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A lors que le monde connaît un regain de vio- lence sur tous les continents ; alors que de nouvelles guerres ensanglantent l’Afrique, l’Asie et l’Europe elle-même ; alors que des milliards de femmes, d’hommes et d’enfants souf- frent de la pauvreté, du manque d’eau, de nourritu- re et de soins de santé ; alors que des épidémies dignes du Moyen Âge endeuillent notre XXI e siè- cle ; la célébration ce mois de juin du 70 e anniver- saire de la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) prend une signification essentielle. L’article premier de la Charte, signée en 1945 par cinquante États, définissait en ces termes les buts des Nations Unies : « Maintenir la paix et la sécu- rité internationale. Développer entre les Nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problè- mes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinc- tion de race, de sexe, de langue ou de religion… ». Dans ces domaines, l’ONU et la communauté mondiale disposent de nombreux acquis : à com- mencer par la Charte de 1945, élaborée dans le contexte de la victoire des peuples sur la barbarie, et qui voulait empêcher que des conflits, tels ceux que l’on avait connus en 1914-1918 et en 1939- 1945, se reproduisent. Le rôle de l’ONU dans le combat des peuples colonisés pour leur émancipa- tion, son action auprès des réfugiés, la production d’un droit international, la négociation de traités multilatéraux sur le désarmement, la réunion de grandes conférences faisant date dans tous les domaines, les opérations de maintien ou de conso- lidation de la paix déterminent l’utilité de cette union de nations souveraines. Pourtant, l’ONU est aujourd’hui menacée de l’in- térieur et de l’extérieur. L’organisation n’a prati- quement pas évolué depuis sa fondation. Or le monde, lui, ne ressemble pas à celui de l’immédiat après-guerre. Libérés de l’emprise coloniale, de nombreux pays ont pu atteindre des niveaux de développement importants et de 50 États membres en 1945, on est passé aujourd’hui à 193. La com- position du Conseil de sécurité (avec d’une part, des membres élus et d’autre part, des membres per- manents qui disposent d’un droit de veto) n’a pas varié. Toutes les tentatives de réforme ont échoué du fait, notamment, des États-Unis qui voudraient imposer un droit de vote en relation avec la contri- bution financière de chaque pays, la leur étant la plus importante. Au lieu d’un État–une voix, on aurait ainsi un dollar–une voix ! Dès sa fondation, l’ONU, dont le principe fonda- teur repose sur le multilatéralisme, a été bafouée. De la guerre de Corée en 1950 à celles d’aujour- d’hui, en Irak et en Syrie, en Ukraine, les Américains ont toujours placé leurs intérêts au-des- sus des règles et principes de l’ONU. « Lorsque les intérêts de notre sécurité nationale seront en jeu, nous agirons avec les autres si possible, mais seuls s’il le faut ; nous utiliserons la diplomatie quand nous pourrons, mais la force s’il le faut », déclarait en 1994 l’ambassadeur américain auprès des Nations Unies. Les actes ont suivi ! Irak, Afghanistan, Yougoslavie … Le moindre des paradoxes de l’ONU n’est-il pas qu’elle ait été à l’initiative de la création de l’État d’Israël en 1948 et que celui-ci n’ait, depuis, jamais respecté aucune résolution internationale concer- nant l’évacuation des territoires occupés et la créa- tion, au côté de l’État hébreu, d’un État palesti- nien ? Il est urgent de refonder aujourd’hui l’ONU sur la base de ses principes fondateurs, en prenant en compte l’évolution du monde et les nouveaux dan- gers qui le guettent en matière de développement, de santé, d’environnement et de sécurité. 28 mai 2015 Les migrants en France Évacuation de deux camps de migrants à Calais et, au petit matin, d'un campement de 350 migrants installés sous le métro La Chapelle. Quelle conception de la solidarité ? « ... Les valeurs qu’affirme le programme du Conseil National de la Résistance, la liberté, la justice sociale, la solidarité, la tolé- rance sont les seules suscepti- bles de constituer le socle d’une République citoyenne et sociale. » Robert Chambeiron Conseil National de la Résistance D e u x d é p o r t é e s r é s i s t a n t e s e n t r e n t a u P a n t h é o n A v e c e l l e s , l a f r a t e r n i t é h u m a i n e , l a u d a c e , l a d i g n i t é Refonder l’ONU HOMMAGES - FÉLICITATIONS Jean Lescot (p.2), François Maspero (p.12) - Max Weinstein (p.8) MONDE Israël : Le prix d’une victoire D. Vidal p.3 Le rapport de « Breaking the silence » NM p.3 Mumia enchaîné sur son lit d’hôpital p.4 Communiqué « Trop c’est trop » LDH p.3 FRANCE / ÉCONOMIE Le TTIP - Qui gagne quoi ? (fin) J. Lewkowicz p.5 La politique du PIR N. Mokobodzki p.4 HISTOIRE / MÉMOIRE L’agenda de la mémoire p.2 Victoire contre le nazisme Hambourg - La paix : quoi d’autre ? p.6 « fin de la Seconde Guerre mondiale » M. Cling p.6 Marceline Loridan-Ivens… lettre au père F. Mathieu p.6 Journée nationale de la Résistance Fête de la Résistance à Paris p.7 Geneviève de Gaulle Anthonioz H. Amblard p.8 Germaine Tillion H. Amblard p.9 De l’ostracisme ou révisionnisme H. Levart p.7 BILLET DHUMEUR / CLIN DŒIL Le paladin de la liberté J. Franck p.5 Le « maux le plus long » N.Malviale p.5 CULTURE / LITTÉRATURE « Moïse fragile » de J.-C. Attias S. Grossvak p.4 « Olga » de F. Morais NM p.4 Le curieux M. Schulz G-G. Lemaire p.12 Cinéma La chronique de... L. Laufer p.9 « Le fils de Saül », « à voir » p.9 Théâtre En compagnie de Sarah Mesguich… B. Courraud p.10 « Des roses et du jasmin » p.10 La chronique de ... S. Endewelt p.11 Bernard Frederick voir pages 6 à 9 ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 327 - Juin-Juillet-Août 2015 - 33 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

Bernard Frederick Refonder l’ONUdata.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20150616/ob_322ef4_pnm-327.pdf · A lors que le monde connaît un regain de vio-lence sur tous les continents

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Alors que le monde connaît un regain de vio-lence sur tous les continents ; alors que denouvelles guerres ensanglantent l’Afrique,

l’Asie et l’Europe elle-même ; alors que desmilliards de femmes, d’hommes et d’enfants souf-frent de la pauvreté, du manque d’eau, de nourritu-re et de soins de santé ; alors que des épidémiesdignes du Moyen Âge endeuillent notre XXIe siè-cle ; la célébration ce mois de juin du 70e anniver-saire de la création de l’Organisation des NationsUnies (ONU) prend une signification essentielle.L’article premier de la Charte, signée en 1945 parcinquante États, définissait en ces termes les butsdes Nations Unies : « Maintenir la paix et la sécu-rité internationale. Développer entre les Nationsdes relations amicales fondées sur le respect duprincipe de l’égalité des droits des peuples et deleur droit à disposer d’eux-mêmes. Réaliser lacoopération internationale en résolvant les problè-mes internationaux d’ordre économique, social,intellectuel ou humanitaire, en développant et enencourageant le respect des droits de l’homme etdes libertés fondamentales pour tous sans distinc-tion de race, de sexe, de langue ou de religion… ».Dans ces domaines, l’ONU et la communautémondiale disposent de nombreux acquis : à com-mencer par la Charte de 1945, élaborée dans lecontexte de la victoire des peuples sur la barbarie,

et qui voulait empêcher que des conflits, tels ceuxque l’on avait connus en 1914-1918 et en 1939-1945, se reproduisent. Le rôle de l’ONU dans lecombat des peuples colonisés pour leur émancipa-tion, son action auprès des réfugiés, la productiond’un droit international, la négociation de traitésmultilatéraux sur le désarmement, la réunion degrandes conférences faisant date dans tous lesdomaines, les opérations de maintien ou de conso-lidation de la paix déterminent l’utilité de cetteunion de nations souveraines.

Pourtant, l’ONU est aujourd’hui menacée de l’in-térieur et de l’extérieur. L’organisation n’a prati-quement pas évolué depuis sa fondation. Or lemonde, lui, ne ressemble pas à celui de l’immédiataprès-guerre. Libérés de l’emprise coloniale, denombreux pays ont pu atteindre des niveaux dedéveloppement importants et de 50 États membresen 1945, on est passé aujourd’hui à 193. La com-position du Conseil de sécurité (avec d’une part,des membres élus et d’autre part, des membres per-manents qui disposent d’un droit de veto) n’a pasvarié. Toutes les tentatives de réforme ont échouédu fait, notamment, des États-Unis qui voudraientimposer un droit de vote en relation avec la contri-bution financière de chaque pays, la leur étant laplus importante. Au lieu d’un État–une voix, onaurait ainsi un dollar–une voix !

Dès sa fondation, l’ONU, dont le principe fonda-teur repose sur le multilatéralisme, a été bafouée.De la guerre de Corée en 1950 à celles d’aujour-d’hui, en Irak et en Syrie, en Ukraine, lesAméricains ont toujours placé leurs intérêts au-des-sus des règles et principes de l’ONU. « Lorsqueles intérêts de notre sécurité nationale seront enjeu, nous agirons avec les autres si possible, maisseuls s’il le faut ; nous utiliserons la diplomatiequand nous pourrons, mais la force s’il le faut »,déclarait en 1994 l’ambassadeur américain auprèsdes Nations Unies. Les actes ont suivi ! Irak,Afghanistan, Yougoslavie …Le moindre des paradoxes de l’ONU n’est-il pasqu’elle ait été à l’initiative de la création de l’Étatd’Israël en 1948 et que celui-ci n’ait, depuis, jamaisrespecté aucune résolution internationale concer-nant l’évacuation des territoires occupés et la créa-tion, au côté de l’État hébreu, d’un État palesti-nien ?Il est urgent de refonder aujourd’hui l’ONU sur labase de ses principes fondateurs, en prenant encompte l’évolution du monde et les nouveaux dan-gers qui le guettent en matière de développement,de santé, d’environnement et de sécurité.

28 mai 2015

Les migrantsen France

Évacuation de deux campsde migrants à Calais et, aupetit matin, d'un campementde 350 migrants installéssous le métro La Chapelle.

Quelle conceptionde la solidarité ?

« ... Les valeurs qu’affirme le programme du Conseil National de la Résistance, la liberté, la justicesociale, la solidarité, la tolé-rance sont les seules suscepti-bles de constituer le socled’une République citoyenneet sociale. »

Robert ChambeironConseil National de la Résistance

Deux déportées résistantes entrent au PanthéonAvec elles, la fraternité humaine,l’audace, la dignité

Re fonder l ’ONU

HOMMAGES - FÉLICITATIONSJean Lescot (p.2), François Maspero (p.12) - Max Weinstein (p.8)

MONDEIsraël : Le prix d’une victoire D. Vidal p.3Le rapport de « Breaking the silence » NM p.3Mumia enchaîné sur son lit d’hôpital p.4Communiqué « Trop c’est trop » LDH p.3

FRANCE / ÉCONOMIELe TTIP - Qui gagne quoi ? (fin) J. Lewkowicz p.5La politique du PIR N. Mokobodzki p.4

HISTOIRE / MÉMOIRE L’agenda de la mémoire p.2Victoire contre le nazisme

Hambourg - La paix : quoi d’autre ? p.6« fin de la Seconde Guerre mondiale » M. Cling p.6Marceline Loridan-Ivens… lettre au père F. Mathieu p.6

Journée nationale de la Résistance Fête de la Résistance à Paris p.7Geneviève de Gaulle Anthonioz H. Amblard p.8Germaine Tillion H. Amblard p.9De l’ostracisme ou révisionnisme H. Levart p.7

BILLET D’HUMEUR / CLIN D’ŒILLe paladin de la liberté J. Franck p.5Le « maux le plus long » N.Malviale p.5

CULTURE / LITTÉRATURE« Moïse fragile » de J.-C. Attias S. Grossvak p.4« Olga » de F. Morais NM p.4Le curieux M. Schulz G-G. Lemaire p.12

CinémaLa chronique de... L. Laufer p.9« Le fils de Saül », « à voir » p.9

ThéâtreEn compagnie de Sarah Mesguich… B. Courraud p.10« Des roses et du jasmin » p.10La chronique de ... S. Endewelt p.11

Bernard Frederick

voir pages 6 à 9

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 327 - Juin-Juillet-Août 2015 - 33e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

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Vie des associations

6 juin Débarquement allié en Normandie(opération Neptune)

7 juin Cérémonie, organisée par l’Union des Engagés Volontaires et AnciensCombattants Juifs, leurs Enfants et Amis, au cimetière parisien de Bagneux : Hommageaux combattants juifs étrangers engagés volontaires (1939-1945) morts pour la France. 8 juin 1945 Mort de Robert Desnos à Theresienstadt20 juin 1944 Jean Zay était assassiné par la milice, à Molles, il y a 71 ans (lire“Jean Zay au Panthéon” de N. Mokobodzki in PNM n° 325 d’avril 2015, page 8)24 juin 1945 Adoption de la Charte des Nations Unies à San Francisco (entrée envigueur le 25 octobre)14 juillet 1789 Prise de la Bastille16-17 juillet 1942 Rafle du Vel’ d’Hiv’6,9 août 1945 B o m b a r d e m e n t sd’Hiroshima et Nagasaki25 août 1944 Libération de Paris Une longue his-

toire… Le 1er

juillet 1946, l’UJREemménage au 14rue de Paradis…Quand en décembre2010 la ville deParis achève la

réhabilitation de l’immeuble, l’UJRE s’ins-talle dans des locaux rénovés. En avril sui-vant, elle marque l’événement en célébrantles combattants héroïques du soulèvementdu ghetto de Varsovie. Jean Lescot ouvrealors l’après-midi par la lecture chaleureusedu beau poème d’Aragon, La Rose et leRéséda. Émotion, ce même jour, Jean rendaussi hommage à Daniel Darès qui venaitde nous quitter. Daniel qui militait pour l’é-dification de l’Espace Mémoire du « 14 »,« en souvenir du premier jour où nousavons ouvert la porte du « 14 » pour qu’el-le ne se referme jamais »…Ce 29 avril 2015, c’est hélas Jean qui nousquitte. Jean Lescot, le comédien, le pèreaussi de David et Micha… Les Amis de la

Disparition de l’avocat Francis Jacob

Francis Jacob, notre ami, si attaché à notre PNM, nous a quittés le 17 mai. Il fut l’undes dirigeants de la Ligue des Droits de l’Homme (pour laquelle il se porta partie

civile aux procès de Touvier, Papon et Barbie), le premier président du Syndicat desavocats de France, et notre conseil pour des problèmes délicats à résoudre. Il présidaaussi le Comité pour la démocratie au Paraguay et l’Association des amis de laRépublique arabe sahraouie démocratique. Il est de ceux qui manquent. L’UJRE etla PNM adressent leurs plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches.

La PNM apprend le décès, survenu le 31 mai,d’Annette Endewelt née Kalinsky.

Elle a été, à l’âge de 16 ans, agent de liaison dans les FTP-MOI (Paris). Sa mèreMarie Kalinsky était également dans la MOI. Une partie de sa famille dont son pèreet son grand-père maternel, ont été internés à Drancy puis déportés à Auschwitz. Ilsne sont pas revenus. Dans cette famille très unie, ce fut, comme pour beaucoup d’au-tres familles, un cataclysme qui l’a toujours poursuivie.A sa fille, Simone, notre collaboratrice, à ses enfants et petits-enfants, à tous ses pro-ches, nos condoléances les plus affectueuses. PNM

Notre ami Michel Sablic nous a quittés il y a un an. Il reste dans nos pensées.Affection à toute sa famille. Les copains.

L A P R E S S E N O U V E L L E

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U.J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

CoordinationN. Mokobodzki, T. Alman

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki, Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde Alman

Rédaction – Administration14, rue de Paradis

75010 PARISTel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

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2 PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015

immédiatement mis fin par tous moyens,qu'ils soient judiciaires ou de mobilisationcitoyenne. Il est du devoir de tout citoyenresponsable de veiller au respect de la loi.Or ces pratiques sont contraires à la loi du 6janvier 1978, relative à l'informatique, auxfichiers et aux libertés, qui interdit la collec-te ou le traitement de données à caractèrepersonnel, faisant apparaître, directementou indirectement, entre autres, les originesraciales ou ethniques. C'est pourquoi nous appelons tous lescitoyens épris de démocratie, soucieux defaire vivre l'égalité dans la société françai-se, à exprimer publiquement leur indigna-tion et protestation sous toutes les formes àleur disposition.

Le RAJEL, Réseau des AssociationsJuives Européennes Laïques, app-

rend, avec effarement, que le maire d'unegrande ville française affirme avoir cons-titué des listes d'enfants fréquentant l'éco-le publique en vue de les distinguer selonl'origine religieuse.La France a déjà connu des pratiques com-parables. C'était l'époque où les plus hautesautorités de l'État s'étaient vautrées dans latrahison nationale au profit de l'occupantallemand. Nous et nos familles en avons suffisammentsubi les conséquences pour que nous puis-sions rester indifférents devant ce qui consti-tue, en soi, une ignominie et dont les consé-quences pourraient être tragiques s'il n'y était

Les adhérents se sont réunis au« 14 », deux ans après la précéden-

te assemblée générale et dix après lacréation de l’association. Après présen-tation du rapport d’activité par la prési-dente, et du bilan financier par leTrésorier, les membres du Bureau ontchacun précisé l’état des divers projets :Musée virtuel, archives, film, lettre tri-mestrielle, relations avec le Musée de laRésistance nationale de Champigny,projet scientifique : tout fut abordé quimontra que les projets de l’associationsont en bonne voie… et se poursuiventactivement. Le Conseil d’administra-tion (6 nouveaux) ainsi que le Bureau (1 nouveau) de l’association se sontbien élargis.

Indignation suite au fichage des enfants musulmans à Béziers

30 maiAssemblée Générale

La 11e édition du Festival des Cultures Juives se tiendra du 7 au 23 juin 2015.Signalons particulièrement, dimanche 21 juin, la journée festive où la

Liberté sera mise à l’honneur. Durant cette journée associative organisée parYiddish Sans Frontière, vous pourrez comme l’an passé retrouver au Carreau duTemple* les équipes qui font vivre l’UJRE et sa Presse Nouvelle Magazine, cel-les qui militent pour la Mémoire des Résistants Juifs de la M.O.I. ainsi que lesAmis de la Commission Centrale de l’Enfance. Fête de la Musique oblige, lajournée se terminera sous les rythmes de la célèbre Fanfare klezmer d’Ile-de-France. PNM * 4, rue Eugène Spuller, Paris 3e (Entrée libre)

Communiqué

RÉSEAU DESASSOCIATIONSJUIVESEUROPÉENNESLAÏQUES

l’ est membre du

Carnet - Décès

CCE ont bien rendu compte de ses activitésdans leur dernière lettre*. Comme tantd’autres, Jean, tout comme Daniel, étaientaussi les enfants de l’UJRE, de la CCE del’immédiat après-guerre. Jean Wajsbrot va au « patro » du 11e (lesJeunes bâtisseurs et leur foulard vert) : on ydessine, on danse, on chante, on monte deschœurs parlés, des spectacles, on apprend leyiddish avec Mme Slovès, on sort au Boisde Vincennes où l’on joue au ballon et oùl’on retrouve alors des copains des autrespatros, des amitiés indélébiles se nouent…À la rentrée scolaire 1952, c’est décidé : lesgrands, âgés de plus de 13 ans n’iront plusau patro mais seront regroupés dansl’Amicale des Jeunes bâtisseurs. Ainsi, tousles mercredis soirs, veille du jour de congé,fini l’encadrement strict. Un « moniteur »,David, emmène les jeunes au théâtre (tou-tes les pièces du TNP, et d’autres encore), àl’Opéra (Carmen à l’Opéra-Comique entreautres), au cinéma (tous les classiques),organise des débats, ébauche une chorale…Dans ce creuset se vit une superbe adoles-cence, de larges groupes d’affinités secréent. Au printemps, ces ados s’organisentpour aller camper, pour aller à d’autres

Agenda de la Mémoire

Félicitations à nos amis...- Pierre Tartakowsky élu président d'hon-neur de la Ligue des Droits de l’Homme

- Max Weinstein médaillé de la Légiond’honneur au titre de la Résistance (voir p. 8)

spectacles encore (Brassens à Pacra entresautres) : La maman de « Jeannot » a unemaison à Bry-sur-Marne : les ados y pas-sent quelques journées merveilleuses.Fin 1954, quelques-uns partent encore en «colo », les autres partent camper. Ces conni-vences se prolongent. Les copains de « labande », comme ils disaient, entrent dans lavie, s’éparpillent, sans jamais être très loinles uns des autres. L’ancrage est fort et semaintient.Jeannot commence à travailler commeaide-comptable, ce qui lui permet de sepayer des cours de théâtre, sa passion.Tenace, il devient un comédien reconnusous le nom de Jean Lescot.David et Micha Lescot, dignes fils deJeannot, sont passionnés de théâtre et yréussissent particulièrement bien. Jean les aenvoyés en colo de la CCE. David a renduhommage à cette dernière dans sa pièce(qui a eu un grand succès) : La Commissioncentrale de l’enfance. Un héritage, une cul-ture se transmettent. Jeannot est parti, mais il reste dans noscœurs : c’était « une belle personne », « a mentsch ».

Jean LescotUne belle personne

Festivités

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Moyen-Orient

PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015 3

nies » destinés à rester sous souveraine-té israélienne… Cet exercice suffira-t-il à apaiserBarack Obama et ses homologueseuropéens ? Il est trop tôt pour le dire.Certes, le premier semble prêt à cer-tains accommodements avec Israël,afin de lui faire avaler la couleuvre del’accord qui se dessine avec l’Iran.C’est ainsi que Washington vient debloquer la convocation pour 2016d’une conférence internationale sur ladénucléarisation du Proche-Orient.Quant aux seconds, leur audace n’ajamais été plus loin que les « Lignesdirectrices » mises en œuvre parl’Union européenne depuis janvier2014 pour interdire l’importation deproduits des colonies juives deCisjordanie sous étiquette israélienne.Reste que l’Organisation de libérationde la Palestine (OLP) dispose désor-mais d’arguments convaincants pouraffirmer qu’il n’y a rien à attendre dunouveau gouvernement israélien. Plusque jamais, elle peut notamment appe-ler à l’adoption par le Conseil de sécu-rité d’une résolution permettant d’enca-drer de futures négociations : en fixantles frontières de l’État palestinien (cel-les du 4 juin 1967), sa capitale(Jérusalem-Est) ainsi qu’un délai maxi-mum pour son établissement (deuxans). Si la première tentative a échouéen décembre 2014, la seconde, cetteannée, a de meilleures chances de suc-cès : trois, voire quatre pays réputés « pro-palestiniens » sont entrés auConseil de sécurité. Et la France tra-vaille, cette fois, à la rédaction du texte,avec la volonté de convaincre les États-Unis de ne pas y opposer leur veto…En clair, l’objectif de l’OLP et de sesalliés consiste à inverser la logique desnégociations. Avec Oslo, celle-ci sefocalisait sur les accords intérimaires,mais renvoyait aux calendes les dos-siers fondamentaux. Avec la résolutiondu Conseil de sécurité, il s’agirait dedonner la priorité à ces derniers, dontdeux au moins seraient tranchés d’a-vance. Ambitieuse, cette démarches’appuie sur les acquis des derniersmois : l’accroissement du nombre dereconnaissances bilatérales de l’État dePalestine (136, avec la Suède et leVatican), la douzaine de reconnaissan-ces parlementaires, mais aussi l’adhé-sion à la Cour pénale internationale(CPI) et l’enquête qui s’annonce sur lescrimes de guerre perpétrés à Gazadurant l’été 2014.Ces acquis ne tombent évidemment pasdu ciel. Si les Parlements, les gouverne-ments et les représentants aux NationsUnies avancent, c’est qu’ils mesurent lacolère de l’opinion internationale faceau blocage arrogant de BenyaminNetanyahou. Jamais sans doute lacondamnation des dirigeants israéliensn’a été aussi sévère. Et l’essor de la campagne Boycott-désinvestissement-sanctions n’y estpas pour rien…

* Journaliste et historien. Vient de dirigerPalestine : le jeu des puissants,

Éd. Sindbad Actes Sud, 2014

Sur quelle page Facebook était-ilécrit qu’il faut « éliminer les mèresde terroristes », les enfants étant

qualifiés, eux, de « petits serpents » ?Sur celle d’Ayelet Shaked, devenueministre israélienne de la Justice. Quis’est vanté d’avoir « tué beaucoupd’Arabes » et de n’avoir « aucun pro-blème avec ça » ? Natali Bennet, leaderdu parti Foyer juif et ministre de l’Éco-nomie. Qui estime que « cette terre estla nôtre, toute cette terre. Nous n’avonspas à nous excuser d’être venus ici » ?Tzipi Hotovely, vice-ministre desAffaires étrangères. Qui a prétenduinterdire aux Palestiniens venant tra-vailler en Israël de prendre les mêmesbus que les colons juifs ? MosheYaalon, reconduit au poste de ministrede La Défense.Ces citations en témoignent : le gouver-nement que vient de former BenyaminNetanyahou est le plus à droite de l’his-toire d’Israël. Le Premier ministre, quiattendait des élections anticipées du 17mars « une majorité plus stable », seretrouve avec une coalition ne disposantque d’une voix de majorité à la Knesset! Amère victoire pour celui qui, à défautde faire progresser sensiblement la droi-te, avait réussi à siphonner l’électorat deses alliés et concurrents : il est désor-mais à la merci du Foyer juif, du Shas,du Judaïsme unifié de la Torah et deKoulanou...Mais cette vulnérabilité au chantage desultra-orthodoxes et des ultranationalis-tes n’est pas le seul prix payé parNetanyahou. Son nouveau gouverne-ment risque aussi d’accentuer l’isole-ment de l’État d’Israël dans l’arèneinternationale. Ni les États-Unis nil’Union européenne n’ont caché leurirritation devant la campagne menée par« Bibi » et face au choix de ses minis-tres. D’où le curieux slalom du Premierministre sur la question de l’État pales-tinien. À l’avant-veille du dernier scru-tin, il promettait aux électeurs : « Si jesuis réélu, il n’y aura pas d’État pales-tinien. » Ce faisant, il reniait l’engage-ment pris en 2009, du bout des lèvres,d’accepter la perspective des deuxÉtats. Mais cette volte-face ridiculisaitles metteurs en scène du « processus depaix ». Dès le 19 mars, Netanyahouentamait donc un rétropédalage claire-ment destiné à Washington : « Je ne suisrevenu sur aucune chose que j’ai ditedans mon discours il y a six ans, lorsquej’avais appelé à une solution avec unÉtat palestinien démilitarisé, qui recon-naît l’État hébreu. J’ai simplement ditque, aujourd’hui, les conditions pourcela ne sont pas réunies. » Et,accueillant le 20 mai FedericaMogherini, la Haute représentante del’Union européenne, « Bibi » précisait :« Nous voulons une paix qui mette unefois pour toutes fin au conflit (…). Je ne suis pas favorable à une solutionà un État ; je ne pense pas que ce soitune solution, je soutiens la vision dedeux États pour deux peuples. » Enfin,le 25 mai, il se déclarait prêt à négociersur « les frontières des blocs de colo-

Israël : le prix d’une victoirepar Dominique Vidal*

Ayant accueilli des Juifs victimes del’antisémitisme et des survivants du

génocide perpétré par les nazis, l’Étatd’Israël a le droit de vivre en paix et de voirses frontières reconnues. A cet égard, nousrestons fidèles à la double exigence affir-mée par Pierre Vidal-Naquet au lendemainde la guerre de 1967 : défendre l’existencede cet État mais exiger aussi de lui l’éva-cuation des territoires conquis alors afinque puisse s’y établir un État palestinien.Hélas, les élections législatives de mars2015 et la formation du gouvernement quien résulte nous éloignent encore davantagede cette issue. En effet, elles ont donné lavictoire à Benjamin Netanyahou, lequel adéclaré ouvertement son refus d’un telÉtat. Forts de leur supériorité militaire, lesgouvernants actuels de l’État d’Israël ris-quent donc de rendre impossible toutecréation d’un État pour le peuple palesti-nien. Comme on peut le constater, la pour-suite de la colonisation de l’ensemble deJérusalem et de la Cisjordanie ainsi que leblocus aérien, maritime et terrestre deGaza, condamnent sa population civile, aumieux à survivre, au pire à mourir parmiles ruines.Il faut donc des sanctions et des pressionsinternationales à l’encontre de cette poli-tique. Nous sommes préoccupés, enFrance, par la montée de l’antisémitisme etdes au-tres formes de racisme et nous lescombattons. Mais nous nous élevons aussi,avec force, contre tous ceux qui se serventde l’argument de l’antisémitisme pourrefuser de critiquer la politique désastreusemenée par Benjamin Netanyahou.

Breaking the silence (BTS) vient de publier, dans un rapport de 214 pages, 60 témoignages sur l’opération Bordure protectrice de l’été dernier et conclut à unedégradation préoccupante du comportement de l’armée qui se veut un modèle d’éthique.

A propos du dernier rapport de l’ONGisraélienne “Breaking the silence”

ges verbaux mais aussi d’images, BTS aorganisé des tournées d’information enIsraël, en Europe et aux États-Unis. En2009, elle a publié un recueil de 54témoignages d’anciens combattantstémoignant, entre autres, que des obus auphosphore avaient été utilisés qui avaientatteint la population civile. En 2010, ellea publié des témoignages de combattan-tes sur l’humiliation systématique desPalestiniens, les actes de violence à l’en-contre de la population civile, y comprisdes enfants, de pillages et autres exac-tions. A ceux qui invoquent l’anonymatdes témoins pour contester la valeur destémoignages, BTS objecte que plus de 70déclarants se sont identifiés.La seule lecture des témoignages soulèvele cœur. Le travail est nécessaire. Ildémontre, s’il en était besoin, que la guer-re est inhumaine. Alors : la paix ? NM

Fondée en 2004 et basée à Jérusalem-Ouest, Breaking the silence est une

ONG israélienne qui s’est donné pourobjectif de recueillir et publier les témoi-gnages de militaires ou de réservistes surles faits et méfaits dont ils ont été témoinslors de leurs opérations dans lesTerritoires occupés « pour briser le silen-ce et en finir avec les tabous sur le com-portement de soldats israéliens dans lesTerritoires », le but étant d’éclairer l’opi-nion israélienne : « Soldiers speak out ».Elle bénéficie de fonds privés mais ausside fonds publics alloués entre autres, parIsraël, mais aussi par l’Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni , ce qui ne va passans susciter les critiques des autoritésisraéliennes, au demeurant peu portées àenquêter sur les exactions signalées.L’initiative est née des constats faits pen-dant la Deuxième Intifada (2000-2005).Forte de plusieurs centaines de témoigna-

Deux pacifistes israéliens, Eitan Bronstein etEléonore Merza, reçoivent des menaces de mort.

C’était le mardi 6 janvier. L’UJRE avait fait salle comble en recevant EitanBronstein, fondateur de l’association israélienne Zochrot et l’anthropologueEléonore Merza avec laquelle il prépare un livre sur le thème de la Naqba. Nousles assurons de notre amitié, de notre entière solidarité.

“Trop c’est trop” COMBATTRE L’ANTISÉMITISME ET SANCTIONNER LA POLITIQUE ISRAÉLIENNE

Les Israéliens désireux de mettre en œuvreune autre politique ont besoin de soutien etpensent que seules des sanctions prises àl’encontre de ce gouvernement peuventêtre efficaces afin que soient reconnues leslégitimes aspirations des Palestiniens àvivre en paix au sein de frontières sûres.Seule une forte campagne d’opinion enFrance et en Europe peut permettre decontrer cette politique. Et c’est pourquoi,nous demandons que la France et tous lesEtats européens reconnaissent l’Etat de laPalestine, comme vient de le faire la Suède,qu’ils votent pour son entrée comme mem-bre à part entière des Nations Unies et enfinqu’ils s’engagent à faire cesser toute vented’armes, coopération militaire ou transfertde technologie susceptible d’un usage mili-taire vers Israël et à suspendre l’accord decoopération de l’Union européenne avecIsraël. Nous demandons aussi que cessetoute poursuite contre les militants quiappelleraient au boycott des produits israé-liens, même si certains d’entre nous ne sontpas favorables à un tel boycott. « Trop,c’est trop ! », c’était le cri que plusieursd’entre nous avions lancé en décembre2001, avec Madeleine Rebérioux, PierreVidal-Naquet et Stéphane Hessel, lorsquedes coups dramatiques étaient portés con-tre Yasser Arafat et l’Autorité palestinienneà Ramallah. Dans la continuité de leuraction, nous appelons à une campagne audouble mot d’ordre : « Combattons l’anti-sémitisme ! Soutenons ceux qui s’opposenten Israël à la politique de ce gouverne-ment, sur lequel des pressions sontindispensables pour qu’on sorte de cetteimpasse ! »Paris, 13 mai 2015

Communiqué

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Un livre à dévorer en vacances. Il se lit comme unroman. Et pourtant, tout y est rigoureusementexact. Or donc, née à Munich, en 1908, dans une

famille de la bourgeoisie juive progressiste, OlgaBenario, mourut en Allemagne, en 1942, dans un hameauau bord d’un lac. Mais entre temps…

Fernando Morais, qui narre les aventures d’Olga, fut suc-cessivement parlementaire, secrétaire à la Culture puis àl’Education dans l’Etat de Sao Paulo. C’est aussi un jour-naliste d’investigation et de talent. On lui doit maintesbiographies – dont celle de l’écrivain Paulo Coelho* et,tout récemment, paru en 2012, Os ultimos soldados daguerra fria (Les derniers soldats de la guerre froide), donton regrette qu’il ne soit pas encore traduit en français.

Olga** fascine d’emblée par son appétit de vivre, sonintelligence, son audace. Elle voudrait apprendre, lutter,aimer, monter à cheval, piloter. Elle le fera. Jeune militan-te, elle est bientôt à Moscou où, en 1934, l’InternationaleCommuniste la charge d’accompagner Luis CarlosPrestes, le futur dirigeant du Parti Communiste du Brésil,

dont Jorge Amado retraça la longue marche dans Le che-valier de l’espérance*** . Ils combattront ensembleGetulio Vargas qui la livrera, enceinte, à la Gestapo. Aubord du lac, sous les peupliers, c’était le camp deBemburg. Là, elle rendra le moral aux autres femmes.Seule son exécution-assassinat viendra à bout de soninvincible courage.

Le livre fut un succès. Un film en a été tiré. Il ne manqueplus qu’une BD pour faire découvrir aux plus jeunes lavie exaltante d’une femme magnifique.

NMDe Fernando Morais :

* Le magicien de la lumière – l’extraordinaire histoire del’écrivain Paulo Coelho, J’ai Lu, Paris, 2010** Olga, paru au Brésil en 1985, traduit duportugais par Julia et Georges Soria en 1990,réédité en janvier 2015, Editions Chandeigne*** Le chevalier de l’espérance, traduit dubrésilien par Julia et Georges Soria, Les édi-teurs français réunis, 1949

« Moïse fragile » de Jean-Christophe Attiaslu par Serge Grossvak

« Olga » de Fernando Moraïs

« Moïse fragile »*. Quel Moïse que ceMoïse, droit sorti des méandres infinisde l’hébreu des temps bibliques ! Uneleçon sidérante des interprétations pos-sibles, infinies, sans l’ombre d’une tri-cherie : les références sont là, les phra-ses sont livrées aux angles des regards.Et ce qui n’est pas le moins étonnantest que cette lecture moderne est aisée,plaisante, passionnante ! Y comprispour un athée s’étant tenu très prudem-ment (trop) loin des « bondieuseries »de toutes obédiences.

Ce livre nous parle de Liberté ! Maisavant de venir à ce ressort fondamen-tal, il faut signaler les multiples bellesdimensions livrées au passage :

quelques pas dans le Pentateuque,quelques autres avec les grands maî-tres talmudistes, quelques découvertesde la complexité des écritures ancien-nes et puis une petite vibration en soipour approcher le regard des croyants.Revenons à l’essentiel : Moïse liberté.

Ce Moïse retrouvé par JC Attias estaux antipodes du géant brandissant delourdes Tables de la Loi, prêt à vous lesasséner sur la tête. Lui doute, se trom-pe, a une dimension féminine, il s’ex-prime avec les difficultés du bègue...puis il porte la paix, à l’immense diffé-rence de Josué. Quel magnifique sym-bole que celui que livre la page 197 : lebesoin de parole et de spiritualité, en

opposition à la brutalité du geste frap-pant le rocher.

« Derrière » ce Moïse se niche uneréflexion sur l’identité juive. Les liensentre l’auteur et Esther Benbassa n’é-tant pas secrets, ce retour sur le mythefondateur ne constitue-t-il pas un élé-ment de réponse à l’ouvrage de sa com-pagne Être juif après Gaza** ?

L’auteur, médiéviste, nous propose unretour aux sources pour une identitéjuive ouverte et fraternelle.

* Jean-Christophe Attias, Moïsefragile, Éd. Alma, Paris, 2015, 280p., 22 €

** Esther Benbassa, Être juif aprèsGaza, CNRS Éd., 2009, 73 p., 4 €

dans un statut analogue à celui des indi-gènes dans les anciennes colonies »,victimes d’une marginalisation poli-tique, économique (discrimination parrapport à l’embauche, à l’emploi, aulogement, à l’éducation), policière. Nulne peut nier l’exclusion ainsi dénoncée.

Le PIR dit « lutter contre toutes les for-mes de domination impériale, colonialeet sioniste qui fondent la suprématieblanche à l’échelle internationale ».Notons au passage qu’il existe desmusulmans blancs, soit dit sans vexerpersonne. Voilà bien du racisme, à l’en-vers, certes, mais du racisme.Résumons : le Noir a été opprimé par leBlanc. Il a droit à sa revanche et veutlégitimement opprimer le Blanc… Lacommunautarisation, l’ethnicisationaboutissent inévitablement à la haine et

à la guerre, ce n’est plus à démontrer.Cela s’appelle depuis toujours diviserpour régner. Cela a fait ses preuves auRwanda…

N’oublions pas le mot « Parti ». Le PIRa également des visées électorales. « LeParti des indigènes de la républiquesera présent sur tous les terrains del’action, y compris électoral. »Le PIR n’est pas le premier à avoirdénoncé la « mainmise » des juifs sur lapolitique de la France, voire du monde.D’autres, de sinistre mémoire, l’ont faitavant lui. L’Action française avantPétain. Mais ce n’est pas à la seulelumière du passé qu’il faut l’analyser.Quant aux injustices actuelles, il est per-mis de se demander au nom de quellelogique il serait réservé aux seules victi-mes de l’injustice, de l’exclusion des

La Journée mondiale de lutte con-tre le racisme fut le 21 mars, àParis, l'occasion de dénoncer l'is-

lamophobie et c'était nécessaire. L'unedes organisations qui participait à lamanifestation, le PIR, a cru devoir parlerde "philosémitisme d’État", adoptantune attitude dont le moins qu'on puissedire est qu'elle n'est pas exempte deracisme ! Ce slogan fait écho à un autre,de sinistre mémoire : « Les juifs sontpartout ». Aggravé du fait que l’État lesaimerait.

Considéré comme un groupuscule négli-geable, le Parti des Indigènes de laRépublique se présente comme une« organisation autonome » (entendezhostile aux autres partis et associations)qui entend parler au nom « des Noirs,des Arabes et des musulmans cantonnés

autres, de la combattre ? Dreyfus agagné grâce à la mobilisation de nonjuifs. Ce sont des Blancs (pour emprun-ter la terminologie du PIR) qui ont votél’abolition de l’esclavage. Très exacte-ment, des républicains, puisque le PIRinvoque la République.

C’est tous ensemble que nous devons lut-ter contre l’injustice et ses causes, sansexclusion, y compris d’ailleurs pour queles immigrés acquièrent le droit de vote.

Quant au reste, le PIR n’est pas plusfondé à parler au nom des Noirs, desArabes et des musulmans (au nom de ladiscrimination dont ils sont victimes)que le Crif n’est fondé à parler au nomdes juifs de France (au nom de l’antisé-mitisme) ou le Front National au nomdes « Français depuis mille ans ».

Nicole Mokobodzki

À lire

Mumia enchaînésur son lit d’hôpital !

Mumia Abu-Jamal avait besoind’être hospitalisé pour être

soigné. L’opinion mondiale a apprisavec stupeur que, durant son hospi-talisation, il avait été enchaîné à sonlit. Dans un pays qui se veut lechampion des droits de l’homme etde la démocratie.

Entendons-nous, la France n’a pasde leçons à donner quant aux condi-tions de détention des prisonniers.Encore moins de la façon dont ilssont soignés quand ils sont malades.

Il est pourtant impensable qu’enFrance un prisonnier soit enchaîné àson lit. Nous avons visiblement desprogrès à faire dans la voie d’unedémocratie à l’américaine…

Antisémitisme

La politique du PIR et le « philosémitisme d’État »

Jean-Christophe Attias obtient

le Goncourt de la biographie !

Alerte générale ! SonnezChofars ! Qu’on se le dise :Moïse était bègue. Pire, il était

à dimension humaine ! Et ce Moïse là,tout sorti du Pentateuque qu’il soit,

vaut le détour. Le livrese dévore.

En cette période trou-ble, suant déjà la guer-re, cette réapparition dece maitre fondateur del’identité juive consti-

tue un ballon d’oxygène (événementmythique, bien sûr, si vous êtes athée).C’est du Sinaï des textes anciens qu’ilnous revient, plus moderne que jamais,dans le livre de Jean-Christophe Attias

4 PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015

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Dans un précédent article, nous avons exposé les argu-ments généraux utilisés en faveur d’un développe-ment des échanges entre nations pour justifier le par-

tenariat transatlantique. Ils se résument à montrer l’intérêtd’une division internationale du travail, s’agissant de mar-chandises différentes, ou à décrire l’intérêt mutuel des offreurs et des deman-deurs d’échange lorsque les produits échangés sont semblables. Il reste àapprécier la pertinence de ces arguments et les mesures de coopération inter-nationale envisageables, alternatives au TTIP.Concernant la pertinence, la méthode a des défauts. D’abord, on évoque deséchanges de biens supposés, implicitement, être produits par des unités dontle contenu social indiffère. On néglige ainsi le fait que ces “unités” sont desentreprises comportant des salariés, et des propriétaires des moyens de pro-duction, dont les intérêts ne coincident pas. Ensuite, on suppose que la concur-rence régnant entre ces unités s’opère à « armes égales ». Or il y a soit des dif-férences de taille, soit d’accès privilégiés à des ressources. Enfin, il faut noterque les raisonnements en faveur de la libéralisation des échanges s’effectuenttoujours en ne retenant que deux aspects : les quantités échangées et les prix.Les aspects qualitatifs sont négligés ou retenus seulement sous la forme de ladifférenciation des biens, ce qui est insuffisant.De fait, on observera d’abord que la mise en concurrence mondiale des échan-ges a pour conséquence de tirer vers le bas la rémunération des salariés et d’a-baisser les normes sanitaires de leur travail. La liberté du commerce et lesnouveaux moyens de transport et de communication ont permis aux entrepri-ses transnationales (ETN) d’organiser leur production au niveau mondial.Celles-ci ne conservent qu’un petit nombre de salariés très qualifiés et sous-traitent la production dans les pays à bas salaires ; ainsi les emplois peu qua-lifiés des pays développés se restreignent. Le rapport de force entre capital ettravail s’établit, alors, au niveau mondial ce qui permet de remettre en causeles salaires et conditions de travail les plus avantageux des pays développés.Mais ce faisant, on aboutit à un déficit de demande de long terme qui se résol-vait, avant la crise, par une croissance de l’endettement privé auquel, depuisla crise, s’est substitué un endettement public. La stratégie européenne d’aus-térité est justifiée par une illusion. Celle selon laquelle chaque pays peut trou-ver des débouchés à l’extérieur en bridant sa demande intérieure. Or les excé-dents* commerciaux des uns sont les déficits des autres. Un développementéconomique sain doit, au contraire, être fondé sur la croissance de la deman-de interne.La dérégulation incite également à la recherche des territoires pratiquant lemoins-disant fiscal, mettant en cause la possibilité d’équipements publics et laprise en compte des normes écologiques et favorisant, au contraire, la promo-tion de produits innovants de faible durée de vie.De plus, la prise en compte des aspects qualitatifs amène à constater que lesETN cherchent à obtenir que soient inscrites dans le projet d’accord de TTIPla possibilité d’introduire, par exemple, des OGM sans autorisation étatique etsans étiquetage.

Il est vrai que les partisans de l’accord font miroiter le fait queles ETN européennes pourront être candidates aux appels d’off-res des collectivités publiques US. Mais il s’agit là d’un miroiraux alouettes car cette possibilité est, selon les spécialistes, pra-tiquement illusoire.

En fait, il s’agit d’imposer dans les échanges mondiaux des normes d’origineUS ayant force de loi, sans que les peuples aient leur mot à dire à ce sujet, cecipar le biais d’instances d’arbitrage entre les États et les ETN, devant lesquel-les les normes de précaution décidées par les États pourront être contestées aunom de la perte de rentabilité qui résulterait de ces normes pour les ETN, alorsque les bénéfices à attendre des normes sont systématiquement sous-évaluéspar ces instances.L’intérêt commun des peuples suppose qu’aucun ne tombe dans la misère.Cela nécessite des processus coopératifs entre eux. La protection des indus-tries vulnérables est légitime. Mais les salariés doivent bénéficier de la crois-sance et la protection sociale se développer dans le monde entier. Il ne s’agitpas de refuser toute division internationale du travail. Mais d’obtenir celle-cipar des accords prévoyant des prix garantis sur le long terme plutôt que parune mise en concurrence de tous les jours. Dans les pays européens, certainssecteurs (services publics, protection sociale, éducation ...) doivent être pré-servés de la concurrence internationale et le droit de conserver des normessanitaires et environnementales doit être sauvegardé. * Différence entre montants des importations et exportations qualifié de déficit si les premières sontles plus élevées et d’excédent si ce sont les secondes les plus importantes.

NDLR Pour approfondir : Henri Sterdyniak, Libre-échange : Faut il ouvrir encore plus ?, éd. Alternatives économiques, Hors-série n° 104, février 2015.

Économie

S’il existe un vrai défenseur de toutes les libertés, un chevalier de la démo-cratie, c’est bien Robert Ménard. Ce combattant désintéressé ne suppor-

te aucune atteinte à ce qu’il juge attentatoire au libre exercice des droits del’Homme. Certains droits de certains hommes.

Jusqu’en septembre 2008, il était le patron de Reporters sans frontières.Rappel historique : en 1983, Reagan fondait le NED (National Endowment forDemocracy) dont le but est la promotion et le financement de toute actionpolitique ou médiatique s’inscrivant dans le prolongement des opérationsconfidentielles de la CIA. En 1985, le NED portait sur les fonds baptismauxet finançait l’ONG française Reporters sans frontières. But avoué : la défen-se des journalistes partout où ils subissaient censure et oppression. But réel :attaquer tout ce qui semble s’opposer au leadership des USA, notammentCuba, Chine, puis Venezuela, partis de gauche en occident. Sous couvert dedéfense des libertés. Et toujours dans le cadre tutélaire de la CIA.

En 2008, Ménard quitta RSF et trouva un bienfaiteur dont la démocratie n’é-tait pas la préoccupation numéro 1. L’émir du Qatar sponsorisa à hauteur de 3 millions de dollars par an un centre d’accueil pour journalistes à Doha, dontle petit Robert fut (et est peut-être encore) le patron.

Entretemps, il n’a jamais abandonné le bon combat. Il réclama à cor et à crisen 2003 la libération de Maurice Papon. Il prit avec fougue la défense duraciste antisémite Dieudonné. Il vilipenda la loi Gayssot réprimant les publi-cations négationnistes. A la suite de l’assassinat au Pakistan d’un journalisteaméricain, il invoqua en 2007 la légitimité de l’usage de la torture. Il n’hésitapas, en 2010 à se faire l’avocat de la peine de mort.

On se souvient de sa défense du Tibet en 2008, en lançant des actions de com-mandos dans Paris contre le passage de la flamme olympique.

Cerise sur un bien mauvais gâteau : fidèle envers lui-même, Robert Ménardfait la promotion de son livre Vive Le Pen ! Y compris en insultant une jour-naliste en direct sur l’antenne de France Inter.Robert Ménard n’est pas le paladin de la liberté, mais le spadassin de la pireréaction.

Jacques FRANCK20 avril 2015

Le paladin de la LibertéBillet d’humeur

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326

II. Le TTIP ou Partenariat transatlantique pour le commerceet l'investissement Qui gagne quoi ?par Jacques Lewkowicz

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PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015 5

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Erratum Une coquille s’est glissée dans la PNM dumois de mai. Dans la dernière phrase du billet deMaurice Cling, pour en maintenir le sens, il fallait lire :« Ce que des hommes ont fait à d'autres hommes ».

6 PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015

Les mots pour le dire

“ fin de la Seconde Guerre mondiale ”

“Toi tu revien-dras peut-êtreparce que tu

es jeune, moi je nereviendrai pas », avaitdit à Drancy au début del’année 1944 Schloïme-

Salomon Rozenberg à Marceline, sa fillede quatorze ans.Cueillis par la milice à Bollène, transfé-rés à la prison Sainte-Anne en Avignonsur un mur de laquelle elle gravera lesmots « C’est presque un bonheur desavoir à quel point on peut être malheu-reux », puis en autocar à Marseille, ilsferont partie du « convoi 71 » au moinsmille cinq cents personnes déportées enPologne, un père et sa fille, lui àAuschwitz, elle à Birkenau.Effectivement Schloïme n’en est jamaisrevenu, mort quelque part lors de la mar-che d’évacuation du camp ; contraire-ment à Marceline sortie « vivante d’unfourgon plein de cadavres » en avril1945 dans le ghetto de Theresienstadt,libéré par l’Armée Rouge.

Soixante-dix ans plus tard, MarcelineLoridan-Ivens, âgée de quatre-vingt-sixans, écrit, avec l’aide de la journaliste,écrivaine et essayiste Judith Perrignon, sa« lettre au père », non pas une lettrecomme celle de Kafka à un père pervers-narcissique, mais bien une lettre à unpère aimant et aimé, parti trop tôt et quilui manquera toute sa vie.Elle y raconte un « là-bas » où « on perdd’abord les repères d’amour et de sensi-bilité » et où « on gèle de l’intérieur pourne pas mourir ». Elle raconte le mot dupère passé en cachette, dont elle ne peutse souvenir que de la première ligne, « Ma chère petite fille », et de la derniè-re, « Schloïme ». Elle raconte l’instant oùils se sont croisés, où elle est tombée dansses bras, a été frappée par un SS, « trai-tée de putain, car les femmes n’avaientpas le droit de communiquer avec leshommes », mais a quand même eu letemps de lui communiquer le numéro deson bloc. Puis elle raconte sa vie d’après :« J’aurais aimé te donner de bonnesnouvelles, te dire qu’après avoir basculé

dans l’horreur, attendu vainement tonretour, nous nous sommes rétablis. Maisje ne peux pas. Sache que notre famillen’y a pas survécu. Elle s’est disloquée.[…] Tu aurais dû revenir. J’ai toujourspensé qu’il eût mieux valu pour la familleque ce soit toi plutôt que moi. Ils avaientbesoin d’un mari, d’un père plus qued’une sœur. »Or celle qui compte encore parmi lescent soixante survivants sur les deuxmille cinq cents revenus d’Auschwitz-Birkenau ne s’est pas contentée d’unregard sur le passé de victime du nazis-me : mariée au cinéaste militant JorisIvens, elle a participé par le film aux lut-tes internationales de la seconde partie duXXe siècle, y a témoigné : les soulève-ments des Algériens, des Vietnamiens ; aaccordé sa sympathie à la Chine de Maojusqu’à ce que celle-ci trouve le coupleIvens indésirable.Mais en ce début de XXIe siècle, que dedésillusions pour l’héritière d’un hommeplein d’illusions. Plus le monde « s’é-chauffe, plus l’obscurantisme avance »,

plus il est question des Juifs.

Marceline Loridan-Ivens constate avecamertume que, malgré les leçonsd’Auschwitz, « l’antisémitisme est unedonnée fixe, qui vient par vagues avec lestempêtes du monde, les mots, les monst-res et les moyens de chaque époque ».

Son père, sioniste, rêvait d’Israël, orl’État juif « aux contours flous, explo-sifs » « est en guerre depuis sa créa-tion ». Pourtant quand elle se demandesi « on a bien fait de revenir descamps », elle répond :

« J’espère que si la ques-tion m’est posée […] justeavant que je m’en aille, jesaurai dire oui, ça valait lecoup. »

* Marceline Loridan-Ivens, Et tu n’es pas revenu,

Éd. Grasset, 108 p., 12,90 €

70e anniversaire de la Victoire sur le nazisme

Depuis des années, on entend fréquemment men-tionner dans les médias le mot « armistice » au

sujet du 8 mai. Or, ce ne fut nullement une suspen-sion des hostilités comme en 1918, mais une reddi-tion sans condition exigée par les Alliés pour mar-quer l’abolition du régime nazi et de ses complices(laissons l’armistice déshonorant à Pétain). On l’en-tend certes moins, mais est apparue une formulationnon moins critiquable : « fin de la Seconde Guerremondiale ». Venue d’Allemagne, elle figurait déjàdans le manuel franco-allemand patronné par notreministère de l’Éducation nationale. L’expression estdoublement contestable : la guerre contre le Japon acontinué plusieurs mois et le mot « fin » évacue lasignification militaire et politique de l’événement.Le président Giscard d’Estaing en avait brutalementsupprimé la commémoration en 1975. La gaucheplurielle le rétablit en 1981. Mais on voit l’enjeu :cachez cette URSS que je ne saurais voir, et si vousn’y parvenez pas, videz la célébration de son contenuantifasciste au profit d’une présentation détournée.

Le Débarquement des troupes américaines libératri-ces, oui ; les batailles décisives de Stalingrad, deKoursk et de Berlin, non.Le 8 mai dernier, les Champs-Elysées étaient pavoi-sés du haut en bas de drapeaux tricolores, ce qui doitaussi nous interpeller : s’il est un enseignement àtirer de l’événement historique, ce n’est certaine-ment pas cette présentation nationaliste, voire fran-chouillarde, de ce qui fut – faut-il le rappeler ? – lavictoire éclatante de la grande coalition antihitlérien-ne sur le nazisme et ses complices de Vichy etd’ailleurs. Elle unissait au nom des valeurs univer-selles des régimes aussi différents que celui desUSA, de la Grande-Bretagne et de l’URSS. LaFrance leur fut adjointe in extremis, bien que sa par-ticipation militaire ait été limitée, du fait de la Francelibre et de la Résistance. Mais 70 ans après, pas undrapeau russe, américain ou anglais : la confiscationchauvine est totale. Au contraire, Vladimir Poutine arendu un hommage appuyé le 9 mai aux quatreAlliés vainqueurs de 1945.

Le détournement des contenus n’est pas chose nou-velle. La prise de la Bastille par les Parisiens estcommémorée le 14 juillet par un défilé militaire,jadis à Longchamp, puis aux Champs-Elysées,Légion étrangère en tête. On ne voit place « de laBastille » que la colonne de Juillet, et rien sur la for-teresse célèbre dans le monde depuis plus de deuxcents ans. Alors que notre Fête nationale est dési-gnée en anglais par « Bastille Day »… La classedécadente renie son passé, écrivait jadis Karl Marx.

Indignons-nous ! Maurice Cling

PS : À propos du « pape François » évoqué dans le numéro demai dernier de la PNM, on trouve en librairie plusieurs ouvragesintitulés « François ». Mais pourquoi s'arrêter en chemin ? Unesuggestion pour le Souverain pontife : prendre un diminutif telque « Jeannot » pour Jean XXIII ou « Paulo » pour Paul VI,donc « Paco » pour son origine argentine ou « Ciccolo » pourl'évêque de Rome.

L’UJRE, représentée par Jacques Lewkowicz etNicole Mokobodzki, a participé les 8, 9 et 10mai derniers à l’invitation du VVN-BdA*

(Union des victimes du régime nazi - Union des anti-fascistes allemands) aux manifestations organisées àHambourg, à l’initiative de la FIR (Fédération inter-nationale des Résistants) pour célébrer « Le 8 mai1945 – journée de la Libération – Une chance pourla paix et la démocratie en Europe ». Leur program-me ? « La paix : quoi d’autre ? »Ce fut d’abord l’inauguration, dans le hall d’entrée dubâtiment central de l’Université, d’une remarquableexposition itinérante, créée par l’Association belge desvétérans, qui retrace la Résistance dans les différentspays européens. Il y eut des discours et des chants : leChant des marais, Bella ciao, et notre Chant des par-tisans français : un grand moment pour les représen-tants de l’UJRE que de l’entendre interprété en fran-çais, dans une atmosphère incroyablement fraternelle. Sur le panneau de l’Allemagne, une affiche avec leportrait du jeune Peter Gingold**, l’un des trois frères

Gingold qui travaillèrent à Paris dans le TravailAllemand (T.A.).Vint ensuite une marche à travers lesrues de Hambourg, avec arrêt devant les anciensdomiciles de résistants, devant aussi des lieux où ilsavaient été détenus et souvent torturés. Le soir, unhommage fut rendu à Emil Lakatos, parrain de MRJ-MOI, qui fut un grand résistant de la MOI belge, ainsique son jeune frère, fusillé à 14 ans. Le lendemain, grande fête antifasciste dans un vasteparc avec les stands de diverses organisations, dontles Antifa*. Dans le théâtre de verdure, discours etmanifestations artistiques alternèrent. Les divers délé-gués (Pays-Bas, France, Grande-Bretagne et ex-Union soviétique) exposèrent tour à tour le sens queprenait pour eux le 8 mai 1945. Pour les Allemands,c’était clairement une grande victoire : l’écrasementdu nazisme, la liberté, la paix. Le surlendemain, dans le grand cimetièred’Hambourg, il y eut devant le gigantesque monu-ment érigé en mémoire des victimes du nazisme, unecérémonie commémorative du 8 mai 1945 accompa-

gnée de chants de Résistance et suivie d’une cérémo-nie, plus intime, dans le carré où sont enterrés desopposants assassinés par le régime hitlérien. Grâce à l’accueil chaleureux de nos hôtes allemands,ces trois jours furent l’occasion d’échanges et de pro-jets avec les antifascistes d’autres pays.Nous sommes tous déterminés à faire front contrel’extrême droite qui relève la tête partout en Europe.Et aussi : « Nous ne voulons plus de guerre, parce quenous ne voulons que la paix », selon la formule du pré-sident de la FIR. Le dynamisme des antifascistes alle-mands était évident. Notre volonté à tous de continuerà travailler ensemble, évidente aussi. « Plus jamais laguerre, plus jamais le fascisme ». * Le VVN-BdA (Vereinigung der Verfolgten desNazi-Regimes – Bund der Antifaschistinnen undAntifaschisten) publie régulièrement Antifa un maga-zine de 24 pages couleurs, et a publié en 2005 unouvrage de référence : Ursel Hochmuth, Niemand unnichts wird vergessen (Rien ni personne ne sera oublié)** Peter Gingold, Jamais résignés ! Parcours d'un résistant duXXe siècle, L'Harmattan, 2013

Hambourg - La paix : quoi d’autre ?

Marceline Loridan-Ivens a écrit sa Lettre au père par François Mathieu*

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27 mai 2015 - Journée Nationale de la Résistance - “Le verbe résister se conjugue au présent” Lucie Aubrac

PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015 7

La Journée nationale de la Résistancecommença la veille dans le 13e arron-

dissement au FIAP Jean Monnet, pour uneveillée consacrée à Charlotte Delbo, qui aréuni des jeunes et d’anciens résistants etdéportés, et se poursuivit le lendemain parune animation consacrée à Robert Desnos. Au matin du 27, devant la Mairie du 14°largement pavoisée, dépôt de gerbes auMonument aux Morts. PremièreMarseillaise chantée par les élèves du 14°,suivie d’une Marseillaise pacifiste inter-prétée en espagnol par 70 élèves du LycéeMarcelin Berthelot de Pantin arborant lescouleurs de la République espagnole.L’après-midi, émouvante partie artistique: poèmes et lettres lus par les Tréteaux deFrance et Jacques Mignot dont celle deJean Moulin après la première réunion duCNR. L’Affiche Rouge, Nuit et Brouillardchantés par Fanny Colin. Son Chant desPartisans fut repris par 400 visiteurs…Organisé par 63 associations, dontl’UJRE et MRJ-MOI, représentant toutesles facettes de la Résistance, de laDéportation, de la Libération, le Villagede la Résistance accueillit de nombreuxvisiteurs de tous âges dans une atmos-phère joyeuse.

S’y exposèrent « Jean Moulin », « La Résistance dans les camps d’inter-nement et de déportation », « Le retourdes déportés à l’hôtel Lutétia » – organi-sés par la FMD – et les dessins réaliséspendant la guerre puisque le thème de lajournée était « Dessiner pour résister. »Notre stand fut très fréquenté. Nousavons enrichi nos contacts et reçu témoi-gnages et photos. Maurice Cling dédica-ça son livre, Un enfant à Auschwitz.Étaient également en vente, de LucienSteinberg Pas comme des moutons, del’AACCE Les Juifs ont résisté en Franceet le magnifique recueil de dessins d’en-fants Grandir après la Shoah.Recueillement lorsque la cérémonied’entrée au Panthéon fut relayée surécran géant. Allégresse lors du bal popu-laire qui vint clore la journée.Soixante-dix ans après la libération descamps et la victoire sur le nazisme, nousétions venus témoigner de l’actualité desvaleurs de la Résistance. Nous les trans-mettons et défendons sans oublier le rap-pel de Lucie Aubrac, « Le verbe résister nese conjugue qu’au présent ». Clairement,la défense des valeurs de la Résistance nese délègue pas. UJRE / MRJ-MOI

Fête de la Résistance à Paris Quatre grandes figures de laRésistance entrent au Panthéon

mais...

Ce titre s’applique au discoursprononcé par François Hollandelors du transfert au Panthéon des

cendres de Geneviève de Gaulle etGermaine Tillion, de Pierre Brossoletteet Jean Zay dont nous saluons respec-tueusement la mémoire. Un mois de préparation, paraît-il, pourfinalement ne pas évoquer comment,dans la clandestinité, il fallut volonté etcourage à ces hommes et ces femmesd’opinons diverses, de familles poli-tiques opposées, qui surent se rassem-bler pour diriger la Résistance sur le solnational et fonder le Conseil national dela Résistance dont Jean Moulin fut l’ar-dent artisan mais dont le gouvernements’acharne à démanteler le programmesocial. Charles Lederman sut rassem-bler lors de la création du Crif, alorsréellement représentatif des israélites deFrance. En amputant la Résistance de sa diver-sité et de son unité, François Hollandelabellise une entreprise d’omission et defalsification. Il est partisan d’une histoi-re revisitée par les médias, par des his-toriens, journalistes et prétendus philo-sophes en vogue mais peu scrupuleux.La participation du parti communiste aucombat libérateur disparaît ainsi peu àpeu. Ne pouvant l’omettre totalement, le pré-sident a cité fortuitement, à voix basse,le mot « communiste » et le nom deMarie-Claude Vaillant-Couturier.Pourtant, des milliers de communistesont été victimes de la Gestapo et de lamilice vichyssoise. Des milliers d’aut-res ont été déportés. Nombreux sontceux qui, aux côtés des martyrs de laShoah, ont disparu dans les camps d’ex-termination. Et combien ont été torturéset n’ont pas parlé.Il est impératif que les générations futu-res sachent que, le 11 novembre 1940,des centaines d’étudiants sont allés fleu-rir la tombe du soldat inconnu à l’Arc deTriomphe, malgré l’interdiction de lamanifestation : l’un des organisateurs enfut le jeune communiste juif FrancisCohen. Elles doivent savoir que desmilliers de cheminots ont payé de leurvie la bataille du rail et doivent connaî-tre le drame des maquis du Vercors et duplateau des Glières. Savoir aussi que parmi celles et ceuxqui ont eu l’immense chance de survi-vre à l’enfer concentrationnaire, il y eutMarie-Claude Vaillant Couturier. À peine revenue de Ravensbrück, ellefut l’unique Française à témoigner auprocès des chefs nazis à Nuremberg.

Il y eut Martha Desrumeaux, revenueégalement de Ravensbrück, qui avaitété, en juin 1941 l’une des organisatri-ces de la grève de 100 000 mineurs. Il yeut Marcel Paul, l’un des dirigeants dela Résistance à Buchenwald, qui devintministre de de Gaulle. Il y eut HenriKrasucki, le « pote » de Roger Trugnan,à Jawischowitz, annexe d’Auschwitz,qui devint secrétaire général de la CGT.Comment ne pas évoquer deux hom-mes aux parcours différents : le colonelRol Tanguy, chef des FFI de la régionÎle de France, qui commanda l’insurrec-tion de la population parisienne ;Gerhard Leo, juif communiste venu enFrance avec ses parents en 1933 qui s’é-tait fait embaucher en 1942 commeinterprète à la Kommandantur de laWermacht à Toulouse afin de transmet-tre de précieux renseignements à laRésistance. Jacques Chirac lui remit lalégion d’honneur. Un geste gaulliste !Nous sommes blessés de l’injure faiteau « Parti des fusillés » dont l’apport àla Résistance fut salué par le général deGaulle. Nous gardons la mémoire desrésistants de la section juive des FTP-MOI, créée par le Parti communiste.Nous avons à cœur de faire connaître lafin tragique d’Olga Bancic, décapitée àHambourg, de Marcel Langer, chef dela 35e brigade, du groupe Manouchianet de tant d’autres qui pouvaient honorerle Panthéon d’où le peuple est, à l’évi-dence, exclu ; de tant d’autres femmeset hommes du peuple comme DanièleCasanova, morte à Auschwitz, dont unerue, au cœur de Paris, rejoint la statue deJeanne d’Arc ; comme Guy Môquet, lecolonel Fabien, Gabriel Péri, PierreSémard, ou Georges Politzer qui, avecJacques Solomon et Jacques Decour,constituèrent le mouvement intellectuelde la Résistance. Tous les trois furentfusillés. François Hollande n’en a cure.Le sublime poème d’Eluard : « Liberté »,celui d’Aragon : « La rose et le réséda »,celui bouleversant de Max Jacob : « L’étoile jaune des Juifs » lui sontinconnus.Il y a fort à faire pour réfuter les men-songes, les manipulations. Nous avons àcœur d’y contribuer en cette période oùtout est mis en œuvre pour brouiller lesconsciences, insinuer le doute sur l’avè-nement d’une République qui ne seraitfidèle à sa devise que dans l’action pro-gressiste, et non dans l’inanité d’uneenvolée oratoire. Tel est le rôle des pas-seurs dont nous sommes. Transmettre laRésistance dans sa glorieuse vérité :socle d’une société solidaire.

De l’ostracisme ou révisionnismepar Henri Levart

Le 30 mai, après l’Assemblée Générale de MRJ-MOI*, nous étions nom-breux pour fêter Max Weinstein, son prési-

dent d’honneur, admis dans l’Ordre national dela Légion d’honneur au titre de la Résistance.Ancien résistant, Max n'a cessé et ne cessed’œuvrer à faire connaître et reconnaître larésistance juive de la MOI. La médaille lui a été remise par Paulette Sarcey,déportée résistante, au « 14 »** dont il importeque la mémoire soit préservée. Ce « 14, rue deParadis, qui a marqué la vie politique, culturelle, littéraire des masses pro-gressistes juives après la guerre et dont la longue et belle histoire reste àécrire », nous rappelait Paulette. Nous avons ensuite levé tous ensemble, avec émotion et joie le verre de l’amitié.Félicitations, Max ! * Mémoire des Résistants Juifs de la M.O.I. ** Siège de l’« Espace Mémoire du 14 » qui fédère l’UJRE, MRJ-MOI et l’AACCE.

La Résistance honoréeau 14 rue de Paradis

Festival de Cannes

« Le fils de Saül » Le cinéaste hongrois László Nemes avait jus-

qu’à présent réalisé des courts métrages.Son premier long métrage a reçu le Grand prixdu Festival de Cannes, ce qui n’est sans doutepas sans rapport avec le fait que l’année 2015est l’année où l’on célèbre le 70e anniversairede la libération des camps et de la victoire surle nazisme.

Il évoque en effet, à partir d’un livre de témoi-gnages publié par le Mémorial de la Shoah, Desvoix sous la cendre, le travail de déportés juifs dans les sonderkommandosd’Auschwitz. Il ne s’agit pas d’un documentaire. Nemes déroule une intriguebouleversante, sans doute insoutenable.

La PNM reviendra sur ce film qui sortira en salle en novembre.

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27 mai 2015 - Journée Nationale de la Résistance - “Le verbe résister se conjugue au présent” Lucie Aubrac

Face à toutes médiocratiesGeneviève Anthonioz de Gaulle : Le défi

par Hélène Amblard *

NDLR Hélène Amblard est l’auteur deL’engagement : droit au logement, ou droit à lavie ? avec Geneviève de Gaulle, Louis Besson,Albert Jacquard [Éd. Seuil, 1998, 125 p.,11,10 €].

* Geneviève de Gaulle-Anthonioz, La traversée de lanuit, Éd. Seuil Poche, 2001, 81p., 4,90 €

** Début de l’article premier[JO du 31. 07.1998]. Seulsdeux députés de l’opposition,M. Grimault (UDF Maine etLoire) et M. Warsmann (RPR Ardennes) votè-rent pour la loi.

*** Geneviève de Gaulle-Anthonioz, LeSecret de l’espérance, Éd. Quart Monde /Fayard, 2001, 200 p., 5 €

Une lettre au Président de laRépublique, à Martine Aubry pourque le Conseil des Ministres examinela question et in extremis, l’article futréintégré intégralement.Née dans un milieu « en majoritéantidreyfusard », où son grand-pèrefut dreyfusard « dans un milieu enmajo-rité munichois » et dont les filsfurent antimunichois, elle avait perdusa mère à 4 ans. Son père, Xavier deGaulle, ingénieur des Mines, est l’aî-né d’une famille de cinq enfants dontCharles est le troisième. Elle avaittreize ans lorsqu'elle lut Mein Kampfavec son père et construisit ses raisonsde vivre : contre la misère, le mépris,l’ignorance, terreau de tous les fascis-mes.Après avoir perdu sa soeur, emportéepar la typhoïde, elle entendra sagrand-mère dire à mi-voix à un prêtre,écoutant l’Appel du Général deGaulle : « C’est mon fils ! C’est monfils ! »De Rennes, où sa famille est réfugiéependant la « drôle de guerre », à Parisoù elle étudie en Sorbonne, elle résis-te par tous les moyens. Hébergée chezsa tante, elle entre au réseau Défensede la France constitué par des étu-diants en Sorbonne, et à celui duMusée de l’Homme, dont la ronéo tiredes tracts issus des nouvelles de laBBC et le premier numéro deRésistance… Elle continue, malgréune perquisition de son appartement.Arrêtée sur dénonciation en juillet1943, elle se retrouve à Fresnes oùson nom est acclamé par les détenues.Dans sa cellule, soumise aux pirestraitements, les courses de cafardsseront son évasion. Elle aimait bienFélix, finalement écrasé par le talond’une gardienne…Elle fera partie du convoi des 27 000,qui comporte aussi l’écrivain EmilieTillion, mère de Germaine, ethnolo-gue. Cette première française rencon-trée au camp, venue soutenir sa mèreen bravant toutes les interdictions, luiapprendra à regarder et à comprendrele système des camps... À Ravensbrück, comme toutes, ellesera un « stuck », le n° 27 372. Ellerencontrera là l’amitié transcendantles convictions. Vitale force d’uneparole donnée et tenue.Remise à son père, devenu consul deFrance à Genève en avril 1945, elle yrencontre celui qu’elle épousera avecpour témoin le Général de Gaulle.Bernard Anthonioz est éditeur.

Ami de Malraux et d’Aragon. Ilsauront quatre enfants.Elle sera heureuse, sans oublier sonbut. Témoigner aux côtés de ses amiesMarie-Claude Vaillant-Couturier,Anise Postel-Vinay, Germaine Tillionet de tant d’autres qui, jamais, ne tra-hirent cette amitié. Poursuivre, avectoutes, son engagement au service dela dignité de tout homme et de toutefemme. Elle quitte son poste au minis-tère de la Culture d’André Malrauxpour rejoin-dre le Père Wrézinski etfonder ATD Quart Monde dans lesillage de l’insurrection de l’abbéPierre contre la pauvreté.Ils étaient tous Charlie ? Face auxmédiocraties creusant les nids de l’in-justice, de l’ignorance et du mépris,dans les quartiers, les campagnes, lescamps de rétention, les prisons deFrance et du monde, le défi est lancé.Agir en profondeur contre le lit de tousles fascismes par l’application desDroits universels de tout Homme !

Le crime le plus affreux que l’onpuisse commettre, c’est la des-truction de l’Humanité chez un

être humain ». Elle attendra 1998,pour écrire en quinze jours « La tra-versée de la nuit ».*« Là où des Hommes sont condamnésà vivre dans la misère, les Droits del’Homme sont violés. S’unir pour lesfaire respecter est un devoir sacré. »Ces mots du Père Wrésinski instituentsur la pierre la Journée mondiale cont-re la misère, Place du Trocadéro.« La lutte contre les exclusions est un

impératif national fondé sur le respectde tous les êtres humains et une prio-rité de l’ensemble des politiquespubliques de la nation. La présente loitend à garantir sur l’ensemble du ter-ritoire l’accès effectif de tous auxdroits fondamentaux dans les domai-nes de l’emploi, du logement, de laprotection de la santé, de la justice, del’éducation, de la formation et de laculture, de la protection de la familleet de l’enfance »**…Il en aura fallu, des années de bagarre,pour que ce qui n’est que l’applicationde la Déclaration des Droits de l’hom-me fasse en France l’objet d’une loi,portée avec acharnement parGeneviève de Gaulle Anthonioz, pré-sidente d’ATD Quart Monde, au nomde la dignité due à tout Homme.« Où sont les Gaullistes ? Je regardede ma tribune l’un des derniers ; l’undes meilleurs. Il me semble qu’il m’a-dresse un regard désespéré en soule-vant à peine le bras pour voter contrela loi. Le malheureux, prisonnier deson parti, doit sentir au fond de lui-même l’infini regret de n’avoir passauté encore une fois par dessus lesbarrières, pour être fidèle à sesconvictions. Pour tous ceux de songroupe, ç’aurait pu être comme unesorte d’écho de l’Appel, un dépasse-ment, un refus des politiciennesmédiocrités »***….Juillet 1998. Geneviève Anthonioz deGaulle observe le vote à l’Assembléede la loi d’orientation de lutte contreles exclusions. Il lui aura fallubatailler, grâce à son nom, à l’aura dela trajectoire de sa vie, à l’idée qu’ellese fait de l’Honneur, contre tant demédiocrates, pour fonder ce début dechemin !Quelques jours avant que le texte nesoit soumis aux députés, la référence à« l’égale dignité de tous les êtreshumains », inscrite dans l’article pre-mier de la loi, en avait été retirée.

«

Ce film est réalisé par la scénaristedes Citronniers et de La fiancée

syrienne, des films plutôt intéressants.Mais un bon scénario ne suffit pas àfaire un bon film ; ici, la réalisation lais-se à désirer.L’histoire est celle de trois sœurs pales-tiniennes chrétiennes qui ont héritéd’une belle villa mais perdu leur statuten 1967 après la Guerre des Six Jours.Elles se raccrochent à leur passé.

L’arrivée de leur nièce va les motiver àlui chercher un mari.Le film est signalé ici parce qu’il aété financé par le Fonds israélien ducinéma et que parvenu au festival deVenise où l’accompagnait sa réalisa-trice, celle-ci l’a présenté commefilm palestinien, car tourné effective-ment par une palestinienne, enPalestine et avec des actrices palesti-niennes. Jugez du scandale : le Fonds

La belle promise de Suha Arraf(2015) avec Nisreen F. Ahmad, Cherien Dabis, Ula Tabari

Au cinéma L’Entrepôt*, du 3 au 16 juin, le cycle « Filmer la penséeen marche »Signalons, parmi ces films, l’hommage rendu à Stéphane Hessel et àAbdelwahab Meddeb. La projection des films d’Abraham Ségal :Témoins pour la paix – Meddeb, éclaireur d’Islam – L’Occident vu del’Orient sera suivie d’un débat animé par le réalisateur avec ses invités :3 juin, 19h40 : Christiane Hessel, Elias Sanbar et Michel Warschawaski 11 juin, 19h40 : Amina Meddeb et Dominique Vidal

* 7/9, rue Francis de Pressensé, Paris 14°, Métro Pernety, prix unique : 6,50 €

À la filmothèque du Quartier Latin*- Rétrospective Mizoguchi

Occasion de revoir, dans des copies restaurées, l’œuvre monumentale del’un des plus grands artistes du XXe siècle.

- Le Jardin des Finzi-ContiniCe film (Il Giardino dei Finzi-Contini), réalisé en 1970 par Vittorio De Sica,

évoque la déportation d'une riche famille juive italienne. C’est un très beaufilm. Allez le voir si ce n'est déjà fait.

* 9 rue Champollion, Paris 5°, Métro Saint-Michel ou RER Luxembourg

À voir

8 PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015

Cinéma La chronique de Laura Laufer

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Allemagne année Zérode Roberto Rossellini avec Edmund Meschke

A partir du 3 juin, Rétrospective Rossellini en

six films à La filmothèque du Quartier Latin,

9 rue Champollion, Paris 5°

27 mai 2015 - Journée Nationale de la Résistance - “Le verbe résister se conjugue au présent” Lucie Aubrac

Dans ce chef d’œuvre de Rossellini tourné à Berlin, laconscience du personnage naît du conflit entre une expé-

rience intérieure et celle de la découverte du paysage exté-rieur donné par l’état du monde qui l’entoure. Soit la réalité,ici expérimentée par un enfant, Edmund. Agé de 12 ans, l’en-fant qui doit se livrer au marché noir pour nourrir sa familleparcourt chaque jour Berlin en ruines. Réalisé en 1931, M le maudit de Fritz Lang est le film d’a-vant le nazisme. Réalisé en 1948, Allemagne année Zéro deRossellini est celui d’après le nazisme. « M » décrit la socié-té allemande à la veille de la prise du pouvoir par Hitler, lenazisme naissant, au moment où l’État déliquescent lutte devitesse avec la pègre pour imposer l’ordre et la loi. Allemagne année zéro décrit l’héritage du nazisme en mon-trant l’état du monde qu’il laisse derrière lui : ruines et loi dela jungle. Les valeurs éthiques se sont écroulées, remplacéespar celles du chaos : loi du plus fort ; éradication du plus fai-ble. Ce sont elles qui font d’Edmund le parricide qui élimine sonpère malade : une bouche de moins à nourrir. Mais du hautdes décombres qu’il parcourt, l’enfant va percevoir la barba-rie de son acte. Sa conscience vient ainsi de naître, vertiged’une aube affreuse.

Parvenu à ce point,Edmund choisit dese jeter dans le videpour y mourir. Del’état du mondeextérieur, Edmundn’aura connu quelâcheté, bassesses etgouffres béants lais-sé par l'écroulementdes valeurs moraleset la faillite d'un système politique, seuls paysages que lenazisme a laissés. Aucun avenir.

Info+ http://www.culturopoing.com/non-classe/ressortie-de-allemagne-annee-zero-de-roberto-rossellini-1948/20150527

PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015 9

Germaine Tillion - Résister, c’est créerpar Hélène Amblard

Offrant un démenti à la sèche neutralité supposée garantir la rigueur scientifique, elle ne cesse, femme et ethno-logue, de pratiquer le courage d’observer et de vivre. 1

Germaine expose, en des cours pré-cis, le sens du système concentra-tionnaire : le profit par la déshumani-sation, vers l’extermination de tous.Déléguée par l’Association desDéportées et Internées de laRésistance, elle sera observatrice auprocès des responsables du camp.Geneviève De Gaulle vient d’accou-cher ? Germaine ira la chercher poursauver la vie d’une surveillante accu-sée à tort, lui disant : « Si nousdevons continuer à dire la vérité,nous devons aussi la dire quand celanous coûte »… En 1951, la voilà membre du juryinternational réuni à Bruxelles pourenquêter sur l’existence de ce queDavid Rousset 2 a baptisé « Gou-lags ». « Il n’y a pas un peuple quisoit à l’abri du dé-sastre moral etcollectif » écrit-elle dans sa deuxiè-me version de Ravensbrück 3.Après l’insurrection de la guerred’Indépendance, elle redécouvre uneAlgérie gangrenée de misère«… Deux bombes côte à côte commece sera le cas en 1997 et 1999 dansles Balkans …» 4. Février 1955. Jacques Soustelle, ex-directeur du Musée de l’Homme,vient d’être nommé gouverneurd’Algérie. La voilà chargée des affai-res sociales et éducatives. Son but ?« Attaquer le mal par tous les bouts àla fois et en même temps : la misère-ignorance, la misère-maladie, la mi-

sère-chômage, souvent conjuguées ».En résultent les « Centres sociauxéducatifs »… Sept ans plus tard, septde ses membres dont MouloudFeraoun, sont assassinés par l’OASdont fait désormais partie JacquesSoustelle. « Résistants de tous pays,méfiez-vous de votre victoire ».Germaine Tillion enquête dans lescamps et prisons d’Algérie, dénon-çant la torture. Clandestinementconfrontée à Yacef Saadi, responsa-ble FLN de la zone d’Alger, elle l’en-gueule copieusement et obtient saparole : contre l’arrêt des exécutionscapitales, plus d’attentats contre lescivils. Il la tient. Pas la France colo-niale. Lorsqu’il est arrêté, Germainese démène… et obtient sa grâce.Comment citer toutes ses missions ?Une vie entière, totale, ouverte à l’i-nédit de tous les combats face à tou-tes formes de crimes…1944. Cachée dans une caisse d’em-ballage des déchargeuses de trains àRavensbrück, elle écrit collective-ment une opérette : un vers pardébardeuse. Un naturaliste cherche àcomprendre et déjouer le systèmeconcentrationnaire. Extrait :

« Moralité :Ne cherchez pas les vrais coups,ils viendront bien toutSeulsInutile de courir vous faire casser la gueule ».

Du début du « court vingtiè-me siècle » à l’orée boulever-sée de ce XXIe, au vécu, elle

ne se dérobera jamais. Née en 1907,Germaine se souvient des larmes des« grands », la guerre de 14 déclarée.À la mort de son père, auteur avecEmilie Tillion de « Guides bleusHachette », elle accompagne sa mèreà travers la France et l’Europe, choi-sissant toutes les disciplines quiconduisent à l’ethnologie. Elle n’a-vait pas manqué de remarquer lamenace fasciste quand, recommandéepar Marcel Mauss, elle se retrouve en1934 missionnée dans les Aurès. Étu-diant à Paris la langue berbère desChaouis, elle découvrira de très prèsle traumatisme des travailleurs immi-grés.Juin 1940. Arrivant des Aurès, elleretrouve Paris déserté par l’exode,décidée à « faire quelque chose ».Son empirisme lucide conforte deuxréseaux, dont celui du Musée del’Homme. Lorsqu’elle est arrêtée le 13 août1942 sur dénonciation d’un prêtre,elle est précisément en train d’effec-tuer une étude méticuleuse révélant laprincipale cause des arrestations derésistants : la trahison. C’est à Fresnes, après la Santé, dontsix mois au secret, qu’elle apprendl’arrestation de sa mère qui seradéportée à Ravensbrück un an aprèselle.

Créer, c’est résister. Résister, c’estcréer affirme en 2004 l’Appel deRésistants aux jeunes générations.À propos des négationnistes, ellerépond : « Au fond, je pense plutôt àprotéger les victimes de l’avenir qu’àvenger les victimes du passé » 5

1. Germaine Tillion, Textes rassemblés etprésentés par Tzvetan Todorov (pdt.Association Germaine Tillion) - Fragments devie p. 180, Seuil.

2. David Rousset, rescapé de Buchenwald,fonde en 1950 le Comité International Contrele Régime Concentrationnaire qui enquêterasur l’URSS de Staline et l’Espagne franquis-te ; sur la Chine de Mao et sur la Grèce descolonels…En ethnographe avertie, jamaisGermaine Tillion n’assimilera les natures deces régimes avec le fascisme nazi.

3. Germaine Tillion, Ravensbrück, 1e publi-cation collective, 1946. 3e version : Seuil,1997

4. Appel lancé par Lucie et Raymond Aubrac,Henri Bartoli, Daniel Cordier, PhilippeDechartre, Georges Guingouin, StéphaneHessel, Maurice Kriegel-Valrimont, LiseLondon, Georges Séguy, Germaine Tillion,Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.

5. Geneviève De Gaulle Anthonioz -Germaine Tillion - Dialogues présentés parIsabelle Anthonioz – Gaggini, Éd. Plon

cinématographique israélien estfurieux et demande à être remboursé !Le seul véritable intérêt de ce film estdans la revendication de l’identiténationale palestinienne quant à sesconditions de production.Une bataille intéressante.

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En compagnie de Sarah Mesguich, comédienne et metteur en scène par Béatrice Courraud

Elle a un regard qui vient de loin,sans doute de ses origines juivessépharades par son père, Daniel

Mesguich. Elle est de ces créatricesdont la troublante ascendance a forgéun destin particulier, qui a commencé àtracer sa voie sur le pas de ses aînés,Daniel Mesguich, Pierre Debauche, etcreusé un chemin qui n’est empruntéqu’à elle-même, à un univers person-nel, à la fois léger, grave et plein d’hu-mour. Elle a intégré très jeune leConservatoire National Supérieur d’ArtDramatique, a suivi les classes deJacques Lassalle, Stuart Seide, PatriceChéreau. Après le Conservatoire, elle acréé la Compagnie du ThéâtreMordoré, elle s’est nourrie de ses expé-riences, de ses réflexions et interroga-tions pour devenir une metteur en scèneinventive à l’écoute du monde et de sontumulte.Sarah Mesguich est née en 1975. Elleest issue, du côté paternel, d’unefamille juive installée en Algérie depuismaintes générations. Ceux que l’onnommait « Indigènes israélites », deve-nus citoyens français grâce au décretCrémieux de 1870*, ont fui précipitam-ment leur pays de naissance lors de l’in-dépendance de l’Algérie en 1962, avecles conséquences dramatiques que l’onconnaît. Ils ont dû s’arracher à leur terreancestrale et tout abandonner derrièreeux, refaire leur vie, « se reconstruire »dans des conditions difficiles. Legrand-père de Sarah Mesguich est mortde cet exil à l’âge de 62 ans. DanielMesguich s’est battu pour accéder à lareconnaissance sociale. Ce n’est pas unhasard s’il s’est dirigé vers le théâtre etses « représentations », avec tout ce quecela induit de jeux de miroirs, jeuxautour de la langue et des signifiants, deses tours et détours, de ses multiplessens, déplacements et métaphores. Etce n’est pas un hasard non plus si safille a eu la même vocation. Je me suis demandé ce que SarahMesguich avait porté de cette mémoired’Algérie des générations passées, s’ily avait eu, d’une manière ou d’uneautre, transmission par ses proches dece passé si prégnant sur la terre algéroi-se ? Mais comment pouvait-on à l’é-poque se constituer une mémoire vivequand l’on demeure un étranger, parta-gé entre deux pays et n’appartenantvraiment à aucun ? Les « Juifs français d’Algérie» ou «

Français juifs d’Algérie » étaient de fer-vents républicains, et pour bon nombred’entre eux, de fervents laïcs, engagés àgauche**, mais le décret Crémieux,tout en leur octroyant une nationalité,

eut aussi pour effet de séparer les com-munautés et de créer un clivage entrejuifs et musulmans. A l’heure du choix,seule une petite minorité de juifs se ran-gera ouvertement du côté du FLN etdécidera de demeurer en Algérie.Sur la blessure de devoir taire sa judéi-té, d’être traité de « sale juif », les dou-leurs de l’exil, beaucoup ont fait silencemais commencent aujourd’hui à s’ex-primer de façon personnelle, à remonterle temps, à raconter leur enfance en terremusulmane***. Silence face aux questions posées par lagénération des années 1970 à leursparents et grands-parents nés sur le solalgérien. Sarah Mesguich n’a recueillique des bribes de réponses mais elle necesse d’interroger et de s’interroger. On pense à cette fracture, le départ sidouloureux du pays natal, qui a ensuitegénéré un non-dit, inscrit une fêlure, unmalaise dans cette génération de l’après-exil, sentiments que Sarah Mesguichéprouve très fortement mais qu’elletransporte avec elle en les faisant circu-ler de manière à la fois aérienne et sou-terraine dans ses productions théâtrales.Dans son travail artistique, quelquechose bouge, se transforme, traverse lesfrontières, et ce manque à être/mal être,elle s’en saisit et le fait voyager en fai-sant appel à son imaginaire, ses rêves etrêveries, à travers la création. « Le silence, presque le secret pour nepas dire la honte, qui s’attachent à cetarrachement de l’Algérie d’une partiede sa population, étrangers chez les unset pas moins chez les autres, la perte desrepères, la nécessité de faire table rasedu passé, en quelque sorte de faire peauneuve de cette génération, celle de nosgrands-parents, ne s’est pas faite sansdommage. Leurs enfants, nos parents etconséquemment nous-mêmes et nospropres enfants, souffrent en eux d’uneforme de rupture de la transmission. Atravers l’histoire intergénérationnelleparticulière de ma famille j’ai mesuréque ce mal de transmission, je le parta-geais avec beaucoup, sans le savoir etpour cause, j’étais incapable de le nom-mer. Difficile de dire et ainsi de sereconnaître les uns les autres, quandc’est précisément cela qui manque : cefil qui nous lie à une histoire, et les unsaux autres.D’où mon besoin de regagner sociale-ment ce qui a été un jour perdu, commemon père avant moi, à chercher ce quel’on m’a légué, ce qu’on m’a tu, ce queje peux transmettre, et ce qu’il memanque. Et ce qui inévitablement, medétermine : en creux et en plein. »

Sarah Mesguich

Mohamed Kacimi, écrivain et dramaturge, séjourne actuellement àJérusalem-Est où il crée et coordonne pour le Théâtre National de la

Palestine, Al-Hakawati, la pièce Des roses et du jasmin d’Adel Hakim. Cespectacle, mis en scène par l’auteur, est coproduit par le Théâtre des Quartiersd’Ivry avec le soutien de la région Île-de-France et du consulat général deFrance à Jérusalem. Calendrier : répétition générale et première les 2 et 3 juinà Jérusalem ; représentations à partir du 7 juin au Théâtre Al-Kasaba deRamallah. Cette production exceptionnelle, outre des acteurs palestiniens derenom comprend de jeunes comédiens originaires de Cisjordanie, deJérusalem et de Galilée. L’histoire ? Des Roses et du Jasmin couvre la période allant de la seconde GuerreMondiale à la première Intifada : Dans les années 40, l’Angleterre occupe laPalestine. Une jeune juive berlinoise, Miriam, tombe amoureuse de John, unofficier anglais affecté à Jérusalem. Ils auront une fille, Léa. Dans les années60, Léa tombe amoureuse de Mohsen, un jeune Palestinien. Ils auront deuxfilles, Yasmine et Rose. Vingt ans plus tard, lors de l’Intifada de 1988,Yasmine et Rose se retrouvent dans deux camps opposés.Portée par le souffle des tragédies grecques, cette pièce relate, à travers troisgénérations, les amours et les déchirements d’une famille où s’incarnent lesdestins de personnages palestiniens et juifs. Animée par un chœur de person-nages clownesques, elle fait défiler, en musiques et en danses, 60 années d’unconflit qui oppose des hommes que tout rapproche pourtant et qui, emportéspar la haine, perdent leurs rêves et leurs amours. Dire qu’il faudra attendre la saison 2016/2017 pour le voir en France auThéâtre des Quartiers d’Ivry !

« Des roses et du Jasmin »

Théâtre Culture

* Adopté le 24 octobre 1870 par le gouvernementde la Défense nationale de Gambetta, le décret no136, dit décret Crémieux, du nom de son auteur,Adolphe Crémieux, accorde d’office la citoyennetéfrançaise aux 35 000 Juifs d’Algérie. Abrogé 70 ansplus tard par le régime de Vichy, et remplacé par laLoi portant Statut des Juifs du 3 octobre 1940, il estrétabli le 20 octobre 1943 par le Comité français deLibération nationale grâce auquel les Juifsd’Algérie redeviennent citoyens français. ** cf. Benjamin Stora, Les juifs d’Algérie – Avantet après la guerre (in PNM n° 280 - 11/2010, cycleÊtre juif au XXIe siècle) *** Éd. Bleu Autour, textes**** inédits recueillispar Leïla Sebbar : Une enfance juive enMéditerranée musulmane, 2012 – L’Enfance desFrançais d’Algérie avant 1962, 2014.**** Ouvrage collectif. Textes et photo de, entresautres - premier volume : Chochana Boukhobza,Patrick Chemla, Alice Cherki, Mireille Rita RachelCohen, Roger Dadoun, Annie Goldmann, HubertHaddad, Daniel Mesguich, Nine Moati, Nicole S.Serfaty, Daniel Sibony, Benjamin Stora… etdeuxième volume : Alain Amato, Gil Ben Aych,Jean-Pierre Castellani, Jacques Fremeaux, ColetteGuedj, Andrée Job-Querzola, Alain Vircondelet…

Principales œuvres adaptées et mises en scène pour le théâtre par Sarah Mesguichdepuis 2009 : Eby et la petite au Bois Dormant, Le Chant du Cygne d’après AntonTchekhov, Pinocchio d’après l’Étrange Rêve de M. Collodi, Zazie dans le métrod’après Raymond Queneau.

“Comment faire une piècequi évoque la Shoah surune scène palestinienne ?Pourquoi faire jouer le rôlede rescapés juifs à descomédiens palestiniens ?Pourquoi mêler des destinsd’hommes que tout séparedans la vie aujourd'hui ?Le Théâtre est le lieu oùl'homme vit parfois ce qu'ilne peut rêver dans sa vie detous les jours.” M. Kacimi

10 PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015

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Combien de gens savent que Balzac écrivait despièces de théâtre ? Le mérite d’EmmanuelDemarcy-Mota, metteur en scène et directeur du

Théâtre de la Ville, est d’avoir fait du Faiseur une adap-tation intelligente, souriante et incisive, qui fait ressortirtoute la modernité de ce texte peu connu, qui dépeignaitsi bien le monde de la finance et ses escrocs sous lamonarchie de Juillet. Les faiseurs, ce sont les spécula-teurs. Comme disait Barthes, ceux qui font quelquechose avec le vide, qui créent de l’argent avec rien,quand l’argent est lui-même à tout moment menacé den’être rien. Mercadet est un boursicoteur. Il a un train de vie envia-ble qui menace de s’effondrer à tout moment. Il semoque de ses créanciers tout en faisant l’apologie de ladette. Ah ! La dette ! Elle fait couler beaucoup d’encre.Couverte des qualificatifs les plus variés, enveloppée desuavité comme de tous les maux ! Rien n’a changé aufond et tout est très actuel dans cette évocation dumonde des spéculateurs. En vérité, ce monde de l’appa-

rence et de l’enfumage est universel. Tout ce qui gravi-te autour de l’argent est du vent, de la comédie, du vau-deville, du mensonge, de la tromperie. Quant à la dette,hé ! bien ! Oui, elle est toujours utile ! Dans la pièce, tout finit bien. Le ton est léger, humoris-tique, jouissif, derrière la profondeur du propos. La fillede Mercadet n’aura pas besoin d’épouser ce filou qu’oncroyait riche, afin d’éponger les dettes, faire face auxcréanciers, et maintenir les apparences.Tout se passe en chansons, depuis le Money des PinkFloyd, jusqu’au Money Money Money d’Abba. La scénographie est astucieuse. Un plancher fait demorceaux de bois pentus, avec des caches entr’ouver-tes, sur lesquels marchent, instables, les comédiens,tant bien que mal, pareils aux leviers de la Bourse.Serge Maggiani qui incarne Mercadet, est puissant etremarquable. Nous nous délectons à l’entendre nouséperonner de propos percutants tels : « Est-il un seulÉtat en Europe qui n’ait pas sa dette ? Quel est l’hom-me qui ne meurt pas insolvable envers son père ? Il lui

doit la vie et ne peut la lui rendre…La vie, Madame,est un emprunt perpétuel. »

Dans ce tableau du cynisme le plus complet, il y a uneonce d’humanité, celle de la comédie humaine. Il estrare que l’on porte à la scène du Balzac. Le thème faittant résonance avec notre époque qu’il ne faut pas man-quer ce spectacle réussi, léger, fin, matière à réflexion.

* Reprise du 25 septembre au 10 octobre 2015. Réservation :01 42 74 22 77

PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015 11

Ceux qui restent*Une belle et émouvante représentation, sur un texte de Paul Felenbok,superbement restitué à la scène par David Lescot : les récits de vie de deuxenfants rescapés du ghetto de Varsovie, leurs pérégrinations, jusqu’à la cha-leureuse traversée de l’U.J.R.E et du château d’Andrésy.

David Lescot a recueilli puis transposédans l’écriture théâtrale les paroles dePaul Felenbok et de Wlodka Blit-

Roberson, cousins, enfants du ghetto. Paulavait sept ans, lorsqu’il s’est échappé du ghet-to de Varsovie, en avril 1943,Wlodka douzeans. Cette dernière a fui à l’aide d’une échelleavec sa sœur jumelle Nelly. Son père était unmilitant du Bund ; il s’est réfugié en Russiepuis s’est installé à Londres où sa fille, adulte,a fait sa vie. Ils ont été cachés dans des famillespolonaises durant la guerre, Paul a ensuite étérecueilli dans une maison d’enfants à Lodz puis son frère ainé l’a fait venir en Franceoù il a été accueilli dans « les maisons d’enfants » créées par l’Union des Juifs pourla Résistance et l’Entraide. Paul est devenu astrophysicien.

Une mise en espace et un jeu des comédiens fortsDeux chaises, l’une derrière l’autre, décalées, espacées ; assis sur ces chaises, deuxcomédiens incarnent un homme et une femme qui vont être, alternativement, celui quifait advenir la parole, le récit de l’autre, une espèce de journaliste-témoin, de confident,ou de psychanalyste, dans leurs questionnements sur la mémoire familiale. Tous deux,chacun à son tour, nous parlent, de leur vie dans le ghetto de Varsovie pendant la guer-

re, et de leur devenir après la sortie du ghetto. Témoignage, parcours devie, reconstitution de la mémoire, les personnages qui ont traversé leurvie affleurent, morceau par morceau, un peu comme un montage de pel-licules. Marie Desgranges et Antoine Mathieu sont exceptionnels de maî-trise. David Lescot a su intelligemment et habilement diriger ces deuxcomédiens particulièrement doués. Le parti pris de la diction, de la miseen espace, de l’épuré, joue de la présence-absence, du ressenti, de la dis-tance dans le temps, de la mémoire. Deux témoignages croisés, où affleu-rent les images concrètes, les sensations, les peurs, le quotidien, les pansd’histoire de cette enfance dans la guerre et du début de la vie adulte.Dans cette évocation chargée d’émotion, qui creuse la petite et la grandehistoire, se glisse la légèreté et l’humour qui fait sourire.C’est beau et poignant. Et c’est à voir.

* Prix 2014 de la meilleure création en langue française du syndicat de la critique * Vu au Théâtre de la Ville. À revoir du 2 au 6 juin à la Filature - SN de Mulhouse par la Cie du Kairos /David Lescot.

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

« Le faiseur » de Balzac au Théâtre de la Ville*Une comédie musicale alerte et drôle qui nous plonge dans le monde de la finance, de ses rebondissements, et de ses aléas. Balzac visionnaire dans sa des-cription du capitalisme financier.

Culture

À voir absolument- La maison de Bernarda Alba deFederico Garcia Lorca à la Comédie-Française : une mise en scène de LiloBaur et une scénographie éblouissantes,un excellent jeu d’acteurs qui font ressor-tir la problématique des femmes et laquestion de leur enfermement/épanouis-sement.- Liliom de Ferenc Molnár, mise enscène de Jean Bellorini à l’Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier.Bellorini est toujours un évènementincontournable où musique et scénogra-phie sont centrales. Entre fête foraine,rêves et violence de la réalité : des êtresen marge et en quête d’eux-mêmes.

À venirAu Tarmac : une saison théâtrale tournéevers l’Afrique francophone avec commed’habitude des débats, de la danse, duthéâtre, des auteurs.A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, tous lesspectacles de la prochaine saison serontsans exception haut de gamme. Unconseil, vous abonner ou réserver très tôt.

« Affabulazione » de Pier Paolo Pasolini

Un spectacle puissant sur le mythed’un Œdipe inversé, ou le rêve du filspar le père. Du théâtre à l’état pur. Duthéâtre sacré. Une tragédie.Stanislas Nordey, metteur en scène, spé-cialiste de Pasolini dont il a monté plu-sieurs textes, est impressionnant dans lerôle écrasant du père. Le scénographe aimaginé un espace mobile fait de vastescloisons murales. Trois tableaux de pein-tres italiens scandent un certain nombrede scènes. Une pièce de théâtre passionnante maispas facile. Une énigme. Un mystère.Le prologue d’Affabulazione nousdonne la teneur de la pièce par la voix del’ombre de Sophocle. Il y est question demystère, de rêve dans lequel le mythe d’

Œdipe est inversé. Peut-on résoudrecette nouvelle énigme, pas tant celle oùle fils tue le père que celle du meurtre dufils par le père : « Les fils tuent le pèremais les pères font mourir les fils à laguerre. Mais que se passe-t-il quand cesont les pères qui veulent tuer les fils? »Est ajouté, comme une ode à la poésie,au théâtre, à quelque chose de plus grandque nous : le langage « ne sera facile quepour les lecteurs de poésie ». Beaucoupde spectateurs restent dans la salle jus-qu’au bout. Certains semblent hésitants.Quelques-uns sortent avant la fin de lareprésentation : pas assez poètes ? Unefois cela posé, la pièce peut commencerpar le rêve du père. Il rêve d’un garçonplus grand que lui qui serait peut-êtreson propre fils. Annonciatrice d’un désastre, la tragédien’a qu’une fin, pas de commencement,et l’énigme, le mystère du fils, toutcomme celui d’Œdipe, ne peut se résou-

dre. Beau, jeune, est-ce que les fils sur-passent les pères ? Que devient l’autori-té des pères quand ils ne peuvent plusmaîtriser la vie de leurs enfants ? Quelleplace dans la société quand ils perdentleur pouvoir et se sentent impuissants ?Quelle relation au pouvoir ? La vision decet industriel milanais devient chairincarnée, où surgit violence, paranoïa,rivalité mortifère. Jusqu’au drame dufils. Comme toujours Pasolini traverse lasociété, la politique, la bourgeoisie mila-naise, l’individu. Pour se nourrir de cettepièce dont l’appropriation par StanislasNordey est fouillée, il faut accepter d’yentrer en résonnance charnelle, d’entrerdans ce mystère, sans rationalisation, etsans chercher à résoudre quoi que cesoit, de se glisser dans juste des interro-gations où le regard affleure tant sur l’in-dividu, le drame humain, la démesure,que sur la société.

* Vu au Théâtre de la Colline

© Jean-Louis Fernandez

© Christophe Raynaud de Lage

© Elisabeth Carecchio

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Les Éditions de l’Âge d’Hommerééditent aujourd’hui l’œuvrecomplète de Bruno Schulz

dans une traduction nouvelle.Publiés, chez Denoël, les deuxromans et les deux récits retrouvésavaient été traduits par différentespersonnes.Assassiné par un officier nazi à la finde 1942 dans le ghetto de sa villenatale, Bruno Schulz laisse derrièrelui une œuvre graphique et littéraire àl’aspect hérétique et sulfureux. Ladispersion de ses manuscrits, de sestoiles, de ses dessins, de ses lettres etla chasse obstinée qui en a résultél’ont élevé au rang de mythe. Tantque ne sera pas retrouvé Le Messie, ledernier ouvrage auquel il a travaillé etque la majorité de ses tableaux neseront pas exhumés, l’énigme BrunoSchulz perdurera.Bruno Schulz est né à Drohobycz(aujourd’hui orthographiée Droho-bych) en 1892. Cette petite ville per-due aux confins de l’Empire a connuune grande prospérité à la fin du XIXe

siècle grâce à la découverte de gise-ments de pétrole. Une importantecommunauté juive y résidait alors.Schulz a passé ses premières annéesdans l’appartement de ses parents quidonnait sur la grand-place juste au-dessus de leur magasin d’articles dedraperie. Et c’est l’artère commer-çante qui s’appelait alors la rueStryjska qui inspira à l’auteur l’undes récits les plus surprenants desBoutiques de cannelle, « La rue descrocodiles ». Dans une nouvelle, « laRépublique des rêves », il évoque laville thermale voisine, Truskawiecz,où il est allé en cure, un de ces « loin-taines et tristes petites villes dans leprosaïsme du quotidien, […] desvilles oubliées au fond du temps etdes gens attachés à de petits destinsdont ils ne s’arrachaient jamais, nefût-ce qu’un instant. »La redécouverte de l’œuvre artistiqueet littéraire de Schulz ne s’est pasfaite en un jour. En témoigne la bio-graphie de Jerzy Ficowsky*. Ce der-nier a consacré toute son énergie àrecomposer le puzzle de l’existencede Schulz recherchant sans relâcheses écrits, ses lettres et de ses dessins.Il admire ce que Schulz a qualifié d’« Authentique » quand il songeait àson album de timbres, le regardantcomme une encyclopédie et un atlasinépuisables, en somme, sonPentateuque intime, le livre d’unerévélation inouïe et décisive, du

genre mallarméen. Au prix de multi-ples difficultés, à commencer par lerefus des autorités polonaises desannées 50 de le laisser publier sonpremier essai sur l’écrivain disparu,son enquête minutieuse lui a permis,dans des circonstances qui ressem-blent parfois à un roman d’espionna-ge, de recueillir des témoignages, deretrouver de nombreuses lettres etune quantité importante de dessins.La correspondan-ce pieusementrecueillie estpubliée en 1975et une partie desdessins estconservée auMusée de laLittérature AdamMickiewicz àVarsovie. Bruno Schulz aété artiste avantd’être écrivain.Très tôt, sesd i s p o s i t i o n sexceptionnellespour la peintureet le dessin sesont révélées.S’il fait des étu-des d’architectu-re selon les vœuxde son père, iln’en continue pas moins à rêver dedevenir peintre. Il reçoit ses premiè-res commandes après guerre (desportraits, des ex-libris) et produit enquantité importante. En 1920, ilcommence à exécuter les planchesd’un projet ambitieux qu’il baptiseLe Livre idolâtre. Deux ans plus tard,il a achevé une série de portfolios,tous personnalisés par un dessin ori-ginal. Il a eu recours à une techniquetrès particulière et difficile, le cliché-verre. L’univers qu’il y dépeint estsubtilement érotique.

Il n’hésite pas à le placer à l’enseignede La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch, originaire comme lui deGalicie. Claudio Magris** a surtoutété frappé, aussi bien dans les écritsque dans les dessins de Schulz, parson « extraordinaire capacité dereprésenter les personnages », maisaussi par « sa sensualité caractériséepar un fétichisme érotique effréné dupied, des chaussures féminines,exprimée avec une poésie piquan-te ». Et les illustrations qui ornent seslivres ne font que renforcer, dans une

optique qui ressemble autant à MaxKlinger (l’auteur de L’Histoire d’ungant) qu’à Alfred Kubin (l’auteur deL’Autre côté), cette sensation dedéroutante étrangeté et de douce per-version qui émane de sa prose.

Il a entretenu des relations étroitesavec le dramaturge et artiste S. I.Witkiewicz et le jeune romancierWitold Gombrowicz. Tous deux ont

été séduits parl’originalité etla beauté de saprose. Les lett-res qu’il leurenvoie, et enco-re plus cellesqu’il adresse àdes femmes, enparticulier àDebora Vogel,où il ajouta enpost-scriptumdes contes qu’ilreprendra plustard dans sesrecueils, ontsouvent été debrillants expo-sés de sa visionde la littérature.Il est parvenu àtrouver en 1933un éditeur pour

les Boutiques de cannelle. Le livre,âprement discuté, est défendu avecénergie par ses amis. Bruno Schulzcollabore à différentes revues où ilpublie des comptes rendus de livresou des essais sur sa conception de lafiction. L’année suivante, il fit paraî-tre Le Sanatorium au croquemort. Iltenta de faire connaître sa prose à l’é-tranger : il envoie l’une de ses nou-velles écrites en allemand à ThomasMann. Silence. Seul Joseph Roth, enexil à Paris, déploya des efforts pourle faire traduire en français. Malgrétoute sa bonne volonté, il échoua.

La redécouverte de ses travaux a étélongue et difficile.

De plus, I. B. Singer, se montre cir-conspect quand il lit Schulz pour lapremière fois, en 1965 : « Il écritcomme Kafka, il écrit comme Proust,il parodie toutes sorte de styles, et cefaisant il atteint une profondeur quen’ont ni Proust ni Kafka. » Ce rap-prochement récurrent vient aussi dufait que Schulz a signé la traductiondu Procès qu’avait faite sa fiancée,Jo’zefina Szelinska en 1936 et écritune postface où il met en relief ses

affinités avec cet écrivain encoreinconnu en Pologne. Mais il devintensuite la figure de proue de la litté-rature polonaise, et sortit du purgatoi-re au milieu des années soixante pourprendre une dimension légendaire. Ila fait l’admiration de romanciers telsque Witold Gombrowicz, JohnUpdike, Bohumil Hrabal ou DaniloKis. En 1986, David Grossman a publiéen Israël une fiction superbe qui apour titre Voir ci-dessous : amour.Dans ce livre, un jeune garçon israé-lien, Momik, apprend l’horreur indi-cible de la Shoah quand le « grand-père » Wassermann, auteur de livrespour enfants, revient vivant d’uncamp de concentration. Cette plon-gée dans le temps de l’Holocaustefait apparaître la silhouette frêle deSchulz à Dantzig. Le fugitif, qui aéchappé à sa fin atroce, va voir lecélèbre tableau de Munch, Le Cri,dans une galerie. Son apparitionirréelle donne lieu à un enchaîne-ment de visions métaphoriques quirestituent l’essentiel de sa quête inté-rieure.

* Jerzy Ficowski, Les Régions de la grandehérésie, Éd. Noir sur Blanc, 2004, 240 p.,25,35 €

** Claudio Magris, Loin d’où ?, Le Seuil, 2009,470 p., 26,40 €

*** Seuil, 1991.

Le curieux Monsieur Schulzpar Gérard-Georges Lemaire

Bruno Schulz, Récits du treizième mois, œuvres defiction complètes, traduit du polonais par Alain vanGrugten, Éd. L’Âge d’Homme, coll. Classiquesslaves, 424 p., 27 €

12 PNM n°327 - Juin-Juillet-Août 2015

L i t t é r a t u r e

FrançoisMasperon’est plus

Né dans une famille d’érudits,traducteur aussi, ce quiouvre l’esprit à ce qui se

passe ailleurs, c’était un espritouvert. Son influence fut considéra-ble. Militant mais aussi éditeur etlibraire. Pendant la guerred’Algérie, quand l’OAS s’en pre-nait aux personnalités qui lui déplai-saient, des militants montaient enpermanence la garde devant salibrairie, La joie de lire, la biennommée. Au cœur du Quartier latin,face à la Sorbonne. Comment résis-ter à la tentation de passer y bouqui-ner, chercher de quoi s’instruire.Sur ce dont on ne parlait pasailleurs, entre autres. Ce fut undécouvreur doublé d’un hommed’action. Ainsi fut-il notamment co-fondateur, du Tribunal BertrandRussel pour la Palestine.