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Cabinet d’Avocats
LETTRE D’INFORMATION n°31
NOS ACTUALITES
Vincent Courcelle-Labrousse a publié un commentaire
d’un arrêt de la Cour de cassation du 13 juin 2019
(pourvoi n°18-83.297 cf. notre Lettre d’information n°
30) intitulé « Article 60 du Code des douanes : droit de visite
mais pas d’audition » à l’AJ Pénal d’octobre 2019 (p. 512).
Il est intervenu le 11 décembre 2019 à l’Ecole Nationale
de la Magistrature lors de la session de formation
continue des magistrats consacrée à « la preuve pénale :
évolutions, controverses et perspectives » sur le thème de
« la preuve devant les juridictions internationales ».
ACTUALITES DE LA LOI DE FINANCES
2020
Nous rendrons compte des débats parlementaires dans
une Lettre d’information spéciale n° 32, concernant la
Douane. L’actualité de cette matière est dominée par
d’importants transferts de compétences de la Douane
au profit de la Direction Générale des Finances
Publiques qui vont s’échelonner jusqu’en 2024. La loi de
finances rectificative pour 2019 a déjà été publiée (loi
n° 2019-1270 du 2 décembre 2019). Cette loi ne porte
plus que sur les comptes de fin d’année, sans procéder
aux multiples modifications des règles de fond et de
procédure de dernière minute qu’on notait auparavant.
Cette réarticulation entre les contenus des lois de
finances a été décidée en 2018.
LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE EST
LE COROLLAIRE DU DROIT A UN PROCES
EQUITABLE - TVA
Une affaire de fraude à la TVA a donné à la CJUE (16
octobre 2019 aff. C-189/18) une occasion de revenir sur
le principe du contradictoire et le lien étroit que ce
principe entretient avec un autre principe essentiel du
droit communautaire, consacré par l’article 47 de la
Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, le droit à un
recours juridictionnel effectif.
La société qui avait saisi la Cour s’était vu notifier un
redressement de TVA en Hongrie car ses propres
fournisseurs avaient été impliqués dans une fraude à la
TVA. Les autorités fiscales avaient terminé leur enquête
et pris des décisions devenues définitives contre ces
fournisseurs. Elles avaient ensuite soumis des résumés
des constatations à la société sans lui communiquer les
pièces.
La CJUE a rappelé que le principe du contradictoire est
fondamental, le « droit d’être entendu », doit s’exercer
de manière concrète et effective (point 41). La Cour de
Justice confronte ce droit à la nécessité d’assurer la
sécurité juridique, notamment en vue de ne pas
remettre en cause les décisions précédemment
adoptées et devenues définitives (point 46). Cependant,
cette nécessité ne dispense pas l’administration fiscale
de faire connaitre ses preuves « à suffisance de droit » et
d’affronter ses critiques dans le cadre d’un débat (point
49).
La CJUE souligne que le corollaire de ce débat est que la
dernière société mise en cause ait « accès au dossier ».
Le défaut d’accès ne peut pas être régularisé pendant la
procédure judicaire subséquente (point 52). Cet accès
ne doit pas seulement concerner les éléments à charge,
mais aussi ceux à décharge que le redevable peut avoir
grand intérêt à invoquer (point 54).
Cet arrêt rappelle toutefois que le contradictoire n’est
pas une « prérogative absolue », mais « peut comporter des
restrictions, à la condition que celles-ci répondent
effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par
la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but
poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui
porterait atteinte à la substance même des droits ainsi
garantis » (points 43 et 55). La Cour inclut dans les
restrictions légitimes la protection du secret
professionnel ou des données personnelles, mais aussi
l’efficacité de l’action répressive. En revanche, un refus
intégral est prohibé (point 58).
Cabinet d ’Avocats
SEPTEM BRE—DECEM BRE 2019
Godin Associés -12 rue du Quatre-Septembre - 75002 Paris - +33 (0)1 44 55 38 83 www.godinassocies.com— [email protected]
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L’ensemble de ces droits tend à faire respecter le
« principe d’égalité des armes » visant à assurer un
« équilibre procédural » « ce qui implique l’obligation d’offrir
à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa
cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la
placent pas dans une situation de net désavantage par
rapport à son adversaire » (point 61). Il s’impose donc que
la juridiction vérifie que les preuves recueillies par
l’administration lors des précédentes procédures ont été
légalement obtenues. L’administration ne peut pas s’y
opposer en se déclarant liée par ses précédentes
constatations et décisions.
Cette décision émaillée de nombreuses références à la
jurisprudence de la Cour dans toutes les matières du
droit communautaire, dont douanière (cf. l’arrêt
fondateur Sopropé du 18 décembre 2008), illustre
l’importance du contradictoire dans ces affaires fiscales
et douanières. Cette décision confirme la vitalité de ce
principe dans la jurisprudence de la CJUE.
FISCALITE DE l’ENERGIE
Dans le domaine de la fiscalité énergétique, un
arrêt Petrote l-Lukoil du 7 novembre 2019 de la CJUE
(aff. C-68/18) statue sur le « régime des utilités »
bien connu en fiscalité pétrolière. Dérivé de
l’anglais « utilities » (énergie disponible pour une
production), ce régime permet d’exonérer les
produits énergétiques utilisés pour la production
d’autres produits énergétiques au sein de
l’installation (ex : raffinerie). L'article 21 § 3 de la
directive sur la taxation de l’énergie (DTE)
n° 2003/96/CE du 27 octobre 2003 organise ce
régime.
Un problème pratique a été posé par une société
roumaine qui produisait une énergie thermique
dans son installation équipée d’un groupe turbo
alternateur (GTA) générant de la vapeur d’eau
surchauffée et de l'électricité par cogénération. La
CJUE a jugé que le passage de l’énergie par le GTA
n’était pas de nature à faire échec au « régime des
utilités » (point 32), confirmant la faveur qui
s’attache au régime de la cogénération (cf. arrêt
Cristal Union du 7 mars 2018 cf. notre Lettre
d’information n° 27). Le fait que l’énergie soit
transformée dans le « produit intermédiaire » qu’est
la vapeur ne pose aucun problème.
En revanche, la CJUE a refusé d’étendre le « régime
des utilités » à la production d’électricité, même si
ce fluide concourt en définitive à fabriquer les
produits énergétiques. La Commission
européenne y était pourtant favorable pour
simplifier les processus. La CJUE met
essentiellement en avant la protection du marché
intérieur contre les distorsions de concurrence.
L'électricité bénéficie toutefois du régime
d’exonération accordé aux produits utilisés pour la
fabriquer, dans le cadre de l’application désormais
traditionnelle de l'article 14 § 1 a) de la directive de
2003. L'électricité est taxée au niveau de
l’autoproducteur.
Un second enseignement de l’arrêt réside, au-delà
du « régime des utilités », dans les conséquences
d’une absence de demande de « classement
fiscal » (décision sur le régime de fiscalité des
accises à appliquer). Il était reproché à l’exploitant
roumain de n’avoir pas contacté l'administration
sur la fiscalité du combustible utilisé dans le GTA
qui était un « mazout semi-fini ». L’autorité
roumaine avait sanctionné la société en lui
appliquant le taux le plus élevé de fiscalité, celui
du gazole, alors que le produit en cause avait une
composition très différente.
La CJUE rappelle sa jurisprudence Roz Swit du 2
juin 2016 (C-418/14, point 33) qui impose de taxer
des produits énergétiques « en fonction de leur
utilisation réelle ». Lorsque l’autorité ne trouve pas
le produit dans le tableau des produits taxables,
l'article 2 § 3 de la directive de 2003 lui permet
d’appliquer un « principe d’équivalence » en
utilisant le taux du produit jugé équivalent figurant
sur le tableau. La CJUE contrôle la manière dont ce
principe est appliqué. En l’espèce, elle a interdit à
l’Etat d’utiliser un barème de taxation « punitif ».
Cependant, le défaut de demande de « classement
fiscal » peut aboutir à une amende.
Dans une affaire UPM sur l’autoconsommation
d’électricité, la CJUE a rendu une décision le
16 octobre 2019 (aff. C-270/18). Saisie par le
Conseil d'Etat (cf. notre Lettre d’information n° 27),
la CJUE devait statuer sur le point de savoir quelle
était la taxation minimale à appliquer à
l’autoproduction de l'électricité pour la période
2004-2008, pendant laquelle la France avait
obtenu une dérogation pour ne pas appliquer
complètement la directive de 2003 sur la taxation
de l'électricité. Selon la France, le gaz utilisé par la
société UPM devait être taxé car le régime
national dérogatoire de 2004 (à base de taxes
locales) ne s’appliquait pas à l’autoproduction.
La France en déduisait que si l'électricité
autoproduite était détaxée, le gaz utilisé devait bel
et bien être taxé, de sorte que la TICGN (taxe
intérieure de consommation sur le gaz naturel)
recouvrée en son temps était bien fondée.
SEPTEM BRE—DECEM BRE 2019
Godin Associés -12 rue du Quatre-Septembre - 75002 Paris - +33 (0)1 44 55 38 83 www.godinassocies.com— [email protected]
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La CJUE n’a pas suivi la France mais a répondu
que seule l’exonération obligatoire de taxation
des produits énergétiques servant à produire
l'électricité (article 14 § 1 a) de la directive)
s’appliquait (point 51) dès cette époque. Cette
règle avait été reconnue d’« effet direct » et
invocable de longue date, notamment dans l’arrêt
Cristal Union précité. Ce principe étant posé, la
France ne pouvait pas taxer le gaz affecté à la
production d’électricité autoconsommée en 2004
-2008, faute d’avoir - en contrepartie - transposé
la possibilité d’exonérer les « petits producteurs »
d’électricité, ce qu’elle n’a fait que par la nouvelle
taxe intérieure de consommation finale
d'électricité (TICFE) créée par la loi « NOME » n°
2010-1488 du 7 décembre 2010.
Par arrêt du 18 décembre 2019 (req. 399 794), le
Conseil d'Etat a appliqué la décision de la CJUE en
faveur de la société UPM : « les produits
énergétiques utilisés pour produire de l'électricité
bénéficiaient, au cours de la période transitoire visée
par l'article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la
directive [2003/96/CE], de l'exonération prévue par
son article 14, paragraphe 1, sous a), sans qu'y fasse
obstacle, le cas échéant, la circonstance que
l'électricité produite ne fasse l'objet d'aucune
taxation. »
CONTRIBUTIONS INDIRECTES
En matière de « contributions indirectes » (par exemple,
la fiscalité sur les jeux et lotos), une règle pénale fort
ancienne mais fort peu altérée impose la confiscation
des marchandises en situation d’irrégularité. Le juge
pénal peut certes en dispenser le redevable pour
autant que celui-ci soit condamné à acquitter en lieu et
place une somme que le Tribunal arbitre. Le juge est
néanmoins tenu de fixer une somme à ce titre et toute
omission est sanctionnée par une cassation (Crim.
11 septembre 2019 pourvoi n° 18-80.253). En revanche,
le juge n’est pas tenu par les calculs des agents des
douanes (Crim. 11 septembre 2019, pourvoi n° 17-
86.230). S’il le faut, une mesure d’instruction doit être
ordonnée pour chiffrer et/ou vérifier la demande de la
Douane (Crim. 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-81.844).
EXONERATION EN CAS D’EXPORTATION -
TVA
Dans un arrêt Unite l s.p. z.o.o du 17 octobre 2019 (aff. C
-653/18), la CJUE a examiné une exportation
frauduleuse depuis la Pologne. La seule certitude était
que les biens avaient quitté le territoire fiscal polonais
et de l’Union vers l’Ukraine. Cependant, le nom du
destinataire réel était inconnu, celui mentionné sur la
déclaration d'exportation n’ayant aucune activité
économique. La CJUE a jugé que la directive n°
2006/112/CE du 28 novembre 2006 n’impose pas que
le nom de l’acheteur soit connu.
La Cour invoque d’abord le principe de
proportionnalité : « une mesure nationale va au-delà de ce
qui est nécessaire afin d’assurer l’exacte perception de la
taxe si elle subordonne, pour l’essentiel, le droit à
l’exonération de la TVA au respect d’obligations formelles,
sans que soient prises en compte les conditions de fond et,
notamment, sans qu’il faille s’interroger sur le point de
savoir si celles-ci étaient satisfaites. » (point 27)
La CJUE rappelle ensuite (point 28) sa jurisprudence sur
la « neutralité fiscale », concept propre à la TVA :
« lorsque les conditions de fond sont satisfaites, le principe
de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit
accordée même si certaines exigences formelles ont été
omises par les assujettis » (cf. arrêt du 8 novembre 2018,
Cartrans Spedition, C‑495/17, point 39).
En revanche, l’exonération de TVA doit être refusée et le
droit à déduction de la « TVA d’amont » (acquittée par
l’exportateur à son propre fournisseur) remis en cause
« si l’absence d’identification du réel acquéreur empêche
d’établir la preuve que l’opération en cause constitue une
livraison de biens, au sens de cette disposition [l’article 146,
§ 1, sous a) et b), de la directive de 2006], ou s’il est établi
que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que cette
opération était impliquée dans une fraude commise au
détriment du système commun de la TVA. » (nous
soulignons).
La CJUE rappelle ainsi que la participation consciente à
une fraude à la TVA peut rendre ses complices
responsables du paiement de la taxe : selon un
communiqué de la Commission (direction générale
« TAXUD ») du 4 septembre 2019, la fraude à la TVA a
coûté 137 milliards d’euros de non-recettes en 2017
aux Etats membres !
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DROITS DE DOUANE
Dans une affaire portant sur une demande de
remise de droits de douane, un arrêt Prenatal du
29 juillet 2019 (aff. C-589/17) de la CJUE a statué
sur une question préjudicielle concernant la
portée d’une décision de refus de demande de
remise qui avait été notifiée en 2008 à un
importateur puis opposée à l’importateur
espagnol Prenatal au motif que les deux dossiers
étaient identiques. Normalement, ce type de
décision notifiée par la Commission à un
importateur est directement contestée par celui-
ci devant le Tribunal de l’UE, ce qui n’avait pas été
le cas.
Il s’agissait d’une affaire sur l’origine préférentielle
de textiles en apparence fabriqués à la Jamaïque
de 2002 à 2005. Une enquête communautaire
sur place en 2005 avait conduit à l’invalidation
des certificats d’origine préférentielle.
L’importateur visé par la décision de 2008 a su se
tirer d’affaire (apparemment à la suite d’une
erreur procédurale de la Douane espagnole),
puis Prenatal a été confrontée à cette décision
défavorable qui analysait la situation existant à la
Jamaïque à l’époque des faits et les
responsabilités des acteurs.
Invoquant l'article 220 § 2 b) du code des
douanes communautaire, le premier importateur
communautaire avait tenté d’obtenir la remise de
la dette douanière en se prévalant de l’« erreur
des autorités compétentes » locales. En droit,
cette erreur fait obstacle au recouvrement, sauf
si elle a été provoquée par des déclarations
incorrectes des exportateurs. L’erreur reste
admise s’il était évident que les autorités locales
avaient connaissance des fraudes. C’est ce que la
société Prenatal s’était attachée à démontrer à
son tour, sans succès.
La Cour a examiné minutieusement les éléments
de preuve, fait par fait, et les a rejetés l’un après
l’autre, rien ne remettant en cause, selon elle, les
conclusions de la décision de 2008 qui est
opposable à Prenatal. Par ailleurs, la gestion de
l’accord commercial avec la Jamaïque par la
Commission est déclarée normale, excluant
toute « situation particulière » (au sens de l'article
239 du même code, la « clause d’équité »), base
juridique invoquée également en faveur de la
demande de remise par les deux importateurs
successivement.
Ce contrôle impitoyable explique que le
contentieux des demandes de remise de la dette
douanière, si vivant dans les années 1990, se
tarisse inexorablement. Ainsi l’arrêt Combaro
(notre Lettre d’information n° 24 de septembre
2017) du Tribunal de l’UE, qui statuait pour une
fois en faveur de l’importateur, a été annulé par
la CJUE en cassation (cf. notre Lettre n° 28 d’aout
2018). Les décisions favorables deviennent rares.
Concernant le classement tarifaire, un arrêt de la
CJUE du 5 septembre 2019 TDK-Lambda
Germany GmbH (aff. C-559/18), a classé des
convertisseurs statiques qui sont des
composants électroniques dits « alimentations
électriques stabilisées » sous la position 8504 40
30. La Cour exploite le libellé de la position qui
vise les convertisseurs statiques « du type utilisé
avec les appareils de télécommunication, les
machines automatiques de traitement de
l’information et leurs unités ».
La CJUE n’accepte le classement de ces
convertisseurs sous cette position 8504 40 30
que « si leur destination essentielle est d’être utilisés
avec ‘ des appareils de télécommunication ou des
machines automatiques de traitement de
l’information et leurs unités’ au sens de la cette sous-
position » [8504 40 30]. La Cour faisant
remarquer que les convertisseurs importés
sembleraient avoir bien d’autres utilisations que
celles citées, le juge national devra vérifier ce
point. Il est donc possible que l’importateur, qui
avait retenu cette position tarifaire 8504 40 30
contre l'administration néerlandaise, n’obtienne
pas satisfaction en définitive.
SEPTEM BRE—DECEM BRE 2019
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