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Blues Eyes Célérine Milénie 1 ère MESURE « Un tour de manège, autour de nos vies, nos vies qui tournent en rond... Pour voir si le voyage vaut le coup. » 1 Vendredi 19 juin. 7h00. Le réveil retentit. C’est toujours une chanson méconnaissable pour moi à ce stade de la journée. De toute façon, je hais toute musique à cette heure ; c’est toujours trop fort, trop violent. En moins de cinq secondes, je saute sur l’appareil pour l’arrêter. Je suis toujours trop lente. Je me rallonge quelques secondes pour me réveiller complètement. C’est mon sas avant d’attaquer une nouvelle journée, qui par bien des aspects est assez semblable aux autres, au demeurant. Mais cette vie, c’est mon choix. Je l’ai construite et organisée à mon image. Enfin, je crois… dernièrement, j’ai… je… je n’en sais rien en fait. Une mauvaise passe certainement. Peut-être y a-t-il une crise de la trentaine chez les femmes ? Mon anniversaire est dans moins d’un mois, 30 ans. Je n’aurais jamais cru être préoccupée par ce passage et pourtant… Je suis en plein bilan et… En fait, je n’arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens, sur ce que je traverse. Assez étrange venant de ma part, moi qui aime les mots. Enfin, assez pensé. La dernière journée de la semaine m’attend. Allez hop debout ; doucement bien sûr, car homme et enfants dorment encore. Je descends les escaliers à pas feutrés pour m’octroyer ma demi -heure de préparation. Toilette du matin et petit-déjeuner au calme, dans le silence du matin ponctué de chants d’oiseaux. Si apaisant, si rafraîchissant. Le paysage qui s’offre à moi est déjà baigné de soleil : une immense campagne qui ne laisse pas présager une mer mouvante à si peu de distance. C’est d’ailleurs un de mes regrets, ne pas l’entendre de chez moi. C’est vrai que vivant à Etretat, on aurait pu s’y attendre. Mais la maison que nous avons achetée se situe du « mauvais côté » du village. C’était soit en bord de mer, une belle petite maison en pierres soit une maison plus traditionnelle mais spacieuse ; avec cinq grandes chambres, un immense salon et un terrain de plus de 1000 m2. J’ai donc renoncé, avec tristesse, à ma maison typique et chaleureuse pour pouvoir accueillir la famille de quatre enfants que j’ai projetée. 1 Le manège par Stanislas

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Blues Eyes Célérine Milénie

1ère MESURE

« Un tour de manège, autour de nos vies, nos vies qui tournent en rond...

Pour voir si le voyage vaut le coup. »1

Vendredi 19 juin.

7h00. Le réveil retentit.

C’est toujours une chanson méconnaissable pour moi à ce stade de la journée. De toute

façon, je hais toute musique à cette heure ; c’est toujours trop fort, trop violent. En moins de

cinq secondes, je saute sur l’appareil pour l’arrêter. Je suis toujours trop lente.

Je me rallonge quelques secondes pour me réveiller complètement. C’est mon sas avant

d’attaquer une nouvelle journée, qui par bien des aspects est assez semblable aux autres, au

demeurant. Mais cette vie, c’est mon choix. Je l’ai construite et organisée à mon image.

Enfin, je crois… dernièrement, j’ai… je… je n’en sais rien en fait. Une mauvaise passe

certainement. Peut-être y a-t-il une crise de la trentaine chez les femmes ? Mon anniversaire

est dans moins d’un mois, 30 ans. Je n’aurais jamais cru être préoccupée par ce passage et

pourtant… Je suis en plein bilan et… En fait, je n’arrive pas à mettre des mots sur ce que je

ressens, sur ce que je traverse. Assez étrange venant de ma part, moi qui aime les mots.

Enfin, assez pensé. La dernière journée de la semaine m’attend. Allez hop debout ;

doucement bien sûr, car homme et enfants dorment encore.

Je descends les escaliers à pas feutrés pour m’octroyer ma demi-heure de préparation.

Toilette du matin et petit-déjeuner au calme, dans le silence du matin ponctué de chants

d’oiseaux. Si apaisant, si rafraîchissant. Le paysage qui s’offre à moi est déjà baigné de soleil :

une immense campagne qui ne laisse pas présager une mer mouvante à si peu de distance.

C’est d’ailleurs un de mes regrets, ne pas l’entendre de chez moi. C’est vrai que vivant à

Etretat, on aurait pu s’y attendre. Mais la maison que nous avons achetée se situe du

« mauvais côté » du village. C’était soit en bord de mer, une belle petite maison en pierres

soit une maison plus traditionnelle mais spacieuse ; avec cinq grandes chambres, un

immense salon et un terrain de plus de 1000 m2. J’ai donc renoncé, avec tristesse, à ma

maison typique et chaleureuse pour pouvoir accueillir la famille de quatre enfants que j’ai

projetée.

1 Le manège par Stanislas

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7h30. Réveil de mes deux soleils.

Je commence par me glisser dans la première chambre discrètement. J’ouvre les rideaux et

m’assois sur le bord du lit pour caresser la magnifique chevelure bouclée de ma jolie

nénette.

« Debout ma puce… Il est l’heure de te réveiller… En plus, c’est une belle journée qui

s’annonce… Il y a du soleil ! »

Je dis tous ces mots avec la plus grande douceur. Elle s’agite, s’étire et ouvre les yeux au mot

soleil.

« Chouette ! » dit-elle d’une voix endormie alors que son visage froissé se fend d’un grand

sourire et qu’elle saute dans mes bras pour le câlin matinal. Je couvre de bisous son visage

mutin.

Elle, c’est Edmée, ma grande qui a déjà 4 ans et demi. Les cheveux d’un blond paille comme

son père et bouclés comme les miens, des petits yeux verts (c’est de moi aussi) et une jolie

bouche dessinée ; le tout sur une peau toujours dorée.

« Allez mon amour, tu vas réveiller papa ? »

« Oui ! » Et la voilà partie…

Je continue mon chemin vers la deuxième chambre en réalisant les mêmes gestes. Mais

cette fois, je reste debout et me penche en avant pour atteindre mon deuxième petit être

adoré, les barreaux du lit m’empêchant d’être plus près. Me voilà maintenant frôlant du dos

de la main la joue ronde de mon petit bonhomme tout en chuchotant :

« Mon petit chou… Faut te réveiller… Mon petit cœur… »

Il se retourne brusquement et me jette un regard rond, ahuri.

« Bonjour. » lui dis-je avec un grand sourire et en le saisissant délicatement, emmailloté dans

sa gigoteuse.

Je le laisse émerger dans mes bras, ma tête dans son cou à le picorer de petits baisers. Ah

son odeur, ah leur odeur à tous les deux ! Jamais je n’ai autant porté d’attention à ce détail.

Je les reconnaitrais entre toutes, c’est animal !

Lui, c’est mon petit dernier, Landry, tout juste 2 ans. Des cheveux châtains clairs comme moi

et des yeux marron comme son père, une peau plus claire que sa sœur mais qui hérite d’un

joli rosé sur ses joues rebondies de bébé.

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C’est moi qui ai fait le choix de leur prénom, mon mari s’est plié à mes envies. Des prénoms

peu communs, c’est vrai, mais que j’ai tiré de deux romans de mon auteur préféré2. Les

livres sont sacrés pour moi.

« Landry, Landry tu viens ? » Les cris aigus de ma petite sauterelle nous arrachent de notre

réveil câlin. Landry s’agite et je le libère de l’emprise de mes bras et de sa gigoteuse. Il

galope pieds nus pour retrouver sa sœur, et son père par la même occasion. Il s’appelle

Sébastien. Il a les traits fins, est plus petit que moi de quelques centimètres et est plutôt

menu. Je l’ai rencontré il y a 13 ans à Rouen pendant des vacances. On a tout de suite

sympathisé mais notre relation n’a commencé qu’un an plus tard. Nous étions des amis qui

avons fini par s’aimer. Il était ce qu’il fallait dans ma jeune vie, j’avais des projets pleins la

tête et il semblait « adhérer » à mon point de vue ! Nous nous sommes mariés 6 ans plus

tard et ensuite sont venus les enfants. Une vie classique dans l’absolue. Tout avait été fait

suivant mes désirs : appartement ensemble, mariage, fin des études puis maison loin de la

ville et voiture familiale pour avoir les enfants dans les délais que j’avais prévus.

D’ailleurs, j’ai arrêté la pilule, nous prévoyons de faire un petit troisième dans les semaines à

venir, enfin c’est ce que j’ai prévu ; mon mari suit. Mais… Est-ce que je désire un enfant,

maintenant ? Cette question me comprime le cœur, c’est invraisemblable venant de moi.

Mais il faut l’avouer, je ne sais plus si j’en veux un … J’ai trop de questions, de flous en moi

pour me lancer dans un tel projet. Je perds vraiment les pédales...

J’arrive avec un grand sourire dans la chambre ne laissant aucune de mes préoccupations

paraître sur mon visage. Pas besoin d’y mêler mon mari ou ma famille. Tout ceci se remettra

en ordre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Un peu de patience…

Je regarde mes deux canailles chahuter sur le lit pendant que leur père essaie d’émerger. Il

se gratte la tête, tout en baillant à s’en décrocher la mâchoire. Je détourne les yeux et

admire mes chérubins.

« Au petit déjeuner, mes poussins ! » Je prends Landry dans mes bras et Edmée me suit.

Installés autour de la table, chacun mange avec appétit pendant que je finis de préparer les

affaires. Je pose près de la porte d’entrée ma sacoche, les sacs des enfants et les vestes pour

sortir.

Le petit-déjeuner fini, rangé et lavé, je monte rejoindre mes petits bouts pour les aider à

s’habiller.

2 Mauprat et La Petite Fadette de George Sand

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8h15. Départ.

« Faites un bisou à papa avant de partir. » Edmée s’exécute et saute au cou de son père qui

la prend au vol pour l’embrasser. Landry, toujours plus réticent pour les démonstrations de

tendresse, se laisse attraper par son père, ce qui le fait rire. Vient mon tour, un baiser donné

machinalement sans la moindre trace de l’entrain des bisous préalablement distribués.

J’embarque ma petite compagnie pendant que Sébastien finit de se préparer pour partir à la

banque où il travaille. En marchant, on chante des comptines pour enfants :

« C’est Gugusse avec son violon qui fait danser les filles, qui fait danser les filles… »3 Une de

leurs préférées.

Je pose en premier Landry chez la nounou, Véronique, une charmante dame à laquelle les

enfants sont attachés. Je laisse mon garçon, après lui avoir fait de gros bisous sur ses petites

joues et lui avoir dit des petits mots tendres. Il tente de s’accrocher à moi pour m’empêcher

de partir, mais je continue ma route avec Edmée qui parle du jeu qu’elle prévoit de faire

avec sa copine Léna. On se dirige toutes les deux vers notre destination finale : l’école

maternelle, elle, comme élève et moi comme enseignante depuis cinq ans dans cette école.

J’ai toujours adoré les enfants, particulièrement ceux de cette tranche d’âge, encore des

diamants bruts remplis de rêves et d’innocence.

Ma vie se consacre en bonne partie à eux, j’aime leur monde. J’ai toujours été une grande

rêveuse, débordante d’imagination. J’ai un monde interne foisonnant qui me conduit à

griffonner des petits textes en tout genre, sans aucune prétention.

« Bonjour Amandine, bonjour Edmée. » me dit une collègue alors qu’on s’introduit dans le

bâtiment.

Au fait, je suis Amandine ENGELLEAU mariée CHAMBON. Je suis plutôt grande pour une fille

et menue. J’ai perdu le peu de poitrine que j’avais avec mes grossesses mais j’ai une taille

bien marquée et de longues jambes. J’ai les cheveux châtains clairs bouclés qui prennent un

reflet roux au soleil (ce que j’aime bien). J’ai de petits yeux verts et une grande bouche qui

tranche un peu trop sur mon visage. Je ne suis pas moche, je le vois bien au regard de

certains hommes, mais je ne me qualifierais pas de belle ; disons que j’ai du charme.

8h50. Accueil des enfants.

3 Chanson enfantine

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Je viens de laisser la mienne à ma collègue. A partir de là, tout s’enchaîne à une vitesse folle,

pas un instant de répit : motricité, collation, atelier, récréation, histoire, deuxième atelier,

chants et les voilà repartis à midi !

12h. L’heure où la fatigue se ressent.

Tiens, on a mal aux jambes, une envie pressante dont on ne s’était pas rendu compte… et le

fouillis à ranger, l’après-midi à préparer… Je reste à l’école le midi régulièrement, ça me

permet de bosser un peu (moins à faire à la maison) et puis surtout de papoter avec les filles

de nos soucis professionnels et personnels. Un excellent moyen de vider son sac, c’est

réparateur ! Des desperate teachers4 en somme. On est trois : Marine, Cendrine et moi.

Cendrine est une belle femme d’une quarantaine d’années, divorcée, trois enfants, heureuse

en couple maintenant. Marine est une femme élégante d’une trentaine d’années en couple

avec deux enfants. Elle a fait le choix de rester avec son mari pour eux. Nous adorons,

pendant ces discussions libératrices, nous soulager de l’agacement que peuvent nous

provoquer nos moitiés. Je participe toujours à la conversation mais je sens que je pourrais en

dire plus, que ce que je dis n’est que la partie émergée de l’iceberg. Mais est-ce que je veux

réellement savoir ce qui sommeille en moi ces derniers temps ? Suis-je prête à affronter ma

vérité ?

« Vous savez ce que Valentin m’a fait hier ? » nous dit, soudain Cendrine.

« Vas-y raconte. » Marine et moi piaffons d’impatience, excitées à l’idée de nous délecter

des élucubrations de nos chers conjoints !

« Vous ne me croirez jamais, mais il a trouvé le moyen de nettoyer les traces sales du chien

par terre avec l’éponge qui sert à faire la vaisselle ! »

« Non ! »

« Ce n’est pas fini. Quand je lui ai demandé ce qu’il fabriquait avec mon éponge, si j’étais

censée laver la vaisselle avec ça ? Il m’a répondu qu’il allait la rincer et que je pourrais m’en

servir ! »

« Mais il est dégoutant ! Il va falloir que tu lui donnes des cours du soir en ménage sup ! » Je

ris avec elles.

« Moi j’ai rien à dire, c’est la réincarnation de Monsieur propre ! Rien à faire à la maison, il

s’occupe de tout. » Marine dit ces mots, glorieuse.

« Tu vois qu’il a des qualités ton homme ! De quoi te plains-tu ? » Demande Cendrine.

4 Enseignantes désespérées

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« C’est sûr, mais quand ce n’est plus là, ce n’est plus là… On ne peut rien y faire ! »

Ces mots me frappent comme s’ils avaient été prononcés pour moi. Pourquoi ? Me

concernent-ils ?

13h20. Retour des enfants et la même folie reprend.

Tout s’enchaîne, ne laissant pas la moindre once de temps pour penser à soi. J’en suis assez

contente cet après-midi. Je sens les questions et les réponses qui frappent à ma porte :

Quand ce n’est plus là, ce n’est plus là… On ne peut rien y faire ! Les élèves autour focalisent

toute mon attention.

16h30. Rangement du bazar déployé.

« A toute à l’heure les filles !» La journée n’est pas finie. Réunion à 18h30. J’espère que je

serai revenue pour coucher mes deux amours. C’est un moment important, un instant intime

que je chéris. Sans traîner, je file avec ma fille récupérer Landry chez la nounou. En rentrant,

un enfant à chaque main, Edmée fait le bilan de sa journée. Evènement majeur aujourd’hui,

elle s’est disputée avec Léna, ce qui l’affecte.

« Ne t’inquiète pas ma chérie, ça va passer, toutes les copines se disputent ! »

« Tu crois ? » Elle me regarde avec un air triste. Il faut que je lui change les idées.

« Qu’est-ce que vous avez mangé de bon ce midi chez Véronique ? »

« Du poulet et des haricots verts. » Me répond-elle aussi morose.

« Et en dessert ? »

« Un gâteau au chocolat. »

« Vous avez mangé un gâteau au chocolat ? » Je tiens un moyen de faire rire ma fille,

ouf ! « Mais dis donc Landry, il était bon ce dessert ? »

Ma petite canaille me regarde rayonnant : « Le kika, c’ é bon ! » Il se frotte le ventre avec

vigueur.

« Ben tiens mon gourmand, c’é bon le kika hein ? » J’imite le geste de mon fils exagérément

et en articulant « c’é bon le kika, » mon fils continue de même. Edmée nous regarde rit et

nous mime. Je le savais, c’est infaillible !

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17h10. Rentrés !

Profitant du beau temps, j’installe le goûter dehors, ouvre les baies vitrées de la maison et

me lance dans un balayage-nettoyage intégral de la maison. Ce n’est franchement pas mon

activité préférée, mais demain j’ai six personnes à la maison pour le week-end, alors je n’ai

pas vraiment le choix. Toute la petite famille, pour l’anniversaire de ma mère. J’ai hâte.

Je me lance : 150 m2 de bactéries à éradiquer. Avant, je fouille dans les CD. Rien de tel que

de la musique pour se donner de l’entrain.

J’aime la musique, elle fait partie de mon enfance, de moi. Mon père est musicien. Il m’a

bercée de guitare. J’adore d’ailleurs le bruit des doigts qui glissent sur une guitare

acoustique, ça me fait immanquablement penser à lui. Il a beaucoup de talent mais ne l’a

jamais vraiment exploité. Il n’a fait de sa musique que quelques génériques d’émissions, de

séries… alors qu’il aurait pu en faire des albums, des concerts. Un artiste manqué ! Les

autres ne sauront jamais ce qu’ils ont raté, mais moi, j’ai fait parti de son public privilégié.

C’est grâce à lui que j’ai appris le piano. J’en ai un dans mon salon et cela fait plusieurs

années que je ne le touche plus. Il n’est plus qu’un meuble parmi les autres où s’empilent

des livres.

J’hésite entre plusieurs albums : Calogero, Charlie Winston, Sia… J’opte finalement pour le

dernier album de Blues Eyes « On the rocks », une fois encore. Quand on aime, on ne compte

pas. Alors j’aime, indéniablement !

18h30. Pourvu que je sois de retour à temps pour mes enfants !

Objet du jour de la réunion: derniers préparatifs de la Kermesse.

« Salut !»

Lui, c’est Jean, un grand homme brun séduisant, une main sur mon épaule, un sourire

rayonnant.

« Bonjour, comment vas-tu ? » Nous nous faisons la bise.

« Alors comme ça, ta fille ose embêter la mienne ? » dit-il taquin. C’est en effet le père,

fraîchement divorcé, de Léna.

« Attention à ce que tu dis, je peux sortir mes griffes ! »

« J’aimerais voir ça ! » Nous nous connaissons peu, mais nous nous entendons bien.

Toujours à plaisanter… Je l’apprécie beaucoup.

La réunion commence et nous voilà lancés dans des histoires de chamboule-tout, de nombre

de gobelets à acheter, de dessins d’enfants, de lots manquants, de disposition de stands, de

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répartition des tâches… et de fées. Oui, cette année les parents d’élèves veulent donner un

thème à la kermesse : les fées et les lutins. Il faut donc trouver des âmes charitables pour

figurer dans de beaux costumes.

« Tu ne te proposes pas ? » me chuchote t-il à l’oreille, le rire dans sa voix.

« J’y pensais justement ! »

Il me fixe amusé puis reprenant son sérieux et agitant sa main, il lance:

« Non mais, tu serais parfaite pour le rôle. Svelte, longiligne avec tes bouclettes dans ta

petite tenue de pétales... » Il étouffe un rire.

« Oui, oui, rêve ! A quand Jean le lutin ? »

« Trop grand ! »

« Ca t’arrange ! » Nous nous interrompons immédiatement à cause d’un regard accusateur.

Il se redresse.

20h05. Fin. Ouf ! Si je ne traîne pas trop, je coucherais mes enfants.

Je passe la porte de l’école et monte le col de ma veste en sentant la fraîcheur du vent

m’entourer. Cinq ou dix minutes à pieds à écouter la mer si proche et à regarder les

paysages alentours. La porte s’ouvre derrière moi.

« Tu es à pieds ? » Je me retourne. Jean.

« Oui. »

« Je t’accompagne alors ! On ne laisse pas une fée sans défense sur le trottoir ! »

L’amusement illumine son visage.

« Je n’ai pas accepté le rôle, je te signale ! » Nous nous dirigeons vers sa voiture.

« Dommage ! Il n’y aurait pas eu meilleure fée que toi ! » Je soupire en grimaçant. Nous

rentrons dans la voiture, il met le contact et démarre. Nous discutons de quelques sujets

abordés pendant la réunion. Arrivés devant chez moi, il s’arrête. Une gêne. Un court silence.

« Bon et bien à plus tard, tâche de raisonner ta fille ! » Lui dis-je avec un sourire.

« La tienne aussi ! À plus tard madame la F… »

« Stoppe ça tout de suite monsieur le lutin ! » Il rit, moi aussi.

« Mais maintenant, quoique tu fasses, tu seras toujours une jolie fée à mes yeux ! » Dit-il

content de lui.

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« Très drôle. Allez à plus ! » J’ouvre la porte faisant mine d’être agacée.

« Au revoir. » Dit-il joignant le geste à la parole. Je claque la porte. Une tristesse.

20h15. Le moment de la journée que je préfère.

Dans la chambre d’Edmée, je suis installée avec elle et Landry sur le lit. Un de chaque côté,

blottis contre moi. Je commence à lire Une farce5, l’histoire choisie par Landry qui s’amuse

beaucoup et commente l’arrivée de chaque nouveau personnage. Au moment voulu dans

l’album, mes deux bambins s’écrient « Whaouh », toujours hilares de la farce que leur

prépare le lapin. Ensuite, vient le tour du Doudou Méchant6 choisi par Edmée. Une histoire

qui leur plaît toujours autant, même si Landry répète toujours « é pas gentil Cabamoor», en

parlant d’un personnage. Dans la cuisine, nous avons même recréé la forêt de couverts,

illustrée dans l’histoire. Ainsi trône sur mon plan de travail, une série de fourchettes, de

cuillères et de couteaux plantés dans une épaisse couche de pâte à modeler. Etrange, mais

partie de fous rires assurée avec les enfants.

L’histoire finie, je prends Landry pour le coucher en lui chantant une petite berceuse. Je

rejoins, ensuite, Edmée sous sa couette feuilletant encore le doudou méchant. Je l’embrasse

puis quitte sa chambre.

Voilà. Le moment redouté s’approche irrévocablement : Je vais devoir réfléchir…

Je descends manger et je préviens mon mari que la télé lui appartient pour ce soir car je

vais préparer les chambres pour le lendemain.

22h37. Je me glisse dans le lit pour lire un roman de Balzac.

23h46. Il ronfle, la bouche ouverte.

Je ferme mon livre. Un long week-end agréable et fatigant m’attend, je dois dormir. Je dois

surtout me résoudre à ce face à face avec moi-même. Je pose le livre, éteins la lampe de

chevet et m’allonge au bord du lit sur le dos, droite comme un i. Je garde les yeux ouverts et

je peux voir ainsi la lueur de la lune éclairer la chambre. Je ne ferme jamais les rideaux.

Et là, une angoisse monte en moi. Cette phrase résonne dans ma tête : Quand ce n’est plus

là, ce n’est plus là… On ne peut rien y faire ! Je n’arrive toujours pas à me l’avouer alors que

tout est évident, alors que je le sais, alors que je le sens. Ce n’est tout simplement pas

5 Une farce d’Audrey Poussier

6 Le doudou méchant de Claude Ponti

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possible, je dois me tromper. Comment cela a-t-il pu arriver ? Impossible. J’ai plein de

projets, que vais-je en faire ? Comment vais-je faire ? Une mauvaise passe, c’est une

mauvaise passe ! Ca va passer. Il y a des hauts et des bas dans tout…

Des images défilent : des lettres, l’odeur du parquet de l’appartement, ce restaurant, cette

robe, ces félicitations, ce voyage, cette chambre, ce ventre, cette petite tête blonde, ces

rires, ce bébé dodu, ces promenades en famille… Cet homme, cette gêne, son sourire… cette

chambre, cette respiration, ce corps, cette chaleur que je peux sentir, mon mari…

SEBASTIEN.

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2nde MESURE

« Who shall we propose to be? Who am I supposed to be? With these empty building blocks, I could make a thousand mes. »7

Samedi 20 juin.

8h47. Des rires…

Ils me tirent d’un sommeil agité et peu réparateur. Edmée et Landry se chamaillent

probablement dans la chambre de ce dernier, prisonnier encore des barreaux de son lit.

Dans deux ou trois heures, la maison grouillera. Mon mari dort encore. Je mets ma tête

entre mes mains. Oh ! Mon dieu. Que vais-je faire ? Est-ce irréversible ? Plutôt que

d’accentuer ma migraine déjà entêtante, je devrais plutôt me préparer à l’assaut imminent.

Je me lève.

10h05. Tout est prêt. Maison et enfants.

Je me prépare à mon tour et enfile une robe, je me maquille légèrement. Un peu de parfum,

quelques bijoux fantaisies et voilà.

Je reste devant le miroir. Je fixe la femme que je suis devenue. Bientôt 30 ans. Un âge qui me

plaît bien en fait, qui me va bien. J’ai perdu les rondeurs enfantines qui s’attardaient sur mon

visage et j’ai une silhouette que bien des femmes m’envient malgré les grossesses et la

quantité incroyable de nourriture que j’ingurgite. Derrière cette apparence, je suis une

femme accomplie qui a fait ce qu’elle voulait de sa vie, j’ai deux enfants merveilleux… Et

maintenant ? Est-ce un âge pour repartir à zéro ? Que faire quand on n’aime plus son mari ?

Dois-je continuer ainsi sans rien dire ? Peut-on changer sa vie alors que d’autres sont

impliquées ? Quelles réactions ? Quelles conséquences ? Suis-je prête à les assumer ? Suis-je

sûre de ce que je ressens ? Assez pour tout bouleverser ? Ne serait-ce pas plus facile de

continuer sans en avoir l’air ? Ainsi, je serai sûre d’avoir d’autres enfants. Ma vie leur est

consacrée. Mais pourrais-je le faire ?

Cette femme de 29 ans a l’air d’avoir bien mauvaise mine, soudain.

7 Boxes par Charlie Winston : « Qui proposerons-nous d’être ? Qui suis-je supposé être ? Avec ces blocs de

constructions vides, je pourrais construire des milliers de moi. »

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11h29. En pleine action dans la cuisine.

« Maman, c’est Jeanne ! »

Jeanne, ma jeune sœur me rejoint tout sourire, belle et élégante comme toujours. Une robe

noire courte, des bottes, un gros sac à main accroché à son bras droit plié, des lunettes de

soleil sur la tête. Une brunette au carré court et plongeant, de grands yeux en amande

parfaitement maquillés, une bouche en cœur. Elle a 25 ans, toujours célibataire, à la

recherche de son grand amour. Je ne suis pas mal en mon genre, mais elle est

particulièrement perfectionniste. Elle veut l’homme parfait et a des critères bien aiguisés qui

tranchent chaque homme s’approchant d’elle. Pas un a résisté.

« Bonjour sœurette.»

« Salut, tu as bien voyagé ? » Elle vient m’embrasser dans une courte étreinte. Ma sœur.

Une émotion soudaine m’envahit. Les larmes montent. Pourrais-je lui dire ? Bien sûr que

non. C’est trop horrible.

« Oui. Personne sur la route. » Je me dégage et continue à couper mes légumes. « Papa et

maman ne devraient pas tarder, je les ai eu au téléphone, ils sont partis peu de temps après

moi » enchaîne-t-elle.

De nouvelles voix arrivent au loin.

« Dis donc vous vous enchaînez ! » dis-je amusée. Finalement, c’est libérateur de savoir

qu’ils seront tous là ce week-end. Ils sont ma valeur sûre. Bien nécessaire.

« Alors les filles, ça jacasse déjà ? » Ca, c’est mon grand frère triomphant.

« Bonjour grand frère ! » Toutes les deux en chœur. Il vient nous enlacer et nous embrasser.

Toujours très tendre notre frère. Il s’appelle Antoine, 33 ans, grand, châtain bouclé, de

beaux yeux bleus qui ont dévasté plusieurs cœurs par le passé jusqu’à Julie, 31 ans, la jolie

femme fluette qui le suit. Ils sont mariés depuis cinq ans et ont un fils Mathieu de 7 ans, le

portrait craché de son père petit. Voilà deux personnes qui ont l’air d’avoir passé la trentaine

sans encombre. Je suis donc la seule à qui cette dizaine a l’air de poser problème !

« Tu es arrivée avant moi ? » dit-il à Jeanne. Ils habitent tous Paris ou la couronne. « T’as

porté ta smart pour arriver à destination ? »

Jeanne lui tire la langue.

11h55. Que c’est bon d’avoir du monde !

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Installés autour de la table sur la terrasse, la conversation est lancée sur les différents

modèles de voiture que chacun a. Inventaire des avantages et des inconvénients. Les enfants

jouent dehors, ils sont toujours contents de se retrouver et cela s’entend ! Ils rient à gorge

déployée autour de la balançoire.

C’est alors que la petite berline de mes parents arrive devant la maison. Ils l’ont achetée

quand tous les enfants sont partis de la maison, il ya quelques années. Je suis partie la

première. Ils nous rejoignent. Mon père Edouard, grand, cheveux noirs. Ma mère Nathalie,

plus petite, cheveux bruns. Tous les deux si beaux et si sveltes malgré leur âge, habillés du

même noir. Harmonieux.

14h28. Repas fini.

Toutes les femmes de la famille : Julie, Jeanne, ma mère et moi partons pour une séance de

shopping au Havre. Cadeau de toute la famille pour maman qui fête son anniversaire dans la

semaine. Plaisir pour toutes les filles que nous sommes et qui comptons bien en profiter

également. Nous laissons hommes et enfants à la maison. Nous prenons ma voiture, la plus

spacieuse : un monospace acheté pendant ma première grossesse. Jeanne monte devant et

s’empare de la pochette de CD.

« Oh ! Tu as l’album de Justin Nozuka, j’adore moi aussi ! » Elle tourne les pochettes et

s’arrête, un sourire aux lèvres : « Oui, mais quoi de mieux qu’un bon Blues Eyes?» Elle

s’empare du CD et va dans le coffre pour le glisser dans le lecteur.

« C’est bien vrai ! » Je lui réponds avec le même sourire.

Elle monte le son et nous voilà chantant à tue-tête Dog’s life, le premier single de leur ancien

album Soul-destroying.

15h04. Comme dans Pretty Woman8…

… nous écumons les boutiques, bavardant comme de vraies gamines. La bonne humeur est

de mise. Et moi, je me sens bien, libre. J’ai l’impression de me redécouvrir, de revivre.

Comme si je m’étais perdue pendant toutes ces années. Toujours à me consacrer à cette vie

rondement menée qui ressemble de plus en plus à une drôle de mascarade que je me suis

jouée. Première victime de ce que je croyais être la vie que je voulais. Qu’est-ce que je

veux ? Quelles sont mes envies, mes goûts ? Qui suis-je ? Autant de questions mystérieuses

pour moi. Je ne sais pas. Moi, qui d’ordinaire, ai le contrôle sur chaque détail de ma vie. Elle

était tracée et désormais mes choix présents pèsent lourds pour mon avenir. J’ai fait le choix

8 Film de Garry Marshall

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de cette vie, je dois en subir les conséquences. Comment mesurer la portée de mes doutes

actuels ?

Ma tête n’est plus qu’un vaste chantier de questionnements, de doutes, d’incertitudes, de

troubles et de douleurs. Je ne sais par quels travaux commencer pour consolider ou rebâtir

mon moi.

17h16. Je suis différente…

Nous sommes assises à la terrasse d’un café tout sourire. Elles, sont toutes surprises de mon

seul et unique achat.

« Je n’en reviens pas que tu es fait un tel achat ! » s’exclame Julie.

« C’est clair, ça ne te ressemble pas. T’es plutôt du genre à dépenser pour les enfants et

Sébastien et à t’acheter deux, trois babioles. Mais là… » Dit Jeanne en pointant le sac à mes

pieds.

« Oh, ça va ! J’ai le droit, non ? » Voilà ma maigre réponse à leur étonnement tout à fait

légitime.

« Il faut savoir se faire plaisir parfois. Je la comprends. Tu as raison ma puce. » La réponse de

ma mère me trouble. Me comprend-elle vraiment ? Je la fixe quelques instants, elle m’offre

un sourire plein de compassion. Se doute-t-elle de quelque chose ?

« Oui mais quand même, elle fait pas semblant ! »

Jeanne n’a que trop raison. Cet achat, ce n’est pas moi ; ou plutôt ce n’était pas le moi que

je croyais être. Je suis plutôt du genre à toujours privilégier ma petite famille. Mais quand

nous sommes entrées dans cette boutique chic pour offrir une belle tenue à ma mère, je l’ai

vue. Elle était là comme si elle m’attendait, splendide, une robe courte noire en crêpe de

chine avec un lien à la taille d’Isabel Marant. Elle est d’une fluidité, d’une légèreté qui nourrit

encore l’emblème qu’elle représente à mes yeux. Parfaite ! Elle est le symbole de ma

nouvelle existence. J’ai tout de suite su que je la voulais et pour la première fois, je me suis

dit que je devais m’écouter. Où la mettrais-je, à quelles occasions ? Je n’en sais rien, mais

cela m’importe peu… J’ai une seule certitude, je n’ai pas été assez attentive à ma propre

personne. Je dois changer cela. Quand j’y pense c’est ironique, jamais, je n’ai dépensé une

telle somme dans un vêtement sauf pour ma robe de mariée.

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dimanche 21 juin.

13h57. Dans quelques heures, plus personne dans la maison.

La soirée de la veille a été toute aussi bonne que la journée. Exceptées les quelques

remarques de ma famille sur mon coup de folie et la moue de mon mari qui s’est abstenu de

tout commentaire. Ma mère, elle, était encore compatissante. Une fois mes petits amours

couchés, quelques uns d’entre nous avons fait un scrabble, mon mari n’en faisait pas parti (il

n’aime pas ce jeu). J’ai beaucoup apprécié cette partie et mon mot scrabble LIBERTE.

Ensuite, nous avons discuté, joué à la Wii jusqu’à tard dans la nuit. Cela m’a bien arrangé.

Ainsi, j’ai trouvé le sommeil assez facilement, abattue par ma longue journée et les deux,

trois verres de vin que j’ai bu. Durant cette nuit d’ailleurs, j’ai appris quelque chose sur moi :

je n’aime pas le vin. J’en bois depuis longtemps comme mon époux.

Je n’aime pas le vin et j’ai une robe magnifique et coûteuse !

Avant leur départ, nous décidons de profiter de la plage malgré les nuages qui encombrent

le ciel. J’enfile un gros gilet et nous partons nous promener.

Je marche au bord de l’eau, Jeanne à mes côtés. Les autres jouent au ballon ou sont assis sur

les galets. Je me laisse submergée par l’odeur de la mer, son bruit, ses mouvements.

J’admire aussi ses falaises qui nous surplombent. J’aime cet endroit.

« Alors, tu en es où ? »

Ma question paraît tout de suite limpide à ma sœur qui répond :

« Oh rien de particulier ! C’est le calme plat en ce moment. »

« Vraiment personne ? »

« Sauf si tu prends en compte un drôle de mec l’autre soir en boîte. » Dit-elle avec un certain

dégoût.

« Il n’a même pas passé le cap des auditions celui-là ? »

« Non ! Il avait un drôle de nez. »

« C’est tout ? C’est ça ton motif ? » Dis-je amusée.

« Ca, c’est ce qui m’a sauté aux yeux tout de suite. En plus, il était bourré donc pas fiable et

grossier donc inintéressant ! »

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Nous rions toutes les deux. Elle a toujours été intransigeante avec les hommes. Un modèle

bien précis dans sa tête auquel aucun homme n’a tenu la comparaison. Ses choix sélectifs

l’amènent à ce célibat. Pour combien de temps ? Sera-t-elle seule longtemps encore à cause

de cette inflexibilité ?

Mes critères semblent plus souples en matière d’hommes, ou ils l’ont été. Sébastien ? Plus

j’y pense, plus cela me parait évident. Il n’y a jamais eu de coup de foudre. Je l’ai

immédiatement bien aimé mais c’est tout, au début du moins. Puis petit à petit, je me disais

que c’était un mec bien et lui semblait très réceptif à la moindre de mes remarques. En fait,

Jeanne et moi sommes bien plus semblables dans ce domaine qu’il n’y semblait. J’avais eu

des choix plus souples certes mais j’avais modelé Sébastien à mon image. Je suis mariée. Elle

est seule.

Laquelle est la plus honnête ? Laquelle est la plus cruelle ? Laquelle de nos places est la plus

enviable ?

Nous avons toujours été en quête de L’AMOUR. Elle n’y est pas parvenue. Mais moi ? Ne

vais-je pas en arriver au même résultat ? Après tant d’efforts, tant de personnes en seront

blessées.

J’aimerais tant partager tout ce que je ressens avec ma sœur. Nous avons toujours été

proches, mais là, je ne sais comment lui dire ce qui se passe en moi. Après tout, je suis

incompréhensible, inexcusable même. J’ai honte.

17h42. Les trois voitures s’éloignent. Mes petits bouts s’agitent dans tous les sens pour faire

au revoir, mon mari à quelques mètres.

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3ème MESURE

« Tomorrow if a golden train came to take you away.

Would you go or would you stay? “ 9

Lundi 22 juin.

17h16. Premier jour après ce week-end.

Edmée et Landry goûtent dans la cuisine. Je range toutes nos affaires de la journée. Le

téléphone sonne, je traverse le salon pour m’en emparer.

« Allo. »

« Bonjour, vous êtes bien Mme Amandine CHAMBON ? »

« Euh oui. » Je déteste quand la conversation téléphonique commence ainsi. Toujours signe

d’enquêtes, d’opérateurs téléphoniques, de sociétés de volets électriques…

« Bonjour, Les Inrockuptibles, le magazine. »

« Oui ? » La conversation prend une allure inattendue. Les magazines appellent également

pour proposer des abonnements ?

« Vous avez bien participé au concours des Blues Eyes ? »

Je ne comprends pas quelle tournure prend ce dialogue. Je réponds donc automatiquement :

« Oui. » Ce qui est la vérité. Avec Jeanne. J’avais complètement oublié d’ailleurs. Au fait,

pour quand sont les résultats ?

« J’ai donc l’honneur de vous annoncer que vous avez gagné un séjour d’une semaine en

Espagne en compagnie de votre groupe préféré. Félicitations ! » La voix est enjouée mais le

texte est récité.

Je ne réagis pas, je ne comprends pas ce qui me tombe dessus. J’étais à mille lieues de ça.

« Oh super ! » Je ne sais pas si ma voix est enthousiaste mais c’est le mieux que je puisse

faire.

9 Golden train par Justin Nozuka : « Demain si un train doré venait pour t’emporter. Partirais-tu ou resterais-

tu ? »

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« Bien sûr, nous allons vous envoyer en détails tout le déroulement de votre séjour et les

papiers nécessaires. Nous restons disponibles pour toutes questions… »

Je n’entends plus la suite.

J’ai gagné le concours. Je n’en reviens pas. Avec Jeanne, nous avions tenté notre chance

sans trop y croire. Histoire de ne pas le regretter. Nous avions participé à trois des quatre

concours parce que l’un d’entre eux supposait qu’on se « grime » en l’un des membres du

groupe. Très peu pour nous. Nous sommes fans de ce groupe, de leurs membres, de leur

style, de leur musique bien sûr. Mais pas ce type de fan.

Ma première réaction est d’appeler Jeanne. Peut-être m’aidera-t-elle à réaliser ?

« Allo. », répond la voix de ma petite sœur.

« Allo, c’est moi. Je ne te dérange pas ? »

« Non, quoi de neuf depuis hier ? »

« Tu ne devineras jamais. Je n’y crois pas moi-même… Mais ce n’est pas une blague. »

« OK ! Qu’est-ce qu’il y a ? »

« J’ai… gagné le concours pour rencontrer les Blues Eyes. » Je dis le tout d’une seule traite.

J’ai l’impression de proférer un énorme mensonge.

« C’est pas vrai, tu rigoles ? » Elle parait incrédule.

« Non, justement, c’est ce que je viens de te dire. J’avais le magazine Les Inrockuptibles à

l’instant au téléphone. Je n’y crois tellement pas que je te téléphone pour m’aider à atterrir.

Je ne me rappelais même plus que c’était aujourd’hui les résultats ! »

« Mon dieu ! Mais t’as du bol ! En plus, si c’est les Inrocks, ça veut dire que c’est pour ton

texte que tu as été sélectionnée. Ce n’est pas un hasard ! »

« Je suis sûre qu’il y a une partie de hasard. Il doit y avoir des tonnes de textes meilleurs que

le mien. »

« Sauf si ce ne sont que des jeunettes fanatiques du groupe ! Et arrête de te dévaloriser,

t’écris bien ! Te rends-tu compte de ta chance ? Je tuerais pour être à ta place. Tu vas quand

même passer plusieurs jours en leur compagnie, les voir en concert… Tu te rends compte :

Nellie Repp, Kellan Lace, Jackson Raynton, Amber Gainsburgh et Thomas Winston. Ah oui, je

tuerais pour être à ta place ! Je suis dégoûtée de ne pas avoir gagné aussi ! »

Je l’écoute attentivement pour tenter de réaliser.

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« Je pense que moi aussi. Mais là je suis perplexe, je suis surprise et même un peu effrayée.

Une fois là-bas qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur dire, en anglais en plus ? Et puis, les

autres fans vont être comment ? Des midinettes hystériques ? Moi, ce n’est pas mon truc. »

« Arrête tes bêtises. C’est une aubaine. Tu vas pouvoir les rencontrer, les suivre dans leur vie

médiatique, voir l’autre côté du système, les écouter chanter et profiter d’un super séjour

dans des hôtels luxueux, en Espagne de surcroît ! Et n’oublie pas qu’il y a trois mecs canons

dans le groupe, que toi, tu vas pouvoir voir de près. »

« Pas besoin de me le dire, je le sais. C’est juste que… C’est étrange comme situation. Je ne

pensais pas réagir comme ça. A vrai dire, je ne m’étais jamais imaginé dans une situation

semblable. »

« Oui et bien arrête de penser et crie, c’est ce que tu es censée faire. Etre folle de joie ! »

« OK… Génial, je suis vraiment trop heureuse ! Mis à part l’aspect flippant de tout ça. En

plus, avec un peu de chance, je pourrais voir des répétitions ou peut-être même des petits

bœufs en acoustique…. Ca serait super cool… Mais je vais peut-être avoir l’air d’une vieille à

leur côté, ils ont quelques années de moins que moi.»

« Tu es intraitable mais au moins tu as l’air d’être un peu plus joyeuse ! Veinarde. »

« Ca veut dire aussi me séparer d’Edmée et Landry pendant une semaine. Ca va être dur, je

ne les ai jamais quittés plus de 24 heures ! Je ne sais pas si je vais y arriver, ça va être une

torture. »

« Alors là, je t’arrête tout de suite. Tu as gagné le concours, tu y vas, point final. Tes

doudous, on va s’en occuper. »

« Oui, je sais mais quand même, ça sera dur… enfin, ce n’est pas tous les jours qu’on peut

rencontrer un super groupe de musique, hein ? »

« Exactement... »

Jeudi 2 juillet.

16h10. Dernier jour d’école.

Nous sommes dans la cour de récréation avec Marine et Cendrine. A peine la moitié de

l’effectif classique. Nous avons passé une journée ensoleillée agréable à ranger nos classes

et l’école en grande partie.

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« Ah les vacances ! Je vais passer deux semaines avec ma sœur et nos enfants sans maris. Ca

va être juste génial ! » Dit Marine dans un soupir de plaisir, les yeux rivés sur la cour pour

surveiller les élèves.

« Moi, je reste chez moi comme prévu et quelques jours chez des amis par-ci par-là. Rien de

bien programmé. Je vais me laisser aller au rythme de mes envies. » Rajoute Cendrine.

Je ne rajoute rien, elles connaissent déjà mon programme, du moins le début de mon été.

« Quand est-ce que tu pars déjà Amandine ? Demain ? » Me demande Cendrine.

« Non, je pars Samedi, l’avion qui part de Paris décolle en fin d’après-midi. »

« C’est sympa ce séjour ! Je ne connais pas trop le groupe, mais même sans ça, ça me

plairait bien. » Dit à son tour Marine.

Dans deux jours, je vais partir pour l’inconnu. Ca m’affole un peu, mais je piaffe

d’impatience en réalité. Je vais sûrement être rongée par la timidité et m’exprimer dans un

anglais minable. Mais bon si je n’y vais pas, je m’en voudrais terriblement. Les Blues Eyes

quand même ! Un groupe de musique extra dont Jeanne et moi sommes des fans de la

première heure. Hélas, nous n’avons jamais pu aller les voir sur scène. C’est pourtant là que

tout leur talent doit se révéler, d’après les extraits que nous avons pu voir à la télévision.

C’est un groupe bien particulier mélangeant tous les styles musicaux : Blues, rock, folk, soul,

pop anglaise… et créant ainsi leur propre style de musique. Ils sont mondialement connus

depuis un peu plus d’un an avec leur deuxième album On the Rocks. Depuis, c’est l’hystérie,

des tubes internationaux, des millions de disques vendus et une tournée mondiale On the

Road à guichets fermés. Ils sont cinq : deux filles et trois garçons âgés de 22 à 27 ans. Tous

musiciens, tous chanteurs et auteurs-compositeurs.

Dans deux jours donc, je vais me retrouver, moi Amandine, face à eux. Je vais vivre deux

concerts à Madrid et un à Barcelone, les suivre dans leurs interviews, répétitions, shootings…

Une soirée est même organisée entre les membres du groupe et nous, heureux gagnants du

concours.

C’est aussi pendant ce séjour que je vais passer un nouveau cap le 10 juillet : mes 30 ans. La

première fois que je vais faire mon anniversaire loin des miens. J’en suis toujours au point

mort dans ma relation avec mon mari. J’ai décidé d’attendre mais rien n’a évolué. Ni notre

attitude, ni ce qui semble être mes sentiments. Mais j’hésite. Que ressent-il vraiment ? Peut-

être ne se rend-il pas compte de la situation ? En est-il satisfait ? Est-ce normal à ses yeux ?

M’aime-t-il ? Je devrais être sûre de moi avant d’aborder ce sujet. Cela aura tellement de

conséquences que je ne maîtriserai pas ! J’attends. Peut-être ce séjour, seule, sans lui, loin

de tous me permettra d’y voir plus clair.

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16h34. Une année scolaire d’écoulée.

Les élèves sont presque tous partis. C’est une nouvelle page qui se tourne, un brin de

nostalgie. Je suis appuyée sur le cadre de la porte de ma classe, pensive. Comment sera ma

rentrée prochaine ? Quels changements se seront produits d’ici là ?

« Tu rêves déjà de tes vacances ? » Cette voix masculine m’est familière et agréable. Elle me

tire de mes pensées avec un grand sourire.

« Que veux-tu ? C’est plus fort que moi ! » Jean s’avance vers moi pour me faire la bise. Il

sent bon. « Et toi ? Tu es en vacances quand ? »

« Je ferme boutique au mois d’Août. » Il tient une librairie. Un passionné de livres. « Tu pars

quelque part ? »

« Oui. En Espagne dans deux jours et peut-être au mois d’août en Bretagne mais rien de

fixé. »

Il sourit :

« Ils sont si durs que ça, ces petits monstres pour que tu t’échappes si vite en vacances ? »

« Oh si tu savais ! C’est pour ça que je pars sans mari et sans enfants en plus. » Lui dis-je sur

le ton de la blague.

« Mince, il y aurait peut-être une place pour moi alors ? L’Espagne, ça me va.» dit-il sur le

même ton.

L’espace d’une seconde, je visualise : Moi, une plage chaude et ensoleillée d’Espagne et

Jean, torse nu, bronzé. Une belle image. Très belle même.

« Je croyais que tu fermais ta librairie en août ? »

« C’est vrai, j’avais oublié. » Son sourire illumine son visage. « Bon et bien, bonnes vacances,

bronze bien en Espagne ! »

« Merci ! Et toi bichonne bien ta librairie en attendant les vacances. Au revoir Léna !»

Un geste de la main, il s’en va et je le regarde partir avec sa fille. Je le suis du regard tout le

long du couloir qui l’amène vers la sortie. Quels changements à venir ? Edmée me rejoint, je

m’assois sur un banc du couloir, la prends dans mes bras et fourre mon visage dans sa

chevelure dorée.

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4ème MESURE

« I gotta feeling that’s tonight gonna be a good night. »10

Samedi 4 juillet.

15h30. Aéroport Paris-Orly. Lieu du rendez-vous. Début de l’angoisse montante.

J’ai laissé mes deux petits anges à ma mère qui séjourne chez moi, mon mari ayant une

formation à Paris ces jours-ci. J’ai senti mon cœur se déchirer quand j’ai dû les laisser. J’ai

lutté contre les larmes. Ils vont vraiment me manquer pendant tous ces jours.

Je trouve enfin dans la foule un panneau peu discret : Gagnants du concours Blues Eyes. Le

genre de pancarte dont je me serais passée puisque immanquablement, tous les yeux seront

rivés sur nous. Ce qui n’est pas du tout pour me plaire. Je me dirige droit sur la petite foule

amassée autour de l’écriteau.

17h10. L’avion vient de décoller. Première fois que je prends l’avion.

Ca ne me stresse pas. Je trouve même l’endroit plutôt apaisant, avec ce lit cotonneux de

nuages en dessous de nous, si je fais exception des deux personnes qui m’accompagnent.

Pour ce concours franco-espagnol, nous sommes trois françaises et une espagnole que nous

découvrirons sur place à avoir remporté le prix.

Les deux qui sont avec moi dans l’avion me suffisent amplement pour ne pas avoir à

supporter encore une personne supplémentaire. Elles sont tout ce que je redoutais : des

fans hystériques complètement accros. Il y a Sophie, 20 ans, une rouquine plutôt jolie et

Sandra, 19 ans, une brune au carré court identique à celui d’Amber. Elle a aussi essayé de

copier le look de la chanteuse mais elle ne le porte pas aussi bien étant données ses

rondeurs. C’est elle qui a gagné le concours :

Look-toi comme tes stars préférées et viens les rejoindre en

Espagne.

Elles sont déjà dans un état de transe avancé, ce qui me fait redouter la rencontre avec le

groupe. Je peux comprendre qu’elles soient très contentes de les rencontrer, c’est mon cas,

mais est-on obligé d’avoir à son actif: la panoplie des tee-shirts du groupe, une dizaine de

dossiers qui leur est consacrés sur soi ? Pendant tout le trajet, j’ai le droit à la biographie

10 I gotta feeling par The Black Eyed Peas : « J’ai le sentiment que cette soirée va être une bonne soirée »

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détaillée de chaque membre (enfance, famille, passions, amours…), aux commentaires de

chacun de leurs propos quand elles plongent dans les dossiers richement documentés et

imagés, aux petits cris de joie d’excitation assortis de petits bonds sur le siège quand elles

réalisent qu’elles vont les voir ou qu’elles vont pouvoir embrasser les garçons « trop

beaux » ! S’ajoute à cette liste déjà bien pénible pour moi : le scénario détaillé de leur

rencontre avec le groupe et les fabulations qui s’en suivent. Sandra sera avec Thomas et

Sophie avec Kellan. Heureusement qu’elle ne vise pas le même garçon !

J’essaie de participer tant bien que mal à la conversation pour ne pas m’isoler

complètement, ce que j’aimerais mieux. Pour me distraire un peu de l’excitation ambiante,

j’écoute un peu de musique sur mon MP 3. Je m’abstiens de mettre les Blues Eyes car c’est la

première question qu’elles m’ont posée, et j’ai senti qu’elles allaient le monopoliser. Je sens

qu’elles m’observent du coin de l’œil (elles n’osent rien dire, je suis trop près), elles doivent

se demander ce que je fais là : mon âge, mon absence d’excitation exubérante (je suis

pourtant vraiment impatiente). Je n’ai pas le profil requis.

19h05. Atterrissage. Me voilà en Espagne.

Je n’y crois pas. Je vais donc les rencontrer, ce n’est pas une blague. Je ne réalise toujours

pas vraiment. Quand ils seront en face de moi, ce sera peut-être plus facile. Que vais-je leur

dire, si j’arrive à placer un mot entre deux cris ?

Une jeune femme, Penelope, nous accueille et nous accompagne jusqu’à l’hôtel où nous

séjournerons à Madrid, tout comme le groupe. C’est un quatre étoiles splendide,

contemporain et élégant. Nous sommes logées dans une suite de deux chambres et Paola, la

gagnante espagnole partage la mienne. Elle a l’air un peu plus calme que les autres. C’est

une brune de 20 ans au teint mât.

Chacune s’installe et nous nous relayons dans la salle de bains. Je m’habille pour le concert ;

décontractée mais élégante : des baskets, un jean, un débardeur blanc à l’aspect satiné

raffiné et une veste blanche à pressions avec un col montant. Je me maquille assez

simplement : mascara, blush sur les joues et rose à lèvres pâle. Une paire de boucles

d’oreilles, les cheveux retenus par une grosse pince, quelques boucles tombantes et mon

gros sac noir.

20h30. Palacio de Deportes de la Comunidad, dans le quartier VIP.

L’endroit est colossal et la scène au milieu ne paraît pas très grande. Nous sommes assises et

passer un concert ainsi ne me réjouit pas vraiment. La musique, ça se vit. Assise, j’aurai

l’impression d’être devant ma télé !

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21h15. Première partie décapante.

C’était un artiste anglais que je ne connaissais pas. L’ensemble des spectateurs se retrouve

maintenant plongé dans le noir. Le concert commence, le son de la musique gronde dans

toute la salle et je sens toutes les vibrations frémir dans mon corps.

C’est parti pour deux heures de concert. La lumière éclaire brusquement la scène et on voit

chaque artiste à son instrument. Ils jouent les premières notes de Lovey-dovey et

immédiatement, j’ai les tympans percés par Sophie qui hurle :

« KELLAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ». S’en suit des tas de hurlements. Mon plaisir est

gâché, je n’entends presque plus la musique !

Ils sont tous impeccables sur scène. Il y a au fond de la scène, Kellan à la batterie et au

chœur, habillé d’une chemise blanche et d’un pull débardeur beige avec un pantalon blanc

et un béret assorti. Sur la gauche, on trouve Nellie à la basse et au chœur, vêtue d’un

costume blanc avec une chemise noire et d’escarpins de la même couleur, ses longs cheveux

détachés. A ses côtés, il y a Jackson qui joue de la guitare, de l’harmonica, fait les chœurs et

chante sur certains titres. Il a une chemise blanche à fines rayures avec un gilet et un

pantalon de costume gris. De l’autre côté de la scène, Amber joue du violon, des

percussions, du dulcimer… et fait les chœurs ou chante dans certaines chansons. Elle porte

une robe courte très moulante sur le haut du corps finissant comme un tutu d’un blanc

immaculé avec des chaussures, faisant penser aux pointes des danseuses, agrémentées

d’une semelle compensée. Son carré court est plaqué derrière ses oreilles. Au milieu de tous,

Thomas a un costume gris clair avec une chemise blanche entrouverte. Il chante, joue de la

guitare et du piano.

Ils jouent bien sûr tous leurs tubes: Selfish, Dog’life, Clock, Looks tied up, Lovelorn, Bed of

clouds ainsi que d’autres titres de leurs albums, un inédit et une reprise de Jeff Buckley.

Tout en connaissant leur musique, j’ai l’impression de redécouvrir chacune de leurs

chansons car elles sont arrangées différemment, ce qui leur donne une nouvelle couleur.

L’ambiance est survoltée et électrique ou douce et rêveuse au fur et à mesure des morceaux

qu’ils proposent. Le public est conquis et les suit avec dévouement. Sur scène, ils se donnent

intégralement. Un concert réussi. De la musique, de la bonne musique et des artistes

extraordinaires. Tout est pour me plaire : de l’énergie, du sex-appeal, une voix enivrante, un

rock sensible. Parfait !

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5ème MESURE

« Je suis en tête à tête avec un ange. En apesanteur. Pourvu que les secondes soient des heures. » 11

Toujours samedi 4 juillet.

Aux alentours de 0h00. Nous voilà toutes les quatre accompagnées de notre chaperon

Penelope dans les coulisses. Nous allons les rencontrer d’une minute à l’autre. Les filles à

côté de moi se dandinent sur place et parlent d’une voix aigüe, à toute vitesse, pour combler

l’attente. Moi, je suis encore sous l’émotion de ce concert fantastique et je sens l’angoisse

m’étrangler. Je suis d’une nature timide et la barrière de la langue m’inquiète. Je vais

sûrement perdre tous mes moyens pour m’exprimer en anglais. C’est alors que Nellie,

Amber et Kellan arrivent vers nous. Frais et défaits de leur tenue de scène. Je sens la

nervosité de mes camarades montée en puissance, je crains l’implosion qui inévitablement

arrive :

« Oh les voilà ! », « Ils sont trop beaux !», « Dios mio ! », « Oh j’y crois pas ! », « C’est le plus

beau jour de ma vie ! »… Je me sens assaillie par leurs cris, leur état de transe, elles me

stressent inutilement.

« Salut ! » nous disent-ils en anglais et en chœur avec un beau sourire sur leur visage.

Nellie est une belle femme brune et plantureuse, yeux marine et teint mât. Amber est une

brunette, avec de jolis yeux bleus clairs comme de l’eau, un visage fin, la silhouette menue et

élancée, féline. Kellan, enfin, a des cheveux courts blonds, des yeux bleus limpides, un corps

imposant. Le parfait représentant de l’Homme.

« Alors comme ça, c’est vous qui avez gagné le concours ? » demande Nellie.

« Oui. » Réponse unanime de notre côté.

« Vous vous appelez comment ? » demande Kellan avec un regard interrogateur.

Chacune se nomme et c’est moi qui finis la ribambelle de prénoms :

« Moi, c’est Amandine. » Les trois paires d’yeux bleus s’attardent un peu sur moi.

« Alors vous êtes contentes ? » demande à nouveau Kellan.

11 En apesanteur par Calogero

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Voilà mes camarades lancées dans un bafouillage de mots anglais dont je ne suis pas sûre

qu’il ressorte vraiment quelque chose de compréhensible. Je ne participe pas trop à

l’échange, je ne me sens pas vraiment à l’aise.

Un bel homme, cheveux bruns mi-longs, un visage aux traits fins et de magnifiques yeux

bleus-verts s’approche. Jackson. Les autres ne l’ont pas encore vu. Il se dirige vers moi et me

gratifie d’un beau sourire en me disant :

« Bonjour. » Il s’arrête devant moi.

« Bonjour, je suis Amandine, une des gagnantes. ». Je dis ces quelques mots un peu gênée.

« Enchanté. » Il me regarde comme agréablement surpris. Par quoi ?

Il enchaine en disant :

« Le concert t’a plu, alors ? »

« Oui, c’était génial, j’ai adoré la manière dont vous avez joué les chansons. »

« Merci, c’est agréable d’entendre… » Il ne peut pas finir sa phrase car les filles viennent de

réaliser qu’il est là.

« Oh Jackson, bonjour ! Moi, c’est Paola. » Dit-elle dans un anglais à l’accent espagnol

surprenant.

« Bonjour. » répond-il poliment. Les autres se présentent à leur tour. Et la même folie

stressante me submerge.

J’entends Sandra dire à Amber : « Tu sais, tu es mon modèle, tu es trop belle ! J’adore ton

style ! Je fais tout comme toi ! »

Amber lui jette alors un rapide coup d’œil effaré qu’elle ne remarque pas et Kellan étouffe

un rire en donnant un coup de coude taquin à Nellie qui tente de l’ignorer. Jackson, lui, est

aux prises avec Paola. Elles ne se battront pas, c’est déjà ça. Chacune a son préféré. C’est

alors que je me retourne…

Je me retrouve là, plantée, comme absorbée par le sol. Mon corps n’est plus, mon cœur, lui,

hésite entre une chamade à tout rompre et un arrêt tout net. Tout s’est arrêté de toute

façon. Plus rien n’existe, il n’y a jamais rien eu auparavant et rien à venir sûrement. Je suis

figée.

L’objet de mon attention ne doit certainement pas exister lui aussi. Encore un coup de mon

imagination débordante qui, cette fois-ci, s’est réellement surpassée. Je ne me serais pas

crue capable de donner corps à un être aussi attirant, captivant, parfait. Un rêve, sans aucun

doute, que j’aurais grand mal à laisser s’évanouir au réveil. Comment pourrais-je m’en

passer maintenant que je l’ai vu, que je sais qu’il existe ? Je ne pourrais vivre sans lui, sans

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ses lèvres charnues, son visage fragile et fort à la fois, son corps qui sous cette chemise

entrouverte laisse deviner un corps divin, sans ses mains larges aux doigts fins conçues pour

effleurer chaque parcelle de mon corps qui ne peut plus réagir, sans ses yeux d’un bleu-gris

si mystérieux et qui semblent vouloir dire tant de choses, sans ses cheveux qui règnent

éparses au sommet de sa tête et qui donnent à cet ange innocent un air si sexy. Un ange…

C’est ça, je dois être morte ; d’où l’étrange réaction de mon corps et de mon cœur qui,

pourtant, continue à battre d’une drôle de manière.

Une voix à mes côtés me fait réaliser que je dois bien être vivante cependant :

« Oh lala, c’est Thomas ! Oh, il est trop beau ! Je crois que je vais pleurer ! »

Malgré ces quelques paroles, je n’arrive pas à décrocher les yeux de cet angelot. Je suis bien

vivante et je continue à le fixer outrageusement. Comment puis-je faire autrement ? Suis-je

donc comme cette fan hystérique à mes côtés ? Non, c’est autre chose, quelque chose

d’inexplicable, de si intense que j’ai du mal à me raccrocher à la réalité, incapable de le

lâcher des yeux. Il faut pourtant que j’arrête. Je dois avoir l’air si stupide ainsi et il trouve

sûrement offensant que je le regarde avec tant d’insistance… Mais ses yeux semblent vouloir

me dire tant de choses que je ne peux résister au besoin viscéral de le savoir…

Je réalise soudain que je peux lire ce que ses yeux semblent vouloir me dire car il me fixe

également et semble aussi pétrifié que moi. Est-ce possible qu’il ressente un millième de

mon désir, de ma peur du vide, de mon envie que cet instant ne cesse jamais ? La vie serait si

pâle et dure après ça. Il est si sérieux, si absorbé… Quand Sandra, la même qui avait proféré

ces mots quelques instants avant, me heurte pour lui foncer dessus. Cette bousculade

détache nos regards. J’en veux à cette fille d’avoir brisé ce moment irréel et si parfait où ma

vie semblait être tout ce que je n’avais et n’aurais jamais osé imaginer.

Voilà, la réalité est de retour : j’entends des dizaines de voix autour de moi, une grande

chaleur m’environne et mon corps se réveille, comme engourdi d’une longue nuit de

sommeil. Je baisse la tête espérant me raccrocher quelques secondes à mon souvenir

enchanteur. Mais je n’y parviens pas, encore une fois à cause de Sandra qui s’égosille

presque, dans un anglais à l’accent français terrifiant :

« Oh lala je suis trop contente ! Je t’aime ! »

Pathétique.

Mon dieu, je me moque d’elle mais je ne dois pas valoir beaucoup mieux avec mon

mutisme ! Je relève la tête, désespérant de ne jamais revivre un tel moment dans ma vie.

C’est fini! Il faut que je me fasse une raison…

Et là, je croise le même regard qui m’avait amené au paradis, il y a quelques secondes, sauf

qu’il est plus proche et que je suis obligée de lever la tête pour l’atteindre. Ses sublimes yeux

bleus s’accompagnent cette fois d’un timide sourire si ravissant. Mon cœur choisit cette

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fois-ci de courir, il s’emballe et je me demande s’il pourra résister longtemps à cette course

frénétique.

« Bonjour. » me dit-il d’un anglais doux, chaud, chantant.

Waouh ! Peut-être suis-je finalement capable de prononcer moi aussi des paroles du type

« Oh lala ! Il est trop beau, je vais mourir sur place ! ». Pauvre Sandra, j’ai vraiment été

cruelle !

Son regard paraît soudain troublé, il attend ma réponse trop longue à venir. Je dois trouver

la force en moi pour lui répondre :

« Euh… Bonjour, je m’appelle Amandine. » Ma voix est tremblante, je suis minable.

Il sourit une nouvelle fois, mais plus franchement, puis dit : « Moi, c’est Thomas. »

Il me dit ça avec un sérieux troublant comme s’il tenait à se présenter. Il doit se douter

pourtant que je le connais.

« Oh ! » Super, la réponse. Il reste silencieux et pensif.

« Comme ça, tu as gagné le concours ? » Il me fixe avec intensité et semble chercher à

décrypter chacune de mes réactions.

« Oui, je suis chanceuse ! » Mon anglais, qui me demande tellement de concentration, ne

me permet pas de dire mieux.

« Pas vraiment, c’est toi qui as écrit le texte n’est-ce pas ? » Sa voix me transperce à ces

mots. Il a lu mon texte. Oh mon dieu, quelle horreur !

« Oui. » Ma conversation est résolument très fournie ! Il va finir par faire un monologue, si je

ne m’investis pas plus. Il ne m’aide pas non plus, en étant là, devant moi, si près…

« Donc ce n’est pas le hasard, c’est ton talent. » Sa voix est si mélodieuse quand il parle, un

ravissement pour mes oreilles qui n’entendent d’ailleurs rien d’autre que son intonation.

« Je ne suis pas sûre. Il y avait beaucoup d’autres beaux textes, je pense. Sûrement meilleurs

que le mien. » J’ai réussi à adapter ma pensée au peu de vocabulaire que j’ai en anglais. Une

prouesse !

Il prend l’air soudainement étonné ; ses sourcils épais se redressent, formant des plis sur son

front. Il en est encore plus merveilleux, cette expression illumine son regard et le sourire qui

l’accompagne rayonne sur son visage.

« Ah ! J’ai trouvé plus modeste que moi !… Ton texte était magnifique, je l’ai beaucoup

aimé… C’est pour ça qu’on l’a choisi.» Ces mots, sortants de sa bouche, sont le plus beau

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compliment qu’on ne m’ait jamais fait. En me disant cela, il semble me faire une confidence

d’une haute importance.

« Vraiment ? Merci. » Je suis terriblement troublée par ce qu’il vient de me dire et par lui. Je

dois lui dire quelque chose.

« J’ai adoré le concert. » Moyen.

« Merci. »

« Tu as une voix extraordinaire. » Je lui dis ces derniers mots avec le même sérieux qu’il avait

employé pour parler de mon texte.

Plus un mot ne sort de nos bouches et nous nous fixons avec une intensité qui me donne le

vertige. Il… J’en perds mes mots. Je m’offre toute entière à son regard qui semble me percer

comme jamais personne ne l’avait fait avant et je me laisse faire, vivant ce moment comme

si c’était le dernier. Ce que mon cœur me rappelle tant il frappe ma poitrine. Au même

instant, nous nous sourions mutuellement, comme si c’était une évidence.

« Eh ! On va y aller, les voitures nous attendent. Tu dragueras plus tard ! ». La voix de Kellan

interrompt toute rêverie. Il lui donne un coup d’épaule.

Il me fait un dernier sourire et détourne les yeux pour foudroyer Kellan du regard :

« Arrête donc tes conneries ! » Il a l’air outré par les paroles de Kellan.

Ce dernier passe un bras autour de mes épaules et me dit avec un sourire jusqu’aux oreilles:

« Tu sais, c’est moi qui drague d’habitude ! »

« Oh ! »

Je me laisse emporter par ce grand dragueur de Kellan Lace qui a l’air tellement sympa.