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Officier de souche dauphinoise, philosophe, René de la Tour du Pin Chambly, lieutenant colonel et marquis de la Charce (1834- 1924) demeure pourtant méconnu de nos contemporains. Il sert sous le Second Empire en Crimée, Italie et Algérie avant d’être fait prisonnier lors de la guerre contre la Prusse en 1870. En 1871, à l’appel de Maurice Maignen, il s’engage avec Albert de Mun dans l’œuvre des cercles catholiques d’ouvriers. Son action s’inspire alors de la méthode sociale de Frédéric Le Play en plaçant la charité évangélique au cœur de l’action sociale. Il livre le fruit de son expérience en 1907 au sein de l’imposant recueil Vers un ordre sociale chrétien. Plus que Félicité de Lamennais, il est l’origine du catholicisme social consacré en 1891 par l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII. Avocat et historien reconnu du christianisme social, l’auteur fait revivre ici la destinée de l’homme et détaille la pluralité de son héritage intellectuel et moral. Réformiste et adversaire résolu des idéologies, la Tour du Pin demeure un phare d’humanisme syndical face aux défis de la mondialisation. Creusois d’origine, Antoine Murat était centenaire lorsque Dieu le rappela à lui le 25 juillet 2008. Inscrit au barreau en 1931, il fut, outre sa collaboration auprès du bâtonnier Marie de Roux, conférencier et rédacteur de nombreuses revues historiques et corporatistes, chargés de cours à l’institut d’études corporatives et sociales, titulaire de la chaire Albert de MUN. Attaché juridique au service de l’Artisanat, il revint au Palais de justice de Paris à partir de 1945 et s’illustra par sa défense des écoles libres et l’interdiction qu’il obtint de l’emploi du penthotal (sérum de vérité) en justice. Avocat de l’auteur du célèbre trafic de piastres en Indochine, il vécu retiré à Bordeaux, fidèle à sa foi chrétienne, fidèle à ses convictions sociales et royalistes. « Le travail n’a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l’homme. » R . de la Tour du Pin royalismesocial.com N°7 SOMMAIRE Nos maîtres : Firmin BACCONNIER P 2,3 et 4 La classe ouvrière a-t- elle disparu ? Jean-Philippe CHAUVIN P 4 et 5 Sinistre libéralisation Patrice Mallet P 5 et 6 Le « blues » de l’agriculture Guillaume CHATIZEL P 6 et 7 Le capitalisme contre le peuple Frédéric WINCLER P 8, 9 et 10 La loi du Travail René de la Tour du Pin P 10 Sauvons le dimanche ! SAR Jean d’Orléans P 11 Paysannerie et civilisation Jean-Clair DAVESNES P 12, 13 et 14 RFR émission N°1 : Présentation de l’ASC. P 15 Contact : [email protected] « LA TOUR DU PIN EN SON TEMPS » d’Antoine MURAT aux éditions VIA ROMANA – 29E ASC royalismesocial.com – 2008 1

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Officier de souche dauphinoise, philosophe, René de la Tour du Pin Chambly, lieutenant colonel et marquis de la Charce (1834-1924) demeure pourtant méconnu de nos contemporains. Il sert sous le Second Empire en Crimée, Italie et Algérie avant d’être fait prisonnier lors de la guerre contre la Prusse en 1870. En 1871, à l’appel de Maurice Maignen, il s’engage avec Albert de Mun dans l’œuvre des cercles catholiques d’ouvriers. Son action s’inspire alors de la méthode sociale de Frédéric Le Play en plaçant la charité évangélique au cœur de l’action sociale. Il livre le fruit de son expérience en 1907 au sein de l’imposant recueil Vers un ordre sociale chrétien. Plus que Félicité de Lamennais, il est l’origine du catholicisme social consacré en 1891 par

l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII. Avocat et historien reconnu du christianisme social, l’auteur fait revivre ici la destinée de l’homme et détaille la pluralité de son héritage intellectuel et moral. Réformiste et adversaire résolu des idéologies, la Tour du Pin demeure un phare d’humanisme syndical face aux défis de la mondialisation. Creusois d’origine, Antoine Murat était centenaire lorsque Dieu le rappela à lui le 25 juillet 2008. Inscrit au barreau en 1931, il fut, outre sa collaboration auprès du bâtonnier Marie de Roux, conférencier et rédacteur de nombreuses revues historiques et corporatistes, chargés de cours à l’institut d’études corporatives et sociales, titulaire de la chaire Albert de MUN. Attaché juridique au service de l’Artisanat, il revint au Palais de justice de Paris à partir de 1945 et s’illustra par sa défense des écoles libres et l’interdiction qu’il obtint de l’emploi du penthotal (sérum de vérité) en justice. Avocat de l’auteur du célèbre trafic de piastres en Indochine, il vécu retiré à Bordeaux, fidèle à sa foi chrétienne, fidèle à ses convictions sociales et royalistes.

« Le travail n’a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l’homme. » R . de la Tour du Pin

royalismesocial.com N°7

SOMMAIRE

Nos maîtres : Firmin BACCONNIER P 2,3 et 4

La classe ouvrière a-t-

elle disparu ?

Jean-Philippe CHAUVIN P 4 et 5

Sinistre libéralisation

Patrice Mallet P 5 et 6

Le « blues » de

l’agriculture

Guillaume CHATIZEL P 6 et 7

Le capitalisme contre

le peuple

Frédéric WINCLER P 8, 9 et 10

La loi du Travail

René de la Tour du Pin P 10

Sauvons le dimanche !

SAR Jean d’Orléans P 11

Paysannerie et

civilisation

Jean-Clair DAVESNES P 12, 13 et 14

RFR émission N°1 :

Présentation de l’ASC. P 15 Contact : [email protected]

« LA TOUR DU PIN EN SON TEMPS » d’Antoine MURAT aux éditions VIA ROMANA – 29E

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NOS MAÎTRES :

La figure de Firmin BACCONNIER est assez originale et assez exemplaire pour qu'on s'y arrête un instant. Il naît le 8 octobre 1874, au centre de ce Vivarais où le basalte le dispute au granit, et où une terre rude et pauvre exige de ses fils, pour les nourrir chichement, un travail acharné. Ses parents sont des paysans ni plus ni moins riches que la moyenne des paysans ardéchois. Il n'ont pas le moyen de pousser les études de leur petit Firmin, mais, puisque ses maîtres leur répètent que l'enfant "a bonne tête", il le laisseront aller jusqu'à quinze ans à l'école des Frères des Écoles Chrétiennes. Tout ce qu'il apprendra depuis, il le devra à ce que la lecture lui aura fait connaître, une fois terminée sa journée de travail. A dix-huit ans, il signe un engagement volontaire dans l'armée. Son temps achevé, il "monte" à Paris, en 1896, pour y gagner sa vie, et il devient secrétaire-dactylographe de l'éditeur Firmin-Didot. A quelques années de là, Firmin BACCONNIER, qui est royaliste comme le sont alors tous les Ardéchois catholiques, rencontre Charles MAURRAS dans le bureau de La Gazette de France. C'est la naissance d'une amitié qu'il considère comme le grand honneur de sa vie. Avec quelques amis de même origine modeste, il fonde L'Avant-Garde Royaliste dont les membres s'assignent pour tâche d'aller porter la contradiction dans les réunions socialistes (le parti communiste n'est pas encore inventé) et de faire connaître aux milieux ouvriers la doctrine sociale de la Monarchie française. Charles MAURRAS a été tout de suite frappé par la façon simple et claire qu'avait ce jeune autodidacte de présenter à un auditoire populaire les idées d'un BONALD ou d'un La TOUR du PIN qu'il avait si parfaitement assimilées dans ses veillées laborieuses. Aussi lui fait-il ouvrir les colonnes de La Gazette de France pour une série d'articles qui furent ensuite réunis en brochure et publiés, dans la même année 1903, sous le titre : Manuel du Royaliste. Cette plaquette connut un incroyable succès et fut tirée à deux millions d'exemplaires, grâce à la publicité des nombreuses feuilles royalistes locales qui existaient alors. La TOUR du PIN lui consacra cinq articles dans le Réveil Français et ouvrit dès lors à son auteur, ainsi qu'à d'autres jeunes disciples, parmi lesquels Jean RIVAIN et Louis de MARANS, sa demeure du Faubourg Saint-Honoré. Ce n'était que justice, car, dans son Manuel du Royaliste, Firmin BACCONNIER s'était largement inspiré de la doctrine sociale catholique dont La TOUR du PIN avait été le solide et brillant théoricien. Du même coup, Firmin BACCONNIER devient le collaborateur régulier du Réveil Français. En 1906, il fonde un groupe et un journal bimensuel qu'il appelle l'un et l'autre L'Accord Social. Son but : diffuser dans les milieux populaires la doctrine de La TOUR du PIN, et les convaincre que l'institution d'un régime corporatif rénové est le seul moyen d'abolir le prolétariat. Joseph DELEST fut longtemps le rédacteur principal de L'Accord Social ; il y fit l'apprentissage d'un métier difficile, mais où il excella bientôt, celui de propagandiste monarchiste par la plume et par la parole.

FIRMIN BACCONNIER

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C'est au lendemain de la Grande guerre que Firmin BACCONNIER devient l'un des rédacteurs réguliers de l'Action Française. En vérité, Firmin BACCONNIER n'a pas de correction d'angle de tir à appliquer à son combat. La brochure qu'il a publiée en 1952, sous le titre " Ce qu'il faut savoir du corporatisme français ", et où il conclut que " l'ordre corporatif est imposé au monde du travail par la nécessité " fait echo, à un demi-siècle de distance à sa brochure de 1903, où il écrivait que le mouvement syndical était un acheminement vers un Société corporative, ayant pour objet de "procurer à ses membres la sécurité personnelle et la capacité professionnelle". Pas plus que, dans le fond, n'a besoin d'être retouché le portrait physique que Charles MAURRAS traçait de lui lorsqu'il avait trente ans : " Ce jeune homme au front découvert, à la barbe d'un châtain blond, et dont les yeux indiquent l'obstination d'une volonté âpre et nette, donne tous ses loisirs à la cause de la Royauté et de la Nation ". Dans la 86ème année de son âge, Firmin BACCONNIER redresse toujours la taille, et ,si le front est un peu plus découvert, si la châtain de la barbe s'est bellement argenté, les yeux vifs brillent du même éclat volontaire, et les loisirs que les ans lui ont apportés restent au service de l'idéal qui enthousiasmait ses vingt ans : rendre aux travailleurs de France le Roi qui est leur protecteur-né !

L’hommage d’Antoine Murat

Un maître Mercredi 20 octobre, par une lumineuse matinée d’automne, Firmin Bacconnier nous a réunis une dernière fois près de lui. Nous avons accompagné, pieusement, sa dépouille mortelle au cimetière de Bougival. Nos pensées et nos prières nous groupaient tous en une assemblée recueillie. Nous suivions un maître : le mainteneur, le docteur et l’animateur de la doctrine corporative française. Bien que parvenu à un grand âge, Firmin Bacconnier avait gardé toute sa vigueur intellectuelle. Le dernier numéro des Cahiers Charles Maurras (numéro 15 – 1965) publie une belle page de lui, sans doute la dernière qu’il ait écrite. Quelle rigueur, et quelle justesse de pensée ! A la lire, qui pourrait imaginer que son auteur a passé les quatre-vingt dix ans ? « A Charles Maurras je dois personnellement la révélation qu’à l’origine de la déchéance de notre agriculture nationale, il y a pour une forte part la politique économique instituée en 1860 par le Second Empire, laquelle a pratiquement interdit à l’agriculture d’exercer sa fonction de pourvoyeuse de l’industrie en matières premières et ne lui a laissé que celle de productrice d’aliments. » (Charles Maurras et le drame paysan par Firmin Bacconnier). Comme toutes les intelligences attentives et soumises au réel, Firmin Bacconnier savait tenir sous son regard les leçons du passé, les problèmes du présent, les besoins de l’avenir. Ses ultima verba, d’une saisissante actualité, veulent faire comprendre aux hommes d’aujourd’hui que « mettre l’agriculture en position de porter au maximum toutes ses possibilités », c’est non seulement réparer une grave injustice, « mais c’est aussi bâtir sur de fortes assises rurales l’expansion industrielle. » (loc. cit.). Sans se lasser, jour après jour, humblement et puissamment, Firmin Bacconnier montrait et démontrait la vérité de la doctrine corporative française, celle de La Tour du Pin, celle des Rois de France, celle des Papes. Ses articles précis et nuancés, étaient, en même temps que des exemples de journalisme par leur riche clarté, l’application excellente, hic et nunc, de l’empirisme organisateur. Dans la page hebdomadaire du dimanche – la page économique et sociale – de l’Action Française (si remarquable qu’elle peut être encore lue avec profit), dans La production Française qu’il dirigeait, à L’Ouvrier Français, dans un grand nombre de revue, de périodiques ou de journaux spécialisés. Firmin Bacconnier posait les problèmes, économiques, professionnels et sociaux ; il en recherchait les solutions ; et, ce faisant, il faisait beaucoup plus que renseigner : il enseignait ses lecteurs, et il formait des disciples. La désastreuse politique économique de 1860 poursuivie par la Troisième République (sauf pendant l’heureuse période de Méline), modifiée mais aggravée par la Quatrième et la Cinquième ; l’emprise des trusts, et les menaces qu’ils firent peser sur la métropole et sur les colonies jusqu’à la destruction de l’empire colonial français ; es efforts de réorganisation

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professionnelle ; l’étude du syndicalisme ouvrier ou paysan ; en bref : l’immense champ de recherches offert par l’économie était labouré, continûment, avec patience et avec sûreté, par cet infatigable travailleur. Son analyse, sans cesse reprise, des données du présent, était juste, parce qu’elle était désintéressée, parce qu’elle était uniquement soucieuse du bien commun et qu’elle était attentive à toutes les leçons de l’expérience. Sous l’égide de Firmin Bacconnier, à l’Union des Corporations françaises, rue du Havre, le Cercle La Tour du Pin donnait ses cours. Guillermin, Denis (alias Marty)… publiaient leurs essais. Lorsqu’en 1935, des professeurs de la Faculté de Droit de Paris jugèrent utile de créer l’Institut d’études corporatives et sociales, Firmin Bacconnier prêta ses jeunes collaborateurs : agrégatifs, avocats, professionnels. A l’Union des Corporations françaises, l’enseignement, la propagande, les réalisations et l’action marchaient de front. Bien des syndicats furent créés, conseillés et soutenus par l’U.C.F. De tant de travaux, Firmin Bacconnier était l’âme. Je pensais à l’énormité de son labeur, assumé par lui, avec une impressionnante sérénité, en regardant, près de moi, ses amis, ses disciples, et, en particulier celle qui fut, rue du Havre, puis rue de Vézelay, enfin rue Croix-des-Petits-Champs, son second pendant un grand nombre d’années : l’admirable Mlle de Paul. Que d’abnégation et de dévouement à la case commune. Serviteur de Dieu, de la France et de la royauté, Firmin Bacconnier, au regard plein de lumière, a été confié à cette terre pour laquelle il a tant lutté. Comme son maître, La Tour du Pin, comme son maître, Maurras, en fidélité il a terminé sa vie. Son œuvre et son enseignement demeurent.

Antoine MURAT.

L'identité sociale s'est effacée au profit de la seule hiérarchie du "pouvoir d'achat". Mais la crise actuelle pourrait remettre en cause l'idéologie du tout-consommation, qui gomme des centaines d’ouvriers de leur entreprise, considérés comme une "simple variable d’ajustement"... La disparition de la classe ouvrière semble désormais avérée, non pas comme catégorie sociale, mais comme sentiment d'appartenance et d'identité sociales : alors qu'il reste 23 % d'ouvriers (au sein de la population active) dans notre pays, ceux-ci se déterminent plutôt par leurs capacités de consommation que par leur activité professionnelle, à part quelques exceptions notables, en particulier dans les secteurs encore artisanaux ou lorsque leur entreprise et leur emploi sont directement menacés par des licenciements, un "plan social" (si mal nommé…) ou une délocalisation, cela revenant souvent au même, d'ailleurs.

Vieux rêve Le vieux rêve marxiste de la disparition des classes ("la société sans classes"...) se réalise ainsi, non par le communisme final qui devait finir l'histoire humaine, mais par la société de consommation qui ne reconnaît plus que des consommateurs et rapporte tout à cela, comme elle se veut mondiale et insensible (ou presque) aux différences nationales et politiques : plus de classes, plus d'États... En fait, les réalités sociales comme politiques ne cessent d'exister mais c'est souvent la manière de les signifier ou de les valoriser qui leur donne, ou non, une visibilité et une lisibilité. Or, la société de consommation, dont les maîtres mots sont "croissance", "pouvoir d'achat" et "consommation", ne veut voir ces réalités qu'à travers son prisme réducteur, au risque de s'aveugler elle-même sur ce qui l'entoure et la compose, la traverse... Attention : il ne faut pas croire que la société de consommation ne connaît pas les différences puisque, souvent, il lui arrive d'en jouer pour "vendre plus" (cf les produits qualifiés, parfois à tort, de "traditionnels"...)

La classe ouvrière a-t-elle

disparu ?

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; mais elle leur dénie tout rôle véritable de décision et, éventuellement, d'obstruction dans son cadre propre... En somme, tout ce qui est sur cette terre doit entrer dans son cadre, dans son mode de vie, ses exigences et ses critères, au point de phagocyter toute contestation et d'en faire, rapidement, un élément de sa propre stratégie, de sa publicité, de sa "mode" : il suffit de constater comment les symboles de la "rébellion" sont souvent devenus des produits de consommation, voire des "icônes" consuméristes, et pas seulement le portrait de Che Guevara...

Solidarité La crise actuelle va-t-elle remettre en cause ce modèle, cette idéologie du tout-consommation, qui gomme si rapidement, en quelques lignes de communiqué, des centaines d'ouvriers de leur entreprise, considérés comme une "simple variable d'ajustement" ? Et va-t-elle redonner une certaine actualité au concept de classe ouvrière compris comme l'idée d'une solidarité, d'une entraide de ceux qui participent, par leurs activités manuelles, à la vie et à la prospérité d'une nation, et qui, au sein et au-delà de leur profession, s'organisent pour assumer leurs responsabilités politiques ? Il y a là un nouveau "champ des possibles" qui s'ouvre et que ceux qui s'intéressent à la politique ne peuvent négliger...

Jean-Philippe CHAUVIN Un rapport des Nations Unies remis le 20 décembre à Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, a souligné les effets néfastes de la libéralisation sur l'alimentation dans le monde. Il n'a pas eu l'écho qu'il méritait. En cette fin d'année 2008, la plupart des commentateurs économiques ont eu le regard rivé sur l'indice de la consommation des populations des pays riches, considéré comme le dernier rempart contre la récession et, potentiellement, comme le premier moteur de la relance. Certains allant même à évoquer un "devoir de consommation", comme si, dans une spirale infernale, la gabegie du système financier international devait être compensée par la propension sans limite des individus à accumuler des biens et des services à l'utilité toute relative. Mais qu'ils soient rassurés, le précieux indice, soutenu par les fêtes, devrait afficher, selon les estimations, une progression de 0,3 à 0,5 % pour le dernier mois de 2008.

La faim dans le monde Dans le même temps, il est frappant de constater que peu d'observateurs ont signalé et commenté un important rapport remis le 20 décembre à Pascal Lamy, le directeur général de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), et qui apporte un démenti cinglant à tous les discours communément admis sur les bienfaits de la libéralisation des échanges internationaux. En effet, les travaux conduits sous la direction de Olivier De Schutter, un universitaire belge, actuellement rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, apporte un solide contrepoint aux propos des responsables de l'organisation qui affirmaient, il y a quelques mois, lors d'une tentative de clôture du cycle de négociations de Doha, que l'abaissement continu des protections douanières sur l'agriculture contribue fortement à l'accroissement de la richesse mondiale et, en particulier, des revenus des paysans des pays du Sud. Le rapport concerne, d'une part, l'impact du commerce mondial libéralisé sur la faim dans le monde et, d'autre part, l'influence des thèses actuelles du libre échange sur la politique des États et leur capacité à assurer la sécurité alimentaire de leurs populations. Olivier De Schutter plaide pour une profonde remise en cause des conceptions qui président à la libéralisation. Cette dernière, souligne-t-il, menace la situation, déjà précaire, de dizaines de millions de petits agriculteurs et engendre des « coûts cachés » sociaux, environnementaux et sanitaires. « Elle n'est pas plus favorable au consommateur, confronté à une forte hausse des

Sinistre libéralisation

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prix, qu'au petit producteur, auquel on paye un prix de plus en plus faible. En revanche, la chaîne de distribution s'allonge, ce qui contribue à enrichir divers intermédiaires.»

Des gouvernements démunis Le rapport De Schutter s'interroge non pas sur un avenir idéal, pensé dans les cénacles de l'OMC et prévoyant un utopique accès aux marchés mondiaux pour les petits producteurs, mais sur la situation actuelle. Celle-ci est caractérisée par l'incapacité des nations et des États à mettre en oeuvre les protections indispensables pour un développement équilibré de leurs marchés agricoles locaux. 500 millions de producteurs dans le monde sont contraints d'acheter très cher leurs semences et leur engrais à une douzaine d'oligopoles et de revendre leur production à un prix dérisoire. Par ailleurs, l'accent mis sur le commerce international a accru fortement la fragmentation du monde agricole : 85 % des producteurs travaillent sur des superficies inférieures à deux hectares, 0,5 % d'entre eux possèdent plus de cent hectares. « Miser fortement sur les exportations accroît cet écart. On privilégie les 0,5 % les plus riches et on marginalise les autres », constate Olivier De Shutter.

Spécialisation des pays « La position de l'OMC est que ces impacts négatifs de la libéralisation seront compensés par l'expansion des secteurs exportateurs. Cette approche, qui établit le bilan des gains et des pertes, n'est pas satisfaisante car, dans bien des cas, les gouvernements ne sont pas en mesure de compenser ces impacts négatifs pour leur population. » De nombreux pays ont été incités à se spécialiser dans des secteurs où ils bénéficiaient d'avantages comparatifs : le coton pour l'Afrique de l'Ouest, le café pour la Colombie et l'Éthiopie... Il leur a été promis qu'avec les devises ainsi engrangées, ils pourraient importer de quoi nourrir leur population pour un prix inférieur à ce qu'ils auraient pu produire eux-mêmes. A contrario, ils sont aujourd'hui dépendants par rapport à des indices boursiers de plus en plus volatils. Après une baisse des cours de leurs produits, ils ne peuvent plus payer leurs importations, dont la valeur a été parfois multipliée par cinq ou six. L'évolution encouragée par l'OMC a même transformé en importateurs des pays qui étaient autosuffisants. Un retour des protections nationales et des modèles de développement locaux est donc plus que jamais nécessaire.

Patrice MALLET

Montrés du doigt lorsque flambent la baguette ou les pâtes, les agriculteurs voient les prix de l'agroalimentaire rester stables lorsque les prix agricoles repartent à la baisse... Et dans un contexte de hausse des charges et d'incertitude sur l'avenir de la PAC, ils s'inquiètent d'une dérégulation des marchés. Lorsque s'est amplifié, fin 2007, le débat sur le pouvoir d'achat, c'est vers les agriculteurs que les consommateurs ont été invités à se tourner : la flambée des prix des produits alimentaires était due, nous expliquait- on, à la hausse des prix des matières premières agricoles. C'était oublier un peu vite que les celles-ci comptent finalement assez peu dans le prix du produit vendu au consommateur. Le coût du blé dur ne représente que 50 % du prix des pâtes. Les prix agricoles n'étaient donc pas seuls responsables de la flambée des prix...

Le "blues" de l'agriculture

française

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Bouc émissaire Surtout, alors que le prix du blé a recommencé à baisser depuis le printemps, le prix de la baguette, dont les boulangers avaient justifié l'augmentation à proportion de celle du blé, n'est pas reparti à la baisse. Mais le prix du blé ne représente qu'environ 5 % du prix final de la baguette... Fin 2007, les syndicats agricoles avaient réclamé un observatoire, sous l'autorité de l'administration des fraudes, chargé de contrôler précisément les marges pour déterminer les responsabilités. Ils ne l'avaient pas obtenu. Et ne l'obtiendront pas plus maintenant qu'ils veulent comprendre pourquoi la baisse de leurs prix de vente n'est pas répercutée sur les produits qu'ils trouvent dans les rayons des grandes surfaces. Accusés de peser sur le pouvoir d'achat des Français lorsque leurs prix augmentent, oubliés lorsque ceux-ci repartent à la baisse, les agriculteurs français ont le "blues". D'autant que, si le temps de la flambée des prix agricoles est terminé, les hausses de charges demeurent. Utilisé pour les engins agricoles ou le chauffage des serres et des élevages, le pétrole est également la base de la fabrication d'engrais, de bâches agricoles et de nombreux intrants qui n'ont cessé d'augmenter ces dernières années.

L'exemple du lait Et dans le contexte de crise financière mondiale, les agriculteurs sont particulièrement inquiets de la dérégulation progressive des prix agricoles en Europe. Le marché du lait en est l'exemple flagrant. Avec la perspective de la disparition progressive des quotas laitiers, les rapports se tendent entre producteurs et acheteurs. Après une première chute de 10 % du prix du lait en octobre, les industriels réclament une nouvelle baisse. Et même s'il faudra peut-être nommer un médiateur national pour parvenir à un accord, les producteurs n'exigent plus la stabilité des prix. Cette conjoncture difficile est d'autant plus inquiétante que les agriculteurs savent qu'ils auront, dans les années à venir, de nouveaux efforts à fournir. En particulier pour relever le défi environnemental. Première consommatrice de pesticides au monde, l'Union européenne adoptera dans les prochains mois le "paquet pesticides" qui interdira les molécules les plus dangereuses et imposera des normes plus restrictives. Si de telles adaptations sont nécessaires, pourront-elles être financièrement encaissées dans les filières où le prix de vente couvre à peine le coût de revient ? Mais la véritable inquiétude vient de l'incertitude concernant l'avenir de la Politique agricole commune. Le ministre de l'Agriculture, Michel Barnier, s'est félicité d'avoir obtenu, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, un accord sur la réforme de la PAC. Après une nuit de négociations, les ministres européens ont accepté de "réorienter certaines aides", ce qui aidera l'agriculture à relever le défi de l'environnement et permettra de maintenir des outils de régulation des marchés.

Échec de Barnier Mais que deviendra cette politique après 2013, lorsque son budget sera renégocié ? Michel Barnier a échoué dans sa tentative de faire signer par ses collègues un texte promettant de maintenir une politique agricole "ambitieuse". Après le refus du Royaume-Uni, de la Suède et de la Lettonie, l'accord adopté vendredi 28 novembre précise seulement que l'UE devra conserver après 2013 une politique agricole commune « suffisamment ambitieuse». Cet échec est un avant-goût de la renégociation budgétaire de la PAC, qui consomme actuellement 53 milliards d'euros, soit environ 40 % des ressources communautaires. Et c'est l'agriculture française, qui bénéficie de 10 milliards d'euros de subventions européennes, qui aura le plus à perdre. Après un demi-siècle d'une politique qui a maintenu l'agriculture française dans une logique de subventions et de soutien des prix, la sortie de la PAC sera particulièrement douloureuse. Et plus encore que la conjoncture, c'est sans doute cette incertitude sur l'avenir qui donne le "blues" à nos agriculteurs.

Guillaume CHATIZEL

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Dans une presse saturée de « people », quelques titres rompent heureusement avec les modes du temps : ainsi, la parution d’un dossier fort intéressant sur le capitalisme dans la livraison de septembre 2007 du « CHOC du Mois. » L’introduction de Bruno Larebiere évoque la dérive du capitalisme vers le totalitarisme. Rappelons nous Patrick Le Lay déclarant « Le métier de TF1, c’est de vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible »… De plus en plus, le système capitaliste actuel transforme « les chefs d’entreprises en serviteurs zélés, voire en esclaves dorés des actionnaires » (J.Peyrelevade). De nombreux libéraux constatent désormais les dégâts d’un système auquel ils n’apportent aucun remède n’osant s’attaquer aux racines du mal. . «La seule opposition tolérée est celle qui accepte de se manifester au sein même du système, en a intégré les règles et fait mine d’intervenir à la marge en continuant à croire aux vertus autorégulatrices d’un marché planétaire dont elle profite par ailleurs » Pour connaître les solutions et avoir le courage de les envisager, il faut aussi observer la vie de nos aïeux et comprendre, sans oublier la leçon maurrassienne de l’empirisme organisateur : « la vraie tradition est critique ». Au regard des expériences passées et des conditions actuelles de l’économie et des modes de vie qui régissent les relations sociales, il faut faire un choix de société : soit le Libéralisme anglo-saxon, soit la société communautaire protectrice garantissant la qualité des produits et la défense de ses producteurs/consommateurs. Choisir entre la société mercantile des cadences infernales importées du Royaume Uni Hanovrien et la France humaniste des Corps de métiers. Jusqu’à la Révolution de1789, grâce à la volonté de ses rois, le travail de qualité fut préservé dans le respect de l’être humain. Etudiez l’histoire de la France Capétienne et découvrez comment maintes fois furent maintenues les règles de vie chrétiennes, les fêtes chômées, les privilèges spéciaux, les horaires de travail dans le respect des femmes et des enfants. Louis XV en son temps entendit les plaintes du peuple anglais soumis à l’esclavage industriel des puissances d’argent dans la complicité bienveillante de la couronne Hanovrienne usurpatrice. Cet esclavage vint en France grâce à la Révolution, dans les valises des « philosophes éclairés » et inonda notre pauvre pays exsangue des excès révolutionnaires. Le Libéralisme économique et la République, en définitive, ne font qu’un. Il serait chimérique de penser pouvoir garder l’un en excluant l’autre. « La Démocratie est la forme politique du capitalisme » affirmait avec raison Georges Bernanos. C’est d’ailleurs ce que beaucoup d’esprits n’ont pas compris, ou pas voulu comprendre… Le socialisme, né des excès du capitalisme et en réaction à ceux-ci, ne remet pas fondamentalement en question le système, c’est pour cela que sa critique reste stérile : les royalistes, eux, n’ont pas ce genre de timidité, comme le rappelle cet article du « Feu follet », revue des étudiants monarchistes des années 80: « Nous ne sommes pas les défenseurs du capitalisme. Le capitalisme est pour nous une création libérale qui non seulement désorganise l'économie et suscite des injustices mais qui, de plus, se trouve être le plus sûr soutien matériel de la Démocratie. Le capitalisme comme celle-ci instituent le triomphe de l'Or en détruisant la loi du sang ».

Le capitalisme contre le peuple

« Le premier effet d’une institution saine, c’est d’infléchir l’égoïsme individuel au service du bien commun et de faire coïncider dans la plus large mesure possible l’intérêt privé et le devoir social »

Gustave THIBON

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Dans ce dossier qu’il nous faudrait citer plus complètement, on trouve aussi une interview de Maurice Allais, prix Nobel d’économie 1988, qui souligne les dangers d’un mondialisme ne profitant « réellement qu’aux multinationales » ; Jean-Claude Martinez présente une théorie hardie des «droits de douane déductibles », beaucoup plus intéressants que la TVA sociale avancée par le gouvernement ; il rappelle qu’il existe une grande carte à jouer pour la francophonie si dans ces domaines nous participions aux demandes du Tiers monde. De grands débouchés s’ouvriraient pour nos ingénieurs, nos paysans, nos laboratoires et notre culture. Quelques pages présentent les anarcho-capitalistes ouvrant la « boite à pandore » de toutes les déviations humaines pour le plus grand bien des individualistes riches. On pourrait rapprocher cette théorie d’une maladie congénitale d’une certaine bourgeoisie détachée de tout esprit chrétien d’entraide et considérant la vie comme une jouissance absolue en préconisant, par exemple, « aux pauvres pour se refaire une santé (…) de vendre leurs organes sur le marché ! Et, si cela ne suffit pas, de mettre en vente leurs enfants pour survivre » (Rothbard). Bruno Wieseneck, dans un dialogue « père-fils » pas si imaginaire que cela, souligne les incohérences de cette génération post-68, celle qui veut « jouir sans contrainte » et, en somme, a renforcé puis « légitimé » ce que Mai 68 prétendait hypocritement combattre : «Il est interdit d’interdire de s’avilir : Mai 68 n’est pas une réaction anti-bourgeoise, tu le sais bien, elle représente au contraire le triomphe de la non-volonté, la fin de l’homme, la parousie du consommateur, la célébration hystérique de l’idéal petit-mec. L’ultralibéralisme est sorti tout armé de vos partouzes sinistres du Quartier latin. Ca ne gêne pas le bobo socialiste revendiqué que tu es de voir tous les anciens soixante-huitards gérer leur portefeuille boursier, mettre leurs enfants dans ce qui reste des écoles privées, appeler à l’ouverture des frontières pour faire rentrer encore plus d’immigrés tout en fuyant ces nouveaux esclaves du capitalisme dans des quartiers bien blancs et bien protégés ? Un long article d’Hervé Bizien rappelle opportunément comment les « Catholiques sociaux », pour la plupart monarchistes, luttèrent pour la justice sociale dans la France post-révolutionnaire .La révolution de 1789, avant même de guillotiner et massacrer le peuple, le spolia de ses organisations professionnelles et de son patrimoine corporatif (servant aux œuvres sociales) par les sinistres et très libérales lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791, véritables actes fondateurs de l’exploitation du prolétariat… La république interdit aux ouvriers de s’associer, diminua les salaires et obligea femmes et enfants aux travaux pénibles (14 heures par jour…) pour subvenir au salaire du mari. Celle-ci supprima aussi les fêtes religieuses et institua le Décadi, semaine de 10 jours de travail sans repos, sans doute pour mieux appliquer la formule de Benjamin Franklin, « le temps c’est de l’argent »…(selon Alain Decaux nous avions pratiquement autant de jours de repos avant 89 qu’aujourd’hui). Contre cela les royalistes (dont la doctrine peut se résumer par cette formule : « social parce que royaliste ») s’opposèrent et se battirent contre les lois ignobles pour restaurer un semblant de législation sociale et humaine dans ce système qui ne l’était plus… « Quoi ! En moins de deux mois, un seul entrepreneur aurait pu réaliser trente mille francs de bénéfice net, et il s’étonne que les ouvriers auxquels il aurait dû ces immenses profits réclament dix centimes de plus par heure ! » (Berryer)

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Rappelons pour finir que La Tour du Pin reste d’une actualité brûlante : « l’objet de l’économie politique est d’organiser le monde de l’utile conformément à la justice et en vue du bien commun». Déjà il s’indignait des délocalisations : « …là où il (le capitaliste) trouvait la main-d’œuvre ou la matière première à meilleur marché.» Albert de Mun en 1841 proposait déjà une législation internationale, « …l’adoption d’une législation internationale qui permette à chaque Etat de protéger l’ouvrier,sa femme et son enfant,contre les excès du travail,sans danger pour l’industrie nationale ». On y voit une préoccupation humaniste bien plus réelle que celle des tenants des droits de l’homme. François-Laurent Balssa nous explique plus loin dans ce numéro si riche et si utile pour le combat social monarchiste comment le néo-libéralisme est en fait un retour aux sources des théories du XVIIIème siècle : « Tel est le legs d’Hayek et de sa famille. Une société sans Etat, des nations sans frontières et un corps social sans abri. » Et Jacques Cognerais d’expliquer la progression du régime de l’économie et des finances avec Jean-Jacques Servan Schreiber, Pompidou et Giscard : « Avec Foutriquet au pouvoir, l’argent ne trouvera aucun obstacle : dans la période d’attente et de détour, tant que la France n’est pas encore le rien promis pour l’an deux mille, l’internationale de cet argent, les sociétés multinationales entre autres, n’auront à redouter aucune intrusion un peu sérieuse d’un Etat qui abdique ses droits régaliens, la défense du pauvre comme l’indépendance nationale, ce qui n’empêche en rien l’exercice solitaire de sa tyrannie.» (Pierre Boutang ). En somme, et c’est la grande leçon que l’on peut tirer de cette lecture du « Choc du mois » de septembre dernier, rien de social ne pourra se faire sans une politique d’Etat digne de ce nom, sans un Etat conscient de ses devoirs et prêt à les assumer, pour le bien des Français : si le mot n’apparaît pas explicitement dans cette revue, nous pouvons, quant à nous, le souffler aux rédacteurs de ce dossier : la Monarchie…

Frédéric WINKLER

"La loi du travail est le fondement de toute l'économie sociale, parce qu'elle est la loi même de la vie humaine. Cette vie, en effet, ne s'entretient physiquement et intellectuellement qu'au prix d'une série continuelle d'efforts, et chacun de ces efforts est pénible. Malheur à la famille, malheur à la classe, malheur à la société qui parvient à se soustraire momentanément à la loi du travail. Mais malheur aussi à l'enseignement qui méconnait l'esprit et le but de cette loi fondamentale de l'économie sociale, et qui définit celle-ci la science des richesses, "la chrématistique". Non. Le travail n'a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l'homme, et la condition essentielle d'un bon régime du travail est de fournir en suffisance d'abord au travailleur, puis à toute la société, les biens utiles à la vie. De tous les régimes du travail en cours dans l'humanité, y compris le régime servile, nul ne donne moins de garantie à l'accomplissement des fins providentielles que celui dit "de la liberté du travail", qui est propre à la société moderne. La concurrence illimitée, qui en est le ressort, subordonne en effet les relations économiques à la loi dite de l'offre et de la demande, loi qui fonctionne précisément à l'inverse de la loi naturelle et divine du travail, puisque par son jeu, la rémunération du travail salarié est d'autant plus faible que le besoin de la classe ouvrière est plus intense. Elle est donc absolument barbare. C'est pourtant là ce que n'ont pas encore montré les chaires dites de la Science. Le régime de la liberté du travail n'est d'ailleurs pas plus profitable au patron qu'à l'ouvrier, parce qu'il entraîne, pour l'un comme pour l'autre, la même insécurité par suite de la même tyrannie. Il n'est pas davantage profitable à la société, où il engendre les haines de classe et prépare les bouleversements en mettant les intérêts en antagonisme au lieu de les harmoniser."

René de la Tour du Pin

La loi du travail

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Dans une intervention télévisée consacrée au pouvoir d’achat des Français, le président de la République a ouvert la porte à une remise en cause du repos dominical. Le gouvernement prépare une évolution législative en ce sens. Alors que la France traverse une crise grave qui appelle des remèdes appropriés, le prince Jean dénonce ce qui serait une atteinte à l’équilibre de notre société. Faut-il généraliser le travail le dimanche ? Évidemment non. Et je constate avec bonheur que bon nombre de Français, quelles que soient leurs convictions, quelles que soient leurs responsabilités, se prononcent contre un projet dont les conséquences seraient économiquement et socialement néfastes. - économiquement, rien ne permet d’affirmer que cette mesure créera de l’emploi. Il faut redouter, au contraire, qu’elle ne mette en péril les commerces de proximité et de centre-ville, dont beaucoup souffrent déjà de la concurrence de la grande distribution. Il faut aussi redouter que les salariés n’en tirent aucun profit réel et qu’à terme leur pouvoir d’achat n’y gagne rien : tôt ou tard, les entreprises reprendront dans la semaine ce qu’elles auront donné le dimanche. - Mais surtout cette mesure mettrait en péril l’équilibre des familles, trop négligé par les pouvoirs publics. Elle précipiterait la désagrégation des communautés naturelles et, finalement, de la société en gênant l’organisation d’activités non marchandes essentielles à l’équilibre – et au bonheur – des hommes et des femmes de notre pays : rencontres sportives, manifestations associatives, repas de famille, loisirs culturels, sans omettre les pratiques religieuses. L’objection que seuls les volontaires pourront travailler le dimanche ne tient pas. Au contraire, les chefs d’entreprise seront incités à privilégier l’embauche de demandeurs d’emploi prêt à travailler le dimanche sur ceux qui ont charge de famille et veulent s’occuper de leurs enfants ce jour-là. C’est la logique économique qui prévaudra sur l’intérêt de la société. Il existe bien d’autres façons de relancer l’activité économique sans que les Français attachés à leur vie de famille en fassent les frais. Le taux d’occupation des jeunes et des seniors, on le sait, est l’un des plus faibles d’Europe. C’est un gâchis. Voilà un point sur lequel l’Etat doit peser de tout son poids : réformer le système éducatif de sorte que les jeunes convenablement formés qui arrivent sur le marché du travail n’y trouvent pas que des portes closes ; et favoriser l’emploi des « seniors » dont les entreprises se séparent trop souvent après 50 ans alors qu’ils sont à un niveau optimal de compétence et d’expérience. Mais la question du travail le dimanche – après celle du lundi de Pentecôte – n’est pas seulement une question économique : c’est un choix de civilisation. Ne privons pas les hommes et les femmes de notre pays du droit de se reposer, à l’issue d’une semaine de travail souvent difficile. Ne privons pas les parents et les enfants du bonheur de se retrouver en famille. Ne privons pas les croyants de la faculté de pratiquer leur religion. Ne soumettons pas nos vies à la tyrannie de l’argent-roi et du time is money. Parce que l’homme est bien plus qu’un consommateur, parce que la vie respecte le travail, mais est aussi bien plus que le travail, sauvons le dimanche.

SAR Jean d’Orléans Duc de Vendôme

Sauvons le dimanche !

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Dans un de ses premiers livres – Retour au réel, je crois – Gustave Thibon raconte qu’un jour il avait prêté les travaux et les jours du poète grec Hésiode à un vieux paysan de ses voisins et, qu’en lui rendant l’ouvrage ce dernier avait dit : « C’est curieux mais ces paysans qui vivaient il y a plusieurs millénaires pensaient et agissaient exactement comme nous il y a quelques années. C’est seulement depuis peu de temps que tout a changé. » Je cite de mémoire car c’est un vieux souvenir de lecture et je n’ai plus le texte de Thibon sous les yeux mais je n’en trahis certainement pas l’esprit et je trouve cette réflexion admirable parce que profondément juste. Pendant plusieurs dizaines de siècles, du roi-laboureur d’Eleusis à qui Cérès enseigna l’art de se servir de la charrue et la culture du blé jusqu’aux paysans du XXème siècle qui surent, à travers les générations et sur le même terroir, maintenir la fertilité de la terre et l’harmonie du paysage en passant par les moines défricheurs du Moyen-Âge, les manants du XIIIe siècle (le siècle d’or français) et les premiers agronomes de terrain des XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire tous ceux qui ont vraiment édifié la civilisation occidentale, tous ont respecté la nature et n’ont jamais transgressé ses lois. Rome est née des paysans du Latium et c’est d’un sillon de charrue que Romulus traça les limites de l’Ager Romanus. Celui-ci fut à la base de la croissance de la Ville et, tant qu’il y eut des paysans pour cultiver l’Ager, il y eut des citoyens sages et honnêtes pour gérer dignement l’Urbs et assurer sa grandeur. L’agriculture a une large part dans la littérature latine, Virgile bien sûr, mais aussi Pline l’Ancien qui consacra une grande partie de son Histoire naturelle à l’agriculture et surtout à la viticulture et Columelle dont le Traité de jardinage lorsqu’on le dépouille de l’emphase mythologique que le poète a cru devoir développer avec un peu trop de préciosité, se lit encore aujourd’hui avec intérêt, voire profit, tant les techniques qu’il expose ainsi que la culture des différents légumes (bien plus nombreux et variés qu’aujourd’hui) nous semblent familières. Columelle nous avertit aussi que les écrits des agronomes sont moins propres à former un agriculteur qu’à instruire celui qui l’est déjà, que l’expérience compte plus que le savoir livresque et que, pour sa part, il a été instruit surtout par la pratique (1). José-Maria de Hérédia a, lui aussi, joliment célébré l’Ager Romanus en quelques sonnets réunis sous le titre Hortorum Deus où le poète souligne justement la relation naturelle et obligée de cause à effet entre la qualité du travail agricole, l’honnêteté et l’aisance de la famille paysanne :

Les fils sont beaux, la femme est vertueuse et l’homme Chaque soir de marché fait tinter dans sa main Les deniers d’argent clair qu’il rapporte de Rome.

Puis vint la décadence. Rome s’écroule sous les coups des Barbares certes mais ceux-ci ne sauraient faire oublier l’effondrement de l’intérieur dont la première cause est l’abandon de l’agriculture. L’Ager Romanus cultivé avec amour par la famille évoquée dans les vers de hérédia fait place à des grands domaine livrés à des intendants cupides et cultivés par des esclaves irresponsables préfigurant, au-delà des siècles, le kolkhose soviétique. Tandis que les campagnes se dépeuplent, les villes – et surtout la Ville – croissent démesurément. Y afflue une population instable, désoeuvrée, manipulée, assistée par un Etat bureaucratique […]. Les mœurs se corrompent, la natalité s’effondre et alors, mais alors seulement, les Barbares portent le coup de grâce.

Paysannerie et civilisation

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Mais voici la renaissance et quels en sont les artisans ? Les moines qui reprennent à la friche les terres abandonnées et, en même temps, évangélisent les Barbares, moines défricheurs des âmes et du sol, tant il est vrai qu’agriculture et civilisation vont de pair et cette dernière atteint maintenant son sommet avec la chrétienté. Avec l’agriculture renaissent aussi les structures politiques qui assurent l’ordre : l’empire carolingien est l’Etat rural par excellence où la vie spirituelle, politique et économique s’organise autour des villae, centres d’activité agricole, donc de civilisation. Quatre cents ans plus tard la France connaît son siècle d’or avec saint Louis, siècle de paix où l’agriculture prend son essor. C’est l’affranchissement des serfs, les progrès techniques, l’organisation des communes et des paroisses, les grandes foires de dimension internationale. Les conditions de vie s’améliorent: « Les chaumières, encore mal bâties, contiennent des bahuts, des lits, du linge dans des coffres solides et, sur la table, le porc et la volaille alimentent les familles où règnent la bonne humeur et la gaieté » (2). Voilà vraiment que la France paysanne explose, la paysannerie est la source vive où se renouvellent sans cesse les élites, mouvement ininterrompu pendant des siècles qui caractérise la société d’Ancien Régime. C’est pourquoi, avec la disparition de la paysannerie, la société cesse de se renouveler et s’étiole. Mais de nouveau malheurs accablent la France : la guerre de Cents Ans et les campagnes livrées aux Grandes Compagnies. Après un siècle de paix relative, de Charles VII à François Ier, vint la plus grande catastrophe européenne avant la révolution française : la réforme. Luther, fléau de l’Europe, après avoir fait massacrer des milliers de paysans en Allemagne, allume en France la guerre civile dont les paysans furent les principales victimes. Mais, de nouveau, c’est le redressement : Henri IV, Sully, Olivier de Serres. Le seigneur de Pradel est un huguenot modéré qui essaie de toute son autorité d’arrêter la guerre civile dans son Vivarais natal qui s’est donné à la réforme et ne désarme pas malgré l’Edit de Nantes. Et c’est un peu l’échec de ses tentatives de conciliation face à des adversaires fanatiques qui le fait se replier sur son domaine de Pradel où il s’adonne à l’agriculture. Ce vaste domaine, fondé en 1284 par Philippe III le Hardi, devint alors un véritable laboratoire d’agronomie, non pas à la manière irresponsable dont l’INRA fait ses expériences avec l’argent des contribuables, mais à la manière du bon père de famille qui fait fructifier son domaine et considère que la campagne est le seul endroit où l’on peut pratiquer l’art de vivre « honnestement ». Les observations et les travaux d’Olivier de Serres ont donné naissance au Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, chef- d’œuvre immortel de la littérature agricole qu’on ne se lasse pas de relire. Sur le plan politique il faut noter la rencontre des préoccupations agricoles du seigneur du Pradel avec celles d’Henri IV engagé dans la voie de la reconstruction de la France. Cela « illustre un de ces rares moments dans l’Histoire où l’intérêt porté à une activité fondamentale converge très exactement avec la politique d’un gouvernement. La parution au mois de juillet 1600 du Théâtre d’agriculture représente, tant pour nous qu’aux yeux des contemporains, cette chance exceptionnelle que rencontra Henri IV de voir ses efforts pour rétablir l’agriculture secondés par l’ouvrage d’un homme qui, paradoxalement, avait pratiqué et étudié l’agriculture, consigné le fruit et les expériences de son savoir et milité en faveur du protestantisme précisément pendant le temps des guerres de religion dont le Roi, après un demi-siècle de troubles, s’engageait à réparer les immenses désordres (3) ». Il est très rare en effet qu’un gouvernement français s’intéresse à l’agriculture sans arrière-pensée, uniquement parce qu’il considère celle-ci, non seulement comme la source du ravitaillement, mais aussi comme la pierre angulaire d’une société harmonieusement organisée. […].

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Le XVIIe siècle n’est pas très favorable à l’agriculture. Colbert la voit avec des yeux d’industriel c’est-à-dire qu’il n’y comprend rien : « Toutes ses préférences vont à l’industrie aliment principal du commerce. Mais pour que l’industrie française puisse lutter contre l’étranger il faut que les salaires soient bas c’est-à-dire que le pain ne coûte pas trop cher et que les paysans ne s’enrichissent pas trop vite » (4). Avec trois cents ans d’avance on dirait le plan Rueff-Armand ! L’agriculture retient à nouveau l’attention des élites dans la seconde moitié du XVIIIe siècle avec l’école physiocratique pour qui toute richesse vient de la terre. En Anjou on garde le souvenir du marquis de Turbilly qui rénova l’agriculture du Baugeois. Après la révolution et l’empire, premier génocide paysan avec la Vendée et les guerres impériales, la Restauration, la Monarchie de juillet et le second empire sont marqués par l’intérêt que portent les propriétaires terriens à leur domaine. C’est l’époque de l’anglomanie et l’on introduit des races anglaises bovines et ovines réputées devoir améliorer le cheptel national. Ce n’est pas toujours évident mais le XIXe siècle est le grand siècle de l’élevage avec la sélection des races et la création des herd-books. Une fructueuse collaboration s’établit entre propriétaires et métayers et, à la veille de la Grande Guerre, second génocide paysan, la France est une grande nation agricole et, grâce à l’agriculture, une nation riche. Et maintenant ? […], la politique agricole de la Ve république est devenue nettement anti-paysanne tandis que l’industrialisation de l’agriculture transformait la société traditionnelle et aussi l’environnement par la destruction des bocages, la pollution des eaux, la disparition irréversible d’espèces animales et végétales. Voilà aussi des effets de l’abandon de l‘agriculture naturelle dont on ne mesure pas encore les conséquences mais qui peuvent se révéler terrifiants. Ce n’est pas sans raison que la Communauté Economique européenne par s’occuper de l’agriculture : pour la transformer en industrie, en faire un objet de commerce international et supprimer les paysans. Evoquant les trente ans de la CEE, Yves Daoudal écrivait : « Cette fameuse politique agricole commune est en effet quasiment synonyme de CEE donc d’Europe : 88% des dépenses communautaires concernent l’agriculture. Et malgré ces énormes dépenses le revenu agricole continue de baisser, l’exode rural se poursuit sous l’œil satisfait des technocrates européens qui ont juré la fin des paysans pendant que des stocks gigantesques de beurre et de viande s’accumulent à l’heure où des gens meurent de faim dans le Tiers-monde et où, dans nos pays même, se développent de nouvelles soupes populaires (5) ». Plus de paysans, une société éclatée, une population laminée par le socialisme, les Barbares sont dans la place et une Eglise « nouvelle » semble douter de sa mission civilisatrice. (1) COLUMELLE, De l’Agriculture, dans l’édition bilingue publiée sous le patronage de l’association Guillaume Budé. (2) LEVIS MIREPOIX, Le roi n’est mort qu’une fois, Paris, 1936. (3) CORINNE BEUTLER, Préface au Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Editions Dardelet, Grenoble, 1973. (4) PIERRE GAXOTTE, La France de Louis XIV, Paris, 1946. (5) Présent, 26 mars 1987.

L’agriculture assassinée de Jean-Clair Davesnes - édition de Chiré

« La honte des républiques et des empires, le crime des crimes sera toujours d’avoir tiré un paysan de la paix doré de ses champs et de sa charrue et de l’avoir enfermé entre les murs d’une caserne pour lui apprendre à tuer un homme »

Anatole FRANCE

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