9
FRANÇAIS Toutes séries Nº : 01048 Fiche Cours LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE 1 En partenariat avec : © T ous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com Plan de la fche : 1. Les débuts 2.  Madame Bovary 3. Salammbô et L’Education sentimentale 4. Le dernier Flaubert Les débuts Flaubert est né le 12 décembre 1821 dans une famille de la bourgeoisie rouennaise. Sa mère Caroline, née Fleurion, est la lle d’un médecin de Pont-l’Evêque ; son père, Achille Flaubert, est chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Rouen. Le frère aîné de Gustave, Achille, suivra les traces de son père et deviendra médecin. Sa soeur cadette, dont il est très proche, Caroline, naît en 1824. Selon les usages, Gustave entre comme interne au collège royal de Rouen, en classe de huitième, en février 1832. Sa scolarité est plutôt brillante, même si le comportement adolescent du jeune Flaubert ne correspond guère aux attentes de ses professeurs. En sixième, il fonde avec son ami Ernest Chevalier un petit journal,  Art et Progrès. En cinquième, Gustave est vivement encouragé par son professeur principal, Gourgaud, qui lui prescrit des « narrations à composer » et l’encourage à écrire des textes de son cru. Dès son enfance, il baigne dans la culture bourgeoise du début du XIX e siècle. Cell e-ci comporte plusieurs éléments distinctifs, au nombre desquels il faut compter des oeuvres liées à la morale chrétienne mais dont il rejette le contenu proprement mystique et des oeuvres caractéristiques de la culture bourgeoise : les classiques grecs et latins, les auteurs français du XVI e mais surtout des XVII e (Corneille, Molière) et XVIII e siècles (Voltaire, Rousseau), des livres d’histoire, des récits de voyage, et quelques classiques anciens et récents de la littérature étrangère (Cervantès, Le Tasse, L’Arioste…). Les auteurs romantiques contemporains semblent moins nombreux dans les bibliothèques bourgeoises. Dans cette perspective, la culture littéraire que se constitue Flaubert dans ses jeunes années est originale : s’il apprend à lire à partir des classiques, comme Rabelais ou Cervantès, il dévore également avec admiration la littérature romantique, celle des Hugo, Dumas, Balzac, Byron... Les penchants littéraires de Gustave sont largement reétés par ses premiers écrits qui sont des récits historiques, des contes philosophiques et fantastiques, des drames, inspirés de Balzac, de la vogue pour l’histoire, du romantisme noir de La Comédie de la mort de Théophile Gautier, de l’exot isme des Orientales de Victor Hugo. Il écrit en 1838 une sorte d’autobiographie romantique, les  Mémoires d’un fou, dédiées à son ami Alfred le Poittevin, de cinq ans son aîné. Le livre évoque la rencontre passionnée qu’il t à 15 ans, l’été 1836, à Trouville, d’Elisa Foucault, compagne de l’éditeur de musique Maurice Schlesinger, qu’elle épouse en 1840. Toute sa vie, Flaubert gardera des liens avec le couple. Cette rencontre inspirera la première et la seconde Education sentimentale. En 1839, Gustave compose une nouvelle fantastique, Smarh, dont bien des aspects annoncent La T entation de saint Antoine. En août 1840, Flaubert est bachelier, et il parcourt les Pyrénées et la Corse jusqu’en octobre. Puis, il s’inscrit à la faculté de droit, à Paris, puisqu’il a été décidé qu’il deviendrait av ocat. De 1841 à 1844, Gustave délaisse ses études et mène à Paris une vie de bohême, qu’il consacre à l’écriture. Ce parcours n’a rien d’original : dans la première moitié du XIX e siècle, la bohême est un phénomène culturel fondamental, le véritable creuset du champ littéraire. Elle se caractérise par la marginalité sociale, ma is aussi par une certaine centralité, puisqu’il s’agit d’un fait essentiellement parisien. Ces groupes de jeunes artistes partagent un style de vie spécique, antibourgeois, et une culture de la marginalité et de la provocation. En 1842, Gustave écrit Novembre, texte inspiré par le mal du siècle, avant d’achever en 1845 la première Education sentimentale : il s’agit là d’un roman du désertement, qui interroge déjà le romantisme, remettant en question l’engagement dans la sphère publique et la posture prophétique qui en sont indissociables. Entr e-temps, il a fait à Paris la connaissance de Maxime du Camp, à qui il est rapidement très lié. De plus, sa première crise d’épilepsie, en janvier 1844, lui a permis d’ abandonne r dénitivemen t ses études de droit. Le 3 mars 1845, sa soeur Caroline épouse Emile Hamard. Flaubert et ses parents accompagnent le couple en Italie, et traversent la Provence, Gênes, Milan, Genève, Ferney, Besançon. Il est marqué par l a découver te à Gênes de La T entation de saint Antoine, de Bruegel , qui lui inspire un texte qu’il retravaillera quelques années plus tard. 1846 est l’année des deuils : Gustave perd successivement son Biographie de Flaubert

Biographie_Flaubert

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 1/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

1

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

Plan de la fche :

1. Les débuts

2. Madame Bovary 3. Salammbô et L’Education sentimentale4. Le dernier Flaubert

Les débuts

Flaubert est né le 12 décembre 1821 dans une famille de la bourgeoisie rouennaise. Sa mère Caroline, née Fleurion, est la lle d’unmédecin de Pont-l’Evêque ; son père, Achille Flaubert, est chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Rouen. Le frère aîné de Gustave, Achille,suivra les traces de son père et deviendra médecin. Sa soeur cadette, dont il est très proche, Caroline, naît en 1824.Selon les usages, Gustave entre comme interne au collège royal de Rouen, en classe de huitième, en février 1832. Sa scolarité estplutôt brillante, même si le comportement adolescent du jeune Flaubert ne correspond guère aux attentes de ses professeurs. Ensixième, il fonde avec son ami Ernest Chevalier un petit journal, Art et Progrès. En cinquième, Gustave est vivement encouragé parson professeur principal, Gourgaud, qui lui prescrit des « narrations à composer » et l’encourage à écrire des textes de son cru.Dès son enfance, il baigne dans la culture bourgeoise du début du XIXe siècle. Celle-ci comporte plusieurs éléments distinctifs, aunombre desquels il faut compter des oeuvres liées à la morale chrétienne mais dont il rejette le contenu proprement mystique etdes oeuvres caractéristiques de la culture bourgeoise : les classiques grecs et latins, les auteurs français du XVIe mais surtout des

XVIIe (Corneille, Molière) et XVIIIe siècles (Voltaire, Rousseau), des livres d’histoire, des récits de voyage, et quelques classiquesanciens et récents de la littérature étrangère (Cervantès, Le Tasse, L’Arioste…). Les auteurs romantiques contemporains semblentmoins nombreux dans les bibliothèques bourgeoises. Dans cette perspective, la culture littéraire que se constitue Flaubert dansses jeunes années est originale : s’il apprend à lire à partir des classiques, comme Rabelais ou Cervantès, il dévore également avecadmiration la littérature romantique, celle des Hugo, Dumas, Balzac, Byron...

Les penchants littéraires de Gustave sont largement reétés par ses premiers écrits qui sont des récits historiques, des contesphilosophiques et fantastiques, des drames, inspirés de Balzac, de la vogue pour l’histoire, du romantisme noir de La Comédie de lamort de Théophile Gautier, de l’exotisme des Orientales de Victor Hugo. Il écrit en 1838 une sorte d’autobiographie romantique, les Mémoires d’un fou, dédiées à son ami Alfred le Poittevin, de cinq ans son aîné. Le livre évoque la rencontre passionnée qu’il t à 15ans, l’été 1836, à Trouville, d’Elisa Foucault, compagne de l’éditeur de musique Maurice Schlesinger, qu’elle épouse en 1840. Toute savie, Flaubert gardera des liens avec le couple. Cette rencontre inspirera la première et la seconde Education sentimentale. En 1839,Gustave compose une nouvelle fantastique, Smarh, dont bien des aspects annoncent La Tentation de saint Antoine. En août 1840,

Flaubert est bachelier, et il parcourt les Pyrénées et la Corse jusqu’en octobre. Puis, il s’inscrit à la faculté de droit, à Paris, puisqu’ila été décidé qu’il deviendrait avocat.

De 1841 à 1844, Gustave délaisse ses études et mène à Paris une vie de bohême, qu’il consacre à l’écriture. Ce parcours n’a riend’original : dans la première moitié du XIXe siècle, la bohême est un phénomène culturel fondamental, le véritable creuset du champlittéraire. Elle se caractérise par la marginalité sociale, mais aussi par une certaine centralité, puisqu’il s’agit d’un fait essentiellementparisien. Ces groupes de jeunes artistes partagent un style de vie spécique, antibourgeois, et une culture de la marginalité et dela provocation. En 1842, Gustave écrit Novembre, texte inspiré par le mal du siècle, avant d’achever en 1845 la première Educationsentimentale : il s’agit là d’un roman du désertement, qui interroge déjà le romantisme, remettant en question l’engagement dansla sphère publique et la posture prophétique qui en sont indissociables. Entre-temps, il a fait à Paris la connaissance de Maxime duCamp, à qui il est rapidement très lié. De plus, sa première crise d’épilepsie, en janvier 1844, lui a permis d’abandonner dénitivementses études de droit.

Le 3 mars 1845, sa soeur Caroline épouse Emile Hamard. Flaubert et ses parents accompagnent le couple en Italie, et traversent la

Provence, Gênes, Milan, Genève, Ferney, Besançon. Il est marqué par la découverte à Gênes de La Tentation de saint Antoine, de Bruegel,qui lui inspire un texte qu’il retravaillera quelques années plus tard. 1846 est l’année des deuils : Gustave perd successivement son

Biographie de Flaubert

Page 2: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 2/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

2

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

père, le 15 janvier, et sa soeur, le 23 mars. Il se retire à Croisset, la résidence secondaire de la famille, avec sa mère. Son père laisse  derrière lui une fortune évaluée lors de l’Enregistrement à 500 000 francs. Cet héritage lui permet de s’adonner librement à lacarrière d’écrivain : isolé, rentier, Flaubert peut se consacrer à la littérature.

C’est également en 1846 que Flaubert rencontre Louise Colet, qui devient rapidement sa maîtresse, et le reste pendant deux ans.

De mai à juillet 1847, Flaubert entreprend en compagnie de Maxime du Camp un voyage qui les mène en Anjou, en Bretagne et enNormandie. Les deux amis consignent leurs impressions dans Par les champs et les grêves, texte qui ne paraîtra qu’en 1885.

La France vit alors une époque troublée. La jeunesse de Flaubert correspond à la n de la Restauration, provoquée par le refusde Charles X de jouer le jeu du régime représentatif. Le 8 août 1829, il renvoie Martignac, un libéral, de la tête du ministère, etle remplace par le prince de Polignac. De nombreux ministres rappellent pareillement l’Ancien Régime, tels Bourmont ou LaBourdonnaye. Selon Metternich, « l’événement a valeur d’une contre-révolution ». Soumis à une opposition de plus en plus virulente,le roi dissout la chambre des députés le 16 mai 1830. Les élections, qui se déroulent du 23 juin au 19 juillet, voient le nombre desdéputés d’opposition passer de 221 à 270. Le 26 juillet, Charles X persistant dans la voie de la monarchie absolue, publie quatreordonnances par lesquelles il durcit les lois électorales, supprime la liberté de la presse, dissout la chambre et organise de nouvellesélections. C’est l’épreuve de force. Des barricades sont dressées tandis que l’insurrection s’organise. Les 28 et 29 juillet, le peuplede Paris s’empare de la ville. Les parlementaires réagissent alors, et organisent un gouvernement provisoire. Celui-ci envisage unchangement de dynastie, prend en compte l’héritage politique de la Révolution, met n aux espoirs des tenants de la monarchieabsolutiste sans toutefois proclamer la République : le 30 juillet, le duc d’Orléans est désigné comme lieutenant général du royaume.

La chambre des députés, qui ne se sent guère entravée par sa dissolution, entreprend de réviser la constitution : le roi de Francedevenait roi des Français, la religion catholique cessait d’être religion d’Etat, et la loi électorale était assouplie. Le 9 août, le prince jure d’observer dèlement la charte, et devient Louis-Philippe I er. La révolution de 1830 se voulait universelle, comme celle de 1789,et fut le point de départ de nouvelles révolutions en Europe. Elle incarne les espoirs romantiques : les Trois Glorieuses ont étéreprésentées par exemple par Delacroix avec sa Liberté guidant le peuple.

A partir de 1840 et avec l’arrivée au pouvoir de Guizot, le régime de la monarchie de Juillet se ge autour du conservatisme etde l’autoritarisme d’un roi vieillissant et coupé des réalités, qui sous-estime le mécontentement de l’opinion. Une campagne debanquets est engagée pour faire baisser le cens électoral, et le gouvernement commet l’erreur d’interdire le banquet prévu à Parisle 22 février 1848. Le lendemain, l’agitation renaît, des barricades s’élèvent, et la garde nationale fait défection. Guizot est renvoyé,mais alors que des manifestations de joie se déroulent devant son ministère, le service d’ordre perd son sang froid et tire sur lafoule. L’émeute se généralise, et les insurgés investissent les Tuileries le 24 février. Le roi abdique en faveur de son petit-ls, le comtede Paris, et s’enfuit en Angleterre. Un gouvernement provisoire est constitué, regroupant Lamartine, Ledru-Rollin, Arago, Garnier-

Pagès, Marie, Louis Blanc et le mécanicien Albert. La bourgeoisie parisienne est transportée d’enthousiasme par les événements,et multiplie les manifestations exprimant une mystique humanitaire et démocratique que l’on retrouve dans les premiers actesdu gouvernement : suppression de la peine de mort le 25 février ; proclamation du suffrage universel le 1 er mars ; abolition del’esclavage le 27 avril ; afrmation de la liberté de la presse et de la liberté de réunion. Flaubert a été un témoin privilégié de larévolution de 1848. Alerté par ces manifestations du 22 février 1848, il se rend à Paris avec son ami Louis Bouilhet pour y rejoindreMaxime du Camp. Tous trois assistent en spectateur à la chute de Louis Philippe. Dans L’ Education sentimentale , Flaubert décrira àla perfection l’esprit libertaire de 48, qui marque le paroxysme paradoxal des ambitions romantiques.

Marqué par ces événements et par le décès de son ami Alfred Le Poittevin, il décide d’écrire La Tentation de saint Antoine. Il s’isoleà Croisset, relit ses notes, et entame la rédaction « le mercredi 21 mai 1848 à trois heures un quart ». Cette dernière, menée dansle plus grand secret, sera achevée le 12 septembre 1849. Gustave réunit Maxime du Camp et Louis Bouilhet à Croisset pour leurlire son oeuvre in extenso. Les deux amis, perplexes, estiment que l’oeuvre est impubliable, jugement que l’auteur vit comme unecatastrophe intime. Il n’a pourtant pas le temps de se morfondre : en octobre 1849, il part pour l’Orient avec Du Camp. Pendantprès de vingt mois, les deux amis parcourent l’Egypte, la Palestine, la Syrie, le Liban, l’Asie Mineure, visitent Constantinople et

Athènes, puis remontent toute l’Italie de Naples à Venise. Les différentes étapes de ce voyage ont été précisées par Flaubert dansses lettres et ses carnets de voyage. Ce périple, et en particulier la découverte de l’Egypte lors de la descente du Nil, remodèlel’imaginaire de l’écrivain, marqué avant tout par la beauté monumentale des temples et des nécropoles antiques, la splendeur despaysages éclairés par une lumière incomparable, les charmes de la femme orientale. Il convient de préciser que l’Orient est unedestination à la mode pour les écrivains de la première moitié du XIX e siècle : un tel voyage a déjà été accompli et relaté parChateaubriand, Lamartine ou encore Nerval. Cette attitude culmine dans le philhellénisme, soutien spontané de certains artistesaux révolutionnaires grecs en lutte contre l’occupation ottomane, qui se manifeste surtout entre 1821 et 1822, et entre 1824 et1826. Les romantiques en particulier suivent les traces de Byron, qui a rejoint la Grèce en 1823 accompagné de la « brigade Byron »,pour y mourir au siège de Missolonghi. L’Orient est également un objet de fascination esthétique, et l’orientalisme s’impose commeune tendance majeure dans l’ensemble de la production artistique, ce dont témoignent les Orientales de Hugo ou les peintures deDelacroix , comme Les massacres de Scio (1824) ou La Grèce sur les ruines de Missolonghi (1826).

Page 3: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 3/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

3

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

Madame Bovary

De retour d’Orient, Flaubert se rend à Croisset, résolu à se consacrer à une oeuvre romanesque qu’il veut novatrice, et s’attelle àla rédaction de Madame Bovary . Il renoue contact avec Louise Colet. Celle-ci est une femme de lettres qui tient salon, liée à Vigny,Leconte de Lisle, ou encore Marceline Desbordes-Valmore. Dans près de deux cents lettres, Gustave multiplie les condences sur

la genèse de Madame Bovary , dont il rapporte toutes les étapes. Le scénario du livre est établi en six semaines, et s’inspire de la vied’un ancien élève de son père, Eugène Delamare. Ofcier de santé en Normandie, celui-ci avait épousé en secondes noces DelphineCouturier, laquelle s’était empoisonnée en 1848 après l’avoir trompé. Delamare était mort de chagrin en 1849. La rédactioncommence le 19 septembre 1851 et durera cinq ans, pour ne s’achever que le 30 avril 1856.Au milieu du XIXe siècle, les romans étaient généralement publiés dans la presse sous forme de feuilleton, avant d’être publiés envolume. Madame Bovary ne fait pas exception : le roman est publié sous forme pré originale en six livraisons dans la Revue de Paris,dirigée par Maxime du Camp, entre le 1er octobre et le 15 décembre 1856. Du Camp, qui craint la censure impériale, procède àplusieurs suppressions, qui touchent les passages où Flaubert se joue le plus du bon goût et de la morale. Pourtant, les services de lacensure impériale se penchent sur le texte, et font interdire la publication en volume. Des poursuites sont engagées contre l’auteuret son éditeur pour « outrage à la morale publique et religieuse ». Le procès se déroule du 31 janvier au 7 février 1857 : attaqué parle procureur impérial Pinard, Flaubert est défendu par l’avocat rouennais Senart. Le procureur dénonce les « tableaux lascifs » duroman et les insultes faites à la religion, « images voluptueuses mêlées aux choses sacrées ». Il met surtout en cause le « réalisme »de l’œuvre, considéré comme un principe vulgaire, amoral, matérialiste, choquant et impudique. De telles attaques rappellent laphrase du critique Bazire sur Manet : « L’Empire avait des goûts d’idéal, et détestait qu’on vît les choses telles qu’elles sont. » L’issue duprocès est positive : Flaubert fait jouer ses solides appuis et obtient son acquittement et celui des éditeurs de la Revue de Paris. S’ilrelève les excès du livre, le verdict reconnaît sa valeur pédagogique et sa qualité artistique. En revanche, le 20 août 1857, devant lamême cour, attaqués par le même producteur pour des motifs semblables, Baudelaire et son éditeur Poulet-Malassis verront lesFleurs du mal condamnées. Quant à Madame Bovary , le scandale lié au procès lui assure une publicité considérable. Le livre paraîten avril chez Michel Levy, et les ventes s’envolent rapidement. Les critiques abondent, et sont souvent positives, comme celles deBaudelaire, Sainte-Beuve ou encore Barbey d’Aurevilly.

 Madame Bovary est la première œuvre littéraire majeure d’un nouveau régime politique, le Second Empire. En effet, la deuxièmeRépublique a pris n le 2 décembre 1851. Le coup d’Etat qui se déroule ce jour-là découle directement de l’impossibilité de réviserla constitution. Elu triomphalement président de la République pour quatre ans en décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparten’est en effet pas autorisé à briguer un nouveau mandat en 1852, et l’assemblée législative lui refuse toute possibilité de révision. Leprésident prépare alors l’épreuve de force : il discrédite l’assemblée, qui avait réduit le suffrage universel par la loi du 31 mai 1850,et inquiète les classes moyennes en évoquant la montée d’un « péril rouge » ; par ailleurs, il nomme des ministres dévoués, épure

l’administration et le corps préfectoral, s’assure enn du contrôle de l’armée et de la police. Il suft alors de quelques hommesdécidés pour mener à bien le coup d’Etat, à la date symbolique du deux décembre, anniversaire du sacre de Napoléon et de lavictoire d’Austerlitz. A l’aube, tandis que les hommes du président se sont rendus maîtres du Palais-Bourbon, des afches sontplacardées et annoncent la dissolution de l’assemblée, le rétablissement du suffrage universel et le plébiscite sur le pouvoir accordéà Louis-Napoléon Bonaparte de rédiger une nouvelle constitution. La résistance parisienne est rapidement brisée. L’histoire de la IIe République est celle d’une série d’échecs : échec de la démocratie politique marquée par la mauvaise gestion du suffrage universel,échec de la démocratie sociale marquée par la crise des journées de juin, échec à empêcher le coup d’Etat et la mise en placed’un régime autoritaire. L’esprit de 48 sera par la suite dûment raillé : le coup d’Etat du 2 décembre 1851 entérine l’échec de lagénération romantique, la n des espérances démocratiques et de l’idéologie de la fraternité universelle. La rédaction de MadameBovary épouse donc les premières années d’un nouveau régime.

L’échec de la IIe République, qui est celui d’une tentative démocratique prématurée, a un impact direct sur le travail romanesque deFlaubert et sur son rapport au réel : selon lui, 1848 a permis de démasquer et démystier les aristocraties : 1851 met en évidence labêtise du nouveau maître politique, le peuple. La volonté d’écrire un roman moderne est étroitement liée à ce constat pessimiste.

Salammbô et L’Education sentimentale

En mai et juin 1856, Flaubert réunit des notes sur le Moyen Age, avec l’ambition d’écrire une Légende de Saint Julien. De même, ilremanie le texte de sa Tentation de Saint Antoine de 1849, pour en donner une version beaucoup plus courte. Quelques passagessont publiés dans la revue L’Artiste par Théophile Gautier, en décembre 1854 et en janvier 1857.

Lors du procès, ils sont cités à charge par le procureur impérial. Flaubert, qui craint d’être à nouveau poursuivi devant les tribunaux,choisit d’abandonner provisoirement ces deux projets. Il revient à un projet de 1852, laissé à l’état de scénario, La Spirale, « romanmétaphysique fantastique et gueulard ». Il cherche surtout à s’éloigner à tout prix du roman contemporain et occidental qui l’a renducélèbre. Pendant la rédaction de Madame Bovary, il rêvait déjà d’Orient et d’antiquités, écrivant à Louise Colet le 2 janvier 1854 :

« Je suis entraîné à écrire de grandes choses somptueuses, des batailles, des sièges, des descriptions du vieil Orient fabuleux  ». De marsà septembre 1857, il effectue des recherches poussées sur l’Afrique du Nord et les réalités carthaginoises dans l’Antiquité; puis

Page 4: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 4/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

4

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

il entame la rédaction de son projet « Carthage », « roman dont l’action se passera trois siècles avant Jésus-Christ » (qui deviendraSalammbô), pensant pouvoir l’achever en un an. Il partage son temps entre Croisset et Paris (où il loue un appartement au 42,boulevard du Temple), entre l’écriture et les séjours mondains. Il se heurte rapidement à des difcultés dans la rédaction de sonnouveau roman, comprenant qu’il ne pourra la mener à bien avant d’avoir arpenté lui-même les lieux qu’il lui faut décrire.L’écrivain entreprend alors un voyage en Afrique du Nord, pour mieux se documenter. Il quitte Paris le 12 avril 1858 pour un voyage

qui durera deux mois, et le mènera de Philippeville aux zones limitrophes de l’Algérie, en passant par Constantine,Tunis, les ruinesde Carthage, le littoral tunisien et l’ouest de la Tunisie. Dès son retour à Croisset, le 9 juin, il repasse à l’encre les quelques centcinquante pages de notes prises au crayon sur son carnet de voyage, dans lesquelles il a multiplié les notations de couleurs et lesrelevés topographiques. Désormais rassuré quant à l’authenticité possible de la représentation de l’Orient antique, il reprend àzéro la rédaction de Salammbô. Ce souci de précision et de vérité est à resituer dans le contexte culturel plus large du renouveaude l’histoire. Avec le romantisme, l’histoire se dégage de la philosophie, sans toutefois s’affranchir complètement du mythe : elleest avant tout mémoire des origines.

Le XIXe siècle devient alors le siècle de l’histoire, qui balance entre histoire savante et histoire nationale. Dès les années 1820-1830,l’effervescence éditoriale est manifeste, avec par exemple la publication des Mémoires relatifs à l’histoire de France, ou des Documentsinédits de l’histoire de France (1834). Dans les années 1850, une conception nouvelle de l’histoire s’impose : Michelet est le premierhistorien français important à recourir systématiquement à l’utilisation critique des sources. C’est une période d’intense productiond’histoires de la Révolution française : les historiens cherchent à comprendre et construire le présent en l’historicisant.

En situant son roman dans l’Orient antique, Flaubert est bien loin de ces préoccupations. De plus, l’exactitude scientique n’est pasl’objectif premier de son écriture. Le 15 octobre 1858, il écrit à Ernest Feydeau « On ne sait rien de Carthage (mes conjectures sont  je crois sensées, et j’en suis même sûr d’après deux ou trois choses que j’ai vues) (…) il faudra que ça réponde à une certaine idée vague ».Ses recherches livresques et topographiques sont donc toujours dirigées par une exigence de « vague », qui redénit les relationsentre ction et érudition.Le roman, qui compte nalement quinze chapitres, est achevé à la mi-avril 1862, résultat d’un travail quasi ininterrompu. Il estpublié par Michel Levy le 24 novembre, après de longues négociations, Flaubert posant pour principe l’acceptation du romansans lecture préalable et un refus dénitif de toute illustration. La réaction des critiques est virulente, et Sainte-Beuve reproche àl’auteur de s’être laissé aller au « sadisme » sans discernement, tandis que les Goncourt l’accusent d’avoir voulu imiter les Martyrsde Chateaubriand.Flaubert entretient également un débat houleux avec l’archéologue Froehner qui lui reproche plusieurs inexactitudes ou imprécisionshistoriques. Seule George Sand publie un article favorable, qui marque le début d’une longue et amicale correspondance entre lesdeux écrivains. La polémique ne fait qu’amplier le succès du livre qui est considérable : deux mille exemplaires sont vendus en

deux jours, le deuxième tirage est épuisé le 13 décembre, le troisième avant la n de janvier 1863. Les scandales sont légion : tandisque les petits périodiques raillent les amours de Mâtho et Salammbô et l’usage fréquent de mots savants, les familles bourgeoisess’offusquent des scènes de zoophilie, de supplices et d’anthropophagie.

Pendant plusieurs semaines, le roman inue sur la vie culturelle parisienne, inspire les activités des salons et de la Cour, envahitles bals costumés. Le 9 février 1863, à l’occasion du bal de la cour, Madame Barbe Rimski-Korsakov fait sensation dans sa robe« Salammbô ». Dans les théâtres parisiens, on joue de multiples parodies du roman de Flaubert, comme Folammbô ou les Cocasseriescarthaginoises, opérette de Laurencin et Clairville, créée le 1er mai 1863. Grâce à Salammbô, Flaubert s’impose donc comme unécrivain à la mode, une gure incontournable du champ littéraire français. Il se lie avec de nombreux hommes de lettres : Sainte-Beuve, Baudelaire, Feydeau, les frères Goncourt, Henri Monnier, Paul de Saint -Victor, le marquis de Chennevières ou encoreAurélien Scholl. En avril 1862, Gavarni, Sainte-Beuve et les Goncourt créent « les dîners Magny » : lors de ces repas, qui se déroulentau restaurant Magny (ouvert en 1842 à proximité de la rue Dauphine), des hommes de lettres se réunissent pour discuter de sujetsdivers. Flaubert y est invité dès le mois suivant, et s’y rendra régulièrement. Il y côtoiera notamment Taine, Renan, Théophile Gautier,M. Berthelot, A. Robin, George Sand à partir de 1866, ou encore Tourgueniev. Au sein de ce que ses fondateurs considèrent comme

« le dernier cénacle de la vraie liberté de penser et de parler », Flaubert est en contact avec certains des plus importants acteurs dela culture savante. Il se familiarise avec l’esprit scientiste, la libre-pensée, c’est-à-dire une manière de penser l’Histoire et la sociétédes hommes en se détachant des représentations religieuses, mais en insistant sur un examen minutieux des sources et le strictrespect d’une méthode scientique. Cette culture nouvelle à laquelle il participe, Flaubert va chercher à la mettre en oeuvre dansses romans, radicalisant ses partis pris littéraires.Il rédige d’abord, en collaboration avec ses amis Louis Bouilhet et le comte d’Osmoy, une féerie, Le château des coeurs. Son contratavec Levy stipule que son prochain livre doit être un « roman moderne parisien ». Flaubert hésite alors entre plusieurs projets,et prépare notamment, sous le titre « Les Deux Cloportes », le plan de l’histoire de deux copistes qui entreprennent d’enregistrerles bêtises de leur temps après les avoir expérimentées, dans lequel on peut reconnaître le futur Bouvard et Pécuchet . Il choisitnalement de se consacrer aux expériences d’un jeune homme dans son temps : le projet initial, formulé en 1864, est un romand’amour (dont le titre de travail est « Madame Moreau ») qui a pour cadre la n de la monarchie de Juillet et la II e République ;Flaubert nit par l’intégrer à une fresque historique d’envergure, qu’il nomme L’ Education sentimentale. La rédaction du romancommence le 1er septembre 1864, pour ne s’achever qu’en 1869. Au cours de ces cinq ans, Flaubert multiplie les séjours à Paris, où

il est invité dans tous les salons. Il fréquente en particulier le salon de la princesse Mathilde, nièce de Napoléon III, où, dès 1868, ildîne tous les mercredis lors de ses séjours parisiens. En novembre 1864, l’empereur l’invite à Compiègne, et le fait chevalier de laLégion d’honneur le 15 août 1866.

Page 5: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 5/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

5

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

Flaubert a donc su jouir des privilèges du Second Empire, qui a représenté pour lui une période plutôt prospère. La « fêteimpériale » a proté à la culture bourgeoise, qui s’est épanouie, particulièrement au théâtre, avec les opérettes d’Offenbach, lespièces d’Alexandre Dumas-ls ou de Labiche. La « fête impériale » ne fut pourtant pas toujours celle de la pensée : dans la premièredécennie du nouveau régime, beaucoup d’écrivains et d’artistes sont réduits au silence ou condamnés à l’exil. Les Châtiments deHugo, écrivain pourtant reconnu, sont vendus et lus clandestinement.L’époque est cependant fondamentale dans le renouvellement des doctrines philosophiques et scientiques. Le Second Empireapparaît comme une période remplie de contradictions. Il se veut une période de paix, mais la France a participé à trois guerres(Crimée, Italie, Mexique) avant d’être vaincue par la Prusse. La censure ofcielle et l’absence de liberté d’expression s’opposent àune réelle prospérité économique et au développement de liens puissants entre une partie du patronat et les milieux politiques,la prospérité de ces nouveaux riches ayant été largement décrite par Zola dans les « Rougon-Macquart ». Surtout, l’oppositionest nette entre l’Empire autoritaire, de 1852 à 1860, et l’Empire libéral, de 1861 à 1870. La première phase du régime voit tout uncorpus de lois contre les libertés (et en particulier la liberté de la presse) se mettre en place, tandis que le 27 février 1858, la loi desûreté générale est le signe certain d’une forte crispation politique : la répression des délits politiques est plus brutale que jamais.A partir de 1861, l’évolution libérale du régime est nette et se traduit par une succession de réformes concernant le fonctionnementdes institutions et promouvant le suffrage universel. Ainsi, la période semble toujours hésiter entre archaïsme (la mise en placed’un régime anti-républicain, puisant ses modèles d’exercice du pouvoir dans le passé) et modernité : modernité des entrepreneurs,modernité des nouvelles formes d’art, d’architecture et d’urbanisme (Haussmann), modernité politique avec la pratique d’uneforme de démocratie directe, le plébiscite.

Sous-titré « Histoire d’un jeune homme », le roman nourri de ces contradictions paraît à Paris chez Michel Lévy le 17 novembre1789. La critique se montre unanimement hostile, et particulièrement virulente, à l’exception de Zola, Banville et George Sand.L’œuvre est également un échec auprès du public, et ne connaît qu’un unique tirage de trois mille exemplaires, qui n’est toujourspas épuisé en 1873.

Le canevas de L’Education sentimentale est délibérément autobiographique, et mêle les souvenirs de ses amours (sa rencontreavec Elisa Schlesinger), de ses études (le collège en particulier), de sa vie parisienne et de son expérience de spectateur de 1848.Pourtant, l’histoire de Frédéric Moreau n’est pas l’histoire de sa vie : ces souvenirs sont transcrits sur un mode impersonnel,employés comme une simple matière documentaire. L’ambition avouée de Flaubert est bien plus vaste : «   je veux faire l’histoiremorale des hommes de ma génération ; "sentimentale " serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion telle qu’elle peut exister maintenant,c’est-à-dire inactive ». De fait, le livre représente l’ensemblede la société parisienne du milieu du siècle (politique, journalisme, arts,révolution). Surtout, il met en scène la jeunesse romantique et ses élans avortés, la lente dégradation de ses espoirs personnels etde ses espérances politiques et sociales. En proclamant nalement qu’il n’y a pas d’« éducation sentimentale » et que la vie n’est quele résultat des hasards malheureux et de l’ironie des choses, Flaubert rend compte avec lucidité des désillusions romantiques.

L’Education sentimentale constitue une rupture dans l’histoire du roman historique et du roman réaliste, transformés tant par unestructure déceptive originale que par une poétique novatrice. Flaubert a toujours à coeur de représenter l’Histoire, comme il l’afait dans Salammbô. Il applique à l’époque qu’il a choisi de traiter les méthodes d’érudition mises au point par les historiens deson temps. Il se consacre à six mois de recherches minutieuses sur la révolution de 1848, et se renseigne sur divers sujets qui luipermettent de donner une image authentique de la société réelle : on peut donner l’exemple de la fabrication et du commercedes faïences, ou des études sur le croup (laryngite pseudo-membraneuse, le plus souvent causée par la diphtérie) faites à l’hôpitalTroussier. Le travail préparatoire à la rédaction regroupe quatre carnets d’enquête, et près de cinq mille pages de notes et debrouillons. Le fondement du travail du romancier est bien scientique. Mais Flaubert choisit de se dégager du roman balzacien,refusant que L’Education sentimentale en soit une simple forme évolutive. Son roman est une réponse au Lys dans la vallée et auxIllusions perdues. De fait, Balzac se dénissait comme le « secrétaire » de la société ; Flaubert, quant à lui, entend être perçu commeson adversaire. La société qu’il décrit est composée de ce qu’il n’aime pas, des erreurs faites par sottise et des espérances trahiespar l’Histoire. Le perfectionnisme stylistique de l’écrivain doit également être compris dans cette perspective : s’il veut que même

les phrases les plus anodines se situent au- dessus des effets moyens dont se contentent les autres écrivains, c’est que son styleest conçu comme une vengeance permanente sur la médiocrité et la laideur qui, pour lui, caractérisent le XIX e siècle. La quêtedésespérée d’une écriture travaillée permet au livre d’échapper à la platitude bourgeoise qui a envahi la société, et de réduirel’angoisse qu’engendre un monde sans transcendance.

Flaubert dénit dans sa correspondance son statut d’écrivain, et veut être perçu comme un « artiste », c’est-à-dire comme unhomme qui se livre à un double jeu social. Il écrit par exemple : « Oui, je soutiens (et ceci pour moi doit être un dogme pratique dans lavie d’artiste) qu’il faut faire dans sa vie deux parts : vivre en bourgeois et penser en demi-dieu ». De fait, grâce à un héritage confortable,Flaubert vit en bourgeois. Selon lui, pour être pleinement libre, l’écrivain doit assurer son indépendance nancière (les autresartistes étant soumis aux contraintes du système académique ou aux exigences des clients), ce qui est alors une préoccupationcourante : comme Flaubert, les Goncourt sont rentiers, tandis que Gautier ou encore Nerval écrivent de la littérature alimentairepour survivre et que de nombreux jeunes écrivains précaires s’engagent dans le journalisme. Il faut noter que la condition d’écrivainévolue : la génération arrivant à l’âge adulte dans les années 1820 est la première à pouvoir vivre des rentes de ses ouvrages, grâceau développement du monde de l’édition, dont les évolutions sont calquées sur le monde de l’industrie, et à l’élargissement dupublic (lié aux progrès de l’alphabétisation et de l’enseignement secondaire) : le public tend à se confondre avec la société entière.Ainsi, Flaubert obtient de son éditeur 10 000 francs pour les dix premières années de vente de Salammbô, et 16 000 francs pour

Page 6: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 6/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

6

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

les dix premières années de vente de L’Education sentimentale. Il ne s’agit pas d’un exemple isolé : en 1845, Lamartine discute avecBéthune un contrat de 350 000 francs pour l’exploitation de ses oeuvres complètes à partir de 1849, et une rente viagère de 8000francs par an, auquel il faut ajouter le produit de la future Histoire des Girondins, à savoir 240 000 francs. Flaubert entre en littératureà une époque où l’écrivain est considéré comme un artiste (et même comme l’artiste par excellence, le champ littéraire jouissant enFrance d’un prestige inégalé en Europe), et non encore comme un intellectuel : en effet, sa fonction sociale repose toujours (comme

au temps du romantisme) sur un « postulat mystique » (Christophe Charle), suivant lequel son génie lui permet de communiquerdirectement avec un au-delà spirituel. Cet au-delà, qui est la Beauté chez Baudelaire et les parnassiens, s’identie chez Flaubert etles Goncourt à la perfection du style. Enn, Flaubert dénit son statut d’écrivain dans une hiérarchie non seulement intellectuelleet esthétique mais aussi sociale. Dans la lettre du 22 septembre 1853, il fait de la solidarité entre les écrivains « un compagnonnageplus étroit que celui de toutes les sociétés clandestines », soulignant « qu’on n’a nul besoin du vulgaire, de l’élément nombreux, des majorités,de l’approbation, de la consécration. 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbecanaille et imbécile ». Selon Flaubert, est véritablement écrivain celui qui fait oeuvre de misanthropie universelle et cherche à plierla société à ses propres valeurs.

Le dernier Flaubert

Dès la n de la rédaction de L’Education sentimentale, Flaubert reprend ses « vieilles notes de saint Antoine ». Il revient ici à « l’oeuvre detoute une vie », qu’il a travaillée à différentes époques de sa vie, mais entend reprendre la rédaction à zéro, ne se servant des textesdéjà écrits que comme fragments. Ce faisant, il respecte un principe d’alternance entre l’Orient antique et l’Occident moderne,comme il l’explique lui-même dans une lettre à George Sand : « Ah ! que je suis las de l ’ignoble ouvrier, de l’inepte bourgeois, du stupidepaysan et de l’odieux ecclésiastique ! C’est pourquoi je me perds tant que je peux dans l’Antiquité ». Les conditions de la rédaction, entre1870 et 1872, seront très difciles.

Flaubert a pourtant abandonné l’appartement situé boulevard du Temple pour un pied-à-terre plus confortable, près du parcMonceau, au 4, rue Murillo. Mais les deuils se multiplient dans son entourage : il subit une « perte irréparable » avec la mort de sonvieil ami Louis Bouilhet. Sainte-Beuve disparaît en octobre 1869, Jules Duplan le 1er mars 1870, et Jules de Goncourt le 20 juin.Obsédé par ces décès, Flaubert abandonne sa rédaction, et écrit des textes à la mémoire de Louis Bouilhet : il termine la piècede son ami, Mademoiselle Aïssé, et la fait monter à l’Odéon – la première a lieu le 6 janvier 1872 ; en mai-juin 1870, il rédige une« préface aux Dernières Chansons » de Bouilhet ; il remanie enn une seconde pièce de son ami, Le Sexe faible.L’histoire, que Flaubert a pensée et représentée, va à son tour venir interrompre la rédaction de saint Antoine. Le 19 juillet 1870, la

guerre éclate avec la Prusse. Flaubert s’implique dans les événements et se fait élire lieutenant de la garde nationale, envisageantde marcher sur Paris pour délivrer la capitale. Mais l’Empire s’écroule en août, suite à la bataille de Sedan. En novembre, lesPrussiens occupent Croisset, et Flaubert, après avoir mis ses manuscrits à l’abri et installé sa mère à Rouen, se réfugie chez sanièce. En mars, il quitte la France en compagnie d’Alexandre Dumas ls pour un voyage en Belgique, où il retrouve la princesseMathilde exilée, avant de rejoindre Londres. Il ne retourne à Croisset qu’en avril 1871, après le départ des Prussiens. Le moment,là encore, est violemment troublé, et les événements historiques perturbent l’écrivain. La n de l’Empire a précipité la Francedans un certain vide politique : Thiers est « chef du pouvoir exécutif de la République française », mais n’est pas à la tête d’uneRépublique constitutionnellement dénie. Patriotisme bafoué, revendications sociales, crainte de mesures réactionnaires et mêmedu rétablissement de la monarchie se mêlent pour créer un climat particulièrement tendu. Thiers commet alors une erreur, ententant de récupérer les canons regroupés sur la butte Montmartre au moment où l’on apprend que la France cède à l’Allemagnel’Alsace et la Lorraine. Cette provocation inutile déclenche la Commune, qui court du 18 mars au 28 mai et s’achève dans unesanglante répression. Les mesures prises par les insurgés sont très limitées : des mesures symboliques, des mesures sociales dedétail, une administration nouvelle faisant une large place aux ouvriers et un programme scolaire et culturel démocratique et laïc.Fidèles à leur idéal nouveau de désengagement, rares sont les artistes à s’être engagés dans la Commune : on peut citer Jules Vallèset Gustave Courbet. L’échec de la Commune marque une nouvelle fois l’échec des poussées démocratiques à s’enraciner dans uneFrance qui reste dominée par les notables.

Flaubert reprend alors la rédaction de La Tentation de saint Antoine, entrecoupée de recherches. De nouveaux deuils le frapperontalors : Maurice Schlesinger meurt en 1871, et Flaubert perd sa mère le 6 juin 1872. Il reste seul à Croisset. La Tentation de saint Antoine est publiée par Charpentier le 1er avril 1874, et l’œuvre connaît dans un premier temps un relatif succès public : le deuxième tirageparaît avant la n d’avril 1874. Mais la critique est hostile, et les ventes s’effondrent dès l’été. Il faut noter que Flaubert a changé demaison d’édition : Charpentier est l’éditeur de Zola et des jeunes romanciers naturalistes en vogue. L’échec de La Tentation de saint  Antoine est à rapporter à cette mode du naturalisme. Inspiré par Renan, Taine et Schopenhauer, ce courant se dénit par le cultede la science et la croyance en un déterminisme absolu. En 1871, Zola entame le cycle des Rougon-Macquart avec La Fortune desRougon, étude de la déchéance d’une famille et description de la société du Second Empire.

Flaubert se consacre alors déjà à la préparation de son projet de 1863, Bouvard et Pécuchet , qui nécessite d’impressionnantes

recherches préliminaires, sur lesquelles il travaille de 1872 à 1875. La rédaction avance lentement, et, pour ses séjours parisiens,l’écrivain quitte la rue Murillo pour un logement plus spacieux sur le boulevard de la Reine Hortense. Soudain, Flaubert connaît une

Page 7: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 7/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

7

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

véritable débâcle nancière. Le mari de sa nièce Caroline, Ernest Commanville, est acculé à la faillite, et l’écrivain doit intervenirpour sauver le ménage de la ruine : il prête de l’argent à Commanville, tente de racheter ses dettes, et nit par prendre la décisionde vendre sa ferme de Deauville, qui représente 200 000 francs-or. Décitaire d’un million, l’affaire des Commanville est pourtantmise en liquidation nancière ; absorbé par les créances de son neveu, le capital de Flaubert est dénitivement perdu. Avec les10 000 francs de rente de sa propriété disparaissent le confort nancier et l’existence bourgeoise indissociables de sa méthode

d’écrivain. Après avoir abandonné la rédaction de Bouvard et Pécuchet , Flaubert reprend un vieux projet, La Légende de saint Julienl’Hospitalier , qu’il rédige de septembre 1875 à février 1876. Il reprend et complète ses notes documentaires de 1856 sur la viedomestique et la vénerie au Moyen Age, consultant d’ailleurs plusieurs traités de vénerie : La Chasse de Gaston Phoebus, Le Livre dechasse du Roi Modus, La Fauconnerie de Jean de Franchières et celle de Tardif, y puisant enluminures, termes techniques et vocabulairemédiéval. La structure du texte est inspirée du vitrail de la cathédrale de Rouen, et du relevé dessiné par Langlois. Le récit a denombreuses autres sources, dont les ouvrages des frères Grimm et de Michelet, les Contes de Perrault, la Légende du beau Pécopinde Victor Hugo, et toutes les hagiographies de Julien.

Convaincu de la réussite de l’oeuvre, Flaubert envisage de composer deux nouveaux récits, pour former un triptyque – moderne,médiéval et antique. Il écrit Un coeur simple d’avril à la mi-août 1876, après un mois de recherches et de visites documentairesà Honeur et à Pont-l’Evêque. La rédaction n’est interrompue que par le décès de George Sand, le 8 mars 1876. Après s’êtrelivré à des recherches documentaires d’août à octobre 1876, il rédige Hérodias de novembre 1876 à février 1877. Les troisoeuvres connaissent successivement une prépublication dans la presse,Un coeur simple dans Le Moniteur des 12-19 avril, Saint Julienl’Hospitalier dans Le Bien public des 19-22 avril,Hérodias dans Le Moniteur des 21-27 avril. Les trois récits paraissent chez Charpentier

le 24 avril 1877, sous le titre Trois contes. L’ouvrage connaît un certain succès public et est bien accepté par la critique qui, obnubiléepar le thème omniprésent de la sainteté, y voit le retour de l’auteur vers des thématiques plus sages.

L’écriture de Trois contes n’est toutefois qu’une parenthèse dans la réalisation du dernier grand projet littéraire de Flaubert, Bouvard et Pécuchet . Ce roman devait intégrer le Dictionnaire des idées reçues, que Flaubert envisage de compiler dès les années 1840. Plusque jamais, Flaubert s’isole à Croisset. Il s’occupe du jeune Maupassant, auquel il apprend le métier d’écrivain, et qui lui apporte uneaide précieuse pour ses études, multipliant les lectures et les recherches en bibliothèque. Le livre est conçu comme une vengeancesur l’époque, et Flaubert écrit le 5 octobre 1872 à Madame Roger des Genettes : « Je médite une chose où j’exhalerai ma colère. Oui, je me débarrasserai enn de ce qui m’étouffe. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu’ils m’inspirent, dussé-je m’en casser la poitr ine.Ce sera large et violent ».L’écrivain est en effet scandalisé par l’évolution politique de la France. La IIIe République est en effet régulièrement contrariée dansson installation progressive, et Thiers doit démissionner le 24 mai 1873. Il est remplacé par le maréchal de Mac-Mahon, légitimiste etcatholique, qui devient président de la « République des ducs ». Il entend permettre le « rétablissement de l’ordre moral ». Le régime

de l’Ordre moral repose sur l’épuration de l’administration, un étroit contrôle de la presse et un regain de cléricalisme.L’ultramontanisme apparaît rapidement comme étant indissociable d’un régime à forte coloration légitimiste. Le 24 juillet 1873,l’édication du Sacré-Coeur sur la butte Montmartre est déclarée d’utilité publique : « la dévotion doit afrmer dans le ciel de Parisle repentir de la capitale », coupable de la Révolution et de la Commune (René Rémond). Cette politique conservatrice et cléricaleinquiète la gauche et choque Flaubert. La bêtise des partis au pouvoir lui inspire une comédie très critique, Le Candidat, qu’il écritentre septembre et novembre 1873. La pièce, qui n’épargne aucun parti, n’a qu’un public restreint : elle est retirée de l’afche dèsla quatrième représentation.

A partir du mois de juillet, Flaubert établit le plan du roman, tout en entamant les recherches préparatoires, qui s’annoncentencyclopédiques. Il y consacre, on l’a vu, les années 1872 et 1873. Il reprend la rédaction en 1877 : après trois mois de recherches,il termine le chapitre II. Il lui faut moins de deux mois et demi pour rédiger le chapitre III sur « l’anatomie, la physiologie, la médecinepratique (y compris le système de Raspail), l’hygiène et la géologie » et le chapitre IV sur l’archéologie, bouffonne du duc d’Angoulême.En décembre 1877, il a écrit le tiers du livre, mais doit aborder les trois chapitres portant sur la littérature, la politique et l’amour,puis le chapitre VIII, censé aller des sports à une histoire intégrale de la philosophie. Pour de tels travaux, une considérable

documentation préalable est nécessaire. L’écrivain consacre l’année 1879 aux chapitres VIII et IX, mais rencontre de nombreusesdifcultés. Les yeux fatigués, souffrant d’une hépatite virale, il se fracture le péroné le 27 janvier 1879. De plus, il est dépourvu detoute ressource autre que ses maigres droits d’auteur, qu’il espère accroître grâce aux nouvelles éditions corrigées de Salammbôchez Lemerre et de L’Education sentimentale chez Charpentier. Ses amis parisiens (Taine, la princesse Mathilde, Juliette Adam)intriguent pour lui obtenir de nouveaux revenus, et Jules Ferry accepte de lui accorder une indemnité annuelle de 3 000 francs, autitre de son ofce (parfaitement ctif) de « conservateur hors cadre » de la bibliothèque Mazarine. Soulagé mais honteux, Flaubertespère pouvoir un jour rembourser les sommes allouées. Les quatre premiers mois de 1880 sont consacrés à la rédaction duchapitre X et à la préparation du Sottisier , deuxième volume de Bouvard et Pécuchet , destiné à paraître en même temps que le romanproprement dit, et doit selon l’auteur « rendre fou » le lecteur. La constitution de ce gigantesque dossier nécessitait le travail de sixsecrétaires à plein temps pendant un bon semestre, pour remplir les tâches de sélection, tri, classement et copie de trois ou quatrecents pages extraites d’un dossier qui en compte cinq mille.

Ainsi conçu en deux volumes, Bouvard et Pécuchet est une remise en question de la culture du XIXe siècle, une réponse à l’idéologie

du savoir et de la pensée que Flaubert a vu se développer. Le XIX

e

siècle est en effet le siècle de la science triomphante, en Francecomme dans le reste de l’Europe. La recherche scientique connaît un double mouvement de professionnalisation et de spécialisation.Les découvertes se multiplient, comme en médecine et en chirurgie, transformées par les recherches de Corvisart, Laennec, Velpeau

Page 8: Biographie_Flaubert

8/6/2019 Biographie_Flaubert

http://slidepdf.com/reader/full/biographieflaubert 8/8

FRANÇAIS Toutes sériesNº : 01048

Fiche Cours

LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE

8

En partenariat avec :© Tous droits réservés Studyrama 2010

Fiche téléchargée sur www.studyrama.com

ou encore Dupuytren. Elles débouchent sur un savoir neuf qui est autant perçu comme scientique que philosophique : c’est unsystème d’explication du monde. Dès le début du siècle, les idéologues, puis les saint-simoniens et les fouriéristes lient théoriescientique, science expérimentale et idée de progrès, et envisagent « l’avenir de la science » comme étant celui de l’Humanitéelle-même. Ces conceptions n’ont pu être que renforcées par l’enracinement du positivisme. Auguste Comte mène son Cours dephilosophie positive entre 1830 et 1842 : il y annonce l’avènement du gouvernement positif, état où la science succède à la théologie

et à la métaphysique, et où, principal outil pour guider la société, elle devient le noyau d’une nouvelle religion. De formationmédicale, disciple d’Auguste Comte, Littré représente l’esprit du positivisme. Il publie de nombreux articles dans un certain nombrede revues. Il y développe un plaidoyer matérialiste et une apologie de la science, qu’il déclare incompatible avec la théologie, lamétaphysique et l’idée de providence : elle repose sur une loi absolue, la loi d’évolution. A la fois historien, philologue, lexicologue,paléontologue, géologue, physicien, physiologiste, biologiste et sociologue, Littré envisage d’expliquer l’harmonie du cosmos defaçon rationnelle, tout en s’inscrivant dans le courant encyclopédiste des Lumières. Ainsi, la méthodologie scientique rigoureusequi s’est progressivement constituée (Claude Bernard théorise la méthode expérimentale en 1865 avec Introduction à la médecineexpérimentale) tend à s’imposer dans tous les champs du savoir. La connaissance reste conçue comme une quête encyclopédique :les grands dictionnaires se multiplient comme celui de Littré entre 1859 et 1872 et celui de Larousse. La connaissance telle qu’ellea été redénie se caractérise donc par l’application de la méthode expérimentale et l’encyclopédisme.

Dans Bouvard et Pécuchet , Flaubert s’attaque à ces deux aspects de la connaissance moderne et à leur fondement idéologique,l’idée de progrès. Le mouvement de l’œuvre est simple : anciens copistes mis à l’abri du besoin par un héritage, Bouvard et Pécuchet  tentent d’appliquer dans la vie la science des livres, mais ne font que se noyer dans la bêtise. Ils découvrent nalement que la sottise

est moins en eux que dans les livres eux-mêmes, et, soudainement dotés de la faculté de « voir la bêtise et de ne plus la tolérer »,ils reprennent leur travail de copistes et se vengent des erreurs de l’esprit humain en les collectant. Les deux apprentis savantssuivent bien dans leurs recherches un modèle expérimental (documentation, expérimentation, recherche) qui ne les empêche pasde multiplier les échecs. De plus, ils sont travaillés par une volonté d’encyclopédisme et abordent diverses disciplines : l’agriculture,la géologie, l’archéologie, l’histoire, la littérature, la politique, l’amour, la gymnastique, le magnétisme, la philosophie, les religions, lapédagogie, la morale. Mais ils ne maîtrisent en fait aucune de ces disciplines qui recèlent toutes leur lot d’incertitudes. Le paradigmequi guide la recherche de Bouvard et de Pécuchet est celui de l’encyclopédiste médiéval et en particulier Panckoucke. Flaubertdénonce la fausseté de ce modèle, son inadéquation aux réalités de la pensée, son incapacité à produire une connaissance vraie.D’ailleurs, il écrit dans le Dictionnaire des idées reçues :« Dictionnaire – en dire : n’est fait que pour les ignorantsEncyclopédie : en rire de pitié comme étant un ouvrage rococo et même tonner contre ».

Le Sottisier  est une réponse aux méfaits de l’encyclopédisme, puisqu’il est conçu comme un dictionnaire paradoxal : il devait

comporter, pour chaque discipline, un nombre important de fragments textuels classés contradictoirement, de citations idiotes etde contresens trouvés chez les meilleurs auteurs (Flaubert inclus), d’anecdotes rendant compte de la bêtise universelle.Flaubert est sur le point d’achever le premier volume de Bouvard et Pécuchet et travaille à la mise en forme du Sottisier, tout ensongeant à un nouveau projet de roman antique sur la bataille des Thermopyles, lorsque, pris d’un malaise, il meurt le 8 mai 1880. Ilest enterré le 11 mai dans le caveau familial du cimetière monumental de Rouen. Sa nièce, dont il a fait sa légataire universelle, coneà Maupassant le soin d’établir l’édition posthume de Bouvard et Pécuchet . Celui-ci échoue à reconstituer la structure du Sottisier ,et abandonne au bout de six mois de travail. Le premier volume est alors publié seul, en feuilleton du 15 décembre 1880 au 1er mars 1881 dans La Nouvelle Revue, et en volume chez Lemerre en mars 1881. Etrillé par la critique, le livre est ignoré par le public.Un tel désastre est facilement explicable. Le mépris de la science afché par Flaubert, dont l’oeuvre est pourtant travaillée par leréalisme, l’éloigne considérablement du naturalisme alors triomphant : l’écriture de Zola repose sur une conance absolue dans ledéterminisme physiologique de Taine et les théories de l’hérédité de Claude Bernard. Parce que l’ermite de Croisset déployait dansses oeuvres une perception différente du réel, son époque l’a en partie ignoré.