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1 PRÉSENTATION Prenant sa source dans un fait divers local 1 , Ben X traite plus largement du thème de la diérence. En dressant le portrait d’un adolescent atteint du syndrome d’Asperger, en amenant par ailleurs le spectateur à partager le point de vue subjectif de cet adolescent sur sa propre histoire, le réalisateur belge Nic Balthazar nous invite à ressentir l’incompréhension et l’injustice qu’il éprouve face au harcèlement dont il est victime. De cette incompréhension partagée naît ainsi un questionnement salutaire : qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné dans un groupe, une personne fragilisée par une diérence quelcon- que se retrouve marginalisée ? Pourquoi cette mise à l’écart déclenche-t-elle souvent un engrenage qui voit se succéder des étapes de plus en plus violentes et douloureuses à vivre pour l’individu ciblé ? uelles intentions, quelles mo- tivations peuvent bien animer les agresseurs, généralement suivis passivement par l’ensemble du groupe ? ue faire pour arrêter la machine et prévenir ce type d’agression ? C’est, entre autres, toute cette réexion que nous souhaitons développer ici avec les participants à partir du lm. L’originalité de Ben X tient d’autre part aux procédés de mise en scène que le réalisateur utilise pour creuser l’écart entre le point de vue subjectif, « étran- ge » du jeune homme et la réalité « objective » des événements qu’il traverse. Une animation sera donc également consacrée à une approche de ces diéren- tes distorsions du réel, qui vont de la déconstruction de l’espace et du temps par le montage — permettant une interpénétration des mondes réel, virtuel et imaginaire ainsi qu’un entrecroisement du passé, du présent et du futur —, au travail spécique dont font l’objet le son et l’image, des manipulations qui sont quant à elles censées restituer la perception sensorielle de l’environnement tel que Ben l’appréhende. Une dernière animation permettra enn aux spectateurs de développer leurs capacités d’inférence créative en élargissant l’interprétation, notamment par un rapprochement du lm avec deux œuvres picturales. 1. Dans une ville de Flandre, un jeune autiste s’est suicidé suite au harcèlement dont il faisait l’objet à l’école. 1. Dans une ville de Flandre, un jeune autiste s’est suicidé suite au harcèlement dont il faisait l’objet à l’école. $/4)/'4+ 54)1 #4 *599/+8 6@*'-5-/7;+ 8@'2/9@ 6'8 2+ )+4:8+ );2:;8+2 +9 8/-45;= 3, ?*+ #$ '" *2&80 $*%'/3$ & 4$01'-, -0'%',*$ ,:$0*,#'1$ 4$" 0$% '++$0+,1 0'()$ ',-7 30 $0*',#$, © Les Grignoux, 2008 Tous droits de reproduction et d’adaptation réservés pour tout pays D / 2008 / 6039 / 10 ISBN 978-2-87503-003-0 1 BEN X Sommaire 1. Présentation ........................................................ 1 2. Le traitement des thèmes ................................. 2 Ben et moi ......................................................... 2 Au-delà de la situation mise en scène ......... 6 Prolongement : La portée des mots ............. 8 L’insulte personnelle, le conit .............. 9 L’insulte rituelle, le jeu.......................... 10 3. Une mise en scène « autistique » ................ 11 Commentaires ........................................ 11 4. Aner le sens du lm .................................... 20 Pratiquement ................................................. 20 1. comparer prologue et épilogue ....... 20 2. donner du sens à « X » .................... 21 3. La métamorphose de Ben ................ 21 Commentaire : la croix, le cheval et la métamorphose........................................ 22

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PRÉSENTATION

Prenant sa source dans un fait divers local 1, Ben X traite plus largement du thème de la di!érence. En dressant le portrait d’un adolescent atteint du syndrome d’Asperger, en amenant par ailleurs le spectateur à partager le point de vue subjectif de cet adolescent sur sa propre histoire, le réalisateur belge Nic Balthazar nous invite à ressentir l’incompréhension et l’injustice qu’il éprouve face au harcèlement dont il est victime. De cette incompréhension partagée naît ainsi un questionnement salutaire : qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné dans un groupe, une personne fragilisée par une di!érence quelcon-que se retrouve marginalisée ? Pourquoi cette mise à l’écart déclenche-t-elle souvent un engrenage qui voit se succéder des étapes de plus en plus violentes et douloureuses à vivre pour l’individu ciblé ? Quelles intentions, quelles mo-tivations peuvent bien animer les agresseurs, généralement suivis passivement par l’ensemble du groupe ? Que faire pour arrêter la machine et prévenir ce type d’agression ? C’est, entre autres, toute cette ré#exion que nous souhaitons développer ici avec les participants à partir du $lm.

L’originalité de Ben X tient d’autre part aux procédés de mise en scène que le réalisateur utilise pour creuser l’écart entre le point de vue subjectif, « étran-ge » du jeune homme et la réalité « objective » des événements qu’il traverse. Une animation sera donc également consacrée à une approche de ces di!éren-tes distorsions du réel, qui vont de la déconstruction de l’espace et du temps par le montage — permettant une interpénétration des mondes réel, virtuel et imaginaire ainsi qu’un entrecroisement du passé, du présent et du futur —, au travail spéci$que dont font l’objet le son et l’image, des manipulations qui sont quant à elles censées restituer la perception sensorielle de l’environnement tel que Ben l’appréhende.

Une dernière animation permettra en$n aux spectateurs de développer leurs capacités d’inférence créative en élargissant l’interprétation, notamment par un rapprochement du $lm avec deux œuvres picturales.

1. Dans une ville de Flandre, un jeune autiste s’est suicidé suite au harcèlement dont il faisait l’objet à l’école.

1. Dans une ville de Flandre, un jeune autiste s’est suicidé suite au harcèlement dont il faisait l’objet à l’école.

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© Les Grignoux, 2008Tous droits de reproduction

et d’adaptation réservés pour tout paysD / 2008 / 6039 / 10

ISBN 978-2-87503-003-0

1

BENXSommaire

1. Présentation ........................................................12. Le traitement des thèmes .................................2

Ben et moi .........................................................2Au-delà de la situation mise en scène .........6Prolongement : La portée des mots .............8

L’insulte personnelle, le con#it ..............9L’insulte rituelle, le jeu .......................... 10

3. Une mise en scène « autistique » ................ 11Commentaires ........................................ 11

4. A%ner le sens du $lm .................................... 20Pratiquement ................................................. 20

1. comparer prologue et épilogue ....... 202. donner du sens à « X » .................... 213. La métamorphose de Ben ................ 21

Commentaire : la croix, le cheval et la métamorphose ........................................ 22

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On commencera par souligner une caractéristique importante et paradoxa-le de Ben X . En e!et, alors qu’il aborde la réalité du point de vue étrange d’un adolescent atteint d’une forme légère d’autisme, le $lm de Nic Balthazar par-vient pourtant, en dépit de la distance psychologique ainsi créée entre le pro-tagoniste de l’histoire et la plupart des spectateurs, à susciter une identi$cation qui, pour un certain nombre, se traduira même par une forte adhésion au $lm. Cette adhésion en grande partie de nature émotionnelle permet ainsi de jeter un regard nouveau sur une situation qui est d’ordinaire abordée d’un point de vue extérieur réduisant l’autiste à un malade dé$nitivement incompréhensi-ble, replié sur lui-même et incapable de communiquer avec les autres. Selon cette approche commune, l’autisme crée une di!érence irréductible entre la personne qui en est atteinte et le reste du monde, dont il est coupé.

En revanche, Ben X dresse de l’autiste un portrait à dimensions humaines, façonné de l’intérieur et dans lequel, en dépit d’un syndrome relativement peu connu des spectateurs (jeunes ou moins jeunes), ceux-ci peuvent reconnaître une part d’eux-mêmes, celle qui a pu faire un jour l’expérience douloureuse du stigmate ou de di!érentes formes d’humiliation et de rejet. Apparemment très éloignée de leur vécu, la situation de Ben peut donc être immédiatement par-lante à de nombreux adolescents mais aussi à de nombreux adultes. Elle leur permet entre autres de « compatir », autrement dit de partager les sentiments de détresse, d’incompréhension et de solitude souvent ressentis à l’adolescence, sentiments qui peuvent se trouver à l’origine d’une sou!rance plus ou moins dissimulée et déclencher chez les jeunes concernés un repli sur leur propre subjectivité. Le thème spéci$que de l’autisme s’élargit ainsi naturellement au thème général de la di!érence et de la stigmatisation, ici envisagée comme un véritable processus de destruction morale — mise à l’écart du groupe, insultes et railleries, humiliations et harcèlements divers, violence physique et agres-sions comme le racket —, susceptible de conduire la personne qui en est vic-time sur le chemin de l’isolement et de l’auto-destruction. Chaque spectateur adolescent (ou adulte se souvenant de son adolescence) peut donc se sentir intimement concerné par ce qui arrive à Ben, indépendamment du handicap bien réel auquel l’expose sa propre dé$cience.

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Dans l’animation qui suit, c’est par le biais de cette supposée communauté de ressenti que nous avons choisi d’introduire une ré#exion sur la thématique du $lm. Dans un premier temps, il s’agira d’amener les participants à verbaliser leurs émotions à partir de quelques ré#exions de Ben entendues tout au long du $lm. Ces ré#exions, qui se succèdent selon un ordre chronologique, per-mettent de cheminer dans son monde intérieur tout en prenant conscience des principales di%cultés auxquelles il est confronté au quotidien, de ce qu’il ressent quand il traverse les di!érentes épreuves imposées par ses agresseurs, et en$n des solutions qu’il met en place pour y riposter.

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L’estime et la valorisation de soi, la communication avec les autres, l’expé-rience amoureuse et la relation aux parents sont évidemment primordiales dans la période de construction identitaire que représente l’adolescence. A travers les valeurs subjectives que revêtent ainsi pour Ben la vie sociale, la vie familiale, les relations humaines, la drogue, la mort ou encore le jeu-vidéo, les jeunes spectateurs sont donc naturellement amenés à questionner leur propre rapport au monde et aux autres : quelles sont les situations de la vie quoti-dienne qui les mettent mal à l’aise ? de quelle manière cherchent-ils à éviter ou à a!ronter ces situations ? que mettent-ils en place pour se sentir valorisés ? pour communiquer ? ont-ils besoin, comme Ben, de médiateurs comme l’écrit par exemple (chat, sms, journal intime) ? que représente pour eux la famille ? etc. Avec des degrés d’acuité divers, une telle analyse ré#exive concernera évi-demment aussi le spectateur adulte.

Concrètement, les participants se concentreront individuellement sur cha-que ré#exion et indiqueront dans quelle mesure ils comprennent ce que Ben veut dire par ces mots. Ils disposeront pour cela d’échelles d’évaluation allant de « non, pas du tout » à « oui, parfaitement ». Expliquons au préalable qu’à l’exception de deux d’entre elles, les ré#exions de Ben sont exprimées en voix o!. Cela veut dire qu’on entend sa voix mais qu’on ne le voit pas parler, qu’il ne s’adresse à personne dans le $lm, un peu comme s’il voulait nous transmettre ses pensées intimes directement à nous, spectateurs, qui devenons en quelque sorte ses con$dents.

Cette première ré#exion, dont l’objectif est de donner à chacun l’occasion de mesurer à quel point et dans quelles circonstances il se sent plus ou moins proche de Ben, nourrira ensuite une discussion en grand groupe où les avis et expériences personnelles (directes ou indirectes) seront échangés. Ce sera entre autres l’occasion d’aborder de manière relativement détachée les ques-tions délicates développées dans le $lm : le suicide des jeunes, la drogue, la dé-pendance au jeu-vidéo ou encore le harcèlement, en particulier le phénomène récent du cyber-harcèlement.

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Pour chaque ré!exion, indique dans quelle mesure tu comprends ce que Ben veut dire (note 0 pour « je ne comprends pas du tout », ou 4 pour « je comprends très bien », ou bien un chi"re intermédiaire pour nuancer ta réponse). Ré!échis aux circonstances de ta vie qui te permettent de reconnaître un sentiment déjà éprouvé et d’expliquer en quoi la réaction de Ben te parle, à toi personnellement.

« Tout ce que je dis est vrai. Je ne mens jamais, même quand je me tais… » 0 41 2 3

Pendant le générique, Ben s’adresse à nous, spectateurs, alors que nous entrons de plain-pied dans le monde d’Archlord et découvrons des guerriers et un chevalier en armure en train de chevaucher un cheval blanc.

« C’est comme ça que vous créez votre avatar » 0 41 2 3

Le matin, en faisant sa toilette dans la salle de bain, il explique comment il s’exerce à reproduire les gestes et le comportement des gens normaux.

« Contre le bruit, j’ai une arme : d’autres bruits… » 0 41 2 3

En sortant de chez lui pour se rendre à l’école, il pose les écouteurs sur ses oreilles et met le son à fond pour écouter la musique de son baladeur.

« Moi, je n’arrive qu’à observer, qu’à imiter… » 0 41 2 3

Ces mots accompagnent le premier #ash-back, qui le montre enfant dans une salle de sport, incapable de réagir de façon appropriée au cours d’un jeu de ballon.

« Eux, ce sont mes meilleurs amis…» 0 41 2 3

Ben parle de Bogaert et Desmet en train de harceler une dame âgée dans le bus, juste avant que les garçons ne s’en prennent à lui et commencent à le railler.

« Trop tard pour guérir… » 0 41 2 3

Le soir après son agression en classe, il entre dans Archlord et con$e à Scarlite qu’il est mort de fatigue.

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« Je suis né à nouveau, comme dans les jeux vidéo ! » 0 41 2 3

Après la prise de drogue forcée, Ben se sent mieux; il arrive à communiquer avec sa mère et pense être guéri.

« Je voyais à nouveau ce con, ce nul dans le miroir… » 0 41 2 3

Après que sa mère lui a demandé des comptes à propos de la vidéo tournée en classe et qu’il a tout cassé dans sa chambre, Ben contem-ple son re#et dans le miroir de la salle de bain, qu’il brise ensuite d’un coup de poing.

« Fin du jeu… Je suis $ni, $ni, $ni, $ni… » 0 41 2 3

Le lendemain matin de cette violente crise, Ben se réveille et ré#échit aux événements qui se sont produits la veille; il est étendu sur son lit.

« La mort fait vivre… », ajoute-t-il. 0 41 2 3

« Je n’étais pas là… l’homme invisible… » 0 41 2 3

À la gare, il n’arrive pas à aborder Scarlite, qui ne remarque pas sa présence.

« Fin du jeu. Mon plan tient en un mot : Meurtre. Le meurtre de moi-même… » 0 41 2 3

Ben vient de descendre du train qui emmène Scarlite loin de lui; il s’en veut beaucoup d’avoir fui au lieu de répondre à la jeune $lle, qui cherchait à entamer la conversation.

« Il y a un avantage au suicide : il ne faut pas chercher la victime bien loin… » 0 41 2 3

Ben s’apprête à se jeter sous les roues du train qui approche du quai.

« Il est des quêtes trop lourdes pour deux… » 0 41 2 3

Soutenu par Scarlite, Ben va demander de l’aide à ses parents; on les voit tous les quatre à table; pourtant, les parents de Ben ne remar-quent pas la présence de la jeune $lle.

« Je dois me lancer. Tout est une question de méditation, de pré-méditation… » 0 41 2 3

Sur le bateau, Ben est prêt à se jeter à l’eau face à son caméscope en train de le $lmer.

« Elle appelait ça une mort créative : suicide sans meurtre… Elle m’a dit : “il est grand temps que tu deviennes qui tu es vraiment” » 0 41 2 3

À l’église, Ben vient d’apparaître dans le faisceau lumineux du projecteur, sous le regard incrédule et médusé des personnes présentes à la cérémonie de son enterrement.

« Je n’ai jamais été heureux, mais je n’ai jamais été si heureux ! » 0 41 2 3

Au manège d’un centre d’hippothérapie, Ben apprend à apprivoiser le cheval qu’il va devoir monter.

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Invitons maintenant les participants à adopter un point de vue extérieur pour ré#échir à la situation de manière globale. Divisons pour cela le groupe en quatre sous-groupes, distribuons-leur une représentation schématique de la situation mise en scène (reproduite en page 7) 1 et attribuons à chacun de ces sous-groupes une partie du schéma à analyser.

La première étape de l’animation consistera à examiner et commenter col-lectivement le schéma proposé. On remarquera ainsi qu’il prend la forme d’un cercle vicieux. En prenant un autre exemple de di!érence — par exemple, être porteur d’une autre dé$cience physique ou mentale —, on remarquera par ailleurs que le schéma semble relativement invariable et qu’il revêt par consé-quent les caractéristiques d’un véritable processus.

Après ces premières observations, expliquons aux participants qu’ils vont devoir s’attacher à une étape précise de ce processus; en fonction du sous-grou-pe auquel ils appartiennent, ils seront par conséquent amenés à :1. dresser une liste des di!érences auxquelles on peut se trouver confronté

sur le terrain social (en classe, au travail, dans un club de sport…), puis ré#é-chir aux raisons qui pourraient expliquer pourquoi les personnes porteu-ses de cette di!érence sont souvent exclues du groupe;

2. se baser sur les di!érentes épreuves imposées à Ben par Desmet et Bogaert mais aussi sur ses propres expériences (ou expériences vécues par des pro-ches), pour établir un répertoire des diverses formes que peut prendre le harcèlement, et ré#échir ensuite aux raisons susceptibles d’expliquer pourquoi certaines personnes (en général les leaders du groupe) prennent du plaisir à porter atteinte à l’intégrité de l’individu isolé par son stigmate;

3. analyser la réaction des témoins de la relation « bourreau / victime » qui existe entre Ben et ses deux agresseurs, c’est-à-dire globalement les autres élèves de la classe. La ré#exion s’articulera autour de l’une ou l’autre ques-tion — quelles nuances peut-on distinguer dans leur façon plutôt apathi-que de réagir (ainsi dans le $lm, deux élèves se détachent un peu du reste du groupe : Coppola et Maaike) ? Quelle(s) raison(s) pourrai(en)t expliquer pourquoi personne n’intervient ouvertement en faveur de Ben ? … —, et s’élargira ensuite à d’autres circonstances où l’on a pu soi-même être le té-moin d’une scène de harcèlement;

4. ré#échir aux sentiments que Ben exprime et aux réactions qu’il manifeste tout au long du $lm face à ses agresseurs. La ré#exion tiendra compte aussi, d’après de ce que les participants ont pu vivre ou observer au cours de leur propre parcours (scolaire, professionnel…), des di!érentes formes que peut prendre le refuge dans « un autre monde ». En$n, attirons encore l’atten-tion sur l’aspect extrême du stratagème que Ben imagine — la mise en scène de sa propre mort — et met $nalement en place avec la complicité de ses parents pour confondre ses agresseurs, et sur l’existence d’autres recours ou solutions plus vraisemblables, dont on pourra dresser un inventaire.

Les observations relevées seront ensuite partagées et discutées avec l’ensem-ble du groupe. Une fois avalisées par tous, elles seront intégrées au sein d’un document unique qui pourrait ressembler à celui que nous proposons sur une page de notre site WEB à titre d’illustration :

http://www.grignoux.be/dossiers/250/documents/

1. Le harcèlement (physique, moral, sexuel) est un phénomène abondamment étudié en psychologie sociale. Comme toutes les notions abordées dans le cadre d’une discipline scienti$que, l’étude du concept suppose le recours à une terminologie spéci$que. Or il n’entre pas dans les objectifs de ce dossier pédagogique d’initier les élèves à un savoir ou à des compétences de type universitaire, mais bien de les amener à ré#échir à leur niveau aux di!érentes étapes du processus de marginalisation tel qu’il se met sans doute parfois en route au sein de la classe. Les termes utilisés dans le cadre de cette activité le seront donc dans leur acception la plus courante.

1. Le harcèlement (physique, moral, sexuel) est un phénomène abondamment étudié en psychologie sociale. Comme toutes les notions abordées dans le cadre d’une discipline scienti$que, l’étude du concept suppose le recours à une terminologie spéci$que. Or il n’entre pas dans les objectifs de ce dossier pédagogique d’initier les élèves à un savoir ou à des compétences de type universitaire, mais bien de les amener à ré#échir à leur niveau aux di!érentes étapes du processus de marginalisation tel qu’il se met sans doute parfois en route au sein de la classe. Les termes utilisés dans le cadre de cette activité le seront donc dans leur acception la plus courante.

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Tous les participants étant susceptibles d’être un jour confrontés au phé-nomène du harcèlement — que ce soit en tant que victimes, agresseurs ou témoins — chacun d’entre eux en recevra une copie, à consulter si un cas se présentait dans leur environnement, pour ré#échir à la place qu’il occupe personnellement dans le processus, à ce qui motive son comportement et aux réactions qui seraient appropriées pour sortir de cette situation.

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La classe apparaît comme un microcosme où se développent une multitude d’interactions sociales. Ces interactions prennent en grande partie appui sur les échanges verbaux, ce qui nous amène à proposer, en guise de prolonge-ment, une ré#exion sur la portée des mots, sur leurs impacts possibles et les conséquences qui en résultent, ensuite, dans les relations humaines.

À cette $n, nous nous référerons principalement à l’analyse de Dominique Lagorgette — parue dans le n° 5 des Cahiers de l’Ecole 1 et intitulée « Insultes et con#it : de la provocation à la résolution - et retour ? » —, dont l’objec-tif général est d’étudier comment fonctionne l’usage des termes insultants, et comment ils produisent ou non un acte o!ensif dans des situations de crise sociale ou privée, ainsi qu’à un débat mené en classe de quatrième dans un col-lège français, autour du thème « Des mots qui tuent », enregistré et retrans-mis dans le cadre d’une émission scolaire intitulée « Journal de classe » 2. Les éléments d’analyse ainsi que la conception même des deux activités qui suivent sont directement inspirés de ces documents.

Dans son article, Dominique Lagorgette remarque de manière générale que les insultes sont un phénomène linguistique universel existant dans toutes les langues et toutes les cultures. Dans la mesure où elles servent à stigmati-ser ce que le groupe rejette comme socialement ou moralement inacceptable, l’accès aux insultes d’une langue permet de délimiter son système de valeurs. Quant aux circonstances dans lesquelles un individu peut être amené à insul-ter, Dominique Lagorgette en repère un certain nombre, en dehors du tradi-tionnel con#it entre deux groupes ou individus : ainsi par exemple, amuser le public à l’insu de l’insulté avec, dans ce cas, une connivence entre celui qui profère l’insulte et le groupe; marquer sa proximité avec l’autre en attribuant à l’insulte une signi$cation parodique, le contexte rendant impossible l’in-terprétation usuelle du terme, spontanément réévalué comme positif par la personne insultée 3; à l’inverse, des mots neutres ou positifs peuvent être aussi utilisés comme insultes. La connotation négative des termes est alors donnée par le contexte, mais aussi par l’intonation et la posture de l’insulteur.

Toujours selon l’auteure, les insultes ne seraient en réalité que des symp-tômes, des appels à l’écoute. Dans la mesure où elles restent un mode d’inte-raction sociale, elles seraient même le dernier bastion de la politesse, la der-nière étape avant de passer à l’acte qui attaque l’intégrité physique de l’autre. Socialement utiles, elles répondraient donc à un besoin réel, comme semble l’indiquer d’ailleurs dans chaque société l’existence d’une banque linguistique de termes dépréciatifs.

1. Dominique Lagorgette est Maître de conférence en sciences du langage, à l’Université de Savoie. Elle est auteure de plusieurs articles consacrés à la pratique de l’insulte.

1. Dominique Lagorgette est Maître de conférence en sciences du langage, à l’Université de Savoie. Elle est auteure de plusieurs articles consacrés à la pratique de l’insulte.

2. Cette émission est l’une des trois qui composent un reportage sur la vie dans un collège parisien, réalisé au cours de l’année scolaire 2006 - 2007 par les élèves de quatrième avec l’aide du corps enseignant et en collaboration avec Radio CLYPE, la radio scolaire de l’académie de Paris. L’émission peut être écoutée sur Internet à l’adresse suivante : www.innovalo.scola.ac-paris.fr/2006/chappe_fichiers/mots.mp3

2. Cette émission est l’une des trois qui composent un reportage sur la vie dans un collège parisien, réalisé au cours de l’année scolaire 2006 - 2007 par les élèves de quatrième avec l’aide du corps enseignant et en collaboration avec Radio CLYPE, la radio scolaire de l’académie de Paris. L’émission peut être écoutée sur Internet à l’adresse suivante : www.innovalo.scola.ac-paris.fr/2006/chappe_fichiers/mots.mp3

3. Ce type d’interaction peut prendre une tournure plus formalisée quand il se présente sous forme de jeu, de joute verbale. Dans ce cas, on parle d’insultes rituelles; les risques de déraper vers l’insulte personnelle sont beaucoup plus élevés lorsque le jeu surgit dans l’espace public, de façon non plani$ée, que quand il se déroule dans le cadre d’une manifestation organisée spécialement à cette $n.

3. Ce type d’interaction peut prendre une tournure plus formalisée quand il se présente sous forme de jeu, de joute verbale. Dans ce cas, on parle d’insultes rituelles; les risques de déraper vers l’insulte personnelle sont beaucoup plus élevés lorsque le jeu surgit dans l’espace public, de façon non plani$ée, que quand il se déroule dans le cadre d’une manifestation organisée spécialement à cette $n.

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Ce prolongement a été conçu à partir de l’idée qui sous-tend l’article de Dominique Lagorgette, selon laquelle la violence verbale, loin d’être un phé-nomène simple, ne peut pas se résumer à la simple diabolisation de celui qui insulte. Nous suggérons qu’il soit réalisé uniquement en situation réelle, au cas où surviendrait un con#it entre deux élèves de la classe (ou deux membres du groupe, quel qu’il soit).

Dès son plus jeune âge, l’individu sait qu’il attirera plus l’attention par la déviance que par la conformité. En tant qu’appel à l’écoute, l’insulte est donc plus e%cace encore si elle touche l’individu plus que sa fonction : points fai-bles, erreurs, fautes, handicaps, éléments contre lesquels on ne peut rien (taille, poids, couleur de peau ou de cheveux…), choix personnels e!ectués dans di-vers domaines (sexualité, mode de vie, religion…). Si on part du point de vue que la parole agressive est très souvent un appel à l’écoute d’un discours impos-sible à formuler autrement, on considérera alors que cette détresse se manifeste par l’agression. Aussi dans une optique de prévention, l’écoute et la discussion, en agissant sur les causes individuelles, se révèlent beaucoup plus e%caces que des mesures répressives comme la punition ou l’interdiction pure et simple.

Concrètement, nous suggérons d’inviter les participants réunis en grand groupe à décortiquer la situation où s’est manifestée une parole violente, en gardant à l’esprit les éléments suivants :

le contexte : qui dit quoi à qui ? Pourquoi ? le contenu : qu’est-ce qui est prononcé ? avec quelle intonation, quelle pos-

ture ? quelle est la distance interpersonnelle ? y a-t-il ou non contact physi-que ? quel est le volume de la voix ?

l’acte : la parole a-t-elle blessé ? était-ce son but ? est-elle elle-même une réaction à une violence (verbale ou autre) ?

les réactions : quelle réaction a eue la victime ? silence ? fuite ? autre insulte ? réaction physique ? quelle réaction a eue alors l’insulteur ? quelle a été la réaction du public envers l’insulteur ? envers l’insulté ?

Après cette première étape descriptive, utilisons ces observations pour un tra-vail d’analyse en profondeur dirigé par l’enseignant ou l’animateur, et divisé en deux grands volets :

un travail sur le sens précis des mots employés; en e!et, l’explicitation per-met à la personne qui insulte de prendre conscience de son acte et d’en me-surer toutes les implications; ceci est vrai en particulier pour les expressions qui sont rarement employées avec un sens littéral. Ainsi par exemple, des insultes comme « putain », « $ls de pute », « enculé », « bâtard »…

un travail sur la compréhension par l’agresseur et la victime de la cause de l’échange et de son but; la verbalisation permet de faire remonter les élé-ments enfouis, de plus longue portée, qui se trouvent à l’origine du con#it. Les comportements violents systématiques renvoyant souvent à une inca-pacité à créer des liens, il est en e!et important de renforcer le lien plutôt que d’accentuer la rupture.

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Ce second prolongement pourra être proposé de manière beaucoup plus large, avec la même perspective d’analyser la portée des mots.

Loin d’être une manifestation marginale ou circonstancielle liée au con#it, l’insulte fait partie intégrante de la vie scolaire. Phénomène langagier à la fois créatif, ludique et fédérateur, cette pratique tend à se normaliser et participe même à la création de véritables codes d’appartenance socioculturelle. On retrouve ici non seulement le concept d’« insultes de solidarité » utilisé par Dominique Lagorgette pour désigner les insultes marquant une proximité à l’autre et une connivence avec le groupe, mais également le concept de « soun-ding », dégagé en 1972 par William Labov pour désigner la pratique de l’in-sulte comme jeu circonscrit à l’intérieur d’un groupe, sur base de règles bien dé$nies comme la proscription des insultes personnelles, l’absence de répéti-tion d’un même terme, l’originalité dans le choix des mots et la validation de l’insulte par le public.

C’est à cet aspect que nous souhaitons nous attacher ici en invitant les élè-ves à ré#échir ensemble à cette pratique langagière. On pourrait demander aux participants de s’exprimer entre eux pendant quelques minutes, en utilisant un maximum d’insultes qu’ils emploient au quotidien. La séquence pourrait être enregistrée et servir ensuite de document de référence pour aider l’animateur à préparer une discussion en grand groupe.

L’objectif de cette activité est également d’amener les participants à mesurer la portée des mots qu’ils utilisent couramment, mais aussi à analyser plus large-ment ce qu’ils visent lorsqu’ils insultent, à mieux cerner la part de sérieux et la part de jeu qui intervient dans ce type d’échange verbal. En dehors de l’orien-tation générale qui sera donnée au débat en fonction de ce qui a été échangé au cours de la première étape, l’enseignant ou l’animateur pourra attirer d’emblée l’attention des participants sur quelques points importants à envisager :

que cherche-t-on quand on insulte : blesser ? taquiner ? amuser la galerie ? être créatif, inventif ? marquer un territoire, son appartenance à un groupe ? progresser dans la connaissance de l’autre ? se valoriser ?

quels sont les grands domaines touchés par l’insulte : l’apparence physique ? le look ? la sexualité ? la santé ? la performance scolaire ? l’origine (sociale, ethnique…) ?

y a-t-il des domaines tabous, absents du registre des insultes ? l’insulte représente-t-elle un champ de liberté ? quelles sont les limites qui

interviennent dans le registre des insultes ? y a-t-il une autocensure ? y a-t-il des béné$ces à retirer de ces échanges verbaux, en termes de langage,

de culture ? qu’est-ce qui fait une « bonne » insulte ? qu’est-ce qui peut in#uencer le

choix des insultes ?

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Au-delà d’un traitement original des thèmes du $lm, toute la mise en scène de Nic Balthazar concourt à rendre compte d’un point de vue exceptionnel, en creusant l’écart entre les faits objectifs et la manière dont ils sont appré-hendés subjectivement par Ben. Un certain nombre de particularités $lmi-ques permettent ainsi de traduire cet écart subjectif. Nous proposons que les spectateurs s’attachent maintenant aux procédés utilisés par le cinéaste pour rendre compte de la perception confuse et éclatée du monde de Ben.

Pratiquement, nous suggérons que les participants réalisent l’activité en petits groupes. Dans un premier temps, invitons-les à prendre connaissance d’une dé$nition du syndrome d’Asperger (encadré page 12), principalement axée sur les caractéristiques comportementales et les di%cultés de communi-cation qu’il engendre ainsi que sur les sensations particulières ressenties par la personne qui en est atteinte lorsqu’elle entre en contact avec le monde exté-rieur.

À partir de cette dé$nition, demandons-leur de répertorier un maximum de situations du $lm où l’on peut détecter les signes du syndrome, ou bien où Ben s’exprime à propos du handicap que lui cause ce syndrome. Encourageons-les à utiliser ensuite cet inventaire pour identi$er les procédés cinématogra-phiques utilisés par le réalisateur pour nous faire partager la manière dont Ben perçoit et appréhende la réalité extérieure.

Au besoin, orientons la ré#exion par quelques questions générales : d’où proviennent les di!érents types d’images que nous voyons dans Ben

X ? autrement dit, où ces images « prennent-elles leur source » ? les images que nous voyons appartiennent-elles toutes à la même strate

temporelle ? toutes les images re#ètent-elles (ou représentent-elles) quelque chose de

tangible, une situation réelle ? comment Nic Balthazar nous amène-t-il à partager les sentiments intéri-

eurs de Ben par l’image mais aussi par le son ? comment nous fait-il partager les sensations que lui procurent les contacts

avec le monde extérieur ? comment nous amène-t-il à distinguer ce qui relève du point de vue sub-

jectif de Ben et ce qui relève d’un point de vue extérieur ? Quelles sont les caractéristiques visuelles des images qui décrivent ou énoncent l’un et l’autre point de vue ?

que peut-on dire de l’architecture générale de Ben X ? etc.

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Les commentaires qui suivent (pages 16-18) développent une interpréta-tion parmi d’autres, qui s’appuie sur un certain nombre de caractéristiques de mise en scène observées dans Ben X (décrites pages 13-15). Ils se divisent en trois parties selon la $nalité des procédés qu’utilise le réalisateur : traduire le point de vue et les sensations toute personnelles de Ben; combler les lacu-nes induites par ce point de vue étrange, restituer une cohérence globale; et en$n, traduire la complexité identitaire du jeune homme.

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Ce syndrome a été découvert en 1944 par Hans Asperger, qui lui a donné son nom. Proche de l’autisme, il fait partie des Troubles Envahissants du Développement (TED). L’une des principales particularités de ce syn-drome est que la personne qui en est atteinte enregistre uniquement l’information visuelle. Elle n’intègre donc pas tout ce qui est de l’ordre du non-dit (du non senti, du non vu…), et elle éprouve par conséquent de grandes di%cultés à comprendre les concepts abstraits; elle saisit souvent les expressions $gurées au sens littéral et n’arrive pas à percevoir les intentions d’autrui, ses motivations, le ton qu’il emploie (l’ironie ou l’humour par exemple), en somme tout ce qui est de l’ordre de l’implicite, du symbole ou du second degré. Cette dé$cience entraîne des conséquences importantes au niveau des relations sociales : incompréhension et manque d’empathie 1, incapacité d’établir ou de maintenir une communication, erreurs d’interprétation des attitudes et conduites adoptées par autrui — ce qui peut se révéler particulièrement problématique lorsque ces attitudes ou conduites sont adoptées à son propre égard, isolement…

Découle aussi de cette perception restreinte le fait que « l’Asperger » perçoit le monde par fragments, sans jamais accéder à une vue d’ensemble des situations auxquelles il se trouve confronté; incapable d’aller chercher l’information par lui-même et de la traiter correctement, il se retrouve totalement dépendant des parcelles isolées qu’il a intégrées et n’arrive donc pas à donner du sens à la réalité. Dans un tel contexte, toute nouveauté, tout bou-leversement des habitudes quotidiennes constitue une source d’angoisse profonde. Réfractaire au changement, il adopte pour s’en protéger des comportements rituels, répétitifs et stéréotypés. Retenons en$n que, contraire-ment à l’autiste, la personne atteinte du syndrome d’Asperger maîtrise parfaitement le langage et n’accuse aucun retard intellectuel.

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« Bébé, déjà, l’enfant ne recherche pas le regard de sa mère ; il ne cherche pas à diriger son attention vers un objet qui l’intéresse (ce qu’on appelle l’« attention conjointe »). L’enfant atteint du syndrome d’Asperger apprend à parler. Cependant, comme tous les autistes, il est fermé au langage non verbal : il ne comprend pas l’ex-pression des émotions chez les autres, il rit à contretemps … Dans le domaine verbal, son utilisation du langage est anormale : il emploie de grands mots sortis d’un dictionnaire, il ne sait pas quand ni comment s’introduire dans une conversation et peut s’attirer ainsi des moqueries.

Plus largement, le comportement social pose problème. L’enfant « Asperger » n’apprend pas d’instinct, ni par imitation, les règles du jeu social ; il n’arrive pas à voir les situations du point de vue de l’autre. Il dit « vous avez un gros nez », et ne comprend pas pourquoi l’autre est blessé ; il parle pendant des heures d’un sujet qui le passionne, comme les horaires des trains, sans voir que les autres ne s’y intéressent pas.

Autres traits caractéristiques de ces sujets : un attachement à leurs habitudes, et à des règles qu’ils se donnent ; une hypersensibilité au bruit, au toucher ; et un pro$l d’intelligence en dents de scie, avec des pics de compétence — l’intelligence visio-spatiale, la mémoire, le calcul mental … — et des dé$ciences, dans la compréhension du langage, dans les problèmes complexes. Nombreux aussi sont ceux qui pensent en images plutôt qu’en mots.

Ces enfants sont donc di!érents. Mais si ces di!érences posent des problèmes à leur entourage, elles ne sont pas toutes négatives, loin de là. Ils sont, par exemple, incapables de mentir et ils se montrent soucieux des règles ; leur mémoire, leur bonne vision des détails, leurs « pics de compétences » parfois spectaculaires, leur pensée en images constituent une « autre intelligence », dont notre société pourrait s’enrichir, selon certains auteurs, si elle savait s’adapter à eux, tout en leur o!rant les moyens de s’adapter à elle. »

1. Sans entrer dans les détails, on peut désigner l’empathie comme la capacité à se mettre à la place de l’autre, de ressentir et de partager ses émotions, ou à considérer une situation d’un point de vue autre que le sien.

2. Extrait d’un article de Claudie Bert, à consulter sur Internet à l’adresse suivante : www.scienceshumaines.com/-0aautisme--mieux-connaitre-le-syndrome-d-asperger_fr_4964.html

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Le $lm commence dans le monde virtuel d’Ar-chlord; à la $n du générique, Ben apparaît dans le champ, de dos : il est en train de jouer à un jeu vi-déo;

les images du $lm sont de nature et de source va-riées : enregistrées par la caméra de Nic Balthazar, par la caméra de téléphones portables, par le caméscope de Ben ou encore par la caméra du reporter qui $lme les interviews pour la télévision; à tout cela, il faut en-core ajouter les images de synthèse issues du jeu vidéo Archlord, le MMS envoyé par Scarlite;

le $lm, centré sur les événements qui arrivent dans la vie de Ben, est entrecoupé de plans de ses proches interviewés et montrés en buste, face à la caméra;

dans tous ces plans, les personnes répondent à des questions qu’on n’entend pas;

ces réponses laissent présager un drame futur : le suicide de Ben ; ces plans à dominante bleue sont donc des "ashes-forward;

ces plans ont une dominante bleue et intègrent souvent l’un ou l’autre motif de couleur bleue (une rampe d’escalier, un vêtement…);

les autres images du $lm sont ternes; seul le rouge tranche sur la grisaille : le rouge de la veste de Scarlite, des salopettes à l’atelier de soudure ou encore du sang qui s’échappe de la blessure de Ben après qu’il a brisé le mi-roir de la salle de bain; le blanc domine par contre l’univers d’Archlord;

des plans du passé (des #ashes-back) sont égale-ment intégrés à plusieurs endroits du $lm : on voit Ben enfant principalement lors de visites médica-les; on le voit aussi incapable de réagir au cours d’un jeu collectif de ballon, ou encore victime de harcè-lement lorsqu’il fréquentait une unité de scouts;

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dans de nombreuses circonstances du $lm où Ben est confronté à une interaction sociale, les plans qui le mon-trent incapable de « répondre » alternent avec des plans de son double réagissant à des situations analogues dans le jeu virtuel Archlord;

le $lm mélange également des plans montrant une réalité tangible et des images mentales, imaginaires, qui montrent comment Ben « arrange » cette réalité pour qu’elle devienne plus supportable et surtout pour qu’il trouve lui-même la force de surmonter son handicap; ces images, tout à fait « normales » intègrent ainsi Scarlite à bien des scènes qui suivent la séquence de la gare. On comprend que la présence de la jeune $lle est imaginaire parce que les autres participants aux scènes en question ne la remarquent pas; néanmoins, aucun indice concret ne permet de con$rmer ce qui ne reste $nalement qu’une hypothèse;

les mouvements de caméra, les jeux d’objectifs (zooms avant, zooms arrière…) ainsi que les décadrages (le personnage n’est plus au centre de l’image et est même coupé par le bord du cadre) sont nombreux, rapides, brusques et chaotiques;

certains visages apparaissent en gros plan et même en très gros plan, ce qui a pour e!et d’accentuer l’aspect mécanique des mimiques et du mouvement des lèvres;

il y a très peu de dialogues dans le $lm, mais beau-coup de commentaires (réponses des proches aux questions posées dans le cadre d’interviews où l’on n’entend jamais les interlocuteurs, monolo-gues de Ben en voix o!, dialogues imaginaires avec Scarlite…);

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on remarque également des positions inhabituel-les de caméra comme des plongées verticales sur un personnage en contre-bas ;

Ben s’adresse directement à nous, spectateurs du $lm, grâce au procédé de la voix o!; autrement dit, on entend sa voix mais on ne le voit pas s’exprimer à l’écran; sans le recours à ce procédé, il serait di%cile pour nous de comprendre ce qu’il pense ou ce qu’il ressent; en e!et, les occasions où il réussit à com-muniquer avec son entourage sont très rares; c’est le cas, par exemple, lorsqu’il parle à sa mère après avoir avalé de l’ecstasy;

souvent, en particulier lorsque Ben se trouve dans des endroits bruyants (la rue, la cour de récréation…), le volume sonore change; certains sons sont même fortement ampli#és, un peu comme si l’on avait à faire à des « zooms sonores » : la sonnerie du réveil, la sonnerie qui marque le début et la $n des pauses à l’école…;

les paroles captées par Ben sont fréquemment répercutées en écho, en particulier dans les situations de ten-sion;

après l’humiliation subie en classe et la découverte des images de la scène sur son propre ordinateur, Ben se regarde dans le miroir de la salle de bain; son visage éclate en une multitude de re"ets instables qui se super-posent;

à plusieurs moments du $lm, nous, spectateurs du $lm, sommes maintenus dans l’ignorance ou même leur-rés dans la mesure où, ne maîtrisant pas l’ensemble du contexte, nous ne comprenons pas directement ce qui se passe; ainsi par exemple, sur le bateau, à l’église mais aussi de manière générale, lorsque des proches s’expri-ment isolément et de manière laconique sur la personnalité, le comportement de Ben.

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En alternant des images qui appartiennent au passé, au présent et au futur, en rendant par ailleurs perméa-bles les frontières entre trois mondes — réel, virtuel et imaginaire —, le réalisateur de Ben X désorganise le temps et l’espace, plongeant le spectateur dans une réa-lité apparemment incohérente. Ainsi monté comme une mosaïque d’images et de sons, le $lm rend compte d’une perception fragmentaire de la réalité, sans dou-te assez semblable à celle que peut en avoir une per-sonne atteinte du syndrome d’Asperger.

Grâce à ces diverses distorsions du réel, le specta-teur est donc amené à partager le point de vue subjec-tif de Ben sur le monde qui l’entoure mais, de manière plus spéci$que encore, à se rendre compte des limites, contraintes et frustrations qu’impose un point de vue aussi restreint. Maintenus dans l’ignorance — qui, quand, où et pourquoi interroge-t-on les proches de Ben ? — ou carrément leurrés — avant l’apparition « miraculeuse » de Ben à l’église, nous pensons qu’il s’est suicidé en se jetant à l’eau avec la complicité de ses parents —, nous avons donc souvent une vue parcellai-re des événements qui nous conduit dans un premier temps à en donner une mauvaise interprétation.

Un nouveau rapprochement peut ainsi être établi entre la position frustrante que Nic Balthazar attribue au spectateur et le malaise constant des personnes at-teintes du syndrome d’Asperger, incapables de saisir les intentions ou motivations à l’origine des actes po-sés et par conséquent, de comprendre et de maîtriser une situation sociale.

Par ailleurs, les images stressées, paniquées qui tra-duisent le rapport di%cile de Ben à son environnement accentuent encore l’inconfort du spectateur, incapable d’adopter la bonne distance et en quelque sorte, d’ef-fectuer sa propre mise au point sur les situations qui se présentent : mouvements panoramiques trop rapides, jeu incessant sur l’échelle des plans et le cadrage, perte d’équilibre des images, durée éminemment courte de ces plans très cadencés… toutes les $gures de la prise de vue concourent à restituer alors une vision totale-ment chaotique des situations imprévues, autrement dit des situations qui sortent de l’itinéraire — géogra-phique mais aussi mental — de Ben.

L’histoire de Ben, qui intègre à intervalles plus ou moins réguliers 1 des plans isolés de personnes en si-tuation d’interview, permet d’autre part de mettre en évidence le fossé qu’il y a entre la façon dont le jeune homme vit intérieurement les événements et l’incom-préhension de ses proches. L’écart ressort d’autant mieux que ces plans récurrents a%chent une grande stabilité interne, tranchant avec l’ensemble hétéroclite et heurté du $lm : angle de vue identique, même ca-drage en buste des personnages, qui s’expriment à tour de rôle et de manière frontale, même absence d’inter-locuteur visible (ou simplement audible), même cou-leur bleutée 2 des images, mêmes propos laconiques, incrédules ou fatalistes, mêmes traits marqués par la gravité… L’homogénéité formelle qui caractérise le point de vue extérieur sur les événements traversés par l’adolescent, sur son étrangeté, ses gestes, son histoire ou encore sa maladie, se double ainsi d’une certaine uniformité dans le propos qui re-marque la rupture avec l’univers perturbé de Ben.

On pourrait ici établir une analogie entre ces inter-ventions ponctuelles, récurrentes, et les commentai-res apportés par le chœur dans la tragédie grecque durant l’Antiquité. Au cours des représentations, les choristes formaient en général un groupe homogène et indépendant de l’action en cours, qui occupait une place bien précise dans l’espace théâtral et énonçait un point de vue extérieur fort semblable à celui qui s’ex-prime unanimement à travers témoignage des proches de Ben. Souvent représentant de la population — plus spécialement d’un groupe social, comme les habitants de la cité par exemple —, le chœur assistait impuissant aux situations qui se déroulaient sous ses yeux. Lien très important entre les personnages et le public, il avait pour fonction de commenter, de s’interroger, d’essayer de comprendre ce qui se passait et même d’anticiper les événements à venir. On peut d’ailleurs identi$er une fonction d’anticipation semblable dans Ben X , dans la mesure où le groupe des proches commente une situa-tion qui a déjà eu lieu pour eux mais qui reste à venir pour nous, spectateurs du $lm.

1. Au départ, ces plans sont très brefs et interviennent à intervalles fort rapprochés; au fur et à mesure que le $lm avance, ils deviennent plus longs et s’espacent de plus en plus.

2. Couleur « froide » par excellence, le bleu semble creuser encore la distance qui sépare Ben du monde qui l’entoure.

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Il est coutume de dire en parlant d’une personne at-teinte d’autisme qu’elle voit les feuilles mais qu’elle ne voit pas l’arbre, pour souligner sa capacité à remarquer une foule de petits détails, sans pour autant être capa-ble d’identi$er l’ensemble qu’ils composent.

En tant que spectateurs, nous sommes sommes donc amenés à partager une vision sans recul, parcel-laire et relativement étroite de la réalité, à laquelle il nous est di%cile de donner immédiatement un sens global. Néanmoins, sous peine de rendre le $lm dé-$nitivement inaccessible, il est indispensable qu’à un moment donné, le réalisateur nous donne les moyens de retrouver une certaine cohérence d’ensemble.

Attardons-nous un instant au tout début de Ben X , alors que le $lm commence dans le monde virtuel d’Archlord; tandis qu’on entend un jeune homme s’exprimer en voix o!, le générique dé$le sur fond d’images de synthèse qui montrent des guerriers et parmi eux, un jeune homme en train de s’équiper puis de monter un cheval blanc; il traverse alors une vaste étendue au galop pour rencontrer une jeune guerrière : Scarlite. Cette séquence de générique est interrompue par de multiples #ashes qui nous montrent une fem-me s’exprimant face caméra. En même temps, on voit apparaître dans le champ des mains pianotant sur un clavier. En$n, à la $n de la séquence, un élargissement du champ dévoile le véritable contexte de la scène : $lmé de dos, un adolescent est occupé à jouer sur son PC, intégré dans un décor rappelant l’univers virtuel d’Archlord. Ce recul de la caméra permet au spectateur de comprendre qu’en réalité, le $lm ne sera pas réalisé en images de synthèse mais qu’il traitera, entre autres, du rapport des jeunes aux jeux vidéo ; ce mouvement de recul lui permet par ailleurs de faire l’hypothèse que la femme plus âgée et bien réelle entrevue grâce aux #ashes est sans doute sa mère.

La $gure du zoom arrière qui introduit le $lm de Nic Balthazar annonce en quelque sorte l’intention du réalisateur de jouer sur la scission entre ce qui est montré et ce qui est caché, sur la révélation, le dévoi-lement mais aussi sur le leurre et la possibilité d’erreur dans l’interprétation que l’on peut donner de ce que l’on voit « en surface », hors contexte et de façon mor-

celée. C’est grâce à cette $gure récurrente du zoom ar-rière, utilisée au propre mais aussi au $guré lorsqu’elle prend la forme d’un élargissement du champ obtenu par un autre procédé, qu’il est permis au spectateur de donner du sens à ce qui a été partiellement montré dans un premier temps.

Notons encore que dans certaines situations, le spectateur du $lm est associé aux spectateurs $ction-nels du drame vécu par Ben (par exemple, les person-nes présentes à son enterrement ignorent également tout de la mise en scène orchestrée par Ben) et que dans d’autres, il en sait un peu plus : ainsi dès le départ, nous connaissons l’identité des deux agresseurs qui ont $lmé Ben debout sur une table de la classe, contraire-ment au directeur de l’école ou à sa mère (avant tou-tefois que celle-ci découvre les images divulguées sur Internet). Dans ce dernier cas, on remarque que c’est aussi grâce à un élargissement du champ qu’est révé-lée à tous l’identité des agresseurs; en e!et, la séquence tournée avec un peu de recul par Coppola est $nale-ment di!usée à l’église sur grand écran, dévoilant non seulement Bogaert et Desmet en train d’agir mais aussi les autres élèves occupés à $lmer la scène avec leur por-table.

A l’église, lors de l’enterrement, c’est encore un élar-gissement du champ qui permet aux spectateurs de remarquer la présence de Ben resté dans l’ombre; en réalité, c’est lui qui projette le $lm de sa propre mort; sa présence, visible à tous dès le moment où il se dresse dans le faisceau lumineux du projecteur, invalide son suicide et fait percevoir toute la cérémonie des funé-railles comme une vaste mise en scène destinée à in-terpeller l’opinion publique (l’opinion du public ras-semblé dans l’église mais aussi des téléspectateurs des chaînes qui di!usent informations et reportages sur le supposé fait divers, ainsi que l’opinion des spectateurs du $lm même). Après cette séquence et juste avant l’épilogue du $lm, quelques courtes scènes montrent « les coulisses » de l’événement, autrement dit, tous les épisodes qui avaient été gommés dans un premier temps pour leurrer le spectateur et lui faire croire à un vrai suicide.

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La question de la double identité de Ben 1 — son identité réelle, qu’il méprise, et celle de son avatar, dont il est plutôt satisfait — est notamment abordée grâce au motif récurrent du miroir, un objet à haute va-leur symbolique 2 autour duquel se cristallise le con#it intérieur vécu par l’adolescent.

On peut considérer ainsi que le miroir de la salle de bain représente une sorte de transition entre le monde virtuel où Ben X, chevalier d’Archlord, est admiré et respecté dans le monde entier, et le monde réel, où il évolue comme une victime incapable de se défendre. C’est en e!et ce miroir qui lui renvoie, après chaque passage matinal dans Archlord, « qui il est vraiment » et donc, l’écart irréductible qui le sépare de son avatar et de son identité de substitution.

Cette image-là, Ben ne la supporte pas : « Je voyais à nouveau ce con, ce nul dans le miroir… », entend-on en voix o! juste avant qu’il ne joigne le geste à la pa-role, brisant la glace d’un coup de poing rageur. Cette scène violente se passe après que sa mère a retrouvé Ben abandonné dans un parc et qu’elle l’a ramené à la maison. La détresse qu’il éprouve alors après cette se-conde agression est d’autant plus grande que sa mère l’interpelle précisément à ce moment-là au sujet de la séquence $lmée en classe, qu’elle vient de découvrir sur Internet.

Cette constatation nous amène à établir ici un parallèle avec la scène qui suit celle de l’humiliation publique de Ben, alors que tous les élèves viennent de sortir de la classe. Profondément bouleversé et im-puissant, l’adolescent ne supporte pas de voir son re#et dans la vitre et instinctivement, il projette une chaise au travers de la fenêtre comme pour détruire sa propre image. Interprété comme un mouvement d’humeur gratuit, démesuré, inexplicable, menaçant pour l’or-dre (autrement dit, un geste de folie), cet acte de vio-

1. De manière évidente mais relativement anecdotique, on constate que cette question centrale de l’identité se trouve déjà inscrite dans le prénom même du protagoniste puisqu’en néerlandais — la langue maternelle du réalisateur —, « ben » désigne aussi la première personne du singulier de l’auxiliaire être conjugué à l’indicatif présent.

2. Renvoyant une image $dèle mais inversée de la personne qui se regarde dedans, le miroir est associé à l’idée de dualité. Il permet de se voir tel que l’on est, mais toujours sous un seul et même angle (face à face et inversé), notamment avec ses défauts. Le miroir est donc aussi associé à la vérité, comme dans Blanche-Neige par exemple, où le Miroir magique se montre incapable de mentir. En$n, c’est encore le symbole d’une porte, d’une limite vers un autre monde, particulièrement mis en valeur dans De l’autre côté du miroir, un roman écrit au XIXe par Lewis Carroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles

lence auto-destructrice n’a $nalement pour e!et que de conforter Ben dans l’image négative qu’il se fait de lui-même.

Garant de la réalité, le miroir est donc un référent insupportable pour Ben, qui ne trouve de bonheur à vivre qu’à travers son identité virtuelle. « Heureuse que tu sois toi », le premier message que Scarlite lui envoie au cours du générique du $lm, laisse d’ailleurs entendre dès le départ combien le jeune homme est attaché à son avatar; sa chambre, qui est pratiquement une reconstitution miniature du monde d’Archlord et qui associe dans un même espace monde tangible et monde imaginaire, compose ainsi un univers #ottant propice aux fractures identitaires.

Mais le bris de la vitre à l’école, qui amène Ben à con$er son mal-être à Scarlite dans Archlord, marque cependant une étape importante dans son parcours. Pour la première fois, les deux mondes passent d’une simple juxtaposition à l’osmose, à la confusion, ce qui se traduit cinématographiquement par une brève coexistence au sein d’un même plan du couple virtuel et du couple réel (mais imaginaire).

Cette perturbation identitaire en forme de dédou-blement, qui signale donc un changement profond dans le cheminement mental de Ben, est plus lisible encore dans la séquence suivante lorsque, poursuivant son rituel matinal, il s’observe dans le miroir de la salle de bain : à ce moment-là, son visage éclate en une mul-titude de re"ets instables qui se superposent à la sur-face de la glace, un peu comme si son identité était en train de se désintégrer.

Avec la scène qui se passe à l’atelier de soudure, on observe également, de façon pratiquement inversée si on prend cette scène du miroir comme axe de symétrie, une même porosité de la frontière entre monde réel et monde virtuel, visuellement illustrée ici par le choix du décor et des costumes : les élèves de la classe, vêtus de salopettes de couleur rouge 3, ont les traits et la tête tout entière dissimulés à l’intérieur d’un casque intégral

3. Les spectateurs auront sans doute remarqué la propreté et le ton inhabituel des salopettes portées par les élèves à l’atelier de soudure. On ne peut en e!et manquer d’être surpris par la couleur écarlate de ces vêtements de travail, que l’on aurait attendu de couleur plus terne (gris, bleu, vert foncé…). Sans vouloir faire de la sur-interprétation, remarquons encore que le rouge vif est aussi la couleur de la veste que porte Scarlite — un terme anglais rappelant le français « écarlate » — lorsqu’elle envoie un MMS à Ben, et qu’elle conservera par la suite dans les fantasmes du jeune homme. Dans la symbolique des couleurs, le rouge, associé à la passion humaine (colère, amour…) s’oppose au

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de protection, qui semble les dépouiller de leurs carac-téristiques humaines et les fait ressembler aux avatars cuirassés d’Archlord; de manière symptomatique, c’est d’ailleurs au cours de cette scène, qui se passe dans un univers un peu irréel de « robots », de feu et d’acier,

bleu, une couleur froide associée à la transparence (de l’eau, de l’air…) et à la vérité, qui invite au contraire à la ré#exion.

que Ben entreprend de façonner une « death cross » semblable à celle qu’il utilise dans Archlord, une arme qu’il essayera en vain d’utiliser pour se défendre dans la réalité, quand il se fait agresser une nouvelle fois par Desmet et Bogaert.

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Les animations précédentes ont permis de mettre en évidence les caracté-ristiques de Ben X dans le traitement des thèmes abordés (choix d’un point de vue inédit et procédés de mise en scène concourant à restituer ce point de vue-là). Au-delà de la signi$cation globale du $lm, dont le message d’ouverture et de tolérance est évidemment très clair, nous proposons que les participants s’intéressent maintenant à la tonalité, au regard personnel que le réalisateur Nic Balthazar pose sur cette histoire dramatique.

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L’instrument de cette activité — la comparaison — devrait conduire na-turellement les spectateurs, jeunes ou moins jeunes, sur le chemin de l’inter-prétation et de l’inférence créative. Concrètement, nous proposons de diviser le groupe en trois sous-groupes et de leur con$er à chacun une partie de la ré#exion, à partir des encadrés proposés ci-dessous. Les pistes d’interprétation suggérées ici et examinées en petits groupes feront ensuite l’objet d’un débat collectif, où chaque participant sera libre d’adhérer ou non aux analyses pro-posées et de développer l’une ou l’autre approche personnelle du $lm.

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Comparer les premières et les dernières images du $lm, autrement dit son prologue et son épilogue 1, peut souvent aider à préciser le sens d’un $lm, à cerner le point de vue de son réalisateur ou plus simplement, à évaluer le chemin parcouru par un ou plusieurs personnages de l’his-toire rapportée.

Dans le cas de Ben X , en quoi la mise en relation des premières et der-nières images du $lm permet-elle d’éclairer le parcours mental de Ben? En quoi permet-elle aussi de préciser le point de vue du réalisateur ?

1. Dans une œuvre littéraire ou cinématographique, le prologue et l’épilogue désignent les deux courtes parties qui introduisent et clôturent le récit. Ces deux épisodes sont généralement détachés du corps de l’œuvre par un changement brutal d’époque et parfois de lieu. Ils servent à $xer un aspect du contexte précédant l’action qui va avoir lieu (prologue) ou à montrer ce qu’une situation a pu devenir plus ou moins longtemps après la $n de l’histoire (épilogue). Dans le cas de Ben X, le prologue se confond avec le générique du $lm, qui a pris les marques formelles de l’univers d’Archlord; tandis qu’on entend Ben en voix o!, un chevalier en armure traverse une vaste plaine sur son cheval blanc et rencontre son amie, Scarlite. L’épilogue, qui intervient juste près la séquence du faux enterrement de Ben, se déroule dans un manège à la campagne. Ben, accompagné de sa mère, de son frère et de Scarlite, fait la connaissance de l’hippo-thérapeute et du cheval blanc qu’il va apprendre à monter. On l’entend parler « en direct ».

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Dans Archlord, l’avatar de Ben se nomme « Ben X », une expression qui a son importance puisqu’elle a donné son titre au $lm de Nic Balthazar. A votre avis, que signi$e le « X » ?

Tâchez aussi de mettre le $lm en rapport avec les tableaux reproduits ci-contre, qui représentent tous les deux une scène de martyre (Le Martyre de Saint-André, de Carlo Maratta, et Saint-André devant sa croix, de Carlo Dolci).

Que peut-on retirer de cette comparaison ? L’analogie éventuellement repérée a-t-elle un sens dans le contexte de Ben X ? Si oui, quels éléments (motifs, scènes…) du $lm permettent de renforcer cette hypothèse ?

Ces images sont disponibles en couleur sur le site web des Grignoux à l’adresse suivante : http://www.grignoux.be/dossiers/250/documents/

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Voici deux tableaux représentant la même scène issue de la mytholo-gie religieuse « La Trans$guration ». Vous souvenez-vous d’un plan du $lm de Nic Balthazar qui rappelle ce ta-bleau ?

Si c’est le cas, décrivez les deux images — l’œuvre picturale propo-sée et le plan tourné par le réalisateur — et tâchez de donner du sens aux ca-

ractéristiques qui permettent de les rapprocher ; cette ressemblance est-elle purement fortuite ou est-elle au contraire le fruit d’une intention particulière ? Quel sens peut-on donner alors à cette analogie ?

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Les deux tableaux que nous avons proposé aux participants de mettre en rapport avec le $lm de Nic Balthazar peuvent a priori sembler très éloignés de l’histoire de Ben. À un premier niveau de comparaison en e!et, il est di%cile d’établir une quelconque ressemblance entre le personnage $ctif de Ben, replié sur lui-même et incapable de communiquer, et celui, légendaire et empathi-que, du Christ. Mais si l’on porte la comparaison à un autre niveau — celui des réactions manifestées à l’égard de ces deux personnages, qui ont quand même en commun le fait de se comporter de façon marginale —, on perçoit sans peine certaines analogies.

Sans vouloir établir de parallèle étroit entre leur destinée ou élever de ma-nière indubitable certaines scènes ou plans du $lm au titre de références, les spectateurs sont par contre en droit de chercher à donner du sens aux ressem-blances remarquées plus ou moins spontanément. Ainsi de manière généra-le, on sait que la mythologie religieuse est une source riche en personnages martyrs, en scènes de calvaire et autres humiliations. En ce sens, comment ne pas voir une analogie entre le tableau de Carlo Maratta 1 (Le Martyre de Saint-André) ou celui de Carlo Dolci (Saint-André devant sa croix) et l’une des scènes les plus fortes du $lm : celle où Ben est dépouillé de ses vêtements

par deux de ses condisciples devant les autres élèves, qui se contentent de photographier la scène avec leur portable ? Et comment alors ne pas associer le « X » de Ben X à la croix de Saint-André qui domine la représentation et voir dans l’épreuve subie par le jeune autiste un équivalent du martyre imposé au personnage des Evangiles ?

Un retour sur le $lm, en particulier sur ses allusions et motifs religieux, permet d’ailleurs de donner une certaine assise à cette hypothèse. La récurrence des croix et cruci$x (en classe, sur le chemin de l’école, à quoi on peut encore ajouter la death cross dont se sert Ben X dans Archlord, l’arme en forme de cruci$x qu’il façonne dans le cadre du

cours de soudure…), le cours de religion consacré à la scène de la Passion du Christ, à l’origine d’une discussion en classe autour de l’existence de Dieu, la scène $nale de l’enterrement, qui a symboliquement pour cadre l’église où sont rassemblés les proches de Ben ainsi que ses condisciples et ses professeurs, tous

ces éléments tissent une couche de sens inférieure, ténue mais cohérente, qui constitue en quelque sorte l’épaisseur morale de l’histoire racontée. On peut déduire par exem-ple que, par cet arrière-plan mythologique, le réalisateur nous invite à assimiler le parcours de Ben à un vrai « che-min de croix ».

1. Carlo Dolci et Carlo Maratta sont deux peintres italiens du 17e siècle.

1. Carlo Dolci et Carlo Maratta sont deux peintres italiens du 17e siècle.

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En$n, dans le même registre d’interprétation, les spectateurs auront sans doute remarqué la ressemblance assez frappante entre les représentations de la Trans#guration du Christ dans l’iconographie religieuse, et le plan du $lm qui montre Ben apparaître dans le faisceau lumineux du projecteur au cours de la cérémonie de son propre enterrement : même vue en contre-plongée, même lumière blanchâtre et aveuglante, même attitude médusée des témoins devant son apparition « miraculeuse »…

D’autre part, remarquons encore que l’idée-même de trans$guration, qui désigne un changement brusque et inattendu d’apparence, a à voir avec l’idée de métamorphose. En ce sens, selon la symbolique des couleurs, le blanc est une couleur liée aux mutations de l’être, au symbole de la renaissance après la mort. Le blanc caractérise ainsi les moments-charnières, entre autres ceux qui marquent un nouveau départ. Et c’est bien ce que traduit cette scène : Ben ap-paraît comme par magie et « trans$guré » pour avoir réussi à communiquer sa sou!rance et amené les auteurs de l’agression à une prise de conscience.

La mise en scène imaginée par Ben peut donc être envisagée comme le si-gne d’une vraie transformation, ce que con$rme d’ailleurs l’épilogue qui suit son apparition à l’église, où on le voit communiquer pour la première fois une impression à ses proches venus l’accompagner au manège du centre d’hippo-thérapie. Cette scène, qui con$rme l’avènement de Ben dans le monde réel et montre le commencement de sa nouvelle vie, est introduite par une dernière ré#exion en voix o! : « Il est grand temps que tu deviennes qui tu es vrai-ment ».

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Le chemin de croix trouve son origine dans les exercices de prière des premiers chrétiens à Jérusalem, qui parcouraient en priant le chemin que le Christ avait suivi de la ville sainte, où il avait été condamné à mort, jus-qu’au Calvaire. Au cours des siècles, cet exercice de prière a évolué pour prendre la forme actuelle d’un parcours comprenant quatorze stations. Après le concile de Vatican II (début des années 1960), une quinzième est venue s’ajouter : celle de la résurrection du Christ. Le chemin de croix désigne aujourd’hui une cérémonie célébrée dans la religion catholique — généralement le vendredi saint —, pour commémorer la Passion du Christ. Cette céré-monie consiste en une procession ponctuée de prières, que les $dèles e!ectuent en s’arrêtant devant les quatorze ou quinze tableaux représentant la Passion, généralement disposés autour de l’église. Dans le contexte de cette animation, il est amusant de constater que la dixième station du chemin de croix, indiquée par le chi!re romain « X », est précisément celle où le Christ est dépouillé de ses vêtements.

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Si l’on compare prologue et épilogue, on remarque que les mots de Scarlite font écho au premier message qu’elle lui avait envoyé dans Archlord, et que le spectateur avait eu l’occasion de découvrir au tout début du $lm : « Heureuse que tu sois toi ». Ces deux ré#exions symétriques ont directement à voir avec la double identité de Ben, la façon dont la jeune $lle l’a amené à en prendre conscience et à réagir. Ainsi mises en regard, ces scènes d’ouverture et de fer-meture, où l’on reconnaît les mêmes motifs — un jeune homme, une jeune $lle, un cheval —, illustrent de façon imagée la nature de sa métamorphose : le cheval blanc virtuel d’Archlord s’est matérialisé tandis que Ben X, libéré de sa croix, « se réincarne » en apprenant à devenir Ben; il a!ronte désormais la réalité dépouillé de son armure et cherche une nouvelle assurance par l’hippo-thérapie.

Depuis l’épisode du rendez-vous manqué à la gare, Scarlite est devenue par ailleurs dans sa vie un personnage important doué d’une existence charnelle et d’une apparence humaine, même si désormais elle ne reste aux côtés du jeune homme que dans son imagination à lui, sans qu’il n’y ait de vraie relation entre eux; d’avatar immatériel dans Archlord, Scarlite est devenue en quelque sorte l’ange gardien de Ben, celle qui le veille, le guide et surtout qui lui donne la force de devenir lui-même.

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© Les Grignoux, 2008. Tous droits de reproduction et d’adaptation réservés pour tout pays.Un ouvrage publié avec le soutien d’Europa Cinemas, une initiative du programme Media des Communautés Européennes de la FMSS, de la Ville de Liège, de la Région Wallonne, de la Communauté française de Belgiqueet de l’Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche scienti!que,Service général des A!aires générales, de la Recherche en Éducation et du Pilotage interréseaux