41
B.2 La Résistance dans l'Aisne B.2.1 Simone Weil, zone interdite et premier contact avec la Résistance Pène avait été nommé Ingénieur en chef des ponts et chaussées à Laon le 23 novembre 1939 tout en gardant sa fonction d'ingénieur ordinaire à Soissons jusqu'au 16 février 1941. Cette double fonction surprend mais n'oublions que c'était la guerre. Après la démobilisation, il va retrouver sa famille réfugiée à Cier de Rivière, au pied des Pyrénées, dans la maison familiale. Puis il rejoint son poste à Laon. Les lois anti-juives et Simone Weil Pendant la débâcle il avait déjà ressenti fortement le désir de poursuivre la lutte. Nous l'avons dit, les lois anti-juives de Vichy ont vite éclairé Pierre et Françoise Pène. Quand ils se sont retrouvés à Cier ils étaient d'accord sur la nécessité de résister. Parlant des lois anti-juives, la philosophe Simone Weil en fut une victime. Elle était apparentée à Françoise Pène de la façon suivante : L'oncle paternel de Françoise était marié à la tante maternelle de Simone Weil. Simone Weil est morte en Angleterre le 24 août 1943. Françoise a reçu de la mère de Simone des copies de lettres écrites par elle [133]. La lettre du 18 octobre 1941 « remerciement ironiques … » porte justement sur le fait que Simone, normalienne, n'a pas été admise comme professeur du fait de la loi du 3 octobre 1940 qui exclut les juifs de la fonction publique. Cette lettre est d'une ironie cinglante. Elle dit qu'on l'avait ainsi obligée à rejoindre la terre et de fait elle a vendangé et pratiqué d'autres activités agricoles, pour lesquelles elle remercie le destinataire qui n'est pas mentionné. Il s'agit de Xavier Vallat, responsable du Commissariat aux questions juives dans le gouvernement de Vichy. En effet la date et un extrait coïncident avec ce qui est donné dans la référence [134] p 971. Elle écrit aussi à Georges Bernanos dont elle était politiquement aux antipodes, elle de gauche et lui de droite, à propos de la guerre civile en Espagne. Cette lettre est mentionnée dans la référence [134] p 405 comme datant du 22 mai1938. Elle cite le pamphlet de Bernanos « Les grands cimetières sous la lune », dans lequel celui-ci dénonce violemment les répressions franquistes. Elle décrit de nombreux exemples d'atrocités accomplies dans le camp de ceux qui lui étaient les plus proches, les anarchistes espagnols de la CNT-FAI (Confédération nationale du travail-Fédération anarchiste ibérique) dirigés par Durruti. Bernanos gardera cette lettre dans son portefeuille jusqu'à sa mort, nous a dit François L'Yvonnet sur France culture le 3 juillet 2019. Le père Perrin la met en contact avec Gustave Thibon, qui l'embauche comme ouvrière agricole et avec qui elle échange plusieurs lettres. Thibon a été proche de Vichy mais a refusé toute récompense de ce régime. Simone Weil a gardé une relation très amicale avec lui et lui transmet ses manuscrits en quittant Casablanca. Nous n'avons pas pu identifier les autres lettres de la référence [133]. Laon, la zone interdite, Roosevelt voulait découper la France On sait que les Allemands avaient partagé la France en une zone occupée, au nord de la Loire, et une zone « libre » au sud, sous le gouvernement de collaboration de Pétain. En outre, ils avaient annexé à nouveau l'Alsace-Moselle, ils avaient isolé une « zone rattachée » (Nord, Pas de Calais) une « zone interdite » le long de la frontière belge (nord de la Somme et de l'Aisne et ouest des Ardennes) et une « zone réservée » le long de la frontière allemande et Suisse, dont l'est des Ardennes (cf la carte [84]). « C’est donc pour préparer l’annexion d’une grande partie nord-est de la France, qu’Ostland {entité administrative mise en place par le Troisième Reich sur des territoires conquis en 1941}, dès 1940, est chargée de coloniser, de germaniser les zones interdite et réservée »[84]. Ajoutons une zone militaire littorale le long des côtes. Ce dépeçage de la France était un projet cher à Hitler. Pène pensait que le but de Hitler n'était pas d'annexer la zone interdite à l'Allemagne mais à un état flamand satellite de l'Allemagne. Longtemps après la guerre, Pène lit un livre de Anthony Eden, 1965 [18]. Dans ce livre, p 432, Eden rapporte une discussion qu'il avait eue en 1943 avec Roosevelt. Ce dernier envisageait l'avenir et décrit un projet, qu'il avait mentionné à Oliver Lyttelton quelques mois auparavant, d'un nouvel Etat nommé « Wallonia ». Il engloberait la partie wallonne de la Belgique, le Luxembourg, l'Alsace-Lorraine et une partie du nord de la France. Eden a « versé de l'eau, il l'espère poliment et le président n'est pas revenu sur le sujet »{I poured water, I hope politely, and the president did not revert to the subject } . Cette lecture rend Pène furieux contre Roosevelt : « j'apprendrai avec indignation que ce plan (le plan nazi d'un état flamand) était à peu près celui du président Roosevelt notre allié, l'homme dont une de nos plus belles rues porte le nom » [66] p 7. Qu'aurait-il pensé s'il avait su que le général américain Marc W. Clark avait signé le 22 novembre 1942 un

B.2 La Résistance dans l'Aisne

  • Upload
    others

  • View
    16

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: B.2 La Résistance dans l'Aisne

B.2 La Résistance dans l'Aisne

B.2.1 Simone Weil, zone interdite et premier contact avec la Résistance

Pène avait été nommé Ingénieur en chef des ponts et chaussées à Laon le 23 novembre 1939 tout en gardant sa fonction d'ingénieur ordinaire à Soissons jusqu'au 16 février 1941. Cette double fonction surprend mais n'oublions que c'était la guerre. Après la démobilisation, il va retrouver sa famille réfugiée à Cier de Rivière, au pied des Pyrénées, dans la maison familiale. Puis il rejoint son poste à Laon.

Les lois anti-juives et Simone Weil

Pendant la débâcle il avait déjà ressenti fortement le désir de poursuivre la lutte. Nous l'avons dit, les lois anti-juives de Vichy ont vite éclairé Pierre et Françoise Pène. Quand ils se sont retrouvés à Cier ils étaient d'accord sur la nécessité de résister.

Parlant des lois anti-juives, la philosophe Simone Weil en fut une victime. Elle était apparentée à Françoise Pène de la façon suivante : L'oncle paternel de Françoise était marié à la tante maternelle de Simone Weil.Simone Weil est morte en Angleterre le 24 août 1943. Françoise a reçu de la mère de Simone des copies de lettres écrites par elle [133]. La lettre du 18 octobre 1941 « remerciement ironiques … » porte justement sur le fait que Simone, normalienne, n'a pas été admise comme professeur du fait de la loi du 3 octobre 1940 qui exclut les juifs de la fonction publique. Cette lettre est d'une ironie cinglante. Elle dit qu'on l'avait ainsi obligée à rejoindre la terre et de fait elle a vendangé et pratiqué d'autres activités agricoles, pour lesquelles elle remercie le destinataire qui n'est pas mentionné. Il s'agit de Xavier Vallat, responsable du Commissariat aux questions juives dans le gouvernement de Vichy. En effet la date et un extrait coïncident avec ce qui est donné dans la référence [134] p 971.

Elle écrit aussi à Georges Bernanos dont elle était politiquement aux antipodes, elle de gauche et lui de droite, à propos de la guerre civile en Espagne. Cette lettre est mentionnée dans la référence [134] p 405 comme datant du 22 mai1938. Elle cite le pamphlet de Bernanos « Les grands cimetières sous la lune », dans lequel celui-ci dénonce violemment les répressions franquistes. Elle décrit de nombreux exemples d'atrocités accomplies dans le camp de ceux qui lui étaient les plus proches, les anarchistes espagnols de la CNT-FAI (Confédération nationale du travail-Fédération anarchiste ibérique) dirigés par Durruti. Bernanos gardera cette lettre dans son portefeuille jusqu'à sa mort, nous a dit François L'Yvonnet sur France culture le 3 juillet 2019.

Le père Perrin la met en contact avec Gustave Thibon, qui l'embauche comme ouvrière agricole et avec qui elle échange plusieurs lettres. Thibon a été proche de Vichy mais a refusé toute récompense de ce régime. Simone Weil a gardé une relation très amicale avec lui et lui transmet ses manuscrits en quittant Casablanca.

Nous n'avons pas pu identifier les autres lettres de la référence [133].

Laon, la zone interdite, Roosevelt voulait découper la France

On sait que les Allemands avaient partagé la France en une zone occupée, au nord de la Loire, et une zone « libre » au sud, sous le gouvernement de collaboration de Pétain. En outre, ils avaient annexé à nouveau l'Alsace-Moselle, ils avaient isolé une « zone rattachée » (Nord, Pas de Calais) une « zone interdite » le long de la frontière belge (nord de la Somme et de l'Aisne et ouest des Ardennes) et une « zone réservée » le long de la frontière allemande et Suisse, dont l'est des Ardennes (cf la carte [84]). « C’est donc pour préparer l’annexion d’une grande partie nord-est de la France, qu’Ostland {entité administrative mise en place par le Troisième Reich sur des territoires conquis en 1941}, dès 1940, est chargée de coloniser, de germaniser les zones interdite et réservée »[84]. Ajoutons une zone militaire littorale le long des côtes. Ce dépeçage de la France était un projet cher à Hitler. Pène pensait que le but de Hitler n'était pas d'annexer la zone interdite à l'Allemagne mais à un état flamand satellite de l'Allemagne.

Longtemps après la guerre, Pène lit un livre de Anthony Eden, 1965 [18]. Dans ce livre, p 432, Eden rapporte une discussion qu'il avait eue en 1943 avec Roosevelt. Ce dernier envisageait l'avenir et décrit un projet, qu'il avait mentionné à Oliver Lyttelton quelques mois auparavant, d'un nouvel Etat nommé « Wallonia ». Il engloberait la partie wallonne de la Belgique, le Luxembourg, l'Alsace-Lorraine et une partie du nord de la France. Eden a « versé de l'eau, il l'espère poliment et le président n'est pas revenu sur le sujet »{I poured water, I hope politely, and the president did not revert to the subject} . Cette lecture rend Pène furieux contre Roosevelt : « j'apprendrai avec indignation que ce plan (le plan nazi d'un état flamand) était à peu près celui du président Roosevelt notre allié, l'homme dont une de nos plus belles rues porte le nom » [66] p 7.

Qu'aurait-il pensé s'il avait su que le général américain Marc W. Clark avait signé le 22 novembre 1942 un

Page 2: B.2 La Résistance dans l'Aisne

accord avec l'amiral Darlan {ancien chef du gouvernement de Vichy, puis au pouvoir à Alger en 1942} mettant l'Afrique du Nord à la disposition des Américains et faisant de la France un pays vassal soumis à des capitulations [165] ?

Laon, où Pène devait exercer son métier, était donc dans la zone interdite. La famille habitait à Soissons dans la zone occupée. Les ingénieurs des ponts et chaussées, de par leur métier, doivent se déplacer dans le département. Pène a le privilège de distribuer les Ausweis (laisser-passer) et ses ingénieurs sont répartis sur tout le département, zone occupée et zone interdite [66] p 8.

Les centres de la WOL et la rafle de janvier 44

La zone interdite et la zone réservée subissaient un joug encore plus dur que la zone occupée. On peut voir la carte des zones annexées et interdites référence [84] {première page}.

La WOL (Wirtschaftoberleitung, Direction générale de l'agriculture, sous l'égide de l'Ostland, une entité administrative pour les territoires conquis par les nazis à l'est ) avait confisqué environ 170 mille hectares, dont 110 mille (199 centres) dans les Ardennes et 17 mille (27 centres) dans l'Aisne sous forme de 367 centres qui exploitaient la terre au profit de l'Allemagne [84] p 4. Chaque centre avait un « chef de culture ». Beaucoup de juifs réfugiés ont été utilisés dans ces fermes comme main-d'œuvre gratuite. Une grande rafle s'est déroulée du 4 au 7 janvier 1944 dans les Ardennes et en Picardie, et de nombreux juifs ont été envoyés dans des camps d'extermination. On estime, de façon probablement non exhaustive, qu'environ 160 juifs venant des villages investis par la WOL dans les Ardennes ont été dans le convoi de déportation n° 66 partant de Drancy, ainsi qu'une cinquantaine de juifs venant de l'Oise et une autre de la Somme [173] p 261. Une cinquantaine raflée dans l'Aisne a été déportée dans le convoi n° 67. Il faut ajouter environ 200 juifs d'Anvers qui étaient détenus dans le camp de travail des Mazures, dans les Ardennes, et périrent dans les camps d'extermination.

Boulloche et les contacts avec la Résistance

André Boulloche [83] est nommé ingénieur auprès de Pène. Il a des contacts avec la Résistance. Le groupe qui se constitue sera en relation avec différents groupes de Résistance. Il était au début relié au réseau civil du musée de l'Homme-Hauet-Vildé. Germaine Tillion en témoigne [80]. Les renseignements récoltés par les ingénieurs étaient transmis au réseau du musée par l'intermédiaire d'André Boulloche puis d'André Postel-Vinay. Mais le réseau du musée de l'Homme a été infiltré par des agents ennemis et a subi une répression féroce. Boris Vildé, l'animateur de ce groupe, est arrêté le 26 mars 41 et Germaine Tillion prend sa succession. Les relations entre le groupe de résistants des ponts et chaussées de l'Aisne et le réseau du musée de l'Homme-Hauet-Vildé sont alors interrompues par cette répression.

En décembre 41 une organisation de Résistance soissonnaise est démantelée et les membres seront fusillés ou mourront en camps. Il s'agit du réseau « Vérité Française » rattaché au réseau du musée de l'Homme [87] p 87. Ils ont été arrêtés par la Feldgendarmerie suite à une trahison le 25 novembre 1941.

Le groupe de Pène rejoint l'OCM (Organisation civile et militaire). L'OCM aura un service de renseignement, le réseau Centurie, réseau relié au BCRA (Bureau central de renseignements et d'action), créé à Londres par le colonel Rémy (Gilbert Renaud), avec l'aide du colonel Touny, dirigeant de l'OCM.

Pène raconte [66] (p 8) son premier contact avec l'OCM. Boulloche lui donne les coordonnées de Rollet (Dacre), qui l'emmène chez Maxime Blocq-Mascart, le chef à l'époque du bureau civil de l'état-major de l'OCM et plus tard le président de l'OCM après l'arrestation du colonel Touny en février 1944. Pène trouve Blocq-Mascart cordial, il le met en contact avec Deconninck avec qui Pène collaborera jusqu'à son arrestation, et aussi avec Roland Farjon.

B.2.2 Pène est membre de l'Organisation civile et militaire (OCM)

Pène est donc, début 1941, membre de l'OCM. Il y restera jusqu'à la libération. Arthur Calmette [78] a publié en 1961 une excellente histoire de l'OCM. Ce livre étant introuvable en librairie nous nous sommes permis d'en donner une version accessible en ligne [78]. L'OCM est considérée comme une organisation de droite, sa base sociale est essentiellement dans les classes supérieures : des officiers supérieurs, des industriels, des intellectuels, des ingénieurs de l'Etat (dont Pène). Cependant le groupe de résistance des ponts et chaussées de l'Aisne comprendra dans ses rangs tous les échelons depuis l'ingénieur en chef jusqu'à des ouvriers, des cantonniers et des chauffeurs.

L'OCM écrit son programme pour la libération

Page 3: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Disons quelques mots sur l'OCM. Elle s'est longtemps concentrée dans le renseignement, domaine où elle excellait, et une de ses particularités intéressantes était de réfléchir très tôt à la société que la Résistance souhaitait instaurer en France à la libération. Calmette analyse en détail ces textes. Une chose frappante, c'est le programme économique et social, publié en mai 1943. Les citations qui suivent viennent de la référence [78] page 61. Le programme n'est pas marxiste, mais certainement socialiste : « Nous considérons souhaitable et inévitable d'adopter un régime socialiste ». « Nous voulons que l'Etat dirige l'économie … au service de l'intérêt général », « Il faut ….mettre fin à la concurrence », « cette guerre du temps de paix ». « Au concept de société anonyme,...nous souhaitons que corresponde désormais l'idée d'un groupement de travailleurs associés pour effectuer un travail commun et disposant pour cela de l'aide que leur apportent les capitalistes qui leur confient leur argent pour le faire fructifier ». Blocq-Mascart dit que les milieux patronaux, bien représentés au sein de l'O.C.M. étaient « au fond à peu près d'accord – tout prêts à accepter s'ils sentaient qu'un gouvernement fort le leur imposait...Le patronat était prêt à se mettre aux ordres ». Aujourd'hui ce programme serait à l'extrême gauche.

Le projet traitait aussi des institutions, de l'éducation, de la presse, de la culture, etc. Les textes étaient écrits collectivement par différents groupes de personnes. L'idée générale de l'OCM était la méfiance vis à vis des anciens partis, dans la droite ligne de de Gaulle. Seules les organisations de résistance devraient prendre en main la reconstruction du pays à la libération. Cela a créé une forte tension avec Jean Moulin, qui souhaitait rassembler dans le CNR toutes les forces de la Résistance, y compris les membres d'anciens partis et des syndicats.

La question juive erreur de l'OCM. Soutien des juifs par la population

Il y a eu un accroc sérieux. C'est le texte portant sur ''les minorités nationales'' et particulièrement sur les juifs. Il semble que Blocq-Mascart, lui-même juif, ait joué un rôle dans la rédaction de ce texte. Or ce texte prévoit un nouveau statut des juifs au lieu de la simple assertion républicaine que les juifs sont des citoyens comme les autres. Le texte explique la difficulté qu'il y a à assimiler les juifs dans le pays. Le fait que l'antisémitisme soit universel « doit faire présumer qu'il n'a pas une base purement imaginaire ». La conclusion : « La question se pose donc : comment franciser les juifs ? Deux mesures principales à prendre : arrêter l'immigration juive, et, comme pour les autres minorités, éparpiller les juifs, pour éviter la survivance du groupe minoritaire et faciliter l'assimilation ». On reconnaît le genre de propos qui visent aujourd'hui les musulmans ou les roms (autres victimes du génocide nazi). Cet article a suscité des réactions très vives dans la Résistance et à Londres. Le texte en question traitait aussi des peuples colonisés et les traitait de « minorités ». Il faut pour juger ce texte rappeler le contexte de l'époque, la forte pression antisémite qui régnait depuis des siècles et l'esprit colonial.

La relative timidité de la Résistance à dénoncer la persécution des juifs a été analysée dans le livre d'Olivier Wieviorka [139] chapitre 8. Il cite Henri Frenay, dirigeant d'un autre grand mouvement de Résistance droitier : Combat. Frenay veut revoir les naturalisations de juifs étrangers et ressort le poncif antisémite « le capitalisme juif était particulièrement dangereux parce que particulièrement puissant ». Wieviorka cite le rôle néfaste de la hiérarchie catholique, heureusement contrée par le mouvement « Témoignage Chrétien ».

Les communistes ont entraîné dans la Résistance les juifs d'origine étrangère au sein des MOI {Main dœuvre Immigrée}. Le parti a soutenu la publication du périodique Yiddish « Undzer Vort » (notre parole). 89 numéros parurent sous l'occupation [139] p 230.

Si les persécutions des juifs étaient connues de tous (et utilisées à leur profit par certains) le génocide était encore inconnu, même en juin 44. Les premiers témoignages du génocide des juifs, ou judéocide, venant de l'est étaient considérés comme de la propagande communiste peu crédible.

Ceux qui connaissaient probablement le génocide ne propageaient pas de dénonciation de ces ignominies. En témoignent les déconvenues de Jan Karski. Catholique et résistant polonais, ayant visité clandestinement un camp d'extermination nazi, il a rencontré de hautes personnalités anglaises et américaines, y compris des juifs. Il espérait qu'ils dénonceraient le génocide. Il n'obtint rien. Pourquoi ? Certains partageaient les idées antisémites, mais surtout ils étaient convaincus que leurs peuples les partageaient et qu'il ne fallait pas que l'on parle trop de l'extermination des juifs, des tsiganes, des malades mentaux, etc.

En France, toutefois, la rafle du Veld'hiv (16-17 juillet 1942) a choqué la population, comme l'avoue la préfecture de police dans un rapport cité par Wieviorka [139] p 235. « C'est cette séparation des parents de leurs enfants qui touche le plus les masses françaises ».

Wieviorka dit à juste titre « la majorité des juifs furent secourus par des gens ordinaires » et la famille Pène en connaît des exemples. Le fils ainé de Pierre, Didier fut caché dans un lieu de vacances catholique par des voisins très croyants et admirateurs du Maréchal ! Clotilde, la sœur de Pierre avait hébergé des cousins juifs

Page 4: B.2 La Résistance dans l'Aisne

de Françoise, Alexandre et Denise Lévy et leurs enfants, dans sa maison de Cier de Rivière au pied des Pyrénées. Des gendarmes sont venus voir cette famille pour les prévenir qu'ils avaient reçu l'ordre d'arrêter le lendemain tous les juifs proches de la frontière espagnole, (qui était avec la Suisse une voie d'évasion possible). Ainsi alertés les Lévy sont bien sûr immédiatement partis.

Antoinette Dalin, apparentée à Françoise mais par ailleurs secrétaire du Préfet de Police vichyste a caché Annette et Florence dans une école d'infirmières en tant qu'enfants juifs [81] p 3. Elle ne pouvait les cacher en tant qu'enfants de ''terroriste'' selon le langage des occupants. Mais cela l'intriguait et elle demandait sans cesse à Annette, la fille ainée « Franchement Annette, est-ce que ton père fait de la résistance – je ne sais pas » répondait Annette pourtant fort bien informée.

Wieviorka [139] p 237, estime que grâce à ces interventions individuelles, si 11600 enfants juifs ont subi l'enfer, 72400 ont été sauvés. Il souligne que c'est le résultat de milliers de réactions individuelles, trop peu encouragées par la Résistance. Quelques prêches d'évêques courageux et de personnalités protestantes ont plus fait dans ce sens, malgré la compromission de la hiérarchie catholique avec le régime.

Cette aide fut aussi le fait d'organisations confessionnelles ou communautaires. Plusieurs organisations juives, religieuses ou politiques, dont l'œuvre de secours aux enfants (OSE), se sont regroupées dans le « Comité de la rue Amelot ». Très vite elles ont pris leur distance vis à vis de l'Union Générale des Israélites de France (UGIF), crée par Vichy, et dont les dirigeants ont cru pouvoir protéger leur communauté en dialoguant avec le gouvernement. Ces dirigeants furent arrêtés et déportés en 43.

Le Comité inter-mouvements auprès des évadés (CIMADE), protestant, créé en 1939 est intervenu dans les camps pour soutenir les juifs et les opposants à Hitler, puis après l'invasion de la zone sud, le CIMADE est passée dans la clandestinité et à poursuivi son activité : organisation de passages vers la Suisse, production de faux papiers, etc. Le pasteur Marc Boegner, président de la fédération protestante de France est intervenu dès 1940 auprès du gouvernement de Vichy en faveur des personnes déplacées ou regroupées dans les camps de Drancy et de Gurs, et ensuite en faveur des juifs. Tout en tentant de garder un bon contact avec Pétain il lui écrit en 1942 après la rafle du velodrome d'hiver (17 juillet 1942) : ''La vérité est que viennent d’être livrés à l’Allemagne des hommes et des femmes réfugiés en France pour des motifs politiques et religieux, dont plusieurs savent d’avance le sort terrible qui les attend''. Cette lettre a eu une large diffusion.

Dirigé par l'Américain Donald Lowry, le Comité de Nimes, regroupant des organisations juives et chrétiennes, coordonna l'aide apportée aux internés [84,139].

Pierre Pène ne fait jamais allusion à ce texte de l'OCM sur la question juive, un tel texte l'aurait certainement beaucoup troublé : Les juifs sont des citoyens français, Françoise et lui étaient par principe hostiles au port de l'étoile jaune et Françoise ne l'a jamais portée. Il ne parle pas non plus des textes de l'OCM concernant les autres questions. Etait-il trop occupé par l'action immédiate ou les documents en question n'étaient-ils pas assez massivement distribués ?

B.2.3 La première tâche, informer les Alliés La constitution du groupe des ponts et chaussées de l'Aisne

La constitution du groupe OCM fondé sur les ponts et chaussées est résumée par Mme Pitois-Dehu [87] p 89.

Pène raconte la constitution de ce groupe dans la référence [66,86]. Il a pour mission d'informer les Alliés de ce qui se passe dans son département, l'Aisne. Il cherche à recruter des résistants parmi les membres du service des ponts et chaussées du département. Des contacts prudents avec les agents de ce service permettent de sélectionner les résistants. « Nous vivons en célibataires » dans la zone interdite, ce qui permet de bien connaître ses « camarades de popote ». Très vite ils ne cherchent pas à recruter beaucoup, mais surtout à recruter des éléments sûrs.

« En peu de temps cependant bon nombre sont mis dans le coup : 2 ingénieurs d'arrondissement sur 3 (Bertin et Boulloche) {tous deux polytechniciens et, comme lui, futurs Compagnons de la Libération}, la plupart des ingénieurs TPE {Ingénieurs des travaux publics de l'Etat}, mon chauffeur le fidèle Hombrouck, plusieurs ouvriers du parc de réparation »[66] p 8.Pène a l'impression que tous marcheraient, mais un petit nombre sont trop âgés ou timorés pour être contactés. Ces résistants jouissaient d'une grande liberté de déplacement dans le département puisque l'ingénieur en chef délivrait les « Ausweise » (laisser-passers). Les ingénieurs étaient répartis dans tout le département, la partie occupée comme la partie interdite. Ils étaient aux premières loges pour observer les mouvements de troupes ennemies, les construction militaires, etc.

« L'organisation du réseau est parallèle à l'organisation départementale du service des ponts et chaussées, les renseignements à tous les échelons à partir des chefs cantonniers sont transmis par ceux-ci au cours des

Page 5: B.2 La Résistance dans l'Aisne

tournées à ceux de leurs chefs qui font partie de l'organisation de la Résistance. D'échelon en échelon, ils parviennent aux ingénieurs d'arrondissement et à l'ingénieur en chef » [86] p 1. « Le service des ponts et chaussées est devenu pour certains une organisation de Résistance » [86] p 4.

Ce n'était pas un cas exceptionnel. On peut citer le Groupement des contrôles radioélectriques, créé par le gouvernement de Vichy dont les moyens ont été détournés par ses chefs, Paul Labat et Gabriel Romon pour servir la Résistance [152] p 173.

Les organisations de « Noyautage des administrations publiques (NAP) » se sont développées surtout à partir de 1942. Cela permettait à la fois d'obtenir des renseignements sur l'ennemi et de dissimuler une activité de résistance.

Dès l'invasion de la zone sud le 11 novembre 1942 André Boulloche ne tient plus en place. Il veut combattre, il passe en Espagne où il est incarcéré, il parvient à s'échapper, rejoint le consulat britannique et va en Angleterre [86] p 2.

Pierre Pène doit alors prendre directement contact avec les résistants parisiens à qui Boulloche transmettait les informations. Il contacte Rollet alias Dacre, puis Farjon alias Rolland alias Dufor [86] p 2.

Le Bunker de Hitler à Margival. Hitler chassé par un V1 allemand

Hitler avait combattu dans la région de Margival en 1918, et dès juin 1940 il décide d'y faire construire un monstrueux bunker. Le lieu s'y prêtait, un tunnel de 700 m pouvait garder un train à l'abri des bombardements. Les travaux importants que cela impliquait ont attiré l'attention de divers groupes de Résistance : « Chaque réseau travaille seul sans connaître les autres. Cet isolement évite en cas d’arrestation, que plusieurs ne tombent. Ces réseaux portent un nom de code, et chaque membre de celui-ci est désigné par un pseudonyme. Les réseaux les plus actifs dans la région de Margival furent :Vélite-Thermopyles, Eleuthère, Bir Hakeim, Gautier, OCM ( organisation civile et militaire), FFI ( forces françaises de l’intérieur), FTP ( franc tireur et partisan). Le courage de ces hommes et femmes dans une région administrée par les Allemands n’est plus à prouver. Au nez et à la barbe de l’occupant, un simple épicier devint le chef d’un réseau et la fille du coiffeur passe les contrôles avec, dans la pompe à vélo de sa bicyclette, des messages pour Londres. » [85], crbst_76.html.

Lisons le résumé d'une conférence de Jacques Blot, qui fut impliqué dans l'affaire de Margival.

« Agé de 16 ans à l’époque, il entre dans le réseau Libération Nord, avec d’autres camarades. Son professeur d’anglais, lui-même lieutenant de réserve et chef régional du réseau Velite-Thermopyles les encourage et affecte ces jeunes recrues à des tâches d’aide à la population. Jacques Blot et trois de ses amis du même âge coupent les fils d’un central téléphonique appartenant à l’occupant nazi {ce n'était certes pas très malin !}. Arrêté par les Feldgendarmes, il est incarcéré à Soissons, puis à la prison de Laon, enfin à la prison du cherche-midi à Paris. Jacques Blot quittera la prison avec le groupe du 28 juillet 1944 comprenant 31 Français, 1 Polonais et 1 Suisse, entassé dans un wagon cellulaire accroché en queue du train Paris-Berlin. Après une étape à la gare de Strasbourg, les déportés « NN » (Nacht und Nebel) descendent du train à Rothau, dernier village avant Natzweiler, KL{Kriegslager, camp de guerre} du Struthof. Immatriculé, 20177 Jacques Blot reste un mois au Struthof, avant l’évacuation vers le KL Dachau. Profitant d’un bombardement, il s’échappe de son kommando de travail avec trois camarades. Il revient à Soissons, ne pesant plus que 32 kilos. Son professeur d’anglais, ayant appris par Jacques qu’il se trouvait encore des Soissonais dans le KL de Dachau, déniche un camion gazogène, et part chercher les survivants. » Une histoire extraordinaire d’horreurs, mais aussi d’espoir dans la survie d’un adolescent pris dans la tourmente de la guerre{5}.

Pène nous raconte comment l'OCM a procédé [66] p 9 « Notre attention est bientôt attirée par des travaux considérables que font les Fritz à l'entrée nord du tunnel de Margival : de nombreux ouvrages en béton armé répartis sur les pentes jusqu'à mi-hauteur. Nous connaissons les entrepreneurs, ils travaillent ou ont travaillé aussi pour nous, il nous est facile de pénétrer en fraude sur le chantier. Nous regardons avec soin et aussitôt sortis portons sur un plan les ouvrages aussi exactement que possible. Bertin est le spécialiste de ce jeu. Grâce à lui, nous pourrons envoyer à Londres le plan complet exact. J'aurai d'ailleurs la surprise désagréable, plus tard, après mon arrestation, de voir le dit plan étalé sur la table du policier qui m'interroge à St Quentin ; il aura été intercepté et mon interrogateur voudra par cette manœuvre me mettre en condition. »

Comment ce plan est-il venu entre les mains des Allemands ? On pense immédiatement à l'imprudence de Roland Farjon qui a laissé quantité de documents chez lui où ils ont été trouvés par les Allemands. Cependant Roland Farjon a écrit une « confession » [130] que Gilles Perrault a publiée en Annexe de [32] p 455. Farjon y énumère tout ce que les Allemands ont trouvé chez lui après son arrestation. Le plan de

Page 6: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Margival n'y est pas mentionné. Comme il y avoue quantité de documents extrêmement compromettants, on peut penser que ce plan est parvenu par d'autres mains aux Allemands. Le mystère reste entier. Les Alliés ont tout de même reçu l'information par d'autres réseaux, même si les plans étaient probablement moins précis que celui de Bertin. Les actes de Résistance autour de Margival sont décrits avec une grand précision dans les documents [85]. On y trouve aussi le récit de la visite de Hitler à Margival le 17 juin 1944. Son discours annonçait que les V1 allaient retourner la situation. Il pensait probablement à l'arme nucléaire sur laquelle Heisenberg et ses collaborateurs travaillaient et échouèrent fort heureusement. Les USA y ont réussi, Roosevelt ayant été alerté par Einstein et Szilárd des recherches allemandes. Hélas rien ne peut justifier l'utilisation réelle de la bombe par les USA, par deux fois avec deux types de bombes différentes, comme pour faire une ''expérimentation'' diabolique de cette arme, en utilisant des civils comme cobayes.

Le 17 juin 1944 se tient à Margival une réunion du Haut Etat-Major allemand, incluant Hitler, Rommel, et Von Rundstedt. Rommel et Von Rundstedt demandent au Führer d'aller sur le front évaluer la situation. Le réseau Gautier de Coucy-le-Château, mis au courant de la visite du dictateur par un sergent allemand trop bavard, projette un attentat, mais la Gestapo veille, elle réussit à s'introduire dans le réseau et arrête le 8 juin 44 les membres du groupe [85] crbst_74. Dans la nuit du 17 au 18 juin un V1 allemand {bombe volante utilisée par le Reich contre la Grande-Bretagne, premier missile de croisière} tombe à 3 km du Quartier Général de Margival. Hitler annule la tournée préconisée par Rommel et Von Runsdedt et rentre en Allemagne chassé par un engin allemand !!

Recherche de renseignements militaires, politiques et économiques

Pène a donné en décembre 1945 un long témoignage [86]. Il prend le nom de guerre de Taille. Il cite de nombreux noms de Résistants héroïques dont la plupart n'ont pas survécu. Par Dacre (Rollet) il reçoit des instructions sur le parachutage des armes et le sabotage. Il reçoit la visite de Royaux (Max, Duval) qui précise la consigne de chercher les plus grands terrains d'atterrissages possibles dans l'Aisne. Royaux sera arrêté début 44 et fusillé à Arras ! Le Dr Mairesse, de St Quentin, qui a l'enthousiasme et la ténacité d'un jeune étudiant mourra étouffé dans le train de la mort du 2 juillet 44 [82]. M Bauchey, chef d'arrondissement SNCF à St Quentin mourra en déportation. Le docteur Fresnel, à Hirson, sera déporté en Allemagne. Il rentrera vivant. Il a sous ses ordres un agent d'assurances, Merlin, d'une témérité folle. Nous en parlerons à propos des sabotages.

« Notre activité première est donc la recherche de renseignements militaires, politiques et économiques, facilitée par un métier qui oblige à des déplacements fréquents et nous met en contact avec nos agents répartis sur tout le territoire du département et bien connus de nous. Les armes abandonnées par les combattants en mai-juin 1940, les explosifs, sont rassemblés et cachés dans les creutes {installations souterraines déjà utilisée lors de la première guerre mondiale}»[86] p 1.

L'OCM, par sa base sociale, était particulièrement apte à la NAP (Noyautage des administrations publiques). Les militaires, nombreux dans l'OCM, avaient des contacts avec des gradés dont une partie fonderont l'ORA (Organisation de la résistance armée) après l'invasion allemande de la zone sud. Tous les mouvements de résistance ont d'une façon ou d'une autre utilisé les relations dans l'administration, leurs informateurs dans les usines de guerre, etc. Calmette [78] cite des gendarmes qui protégeaient des résistants lors d'opérations d'atterrissage d'avions anglais. D'autres hélas étaient fidèles au Maréchal.

Nous avons vu que dès l'invasion de la zone sud (11 novembre 1942) Boulloche décide de partir à Londres et que Pène prend directement contact avec Rollet (Dacre), puis Farjon (Roland, Dufor). On donne des formules d'engagement dans les FFL (Forces Françaises Libres) à signer avec son alias, mais sans que le signataire ne reçoive une copie. C'est à ce moment que Pène choisit Taille comme alias. En charge des deux départements Aisne-Ardennes il est remplacé à la tête du département de l'Aisne par Jean Bertin (Le Merle, Dubourg) et dans le département des Ardennes par André Point (commandant Fournier) dont il sera question ci dessous B:II.3.5.

Étienne Dromas et le groupe de résistance de Chaunis

Si l'on va de nos jours au musée de la Résistance et de la Picardie, 1 place Carnégie 02700 Tergnier, on apprend que ce musée a été édifié sur l'initiative de Etienne Dromas. Qui était donc cet Etienne Dromas ?

Le groupe d'Étienne Dromas agissait autour de Chauny dans l'Aisne. On peut avoir une idée de son activité en regardant Dromas sur la référence [36]. On apprend que Dromas, capitaine FFI, dirigeait le secteur B de l'Aisne autour de Chaunis. Le groupe comportait environ 3000 membres des FFI. Sont cités le 7 avril 43 le sabotage du pont canal de Abbecourt, qui a bloqué le trafic pendant 1 mois, l'accueil d'un parachutage à Bertaucourt le 19 novembre 43, le sabotage à Tergnier de 12 locomotives le 6-7 octobre 43, le sabotage d'une

Page 7: B.2 La Résistance dans l'Aisne

usine de produits et d’alliages légers, à Ham, 4 hommes ont été arrêtés dont 3 tués à la prison d'Amiens. Puis, les 9 et 28 août 1944 deux parachutages bien reçus ; La fiche ajoute de nombreux sabotages de lignes téléphoniques souterraines et aériennes avant et après le 9 juin 44. On y ajoute la récupération et l'hébergement d'aviateurs alliés, avant et après le 6 juin 44.

André Point chef des FFI dans les Ardennes se suicide après guerre

En 1943 Pène était nommé responsable pour l'AS (Armée secrète) de deux départements, l'Aisne et les Ardennes. Il fait pleinement confiance pour les Ardennes à André Point (Mehul, Rousseau, commandant Fournier), garçon coiffeur d'un grand courage et très bon organisateur.

Son rôle à la tête de l'AS puis des FFI du département des Ardennes est avalisée le 10 mai 1944 : « Forces Françaises de l'intérieur, région C ; Grandval, désigné par l'EMN {Etat major national}, de la région C et placé sous le commandement du général Kœnig, désigne Monsieur Fournier (pseudonyme à la date du 10 mai 44) comme commandant des FFI du département des Ardennes''. Signé du 10 mai 44 [151] IMG_7672. Le même commandant Fournier désigne le 1er juin 1944 Madame Jacqueline comme chef d'ETAT-MAJOR Départemental des Ardennes [151] IMG_7678. Pène écrira en 1965 « Ce brave garçon devait avoir une fin tragique : promu officier de police à la libération il s'acquittait de son mieux de sa fonction dans son département quand un nouveau texte réglementaire imposa l'obligation de certains titres universitaires; il ne les avait pas, ne put supporter d'être évincé de son poste qui lui convenait et se suicida ». André Point est mort en 1949. Nous n'avons pas trouvé d'autre mention du fait qu'il s'agirait d'un suicide. Cependant Pène le dit comme une certitude et il faut se souvenir qu'il avait été commissaire de la République de la région englobant les Ardennes et devait bénéficier d'informations de première main. Les circonstances de la mort d'André Point restent un mystère à éclaircir. Mais la brutalité du traitement infligé aux grands résistants par la bureaucratie est incontestable. Pène lui-même en sera victime (B:II.4.2). Les chefs de la Résistance n'avaient pas été choisis selon leur diplômes ni selon leur grade dans l'armée, mais selon leur courage, leur capacité d'organiser, d'entraîner, de diriger et d'éviter les pièges. Un exemple notoire est celui de Georges Guingouin, simple instituteur, qui dirigeait en 44 un maquis de 20 000 personnes. Cette décision meurtrière est-elle simplement le reflet du vieux pêché bureaucratique de la France, ou, plus politique, signifie-t-elle le début d'une résurgence des vichystes qui se vengent de héros tels que André Point ?

Pène rencontrera l'adjoint de Point dans les Ardennes, Georges Poirier, âgé de 55 ans. « Il fut arrêté à son domicile par la Gestapo le 18 novembre 1943, après la découverte à Paris de documents concernant les effectifs du mouvement OCM en zone Nord et le vaste coup de filet opéré par la police allemande dans les milieux résistants »[107] p 176. La date de son arrestation indique clairement qu'elle est la conséquence des documents trouvés le 13 octobre 43 chez Farjon. Farjon avoue ''Je vis alors avec effroi que les papiers des UCR des Ardennes comportaient trois ou quatre noms en clair de camarades dont je n’avais jamais entendu parler''. Poirier fut condamné par le tribunal militaire allemand le 12 février 44 et mourut le 4 juin 44 ''de faiblesse générale''. Dans l'équipe de Poirier, ses camarades Robert Coispine et René Bouré furent arrêtés le 17 novembre 43 et fusillés le 17 février 44 [107] p 145 et 150. Ajoutons Paul Royaux, surnommé le fondateur de la Résistance ardennais. En octobre 1942 Paul Royaux est « grillé », il doit quitter les Ardennes. Il laisse comme successeur son lieutenant, qui est depuis toujours son ami, André Point, futur « Commandant Fournier. Paul Royaux devient UCR agent de liaison de Roland Farjon, chef de l’OCM pour la région A (Nord). Il est arrêté à Paris le 16 décembre 1943 et fusillé le 23 février 1944.

Transmission des informations, infiltrations ennemies dans BCRA

La liberté de déplacement dont bénéficiait Pène lui permettait chaque semaine d'aller à Paris donner les informations recueillies à Deconninck (Maisonneuve, André), qui les transmettait à Roland Farjon, lequel les envoyait en Angleterre.

Chaque semaine Pène porte à Paris une serviette pleine de documents contenant [86] p 4- des plans et points de repaire exacts de nouveaux terrains de parachutage ou d'atterrissage proposés, - des renseignements militaires : unités rencontrées sur telle route, allant dans telle ou telle direction, changement de cantonnement, réquisitions importantes de produits agricoles, résultats de bombardements alliés. - Il doit aussi s'occuper des aviateurs alliés abattus : Pène a pris contact avec une filière d'exfiltration de ces aviateurs, rue Oudinot, il attend en bas qu'on lui remette six aviateurs anglais avec mission de les conduire gare de Lyon. Il apprend que tout le monde a été arrêté. D'ailleurs ces missions de rapatriement d'aviateurs alliés ne sont pas conseillées. « Nos chefs estiment qu'ils font courir beaucoup de risques pour un résultat moyen ».

Page 8: B.2 La Résistance dans l'Aisne

- On a demandé à Pène de préparer des unités de combat et de renseignement (UCR). On trouve une directive de ce genre sur le site de l'Amicale Mémoire du Réseau Gallia [193] p 60, 71. Pène résume ainsi cette mission « L'UCR consiste essentiellement en un poste émetteur situé à quelques kilomètres à l'arrière des lignes allemandes et chargé de transmettre aux Alliés supposés débarqués les renseignements militaires sur l'ennemi ».

« Nous devons dès maintenant préparer des refuges où des spécialistes de radio parachutés par les Alliés pourront s'abriter » [86] p 5. Le BCRA (Bureau Central de Renseignement et d'Action) de Londres demandait que l'adresse des refuges et le nom de leurs propriétaires leur soit adressés en clair afin que les parachutés puissent s'y retrouver. « Vive protestation de notre part, l'ordre est confirmé, nous protestons encore, l'ordre est maintenu. La mort dans l'âme nous nous exécutons et je communique la liste de plusieurs de mes collaborateurs TPE. Naturellement la malchance joue, la liste est interceptée, et mes TPE arrêtés mi-décembre 1943. C'était Jacquemot, Berlemont, Salvy. Par chance ils ne sont pas maltraités, leur régime n'est pas sévère, ils peuvent se rencontrer et préparer un plan cohérent »[66] p 11. Comment les Allemands ont-ils reçu cette information ? En 1945 [86] p5 Pène pense qu'ils l'ont trouvée chez Farjon. Dans sa confession [32,130], Farjon mentionne « les plans des UCR de l'Aisne (aucun nom en clair, tous codés) ». Le codage était-il insuffisant ou les noms en clair sont-ils parvenus aux Allemands par un espion infiltré dans le BCRA ? Dans tous les cas Pène suspecte des agents ennemis infiltrés dans le BCRA, lisons la suite.

« Les Allemands commirent la maladresse de ne pas les arrêter en utilisant le mot de passe qu'ils connaissaient cependant. Les tenants purent ainsi soutenir qu'ils ignoraient tout de l'affaire et que leur nom avait été donné sans qu'ils sussent pourquoi. Ils furent tous libérés après deux mois d'incarcération. Cependant l'un d'eux, nommé Brindœuf, de Vervins, déprimé ou soumis à un trop dur interrogatoire, se suicida au bout d'un jour de prison »[86] p 5.

« Cette maladresse de Londres est à rapprocher du parachutage manqué de mi-septembre 43 où une dizaine de Résistants, dont A. Boulloche et A. Rondenay (Jarry) largués chacun vers un refuge connu, étaient attendus par la Gestapo. Le chef du stick {un stick désigne un groupe de parachutistes sautant en une seule fois d'un même avion}, un lieutenant colonel d'aviation, sur le point d'être arrêté, avalait sa pillule de cyanure, Jarry se blessait au pied en atterrissant précipitamment pour s'échapper, Boulloche devait se sauver sans demander son reste. Tout donne à penser que les milieux gaullistes de Londres étaient infiltrés par des agents ennemis; ordres insensés d'une part, trahison de l'autre, étaient leurs armes »[66] p 11.

Le curé de Châteaufort et l'aéroport de Toussus-le-noble

Autorisons nous une digression. Il s'agit aussi de transmission des informations aux alliés. L'histoire que nous allons raconter nous a été transmise oralement par André Bouchain qui était jeune ouvrier agricole à Châteaufort (78117) pendant l'occupation allemande.

Le curé de Châteaufort n'aimait pas les envahisseurs et il l'exprimait dans ses prêches. Il se promenait avec son chien sur le plateau de Saclay au voisinage de l'aéroport de Toussus-le-Noble. Cet aéroport était utilisé à des fins militaires par les occupants.

Le curé était en contact avec la Résistance. Il lui a transmis les informations sur cet aéroport. La Résistance a fait remonter ces informations aux Alliés. Nous ignorons la raison pour laquelle le premier bombardement s'est trompé de cible. La route de Châteaufort qui se nomme aujourd'hui ''la montée Jacques Anquetil'' a été totalement détruite.

La seconde tentative fut la bonne, les avions ennemis ont été bombardés et détruits le 11 août 1944.

Le curé de Châteaufort a été arrêté par les Allemands. Heureusement ils ignoraient son rôle dans la destruction de leur aviation, mais ils lui reprochaient ses prêches hostiles à l'occupant. Ils le libérèrent donc et ce curé héroïque a survécu à la guerre !

B.2.4 Le ''plan Taille'' et autres actions militaires

Le temps des combats décisifs approchant, les actions militaires prenaient de l'importance. Dès 1942 des actions de sabotage des voies ferrées ont été effectuées avec des moyens modestes : pétards de cavalerie récupérés après la défaite, ou en dévissant les voies. En 1943 cette activité s'intensifie, du matériel explosif est livré et les futurs saboteurs sont formés par des spécialistes. Arthur Calmette parle du ''plan Taille'' (Taille, alias de Pène) [78, 86]. Ce plan comportait 52 sabotages sur des voies de communication essentielles. Calmette cite les plus spectaculaires, « En septembre 43, l'ingénieur de la navigation Pierre, de Soissons, détruit le même jour l'écluse de Vauxrot et la ligne de transport de 150 000 volts à Sermoise. La centrale

Page 9: B.2 La Résistance dans l'Aisne

électrique de Beautor (près de Chauny) est sérieusement endommagée. À Hirson, en 1943, l'agent d'assurance Merlin qui monte un sabotage de voies ferrées, fait dérailler plusieurs wagons portant un gros canon de 280 ; il redouble son exploit deux jours plus tard, au cours des travaux de dégagement du canon, à quelques centaines de mètres du chantier allemand. » L'audace de Merlin est stupéfiante, il est difficile de résister à le nommer ''l'Enchanteur Merlin''.

Le rapport du capitaine Dupont, chef de l'OCM pour le département de l'Aisne après le départ de l'ingénieur Bertin, muté à Bar le Duc, évalue à 300 le nombre d'opérations de sabotage jusqu'au 6 juin 44 [131]. Il donne la répartition de ce nombre par arrondissement. Il évalue par arrondissement les effectifs de l'OCM le 6 juin 44, à un total d'environ 6000 personnes. Il évalue aussi les pertes allemandes : 2500 prisonniers, 340 tués, et celles dans les rangs de l'OCM : 130 tués. Plus de détails sur les actions effectuées se trouvent dans les documents [36] dans lesquels 16 résistants de l'Aisne décrivent dans les années 48-54 leurs actions de Résistance afin de les faire reconnaître. On peut aussi trouver un récit résumé de la Résistance dans l'Aisne dans les archives de ce département [141].

Pène précise à propos des terrains de parachutage et d'atterrissage clandestins : ''Le nombre de nos terrains de parachutage croît continûment ; nous en avons 15, homologués par des inspecteurs venus de Paris et reconnus bons. Un seul terrain est reconnu admissible pour l'atterrissage d'un avion ; il sera utilisé le 10 décembre 1943, dans des conditions tragiques que je dirai plus tard.''[86] p 4. Pène fait allusion au parachutage manqué de mi-septembre 43, cf la section B.2.3.

Demandes de certificats de FFI, médailles, Sofka et Vicky martyres

Fin juin 1950 un décret portant forclusion au 1er janvier des demandes de reconnaissance officielle des grades dans les FFI a amené Pène à alerter ses anciens camarades de Résistance. Les requérants étaient obligés de décrire avec précision leurs actions militaires dans la Résistance. Ce sont donc des sources précieuses. Nous n'avons qu'un nombre restreint de ces documents [36]. Le contexte juridique est précisé dans une lettre de Pène à Jean Bertin [36].

Il y a les tableaux remplis par les résistants : date, lieu, durée de l'action, effectif du personnel, résultats obtenus, et observations. Pène devait bien sûr attester de l'activité des résistants concernés. Il était alors gouverneur du Bade-sud. Certains dossiers ont duré jusqu'en 1954. Il est aussi parfois question de la médaille de la Résistance. Beaucoup de membres des Ponts et Chaussées sont dans le lot des personnes contactées. Cela concerne tous les échelons de la hiérarchie. Des ingénieurs, tels Bertin, polytechnicien, jusqu'au bas de la hiérarchie, le chauffeur Hombrouck, Jomotte, chauffeur de goudronneuse, l'ouvrier mécanicien Lecomte, les ingénieurs de différents grades. La Résistance perturbait la hiérarchie sociale.

Il y a un dossier de Pierre Pène (Taille, Périco, Portet, Pointis) qui donne une liste des gens de son mouvement qu'il a connus dans la clandestinité, la liste des sabotages qu'il a dirigés ou auxquels il a participé. Cette fiche [90] est un résumé riche des activités de résistance de Pène.

La liste des personnes contactées par Pène dans les années 50 (entrées de [36]) comprend des résistants de l'Aisne, mais aussi des personnes de la direction nationale de l'OCM. Au sein des résistants de l'Aisne, la liste va au-delà du groupe nombreux des Ponts et Chaussées. En particulier signalons le groupe de Chauny, dirigé par le capitaine Etienne Dromas, un groupe nombreux, rattaché à l'OCM. cf ci dessus la section B.2.3.

Jusqu'à présent nous n'avons cité que des hommes. Signe des temps ? Deux entrées concernant des femmes se trouvent néanmoins à la fin. Il y a Anne-Marie Vennin, qui fut secrétaire de Pasteau, puis de Pène, puis de Yarmoukine, qui ''a fait preuve de courage, de calme, de force de caractère, et de dévouement'', et dont la demande de médaille de la Résistance n'a pas été transmise !

Et les femmes russes ! Sofka Nossovitch et Vicky Obolenski !! Leur arrestation, la torture subie par Sofka, qui l'a rendue sourde, Vicky guillotinée à Berlin, leur invraisemblable courage a été décrit par Calmette [78] {pages 180-181}.

Pierre Pène est obligé de démontrer qu'il était lui-même FFI

Mais il fallait aussi que Pène démontre qu'il avait lui même été un chef des FFI. Aussi surprenant que cela paraisse cela n'a pas été facile. Cette bataille est bien documentée [153](1ère, 3ème et 4ème entrée). Cela dépendait du général de Division commandant la deuxième région militaire. Le 3 janvier 53 Pène envoie un courrier expliquant en substance toutes les récompenses qu'il a reçues, sa fonction à la tête de l'OCM pour l'Aisne et les Ardennes, puis de l'Armée Secrète pour les mêmes départements. Il s'étonne de ce que ces départements apparaissent comme absents de la Résistance. Ironiquement, il poursuit en signalant qu'en ignorant son rôle à la tête des FFI de la région parisienne du 1er janvier 1944 au 4 avril 1944, jour de son

Page 10: B.2 La Résistance dans l'Aisne

arrestation, on élimine aussi cette région !

Le préfet de l'Aisne est consulté. Il ne connaît pas Pierre Pène, il est prudent, Pierre Pène a certes accompli des actes de résistance, mais a-t-il été le chef ? Il se réfugie habilement derrière le fait que si on l'a nommé Commissaire régional pour la région de Laon St-Quentin, et ensuite Gouverneur militaire du Bade, il doit bien y avoir des raisons pour cela.

Et puis {4} il y a dans les archives SHD {Service Historique de la Défense}, une attestation manuscrite de Anselme ARSA, qui dit « il évita la potence à 8 de mes hommes lors de l'attaque de la prison de Laon fin 1943 ». Une attaque de la prison de Laon par des résistants a bien eu lieu le 8 avril 1944. Le procureur Paul Amor était membre de l'OCM. Il est parvenu à sauver la vie des assaillants sauf un. Ces assaillants étaient des FTP de Tergnier. [195]. Donc il est vrai que l'OCM ''évita la potence'' à ces assaillants, mais sûrement pas Pène qui était incarcéré. Quand tant d'arguments plaidaient bien sûr en faveur de Pène concernant son rôle dans la Résistance, il a fallu que seul un argument fallacieux soit retenu en sa faveur par ce général commandant la deuxième région militaire !

S'agissait-il d'une mauvaise volonté de la part de cette deuxième Région Militaire, ou simplement du fonctionnement de la bureaucratie ? Nous ne le saurons jamais. Dans le cas de Pène, il était difficile de faire croire à de fausses vérités, ce terme à la mode maintenant. Mais on peut hélas citer des exemples de Résistant moins ''visibles'' dont le courage fut nié et de collaborateurs notoires qui ont réussi à passer pour des résistants.

Notons aussi qu'en 1953 Pierre Pène n'occupait plus de haute fonction dans l'Etat. Il avait quitté l'Allemagne en 1952. C'était aussi un moment de retrait de la vague : à la libération, les résistants survivants étaient très populaires. Dans les années 50 cela reculait, on voyait accéder au pouvoir des hommes politiques qui n'avaient pas résisté, et un général demandait à Pène de démontrer … sa résistance ! En 1953 des propos vichystes ressortaient sans pudeur allant jusqu'à traiter les résistants de voyous (cf E.3.2).

Les maquis Pène n'a pas eu à notre connaissance de contact direct avec les maquis. Mais, quand il fut Commissaire de la République de la région Picardie-Ardennes, il a prononcé des discours à la mémoire des maquis de cette région.

Le maquis des Manises : Commémoration des 106 victimes du Maquis des Manises (Revin, Ardennes) sauvagement massacrées par les Allemands les 12 et 13 juin 1944 [91]. « Les auteurs de ce massacre, le Feldkommandant de Charleville, le colonel Botho Grabowski, ainsi que le commandant ... Karl-Theo Molinari ne furent pas inquiétés après la guerre.....Molinari connut une ascension fulgurante dans l'Allemagne de l'après-guerre » [109]. Il a rejoint la CDU, parti de Konrad Adenauer et en fut le représentant régional. Puis il fut nommé officier supérieur dans la Bundeswehr. Il termina sa carrière militaire avec le grade de major général. On est désagréablement surpris par la complaisance dont on a fait preuve, tant du côté de la République fédérale d'Allemagne que du côté de la France, à l'égard de ce criminel de guerre [205].

Le maquis de la Coupille à St Algis : Commémoration des 5 morts du maquis de St Algis (Thiérache, nord de l'Aisne), mais aussi du brillant succès de ces maquisards qui ont tué 12 ennemis, ont détruit le matériel et pu dégager une partie des combattants en suivant un ruisseau [87,92]. On peut admirer des photos des maquisards de St Algis dans le livre de Mme Pitois-Dehu [87] p 110.

Dans un discours, Pène préside une commémoration conjointe du Dr Claude Mairesse (Hache) et d'Arnaud Bisson [93]. Ce dernier avait organisé la maquis de la Coupille à St Algis [92], il fut tué devant un barrage de route allemand. Il faisait partie du BOA (Bureau des opérations aériennes), une émanation du BCRA (Bureau central de renseignement et d'action), situé à Londres. Pène fait allusion à une rivalité entre le BOA et les FFI c'est à dire entre Londres et la Résistance intérieure. Et pourtant dit-il, les deux héros qu'étaient Claude Mairesse et Arnaud Bisson, prêts à tous les sacrifices pour combattre l'occupant, se sont fort bien entendus. Outre le maquis de la Coupille, le groupement organisé par Arnaud Bisson comportait en juin 700 combattants répartis en trois équipes : les sabotages, les transports et les parachutages. Ces derniers étaient à la Coupille, les autres répartis dans des cachettes diverses [87] p 92. La Coupille communiquait tous les jours par radio avec Londres, en changeant sans cesse les émetteurs de place pour éviter la détection par les goniomètres allemands. Ce maquis disposait de 21 terrains de parachutage ! [87] p 92.

Mme Pitois-Dehu parle d'un autre maquis, celui d'Osly-Courtil, situé à 10 km de Soissons, du 10 juin au 24 août 1944. Il est composé de « 6 jeunes âgés de 16 à 19 ans, activement recherchés par la Gestapo. Leur chef est Jean Coret ». Ils sont rattachés au mouvement Libération Nord. « Le 30 août 44 le groupe se rassemble à

Page 11: B.2 La Résistance dans l'Aisne

l'Hôtel de ville de Soissons et se met à la disposition de l'EM FFI (Etat major des FFI) » [87] p 92.

B.2.5 Le danger d'être repérés par les occupants

Florence dans sa conférence à Soissons [148] dit à propos de l'année 43 : « L’atmosphère devient de plus en plus lourde ; Pierre se sent sans cesse observé. Notre ligne téléphonique est interceptée. Nous sommes souvent suivis, recevons des visites incongrues, et prenons des habitudes de Sioux, croyant que nous ne les perdrons jamais » [148] p 11.

Le rendez-vous avec Farjon, Pène évite un piège

Le 15 octobre 43 Pène avait rendez-vous avec son chef dans l'OCM, Roland Farjon (Dufor). Il raconte ce qui s'est passé [66] p 12. Il a un porte-document bourré de papiers compromettants. Trois personnes arrivent et lui demandent « vous êtes Taille ?... nous venons de la part de Dufaure ». L'accent a alerté Pène : ce sont des Allemands venus l'arrêter. Il prétend avoir rendez-vous avec une femme, fait un numéro théâtral, il regarde sa montre, prend l'air furieux, et finalement part lentement, rejoint Bertin et Boulloche et apprendra que Farjon a été arrêté le 13 octobre 1943.

Pène fait un commentaire sur son sang froid. Il avoue que plus tard, après son arrestation le 4 avril 44 il entendra les Allemands dire « Er ist bleich » (il est livide) et ''cette pâleur me perdra''. Pourquoi dans des situations différentes réagit-on différemment, dit-il. En fait, nous, ses enfants, avons plutôt l'impression que son visage montrait assez généralement ses émotions. C'est plutôt son sang-froid lors du rendez-vous avec Farjon qui était exceptionnel et lui a donné cinq mois de liberté.

Quoi qu'il en soit, cet événement marque le début de la période de grand danger. Nous reviendrons sur les effets de l'arrestation de Farjon, mais l'alerte avait été chaude.

Surprenante mise en garde du chef SS de l'Aisne À de nombreux signes Pène « sent l'étau se resserrer autour de lui ». Ses ingénieurs ont été arrêtés (cf B.2.3). Il tente un coup de poker. En tant qu'ingénieur en chef il est normal qu'il se soucie de ses ingénieurs arrêtés. Il va, en décembre 1943, se jeter dans le gueule du loup, à la Gestapo de St Quentin, réclamer la libération de ses ingénieurs. « Le SS croit devoir me dire : la résistance dans le département, nous la connaissons très bien, nous en connaissons les chefs mais nous ne les arrêtons pas encore, nous préférons surveiller leur activité ». Quelle était l'intention du Nazi en donnant un tel avertissement ? On ne saura jamais. De la forfanterie ? Peut-être sous-estimait-il la rapidité de réaction de Pène ? L'âme humaine est souvent impénétrable ! On peut même imaginer qu'il n'aimait plus tellement les nazis mais devait sauver les apparences !! Peu après ils intervenaient brutalement dans son bureau en vain.

Pène avait évidemment entendu l'avertissement et fui la région pour Paris en prétextant un congé de santé. Il était censé se soigner en Savoie, et des cartes postales de Pierre Pène, préalablement envoyées à Elisabeth, la sœur de Françoise, étaient renvoyées par elle à Françoise de Savoie, où elle habitait. Depuis plusieurs mois la famille avait quitté Soissons pour Paris où Françoise avait trouvé un appartement à Boulogne, au 60 rue de la Tourelle, dans un groupe d'immeubles de structure complexe, les appartements ayant deux entrées dans deux escaliers différents, ce qui pourrait faciliter une fuite en cas de besoin.

Pène passe dans la clandestinité totale, ce qui lui donne du temps pour la Résistance. Mais il doit trouver à se loger. Après plusieurs logements temporaires, Françoise et lui trouvent à louer un appartement ouvrier, rue Amelot, dans le 11ème. Ils font comme s'ils étaient un couple illégitime et Pène en fait son PC jusqu'à son arrestation.

Il se rend parfois rue de la Tourelle, un code, un chiffon rouge au bout du balcon, visible de loin, lui indique si la voie est libre. Il vient voir le bébé Olivier né le 9 mai 43, et il le traitera de meilleur agent de la Gestapo car ses sourires lui font courir de gros risques.

De toutes façons il fallait quitter la Résistance dans l'Aisne. Bertin a succédé à Pène mais il a vite été muté à Bar-le-Duc, remplacé par l'ingénieur Couvreux, puis par le capitaine Dupont. Le département des Ardennes est alors rattaché à la région C (Châlons sur Marne). La description détaillée de ces activités se trouve dans le livre de Calmette [78], pages 86-90.

B.3 Pierre Pène à la tête des FFI de la Région Parisienne Pène s'est donc réfugié à Paris. « Je me réfugie d'abord au 60 rue de la Tourelle (Boulogne/Seine) dans une chambre de domestique où nous entreposions des vivres en prévision d'une disette. Un lit de camp me suffit, puis je passe successivement chez un éditeur, chez une vieille dame, Mme Barbu, habitant rue Madame ;

Page 12: B.2 La Résistance dans l'Aisne

chez Pierre Turbil, entrepreneur rue du Sommerard où j'intrigue la bonne qui me surprend une après-midi, en train de brûler un gros paquet de papiers compromettants, puis dans un logement ouvrier, rue Amelot. Ce sera mon P.C. pendant plusieurs semaines précédant mon arrestation. J'y cacherai quelques heures des papiers, des fonds : un million de billets neufs à répartir entre mes services » [66] p 13.

La répression a aussi fait de terribles dégâts à Paris en particulier à la tête de l'OCM.

B.3.1 Les pertes de L'OCM Le colonel Touny, chef de l'OCM, est arrêté le 25 février 44 [78], p 180. Maxime Blocq-Mascart, vice-président de l'OCM, échappe de justesse, grâce à une concierge courageuse et habile, à l'arrestation le 28 août 1943, et jouera, comme il le dit, « au jeu du chat et de la souris » [94] p 93. Il prendra la direction de l'OCM après l'arrestation du colonel Alfred Touny. Le 16 décembre 43 Sofka Nossovitch et Vicky Obolenski sont arrêtées (cf B.2.4).

Arthur Calmette [78], p180 donne une liste certainement incomplète des arrestations début 44 : « En janvier Richez, chef de la région Nord, et son agent de liaison Royaux ; en Février Lepercq, le colonel Touny (le 25), Rouzée (le 28), Rebeyrol (le 29) ; en mars Berthelot [138], Gallois, en avril Delvallez du Nord [137], Charles Verny de l'OCM-Jeunes ; en avril Pène, Jacques Henri Simon, son hôte le Dr Richier, et l'agent de liaison pour l'Ouest, l'étudiant Joseph Michel. Pour le mois d'avril 1944 Piette évalue à 1600 le nombre des arrestations dans le seul département du Nord ».

Parmi ces personnes on trouve le chef de l'OCM, Touny, qui sera fusillé à Arras, son acolyte de la première heure, Gallois, Jacques Henri Simon, représentant l'OCM au conseil National de la Résistance, qui mourra en déportation, etc. On peut aussi consulter l'article de Guillaume Piketty sur l'OCM [101] p 135.

Pène au comité Directeur de l'OCM

En janvier 1944, Pène est nommé au comité directeur de l'OCM. Il ne fait pas de doute que cette nomination suivait les arrestations de quatre membres de ce comité.

La question évidente n'était pas seulement de les remplacer mais de chercher d'où venaient les informations qui avaient permis ces arrestations. « Pierre décide de mettre sur pied un service de contre-espionnage à l'intérieur des groupes »[24]. A quoi ont abouti ces enquêtes ? Nous ne le savons pas. Pène n'en a pas écrit ni dit un mot après la guerre, mais Françoise ne l'a pas inventé. Pourquoi cette discrétion ? Nous l'ignorons.

Des infiltrations dans l'OCM des Ardennes ?

La situation dans le département des Ardennes donne un exemple assez documenté d'infiltration ennemie dans l'OCM. Les documents consultés montrent de façon certaine des anomalies graves. Nous ignorons si Pène en a été informé.

Pène qui dirigeait l'OCM et l'AS de l'Aisne, s'était vu chargé aussi des Ardennes pour ces deux organisations. Il s'était largement déchargé sur André Point (commandant Fournier) dont nous avons parlé dans la section B.2.3, 4ème. Il n'y a aucun doute sur l'intégrité de Point ni sur ses qualités remarquables de chef. Il est un exemple brillant de ces personnes de position sociale modeste (il était garçon coiffeur) qui révélaient dans les combats des capacités de commandement remarquables.

La Résistance dans les Ardennes a été précoce et très combative. Il y avait des maquis, nous avons évoqué celui des Manises, dont les membres furent exterminés le 13 juin 44. Il faudrait aussi mentionner le maquis du Banel, à la frontière Franco-Belge [109]. Ce maquis très actif fut anéanti par les Allemands le 18 juin 44 suite à l'infiltration d'un espion : Roemen.

Cela nous amène aux zones d'ombre de la Résistance dans les Ardennes. On mentionne parfois un autre maquis dirigé par Ernest Cardot, sous le nom de ''maquis d'Autrecourt''. Ernest Cardot était un industriel ayant appartenu à un mouvement fasciste français des plus extrêmes : le parti franciste. Ce parti a collaboré avec l'occupant Nazi. Alors Ernest Cardot aurait-il été un dissident qui combattait l'occupant ?

Cardot a été tué le 5 juin 43 par un des maquisards qu'il avait lui-même enrôlé et qu'il se proposait d'assassiner. Le maquis d'Autrecourt a enrôlé un nombre de jeunes appelés au STO (Service du travail obligatoire) qu'on dissuadait d'y aller et qu'on aidait dans ce sens. Cardot se présentait comme un résistant et a été nommé en mai 42 par Paul Royaux, alors chef de l'OCM des Ardennes, responsable OCM pour le secteur de Sedan. Il l'est resté jusqu'à sa mort, André Point, qui a succédé à Royaux l'a accepté dans cette fonction. L'OCM n'était évidemment pas à l'abri d'infiltration d'éléments ennemis. Cardot en faisait-il partie ? Il y avait parmi les maquisards de Cardot des jeunes gens sincèrement désireux de combattre l'occupant nazi. Il semble que ce soit le cas de Jacques Rousseau qui s'est étonné auprès de Cardot du fait qu'il prétendait être un résistant alors que son organisation franciste était pro-nazie. Il reçut une réponse laconique ''aujourd'hui

Page 13: B.2 La Résistance dans l'Aisne

les francistes sont divisés [108] p 158''.

En pratique, le travail des maquisards de Cardot servait plus ses intérêts que la Résistance. Il est vrai qu'ils accumulaient des armes, mais pour quel combat ? Un ami de Jacques Rousseau, Alphonse Masier, a été jugé par un tribunal allemand à propos de la constitution de ce maquis. Voici un extrait du jugement le concernant.

« {Alphonse} Masier reconnaît avoir été avec {Jacques} Rousseau le chef de l'organisation. Il reconnaît également avoir recruté systématiquement les jeunes gens, les avoir empêchés de se rendre en Allemagne et avoir pourvu à leur ravitaillement et à leur logement. Il a en outre pris des dispositions pour que les jeunes gens obtiennent de fausses cartes d'identité et d'autre part a favorisé leur armement. Il avait également le projet d'agrandir l'organisation et de résister par les armes au moment du débarquement ennemi, l'organisation devait recevoir la désignation « phalange ardenaise ». Comme motif de ses actes, il déclare être français et catholique et prêt à donner sa vie pour ses idées si cela est nécessaire' »[108] p 168. Le colonel allemand qui présidait le tribunal, l'a félicité « vous êtes un héros (Sie sind ein Held) » et il aurait aimé avoir un tel fils. Masier fut néanmoins condamné à mort et fusillé.

Quel ennemi devait débarquer sinon les Alliés anglo-américains ? Donc Masier se proclame pro-nazi. Peut-on penser qu'il jouait un double jeu et se présentait comme ami des Allemands pour attendrir le tribunal ? Le double jeu marche dans les deux sens : des vrais résistants faisant croire aux nazis qu'ils les soutenaient ou de vrais nazis français faisant croire à la Résistance qu'ils étaient des leurs.

Cette situation trouble avait de quoi inquiéter la direction de l'OCM. Or il se trouve que peu de temps après la mort de Cardot, Pène était chargé par l'OCM et l'AS de s'occuper des Ardennes en même temps que de l'Aisne. Est-ce une coïncidence ?

La veuve Hélène Cardot, fille de paysans aisés, a eu une spectaculaire carrière politique en faisant de son mari un héros de la Résistance. Elle n'a reculé devant aucun mensonge. Pour ne citer que le plus gros, elle a attribué à son mari la création du maquis du Banel, à la frontière avec la Belgique. Si le but du maquis d'Autremont qu'a créé Cardot est louche celui du Banel était un vrai maquis de résistance aux nazis. Mais Cardot n'y a jamais mis les pieds !

Par contre la liquidation de ce maquis a été facilitée par Hélène Cardot. Elle a reçu Charles Roemen, agent belge au service de l'Allemagne. Ce dernier lui a demandé de le mettre en contact avec les chefs de la Résistance des Ardennes, montrant un faux papier de l'Intelligence Service [109]. Elle prévient la Résistance {Point ?} et l'abbé Fontaine, agent de liaison avec le maquis du Banel. Très vite Jean Hercisse, le successeur de Cardot pour le secteur de Sedan, vient lui dire de la part de Point que Roemen travaille pour les Allemands. Mais le mal était fait.

En 1946, Hélène Cardot fait partie des 21 femmes élues au tout nouveau Conseil de la République où elle occupe le poste de secrétaire dès son arrivée au Palais du Luxembourg. Elle a été Sénateur des Ardennes en 1948 puis a été vice-présidente du Sénat. Son pouvoir au niveau ardennais et national était considérable. Elle a persécuté l'abbé Fontaine dont le seul crime était de dire la vérité sur le maquis du Banel, et on peut même se demander si elle est étrangère à la décision qui a provoqué le suicide de André Point (B.2.3, 5ème). En effet il savait la vérité sur Roemen à qui elle avait présenté plusieurs résistants.

Les archives du maquis du Banel, cachées dans un tonneau, ont miraculeusement disparu. « il fut sorti de sa cachette en présence de l'abbé le 16 septembre 1944, juste après la libération. Des scellés y furent apposés par Maître Jeanty, notaire à Izel, qui l'emmena pour une destination inconnue. On ignore à l'heure actuelle ce qu'il est advenu de ces documents » [109] p 240. Il y avait probablement quelque chose à cacher ?

Pour résumer, le rôle d'Ernest Cardot et son objectif sont pour le moins très ambigus. La déclaration de Masier, membre du groupe Cardot est une déclaration d'allégeance aux nazis. La propagande outrancièrement mensongère de la veuve de Cardot tend à renforcer a posteriori les soupçons concernant l'objectif réel de Cardot, qui fut, rappelons-le, responsable de l'OCM pour le secteur de Sedan. Cela justifiait largement une enquête de la direction de l'OCM. Nous n'en savons pas plus à ce sujet.

L'abbé Fontaine s'est adressé à André Dulin, Résistant dans les Ardennes au sein du mouvement Libération Nord. Il lui a adressé un texte dévoilant les mensonges de Hélène Cardot et la persécution dont il faisait l'objet. Dire la vérité sur des puissants est souvent dangereux.

L'unification des forces armées des résistants dans les FFI

Pène arrive à Paris début 44. Calmette [78] p184 « Dans la Région parisienne, la plupart des commandements de l'A.S. avaient été réservés à Ceux de la libération (CDLL). Le groupement est à peu près complètement annihilé en décembre par les arrestations de ses chefs, notamment Ripoche (Dufour, Pons) et Coquoin (Lenormand). Touny, qui dirige l'OCM, récupère ce qui en reste et met à la disposition du nouveau

Page 14: B.2 La Résistance dans l'Aisne

responsable de CDLL (Ceux de la Libération), André Mutter, les agents de liaison nécessaires. Son isolement le fait appeler, par triste et amicale moquerie, ''celui de la Libération''. Ce surnom est attesté par un témoignage de Françoise Pène par qui passait le courrier de Mutter. Calmette poursuit « à qui confier le commandement de l'AS qui va devenir bientôt FFI, pour la Région Parisienne ? Touny songe à Pène, qui, suspect aux yeux des Allemands, a quitté l'Aisne en décembre 43 et est venu à Paris. Il est intégré comme nous l'avons dit au Comité Directeur de l'O.C.M. et désigné chef des FFI de la région P {parisienne}(son titre exact est Inspecteur régional des FFI), sous le nom de Perico ou de Pointis » avec le grade de colonel.

L'Armée Secrète devenait FFI (Forces Françaises de l'Intérieur) [172]. En effet Le 29 décembre 43 les FFI sont nées d'un accord signé par Pierre Dejussieu (Pontcarral) au nom de l'Armée Secrète, par le colonel Beaufils (Latour) au nom des Francs Tireurs et partisans français (FTPF) et par Louis Eugène Mangin, délégué militaire national du Comité Français de Libération Nationale. Les FTPF {Francs tireurs et partisans français}, l'organisation militaire du parti communiste, participait aux FFI. L'Organisation de résistance de l'armée (ORA), c'est à dire les résistants de l'armée de Vichy, seront admis dans les FFI le 26 février 44.

L'ORA était l'objet d'une méfiance car c'était l'armée de l'armistice, et beaucoup de ses membres n'avaient basculé du coté de la Résistance que tardivement, essentiellement après l'invasion de la zone sud par les Allemands, fin 42. Il faut cependant reconnaître que l'ORA a vraiment combattu Vichy et les Nazis. Elle a aussi eu dans ses rangs bon nombre de martyrs. Nous avons cité le général Frère, mort au camp de Struthof, nous parlerons du général Joseph Guillaut torturé et assassiné le 27 juin 44 (cf D.8.3). Il y en eut bien d'autres.

En tout cas, la création des FFI unifiait vraiment les principales forces militaires de la Résistance Intérieure, nonobstant les inévitables tensions. Nous verrons un exemple de ces tensions mais aussi la preuve de leur sincère solidarité à Paris.

Pour être complet, il faut ajouter l'appareil militaire directement piloté par l'Etat major gaulliste. Il y avait un chef militaire de la Résistance intérieure. Début 1944 c'était le général Dejussieu (Pontcarral). En dessous on trouve les Délégués militaires de zone (zone nord et zone sud), et en dessous les Délégués militaires régionaux (DMR). Le DMR de la région parisienne est début janvier André Boulloche, le vieil ami de Pène. Hélas il sera arrêté et grièvement blessé le 12 janvier. Son successeur sera André Rondenay (Lemniscate) dont Pène dira ''une des plus belles figures de Résistant que j'ai connues''.

B.3.2 Pène Inspecteur Régional de la Région Parisienne : préparation de la libération et action immédiate

Donc, début janvier, Pène est nommé à la tête de la région P. La région P est très étendue. De l'Oise, au nord de la région parisienne, elle s'étend jusqu'à l'Allier au sud, ce qui inclut la ville de Vichy [125] ! Le titre de Pène est inspecteur régional. Cette fonction est commentée dans les Archives Nationales, archives de Bouchinet-Serreules [95]. Après l'arrestation de Jean Moulin, Serreulles et Bingen se partageaient sa succession. L'Etat major national des FFI a proposé de créer la fonction d'inspecteur régional. Serreules et Bingen approuvent cette décision [95]. « On verra que la décision du comité central {des mouvements de Résistance : CCMR} du 1er Février prévoit la désignation d'inspecteurs régionaux. Leur nécessité se fait surtout sentir en zone nord où les chefs de région nommés par les mouvements sont dans plusieurs cas notoirement insuffisants ; la création d'inspecteurs régionaux représentants de l'Etat-Major permet ainsi de résoudre un certain nombre de cas épineux et d'éliminer des hommes (tels que Moreau de l'OCM dans la région M.) qui n'ont pas l'autorité pour présider à la création d'un Etat-Major qui soit l'émanation de tous les mouvements ». Cela permettait de résoudre le problème suivant [95] « Quand les DMR (délégués militaires régionaux), à partir de septembre 43, arrivèrent pour occuper leur postes, ils ne trouvèrent en zone nord dans la majeure partie des cas, personne qui fût qualifié pour les accueillir. Il leur fallut plusieurs mois pour prendre contact dans leurs régions respectives avec les chefs militaires des différents mouvements, qui souvent s'ignoraient entre eux. L'un d'eux était théoriquement le chef régional de l'ensemble, mais il ne contrôlait en réalité que les militants de son groupement d'origine ».

Le texte du 1er février du Comité central des mouvements de résistance (CCMR) évoqué par Serreulles ci-dessus a été déposé par lui aux Archives Nationales [126]. Ce CCMR n'est pas très connu. Dans le dictionnaire [101] p 174, Claire Andrieu dit qu'il s'est formé dans une réaction au CNR, par rejet des partis politiques et dans une volonté d'autonomie par rapport à la délégation générale. Cependant « Claude Bouchinet-Serreules obtient d'en être le président dès la deuxième séance ». Créé en juillet 43, il cesse de se réunir en janvier 44. Le texte [126], qui a créé la fonction des inspecteurs régionaux, déclare « le Comité central décide que les forces armées de la Résistance sont placées sous l'égide du C.N.R. Un état-major des

Page 15: B.2 La Résistance dans l'Aisne

F.F.I. est constitué ». Ce sera le COMIDAC (Comité d'action), fusion des comités militaires des deux zones.

Le fonds d'archive du colonel Fouré

Pène a donc été nommé à ce poste d'inspecteur régional de la région P à la suite du décès tragique de Roger Coquoin, qui a tenté de s'enfuir lors de son arrestation et a été blessé à mort. On n'a jamais retrouvé son corps, ce qui a accru la douleur de son épouse.

Mais Roger Coquoin avait déjà, avec l'aide de son chef d'Etat-Major, Robert Fouré (Leroy, le Targuy, Bontemps), étudié en détail les conditions d'une insurrection de Paris en vue de sa libération. Le fonds d'archives de Robert Fouré [96] a été découvert par hasard en 1987 par des ouvriers venus mettre aux normes un ascenseur au 128 rue de Rennes. Robert Fouré se cachait dans une chambre de bonne au 6ème étage, et pouvait accéder au monte-charge qui surmontait la colonne de l'ascenseur. Il cachait ses documents sous la tôle supérieure du monte-charge{1}.

Ce fonds est d'une grande richesse{2}. On y trouve des documents d'intérêt national qui proviennent des réunions de l'Armée Secrète. Nous en verrons des exemples dans la section ci dessous.

La promotion posthume de Robert Fouré au titre de général est refusée : son activité de Résistance n'est pas prise en compte !

Le colonel Robert Fouré a été arrêté le 17 mai 1944, il a été vu pour la dernière fois au camp de Dora, son corps n'a jamais été trouvé. Sa famille et ses amis se sont battus en vain pour qu'il soit nommé général à titre posthume. Leurs interventions nous font mieux connaître son rôle dans la Résistance.

Dans une attestation du chef d'escadron Pornot-Leparc, datée du 31 août 46, sans doute pour soutenir la promotion de Robert Fouré au grade de général à titre posthume, il est dit « Le colonel Fouré a mis sur pied, depuis juin 43, les plans de la Résistance dans les départements de la Seine et de la Seine et Oise. En particulier c'est lui qui a organisé Paris en secteurs dont il a assigné les chefs : Secteur Nord, commandant Suchet. Secteur Sud, commandant Rivière. Secteur Est commandant Bourgoin. Secteur Ouest, commandant Heymann dit Bertrand. Ces chefs ont été ceux qui ont commandé jusqu'à la libération de Paris. » Beaucoup d'autres attestations le soutenaient. Ronzier qui a fait partie du même convoi pour Buchenwald dit que tout le monde le nommait général. Henri Ribière, qui fut membre du CNR, Henri Rol-Tanguy et le général Dejussieu (Pontcarral) interviennent. La veuve de Robert Fouré et son fils ont échangé quantité de courriers avec le ministre de la guerre puis le ministre de la défense nationale, et ses services.

Cela n'a pas suffi, Robert Fouré n'a pas été promu au grade de général à titre posthume ! Robert Fouré exerçait les fonctions d'un général de brigade quand le 28 septembre 41 il fut mis à la retraite d'office par le régime de Vichy. L'administration ne prenait rien d'autre en compte. Oui, vous avez bien lu, en 1949 l'administration prenait tout simplement le point de vue du régime de Vichy ! La mauvaise foi des ministres est flagrante. Citons Mme Robert Fouré dans une lettre au ministre le 11 Janvier 1949, « cela revient à dire que deux ans de résistance très active, un an dans les bagnes et la mort dans les camps nazis ne comptent pour rien. »

Louis Roussel, commandant Sahara a mené une campagne vigoureuse en faveur du titre de général pour Robert Fouré. Après la guerre il dénonce avec vigueur ceux qui, membres du mouvement Libération Nord, comme Robert Fouré, « sont bien assis à une adresse où il n'y a plus de danger. Vous vous êtes d'ailleurs tous servis en places, galons et citations, appliquant en cela le principe égoïste chacun pour soi... vous avez promis les étoiles au colonel Robert Fouré (le Targuy) et vous ne respectez pas votre promesse. » On ne peut que partager cette colère, surtout si on considère le travail fait par Fouré au profit de la Résistance que nous allons examiner maintenant. Dans ce parcours nous découvrons beaucoup d'admirables actes d'héroïsmes, mais aussi un grand nombre de honteuses mesquineries.

La préparation de l'insurrection un an avant par Coquoin et Fouré

Concentrons-nous sur la Région Parisienne. On trouve dans le fonds Fouré des descriptions détaillées de l'organisation de la région P pour la bataille à venir. Ces documents ne sont pas tous datés, mais un organigramme intitulé Directives pour l'organisation des départements qui porte sur l'organisation du commandement est daté du 10 décembre 43, il porte la mention F.F.I. Il ne semble pas que ce fonds contienne de documents de l'année 44.

Des documents organisent en détail l'action dans les PTT, d'autres mettent en garde contre les agents de la Gestapo munis de fausses lettres de commandement signées de Gaulle.

Un document du 6 décembre 43 est signé de Condé, adressé à Turenne, Luxembourg, Villars, Vauban. Qui est Condé ? C'est le nom de la région P, donc Coquoin, Fouré, … Les quatre destinataires sont les régions P1,

Page 16: B.2 La Résistance dans l'Aisne

P2, P3, P4 : P1 Seine ; P2 Seine et Oise, Oise, Seine et Marne ; P3 Eure et Loire, Loiret , Loire et Cher, Indre et Loire ; P4 Aube , Yonne, Cher, Nièvre, Allier [125]. Ce texte appelle, au vu de la dégradation de la situation matérielle et morale de l'ennemi, à un renforcement de la préparation et des actions militaires.

« Il importe donc - de pousser activement l'encadrement et l'instruction des éléments par un militaire récemment recruté.

- De rechercher avec soin et d'attaquer tous les points sensibles de l'armée d'occupation – Services Généraux, Ravitaillement, Moyens de Transport, Industrie de Guerre, Dépôts d'Armes, de munitions, de carburant, etc....- De s'emparer, toutes les fois que c'est possible, de son armement, de son matériel soit en s'attaquant à des postes mal gardés, soit en détournant en cours de route la production des usines qui travaillent pour son compte. »

La directive poursuit en demandant des informations sur l'état actuel de l'armement, sur ce qui a déjà été distribué aux combattants ou pourrait l'être en distinguant les armes qui proviennent des parachutages (BOA Bureau des opérations aériennes, et IS Intelligence service) et celles qui proviennent des stocks français et allemands récupérés.

Permettons-nous une anecdote. Le 10 février 2017 Robert Endewelt donnait une conférence. Résistant, il était membre de la direction régionale des jeunesses communistes juives de la MOI. Il est né en 1923. Il est resté à Paris pendant toute l'occupation et a tout de suite participé à la Résistance, mais il n'était pas dans les secteurs d'action militaire comme les FTP-MOI, il s'occupait plutôt de la propagande. Malgré son grand âge, sa lucidité était en 2017 totale et son intelligence politique impressionnante. On lui a demandé si les combattants de la libération étaient armés. Il a eu cette réponse admirable, en substance « Oui, on ne savait pas d'où venaient ces armes mais les armes ont surgi quand il a fallu mener les combats de rue. » Si on rapproche ces propos, concernant les combats d'août 1944 et les directives dont nous venons de parler qui datent de la fin 43 on prend la mesure de la longue et systématique préparation de l'insurrection de Paris, et ce, dans un climat de répression épouvantable. C'est avec tristesse que nous avons appris le décès de Robert Endewelt en octobre 2018.

Le 10 décembre 43, Condé adresse aux mêmes (Turenne …) une série de conseils concernant toute action de sabotage. :

« 1° : Son efficacité doit être maximale,2° : Elle doit avoir le moins de conséquence possible sur le minimum vital laissé aux Français3° : Elle doit épargner le plus possible le patrimoine national,.... »

Une note concernant Luxembourg c'est à dire la Seine et Oise, Seine et Marne et l'Oise (25 ou 28 décembre 43), demande aux départements de fournir la liste des interdictions qu'ils pourraient exécuter et entretenir. « Le but recherché est l'immobilisation des armées allemandes au moment de la reprise des hostilités. » Voyons la liste de ce qu'il faut interdire : interdire les routes, voies ferrées, voies d'eau, transport aérien, transmissions, bloquer les états-majors, capturer les dépôts d'armes et de munitions, enfin détruire le service de renseignement ennemi et assurer notre sécurité. On le voit ce plan est précis, détaillé et bien pensé.

Une note enseigne comment identifier correctement les positions des troupes allemandes afin de les signaler. On trouve ensuite des directives détaillées de sabotage à faire à l'encontre de lignes téléphoniques et de lignes de trains.

Des questionnaires action établissent l'enquête nécessaire autour d'une action proposée, les réponses et dessins qu'il faut fournir. Des plans de sabotage des lignes téléphoniques et des voies de chemin de fer sont présentés.

Remontant le temps, le fonds Fouré contient des textes de septembre 1943 concernant les services de santé nationaux ou régionaux. Sans entrer dans les détails, cette façon de prendre en main, au nom de la Résistance, cet aspect de la vie des citoyens est étonnante et encourageante. Notons que, dans ces documents, les initiales S.S signifient Service Santé, pas de confusion avec les Schutzstaffel !

Passant du coq à l'âne, un Compte-Rendu du comité militaire de la zone Nord, 13 août 1943, puis un texte du 7 octobre 1943 décrit un accord entre l'armée de l'armistice et les responsables des huit mouvements de Résistance, cela se résume à un engagement d'obéissance au CFLN (Comité français de libération nationale), situé à Alger. Il faudra à l'armée de l'armistice encore du temps avant d'être admise au sein des FFI. Devait-on se priver du général Frère, du général de Lattre, du colonel Joseph Guillaut, et de bien d'autres, dans ces combats ?

Notons en passant que l'unité de la Résistance au sein des FFI avait fait bien des progrès : se sont succédés Roger Coquoin de CDLL, Pène de l'OCM, Robert Fouré de Libération-nord, Rol-Tanguy des FTP.

Page 17: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Région Parisienne trop vaste, Fouré et Pène réclament sa division

La région P était trop vaste. Nous avons déjà vu que la région P était nommée Condé. Nous avons aussi vu la liste suivante de la région P découpée en 4 parties : P1 Seine (Turenne); P2 (Luxembourg) seine-et-Oise, Oise, Seine-et-Marne ; P3 (Villar) Eure-et-Loire, Loiret , Loire-et-Cher ; P4 (Catinat, Vauban) Aube , Yonne, Cher, Nièvre, Allier.

Sur un atlas antérieur au redécoupage des départements on peut se rendre compte de ce que cela représente [125]. Cette carte montre, entourées de rouge P1 et P2 et entourées de bleu P3 et P4. P1, c'est Paris et quelques villes de la proche banlieue, telle Boulogne Billancourt. P2 c'est autour de Paris une région s'étendant jusqu'à 100 km de distance de Paris vers le nord au delà de Beauvais. P3 s'étend vers le sud-ouest jusqu'à 175 km de Paris, au delà de Blois ! Et P4 s'étend vers le sud à 300 km de Paris, jusqu'à Vichy !

Il est évidemment impossible d'en faire une seule région, les situations sont très différentes dans P3 et P4, zones rurales de celles de P1 et P2. N'oublions pas que ces distances considérables devaient être franchies dans un pays truffé d'Allemands. Les descendants de Robert Fouré ont découvert dans les archives de l'armée à Vincennes une lettre adressée au général de Jussieu (Pontcarral), qui dirigeait les FFI à l'échelle nationale, signée de Pène (Péricault) et Robert Fouré (Leroy) [88]. Cette lettre demandait de séparer P3 et P4 de P1 et P2. Nous ne connaissons pas la date de ce courrier, mais le message a été entendu. Déjà fin 43 la région P3 quittait la région P : avec le Cher elle était dans la région centre [78] p 159 et elle avait son DMR, Marc O'Neil [78] p 201.

La composition de la région P mentionnée ci-dessus a probablement été établie fin 1943. C'était la décomposition en Régions de l'Armée Secrète. Calmette [78] p 92 donne une décomposition un peu différente. Elle est postérieure à celle de Fouré, il place une partie de P4 dans la partie D3 de la Région D (Dijon), en signalant qu'auparavant ces départements dépendaient de Paris. Sur wikipedia [140] on trouve une décomposition concernant les FFI qui semble être finale, probablement établie par le général de Jussieu (Pontcarral) avant son arrestation en mai 44. De nouvelles régions apparaissent, par exemple le Centre. Les Régions P1 et P2 sont les mêmes que chez Fouré. P3 et P4 sont réparties de façon un peu compliquée, nous allons en donner un petit tableau.

Département Fonds Fouré [96] Calmette [78]p 84 wikipedia [140]

Eure-et-Loire P3 P3 CentreLoiret P3 P3 CentreLoire-et-Cher P3 P3 CentreIndre-et-Loire M1 (Normandie-Bretagne) P3 CentreAube P4 P4 Champagne-ArdennesYonne P4 P4 BourgogneCher P4 D3 (Dijon) CentreNièvre P4 D3 BourgogneAllier P4 D3 Auvergne

Les effectifs des FFI de cette Région sont décrits [124] à la date du 1er février 1944 pour Libération, OCM, FTP, CDLR. Il manque CDLL. Sur toute la vaste région P on compte 835 hommes armés, on estime à cent fois plus, 85605, le total en ajoutant les hommes entraînés non armés et les réserves. La Seine en compte 135 armés et au total 42882. La région P2 en compte 145 et 17463. Le manque d'armes est bien sûr criant.

Les actions de sabotage dans la Région Parisienne

Comme nous l'avons dit, nous avons trouvé peu d'informations concernant l'action des FFI de la Région Parisienne, alias ''Condé'', pendant cette période de début janvier à début avril 1944. Nous allons traiter dans la suite du désaccord sur la stratégie de la préparation de l'insurrection entre Pène et Rol-Tanguy. Mais parlons maintenant des actions menées.

Voyons d'abord qui sont les dirigeants de Condé pendant cette période. Pène est l'inspecteur régional, et Robert Fouré le chef d'Etat-Major. Rol Tanguy est déjà responsable du 3ème bureau, c'est à dire précisément le bureau Action [98]. Dans un témoignage recueilli en 1957 par Arthur Calmette [54] p5, Pène cite aussi Lefaucheux et Lepercq, de l'OCM. Lepercq a été son adjoint pour Paris jusqu'à l'arrestation du colonel Touny, Lepercq prenant alors la présidence de l'OCM [101] p 463.

Pierre Lefaucheux (Gildas) a donné un témoignage de son activité de Résistance en particulier à Paris [127]. Il détaille l'organisation qu'il met en place, les responsables qu'il nomme, les contacts qu'il prend. Après le départ d'Aimé Lepercq (25 mars 44) et l'arrestation de Pierre Pène (4 avril 44), il se retrouve de facto à la tête de Paris, la Seine et la Seine et Oise. Il réclame des armes, « Ce fut le point noir. On n'en eut jamais assez.

Page 18: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Gildas entra en contact avec les DMR qui étaient chargés de distribuer les armes et n'en obtint pas ou presque pas. Il vit Rondenay (Jarry), Boulloche (Armand), ainsi que Pierre Sonneville officier de marine envoyé par Londres à Paris. Celui-ci dit carrément à Pierre Lefaucheux que Londres ne voulait pas donner d'armes à la Région Parisienne. Sans doute craignait-on une insurrection communiste »[127].

Lorsque Lefaucheux fut à son tour arrêté le 3 juin, à la veille de l'insurrection parisienne, il n'y avait pratiquement pas d'armes dans la Région Parisienne ! Cela contredit-il le témoignage de Endewelt ci-dessus ? Il semble qu'à partir de juillet 1944 les Alliés aient compris l'importance d'armer la Résistance, mais ils n'ont pas envoyé beaucoup d'armes dans la région parisienne. Le 19 août les FFI sont au nombre de 35.000, dont 20.000 FTP, mais Rol-Tanguy ne peut en armer que 2.000. « Au cours des journées insurrectionnelles, les effectifs vont grossir – l'armement également grâce aux prises sur l'ennemi – et à la fin des combats, les milices patriotiques regroupent 50.000 combattants dans la Région Parisienne » [150] p 56.

Pène mentionne aussi André Mutter, de Ceux de la Résistance (CDLR) qui avait succédé à Roger Coquoin (François) (CDLR) au CNR comme représentant de ce mouvement. Enfin le colonel de Marguerittes (colonel Lizé), venu de Bordeaux, dont il fait son adjoint qu'il informe de tout pour le cas où il serait arrêté. Ce colonel remplacera Lefaucheux après son arrestation (3 juin) et il participera à l'insurrection de Paris comme responsable FFI de Paris sous le commandement de Rol-Tanguy.

Dans le même témoignage [54] p 5, Pène mentionne l'organisation de sabotages, dont ceux des usines S.N.F et Bronzavia. Il est très probable que, suite à une erreur de mémoire ou de transcription, il se soit agi de S.K.F., une usine de roulements à bille. Le récit détaillé du très spectaculaire sabotage des usines Bronzavia à Courbevoie par Pierre Henneguier (Julien) est accessible [120] p 206. En janvier 1944, Pierre Hennéguier (Capitaine Julien) avait été nommé chef des actions de sabotage dans la région P (Paris, Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Yonne, Loiret, Nièvre). Son groupe attaqua les usines : Bronzavia à Courbevoie, Rossi à Levallois ; Timken à Gennevilliers ; Malicet et Blin à Aubervilliers et surtout Renault à Boulogne-Billancourt, où au cours de deux expéditions, huit chars, un pont-roulant et cinq autos-mitrailleuses furent détruits et des armes récupérées.

L'entreprise SKF à Ivry a été l'objet d'un sabotage très bien réussi, témoignage de Roger Deniau [121]. Roger Deniau appartenait au réseau Libération-nord. Il était à Paris et présidait le Comité parisien de libération (CPL). Il souligne un exploit de son mouvement : « Un des sabotages les plus importants fut le sabotage effectué par un groupe franc de Libé-Nord aux usines S.K.F. d'Ivry. Les usines fabriquaient des roulements à bille ».

« Dans les premiers jours du mois de janvier 1944, un envoyé de Londres vint à Paris, accompagné d'un instructeur saboteur chez Saillant et Deniau auxquels il déclara que l'Etat Major interallié demandait que l'usine S.K.F soit neutralisée au plus tôt sans quoi 500 forteresses volantes bombarderaient ces usines »[121].

Il est inutile de préciser les dégâts que ces forteresses volantes auraient faits aux civils voisins de l'usine. Il fallait donc que les Résistants s'en chargent. Le témoignage de Deniau se poursuit « plusieurs groupes avaient déjà eu des instructions pour faire cette opération, mais aucun ne l'avait réussi »[121]. De fait, deux Compagnons de la Libération, Pierre Briout (Pelle), et François Fouquat (Cisaille), envoyés du BCRA, furent blessés lors d'une tentative de sabotage de S.K.F. La garnison allemande avait été prévenue par un informateur. Cela nous confirme dans l'opinion que le BCRA était sérieusement infiltré par des agents ennemis. Voici donc comment s'y sont pris les Résistants de Libération Nord [121]. Cette opération, le sabotage de S.K.F. « fut réalisée par 12 francs-tireurs de Libé-Nord. Ceux-ci pénétrèrent dans l'usine habillés en ouvriers et furent guidés par un camarade déjà dans la place. Ils avaient pour mission de faire sauter les rectifieuses et le dépôt de mazout. Chacun portait une petite boite dans laquelle se trouvaient l'explosif, les détonateurs, etc. Celui qui était chargé du dépôt de mazout passa tranquillement devant la sentinelle allemande qui lisait un roman et ne fit aucune attention à lui.

En principe tout devait sauter à 18h, après le départ des ouvriers. Mais les premières explosions commencèrent vers 16 heures et se prolongèrent jusqu'à 19 heures. Dès les premières détonations les ouvriers quittèrent l'usine et les saboteurs se joignirent à eux, sans qu'aucun ne fût inquiété. Les Francs-tireurs de Libé-Nord avaient eu beaucoup de mal à se procurer le matériel nécessaire pour l'exécution de ce sabotage. Ils avaient dû aller jusqu'à Bordeaux pour chercher le plastic. Cette opération fut effectuée, croit Deniau, vers le mois de Mars 1944. »

Les deux du BCRA mentionnés ci-dessus, Pierre Briout et François Fouquat, remis de leurs blessures, ont participé sous les ordres d'André Rondenay (Jarry), avec succès, dans des conditions extrêmement périlleuses, au sabotage en équipe de plusieurs usines entre février et mai 1944 (Timkem à Gennevilliers, Malicet & Blin à Aubervilliers, Ets Rossi à Levallois, Sté Bronzavia à Courbevoie, Usine Renault de

Page 19: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Billancourt, Sté Hotchkiss de Clichy)[122]. Il s'agit des actions dirigées par Pierre Hennéguier (Capitaine Julien) mentionnées ci-dessus.

Ces actions de sabotage ont été très spectaculaires d'autant qu'elles étaient très délicates à mener à bien. Elles étaient menées par un seul mouvement de Résistance, pour des raisons de sécurité évidentes, le groupe Action dans le cas de Pierre Hennéguier, le groupe Libé Nord dans le cas décrit par Deniau.

Le rôle de Libération Nord sera important lors de l'insurrection de Paris. On en trouve le détail dans le livre de Alya Aglan. « Dés le 19 août les chefs de la section libération s'emparent de la Mairie du VIIème avec l'aide de la défense passive et de membres de Police et Patrie.....les groupes francs du mouvement prennent part aux combats qui ont lieu autour de la caserne de Latour-Maubourg, de l'Ecole militaire, du palais- Bourbon et du ministère des Affaires étrangères » [89] p 287.

Ce n'était pas la fonction de L'inspecteur régional de planifier et organiser ces actes, mais certainement de les encourager et de les aider. L'argent étant le nerf de la guerre, l'inspecteur avait cette tâche de recevoir l'aide financière de Londres et de la répartir dans la région qui, répétons le, était très vaste. Quand Pène se fera arrêter avec une grosse somme d'argent sur lui, cela aura un effet négatif sur toute la Résistance de la région privée de financement. Cette répartition demandait de continuels contacts qui étaient bien sûr toujours dangereux. Le jour de son arrestation il avait rendez-vous avec Maxime et Personne. Maxime, c'est Bloq-Mascart, qui dirige l'OCM. Personne est Jacques Piette qui est à l'époque chef militaire de l'OCM.

Il fallait aussi contrôler les dirigeants des FFI au niveau des départements. Cette fonction était saluée par Bingen et Serreules. Il fallait bien sûr veiller à la collaboration des FFI des différents mouvements. Enfin la vision stratégique du chemin vers les combats de la libération était importante. Avec cette difficulté supplémentaire que la vision de de Gaulle véhiculée par le Délégué militaire national (DMN) différait de celle du Conseil National de la Résistance (CNR) qui était assumée par le COMAC et le COMIDAC.

Nous allons voir un autre exemple de désaccord sur la vison stratégique, mais aussi plus tard nous verrons la véritable convergence de différents mouvements de Résistance que l'organisation des FFI a permis.

B.3.3 Désaccord entre Rol Tanguy et Pène à propos d'un appel à l'action immédiate.

Pierre Pène nous a laissé peu de témoignages sur la période où il a dirigé les FFI de la région parisienne. Une question qu'il souligne se présente comme un désaccord avec Henri Rol-Tanguy.

« Vers mars 44, Rol Tanguy lui apporte un plan d'insurrection de masse, à déclencher au moment du débarquement allié. M. PENE trouve le plan dangereux et ne le transmet pas »[54] p 5.

Plus tard Pène dira « Un jour Rol m'amène, en sa qualité de chef d'Etat-Major un appel à l'insurrection parisienne rédigé par le PC. Il s'agissait pour la population de Paris désarmée, inorganisée, sous-alimentée de se soulever contre la puissante force d'occupation allemande. L'énoncé seul du problème suffit à en faire apparaître le caractère déraisonnable. Transmettre cet ordre pour exécution, c'était conduire les plus courageux des habitants de la capitale au massacre. L'entreprise était si insensée que je me demande si elle ne cachait pas une manœuvre; mais laquelle ? Envoyer en tête au casse-pipe les cohortes bourgeoises pour les éliminer ? En acculant les groupements non communistes à refuser leur collaboration, se donner à bon compte un rôle apparemment héroïque ?

Je n'hésitai pas longtemps, mis le papier sous le coude et n'en entendis plus jamais parler. L'insurrection parisienne éclate dans des conditions bien meilleures avec l'appui matériel et moral de la division Leclerc et des armées américaines. L'exemple de Varsovie durant la guerre de 39-45, celui de Budapest en 1957, montrent qu'un insurrection populaire dans une grande ville ne peut qu'échouer si elle n'a pas le soutien ferme d'une armée étrangère. » [66] p 13-14.

Notons une inexactitude, le chef d'Etat-Major était Robert Fouré. Rol était responsable du 3ème bureau, celui des opérations. A ce titre il pouvait tout à fait intervenir sur l'action immédiate. Ce désaccord révèle la méfiance entre les communistes et les gaullistes. Le hasard de l'histoire a fait que précisément Rol-Tanguy s'est trouvé à la tête des FFI de la Région Parisienne à partir de début juin jusqu'à l'insurrection de Paris. Cette insurrection a-t-elle été aventureuse comme le craignait manifestement Pierre Pène ?

Récit sommaire de l'insurrection de Paris du 19 au 25 août 44.

Rol-Tanguy était communiste et Pène a naturellement vu dans sa proposition la main du Parti. La lecture du livre de Roger Bourderon [98] révèle que c'est plus compliqué : quand il a eu des fonctions dans les FFI, Rol-Tanguy a privilégié les directives de la hiérarchie des FFI sur celles du Parti Communiste. Nous verrons plus loin le texte que Rol a probablement proposé à Pène et nous comparerons ce qui y était écrit avec le

Page 20: B.2 La Résistance dans l'Aisne

déroulement de l'insurrection de Paris.

L'insurrection a été de fait déclenchée par la révolte des policiers qui ont occupé la préfecture de police le 19 août. Rol savait bien sûr qu'il était impossible à des FFI légèrement armés de faire sauter la demi-douzaine de verrous allemands dotés de chars Panzer. Pourtant, une fois commencée il était d'avis de poursuivre cette insurrection jusqu'à la libération de la ville.

Le 20 août il y eut une proposition de trêve. Suivons le récit de Christine Lévisse-Touzé [147]. La disproportion des moyens militaires inquiète Parodi, représentant du Gouvernement provisoire, Chaban son adjoint et Délégué Militaire National et Hamon, vice président du Comité Parisien de Libération. Sans consulter Rol, Parodi donne l'ordre d'évacuer la préfecture de police, mais le Comité de Libération de la Police refuse. Le consul de Suède, Nordling, engage des négociations avec Von Choltitz pour une trêve. Le 20 au matin, des tracts diffusés par des voitures de la police et de la Feldgendarmerie annoncent la trêve. Parodi lance aussi un appel à la trêve. Mais la majorité des résistants est hostile à cette trêve, et Rol-Tanguy le premier. Le colonel de Marguerittes (Lizé), à qui Pène avait accordé toute sa confiance, était aussi hostile à cette trêve. De fait elle ne fut respectée par aucune des deux parties. Notons en passant qu'une trêve aurait sans doute autorisé les troupes allemandes en retraite à passer par Paris, alors que la poursuite de l'insurrection a obligé ces troupes à contourner Paris par le nord, les retardant ainsi beaucoup.

Le 22 août, l'appel aux barricades est lancé, il y en aurait eu près de 600. Le 24 août, la colonne du capitaine Dronne, essentiellement composée de républicains espagnols, arrive place de l'hôtel de ville et les cloches sonnent. L'émotion est intense, les parisiens ont des larmes de joie, même si au bruit des cloches se joignait encore celui de combats en certains points de la ville. Dans la banlieue, les soldats de la 2ème Division Blindée apprenaient par les cloches que Dronne et ses républicains espagnols avaient réussi. Aujourd'hui encore, peut-on rester indifférent à l'écoute des enregistrements de ce moment historique ?

Le lendemain le gros de la division Leclerc pénètre par plusieurs voies dans Paris, vite appuyée par la 4ème division d'infanterie US. Paris était libéré !

Mais revenons au début 44, quand un texte est parvenu entre les mains de Pène transmis par Rol. De quel texte s'agit-il ? Mme Cécile Rol Tanguy, agent de liaison de Henri Rol-Tanguy, nous a dit ne rien savoir à ce sujet.

Nous avons longtemps cherché ce texte et nous pensons finalement l'avoir trouvé aux Archives Nationales dans un fond déposé par Michel Pasteau, un ami de longue date des Pène. Mais nous y viendrons plus loin, voyons d'abord le contexte.

La date évoquée par Pène correspond à celle de la parution du Programme d'Action de la Résistance adopté par le bureau du CNR le 28 février 1944. Evoquons rapidement l'historique et le contenu de ce programme afin de connaître les débats sur l'activité de la Résistance et les conclusions de ces débats.

Le Programme d'Action de la Résistance du 28 février 1944

Une charte de la Résistance a été élaborée par le Front National (FN), proche du PC. Claire Andrieu [79] {voir en particulier le chapitre II, p 53} décrit les discussions autour de ce texte et les modifications successives qui lui sont apportées. Le bureau du CNR a d'abord modifié le texte et écrit une charte de la Résistance du bureau du CNR en janvier 44. Elle est transmise aux autres membres du CNR et reçoit des « critiques non négligeables. Le bureau du CNR le confie au Comité Directeur (CD) des Mouvements unis de résistance (MUR), principal organisme de résistance en zone sud. » Le MUR s'adjoint le comité directeur du Mouvement de libération nationale tout nouvellement formé qui révise le projet du bureau. Ce texte est finalement « unanimement accepté avec des corrections minimes » par le bureau du CNR le 28 février 44 sous le nom de Programme d'Action de la Résistance. Le représentant du FN dans le bureau du CNR, Pierre Villon a donc accepté ce texte, et Pierre Villon était communiste. Ce texte était accepté par Bingen qui représentait le CFLN au bureau du CNR. Les critiques de ce texte sont venues surtout du Parti Socialiste (PS). Un texte définitif du Programme d'Action de la Résistance recueillant l'accord des socialistes est finalement adopté le 15 mars 1944.

On peut le lire intégralement dans l'annexe VII de [79] p 168. Ce n'est pas un appel à l'insurrection immédiate. Le texte dit « Les représentants des organisations de Résistance, des centrales syndicales et tendances politiques groupés au sein du CNR........proclament leur volonté de libérer la patrie, en collaborant étroitement aux opérations militaires que l'armée française et les armées alliées entreprendront sur le continent, mais aussi de hâter cette libération, d'abréger les souffrances de notre peuple, de sauver l'avenir de la France, en intensifiant sans cesse et par tous les moyens la lutte contre l'envahisseur et ses agents commencée dès 1940. »

Page 21: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Le paragraphe suivant adjure les Alliés d'ouvrir vite le second front. Un souhait tout à fait général. Certes l'URSS avait hâte de ne pas supporter seule le poids de la guerre, mais qui, à part les partisans de Vichy ne souhaitait pas être libéré le plus vite possible ? Il n'est pas question d'insurrection générale sans l'appui des armées alliées et françaises. Avec du recul, ce texte était prémonitoire. Il s'est révélé plus tard très difficile d'obtenir des alliés que la division Leclerc puisse débarquer en France, et aussi que de Gaulle ait le droit de venir dans les zones libérées. Il a été difficile ensuite d'obtenir des Alliés que la division Leclerc appuyée par la 4ème division d'infanterie américaine ait le droit d'aller soutenir l'insurrection parisienne. Tout le monde s'y est mis, de de Gaulle aux insurgés parisiens, pour convaincre les Américains. Le scénario du CNR s'est finalement à peu près réalisé comme prévu ! Et de plus, répétons-le, il s'est avéré, contrairement aux craintes US, que la libération de Paris n'a pas été un poids supplémentaire pour les Alliés, mais bien au contraire une entrave redoutable au repli des troupes allemandes. On peut en être fiers, non ? (ce n'est pas toujours le cas dans cette période).

Dans ce texte il est question d'actions militaires qui affaiblissent l'ennemi. Cela faisait déjà longtemps que les résistants pratiquaient le sabotage, cf la section B.2.4. Pène avait organisé le plan Taille dans l'Aisne, mais aussi dans la région P les sabotages mentionnés ci-dessus : Bronzavia, SKF etc.

Le texte appelle à créer des comités de libération à différents échelons et ces comités doivent soutenir toutes les actions de lutte contre l'occupant. L'Etat major des FFI est invité à harceler l'ennemi, paralyser ses transports, ses productions de guerre, etc.

Les FFI sont aussi invités à appuyer et protéger militairement les actions de protestations de masse, « les manifestations patriotiques, les mouvements revendicatifs des femmes de prisonniers, des paysans et des ouvriers, contre la police hitlérienne, d'empêcher les réquisitions de vivres et d'installations industrielles, les rafles organisées contre les réfractaires et les ouvriers en grève, et de défendre la vie et la liberté de tous les Français contre la barbare oppression du vainqueur provisoire. »

Pour résumer, ce texte semble bien adapté aux combats à venir et il faisait l'objet d'un consensus large. Bien que la date corresponde à celle que mentionne Pène pour le texte de Rol Tanguy qui lui déplaisait, on ne peut pas imaginer qu'il rejetait un texte avalisé par le bureau du CNR représentant toute la Résistance. Il faut donc chercher ailleurs.

Le texte de Rol : émis par Rol, vu par Pène et Robert Fouré

Nous avons un bon candidat pour le texte soumis par Rol et qui a déplu à Pène.

Michel Pasteau était un ami de Pierre et Françoise Pène depuis leur séjour en Ethiopie. Il était un des premiers membres de l'OCM, aux côtés du colonel Touny. Il s'est évadé d'une façon spectaculaire le 16 décembre 43 « Michel Pasteau (Tourelle) est arrêté par la Gestapo. La nuit venue Pasteau est enfermé dans une chambre pour être interrogé le lendemain. Un soldat l'y surveillait. Deux autres circulaient dans le couloir. Vers trois heures du matin, Pasteau s'aperçoit que son gardien s'est assoupi. Il l'attaque vivement, le saisit à la gorge et l'empêche de donner l'alarme. Le soldat étouffé perd connaissance. Pasteau s'empare de son pistolet, passe dans le couloir désarme les deux sentinelles qu'il enferme dans sa prison et s'en va tranquillement » [78] p 178. Il a montré des documents à Arthur Calmette, historien de l'OCM, qui demandait son témoignage. Il les a déposés aux Archives Nationales. Le document que nous considérons ici se nomme note de Condé pour l'action immédiate. Il est consultable en version numérisée aux Archives [118].

Condé désignait les FFI de l'Île de France. Ce document était signé du responsable du 3ème bureau (bureau action) de Condé qui n'était autre que Rol-Tanguy [98] p 243. Il contient deux textes, le premier date du 18 janvier 44 et le second du 28 février 44. Le second est noté ''Vu l'Inspecteur Régional'', c'est à dire Pierre Pène, et ''Vu, le chef d'E.M. Condé'', le chef d'Etat Major de Condé était le colonel Robert Fouré. Nous retrouvons plusieurs personnages importants des FFI parisiens au printemps 44.

Du premier texte nous retiendrons le nota bene final qui traite de la nécessaire soumission au C.M. (Commandement Militaire) FFI. Cela illustre ce que rapporte R. Bourderon [98] p 245, que Rol souhaitait une discipline militaire dans les FFI plutôt que des continuels marchandages entre mouvements. Cela explique le ton désabusé « Vu l'état actuel de la question, il est bien entendu que les opérations conçues par ces C.M. seront ordonnées à ces groupes par les organisations auxquelles ils appartiennent, ceci jusqu'à nouvel ordre ». En d'autres termes, l'organisation des FFI ne permet pas encore de fonctionner vraiment comme une armée.

Le deuxième texte a donc été vu, mais probablement pas approuvé par Pène. Nous ne connaissons pas l'opinion de Robert Fouré. Il part d'une référence au Programme d'Action de la Résistance du 28 février 1944

Page 22: B.2 La Résistance dans l'Aisne

résumé ci-dessus, résultant d'un accord entre les différentes tendances de la Résistance au sein du bureau du CNR. Celui de Rol est plus énergique, plus proche de ce que les Communistes auraient souhaité. L'action immédiate est vitale pour les FFI car, « résolue avec une énergie et des moyens croissants (en combattants et en armes), que seule l'action peut donner, cette même question réalisera la préparation réelle du jour J, la libération nationale par l'insurrection nationale et la formation d'une puissante armée française ». Le mot d'ordre est « faire la guerre » en citant les poilus de 1918. Ironie de l'Histoire car en 1918 les Communistes n'étaient pas d'accord pour faire cette guerre là.

Le texte poursuit en citant des exemples : les partisans soviétiques, les partisans yougoslaves du Maréchal Tito, et la libération de la Corse. Ces exemples avaient de quoi inquiéter Pène et Fouré : chacune des ces situations avait ses spécificités. Il est fait mention de l'unification que les FFI ont faite des forces armées de la Résistance, mais il n'est pas fait mention de la nécessaire coopération avec les Alliés en cas de débarquement comme dans le texte du CNR. Nous avons déjà dit que dans les faits, en août 44, Rol a fait très attention à cette nécessaire coopération avec les Alliés qui avaient enfin débarqué. Ce texte est-il une initiative de Rol ou vient-il de l'appareil du Parti ? On sait que les relations de Rol avec l'appareil du Parti n'étaient pas au beau fixe. Après la libération, Rol décidera de rester dans l'armée, ce qui lui attirera la méfiance de l'appareil du parti, tout en lui attirant la méfiance de l'armée car il était communiste. Nous pouvons donc imaginer le scénario suivant : le parti fait une pression énorme sur Rol, nouveau dans les FFI, pour qu'il transmette des propositions énergiques et aventuristes, il cède, et il l'amène à Pène comme une proposition sérieuse, devinant que Pène ne lui donnera aucune suite. Cette interprétation est confirmée par le premier texte « Vu l'état actuel de la question, il est bien entendu que les opérations conçues par ces C.M. seront ordonnées à ces groupes par les organisations auxquelles ils appartiennent, ceci jusqu'à nouvel ordre ».

Il a fait ce qu'on lui demandait, les papiers sont là, signés par Rol et vus par Pène et Fouré.

Quand Rol tiendra la barre des FFI de la Région Parisienne, à partir du 6 juin 44, on est passé dans le nouvel ordre, et ce sont les FFI qui donnent les ordres, pas les mouvements. Il soutiendra une insurrection spontanée avec vigueur mais aussi avec une grand prudence.

Le texte se poursuit par une excellente leçon de guérilla. Le mot guérilla vient de l'espagnol, le pays où Rol a appris à faire la guerre dans les Brigades Internationales au côté des Républicains espagnols et où Théo Rol, à qui Tanguy a emprunté son alias, fut tué. Ce passage est reproduit par R. Bourderon [98] p 244.

La crainte d'actions prématurées et en particulier d'une insurrection communiste

Le texte mentionné ci-dessus avait de quoi réveiller la crainte d'une prépondérance communiste car les FTP étaient une puissance militaire considérable au sein de la Résistance. La crainte planait qu'en armant les Résistants, et donc les FTP, on leur permette de prendre le pouvoir par la force.

Claire Andrieu [79], p 68, écrit « Depuis mai 43 le CFLN (Comité français de libération nationale, à Alger de juin 43 au 20 août 44) a admis le principe de l'action immédiate. Au sein de l'armée secrète (AS), un cinquième bureau est chargé depuis cette date des groupes francs. Par ailleurs une Commission de l'action immédiate fonctionne depuis l'été, mise en place par la Délégation et les mouvements ». Rappelons que la Délégation désigne le Délégué général. Après l'arrestation de Jean Moulin, c'était Bingen. Claire Andrieu poursuit « Cependant des Alliés au Délégué général en passant par le CFLN, l'attentisme subsiste, s'atténuant légèrement à mesure qu'on se rapproche de la Résistance intérieure. … En avril 43 les Alliés insistent : Que l'AS évite de se livrer actuellement à des attaques de personnel ou même de matériel ennemi, ce qui ne pourrait qu'inciter celui-ci à renforcer son dispositif militaire en France, donc à entraver le débarquement. » Cela ressemble à un sophisme, et nous avons vu que l'AS puis les FFI ne se sont pas privés d'attaquer le personnel et le matériel ennemis.

Claude Bourdet explique cette réticence du CFLN « Si la Résistance devenait, grâce à ses action multiples, à l'équipement de ses troupes et à leur entrainement, une force militaire autonome, elle deviendrait encore davantage ce deuxième pôle, dont de Gaulle ne voulait à aucun prix ». Cependant de Gaulle était pris dans un piège, car la force de la Résistance intérieure, qui le reconnaissait comme chef, était la base de sa légitimité face aux Anglo-Saxons.

Le Parti Communiste avait-il le désir de tenter une prise de pouvoir en France ? Le PC était étroitement contrôlé par l'URSS. Donc la question est de savoir si celle-ci encourageait une tentative de conquête du pouvoir.

Nous sommes en février-mars 1944. Philippe Buton [117], au vu des archives de Moscou, pense qu'il y a bien eu un tel plan début 44 consistant à profiter d'une insurrection générale pour s'emparer du pouvoir. Cela justifierait la méfiance des gaullistes à l'égard d'un armement des résistants.

Page 23: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Pourtant, la force militaire du PC, les FTP, avait rejoint les FFI depuis la fin 1943. Cela impliquait une discipline militaire. Le chef de l'Etat-Major national des FFI était nommé par le CFLN d'Alger. Fin 43, le PC avait reconnu l'autorité de de Gaulle sur la Résistance. Cela bridait pour le PC tout espoir de prendre la direction des FFI, malgré l'influence certaine du Parti au sein du CNR et du COMAC.

Rol Tanguy, fin février, début mars, apporte le texte litigieux à Pène, Inspecteur Régional des FFI de la région parisienne et membre de l'OCM, pour l'entraîner dans une insurrection communiste ? On a du mal à le croire.

Par ce geste Rol acceptait la hiérarchie des FFI comme il l'a fait jusqu'à la libération [98]. En même temps il exerçait une pression sur cette hiérarchie.

Tenter une insurrection nationale avant le débarquement allié n'était pas réaliste et n'était d'ailleurs pas mentionné dans le texte de Rol du 28 février 44. Il était question de guérilla. Pourtant l'allusion à la Yougoslavie ou la Corse laissait pointer cette idée. Ce qui était demandé était un armement des FFI et des milices patriotiques, et leur entraînement à travers des actions militaire immédiates. Il s'agirait donc d'une insurrection préparée début 44 pour avoir lieu plus tard dans des conditions plus favorables ?

On imagine difficilement une insurrection communiste en présence des troupes alliées anglo-saxonnes. Les dirigeants anglo-saxons avaient déjà du mal à tolérer les gaullistes ! En Grèce les Américains ont exterminés les forces de gauche {15}. Ajoutons que l'expérience de l'insurrection de Paris, ainsi que de celle antérieure de Varsovie, montre que même une immense métropole massivement soulevée contre une armée moderne ne pouvait en venir à bout sans l'aide d'une autre armée moderne. Dans le cas de Paris ce fut celle de la division Leclerc et de la 4ème division d'infanterie US. Les Varsoviens, hélas n'ont pas reçu cette aide. Pène avait d'ailleurs invoqué cet argument pour se convaincre que le texte présenté par Rol était une provocation communiste.

Bref, on a du mal à trouver très réaliste le projet d'insurrection du PC que Philippe Buton a vu dans les archives de Moscou. Il est vrai qu'au moment où ce texte paraît, les Alliés occidentaux n'avaient pas encore pris pied en France et une insurrection communiste était peut-être envisageable si ce débarquement tardait trop.

Il faudrait ajouter qu'entre l'appareil stalinien et les résistants communistes il y avait plus qu'une nuance. En témoigne l'attitude de Rol Tanguy [98] {Chap XV et XVI} qui refusait les directives du PC au profit de celles de la hiérarchie des FFI. Cela lui a valu d'être traité avec une certaine distance après la guerre. Il y avait loin entre les arcanes du Kremlin et les résistants communistes. A la libération, les FTP comme les autres FFI ont rejoint les armées de la France libre ou des unités US. Le colonel Fabien et son groupe ont été temporairement affectés à la division Patton. Fabien est un célèbre résistant communiste et FTP : il est fameux pour avoir commis le premier attentat spectaculaire contre un militaire allemand le 21 août 41 et pour avoir, à la tête d'un groupe de FFI établi la jonction avec les éléments d'avant-garde de la division Leclerc et conduit avec eux la prise d'un point fort de la résistance allemande dans les locaux du sénat. Il est mort accidentellement le 27 décembre 44 dans l'armée de Lattre en manipulant une mine.

En février-mars 44 la crainte d'une insurrection communiste existait dans les milieux de résistants non communistes. Charles Riondet [106] p 162 écrit à propos de la tension au sein du Comité Parisien de Libération (CPL) entre, d'un côté, le PC et le FN et, de l'autre côté, les mouvements influents à Paris, CDLL, CDLR, Libération-nord et l'OCM : « Il faut attendre l'arrivée à Paris de Georges Marrane, le nouveau représentant du parti communiste au CPL, pour que la situation s'arrange.....Georges Marrane a gagné une réputation d'homme pondéré, responsable....Il est admis qu'il occupera à nouveau le poste de président du conseil général provisoire quand celui-ci sera constitué. C'est aussi, détail très important, un ami de Léo Hamon {CDLR, vice-président du CPL} ».

Cette façon de voir les choses est probablement la plus juste « les deux tendances de la Résistance, qui ne sont pas toujours opposées dans les faits, mais qui ne se comprennent pas et se méfient fondamentalement l'une de l'autre ». Il faut en outre se souvenir que dans le feu du combat les camarades des deux bords n'avaient pas la vision que nous avons maintenant avec du recul. Connaissait-on les accords de Yalta qui laissaient l'ouest de l'Europe entre les mains des Anglo-Saxons ? Et nous verrons plus tard, a contrario, de nombreux exemples de camaraderie entre communistes et non-communistes, d'amitié et même d'admiration réciproque quand tous risquaient leur vie pour la même cause.

Les Archives Nationales nous livrent aussi des textes du parti communiste datant du 23 février 1944 concernant l'organisation du parlement après la libération [123]. C'est un texte d'une grande érudition, adressé aux comités locaux de libération. Il critique deux propositions d'organisation de la première Assemblée Parlementaire élue à la libération. L'une provient du CFLN, et l'autre, socialiste, de Vincent

Page 24: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Auriol. Nous n'allons pas entrer dans ce débat. Il faut signaler que les arguments du PC sont forts, il veut que les vrais résistants aient leur place à la libération, et bien sûr, parmi les vrais résistants on trouve en première ligne les Communistes. Il passe sous silence les ambiguïtés de l'attitude du parti avant l'attaque Barbarossa des Nazis contre l'URSS. L'esprit de ces textes de février 44 ne semble pas préparer une insurrection communiste mais plutôt préparer une forte présence communiste dans l'Assemblée Constituante. Car le fond du débat est que le parti demande une véritable Assemblée Constituante, ce que semblent vouloir éviter les deux projets en question. Il en vient à citer de Gaulle qui avait admis le principe d'une Assemblée qui vote une nouvelle Constitution. L'avenir leur donnera raison : il y aura une Assemblée Constituante avec une forte présence communiste.

Oppositions et union des Résistants, 2015 réunion de descendants de chefs FFI à Paris

La complexité des relations au sein de la Résistance pendant ce premier trimestre de 44 est effarante, et pourtant ils ont réussi à trouver les compromis, à édifier le programme du CNR pour l'après-guerre, un texte qui est encore une référence plus de 70 ans plus tard. Le CFLN voyait d'un œil suspicieux les comités de Libération, et même le CNR qu'il soupçonnait d'être trop à gauche. De Gaulle a bien été obligé de compter avec les communistes, qui ont finalement accepté de se ranger sous sa bannière, et il faut reconnaître que sans eux, sans Fernand Grenier, le CFLN n'aurait pas accordé le droit de vote aux femmes, et la France libre aurait été arriérée dans ce domaine. Les relations entre les FFI et les Comités Locaux de Libération n'étaient pas faciles non plus [171,172]. Le partage des tâches n'était pas simple. Surtout que pendant ce temps les arrestations et les meurtres de résistants se multipliaient.

Il n'y avait pas que la tension entre communistes et non-communistes. Au sein des non-communistes, les luttes politiques et parfois les luttes d'ego étaient violentes. Le conflit entre les dirigeants de Combat et Jean Moulin ont eu des conséquences tragiques en provoquant l'arrestation à Calluire des principaux dirigeants de la Résistance et avant tout celle de Jean Moulin. Les conflits entre Brossolette et Bingen étaient violents, et pourtant tous deux, arrêtés, se sont suicidés avec le même héroïsme pour ne pas parler.

Ces hommes et ces femmes étaient des géants. Bingen, qui était riche et avait eu une vie facile avant la guerre a écrit « Que les miens, mes amis, sachent combien j'ai été prodigieusement heureux pendant ces huit derniers mois. Il n'y a pas un homme, sur mille, qui durant une heure de sa vie, ait connu le bonheur inouï, le sentiment de plénitude et d'accomplissement que j'ai éprouvé pendant ces mois. »

Leur acte d'héroïsme le plus remarquable, c'est d'avoir su éviter la guerre civile comme en Grèce, d'avoir pu se réunir dans des conditions de danger redoutable, d'avoir élaboré, outre un plan d'insurrection efficace, une vision audacieuse de la société d'après, le programme du CNR. Le miracle, c'est que ce programme, largement cautionné par le GPRF, a créé en France un compromis historique unique au monde qui rassemblait toutes les tendances de la Résistance.

Sur sa lancée, Ambroise Croizat, ministre communiste du travail de de Gaulle puis dans d'autres gouvernements, a encouragé la mise en place par les militants ouvriers de l'assurance maladie, des retraites, des allocations familiales, des comités d'entreprise, de la médecine du travail, de la réglementation des heures supplémentaires....Plus de 70 ans plus tard ce qui s'est fait à cette époque est sans cesse attaqué par d'importants membres du patronat et leurs appuis politiques ! N'est-ce pas étonnant ?

Tout cet acquis, que l'oligarchie continue à combattre, est l'héritage des héros de la Résistance, et pas seulement des résistants communistes. Nous avons vu précédemment que le programme de l'OCM était très favorable aux classes laborieuses bien que le mouvement fût plutôt classé à droite.

Nous verrons section B.4 ce qu'ont subi nos héros et nos héroïnes !

Nous avons rencontré récemment Alain Kergall dont le père, Antoine Kergall, dirigeait le 2ème bureau dans l'équipe de Rol-Tanguy, c'est à dire le renseignement, sous le nom de résistance de ''Arcouest''. Alain Kergall nous dit que politiquement son père était très éloigné de Rol-Tanguy, pourtant ils ont combattu ensemble !

Nous avons organisé le 13 mars 2015 une réunion des descendants de personnages qui ont joué un rôle important dans les FFI de la Région Parisienne. Mme Lévisse-Touzé, qui dirigeait le musée de la Résistance au dessus de la gare de Montparnasse nous avait aimablement prêté ses locaux et avait animé cette réunion. Des historiens de la Résistance dont Bourderon, nous accompagnaient {nous avons appris par sa famille le décès de Roger Bourderon le 6 novembre 2019. Nous en sommes profondément attristés}. La réunion était très stimulante. Étaient présents des descendants de Rol-Tanguy et sa femme, d'une mémoire stupéfiante, des descendants de Robert Fouré, des descendants d'Antoine Kergall, de Pierre Pène et le fils de Jacques Monod, pourtant handicapé. Cette réunion a été très enrichissante, même si les vrais héros n'étaient plus là, à l'exception de Mme Rol-Tanguy, alias Cécile Le Bihan, agent de liaison de son mari. Nous avions

Page 25: B.2 La Résistance dans l'Aisne

l'impression d'honorer cette fructueuse complicité résistante de nos parents ou grand-parents virtuellement présents. Cécile Le Bihan nous impressionnait par l'acuité de sa mémoire. Malheureusement elle nous a quittés le 8 mai 2020, exactement 75 ans après la capitulation de l'Allemagne nazie.

Nous allons maintenant parle de la vie et des souffrances de la famille Pène sous l'occupation.

B.3.4 La vie quotidienne de la famille Pène et des parisiens

La vie quotidienne sous l'occupation a été décrite maintes fois. La famille Pène en a souffert comme les autres. Elle n'a jamais fait appel au marché noir.

« A Soissons, en 1941-42, Françoise qui avait été épargnée jusque là, entend de plus en plus souvent des réflexions désagréables pleines de sous-entendus. La propagande antisémite et les nouveaux édits contre les Juifs deviennent oppressants, et influencent la population. Ce nouveau danger s’ajoute à celui des activités clandestines de Pierre.

Il faut partir vers Paris, sans laisser d’adresse [148] p 8». Florence se souvient : le dentiste aurait fait à Françoise une réflexion antisémite et Annette aurait entendu des copines parler de son nez juif. Environ au même moment Pierre Pène quitte Soissons pour s'installer à Laon.

fuite à Paris, l'appartement à plusieurs entrées

Florence a donné une conférence à Soissons le 30 novembre 2013. Elle y décrit la fuite à Paris de la famille Pène [148].

« Paris est le choix évident pour qui veut passer inaperçu. La sœur de Pierre, Clotilde Pène, habite à la Porte de St Cloud et travaille, comme ingénieure dans une usine d’électronique à Boulogne Billancourt, chose remarquable pour une femme née en 1900. C’est donc dans ce quartier que Françoise cherche.

Il y a beaucoup de disponibilité à Boulogne, de nombreux habitants ayant fui après le bombardement allié de mars 1942 qui, visant l’usine Renault, tua des centaines d’habitants de la ville.

Françoise y choisit un petit appartement propre, au 6ème étage sans vis- à-vis, avec un long balcon, et un système compliqué d’escaliers, garages, et sous-sols, qui pourrait faciliter une évasion en cas de besoin. Il était petit mais Clotilde venant de perdre sa mère qu’elle avait soignée jusqu’à la fin, aimerait peut-être avoir la compagnie d’Annette.

Nous emménageons donc à Boulogne en 1942. Annette reste avec nous et, à peine sommes-nous installés que Françoise découvre qu’elle est enceinte.

L’appartement est vraiment petit. Je viens d’avoir 11 ans, Annette en a 16, et Didier en aura bientôt 7. Nous couchons tous les trois dans la même petite chambre. Le bébé Olivier, qui naîtra en mai 43, logera avec ses parents [148] p 9 ».

Parfois ils échangeaient des tickets de tabac et d'alcool contre des tickets de sucre et de matière grasse. De son côté Clotilde voulait trouver de la laine pour couvrir sa mère. Mais il fallait des tickets. Une secrétaire de son usine étant enceinte avait un ticket de laine pour les bébés mais n'en avait pas besoin ayant déjà la layette. Elle avait cédé son ticket de laine à Clotilde. Mais celle-ci s'inquiétait, la laine pour les bébés est rose ou bleue et sa mère ne portait que du noir depuis la mort tragique de son fils ainé Henri des suites d'une blessure en 1916 à la bataille de la Somme. Dans le magasin, la vendeuse lui dit d'un air navré qu'elle a bien de la laine, mais hélas, seulement du noir. On imagine la joie de Clotilde. La chance !! La famille Pène en a eu, vraiment beaucoup, puisque nous nous en sommes tous sortis vivants au mépris de toutes les probabilités.

A la fin des vacances de Pâques 1944 Florence écrit « Il ne faisait plus terriblement froid, heureusement car nous étions sans eau chaude et très peu chauffés. Mais nous avions toujours faim, malgré nos amis soissonnais qui nous vendaient quelques denrées.

La chambre supplémentaire de l’immeuble où Pierre se cachait parfois contenait aussi des sacs de pommes de terre et de pois cassés, notre mets le plus fréquent. Annette et moi étions élèves du lycée la Fontaine. Celui-ci étant malheureusement occupé par l’armée allemande, comme celui, voisin, de Claude Bernard, les populations des trois lycées étaient groupées au lycée Jeanson de Sailly. Nous prenions le métro pour y aller.

Nous n’avions pas de livres. Le papier, rare et gris, sentait mauvais. Annette préparait son bac. Entrée en 4ème à à peine 11 ans, je dus redoubler ma classe. Nous allions dans les caves à chaque alerte, que ce soit à Boulogne ou au lycée. Nous restions debout dans les corridors, à attendre que les sirènes mugissent pour annoncer la fin de l’alerte. A Boulogne, la nuit, c'était drôle de voir les gens en général assez dignes, en pantoufles et bigoudis !

Annette et moi subissions un entraînement de natation intensif, souvent dans des piscines lointaines. Les

Page 26: B.2 La Résistance dans l'Aisne

métros s’arrêtant pendant les alertes aériennes, nous faisions souvent le trajet au moins en partie à pied, et n’avions droit qu’à un ressemelage par an !

Notre quartier étant parfois bombardé (toujours à cause de l’usine Renault, à quelques kilomètres de là) nous voyions en passant des pièces éventrées, des baignoires suspendues dans le vide, et même parfois des corps tirés d’abris, tout près de chez nous. Parfois nous rentrions de la piscine sans savoir si nous avions encore un

logement, ni une famille »[148] p 16. Lettre de Florence, 12 ans, à son jeune frère, leur arrestation après l'évasion de Pierre

Comme nous le verrons plus tard la situation a encore changé le 10 juin après l'évasion de Pierre. Françoise et Clotilde étaient enfermées dans la prison de Fresnes, Pierre dans la clandestinité totale. Didier, qu'on appelait ''Rizou'' car il riait toujours, était dans une colonie de vacances. La rumeur de la mort de son père était venue là-bas et les religieux lui disaient de prier pour lui, sans lui annoncer directement cette terrible et fausse nouvelle. Rizou ne riait plus. Florence lui écrivait. Elle essayait de lui faire comprendre ce qui se passait sans être trop claire à cause de la censure. Une lettre de cette fille de 12 ans à son frère de 8 ans : ''14 juin 1944 Cher petit Rizou, Tu dois t'inquiéter de ne pas avoir de nouvelles de nous. Je te rassure, tout en m'excusant de ne pas t'avoir écrit plus tôt. Mais pour cela j'ai les meilleures raisons du monde et les excuses les plus valables, que je te dirai tout à l'heure. Ta lettre m'a fait beaucoup de plaisir. Elle est très gentille, mignonne, adorable, etc …. mais …., si tu me permets encore de te faire des observations (c'est que ayant presque neuf ans, tu es un vieux monsieur auquel il ne manque que la barbe et la moustache) je te ferai remarquer que c'est passablement mal écrit (tu l'as peut-être remarqué) et que tu n'as pas ménagé les fautes d'orthographe. Sans injustice tu en as fait 20 ou plus. Mais il ne faut pas t'attraper, parce que tu es très gentil (si tu es avec l'abbé Renhas, tu dois le savoir). Est-ce que tes crises de désespoir sont passées ? Est-ce que nous t'aimons maintenant ? N'oublies-tu jamais de faire ta prière ? Vas-tu à la messe tous les matins ? T'es-tu confessé déjà à fond ? Maman m'a raconté une jolie histoire le jour de ton départ (ou plutôt la veille) à propos de clefs !

Mais puisque nous sommes séparés, je ne veux pas t'attraper, et en suivant les conseils de ma gentillesse naturelle, je te laisse réfléchir tout seul, ce qui, peut-être te fera beaucoup plus de bien. Il me semble (j'en suis presque sûre) que mon petit doigt me dit que tu essayes. Est-ce vrai, es-tu toujours m.....! Je n'écris pas le mot en entier 1°) parce qu'il est trop laid 2°) parce que j'espère que tu le trouveras tout seul 3) parce que je veux savoir si l'abbé Renhas, qui lira cette lettre, sera capable de le deviner. Je vais t'envoyer dans cette enveloppe 5 images dont tu en connais 3. Je te les donne, tu en es entièrement maître. Si tu en donnes à quelqu'un, garde pour toi la plus belle, c'est un conseil et un ordre.

Dans ta lettre il y a quelque chose que je ne comprends pas : sur un grand bout de bois un ? En miniature repose.

Puisqu'en ce moment je n'ai pas d'autre idée, je vais te raconter ce qui nous est arrivé ces jours-ci. Samedi, à 4h ½ (ils sont matinaux) coups de sonnette. J'entends vaguement, somnolente. Quelqu'un se précipite et ouvre. Des voix d'hommes. Je ne sais pas pourquoi, je me figurais que c'était les plombiers. Ils bavardent longtemps avec maman, puis ouvrent la porte de la chambre, armés de lampes électriques. Maman “c'est la chambre des enfants”. (il paraît qu'en entrant ils ont dit à Maman “un malheur est arrivé”).

Là je me suis aperçue que ce n'étaient pas des plombiers mais bel et bien des Allemands. Ils disent à maman dans le couloir de s'habiller et nous aussi. Maman rouspète, protestations “si si plus de pitié après ce que votre mari a fait” – “Mais vous ne voyez pas ! Un bébé ? Et ses biberons, et ses …” “S'il vous plaît, Madame, habillez-vous” et ainsi de suite tout le temps. Je me lève, il faut que je m'habille. Je commence. Annette arrive en trombe “traîne traîne, maman a dit de ne pas s'habiller” je veux bien, cherche mes affaires et dans le noir ne les trouve pas (nos plombs ont sauté) je mets un temps interminable, je cherche mouchoir, chaussettes, chemise, peigne, … Les Allemands rouspètent parce que nous ne sommes pas encore prêtes, tout en discutant. Enfin, voyant maman tout habillée, nous en faisons autant, sous leurs yeux, aidés de leurs lampes électriques (ce sont les yeux qui sont aidés). Tous enfin prêts y compris O, sortons, et rentrons dans une voiture, sauf maman accompagnée des 2 Allemands, pour aller chercher Jeanine. Maman fait la bête : elle ne sait pas la porte. Elle en désigne une au hasard, et dit : c'est peut-être celle-là ? Les Allemands la défoncent. Non ce n'est pas là – on frappe à toutes les portes. Enfin une s'ouvre : celle des voisins de Jeanine. Les Allemands : “qui couche à côté ?- une jeune fille de 25 à 30 ans”; M : “Oh ! Ça ne peut par être ça, ma bonne est toute jeune !” les Allemands au voisin : “donnez-moi un marteau”; le voisin tend les clefs. Enfin, Jeanine ouvre. Elle s'habille. Ils l'emmènent dans l'auto; là, défense de parler. Maman nous donne quelques renseignements par signes. Enfin, nous arrivons à 5h3/4 à une maison d'Allemands. Gardés par un Allemand, nous n'avons pas le droit de parler. Nous allons dans la cuisine, dans la chambre à

Page 27: B.2 La Résistance dans l'Aisne

coucher, dans la salle à manger. Là, table, chaises, lit – vieilles épées, drapeaux, 3 anglais, 3 français. Tableau : les Allemands s'enfuyant devant un tank français. Nous restons là longtemps, toujours sans manger. Les Allemands ont prêté à O 3 jouets. Nous jouons aux cartes. Maman discute politique, et demande qu'on nous libère. Elle plaide tellement bien, qu'à 4 h, nous sommes à la maison. Mais 2 Allemands sont restés jusqu'à hier soir au salon, ayant les clés de service. Ils couchent et mangent là. Défense de parler à qui que ce soit, ou de sortir. Ils ont gardé maman. Tante Clo aussi y est. Ils n'ont pas pris Léonie, parce qu'elle a trop rouspété. Ils ont toutes ses clés, et elle ne peut pas rentrer chez Taco{tante Clotilde}. Excuse-moi à l'abbé Renhas. Je comptais lui écrire aujourd'hui, mais je ne peux pas”[145] première entrée.

La cachette de Bures sur Yvette

Françoise et Clotilde en prison, les filles, Jeanine et le bébé avaient été relâchés. Au bout de trois jours les policiers allemands étaient partis, mais la surveillance subsistait. Pierre Pène avait fait savoir qu'il jugeait dangereux leur présence à Boulogne. L'amie de Clotilde, Denise Quivy, avait une petite maison à Bures-sur-Yvette et elle acceptait de la prêter, dans la lointaine banlieue de Paris. Aujourd'hui une partie de l'Université Paris-sud est sur le territoire de cette commune.

« Nous enfourchons donc trois bicyclettes, le bébé est assis dans le panier derrière le vélo de Jeanine et la voiture d'enfant, contenant nos maigres bagages, est attachée au mien avec une ficelle. C'est très bien en terrain plat et dans les montées, mais dans les descentes la voiture d'enfant me tombait dedans. Alors Annette plus dégourdie s'en chargea.

Le maison était minuscule. Il y avait deux chambres, séparées par un espace cuisine/salle d'eau. Il y avait un jardin et, merveille, des framboises et des tomates mûres ! Car Olivier aimait surtout tout ce qui était rouge » [148] p 25.

Mais les magasins locaux n'étaient pas en mesure de fournir à tous les tickets de rationnement qui se présentaient. Donc :

« Annette et moi partions à l'aube sur nos vélos, faire des queues interminables sous le soleil pour arriver enfin près de la porte d'une ferme, pour nous entendre dire : désolés, nous venons de vendre le dernier chou. Retournez chez vous. Alors nous repartions avec des masses de Parisiens, vers une autre ferme … et ne rapportions pas grand chose.

Heureusement, les épiciers du coin avaient une petite fille de 5 ou 6 ans qui aimait jouer avec Olivier, donc ils nous refilaient parfois un œuf, ou un peu de beurre » [148] p 25. Une liste incomplète de ceux qui nous ont aidés, ou même sauvés.

Si Pierre et Françoise sont sortis vivants de cette épreuve et qu'en 2020 on compte 32 de leurs descendants vivants, c'est pour une très grande part grâce à de nombreux soutiens qu'ils ont reçus. Ces soutiens dont nous brosserons une liste incomplète comprenaient des résistants, des sympathisants de la Résistance et jusqu'à quelques personnes du camp adverse qui nous ont aidés. Voici cette liste :

Georges Hombrouk, résistant (OCM), qui file à Soissons prévenir l'ingénieur des Ponts et Chaussées de la venue de la Gestapo à Laon pour arrêter Pierre.

L'ingénieur des ponts de Soissons dont le nom nous échappe, informé par Hombrouk qui part immédiatement à Paris alerter sa sœur, doctoresse.

La sœur du précédent, qui profitant de la liberté de circulation dont elle jouissait en tant que médecin, va alerter Clotilde. Elle savait que Françoise était juive et voulait la faire prévenir. Jeanine Molaye, servante de Pierre et Françoise, faisait fonction d'agent de transmission. Elle a accueilli les Allemands venus l'arrêter dans sa chambre de bonne, rue de la Tourelle, avec une grande dignité et sera emmenée une journée en détention. Elle est restée avec les Pène malgré l'insistance de ses parents pour qu'elle retourne à la campagne.

Le Docteur Roy et son épouse, amis proches qui seuls connaissaient l'adresse des Pène à Boulogne.Le Docteur Morax qui a hébergé Pierre après son évasion. Il a convaincu Pierre de ne pas se rendre

dans l'espoir illusoire de sauver sa famille. Marcelle, la servante du Dr Morax, qui avec un sang froid extraordinaire a fait partir les policiers

français venus arrêter la femme juive du Dr et auraient bien entendu arrêté Pierre s'ils avaient visité l'appartement.

Denise Quivy, amie proche de Clotilde, qui a permis la communication entre Pierre et sa famille pendant qu'il était recherché. Elle a aussi hébergé les enfants et Jeanine, sauf Didier, dans sa maison de Bures sur Yvette.

Page 28: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Le Dr Quivy, frère de la précédente, qui recevait Pierre dans son cabinet pour transmettre à, ou recevoir de, sa sœur les échanges entre Pierre et sa famille.

Pierre Turbil, entrepreneur, héberge Pierre après l'intrusion de la Gestapo à Laon. Il projettera ensuite l'évasion de Pierre de sa prison, et avait trouvé un endroit pour cacher sa famille.

Les gardiens du 60 de la rue de la Tourelle à Boulogne, qui ne transmettaient pas les appels téléphoniques quand cela leur était demandé et prévenaient quand des personnes louches cherchaient les Pène.

Les gardiens de la rue Amelot qui ont prévenu Françoise de la venue des Allemands dans l'appartement loué par Pierre et Françoise.

La gardienne de la bibliothèque de la rue d'Assas qui a essayé de faire connaître le piège à Pierre et Jacques Briffaut.

Roland Farjon qui avait ''donné'' Pène aux Allemands, mais l'a aidé lors de leur évasion, lui sauvant la vie.

Le directeur de l'usine Farjon à La Croix Saint Ouen qui organise le voyage de Pierre et Roland (son patron il est vrai) vers Paris et les accompagne.

Deux chauffeurs du précédent qui conduisent vers Paris le camion où sont cachés Roland Farjon et Pierre Pène après leur évasion.

Le Docteur Funck-Brentano, chirurgien, résistant, qui opère le poignet de Pierre évadé dans sa clinique.

Mr Marotteau, ingénieur, héberge Pierre dans son appartement du XVIIIème arrondissement.

Mme Babut héberge Pierre après l'intrusion de la Gestapo à Laon.

Un entrepreneur dont le nom nous échappe, héberge Pierre en bordure du canal Saint-Martin.

Un couple d'ouvriers brossiers hébergent Pierre à Chennevières sur Marne.

Un ami d'Hélène Franckel (parente de Françoise) héberge Pierre.

Les Roumens, bien que partisans de Pétain, organisent le séjour de Didier Pène dans une colonie catholique à N.D. du Gerson, Arcis le Ponsard dans la Marne. Ils habitaient l'immeuble voisin et, lors de la présence des soldats allemands dans l'appartement, Suzanne Roumens est montée sur le toit de son immeuble pour recevoir le message d'Annette demandant que le téléphone et le courrier soient interrompus. Simone Roumens suivait parfois Annette à vélo pour vérifier qu'elle n'était pas suivie. Mr Roumens pédalait toutes les semaines à la colonie pour vérifier que tout allait bien.

Antoinette Dalin, pourtant secrétaire particulière du préfet de police et mariée avec un haut fonctionnaire vichyste, mais parente de Françoise, cache Annette et Florence dans une école d'infirmières à Versailles en fin 1943.

La directrice de l'école d'infirmières a gardé quelque temps Annette et Florence, pensant sans doute qu'elle protégeait des enfants juives.

Répétons-le, cette liste n'est pas exhaustive. Rappelons que ceux qui ont hébergé Pierre Pène risquaient la mort. Il en est ainsi d'autres soutiens dans la liste ci-dessus. Il y avait donc de l'héroïsme dans leur attitude après quatre ans d'une occupation très dure. Il nous semble important de souligner cet héroïsme de tant de gens ''ordinaires'' dont l'action restera probablement dans l'ombre, mais qui ont simplement écouté leur élan de solidarité et de soutien à ce combat qu'était la Résistance.

B.4 Arrestation, torture et évasion de Pène

B.4.1 Arrestation et séances de torture

Pierre Pène a été arrêté le 4 avril 1944 à 10h00 en compagnie de son agent de liaison, Jacques Briffaut. Jacques voulait vérifier les faux papiers de Pène dans la bibliothèque d'un centre catholique, rue d'Assas. Ils ont été arrêtés par erreur, ils sont tombés dans une souricière visant un Dardenne. Mais les papiers et l'argent que Pène avait sur lui ont vite permis aux Allemands de l'identifier. Pène portait sur lui 800 000 francs en billets neufs à répartir entre les sous-régions et des papiers très compromettants à transmettre à Jacques. « Je déclare que j'ai gagné cet argent au marché noir mais cette piètre explication me vaut plusieurs coups de poing dans la figure »[66] p 15. La perte d'argent a bien sûr été fortement ressentie par les Résistants de la

Page 29: B.2 La Résistance dans l'Aisne

région. Roger Bourderon [98], p306, dit que cette arrestation puis, le 3 juin 44, celle de Pierre Lefaucheux (Gildas), qui dirigeait les FFI parisiens, avait créé une situation financière critique.

Suivons le récit de Pène [97]. Il est brutalisé lors de son arrestation, menotté dans le dos, puis amené rue des Saussaies, où sévissait la Sichertheitsdienst (SD) et sa sinistre branche Geheime Staatspolizei (Gestapo). Il est amené dans le bureau 533, au 5ème étage, et tout de suite interrogé avec brutalité. Son agenda ne contient que les heures décalées de ses rendez-vous, pas les lieux ni les noms. Les heures qui suivent ce genre d'arrestation sont décisives. Les Boches veulent frapper immédiatement l'organisation avant que la nouvelle de l'arrestation ne soit connue. Ils accumulent les brutalités, coups de poing dans le visage, coups de pied dans le ventre, puis on l'amène dans une Bereitschaftzimmer, chambre de préparation, puis on le ramène dans le bureau 533 où les brutalités reprennent « pendant qu'on entend dans la pièce voisine un camarade subir le même sort ».

Lassés de ses réponses évasives, ils menacent Pène de ''la baignoire''. Vers 11h30 ils l'emmènent au 6ème, « une sorte de chambre de bonne avec un lavabo et une baignoire ». « On te fera passer à la baignoire électrique, en dix minutes tu seras mort – dix minutes c'est vite passé – on peut faire durer plus long, une heure, un jour ».

On le redescend au 533. Vers 13h, ils sont décidés à user du supplice de la baignoire. On le fait monter à nouveau, lui enlève les menottes et attache ses coudes très serrés au corps et les deux pieds ensemble. Ils sont trois, on l'assied sur le rebord, le dos tourné vers l'eau. On le plonge dans l'eau, il suffoque. On le sort avant qu'il ne meure, il faut le faire parler. « ils me flagellent les pieds avec un corde. Je grelotte à me casser les dents.... ''Et maintenant tu parles ?'' mais ma défense n'est pas encore au point, je ne suis pas à bout, je ne réponds rien. » Nouvelle immersion, suffocations, ses poignets saignent.... « j'ai l'esprit moins clair que tout à l'heure et du mal à penser ». Après trois ou quatre autres immersions, « Sur ton carnet tu as marqué 14h00, avec qui as-tu rendez-vous ? – Avec Leclerc {nom imaginaire} – où ça ? - à la gare Montparnasse ». En réalité il a rendez-vous rue Littré à 16h30. Il ne risque rien à les emmener à la gare Montparnasse, où il aura peut-être l'occasion de s'évader. « Rhabille-toi en vitesse ». Bien entendu, personne n'apparaît gare Montparnasse. « À deux heures et demi nous repartons ». Les Bereitschaftzimmer et les coups recommencent. Pène a peur de laisser passer un quelconque indice. Il a rendez-vous avec ''Maxime et Personne''. Maxime, c'est Blocq-Mascart, qui dirige l'OCM. Personne est Jacques Piette qui est à l'époque chef militaire de l'OCM [99].

Le chef lui dit « Tu as vu comment j'opérais, je saurai bien te faire parler demain ». Ce chef aurait été un français nommé Rudy Van Mérode [66] p 16, de son vrai nom Frédéric Martin [100].

Ils sont une quarantaine de prisonniers, hommes et femmes. Pène retrouve Jacques Briffaut. Ce dernier raconte comment il a failli s'évader. On l'avait amené à un rendez-vous de son carnet (heure décalée), il s'est aperçu que la chaînette de ses menottes était cassée, il est parti en courant. Ils ont tiré une quinzaine de coups de revolver, l'ont raté, mais un homme qui traînait une voiture à bras l'a jetée dans ses jambes pour le faire tomber. Les Allemands l'ont rattrapé. Entre temps les témoins avaient appelé un car d'agents. « les S.D., furieux de voir des agents français, les ont chassés en les insultant. Les agents sont partis en me souhaitant bonne chance »[97] p 7. Nous sommes en avril 44. Des policiers français ne cachent plus leur hostilité aux occupants. Jacques Briffaut était membre de l'OCMJ. Il est mort en mars 45 dans le camp de neu-Stassfurt, un Kommando de Buchenwald {Unité de travail forcé à distance du camp}. Pène rapporte que « vers la fin il dira, paraît-il, à un camarade, qu'il a été heureux et fier de travailler avec moi. Je n'ose croire à un tel honneur » [66] p 17.

Pène est emmené à Fresnes où il trouve le concierge de la bibliothèque où il a été arrêté, soupçonné avec sa femme d'avoir été ses complices. « Il ne semble pas avoir plus de rancune que sa femme à l'égard du maladroit qui l'a fait prendre » [66] p 17. Pène apprendra plus tard qu'ils seront relâchés au bout de deux mois.

« Un jour, dans un couloir souterrain de la prison, je me trouve à quelques mètres de Roland Farjon dont l'imprudence a failli causer ma perte. Je ne cille pas, c'est la règle : ne jamais se reconnaître pour éviter les confrontations dangereuses. Mais lui s'avance, souriant, la main tendue. Comment éviter de la serrer ? Son attitude me surprend et m'inquiète, j'en aurai plus tard l'explication » [66] p 18.

« Vers la fin de mai on m'extrait de la cellule et commence un périple par Senlis, St Quentin. Là, comme chambre préparatoire, ils n'ont rien trouvé de mieux qu'un placard. Quand ils le ferment j'ai l'impression d'étouffement et commence à me débattre, mais, vite convaincu qu'aucune aide ne viendra et que tout énervement m'est nuisible, je prends sur moi de rester plus calme ; on s'accommode de bien des choses quand il le faut » [66] p 18.

Page 30: B.2 La Résistance dans l'Aisne

« Un problème tracasse les interrogateurs : comment se procurer le code des liaisons avec Londres ; un beau jour au cours de ce voyage ils m'amènent dans une pièce où ils sont plusieurs et parmi eux un petit jeune de type anglais le plus pur, un vrai physique d'espion, il m'interroge sur le chiffre mais, sans mentir, je puis répondre que je n'en sais rien, je ne sais même pas entièrement l'alphabet Morse. Ils sont peu convaincus et à plusieurs reprises me tourmentent avec ce chiffre. Pas de chance, quand on a contre soi tous ou presque tous les chefs d'accusation capitaux, sauf un, d'être suspecté aussi de celui-là [66] p 19 ». Cette dernière phrase nous rappelle l'humour particulier de Pène.

Le résistant arrêté devait ne rien apprendre à l'ennemi, mais il devait aussi préserver sa dignité. « Dans l'une des prisons que je traverse mon compagnon est un jeune communiste, gâte-sauce de son métier; nous parlons de nos activités, sommes tous deux convaincus que nous risquons la mort et très préoccupés de notre attitude au dernier moment. Comment être sûr de rester digne au moment suprême ? En chantant la Marseillaise, dit-il. Le malheureux est mort déporté » [66] p 19. L'humour noir, lui aussi, est une arme contre l'oppression. Cette conversation entre un jeune communiste et un moins jeune OCM illustre la complicité forgée par le sort commun.

« Me voici donc dans le placard à St Quentin. J'en sors pas trop mal en point et suis introduit dans un bureau ; l'homme qui l'occupe a un regard gris bleu, impitoyable, devant lui sont étalés tous les plans et documents sur le P.C. de Margival que j'ai eu tant de mal à rassembler. Encore une préparation dont je me serais bien passé, mais l'interrogatoire n'est pas très pénible. La villa où il a lieu, je l'aurai visitée dans 3 circonstances successives très différentes : d'abord comme Ingénieur en Chef pour protester fin décembre 43 contre l'arrestation de mes ingénieurs T.P.E, puis comme prisonnier, enfin comme Commissaire de la République, en visite chez les Américains ; nous découvrirons alors dans la cave, sur les murs, les traces de nombreuses exécutions capitales » [66] p 19. L'horreur nazie ! Et maintenant le perpétuel danger des moutons {espions mêlés aux détenus}.

« De retour à Fresnes j'ai la surprise et le plaisir de me retrouver dans la même cellule qu'au départ avec les mêmes camarades. À la réflexion c'est peut-être ce fait qui doit le plus faire croire à la présence d'un mouton parmi nous. Celui que je soupçonne aujourd'hui était justement mon confident ; le premier avec moi dans la cellule m'avait-il inspiré confiance ? Ou plutôt avais-je éprouvé le besoin irrésistible de me confier à quelqu'un » [66] p 19. Par chance Pène ne lui a confié que sa nostalgie familiale.

Notons l'usage du mot camarade. « Ce mot de camarade a alors le sens de communiste. Il est une étiquette dangereuse à porter. Dans le panier à salade, un jour, 2 communistes : un homme dans une des petites cellules, une femme dans le couloir central. Ils conversaient et terminaient toutes leurs phrases du mot camarade comme pour afficher leur qualité. Cette scène avait beaucoup de grandeur » [66] p 18. De fait le mot camarade était souvent utilisé aussi par des résistants non-communistes, mais aussi compagnon pour marquer la différence (Compagnons de la Libération). Soulignons ici l'admiration qu'inspire à Pène cette grandeur des résistants communistes. Nous avons vu sa méfiance des communistes à propos de Rol Tanguy, mais il y avait aussi cette solidarité du combat et du risque communs.

Les avions alliés survolent la prison, leurs bombes éclatent, Pène se demande si sa famille ne va pas en être victime et si elle a à manger.

La prison de Senlis, gardiens sympathiques, évasion avec Farjon

Pène est conduit à Senlis dans une villa aménagée en prison. « Au rez-de chaussée est le corps de garde, au 1er les chambrées, au deuxième et au sous-sol les cellules. Les premiers jours nous restons au corps de garde et dormons attachés au fer du lit par une menotte. Les soldats de garde ne sont pas hostiles, certains, de gauche, nous comparent avec une certaine sympathie à Schlageter, patriote allemand fusillé par nous en Rhénanie après la première guerre mondiale. L'un d'eux se fâche un jour de voir notre nourriture qu'il juge insuffisante. Et pourtant en comparaison de Fresnes c'est la Tour d'Argent. Nous avons avec nous le colonel Donnet du génie célèbre dans toute l'armée pour sa bravoure, il a été arrêté alors qu'il transmettait des messages à Londres, malmené, puis conduit à Senlis. Il fait partie de l'OCM Pas-de Calais qui a par ailleurs tant souffert de trahisons. Donnet est un homme coloré, grand et fort, très vigoureux, l'allure d'ensemble est un peu paysanne. Nous arrivons à échanger quelques mots à la faveur de certains repas pris en commun, de nos rencontres dans nos mauvais abris car ici, contrairement à Fresnes, on nous abrite quand un raid passe »[66] p 20.

On constate même une certaine sympathie avec les gardes allemands. L'allusion à Schlageter souligne l'ironie de l'Histoire, on complimente des Français en les comparant à un Allemand fusillé par les Français. Au fond c'est légitime, Schlageter était un résistant contre l'invasion française de la Ruhr !

Pène avait réussi à informer Françoise de sa présence à Senlis au moyen d'un poème qui permettait, selon le

Page 31: B.2 La Résistance dans l'Aisne

code qu'ils avaient utilisé pendant la drôle de guerre, de lire SENLIS. Pierre Turbil, informé par Françoise Pène du fait que Pène était incarcéré à Senlis lui avait dit qu'il préparerait son évasion, ayant déjà fait évader son propre fils du camp de Compiègne. Il n'en eut pas le temps, Pierre Pène s'était évadé avec Farjon le 10 juin 44.

« Un beau jour Roland Farjon apparaît, fringant comme à l'accoutumée, très beau garçon, assuré. Il partage une cellule du 2ème étage avec Jacques-Henri Simon, nous autres sommes au sous-sol. Un matin on me fait monter à sa place et on emmène Simon, il disparaîtra sans laisser aucune trace, sans doute assassiné au coin d'un bois » [66] p 20. En fait il est mort en déportation [101] p 524, cf E.5.3.

L'évasion de Pène et Farjon a été racontée en détail [66], [103] et de façon succincte [54] p6. Résumons la. Les détenus sont dans une cellule au 2ème étage à plus de 8 m de haut. Ils attaquent avec une fourchette aiguisée le scellement d'un barreau et, miraculeusement, il cède tout de suite « le mortier est incroyablement faible », les maçons français qui ont fait ce travail l'ont saboté, devinant l'usage de ces barreaux. Pène et Farjon enlèvent le barreau, le remettent pendant la journée en regarnissant le trou du scellement de mie de pain et de poudre tombée par terre. Pour les cordes ils déchirent leurs draps longitudinalement et les attachent ensemble. Cela résiste. Ils cachent cela sous les matelas.

Minuit moins le quart, Farjon passe le premier comme convenu. Ils ont attaché leurs chaussures autour du cou. Farjon est passé, Pène a l'impression qu'il a fait un bruit infernal. Il y va à son tour, il croit voir une lumière qui s'allume et se hâte, il tombe de 6 m, le bras en avant, dans un buisson. Il se brise le poignet droit. Farjon a couru vers le mur d'enceinte. Pène le suit, parvient à passer le mur d'enceinte, son poignet étant encore chaud.

S'ensuit une longue marche en direction de Compiègne. Pène a laissé ses chaussures tombées, la marche pieds nus lui fait de plus en plus mal. Des convois allemands passent sur la route. Ils se jettent dans les bois pour se cacher. Ils décident de contourner Verberie de crainte d'y trouver des sentinelles allemandes. Ils doivent franchir des barrières et des barbelés. Farjon aide Pène et le porte même une fois.

Ils poursuivent après Verberie. « Au loin un barrage nous inquiète. Un ouvrier passe à bicyclette, nous l'interrogeons ce sont les Allemands qui demandent des papiers. Sans aucun doute c'est un patrouille lancée à nos trousses. Nous entrons dans la forêt par un layon et décidons de passer sous-bois la patrouille dangereuse. Après quatre kilomètres de marche environ, nous devons être tout prêt de la Croix St Ouen, notre but. Voici un homme. Est-ce une sentinelle ? Nous approchons prudemment ; non, c'est un vieux bûcheron que nous abordons. Tout de suite il devine qui nous sommes ; il nous indique un chemin de traverse qui conduit à la croix St Ouen et les points à éviter où nous pourrions trouver des sentinelles allemandes, car dans ce village est stationné un Etat Major ».

Pène raconte à Farjon qu'il a vu la lumière s'allumer et était tombé pour cela. Farjon répond qu'elle l'était déjà quand il est passé. Il n'a pas entendu le cri que Pène pensait avoir poussé en tombant. « Combien fragiles et douteux sont les témoignages les plus sincères » [66] p 22.

« Les derniers mètres sont un calvaire. J'ai épuisé mes forces dans cette marche atrocement pénible. Il est 6h du matin. Mon camarade a là une petite usine qui pourrait nous recevoir ». Le directeur de l'usine les accueille à bras ouverts. Le téléphone ne marche pas, Pène ne peut pas appeler sa famille. Une chance car celle-ci avait déjà été arrêtée à 4h du matin. Une ouvrière secouriste fait une attelle à Pène. On les installe dans une grande caisse dans un camion de l'usine et on entasse des sacs de charbon de bois au dessus et autour de la caisse. Pour éviter Senlis le camion part par Chantilly, conduit par le directeur accompagné de deux chauffeurs. Après Chantilly le camion est contrôlé. Comme convenu on tape trois coups sur la caisse pour les faire taire. Quand le camion roule ils chantent à tue tête « comme des gosses ».

Ils quittent leur cachette vers midi dans un endroit désert des Bld des maréchaux à Paris, près de l'usine à gaz. Ils se séparent. Il va falloir entrer dans une totale clandestinité, trouver des refuges, des vêtements propres et des chaussures, etc. Nous verrons cela dans la section B.4.2.

« Nous saurons plus tard que nos geôliers, marris de l'évasion ont le lendemain étendu des matelas au soleil comme pour les sécher et dire à nos camarades : Farjon et Pène ont voulu s'évader mais ils ont été rattrapés, blessés à mort, et étendus sur ces matelas. La rumeur a couru de la mort de Pène. Son fils ainé Didier était caché dans une colonie de vacances catholique où les religieux lui disaient qu'il devait prier pour son père ».

Gilles Perrault, l'affaire Roland Farjon, ses trahisons, ses aveux et ses victimes,

Gilles Perrault a consacré tout un livre [32] à l'affaire Farjon, c'est à dire à identifier la responsabilité de Farjon, s'il a trahi ou seulement été d'une imprudence grave, etc. Le point de vue de Perrault est manifestement favorable à Farjon, sans toutefois nier ses graves responsabilités. Il porte de nombreuses

Page 32: B.2 La Résistance dans l'Aisne

critiques à Pierre Pène parmi lesquelles celle d'avoir témoigné contre Farjon après la guerre sans souligner l'aide apportée par Farjon lors de leur évasion commune. Le fait que Farjon se soit évadé avec Pène serait à porter à son crédit. Pène pense que Farjon a simplement changé de camp compte tenu du débarquement allié. Nous ne parlerons pas trop de cette polémique. On peut se reporter au site [102].

« A peine réunis (en cellule) nous pensons à l'évasion. Roland qui avait depuis son arrestation flirté avec les Allemands, beaucoup trop flirté, sentait depuis le 6 juin le vent tourner. Nos interrogateurs, fervents nazis, proclamaient l'échec complet du débarquement mais les braves gars de la Wermacht (armée allemande) qui nous gardaient, de moins en moins chauds, à mesure que les chances de leur pays s'amenuisaient, nous avaient passé des journaux. Nous savions qu'en un point au moins la tête de pont tenait. Aussi Roland, renseigné, infléchissait-il sa position peu à peu ; dès le 8 juin il était décidé à s'évader. (Roland n'en continua pas moins à jouer la carte allemande jusqu'au dernier moment. Au retour d'un interrogatoire sur mes 5 subordonnés arrêtés le 13 décembre 43 je dis joyeux : j'en connais 5 qu'ils n'auront pas. Ce propos est aussitôt rapporté à mon interrogateur le Dr Schott, il le dira à ma femme – qui est à Fresnes – quelques jours plus tard. Où est la fuite ? Ce ne peut être que Roland.) » [66] p 20.

Lepercq parle d'une expérience analogue avec Farjon. « Appelé à l'interrogatoire il en revient radieux et dit sa joie à Roland : il a réussi à éviter une question gênante. Aussitôt Roland est appelé à son tour, Lepercq le voit par la fenêtre faire les cent pas dans la cour avec l'enquêteur, le Dr Schott qui lui a passé familièrement le bras autour des épaules. Roland revient, Lepercq est appelé, et Schott lui pose la question qu'il tenait à éviter. »[104] {traitre} p 1.

Lepercq était le beau-frère de Farjon et il a insisté auprès de Pène pour qu'il témoigne à charge, ne pouvant le faire lui-même à cause de ce lien familial [24].

Farjon l'a reconnu : « Epuisé physiquement, mis au pied du mur par un interrogateur connaissant admirablement son métier, et le dossier mieux que moi, je finis par lâcher Pasteau, Gallois (pour sauver le colonel {le colonel Touny, chef de l'OCM}), Pène... »[32,130].

Dans la même cellule Farjon a parlé à Pène : ''Il raconte à M. Pène qu'il a été affreusement torturé (deux mois avec les menottes derrière le dos ce qui l'obligeait à ''laper'' sa nourriture) et avoue qu'il a dénoncé un certain nombre de camarades dont Pène lui-même''[54] p 6.

Lors de l'interrogatoire de Françoise, Schott lui montre un rapport daté de janvier 1944, écrit pendant l'interrogatoire de Farjon (Dufor). ''Mon mari y est décrit physiquement, son titre d'ingénieur en chef, son adresse, tous les détails y sont donnés en clair''. Elle demande pourquoi ils chargent tellement cet homme qui les a tant servis ''parce que nous avons cru à sa collaboration sincère, qu'il a démentie en se sauvant'' [113]{p106_110.pdf}. La franchise de ces échanges entre ennemis est assez surprenante.

Il n'est pas douteux que Farjon ait été plus qu'un grand étourdi, mais un homme qui a changé de camp. Gilles Perrault dit qu'il était un alibi commode pour éviter de chercher d'autres traîtres ou espions infiltrés. Il y avait probablement des infiltrés à Londres au sein du BCRA. En témoigne ci-dessus l'insistance du BCRA pour avoir en clair les noms et adresses des hébergeurs d'aviateurs alliés et le parachutage piégé par la Gestapo de mi-septembre 43 (section B.2.3). Il est aussi très probable que le plan de Margival confectionné par Bertin n'a probablement pas été détourné par Farjon et s'est trouvé entre les mains allemandes. En effet Farjon ne l'a pas mentionné dans ses aveux.

André Deconninck était l'adjoint de Roland Farjon. Ce dernier, arrêté, dénonce aussi Deconninck sous son vrai nom. Par chance il avait quitté son domicile à Boulogne et n'est connu que par ses pseudonymes. Il ne garde aucune rancune à Farjon dont il comprend l'attitude et tente en vain de le faire évader (témoignage d'André Deconninck, recueilli par Arthur Calmette [128]). Il parvient à rencontrer Farjon dans sa prison (étrangement mal protégée), et apprend de lui qu'ils savent tout. Rouzée rencontre aussi Farjon en détention, qui l'engage à parler « ils savent tout » [135].

Les témoignages accablants de la trahison de Farjon sont très nombreux. Parmi eux citons celui de Georges Fourdrinoy [105]. Juste un extrait : « Le témoin {Fourdrinoy} … est interrogé 8 fois en un mois, il nie toujours. …. à chaque interrogatoire du témoin, Farjon, en liberté, écoutait les dépositions sans interroger..... Lebourvat (PTT Arras) a raconté que Farjon l'avait interrogé dans une pièce où ils étaient à deux, mais dans une autre pièce un agent de la Gestapo écoutait, qui recueillait des faits précis : rendez-vous avec des chefs de secteur, ainsi que sur l'activité de résistant de Colle (PTTNord). Lebourvat, sans méfiance, parla aussi de Cléret ce qui déclencha l'arrestation de celui-ci..... ». Ajoutons le témoignage de Françoise Pène [102], dont le contenu est évoqué section B.4.2.

Schott était certes habile et Farjon bien fragile. Pierre Pène explique sa trahison (Pierre Pène sur la

Page 33: B.2 La Résistance dans l'Aisne

personnalité de Farjon, [102]), par cette fragilité, mais aussi du fait de son ambition. Il décrit le mécanisme qui a entraîné Farjon à donner de plus en plus aux Allemands. Farjon l'a beaucoup aidé lors de leur évasion après avoir avoué en cellule « je t'ai donné ». « Il ne pense alors même pas que ses anciens camarades de combat pourront lui demander compte de sa trahison, des 150 noms et descriptions remises à l'ennemi, des pertes qui s'en sont suivies »[102] {Pierre Pène sur la personalité de Farjon}.

La trahison de Grandclément, le maquis de Guingouin et Papon protégé malgré ses crimes

Gilles Perrault se targue d'avoir fait connaître l'affaire Grandclément. Il faut lui en rendre justice bien que cela avait déjà été développé par Calmette [78] p 170. Grandclément, chef de l'OMC dans le sud-ouest a été convaincu par l'Allemand Dohse de contribuer à un retournement d'alliances contre l'URSS. Il a accepté un accord de trahison. Jacques Rebeyrol [136] pense que « Grandclément était anti-communiste et il avait fait savoir depuis longtemps à ses amis qu'en cas d'arrestation, il avait arrêté une ligne de défense qui consisterait à dire aux Allemands qu'il était effectivement à la tête d'un groupe armé, mais que ce groupe n'était pas armé dans l'intention de nuire aux Allemands mais pour se prémunir contre un putsch communiste en cas de départ précipité de l'occupant ». Que ce soit Dohse ou Grandclément qui ait proposé ce renversement d'alliance, cette trahison a détruit dans cette région la Résistance de droite alors que le puissant maquis de Guingouin montrait la force de la Résistance communiste. C'est peut-être pour cela, en l'absence de non-communiste dans la Résistance de cette région, que Maurice Papon est nommé, à la libération, directeur de cabinet du Commissaire de la République à Bordeaux, malgré les protestations du CDL. Puis il est nommé au ministère de l'intérieur le 26 octobre 1945. Il sera préfet de police lors du massacre des Algériens le 17 octobre 61 et même ministre de Raymond Barre. Plus tard il sera enfin condamné pour complicité de crime contre l'humanité (jugement du 2 avril 98) pour avoir organisé le départ des Juifs vers les camps d'extermination.

Symétriquement, le Parti Communiste s'est vite débarrassé de Georges Guingouin, trop imprégné de l'esprit de résistance.

Il est vrai que l'histoire peu glorieuse de Grandclément n'était pas très connue avant le livre de Perrault. Il est curieux que Perrault ne se soit pas demandé si le retournement de Farjon n'était pas de la même nature. S'est-il rangé du côté allemand depuis son arrestation jusqu'au 8 juin 44 seulement parce qu'il les jugeait invincibles, ou dans cette idée d'un renversement d'alliance, comme l'a fait Grandclément ? Farjon faisait partie d'une grande famille industrielle probablement peu sympathisante de l'URSS. Et voyant le débarquement anglo-américain il aurait changé à nouveau de camp, ce que pense Pène. À notre connaissance Farjon n'a pas évoqué l'anti-communisme comme une cause de ce qu'il faut bien appeler sa trahison. Mais ce qu'il a invoqué n'est pas convainquant : il a invoqué des brutalités qu'on ne peut nommer torture, et l'argument ''ils savent déjà tout'' est stupide : s'ils avaient tout su ils n'auraient pas perdu leur temps à interroger. Et de plus nous avons vu deux exemples ci dessus où Pène d'un côté, Lepercq de l'autre, lui disent en confiance quelque chose que les Allemands ne savent pas, et qu'il s'empresse de leur apprendre !!

La Région Parisienne après Pène : Fouré, Lefaucheux, Rol

Les nombreuses arrestations qui se sont produites début 44 en incluant celle de Pène désorganisaient la Résistance dans la Région Parisienne et en particulier celle des FFI. Que s'est-il passé entre le 4 avril 44 et la nomination de Rol le 5 juin 44 ? Cette période est peu connue. Nous avons trouvé un document dans les archives Kergall, au musée de la Résistance {16}.

Nous présentons [142] le document du fond Kergall daté du 14 avril 44. On voit que l'Inspecteur Régional qui succède à Pène est Robert Fouré (Leroy). Lefaucheux (Gildas) souvent cité est responsable de ''Seine et Seine et Oise''. Robert Fouré a été arrêté le 17 mai 44 ! Il a été déporté et n'est pas revenu du camp de Dora. Lefaucheux (Gildas) lui a-t-il succédé ? En tout cas il se bat pour obtenir des armes mais les alliés seront sourds jusqu'au débarquement du 6 juin [127]. Seulement en juillet d'importants parachutages d'armes seront réalisés. Dans son témoignage [127] Lefaucheux parle de Leroy {Fouré} et d'autres résistants en soulignant la nécessité d'une union de toutes ces forces, sans préciser les dates. Les actions concrètes qu'il mentionne concernent essentiellement la région qui lui est dévolue dans le diagramme [142]. Hélas, Lefaucheux a été arrêté deux semaines et demi après l'arrestation de Fouré, le 3 juin 44 , et avec lui 9 chefs de la Résistance !!! Un élément infiltré les avait dénoncés. Marie-Hélène Lefaucheux a sauvé son mari d'une façon exemplaire, mais ceci est une autre histoire.

Rol Tanguy était nommé à la tête des FFI de la Région Parisienne le 5 juin 44. Rol a dirigé l'insurrection de Paris déclenchée par les policiers de la Préfecture de Police. Ceci est bien connu et nous n'en parlerons que du point de vue de Pène, qui, pouvant enfin se montrer, observait les évènements en spectateur, avant de devoir devenir acteur en tant que Commissaire de la République pour la région Picardie et Ardennes.

Page 34: B.2 La Résistance dans l'Aisne

B.4.2 Après l'évasion De Pierre PèneArrestation de Françoise, Clotilde, Françoise attaque l'interrogateur

La nuit même de l'évasion de Pène et de Farjon, Françoise, Clotilde la sœur de Pierre, ses enfants ainsi que Jeanine Molaye, la servante, avaient été arrêtés {comme raconté par Florence à son frère B.3.4}. Françoise a été interrogée par le Dr Schott, membre du GFP {Geheime Feld Polizei}, dépendant de l'Abwehr, c'est à dire les services de renseignement de l'armée allemande. Elle décrit son interrogatoire dans son livre [24] p 118. Ses deux filles et le bébé étaient dans la pièce attenante au lieu de l'interrogatoire. « ANNETTE : maman est incroyable. Quand le policier (Schott) l'interrogeait, nous pouvions l'écouter derrière la porte, notre garde dormant un peu plus qu'à moitié. Elle le traitait de sauvage, ils étaient pires que les Russes, emprisonnant des enfants ! Quelle réputation cela ferait dans nos écoles ! Elle était innocente de tout ce qu'avait fait son mari, mais comprenait qu'ils veuillent la prendre en otage. Mais pourquoi la bonne et les enfants ? C'était criminel ! (d'ailleurs j'appris plus tard que le bruit avait couru dans le lycée de ma mort en déportation). Il répondit qu'il avait d'autres griefs contre elle, sans doute son origine juive, qu'il connaissait certainement. Mais cela n'arrêta pas Françoise et son flot de réprimandes et d'accusation de sauvagerie et d'injustice. » [81] p8.

Françoise elle même parle de son interrogateur le Dr Schott « L'évasion {de Pène et de Farjon} a bousculé tous ses plans minutieusement élaborés. Il espérait, vainement sans doute, les confidences de mon mari à Dufor {Farjon}, il espérait grâce à elles prendre encore deux résistants importants. Lui-même cet avoué {la profession de Schott}, va être rendu responsable de cette évasion qu'il n'a pas pu empêcher. Il passera deux fois en conseil de guerre. La première fois avec son interprète Robert. Celui-ci ayant porté le colis où se trouvaient les draps et la lime est fort suspecté et arrêté. Gardé par un camarade, il se sauve, préférant déserter qu'être fusillé. Après la libération, nous le retrouverons prisonnier de guerre à Laon. Mon mari le fera interroger par les services de contre-espionnage, et beaucoup de points obscurs seront éclairés de ce fait. Nous apprendrons ainsi que Pierre devait être fusillé le 15 juin, 5 jour après son évasion [146] p 49 ».

La Gestapo aurait envoyé immédiatement Françoise en camp d'extermination. Par chance elle était interrogée par l'Abwehr {l'armée}. Celle-ci n'était pas vraiment Nazie, l'extermination des Juifs n'était pas son affaire. Son souci était de décapiter la Résistance Française. Schott a-t-il été convaincu par les arguments de Françoise ? On peut penser aussi que Schott était un malin et s'est dit que l'incarcération de la bonne et des enfants ne lui servait pas à grand-chose, mais en les libérant il avait un hameçon pour attraper le « gros poisson », Pierre Pène. Toujours est-il qu'il n'a gardé dans la prison de Fresnes que Françoise et Clotilde Pène, ainsi que la mère et la femme de Roland Farjon.

La famille avait des voisins nommés Roumens. C'étaient des catholiques fervents, et des admirateurs du Maréchal Pétain. Cependant deux des filles Roumens avaient des relations amicales avec Annette et Florence. Les Roumens avaient obtenu que Didier soit envoyé dans une colonie de vacances catholique à Arcis le Ponsart, car il avait huit ans et ses parents craignaient qu'il ne tienne des propos dangereux. Seuls la servante Jeanine, les deux filles et le bébé étaient donc libérés par Schott, mais deux soldats allemands en civil les accompagnaient et s'installèrent dans l'appartement afin, bien évidemment, d'attraper Pène s'il se présentait, et éventuellement d'autres résistants. L'appartement avait un long couloir, une entrée de service dans un autre escalier que l'entrée principale, et des fenêtres des deux côtés : vers la rue et vers la cour intérieure. Les deux filles et Jeanine montrent un grand sang-froid, Florence subtilise sous les yeux des Allemands un carnet compromettant, et Annette parvient à contacter Suzanne Roumens par une fenêtre sur la cour intérieure et à lui envoyer un message et une clef, lui demandant de garder la clef d'une chambre du groupe d'immeubles louée discrètement dans un autre bâtiment, où Pierre dormait parfois et surtout qui contenait des documents très-très compromettants. Elle demandait aussi à Suzanne de prévenir les gardiens dans leur loge de ne transmettre aucun appel téléphonique à l'appartement. Car le téléphone passait par un standard situé dans un local collectif. Les gardiens de ce local respecteront cette demande. Notons au passage la solidarité large dont bénéficiait la Résistance en juin 44.

Françoise et Clotilde Pène à Fresnes, souris grise, autres détenues Françoise et Clotilde Pène sont donc prisonnières à Fresnes depuis le 10 juin 44. Elles seront libérées au bout de six semaines, le 22 juillet. Françoise a raconté [24] sa vie en cellule. Sa pire souffrance était l'impression d'étouffement dans ce local dont la fenêtre était fermée. Elle a dit un jour à une de ses gardiennes, la gentille, qu'elles appelaient la « souris grise », qu'elle voudrait aller dans un camp en Allemagne, où elle respirerait de l'air pur. Et la gentille souris grise lui a répondu « oh non, vous ne voulez pas aller là-bas ». En effet si les chefs d'Etat, le pape, la Croix-Rouge etc. savaient ce qui se passait dans les camps et en particulier dans les camps d'extermination, c'était encore ignoré du commun des mortels. Mais la souris grise le savait. La même

Page 35: B.2 La Résistance dans l'Aisne

souris grise lui avait dit dans le charabia franco-allemand dans lequel elles communiquaient « oui, pauvres prisonniers, mais eux, quelque fois, en sortent, tandis que nous, les gardiennes, nous y restons ». « Elle me dit qu'elle n'est pas volontaire, mais mobilisée. Mobilisée avec huit enfants ». Peut-être cette gardienne était-elle politisée, anti-nazie, ce qui expliquerait qu'elle soit si bien informée sur les camps Nazis. Ce genre de complicité entre la prisonnière et la gardienne est vraiment émouvant. Nous en verrons d'autres.

Donc Françoise force la fenêtre pour respirer. Cela lui vaudra le cachot où elle a failli mourir de faim, de faiblesse. « Victime d'un malaise dû au froid et au manque de nourriture, j'étouffe subitement et me mets à claquer des dents. Mon nez se pince et je sens mes membres s'agiter en mouvements désordonnés. J'entends alors des cris rauques près de moi : Levez-vous. Une gardienne est entrée, elle me prend le pouls puis s'en va. Je reprends un peu conscience au moment où l'on m'apporte un bol de soupe chaude. Petit à petit la vie revient en moi »[24].

Au delà de ce qu'elles ont souffert, il est très intéressant de lire ce que Clotilde et Françoise ont écrit à propos de leurs compagnes d'infortune. Les prisonnières communiquaient à travers les tuyaux de plomberie. Clotilde [114] décrit son arrestation, puis la manière dont les prisonnières communiquent avec les voisines d'à côté, d'en haut et d'en bas. Elle parle de « radio Fresnes », les nouvelles en général très optimistes propagées par les détenues sur la guerre. « Nous pensions presque toutes que la libération de la France entraînerait l'élargissement des prisonniers. Hélas mes pauvres camarades sont toutes parties en Allemagne vers le 15 Août » [114] p 6.

Elle raconte le rôle de Georgie, « la grande consolatrice de celles qui ont le cafard », des scènes joyeuses, mais plus souvent les soirs de tristesse, la folie d'une détenue. « Le cafard est contagieux, celle qui en est atteinte doit le cacher avec soin...En résumé, les sentiments s'exaspèrent en prison. La gaieté prend l'allure un peu nerveuse des chahuts d'étudiants, la tristesse peut dégénérer en désespoir et quelquefois en folie ».

Françoise Pène aussi parle des codétenues [24],[113]. Le texte écrit en 1945 [113], avant même la fin de la guerre en Orient, est plus complet d'autant que les souvenirs sont plus frais. Mais le texte le plus complet, le plus précis et, il faut le dire, le plus émouvant concernant les détenues femmes de la prison de Fresnes est la référence [146]{p 39 à 43}.

Commençons par Florence, Francine Froment de son vrai nom. Condamnée à mort elle a chargé Françoise de transmettre à sa sœur un texte d'adieu déchirant [115]. Cette amitié profonde entre Florence la communiste et Françoise qui n'y croyait pas évoque le poème d'Aragon ''celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas''. L'héroïsme de Florence et de sa famille est impressionnant [113] {p81_85.pdf et p86_90.pdf}. Sa mère est morte des suites d'un interrogatoire brutal, son mari est prisonnier de guerre en Allemagne. Il ne lui reste qu'une sœur poitrinaire, sans argent, avec un enfant chétif âgé de cinq ans. ''Cette communiste fanatique est une tendre''. Cet oxymore en dit long sur la distance entre ces deux femmes dont la détention a fait deux amies, deux camarades. À travers le tuyau d'eau Florence parle de sa mère « Elle était encore si jeune et jolie, et elle nous aimait tant. Petite couturière, simple ouvrière, elle nous habillait avec tant de goût et d'élégance que ses clientes voulaient avoir les mêmes toilettes que nous ». Françoise ira voir la sœur de Florence quand elle sera libérée, l'aidera un peu. Le 11 juin 45 elle reçoit bien tard une lettre posthume dans laquelle Florence lui demande d'annoncer avec précaution sa propre mort à sa sœur. Elle a été inhumée le 5 août 1944 à 12h15.

Une autre voisine, Suzy, femme d'un facteur, a été arrêtée comme complice de son beau-frère. La nouvelle se répand, Suzy va être libérée, un peu de joie, hélas sa libération a eu lieu le lendemain du jour où son beau-frère était fusillé à Fresnes ! Ce beau-frère a laissé une lettre à sa femme à propos de ses enfants « Fais-en de bons et courageux ouvriers, dis leur qu'ils peuvent être fiers de moi car tout ce que j'ai fait est honnête et pur. Je l'ai fait pour mon pays. J'espère qu'ils ne connaîtront pas comme moi dix ans de guerre pour quarante années de vie. »[113] (p86_90.pdf). Ce résistant avait été trahi par un Français !

Jeannette appelle désespérément chaque matin son Jeannot. Il faisait de fausses cartes d'identité pour des résistants ou des réfractaires (au STO). Jeannette vendait des bas dans une petite boutique. Les miliciens sont venus les arrêter. La grand-mère n'a pas d'argent, comment fait-elle maintenant que ses enfants sont en prison ?

Françoise fait une description détaillée des modes de communication entre prisonnières, des conseils des anciennes, de l'accueil d'une nouvelle, de l'aumônier qui parle avec douceur, ... [113] (p91_95.pdf). La plupart de ces femmes avaient accepté de faire le sacrifice de leur vie par patriotisme, pour un monde de justice sociale, et elle furent presque toutes assassinées par les nazis. Françoise Pène souligne [146] cette intense solidarité de résistantes de différents milieux et de différentes opinions politiques.

Pour illustrer cette fraternité Françoise décrit la cérémonie des « bonjours » et des « bonsoirs » qu'échangent

Page 36: B.2 La Résistance dans l'Aisne

les détenues. « Comme ils sont poignants lorsque c'est un enfant qui s'adresse de loin à son père ou à sa mère, une femme à son mari. Les autres plus anonymes, s'échangent entre voix connues, sous un prénom. Il y a aussi les chants. Les voix claires des femmes, plus graves et plus rares les chants des hommes. Ces chansons représentent, comme les prisonniers, tous les milieux sociaux ; des classiques assez rares en passant par les vieilles chansons françaises, et les hymnes glorieux les plus chantés, on descend aux couplets sentimentaux qui ont, dans certains coins, beaucoup de succès. Dans le secteur de ma belle-sœur une danseuse de Tabarin et deux étudiantes donnent le ton et l'on y raconte d'amusantes histoires spirituelles. Mon secteur, dominé par la voisine communiste, l'ancienne du coin, autodidacte militante, a un genre plus austère. À chaque nouvelle venue elle se présente : « je suis depuis un an au secret et condamnée à mort ». Elle est sûre de son petit effet. Deux jeunes femmes, avec qui je ne converse pas, trop éloignées de moi, me plaisent ; elles chantent très tard à deux voix un nombre incalculable de vieilles chansons ; elles terminent la soirée en scandant sur l'air de formez le monôme, « Bonsoir Simone, bonsoir Simone, bonsoir », successivement sur tous les prénoms du coin. Car bien entendu nous ne nous connaissons que par nos prénoms. La prudence élémentaire vis à vis des moutons {les espions mêlés aux détenus pour les faire parler} nous interdit d'utiliser les vrais prénoms [146] p 42.

« Les hurlements stridents des sentinelles interrompent généralement des discussions de cellule à cellule, et qui finissent maintes fois au cachot, à moins d'avoir à faire à un humoriste comme ce soldat de garde qui, entendant une prisonnière dire comme bonsoir Vive de Gaulle, à bas les Boches, lui répond : C'est encore un peu tôt, mademoiselle »[146] p 43.

Le texte [146] p 55 de Françoise Pène contient un appendice intéressant ''J'ai ressenti avec force ce qui distinguait ces hommes et ces femmes de ceux qui ont trahi, en retournant à Fresnes en cette année 1945. Nous allions à plusieurs anciennes internées, à la recherche d'indications sur la mort de la mère de ma voisine {Francine Froment, Florence}, sa mère qui revint de l'interrogatoire en soufflant à sa voisine « je suis très fatiguée, je n'en puis plus, pourvu qu'ils n'en fassent pas autant à ma fille ». Elle s'étendit sur un grabat et, dans la nuit, les gardiens s'agitèrent et les détenus des cellules proches entendirent les Allemands apporter un cercueil. C'est tout ce que nous savons d'elle. Quelle émotion pour nous de revoir nos cellules, d'y retrouver nos inscriptions, la trace des longues heures de solitude »[146] p 55. Elle constate que les conditions de détention sont bien meilleures que ce qu'elles avaient connu, mais en même temps « Nous avions devant nous des visages sans âme.... Madeleine la sœur de Florence souffrait de penser que les dernières heures de sa mère et de sa sœur avaient pu se passer dans cette atmosphère grise. Et d'un seul élan, les deux anciennes de Fresnes, revenantes de Ravensbrück et moi-même, nous lui dîmes : « Fresnes n'est plus Fresnes ; ce sont bien les mêmes cellules avec un régime plus acceptable mais, ici, il n'y a rien qui soutienne ces hommes ». Aucun idéal, aucune communion entre eux, aucune fraternité, aucun espoir....Ils ont indéniablement plus d'espoir que nous de sortir de l'internement, même les condamnés à mort, ces collaborateurs, car la justice actuelle est faible ou humaine, qualificatif au choix, ..mais ce n'est qu'un espoir personnel, donc vain. Tandis que nous, nous espérions que la France serait sauve ….Et cette espérance est justifiée. La France est libre. C'est déjà beaucoup, messieurs les grincheux....nous savions qu'autour de nous, derrière les murs, il y avait des vies précieuses et que ces vies précieuses avaient tout accepté volontairement. Dans sa cellule, avant d'être fusillée, le 5 août 1944, Francine Froment (Florence) a écrit « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux » »[146] p 55. Ce texte se passe de commentaire, si ce n'est, encore une fois, l'attachement si fort de Françoise pour la mémoire de Francine Froment, qui n'était pas du même milieu social et ne partageait pas les mêmes idées politiques.

Puis elle raconte ses interrogatoires par le Dr Schott et ses acolytes, cf le début de B.4.2. Elle parle aussi du voyeurisme des gardiens allemands au moment des douches des détenues.

Enfin elle parle de sa libération ainsi que de celle de Clotilde, le 22 juillet. Les codétenues se réjouissent et bien sûr chargent Françoise de messages pour leurs familles. La mémoire de Françoise est mise à rude épreuve. La femme et la mère de Farjon sont libérées en même temps. Elles échangent leurs impressions de la prison. « Nous savons toutes quatre que nous sommes lâchées en appât pour nos deux évadés. Ce sera une liberté apparente qui nous attend. Chacun de nos déplacements, de nos coups de téléphone, de nos lettres sera épié. Qu'importe, nous saurons déjouer les filatures ; nous serons prudentes et patientes. La libération de Paris ne peut plus tarder »[146] p 51.

Une fois libérées il faut retrouver les filles, le bébé et la bonne Jeanine que Pierre avait envoyés à Bures-sur-Yvette chez Denise Quivy, pour plus de sécurité. Une épicière offre à Françoise et Clotilde du pain sucré et beurré, un régal après Fresnes. Françoise reçoit par téléphone des bonnes nouvelles de ''Lisette'' c'est à dire de Pierre. Elle apprend où sont les enfants. Ils reviennent deux jours après.

Clotilde s'aperçoit que son appartement a été cambriolé, apparemment par son concierge qui a disparu tout de

Page 37: B.2 La Résistance dans l'Aisne

suite après qu'elle soit revenue de prison.

La libération de Paris s'annonce. Les services de la police militaire allemande qui s'occupaient d'eux quittent Paris. Pierre peut rejoindre sa famille et on peut faire revenir Didier d'Arcis le Ponsart. Toutes ces joies sont assombries par la nouvelle de la mort de Biqui, fils de Hélène Franckel, une cousine et amie très proche {de son nom d'état civil Biqui se nommait Jean, Marcel, Edouard Franckel}. Biqui a été blessé à mort dans les combats de la libération. Il avait envoyé une lettre poignante à ses parents [116]. « Nous sommes tous atterrés, notre joie brisée. Biqui ce charmant garçon de 17 ans ½, si ouvert et franc, le gentil enfant plein de fantaisie, intelligent et studieux »[146] p 53. Son père, le Dr Franckel et sa mère étaient restés à Paris pendant toute l'occupation en portant l'étoile jaune, malgré les risques que couraient des Juifs si visibles. Et lors de la libération ils ont perdu leur fils ! Leur fils ainé, Jacques était prisonnier de guerre en Allemagne. Françoise va voir Biqui à l'hôpital « Biqui est admirable, il sourit et me dit – Jacques sera fier de moi quand il saura ce que j'ai fait. J'ai pris des armes aux Allemands pour aller combattre contre eux; j'en ai tué deux avec mon camarade »[146] p 53.

Pierre Pène très recherché, les riches bourgeois, Morax, le chirurgien, les hébergeurs

Après son évasion Pène était bien sûr très recherché par les Allemands. Clotilde Pène écrit « Le chef de ceux qui sont venus m'arrêter {que tous appellent docteur Schott} donne un ordre. Une dizaine d'Allemands en civil, jeunes, à tête de brute, entrent et se tiennent au garde à vous devant lui. Ostensiblement il remet à chacun d'eux deux photos (l'une de face l'autre de profil, des deux évadés) »[114] p 1. Les deux évadés sont Pène et Farjon.

Il fallait se cacher. Roland Farjon conduit Pène chez des amis industriels ou des parents éloignés. « Les couleurs vives et harmonieuses, la noblesse du mobilier, les parfums du jardin nous conduisent dans un autre monde... ces hôtes sont bienveillants, mais ne veulent pas prolonger le risque »[104] p 1. Pène dit adieu à Farjon. On lui donne des espadrilles et lui dit de suivre la maîtresse de maison. « Je fais donc le suiveur, mais mes pieds, dont la plante n'est plus que plaie, ne me permettent d'avancer que d'un pas de tortue. Mon guide s'arrête fréquemment et feint l'intérêt devant les magasins. C'est curieux comme les devantures qui ne présentent guère que des hardes et des sachets d'orge baptisé café, offrent de l'intérêt pour cette jolie femme ! Quant à moi, traînant mes espadrilles, j'ai une allure étrange mais, fort heureusement, de nombreux réfugiés de Normandie où la bataille fait rage parcourent la ville et l'on ne me remarque pas. Nous voici à un nouveau refuge où l'on m'offre un déjeuner hâtif ; ces riches bourgeois veulent être en règle avec leur conscience et aussi en bons termes avec la Résistance, avec le camp des vainqueurs, mais ils tremblent devant le risque. Le repas à peine achevé ils tiennent conseil de guerre. Ils me garderaient bien mais ….mais c'est un vrai crève-cœur pour eux de ne pouvoir. « Mais j'y pense », dit l'un « et le Dr Morax ? Il a déjà abrité tant de fugitifs – justement » dit un autre « il est sûrement repéré, d'autant que sa femme est juive – mais elle est partie par prudence – où ? - je ne sais pas. Il prendra sûrement monsieur » »[104] p 1. Cette description humoristique des couches aisées de la société à un moment où les vainqueurs ne sont plus les mêmes n'est que la description de ce que Pène a vécu et observé. On croirait pourtant une comédie sociale.

On va soudain basculer vers des personnalités d'une autre carrure. Pierre alla donc chez le Dr Morax. Ce dernier lui apprit l'arrestation de sa famille, et le dissuada de se livrer, cela ne servirait à rien. Leur discussion retranscrite par Pène [104] p 2 est théâtrale. Elle commence par « je vais me livrer pour les délivrer – Vous n'êtes pas fou ? Ils vous garderont tous » et se termine par « Je pars quand même – je ne vous laisse pas sortir ».

« On m'offre à déjeuner, on fait ma toilette – ce que je ne puis faire seul – on me donne une allure décente, et, dès trois heures après-midi, un chirurgien, le Professeur Funck-Brentano vient m'examiner » [103] p 5. Le Dr Funck-Brentano emmène Pène dans sa clinique et opère son poignet cassé en le présentant comme un accidenté de bicyclette. Il était un dirigeant de la Résistance médicale à Paris.

La femme du Dr Morax était une juive égyptienne d'une grande beauté, et des policiers français sont venus la chercher. Elle était heureusement partie la veille. Pène fut sauvé par le sang-froid d'une femme de chambre « qui a juré ses grands dieux que sa patronne n'était pas là et les policiers n'ont pas perquisitionné. Etaient-ils favorables aux résistants ? Sentaient-ils le vent tourner ? Quoi qu'il en soit ils n'ont pas montré beaucoup de mordant »[66] p 23.

Il dut chercher d'autres personnes acceptant de l'héberger. Un ami d'Hélène Franckel {cousine de Françoise}, puis Mr Maroteau, ami de Charles Lagille {beau-frère de Françoise}, des ouvriers brossiers « qui m'hébergèrent chez eux à Chennevières » [66] p 23. Pène a honte d'avoir oublié leur nom, ils lui ont sauvé la vie en risquant la leur. Ils n'ont jamais reçu de médaille, leurs actes ont été peu connus, oubliés, et pourtant eux aussi étaient des héros.

Page 38: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Pène reprend contact avec l'OCM par l'intermédiaire de Sonneville (Montrose) [54] p 6. « Déjeunant avec Piette je lui signale que son domicile, son restaurant habituel sont connus »[104] p 2. Pène remonte jusqu'au sommet de la Résistance, Parodi (Délégué Général du CFLN) et Laffon (chargé de sélectionner les Commissaires de la République), qu'il rencontre dans les jardins du Trocadéro [104] p 2. Il sera nommé Commissaire de la République pour la Picardie et les Ardennes le 28 juin 44.

Malgré la foule de Paris, le danger est toujours présent. Pène a un rendez-vous avec Marie-Hélène Lefaucheux. « Tout à coup, à cinquante mètres, venant vers moi, un groupe d'Allemands. Mais je les connais, ce sont mes enquêteurs de Senlis dont je me suis évadé. Béats, ils goûtent ce début d'été d'Île de France, en respirent les parfums, reposent leurs yeux sur la verdure ». Pène hésite, traverser attirerait leur attention. Il poursuit sa route, frôle, les jambes tremblantes, les Allemands et « la mine décomposée, retrouve Marie-Hélène dans le petit bistrot modeste où elle m'attend ».

Annette Pène (la fille ainée) amenait et ramenait un vélo à son père. Un jour elle lui en a amené un. À l'aller elle était sur un vélo et en tenait un autre à ses côtés. Au retour elle était simplement à vélo. Soudain elle voit les deux Allemands qui avaient occupé l'appartement pendant quelques jours. Ils l'interpellent, que fait-elle ? Elle donne un vague prétexte, elle vient de chez une amie. Heureusement qu'elle ne les avait pas rencontrés à l'aller, avec deux vélos ce qui, sans aucun doute, leur aurait paru suspect. Et puis, en cette fin de guerre, les soldats allemands non fanatisés n'allaient tout de même pas envoyer à la mort une jolie fille ! Ils l'ont laissé partir.

Comment Pène communiquait-il avec sa famille ? La personne clef était Denise Quivy, une amie proche de Clotilde, la sœur de Pène. Elles avaient été ensemble sur les bancs de la Sorbonne, seules filles, ou presque, dans un amphi bondé d'étudiants de physique. Le frère de Denise était médecin. Pène pouvait discrètement aller dans son cabinet comme s'il voulait se faire soigner. Le docteur Quivy prenait ou lui donnait les messages. La chaîne se poursuivait entre le Dr Quivy et sa sœur. Celle-ci allait à la boulangerie de la rue des princes près de la rue de la Tourelle et faisait la queue. Annette s'y trouvait et elles s'arrangeaient pour être l'une derrière l'autre dans la queue et échanger discrètement les documents. La même Denise Quivy a offert une maison qu'elle possédait à Bures-sur-Yvette pour héberger les filles et le bébé, Pierre ayant jugé dangereux qu'ils restent à Boulogne (cf B.3.4).

La libération de Paris : Les barricades, Jacques Monod, la 2ème DB et Von Choltitz

En attendant le moment opportun pour rejoindre la région qu'il devait diriger en tant que Commissaire de la République, Pène vivait en spectateur l'ébullition révolutionnaire de Paris. « Paris est vibrant de passion ...Par hasard j'assiste un matin à la rébellion de la Préfecture de Police. Un autre jour c'est le Grand Palais qui brûle avec une réserve de sucre de plusieurs millions. Un char, attaqué du Grand Palais par des FFI plus ardents que réfléchis, a riposté et mis le feu. Des barricades se dressent dans les rues, hétéroclites et parfois ridicules, un char et parfois même une auto-mitrailleuse les renversent d'un effort »[66] p 24. Pourtant des directives sur la manière d'édifier des barricades et de les défendre avaient été données.

Une de ces directives datée du 20 août 1944 provient du chef du 3ème bureau de l'Etat-Major National (EMN) des FFI. Il signe Malivert. Malivert n'était autre que Jacques Monod, qui obtint le prix Nobel de biologie en 1965 en compagnie de François Jacob, lequel a combattu dans les Forces Françaises Libres, et de André Lwoff, qui a beaucoup aidé la Résistance et en particulier Jacques Monod. Ce dernier émet une directive en tant que chef du 3ème bureau [112,110].

Il souligne le danger de l'occupation de points fixes mais prend acte du fait que la révolte des policiers de la Préfecture de Police a abouti à ce que « la possession de la cité étant un fait acquis dont la valeur morale sinon stratégique est considérable, il ne saurait être question naturellement d'abandonner cette position, qui doit être tenue à tout prix. Mais le commandement cherchera à créer de fortes diversions partout où ce sera possible et aussi souvent que possible. En conséquence :1)Multiplier les patrouilles armées en voiture sur toute l'étendue de Paris et de la banlieue.2)Installer partout où ce sera possible, et pour commencer, sur les grandes artères fréquentées par les patrouilles ennemies, des barricades assez puissantes pour arrêter voitures, camions et auto-mitrailleuses. Ces barricades seront munies de chicanes permettant le passage de patrouilles amies.3)Elles seront défendues par des groupes armés qui auront pour mission d'en interdire le franchissement par des voitures ennemies.4)Les milices patriotiques non armées et la population seront invitées par voie d'affiches et de hauts-parleurs montés sur voitures à participer à la construction des barricades.5)Des systèmes d'alerte seront organisés entre les différents groupes défendant les barricades successives, pour annoncer l'arrivée des chars que l'ennemi cherchera sans doute à utiliser pour forcer les passages. Les

Page 39: B.2 La Résistance dans l'Aisne

gardes des barricades se replieront alors dans les immeubles voisins, et chercheront à attaquer les chars à la grenade si ils en possèdent. Sinon ils le laisseront passer et reconstitueront la barricade aussitôt après. pour le chef d'EMN {Etat Major National} et P.O.{par ordre} Le chef du 3ème bureau, Malivert''.

Monod s'est tourné vers Geniève Noufflard, son assistante et agent de liaison, et lui dit d'une voix impatiente « Bien sûr, cet ordre ne sera pas appliqué. C'est honteux, cela pourrait être très utile »[110] p 233.

Monod avait-il raison d'être si pessimiste ? Il semble que non. Un grand nombre de barricades ont été dressées dans Paris. On estime à environ 600 leur nombre. Certaines étaient-elles ridicules comme le dit Pène ? Probablement mais Pène était quand même sévère avec elles. Monod avait bien dit qu'une barricade ne pouvait pas résister à des chars et suggéré la tactique de l'envoi de grenades (ou cocktails Molotov) sur ces chars. Un fait est certain : ces barricades n'étaient pas de simples gesticulations romantiques pour imiter les grandes révolutions de l’histoire de France. Elles ont joué un rôle militaire important : elles ont empêché les forces allemandes en retraite de passer par Paris, et les ont contraintes à contourner Paris par le nord. Cela a certainement facilité la libération de Paris.

Cela a aussi eu une conséquence sur le chemin qu'a dû parcourir Pène pour rejoindre son poste de Commissaire de la République. Les troupes allemandes se repliaient par le nord de Paris. Le front bougeait assez vite. Et c'est pourquoi, pour rejoindre St Quentin où il devait prendre sa fonction de Commissaire de la République, Pène a dû traverser deux fois les lignes de front, avec les risques que cela comporte.

Au delà de son rôle symbolique puissant, l'insurrection du peuple de Paris (une de plus) a joué un rôle militaire important. Les premiers contacts des Résistants parisiens avec les généraux américains se heurtaient à un refus de passer par Paris, « on ne peut pas rester un mois et nourrir des millions de parisiens … ». Mais en fait la division Leclerc et la 4ème division d'infanterie américaine ne sont restées que quelques jours à Paris pour faire sauter les verrous allemands fortement armés. Car les résistants faiblement armés ne pouvaient pas prendre une demi-douzaine de points forts tenus par les Allemands et leurs chars tigre. Il fallait pour cela une armée bien équipée, ces deux divisions s'en sont chargées et ont vite poursuivi leur route à l'est aux trousses des armées allemandes en retraite.

On peut voir des films de la construction de ces barricades. Pierre Fouré, le fils de Robert Fouré dont nous avons parlé, dirigeait l'édification d'une barricade au carrefour du boulevard Raspail, et de la rue du cherche-midi. L'enthousiasme populaire y était très réconfortant. La population descendait des immeubles avec ardeur pour aider les FFI que l'on appelait parfois amicalement les FIFI. On voyait partir les véhicules allemands.

Avant de quitter Monod il faut noter qu'il donnait aussi des ordres de liquidation de collaborateurs particulièrement dangereux pour la Résistance. « Ordre d'exécuter le dénommé Bruschi, patron du bar Express , 7 rue Tardieu. Prévenir les exécutants que Bruschi est très dangereux et qu'il a peut-être été informé de ce que son exécution était décidée [111]. Ordre à exécuter de toute urgence.

Pour le chef d'EMN {Etat Major National} et P.O.{par ordre} Le chef du 3ème bureau, Malivert » [111]. Cette exécution a échoué. Nous ne savons pas ce qu'est devenu Bruschi. Nous voulons souligner le rôle de Monod dans la Résistance car c'est peu connu, Jacques Monod lui-même ayant tout fait pour le minimiser.

Pène poursuit son récit de l'insurrection parisienne « L'effet majeur de ces escarmouches, de cette guérilla est de créer chez l'assaillant un sentiment d'insécurité qui le trouble et le paralyse. Perdus dans une masse de 5.000.000 de parisiens excités et hostiles quelques milliers d'Allemands, ballotés comme des bouchons sur la mer oscillent entre une morne résignation et la rage meurtrière » [66] p 24.

On estime que les combats de la libération de Paris ont tué environ 700 combattants français, 2.800 civils français, et 3.200 Allemands. Nous verrons plus loin les pertes de la libération de St Quentin.

Lorsque Pierre Pène était ''gouverneur'' {3} du Bade-sud, de 1946 à 1952 il a appris la présence de Von Choltitz dans ce territoire et l'a invité plusieurs fois pour entendre son point de vue.

« Von Choltitz habitant le Land de Bade a été invité à plusieurs reprises à la table de M. Pène. Il a expliqué son attitude au moment de la libération de Paris. Il aurait vu Hitler écumant lui donner des ordres de destruction. ''on n'obéit pas à un fou'' »[54] p8. Il avait pourtant obéi à ce fou avec une férocité particulière depuis longtemps. Hitler l'avait nommé gouverneur militaire du « Gross Paris » précisément du fait de la brutalité dont il avait fait preuve à Rotterdam et à l'est. Il est maintenant établi que Von Choltitz avait fait miner tous les ponts de Paris et de nombreux bâtiments. Il a combattu les insurgés de Paris sans ménagement. Il n'attendait probablement pas l'arrivée de la division Leclerc si tôt. A ce moment il a pensé à son avenir et a capitulé. Choltitz sauveur de Paris ? Ce furent bien sûr les insurgés parisiens et les troupes alliées qui furent les sauveurs de Paris. « À la demande de Kriegel-Valrimont et sur l'insistance de Chaban, Leclerc accepte que

Page 40: B.2 La Résistance dans l'Aisne

Rol-Tanguy, ayant pris une large part dans les combats en tant que chef des FFI, signe une des ampliations de la convention de reddition »[147] p 68.

De Gaulle a félicité Leclerc et Rol-Tanguy mais n'a pas aimé la signature du chef des FFI sur l'acte de capitulation. Toutefois de Gaulle reconnaît « C'est, en effet, l'action des forces de l'intérieur qui a, au cours des précédentes journées, chassé l'ennemi de nos rues, décimé et démoralisé ses troupes, bloqué ses unités dans leurs îlots fortifiés. En outre, depuis le matin {du 25 août 44}, les groupes de partisans, qui n'ont qu'un bien pauvre armement assistent bravement les troupes régulières dans le nettoyage des nids de résistance allemands. Même, à eux seuls, ils viennent de réduire le bloc de la caserne Clignancourt » [163],''l'unité'', p371. Les FFI ont aussi participé avec le détachement du capitaine Dronne {arrivé à Paris la veille au soir} à la libération de la caserne Prince Eugène et le groupe FFI du colonel Fabien {Pierre Georges}a participé à la dure bataille de la libération du jardin du Luxembourg avec des unités de la 2ème DB. Mais de Gaulle n'était pas content du fait que Leclerc ait accepté la signature de Rol avec la sienne, ''Vous êtes l'officier le plus élevé en grade, par conséquent seul responsable''. Et puis il reprochait à la proclamation du CNR le matin même de ne pas mentionner son gouvernement. On aurait pu en retour lui reprocher de ne pas avoir suffisamment reconnu à la Résistance intérieure son rôle dans la libération.

B.4.3 Les batailles de La libération de St Quentin.

Pène ayant été nommé le 28 juin 44 Commissaire de la République pour la Picardie (Oise, Somme, Aisne) et les Ardennes, devait rejoindre son poste avant la libération de ces territoires. Il fallait en effet installer l'autorité du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) avant l'arrivée des Américains. Le gouvernement US avait conçu le projet AMGOT (Allied military government of the occupated territories). Ce plan visait à imposer dans les pays libérés de l'occupant nazi et dénués de gouvernement démocratique, un gouvernement militaire allié, afin d'assurer une transition pour un retour à la démocratie. Ils se méfiaient de de Gaulle et refusaient de considérer le GPRF comme un gouvernement démocratique. Ils ont laissé à contre-cœur de Gaulle venir en France et il y eut sa réception triomphale par la population de Bayeux. Cela a, semble-t-il, convaincu les Alliés de reconnaître l'autorité du GPRF et de de Gaulle. Donc, fin août 44, on peut penser que le danger que constituait l'AMGOT était abandonné. Pourtant les Alliés, par la plume du général Eisenhower, prônaient encore la soumission du peuple français à leur directives. De Gaulle s'est fortement opposé à ce texte comme nous le verrons section C.2.

Pène avait un ordre de mission signé du général de Gaulle. Ses premières tâches étaient de destituer les préfets et superpréfets de Vichy, d'installer les préfets nommés par le GPRF et de prendre le pouvoir à St Quentin, sa capitale, par les armes si nécessaire [54].

Le 18 août, il franchit une première fois les lignes allemandes à Saint-Denis. « J'étais accompagné d'un jeune hurluberlu nommé Boistière qui se disait sans raison mon directeur de cabinet »[66] p 25. Ils longent la voie ferrée, se font voler leurs bicyclettes par des Feldgrau {soldats allemands} et entrent dans l'Oise. Pène parvient à prendre contact avec la Résistance locale grâce à un chef cantonnier qui l'oriente vers un maire. On les loge et le matin de jeunes résistants ''du cru nous font un brin de conduite''. On déconseille à Pène de prendre une voiture, car les avions alliés les détruisent toutes. Il en trouve cependant une et parvient, seule voiture à rouler dans le département, à Beauvais, auprès de Perony, préfet désigné. Pène, Perony et une dizaine de résistants se rendent à la préfecture pour destituer le préfet en place, Malick. Ce dernier réclame un document habilitant Pène, qui s'aperçoit que le papier qu'il avait cousu dans son manteau a disparu, peut-être à la suite d'un changement de veste dans un abri de la Croix Rouge. Cependant le rapport de force dissuade Malick d'insister.

Les chars anglais sont aux portes de Beauvais le lendemain ou le surlendemain. Ils pénètrent au centre vers 17h00, la joie populaire éclate.

Péronne est libérée, puis Amiens où les destructions sont considérables au voisinage de la gare. L'atmosphère y est lourde, le Préfet désigné, nommé « Vivant », mais mort de peur, n'a pas pris son poste. Il est provisoirement remplacé par Atolin, président du comité départemental de libération (CDL), en attendant la désignation d'un autre préfet [54] p 7. Ce sera Bernard Cornut-Gentille « qui aura le mérite de remettre de l'ordre quelques jours plus tard, de vider les couloirs de la Préfecture des tables où siégeaient de prétendus résistants, se gonflant, molestant la population dans un style très Grande Terreur »[66] p 26. Pène y passe quelques heures.

Il est à nouveau derrière la ligne de front qui se déplace vite vers l'est. « Je repars derrière les armées alliées, sur les talons des Allemands, escorté de 2 jeunes FFI qui portent leurs mitraillettes comme de beaux jouets

Page 41: B.2 La Résistance dans l'Aisne

neufs ». Il repasse la ligne de front le 1er septembre 1944 à Holnon dans l'Aisne.

A St Quentin il va trouver le préfet régional de Vichy, Homo, qui « plus souple que Malick, ne croit pas utile de faire le zouave. Il se borne à me dire : l’histoire jugera ». Il n'a pas mauvaise réputation en ville, mais sera condamné à mort par contumace dans un des départements où il avait été précédemment en poste sous Vichy.

Tomasini est nommé préfet de l'Aisne.

« À St Quentin la libération a été très meurtrière. Les gardes prétoriens créés par Vichy et qui devaient devenir des C.R.S. ont à cœur de participer à la libération de la ville : ils sont plus compromis que les autres polices vichyssoises. Ils se portent donc vers les Champs-Elysées (de St Quentin) accompagnés de FFI, leur armement est léger ; ils se heurtent à des automitrailleuses allemandes très décidées et la lutte est par trop inégale. En quelques minutes, 30 morts français jonchent le sol. Ces 30 malheureux devaient nous obséder des jours durant : plusieurs cérémonies allaient être successivement organisées pour les honorer et toujours on les retrouvait alignés sur le sol »[66] p 27. Cette bataille a été la plus dure de la libération de l'Aisne [143] p 22.

Mr Pierre Chemery, de St Quentin, suffisamment âgé pour avoir connu cette période, nous a raconté avoir demandé en 2014 à la municipalité de donner le nom d'une rue de St Quentin à Pène. Cela fut refusé en prétextant ces trente morts. Il aurait fallu selon eux attendre les Américains qui n'étaient pas loin. Qu'il y ait eu une erreur militaire grave à l'origine de cette hécatombe, c'est indéniable, mais la solution d'attendre les Américains était en opposition formelle avec la ligne de de Gaulle comme nous l'avons explicité ci-dessus. Il faut aussi rappeler ce que dit Pène : une partie de ceux qui se sont lancés dans cette bataille avaient beaucoup de choses à se reprocher. En tout cas ce n'est pas Pène qui a organisé cette attaque inconsidérée.

Quand aux Américains, il est vrai qu'ils n'étaient pas loin. « La résistance allemande était si affaiblie, leur fuite si rapide que les Américains, entrés en ville le même jour, avaient mis leur artillerie en tête de colonne. Dans mon bureau de Commissaire le 1er contact eut lieu entre Dauvergne chef FFI de l'Aisne et les officiers libérateurs {Dauvergne était le Colonel de Sarrazin, information de Mme Pitois-Dehu}. C'était la joie complète, elle s'exprimait dans tous nos gestes surtout après que les décisions militaires urgentes furent prises. En arrivant à ma résidence qui était l'ancienne villa du Préfet Régional aux lisières de la ville je trouvai sur la rue une sorte d'arc de triomphe sommaire mais émouvant »[66] p 27.

« Il fallait se mettre vite au travail » et c'est ce que nous verrons dans la partie C.