explique que les emprunts qui ont pu être constatés dans le domaine de la poésie épique étaient presque toujours dépendants d'une parenté linguistique (diffusion de la légende des Niebelungen chez les peuples germaniques et en Islande, de l'épopée française de l'époque carolingienne en Italie et en Espagne, etc.) ; voir aussi du même auteur, la préface à A. N. Veselovskij, Istoričeskaja poetika, op. cit., pp. 14-16, 24-36.

45. V. Ja. Propp, chap. Les transformations..., « Specif. », pp. 155-156; V. M. Žirmunskij, « Epičeskoe tvorčestvo... », art. cit., pp. 6-7, 15-16 ; В. N. Putilov, Metodologija..., op. cit., pp. 32-34.

46. Les travaux de N. Ja. Marr sur la « polygenèse » des formes linguistiques, et sur l'importance de l'évolution des types morphologiques à partir d'éléments semblables préexistants ont exercé de ce point de vue une grande influence sur les folkloristes soviétiques, voir V. M. Zirmunskij, « Sravnitel'noe literaturovedenie i problema literatumyh vlijanij » (Les études de littérature comparée et le problème des influences littéraires), fzvestija Ak. nauk SSSR, Otdelenie obStestvennyh nauk, 3, 1936, p. 383 ; B. Nr. Putilov, Metodologija..., op. cit., pp. 35-37. Notons que les recherches d'ethnolinguistique sont actuellement très actives en URSS, voir L. N. Vinogradov, « Konferencija "Poles'e i etnogenez Slavjan" » (La conférence « Poles'e et ethnogenèse des Slaves »), Sovetskaja etnografija, 6, 1983, pp. 122-124 ; A. L Toporov, « Etnolingvističeskie issledovanija v oblasti slavistiki v poslednee desjatiletie » (Les recherches d'ethnolinguistique slave au cours des dix dernières années), ibid., 1, 1986, pp. 137 sq.

47. « Specif. », p. 150. 48. D. K. Zelenin, « Religiozno-magiceskaja funkcija... », art. cit., pp. 215-240 ; E. M. Meletinskij,

« Mif i skazka » (Mythe et conte), in Fol'klor i etnografija, op. cit., pp. 143-146 ; V. N. Toporov, « Pervobytnye predstavlenija o mire » (Les représentations primitives du monde), in Očerki istorii estest- vennonaučnyh znanij v drevnosti (Études d'histoire des connaissances de la nature dans l'Antiquité), Moscou, 1982, pp. 8-40.

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126 IRÈNE SORLJN

49. Istor. korni. pp. 336-337 ; Morphologie, pp. 139-141. 50. V. Ja. Propp, « L'albero magico sulla tomba », in Edipo..., op. cit., pp. 15-17 : la transformation

du récit sacré en conte passe par plusieurs étapes socialement définies. Chez les peuples primitifs le mythe ou le récit sacré fait l'objet d'une foi commune à toute la société ; le mythe devient « saga » ou légende lorsqu'il n'emporte plus l'adhésion de la classe dominante, mais que tout le peuple est convaincu de sa véracité (c'est le cas des récils recueillis par les frères Crimm) ; enfin lorsque le récit ne répond ni à la croyance de la classe dominante ni à celle du reste de la société, il devient conte.

51 . Bien que les contes soient particulièrement répandus chez les populations vivant de l'économie agricole, il n'y a aucun rapport direct entre la base économique de ces sociétés et le conte contemporain. Le conte russe, transmis essentiellement par une société paysanne, ne comporte que très peu d'éléments ressortissant à la vie agricole : on n'y trouve pas de laboureurs, très peu d'animaux domestiques, pas d'instruments aratoires : « on ne laboure ni ne sème qu'au début du conte ». La forêt y joue au contraire un rôle dominant. Ce phénomène s'explique par le décalage chronologique qui sépare la transformation de la base économique d'une société de la transformation de sa superstructure idéologique (Istor. korni, pp. 8-11).

52. Istor. korni, pp. 19-20 ; « Specif. », pp. 153-155 ; Morphologie, pp. 131-132. 53. V. Ja. Propp, chap. Ixs transformations..., pp. 173 sq. ; Morphologie, pp. 29-33. Les contes

comportent un très grand nombre de personnages et des modalités d'action diverses, mais les fonctions de ces personnages sont immuables de même que leur ordre dans la narration, voir aussi R. Jakobson, art. cit., pp. 97-99.

54. C'est ainsi que les contes russes ont pu être utilisés pour éclairer certains mythes et récits de la Grèce antique, voir notamment les travaux de 1. 1. Tolstoj réunis par V. Ja. Propp dans 1. 1. Tolstoj, Stat'i о folklore (Articles sur le folklore), Moscou -Leningrad, 1966.

55. Non seulement le conte merveilleux continue à vivre et à se transmettre dans des sociétés radicalement différentes de celles dont il est issu, mais il tend à imposer sa structure narrative à divers genres plus tardifs tels que la byline, la légende, la novelle, etc. ; V. Ja. Propp, chap. Les transformations..., p. 191.

56. V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy... », art. cit., pp. 25-26 : l'épopée apparaît à la veille de la constitution des États, chez les peuples connaissant l'organisation primitive tribale à son déclin. ПНс comprend de nombreux motifs qui appartiennent au conte ; voir aussi V. M. Zirmunskij, « Epiccskoc tvorce - stvo... », art. cit., pp. 24-28 ; id., « Literatumye otnoicnija Vostoka... », art. cit., pp. 156 sq. ; E. M. Meletinskij, Proishoždenie geroičeskogo eposa, rannie formy i arhaičeskie pamjatniki (L'origine de l'épopée héroïque, formes primitives et témoins archaïques), Moscou, 1963.

57. « Specif. », pp. 156-158 : « le folklore fait du neuf avec du vieux », il est « toujours polysta- dial » et les éléments anciens des récits ne sont jamais complètement supplantés par des formations neuves. La rencontre de ces éléments contradictoires donne naissance à des formes hybrides. Ainsi, selon Propp, le mythe d'Gùlipe, tel qu'il apparaît dans la tragédie de Sophocle, serait le fruit d'un compromis entre deux modes d'accession à la royauté présentant, dans le folklore, un caractère contradictoire : avènement au trône par mariage avec la fille d'un roi, mariage suivi du meurtre du beau-père, et succession du fils au trône paternel. Les motifs du parricide et de l'inceste auraient pour objet de réduire cette opposition, voir Edipo..., op. cit., pp. 87, 133-134 ; voir aussi l'introduction de Clara Slrada-Janovic*, ibid, pp. XI-XV. Le lien du motif de l'inceste avec le cursus de la royauté ou de la sainteté est attesté dans divers textes médiévaux tels que la légende de saint André de Crète, de saint Grégoire le Grand, de saint Albin ou la Vie apocryphe de Judas ; voir Stojan Novakovič, « Die Ocdipussagc in der súdslavischcn Volksdichtung », Arhivfiir slavische Philologie. XI, 1888, pp. 321-326.

58. V. Ja. Propp, « Principy klassifikacii folklornyh zanrov » (Les principes de la classification des genres folkloriques), Sovetskaja elnografija, 4, 1964, pp. 147-155; « Žanrovoj sostav russkogo fol'klora » (Les genres dans le folklore russe), Russkaja literatura, 4, 1964, pp. 58-77 ; B. N. Putilov, Metodologija..., op. cit., pp. 21-22 ; voir aussi un intéressant essai de classification des contes non- merveilleux par E. V. Pomeranceva, Mifologičeskie personály v russkom folklore (Les personnages mythologiques du folklore russe), Moscou, 1975, pp. 9-25. La langue et la formulation poétique des différents genres font aussi l'objet d'études très fines, voir Jazyk ïanrov russkogo fol'klora (La langue des genres du folklore russe), Petrozavodsk, 1983 ; V. M. Gacak, éd., Folklór, obraz i poetičeskoe slovo v kontě ks te (Le folklore, limage et la parole poétique dans son contexte), Moscou, 1984.

59. 1) Le conte commence par une situation de manque ou de détérioration, selon diverses modalités ; 2) 1-е manque suscite le départ du héros à la recherche de l'objet faisant défaut. Le héros rencontre un donateur qui, après certaines épreuves, lui octroie un auxiliaire ou un moyen magique qui lui permettra d'atteindre l'objet de sa quête ; 3) Parvenu au but, le héros lutte contre un adversaire ; 4) Le retour du

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héros s'accompagne de poursuites ou de diverses complications ; l'agresseur est puni ; 5) Le héros se marie et monte sur le trône. A chaque étape de ce schéma se rapportent des fonctions remplies par des personnages divers, et dont les modalités ou les motivations sont également variées. Ce sont cependant ces fonctions (peu nombreuses, Propp en définit 31) et non les thèmes ou les motifs, qui organisent la narration et qui permettent la classification des contes. Les tentatives de classification menées à partir des motifs et des figures, telles que celles de A. Aame, « Verzeichnis der Màrchentypen », Folklore Fellows Communications, Helsinki, 3, 1911, repris dans : Antti Aame, Stith Thompson, « The types of folktales, a classification and bibliography -Antti Aame's "Verzeichnis der Màrchentypen" », translated and enlarged by Stith Thompson, second revision, Helsinki, 1961, FFC, 184, ou de N. Andreev, Ukazatel' ska- zočnyh sjužetov po sisteme Aame (Index des sujets des contes d'après le système de Aame), Leningrad, 1929 (complément russe de l'index des motifs de Aarne), n'ont pas donné de résultats concluants, voir Morphologie, pp. 15-20. Un nouvel essai de classement par sujets, composé par L. G. Barag, I. P. Berezovskij etalii, Sravnitel'nyj ukazatel' sjužetov : vostočnoslavjanskaja skazka (Index comparatif des sujets : le conte slave oriental), Leningrad, 1979, n'apporte pas de solution satisfaisante au classement des sujets par type de contes ; voir B. P. Kerbelite, « Metodika opisanija struktur i smysla ska/ok i nekotorye ее vozmožnosti » (La méthode de description des structures et du sens des contes et certaines de ses possibilités), in Tipologija i vzaimosvjazi fol'klora narodov SSSR, poetika i stilistika (Typologie et relations du folklore des peuples de l'URSS, poétique et style), Moscou, 1980, pp. 48-100 ; id., « SjuŽetnij tip voláebnoj skazki » (La typologie du sujet du conte merveilleux), in V. M. Gacak, éd., op. cit., pp. 203-250.

60. Istor. korni, p. 20. 61 . V. M. Žirmunskij, « Epičeskoe tvoiťfestvo... », art. cit., pp. 13-24. 62. R. Jakobson, art. cit., pp. 94-95 ; Istor. korni, pp. 14, 25 sq. 63. Istor. korni, pp. 26-32. 64. Edipo..., op. cit., pp. 120-124. 65. B. N. Putilov, « Slavjanskie epileskie pesni o svatovstve » (Les chants épiques slaves concer

nant le mariage), in Fol'klor i etnografija, op. cit., pp. 149-157. 66. B. N. Putilov, Metodologija..., op. cit., pp. 17 sq. ; « Specif. », pp. 157-159. 67. S. Vdovin, « O sootnošenii fol'klora... », in Fol'klor i etnografija, op. cit., pp. 16-24 ; Istor. korni,

p. 15. Les récits folkloriques sont par exemple les seules sources qui nous renseignent sur les croyances des peuples du nord de la Sibérie, voir D. K. Zelenin, Kul't ongonov v Sibiři (Le culte des animaux consacrés au dieu Ongon en Sibérie), Leningrad, 1936, p. 282 ; sur ce problème voir aussi Fol'klor i etnografija, svjazi fol'klora s drevnimi predstavlenijami i obrjadami (Folklore et ethnographie, les relations du folklore avec les représentations et les rites anciens), Leningrad, 1977 ; V. P. Alekseev, « O razvitii sinhronnogo i diahronnogo sravnenija etnografičeskih javlenij » (Du développement de l'étude comparative, synchronique et diachronique, des phénomènes ethnologiques), in Fol'klor i istoričeskaja etnografija (Folklore et ethnographie historique), Moscou, 1982, pp. 252 sq.

68. Cl. Lévi-Strauss, « La structure et la forme », in op. cit., I, pp. 155 sq. 69. Ibid., p. 156. 70. Ibid., p. 157. 71. Istor. korni, pp. 331-336. 72. E. M. Meletinskij, « Mif i skazka », art. cit., pp. 139-148. 73. « Specif. », pp. 157-158 ; voir aussi A. ВогШо, « Analyse de texte, analyse linguistique », in

Analyse et validation dans l'étude des données textuelles, Paris, CNRS, 1977, pp. 43-44, 58, qui montre très clairement la visée anthropologique et la référence explicite aux sciences naturelles qui fondent la méthode de Propp.

74. Voir a. Lévi-Strauss, « La notion d'archaïsme en ethnologie », in op. cit., I, pp. 1 13-1 15. 75. F. Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, nouvelle éd. revue et corri

gée, Paris, 1972, pp. 31-36. 76. Ibid., pp. 61-63, 106-116. 77. a. Lévi-Strauss, « Cultures archaïques et cultures primitives », in op. cit., П, pp. 387 sq. 78. « Specif. », p. 157 ; B. N. Putilov définit la notion de stade comme l'ensemble des « lois com

munes du développement des formes culturelles qui ne se définissent pas chronologiquement mais typo- logiquement » (Metodologija...., op. cit., p. 41). Ce problème ne cesse pas, aujourd'hui, d'embarrasser les ethnologues soviétiques qui cherchent à le résoudre, soit en faisant coïncider les notions de stades et de formations socio-économiques : A. M. ReSetov, « O sootnoSenii tipov etničeskih obScnostej i social no- ekonomičeskih form ad j » (La correspondance des types de communautés ethniques aux formations socio-économiques), Sovelskaja etnografija, 5, 1986, pp. 55-59 ; Ju. V. Bromlej, « Es*ce raz o tipologizacii

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128 IRÈNE SORLJN

etnosocial'nyh obSčnostej » (Encore à propos de la typologie des communautés ethno-socialcs), ibid., pp. 59-66 ; soit en évacuant ces grandes catégories et en mettant l'accent sur les critères qui permettent de définir un ensemble ethnique ; M. V. Krjukov, « Eíče raz ob istoričeskih tipah etničeskih obáčnostej » (Encore à propos des types historiques des sociétés ethniques), ibid., 3, 4, 1984 ; et « Glavnoj zadačej po prežnemu ostactsja proniknovenie v suščnosť etničeskih svjazej » (Le problème essentiel est comme par le passé d'atteindre la réalité des liens ethniques), ibid., 5, 1986, pp. 66-78.

79. Ainsi, par exemple, la sorcière, qui dans les contes les plus anciens contrôle l'initiation du héros, notamment en lui infligeant des supplices physiques liés à l'épreuve du feu, est jetée au feu par les enfants ou par le héros lorsque le rite d'initiation n'est plus compris comme une institution ayant sa raison d'être (istor. korni, pp. 73-77, 85 sq.).

80. L'anthropomorphisaiion des divinités, à l'origine zoomorphes, explique le caractère hybride de certains personnages du mythe et du conte : la sorcière Jaga, ancienne divinité de la mort, apparaît dans le conte avec une jambe de squelette ; cet attribut souligne sa parenté avec un cadavre, mais il est vraisemblable qu'à une époque antérieure à l'apparition des contes, Jaga ait été une déesse serpentine, voir Istor. korni, pp. 56-58 ; K. D. Lausicin, « Baba Jaga i odnonogic bogi (К voprosu o proishoZ-dcnii obra- za) » (Mère Jaga et les dieux unijambistes ; de l'origine de cette représentation), in Fol'klor i etnografija, op. cit., pp. 181-186. Selon Propp, la figure du cheval ailé serait née après la domestication du cheval, lorsque cet animal eut été investi, dans les rites funéraires, de la fonction psychopompe de l'oiseau, voir Edipo..., op. cit., pp. 86-87.

81. V. Ja. Propp, chap. Les transformations..., « Specif. », p. 183. 82. V. Ja. Propp, « Vol&bnoe derevo na mogile » (L'arbre magique sur la tombe), Sovetskaja et

nografija, 1-2, 1934, pp. 128-151, cité d'après la traduction italienne « L'albero... », in op. cit., pp. 5-39. 83. Ibid., p. 8. 84. N. M. Harusin, Russkie Lopari (Les Lopari russes), Moscou, 1890, pp. 201-203 ; V. Ja. Propp,

« L'albero... », in op. cil., pp. 19-21. 85. Ibid., p. 19 ; D. К. Zelenin, « Tabu slov... », art. cit., Iя partie : Zaprety na ohote i inyh promys-

lah (Interdits concernant la chasse et d'autres activités), p. 39 ; E. A. Aleksecnko, « Na medvežem prazd- nike u Ketov » (\л fête de l'ours chez les Kètes), Sovetskaja etnografija, 5, 1985, pp. 92-97.

86. Après avoir tué l'enfant, la marâtre en prépare un plat qu'elle sert à son mari ; comme le remarque Propp, le conte du « Plant de tulipe » (Grimm, n° 47) développe un motif proche du mythe de Pelops, voir « L'albero... », in op. cit., pp. 34-35.

87. L'analyse de Propp est ici fondée essentiellement sur les textes ethnograpiques rassemblés par J. Frazer, « Atys et Osiris », in Le rameau d'or, Paris, I^affont, 1983, 2, pp. 463-467.

88. V. Ja. Propp, « L'albero... », in op. cit., pp. 22-23 et n. 32. 89. J. G. Frazer, « Esprit des blés et des bois »,'u\Le rameau d'or, op. cit., 3, pp. 157-175. 90. V. Ja Propp, « L'albero... », in op. cit., p. 25 cite plusieurs récits d'origines diverses et notam

ment la légende américaine de la naissance du manioc qu'il emprunte à E. S. Hartland, « Mani's house or transformation », in Primitive paternity, the myth of supernatural birth in relation to the history oj family, Londres, 1909, L p. 116.

91. Frazer pensait que cette coutume avait pour but de provoquer la pluie ; un usage qui s'est conservé en Russie du nord jusqu'au XXe siècle, semble confirmer cette supposition tout en présentant un caractère conjuratoire : en cas de sécheresse ou de mauvaise récolte, les villageois exhumaient le cadavre des morts soupçonnés d'intelligence avec le démon et l'arrosaient abondamment, voir S. A. Tokarcv, Religioznye vozzrenija vostočnoslavjanskih narodov XIX-načalo XX v. (Les idées religieuses des Slaves orientaux du XIXe-début XXe s.), Moscou-Leningrad, 1957, p. 39 ; D. K. Zelenin, Očerki russkoj mifologii (Éludes de mythologie russe), Petrograd, 1916, 1, pp. 25, 1 17.

92. V. Ja. Propp, « L'albero... », in op. cit., pp. 34-35. 93. E. S. Hartland, op. cit., I, p. 163, rapporte la coutume paysanne consistant à planter un saule sur

le cadavre d'un animal mort au cours d'une épizootie, dans l'espoir que la croissance de l'arbre protégera le reste du bétail.

94. V. Ja. Propp, «t L'albero... », in op. cit., pp. 36-37. 95. V. Ja. Propp, « Ritual'nyj smeh v follclore, po povodu skazki o Nesmejane » (Le rire rituel dans

le folklore), Učenye zapiski LGU, 46, 3, 1939, pp. 151-175, cité d'après la traduction italienne « II riso rituále nel folclore », in Edipo..., op. cit., pp. 43-81 ; sur la figure de la princesse, voir du même auteur, Istor. korni, chap. IX, pp. 277-328.

96. V. Ja. Propp, « D riso... », in op. cit., p. 44. 97. Ibid., p. 69. 98. Ibid., pp. 51 sq. ; Propp illustre sa démonstration avec des contes indiens de l'Amérique du

Nord, empruntés aux recueils de F. Boas et de F. H. Cushing.

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99. Comme en témoigne un mythe esquimau rapporté par F. Nansen, Eskimoleben, Leipzig-Berlin, 1903, p. 227.

100. Dans le conte russe la sœur dit à son frère : « attention, petit frère, ne ris pas quand tu entreras dans la maison », voir D. K. Zelenin, « Velikorusskie skazki vjatskoj gubernii » (Les contes grand- russes de la province de Vjatka), Zapiski imperatorskogo russkogo geografičeskogo obščestva, 52, 1915, p. 54.

101. L'interdit de dormir s'attache particulièrement, dans les contes russes, à la quête des # gusli samogudy » (de la harpe qui joue seule), dont les accords magiques provoquent le sommeil et par conséquent la mort, voir Istor. korni, pp. 66-67 ; on se souviendra à ce propos du châtiment subi par Elpénor pour s'être abandonné au sommeil, Odyssée, chant X, 551-560 (éd. Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924, П, p. 80).

102. C'est la transgression de l'interdit (généralement alimentaire) qui rend manifeste l'appartenance à l'un des deux mondes. Ce thème est encore largement répandu en Europe au Moyen Age comme l'atteste son remploi dans la littérature chrétienne, voir S. Gatlo, « Le voyage au paradis. La christianisation des traditions folkloriques au Moyen Age », Annales, économies, sociétés, civilisations, 1979, p. 935 ; voir aussi J. C. Schmilt, « Temps, folklore et politique au XIIe siècle », in Colloques internationaux du CNRS n°604 : Le temps chrétien de l'Antiquité au Moyen Age, Paris, 1984, pp. 499-501.

103. S. V. Jastremskij, « Obrazcy narodnoj literatury Jakutov » (Exemples de la littérature populaire iakoutc), Trudy komissii po izučeniju Jakulskoj ASSR (Travaux de la commission d'étude de la RSS Autonome de Iakoutie), Ixningrad, 1929, pp. 198-200.

104. Fehrle, « Das Lachen im Glauben der Vólker », Zeitschrift fur Volkskunde, Neue Folge, П, 1930, p. 2.

105. Commun, nous l'avons vu, à différents peuples et à différentes époques. En Occident chrétien, la pratique du « rire pascal » durant la semaine sainte s'est prolongée jusqu'au XVIIIe siècle. La valeur purificatrice et vivifiante de ce rite ne fait pas de doute, même si son sens n'était plus compris, voir L G. Bul, De caus is risus paschalis, 2e éd., Ijeipzig, 1 847 ; Fehrle, art. cit., p. 4. On rapprochera cet usage de la pratique du rire observée à la fin de divers rites initiatiques, voir G. Dumézil, Le problème des centaures, Paris, 1929, p. 205, à propos des Ijjpercales ; V. Ja. Prop, « D riso... », in op. cit., p. 56.

106. V. M. Ionov, « Duh hozjaina lesa u Jakutov » (L'esprit du maître de la forêt chez les Iakoules), in Sborník Muzeja antropologii i etnografii, Petrograd, IV, 1, 1916, p. 5.

107. Propp se fonde ici sur les thèses de Morgan, commentées par Engels dans op. cit., pp. 49-50, et sur le rôle de la filiation féminine dans les sociétés primitives pratiquant le mariage par groupe.

108. Des parallèles indiens et iraniens sont donnés par A. Wesclski, Marche des Mittelàlters, Berlin, 1923, pp. 116 sq.

1 09. I-a fête des thesmophories donnait lieu à ce rite (aischrologies), voir article de Francis Vian, in H. С Puech, éd.. Histoire des religions, Paris, 1974, 1, p. 51 1.

1 10. Hymne à Dcmcter, 1, 200-205 dans Homère, Hymnes, éd. Jean Humbert, Paris, Les Belles Lettres, p. 48 ; voir aussi, Apollodore, Bibliothèque, I, V, I.

111. Démêler apparaît comme mère avant d'apparaître comme épouse ; on peut observer néanmoins, chez les auteurs antiques, une tendance à lui attribuer plusieurs époux et notamment Jasion dont elle aurait conçu l'Abondance, Homère, Odyssée, V, 125-128 ; Hésiode, Théogonies, 969-974.

1 12. V. Ja. Propp, « П riso... », in op. cit., p. 73. 1 13. V. Ja. Propp, Narodnye russkie skazki A. N. Afanas'eva..., op. cit., n° 150a. 114. Ibid.,n°№. 1 15. Cette identification de la princesse à l'eau est particulièrement manifeste dans la byline de

« Sadko ». Sur l'association de l'eau à la femme, au mariage et à la mort chez les Slaves voir D. A. Macïnskij, « Dunaj russkogo foliclora na fonc vostočnoslavjanskoj istorii i mifologii » (Le Danube du folklore russe dans le cadre de l'histoire et de la mythologie des Slaves orientaux), in Russkij sever, problémy etnografii ifoiklora (Le Nord russe, problèmes d'ethnographie et de folklore), Leningrad, 1981, pp. 123-127.

1 16. A. Hudjakov, Velikorusskie skazki, op. cit., 1, n° 41. Propp souligne à ce propos le lien qui unit les arbres au monde des morts et qui se manifeste dans l'ambivalence du nom d'UsonSa désignant à la fois la dormeuse et la défunte, voir « II riso... », in op. cit., p. 74.

117. Voir F. Vian, art. cit., pp. 512-513. 1 18. Pausanias, I, 14, 2 ; Scholie à Ioicien, Dialogue des courtisanes, П, I ; Clément d'Alexandrie,

Le protréplique, II, 17, 1. Voir J. С Frazer, « Esprits des blés et des bois », in op. cit., pp. 210-213. 1 19. G. Dumézil, op. c'a., pp. 30 sq. 120. Istor. korni. chap. VU. pp. 197-239.

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130 IRÈNE SORLJN

121. G. Dumézil, op. cit., pp. 76 sq. 122. 1st or. korni, p. 198 ; le cheval du conte russe souffle du feu par ses naseaux, la fumée lui sort

des oreilles et des gerbes de feu jaillissent sous son sabot ; mais la parenté du dragon et du cheval passe aussi par leur association avec l'eau, voir D. A. Mačinskij, art. cit., p. 127 : le rapprochement que cet auteur établit entre le dieu-dragon des Slaves, « Volos1 », maître des chevaux, et Neptune mérite detre considéré à la lumière des travaux de G. Dumézil sur les origines du culte de Neptune, voir Mythe et épopée, Paris, 1973, Ш, pp. 21 sq.

123. Istor. korni, p. 199 ; les exemples donnés montrent que, dans ce cas, l'enlèvement est étroitement associé à la mort. « KoSfiej » le squelette immortel, est une âme menant une vie indépendante de son propriétaire (« bush soul »), voir ibid., p. 229.

124. A. R. Radcliffe-Brown, « The rainbow-serpent myth in South-East Australia », in Oceania monographa, 1, 3, Melbourne, 1930.

125. A. Schurtz, Altersklassen und M inner blinde, Berlin, 1902, pp. 224 sq. 126. L'acquisition du langage animal par le héros dont l'éducation a été confiée à un maître ma

gique tel le « Lešij » (équivalent masculin de la sorcière Jaga), est un trait permanent du conte russe. Ce savoir est toujours le résultat d'une série d'épreuves physiques, notamment celle du feu ou de la cuisson, voir Istor. korni, pp. 84-87. Plusieurs mythes grecs témoignent de la croyance que l'initiation par le feu change la nature de l'initié soit en le rendant immortel (Déméter et Démophon, Thetis et Achille), soit en le transformant (mythe de Pelops qui, après avoir été cuit, renaît plus beau qu'avant) ; voir G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 184-187 ; S. B. Rjuhina, « Motiv ohoty v russkoj volScbnoj skaz- ke » (Le motif de la chasse dans le conte merveilleux russe), Russkijfol'klor, 24, 1987, pp. 76-79.

127. Istor. korni. Le thème du cristal a eu plusieurs développements dans le conte ; la montagne de cristal où loge fréquemment le dragon en est, sans doute, un avatar de même que le cercueil de cristal de Blanche-Neige, etc.

128. Voir A. Mazon, « Le centaure de la légende vieux-russe de Salomon et Kitovras », RES, VII, 1927, pp. 42-62 ; G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 272-273, qui remarque que, dans les récits talmudiques, les juifs prêtaient déjà à Asmodée des pattes de coq ; A. Vesclovskij, Slavjanskie skazanija o Salomone i Kitovrase i zapadnye legendy o Morol'fe i Mer Une (Les contes slaves de Salomon et Kitovras et les légendes occidentales de Morholf et de Merlin), Saint-Pétersbourg, 1872 ; rééd. avec notes supplémentaires dans Sobranie sočinenij Aleksandra NikolaeviCa Veselovskogo (Œuvres complètes de A.N. Veselovskij), VII, I, Petrograd, 1921 ; on trouvera l'édition du texte vieux-russe de la légende dans N. Tihonravov, Pamjalniki otrečennoj russkoj literatury (Monuments de la littérature russe apocryphe), Moscou, 1863 ; reprint, Londres, 1973, pp. 254-258.

129. Istor. korni, p. 226, Propp remarque que les sociétés qui ne connaissent pas la différenciation de classes ignorent les créatures hybrides ; la première forme du dragon est une forme animale simple.

130. G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 36-48, montre que les masques animaliers des fêtes de carnaval représentaient les morts faisant irruption dans le monde des vivants durant les jours intercalaires qui séparent l'année écoulée de l'année nouvelle. Le monde animal a, sans doute, été la représentation la plus primitive de l'au-delà, d'où son association à la mon et, à l'époque chrétienne, aux démons, voir Istor. korni, p. 227.

131. Istor. korni, p. 227. 132. Dans la plupart des récits rapportés, les jeunes gens délivrés du poisson se plaignent de la ter

rible chaleur qui régnait dans ses entrailles ; souvent les héros sortis du monstre sont chauves ou ont les cheveux coupés, Istor. korni, p. 215.

133. Selon une scholie de Tzétzès, le héros passe trois jours dans le ventre de la baleine et en ressort chauve et imberbe, Tzétzès, Scholies sur Lycophron, 34, éd. Teubner, 467.

134. Voir L Radermacher, Dos Jenseits im Mythus der Hellene, Bonn, 1903, p. 66. 135. A. R. Radcliffe-Brown, art. cit.. pp. 343-344. 136. Istor. korni, pp. 235-236 : il existe une incontestable parenté entre le dragon engloutisseur et le

dragon aquatique, lorsque celui-ci, sous la forme d'un poisson, transporte l'initié d'un rivage à un autre. Cependant le dragon aquatique est surtout un régulateur des eaux. Sa représentation sous la forme d'un serpent, commune à une majorité de peuples, n'a pas reçu d'explication satisfaisante. Sur l'association du <r zmej » à la pluie chez les Slaves voir V. V. Ivanov, N. N. Toporov, Issledovanija v oblasti slavjanskih drevnostej (Recherches sur les antiquités slaves), Moscou, 1 974, pp. 3 1 -74.

137. W. D. Hambly, « Serpent worship in Africa », Field Museum of natural history publications, n° 289, Anthrop. ser., XXI, I, Chicago, 1931 , p. 19. 138. Le matériel ethnographique concernant ce rite a été réuni par J. G. Frazer, « Le mariage sa

cré », in op. cit., pp. 351 sq. Sur la substitution de prisonniers, puis de simulacres, aux victimes sacrificielles en Europe orientale, voir D. K. Zelenin, « Tabu slov... », art. cit., p. 65.

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V.Jt.PROPP 131

139. Is tor. korni, p. 239 : de tels récits sont toujours référés à la fertilité ; dans la légende du Mino- taurc, par exemple, les jeunes gens sont chaque année donnés en pâture au monstre à cause de la famine et de la peste qui ravagent Athènes (Apollodorc, Bibliothèque, Ш, XV, 8).

140. Istor. korni, pp. 226-227 ; K. D. LauSkin, « Baba Jaga... », art. c'a., pp. 184-185 : les divinités affectent primitivement une apparence zoomorphe ; elles s'humanisent progressivement avec le développement de l'agriculture et des cités, ne gardent plus de l'animal que la tête, puis, à une étape ultérieure, l'animal qu'elles étaient autrefois devient leur attribut. Parallèlement, les animaux qui représentent l'âme des morts tendent à se combiner en figures hybrides.

141 . Istor. korni, pp. 236 sq. Dans le Rig Veda (I-32, 1752) le puissant dragon Vritra, vaincu par Indra, retenait les fleuves ; la légende de la fondation de Pékin (E.T.C. Werner, Myths and legends of China, 1924, X, p. 210 ; sur le rôle du dragon en tant que régulateur des eaux voir aussi J. P. Diény, Le symbolisme du dragon dans la Chine antique, Paris, 1987, pp. 147 sq.), celle de l'Hydre de Lcrne (Pausanias, V, К et 7 ; Diodorc de Sicile, IV, П, 5), témoignent d'un même système de représentation.

142. Istor. korni, p. 243, voir aussi pp. 13-14 : l'appréciation négative d'un rite ne peut apparaître que lorsque celui-ci n'est plus pratiqué ; il y a alors conversion de la figure du héros, autrefois victime et désormais vainqueur. Il apparaît donc qu'un motif légendaire ne naît pas directement de l'observation de la réalité, mais bien plutôt de la négation de cette réalité.

143. Istor. korni, pp. 228-231 ; L. Levy-Bruhl, Dos Denken des Naturvôlker, 2 Aufl., Vienne- Leipzig, 1929, p. 65 ; J. G. Frazer, La crainte des morts dans la religion primitive, Paris, 1935, pp. 70 sq.

144. Artémidore, La clef des songes, I, 80 (trad. A. J. Festugière, Paris, 1975, p. 93). Sur l'association de rites funéraires au mariage à l'époque médiévale voir A. Van Gennep, Manuel du folklore français contemporain, Paris, 1946, 1,2, p. 811 ; Les rites de passage, Paris-La Haye, 1969,pp. 166.

145. L Ja. Stcmberg, « Izbranničestvo v rcligii » (L'élection dans la religion), in Pervobylnaja reli- gija (La religion primitive), Leningrad, 1936, pp. 148-179.

146. Dans le mythe de Psyché, tel qu'il est rapporté par Apulée (Met. IV, 28, VI, 24 ; voir aussi P. Grimai, Le conte d'amour de Psyché (éd. et comment., Paris, 1963), le monstre est Éros lui-même, mais cette interprétation a un caractère métaphorique ; dans la plupart des contes, la princesse est arrachée au monstre ; la trace de ce motif a été conservée à Byzance dans le Roman de Callimaque et Chry- sorrhoé dont A. D. Alcksidze a donné une intéressante analyse dans son ouvrage Mir grečeskogo romana XIII -XIV v. (Le monde du roman grec des XIIe et XIVe siècles), Tbilissi, 1979, pp. 63-91 ; on la retrouve également dans les chants akritiques, voir T. V. Popova, « Vizantijskij narodnyj i knižnij epos » (L'épopée byzantine populaire et littéraire), in Vizantijskaja literatura (La littérature byzantine), Moscou, 1974, pp. 97 sq.

147. Istor. korni. pp. 1 13-1 15, 334. 148. G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 226-228. 149. V. M. Žirmunskij, « Cpičcskoe tvorčestvo... », art. cit., pp. 63-64 : durant la nuit de noces

l'époux doit soumettre la princesse rebelle et, à celte fin, il pratique généralement la flagellation. Des exemples de ce rite sont rapportés par G. Dumézil (« Les sabines flagellées », in Le problème des centaures, op. cit., pp. 217 sq.) qui montre qu'il ne s'agit pas là d'une métaphore sexuelle mais bien d'une pratique destinée à chasser le démon qui habite l'épouse et à rendre celle-ci féconde.

150. Istor. korni, p. 244 : le dragon aquatique cngloulisseur est en quelque sorte un passeur. 151. Istor. korni, chap. VI, pp. 184-196. 152. Apollodore. Bibliothèque, П, V, 12. 153. Livre des morts, chap. 39 ; H. Gressmann, Altorientalische Texte und Bilder гит Alien Testa

ment, Berlin, 1926, 1, p. 101. 154. V. Ja. Propp a donné une analyse intéressante des types iconographiques représentant le comb

at de saint Georges contre le dragon, en relation avec les vies apocryphes slaves de ce saint, dans « Zmccborstvo Gcorgija v světe follclora » (Le combat de saint Georges contre le dragon à la lumière du folklore), in Fol'klor i etnografija russkogo severa (Folklore et ethnographie du nord de la Russie), Le

ningrad, 1973, pp. 190-208 ; voir aussi A. N. Veselovskij, « Svjatoj Georgij v legendah i obrjadah. Ra- zyskanija v oblasti russkih duhovnyh stihov II » (Saint Georges dans les légendes et dans les rites. Recherches sur la poésie spirituelle russe, П), Sborník otdelenija russkogo jazyka i slovesnosti, XXI, 2, 1880.

155. Istor. korni, pp. 260-276. Sur la permanence de certains éléments des représentations primitive et antique de l'au-delà dans la littérature médiévale voir J. Schwartz, « Le voyage au ciel dans la littérature apocalyptique », in Apocalyptique, Paris, 1977, pp. 91-126 ; A. Ja. Gurcvii, « Zapadnocvropcjskie vedenija potustoronnego mira i rcalizm srcdnih vekov » (Les visions de l'autre monde en Europe occidentale et le réalisme médiéval). Trudy po znakovým sistemam, 1977, pp. 3-27 ; id., « Conscience indivi-

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132 IRÈNE SORUN

duelle et image de l'au-delà au Moyen Age », Annales, économie, sociétés, civilisations, 1982, pp. 260- 263.

156. G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 76 sq. 157. Istor. korni, pp. 200-201. 158. Istor. korni, pp. 254-258 ; voir aussi V. Ja. Propp, « Motiv cudesnogo roždenija » (Le motif de

la naissance miraculeuse), Učenye zapiskiLGU, 81, Ser ija filolog, nauk, 12, 1941. 159. Voir l'importante étude de R.Jakobson, Marc Szeftel, « The Vseslav epos », art. cit. ;

R. Jakobson, Selected writings, op. cit., IV, pp. 341-353 ; R. Jakobson, « The Serbian Zmej ognjeni vuk and the Russian Vseslav epos », in Mélanges Henri Grégoire (Annuaire de l'Institut de philologie et d'histoire orientales et slaves, X, 1951), pp. 343-355. Sur les croyances slaves concernant la lycanthro- pie et sur leur ambiguïté voir S. A. Tokarev, Religioznye verovanija..., op. cit., pp. 44-49, qui souligne bien le caractère souvent positif de la figure du loup magique chez les Slaves. Sur les légendes occidentales relatives à l'union d'un être surnaturel et d'un humain voir J. 1л Goff, « Mclusine maternelle et défricheuse », in Pour un autre Moyen Age, temps, travail et culture en Occident, Paris, 1977, pp. 307- 331 ; Cl. Roussel, « 1-е conte et le mythe, histoire des enfants cygnes », in Frontières du conte, Paris, CNRS, 1982, pp. 15-24.

160. Istor. korni, pp. 258-259 ; V. Ja. Propp, Edipo..., op. cit., p. 158. 161 . La tradition grecque et latine des légendes hagiographiques de saint Georges a été étudiée par

J. B. Aufhauser, Dos Drachenwunder des heiligen Georgin der griechischen und lateinischen Uberliefe- rung, Leipzig, 191 1 ; sur l'image du dragon dans la littérature occidentale au Moyen Age voir J. Le Goff, « Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age, Saint-Marcel de Paris et le dragon », in op. cit., pp. 248-250, 255-257.

162. Istor. korni, p. 331. 163. R. Jakobson, art. cit., p. 94. 164. Le choix de ce matériel a été dicté, d'une part par le caractère direct de sa transmission, qui

n'est pas passée, comme les mythes antiques, par une reelaboration littéraire, d'autre part par l'absence des contaminations et des influences réciproques dont le matériel européen et asiatique a fait l'objet durant des siècles, Istor. korni, pp. 17-18.

165. Istor. korni, pp. 329-330 ; citons, en particulier, tous les objets qui se rapportent aux morts et à la sépulture et qui donnent naissance à des motifs : dépouilles animales dont se revêt le héros, bâtons, sandales, et inventaire funéraire de toute sorte (Istor. korni, pp. 37-39), dont le héros se munit au moment de son départ.

166. Istor. korni, pp. 330-331 : plusieurs motifs résultent d'institutions étrangères au cycle de l'initiation, par exemple : l'enfermement des enfants royaux, le don de l'auxiliaire magique par un ancêtre défunt, tout le cycle du mariage et de l'accession au trône avec les épreuves que comporte cette étape.

167. Le chap. Ill, pp. 40-96 des Istor. korni est entièrement consacré à la sorcière et au rite d'initiation ; étymologiqucmcnt le nom de « Jaga », du vieux -slave jazaljadza (lituanien ing'is, lat. aeger), signifierait à la fois la terreur et la maladie, voir A. G. PreobraZenskij, Etimologičeskij slovar' russkogo jazyka (Dictionnaire étymologique de la langue russe), Moscou, 1958, 132-133 ; M. Wasmcr, Russisches Wôrterbuch, Heidelberg, 1958. 3, p. 479.

168. Istor. korni, pp. 57 sq., 61-65 : Jaga apparaît parfois dans les contes comme un animal, il arrive aussi que la narration la caractérise comme un cadavre.

169. En tant que créature féminine, Jaga est représentée avec des caractères sexuels surdéveloppés ; elle est également associée au foyer, comme en témoignent plusieurs de ses attributs : cendre, seau, tisonnier, pelle, marmites, etc., voir Istor. korni, pp. 64-65 ; enfin, dans plusieurs contes russes, elle est apparentée à la lignée féminine du héros : « ta mère est ma sœur », « ta femme est ma nièce », dit-elle au héros lorsque celui-ci est marié, ou encore : « voici venir mon gendre », voir Istor. korni, p. 92.

170. Istor. korni, pp. 331-334 ; D. K. Zelenin, « Religiozno-magičeskaja funkcija... », art. cit., pp. 215-241.

171. G. A. Dorsey, « Traditions of the Skid-Pawnees », in Memoirs of the American folklore society. VIII, New York-Boston, 1904.

172. Sur la parenté des pratiques chamaniques avec le rite d'initiation voir N. P. Dyrenkova, « Poludenie iamanskogo dara po vozzrcnijam tu reck ih plemen » (L'obtention du don chamanique dans les représentations des tribus turques), in Sborník Muzeja antropologii i etnografii, IX, 1930, pp. 267- 293 ; E. S. Novik, « Struktura íamanskih dejstv » (La structure des actions chamaniques), in Problémy slavjanskoj etnografii (Problèmes d'ethnographie soviétique), Leningrad, 1979, pp. 204-212 ; « Obrjad i fol "к lor v sibirskom šamani zme » (Rite et folklore dans le chamanisme sibérien), in Issledovanija po folklóru i mifologii Vostoka (Recherches sur le folklore et la mythologie de l'Orient), Moscou, 1984, pp. 163 sq.

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V. Ja. PROPP 133

173. Comme le souligne Propp dans l'introduction de son ouvrage (Istor. korni, pp. 7-10), le conte merveilleux ne représente pas l'ensemble du genre des contes ; d'autres récils recueillis au XIXe siècle témoignent d'une création plus récente, dépendant d'autres formes sociales ; c'est en particulier le cas du conte novcllistique dont les caractères structurants diffèrent de ceux du conte merveilleux et qui met en scène des personnages mythiques qui sont étrangers à ce dernier, voir E. V. Pomerančová, MifologičeskU personaîi v russkom folklore (Les personnages mythologiques du folklore russe), Moscou, 1975 ; id., « Narodnye verovanija i ustnoe pociiccskoc tvor&stvo » (Les croyances populaires et la création poétique orale), in Fol'klor i etnografija, op. cit., pp. 158-169 ; voir aussi P. N. Sokolova, « Predanija o kla- dah i ih svja/.' s povcr'jami » (Les légendes concernant les trésors et les croyances qui s'y rattachent), in ibid., pp. 169-180 ; О. Л. Čerepanova, Mifologičeskaja leksika russkogo severa (Le vocabulaire mythologique du nord de la Russie), Ixningrad, 1983 ; В. Л. Uspcnskij, Filologičeskie razyskanija v oblasti sla- vjanskih drevnoslej (Recherches philologiques dans le domaine des antiquités slaves), Moscou, 1 982.

174. Л. N. Veselovskij, Isloričeskaja poetika, op. cit., pp. 504-51 5, a supposé que l'épopée était née de la « canlilènc lyrico-epique » comportant des éléments empruntés à l'histoire.

175. Epos, pp. 27-28. 176. Des mises en forme littéraires de récits épiques relatant les prouesses dTl'ja Muromec sont ap

parues en Russie à partir du XVIIe siècle, mais ces narrations ont perdu leur forme versifiée et leur caractère épique pour devenir des récits d'aventure, voir Epos, pp. 7-1 1.

177. M. P. Stokman, Issledovanija v oblasti russkogo narodnogo stihotvorenija (Recherches sur la versification populaire russe), Moscou, 1952 ; N. Ja. Jančuk ; « O muzyke bylin v svja/j s istorii ih i/uecnija » (La musique des bylines en relation avec l'histoire de leur étude), in M. Spcranskij, éd., Byliny (Les bylines), Moscou, 1919, II, pp. 527-563 ; sur la métrique des chants épiques slaves voir R. Jakobson, « Slavic epic verse, studies in comparative metrics », in id., Selected writings, op. cit., IV, pp. 414-463 (repris de Oxford Slavonic Papers, 3, 1952).

178. Epos, pp. 179-296 ; A. M. Astahova, Byliny Severa (Les bylines du Nord), Moscou, 1951, П, p. 735.

179. Epos, pp. 196-224 ; Kiría Danilov, éd. Scheffer, n° 19. 180. Epos, pp. 37-38. Bien que l'agriculture ail constitué l'une des bases historiques de l'épopée, les

héros qui illustrent cette dernière sont tout d'abord des chasseurs, puis des guerriers. Les héros laboureurs tels que Mikula Scljaninovič sont rares et tardifs.

181. B. N. Putilov, « Slavjanskic epiceskie pesni... », art. cit., pp. 154-155 ; T. A. Novičkova, « Rpičeskoe svatovstvo i svadebnyj obrjad » (Le mariage épique et le rite nuptial), Russkij fol'klor, 24, 1987, pp. 3-20.

182. La byline de « Djuk Stepanovic* », par exemple, comporte des éléments mythiques hérités de l'antiquité païenne, se réfère à la Russie kiévienne (palais de Vladimir), donne sur la construction d'une ville des détails qui ressortissent à la Russie moscovite du XVIe-XVIIe siècle. Seule l'idée de base que cette byline développe, à savoir la satire des grands boyards, permet de la rapporter à l'époque féodale tardive (X VI-XVIIe s.), voir Epos, p. 26.

183. Dans cette partie de son étude {Epos, pp. 38-57) Propp se fonde sur les travaux de L. Ja. Stcrnberg, Materiály dlja izučenija giljackogo jazyka ifol'klora \\Çi): Obrazy narodnoj slovesnos- ti. Epos (Matériaux pour l'étude de la langue et du folklore des Giliaks, I (I) : Exemples de littérature orale : l'épopée), Saint-Pétersbourg, 1908 ; et sur ceux de S. V. Jaslrcmskij, « Obrazcy... », art. cit. ; id., Jakulskij fol'klor (Le folklore des Iakoutes), Moscou, 1936; on trouvera dans V. M. 2irmunskij, « Hpičcskoe tvorťcstvo... », art. cit., des indications bibliographiques sur les nombreux travaux consacrés, par lui-même et par d'autres folkloristes soviétiques, au folklore de l'Asie Centrale, de même que dans l'ouvrage, plus récent, de S. Ju. Nckljudov, Geroičeskij epos mongol' skin narodov (L'épopée héroïque des peuples mongols), Moscou, 1984.

184. On peut penser, cependant, que le héros qui ne porte pas d'autre nom que celui de son unité tribale, la représente tout entière, voir Epos, p. 45.

185. On trouvera des indications bibliographiques sur chacune de ces épopées dans Epos, pp. 87- 109, 109-134, 179-296, 134-154, et une liste des variantes de ces textes dans A. M. Astahova, Byliny Severa, op. cit., I, p. 619 ; П. pp. 732, 735, 793.

186. Epos, pp. 70-75. 187. Epos, pp. 75-87. 188. Epos, p. 62. Vladimir, en qui l'on a voulu généralement reconnaître Vladimir Svjatoslavič", pre

mier prince chrétien de Kiev, ne peut en rien être identifié avec un personnage historique et n'a reçu des princes de Kiev les plus célèbres que le nom. П représente le prince par excellence. Cette interprétation a valu à Propp une critique particulièrement violente, notamment de la part de B. A. Rybakov, Drevnjaja Rus'..., op. cit., pp. 42-43.

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189. Dobrynja, Aleía, se battent pour la cité, non pour obtenir une femme. Epos, p. 61 et V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy razvitija... », art. cit., pp. 29-30 ; sur les origines sociales de l'épopée voir aussi E. M. Melctinskij, « Pcrvobytnoe nasclcnie v arhaičeskih cposah » (La population primitive dans les épopées archaïques), in Doklad dlja Vil meidunarodnogo kongressa antropolog ičeskih i etnogra- fičeskih nauk (Rapport pour le VIIe Congrès international d'études anthropologiques et ethnographiques), Moscou, 1964 ; et Pro'ishoïdenie geroičeskogo eposa, rannie formy i arhaičeskie pamjatniki (Origines de l'épopée héroïque, les formes anciennes et les œuvres archaïques), Moscou, 1963.

190. La culture populaire russe s'est reflétée dans divers ouvrages littéraires, tels que les chroniques (voir à ce sujet l'ouvrage de D. S. Lihaiev, Russkie letopis i i ih kul'turno isloričeskoe značenie (Les chroniques russes et leur signification dans l'histoire de la culture), Ijcningrad, 1947, chap. 7 ; A. Popov, Iz- bornik slavjanskih i russkih sočinenij i slátej vnesennyh v hronografy russkoj redakcii (Recueil des œuvres slaves et russes insérées dans les rédactions russes des chronographes), Moscou, 1 869) ou le Slovo d'Igor où l'on reconnaît des emprunts faits à la byline de « Volk Vscslavič ». Mais, comme nous l'avons dit au début de cet article, la divergence entre culture populaire et culture de la classe dominante (fondée sur le christianisme) a été plus radicale en Russie que dans d'autres États de l'Europe médiévale (voir V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy, art. cit., pp. 27-28) où des thèmes populaires ont pu être repris dans une littérature profane destinée au divertissement des lettrés, voir E. Pallagcan, « Discours écrit, discours parlé. Niveaux de culture à Byzance aux VIII -XIe siècles », Annales, économie, sociétés, civilisations, 1979, pp. 267-272 ; ou encore, où la culture populaire a exercé une véritable pression sur les clercs, voir J. Le Goff, « Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne », in op. cit., pp. 223-234. D'intéressantes considérations ont été consacrées à ce sujet par A. J. Gurcvič, Kategorii srednevekovoj kul' tury (Les catégories de la culture médiévale), Moscou, 1972 ; traduit en allemand sous le titre Das Weltbild des mittelalterlichen Menschen, Dresde, 1978 ; et Problémy srednevekovoj narodnoj kul'lury (Le problème de la culture populaire au Moyen Age), Moscou, 1981 , voir en particulier les chap. 1, 2 et 6.

191. V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy... », art. cit., pp. 28, 30 ; Epos, pp. 267-268. Contrairement à l'opinion de V. Miller, qui considérait que les épopées évoquant le joug lalar avaient été composées postérieurement à celui-ci, Propp pense qu'elles lui ont été contemporaines. Ixs sujets épiques, pour cette époque, sont peu nombreux (II ja et Kalin car', Vasilij Ignaťcvič, Batyj et Dobrynja, Vasilij KazimiroviČ} mais leurs variantes très nombreuses témoignent de leur popularité.

192. Les bylines de « Sadko », de « Vasilij Buslacvid », portent un caractère novgorodien très marqué ; il ne reste pas de traces des bylines des autres principautés du nord, et on peut penser, qu'après la période taláre, elles se sont fondues au répertoire hérité de Kiev, voir Epos, pp. 67-69 ; A. M. A stahová, Russkij bylinnyj epos na Severe (Les bylines russes dans le Nord), Petrozavodsk, 1948 ; Byliny, itogi..., op. cit., pp. 215-231 (sur l'extension géographique des bylines) ; S. I. Dmitricva, Geografičeskoe ras- prostranenie russkih bylin po materialam konca XIX -načala XX veka (L'extension géographique des bylines russes d'après le matériel de la fin du XIXe au début du XXe siècle), Moscou, 1 975, pp. 33 sq.

193. Epos, pp. 289-300. 194. Epos, p. 10 ; V. Ja. Propp, « Osnovnye etapy razvitija... », art. cit., pp. 31-32. 195. R. Jakobson, art. cit., p. 95. 196. C'est à partir de ces traces que A. N. Veselovskij a pu démontrer l'origine méridionale des by

lines, voir « Juznorusskie byliny », art. cit., et « Bcilràge zur Erklàrung des russischen Hcldcncpos », Archiv fur slavische Philologie, III, pp. 549-593.

197. V. Ja. Propp, Russkie agrarnye prazdniki, opyt isloriko-elnografičeskogo issledovanija (Les fêtes agraires russes, essai d'étude historique et ethnographique), Leningrad, 1963 ; nous nous référons plus bas à la traduction française de cet ouvrage, paru en 1987, citée Fêtes.

198. On trouvera dans l'ouvrage de Propp une bibliographie raisonnée (pp. 13-23) qui peut être complétée par les indications données dans l'étude, contestable du point de vue de ses interprétations rationalisantes mais bien documentée de S. A. Tokarev, Religioznye verovanija..., op. cit., pp. 156-163, et par l'abondante bibliographie donnée par V. V. Ivanov et V. N. Toporov dans Issledovanija v oblasti slavjanskih drevnostej (Recherches dans le domaine des antiquités slaves), Moscou, 1974, pp. 306-332. Des tentatives ont été faites à l'époque contemporaine pour recueillir des « survivances » rituelles auprès de la paysannerie des kolkhozes, voir par exemple : « Selo Verjatino v prosiom i nastojas*cem, opyt et- nografičeskogoizučenija russkoj kolhoznoj dcrcvni » (Le village de Verjatino autrefois et aujourd'hui, essai d'étude ethnographique de la campagne russe kolkhozienne), Trudy Instituta etnografii un. Miklu- ho-Maklaja, N.S., XIJ, Moscou, 1958 ; mais ces expériences ne semblent pas rapporter un matériel très riche tant à cause de la déperdition, commune à notre époque, des croyances paysannes traditionnelles, que des réticences rencontrées par les ethnographes auprès de leurs interlocuteurs. On trouvera des éléments bibliographiques dans G. A. Nosová, Jazyčestvo v pravoslavii (Le paganisme dans l'orthodoxie),

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Moscou, 1975 ; L. M. Saburova, « Novoe i tradicionnoe v prazdnikah i obrjadah narodov SSSR » (Innovations et traditionalisme dans les fêtes et les rites des peuples de l'URSS), in Sovremennye elničeskie processy и narodov zapadnoj ijuinoj Sibiři (Processus ethniques contemporains chez les peuples de la Sibérie occidentale et méridionale), Moscou, 1977 ; N. K. Gavriljuk, Kartografirovanie javlenij duhov- noj kul'tury (po malerialam rodil'noj obrjadnosti Ukraincev) (Cartographie des manifestations de la civilisation spirituelle d'après le matériel des riles de naissance des Ukrainiens), Kiev, 1981, qui donne (pp. 7-34) une bonne mise au point sur l'histoire de l'ethnographie russe.

199. La Russie a longtemps connu l'année de mars (l'année nouvelle commençant à l'équinoxe de printemps) et de façon presque concomitante, à partir du XIIIe siècle, l'année de septembre, héritée de l'année indictionnellc byzantine. Le nouvel an julien (au 1er janvier) fut instauré par Pierre le Grand en 1699, et ne fut pas adopté par l'Église, voir L V. Čerepnin, Russkaja hronologija (La chronologie russe), Moscou, 1941, p. 27 ; N. G. BereZkov, Hronologija russkogo letopisanija (La chronologie des chroniques russes), Moscou, 1963, p. 18. Mais une certaine imprécision du calendrier des fêtes de nouvelle année, ou du moins l'étalement de ces dernières de l'hiver au printemps, a pu être observée chez divers peuples, voir G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 6-12.

200. В. Л. Rybakov, « Kalendář' IV veka iz žemli Poljan » (Un calendrier du IVe siècle provenant de la région des Poljane), Sovetskaja arheologija, 14, 1962, pp. 81-82. L'auteur publie la découverte d'une cruche de céramique ornée de signes représentant les quatre temps de pluie, correspondant aux dates optimales des pluies d'après les données agrotechniques du XIXe siècle, et de symboles solaires renvoyant aux grandes dates solaires de l'année. Des représentations du même type ont été observées sur les bracelets d'argent du XIe-XIIe siècle retrouvés dans divers trésors russes, enfouis sans doute au moment de l'invasion taláre. В. A. Rybakov, « Jazyťeskaja simbolika russkih ukras*cnij XII v. » (La symbolique païenne des ornements russes du ХПе siècle), in Tezisy i doklady so vets koj delegacii na I mežduna- rodnom kongresse slavjanskoj arheologii v Varšavě (Thèses et rapports de la délégation soviétique au ]er Congrès international d'archéologie slave à Varsovie), Moscou, 1965, pp. 64-73 ; A. L. Mongait, « Staroslavjanskij klad 1966 goda » (Le trésor vieux-slave de 1966), Sovetskaja arheologija, 2, 1967, pp. 211-223.

201. V. I. Čiterov, « Zimnij period russkogo zemledel'ceskogo kalendarja XVI-XTX v. » (La période d'hiver du calendrier agraire russe du XVIe au XIXe siècle), Trudy Inslitula etnografii int. Mikluho- Maklaja, XL, 1957. Cet ouvrage fait date car il est le premier à envisager les fêtes agraires russes en liaison avec le travail des paysans. Comme le remarquait déjà G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., p. 6, l'oisiveté imposée aux agriculteurs par l'hiver faisait de cette saison une période de vie sociale intense, voir aussi, T. A. Bcmitam, « Tradicionnyj prazdničnyj kalendář' v Pomor'e vo vtoroj polovině XIX -načale XX v. » (Le calendrier traditionnel des fêtes dans la région de Pomorie, de la seconde moitié du XIXe au début du XXe siècle), in Etnografičeskie issledovanija severozápadu SSSR (Recherches ethnographiques dans le nord-ouest de l'URSS), Leningrad, 1977, pp. 88-1 15 ; voir aussi V. G. Vlasov, « Russkij narodnyj kalendář' » (Le calendrier populaire russe), Sovetskaja elnografija, 4, 1985, pp. 22- 36.

202. Sur l'idée que réchauffer les morts assure une bonne récolte voir D. K. Zelenin, « Narodnyj obyčaj greť pokojnikov » (L'usage populaire de réchauffer les morts), in Sborník llar'kovskogo isloriko- filologičeskogo obSčeslva (Recueil des travaux de la Société d'histoire et de philologie de Kharkov), XVIII. 1909, pp. 256-271.

203. Le dernier jour des réjouissances du Mardi gras était appelé « jour du pardon » : on devait obtenir le pardon des vivants de même que celui des morts que l'on allait visiter au cimetière en confessant les manques que l'on avait eus à leur égard, voir Fêtes, pp. 29 sq.

204. Stoglav, carskie voprosy i sobornye otvety v mnogorazličnyh cerkovnyh činah (Les cent articles, questions du tsar et réponses synodales relatives à divers règlements ecclésiastiques), 3e éd., Kazan, 1912, article 23, pp. 89-90; sur les documents ecclésiastiques décrivant ces pratiques voir J. C. Roberti, « Les éléments païens dans les cérémonies populaires russes du XVIIe s. : répétitivité et/ou créativité ? », Slavia Gandensia, 7-8, 1980-2981, pp. 147-155 ; A. A. Tarilov, A. V. Cernccov, « О pis'mennyh istoenikah izuccnija vostodnoslavjanskih narodnyh verovanij i obrjadov » (Les sources écrites de l'étude des croyances et des rites populaires des Slaves orientaux), Sovetskaja elnografija, I, 1986, pp. 95-103.

205. П s'agissait généralement de personnes mortes de mort violente, au cours d'une épidémie ou d'une guerre, dont les cadavres étaient conservés durant l'hiver dans une fosse commune aménagée dans les enclos des « maisons d'indigence » (ubogie doma), spécialisées dans l'enterrement de ce type de défunts. La difficulté de creuser des tombes en hiver n'explique que partiellement cette mise « au purgatoire » des défunts morts de malcmort et il est très vraisemblable qu'ail joué également la crainte de

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confier à la terre du cimetière, sous peine de sécheresse ou de mauvaise récolte, des morts suspects, voir S. A. Tokarev, Religioznye verovanija..., op. cit., pp. 36-40.

206. L'apogée des rites commémoratifs ayant lieu dans la semaine de la Saint-Thomas (semaine qui suit la semaine pascale), avec le « Navij den' » (jour des morts) et la * Radunica » (de rad ou de rod ?), où la communauté paysanne se rend collectivement au cimetière, voir Fêtes, pp. 30 sq.

207. Fêtes, pp. 134 ; G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 12-28. 208. Fêtes, pp. 139 sq. 209. Les koljady étaient surtout chantées durant la nuit de Noël et avaient pour objet de prédire,

sous une forme poétique qui a fait l'objet de nombreuses études, la prospérité et l'abondance aux maîtres de maison qui avaient été suffisamment généreux avec le groupe de chanteurs, voir Fêtes, pp. 35-55. La koljada a été rarement transposée à d'autres fêtes. En revanche les chants rituels de mariage ou vino- grad'e (chant de la vigne), qui semblent avoir été pratiqués dans toute la Russie du nord, se sont fondus au répertoire des koljady, sans doute à cause de la représentation de rites nuptiaux au cours des jeux de Noël et du Nouvel An, voir T. A. Bern&am, V. A. Lapin, « Vinograďe pcsnja i obrjad » (Chant et rite de vinograďe), Russkij sever. Problémy etnografii i fol'klora (Le nord de la Russie. Problèmes d'ethnographie et de folklore), Leningrad, 1981, pp. 3-109 ; V. P. Anikin, « Kalendamaja i svadebnaja pcsnja » (Chansons des calendes et chansons nuptiales), in Russkoe ustnoe narodnoe tvorčestvo (La création populaire orale des Russes), Moscou, 1970 ; N. P. Kolpakova, Lirica russkoj svad'by (La poésie lyrique nuptiale russe), Leningrad, 1973 ; A. N. Rozov, « Problémy sistemalizacii kalendamyh pesen' v svode russkogo fol'klora » (Le problème de la classification systématique des chants des calendes au sein du corpus du folklore russe), Russkij fol'klor, 17, 1977, et Pesni russkih kalendamyh prazdnikov, problémy klasifikacii koljadok (Les chansons des fêtes du calendrier russe ; problème de la classification des «• koljady »), Leningrad, 1978.

210. Fêtes, p. 52. Il s'agissait, sans doute, de confréries de célibataires et le rite semble étroitement réservé à une classe d'âge. Les recherches ethnographiques ne sont pas parvenues à tirer au clair les raisons des prérogatives de ces « sociétés secrètes » qui n'hésitaient pas à user de menaces et de violences lorsque leurs exigences n'étaient pas satisfaites. On connaît chez les Slaves, notamment chez les Bulgares, l'existence de telles sociétés, en l'occurrence strictement masculines, chargées, dans chaque village, d'organiser les fêtes des Rusalija, voir D. Marinov, Narodna vera i religiózní običaj (Foi et coutumes religieuses populaires), Sofia, 1914, p. 191.

21 1. L'association du bétail aux rites propitiatoires est une constante des fêtes agraires russes ; outre les rameaux bénis, les bêtes recevaient leur part des gâteaux, également bénis, affectant une forme animale (kozuli), qui étaient confectionnés à l'occasion des fêtes de Nouvel An (Fêtes, pp. 39-41).

212. La fête romaine de la commémoration prinlanière des morts, les Rosalia, reçut dans la littérature grecque chrétienne le nom de Rousalia et fut associée à la semaine de la Saint-Thomas. Dans les pays slaves, cette fête fut de façon générale reportée à la semaine de la Trinité. Les rusalki honorées durant ces festivités représentaient à la fois les âmes des morts de mort violente (des suicidés, des enfants morts sans baptême) et des divinités féminines aquatiques (habitant les cours d'eau et les lacs). D'où l'importance au cours de ces fêtes des rites concernant l'eau, voir A. N. Veselovskij, « Genvarskie Rusalija i gotskie igry v Vizantii » (Les Rusalija de janvier et les jeux gothiques à Byzance), « Razyskanija v oblasti russkogo duhovnogo stiha, XIV » (Recherches dans le domaine de la poésie spirituelle russe, XIV), Sborník otdelenija russkogo jazyka i slovesnosti, XLVI, 6, 1889, pp. 261 sq. (l'auteur attribue à tort les luttes et joutes qui ont lieu à l'occasion de ces cérémonies, à une influence byzantine) ; G. Dumézil, Le problème des centaures, op. cit., pp. 45-46 ; Fêles, pp. 73 sq. Les croyances concernant les rusalki ont été particulièrement étudiées par D. K. Zelenin, « К voprosu o rusalkah (Ix problème des rusalki), Zivaja starina, XX, 3-4, 191 1, pp. 357-424, et dans, Očerki mifologii (Éludes de mythologie), Saint-Pétersbourg, I, 1916. On trouvera dans B. A. Rybakov, « Rusalii i bog Simargl-Pereplut » (Les Rusalija et le dieu Simargl-Pereplut), Sovetskaja arheologija, 2, 1967, pp. 91-116, des renseignements intéressants sur le rite et sur ses représentations médiévales.

213. S. A. Tokarev, Religioznye verovanija..., op. cit., p. 60 ; Mel'nikov-Pecerskij avait déjà noté que les Slaves se distinguaient des populations finnoises (Mordves, Tchérémisses, Tchouvaches) par leur attitude à l'égard des arbres dont ils sont l'« ennemi naturel ».

214. Ce rite appelé kumlenie, marque la prééminence de la jeunesse célibataire, mais aussi celle des femmes, dans la célébration des Rousalia, Fêtes, pp. 75-77, A. N. Veselovskij, « Geterizm, pobratstvo i kumstvo v kupal'skoj obrjadnosti » (Métairies, fraternisation et commérage dans le cérémonial de la Saint -Jean), Žurnál Ministerstva narodnogo prosveščenija, 2, 1894, pp. 287-318.

215. Fêtes, pp. 71 sq. Sur ces coutumes, très répandues en Europe, voir J. G. Frazer, « Esprit des blés et des bois. La mère du blé et la vierge du blé en Europe septentrionale », in op. cit., 3, pp. 94-1 18.

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216. Fêtes,, pp. 87 sq. Ce rite doit être rapproché de cérémonies clôturant la moisson pratiquées dans certaines provinces, telles que les funérailles de « Kostroma » ou de « Jařilo » (mannequins fabriqués avec les derniers épis de la récolte). La procession funéraire se divisait en deux groupes, l'un se lamentant, l'autre riant, chantant et dansant {Fêles, pp. 87-88).

217. Fêtes, pp. 93 sq. ; cette pratique a pu encore être observée à l'époque soviétique, voir A. B. Zemova, « Materiály po sel'skohozjajstvennoj magii v Dmitrovskom uezde » (Matériaux pour l'étude de la magie agraire dans le district de Dmitrov), Sovetskaja etnografija, 3, 1932, doc. 20 et 21 ; K. E. Korepova, T. I. Belous, « Obrjady provody vesny v bytu sovremennoj derevni, po materialam GorTcovskoj oblasti » (Les rites des fêtes de printemps et les coutumes de la campagne contemporaine, d'après le matériel du district de Gorkij), ibid., 4, 1985, pp. 88-95.

218. Ces feux ne sont pas caractéristiques de la Saint- Jean et se pratiquaient lors de diverses autres fêtes de même que, de façon conjoncturelle, en cas d'épidémie, voir J. G. Frazer, « Les fêtes du feu en Europe. Les feux de misère », in op. cit., 4, pp. 157 sq. J. С Lawson, Modem Greek folklore and ancient Greek religion, Cambridge, 1910, pp. 190-255, rapporte que les paysans de Macédoine avaient coutume d'exposer au feu les pieds des enfants nés entre Noël et l'Epiphanie, afin qu'ils ne deviennent pas des chèvre-pieds (KOtXXiKOR/tÇapot). On peut supposer que l'attribution au feu d'une vertu curative ne représente qu'un développement de la croyance en sa faculté de conférer l'immortalité.

219. Fêtes, pp. 101-103. 220. L'usage de noyer l'arbre « mařena » ou « marina » est particulier à l'Ukraine et à la Biéloruss

ie. On peut déduire de ce nom (тага = vision, fantôme, perte de conscience, voir Dal', Tolkovyj slovar' russkogo jazyka (Dictionnaire raisonné de la langue russe), П, pp. 298-299), son association à la mort même si le rite représente principalement une pratique destinée à assurer la fertilité des champs et à favoriser les mariages, voir J. G. Frazer, op. cit., p. 171.

221. Le bain purificateur était pratiqué à la suite de diverses fêtes, et particulièrement par les porteurs de masques ou de travestissements à la fin des fêtes de Noël et de Mardi gras. La grande baignade rituelle de la Saint-Jean semble avoir eu un caractère erotique, si l'on en croit les textes ecclésiastiques, voir Stoglav, op. cit., art. 24, p. 90.

222. J. G. Frazer, « Le dieu qui meurt », in op. cit., 2, pp. 150 sq.