Bellavance, G., Latouche, D. (1999) « Montréal et Toronto: deux capitales culturelles et leurs publics »

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  • 7/29/2019 Bellavance, G., Latouche, D. (1999) Montral et Toronto: deux capitales culturelles et leurs publics

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    Bellavance, G. Latouche, D., Montral et Toronto: deux capitales culturelles et leurs publics Canadian Journal of Regional Science. 22.1-2 (Spring-Summer 1999): pp. 113-30.

    Si on se fie au verdict du Places Rated Almanach, Montral n'aura plus encore trs longtemps lasatisfaction -- peut-tre la dernire qui lui restait -- de se proclamer mtropole artistique et culturelledu Canada. partir d'une grille comprenant une quinzaine de critres (nombre de muses, jours de

    tournes, bibliothques, etc.), Savageau et Loftus (1997) arrivent en effet a la conclusion qu'auchapitre des arts et de la culture, Toronto se situerait maintenant au 5e rang des quelque 351agglomerations d'Amrique du Nord, aprs New York, Washington, Los Angeles et Chicago. Montralquant a elle ne viendrait plus qu'en 12e position aprs Cleveland et Baltimore, mais tout de memeavant Newark et Oakland. Le fait que Toronto soit credite de l'existence de 19 orchestressymphoniques contre seulement 4 Montreal et de 58 troupes de thtre contre 33 Montreal estsrement pour beaucoup dans ce nouvel ordre culturel urbain .

    Par dela l'anecdote, ce classement et les grincements de dents qu'il a sans doute occasionns, illustrebien toute l'importance que les villes accordent aujourd'hui leur reputation culturelle. L'impact rel decette rputation demeure cependant demontrer mais dfaut d'une mthodologie qui obtiendrait

    l'assentiment de tous, les villes vont continuer se prsenter sous leur meilleur jour culturel n'hsitantpas utiliser certaines images particulirement avantageuses dans le cadre d'une politique decommunication politique locale (Souchard et Wahnich 1995). Les arts et la culture, il faut le dire, s'yprtent merveilleusement bien. l'occasion, cette course l'image se transforme envritable frnsie de chiffres et de statistiques amenant chaque ville dmontrer que les arts et laculture sont devenus l'une des principales sources de cration d'emploi, sinon la principale industriede l'agglomration. Ainsi suite aux prtentions montralaises l'effet que la culture serait responsablede 89 916 emplois, ajouterait 4,7 milliards de dollars au PIB local (Juneau 1998), le Toronto ArtsCouncils'est senti oblig de rappeler qu' Toronto, il fallait parler de 225 000 emplois relis a la culture -- soit10,5 % de l'emploi total contre seulement 4,7 % Montreal -- et d'une contribution de 8,4 milliards dedollars au PIB regional, sans parler d'un milliard additionnel provenant du tourisme dit culturel.(1)

    De tels chiffres laissent songeurs, mais soulvent aussi des questions. Toronto a-t-elle pris une telleavance sur Montral au point ou l'emploi culturel montralais ne reprsenterait plus que 40 % de celuide la seule veritable mtropole culturelle du Canada ? Cette supriorit tient-elle essentiellement une demande insatiable des Torontois pour des activits culturelles de toutes sortes ? Faut-il y voir unchec des politiques volontaristes qubcoises qui depuis vingt ans ont surtout cherch accrotrel'offre de produits culturels ? Est-ce le simple effet de rayonnement d'une agglomration dontl'hinterland financier, dmographique, conomique dpasserait largement celui de Montral ?Comment expliquer que les investissements majeurs de la Ville de Montral (plus de 35,3 millions dedollars l'exclusion des bibliothques) et du gouvernement du Qubec (prs de 75 millions de dollars)en appui des activits artistiques sur le territoire de la mtropole qubcoise aient en apparence sipeu d'impact par rapport au maigre 11 millions de dollars de la ville de Toronto et a moins de 20millions de Queen's Park au chapitre de la culture sur le territoire torontois ? (2)

    Une seule dimension de cette rivalit culturelle Toronto-Montral nous a intress ici, celle despublics, et plus prcisement des publics rsidents. Sont-ils aussi diffrents, du moins en nombre, queles chiffres prcdents pourraient le suggrer ? Mme si elle n'est plus dans la course la premireplace canadienne, Montral peut-elle encore prtendre une certaine hgmonie sectorielle ? Y a-t-ilspcialisation des publics suite une diffrentiation ethnoculturelle qui elle ne fait aucun doute ? Unetelle spcialisation a-t-elle encore son importance ?

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    Par-del ces questions qui intresseront sans doute davantage les planificateurs du dveloppementculturel dans les deux villes cette comparaison permettra aussi de jeter un premier coup d'oeil sur lefonctionnement de ces deux capitales l'intrieur de leur espace culturel naturel. Le phnomne demtropolisation si bien dcrit par Michel Bassand et ses collgues s'y deploie-t-il de la mme faon ?Le lien entre mtropolisation conomique et culturelle, un lien largement prsum dans la littrature,existe-t-il vraiment ?

    Comme on pouvait s'y attendre, en matire d'arts et de culture les chiffres permettant de jeter unregard comparatif sont rares. Aprs un regain d'intrt dans les annes 1980, la question desindicateurs culturels et artistiques est disparue de la scne culturelle et statistique canadienne et part le Qubec aucun autre gouvernement canadien n'a poursuivi les efforts annoncs. Les donnesutilises plus loin ont t recueillies en 1990, au moment mme ou une importante contractionconomique s'apprtait dvaster l'conomie torontoise et montralaise. Ces donnes ne refltentdonc pas les importantes coupures survenues dans le financement public des arts, particulirementdepuis l'lection du gouvernement Harris. Elles sont le reflet de la nouvelle prosprite acquise, surtout Toronto, dans les annes 1980 et en ce sens on peut, la fois pour Montral et Toronto, parler duhaut de la vague culturelle.(3)

    Ces chiffres - est-il besoin de le rappeler - ont du moins l'avantage d'exister et de permettre unecomparaison valide et fiable. Ne boudons pas le plaisir de pouvoir ainsi revisiter une rivalit qui, safaon, fait partie de notre patrimoine.

    Des publics qui se valent

    Le fait que le discours officiel montralais fasse souvent rfrence au statut de capitale de la crationculturelle dans le cas de Montral peut tre une indication que Montral n'est probablement plus dansla course avec Toronto au chapitre de la participation et de la frquentation des lieux, desquipements et des vnements culturels. L'intgration de Toronto dans le mainstream culturel nord-amricain, la plus grande prosprit de la ville, un sens civique plus dvlopp et une proccupationconstante pour les questions de dmocratisation et d'accessibilit tout cela contribuerait faire des

    Torontois de plus grands consommateurs d'arts et de culture.

    Mais comme dans le cas de toutes les ides prconues, l'hypothse contraire apparat toute aussiplausible. Ainsi, on pourrait croire que l'isolement culturel qui caractrise le Qubec, la diversit etmme les tensions qui animent la socit montralaise ont pu contribuer une effervescence dansl'offre et la demande pour des produits culturels.

    Les donnes pour cette tude proviennent de la grande enqute sur les consommateurs d'art auCanada mene par Decima Research et Les Consultants Culturinc et dont le rapport contient unaperu des contraintes mthodologiques des six questionnaires (dont deux auprs du grand public)qui ont servi de base l'enqute: Voir Profil des Canadiens consommateurs d'art. Constats, Ottawa,Communications Canada 1992. A moins d'indication contraire, nous avons utilis les donnes del'enqute tlphonique auprs de quelques 11 106 rpondants; lesquelles ont t recalibres pourpermettre une comparaison adquate Toronto-Montral.(4)

    Mais que disent les chiffres ? Tout d'abord que prs du tiers de la population montralaise demeurerfractaire toute manifestation artistique professionnelle (voir tableau 1).(5) En effet, pres de 33 %des rpondants affirme n'avoir assist aucune des treize manifestations culturelles de la liste aucours des neuf derniers mois. Bien qu'excluant le cinema, qui ferait augmenter plus quesensiblement la moyenne, cette liste comporte non seulement des activits artistiques dites traditionnelles (muses, galeries d'art, thtre, musique classique, danse moderne, ballet, opra),

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    Si, d'une part, le nombre de sorties moyen chute alors plus prs de quatre sorties aux neuf mois,soit un peu plus d'une sortie par saison, ce taux s'avre d'autre part lgrement plus elev Montralqu' Toronto (3,6 contre 3,5 sorties en moyenne). L'cart est cependant plus prononc lorsqu'on s'entient l'ensemble de ceux ayant ralis au moins une sortie de ce type, plus de cinq sorties Montreal, et moins de cinq Toronto 5,2 contre 4,6).

    Un examen plus fin des taux de sorties culturelles dans les deux villes permet donc de conclure que sion se fie de tels indices de frquentation, il y aurait bel et bien deux mtropoles culturelles auCanada et que la prtention de certains l'effet que les publics montralais ne seraient plus qu'uneple copie de leurs homologues torontois serait hautement exagre. Bien entendu, une telleconclusion n'a de sens que si l'on considre les indices de frquentation et l'assiduit aux spectaclescomme autant d'indicateurs d'une centralit culturelle.

    Bien que cette dimension ne rentre pas proprement parler dans notre propos, ce premier examenpermet aussi de constater que le public montralais est en quelque sorte un peu plus beaux-arts quecelui de Toronto ou, si on prfre, un peu plus fortement centr sur l'artiste individuel et l'Organismesans but lucratif et moins sur les industries culturelles . En ce sens, l'OSM, le thtre et le jazz

    seraient Montral ce que les comdies musicales et le cinma seraient Toronto.De bonnes frquentations de part et d'autre

    Poursuivons la comparaison des publics entre les deux villes. On sort beaucoup dans les deuxmtropoles, mais sort-on de la mme faon?

    Le tableau 2 montre que le niveau de frquentation varie sensiblement d'un type d'tablissement l'autre et, dans une moindre mesure, d'une ville l'autre. Le portrait s'avre galement diffrent selonque l'on considre la frquentation annuelle ou mensuelle, pisodique ou assidue.

    TABLEAU 2

    Proportion de la population montralaise et torontoise par type d'tablissements culturels frquentsannuellement et mensuellement, par ordre de prfrence (en %)

    Activites Montreal Toronto

    Au moins une Cinema en salle: 74 Cinema en salle: 83

    fois l'an Spectacles en salle: 74 Bibliotheques: 73

    Bibliotheques: 59 Spectacles en salle: 71

    Musees et galeries d'art: 48 Spectacles dans les bars

    et boites

    Spectacles dans les bars de nuit: 59

    et boites

    de nuit: 39 Musees et galeries d'art: 54

    Au moins une Bibliotheques: 26 Bibliotheques: 31

    fois par Cinema en salles: 25 Cinema en salles: 31

    mois Spectacles en salles: 10 Spectacles dans les bars

    et boites

    Spectacles dans les bars de nuit: 11

    et boites

    de nuit: 7 Spectacles en salles: 10

    Musees et galeries d'art: 3 Musees et galeries d'art: 3

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    Source: Enquete Profil des Canadiens consommateurs d'art 1990-1991.

    Montral, la frquentation sur une base au moins annuelle s'avre la plus forte pour le cinma et lesspectacles en salle, l'un et l'autre touchant peu prs autant de monde. Notons toutefois un niveaud'assiduit radicalement plus lev au cinma qu'au spectacle : le quart de la population assiste surune base au moins mensuelle des reprsentations cinmatographiques en salle, contre seulement

    10 % pour les spectacles en salle. Le niveau d'assiduit mensuelle aux spectacles en salle ne diffred'ailleurs pas de celui de Toronto. Ce n'est pas le cas du cinma ou la frquentation torontoisemensuelle est sensiblement plus leve (31 % contre 25 %). Dans une large mesure, c'est la bonneperformance des Torontois annuellement ou mensuellement au chapitre du cinma qui a augmentleur niveau de frquentation gnrale. La frquentation plus grande de bibliothques Toronto qu'Montreal vient aussi accentuer ce phnomne.

    Il ne s'agit pas de laisser entendre que certaines sorties culturelles sont infrieures ou suprieures d'autres ou que certaines activits tmoignent davantage d'un comportement de capitale culturelle. Ceserait trop facile. Paris, dont le statut de mtropole culturelle ne saurait tre mis en doute, est sansdoute l'une des villes ou l'offre et la frquentation cinmatographique sont parmi les plus levs.

    La popularit relative des spectacles en salle Montral n'en reste pas moins souligner en regardde Toronto. Le niveau de rayonnement annuel des salles de spectacles y est non seulementlgrement plus faible qu' Montral, mais celles-ci s'y trouvent en troisime place plutt qu'enpremire, fortement distances par le cinma. Montral, les trois-quarts de la population vont unspectacle en salle ou au cinma au moins une fois l'an. La plus grande popularit des salles despectacles Montral s'explique sans doute en partie par la faveur relative plus grande dont jouit lecinma Toronto et qui fait passer les salles de spectacle au troisime rang des prfrencestorontoises.

    Mais le dficit torontois en matire de spectacles en salle pourrait galement s'expliquer par laconcurrence des spectacles dans les bars et les botes de nuit. Ceux-ci sont en effet manifestement

    plus courus Toronto (59 %) qu' Montreal (39 %) ou ils occupent de fait le dernier rang en terme derayonnement annuel. Le Night Life de Toronto a, semble-t-il, pris une place importante dans lesfrequentations culturelles des Torontois. Question d'offre ou de got du public ? Impossible dire.

    En termes mensuels, les spectacles de bars et de botes de nuit torontois peuvent mme devancer lesspectacles en salle. Montral d'ailleurs, l'avantage des salles de spectacles sur les botes de nuit etles bars se rduit aussi considrablement. La frquentation assidue de spectacles se partage en effetbeaucoup plus galement entre les deux types d'tablissement. C'est dire aussi que l'avantage dessalles de spectacle montralaises tient manifestement de l'apport d'un public majoritairementpisodique.

    La frquentation des muses et des galeries d'art se caractrise quant elle par un trs faible niveau

    d'assiduit, Montral comme Toronto. En termes mensuels, ils occupent en effet dans les deuxcas la dernire place, loin derrire (3 %). Cette contre-performance des muses Toronto demeurecependant surprenante compte tenu de l'engouement rput de cette ville en faveur de la musologieet de l'importance gnralement accorde ce type de sortie culturelle comme indice d'un statut decapitale culturelle.

    Le rayonnement annuel des bibliothques Montral est sensiblement plus large que celui desmuses et des galeries. Elles viennent en outre occuper au plan mensuel la premire place devant lecinma. C'est un rsultat surprenant compte tenu de la faiblesse proverbiale des bibliothques

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    qubcoises. Ces bibliothques n'en restent pas moins elles aussi dsavantages en regard deToronto, compte tenunotamment d'un niveau de frquentation radicalement plus faible annuellement (59 % contre 74 %), etencore sensiblement plus faible mensuellement (26 % contre 31 %). Que cette institution, ou il n'y apas de droits d'entre, puisse tre moins populaire en termes de rayonnement annuel que lesspectacles en salle, ou il y a le plus souvent d'importants droits d'entre, peut avoir de quoi tonner.Ce fait confirme d'une autre manire la position stratgique qu'occupe Montral le domaine des

    spectacles en salle. De toute vidence, les publics montralais apprcient la culture qui se met enscne.

    Montral et Toronto : Les diffrences qui comptent

    Le niveau de frquentation lev des arts du spectacle en regard des muses et galeries s'expliqueen bonne partie, avons-nous dit, par un degr beaucoup plus grand de diffrenciation au sein dumonde du spectacle entre diverses formes d'art. Le niveau de frquentation diffre par ailleurssensiblement entre types d'art d'interprtation.

    Le tableau 3 permet de considerer ces variations travers la frquentation dclare pour les neuf

    derniers mois dans les deux villes. On a ici ordonn quinze activits en fonction de leur importancedclare Montral.

    TABLEAU 3 Classement de 15 formes d'art et d'activitesculturelles et de loisir au Canada et au Quebec

    [Part 1 of 2]

    Que.

    hors

    Activites Montreal Toronto Montreal

    Cinema en salle 1 1 1

    Evenements sportifs 2 2 2Theatre 3 3 3

    Musees 4 4 4

    Galeries d'art 5 5 5

    Pop, rock et folk 6 6 6

    Jazz et de blues 9 10 12

    Musique classique 8 9 8

    Comedies musicales 9 7 10

    Jeunes publics 10 11 7

    Traditionnelle, ethnique 11 8 11

    Danse moderne 12 12 13

    Ballet 13 13 14

    Opera 14 14 15

    Country et western 15 15 9

    TABLEAU 3 Classement de 15 formes d'art et d'activites

    culturelles et de loisir au Canada et au Quebec

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    [Part 2 of 2]

    Cnd

    hors

    Activites Quebec Quebec Canada

    Cinema en salle 1 1 1

    Evenements sportifs 2 2 2Theatre 5 3 4

    Musees 3 4 3

    Galeries d'art 4 5 5

    Pop, rock et folk 6 6 6

    Jazz et de blues 12 9 11

    Musique classique 10 7 10

    Comedies musicales 7 10 7

    Jeunes publics 9 8 8

    Traditionnelle, ethnique 8 11 9

    Danse moderne 13 12 13

    Ballet 14 14 14

    Opera 15 15 15

    Country et western 11 13 12

    Note: Pour chaque region, le classement est construit a partir du

    pourcentage de personnes ayant assiste quatre fois ou plus a une

    activite au cours des neuf derniers mois.

    Source: Enqute Profil des Canadiens consommateurs d'art 1990-1991.

    Ce tableau permet d'estimer les positions relatives de chacun des types d'activits Montral d'abord,puis de Montral en regard de Toronto, et enfin de ces deux centres mtropolitains en regard de leurespace culturel particulier, le Qubec (sans Montral) et le Canada (sans le Quebec).(6)

    Un mot d'abord sur Montral. Le tableau 3 indique que le thtre vient au troisime rang des activitsles plus populaires Montral. C'est aussi le cas pour le Qubec dans son ensemble. La suite duclassement montralais (et torontois) relve peu de surprises. Ainsi, la trs faible popularit de lamusique Western, surtout Montral, ne surprendra gure. Par contre, on se serait attendu que ladanse et la musique traditionnelle soit plus bas sur la liste. Il en va de mme pour les galeries d'art etmme les muses dont la popularit - mesure en termes de rangs, rappelons le - dpasserait celledes concerts rock.

    Les concerts de musique classique ont a peu pres la meme importance que les concerts de jazz etblues. La danse moderne, le ballet et l'opera forment enfin un dernier groupe d'activite tres peufrequente, mais tout de meme un peu plus que la musique country.

    Une relecture du tableau 3 suggre aussi qu'un ensemble de tendances montralaises sont d'unecertaine manire qubcoises. Il ressort ainsi une prfrence trs nette du Qubec pour le thtre,assortie d'une prfrence relative pour le jazz et blues et pour la danse moderne.Comme l'indique le tableau, le got du thtre, et un moindre degr de la danse moderne, paratpartag par l'ensemble des Qubcois, les Montralais et les autres Qubcois se situant au-del dela moyenne du Canada-hors-Qubec. En revanche, la popularit relative du jazz et blues parat bientenir l'apport d'un public strictement montralais. Cette confrontation fait galement ressortir ladfaveur relative d'un certain nombre de domaines au Qubec.

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    Les spectacles traditionnels ou ethniques, les comdies musicales, la musique pop, rock ou folk, lesmuses (et les vnements sportifs) sont nettement moins populaires au Quebec que dans le reste duCanada, les Montralais rejoignant ici une tendance qui s'affirme plus nettement encore dans le restedu Quebec. La dfaveur relative des galeries d'art et du cinma en salle l'chelle du Qubecapparat pour sa part un phnomne plus strictement qubcois que montralais. Inversement,l'impopularit de la musique country et western est strictement due - on s'y attendait - auxMontralais. Enfin, la place du ballet, de l'opra et de la musique classique, de mme que celle des

    spectacles jeunes publics, ne varie pas sensiblement l'chelle du Canada ou du Qubec.

    Voyons maintenant de faon plus dtaille les diffrences Montral-Toronto

    L'ordre de prfrence tel qu'on le retrouve au tableau 3 permet dj certaines gnralisations. Cetordre, qui ne diffre pas en ce qui a trait aux six premires places, ni pour la dernire, diffre quelquepeu pour le reste.

    Au chapitre des rangs, une bonne part de cette diffrence tient la plus grande popularit du jazz Montreal qu' Toronto. Les comdies musicales et l'opra, plus populaires cette fois Toronto qu'Montral, expliquent aussi une partie de ce classement diffrent. Notons que la musique pop et rock

    tient sous cet angle une position quivalente dans les deux villes. Toronto cependant, les comdiesmusicales rivalisent en popularit avec les concerts pop, s'avrant meme lgrement plus frquentesque ces derniers. Montral, ils tendent au contraire se situer au niveau de la musique classique,sans bnficier pour autant d'un mme bassin d'assidus. Les spectacles traditionnels ou ethniquespour leur part, qui sont Toronto peu prs autant frquent que le jazz et blues, peuvent mmeprcder le jazz dans l'ordre des prferences. L'opera y occupe galement une meilleure place,devant le ballet et la danse moderne, au contraire de Montral ou ces derniers devancent pluttl'opra.

    Le tableau 4 prsente une vue synthtique de ces diffrences pour nos deux villes Nous avons tenucompte pour chaque type d'activit culturelle du pourcentage de personnes se disant desconsommateurs assidus et du pourcentage de ceux qui au contraire ont avou ne jamais avoir assist

    une telle manifestation. Pour faciliter la comparaison, nous avons standardise les scores de sorteque l'on peut avoir une meilleure ide de la place relative des diffrentes activits pour chacune desvilles. Au moins trois diffrences mritent d'tre soulignes.

    TABLEAU 4 L'importance relative de 15 formes d'art et d'activites culturelles et de

    loisir a Montreal et Toronto

    Montreal Toronto

    Activites Indice Rang Indice Rang

    Cinema en salle 100 1 100 1

    Evenements sportifs 57 2 60 2

    Theatre 42 3 33 3

    Musees 32 4 30 4

    Galeries d'art 31 5 27 6

    Pop, rock et folk 23 6 28 5

    Jazz et de blues 20 7 10 10

    Musique classique 18 8 22 8

    Comedies musicales 12 9 23 7

    Jeunes publics 11 10 8 11

    Traditionnelle, ethnique 10 11 14 9

    Danse moderne 8 12 5 12

    Ballet 4 13 4 14

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    Opera 3 14 5 12

    Country et western 1 15 1 15

    Note: Ce classement a ete construit en tenant compte a

    la fois du pourcentage de personnes ayant assiste quatre

    fois ou plus a une activite au cours des neuf derniers mois et du

    pourcentage de ceux qui disent ne jamais avoir assiste a une

    manifestation. Les scores ont ete standardises sur une echelle de

    1 a 100 pour les deux villes.

    Source: Enquete Profil des Canadiens consommateurs d'art 1990-1991.

    La place particulire occupe par le thtre Montral ressort avec encore plus d'acuit, du moinspar rapport Toronto. Alors qu' Montral, le thtre occupe en quelque sorte une positionintermdiaire entre, d'un ct, le cinma et le sport, et de l'autre toutes les autres activits artistiques, Toronto, le thtre s'inscrit davantage dans la continuit, celle du groupe muses-galeries-pop-rock.

    Deuximement, il est possible, sans risquer de trop se tromper, d'affirmer que le jazz est Montral

    ce que les comdies musicales sont Toronto.

    Finalement, la danse moderne semble plus importante aux yeux des Montralais qu' ceux desTorontois. Il en faudrait peu pour qu'elle atteigne le seuil fatidique des 10 %.

    premiere vue, les prfrences des Torontois sont suffisamment diffrentes de celles des Montralaispour que l'on puisse les remarquer, mais pas assez pour que l'on puisse parler d'un ordre culturelfoncirement diffrent dans les deux villes. Tout se passe comme si malgr des diffrencesimportantes dans la situation dmographique, financire et conomique des deux villes -- sans parlerdes contrastes dans leur composition ethnolinguistique - des forces importantes taient l'oeuvrepour compenser les divergents de ces diffrences.(7) Ces forces ont sans doute pour nom

    mtropolisation et mondialisation et la suite de cet article tente de jeter les bases de ce qui pourraitdevenir une gopolitique culturelle du Canada et du Qubec partir de leurs deux capitales. S'il estpermis de croire que la situation de mtropole

    qui caractrise deux villes dont l'aire d'influence culturelle demeure comprise l'interieur du mmergime juridique national joue sans doute un rle important pour rapprocher ces deux marchesartistiques, on peut aussi supposer que dans la relation avec leur zone d'influence respective que lesdiffrences vont apparatre.

    Montral et le Qubec, Toronto et le Canada

    La confrontation de Montral au Reste-du-Qubec et de Toronto au Reste-du-Canada fait tat de

    diffrences intressantes entre chacune des deux capitales culturelles et leur hinterland respectif. Letableau 3 prsente l'ensemble de ces diffrences et le tableau 5 les rsume de faon synthetique.(8)

    TABLEAU 5 Les paires de frquentation culturelle par ordre dcroissant de

    divergence

    1. Le Canada-hors-Quebec -- Montreal 288(1)

    2. Le Canada -- Montreal 220

    3. Le Canada-hors-Quebec -- Le Quebec 200

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    4. Toronto -- Le Quebec-hors-Montreal 161

    5. Toronto -- Le Quebec 144

    6. Le Canada-hors-Quebec -- le Quebec-hors-Montreal 143

    7. Montreal -- le Quebec-hors-Montreal 133

    8. Le Canada-hors-Quebec -- Toronto 128

    9. Le Canada -- Toronto 112

    10. Montreal -- Toronto 112

    11. Le Canada -- le Quebec 112

    12. Le Quebec-hors-Montreal -- Le Canada 9013. Montreal -- Le Quebec 70

    14. Le Quebec-hors-Montreal -- Le Quebec 55

    15. Le Canada -- le Canada-hors-Quebec 36

    Note: (1.) Cet indice de divergence est calcul ainsi:

    soit la somme des diffrences de rang multipliee par le nombre de

    paires ayant des rangs diffrents. Par exemple, le Canada sans le

    Qubec et Montral totalisent 24 points de diffrence dans l'ordre

    de prfrence de leurs publics et cela pour 12 des 15 formes d'art

    et de culture identifies ici, soit un total de 288 points.

    Source: Calcul partir du tableau 3.

    Avant de s'intresser nos deux villes et leur hinterlands, voyons ce qu'il en est de ces hinterlands .Dans quelle mesure les quatre grands ensembles territoriaux identifis ici - le Qubec sans Montral,le Canada sans le Qubec, le Canada dans son ensemble et le Qubec dans son ensemble - diffrentou se ressemblent au chapitre des prfrences artistiques de leurs publics respectifs.

    Ces quatre territoires engendrent six paires de comparaison possible, soit la comparaison Le Canadavs Le Qubec, sans doute la paire la plus englobante, et ensuite les paires Le Canada vs Le Canadasans le Qubec, Le Qubec vs Le Qubec-hors-Montral, etc.

    la lecture du tableau 5, on constatera qu'au moins quatre de ces paires (Paires no 11, 12, 14, 15)sont parmi les moins divergentes. Dans la mesure ou ces territoires regroupent de plus grandespopulations, ces ressemblances ne sont sans doute pas surprenantes. Le fait que les ordres deprfrence des publics du Canada dans son ensemble et de ceux du Canada-sans-le-Qubec seressemblent considrablement n'a rien de trs surprenant non plus puisque les deux populations serecoupent a plus de 75 %.

    Tout comme le fait que les diffrences entre Montral et le Qubec-hors-Montral (Paire no 13) soientaussi relativement faibles, plus faibles que celles qui sparent Toronto du reste du Canada.

    De faon gnrale, nous dirons que les diffrences entre Montral et le Qubec sont peu nombreuses(seuls le jazz, les spectacles jeunes publics et la musique country ont des diffrences d'au moins deuxrangs) mais plus intenses. Le jazz est avant tout un phnomne montralais - Festival oblige - et lamusique country, et dans une moindre musique les spectacles jeunes publics, des phnomnesassocis au Qubec-hors-Montral. Toronto, la seule diffrence de trois rangs ou plus concernel'opra, nettement plus populaire Toronto que dans l'ensemble du Canada-hors-Qubec. Sans allerjusqu'a annoncer une plus grande homogenit des prfrences culturelles au Canada qu'au Qubec,on peut tout de mme se risquer conclure que la spcificite montralaise semble avoir plus d'impactque la diffrence torontoise. Cependant, nous pourrions tout aussi bien conclure que c'est plutt ceCanada-hors-Qubec qui est davantage diffrent que le Qubec-hors-Montral.

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    Le Qubec-hors-Montral - on s'en douterait - ne ressemble gure Toronto. Mais c'est surtout entreMontral et le reste du Canada que les diffrences sont les plus marquees (Paire no 1). la limite, onpeut parler de deux univers culturels fort diffrents et mme lorsqu'on inclut Toronto pour comparerMontral l'ensemble du Canada (Paire no 2), le foss demeure profond.

    Les diffrences entre le Canada-hors-Qubec et le Qubec-hors-Montral (Paire no 6) - les deuxhinterlands - sont relativement peu intenses, beaucoup moins marques que celles qui sparent leCanada-hors-Qubec du Qubec dans son entier et de Montral.

    Encore une fois, il est tentant de conclure que c'est Montral qui est la cause des diffrences qu'onremarque entre le Quebec et le Canada anglais, une contribution qui rjouira sans aucun doute bonnombre de Montralais. Celle-ci semble oprer de deux faons. Ainsi, on peut dceler une influencede Montral sur le reste du Qubec, une influence qui tendrait accentuer les diffrences entre ceQubec-hors-Montral et le Canada-hors-Qubec dans son ensemble. Deuximement, les diffrencesentre Montral et le Canada-hors-Qubec sont ce point importantes qu'elles suffisent distinguer leCanada du Quebec.

    L'effet mtropole Toronto et Montral

    Les deux grandes rgions mtropolitaines font pour leur part tat d'un taux plus lev de fquentationpour un ensemble important d'activits. C'est par la surtout que Montral se distingue du reste duQubec et Toronto de l'ensemble du Canada (avec ou sans le Qubec). C'est ce que nous avonsappel l'effet mtropole.

    En regard de la moyenne canadienne, la frquentation dans les deux mtropoles (tableau 6) est plusleve pour plus de la moiti des items de la liste (8 Montral, 12 Toronto).(9) C'est le cas Montral du cinma, du thtre, des galeries d'art, du jazz et blues, de la musique classique, de ladanse moderne, du ballet et de l'opra. l'inverse des mtropoles, la rgion du Qubec excluant

    Montraldmontre pour sa part un niveau de frquentation presque toujours plus faible que celui de lamoyenne canadienne (13 des 15 items). De fait, seuls le thtre et un moindre degr la dansemoderne chappent cette rgle gnrale. Dans les deux centres urbains, le taux de frquentationest sensiblement plus lev dans le cas des spectacles les plus classiques (musique symphonique,opera, ballet) et des galeries d'art. Mais il l'est plus nettement encore dans le cas des spectacles dejazz et de blues, fort peu populaire aux plans canadiens et qubcois. Le faible rayonnement du jazzau Qubec-hors-Montral peut sans doute tonner compte tenu de sa popularit relative dans lamtropole.

    TABLEAU 6 Taux de frequentation de 15 formes d'art etd'activites culturelles et de loisir au Canada et au Quebec

    [Part 1 of 2]

    Queb. hors

    Activites Montreal Toronto Montreal

    Cinema en salle 40 38 48 29 27 54

    Evenements sportifs 18 59 28 45 21 60

    Theatre 9 63 6 63 7 65

    Musees 6 69 5 64 5 71

    Galeries d'art 7 71 7 69 5 78

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    Pop, rock et folk 5 77 8 69 4 80

    Jazz et de blues 6 81 3 84 2 91

    Musique classique 5 82 3 81 2 88

    Comedies musicales 1 83 2 69 1 90

    10-Jeunes publics 2 85 2 85 2 86

    Tradition.,ethnique 2 86 3 80 2 90

    Danse moderne 2 88 2 89 2 89

    Ballet 1 91 1 89 0 94

    Opera 1 92 1 88 1 96Country et western 1 95 1 93 2 89

    TABLEAU 6 Taux de frequentation de 15 formes d'art et

    d'activites culturelles et de loisir au Canada et au Quebec

    [Part 2 of 2]

    Cnd

    hors

    Activites Quebec Quebec Canada

    Cinema en salle 37 40 33 47 36 42

    Evenements sportifs 26 51 20 60 24 54

    Theatre 4 73 8 64 5 71

    Musees 6 63 5 70 6 64

    Galeries d'art 6 71 5 75 5 73

    Pop, rock et folk 5 74 5 79 5 75

    Jazz et de blues 2 88 4 86 3 87

    Musique classique 3 86 4 85 3 86

    Comedies musicales 2 78 1 86 2 79

    10-Jeunes publics 1 85 2 85 2 84

    Tradition.,ethnique 2 84 2 88 2 85

    Danse moderne 1 92 2 89 1 91

    Ballet 1 93 1 93 1 92

    Opera -- 93 1 94 1 93

    Country et western 2 87 2 92 2 88

    Notes: (1.) Premiere colonne = Pourcentage de personnes ayant

    assiste quatre fois ou plus a une activite au cours des neuf

    derniers mois.

    (2.) Deuxieme colonne = Pourcentage de personnes n'ayant pas

    assiste a cette activite.

    Source: Enquete Profil des Canadiens consommateurs d'art 1990-1991.

    Mais, l'cart positif le plus remarquable des deux grands centres en regard de la moyennecanadienne concerne les domaines du thtre et du cinma. La position avantageuse du thtre auQubec en apparat d'autant plus exceptionnelle. Ce n'est pas le cas du cinma, ou le Qubec se

    range aussi radicalement en dea de la moyenne canadienne, que Montral en dea de la moyennetorontoise. Les Qubcois comme les Montralais sont des inconditionnels du thtre. Ils ne le sontpas pour le cinma. Peut-tre parce qu'ils n'ont pas les quipements pour s'y adonner. Peut-tre aussiparce que la clientle est diffrente, surtout sur le plan linguistique, en dehors de Montral.

    Si le fait d'habiter un grand centre urbain augmente la prdisposition participer un certain nombred'activits, ce facteur peut par ailleurs s'avrer nul, ou mme ngatif comme dans le cas desmusiques country et western. Ces types de musique au dernier rang dans les deux villes occupent eneffet un rang tout fait avantageux au plan canadien, et plus encore au Quebec, ou elles distancent

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    largement aussi bien l'opra, bon dernier, le ballet et la danse moderne, que les concerts jazz et blueset les comdies musicales. Le facteur strictement urbain semble par ailleurs n'avoir aucune influencedirecte, ou qu'une trs faible incidence, sur des activits telles les spectacles jeunes publics, la dansemoderne et les muses, pour les formes plus traditionnelles, et, pour les formes populaires, sur lamusique pop rock, les comdies musicales et les spectacles traditionnels ou ethniques. Notons que lamusique pop-rock-folk fait tat d'une remarquable stabilit en termes d'ordre de prfrence, quil'apparente celle du cinma, conservant peu de chose pres le mme rang d'une rgion l'autre.

    Le comportement montralais se rapproche souvent davantage du comportement des autresQubcois que de celui des Torontois. C'est le cas non seulement en matire de sport ou mme decinma, mais aussi d'assistance des spectacles traditionnels et ethniques et de comdiesmusicales, deux domaines o Toronto se situe nettement au-del de la moyenne canadienne, et leQubec (incluant Montral)bien en dea. Les Montralais sont galement trs proches des autres Qubcois en matire demuses, beaucoup plus populaires l'extrieur du Qubec, aussi bien Toronto qu'a l'chellecanadienne. En revanche, la position du thtre au Qubec et Montral apparat suprieure cellequ'elle dtient au plan canadien, hormis Toronto cependant, ou le thtre occupe galement un rangexceptionnel. l'echelle canadienne, c'est ainsi non pas le thtre mais les muses qui occupent la

    troisime place aprs le sport. Montral et dans le reste du Qubec, comme Toronto d'ailleurs, lesmuses n'occupent qu'une quatrime place.

    Le thtre constitue donc un cas singulier, ou le facteur ethnolinguistique francophone pourrait jouerun role dterminant, comme l'inverse d'ailleurs le dsintert relatif de Montral et du reste duQubec en matire de comdie musicale, de spectacles traditionnels ou ethniques et de muses.D'un ct comme de l'autre, il reste neanmoins difficile de distinguer ce qui relve de prfrencesculturelles lis des variables ethnolinguistiques, de ce qui relve de la disponibilit des produits ouencore de toutes autres variables (notamment la scolarisation et le revenu). La frquentation est-elleplus faible faute de produits disponibles ? Ou les produits sont-ils absents faute d'engouement, ouencore faute d'ducation ou faute d'argent ? Sans doute faut-il tenir compte aussi de l'appui mutuel detous ces facteurs, l'absence prolonge d'un produit rduisant d'autant l'intrt, et l'absence d'intrt

    loignant l'offre en retour. Le jeu de ces diffrents facteurs pourrait en outre s'exercer trsdiffremment d'une forme d'art l'autre. Le manque de disponibilit de produits ne peut expliquer ainsiqu'une partie de la sous-consommation relative des Montralais l'gard des Torontois. Cet argumentvaut strictement pour les formes les plus populaires, les comdies musicales en tout premier lieu sansdoute, cinma en salle et musique pop et rock un moindre degr, pour lesquels ce n'est pourtantpas l'engouement qui manque. Il vaut sans doute egalement pour les muses, domaine ou le Qubecenregistre depuis longtemps un important dficit sinon mme un manque d'engouement notoire.(10)

    Les effets de l'effort important ralis Montral en matire de muse rcemment ne se traduisentpas encore bien entendu dans les donnes de cette dernire enqute datant dj de 1991. Quoi qu'ilen soit, sauf pour le thtre, dont la popularit relative au Qubec est galement bien documente parles mmes enqutes,(11) la plus forte frquentation des arts Montral en regard de la moyennecanadienne (mais pas en regard de celle de Toronto) ne peut tre impute une seule variableethnolinguistique (le fait franais ). Lefacteur urbain apparat au contraire d'emble plus dterminant dans la majorit des cas et mme dansl'ensemble compte tenu de la place du thtre torontois. Les diffrences rgionales dissimulent bienentendu d'autres sortes de diffrences. Outre la disponibilit relative des produits selon les rgions,les diffrences en termes de scolarisation et de revenus pourraient expliquer une autre partie desvariations,aussi bien entre le comportement des Montralais et des autres Qubcois d'ailleurs, que celles entrecelui des Montralais et des Torontois.

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    Deux socits, deux cultures, deux mtropoles?

    La transformation du BNA Act de 1867 en Loi constitutionnelle du Canada -- un vnement aussiconnu sous le nom de rapatriement de la constitution a marqu la mort officielle de la vison biculturelledu Canada chre aux Qubcois et si bien articul par Andr Laurendeau et la Commission

    Laurendeau-Dunton. Cette vision, on le sait, a t remplace par une perspective axeessentiellement par la reconnaissance de deux langues officielles se dployant dans le cadre d'unesocit canadienne multiculturelle.

    Depuis 1982, cette redfinition de l'espace culturel canadien continue d'opposer les gouvernementsdu Canada et du Qubec et, dans une large mesure, les deux socits , anglo-canadienne etqubcoise, qui occupent cet espace. Selon la vision majoritaire au Canada anglophone, il n'existepas a proprement parler de culture qubcoise, pas plus qu'il n'existe de culture no-cossaise,torontoise ou albertaine. Selon une vision maintes fois dfendue par le gouvernement fdral, il existeplutt une culture canadienne qui s'exprime tantt en anglais, tantot en franais. la limite, on peutparler d'une littrature canadienne-franaise ou d'un thtre canadien-anglais. Cette vision est

    largement conteste au Qubec tant par les dfenseurs de l'option souverainiste que par les tenantsdu lien fdral.

    Ce dbat ne nous intressera pas ici et il serait exagr de croire que quelques sries statistiques surles publics d'vnements artistiques puissent rgler une question aussi complexe. la limite, le faitque les publics artistiques du Qubec soient entirement diffrents ou semblables ceux du Canadane confirment ni n'infirment les choix politiques des uns et des autres. Tout au plus, un tel examenpermet-il d'apporter un clairage additionnel un dbat ou les questions de culture et d'arts sont tropsouvent absentes, comme si la musique, le thtre, le jazz et les artistes devaient demeurer l'cartde conflits juges bassement politiques.

    Quelle lecture pouvons-nous faire de ces chiffres ? Tout d'abord qu'en matire de volume , les publics

    et la frquentation culturelle montralaise ne semblent pas avoir trop souffert de la perte d'influenceconomique de l'agglomeration. Montral n'est plus la mtropole du Canada, mais en devenant celledu Qubec, elle semble avoir russi a prserver et mme dvelopper ses assises culturelles etartistiques.

    Les publics montralais, avons-nous dit, sont davantage beaux-arts qu'industries culturelles (si nouspouvons nous permettre cette dichotomie un peu simpliste). Encore une fois, il ne faut pas exagrerl'importance de cette particularit, mais on peut quand mme y voir une confirmation additionnelle dela spcificit goculturelle de Montral et du Qubec en Amrique du Nord. Lorsqu`on parle d'arts etde culture Montral, on parle davantage de ces formes d'expression ou l'imaginaire, le gesteartistique et l'exprience esthtique originale occupent une place importante.

    L'importance inconteste du jazz et du thtre sur la scne montrlaise - qui rpond par plus d'un cte celle de la comdie musicale et du cinma Toronto - exigerait une rflexion plus approfondie. premiere vue, le got du jazz pourrat s'expliquer par la tenue du Festival de jazz, l'lment-cl deMontral, ville festive . Mais comment expliquer que les Montralais, toutes appartenancesethnolinguistiques confondues, se soient laisss ce point charmer par une manifestation sansattaches historiques particulires Montral ou au Qubec ?Une piste de rponse se trouve peut-tre dans une volont de se rattacher une amricanit - et quoide plus americain que le jazz - dont on se voit l'un des rameaux.(12) En quoi cet engouementmontralais pour le jazz se distingue-t-il alors de celui des Torontois - quoi de plus amricain aussi -

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    pour la comdie musicale ? Doit-on associer l'un et l'autre une mme tendance l'amricanit, ou l'amricanisation?

    Finalement, c'est sans doute la relation particulire de Montral et de Toronto avec leurs espacesculturels propres -- cette expression est sans doute plus approprie que celle d'hinterland - qui auraretenu notre attention. ce chapitre, les Montralais seront sans doute heureux d'apprendre que leursgots culturels les placent aux antipodes de ceux qu'on retrouve dans l'ensemble du Canada et du

    Canada-hors-Qubec. Le fait que ce soit eux qui permettent au Qubec d'asseoir plus solidement saprtention une certaine singularit artistique et culturelle ne sera pas sans leur dplaire non plus.Par contre, l'envers de cette contribution se trouve dans la grande similarit entre les publicsmontralais et ceux du Qubec-hors-Montral. Il faudra sans doute revoir le discours sur le caractredistinct de la vie culturelle montralaise a l'intrieur du Qubec.

    C'est sans doute le prix payer pour tre devenu la mtropole culturelle du Qubec.

    Quant la diffrence Montral-Toronto, il ne sera pas facile de trancher puisque cette paire se situe mi-chemin entre les paires les plus divergentes et les plus semblables.

    (1.) Les chiffres pour Toronto proviennent du site web du Toronto Arts Council(www.torontoartscouncil.org) et d'une srie d'tudes commandes par cet organisme (Toronto ArtsCouncil 1991 1992, 1997).

    (2.) Ces chiffres sont tirs de documents officiels, notamment d'une note de service prepare par laVille de Montral (Dpenses encourues par la Ville en matire de culture en 1999). Les dpenses desgouvernements du Qubec et d'Ontario sont des estims.

    (3.) La question des coupures dans le financement public des arts et de la culture, particulirement Toronto, continue de proccuper les responsables torontois. preuve le rapport choc publi par leToronto Arts Council (1998).

    (4.) Ces donnes ont fait l'objet de plusieurs exploitations dans le cadre d'une Action concerte sur lepublic des arts et les pratiques culturelles du ministre de la Culture et du Fonds FCAR (Projet FCAR180:1992-1993) dirige par Daniel Latouche et Marcel Fournier. VoirBellavance et Latouche (1994) ainsi que Bellavance et al (1996).

    (5.) Nous avons longuement discut des distorsions introduites dans l'chantillon (ainsi que dans celuidu questionnaire plus long (452 variables) distribus a 5 457 repondants) dans Bellavance etLatouche (1994). Voir aussi Bellavance (1994).

    (6.) Tout en tant bien conscients que ces deux sous-ensembles ne sont pas a strictement parlerquivalent, nous traitons plus loin des autres ensembles (Le Canada, le Qubec, etc.). La prise encompte des diffrentes formes d'art d'interprtation a pour premier effet d'accrotre sensiblementl'importance relative des muses et des galeries d'art, qui tendent se retrouver ici dans le peloton dette. En effet, on peut penser que si la catgorie muse avait elle aussi t scinde en deux ouplusieurs sous-catgories, comme c'est le cas pour les arts d'interprtation et mme les concerts demusique, on aurait observ le phnomne inverse.

    (7.) Sans oublier le fait que Toronto est une capitale politique et que Montral ne l'est pas.

    (8.) Les auteurs n'ignorent pas qu'il existe des indices de rang tablis sur des bases statistiques plussolides que celui utilise ici. Nous avons simplement voulu donner un apercu des divergences entre

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    ces rangs en vitant de pretendre a trop de precision. Ces coefficients donnent sensiblement la mmeintensit de diffrence entre les 15 paires.

    (9.) En considerant la fois le pourcentage des assidus et celui de ceux qui affirment n'avoir pasassist une manifestation.

    (10.) Une tude de 1974 sur les muses faisait dj abondamment rfrence ce dficit qubcois.

    Les Qubcois francophones se disaient notamment alors les plus insatisfaits des muses, etbeaucoup moins intresss les frquenter (voir Dixon et al 1974). Les tudes subsquentesritreront systmatiquement le mme constat. Dixon et al relevaient toutefois un autre fait significatifmoins souvent relev. Ils montraient en effet que l'cart avec le Canada anglophone disparatcompltement lorsqu'on considre strictement les attitudes l'gard des muses d'art public. C'estalors le revenu et l'ducation qui fait toute la diffrence.

    (11.) L'enqute cite la note prcdente faisait galement tat de la prdilection relative desQubcois pour le thtre, en regard de la moyenne canadienne. Les enqutes subsquentesritereront le mme constat. C'est en effet le seul domaine ou le Qubec se situe assez nettement au-del de la moyenne canadienne, quoique au meme niveau que l'Ontario.

    (12.) Cette hypothse s'inspire des travaux du Groupe de recherche sur l'americanit dont on trouveracertains des travaux runis dans le symposium l'amricanit du Qubec (Politique et socits 18: 199,89-164).

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