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Bonzon P-J La Princesse Sans Nom 1958

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PAUL-JACQUES BONBON

LA PRINCESSE SANS NOM

JÉRÔME Parce, tailleur de pierre au

château du roi à Amboise, découvre un bébé abandonné dans une barque au bord de la Loire. Un petit papier indique seulement le nom de la fillette : Dolaine. Qui est-elle ? d'où vient-elle ?

Jérôme Parce accepte de la garder; mais en grandissant Dolaine n'est pas heureuse, car les propres filles du tailleur de pierre détestent cette enfant trouvée. Elle voudrait fuir, quitter Amboise. Elle y parviendra, grâce à la complicité d'un jeune page du château, et rejoindra Jérôme Parce, envoyé par le roi en Italie.

Hélas ! que d'aventures l'attendent dans ce lointain pays où elle se trouve bientôt seule. Elle erre, désemparée, en terre étrangère.

Comme elle voudrait retrouver le jeune page qui, en ce moment, guerroie en Italie et que son cœur n'a jamais oublié !...

F. jusqu'à 14 ans

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PAUL-JACQUES BONZON

LA PRINCESSESANS NOM

ILLUSTRATIONS DE J.-P. ARIEL

HACHETTE152

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© Librairie Hachette, 1958. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE

I. Une barque dans les joncs 8 II. Dolaine 15

III. Quel est ce jeune cavalier ? 23IV. Guillaume de Romorantin 35V. Le Grand voyage 48

VI. Un certain petit coffret d'argent 55VII. Les Mendiants de Florence 65

VIII. Pietro 76IX. La fête des Colombes 87X. Carlotta 92

XI. La Bonne Angela 105XII. Où vas-tu, Dolaine? 115

XIII. Guillaume, ou es-tu? 122XIV. Les Marais de Marignan 133XV. Un extraordinaire hasard 140

XVI. La robe vénitienne 153XVII. Le secret du coffret 166

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I

UNE BARQUE DANS LES JONCS

LE TAILLEUR de pierres ouvrit la porte, fronça les sourcils et dit, entre les dents :

« Damné brouillard ! on ne voit rien à vingt toises devant soi, comme si l'île et le fleuve n'existaient plus.

II remonta le collet de son pourpoint en rude toile et s'éloigna portant sur son dos le sac contenant ses ciseaux de tailleur de pierres, sa mailloche et le morceau de pain bis qu'il mangerait à midi, adossé au mur de la chapelle.

« Maudit brouillard ! fit-il encore en trébuchant sur une vieille racine cachée dans l'herbe comme un serpent. Pourvu que le soleil arrive à percer ces mauvaises nuées! »

A la pointe de l'île s'appuyait le pont, le nouveau pont

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de pierre qui traversait le petit bras de Loire et joignait l'île à Amboise. La brume était si serrée que le tailleur de pierres se demanda si, dans la nuit, les eaux galopantes du fleuve n'en avaient pas emporté les piles. Non, le nouveau pont était solide.

Il découvrit tout à coup la première arche perdue dans la grisaille. A cette heure matinale, le pont était désert. Cependant il n'avait pas fait trente pas qu'il crut entendre un petit cri venu de la rive la plus proche. Jérôme Parce distinguait les cris de tous les animaux qui vivaient dans l'île. Il ne reconnut pas celui-là. Ce n'était l'appel ni d'un pivert, ni d'une sarcelle, ni d'un héron.

« Bah! tu rêves, Jérôme, voilà que le brouillard te trouble la cervelle. »

Cependant, au milieu du pont, il s'arrêta :« Non, ce n'était pas un cri de bête; on aurait plutôt dit.... »Il fit demi-tour, descendit sur la berge, examina la rive du

fleuve. Tout à coup, parmi les roseaux et les joncs, il découvrit une barque, une petite barque à fond plat et bout relevé, attachée au rivage par une corde.

« Par la Croix-Dieu! cette barque n'est point vide! »Il tira sur la corde, amena la nacelle qui tangua comme une

caravelle en haute mer. Au fond, sous la planche, reposait une sorte de gros paquet. Comme il s'approchait, des cris .aigus s'en échappèrent.

« Par la Croix-Dieu! un enfantelet!.., »C'était un enfant de cinq ou six mois, pas davantage,

soigneusement enveloppé dans des linges. Il était rouge d'avoir longtemps pleuré et criait de faim sans doute.

« Pauvret, fit le tailleur de pierres, qui donc t'a amenélà? »Il prit l'enfant dans ses bras, le regarda et courut chez lui.« Femme! vois ce que je viens de trouver à l'entrée du pont,

au fond d'une barquette. »Corinne Parce leva les bras au ciel et sortit le marmot de ses

linges où perlaient de fines gouttelettes de brouillard.« Où Pas-tu trouvé?

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— Je te le dis, près de la grande arche du pont, au fond d'une nacelle.

— C'est une fille. Qui a bien pu l'abandonner? » Jérôme Parce haussa les épaules en signe d'ignorance

et, reprenant son sac :« II faut que je me hâte. Occupe-t'en; donne-lui de la bouillie

de froment et du lait de chèvre. Ce soir, à mon retour, nous verrons ce que nous devons faire. »

Il repartit dans le brouillard. Au bout du pont il atteignit la petite ville d'Amboise dont les blanches maisons, en bordure de Loire, se confondaient toutes dans la brume. Tournant à gauche-main, il prit une courte montée et arriva devant la grande porte du château.

« Halte! Qui est là?— Jérôme Parce, le tailleur de pierres.— Entre! »Il était en retard. Dans la grande cour retentissait déjà le bruit

des marteaux et des maillets.« Holà! maître Jérôme, lui lança quelqu'un en riant, ne

trouvais-tu point l'entrée du pont neuf? »Jérôme sourit et ne répondit pas. En hâte il déballa ses outils

et se mit à la besogne. La veille, les carriers avaient apporté quatre lourds charrois de pierre blanche. L'ouvrage ne manquait pas. Durant tout le jour, il frappa, tailla, sculpta, polit la belle pierre lisse de Touraine qui servirait à édifier la nouvelle chapelle du roi dont les murs s'élevaient déjà à « corps d'homme ».

Jérôme Parce aimait son métier avec passion. Pour rien au monde il n'en eût changé. Sa plus grande joie était de voir sortir sous son ciseau des volutes ou des figures de pierre. Il était fier de penser que cette chapelle serait un peu son œuvre et que plus tard, quand il reposerait à dix pieds sous terre, ses fleurs de pierre vivraient toujours.

Mais aujourd'hui il ne pensait guère à son travail. Il était même si préoccupé qu'à deux reprises le maillet manqua la tête du ciseau et faillit lui écraser les doigts.

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« Qui est cet enfantelet? se redisait-il, et pourquoi Pa-t-on déposé en cet endroit à cent pieds de ma maison? »

Cela surtout l'intriguait. Une vieille coutume tourangelle voulait qu'un enfant trouvé fût adopté par celui dont la demeure se trouvait la plus proche. Or, pas de doute, la plus proche demeure de l'endroit où était attachée la barque était la sienne. Il n'y en avait d'ailleurs point d'autres dans ce bout de l'île. La main inconnue qui avait amarré la barquette savait-elle ce qu'elle faisait?

Tandis que ses compagnons maugréaient contre ce temps froid et humide qui rendait les doigts gourds, il ne cessa de ruminer tout cela, de chercher à comprendre.

« Bah! finit-il par se dire, nous verrons bien. Peut-être qu'à l'heure présente le père ou la mère, pris de remords, est revenu chercher le bébé. C'est là chose qui arrive souvent. »

Le soir quand la clochette du maître d'œuvre annonça la fin du travail, il jeta vivement son sac sur l'épaule et s'en fut. La brume s'était déchirée, mais le ciel restait gris. Au bout du pont, il descendit au bord de Loire. La barque était toujours là, abandonnée. Personne n'était donc venu.

« Eh bien, femme? » demanda-t-il en poussant la porte de la maison.

Corinne lui montra l'enfant qui dormait dans une corbeille d'osier.

« J'ai regardé ses linges. Ils sont tous d'étoffe grossière sauf celui-ci bordé de dentelle. Entre deux couvertures j'ai trouvé ce papier. Regarde, toi qui sais lire. »

Jérôme prit le papier qui était fin et blanc et lut :« DOLAINE. »« Dolaine, répéta la femme; voilà un nom étrange, je ne l'ai

jamais entendu en Touraine. »Jérôme examina encore le papier qui avait belle apparence.

Les lettres étaient tracées par quelqu'un qui avait l'habitude d'écrire.

« Dolaine, reprit-il à son tour, oui, c'est un nom étrange. »

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Puis, se tournant vers sa femme : « Qu'allons-nous faire? Cet enfantelet a été déposé tout près

de notre maison. »Corinne baissa la tête.« Certes, je connais l'usage, Jérôme, mais ce n'est pas

possible. Nous avons déjà deux filles, et Dieu nous enverra peut-être encore d'autres enfants....

— Cependant....— Les moines d'Amboise ne sont-ils pas là pour recueillir

les enfants abandonnés? J'ai ouï dire que l'an dernier on leur en avait apporté plusieurs.

— Justement, femme, on les leur avait apportés, mais celui-là a été déposé près de notre demeure. On est venu exprès dans l'île.

— Les moines sont plus riches que nous, ils possèdent de larges et belles terres sur l'autre rive de Loire.

- Certes, mais nous avons devoir....— Nous avons devoir d'élever d'abord nos propres

enfants. »Jérôme Parce ne répondit pas. Il avala l'écuelle de soupe qui

attendait sur la table, puis s'approcha de nouveau de la corbeille qu'entouraient Catherine et Charlotte, ses deux propres filles, deux jumelles de deux ans à peine.

« Dolaine, fit-il à mi-voix, Dolaine! »L'enfantelet le regarda comme s'il comprenait son nom, un

vague sourire flotta sur son visage rond.« Demain, murmura le tailleur de pierres, je verrai le

chapelain du château et lui parlerai de toi. C'est lui qui décidera. »II fit comme il avait dit. Dès le lendemain, apercevant le

chapelain qui traversait la cour, il posa ses outils et lui expliqua ce qui était arrivé chez lui.

Personnage important et respecté au château, le chapelain n'était point cependant intimidant. Volontiers il s'arrêtait pour bavarder et même plaisanter avec « ses » ouvriers comme il les appelait, puisqu'ils travaillaient à la chapelle. Pour le mettre à

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l'aise, il entraîna Jérôme à l'écart et lui posa la main sur l'épaule.

« Mon fils, je comprends ce que tu m'expliques. Je te connais, Jérôme Parce, tu es un homme franc et honnête. Tu aimes ton métier, ta femme et tes enfants. Ce n'est certainement pas par hasard que cette barque a échoué sur ta rive. Crois-moi, elle est venue là parce qu'on t'a choisi. Garde cet enfant. Élève-le parmi les tiens. Il t'en coûtera de la peine, du travail et du souci mais ton esprit sera en paix, tu auras fait une louable action.

— Mais, ma femme....— Ta femme est sans doute comme toutes les femmes. Elle

ne se croit capable d'aimer que les enfants qu'elle a mis au monde. Bien grand serait mon étonnement si elle résistait longtemps au sourire de cette fillette. »

Soulagé, Jérôme se remit à la besogne, frappant de son ciseau la blanche pierre de Touraine. Le soir, en rentrant chez lui, il alla tout droit à la corbeille et, prenant l'enfantelet dans ses bras, déclara :

« Dolaine, toi aussi tu seras notre fille. »

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II

DOLAINE

DOLAINE avait grandi mais les prédictions du chapelain ne s'étaient pas réalisées. Si, par soumission, la femme du tailleur de pierres avait gardé l'enfant, elle n'avait jamais pu la considérer comme sa propre fille. Et quand, deux ans plus tard, naquit une autre fille, Margot, comme on l'appela, Dolaine fut davantage encore considérée comme une étrangère. Quatre filles! c'était beaucoup... une était en trop... et serait toujours en trop.

Dolaine s'aperçut vite qu'elle tenait moins de place que les autres. Alors ses sourires se firent plus rares, son regard se durcit. En grandissant elle devenait étrange, fantasque, sauvage, méchante parfois. Un être, pourtant, se penchait vers elle avec tendresse : Jérôme Parce. Avec lui elle savait se faire douce, câline, espiègle, enjouée

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mais le tailleur de pierres n'était pas souvent là. Il partait le matin à la prime-aube et ne rentrait que le soir à l'heure où le soleil s'enfonce dans les sables de la Loire.

Peu à peu Dolaine avait pris l'habitude de fuir la maison, n'y revenant que pour les repas, passant son temps à se rouler sur l'herbe de l'île, à sauter autour de grands feux de bois mort qu'elle allumait. Souvent, au cours des chaudes journées de juillet, elle se dévêtait à l'abri des roseaux pour barboter dans les eaux tièdes du fleuve. Ainsi, toute seule, elle avait appris à nager. Insouciante du danger, du courant, des remous, elle se hasardait dans le petit bras du fleuve, celui qui séparait Amboise de l'île Saint-Jean.

Une fois même, la Loire étant en crue, elle faillit se noyer. Des bateliers la repêchèrent à une lieue en aval, alors qu'accrochée à une branche elle poussait des cris désespérés.

« Folle, je te dis qu'elle est folle, répétait Corinne. Ah! je commence à comprendre pourquoi on l'a abandonnée! Assurément, sa mère, comme elle, ne possédait point de cervelle.»

Certes non, la tête de Dolaine n'était point vide, au contraire. Que de pensées, que de rêves y couraient... et que de nuages aussi, de sombres nuages tissés de chagrin.

Le soir, quand père Jérôme revenait du château, elle s'asseyait près de lui et bavardait. Ce château dont elle contemplait à longueur de jour les murailles et les tours trapues l'intriguait beaucoup.

« Oh! soupirait-elle, j'aimerais tant, un jour, y entrer, voir de près toutes ces nobles dames en belles robes de soie.

- Tu sais bien, Dolaine, que l'entrée en est gardée par des hommes d'armes, qu'il n'est point permis aux manants d'y pénétrer.

— Mais toi, père Jérôme, tu y vas chaque jour.— Ce n'est pas la même chose. Je m'y rends pour travailler.— J'aimerais tant voir le roi.— Le roi est un homme comme les autres. Pour être ranc, il

n'est même pas beau; petit et contrefait avec un vilain teint couleur de terre... et puis il n'est pas toujours à Amboise. Il

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guerroie souvent en Italie.— Ah! oui, en Italie. Tu m'as souvent parlé de ce pays,

père Jérôme, est-ce vraiment si beau?— Hélas ! je ne l'ai jamais vu et sans doute ne le

connaîtrai-je jamais. On le dit couvert de palais merveilleux et ceux qui en sont revenus gardent dans leurs yeux l'éblouissement de ces merveilles.

— Est-ce bien loin?— Les plus robustes chevaux ne l'atteindraient pas

en deux semaines.— Ah! » faisait Dolaine qui se représentait mal pareil

éloignement, elle qui n'avait jamais quitté l'île Saint-Jean.Plusieurs années passèrent encore. Dolaine avait maintenant

douze ans. Elle était grande pour son âge mais aussi mince que les roseaux des bords de Loire. L'île Saint-Jean devenait bien étroite pour son cœur inassouvi. Elle se faisait de plus en plus sauvage, passant de longues journées à courir pieds nus dans la campagne, ne rentrant qu'à l'heure où elle savait retrouver père Jérôme. Puis elle prit l'habitude d'aller l'attendre jusqu'aux remparts du château.

« Dolaine, la grondait alors le tailleur de pierres, tu sais pourtant que je te défends d'entrer dans la ville à la nuit venue. Tu n'as donc aucune crainte des marauds? »

Dolaine éclatait de rire. Les marauds ! les détrousseurs de gens! les voleurs d'enfants!... Elle s'en moquait bien. Est-ce qu'on enlève les filles laides comme elle? Car elle était laide. On le lui avait assez répété à la maison. Que de fois ses sœurs aînées, pour la vexer, s'étaient moquées de ses cheveux ébouriffés, de ses jambes trop grêles. Les premières fois, elle s'était rebiffée en tirant la langue, en répondant aux coups de langue par des coups de griffe, de terribles coups de griffe, mais elle n'avait réussi qu'à se faire traiter de méchante fille sans cœur.

Ainsi, donnant la main à père Jérôme, elle rentrait dans l'île avec lui. C'était, pour elle, le seul doux moment de la

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journée, et pour le prolonger, cet instant délicieux, elle était capable de mille petites ruses. Elle trouvait toujours un prétexte pour obliger père Jérôme à s'arrêter : un jour, du haut du pont, elle lui montrait les sables du fleuve, embrasés par les feux du couchant; une autre fois c'étaient des bateliers qui amarraient leurs chalands à la rive pour passer la nuit; une autre fois encore les remous de la Loire qui faisaient et défaisaient de merveilleux dessins. Il lui arrivait même d'entraîner le tailleur de pierres sur le rivage de l'île pour lui montrer un nid de sarcelles ou d'aigrettes.

Ils ne rentraient alors à la maison qu'à la nuit noire. Jalouses, Catherine et Charlotte ne soufflaient mot tant que leur père était là, mais elles se rattrapaient après le souper, dans la chambre où elles montaient se coucher toutes les quatre.

C'est ainsi qu'arriva ce qui ne pouvait manquer d'arriver. Un soir père Jérôme avait rapporté un bout de ruban de soie, trouvé dans la cour du château et l'avait donné à Dolaine pour attacher ses cheveux fous, sans penser que ce pauvre petit cadeau allait faire tant de mal. Catherine, Charlotte, et aussi la petite Margot, ne purent se contenir. Aussitôt dans la chambre elles accablèrent Dolaine.

« Certes, tu avais grand besoin de ce ruban pour paraître jolie... mais tu n'y parviendras point. D'ailleurs il ne vaut pas quatre sols.

— Vous mourez toutes de jalousie parce que c'est père Jérôme qui me l'a donné!

— Ah! oui, nous ne l'aurions même pas ramassé... et puis pourquoi, du matin au soir, parles-tu toujours de père Jérôme : père Jérôme m'a conté ceci, père Jérôme m'a conté cela.... Père Jérôme est notre père à nous mais pas à toi. »

Se dressant sur son lit, Dolaine serra les poings.« Que dites-vous?- Que tu n'es pas notre sœur... on t'a trouvée, voici douze ans,

au fond de la barquette, au bord de l'île. Tu ne savais donc pas? »

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Si les autres savaient ce n'était pas depuis longtemps. Deux mois plus tôt seulement, un jour qu'elle était en colère contre la fillette, Corinne leur avait raconté ce secret en leur recommandant bien de le « celer » surtout à Dolaine.

« Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai », s'écria Dolaine hors d'elle.

Elle cria son indignation, mais les autres insinuèrent qu'elle ne ressemblait ni à mère Corinne ni à père Jérôme, qu'elle était blonde alors que toutes trois avaient brune chevelure, que personne en Touraine ne portait ce nom de Dolaine. Accablée, la fillette fondit en larmes.

Elle pleura toute la nuit à côté de la petite Margot endormie qui partageait sa couche.

«J'ai été abandonnée, répétait-elle en sanglotant, oh! non, ce n'est pas vrai, c'est par méchanceté qu'elles me disent cela. »

Et cependant une petite voix lui disait que ses sœurs, pour une fois, ne mentaient pas. Mille petits détails lui revenaient. C'était bien vrai qu'elle ne ressemblait ni. à Catherine, ni à Charlotte, ni à Margot, qu'elle n'avait pas leurs yeux, leur caractère, leurs goûts.

Cette nuit-là, elle ne dormit pas. Quand le petit jour passa ses longs doigts blancs à travers les fentes des volets, elle essuya ses yeux rougis par les larmes et se leva sans bruit. Ses sœurs dormaient encore. Elle entra dans la cuisine. Sur la table, elle aperçut une écuelle vide. Père Jérôme était donc déjà parti travailler au château. Alors elle s'élança dehors, espérant le rattraper. Comme une folle, elle traversa le pont en courant, écorchant ses pieds nus aux cailloux de la chaussée. Sans hésiter elle grimpa la rampe du château. Deux hommes d'armes, hallebarde en main, montaient la garde, bardés de fer.

« Je veux entrer! leur cria-t-elle.— Qui es-tu?— La fille de Jérôme Parce, le tailleur de pierres.— Point n'est permis d'entrer au château.— Je voudrais lui parler....

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— Si tu as quelque chose à lui faire savoir nous porterons le message.

— Non, vous ne pouvez pas... je veux le voir. » Comme elle tentait de s'avancer, les hommes d'armes abaissèrent leur hallebarde, pointe en avant.

« Arrière, si tu ne veux pas être embrochée comme quartier de cerf. »

Elle recula. Au même moment, les gardes s'effacèrent devant un cavalier qui sortait du château, planté droit sur ses étriers. Sans réfléchir, au risque de se faire renverser par le cheval, Dolaine se précipita vers lui et, ne sachant comment le retenir, lui saisit une chausse. Surpris, le cavalier fronça les sourcils et considéra avec dureté cette gamine aux pieds nus qui voulait l'arrêter.

« Arrière, mendiante!— Messire, je ne suis pas une mendiante, je voulais....— Arrière, te dis-je! »Afin de se débarrasser d'elle, il fit un mouvement pour

dégager son pied et l'éperon effleura la joue de Dolaine qui lâcha prise et poussa un cri. Sans même se retourner, le cavalier piqua sa monture et partit au galop. Décontenancée, Dolaine essuya sa joue avec un pan de sa robe et s'éloigna. Lentement elle redescendit l'allée et erra dans la ville. Une sorte de vertige emplissait sa tête; elle n'avait pas dormi, et son estomac criait la faim. Chancelante, elle retraversa le pont, s'arrêtant plusieurs fois pour se reposer contre le parapet. A l'entrée de l'île, elle trébucha contre une vieille souche et roula dans l'herbe à deux toises de la maîtresse pile.

La chute l'avait étourdie, meurtrie; elle fut incapable de se relever. Elle resta là longtemps, très longtemps, tandis que le soleil, passant lentement par-dessus le pont, s'abaissait vers le pays d'Anjou. Tous ses membres tremblaient, elle avait froid et cependant elle n'avait pas envie de se relever, de rentrer à la maison.

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Bientôt les premières étoiles fleurirent le ciel tandis qu'au château les fenêtres s'éclairaient.

« A cette heure, père Jérôme doit être de retour », pensa-t-elle, mais elle ne se leva pas. Engourdie par le froid, elle s'enlisa dans une sorte de torpeur proche du sommeil.

C'est là qu'en pleine nuit, une torche à la main, le tailleur de pierres finit par la découvrir. Averti par un homme d'armes qu'elle était venue le demander et ne l'ayant pas trouvée à la maison il était monté vers la ville puis avait entrepris d'explorer l'île. En l'apercevant, Dolaine se jeta dans ses bras en sanglotant et lui raconta tout.

Le tailleur de pierres éclata de colère contre sa femme et ses filles qui n'avaient su tenir leur langue, puis serrant Dolaine dans ses bras, essaya de la consoler.

« Tu sais bien que je t'aime, moi, que je n'ai jamais fait de différence entre vous quatre. Tu n'as donc jamais deviné toute la place que tu tiens dans mon cœur? Chère petite Dolaine! Ah! pourquoi vient-on de te faire tant de mal... mais peut-être, après tout, est-il mieux pour toi que tu saches ce secret. Ainsi, il te sera sans doute moins difficile de vivre sous notre toit. Allons, petite Dolaine, sèche tes yeux et oublie ce grand chagrin. »

Ce disant, il la prit dans ses bras et l'emporta.

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III

QUEL EST CE JEUNE CAVALIER?

PÈRE JÉRÔME avait presque dit vrai. Connaissant le secret de sa vie, il était plus aisé à Dolaine de comprendre ses sœurs et leur mère, d'admettre qu'elle n'avait pas tout à fait les mêmes droits. Mais en revanche, cette maison qui ne l'avait pas vue naître lui devenait étrangère... et quand on se sent étranger sur une terre, l'envie de la quitter grandit vite.

Elle avait repris ses courses dans la campagne, mais souvent, du haut du pont, elle regardait fuir les eaux troubles du fleuve, passer les bateaux guidés par les longues perches des mariniers, et elle soupirait longuement. Au chagrin des premiers jours succédait une sourde amertume, une sorte de haine contre le monde entier.

« Je deviens méchante, se disait-elle avec regret, et je ne peux pas m'en empêcher. »

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Alors, pour disperser cette rancune, elle courait comme une folle a travers les broussailles de l'île ou, se jetant à

l'eau, nageait avec fureur jusqu'à ce que, épuisée, elle revînt s'étendre au soleil sur les durs galets du rivage.

Plus souvent encore, elle allait s'asseoir dans la barquette qui l'avait apportée douze ans plus tôt. L'embarcation était frêle mais toujours solide, soigneusement entretenue par père Jérôme qui, chaque automne, l'enduisait de poix pour préserver le bois. Un jour Dolaine pensa :

« Cette barquette m'attend peut-être pour m'emporter ailleurs?»

Cette découverte lui parut bientôt une vérité. La barque l'attendait. Dès lors elle ne pensa plus qu'à s'en aller.

Un après-midi de juin, elle travaillait avec sa mère et ses sœurs à la fenaison quand, brusquement, elle lâcha sa râtelle et, sans être vue, revint dans l'île. La barque était toujours là, docile, attachée à son pieu comme une chèvre.

« C'est vrai, on dirait qu'elle m'attend. »Cependant, avant de sauter dedans, elle regarda longuement

vers Amboise, vers le château. C'était la fin de la vesprée; le soleil déclinait déjà, dorant les murailles, faisant briller les vitres comme des diamants.

« Le château, soupira-t-elle, là où vit le roi, là où travaille père Jérôme, là où j'aurais tant voulu entrer une fois, avant de partir. »

Elle hésita un instant puis, brutalement, dénoua la corde et, la poussant vers le courant, sauta dans la barquette. Il avait beaucoup plu au début de la lune; les eaux jaunes fuyaient rapides comme des biches, recouvrant les bancs de sable, caressant la chevelure des saules riverains. La barque partit à la dérive, mais Dolaine savait la manœuvrer. La pointe de l'île dépassée, elle atteignit le large fleuve. Bientôt le pont Saint-Jean n'apparut plus dans le lointain que comme un long feston de pierre blanche.

, Dolaine éprouva alors subitement une étrange impression faite de regret et de joie. Où allait-elle? Elle pensa à père Jérôme

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et son cœur se serra. Trop tard! la barque s'en allait au fil de l'eau, irrésistiblement.

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Portant le page avec Dolaine en croupe, le cheval partit comme une flèche .

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... Combien de lieues avait-elle parcouru? deux, trois peut-être. La nuit approchait, rendant les eaux plus sommes, presque noires. Tout à coup, à un détour du fleuve, clic se sentit déportée vers la rive par le courant. Tous ses efforts pour redresser la barquette furent vains. Après avoir raclé le fond sableux, celle-ci vint s'échouer sur le rivage. Les pieds dans l'eau, Dolaine chercha à la dégager mais n'y parvint pas. Alors elle grimpa sur un tertre et regarda autour d'elle. Aucune demeure; rien que des champs et des bois. A peine si, dans la nuit tombante, elle reconnut dans le lointain les toits d'Amboise et le château. Pas un batelier sur la Loire pour lui venir en aide.

« Tant pis, se dit-elle, je dormirai ici et demain, à l'aube, je trouverai bien quelqu'un pour pousser ma barquette. »

Elle redescendit dans sa nacelle et, fatiguée, s'étendit de tout son long en grignotant le morceau de pain d'orge qu'elle avait emporté. Au ciel les étoiles naissaient une à une. Il lui sembla qu'elle en distinguait beaucoup plus que de l'île Saint-Jean.

« Comme je suis loin, pensa-t-elle... et demain je serai plus loin encore. »

Grisée, épuisée, elle s'endormit, les deux mains nouées sous sa nuque et aussitôt elle se mit à rêver. Elle revit l'île, la maison de terre battue, elle entendit père Jérôme qui l'appelait, la suppliait de rentrer. Alors, en pleurant, elle lui disait :

« Je voudrais bien, père Jérôme, mais je ne peux pas puisque la Loire fuit toujours du même côté. »

Puis, plus tard, beaucoup plus tard, elle rêva qu'elle marchait dans la neige. Elle avait froid, on la transportait devant une grande cheminée du château où flambaient des bûches énormes. Des valets allumaient des chandelles, des milliers de chandelles qui l’éblouissaient. Et si vives étaient ces lumières qu'elles lui brûlaient les yeux. Alors elle s'éveilla. Un ardent soleil embrasait le ciel au-dessus d'Amboise et jetait dans la barque des brassées de rayons.

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« Par la Croix-Dieu, s'écria-t-elle où suis-je donc? »Elle se dressa, se frotta les yeux, s'étira comme une jeune

chatte qui vient de faire une longue sieste... puis, tout à coup, ses souvenirs lui revinrent.

« Partie!... je suis partie.... »Elle se mit à rire, à rire très fort dans la lumière du matin.

Puis elle entreprit de remettre sa barque à flot. Mais, dans la nuit l'eau avait baissé de quelques pouces. La nacelle se trouvait à présent complètement à sec. De toutes ses forces elle s'arc-bouta pour la traîner. N'y parvenant pas, elle alla quérir de gros cailloux ronds pour les glisser dessous, ainsi qu'elle avait vu faire aux mariniers dont les bateaux s'étaient échoués dans le sable. Tout à coup elle s'arrêta. Il lui sembla avoir entendu des cris... des cris qui venaient du fleuve. Perdue dans les roseaux et les saules elle lâcha ses galets pour monter sur le tertre. A trente pieds de la rive, elle aperçut quelqu'un qui se débattait dans les eaux troubles.

« Bon Seigneur!... un manant qui se noie! »Sans hésiter elle dégringole du tertre et se jette à l'eau. Le

courant est rapide mais, déjouant les remous, elle l'utilise pour atteindre le malheureux qui se débat toujours. Elle arrive jusqu'à lui, le saisit par l'épaule.

« Courage ! - Je n'ai plus aucune force.— Laissez-vous ramener à la rive. »Elle nage d'une main tandis que, de l'autre, elle soutient le

malheureux. Le courant les déporte mais à la couleur des eaux elle sait reconnaître les mauvais passages, les tourbillons qui vous happent vers le fond. Après un quart d'heure de lutte farouche, ils atteignent la rive. Epuisé, l'inconnu s'étend sur les pierres sèches, chaudes de soleil. Dolaine constate alors avec stupeur que sa «vesture » mouillée n'est pas celle d'un manant; il paraît très jeune. Certainement il n'a pas plus de seize ou dix-sept ans. Son sauvetage accompli, elle se sent tout intimidée et ne pense qu'à fuir, mais elle ne peut abandonner-

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donner ainsi cet inconnu transi; elle s'assied, à l'écart.« Tu m'as sauvé la vie, murmure le jeune garçon. Sans toi, j'allais rejoindre les vases de la Loire. »Voyant que Dolaine se tient dans l'ombre d'un saule, il ajoute :« Approche-toi, tu grelottes autant que moi, viens te sécher au soleil, sur ces galets brûlants. »Dolaine hésite} puis obéit.« J'étais venu sur ce ponceau de bois me rafraîchir le visage, la planche pourrie a cédé, je suis tombé à l'eau, explique l'inconnu, et le courant m'a entraîné. Pour ma mauvaise chance, une branche charriée par les eaux s'est prise à mes jambes, j'ai épuisé toutes mes forces à m'en débarrasser. »Puis, regardant Dolaine :« Qui es-tu donc, pour nager de pareille façon à un âge aussi jeunet? On dit toujours que les filles du pays d Amboise ont grande peur de l'eau.

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— La Loire est mon amie.— Quel est ton nom?— On m'appelle Dolaine.— Dolaine?... Est-ce un nom étranger?— Je ne sais... c'est le mien.— Ta demeure est-elle proche de cette rive? » Dolaine a un

petit mouvement d'épaules.« Je n'ai plus de demeure. »Le jeune garçon se retourne, surpris, et change de place pour

mieux se sécher. Remis de son émotion, il considère avec curiosité cette fillette étendue dont les longs cheveux blonds et mouillés s'imprègnent de soleil. Intrigué, il demande encore :

« Que faisais-tu en ce lieu?— Je me promenais; ma barque est à dix pieds de là, derrière

ces roseaux.— Tu étais seule?... et tu n'as pas peur, sur la Loire?— Non. »Ses vêtements presque secs, le jeune garçon se lève pour

venir s'asseoir plus près de la fillette.« Tu m'as sauvé la vie, reprend-il, je t'en garderai toujours

grande reconnaissance. J'aimerais faire quelque chose pour ton plaisir. »

Dolaine sourit.« J'aimerais simplement que vous m'aidiez à remettre ma

barquette à flot.— Certes, c'est là bien menue chose... mais où voulais-tu

aller? »Elle montre la Loire, vers l'aval. « Là-bas!— Loin?— Là-bas, très loin.... »Les yeux de Dolaine ont une telle expression de douceur, de

fierté et semblent cacher un tel mystère que le jeune inconnu se sent ému. Prenant la main de la fillette, il insiste :

« Où donc?... vers le pays d'Anjou? »

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Dolaine détourne son regard et ne répond pas. D'unlocale brusque elle libère sa main et s'enfuit. Le jeune

garçon se lève aussitôt et la rejoint au moment où elle arrive près de la barque.

« Par le Ciel! c'est sur cette méchante nacelle que tu oses affronter les eaux de la Loire!

- Laissez-moi, je parviendrai toute seule à la haler. » Rageusement elle tire sur la corde mais le bateau, enserré dans le sable qui s'est durci en séchant, ne bouge pas d'un pouce. Malgré elle, le jeune garçon vient à son secours. Il est grand et fort. En quelques instants, la nacelle est dégagée et glissée au bord de l'eau, mais avant de laisser la fillette sauter dedans, le jeune inconnu la retient.

« Non, tu ne partiras pas avant de m'avoir dit d'où tu viens et où tu allais. Ne comprends-tu pas que je suis ton ami? »

II lui reprend la main. Un long silence les sépare. Tout à coup Dolaine éclate en sanglots. Surpris, le garçon la regarde, inquiet de ce subit chagrin. Alors il s'assied près d'elle dans la barque. « Dolaine, qu'as-tu? »

Elle frémit en entendant prononcer son nom. Elle lève vers l'inconnu de grands yeux qui ont l'air de dire : « Pourquoi me parler, me questionner, vous ne voyez donc pas que je voudrais être à dix lieues d'ici? »

« Pourquoi ne veux-tu pas me dire qui tu es, insiste le garçon; je ne te connais que depuis peu de temps et j'ai déjà grande amitié pour toi. »

La voix est forte, bien timbrée mais douce. Elle sent fondre sa résistance.

« Ce que je suis?... Je n'ai ni père ni mère. C'est un tailleur de pierres d'Amboise, Jérôme Parce, qui m'a élevée. On m'a trouvée un matin d'automne dans cette barque et je quitte Amboise avec elle... pour toujours. Mais vous, qui êtes-vous?

— Mon nom est Guillaume, je suis le fils aîné du comte de Romorantin et je sers notre roi comme premier page... plus pour longtemps d'ailleurs, car j'aurai bientôt seize

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années, et le roi m'a promis de me prendre comme écuyer.— Oh! messire, fait Dolaine, je vous demande pardon. » Le

garçon éclate de rire.« Pardon de quoi?... de m'avoir sorti de la Loire?— Oh! non... mais je ne savais pas que... que.... » Elle se

trouble; c'est la première fois qu'elle parle à unsi grand personnage, un page du roi.« Dolaine, un page qui se noie est un garçon comme les

autres... dis-moi plutôt où tu allais ainsi sur cette barquette.— Je ne sais pas.— Où est la demeure de ce tailleur de pierres qui t'a

recueillie?— Dans l'île Saint-Jean.— Alors, petite sauvage, c'est là qu'il faut rentrer.— Oh! messire, chez moi je serai grondée.— Certes, comme tu le mérites... mais si tu le veux, je te

conduirai là-bas.— Et ma barquette?— J'enverrai des gens du château la quérir; ils la

ramèneront dans l'île. »Dolaine ne sait que répondre. Lentement elle lève les yeux

vers le page.« Pourquoi, messire, voulez-vous m'empêcher de partir?— Le pays d'Amboise est-il si déplaisant? tu n'y aimes

personne?— Personne ne n'aime... sauf Jérôme Parce.— Tu n'as pas eu de chagrin en le quittant?— Oh! si, beaucoup. »Le page venait de trouver le point sensible. Certes, si elle

éprouvait un regret, c'était bien celui d'être partie sans lui avoir dit adieu. Elle baissa la tête et resta songeuse. Tout à coup, une idée lui traversa l'esprit. Tout à l'heure, le page lui avait demandé s'il pouvait quelque chose pour elle. Pour elle, non, elle n'avait besoin

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de rien, mais pour père Jérôme. Jérôme Parce était plus qu'un simple tailleur de pierres; avec son ciseau il faisait vivre la pierre

d'une manière prodigieuse et il connaissait aussi le dessin. Depuis toujours son rêve était d'aller en Italie voir les merveilles des artistes florentins ou vénitiens. Or n'avait-il pas dit, quelques jours plus tôt, que le roi avait l'intention d'envoyer en ce pays des maîtres sculpteurs et des « deviseurs de bâtiments », ainsi qu'autrefois on nommait les architectes. Hélas! Jérôme Parce avait peu de chance d'être désigné puisqu'il n'était même pas un bourgeois. Oh! pensa Dolaine, si je pouvais l'aider à partir. Mon chagrin serait grand de rester seule avec mère Corinne et mes sœurs mais lui aurait tant de joie!

La tête baissée, regardant les galets au bord de l'eau, elle soupira longuement puis se décida à parler, à expliquer son désir.

« Oh! messire, si vous pouviez intervenir en sa faveur; je serais si heureuse.

— Je le ferai, Dolaine, je connais le moine Fra Angelo qui doit emmener la troupe; je lui parlerai de Jérôme Parce... mais à une condition, petite sauvage... que tu rentres sur l'heure dans l'île. »

II lui prit la main et l'obligea à remonter sur la rive, la conduisit derrière la levée de terre où elle aperçut un fringant coursier qui labourait le sol de son sabot. Il portait une selle en cuir d'Espagne et sa bride était cloutée d'or.

« As-tu peur de monter en croupe? - Oh! non, pas peur du cheval. »

Et elle ajouta :« Seulement peur de vous, messire. »Le jeune page se mit à rire. Le cheval partit comme une

flèche, soulevant derrière lui une montagne de poussière. Ils atteignirent Amboise, traversèrent le pont. En pénétrant dans l'île Saint-Jean, le cœur de Dolaine se serra. Elle venait d'apercevoir Catherine qui lavait du linge avec sa mère, au bord de l'eau.

« Messire, supplia-t-elle, tirez la bride, je ne veux pas, je ne veux pas. »

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Au contraire, piquant sa monture, Guillaume ne s'arrêta qu'à deux toises des laveuses.

« Voici Dolaine, s'écria-t-il, elle vient de sauver de la noyade un page du roi. »

De stupeur et d'émotion les deux laveuses en laissèrent tomber leur battoir...

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IV

GUILLAUME DE ROMORANTIN

L'AOÛT était venu, le mois chaud, celui des moissons dorées, celui où la Loire alanguie découvre d'immenses étendues de sables blonds.

Au bout de l'île, Dolaine rêvait en regardant le château denteler ses tours contre le ciel éclatant.

« Bientôt deux mois, soupira-t-elle, et je ne l'ai jamais revu. »Que de fois était-elle allée rôder dans la ville, près des

remparts, guettant les retours de chasse, les sorties de cavaliers, espérant reconnaître le jeune page qu'elle avait sauvé de la Loire. Jamais elle n'avait pu l'entrevoir, même de loin. Et père Jérôme n'avait pu la renseigner. Tant de monde vivait au château! D'ailleurs, depuis quelque temps, le tailleur de pierres ne travaillait plus dans l'enceinte même, mais au bout de la ville, à la

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nouvelle demeure que le moine Fra Angelo faisait élever pour le roi dans le style italien.

« Bien sûr, pensa-t-elle avec chagrin, Guillaume m'a oubliée; je ne suis qu'une fille de manant... même pas, je suis la fille de personne. Pourtant, il s'était montré si gracieux avec moi, comme si vraiment il éprouvait quelque amitié. Oui, il m'a oubliée... et je crains qu'il n'ait aussi oublié sa promesse de parler de père Jérôme au moine Fra Angelo. »

Or, un soir qu'elle était allée attendre le tailleur de pierres au bout du pont, elle trouva celui-ci tout ému, plus encore, bouleversé.

« Qu'y a-t-il? demanda Dolaine.- Il se fait... il se fait.... Ecoute, Dolaine, un grand bonheur

vient de m'arriver, un bonheur que je n'espérais pas : je vais partir pour l'Italie. Cette vesprée, je travaillais à sculpter le fronton du « Logis neuf », quand Fra Angelo, tu sais, le moine italien, est monté sur mon échelle. « Jérôme « Parce, m'a-t-il dit, tu as l'amour des belles choses et « beaucoup d'entendement pour le dessin. J'ai demandé « au roi de t'envoyer aussi en Italie avec les deviseurs « de bâtiments qui doivent m'accompagner. » Sur l'heure, Dolaine, j'ai cru que le moine plaisantait; cela lui arrive souvent. Mais c'était vrai. »

Dolaine ne répondit pas, ne livra pas son secret. Une grande joie l'envahit. Guillaume avait tenu sa promesse! Guillaume n'avait donc pas oublié tout à fait celle qu'il avait appelée la « petite sauvage » ! Mais son cœur se serra de nouveau. Père Jérôme parti pour de longs mois, elle resterait seule avec mère Corinne et ses sœurs.

« Oh! père Jérôme, je suis heureuse pour toi. Depuis si longtemps tu désirais connaître ce beau pays.

- Oui, Dolaine, ma joie est grande, et je partirai sans inquiétude pour ma femme et mes enfants, car j'ai aussi ouï dire que le roi leur fera verser quelque argent en mon absence. »

Puis, lui posant la main sur les cheveux :

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« Crois-moi, Dolaine, je ne partirai pas avant d'avoir fait jurer à Catherine, Charlotte et Margot d'être gentilles avec toi. »

36Dolaine baissa la tête et se mordit les lèvres pour ne pas

pleurer. Elle ne voulait pas gâcher la joie toute simple et si pure de père Jérôme.

« Je saurai t'attendre », dit-elle, croyant sincèrement en être capable.

Dès lors il ne fut plus question que de ce départ. Il aurait lieu au début de l'automne, à l'époque où les premiers froids et les pluies ralentissent le travail des bâtisseurs. Enivré par les récits de ceux qui avaient guerroyé là-bas, père Jérôme parlait du Milanais, de la Toscane, du royaume de Naples comme de paradis.

« Dans ces pays, assurait-il, toutes les demeures sont des palais, tous les champs des jardins de fleurs. »

Le Grand-Prévôt, lui-même, avait la charge d'organiser le voyage. De la Touraine à la Toscane on comptait plus de trois cents lieues. Si tout allait bien trois semaines seraient nécessaires pour arriver là-bas. Sous la conduite de Fra Angelo la troupe séjournerait à Florence puis remonterait peut-être jusqu'en Vénétie.

Le matin du départ, les deviseurs ou mieux les envoyés du roi se réunirent dans l'ancienne chapelle du château et entendirent une messe dite en leur honneur et pour leur protection. Pour ne pas paraître inférieur à ses compagnons (la plupart riches d'argent et de renommée), père Jérôme avait fait l'emplette d'un pourpoint brodé et d'une coiffe de feutre. Vraiment, ainsi, il avait fière allure. A la ceinture, il portait un petit marteau à manche de corne, signe de son état de sculpteur. Sa femme et ses filles étaient venues au bas de la rampe du château pour le voir partir. Les apercevant, il agita son chapeau orné d'une plume et leur sourit, mais soudain son sourire se figea.

« Dolaine!... où est Dolaine? »

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La fillette n'était pas là. Au dernier moment elle avait disparu. Le tailleur de pierres retint son cheval pour la chercher mais il ne pouvait faire attendre la troupe.

« Femme! lança-t-il à Corinne, pars à sa recherche et prends grand soin d'elle en mon absence. »

Relâchant la bride, il rattrapa les autres cavaliers. Cachée derrière une borne de pierre, Dolaine le regarda s'éloigner. Au dernier moment elle avait craint de mal contenir sa peine, de supplier père Jérôme de rester.

Le soir elle ne rentra à la maison qu'à la nuit tombante. Sa gorge était si serrée qu'elle ne put manger. Pendant six mois, elle serait seule au monde, sans père Jérôme, sans Guillaume qu'elle n'avait jamais revu et qui n'était peut-être plus à Amboise. Pourrait-elle supporter jusqu'au bout cette solitude?

Ce soir-là, elle eut grand-peine à s'endormir; elle pleura longtemps en silence, la tête sous sa couverture. Le lendemain elle s'éveilla la gorge sèche, les paupières brûlantes. Elle fit un grand effort pour cacher sa peine à ses sœurs qui se seraient moquées d'elle.

C'était dimanche. D'ordinaire, père Jérôme ne travaillait pas ce jour-là; il mangeait à la maison, au bout de la table, à côté d'elle. Pour croire qu'il était encore là elle plaça son couvert, comme s'il allait rentrer. Catherine haussa les épaules et ricana.

« Ah! oui, tu crois peut-être ainsi le faire revenir?... Tu ferais mieux de penser à autre chose et d'économiser tes larmes. Avant longtemps père Jérôme ne sera pas là pour te consoler. »

Dolaine se sentit pâlir. Elle comprit aussitôt que tous les jours qui viendraient seraient marqués d'une croix noire. Elle resta un moment immobile, devant l’écuelle, luttant contre l'immense chagrin qui l'étouffait, puis, brusquement, elle se sauva dans l'île, pieds nus, et se glissa dans la hutte de branchages qu'elle s'était construite, un jour, pour cacher ses peines.

Là, étendue sur les feuilles mortes que l'automne éparpillait à profusion, elle compta les mois, les jours. Plus de cent cinquante

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avant le retour de père Jérôme. C'était trop. Alors elle revint encore une fois vers sa barque.

« Partir!... il faut que je parte. »Mais aussitôt elle revit le visage de Guillaume, entendit ses paroles : « Où iras-tu? que deviendras-tu? » Lentement

elle leva les yeux comme pour suivre les eaux de la Loire. Tout à coup, sur la rive, elle aperçut un cheval qui buvait au bord de l'eau. Une idée folle lui vint. Oui, vraiment, une idée folle. Détachant vivement la barque, elle sauta dedans et passa le fleuve. Abandonnant sa nacelle, elle courut sur les galets et arriva hors d'haleine près de la bête. C'était un beau petit cheval à la robe claire, aux pattes fines, pas du tout un cheval de manant à large croupe et encolure épaisse, sans doute quelque jeune animal nouvellement ferré que les valets du château avaient mis au vert dans cette prairie.

Etonné, le cheval releva la tête, hennit, secoua sa crinière, partit au galop puis s'arrêta et se retourna. Dolaine ne le brusqua pas. De loin elle l'appela doucement, faisant claquer sa langue, puis, lorsqu'elle le jugea remis de sa peur, s'avança de nouveau, lentement. Le poulain la regardait toujours, les naseaux frémissants, l'oreille tendue, prêt à se dérober, mais la main de Dolaine effleura son front doux et lisse marqué d'une étoile blanche. Aussitôt, apaisée par la caresse, la jeune bête ne donna plus aucun signe de crainte. Alors, d'un bond léger, Dolaine fut sur son dos.

Le sort en était jeté. Adieu! Amboise. Adieu! l'île Saint-Jean, elle allait rejoindre père Jérôme et partirait avec lui en Italie.

Heureux de sentir sur son dos un cavalier aussi léger, le cheval partit au trot, franchit le grand pont et, aussitôt les dernières maisons dépassées, Dolaine l'engagea sur la grand-route de Bourges bordée de peupliers. Pas un seul instant elle ne s'effraya de sa folie, ne s'inquiéta de l'avance prise par la troupe des cavaliers. La veille du départ elle avait ouï père Jérôme parler

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de Bourges, de Nevers, de Lyon.... Elle n'aurait qu'à suivre la route.

Cheveux au vent, cramponnée à la crinière du petit cheval, ses pieds nus frottant les flancs de la bête, elle galope comme une petite sauvage. Dans les champs, les manants

au labour se retournent, se demandant où peut bien fuir ainsi cette fille échevelée.

Elle rejoint le Cher et traverse des villages accroupis au bord de la calme rivière. Elle a déjà parcouru plusieurs lieues quand, au loin, venant « contre » elle, une troupe de cavaliers apparaît. Prise de peur, elle quitte la route pour se jeter à travers champs. Le petit cheval franchit fossés et levées. Sans selle, sans étriers, Dolaine se cramponne de toutes ses forces. Tout à coup, au passage d'une haie, elle se sent arrachée de sa monture et roule dans un pré. Lorsqu'elle se relève, son genou saigne, mais le petit cheval, après un détour, est revenu près d'elle. Au loin, dans un nuage de poussière, s'éloigne la troupe des cavaliers se dirigeant vers Amboise. C'est un retour de chasse au cerf, elle le reconnaît aux longues clameurs des trompes.

« Croix-Dieu, soupire-t-elle, en essuyant son genou, on aurait pu reconnaître le cheval! »

Et elle se remet en route. Déjà le soleil descend sur la plaine aux feuillages jaunissants. Elle se sent épuisée, meurtrie; elle a faim. Son cheval lui aussi donne des signes de fatigue. A l'approche de la nuit une sourde inquiétude l'envahit. Qui voudra lui donner gîte et nourriture?

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A l'entrée d'un petit bourg, elle s'arrête devant une maison de manants et demande si une troupe de cavaliers n'a pas été aperçue, se dirigeant vers le levant.

« Certes, une troupe est passée ce matin, à la prime-aube, elle faisait route vers Bourges... mais elle a dû prendre par Romorantin, car les pluies ont fait sortir la rivière de son lit, et la grand-route est couverte par les eaux.

— Romorantin?... vous avez dit, Romorantin?... est-ce loin d'ici?

— A peine plus de deux lieues mais le roi n'a guère souci de ce chemin; il est mal empierré. »

Romorantin! le pays de Guillaume. Son cœur se met à battre. Dans la nuit tombante, elle saute sur son cheval et repart. Hélas! la bête est trop jeune pour franchir de pareilles distances. Elle ne va plus qu'au pas. Très vite la nuit devient profonde et humide. Le froid saisit Dolaine, la peur aussi.

Avisant une chandelle allumée derrière une fenêtre, elle met pied à terre.

« Mort-Dieu! qu'y a-t-il? » s'écrient les paysans devant cette fille inconnue, à la vesture désordonnée, qui frappe à leur porte.

Dolaine raconte que, partant pour l'Italie avec son père et une troupe de cavaliers, elle s'est attardée un moment sur la route et

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s'est perdue. En traversant un bois elle est tombée, s'est évanouie. Quand elle s'est relevée, sa selle, ses sacoches et aussi ses chaussures avaient disparu!

Tout frustes qu'ils sont, ces paysans écoutent ce récit étrange avec quelque méfiance.

« Mon père se nomme Jérôme Parce, ajoute Dolaine pour les convaincre, il est « deviseur de bâtiments », c'est le roi qui l'envoie en Italie avec d'autres artistes. J'ai grand faim et je suis très lasse. »

Attendrie, la femme lui apporte une écuelle de soupe, n'ayant rien d'autre à lui offrir. Puis, comme il est d'usage, elle l'invite à partager le lit de ses propres filles qui dorment déjà sous le toit du fenil.

Ivre de fatigue, Dolaine s'endort aussitôt. Le lendemain, en s'éveillant, elle pense :

« Romorantin! je suis tout près de Romorantin. »Hélas ! son cheval a trop galopé la veille ; ses pattes sont

roides et il boite.« Pour vrai, constate le paysan en hochant la-tête, on t'a donné

là une bête trop jeune, je parierais un écu contre un liard qu'elle ne te conduira pas en Italie. »

Mais Dolaine n'écoute pas. Elle ne pense qu'à partir au plus vite. D'ailleurs, au bout d'un quart de lieue, le cheval dont le sang s'échauffe se remet à trotter. Bientôt elle arrive en vue de Romorantin, une petite ville toute plate, enserrée entre les bras d'une rivière lente aux rives marécageuses. Son cœur bat de plus en plus fort. Son désir de rejoindre père Jérôme est retenu par celui de revoir le jeune page. Si Guillaume n'est pas à Amboise peut-être est-il revenu au château de son père? Oh! passer si près sans essayer de le revoir, simplement de l'apercevoir.

Au lieu de prendre la route de Bourges, elle dirige sa monture vers la ville et aperçoit le château, entouré de murailles. Un hallebardier, morion sur la tête, regarde venir vers lui cette fillette aux pieds nus, montée sur un cheval boiteux. Intimidée, elle demande :

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« Messire Guillaume est-il au château?— Que lui veux-tu?— Le voir! »L'homme d'armes se met à rire, d'un gros rire narquois. «

Holà! ma belle, crois-tu que messire Guillaume ait plaisir à voir des filles « déchevelées » comme toi?

— Allez lui dire que Dolaine est là.— Pour qui me prends-tu, petite va-nu-pieds.... D'ailleurs

messire Guillaume n'est pas au château.— Pas au château? »Lentement, sans ajouter un mot, sans insister, elle fait demi-

tour et remonte sur son cheval. Elle a envie de pleurer mais elle se retient. Elle essaie de se faire une raison.

« C'est vrai, pourquoi chercher à le revoir? Il n'a gardé aucune amitié pour moi. Je l'ai sauvé de la Loire, et lui a tenu sa promesse de faire envoyer père Jérôme en Italie ; nous sommes quittes. Oui, nous sommes quittes. »

Elle répète plusieurs fois le mot pour se convaincre que c'est bien vrai, qu'elle n'éprouve aucun chagrin. Cependant elle ne peut retenir un long soupir. En retraversant la ville, elle se retourne plusieurs fois pour regarder les toits d'ardoise bleue du château.

« S'il n'est ni à Amboise ni au château de son père, où peut-il être? »

La voici de nouveau en rase campagne, sur la route de Bourges, une route sinueuse qui suit la rivière. Soudain, à un détour, elle se trouve face à face avec un cavalier. Son cœur fait un grand bond dans sa poitrine. Malgré sa tenue, malgré la coiffe de chasse rabattue en visière sur ses yeux, elle vient de reconnaître Guillaume. Et son premier mouvement, alors qu'un instant plus tôt elle tentait d'entrer au château, est de fuir. Elle lance son cheval boiteux à travers les prés. Mais Guillaume lui aussi l'a reconnue, en deux temps de galop il la rejoint.

« Croix-Dieu! toi, ici, à plus de dix lieues d'Amboise?... »Elle se raidit, essayant de garder son sang-froid.

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« Peu vous importe où je vais, messire, je vous ai sauvé de la noyade, vous avez tenu votre promesse, nous sommes quittes. Adieu! »

Fouettant son cheval, elle veut de nouveau lui échapper. Guillaume lui barre le passage.

« Tu es devenue bien fière, Dolaine, je ne te reconnais plus.- N'ai-je pas toujours été sauvage?— Dolaine, je ne t'avais point oubliée. » Ce disant, il saute à

terre et s'approche d'elle.« J'ai souvent pensé à toi depuis que j'ai quitté Amboise.— Croyez-vous?— Oh! ne me parle pas ainsi. Quelques jours après notre

rencontre j'ai voulu te revoir. Je suis entré dans l'île, une jeune fille, ta sœur sans doute, m'a dit que tu n'étais

plus là. J'ai pensé que tu t'étais enfuie de nouveau. Quelques jours plus tard, j'ai été rappelé par mon père, atteint d'un mauvais mal dont il ne se remettra sans doute jamais. Mon devoir était de lui obéir. Crois-tu mes paroles? »

Dolaine détourne son regard et ne répond pas.« Dolaine, reprend Guillaume en adoucissant sa voix,

pourquoi me faire grande peine alors que je suis si heureux de te voir devant moi? »

Un lourd silence se prolonge. Dolaine soupire profondément et tout à coup Guillaume voit une larme briller sur sa joue. Il sort un mouchoir brodé et se hausse pour l'essuyer. Dolaine se raidit mais ne proteste pas. Enfin elle consent à descendre de cheval. L'air de cette journée d'octobre est aussi doux qu'une matinée de printemps. Ils s'assoient au bord d'un talus.

« Dolaine, où allais-tu?... serais-tu toujours aussi folle?— En vérité, messire, plus folle encore. Je pars pour l'Italie.— Pour l'Italie?— Rejoindre père Jérôme qui est parti avant-hier.- Où as-tu pris ce cheval boiteux qui ne porte ni selle ni

étriers ?

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- Pourvu qu'il me porte, moi, n'est-ce pas suffisant? T'en aller ainsi, toi- une simple fille de douze ans?

- Pardon, messire, j'ai eu treize ans à l'avant-dernière lune.— Et quand tu en aurais dix de plus; est-ce la manière d'une

fille de courir les routes sur un mauvais cheval? Allons, petite Dolaine, écoute-moi. D'abord, ne m'appelle plus messire, pour toi je veux être simplement Guillaume... et accorde-moi le « tu » au lieu du « vous ».

Surprise et troublée au-delà de ce qu'elle laisse paraître, Dolaine le regarde en rougissant. « Jamais je n'oserai.

— Tu oseras, Dolaine, comme tu as osé te jeter à l'eaupour me sauver. Raconte-moi plutôt pourquoi tu n'as pas tenu

ta promesse de rester dans l'île Saint-Jean. »

Dolaine ne répond pas tout de suite, mais vaincue par la voix grave et sereine du jeune garçon, elle livre ses pensées, ses chagrins.

« Non, Guillaume, je ne pouvais plus rester, c'était au-dessus de mes forces.

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Vraiment, crois-tu pouvoir atteindre l'Italie? Tu ignores donc combien de lieues séparent la Touraine de la Toscane.

— Je le sais, plus de trois cents.— Et que feras-tu là-bas?— Je n'ai pas de pays, l'Italie sera le mien. » Guillaume

regarde la fillette et réfléchit profondément. « Dolaine, je te connais assez aujourd'hui, pour savoir

que rien ne résiste à ta volonté. Tu as décidé de partir, rien ne t'arrêtera, même si tu dois mourir de faim, de fatigue ou de peur. Depuis quand Jérôme Parce est-il parti?

— Il a un jour d'avance sur moi.

— ... Et un meilleur cheval que le tien. Où as-tu trouvé celui-ci? Qui te l'a donné?

— Je l'ai trouvé dans un pré, il buvait au bord de Loire.— Et si le froid te prend en route, car la saison est déjà

avancée? »Elle se tourne vers Guillaume :« Que veux-tu dire? »Pour la première fois elle vient de lui dire « tu ». Elle en reste

confondue et se reprend.« Non, fait Guillaume en souriant, c'était très bien ainsi. »Et il ajoute :« Je voulais dire que tu ne parviendras même pas à rejoindre

Jérôme Parce si personne ne te vient en aide.— Tu veux me décourager?— Non, Dolaine, t'aider. Regarde mon cheval; c'est moi qui

l'ai dressé. Il est rapide comme une flèche, robuste comme un bœuf, doux comme un agnelet. Prends-le, je te le donne.

— Oh! Guillaume! »Bouleversée, elle ne sait que répondre. Un instant, elle se

demande si Guillaume ne se moque pas d'elle.

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« Oui, reprend le page, il est à toi. Il te portera sur cette terre lointaine. Sa compagnie t'aidera à penser à moi... et bien souvent aussi mes propres pensées iront vers toi. Depuis si longtemps je rêve d'aller en Italie porter les armes du roi de France. Qui sait si un jour nous ne nous retrouverons pas là-bas? »

Ce disant, il raccourcit la bride trop longue des étriers et assure plus solidement la selle.

« Oh! Guillaume, pourquoi fais-tu cela? J'ai été si méchante avec toi!

— Je te pardonne, Dolaine, car l'amitié que j'ai pour toi est grande, tu ne le sauras donc jamais? »

Dolaine lève vers lui de grands yeux noyés de larmes et sourit doucement. Alors, une dernière fois, Guillaume flatte

l'encolure de sa monture et recommande à la bête, comme si elle pouvait comprendre :

« Aie grand soin de cette petite sauvage; je te la confie. »Puis, se tournant vers Dolaine :« Et maintenant, va, fille étrange que rien ne peut retenir, va et

que Dieu te protège! »II lui prend les deux mains qu'il sent trembler dans les siennes.

Dolaine sourit, les larmes aux yeux puis, brusquement, se dégage, saute à cheval et part au galop sur la route poussiéreuse.

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V

LE GRAND VOYAGE

TRANSIE par la bise qui soufflait, violente et aigre, arrachant aux arbres des tourbillons de feuilles, Dolaine arriva, le lendemain soir, devant une ville qui lui parut fort grande, dominée par la haute nef d'une cathédrale.

« Bourges, soupira-t-elle, oh! si la troupe pouvait s'êtrearrêtée là pour la nuit. »Sa longue chevauchée l'avait exténuée, ses épaules lui

paraissaient affreusement lourdes, et ses reins étaient douloureux comme si on y enfonçait des poignards. Dès les premières maisons de la ville, elle demanda si une troupe de cavaliers, portant bannière du roi, avait été vue.

« Certes, lui répondit-on, à la fin de la vesprée des cavaliers ont pénétré dans la ville par cette route, mais à cette heure ils doivent être déjà loin. »

Consternée, Dolaine se demanda si elle aurait le courage de chevaucher encore jusqu'à la nuit pleine pour

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essayer de les rejoindre. A tout hasard, elle s'arrêta encore plusieurs fois pour se renseigner. La ville était belle, de riches demeures bordaient les rues plus larges que celles d'Amboise, mais elle ne s'en souciait guère. Comme elle s'adressait à un mendiant qui tendait son escarcelle devant un porche, elle eut un sursaut d'espoir en entendant celui-ci lui répondre :

« Foi de gueux, certes, j'ai vu passer cette troupe; elle s'est même engagée dans cette ruelle qui mène tout droit à l'auberge de l'Écu-d'Or. »

Le cœur battant, Dolaine suivit la ruelle qui débouchait sur une petite place pavée au bout de laquelle brillait l'enseigne de l'Écu-d'Or. L'écurie était ouverte. Un valet apportait des seaux d'eau pour les chevaux. Dolaine s'avança.

« Arrière, cria le valet, l'auberge est pleine... d'ailleurs elle n'est pas faite pour les gueux. »

Mais, au même moment, des hommes sortirent de l'auberge. Parmi eux elle reconnut une bure de moine. Elle se précipita.

« Seigneur! s'écria le moine, en vérité voici un visage qui ne m'est point inconnu.

— Je suis la fille de Jérôme Parce.— D'où viens-tu?— D'Amboise, à cheval. Où est père Jérôme? » Le moine

leva les bras.« Miséricorde, est-il possible? Toute seule par les grandes

routes? »II allait la questionner de nouveau quand le tailleur de pierres

apparut sur le seuil de l'auberge. En apercevant Dolaine, il reçut un tel choc qu'il changea de couleur. Il crut qu'un brusque malheur était arrivé chez lui, à l'île Saint-Jean. Il se mit à bredouiller et à trembler. Dolaine se jeta dans ses bras, échevelée, épuisée.

« Non, père Jérôme, rien n'est arrivé, je vous ai seulement rejoints pour partir avec toi. Pardonne-moi, je ne pouvais plus vivre là-bas. Oh! emmène-moi, je t'en supplie, emmène-moi ! »

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Elle s'est jetée à genoux, embrassant tantôt les hauts-de-chausses de père Jérôme, tantôt la robe de bure de Fra Angelo. Les supplications s'étranglent dans sa gorge. A bout d'émotion et de fatigue, elle s'effondre inerte sur le pavé, évanouie. Le tailleur de pierres et le moine la relèvent en hâte et l'emportent.

Quand elle s'éveille, il fait grande nuit et grand silence dans l'auberge endormie. Elle est allongée sur un lit de paille, dans une soupente de l'Écu-d'Or. Une ombre silencieuse la veille, celle de père Jérôme.

« Oh! père Jérôme, ne m'abandonne pas. »Le tailleur de pierres lui prend la main et soupire longuement.« Je ne t'abandonne pas, petite Dolaine; cependant il n'est pas

possible que tu nous accompagnes si loin.— Je ne veux pas te quitter.— Notre absence ne sera pas très longue, trois ou quatre mois

seulement. Nous serons de retour avec les hirondelles. Tout à l'heure j'ai parlé au tavernier. Demain un coche doit partir de Bourges pour se rendre en Anjou, il passera à Amboise, le tavernier t'y fera prendre place. »

Dolaine ne répond pas. Elle détourne les yeux pour cacher ses larmes, et père Jérôme est bien prêt de pleurer lui aussi. Tandis que Dolaine s'est rendormie, il refléchit. Comme Guillaume, mieux que Guillaume, il connaît Dolaine. Son grand chagrin est capable de la pousser à n'importe quelle extrémité. Sans bruit, il quitte la soupente et va rejoindre Fra Angelo qui sommeille enroulé dans sa robe de bure. Bouleversé, il explique au moine son grand embarras. Fra Angelo est rude pour lui-même, mais il sait comprendre la douleur des autres. Lui aussi réfléchit longuement, caressant de ses doigts maigres son menton rasé.

« Certes, Jérôme Parce, mon embarras est aussi grand que le tien. Crois-tu Dolaine capable d'affronter les fatigues de notre dur voyage?

— Pour rester avec moi elle est capable de n'importe quoi.

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— Alors dis-lui que demain elle partira avec nous. »... Et le lendemain, vêtue d'une chaude robe de droguet et

chaussée de souliers de cuir donnés par une servante de l'Écu-d'Or en échange de quelques sols, Dolaine quittait Bourges, chevauchant entre Fra Angelo et père Jérôme en tête de la troupe.

Le soir même, ils retrouvaient les rives de la Loire, beaucoup moins large qu'à Amboise. Trois jours plus tard, ils couchaient au monastère de Cluny, en Bourgogne. Deux jours encore et ils arrivaient dans une belle vallée en vue d'une large et paisible rivière qui s'appelait la Saône. Le temps demeurait extraordinairement doux et clément pour la saison, voyager à cheval était plus un plaisir qu'une fatigue. Bientôt la troupe atteignit Lyon. La ville parut si grande à Dolaine qu'elle crut ne jamais en voir la fin.

« Mon Dieu ! se dit-elle, comme je suis loin d'Amboise ! »Plus de hauts toits d'ardoise bleue; partout des toits de tuile

rosé, presque plats. Tout devenait différent, même le parler des gens, plus rapide et plus sonore qu'en Tour aine. Fra Angelo s'amusait de ses étonnements naïfs. Le moine artiste prenait plaisir à bavarder avec elle, à lui expliquer ce qu'elle ne comprenait pas, à lui nommer ces arbres nouveaux pour elle qui poussaient au bord du Rhône.

« Vois-tu, disait-il, ce pays est déjà un peu l'Italie. Il y a mille ans les Romains ont habité cette belle vallée. »

Comme on passait à Vienne, il fit tout exprès un détour pour lui montrer le portique et les colonnes d'un temple romain.

Mais cette amitié qui se nouait peu à peu entre le tailleur de pierres, le moine et Dolaine n'allait pas sans provoquer quelques petites jalousies au sein de la troupe.

« Cette fille de manant n'est venue là que pour jeter le trouble parmi nous, se plaignaient certains, Fra Angelo n'a d'yeux que pour elle et pour ce Jérôme Parce tout juste bon à frapper sur la pierre. Pourquoi d'ailleurs l'a-t-on choisi? »

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La jalousie, seule, leur faisait dire ces méchantes paroles, car si le moine prenait plaisir à s'entretenir avec Jérôme, c'est qu'il avait découvert chez cet honnête ciseleur de pierres beaucoup de qualités dont les autres n'étaient pas toujours pourvus.

La vive intelligence de Dolaine fit très vite découvrir à la fillette ces petites mesquineries, mais, pour ne pas contrarier père Jérôme, elle n'en souffla mot, pensant qu'on serait bientôt en Italie et que tout s'effacerait là-bas.

Hélas! on n'était pas encore en Italie. Peu après Valence, le temps tourna subitement au froid. Alors que la troupe cheminait le long de la Drôme, suivant l'antique voie romaine qui avait vu, jadis, défiler les éléphants d'Annibal, un vent âpre se mit à souffler.

« Ne musons pas en route, déclara Fra Angelo, je connais la route; il se pourrait que la neige ne tardât pas à blanchir l'Alpe. »

Dolaine n'avait jamais vu de montagnes. Les hautes cimes neigeuses se découpant dans le lointain l'impressionnèrent. L'air fraîchissait. Malgré la cape que père Jérôme lui avait achetée en passant à Lyon, elle avait froid le matin.

Après la vallée de la Drôme on remonta celle de la Durance. On fit halte à Embrun dans un vieux château aux murs épais de cinq pieds. Le lendemain, après une très longue étape, la troupe atteignait Briançon. Le temps était couvert. Toutes les montagnes environnantes disparaissaient dans les nuages. A l'auberge du Pas-de-1'Ours où la troupe s'arrêta, Fra Angelo se montra inquiet. Le lendemain il faudrait partir de grand malin, car certainement la neige ne tarderait pas à tomber, l'ère Jérôme lui aussi s'inquiétait pour Dolaine mais n'en laissa rien paraître.

Cinq heures après minuit, ainsi qu'on le lui avait demandé, le tavernier sonnait de la trompe devant l'auberge pour éveiller les voyageurs. Ceux-ci se réunirent dans la grande salle pour se concerter. Il ne neigeait pas,

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mais la nuit était aussi épaisse que dans un trou de renard.Tandis que les valets pansaient les chevaux, le tavernier

déclara au moine :« Point n'ai d'ordre à donner à des envoyés du roi de France,

cependant, si vous voulez bien accepter les conseils d'un homme de la montagne, ne vous mettez pas en route ce matin.

— Le temps est-il donc si menaçant?— Le vent a une odeur de neige qui ne trompe pas.- Mais alors, quand pourrons-nous passer?— Les tempêtes de neige sont violentes en automne, mais

elles ne durent pas plus de deux ou trois jours.- C'est beaucoup.- Croyez-moi, mieux vaudrait attendre. »Le moine se montra fort embarrassé et fit part de son

hésitation à ses compagnons. Deux ou trois, dont Jérôme Parce, furent d'avis que, par prudence, on devrait au moins attendre un jour, mais les autres protestèrent.

« Si Parce ne veut pas reprendre la route, déclara sans ambages Martin Boulay, un deviseur de Blois, c'est à cause de Dolaine; point ne devons l'écouter. Il n'avait qu'à la renvoyer, quand elle nous a rejoints à Bourges.

— C'est la vérité, approuva un autre, et puis ce tavernier ne nous inspire pas grande confiance, lui non plus. Il cherche à nous retenir ici pour vider nos bourses pendant plus longtemps. »

Les esprits s'échauffaient quelque peu. Pour les apaiser, contre son gré, Fra Angelo ordonna le départ.

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V

UN CERTAIN PETIT COFFRET D'ARGENT

LE JOUR n'était pas encore levé. On ne voyait rien à vingt toises devant soi. L'air paraissait moins vif que la veille, car le vent était tombé.

« Vous voyez, déclara Martin Boulay en se mettant en selle, l'air s'amollit, les nuages vont s'élever. » Quand l'aube parut, la troupe avait déjà franchi deux bonnes lieues et les chevaux attaquaient, au pas, les pentes raides de l'Alpe. Tout à coup, Dolaine poussa un petit cri. Elle venait de sentir sur sa joue quelque chose de léger et de froid.

« La neige!... »Personne ne la crut, mais quelques instants plus tard d'autres

papillons blancs voltigèrent autour de la troupe. Fra Angelo s'arrêta pour examiner encore une fois le ciel. Tout devenait uniformément gris et noyé dans un silence impressionnant.

« Bah! fit quelqu'un, la crête doit être proche, nous

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aurons le temps de passer. De toute façon, il est trop tard

pour revenir sur nos pas. »C'était vrai, hélas ! La troupe était trop engagée pour reculer.

Elle se remet donc en marche. Les flocons s'épaississent; le sol est maintenant tout blanc. Certains chevaux, peu habitués à la neige, se montrent énervés, rétifs. La route monte toujours, rocailleuse, tourmentée. Père Jérôme oblige Dolaine à chevaucher tantôt à droite, tantôt à gauche selon que le précipice s'ouvre d'un côté ou de l'autre. Elle ne paraît pas s'inquiéter, mais de temps à autre elle demande :

« Le passage est-il encore loin? »La neige tombe maintenant en abondance. Le pas des

chevaux ne résonne plus sur les cailloux. A peine distingue-t-on les bords de la route. Et tout à coup voilà le vent qui s'élève, le vent de la tempête qui chasse les tourbillons blancs et fouette les visages durement. Le froid mord les doigts crispés sur les rênes. En tête de la troupe Fra Angelo se signe :

« Mon Dieu! protégez notre troupe. Faites que nous arrivions sains et saufs dans la vallée. »

De temps à autre, un cheval, trompé par la neige qui égalise le sol pierreux, trébuche et tombe. Dolaine n'est pas épargnée. Sa monture ayant glissé, elle se retrouve dans la neige. Pour rien au monde elle n'avoue s'être fait mal. Elle remonte en selle, se forçant à sourire, et repart.

Enfin le col est atteint mais aussitôt, sur l'autre versant, le vent redouble de violence. Aveuglés, secouant leurs crinières, les chevaux semblent affolés. Leurs fers lisses glissent sur la pente verglacée. Soudain, dans la grisaille de la tourmente, un cri retentit, suivi d'un bruit lourd de chute qui se prolonge par celui de pierres dégringolant en cascade.

« Rémy de Monthelan, crie quelqu'un... je l'ai vu tomber, il était juste devant moi; il a roulé dans le ravin. »

Toute la troupe met pied à terre. La neige tisse un réseau si serré autour d'elle qu'on ne voit rien.

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« Là, répète la voix, je l'ai vu choir avec son cheval. »

En effet, entre deux rafales de vent, du fond invisible du ravin monte un faible appel.

« A moi!... à l'aide! »Déjà, Fra Angelo, retroussant sa robe de moine, se prépare à

descendre, malgré son âge. Jérôme Parce le retient.« Non, pas vous, c'est trop dangereux.— A moi!... à l'aide », appelle toujours la voix au fond de

l'abîme.Sous les pas de Jérôme et de deux autres hommes qui le

suivent, les rochers s'éboulent, la terre et la neige glissent. Trompé par la couche blanche qui recouvre les creux, père Jérôme perd l'équilibre et tombe dans le ruisseau glacé. Il se relève ruisselant, se secoue et repart, pour ainsi dire à tâtons, vers l'endroit d'où viennent les appels. Il arrive près de Rémy de Monthelan en même temps que ses deux compagnons. Le malheureux est pris entre le tronc d'un arbre et le corps de son cheval. On le dégage avec peine. Par miracle il n'a pas grand mal. En revanche, sa monture a été tuée, la tête fracassée par un rocher éboulé.

« Peux-tu te tenir debout? demande Jérôme Parce.— Je n'aurai pas la force de remonter là-haut. » Alors le

tailleur de pierres, dont la force est grande, lehisse sur son dos et, précédé des deux autres qui cherchent

les passages moins difficiles, il parvient, après de terribles efforts, à regagner la route. Fra Angelo est là, avec sa gourde de rhum dont il fait boire une gorgée à Rémy. Mais il ne faut pas s'attarder. Le moine prend Rémy en croupe, et la troupe se remet en marche..

La neige tombe toujours; le vent hurle dans la montagne.« Mon Dieu, s'écrie Dolaine en voyant père Jérôme claquer

des dents, tu grelottes, prends ma cape.— Non, Dolaine, je suis robuste comme un chêne, et le vent

me séchera promptement. »

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Mais l'accident de Rémy de Monthelan a fait perdre une bonne heure, et le premier village est encore à plus de quatre lieues, quatre lieues dans la neige, sous le vent glacial, sur des

pentes ravinées où les chevaux glissent à chaque pas. Dolaine s'inquiète, non pour elle mais pour son père qui n'arrive pas à se réchauffer.

« Ne te mets point tourment en tête, répète celui-ci, regarde le ciel devant nous, il est déjà moins gris, et les flocons tombent moins serrés. Le mauvais pas est franchi. »

Certes le plus mauvais est fait, mais il faut encore deux bonnes heures à la troupe pour atteindre le petit village de Suze en Piémont où elle arrive exténuée.

Les chevaux pansés (les chevaux passent toujours en premier), les cavaliers viennent se chauffer dans la salle d'auberge où flambe un grand feu de bois. Dolaine a tenu bon tout au long de la traversée de l'Alpe, pas un seul instant elle n'a laissé entendre une plainte, mais elle est à bout, et, par instants, une sorte de voile noir passe devant ses yeux. Pourtant, c'est uniquement à père Jérôme qu'elle pense.

« Père Jérôme, approche-toi du feu... encore plus près. Veux-tu que j'aille demander une couverture pour jeter sur tes épaules?»

Le tailleur de pierres étend ses mains vers les hautes flammes mais on dirait qu'elles tremblent. Un moment plus tard, quand vient l'heure de se mettre à table, il repousse son écuelle; il n'a pas faim.

« Ce n'est rien, Dolaine, ne te mets pas en souci pour moi, une bonne nuit me rendra gaillard. »

Hélas ! le lendemain matin, Jérôme Parce se lève encore tremblant et moite de fièvre. Il se remet en selle avec peine.

« Ce n'est rien, continue-t-il à protester en s'efforçant de sourire, aujourd'hui nous ne traverserons plus de montagnes et ne sommes-nous pas en Italie, le pays du soleil? »

Et la troupe repart pour une nouvelle étape. Tandis qu'en arrière l'Alpe reste prisonnière de lourds nuages, vers le levant le ciel se dégage insensiblement. Enfin le soleil apparaît

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brusquement, éclairant la belle et riche plaine du Piémont. Le soir même les envoyés du roi de

France entrent dans la grande ville de Turin, sur les rives du

Pô. Pendant cette longue étape Jérôme Parce a lutté de toutes ses forces contre la fièvre sournoise qu'il sent monter. Non, il ne veut pas être malade, il ne veut pas retarder la troupe; il ne veut pas qu'on dise encore une fois que lui ou Dolaine ont gêné la marche.

Comme la veille à Suze, il se chauffe devant la cheminée mais à table repousse encore son écuelle.

« Père Jérôme, il faut manger, tu as besoin de reprendre force et courage. »

II se contente de sourire et de répondre d'une voix sourde :« Demain, Dolaine, demain je mangerai; d'ailleurs la

Toscane n'est plus très loin; là-bas, quand nous serons arrivés, je pourrai me reposer. »

Le lendemain, la prime-aube le trouve debout comme les autres, et comme Fra Angelo s'inquiète de sa pâleur, il répond :

« Jérôme Parce n'est peut-être pas un grand deviseur comme je l'ai ouï dire, mais il est robuste et ne se laisse pas abattre pour une méchante fièvre. »

Cependant le mal empire, et il le sait. Ainsi, pendant trois jours encore, il continue de chevaucher près de Dolaine et du moine, mais il vacille sur son cheval.

« Père, supplie la fillette, arrêtons-nous. Écoute Fra Angelo, qui te conseille de faire halte dans une auberge. Florence n'est plus très loin, nous y rejoindrons nos compagnons. »

Jérôme proteste encore et prétend qu'il se sent mieux. Il ne ment pas tout à fait d'ailleurs, la fièvre est devenue si violente qu'elle le paralyse, qu'il n'éprouve plus aucune souffrance. Par moments, même, on dirait qu'il essaie de chantonner.

Le lendemain, comme la troupe aborde un petit village au bord d'une rivière, Dolaine pousse un cri. Père Jérôme, après un ultime effort pour se redresser, vient de s'affaisser, cramponné à la crinière de sa monture. Fra Angelo n'a

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que le temps de se précipiter pour l'empêcher de tomber.« Ah! pourquoi n'a-t-il pas voulu entendre raison? murmure

le moine. Il aurait dû s'arrêter.— Mon Dieu, soupire Dolaine en pleurant, je le crois fort

malade. »Heureusement, le village est proche. Le tailleur de pierres est

transporté dans l'unique auberge qui s'y trouve. Fra Angelo décide que toute la troupe y passera la nuit et il fait, sur l'heure, quérir l'homme du village qui tient le rôle de médecin. Celui-ci examine longuement Jérôme Parce, écoute les battements de son cœur, le bruit rauque de sa respiration.

« Le froid est entré profondément dans son corps, déclare-t-il, il ne sera pas aisé de l'en faire sortir. »

II conseille des pierres chaudes aux pieds et le long des reins ainsi que des tisanes de plantes sauvages à boire brûlantes et, à tout hasard, il fait une saignée qui impressionne terriblement Dolaine.

Un jour passe, puis un autre. L'état du malade ne semble guère s'améliorer. Cependant, par instants il paraît s'animer un peu. Il demande à boire et, consciencieusement, avale les breuvages de plantes qu'on lui apporte.

Cependant cet arrêt imprévu commence à impatienter les autres voyageurs. De toute façon, Jérôme Parce ne pourra reprendre la route avant une semaine, si ce n'est davantage. Pourquoi ne pas le laisser là puisqu'il a quelqu'un pour le soigner? Mais Fra Angelo ne veut pas l'abandonner ainsi. Il veut attendre encore.

« Non, partez, partez, répète le malade, je ne veux point retarder la troupe... avant huit jours je vous aurai rejoints. »

Un jour s'écoule encore. Un léger mieux se fait sentir. Pressé par ses compagnons, Fra Angelo se décide enfin à partir.

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« Jérôme Parce, dit-il au malade, tout au long de la route je ne cesserai de prier pour ta guérison. Reste ici aussi longtemps que la fièvre n'aura pas fui. Tu me rejoindras à Florence avec

Dolaine, d'où, si nous étions déjà partis, tu remonterais jusqu'à Venise. En attendant, prends cette bourse, vous en aurez besoin. »

Et la troupe se remit en marche, laissant les deux infortunés dans ce petit village de Fornara perdu entre le Milanais et la Toscane. L'auberge était pauvre et sale, mais le tavernier parlait quelques mots de français, ce qui était précieux puisque Fra Angelo n'était plus là.

« Pauvre Dolaine, gémit le tailleur de pierres quand ils furent seuls, que deviendrais-tu si je ne guérissais pas?

— Oh ! père Jérôme, tu vas guérir, guérir vite et bientôt nous repartirons pour Florence.

— Florence, répétait le malade comme dans un rêve, Florence. »

En effet, après quelques jours d'un semblant de mieux, le mal s'aggrava. Dolaine ne quittait plus le chevet de père Jérôme. Pierres chaudes et breuvages n'avaient plus aucun effet. Un soir, le tailleur de pierres se sentit plus mal encore. Sa respiration devenait haletante, une soif inextinguible desséchait ses lèvres. Il demanda à voir le « padre », le prêtre du village. Quand celui-ci se fut retiré, il appela Dolaine tout près de lui.

« Dolaine, je me vois en cette heure bien près du trépas et mon angoisse est grande pour toi.

— Non, père Jérôme, ce n'est pas vrai, tu guériras ! » Le malade essaya de sourire et, lentement, secoua la tête.

« Écoute, Dolaine, avant de mourir, il faut que je te parle... de toi... du secret de ta naissance.

— Ne m'as-tu pas tout dit?— Non... pas tout à fait.... Quelques jours après ton arrivée

dans l'île, au fond de la barquette, j'ai trouvé.... »II s'arrêta, à bout de souffle. Dolaine s'approcha et répéta :« Tu as trouvé?...

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— Sous les planches du fond... un petit... un petit.... » Le mot qu'il voulait dire lui échappait. Dolaine se

demanda s'il ne délirait pas. Non, certainement, car il était extrêmement faible mais bien lucide. Dolaine regarda ses lèvres pour essayer de cueillir les syllabes incohérentes qui en sortaient à peine. Il lui sembla reconnaître le mot : coffret.

« Quel coffret, père Jérôme? »A bout de forces le malade ne répondit pas. Bientôt il sombra

dans une sorte de torpeur qui se prolongea une bonne partie de la nuit. Vers le matin, enfin, il parut reprendre connaissance. Des lèvres brûlantes de fièvre s'échappa plusieurs fois le mot coffret. Puis le moribond esquissa un geste comme pour montrer quelque chose.

« Là-bas... là-bas... grand peuplier... le trou....— Que veux-tu dire, père Jérôme?— Le coffret... le trou... là-bas.— Là-bas? dans l'île Saint-Jean? »Le malade fit un mouvement des paupières, en signe

d'approbation sans doute, car ses lèvres ne bougèrent pas. Puis il retomba dans sa lourde torpeur.

Une heure plus tard, veillé par Dolaine qui lui tenait la main, il rendait le dernier soupir.

Jérôme Parce disparu, Dolaine ne possédait plus rien au monde, plus rien que l'amitié de Guillaume et celle du moine Fra Angelo. Mais Guillaume était à des centaines de lieues, au-delà des monts, et le moine à Florence.

Pendant deux jours elle reste effondrée dans la chambre d'auberge, ne sachant que devenir. Le troisième, elle monta sur la colline où se trouvait le « campo santo », le cimetière, et s'agenouilla sur la tombe du tailleur de pierres.

« Père Jérôme, que vais-je devenir? »Elle pensa aux dernières paroles prononcées par le mourant.

De quel trou, de quel peuplier, de quel coffret avait-il voulu parler? Que lui apprendrait-il? que pouvait-il contenir?

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Elle songea un instant à repartir vers le pays de France, vers Guillaume. Mais elle revit l'île Saint-Jean, celles qui

n'étaient pas ses soeurs. D'ailleurs ce n'était plus possible; à

cette heure l'Alpe n'était plus qu'une muraille de neige et de glace. Alors ses pensées se tournèrent vers Florence, vers Fra Angelo.

Quand elle se releva sa décision était prise, elle partirait vers la Toscane.

« Poverella, soupira la femme du tavernier, à qui par gestes plus que par mots, elle essaya d'expliquer son intention, toute seule, à ton âge sur la grande route?... »

Mais les démonstrations de la femme ne la retinrent pas. Cheveux au vent, le cœur triste mais résolu, elle se remit en chemin.

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VII

LES MENDIANTS DE FLORENCE

C'ÉTAIT la nuit de Noël. Nulle part en Italie Noël n'était plus magnifiquement célébré qu'à Florence, cette ville merveilleuse où, comme le disait bien père Jérôme, toutes les demeures étaient presque des palais, où la moindre église avait la richesse d'une cathédrale.

Malgré le froid, la bise glacée descendue de l'Apennin, de nombreuses torches passaient dans les rues, portées par des valets en livrée qui accompagnaient leurs maîtres rentrant de la fête de la Nativité.

Il était tard, très tard, presque le milieu de la nuit. Enveloppée dans un long manteau en velours de Florence, la signera Ricci hâtait le pas pour retrouver, dans sa vaste demeure, le grand feu de

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bois entretenu au fond de la cheminée sculptée de la salle. Précédée de son valet qui por-l.iil haut, la torche de résine parfumée, la signora traversa

la place des Gordiers puis s'engagea sur le Ponte Vecchio, le pont Vieux, bordé de maisons et de boutiques dont les auvents, à cette heure tardive, étaient rabattus sur les éventaires. Soudain, arrivée au milieu du pont, elle porta vivement la main à son corsage.

« Madonna! ma broche,... elle vient de tomber à l'instant. Giuseppe, approche la torche. »

Le valet qui marchait quelques pas en avant fit demi-tour et abaissa la torche.

« Je l'ai entendue tomber, reprit la signora, elle a roulé de ce côté. »

Le valet se baissa encore et promena la flamme tremblante à l'endroit indiqué par sa maîtresse mais ne découvrit rien. La broche avait-elle roulé plus loin? A cet endroit, la boutique ne s'appuyait pas sur le parapet du pont, 'laissant un espace juste assez large pour le passage d'un homme. Giuseppe avança sa torche et, tout à coup, recula.

« Eh bien, Giuseppe, qu'y a-t-il?- Signora... là, derrière, il y a quelqu'un... une femme.- Une femme?- Une fillette, plutôt; on la dirait morte. » Effrayée, la

signora fit un mouvement pour s'éloigner mais elle se ressaisit. Des gens passaient sur le pont, revenant de l'église Santa Maria des Fleurs; leur présence la rassura.

« Une fillette, dis-tu, Giuseppe; une petite mendiante sans doute; regarde de plus près, elle n'est peut-être point morte. »

Inclinant sa torche, le valet s'avança dans l'étroit couloir, toucha le bras de la fillette qui tressaillit et se redressa, ouvrant de grands yeux affolés et éblouis.

« Madonna! s'exclama la signora Ricci, dehors par cette nuit froide, par cette nuit de Noël!... »

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Ville opulente, regorgeant de richesses, Florence ne manquait cependant pas de mendiants. Ils étaient même nombreux, et on les tolérait comme si leur présence servait à mieux faire ressortir, par contraste, la fortune de la

cité. D'ordinaire on ne se souciait guère de les voir dormir à la belle étoile, mais l'usage voulait que, pour la nuit de Noël, tous les gueux eussent un toit.

« Giuseppe, ordonna la signora, aide cette poverella à se relever. »

Le valet obéit mais la fillette se débattit et, ne comprenant pas ce qu'on lui voulait, chercha à s'enfuir. Mal éveillée, elle trébucha et roula sur la chaussée. En la relevant la signora et le valet constatèrent qu'elle n'était pas brune comme les filles de Toscane et que ses vêtements n'étaient pas de ceux qu'on porte à Florence.

« Qui es-tu? » demanda la dame.La fillette ne répondit pas, regarda ceux qui l'interrogeaient

avec des yeux égarés et vacilla encore, prête à tomber.« Toutes les forces se sont enfuies de son corps ; Giuseppe,

passe-moi la torche, prends-la sur tes bras et emporte-la jusqu'à ma demeure. »

La petite mendiante parut encore ne pas comprendre et se débattit puis, épuisée, résignée, se laissa emporter.

Un quart d'heure plus tard, elle se trouvait assise devant un grand feu de cheminée, dans une salle richement décorée et si bien éclairée par une multitude de chandelles qu'elle se demanda si elle n'avait pas perdu la raison.

« Qu'est-il arrivé?... où suis-je? »Elle dit ces mots en français ; la signora la regarda avec

curiosité.« Tu n'es donc point Toscane?... J'en aurais fait le pari.

Viens-tu du pays de France? »Puis, se penchant vers elle :« Je connais un peu la langue de ton pays; elle est (railleurs

assez voisine de la nôtre. »

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Depuis deux mois, Dolaine n'avait plus entendu un seul mol de français. Malgré son épuisement, elle sourit.

« Voyons, qui es-tu? insista la signora. Qu'es-tu venue l'aire ni Toscane? Où sont tes parents? »

Dolaine secoua la tête. « Je suis seule. »Malgré la bonne chaleur du feu que gardait un grand lévrier

étendu sur une natte, elle tremblait encore. On voyait que, malgré ses efforts, ses pensées lui échappaient.

« As-tu faim? demanda la signera. - Oh! oui. »La signora agita une petite clochette d'argent, et le valet

apparut. La dame lui commanda quelque chose, et il revint un instant plus tard, portant un plateau sur lequel étaient disposées des pâtisseries feuilletées en forme de galettes.

« Apaise ta faim! »Dolaine étendit la main et se servit. La galette aux amandes

disparut comme par enchantement. Elle en reprit une autre, puis une autre encore.

« Depuis combien de temps n'as-tu pas mangé? »Dolaine secoua la tête.« Je ne sais pas... je ne sais plus. »Coup sur coup elle dévora cinq pâtisseries, poussa un soupir

de soulagement puis, se rendant compte de ce que cette avidité pouvait avoir d'inconvenant, elle s'excusa :

« Je vous demande grand pardon, je ne savais pas que j'avais si faim. »

Toujours très curieuse, la signora poursuivit :« Maintenant, veux-tu me dire comment tu es venue à

Florence puisque tu n'y connais personne? »Dolaine avait plus envie de dormir que de parler, cependant,

par reconnaissance, elle raconta son histoire, son départ pour l'Italie, la mort de père Jérôme.

« Voici deux mois que je l'ai laissé, dans le petit cimetière de Fornara, sur les bords du Taro. Alors j'ai voulu venir jusqu'à Florence pour essayer de retrouver Fra Angelo, le moine qui

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accompagnait notre troupe; il avait été bon pour père Jérôme et pour moi. Je ne savais pas que la route était si longue, qu'il fallait encore franchir de hautes montagnes, de grandes forêts presque désertes. A l'auberge le tavernier m'avait bien dit qu'il était

dangereux de s'aventurer seule ainsi. Je ne l'ai pas écouté. Un soir, je traversais un bois, quand des hommes se sont jetés à la bride de mon cheval. Ils m'ont obligée à descendre, ont fouillé mes sacoches, m'ont battue, jusqu'à ce que je leur donne tout ce que je possédais. Et ils sont partis en emmenant mon cheval. »

Elle soupira longuement, les larmes aux yeux.« Le lendemain, malgré ma frayeur, je suis repartie à pied.

Des voyageurs ont eu pitié de moi, ils m'ont fait monter sur leur charrette. Je suis arrivée à Florence. Je croyais pouvoir tout de suite revoir Fra Angelo, mais je parlais mal la langue de ce pays, et Florence est une si grande ville! Quand j'ai retrouvé la trace du moine, il était trop tard, la troupe était repartie... et je ne pouvais plus la rejoindre. J'avais faim, alors j'ai commencé de mendier devant la porte des églises.... »

Elle s'arrêta, relevant brusquement la tête.« Pourtant, je ne suis pas une mendiante, signora. Père

Jérôme était deviseur de bâtiments, avec son ciseau il sculptait de belles fleurs de pierre.... Dites-moi, signora, Venise, est-ce bien loin de Florence?

- Certainement trop loin pour toi, poverella. »Dolaine soupira encore, et deux larmes roulèrent sur sa joue.

Sa curiosité satisfaite, la signora songeait à aller dormir.Il était très tard, d'ailleurs. Dans la cheminée les dernières

bûches achevaient de se consumer. La dame agita de nouveau sa clochette d'argent.

« Giuseppe, conduis cette petite mendiante dans la chambre qui ouvre au bout du patio, elle y passera le reste de la nuit. »

Le mot « mendiante » sonna durement aux oreilles de Dolaine mais elle était si lasse! Elle se leva et suivit le valet qui, avant de quitter la salle, se retourna pour demander à sa maîtresse:

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« Demain, à l'heure où les cloches de Santa Maria sonneront, que devrons-nous faire d'elle?

- Ne connaîs-tu pas l'usage?- Oui, signora. »Dolaine se trouva alors dans une sorte de couloir lambrissé

d'or, aux murs ornés de portraits aux cadres larges d'au moins six pouces, puis, tout à coup, s'ouvrit devant elle le décor merveilleux d'un patio, d'une sorte de cour intérieure au milieu de laquelle, parmi les fleurs, jaillissait une fontaine dont l'eau ruisselait en perles sur les bords d'une vasque de marbre.

C'était si beau que, malgré sa fatigue, elle se sentit transportée. Oh! toutes ces lumières qui se reflétaient dans l'eau de la vasque! L'arrachant à sa contemplation naïve, le valet la prit par le bras et la conduisit dans une petite chambre où il alluma une chandelle.

« Passe une douce nuit de Noël!... »Depuis combien de jours Dolaine n'avait-elle pas dormi dans

un lit? Et celui-ci, oh! merveille, possédait des draps. Jamais elle n'avait dormi entre des draps. En France, seuls le roi, les seigneurs, les riches bourgeois et marchands en possédaient. Elle hésita à se coucher, c'était trop beau.

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Et la chandelle ne sentait point le suif. Elle répandait, au contraire, une odeur si agréable qu'elle serait restée toute la nuit à la respirer.

Enfin elle se décida à s'étendre et s'endormit aussitôt. Et tout de suite des rêves emplirent son sommeil. Elle revenait dans l'île Saint-Jean, trouvait le coffret dont père Jérôme avait parlé avant de mourir. Elle apprenait qu'elle était une princesse et des pages la transportaient dans un palais tout parfumé.

... Le soleil bas de décembre jetait déjà ses rayons d'or pâle sur la ville, et Dolaine dormait toujours quand elle sentit une main effleurer son épaule. Certainement c'était un page qui .venait l'inviter pour une promenade. Elle sursauta, se redressa, se frotta les yeux. Un visage inconnu de femme la regardait.

« La nuit de Noël est finie, lève-toi ! La nuit de Noël?Les cloches de Santa Maria ont sonné; tu devrais déjà être

hors de cette demeure. »

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Dolaine crut que son rêve se transformait en cauchemar et se retourna en grognant. Mais, cette fois, elle se sentit rudement secouée.

« Allons, hâte-toi de te mettre sur pied et de partir.- Partir?- Florence compte assez de rues, de cours et de porches pour

accueillir les gueux. »Non elle ne rêvait pas. Le visage de la femme qui lui parlait

n'était pas gracieux comme celui du page. Elle se leva; la « camérière » la poussa hors de la chambre, et elle aperçut de nouveau le patio, la vasque, le jet d'eau, les fleurs qui s'épanouissaient en pleine saison d'hiver. Elle voulut s'arrêter pour les contempler; impatiente, la camérière la fit avancer. Où la conduisait-on? vers la signora qui, dans la nuit, lui avait offert des galettes feuilletées devant la cheminée?

Tout à coup, ayant suivi un long corridor, elle comprit qu'on allait la mettre dehors. Ah! oui, maintenant, la

nuit de Noël était finie. Cependant, avant d'ouvrir, la camérière semblait attendre quelque chose.

« Tes « pochettes »! vide tes « pochettes »!Dolaine la regarda, étonnée.« Mes poches?— C'est l'usage.— Pourquoi?— Tu as passé une nuit sous le toit de mes maîtres, ne leur

as-tu rien dérobé? »Dolaine sentit un flot d'indignation monter en elle. Oh!

pouvait-on la soupçonner d'être une voleuse!Comme la femme de chambre faisait un geste pour la

fouiller, elle s'échappa, courut comme une folle à travers la vaste demeure en appelant de toutes ses forces :

« Signora!... Signora!... »

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Alerté par le bruit, le valet qui, la veille, l'avait trouvée sur le Ponte Vecchio apparut, puis une autre femme très âgée qui pouvait être aussi une camérière.

« Signora!... Signora!... » continuait de crier Dolaine en essayant de griffer le valet qui tentait de s'emparer d'elle.

Elle se débattait toujours quand une porte s'ouvrit devant la signora Ricci. Dolaine se jeta à ses pieds.

« Signora !... on a voulu me fouiller comme une voleuse... oui, comme une voleuse. Jamais je n'ai rien dérobé, signora, jamais, et je ne suis pas une mendiante. »

La signora regarda, avec la même curiosité que la veille, cette jeune fille toute frémissante d'indignation, qui joignait les mains devant elle pour la prendre à témoin de son honnêteté.

« Signora, répétait Dolaine, vous me croyez, n'est-ce pas... je ne suis pas une mendiante. »

La signora la considéra longuement.« Certes je te crois, tu n'as rien dérobé en cette demeure...

mais la nuit de Noël est passée.»II y eut un long silence. Certes la nuit de Noël était passée,

mais Dolaine n'était pas de celles qui font métierde tendre la main devant les églises. C'est alors que la vieille

camérière, qui, jusque-là, n'avait rien dit, se tourna vers sa maîtresse.

« Est-ce là, la petite Française que vous avez trouvée, hier soir, sur le Ponte Vecchio?... ne m'avez-vous pas dit, tout à l'heure, en me parlant d'elle, qu'elle n'avait plus de famille et ne connaissait personne à Florence?... Ne croyez-vous pas, signora....

— Que veux-tu dire, Angela?— Signora, je commence à être bien vieille, j'ai souvent

pensé que dans une vaste demeure comme la vôtre....— Tu veux dire, Angela, qu'elle te serait utile pour

t'aider....— Ses yeux sont vifs; son regard est franc et honnête, elle

pourrait m'aider en effet... et pour vous, signora, ce serait faire sans doute une louable action. »

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Insensiblement Dolaine avait tourné les yeux vers cette vieille femme aux cheveux blancs, au parler lent et clair et dont les paroles semblaient avoir quelque effet sur sa maîtresse.

Il y eut encore un long silence.« C'est bien, fit la signora Ricci... tu resteras en cette

demeure. »

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VIII

PIETRO

C'EST ainsi que Dolaine entra au service de la signora Ricci, la femme du consul des drapiers florentins, un des plus hauts personnages de la ville. « Angela s'occupera de toi, lui avait-elle dit, tu l'aideras dans la maison. Plus tard, si je suis satisfaite de toi, et si tu arrives à parler convenablement notre langue, je te chargerai des achats. Je veux te croire assez honnête pour ne point me voler et assez intelligente pour ne pas te

laisser voler. »Pour commencer, Angela s'occupa des vêtements de la petite

Française, car ceux qu'elle portait n'étaient pas digne d'une grande maison. Elle lui tailla une robe et un manteau de drap et sortit avec elle lui acheter une paire de souliers fins chez le bottier du signor Ricci.

Vraiment, cette vieille camérière aux cheveux blancs se montrait très gentille avec Dolaine. Tout de suite, la fillette s'était sentie attirée par elle. Il n'y avait pas, dans cet attachement, que de la reconnaissance mais une réelle affection. Avec elle comme avec père Jérôme, la petite sauvage se sentait devenir douce et tendre.

« Je ne comprends pas, fit un jour Dolaine, pourquoi vous cherchez toujours à me faire plaisir? »

Angela sourit et, en guise de réponse, lui conta sa propre histoire.

« J'ai été malheureuse, moi aussi, autrefois; ma mère, que j'aimais beaucoup, est morte pendant la terrible épidémie de 1487; j'étais toute jeune. Mon père s'est remarié quelques années plus tard avec une Vénitienne qui n'était guère plus âgée que moi. Tout de suite cette femme a été jalouse de moi, de l'affection que mon père me portait. La vie est devenue insupportable. Un jour, je me

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suis enfuie. Je suis venue à Florence où j'ai servi dans plusieurs grandes maisons avant d'entrer au service de la signora Ricci. Il y a vingt-deux ans que je suis ici.... Comprends-tu, maintenant, pourquoi je t'ai prise en amitié?

— Oh! oui, fit Dolaine, votre vie ressemble presque à la mienne. Vous avez été malheureuse comme moi.

— Oui, comme toi », reprit Angela. Dolaine la regarda et, à mi-voix, demanda :

« Et maintenant, êtes-vous encore malheureuse? »La camérière aux cheveux blancs sourit doucement.« Avec les années, on apprend à accepter le monde comme il

est. La signora Ricci a confiance en moi, elle me traite avec certains égards, j'aurais tort de trop me plaindre. »

Dolaine soupira :« Peut-être qu'un jour je deviendrai camérière, moi aussi.- Ce n'est pas le vœu que je forme pour toi, Dolaine, vivre

seule n'est pas toujours gai; plus tard n'aimerais-tu pas te marier?»Dolaine rougit un peu puis baissa la tête, soudain triste.

« Qu'as-tu, fit Angela, cela ne te plairait pas?... Tu as bientôt

quatorze ans, tu es presque une jeune fille; un jour viendra....— Ce jour-là ne viendra pas, Angela; les filles sans père ni

mère ne se marient pas., surtout quand elles ont laid visage.- Qui t'a dit que tu étais laide? » A Amboise, ses sœurs lui

avaient si souvent répété que son visage n'était point plaisant, que ses jambes et ses bras étaient trop grêles qu'elle avait fini par se croire vraiment disgracieuse.

« Allons, reprit Angela, fais-tu en ce moment péché de coquetterie ou bien penses-tu vraiment ce que tu dis?

— Je le pense », Angela.La camérière la regarda longuement et comprit qu'elle ne

mentait point. Alors elle se leva, alla chercher peigne, brosse et pommade et entreprit de la coiffer. Habile de ses doigts, c'était elle qui, chaque matin, coiffait la signera Ricci et elle excellait dans cet art délicat de donner au visage la coiffure qui lui sied le

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mieux. Hélas ! les cheveux rebelles de Dolaine semblèrent prendre plaisir à se jouer d'elle. Enfin, après de longs et savants efforts, Angela tendit un miroir. Dolaine s'y regarda longuement, étonnée de la transformation mais cependant point tout à fait convaincue.

« Certes, dit Angela, la coiffure n'est pas tout. EJle reste même peu de chose si les traits du visage demeurent tendus, si le regard demeure austère. Souris, Dolaine../ non, pas comme cela... comme si tu étais heureuse. N'es-tu pas heureuse, d'ailleurs, à présent? ne manges-tu pas à ta faim? ne vis-tu pas dans une belle demeure?... et ne suis-je pas là pour te faire sentir que, malgré tous tes malheurs, quelqu'un pense à toi et te porte affection? »

Confuse, Dolaine baissa les yeux puis les releva vers Angela. Lentement son visage se détendit, s'épanouit.

« Non, pas moi, fit la vieille camérière, c'est le miroir qu'il faut regarder. »

Alors, brusquement, Dolaine eut comme une révélation. Dans le miroir ce n'était plus elle qu'elle voyait mais une autre Dolaine, inconnue. Elle se retourna comme pour surprendre la jeune fille qui, par-dessus son épaule, se regardait dans le miroir. Non, c'était bien elle qu'elle contemplait, une Dolaine souriante, gracieuse, jolie, oui, jolie.

Au comble de la confusion et de l'émotion, la petite Française se jeta dans les bras de la vieille camérière et pleura de joie.

... Plusieurs semaines passèrent. Dolaine parlait à présent assez bien le toscan. Chaque matin la signora Ricci l'envoyait dans la ville faire des commissions. En franchissant le Ponte Vecchio, elle ne manquait jamais de jeter un regard vers la boutique derrière laquelle on l'avait trouvée endormie le soir de Noël. Puis elle traversait la place de la Seigneurie où se projetait l'ombre de la grande tour du Palais. Plus loin, derrière le

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baptistère, s'étendait la place du vieux marché, entourée d'arcades où les paysans toscans apportaient les produits de leurs terres. La foule y était grouillante, bariolée, bavarde, rieuse, et cela lui plaisait. Elle revoyait la petite place d'Amboisé si paisible au bord de la paresseuse Loire. Mon Dieu! comme la Touraine était loin! Elle l'avait presque oubliée. Non, pourtant, car chaque fois que passait un cavalier, un héraut d'armes, elle pensait brusquement à Guillaume.

En quelques semaines, la petite Française, avec l'aide et les conseils d'Angela, s'était véritablement transformée. Qui aurait reconnu en cette jeune fille gracieuse et soignée la petite mendiante du Ponte Vecchio?

« C'est bien, Dolaine, lui dit un jour Angela, la signora Ricci est satisfaite de toi et ne se repent pas de t'avoir gardée à son service, mais je dois dès maintenant te mettre en garde. »

Dolaine la regarda, étonnée et un peu inquiète.« Ai-je fait quelque chose de mal? - Non, tu sais te montrer

souple et avenante comme

il sied dans la demeure d'un consul, mais dans quelques jours Pietro va rentrer.

- Pietro?- C'est le fils du signor et de la signera Ricci. Chaque année

il va passer le temps d'hiver, à Lucques, chez les parents de la signora. Je l'ai vu naître et grandir. Il a dix-sept ans. Sans doute son cœur n'est-il pas mauvais mais Pietro a toujours été très gâté. C'est un garçon plaisant de visage, cependant son caractère n'est pas toujours égal et, comme son père, il a le culte de la richesse. D'ailleurs, à Florence, l'argent, comme tu as peut-être pu t'en apercevoir, tient une grande place, une trop grande place....

— Ainsi, le fils de la signora va revenir?— Dans quelques jours.- Devrais-je lui obéir?

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- Tu es à son service comme à celui du signor Ricci. Justement, Dolaine, ses caprices te mettront parfois dans l'embarras. Il te faudra beaucoup d'habileté pour ne pas le contrarier. »

Dolaine se sentit un peu inquiète.« Je ne sais quel jour il doit arriver, mais il sera certainement

là pour la grande fête des Colombes qui approche; il ne la manque jamais. »

Dolaine avait déjà entendu parler de cette fête des Colombes, la plus belle de toutes celles qu'on célébrait à Florence, la fête du printemps, la fête des fleurs, la fête de la Résurrection et, plus encore, la fête en l'honneur de ceux qui, trois cents ans plus tôt, avaient cousu la croix sur leur poitrine pour aller en Terre sainte. Les cérémonies commençaient le Jeudi saint dans la grande nef de Santa Maria des Fleurs et se poursuivaient le lendemain par d'interminables processions. Enfin, la veille de Pâques, sur la place de la Seigneurie, on brûlait le char des Colombes sur lequel s'élevaient des cages d'osier contenant des centaines et des centaines de colombes blanches. Au premier son des cloches de Santa Maria on boutait le feu au char et on ouvrait les cages d'osier. Toutes les colombes s'en-

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volaient, le ciel en était obscurci, et cet envol symbolisait le grand départ des croisés pour l'Orient, tandis que la destruction du char richement décoré signifiait le renoncement aux biens de la terre.

Mais, les colombes envolées, le char réduit en cendres, la fête n'était pas finie. Bien au contraire, c'était le signal des réjouissances, de la fameuse cavalcade où Florence étalait avec vanité et orgueil toutes ses richesses. Sur toutes les places, dans toutes les rues, se succédaient de somptueux défilés où le rouge, la couleur noble, la couleur riche, flamboyait sous le ciel lumineux de Toscane.

Longtemps à l'avance, dans les belles demeures des banquiers, des changeurs, des orfèvres, des drapiers, on se préparait à cette parade.

Or, on n'était plus qu'à quinze jours de Pâques. C'est pourquoi Pietro ne tarderait pas à rentrer.

Il arriva le surlendemain, en une seule étape, depuis Lucques. Dolaine le rencontra pour la première fois dans le patio où la signera l'avait envoyée arroser les fleurs autour de la vasque. Apercevant Dolaine, le jeune garçon s'arrêta et demanda, sans plus de façon, sur un ton plutôt hautain :

« Qui es-tu? Quand es-tu entrée à notre service?— Depuis le jour de Noël.— Comment te nommes-tu?— On m'appelle Dolaine. »Il restait là, à deux pas de la jeune fille, la regardant verser

l'eau.« Pourquoi mets-tu tant d'eau sur ces fleurs, ne vois-tu pas

que ce sont des azulias, des fleurs qui aiment juste un peu de fraîcheur? »

Le « versoir » trembla dans les mains de Dolaine qur s'excusa.

« Tu parles fort mal le toscan, reprit Pietro avec un petit air méprisant qui lui fit de la peine.

— Je suis Française, du pays de Touraine. »

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Le jeune garçon s'éloigna et disparut. Dolaine était restée près de la vasque, tout attristée. Depuis trois mois elle

avait fait tant d'efforts pour plaire à tout le monde ! Elle courut trouver Angela.

« Je t'avais prévenue, fit la camérière, c'est un enfant trop choyé. Il ne se rend pas toujours compte de la peine qu'il peut faire. Ne prête pas trop l'oreille à ses propos. D'ailleurs, dans quelques jours il ne fera plus attention à toi. »

En effet, au bout de deux jours, Pietro ne prêta plus aucune attention à elle, et elle en éprouva grand soulagement.

Cependant, la fête des Colombes approchait. Dans la demeure de la signora Ricci on préparait les costumes. La vieille Angela taillait, brodait, cousait du matin au soir, aussi habile couturière qu'experte coiffeuse. Elle envoyait Dolaine d'un bout à l'autre de la ville pour toutes sortes d'achats. Un soir qu'elle rapportait des rubans de velours, la jeune fille s'extasia devant la magnifique robe que la camérière assemblait.

« Elle est jolie, n'est-ce pas?- Oh! oui, soupira Dolaine. Est-ce une robe florentine?- Non, vénitienne; une robe comme on en portait dans la

ville des Doges pour les grandes cérémonies.— Qui la portera?Tu la verras sur les épaules de la signorina Carlotta.- Qui est-elle?- La fille d'un grand personnage de Florence, elle est même

F arrière-petite-nièce du grand Laurent Médicis, celui qu'on a appelé Laurent le Magnifique.

- Est-elle jolie?- Elle est riche, très riche. D'ailleurs tu l'as certainement vue

en cette demeure; elle vient souvent; elle a ton âge, à peu près, sa peau est brune et son nez assez épais.

- Oui, je me souviens, je lui ai ouvert la porte l'autre jour.La signora Ricci se plaît beaucoup à la recevoir C'est elle-

même qui lui a conseillé cette robe qu'elle m'a priée de faire.

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Certainement la signora Ricci serait heureuse si, plus tard, son fils épousait Carlotta. »

Dolaine contempla encore la robe en admirant l'habileté de la camérière à disposer une broderie.

« Au fait, dit tout à coup celle-ci, la signorina Carlotta devait venir cette vesprée pour l'essayer, et je ne l'ai point vue, mais, tu es de sa taille, voudrais-tu la passer sur tes épaules. »

Dolaine hésita, la robe était trop belle; cependant elle céda à la tentation puisque c'était aussi rendre service à Angela. La camérière l'aida à la mettre. La longue robe lui descendait jusqu'aux chevilles, s'étalant en larges plis souples. Dolaine se regarda dans le haut miroir, au fond de la pièce et, s'y découvrant tout entière, ne put cacher son émotion. Cette robe noire, aux garnitures de dentelles, au grand nœud écarlate, semblait absolument faite pour

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elle, faisant ressortir la clarté de son visage et de son teint, la jeune rondeur de ses épaules. Angela, elle-même, ne put retenir sa surprise admirative.

« Oh! fit-elle, toi qui te croyais laide. Je ne veux pas médire de la signorina Carlotta, mais cette toilette te sied beaucoup mieux qu'à elle. D'ailleurs tu as presque un teint et une chevelure de Vénitienne; le noir convient aux blonds cheveux. »

Parée de cette somptueuse robe, Dolaine évoluait devant Angela, tête haute, hanches souples, gestes gracieux, comme si elle n'avait jamais porté que de pareilles toilettes. Vraiment, qui aurait pu croire qu'elle n'était qu'une simple servante de la signora Ricci?

Angela venait de noter quelques retouches, et Dolaine allait quitter la robe quand tout à coup la porte s'ouvrit. La jeune fille tressaillit. C'était Pietro.

« Ah! Carlotta, fit-il, je te cherchais.... »En reconnaissant Dolaine il resta saisi. Pendant quelques

instants, son regard resta fixé sur la petite Française. Puis, s'avançant pour la mieux voir, il dit :

« Je ne te reconnaissais pas, non, vraiment pas.- Sa taille est la même que celle de la signorina Carlotta,

expliqua Angela, c'est pourquoi je lui essayais la robe. »Pietro ne répondit pas; après avoir encore une fois regardé

Dolaine, il disparut.« Mon Dieu, fit Dolaine ennuyée, je l'aurai encore fâché.— Je ne pense pas, je crois surtout que sa surprise a été

grande. »Les derniers jours qui précédaient la fête furent pour toute la

ville des jours de fièvre. Toutes les églises de Florence, et il y en avait près de cent, se paraient de guirlandes de fleurs. De longues oriflammes étaient accrochées aux loggias, aux balcons des palais. Sur la place du vieux marché les paysans déversaient des avalanches de fleurs. Il faut dire aussi que, cette année-là, la fête des Colombes

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aurait un éclat plus grand encore puisque c'était le quatre-centième anniversaire de la croisade qu'on célébrait.

Les sept « arts » de la ville, c'est-à-dire les sept grandes corporations, allaient rivaliser dans le déploiement de leurs richesses. La corporation des drapiers se devait d'être plus brillante encore que les autres. La maison du signor Ricci était une véritable ruche où la pauvre Angela exténuée passait ses nuits, l'aiguille à la main, tandis que les deux valets s'occupaient de parer les chevaux et de décorer la maison qui se devait, elle aussi, d'être une des plus belles de la ville. La robe vénitienne terminée, Angela préparait le manteau de Pietro, un grand manteau de velours, doublé de rouge et qui devait s'étaler sur la croupe de son cheval des Abruzzes.

Presque chaque matin, le jeune cavalier sortait dans la campagne florentine pour exercer sa monture, car on prisait fort les bêtes bien dressées, sachant caracoler, piaffer et faire des « pas ». Le plus souvent il partait en compagnie de Carlotta qui, à défaut d'être gracieuse, montait bien à cheval, se montrant même parfois intrépide. Par la fenêtre de la cuisine où elle épluchait les légumes, Dolaine les voyait traverser la cour sablée et disparaître derrière le grand rideau de cyprès. Alors elle s'imaginait chevauchant au côté de Guillaume et poussait un long soupir.

Or, F avant-veille de la fête des Colombes, les deux jeunes gens étaient partis depuis un moment quand Pietro rentra seul, traversant la cour au galop. Carlotta venait de faire une chute, et on l'avait ramenée chez elle, pantelante, le bras cassé. Angela, qui n'avait pourtant pas mauvaise langue, pensa aussitôt qu'elle avait encore dû vouloir faire quelque extravagance pour étonner Pietro.

A deux jours seulement de la fête, alors que tout était réglé, que Carlotta avait sa place près de Pietro dans le grand cortège, c'était une catastrophe. Furieux, Pietro déclara qu'il ne participerait pas à la fête et laisserait son cheval à l'écurie, mais ce n'était pas possible, le fils du consul des drapiers, futur consul sans doute, devait paraître

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dans le défilé. Alors, tout à coup, il se souvint de la vision qu'il avait eue dans la chambre d'Angela, quand Dolaine essayait la robe vénitienne. Il alla trouver sa mère.

« Oh! fit celle-ci avec indignation, tu n'y penses pas, une simple servante !

— Personne ne la reconnaîtra, et je vous assure, mère, qu'elle a mille fois plus de grâce que Carlotta.

— Non, Pietro, jamais ton père n'accepterait. » Mais la décision du jeune Florentin était ferme. Il

entraîna la signora Ricci dans la chambre d'Angela et demanda à Dolaine de remettre la robe. La signora dut reconnaître qu'en effet, la petite Française était très gracieuse et que la robe vénitienne lui allait à ravir.

« Et puis, ajouta Pietro, Carlotta pourrait être jalouse de n'importe qui, mais pas d'une servante. »

Pietro avait gain de cause. Quand elle sut ce qu'on lui demandait, Dolaine fut si émue, si impressionnée, qu'elle comprit à peine ce qui lui arrivait.

« Sais-tu monter à cheval? lui demanda Pietro.— Certes, c'est à cheval que j'ai traversé toute la

France pour venir en Toscane.— Alors, viens à l'écurie avec moi. »II l'emmena chevaucher sur la colline, dans les jardins,

derrière le palais Pitti. Pietro ne paraissait pas de fort bonne humeur; peut-être regrettait-il Carlotta? Pour éprouver la jeune fille, il lança son cheval au galop sur des sentiers raboteux. Dolaine le suivit fidèlement. Il franchit un ruisseau, elle le franchit aussi. Comme Pietro ne parlait toujours pas, elle dit :

« Signor, je ne veux point paraître à votre côté, dans le cortège, contre votre gré; dites-moi ce que je dois faire, je le ferai.»

Pietro la regarda, étonné de cette franchise, un peu vexé d'avoir montré sa mauvaise humeur.

« Je fais toujours ce que j'ai décidé », fit-il.Tournant bride, il invita Dolaine à rentrer.

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IX

LA FÊTE DES COLOMBES

EN CE DÉBUT d'avril, à l'époque où la Touraine sort à peine de l'engourdissement de l'hiver, le ciel lumineux de Toscane éparpille déjà sur Florence les moissons dorées de son soleil brûlant. Les grandes fêtes ont commencé. Hier les rues ont vu défiler les longues cohortes de pénitents. Aujourd'hui elles entendront s'élever des cris d'allégresse. De tous les coins de la Toscane, de Sienne, de Lucques les curieux ont accouru, à cheval, en coche ou même à pied.

Sur la place de la Seigneurie où le palais dresse, contre le ciel pur, sa haute tour crénelée, la foule se presse autour du char des Colombes pour assister à l'envol. Ce char, élevé sur une estrade, brille dans le soleil de toutes ses dorures. Les grandes cages d'osier qu'il porte s'élèvent au moins à vingt pieds de haut.

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Il est deux heures après midi. Soudain, de la tour dupalais Vieux descend un long son de trompe. Le « banditire

», le crieur public, haut personnage de la cité, annonce que voici quatre cents ans les croisés se mettaient en marche vers la Palestine.

« A genoux, clame-t-il, à genoux, et que vos prières soient entendues là-haut, pour la paix éternelle des âmes de ceux qui ont pris la croix! »

Un grand silence de recueillement plane sur la place puis, tout à coup, les cloches du campanile de Santa Maria s'ébranlent et sonnent à toute volée. Des hommes grimpent promptement sur le char. Une nuée de colombes s'échappe... et toutes ces ailes de soie blanche s'enfuient vers l'Orient. Une immense clameur monte de la foule en délire. Mais déjà l'assistance s'écarte. Des flammes crépitantes s'élèvent du char doré. En quelques instants, le centre de la place devient un énorme brasier. La foule, si recueillie tout à l'heure, se met à hurler, à trépigner. Finies les prières, finies les pénitences, c'est la fête qui commence, la fête du peuple de Toscane.

De toutes les écuries des palais et riches demeures sortent des chevaux somptueusement parés, portant les plus beaux cavaliers, les plus belles dames de la cité.

Selon la tradition, chacun des sept grands arts forme son groupe sur une place désignée à l'avance, avant de se rassembler pour le cortège. Pietro et Dolaine traversent le Ponte Vecchio pour rejoindre les drapiers, ils chevauchent côte à côte et entrent dans la ville. Non, vraiment, personne ne pourrait reconnaître en cette belle Vénitienne la petite mendiante du pont Vieux. Au passage, de jeunes Florentins saluent Pietro qui se tient droit, sur son cheval dont toute la croupe est recouverte par le grand manteau doublé de rouge. Devant la « damoiselle » qui l'accompagne, ils s'étonnent.

« La signorina Garlotta serait-elle devenue si gracieuse », remarque l'un d'eux à mi-voix.

Pietro a entendu; il se sent très flatté mais n'en laisse rien

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paraître. Sur la place Riccaldi, tous les riches drapiers sont là, bannière de velours rouge déployée.

L'arrivée de Pietro et de sa cavalière cause un certain émoi. « Qui est donc cette belle et fraîche jeune fille qui accompagne votre fils, demande-t-on au consul; en vérité, elle se tient à cheval d'une façon superbe. Est-ce une princesse ?

— En vérité, une princesse, répond Pietro qui vient de s'approcher.

— Est-il permis de savoir son nom? » Pietro sourit et met un doigt devant ses lèvres.

« Nul ne le saura! elle est la princesse sans nom. »La princesse sans nom! Le mot court de bouche en bouche,

chargé de curiosité et de mystère, car dans la république de Florence, où la noblesse a été bannie depuis longtemps, on a gardé la nostalgie des rois et des princes. La princesse sans nom! D'un seul coup, Pietro a su donner à Dolaine le titre qui lui convenait le mieux. Dans sa robe noire, parée de dentelles, sous le diadème qui fait ressortir la pureté de ses traits, Dolaine n'est-elle pas une véritable petite princesse?...

Cette fois Pietro a complètement écarté sa mauvaise humeur. S'il a craint un instant être ridicule en chevauchant au côté d'une simple servante, il peut être rassuré. Il regarde Dolaine et se prend à lui sourire... ce que voyant, la jeune fille lui sourit à son tour.

Et dans les rues de Florence c'est maintenant la grande chevauchée, l'éclatant cortège des corporations de la plus riche cité d'Italie. Aux masques grossiers, aux déguisements les plus bouffons, se mêlent les vestures les plus recherchées. La foule en délire jette des fleurs à pleines poignées sur le cortège en poussant des cris de joie.

Aux acclamations qui la saluent, Dolaine répond par des sourires. Oh! non, elle n'est plus la petite sauvage de l'île Saint-Jean. Jamais princesse vénitienne a-t-elle eu plus de grâce?

Et d'un seul coup elle oublie toute son enfance malheureuse, pour jouir de cette heure unique. Heureuse,

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elle regarde Pietro qui, à présent, lui sourit courtoisement, comme pour la remercier d'être là, d'être si gracieuse. Elle voudrait que les rues soient sans fin, que le soir n'arrive jamais.

Hélas! déjà le soleil s'incline vers la montagne, voici les premières torches qui s'allument. Fatigués d'avoir tant paradé dans la ville, les chevaux commencent à tirer sur leur bride. La longue cavalcade se disloque. La fête des Colombes est finie.

Toujours accompagnée de Pietro qui ne l'a pas quittée un seul instant, Dolaine retraverse le fleuve sur le Ponte Vecchio. Dans la cour sablée ils mettent pied à terre. Alors, Pietro se penche vers Dolaine et lui prend la main :

« Je te demande pardon de t'avoir, ce matin, montré ma mauvaise humeur. Au contraire je dois te faire grand compliment. Tu t'es montrée mille fois plus gracieuse que ne l'aurait été Carlotta. »

Dolaine rougit et ne sait que répondre.« Si, insiste Pietro, grande a été ma joie de t'avoir pour

compagne pendant cette fête. Si tu le veux nous sortirons parfois ensemble, à cheval, dans la campagne.

— Oh! signor, soupire Dolaine, je ne suis qu'une servante au service de la signora Ricci.

— Ma mère ne refusera pas de m'accorder pour toi cette permission. »

... Les chevaux rentrés, la jeune fille alla retrouver Angela qui l'aida à -enlever sa robe et ses parures. En regardant la robe vénitienne, étalée sur un siège, elle murmura :

« Maintenant c'est fini.... Il me semble que je viens de vivre un beau rêve... un trop beau rêve. »

Malgré elle, elle laissa échapper une larme. Mais aussitôt elle pensa à Pietro, à sa promesse de l'emmener parfois, dans la campagne, à cheval. Il était très tard, elle se retira dans sa petite chambre. Elle en ouvrit la fenêtre d'où on dominait la ville. Beaucoup de lumières brillaient aux fenêtres, et de nombreuses torches passaient dans les

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rues. Sur les places, de grands feux de joie achevaient de brûler.

Longtemps elle resta ainsi, penchée, à respirer l'air doux de la nuit. De toutes ses forces elle voulait prolonger ce grand jour jusqu'au bout, jusqu'au sommeil. Il lui semblait entendre encore des acclamations monter vers elle.

« Princesse, murmura-t-elle, j'ai été une princesse. Alors elle pensa encore à son enfance, à la barque qui l'avait

amenée dans l'île Saint-Jean, au mystère de sa naissance, à ce secret que père Jérôme, en mourant, n'avait pu lui livrer. Oh! si.... Mais non, ce n'était pas possible, elle ne pouvait être que la fille de pauvres manants qui avaient voulu se débarrasser d'elle parce qu'ils ne pouvaient pas nourrir trop d'enfants.

Abaissant son regard, elle aperçut ses vêtements de servante. Finie la fête, finie la robe de princesse. Demain la ville serait jonchée de pétales fanés, et dans le cœur de Dolaine les beaux souvenirs, eux aussi, se flétriraient....

Elle se coucha mais avant de s'endormir elle pensa encore à Pietro, revit le sourire qu'il lui avait adressé en descendant de cheval, sentit la main du jeune garçon prendre la sienne.

Alors, les doigts joints, regardant, par la fenêtre, le ciel étoile, elle implora :

« Madonna! Faites que je sois encore heureuse, comme je l'ai été aujourd'hui. »

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X

CARLOTTA

PLUSIEURS fois par semaine, Pietro emmenait Dolaine chevaucher dans la campagne florentine. Ils partaient le matin de bonne heure quand le soleil n'a pas encore pris toute sa force brûlante et galopaient ensemble par les sentiers bordés d'oliviers, de figuiers et de cyprès. Oubliant Carlotta, Pietro s'était pris d'amitié pour la petite Française qu'il trouvait plus aimable, plus gracieuse et surtout plus jolie. Cette faveur de l'emmener en promenade, il l'avait obtenue sans grand-peine, d'autant plus que Carlotta, pas encore remise, ne pouvait sortir.

Pendant ces sorties, Pietro prenait plaisir à lui montrer les terres que son père possédait autour de Florence.

« Ce champ d'oliviers est au consul des drapiers, disait-il, et cette terre que tu découvres là-bas, derrière le ruisseau, lui appartient également.

— Le signor Ricci est très riche », approuvait alors Dolaine pour lui complaire.

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Souvent, cet orgueil, cette vanité la faisaient souffrir. Elle se sentait plus humble encore et se demandait si réellement Pietro avait de l'amitié pour elle. Guillaume, si simple en ses manières, lui paraissait différent. Cependant, le jeune Florentin savait aussi se montrer agréable, et elle lui pardonnait.

Ainsi, en la demeure du consul, Dolaine n'était plus tout à fait considérée comme une simple servante. Pietro avait même obtenu que, pour ces promenades, elle fût vêtue d'une façon plus seyante.

En taillant pour elle la nouvelle robe qu'on l'avait priée de faire, Angela dit un jour :

« Carissima Dolaine, puisse ton bonheur durer longtemps, très longtemps.... »

La jeune fille n'avait pas compris ce que cela voulait dire. Cependant elle ne tarda pas à s'apercevoir que cette situation privilégiée commençait de lui attirer des ennuis. A part Angela, valets et camérières la tenaient à l'écart. Pour eux, elle était et serait toujours la mendiante ramassée, le soir de Noël, sur le Ponte Vecchio. Elle retrouvait la même atmosphère lourde, pénible qu'à Amboise, dans la maison de l'île Saint-Jean.

« La vie est ainsi, lui dit Angela, même à Florence les rosés ont des épines. »

Mais la jalousie des valets et camérières n'était rien à côté d'une autre jalousie, plus cachée mais aussi plus violente : celle de Carlotta. Guérie de son accident, la jeune fille souffrait de penser qu'à présent Pietro la dédaignait et se plaisait à sortir en compagnie d'une simple servante. A plusieurs reprises, d'ailleurs, Pietro avait parlé de cette jalousie à Dolaine qui, naïvement, s'en était réjouie, heureuse de se sentir préférée.

« Dolaine, lui conseilla Angela, je comprends ton plaisir de sortir avec Pietro mais tu devrais te méfier.

— Me méfier de quoi, Angela. N'est-ce pas mon devoir de l'accompagner quand il me le demande?

— Certes, tu es au service de Pietro comme à celui de

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la signora Ricci, mais Pietro est un garçon capricieux; passer par toutes ses fantaisies pourrait t'apporter des ennuis. »

Dolaine pensa que la vieille camérière, meurtrie par la vie, ne pouvait pas comprendre.

« Que pourrait-il arriver?— Tu me l'as dit toi-même, la signorina Carlotta est jalouse

de toi.— Est-ce ma faute?— Non, mais Garlotta est la fille du consul des banquiers...

et toi une servante. Crois-tu que l'amitié d'un garçon comme Pietro, élevé dans le culte de la richesse, puisse être durable? »

Dolaine ne répondit pas et s'éloigna.A quelques jours de là elle était sortie faire des provisions

sur le vieux-marché quand, au coin d'une rue, elle se trouva face à face avec un jeune garçon, bien vêtu, qui lui dit :

« N'est-ce pas toi Dolaine, la servante du signor Ricci?— Je le suis.— Ton ami Pietro est à un quart de lieue d'ici; dans la basse-

ville; il s'est tordu la cheville en escaladant les rochers au bord de l'Arno. »

Pas une seconde elle ne se demanda pourquoi, au lieu de courir à la demeure du consul des drapiers, ce jeune garçon inconnu s'adressait à elle.

« Mon Dieu ! il s'est fait très mal?— Viens, il veut te voir! »Dolaine n'hésita pas. Ne doutant pas que Pietro la réclamait,

elle suivit le garçon qui la conduisit au bas de la ville, dans un endroit où l'Arno coule entre un chaos de rochers. Le lieu était désert. Les eaux du fleuve bouillonnaient autour des rocs déchiquetés.

« Où est Pietro? demanda-t-elle, soudain inquiète.— Un peu plus loin, de ce côté. »Et tout à coup elle se trouva devant Carlotta qui semblait

l'attendre, le regard tendu, et l'interpella brutalement.

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« Rassure-toi, Dolaine, Pietro n'est point blessé.... mais je suis fort aise que mon frère t'ait amenée ici. Nous pourrons parler à loisir.

— Que me voulez-vous?— Rien... presque rien; je désire simplement savoir

pourquoi tu as pris ma robe et ma place le jour de la fête des Colombes.

— Je n'ai point pris votre place. Vous aviez chu de votre monture et vous ne pouviez paraître au cortège. C'est Pietro, lui-même, qui m'a demandé....

— Pourquoi as-tu accepté?— Je suis au service du signor Pietro!— S'il est d'honnêtes services, d'autres le sont moins.— Que voulez-vous dire?— Que tu devais te tenir à ta place... qui est celle d'une

servante. Et pourquoi, après la fête, as-tu continué de chevaucher avec Pietro?

— Il me l'a aussi demandé.— Ma parole, te prendrais-tu réellement pour une

princesse? Pietro sait-il qu'on t'a ramassée un soir sur le Ponte Vecchio?

— Je ne lui ai rien celé; il sait tout. Pietro a du plaisir à chevaucher avec moi... et moi pareillement. Rien ne nous en empêchera. »

Carlotta, qui, jusqu'alors, avait voulu se contenir, serra les poings et devint rouge de colère.

« Ose redire ces paroles inconvenantes, petite gueuse!— Le signor Pietro a de l'amitié pour moi et je la lui rends.

Qui peut trouver mal à cela... à part vous, qui êtes jalouse? »Carlotta bondit vers son frère qui avait assisté, muet, à cette

scène.« Fabiano, mon frère, tu entends ces insolentes paroles ! Non

seulement cette pauvresse ne me fait aucune excuse, mais encore elle se montre pourrie d'orgueil. »

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Carlotta se retourna vers Dolaine, furieuse, menaçante, tandis que Fabiano serrait les poings. La jeune Française comprit tout à coup que Carlotta l'avait peut-être fait venir en ce lieu désert, près de l'Arno, avec une sinistre intention. Elle se souvint de toutes les méchancetés de la jeune fille dont lui avait parlé Angela. La colère s'empara d'elle.

« Ah! oui, vous m'avez attirée ici pour tenter de vous débarrasser de moi. Je suis étrangère, et vous savez que si je disparais personne ne s'inquiétera de moi. Eh bien, essayez de me toucher, vous ou votre frère. Je saurai m'agripper à vous de telle sorte que je ne serai pas seule à goûter les eaux de l'Arno... et les flots bouillonnants ne me font aucune peur. J'ai souvent traversé la Loire à la nage... et c'est un autre fleuve que votre Arno! »

Ce disant elle s'avança vers Carlotta qui recula, ne pouvant soutenir le regard de Dolaine.

« Adieu! signorina Carlotta, sans doute n'aviez-vous rien d'autre à me faire savoir. De ce pas, je vais retrouver Pietro, et, entre nous deux, c'est lui qui décidera. »

Son assurance l'avait sauvée. Elle remonta en courant vers la ville mais, sitôt hors de vue, elle se cacha le long d'un mur et éclata en sanglots.

En rentrant, elle chercha partout Pietro; il était sorti. Alors elle entra dans la chambre d'Angela et lui conta ce qui venait d'arriver.

« Vous, Angela, vous savez bien que ce n'est pas ma faute. Je n'ai rien fait à la signorina Carlotta. Pourquoi a-t-elle tant de haine?

- Non, Dolaine, tu n'as rien fait de mal, mais tu connais les Florentines. Carlotta s'est jugée offensée; elle veut se venger. Méfie-toi, si elle n'a pas réussi aujourd'hui, elle recommencera demain.

— Que faire, alors?— Carissima Dolaine, mon embarras est grand. Je crains

seulement que les jours qui viennent ne te préparent de durs tourments. Tu devrais sortir moins souvent avec Pietro.

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— Même s'il me le demande? Jamais je n'oserai.— Peut-être pourrais-tu, en te montrant moins aimable, lui

rendre ces promenades moins plaisantes? Peu à peu il t'oublierait.— M'oublier ... vous voulez qu'il m'oublie! Vous

défendez donc Carlotta? »Elle laissa sa tête s'appuyer contre l'épaule de la vieille

camérière et se mit à pleurer.« Oh! Angela, ne me conseillez pas cela, je ne peux pas; c'est

au-dessus de mes forces.— Il le faudrait pourtant, carissima Dolaine. » Cette nuit-

là, elle ne dormit pas; elle ne cessa de revivrela scène des bords de l'Arno et d'entendre la voix de la vieille

camérière. Oh! comment jouer le jeu de l'indifférence avec Pietro alors qu'elle avait tant de joie près de lui. Pourquoi devait-elle s'incliner devant Carlotta, parce que celle-ci était riche? La richesse avait-elle quelque chose à voir avec l'amitié?

Cependant, courageusement, le lendemain, quand Pietro l'invita pour une promenade sur la colline de Fiesole, d'où

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la vue est si belle sur la vallée, elle se força pour laisser comprendre au jeune Florentin qu'elle avait moins envie de sortir à cheval dans la campagne. Mais Pictro était au courant.

« Comment, s'écria-t-il, tu as peur de Carlotta? Je te croyais capable de plus de courage.

— La signorina Carlotta est très fâchée contre moi.— C'est tout le cas que tu fais de l'amitié que j'ai pour toi.

Vraiment, Dolaine, je te croyais fort différente... mais peut-être ne me pardonnes-tu pas de t'avoir dédaignée, aux premiers temps de mon retour à Florence. Tu oublies le beau jour où nous avons chevauché côte à côte, lors de la fête des Colombes. Moi je n'oublierai jamais combien tu étais gracieuse dans ta robe vénitienne. Ne pense pas à Carlotta, carissima Dolaine; je suis heureux de la savoir jalouse. »

Bouleversée, elle ne sut que répondre. Pietro paraissait si sincère, il lui montrait un visage si souriant qu'elle n'insista pas.

Les jours qui suivirent elle sortit encore avec lui, essayant d'oublier les menaces de Carlotta.

« Pietro est si gentil avec moi, confia-t-elle à Angela, je suis sûre qu'il me protégera.

— Carissima, soupira encore la vieille camérière, Pietro, en ce moment, se plaît surtout à se jouer de la signorina Carlotta. J'ai grand-peine à te dire ces choses cruelles, mais je crains que l'amitié qu'il t'avoue ne soit pas aussi profonde que tu le supposes. Et n'as-tu pas remarqué que la signora Ricci se montre moins avenante avec toi, depuis quelques jours?

— Je n'ai rien remarqué, Angela.— Et n'as-tu pas vu que la signorina Carlotta est venue

plusieurs fois, cette semaine, en cette demeure?— Que voulez-vous dire, Angela? »La vieille camérière prit les mains de la jeune fille et les

pressa dans les siennes.«Je veux te dire, Dolaine, que j'ai grand-peur pour toi.

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Jusqu'à ce jour la signora Ricci n'a pas voulu, ou pas osé, contrarier son fils mais je sens qu'elle est décidée, d'accord avec Carlotta, à te nuire.

— Elle veut me renvoyer?— Je ne sais au juste, mais méfie-toi, Dolaine. »La vieille camérière ne se trompait pas. Le bonheur de

Dolaine était fragile, très fragile.Un jour, la signora Ricci lui ayant demandé d'aller acheter

des fruits au vieux-marché, Dolaine partit, son mouchoir de soie noué sur la tête à la mode florentine, sa calebasse de paille tressée au bras. La place était animée, grouillante de monde.

Sous les arcades s'entassaient d'énormes paniers de fruits et de légumes qui sentaient bon le printemps. Il y avait aussi des marchands de cuir, d'étoffes de soie fraîchement teintes et des orfèvres. Malgré le grand soleil, ces derniers avaient installé leurs éventaires hors des arcades pour que les bijoux brillent de tout leurs feux, véritables miroirs aux alouettes.

Dolaine ne manquait jamais de venir rôder devant ces étalages merveilleux, admirant les bagues, les agrafes et surtout les colliers disposés avec art sur des tentures en velours noir de Florence. Oh ! ces colliers ! Combien de fois avait-elle rêvé d'en posséder un. Mais ils coûtaient très cher, et elle n'aurait jamais assez d'argent. Tous ces bijoux étaient disposés, à portée de la main, en plein vent, car la crainte de la prison était grande, les vols étaient rares dans cette ville qui regorgeait de richesses.

Elle s'attarda longuement, comme d'habitude, devant ces ornements, comparant l'éclat des colliers, se représentant, par la pensée, l'effet qu'ils pourraient produire à son cou. Soudain, comme elle levait les yeux pour regarder, un peu plus loin, deux orfèvres qui discutaient, elle crut reconnaître quelqu'un parmi les badauds. Non, elle ne se trompait pas, ce visage de jeune garçon elle l'avait déjà vu, c'était celui du frère de Carlotta. Que faisait ce Fabiano autour des éventaires d'orfèvrerie? Elle tressaillit. Mais aussitôt, se

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voyant découvert, Fabiano se glissa dans la foule, comme une anguille, et disparut.

Troublée, Dolaine s'éloigna de l'éventaire qu'elle contemplait puis, brusquement, elle secoua la tête.

« Oh! aurais-je peur de lui? »Elle se força à rire et revint près de la boutique admirer le

collier en cristal de Venise qui lui plaisait tant. Et même, elle s'y attarda, comme pour bien se prouver qu'elle ne craignait personne. Elle venait juste de le quitter quand, tout à coup, un cri partit dans la foule.

« Au larron! »Toutes les têtes se retournèrent pour voir qui avait crié.

Alertés par cet appel, les orfèvres jetèrent un rapide coup d'œil sur leurs éventaires. L'un d'eux s'écria à son tour : « Au larron!... au larron! »

Et tous les badauds, comme il était d'usage, reprirent :« Sus au larron ! »Alertés par ces cris, des hommes d'armes accoururent.« Que personne ne s'écarte ! »« Voyez, clamait un marchand en montrant une place vide

sur un coussinet, on vient sur l'heure de me dérober une agrafe en or, garnie de pierreries. »

Craignant d'être pris pour le larron, chacun des badauds se tenait immobile, ayant garde de s'enfuir.

« Ce voleur ne manquait pas d'audace, fit quelqu'un, près de Dolaine.

— Certes, approuva la jeune fille, il mériterait la corde. »Juste au moment où elle venait de faire cette réponse, un

homme d'armes s'approcha d'elle, lui ordonnant d'ouvrir sa calebasse.

« A votre gré, fit-elle en riant; elle est vide. »Elle en écarta vivement les deux poignées. Tout à coup, elle

blêmit. Au fond de la calebasse brillait l'agrafe volée.« Par la Pâques-Dieu, s'écria-t-elle, ce n'est pas moi, je n'ai

rien dérobé. »

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Mais, aussitôt, soulagée, la foule se retournait contre elle. « A la Seigneurie ! A la geôle ! »Des poings se levaient tandis que les injures pleuvaient.« Par la Madone, je le jure, ce n'est pas moi! »Les deux hommes d'armes s'emparèrent d'elle promptement.

Elle se débattit de toutes ses forces, mais sentit un anneau de corde se resserrer autour de ses poignets.

« A la Seigneurie ! A la geôle », continuait de gronder la foule.

Entre les hommes d'armes, elle traversa la place du vieux-marché. Par une petite porte bardée de fer et de serrures, pratiquée dans le flanc du palais, elle pénétra dans la Seigneurie. Des hallebardiers la poussèrent dans une salle presque nue pour y être interrogée.

« Ce n'est pas moi, protesta-t-elle de toutes ses iorces, quelqu'un a jeté l'agrafe dans ma calebasse. Je suis servante en la demeure du signer Ricci, consul des drapiers. Allez le trouver, il vous dira que je n'ai jamais rien dérobé. »

Malgré son indignation, malgré ses larmes, elle fut traînée dans un des nombreux cachots qui occupaient tout l'arrière du palais. Une lourde porte se referma sur elle en grinçant. Alors elle tomba à genoux, joignit les mains et implora le Ciel de venir à son secours.

« Ce n'est pas moi, je n'ai rien fait. »Sur le coup elle avait cru que le larron, au moment où

quelqu'un avait crié, s'était prestement débarrassé de l'agrafe en la jetant dans sa calebasse. Brusquement un soupçon lui vint, elle pensa à Fabiano, le frère de Carlotta, revit son air gêné quand elle l'avait découvert. Et n'était-ce pas lui qui avait crié « au larron! » avant de s'enfuir? Oui, c'était bien la même voix aigrelette. Toute cette machination avait été montée par Carlotta. C'était sa vengeance, la plus laide des vengeances, celle qui se cache. Oh ! non, c'était trop odieux.

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XI

LA BONNE ANGELA

ELLE resta longtemps ainsi, la tête appuyée contre la lourde porte de bois, espérant que quelqu'un allait venir et qu'elle pourrait crier la vérité.

« Pietro, Angela, suppliait-elle, vous savez bien que je n'ai rien fait de mal, venez à mon secours. »

Hélas! ses prières restaient sans écho. La geôle était étroite; à peine longue de dix pieds. Une seule fenêtre laissait entrer la lumière, mais si haut percée dans le mur qu'on n'apercevait qu'un morceau de ciel, par-dessus les toits. Un peu avant la tombée de la nuit, un garde fit grincer les serrures et apporta à manger à la prisonnière. Elle s'accrocha à lui pour lui expliquer ce qui s'était passé; l'homme la repoussa sans l'entendre et referma solidement la porte.

« Demain, pensa Dolaine, certainement demain quelqu’un viendra : la signera Ricci, ou Angela ou plutôt Pietro. Quand il saura qu'on m'a jetée en prison, il s'indignera et trouvera

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bien le moyen de m'en faire sortir. »Hélas! le lendemain ne lui apporta d'autres visites que celles

du geôlier. Elle le supplia encore d'aller prévenir la signora Ricci et son fils. Le garde secoua la tête en ricanant.

« Le consul des drapiers n'aime pas les larrons; sans doute trouve-t-il que tu es bien là où on t'a mise. »

Cette réponse la laissa effondrée. Aucune larme ne coula plus de ses yeux mais une peine immense emplit tout son être. Deux jours passèrent, deux jours effroyablement longs, interminables. Qu'allait-on faire d'elle? Elle savait qu'à Florence, le vol était un véritable crime puni du fouet et même, parfois, de la potence. Malgré tout, elle ne pouvait croire encore qu'on l'avait abandonnée. Pietro avait trop d'amitié pour elle, il allait la délivrer.

Les quatre murs si rapprochés de sa geôle l'étouffaient. Ah! si au moins elle avait pu apercevoir la ville, l'horizon des collines, l'air aurait été moins pesant à sa poitrine. Le rebord de la fenêtre était si haut que même en étendant le bras elle ne pouvait l'atteindre. Elle eut l'idée d'essayer, cependant, en entassant au pied du mur toute la paille de sa litière. Ainsi surélevée, elle réussit à s'agripper au rebord puis, d'une tension extrême de ses bras minces mais vigoureux, parvint à se hisser sur la corniche. D'en bas les barreaux de la fenêtre lui avaient paru assez rapprochés; elle constata avec surprise que sa tête et son corps pouvaient passer entre deux d'entre eux. Elle se pencha au-dehors. A perte de vue s'étendait la ville avec ses toits rosés, ses campaniles, ses dômes. Au-dessous d'elle, à plus de vingt-cinq pieds, une ruelle noyée d'ombre longeait les murailles épaisses de la prison.

Elle resta un long moment, accroupie, cramponnée aux barreaux, à respirer l'air doux du dehors. Chaque fois que quelqu'un passait, en bas, son cœur se mettait à battre. Tour à tour, elle croyait reconnaître le signor ou la signora Ricci, Angela ou Pietro. Mais non, que seraient-ils venus faire dans cette ruelle?

Le soir, quand, courbatue, brisée, elle redescendit dans

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sa prison, un violent désespoir la saisit. A la haine grandissante contre Carlotta qui montait en elle et l'étouffait, s'ajoutait la douleurv combien plus grande, d'être abandonnée par Pietro. Était-il donc vrai que pour la petite sauvage de l'île Saint-Jean le monde serait toujours hostile et injuste?

Le lendemain elle passa encore de longues heures pelotonnée sur sa corniche à attendre. A attendre quoi?... elle ne savait pas. Mais malgré son désespoir, elle ne pouvait croire que tout était fini.

Le quatrième soir, la nuit tombait, et elle était encore cramponnée à ses barreaux quand, dans la ruelle, une ombre passa, une ombre qui ne paraissait point pressée comme les autres et qui, de temps à autre, levait les yeux vers les hautes murailles. Tout à coup son cœur fit un grand bond. Elle venait de reconnaître Angela. Alors elle se pencha aussi avant qu'elle put, au risque de tomber. La vieille camérière l'aperçut. Vivement, Angela porta un doigt sur ses lèvres pour lui recommander le silence, tandis que, de l'autre main, elle faisait comprendre à Dolaine que des hommes d'armes se tenaient dans une salle toute proche, et qu'il fallait se méfier. Puis, s'étant assurée que personne ne la voyait, la camérière fit un geste avec ses doigts, un geste

qui imitait le tressage. Dolaine comprit qu'elle lui demandait e fabriquer, si elle le pouvait, un fil tressé qui leur permettrait de communiquer. Enfin, à mi-voix, Angela prononça un mot : domani (demain) et elle disparut aussitôt, car deux hommes d'armes, portant arquebuses, venaient d'apparaître au bout de la rue.

Redescendue dans sa cellule, Dolaine éprouva un étrange sentiment fait de soulagement et de déception. Pourquoi Angela était-elle venue au lieu de Pietro?

Cependant elle se mit au travail avec fièvre. Sous ses doigts habiles la paille de sa litière se transforma en une fine cordelette capable d'atteindre le pied de la haute muraille. Et elle attendit le lendemain avec une impatience folle. Elle aurait voulu pouvoir écrire, expliquer à Angela

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ce qui était arrivé, répéter qu'elle n'était point coupable, mais elle n'avait rien pour écrire.

Bien avant l'heure elle était de nouveau sur sa corniche. Quand le soir commença de jeter sa cendre grise sur les toits de la ville, elle s'inquiéta. La veille, Angela était venue plus tôt. Il faisait presque nuit quand, ' enfin, la camérière parut au bout de la ruelle. Elle longea sans bruit la muraille, puis, parvenue sous la fenêtre, fit un geste à Dolaine qui laissa descendre sa cordelette de paille. Très vite la camérière y attacha quelque chose puis elle disparut.

Au bout de la cordelette Dolaine trouva un petit rouleau de papier. Hélas ! la nuit était devenue très noire et, dans sa prison, elle n'avait pas de chandelle. Elle dut attendre jusqu'au lendemain, à la prime-aube, pour lire le contenu du message.

« Carissimma Dolaine, disait-il, j'ai vu hier soir que tu pouvais te glisser à travers les barreaux de ta geôle, je veux te sauver. Je reviendrai la prochaine nuit avec une corde assez longue et solide qui te permettra de fuir. Courage, Dolaine. »

Elle lut et relut plusieurs fois ce bref message, cherchant à deviner tout ce que la bonne Angela ne disait pas. Il n'était question ni de la signora Ricci, ni de Pietro. Un grand découragement l'envahit. A quoi bon chercher à fuir si elle ne pouvait plus compter sur aucune amitié? Mais Dolaine n'était pas de ces êtres qui se laissent longtemps abattre. D'ailleurs elle n'était pas seule. Malgré son âge, Angela était venue rôder autour de la prison et elle^ allait revenir, en pleine nuit.

Dès le soir tombé, après une journée qui lui parut interminable, elle monta sur sa corniche et attendit. De longues heures s'écoulèrent, angoissées. Une à une, les lumières s'éteignaient aux fenêtres de Florence. En bas, depuis longtemps la ruelle était déserte, noyée dans une ombre si épaisse qu'on n'y distinguait rien.

La ville dormait depuis longtemps quand, prêtant l'oreille, Dolaine perçut un léger bruit de pas, suivi d'un

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petit toussotement avertisseur. Elle laissa descendre sa cordelette qui lui sembla s'enfoncer dans un gouffre insondable.

« Angela, fit-elle à mi-voix, êtes-vous là? »Elle ne reçut aucune réponse mais quelques instants plus tard

elle sentit qu'à l'autre extrémité de la corde on attachait quelque chose. Dès qu'elle n'éprouva plus aucune secousse, elle remonta sa cordelette de paille et saisit le bout d'une grosse corde de chanvre. Fiévreusement elle attacha cette corde à celui des trois barreaux qui lui paraissait le plus solide et serra de toutes ses forces.

Cependant, au moment de se suspendre dans le vide, elle hésita. Ce grand trou noir qui s'ouvrait sous elle l'effrayait. Elle se raidit, ferma les yeux puis, courageusement, comme lorsqu'elle se jetait dans la Loire, elle saisit la corde et se laissa balancer le long de la muraille. Hélas! la geôle l'avait affaiblie, au bout de ses bras tendus, son corps paraissait effroyablement lourd; en penchant la tête elle n'apercevait pas encore la rue. Jamais elle n'arriverait au bout. Epuisée, les doigts déchirés, elle faillit lâcher prise. Elle toucha si durement le sol qu'elle chancela.

« Carissima, murmura Angela, en la relevant, j'ai cru moi aussi mourir de frayeur en te voyant descendre si vite. »

Puis, lui prenant la main, elle ajouta :« Vite, Dolaine, ne restons pas en ce lieu dangereux. »Elle l'entraîna hors de la ruelle. Malgré son âge, la vieille

camérière courait presque.« Où me conduisez-vous?— A quatre cents pieds d'ici, des maîtres d'œuvre

construisent un nouveau palais. Personne ne viendra te chercher là, car demain est dimanche, les ouvriers ne travailleront pas. »

Elles arrivèrent près du palais en construction. Malgré les échafaudages qui l'entouraient, il paraissait presque achevé. La pauvre Angela, à bout de souffle, s'effondra sur une marche de marbre.

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« Sauvée, murmura-t-elle, enfin je t'ai sauvée. Pauvre Dolaine !

— Oh! Angela, vous saviez que je n'avais rien fait de mal, que je n'avais pas volé?

Je ne le savais pas, mais j'en étais sûre. L'autre jour, quand la signora m'a appris qu'on t'avait enfermée au palais Vieux pour avoir dérobé une agrafe, je ne l'ai pas crue.

- Mais elle ... et Pietro?...— Je ne m'étais pas trompée quand je pressentais qu'il

t'arriverait malheur.— Vous ne leur avez pas dit que c'était une horrible

machination de Carlotta?— J'ai essayé de te défendre, on ne m'a pas écouté. J'ai

compris que tout le monde en la demeure du signor Ricci était heureux de ce qui t'arrivait.

Tout le monde?... même Pietro?— Tu es jeune, Dolaine, et tu as, sans t'en douter, un cœur

trop tendre. Tu as cru que l'amitié qui vous attirait l'un vers l'autre écarterait tous les obstacles.

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— Pietro, j'en suis sûre, n'aime pas Carlotta.— Sans doute, mais Pietro est de cette race florentine qui ne

prise rien autant que la fortune... et un jour, il épousera Carlotta parce qu'elle est la fille du consul des banquiers....

- Peut-être ne savait-il pas....— Il savait, Dolaine....— Alors, avec moi, il mentait?— Je ne crois pas; il était heureux de sortir avec toi mais on

lui a fait entendre raison. »Dolaine se tut, puis, se raidissant :« Alors à quoi me sert-il d'être libre, à présent? »Angela l'attira contre elle et caressa ses cheveux, doucement.« Carissima, je comprends ton grand chagrin, mais pour toi,

vois-tu, il est préférable que tes yeux s'ouvrent dès maintenant. »II y eut un long silence. La tête sur les genoux de la vieille

camérière, Dolaine laissa couler ses larmes. Elle se sentait redevenir sauvage, sauvage et méchante comme jamais encore elle ne l'avait été. Tout son corps en frémissait.

« Carissima Dolaine, répétait la vieille camérière, calme-toi... ne suis-je pas là. L'affection que je te porte est donc incapable de t'aider?

— Oh! si, Angela, murmura-t-elle, c'est vrai, je suis injuste. Vous avez tant fait pour moi, jusqu'à venir, en pleine nuit, me porter secours. Je vous demande grand pardon! Mais que vais-je devenir?

- A deux lieues de Florence, sur la route de Castello, je connais une maison amie où on t'accueillera. J'ai prévenu, on t'attend. Tu partiras tout à l'heure, avant l'aube, car lorsque le jour viendra et que les gardes apercevront la corde pendue hors de ta geôle on te recherchera. Tiens, je t'ai apporté ceci. »

Elle lui donna un petit paquet contenant des pâtisseries aux amandes, comme celles qu'elle avait mangées, près de la cheminée, le soir de Noël.

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Et la camérière ajouta :« A présent, il faut que je rentre. Il ne faut pas qu'on sache

que c'est moi qui t'ai aidée à fuir. Mais je ne t'oublierai pas, Dolaine, et je sais que, dans cette maison de Castello, tu seras bien. Adieu, Dolaine, malgré ce qui arrive, garde confiance en la vie; je suis sûre qu'un jour elle saura t'accorder le bonheur. »

Bouleversée, Dolaine resta blottie contre la vieille femme. Quand celle-ci se fut éloignée dans la nuit, elle revint s'asseoir sur les marches de marbre et, la tête dans les mains, pleura son désespoir.

Tous ses souvenirs lui revenaient. Depuis la fête des Colombes elle avait vécu dans une sorte de rêve, et tout s'effondrait d'un seul coup. Elle se revoyait en robe vénitienne, chevauchant une monture au harnais cousu d'or, elle se revoyait dans la campagne ensoleillée, galopant au côté de Pietro....

« Non, se dit-elle, ce n'est pas possible, si Pietro n'a rien fait c'est qu'il ne savait pas, on lui a mal raconté ce qui est arrivé. Carlotta a menti et il l'a crue. Mais quand il m'entendra.... »

Et peu à peu, l'idée de revoir Pietro, de lui parler une dernière fois, prit tant de force qu'elle fut incapable de la repousser.

Quand le petit jour commença de blanchir les murailles nues du palais, elle se leva et sortit, toute frissonnante du froid de la nuit. Son premier mouvement fut de se diriger de l'autre côté du fleuve vers la demeure de Pietro mais c'était trop risquer de se faire reconnaître. Tout à coup elle se souvint que presque chaque dimanche Pietro montait à la petite chapelle élevée au sommet de la colline de Fiesole. L'endroit était désert, plein de figuiers de Barbarie, elle pourrait aisément se cacher.

Alors elle sortit de la ville encore endormie et, par de petits sentiers tortueux, arriva sur la colline. De là-haut, on dominait toute la ville, ses tours, ses dômes, ses toits que le soleil du matin inondait de lumière. Elle s'assit à deux cents

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toises de la chapelle, dans l'ombre d'un figuier sauvage et attendit.

« Oh ! si Pietro venait avec Carlotta ! »Cette pensée la fit tressaillir. Une sorte de joie mauvaise

l'envahit. Elle se vit devant Carlotta, l'obligeant à avouer sa lâcheté odieuse. Au moins Pietro connaîtrait la vérité de la bouche même de celle qui avait tout osé pour l'écarter. Ce serait sa vengeance à elle Dolaine... et qui sait?...

Mais les heures passaient, et la colline restait déserte. Le soleil était déjà haut dans sa course. En bas les cloches de Santa Maria avaient déjà annoncé le grand office du dimanche.

Elle allait se lever pour regarder vers le sentier quand il lui sembla entendre le pas de chevaux, de deux chevaux. A travers les broussailles, elle reconnut les silhouettes de Pietro et de Carlotta. Vite elle chercha un endroit mieux caché mais tout proche de la chapelle et attendit, le cœur battant.

Bientôt les deux jeunes gens arrivèrent au sommet de la colline et mirent pied à terre près de la chapelle devant laquelle ils s'agenouillèrent pour une courte prière. Puis, se tournant vers la vallée et la ville, Pietro étendit le bras et dit à sa compagne :

« Jamais mes yeux ne se lasseront de ce paysage. Je suis venu une fois ici, avec Dolaine, elle m'a dit n'avoir jamais rien vu de plus beau.

— Encore Dolaine?... pourquoi toujours parler de cette petite servante? Laisse-la donc où elle est. N'es-tu pas tranquille à présent?

— Non, Carlotta, ce que tu as fait est mal. Tu n'avais pas le droit de la faire jeter en prison.

— Elle n'était qu'une servante sans argent et sans grâce.— Non, Carlotta, pas sans grâce.- Alors pourquoi n'as-tu rien fait pour la faire sortir de la

prison de la Seigneurie?

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— Ne crois pas cela, Carlotta. J'avais assez d'amitié pour elle pour être malheureux de ce que tu as fait. A cette heure, Dolaine doit être hors de Florence.

— Que dis-tu?— Que quelqu'un m'a aidé à la faire sortir de sa geôle. Ne

m'en demande pas davantage, tu ne sauras rien de plus.— Et elle va revenir vivre en ta demeure?— Rassure-toi. Ni toi ni moi ne la reverrons jamais chez le

signor Ricci, mon père. Dolaine est morte pour moi, car je suis le fils du consul des drapiers, et elle ne sera toujours qu'une petite servante mais son souvenir restera longtemps en ma mémoire, et ce n'est pas toi, Carlotta, qui l'en détachera. »

II y eut un long silence. Puis les deux jeunes gens se remirent en selle et redescendirent la colline.

Derrière son figuier, Dolaine n'avait pas bougé. Ainsi c'était Pietro qui avait envoyé la vieille Angela la délivrer. Ainsi il avait souffert de la savoir en prison et c'était lui qui avait trouvé pour elle cet asile où la camérière lui avait dit de se rendre?

Elle avait juré de se jeter à la face de Carlotta et, brusquement, les paroles de Pietro l'avaient paralysée. Il avait pensé à elle, il y pensait encore... mais....

Tremblante, toute pâle, elle se leva, regarda au loin les deux cavaliers qui redescendaient vers Florence, vers la belle ville aux palais de marbre, aux statues couvertes d'or.

« Oui, fit-elle en pleurant, c'est bien ainsi, le rêve était trop beau pour une petite servante comme moi, et l'amitié de Pietro moins grande que mon cœur ne le désirait. »

Alors, à son tour, elle s'agenouilla devant la petite chapelle puis, se tournant encore une fois vers la ville, elle murmura :

« Adieu, Florence, Dolaine ne restera ni en tes murs ni dans ta campagne... son cœur y serait trop malheureux. »

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XII

OU VAS-TU, DOLAINE?

LA CHALEUR était grande. Du ciel embrasé tombaient des rayons brûlants. Dans le coche, recouvert d'une toile tendue sur des arceaux, on étouffait. Les voyageurs se passaient des gourdes de vin et buvaient à la régalade, sans arriver à étancher leur soif. C'étaient pour la plupart des marchands qui allaient vendre leurs étoffes, leurs velours, leurs soies de Florence dans les pays du nord, la Saxe, la Bohême et la Prusse.

Dolaine les avait rencontrés sur la route à trois lieues de Florence, alors que, fatiguée, rongée par le chagrin, elle se reposait à l'ombre d'un cyprès. Elle leur avait demandé s'ils pouvaient lui faire place parmi eux. « Où vas-tu donc, poverella?

— Vers le pays de France.

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— En France? Poverella, tes jambes seront usées avant d'atteindre l'Alpe. Monte, tu parais aussi légère qu'une biche, tu ne chargeras guère notre équipage. »

Ainsi, depuis deux jours, elle voyageait en compagnie de ces marchands parmi d'énormes ballots d'étoffes. Ces hommes étaient vulgaires et grossiers de langage, cependant ils avaient bon cœur et se montraient avenants avec Dolaine.

Comme le coche atteignait le sommet d'une côte d'où la vue s'étendait fort loin, la jeune fille demanda :

« Est-ce bientôt que le char passera près de Fornara.— Ce soir, quand nous traverserons Ombria tu n'en seras

qu'à trois ou quatre lieues... mais pourquoi t'arrêter? Nous pourrions te laisser dans quelques jours plus près de ton pays.

— Mon père repose au campo santo de Fornara, je veux revoir sa tombe.

— Ton tort est grand. Tu n'auras peut-être pas la chance de rencontrer un autre coche qui accepte de te prendre.

- Cela ne fait rien. Il faut que je me rende là-bas. »Le soir même le lourd coche arrivait à Ombria, petiteville bâtie à flanc de colline, à l'entrée d'une grande plaine.Malgré les protestations des marchands qui l'auraientvolontiers gardée, elle descendit de voiture.La nuit était proche; elle entra dans la ville qui lui parut toute

petite et beaucoup moins belle que Florence. Fatiguée par cette chaude journée d'été, elle entra dans une église. Dans la grande nef sombre il faisait frais. Elle s'avança à pas lents et s'arrêta au pied d'une Madone de marbre blanc qui étendait les bras comme pour l'accueillir.

Depuis qu'elle avait quitté Florence, toutes sortes de pensées s'étaient mêlées dans sa tête. Tandis que le coche s'éloignait de la grande ville, cheminant lentement sur les routes blanches de poussière, elle avait eu le temps de revivre les longues semaines passées là-bas. Tour à tour elle s'était revue mendiant à la porte des églises, paradant au côté de Pietro ou gémissant dans son cachot. Pas un seul instant elle n'avait songé à descendre de la

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voiture pour revenir vers ce qui était passé, vers la ville aux mille attraits. Mais à présent, qu'allait-elle devenir?

« Madonna, implora-t-elle, faites que demain, sur la tombe de mon père, j'entende sa voix me donner conseil. Dans mon pays on dit que sept lunes après sa mort un être cher peut secrètement aider celui qui revient prier sur sa tombe. Il y a sept lunes que père Jérôme n'est plus, alors, Madonna, dites-lui qu'il vienne à mon secours, comme autrefois, quand j'étais une petite fille. »

Dans l'église, peu à peu, l'ombre noyait les piliers et les statues. Epuisée, Dolaine se laissa tomber sur un banc et s'endormit.

Le lendemain, quand elle s'éveilla, les vitraux des ogives projetaient sur les dalles de merveilleuses mosaïques de lumière. Dolaine se leva, remercia la Madone de lui avoir accordé un long sommeil et se remit en route.

A la fin de la vesprée elle atteignait Fornara qu'elle reconnut de loin à son campanile bas et trapu, ses maisons blanches serrées les unes contre les autres. Elle monta tout droit au campo santo et chercha la tombe de père Jérôme. De loin, elle découvrit la petite croix qu'elle avait elle-même plantée avant de partir. En s'approchant, elle tressaillit. Au pied de la tombe, dans un pot de terre cuite, il y avait des fleurs. Certainement elles n'avaient pas été déposées là depuis longtemps, car elles n'étaient pas entièrement fanées, et la poterie contenait encore de l'eau. Qui donc était venu se recueillir sur la tombe du tailleur de pierres?

Elle courut à l'auberge où son père était mort. En la reconnaissant, la femme du tavernier leva les bras.

« Poverella ! tu arrives trop tard. Le moine Fra Angelo et ses compagnons sont repassés voici huit jours. Ils ont dormi une nuit ici. A cette heure ils doivent avoir franchi l'Alpe.

— Huit jours, répéta Dolaine en secouant la tête, je ne pourrai les rejoindre. »

Son cœur était lourd, et elle avait grand envie de pleurer, mais elle se retint.

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« Est-ce le moine qui a déposé des fleurs sur la tombe de mon père au cimetière?

— Je ne suis pas allée au campo santo depuis longtemps mais, assurément, ce ne peut être que lui. Il s'est d'ailleurs grandement inquiété de toi et même il t'a laissé un message au cas où tu repasserais ici. »

La femme du tavernier fouilla dans un coffre et en retira un papier qu'elle remit à Dolaine.

« J'apprends avec grande tristesse, à mon retour vers la France, que Jérôme Parce n'est plus. Le tavernier m'a dit, qu'après sa mort, tu es partie seule vers la Toscane. Hélas! tu as dû y arriver après notre départ. Si un jour tu repasses à Fornara et si tu te trouves dans l'embarras, tu pourras trouver aide et secours à Milan. Tu frapperas au couvent de Sainte-Marie-des-Grâces et demanderas à voir le moine Fra Giocondo. Ce peintre me rend l'amitié que j'ai pour lui. Quand il saura que c'est moi qui t'envoie, il cherchera une troupe qui pourrait te prendre pour rentrer au pays de France.

« Fra Angelo. »

Dolaine relut le message, tout émue. Ainsi Fra Angelo ne l'avait pas oubliée. C'était lui qui avait pensé à fleurir la tombe de père Jérôme.

« A Milan, se dit-elle, il faudrait que je me rende à Milan. »Comme il était tard, la femme du tavernier l'envoya coucher

avec la servante, dans la soupente de l'auberge. Le lendemain, de grand matin, elle remonta au campo santo, apportant une grande brassée de fleurs des champs.

Elle resta longtemps, silencieuse, agenouillée devant la tombe. Il lui semblait que tout à coup, père Jérôme allait lui apparaître, lui parler.

« Père Jérôme, il y a sept lunes passées que tu m'as quittée, j'ai été malheureuse et à présent je ne sais que devenir. Dis-moi si je dois revenir en France. Quand je pense à Amboise, une grande

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peur me serre le cœur... et pourtant, là-bas il y a Guillaume. A Florence, quand je chevauchais dans la campagne avec Pietro, mes pensées allaient souvent vers lui. Il me semble que lui seul me donne une vraie amitié. Est-ce que je me trompe? Dis-moi, père Jérôme, ressemble-t-il à Pietro? Oh! non, je ne peux pas croire que l'argent, les titres comptent pour lui plus que tout. »

La tête penchée, elle parlait à mi-voix, s'interrompant comme pour attendre des réponses à ses questions. Sa prière finie, elle se releva, regarda les tombes voisines. Celle de droite portait ce prénom : Giuseppe et celle de gauche : Giorgio. Les deux initiales étaient grandes, grossièrement peintes à larges coups de pinceau. Tout à coup, Dolaine tressaillit. Elle ne vit plus que ces deux « G ». Il lui sembla que si leur dessin en était si grand ce n'était pas par hasard.

« Guillaume, murmura-t-elle, le nom de Guillaume commence aussi par cette lettre. Dis-moi, père Jérôme, dois-je aller vers lui? »

Le tailleur de pierres resta muet dans sa tombe mais, pour Dolaine, cette lettre qui la fascinait était la réponse. Quand elle quitta le cimetière, sa décision était prise. Elle partirait pour Milan, irait trouver le moine ami de Fra Angelo et chercherait à rentrer en France.

Le surlendemain elle quittait le village de Fornara.

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Un voyageur que le tavernier connaissait la prit en croupe sur son cheval. Deux jours plus tard elle arrivait à Milan.

La ville était moins somptueuse que Florence et toute plate. Dolaine se rendit aussitôt au couvent de Sainte-Marie-des-Grâces et demanda le moine Fra Giocondo.

« Hélas! lui répondit-on, Fra Giocondo vient de partir pour Rome, rejoindre son maître Vinci. Qui t'a recommandée à lui?

— Le moine Fra Angelo qui vient de rentrer en France.— En effet, ce nom n'est pas inconnu en Milanais.— Je voudrais tant rentrer en France moi aussi.— Cela sera peut-être aisé. Le nouveau roi de France aime

les artistes de notre pays et il se pourrait....— Le nouveau roi de France?— Comment, tu ne sais pas?— J'ai quitté la France depuis longtemps, je ne sais rien.— Louis le douzième est mort, et le nouveau roi de ton

pays porte le nom de François Ier. On dit même qu'il ne tardera pas à venir guerroyer en Italie, car à cette heure il rassemble une grande armée en Dauphiné. »

La nouvelle étonna grandement Dolaine. La porte du couvent refermée devant elle, elle s'éloigna et réfléchit. Guillaume ne lui avait-il pas dit son désir de porter les armes du roi de France? Oh! si à cette heure il était en route pour l'Italie!

Bouleversée, elle erra dans les rues, ne sachant où elle allait. Elle arriva sur une grande place au bout de laquelle s'élevaient d'immenses échafaudages où les maçons paraissaient de minuscules fourmis. Elle s'approcha. Au pied de l'église en construction, un maître d'œuvre, ciseau en main, sculptait un saint dans une niche. L'homme ressemblait à père Jérôme, peut-être simplement parce qu'il faisait semblable travail.

« Cela t'intéresse? fit l'homme en voyant cette jeune fille qui le regardait avec insistance.

— Mon père travaillait la pierre comme vous.

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— A Milan?— En France... mais il est mort. Laissez-moi vous

regarder, voulez-vous ? »L'homme resta un instant, ciseau en main, à examiner cette

petite étrangère à l'air triste puis il se remit à la besogne. Dolaine restait toujours là.

« Qu'attends-tu pour rentrer chez toi?— Je n'ai pas de chez-moi.— Où vas-tu dormir la nuit prochaine?— Je trouverai bien quelque endroit autour de cette église,

quand les ouvriers auront quitté la place. »L'homme se remit encore au travail. Mais au bout d'un

moment il dit :« Si tu le veux, tu peux venir en ma demeure ; je ne suis pas

riche mais pour un soir ou deux ma femme te donnera une couchette et tu partageras notre bouillie de maïs. »

Dolaine commença par refuser. L'homme paraissait si pauvre qu'elle se sentait gênée mais elle était si lasse.

« Pour une nuit, dit-elle, seulement pour une nuit. »Quand la cloche sonna la « cesse » du travail, elle le suivit.

L'homme habitait une maison toute basse et vieille. Dans la soupente, la chaleur était étouffante. Vers le milieu de la nuit, ne pouvant trouver le sommeil, elle se leva sans bruit et sortit. Elle retrouva sans peine la grande place et les échafaudages. Alors elle s'étendit contre un mur et laissa courir ses pensées. Il lui semblait être revenue à Florence, au temps où elle mendiait dans les rues. Elle revit encore Pietro puis Guillaume. Et tout à coup elle ne sut plus si elle était éveillée ou si elle rêvait. Elle voyait Guillaume et Pietro s'affrontant à cheval, armés de lances. Guillaume, plus grand et plus fort, terrassait Pietro et, sautant à bas de son cheval, courait vers elle pour l'emporter.

Elle se réveilla en nage d'avoir suivi avec passion la lutte des deux cavaliers. Hélas! elle était seule dans une grande ville inconnue, et personne ne saurait lui dire où était Guillaume.

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XIII

GUILLAUME, OÙ ES-TU?

LA CHALEUR était lourde, orageuse. Dolaine s'arrêta déposa son panier de chandelles, s'essuya le front et s'assit sur une marche. Le pigeon qui se tenait perché sur son épaule étendit ses ailes, décrivit deux longues courbes gracieuses et vint se poser devant elle. « Tu restes mon seul compagnon, fit-elle en effleurant du bout des doigts le dos soyeux de l'oiseau, pourquoi me suis-tu toujours ainsi tandis que je vais porter mes chandelles?»

Ce pigeon étrange ne ressemblait pas à ceux qui vivaient à Milan. Son bec, l'extrémité de ses ailes, avaient la couleur du corail, et son duvet était d'une finesse extraordinaire. Elle l'avait rencontré sur la place de la Santa Croce. Mêlé aux innombrables pigeons sauvages qui hantaient cette place, il s'était tout de suite

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montré le plus hardi, le plus caressant et, bien qu'elle n'eût pas grand-chose à lui offrir, il ne l'avait plus quittée. Cet attachement

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était même si fort que le jour où le compatissant ciseleur de pierres avait trouvé à la petite Française ce travail chez un marchand de chandelles, le pigeon aux ailes rosés l'avait encore suivie.

Sur la marche fraîche, à l'ombre d'un grand pan de mur, l'air était respirable. Mais le panier était encore presque plein. Plus de vingt maisons à visiter avant de rentrer chez ces gens qui ne l'aimaient guère et ne pensaient qu'à la faire travailler le plus possible en simple échange du gîte et de la nourriture.

« Oh! soupira Dolaine, pourquoi ai-je choisi de rester en cette ville au lieu d'accepter, il y a dix jours, l'offre de ces marchands qui allaient en France? Pourquoi croire que Guillaume est en route pour l'Italie? Certes, on dit que notre roi se prépare à envahir le Milanais mais est-ce pour bientôt... et Guillaume l'accompagne-t-il? »

Ainsi chaque matin elle s'éveillait avec l'espoir d'apprendre quelque chose de nouveau, et chaque soir lui apportait la même déception.

« Allons, Ucello, fit-elle, ne musons pas davantage. Regarde tous ces paquets de chandelles. Ah! si tu pouvais m'aider, les prendre sous ton aile, les déposer sur les balcons des clients du signor Muraccio, comme nous aurions vite fait! »

En entendant le nom que Dolaine lui avait donné et qui voulait dire tout simplement « oiseau » en italien, le pigeon regarda la jeune fille, se dandina autour d'elle, puis revint se percher sur son épaule. Dolaine se leva et se remit en route.

Que de maisons avait-elle déjà visitées dans la ville ! Elle connaissait presque toutes les belles demeures... car les chandelles du signor Muraccio étaient de belles et bonnes chandelles, coûtant cher, des chandelles parfumées comme celles de Florence, qui fondaient lentement, sans faire de taches, sans répandre cette détestable odeur de graisse qui vous prenait à la gorge, le soir, quand on pénétrait dans les maisons pauvres.

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« Tiens! se dit-elle tout à coup en regardant sa tablette en pierre d'ardoise sur laquelle elle inscrivait les clients, voici un nouveau nom. »

Elle lut tout haut : Signora Beraldini, piazza San Giovanni. Elle s'arrêta pour réfléchir. Où donc se trouvait cette place? Ah! oui, au bout de la ville, cette belle piazza, bordée de platanes. Pourquoi le signor Muraccio lui laissait-il toutes les longues courses? Certes il le faisait exprès. Il préférait garder le travail facile pour sa propre fille pourtant plus âgée et plus robuste que Dolaine.

« Tant pis, se dit-elle, en secouant sa chevelure comme chaque fois qu'elle sentait monter l'amertume en elle, cela vaut mieux que de mendier comme à Florence... et au moins je suis sûre de ne pas rencontrer un nouveau Pietro. »

Courageusement, changeant de bras tous les cent pas son panier de chandelles, elle repart, débouche enfin sur la place San Giovanni où presque toutes les maisons possèdent balcons et loggias. Au moment où elle soulève le marteau à la porte de signera Beraldini elle s'étonne :

« Tiens! pourquoi Ucello vient-il de s'envoler pour se percher sur le balcon alors que de coutume, quand je heurte une porte, il reste sagement sur mon épaule. Allons! Ucello, redescends vite! »

L'oiseau obéit mais il paraît agité, inquiet, pousse de brefs gloussements et passe d'une épaule à l'autre, prêt à s'enfuir. Mais voici que la porte s'ouvre, une vieille dame apparaît.

« Signora, je vous apporte les chandelles dont vous avez fait commande au signor Muraccio. »

Mais à son grand étonnement, au lieu de prendre le paquet qu'elle lui tend, la vieille femme a un cri de surprise.

« Mon aracia! »

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Au même instant, le pigeon quitte l'épaule de Dolaine pour se poser sur celle de la signera puis revient vers la jeune fille, cherchant à se cacher la tête dans la blonde chevelure.

« Où as-tu pris cet oiseau? demande vivement la vieille dame.— Je ne l'ai point pris, signora.— Alors, où Pas-tu trouvé?— A l'endroit où se réunissent tous les pigeons de la ville,

sur la place de la Sainte-Croix. Voici plus de quinze jours qu'il ne me quitte pas.

— Cet oiseau m'appartient. Il s'est enfui un jour qu'un chien a failli le dévorer dans la rue. Je ne me consolais pas de sa perte. Rends-le-moi, je te donnerai ce que tu voudras.

— Grand merci, je n'ai besoin de rien... mais j'ai crainte que l'oiseau ne veuille pas me quitter. Voyez comme nous sommes amis. »

La signora regarda avec curiosité cette jeune fille qui parlait le milanais avec un accent étranger, dont la robe bien taillée et ajustée était seyante, et qui, cependant, colportait des chandelles comme une gueuse.

« Entre en ma demeure, dit-elle, tu me conteras comment tu as trouvé et apprivoisé mon aracia. »

Dolaine hésita; elle avait encore beaucoup de chandelles

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à livrer. Cependant cette vieille dame avait un doux visage qui lui rappelait celui d'Angela. Elle la suivit. Toujours perché sur son épaule, Ucello paraissait heureux de retrouver des lieux familiers. La maison était vaste et beaucoup plus luxueuse que ne le laissait présager l'extérieur. Des meubles étranges, des objets inconnus l'ornaient.

« Prends ce siège et conte-moi », dit la vieille dame.L'air paisible, la voix douce mirent tout de suite Dolaine en

confiance. Elle raconta comment un matin, le pigeon aux ailes de corail s'était approché d'elle et laissé caresser.

« Cela m'étonne grandement, fit la vieille dame, il ne se laissait prendre par personne. Sans doute a-t-il tout de suite compris que tu ne lui voulais aucun mal. C'est un oiseau d'une intelligence extrême. Il me vient de mon mari qui me l'a rapporté des pays d'Orient, voici près de dix années. Mon mari était marin, il est mort de la fièvre jaune à bord de sa caravelle. Cet oiseau ne le quittait jamais. Un des matelots de la caravelle me l'a rapporté tout exprès à Milan. Tu comprends pourquoi j'y tiens tant.

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— Oui, signora, je comprends. S'il veut bien me quitter, je vous le rends.

— Grand merci, mon enfant... mais toi, qui es-tu? Que puis-je faire pour ton plaisir?

— Rien, signora.- Assurément tu n'es pas Milanaise, d'où viens-tu? »Dolaine baissa la tête et ne répondit pas. A quoi bon encore

parler de ses maheurs; elle n'était plus une petite fille. N'était-elle pas libre puisqu'on lui donnait gîte et nourriture en échange de son travail?

Cependant, une force irrésistible la poussait. Cette vieille dame ressemblait trop à Angela, et la camérière de Florence avait été si bonne pour elle.

Alors elle se mit à parler, à raconter son enfance, son départ pour l'Italie, la mort de père Jérôme, son séjour à Florence, mais par pudeur, pas une seule fois elle ne prononça le nom de Pietro ou celui de Guillaume. Quand elle

eut fini, la signora la regarda longuement en lui souriant doucement et dit :

« Et maintenant, poverella, que comptes-tu faire? vendre des chandelles comme le dernier des gueux n'est pas une occupation pour toi. Ne songes-tu point à retourner en ton pays? »

Dolaine ne répondit pas et détourna son regard pour ne pas montrer ses yeux brillants. La vieille dame lui prit la main :_

« Écoute, mon enfant, ainsi que tu le vois, je suis seule. Jusqu'ici j'ai toujours écarté valets et servantes pour mieux vivre de mes souvenirs, mais je vieillis et j'ai besoin de quelqu'un pour m'aider, de quelqu'un en qui je pourrais mettre toute ma confiance. Ton franc regard m'indique que je fais bien en te demandant de rester avec moi. Je ne te considérerai point comme une simple servante mais comme une jeune compagne. Acceptes-tu? »

Dolaine hésita. Elle pensait trop à la demeure du consul. Mais pourquoi pareille crainte? La vieille dame était seule, plus douce que la signora Ricci, et elle ne rencontrerait jamais un Pietro dans cette demeure.

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« Oui, je veux bien », soupira-t-elle.C'est ainsi qu'elle entra au service de la signora Beral-dini

dès le lendemain. Elle ne le regretta pas. La vieille dame était aussi douce qu'elle s'était montrée le premier jour et, ainsi qu'elle l'avait dit, elle ne considéra pas la petite Française comme une simple servante.

Le matin, Dolaine allait faire les achats dans la ville. Pendant la vesprée elle accompagnait la signora dans sa promenade. Le travail était simple, car sa maîtresse n'était point exigeante malgré son âge et sa richesse. Quand Dolaine parlait de Florence la vieille dame disait :

« Oui, je connais la Toscane. Florence est sans doute la plus belle ville du monde, mais sa richesse l'a perdue. On n'y cultive plus que l'argent et les honneurs. Je suis bien aise pour toi que tu l'aies quittée. »

Plusieurs semaines passèrent. Le grand été commençaità décliner. Le soir, on allumait plus tôt les chandelles. Après

le grand soulagement éprouvé en s'installant chez la signora Beraldini, Dolaine ressentait à présent une sorte d'ennui, de tristesse qui lui faisaient paraître interminables les journées pourtant plus courtes.

« Madonna, soupira un jour sa maîtresse, est-ce que tu commencerais à languir? certes la compagnie d'une vieille femme n'est pas toujours gaie, mais demande-moi ce qui te ferait plaisir.

— Grand merci, signora, je n'ai besoin de rien. Je suis bien chez vous, je n'ai point envie de partir. »

C'était vrai, elle n'avait pas envie de partir, mais elle pensait trop à Guillaume. Depuis plus de deux mois, on disait que le roi de France allait entrer en Italie. Pourquoi tardait-il tant? Et s'il arrivait avec son armée, Guillaume serait-il avec elle?

Chaque matin en allant au marché, elle essayait d'écouter les conversations des badauds, espérant apprendre quelque chose. Enfin, un des derniers jours du mois d'août, le bruit courut que le roi de France venait de traverser l'Alpe avec toute une grande armée par le passage de Lar-gentière au lieu du Montgenèvre où

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les Autrichiens et les Suisses supposaient qu'il passerait. Dolaine en fut bouleversée. Le lendemain et les jours suivants, elle ne tint plus en place. Pour un petit achat, pour un rien, elle s'attardait dans les rues où toutes sortes de nouvelles circulaient : le roi de France amenait en Italie plus de deux cents bombardes ou couleuvrines, la bataille aurait lieu dans la plaine du Pô, peut-être, même, aux alentours de Milan. Craignant le sac de leur ville, des gens tombaient à genoux, dans les rues, pour d'interminables prières. D'autres, au contraire, s'écriaient :

« Quand Louis le douzième est venu en ce pays, qu'avons-nous perdus? On dit que le nouveau roi prise fort les belles choses, s'il entre à Milan nous lui vendrons bon prix nos étoffes de soie. »

En quelques jours, la ville entra en grand « bouillonnement».

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Dans les rues passaient des cavaliers, surtout des Suisses, curieusement vêtus de pourpoints à trois couleurs, coiffés d'une toque rouge et portant leur morion sur le côté, suspendu à une lanière de cuir. C'étaient de bons soldats, mais à Milan on ne les aimait guère. Ils étaient des gens du nord, leur langue était rude; on disait qu'en parlant ils s'écorchaient la gorge. De la fenêtre de la signora Beraldini, Dolaine voyait passer leurs « cornettes » — leurs compagnies — portant lance ou arquebuse. Ces défilés l'impressionnaient. Elle ne cessait de penser à Guillaume, elle le voyait entouré de toutes ces lances et, sans même savoir s'il accompagnait le roi, elle tremblait d'avance pour lui. « Dolaine, lui dit la signora, je te vois toute bouleversée comme si toi-même tu allais partir à la guerre.

— Oh! non, je n'ai point peur. »Quelques jours plus tard, on apprenait que l'armée du roi de

France suivait l'autre rive du Pô et semblait se diriger vers Pavie, se préparant sans doute à attaquer Milan par le sud.

« Par le sud, pensèrent les Milanais, on voit bien que ce nouveau roi n'a aucune expérience. Sa cavalerie s'embourbera dans les marais, et les Suisses la réduiront en pièces. »

Enfin un matin, alors qu'elle traversait la place Santa Croce, Dolaine apprit que depuis la prime-aube une grande bataille avait commencé. Les ouvriers, descendus de leurs échafaudages, disaient même :

« Ecoutez ! on entend la canonnade ! »Et c'était vrai. Par instants, dominant la rumeur de la foule,

on entendait de longs coups sourds, comme de lointains roulements de tonnerre. La ville avait l'air d'une fourmilière où on aurait mis le feu.

« Madonna, s'écria la signora Beraldini en voyant rentrer Dolaine toute pâle, que t'arrive-t-il?

— La bataille!... elle est commencée, dans la plaine, du côté de Pavie. On entend même la canonnade.

— Rassure-toi, poverella; à Milan nous ne craignons rien. »

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Dolaine resta un long moment penchée au balcon. Dans les rues, l'agitation était incroyable. Aux badauds se mêlaient des troupes de Suisses qui se dirigeaient vers le sud.

« Mon Dieu, pensa Dolaine, si Guillaume était là-bas, s'il allait recevoir une mauvaise blessure ou même être tué! »

Après avoir tant désiré qu'il vînt en Italie, elle sentit une folle angoisse lui broyer le cœur. Alors, tout d'un coup, redevenue la folle petite sauvage qui se jetait sans peur dans la Loire, qui partait toute seule, à cheval, sur les grandes routes, elle sortit.

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XIV

LES MARAIS DE MARIGNAN

DEHORS, elle se mêle aussitôt à la foule, cherchant à savoir ce qui se passe, là-bas, du côté d'où vient le grondement des canons. A plusieurs reprises, elle entend prononcer le nom de Marignan. « Marignan, demande-t-elle, est-ce loin? — A quatre ou cinq lieues, sur la route de Pavie. » Quatre ou cinq lieues, le chemin est trop long pour le faire à pied. Et pourtant, irrésistiblement, Dolaine se sent attirée vers ce pays, où, depuis l'aube, le roi de France et ses chevaliers se battent contre les Suisses et les Autrichiens. Se rendant à peine compte de ce qu'elle fait, elle quitte la ville et se trouve dans la campagne. De lourds chars circulent sur la route, traînés par deux, trois ou même quatre chevaux. Elle demande à un homme d'armes de la laisser monter.

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« Holà! ma belle, ne sais-tu pas où nous allons?... tu ferais mieux de rentrer au plus vite à Milan. »

Elle laisse plusieurs chars passer, mais son envie est trop forte. Avisant une sorte de coche recouvert d'une toile qui cache les conducteurs de chevaux, elle s'élance et se cache derrière des sacs. Elle parcourt ainsi deux bonnes lieues avant d'arriver à un village où le char s'arrête. Elle s'échappe de sa cachette. C'est un tout petit village qui ressemble à Fornara. Tous les manants sont dehors. Devant une madone de plâtre placée dans une niche au-dessus d'un porche, plus de cinquante femmes et enfants prient, se lamentant, gémissant, se demandant si la bataille ne va pas s'étendre jusque-là, ravager champs et maisons. En effet, la canonnade paraît si proche que les murs en tremblent.

« Mon Dieu, répète le chœur des prieuses, faites que les Suisses repoussent promptement les Français. »

« Mon Dieu, pense Dolaine qui s'est jointe à elles, faites que les Français repoussent les Suisses et que Guillaume soit épargné.»

Effrayée, à présent, elle n'ose s'aventurer plus loin. De temps à autre, passe un cavalier qui, au grand galop, va porter des nouvelles à Milan. La gendarmerie du roi de France a, paraît-il, subi grand dommage, et la bataille est aux mains des Suisses.

Cependant le soleil commence à descendre vers le couchant et la mêlée dure toujours. Avec la nuit qui arrive, la canonnade faiblit. Enhardie par cette accalmie, Dolaine quitte le village. Elle marche un long moment à travers champs, s'enfonçant parfois jusqu'aux chevilles dans la terre bourbeuse. Et tout à coup, en parvenant sur une sorte de levée qui borde une petite rivière, elle découvre toute la plaine. Son cœur se met à battre.

« La bataille! »Dans la nuit tombante, ces fourmis qui courent dans la

plaine, est-ce que ce sont les soldats du roi de France ? Non, les Suisses, il lui semble distinguer leurs pourpoints bariolés.. et ces chevaux qui galopent, serrés les uns contre les autres... et ces cris qui lui parviennent confus et sourds... et ces flocons

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blancs, là-bas, à droite-main. Ah! oui, les canons! Est-ce cela une bataille ?

Elle demeure un long moment sur ce tertre, jusqu'à ce que la nuit épaisse envahisse les immenses marais. Alors un lourd silence, lugubre, angoissant s'étend sur la plaine. La peur s'empare de la jeune fille; la peur du silence, la peur de la nuit. Elle a l'impression d'être au bord d'un gigantesque cimetière où les morts, au lieu de reposer paisiblement dans des tombes, gisent sur le sol mêlés aux agonisants.

« O Guillaume, murmure-t-elle en joignant les mains, es-tu là, devant moi, dans cette nuit épaisse?... peut-être appelles-tu à l'aide, blessé, dans quelque fossé? »

N'y tenant plus, elle s'avance, lentement d'abord, puis oubliant sa peur, elle allonge le pas, se met à courir là-bas, vers la gauche, où il lui semblait avoir vu l'armée du roi de France.

Elle marche.... Elle marche à travers des terrains détrempés, se couvrant de boue, mêlant sa sueur à l'eau fangeuse des ruisseaux. Elle marche toujours, ivre de peur, sursautant chaque fois que son pied heurte un obstacle qui pourrait bien être un cadavre. Elle marche jusqu'à tomber épuisée au bord d'un fossé. Le lourd silence du champ de bataille endormi lui serre la poitrine à la broyer. Tout à coup, une ombre surgit devant elle, une ombre immense, gigantesque, qui s'approche. Elle pousse un cri. L'ombre s'éloigne un instant puis revient. Dolaine sent un souffle chaud passer sur son visage. Ses yeux effrayés reconnaissent la tête d'un cheval. Alors elle se redresse, se lève. Le cheval ne s'éloigne pas, au contraire. Il reste devant elle comme s'il attendait. Son front porte encore la têtière de fer et le « bravet » mais sa selle est à demi arrachée, et il a perdu ses étriers. Sans doute l'homme qu'il portait gît-il près de là, tué d'un coup de lance ou d'arquebuse.

Pour fuir sa peur, Dolaine saute sur l'animal qui, croyant peut-être porter son maître, part aussitôt dans la nuit. Où la conduit-il? vers les Français?... vers les Suisses?.... Par instants, le cheval s'arrête, fait un écart, effrayé par l'odeur d'un invisible cadavre, puis il repart au galop. Il a parcouru une demi-lieue

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quand il s'arrête brutalement, devant une lumière qui vient de surgir. Une décharge d'arquebuse siffle. Des mains saisissent la bride du cheval.

« Halte! »Des gens d'armes accourent. L'un d'eux, élevant une lanterne

à la hauteur de Dolaine, lâche un juron en reconnaissant, au lieu d'un cavalier, une frêle jeune fille.

« Croix-Dieu! une fille en pleine nuit de bataille? »On l'oblige à descendre promptement.« Que faisais-tu dans le camp des Français?— Je cherche quelqu'un.— A cette heure? Ne serais-tu pas envoyée par les

damnés Suisses pour essayer de surprendre ce qui se dit sous les tentes?

— Je cherche messire Guillaume de Romorantin. » Les hommes se regardent et secouent la tête.

« Nous ne le connaissons point.— Alors conduisez-moi près d'un écuyer ou du Grand

Connétable. »Les hommes se mettent à rire d'un rire grossier. « Qui es-tu

donc, ma belle, pour vouloir déranger en pleine nuit de bataille le Grand Connétable?

— Peu vous importe! »Les soldats hésitent; c'est bien la première fois qu'ils voient

surgir une femme à cheval dans un camp endormi. Impressionnés, ils échangent, à voix basse, quelques paroles puis l'un d'eux, celui qui tient une lanterne, lui fait signe de le suivre.

Il la conduit à deux cents pas de là, devant une tente gardée par trois hallebardiers. Mais ceux-ci entendent faire respecter les ordres. Une violente discussion s'engage avec Dolaine qui, après sa terreur de tout à l'heure, a retrouvé son sang-froid.

« Nous avons devoir de protéger le sommeil des chevaliers du roi, clament les gardes.

— Je vous en supplie, je....- Arrière! »

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Dolaine recule devant les hallebardes, mais soudain, un pan de la tente s'écarte. Une tête apparaît.

« Mort-Dieu! est-ce ainsi qu'on respecte mon repos, alors que la bataille va reprendre à l'aube?

- Messire, la faute n'est point à nous....- A qui donc, alors? »Dolaine s'avance et, tout à coup, à la lueur d'une lanterne, le

capitaine du roi, que la discussion vient de tirer de son sommeil, l'aperçoit.

« Mort-Dieu! une fille dans notre camp, à cette heure?— Elle vient d'arriver sur un cheval dérobé à un des nôtres,

explique un garde, elle est certainement envoyée en traîtrise par les Suisses. »

Le capitaine qui paraît jeune et porte un pourpoint de soie noire, fronce les sourcils et détaille Dolaine de la tête aux pieds.

« Qui t'a permis d'entrer dans le camp?— J'ai rencontré un cheval perdu dans la plaine, j'ai sauté sur

son dos, il m'a amenée jusqu'ici.

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— Tu parles fort bien le français pour une Milanaise.- Je suis Française. Je voudrais savoir si messire Guillaume

de Romorantin est parmi vous?— Guillaume de Romorantin?... tu le connais donc?— Oui. »Très intrigué, le capitaine regarde encore longuement cette

jeune fille échevelée qui se tient devant lui, à la fois hardie et apeurée, puis, d'un geste sec, lui montre la tente.

« Entre! »Elle se trouve alors sous une toile épaisse faiblement éclairée

par deux lanternes. A terre reposent des sortes de paillasses sur lesquelles dorment des officiers du roi.

« Ainsi, reprend le capitaine, tu prétends connaître messire Guillaume de Romorantin?

— Oui, est-il dans ce camp?— Holà, ma belle, crois-tu que je puisse répondre à pareille

question sans même savoir qui tu es?- Je m'appelle Dolaine, mon pays est la Touraine, j'ai été

élevée à Amboise. C'est là que j'ai connu Guillaume.— Es-tu de noble famille?— Non, messire, mais un jour, j'ai sauvé Guillaume des

eaux de la Loire, et nous avons grande amitié l'un pour l'autre. C'est lui qui m'a donné le cheval sur lequel j'ai chevauché pour venir en Italie.

— Et que venais-tu faire en ce pays?— J'accompagnais mon père qui était envoyé par le roi

comme deviseur de bâtiments. Mon père est mort en route. Oh ! dites-moi, je vous en supplie, messire Guillaume est-il parmi vous? »

Le capitaine caresse longuement la courte et jeune barbe qui orne son menton et réfléchit.

« Et que lui voulais-tu?- Le voir, savoir s'il n'a pas été blessé... ou tué. Ma peine

serait si grande.— Rassure-toi, Guillaume de Romorantin est bien dans,

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l'armée du roi de France. Je l'ai aperçu ce soir, quand la nuit a mis fin à la bataille. C'est un vaillant cavalier, et j'ai ouï dire que ce matin le chevalier Bayard a fort prisé sa belle tenue dans la mêlée.

— Ah! il est sauf!—- II a pour lui la jeunesse et grand avenir. Je le connais

assez, nous avons chevauché longtemps côte à côte en traversant l'Alpe.

- Il vous a parlé de moi ? »Le capitaine secoue la tête, et un léger sourire soulève le coin

de sa lèvre.« Non, jamais... et je crains fort que tu n'entretiennes de trop

grandes illusions dans ta jeune tête. Tu aurais mieux fait de ne pas t'aventurer jusqu'ici pour le revoir. Es-tu bien sûre qu'il tienne à te rencontrer? J'ai ouï dire que le comte de Beaugency lui destinait sa fille. »

Dolaine devient subitement toute pâle, prête à défaillir. Elle chancelle.

« Eh bien, qu'as-tu? demande vivement le capitaine en la soutenant.

— Rien, ce n'est rien. »Le choc a été trop violent. Malgré des efforts inouïs, elle ne

peut retenir ses larmes.Comprenant le mal que ses paroles viennent de faire, le

capitaine essaie de la consoler. Hélas ! Dolaine n'entend plus rien que sa propre douleur. Comme le compagnon de Guillaume essaie de lui prendre la main, elle se dégage vivement et, brusquement, sort de la tente.

Alors elle court comme une folle, se heurtant à des affûts de bombardes, trébuchant sur des boulets jusqu'à ce que, à bout de nerfs et de forces, elle s'effondre contre un talus.

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XV

UN EXTRAORDINAIRE HASARD

TOUTE la ville était en fête. Fenêtres, balcons, loggias flambaient des mille couleurs des oriflammes tendues. Une foule grouillante, vibrante, hurlante attendait le roi de France pour l'accueillir. Il n'était guère plus de midi quand deux cavaliers, accourus au grand galop, avaient confirmé la nouvelle que les guetteurs, perchés sur les plus hautes tours de la cathédrale, avaient déjà annoncée : la débandade des Suisses et la victoire du roi de France qui se disposait le soir même à faire son entrée à Milan.

Toute la ville voulait assister à cette entrée, voir de près ce nouveau roi de France qu'on disait si jeune, si vaillant et qui, après deux jours d'une terrible bataille, venait de tailler les Suisses en pièces.

Depuis de longues heures les badauds attendaient quand, soudain, les clameurs haussèrent d'un ton. Deux hérauts

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d'armes venaient de déboucher sur la grande piazza et annonçaient à son de trompe l'entrée des Français en la ville.

« Le roi!... le roi de France! »En tenue de guerre, bardé de fer des pieds à la tête, François

Ier s'avançait, monté sur un magnifique cheval blanc caparaçonné d'or et de pierreries. En arrivant sur la piazza, il avait enlevé son casque et, le visage souriant, il répondait par des gestes de la main aux folles acclamations qui le saluaient. Vraiment, après Louis le douzième dont on avait gardé le souvenir d'un homme frêle et contrefait, il paraissait superbe avec son air plein de jeunesse ardente, sa petite barbe blonde et son air gracieux.

Derrière lui venaient les chevaliers, tous également en cuirasse étincelante mais tête découverte. Ils étaient plus de deux cents conduits par le plus valeureux d'entre eux, Pierre Terrail, seigneur de Bayard. A leur suite défilèrent plusieurs cornettes de chevau-légers, d'arquebusiers à cheval, avec leurs demi-cuirasses, de cavaliers portant haut leur lance, en signe de victoire. Enfin passèrent les canons, les couleuvrines torsadées, les énormes bombardes tirées par quatre ou huit chevaux.

De sa fenêtre, la signera Beraldini regardait briller le fer des armures, étinceler l'or des étendards; elle écoutait les envolées sonores des fanfares et les cris de la foule. Le défilé terminé, elle revint s'asseoir dans son fauteuil à haut dossier et soupira :

« Où donc, à cette heure, est cette petite Dolaine? Quelle folie soudaine s'est emparée d'elle pour me quitter si brusquement? Est-ce la peur? Elle avait l'air si troublée les derniers jours quand elle parlait de l'avance des troupes françaises. Non, vraiment, je ne comprends pas. »

Elle resta un long moment devant sa cheminée éteinte, puis revint à la loggia qui donnait sur la place, espérant encore apercevoir tout à coup, parmi la foule, la blonde chevelure de la jeune fille. L'animation était toujours intense malgré la nuit venue. Des Milanaises passaient, mêlées aux soldats, aux cavaliers, dont les cuirasses luisaient à la flamme des torches ou des lanternes.

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Au moment où, lasse de regarder et d'attendre, elle allait refermer sa fenêtre sur le bruit, un cavalier s'avança et lui demanda si elle pouvait lui offrir le gîte.

« Certes, le gîte, mais l'écurie est fort encombrée; elle n'a pas servi depuis longtemps.

— Qu'importé, les nuits d'Italie ne sont point froides, mon cheval pourra rester dehors. »

La vieille signora vint ouvrir le porche, et le cavalier entra dans la cour où il attacha sa monture. Ce cavalier, très jeune, paraissait harassé et portait à la joue gauche une blessure encore sanglante.

« Ce n'est rien, fit-il, comme la signora paraissait s'en inquiéter, le coup de pique d'un Suisse, au moment où mon cheval était à terre; j'ai surtout besoin de repos. »

II parlait mal le milanais, mais le son de sa voix était plaisant et ses manières courtoises, sans doute le fils d'une noble famille française.

« Hormis le gîte, avez-vous besoin de quelque chose? demanda la dame.

— Grand merci, simplement d'un bon repos. Notre roi est infatigable. Sa joie était si grande d'entrer dans cette ville de Milan que nous avons dû chevaucher jusqu'à l'heure présente à ses côtés. »

II demanda à son hôtesse la permission de retirer ses gantelets, ses cuissards, ses jambières et sa lourde cuirasse à épaulières. Il apparut alors très mince dans son pourpoint à crevés et plus jeune encore que tout à l'heure.

« J'aime beaucoup les Français, dit la vieille dame et je regrette de n'avoir pas ma servante pour mieux vous accueillir et vous servir. »

Elle apporta une sorte de grand panier plein de pastèques et de raisins dorés dont le jeune Français se désaltéra abondamment, puis elle offrit des pâtisseries milanaises parfumées à l'orange. Elle aurait bavardé volontiers,

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mais le jeune cavalier paraissait surtout pressé de dormir. Elle le conduisit vers une chambre et le laissa en lui souhaitant douce et paisible nuit.

Restée seule, elle revint encore un moment près de la fenêtre de la loggia puis se décida enfin à aller se coucher.

Le lendemain, le jeune Français se leva souriant et reposé. Il remercia avec chaleur la signora Beraldini pour son accueil. Plus disposé que la veille à bavarder, il s'assit devant une petite table où la vieille dame avait disposé toutes sortes de nourritures agréablement parfumées et se mit à parler.

« Songez, signora, voici plus de trois semaines que nous couchons sous les tentes. Dormir sur un vrai lit est agréable et reposant.

— Vous êtes bien jeune, est-ce la première fois que vous partez en guerre avec votre roi?

- La première fois, en effet, je n'ai que dix-huit ans. Mais je ne regrette pas d'être allé loin de mon pays. Le vôtre est si beau, signora!

— Je connais un peu la France, de quelle province êtes-vous ?

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— Je suis le fils du comte de Romorantin, près de la Loire, mais je sers le roi comme écuyer, au château d'Amboise. »

La vieille dame tressaillit. « Amboise?— C'est au château d'Amboise que réside le plus souvent

notre roi. Ce nom vous rappellerait-il quelque souvenir?— Amboise! oui, c'est bien cela, c'est bien le nom prononcé

plusieurs fois par la petite Française qui me tenait compagnie et qui a brusquement disparu avant-hier.

— Une Française, dites-vous?J'espérais à tout instant la voir revenir. Hélas! j'ai

grand-peur qu'il ne lui soit arrivé malheur.- Elle vous avait dit son nom?- Certes! Elle s'appelait Dolaine. » Le jeune cavalier

tressaillit.« Dolaine, reprit-il en essayant de garder son calme; elle

s'appelait Dolaine!— Elle m'a conté être venue en Italie à l'automne

dernier avec son père et d'autres deviseurs de bâtiments envoyés par le roi. Son père est mort en chemin. Elle a vécu plusieurs mois à Florence avant de venir à Milan où je l'ai rencontrée, un jour, portant sur son épaule la colombe que voici. »

Elle tendit le doigt vers la loggia où était aménagée une sorte de volière. Mais le jeune Français ne regarda pas. « Dolaine! la petite Dolaine de l'île Saint-Jean!

— Vous la connaissiez?— Elle m'a sauvé, un jour, des eaux de la Loire. Ne vous a-

t-elle jamais parlé de moi?— Jamais.- Et quand elle est partie, elle ne vous a pas dit où elle se

rendait?— Non. Mais il y a quelques jours, quand le bruit a couru

dans la ville qu'une grande bataille allait se livrer dans la plaine, elle a commencé de se montrer inquiète.

Tantôt elle paraissait heureuse, tantôt tourmentée; je ne la

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reconnaissais plus. »Il y eut un long silence. La signora Beraldini regarda

Guillaume, en proie à une grande émotion et demanda :« Savait-elle que vous accompagniez le roi de France enItalie?— Elle connaissait mon désir de porter les armes dans ce

pays. »Il se leva, très pâle.« II faut que je la retrouve! »Il descendit dans la cour, abreuva rapidement son cheval et

sauta en selle. Le soleil brillait déjà haut sur la ville, mais la plupart des Milanais qui avaient passé la nuit en fête n'étaient pas encore levés. Les rues étaient jonchées de fleurs, de débris d'oriflammes.

« Dolaine, soupira Guillaume, comment la retrouver dans cette grande ville? Pourquoi a-t-elle quitté la demeure de la signora Beraldini, juste le jour de la bataille? Etait-ce pour aller au-devant des Français? Non, c'est peu probable. »

Cependant, à la réflexion, les souvenirs qui lui revenaient de Dolaine la montraient capable de tout. Au hasard, il s'engagea sur la route de Pavie. Reposée, sa monture trottait à belle allure. Au premier village rencontré, il demanda si une jeune fille blonde avait été vue, se dirigeant vers le sud. Personne ne put lui répondre. Il hésita à poursuivre sa route puis, poussé par une sorte de pressentiment, se remit au trot.

Bientôt il arriva en vue de la plaine et des marais de Marignan, coupés par de longues levées de terre. La chaleur était encore grande. Partout, Suisses et Français se hâtaient d'enlever ou d'enterrer les cadavres. Ça et là gisaient bombardes et couleuvrines déboîtées de leurs affûts.

« Non, se répétait Guillaume, elle n'a pas pu venir jusque-là! »

Et cependant il continuait d'avancer. A tous les hommes d'armes rencontrés, il posait la même question.

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« Non, messire, répondait-on, nous n'avons vu personne. »Tantôt suivant des chaussées empierrées, tantôt s'aventurant

dans les terres molles et lourdes où son cheval pataugeait, il parcourut le champ de bataille. Il allait tourner bride, quand un vieux canonnier barbu qui réparait l'attelage d'une grosse bombarde de bronze déclara :

« Une « damoiselle »? oui, messire, j'en ai aperçu une, hier matin, pendant la bataille, au moment où les Vénitiens arrivaient à notre secours. Elle s'enfuyait de ce côté.... »

L'homme tendit le bras vers l'ouest, où se dressaient, à un quart de mille, de grands peupliers. Aussitôt Guillaume lança son cheval dans cette direction, suivit les peupliers qui bordaient un ruisseau. Tout à coup, au bord de l'eau, il aperçut quelqu'un étendu dans l'herbe. Il sauta à terre et courut comme un fou jusque-là.

« Dolaine! »Malgré le sang qui la défigurait, il avait reconnu la petite

Tourangelle.« Dolaine!... Dolaine! »11 s'agenouilla près d'elle, lui prit une main qui retomba

aussitôt, inerte.« Morte!... elle est morte! »Cependant la main n'était point froide. Il constata que la

jeune fille respirait faiblement. Cherchant une trace de blessure, au visage, il n'en découvrit aucune. Il vit alors qu'au bras droit s'ouvrait une plaie, une laide plaie faite par une décharge d'arquebuse. Sans doute Dolaine s'était-elle répandu du sang sur le visage, en se débattant. Guillaume, que la vue de son propre sang n'effrayait point, fut bouleversé. En hâte, les doigts tremblants, il lava la plaie et le visage. Il reconnut alors tout à fait sa petite amie d'Amboise.

« Dolaine », murmura-t-il encore, espérant la voir s'animer.Hélas! elle avait dû perdre beaucoup de sang, elle était près

de la mort. Alors, au grand galop, il courut chercher

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l'homme qui réparait sa bombarde et le ramena en croupe.« Aide-moi à la soulever et à la hisser sur ma monture, je la

porterai jusqu'au bout du marais et là je trouverai bien un coche pour la mener au plus tôt à Milan. »

La grand-nuit était tombée quand il souleva le marteau de la signora Beraldini.

« Madonna, s'écria la vieille dame, la poverella! »Et, la croyant morte, elle se signa. Portant la jeune fille dans

ses bras Guillaume la monta dans la chambre et l'é-tendit sur le lit.« Veillez-la, signora, je cours chercher le médecin duroi. »Juste le temps de galoper à travers la ville et il ramenait le

propre médecin de François Ier. Celui-ci examina longuement la blessée, écoutant la respiration, tâtant le pouls, hochant la tête et faisant la moue.

« Non, fit-il, je ne la crois pas en danger de mort, mais elle a perdu beaucoup de sang par la plaie ouverte. - Que faut-il faire?

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- La laisser, étendue, sous une chaude couverture, jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux. Vous lui ferez alors boire quelques gouttes d' « aqua ardente » que je vous laisse dans cette fiole. Dès qu'elle pourra, elle devra boire une pinte de sang frais de cheval pour remplacer celui qu'elle a perdu. »

Le médecin parti, Guillaume resta seul avec la signora à la veiller. Par instants, les mains et les lèvres de la jeune fille paraissaient animées de légers tressaillements, mais était-ce une illusion causée par le tremblement de la flamme de la chandelle? De longues heures d'angoisse s'écoulèrent. Enfin, Dolaine ouvrit les yeux, de grands yeux perdus qui semblaient ne rien voir, ne rien reconnaître. Aidé de la signora, Guillaume souleva la tête de la jeune fille et lui glissa entre les lèvres quelques gouttes d'aqua ardente. La petite Française tressaillit, frissonna, gémit doucement. Plusieurs secondes passèrent encore puis, d'elle-même, Dolaine tourna plusieurs fois la tête sur le coussin où elle reposait.

« J'ai soif, bien soif.... »La signora apporta une aiguière pleine d'eau fraîche que la

blessée vida d'un seul trait.« Encore... encore. »Peu à peu, elle reprenait conscience. Elle fixa longuement les

yeux sur le chandelier d'étain qui se trouvait sur la tablette. Elle parut reconnaître la signora, puis, tout à coup, découvrit Guillaume. Elle demanda avec effroi :

« Qui êtes-vous? »Ne voulant pas la brusquer, Guillaume se retint de dire son

nom.« Que faites-vous là? insista Dolaine.— Je vous ai relevée, dans la campagne, à quelques lieues de

Milan.- Ah! dans la campagne?... dans la campagne?.... » Au

même moment, voulant remuer son bras, elleéprouva une grande douleur. Elle regarda, étonnée, le

pansement qu'avait fait le médecin. Alors, brusquement,

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la mémoire lui revint. Elle revit la bataille, la ruée des chevaliers, sa fuite éperdue en pleine mêlée. Elle fixa de nouveau Guillaume qui avait approché son visage de la chandelle pour le mettre en pleine lumière. Pendant quelques instants, elle resta comme hébétée, puis une sorte de flamme brilla dans ses yeux. Tout son être se mit à trembler.

« Guillaume!... c'est toi! »L'écuyer du roi s'approcha et lui prit la main.« Oui, Dolaine, c'est moi, tu me reconnais? »L'émotion était trop forte; elle fut saisie d'un long vertige qui

jeta Guillaume au comble de l'anxiété. Quand elle revint à elle, on aurait dit qu'elle ne le reconnaissait plus. Son regard était de nouveau éteint, marqué par le chagrin.

« Guillaume, comment m'as-tu retrouvée? pourquoi m'as-tu apportée en cette demeure? je ne comprends pas.

— Souviens-toi, Dolaine, quand tu es partie, il y a dix lunes, sur la route de Bourges, ne t'ai-je pas dit mon désir de combattre un jour sous les ordres du roi?

— Certes... mais qui t'a dit de me rechercher dans la plaine de Marignan?

— Un hasard merveilleux m'a donné pour hôtesse la signora Beraldini. Quand j'ai su que tu vivais chez elle et que tu avais disparu le jour de la bataille, j'ai pensé que tu étais peut-être partie là-bas, où combattaient les armées de notre roi. »

Dolaine poussa un long soupir et tourna la tête pour éviter le regard du jeune écuyer.

« Oh! Dolaine, pourquoi détourner ton regard? Tu n'as donc plus aucune amitié pour moi? Tu ne sais donc pas que pendant ces longs mois, je n'ai cessé de penser à toi? Quand j'ai appris par Fra Angelo, rencontré sur la route à son retour en France, que Jérôme Parce était mort et que tu te trouvais sans doute encore sur la terre d'Italie, je n'ai plus pensé qu'à te retrouver. Ne trouves-tu pas miraculeux ce hasard qui m'a fait arriver juste à temps pour te sauver de la mort?

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— La mort aurait été douce pour moi.- Oh! Dolaine, c'est l'épuisement, la souffrance qui te font

parler ainsi. Mais tu vas guérir, déjà les couleurs reviennent sur tes joues. »

II approcha l'escabelle et se pencha vers elle, voulut lui prendre les mains. Elle le repoussa. Ils étaient tous les deux seuls dans la chambre. Discrètement la signera s'était retirée. Il y eut un long et pénible silence.

« Chère Dolaine, murmura Guillaume, désespéré, ainsi, tu n'as plus confiance en moi?

— Je n'ai plus confiance en personne. Ce n'est pas pour moi que tu es venu en Italie. Tu recherchais la gloire et, à ton retour en France, tu épouseras la fille du comte de Beaugency. »

Guillaume tressaillit. « Qui t'a dit?- Un capitaine du roi!- Ce n'est pas vrai. Certes mon père aurait aimé me voir

épouser la « damoiselle » de Beaugency mais je n'ai aucune amitié pour elle.

— En es-tu sûr?

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— Je connais mon cœur, Dolaine, et je n'ai fait aucune promesse. Me crois-tu? »

Dolaine ne répondit pas. Elle pensa à Pietro. Lui non plus n'aimait pas la signorina Carlotta... et cependant! Elle tourna vers Guillaume ses grands yeux cernés et tristes. Deux larmes roulèrent sur ses joues creusées par la souffrance. Tremblant d'émotion, le jeune écuyer prit la main valide de la blessée et murmura :

« Chère Dolaine, c'est la cruelle épreuve que tu viens de subir qui te fait douter. Sache que ces dix lunes pendant lesquelles nous n'avons rien su l'un de l'autre ne nous ont pas séparés. Quand tu auras repris des forces ta confiance reviendra. »

Dolaine remua la tête faiblement.« Je ne sais pas... je ne crois pas.— Crois-tu que j'ai oublié la joie ressentie le jour où je me

suis assis près de toi, dans ta barquette, au bord de la Loire?— Tu étais heureux parce que je t'avais sorti de l'eau.— Oh! Dolaine, si tu n'étais pas aussi épuisée je dirais que

tu es redevenue sauvage et méchante, mais je te pardonne. Si tu savais combien j'ai été heureux aussi le jour où nous avons traversé l'Alpe, où j'ai pensé : « A présent « nous foulons le sol du même pays. » Quels malheurs as-tu donc connus, petite Dolaine, pour que ton cœur se ferme si durement?

— Je ne peux pas te dire, Guillaume; quand tu m'as quittée, sur la route de Bourges, j'étais encore une enfant; à présent, je sais que la vie n'est pas simple, ne sera jamais simple pour une fille comme moi.

— Que veux-tu dire? »Elle ne répondit pas. Sa faiblesse était grande; elle ressentait,

dans le bras, de douloureux élancements.« Chère Dolaine, murmura encore Guillaume, quoi que tu

penses je n'ai pas changé. Je resterai près de toi aussi longtemps que je ne sentirai pas ta confiance revenue. »

Elle laissa échapper un long soupir et se tut. Il se leva,

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se pencha vers elle, puis, doucement lui posa un baiser au front. La jeune fille tressaillit et laissa prendre sa main valide, sans réagir.

« Chère Dolaine », murmura Guillaume.Il resta un grand moment, immobile, à la regarder, à écouter

sa respiration rapide, parfois coupée de petits gémissements. Brisée par la fatigue et l'émotion, elle finit par s'endormir. A plusieurs reprises il crut entendre ses lèvres murmurer : « Non... pas possible » puis ce fut le grand silence.

Alors il éteignit la chandelle et resta près d'elle, silencieux jusqu'à l'arrivée du jour.

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XVI

LA ROBE VÉNITIENNE

LE PRINTEMPS était arrivé, un printemps chargé de fleurs, de senteurs aimables, de tiédeurs caressantes et de pépiements d'oiseaux. Là-bas, sur l'Alpe, les neiges de l'hiver fondaient rapidement, libérant les cols et les passages. Après plusieurs mois passés en Italie, toujours en voyage, de Pavie à Florence, de Bologne à Venise, François Ier songeait à regagner son royaume. Jeune, séduisant, sachant bien parler, amoureux des belles choses et des artistes, le roi de France avait conquis toutes les villes où il avait séjourné et, à Milan, plus qu'ailleurs, on regrettait son départ.

Pour tenter de le retenir, on multipliait les fêtes en son honneur. Les riches marchands de la ville, le grand intendant, le gouverneur ouvraient toutes grandes les portes de leurs palais pour l'accueillir avec ses chevaliers. Naturellement toutes les

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jolies Milanaises de la haute société étaient invitées à ces fêtes, prétextes à grands déploiements de costumes et de belles robes.

Par faveur, Guillaume, au lieu d'accompagner le roi dans ses voyages à travers l'Italie, avait obtenu de rester à Milan pour ne pas quitter Dolaine. La jeune fille avait été très longue à se rétablir. Elle demeurait si faible, si pâle qu'à plusieurs reprises le jeune écuyer s'était grandement inquiété. Puis, peu à peu, les couleurs étaient revenues sur ses joues, mais Guillaume sentait bien que Dolaine n'était plus comme autrefois. Elle n'avait pas entièrement confiance en lui. Parfois, au lieu de lui sourire, elle tournait son visage, prête à pleurer.

« Qu'as-tu, Dolaine? lui demandait-il.— Rien, Guillaume, je suis bien. »Un jour l'écuyer du roi arriva chez la signora Beraldini, très

ému.« Dolaine, nous allons bientôt partir; notre roi est déjà en

route. Il rentre en France pour recevoir l'ambassadeur d'Espagne. Dans quelques jours, nos armées vont se mettre en marche elles aussi; mais avant, le gouverneur de la ville va donner une fête à laquelle assistera le Grand Connétable. Jamais jusqu'à ce jour tu n'as voulu m'accompagner. Je serais heureux, pour cette dernière fête, si....

— Non, Guillaume, ne me demande pas cela.— Puisque tu es tout à fait guérie....— Je ne peux pas.— Tu crains de n'être pas assez belle, de ne pas porter une

assez jolie robe?— Ne connais-tu pas la misérable demeure où j'ai été

élevée?— Qu'importé.— Les robes seyantes et les « gentes » manières ne sont pas

pour moi.— Oh! Dolaine, est-ce cela qui te retient? » Elle ne répondit

pas. Guillaume s'approcha d'elle.

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« Dolaine, dit-il, depuis que je t'ai retrouvée, j'ai souvent le sentiment que tu me caches quelque chose de toi, de ta vie. Tu m'as conté longuement ton voyage à travers la France, la mort de

père Jérôme, ton arrivée à Milan mais de Florence tu ne m'as presque rien dit, et cependant tu y es restée longtemps, plusieurs lunes. »

La jeune fille se tut encore. Mais Guillaume la devina si troublée qu'il s'approcha et dit, à mi-voix :

« Je suis si malheureux de penser qu'un secret nous sépare. Je croyais ta confiance revenue; elle ne l'est point. Dolaine, pourquoi me refuser le plaisir de m'accompagner à cette fête? explique-moi. »

Elle hésita puis, détournant la tête comme si elle avait honte, se mit à parler de Florence, de Pietro, de sa griserie d'un jour, de sa désillusion. Elle parla longtemps, revivant par la pensée son séjour dans la capitale de la Toscane. Quand elle eut fini, elle s'effondra, en larmes.

« Oh! Guillaume, je te demande pardon; je ne t'avais pas oublié. Et j'ai été si malheureuse après. C'est pour cela que jamais plus je ne veux être autre chose qu'une humble servante.

— Même pour moi?— J'ai appris que l'amitié n'est pas la seule chose qui

compte.— Pour ce Pietro sans doute, mais pour moi?— Peut-être pour toi aussi, Guillaume, sans même que tu le

saches. »Le jeune écuyer se leva, très pâle, blessé par ce doute cruel.« Oh ! Dolaine, tu me fais trop mal ! »II l'embrassa au front puis, craignant d'être incapable de

cacher sa peine, s'en alla.Restée seule, la jeune fille fut désespérée du chagrin qu'elle

venait de causer. La signora Beraldini la trouva en larmes.« Madonna! que t'arrive-t-il? Pourquoi Guillaume est-il

parti? »

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Dolaine lui conta la scène, lui parla aussi de Pietro, de son aventure florentine.

« Poverella, s'écria la vieille dame, ainsi c'est pour cette raison que tu refuses de l'accompagner à cette grande fête?

Tu n'as donc pas deviné combien sa joie était grande de t'avoir près de lui?

— Je sais, signera, mais c'est plus fort que moi.- Si tu savais combien il t'aime, Dolaine! Ah! je me

souviendrai toujours de certain matin où il t'a apportée mourante dans ses bras ; si tu avais vu son désespoir quand le médecin hochait la tête en écoutant battre ton cœur presque sans vie; si tu savais tout ce qu'il m'a dit de toi.... Crois-moi, Dolaine, ne lui refuse pas cette joie qu'il te demande de lui accorder. »

La jeune fille ne répondit pas. Toute la journée et toute la nuit elle ne cessa de penser à Guillaume, à l'immense chagrin qu'elle lui avait fait. Quand il revint, le lendemain, elle courut lui ouvrir et lui prit les mains.

« Guillaume, hier, j'ai été trop méchante, pardonne-moi; le jour de la fête, je serai près de toi. »

Le jeune écuyer en fut si ému qu'il resta confondu.« Oh! Dolaine, je savais bien que ta confiance reviendrait. »Alors il ne fut plus question que de la belle fête qui aurait

lieu au palais du gouverneur. Dolaine fit de grands efforts pour oublier ses souvenirs de Florence. Elle y parvenait mal.

« Dolaine, lui demanda l'écuyer du roi, j'aimerais... j'aimerais.

- Quoi donc?— Que tu portes une robe vénitienne, comme à Florence. »La jeune fille sursauta, s'indigna presque.« Si, insista Guillaume, toi-même n'as-tu pas dit qu'elle te

seyait parfaitement? J'aimerais t'admirer telle que tu étais à cette fête des Colombes... et puis, ne serait-ce pas le meilleur moyen d'effacer ces mauvais souvenirs? »

Après une longue hésitation, elle finit par accepter. Comme naguère Angela, la signora Beraldini s'occupa de la confection de

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la robe. Sous les doigts de la vieille dame soie et dentelles se transformèrent en une somptueuse

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robe vénitienne, si semblable à celle de Florence qu'on eût dit la même... non, pas tout à fait la même, car Dolaine était devenue une vraie jeune fille. Sur ses épaules l'effet de la robe était plus séduisant encore.

Une deuxième fois, la petite Française oublia qu'elle n'était qu'une pauvre enfant trouvée dans une barque un matin de novembre. Une nouvelle fois .elle se laissa prendre au jeu. Après avoir protesté avec tant de véhémence, elle attendit la fête avec une folle impatience.

« Tant pis si je dois ensuite mourir de tristesse, se dit-elle, tout comme elle s'était dit à Florence, c'est si bon de se croire, même pour un seul jour, une princesse. »

La signora qui, autrefois, avait fréquenté les plus grands personnages d'Italie, lui enseigna les belles manières, la façon de maintenir sa taille très droite, de tenir « l'éventoir », de se parfumer et même de faire la révérence et des pas de danse. Et le jour de la fête arriva. Dolaine était prête depuis longtemps quand Guillaume vint la chercher. Son étonnement et sa joie furent si grands en la voyant ainsi parée qu'il resta confondu.

« On ! ma petite princesse vénitienne », s'écria-t-il en lui baisant les mains.

Heureuse du compliment, mais le cœur encore triste, elle murmura :

« Une princesse, peut-être... mais une princesse sans nom ne l'oublie pas.

— La princesse Dolaine et cela me suffit. »Il remmena en croupe, sur son cheval, à travers la ville,

jusqu'au palais où toutes les loggias, tous les balcons, tous "es balustres s'ornaient de feux multicolores. Une grande salle, au plafond à caissons de bois savamment décorés, accueillait les invités. Au fond on avait dressé une estrade dont le devant était tendu de draperies ornées de fleurs. Dolaine se sentit très intimidée, mais Guillaume était là, grand et mince, si beau dans son pourpoint de soie brillante rouge et blanc, ses hauts-de-chausses bien collants et ses chaussures de cuir fin.

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« Regarde, dit-il avec fierté, tous les visages sont tournés vers toi pour t'admirer; n'es-tu pas heureuse?... et moi, ne le suis-je pas? »

C'était vrai. La grâce si fraîche de Dolaine lui attirait les regards admiratifs et même envieux des nobles dames milanaises. Elle se crut revenue à Florence.

« Oh! non, se dit-elle, je veux effacer ces souvenirs; Guillaume ne ressemble pas à Pietro. »

La tenant par la main, le jeune écuyer la conduisit à leurs places.

« Qu'allons-nous voir et ouïr? demanda-t-elle, curieuse.— Je crois qu'il y aura des danseurs génois et des acrobates

napolitains... et puis, bien sûr, de la musique. »Tout à coup, une longue rumeur emplit la salle. Tous les

invités se levèrent et tournèrent la tête. Accompagné du gouverneur et de nobles dames, le Grand Connétable, représentant le roi, venait d'apparaître à la grande loggia, au fond de la salle. Des vivats prolongés saluèrent cette arrivée.

« Le Grand Connétable, murmura Dolaine, impressionnée, le

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plus grand personnage du royaume après le roi ! »Il portait un pourpoint rehaussé d'or et de broderies, .et son

menton s'ornait d'une barbe courte, comme celle du roi. De la main droite, il salua longuement la foule, et les vivats redoublèrent.

Puis le spectacle commença. Dolaine était bien trop émue pour s'y laisser vraiment prendre. A chaque instant, elle levait les yeux vers Guillaume et pensait :

« Est-il bien vrai qu'il ne ressemble pas à Pietro?... Oh! comme je voudrais n'avoir jamais été à Florence pour être aujourd'hui aussi heureuse qu'à la fête des Colombes. »

Mais Guillaume se penchait souvent vers elle, et le sourire qu'il lui adressait était si doux, si tendre qu'elle se sentait bouleversée.

Sur l'estrade, danseurs, acrobates, dresseurs de chiens, se succédaient. Des musiciens, vêtus de pourpre et d'or, jouaient, sur d'étranges instruments, une musique tantôt douce comme une caresse, tantôt violente comme un orage. Puis des valets, tout de rouge vêtus, vinrent enlever les sièges. En quelques instants, la grande salle du palais fut transformée en salle de danse.

« Oh! murmura Dolaine, jamais je n'oserais....— Tu oseras, Dolaine, c'est surtout pour que tu sois ma

compagne de danse que je désirais que tu viennes à cette fête. »Soudain il se fit un grand remous dans la salle. Les assistants

s'écartèrent. Le Grand Connétable s'avançait, cambrant le jarret, tenant élégamment la main de la femme du gouverneur.

« Où vont-ils?— Ils viennent au milieu de la salle « lancer » la

danse. »Dolaine regardait de tous ses yeux. Aux premières mesures

de l'orchestre, le Grand Connétable s'inclina devant sa « dame », la salua très bas, lui saisit gracieusement le bout des doigts de la main gauche et l'invita à la danse. Alors on n'entendit plus que la musique, le froufroutement de la soie et le glissement léger des escarpins sur la

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parquetterie. Mais déjà le Grand Connétable lâchait la main de la noble dame, annonçait que la danse était lancée et invitait l'assistance à se divertir.

« Oh! murmura encore Dolaine, je n'ai jamais dansé, jamais je n'oserai. »

Guillaume sourit et l'entraîna, malgré elle. Tout d'abord gauche et hésitante, elle craignait de faire des faux pas et d'être la risée des invités; mais voyant que personne ne se moquait d'elle, l'assurance lui vint. Elle se laissa conduire, souple et docile, imitant les pas de Guillaume, retrouvant tout d'un coup sa souplesse de petite fille sauvage qu'elle avait été.

« C'est merveilleux, lui dit Guillaume, tu marques les pas et tu suis la musique comme si tu avais toujours dansé. »

Bouleversée, Dolaine rougit. Vraiment, quelle griserie que la danse! Jamais elle n'aurait cru qu'on pouvait y prendre tant de plaisir. Elle qui avait tant hésité à se lancer trouvait maintenant les arrêts trop longs. A un moment, alors que les musiciens avaient cessé de jouer et que les dames s'éventaient, Guillaume vit le Grand Connétable se diriger vers lui en souriant.

« Vraiment, Guillaume, je te félicite. Jamais je n'ai vu compagne de danse plus charmante. Foi de chevalier! tu as fort bon goût. Pourrais-je savoir qui est cette gente damoiselle ?

— Messire, je vous demande pardon de ne pouvoir satisfaire votre intérêt, mais elle est la princesse sans nom!

— La princesse sans nom?... Par la Croix-Dieu, voilà qui est bien choisi pour exciter la curiosité. »

Le Connétable s'éloigna en saluant courtoisement Dolaine. Cette petite scène n'avait duré que quelques instants mais il n'en avait pas fallu davantage pour que tous les regards se tournent vers la jeune fille qui, rougissante, était au comble de l'émotion. Être complimentée par le Grand Connétable, quelle faveur!

Et la danse reprit. Transportée, Dolaine se laissait étourdir par sa joie. Guillaume paraissait si grand, si fort, si beau, près d'elle! Elle était comme enivrée.

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Ils dansèrent encore longtemps puis, brusquement, comme on reçoit en plein cœur un coup d'épée, une angoisse terrible lui serra la poitrine. Toute sa joie s'effondra. Elle fit un grand effort pour achever la danse commencée.

A la reprise de la musique quand Guillaume, qui s'était un peu éloigné pour bavarder avec un officier du roi, revint vers elle, la jeune fille avait disparu. En vain, il la chercha partout dans la grande salle. Inquiet, il sortit dans le jardin noyé d'ombre et appela:

« Dolaine ! »Ne l'ayant point trouvée, il revint encore dans la salle. Aucun

doute, Dolaine avait quitté le palais. Il interrogea des valets sous le porche d'entrée.

« Si, signor, une jeune fille en robe noire à dentelles, nous l'avons vue sortir en courant.

— Vite, mon cheval! »Mais les chevaux des invités étaient nombreux dans les

écuries du palais. Il perdit du temps à retrouver le sien. Traversant la ville au grand galop il arriva chez la signora Beraldini. Dolaine était là, toute pâle, effondrée dans les bras de la vieille dame qui essayait de la consoler. Sur le coup, Guillaume crut que, prise d'un soudain malaise et voulant le lui cacher, elle était rentrée en hâte.

« Dolaine! que vient-il de t'arriver? »Elle ne répondit pas. Du regard, le jeune écuyer interrogea la

signora qui hocha la tête en signe d'ignorance de ce qui s'était passé.

« Dolaine, ma petite Dolaine, qu'as-tu? Pourquoi m'as-tu quitté si vivement. T'ai-je fait quelque peine?

— Oh! non.- Alors, explique-moi! »II y eut un long silence. Discrètement la signora Beraldini se

retira. Une seule chandelle éclairait la grande pièce dont les murs restaient noyés d'ombre. Guillaume distinguait à peine le visage de la petite princesse sans nom.

« Dolaine, murmura-t-il, apaise mon inquiétude. » Enfin elle

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leva vers lui de grands yeux brillants où se lisait une profonde tristesse.

« Pardonne-moi, Guillaume, c'est ma faute... je n'aurais pas dû accepter.

— Ta faute?— Oui, ma faute d'avoir encore cru à ce beau rêve.- Tu seras toujours ma petite princesse.— Non, Guillaume, quand j'aurai enlevé cette robe je

redeviendrai une pauvre servante dont personne, pas même moi, ne sait d'où elle vient.

— Que m'importe! Crois-tu que l'amitié que j'ai pour toi tienne seulement à une robe?

— Tu es écuyer du roi, Guillaume, tu as vaillamment combattu lors de la bataille; en rentrant en France on te couvrira d'honneurs....

— Que veux-tu dire? »Elle ne répondit pas. Il voulut lui prendre la main; elle la retira

avec force.« Laisse-moi, s'écria-t-elle farouchement, tu sais bien que je

suis une fille sauvage et méchante.- Oh! Dolaine.— Laisse-moi, te dis-je, rentre vite en France pour

retrouver la damoiselle de Beaugency qui t'attend avec impatience. Va-t'en, Guillaume, va-t'en. »

Elle fondit en larmes. Agenouillé, près d'elle, Guillaume la laissa pleurer.

« Dolaine, reprit-il quand elle eut retrouvé un peu de calme, ma peine est grande à te voir ainsi désespérée. Mais pourquoi aussi être partie de la fête sans attendre la fin, sans attendre ce que je voulais te dire? »

Elle le regarda, les yeux interrogateurs.« Quoi donc ?— Simplement que le Grand Connétable a décidé que les

troupes quitteraient le Milanais dans trois jours et qu'à mon retour en France j'irai aussitôt voir le roi pour lui parler de toi.

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— De moi?— J'ai dix-huit ans, Dolaine. Mon père est mort; je suis

l'héritier de son titre et de ses terres. Je suis libre d'accorder mon amitié à celle que mon cœur aura choisie... et c'est toi, Dolaine, que j'ai choisie. En arrivant en France je demanderai au roi, car je le dois comme écuyer à son service, la permission d'épouser certaine petite Dolaine. Voilà la nouvelle que je voulais t'apprendre à la fin de la fête. »

La jeune fille se demanda si elle ne rêvait pas encore. Oh ! était-ce possible. Etait-ce vrai ce que Guillaume venait de dire? Elle regarda longuement le jeune écuyer comme si elle doutait encore, puis brusquement se jeta dans ses bras en sanglotant.

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XVII

LE SECRET DU COFFRET

LE LOURD coche, chargé d'étoffes de soie, d'objets précieux, que le roi faisait rapporter d'Italie pour orner ses châteaux, cheminait lentement au bord de la Loire qu'il venait d'atteindre. Assise à côté du cocher, Dolaine regardait les eaux basses et nonchalantes du fleuve glisser le long des bancs de sable.

« Eh bien, fit le cocher en se tournant vers elle, on dirait que tu ne prends point plaisir à revoir notre pays. Pourtant nous approchons; demain nous serons à Amboise. »

Dolaine se força à sourire et n'ajouta rien. « Messire Guillaume m'a chargé de te rendre le voyage aussi plaisant que possible, reprit l'homme, je ne voudrais pas qu'il me reproche, à notre arrivée, de n'avoir pas su te distraire. »

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Dolaine sourit encore et dit simplement :« Ce n'est point votre faute. Grâce à vous, le voyage a été

aisé. »Elle se tut. La chaleur était grande, presque aussi

forte qu'en Italie, le ciel presque aussi bleu aussi.« Demain, se dit-elle, demain je vais revoir Amboise et

retrouver Guillaume. Certainement il sera là, à l'arrivée de notre coche, puisque ce cavalier qui nous a dépassés hier a promis de le prévenir. »

Ainsi, depuis plus de trente jours, elle revenait, par - petites étapes, vers le pays de son enfance. Guillaume n'avait pas voulu qu'elle l'accompagne à cheval avec l'armée du roi. « Non, avait-il dit, ces hommes de guerre ne sont pas de bons compagnons pour une jeune fille et puis tu n'es pas assez remise; sur les routes la grande chaleur t'épuiserait. Je ne veux pas que ma petite Dolaine arrive à Amboise pâle et amaigrie comme le jour où je l'ai rapportée dans mes bras chez la signora Beraldini. » Elle avait obéi, et Guillaume était parti sans elle quelques jours plus tôt, la confiant à ce brave cocher et aux deux nommes d'armes qui l'accompagnaient.

En quittant la vieille dame elle était follement heureuse de rentrer en France, de penser que Guillaume l'attendait là-bas et que bientôt, avant l'automne, il l'épouserait. Mais trente jours de voyage, c'est bien long, trop long pour un cœur inquiet où le doute couve sous la cendre, toujours prêt à revenir. Certes Guillaume ne ressemblait pas à Pietro, il avait donné sa parole, et Dolaine avait eu confiance, mais Guillaume était jeune. En France on allait l'accueillir avec toutes sortes d'honneurs, le fêter. A la cour du roi toutes les damoiselles viendraient l'entourer. N'allait-il pas oublier la petite Dolaine pauvre et sans nom?

Très vite le méchant doute était ainsi revenu s'installer en elle, et elle ne parvenait pas à le chasser. Et autre chose encore

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s'ajoutait à son tourment à mesure qu'on approchait d'Amboise : le secret dont père Jérôme avait parlé

avant de mourir. A Milan, clic était si loin de l'île Saint-Jean et Guillaume tenait tant de place dans sa vie qu'elle l'avait presque oublié. A présent, ce secret la hantait au point que, depuis plusieurs nuits, elle rêvait de choses effrayantes, qu'elle était la fille de brigands de grand-route, de larrons, de misérables gueux pourchassés par les cavaliers du roi. Non, se disait-elle, jamais je ne retournerai dans l'île Saint-Jean, j'aime mieux ne rien savoir.

C'est à tout cela qu'elle pensait tandis que le lourd coche roulait le long de la Loire. Le soir, quand la voiture s'arrêta pour la dernière étape, elle se sentit si torturée qu'elle eut envie de fuir. Après avoir tant compté les jours qui la séparaient d'Amboise, elle aurait voulu ne jamais arriver.

Elle passa une mauvaise nuit à l'auberge. Le lendemain, le cocher lui trouva mauvaise mine et s'en montra inquiet.

« Ce n'est rien, dit-elle, il faisait trop chaud cette nuit, je n'ai pu trouver le sommeil. »

Et la lourde voiture se remit en route. Le cocher avait dit qu'on arriverait avant la nuit à Amboisc, mais les chevaux souffraient de la chaleur et l'un d'eux, piqué à la patte par quelque mauvaise mouche, boitait et tirait mollement sur les traits. Le soir tombait quand au loin, dans une brume bleutée, apparurent les toits de la ville. Le cœur de Dolaine se serra. La dernière lieue lui parut à la fois interminable et effroyablement courte. La grand-nuit était descendue sur Amboisc quand on atteignit les premières maisons. Le coche décrivit une large courbe pour attaquer la rampe du château. Sous la voûte d'entrée, les halle-bardicrs s'effacèrent pour le laisser entrer. Le cœur battant comme un fou, Dolaine sauta à terre. A la lueur des torches que portaient des valets, elle chercha Guillaume. Croyant l'avoir soudain reconnu elle s'avança vers un groupe de gens de cour qui parlaient, à l'écart.

« Guillaume! Guillaume! »

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Ce n'était pas lui. Elle eut comme un pressentiment. A tout hasard elle se dirigea vers un autre groupe.

« Messire Guillaume de Romorantin n'est-il point ici? »Les ombres à qui elle s'était adressée et qu'elle distinguait à

peine parurent se concerter.« Guillaume de Romorantin, fit soudain l'une d'elles, certes il

n'est point à Amboise, j'ai ouï dire qu'il était parti à cheval pour Beaugency. »

Beaugency! le nom résonna atrocement à ses oreilles. Pendant un mois, tout au long du voyage, elle avait tremblé, et voilà que tout d'un coup!... Pendant quelques instants, elle resta comme hébétée. Elle porta les mains à son visage soudain couvert d'une sueur glacée, puis, sans demander d'autres explications, traversa en courant la grande cour du château et s'enfuit.

Comme une somnambule, elle descendit la rampe; empierrée et arriva au pied du château. A bout de force, elle se laissa tomber

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sur une borne de pierre. Elle aurait voulu pouvoir crier sa détresse, fondre en larmes. Sa peine

était trop violente. Sa gorge restait serrée, et ses yeux secs.« Beaugency!... il est parti là-bas; il ressemble donc à

Pietro?»Un instant elle veut croire encore qu'elle s'est trompée, que

les gens interpellés dans la cour n'ont pas su la renseigner... et pourtant Guillaume savait que le coche arriverait aujourd'hui.

« Guillaume, murmure-t-elle, ta parole n'avait donc pas plus de valeur?... oh! non, je ne peux pas croire, après ta promesse, que tu m'as oubliée. »

Elle reste ainsi, la tête dans les mains, accablée. La petite ville est maintenant déserte et la lune qui vient d'apparaître éclaire les façades des maisons blanches. Alors elle se lève, longe le quai de Loire, s'aperçoit tout à coup qu'elle est au milieu du pont. Sans le vouloir, l'île Saint-Jean l'a attirée. Dolaine, où vas-tu? pourquoi vas-tu là-bas? est-ce pour revoir la maison où tu as été malheureuse, où personne ne t'attend? Oui, peut-être. Elle vient de se sentir tout à coup si seule. « O Guillaume, pourquoi m'as-tu abandonnée? »

Toujours poussée par une force irrésistible, elle arrive dans l'île. A la clarté de la lune elle distingue maintenant la maison de père Jérôme. Oh ! non, elle ne demandera pas asile à cette demeure, elle ne veut pas revoir celles qui l'ont tant fait souffrir. Cependant elle s'en approche encore. La maison est silencieuse, enveloppée par la claire nuit d'été.

« Oh! père Jérôme, pourquoi n'es-tu pas là pour accueillir mon chagrin? »

Elle n'est plus qu'à deux toises de l'entrée; pourquoi la porte est-elle restée entrebâillée? elle la pousse; la pièce est vide, sans coffre de bois, sans table. Elle s'avance encore, la chambre aussi est nue et vide. Sans doute la femme de père Jérôme et ses filles ont-elles quitté l'île pour vivre ailleurs. Elle voudrait s'en réjouir, et cette impression de vide lui serre le cœur.

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Elle reste un long moment, debout, à la place familière de père Jérôme près de la cheminée puis s'agenouille, les mains jointes.

« Père Jérôme, mon cœur a trop mal, plus que jamais j'ai besoin de ton aide; de ta tombe, dis-moi ce que je dois faire, ce que je dois croire pour apaiser ma peine. »

Et brusquement elle pense aux dernières paroles du tailleur de pierres, à ce grand secret qu'il n'a pu lui dire.

« L'arbre, fait-elle, l'arbre, il est là, tout près, dans l'île. Que craindre à présent, puisque je suis au comble du malheur. »

Sur l'île s'étendent les grandes nappes claires de la lune. Près de la rive montent dans le ciel les torches noires des peupliers. L'un d'eux domine toute la rangée. Comme une somnambule, elle s'avance vers lui. L'arbre est très vieux; son tronc énorme fait plus de cinq pieds de tour. Tremblante elle le regarde un long moment avant d'oser le toucher comme si ce simple contact allait lui révéler des choses effrayantes... mais que peut-il lui arriver de plus terrible que la trahison de Guillaume?

Tout à coup, à six pieds au-dessus du sol, elle aperçoit l'ombre noire d'un trou dans l'écorce rugueuse. Elle se hausse pour arriver jusque-là et fouille dans la plaie de

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l'arbre. Rien. Le trou paraît s'étendre profondément à l'intérieur de l'arbre, descendre vers le pied. Alors elle se penche au niveau du sol. De grosses racines, dégagées par les récentes crues, nouent et dénouent leur serpents à fleur de terre. Tout à coup, entre ces racines, elle découvre un autre trou, plein de feuilles mortes, mais qui communique sans doute avec le premier par l'espèce de cheminée que les années ont creusée à l'intérieur du fût énorme. Fiévreusement elle le dégage, en retire toutes sortes de débris mêlés à la terre humide.

Soudain ses doigts rencontrent quelque chose de dur englué dans la terre molle. Elle s'en empare vivement et court comme une folle au bord de la Loire. La terre enlevée, apparaît un petit coffret de métal qui n'a pas plus de cinq pouces de long. Au moment de l'ouvrir elle hésite. Les doigts tremblants, elle le regarde.

« Oh! ce qu'il contient ne peut m'apprendre que des choses qui me feront mal. Pourquoi mes parents m'auraient-ils abandonnée, il y a quinze ans, s'ils n'étaient pas des êtres misérables? »

Accablée, elle est là, au bord de la Loire, regardant sans l'ouvrir le petit coffret qui brille sous la lune, quand, brusquement,

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un bruit de galopade la fait tressaillir. Elle se retourne et aperçoit un cavalier qui traverse le pont pour venir dans l'île. Prise de peur, elle dissimule vivement le coffret et, comme une voleuse, s'enfuit pour se cacher dans les taillis. Trop tard, le cavalier l'a aperçue. En quelques instants il la rejoint.

« Dolaine! »L'écuyer du roi saute à terre prestement et court vers elle.« Que fais-tu en ce lieu, Dolaine? »L'air égaré de la jeune fille, ses mains pleines de terre, lui

causent une étrange impression. Comme il tente de la relever, elle se débat farouchement.

«Va-t'en, Guillaume!... va-t'en, tu as menti et tu viens me mentir encore! Laisse-moi mourir ici, toute seule! »

Elle s'échappe à travers les broussailles; il la rejoint.« Dolaine, je t'en supplie, écoute-moi!

Elle s'échappe à travers les broussailles; il la rejoint.« Dolaine, je t'en supplie, écoute-moi!

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Je ne veux plus entendre ta voix... va-t'en, Guillaume, va-t'en d'où tu viens! »

II lui saisit les poignets, les tient fermement en ses mains. Elle se débat encore frénétiquement mais vaincue par la force de Guillaume, vaincue par son angoisse, elle abandonne la lutte, s'effondre en sanglotant.

« Oh! Dolaine, murmure Guillaume, pardonne-moi de n'avoir pas été là lors de l'arrivée du coche. Si tu savais pourtant avec quelle impatience je t'attendais. Avant de te revoir, je voulais aller près du roi pour t'apporter, à ton retour, la bonne nouvelle. Mais le roi n'était ni à Blois ni à Amboise. J'ai ouï dire, hier, qu'en rentrant de Paris il ferait étape à Beaugency. Pour ne point perdre de temps, je suis allé là-bas. Je croyais pouvoir revenir à Amboise avant l'arrivée du coche. Hélas! le roi est entré fort tard au château de Beaugency. J'ai pu cependant le voir. Ainsi

que je te l'avais promis, je lui ai parlé de toi, lui ai demandé la permission de t'épouser. Certes je ne te cacherai pas qu'il a hésité, mais il a accepté, Dolaine, j'ai obtenu son consentement. Dès lors tu es ma fiancée, tu entends, Dolaine, ma fiancée. Voilà la grande et belle nouvelle que je t'apportais au galop de mon cheval. »

A travers ses sanglots, Dolaine a entendu mais elle demeure anéantie, incapable encore de surmonter sa peine. Un long moment, ils restent silencieux, l'un contre l'autre. Lentement, Dolaine sent l'étau qui lui broyait le cœur se desserrer.

« Oh! Guillaume, je te demande encore grand pardon d'avoir douté de toi; le voyage a tant duré, j'ai eu le temps de penser à tant de choses et, en arrivant, quand j'ai ouï dire que tu étais parti à Beaugency, j'ai cru mourir sur place, de chagrin.

- Carissima Dolaine! es-tu rassurée à présent?» Elle tourne vers lui son beau visage fin encore noyé de

larmes.« Je voudrais l'être tout à fait, Guillaume, hélas!...- N'ai-je pas la promesse de notre roi?— Certes, mais n'as-tu pas dit, sur l'heure, qu'il avait hésité?

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— Que nous importe? » Elle soupire longuement.« Pendant mon long voyage trop de pensées sont venues

hanter ma pauvre tête. J'ai peur, Guillaume, peur qu'un jour tu regrettes cette promesse que tu m'as faite. Es-tu sûr de ne jamais souffrir du mystère qui a entouré ma naissance?

— Je t'aime telle que tu es, Dolaine, rien ne me ferait changer.

— C'est à plus tard que je pense, quand je vivrai en ton château, ou à celui d'Amboise parmi tant de nobles dames qui, elles, seront toutes des filles de seigneurs.

- Crois-tu que j'aurai honte de toi?- Je ne sais pas... peut-être.- Oh! carissima Dolaine! »Ils se turent. La jeune fille paraissait toujours en proie à la

plus grande émotion. Soudain elle porta la main à son corsage et en retira le coffret.

« Qu'est cela? demanda vivement Guillaume.— Père Jérôme m'a dit qu'il contenait le secret de ma vie.

C'est pour le connaître que je suis revenue dans l'île cette nuit. Je n'ai pas osé l'ouvrir.

-r- Et maintenant que je suis près de toi?— J'ai peur bien davantage encore.— Quoi que renferme ce coffret cela ne changera rien.- Même s'il t'apprend que je suis la fille d'un maraud et d'une

mauvaise femme?- Mon choix est fait pour toujours, Dolaine. »II l'entraîne au bord du fleuve où la lune inonde le sable d'une

claire lumière.« Donne-moi ce coffret, Dolaine. »II le lui prend des mains et l'examine longuement, frottant le

couvercle avec sa dague.« Regarde, quelque chose a été écrit sur le métal! »A grand-peine il déchiffre ces mots : « Ouvrir quand Dolaine

aura quinze ans. »« Ah! soupire la jeune fille, je comprends pourquoi

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père Jérôme n'avait rien dit. Mon Dieu! pourquoi de si lointaines précautions? »

Avec la pointe de sa dague Guillaume réussit, non sans peine, à faire sauter le couvercle. La petite boîte contient un papier soigneusement roulé et couvert d'une écriture irrégulière mais cependant aisée. Dolaine sent son cœur battre comme un fou; ses yeux se brouillent. A la lueur de la lune Guillaume lit :

« Je demande à Dieu de me pardonner, ma fille, de t'abandonner ainsi au moment de mourir. Je ne m'y suis résignée que pour te sauver. Sache, Dolaine, que ton père, mon époux, était le comte Edouard de Hainaut mais qu'il ne t'a jamais connue, car il est mort avant que tu viennes au monde. Tu étais notre seul enfant. Avant de mourir, le comte Edouard t'avait faite l'héritière de tous ses biens. Hélas ! les lois du Hainaut sont sévères. Il n'est point permis aux filles d'être acceptées comme héritières. A peine es-tu venue au monde que des prétentions se sont élevées. Comme je m'y opposais de toutes mes forces, je me suis vue entourée de jalousies et de haines. Par deux fois, des mains odieuses ont voulu t'empoisonner dans ton berceau. J'ai dû me réfugier en France,

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avec toi. On m'a encouragée à venir prendre conseil près du roi de France. Ainsi je suis arrivée jusqu'à Amboise. Le roi venait de partir pour l'Italie, je suis restée pour l'attendre. C'est alors qu'un mauvais mal est entré en mon corps. A cette heure, je sens les forces m'abandonner et je sais que je vais te laisser pour toujours, ma petite Dolaine. J'ai prié l'aumônier qui vient me visiter de te cacher aussi longtemps qu'il le pourrait pour que tu demeures en pleine sécurité. Pour cela je lui ai fait part de mon désir de te placer dans une humble mais honnête famille. Je m'en remets entièrement à lui. Si cet écrit te parvient quand tu seras âgée de quinze ans, ainsi que je l'ai souhaité, tu connaîtras toute la vérité et seras en âge de te défendre contre ceux qui pourraient encore en vouloir à ta vie.

« Adieu, ma petite Dolaine, mes dernières pensées sont

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pour toi. Sois toujours douce et aimante comme j'ai toujours désiré que tu fusses et que Dieu te protège. »

La tête appuyée contre l'épaule de Guillaume, Dolaine a écouté en retenant son souffle. La dernière ligne achevée, elle pousse un long soupir comme si sa poitrine s'allégeait d'un poids énorme. Bouleversée, toute tremblante, elle pense à cette mère aimante qui l'a abandonnée pour mieux la sauver. Elle n'est plus une enfant abandonnée, elle a eu une mère qui l'aimait d'un réel amour... et à présent, tout près d'elle, elle a Guillaume qui, malgré l'affreux doute, l'angoissant mystère, n'a jamais cessé, lui non plus, de lui donner son amitié. Quelques heures plus tôt, quand elle est arrivée à Amboise tout était perdu et à présent, brusquement, comme une fleur qui s'ouvre dans la clarté du matin, tout devient lumineux et pur.

« Oh! Guillaume, c'est trop merveilleux, je ne peux croire à un pareil bonheur, je ne l'ai pas mérité, je n'ai pas mérité de devenir ta femme, j'ai été souvent méchante et j'ai trop douté. »

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Guillaume la prend dans ses bras et lui sourit doucement.« Tu n'étais pas méchante, ma petite princesse, tu étais

malheureuse et tu souffrais mais c'est fini, n'est-ce pas? - Oh! oui, tu verras, Guillaume, je saurai être douce et aimante comme le souhaitait ma mère.

— Alors lève-toi, Dolaine, viens dans ce château d'Amboise que tu as si souvent regardé de ton île, autrefois. Demain, le roi sera de retour; je lui présenterai ma fiancée, lui dirai qui tu es, et nous lui demanderons de fixer lui-même le jour de notre mariage.»

Comme le jour où il la ramenait dans l'île, il l'emporte en croupe vers le château et ils traversent le grand pont de la Loire sous le ciel étoile de cette belle nuit de Touraine...

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TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE

I. Une barque dans les joncs 8 II. Dolaine 15

III. Quel est ce jeune cavalier ? 23IV. Guillaume de Romorantin 35V. Le Grand voyage 48

VI. Un certain petit coffret d'argent 55VII. Les Mendiants de Florence 65

VIII. Pietro 76IX. La fête des Colombes 87X. Carlotta 92

XI. La Bonne Angela 105XII. Où vas-tu, Dolaine? 115

XIII. Guillaume, ou es-tu? 122XIV. Les Marais de Marignan 133XV. Un extraordinaire hasard 140

XVI. La robe vénitienne 153XVII. Le secret du coffret 166

©Imprimé en France par Brodard-Taupin. Imprimeur-Relieur, Coulommiers-Paris52805-1-7193 Dépôt légal n° 6726 3e trimestre 1958.

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ŒUVRES COMPLETES

Paul-Jacques Bonzon

ANNEE TITRE EDITEUR ILLUSTRATEUR1951 LE VIKING AU BRACELET D'ARGENT G.P. Rouge et Or Henri DIMPRE1953 LOUTSI-CHIEN Collection Primevère Louis LAFFOND1953 DU GUI POUR CHRISTMAS BOURRELIER-HACHETTE Maguy LAPORTE1953 MAMADI MAGNARD EDITEUR Christian FONTUGNE1954 FAN-LÔ SUDEL EDITEUR JEAN TRUBERT1954 LE JONGLEUR A L'ETOILE HACHETTE Jeanne HIVES1955 DELPH LE MARIN SUDEL EDITEUR Claude JUILLARD1955 LES ORPHELINS DE SIMITRA HACHETTE Albert CHAZELLE1956 LA BALLERINE DE MAJORQUE BIBLIOTHEQUE ROSE Paul DURAND1956 LE PETIT PASSEUR DU LAC HACHETTE JACQUES POIRIER1957 MON VERCORS EN FEU SUDEL EDITEUR Igor ARNSTAM1957 LA PROMESSE DE PRIMEROSE HACHETTE PAUL DURAND1957 LA DISPARUE DE MONTELIMAR HACHETTE Philippe DAURE1958 LA PRINCESSE SANS NOM HACHETTE J-P ARIEL1958 L'EVENTAIL DE SEVILLE BIBLIOTHEQUE VERTE François BATET1959 UN SECRET DANS LA NUIT POLAIRE Editions Delagrave Henri DIMPRE1960 LE CHEVAL DE VERRE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1960 LA CROIX D'OR DE SANTA-ANNA IDEAL-BIBLIOTHEQUE Albert CHAZELLE1960 LA ROULOTTE DU BONHEUR DELAGRAVE Daniel DUPUY1960 CONTES DE L’HIVER BIAS Romain Simon1961 LES COMPAGNONS DE LA CROIX-ROUSSE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1961 J'IRAI A NAGASAKI BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 LE VOYAGEUR SANS VISAGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 TOUT-FOU BIBLIOTHEQUE ROSE Jeanne HIVES1962 LE CHALET DU BONHEUR DELAGRAVE Daniel DUPUY1962 LES SIX COMPAGNONS ET LA PILE ATOMIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME AU GANT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS AU GOUFFRE MARZAL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME DES NEIGES BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LE PIANO A QUEUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LA PERRUQUE ROUGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LA FAMILLE HLM ET L'ÂNE TULIPE (Où est passé l'âne tulipe?) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1964 LA MAISON AUX MILLE BONHEURS DELAGRAVE Daniel DUPUY1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE PETIT RAT DE L'OPERA BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE CHATEAU MAUDIT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LE SECRET DE LA MALLE ARRIERE (HLM n°2) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 LES SIX COMPAGNONS ET L'ANE VERT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES SIX COMPAGNONS ET LE MYSTERE DU PARC BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES ETRANGES LOCATAIRES (HLM n°3) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 L'HOMME A LA VALISE JAUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LES SIX COMPAGNONS ET L'AVION CLANDESTIN BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1967 CONTES DE MON CHALET EDITIONS BIAS Romain SIMON1967 VOL AU CIRQUE (HLM n°4) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 POMPON LE PETIT ANE DES TROPIQUES (avec M. Pédoja) DELAGRAVE Romain SIMON1967 LE MARCHAND DE COQUILLAGES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 RUE DES CHATS SANS QUEUE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LE RELAIS DES CIGALES DELAGRAVE Daniel DUPUY1968 LUISA CONTRE-ATTAQUE (HLM n°7) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1968 LES SIX COMPAGNONS A SCOTLAND YARD BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LES SIX COMPAGNONS ET L'EMETTEUR PIRATE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LE CHATEAU DE POMPON DELAGRAVE Romain SIMON1969 LES AVENTURES DE SATURNIN BIBLIOTHEQUE ROSE PIERRE LEROY1969 SATURNIN ET LE VACA VACA BIBLIOTHEQUE ROSE PIERRE LEROY1969 LES SIX COMPAGNONS ET LE SECRET DE LA CALANQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE

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1969 LES SIX COMPAGNONS ET LES AGENTS SECRETS BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 UN CHEVAL SUR UN VOLCAN (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 POMPON A LA VILLE DELAGRAVE Romain SIMON1969 LE PERROQUET ET SON TRESOR (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 QUATRE CHATS ET LE DIABLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LE BATEAU FANTOME (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIRATES DU RAIL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LES SIX COMPAGNONS ET LA DISPARUE DE MONTELIMAR BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LE JARDIN DE PARADIS DELAGRAVE Romain SIMON1970 L'HOMME AUX SOURIS BLANCHES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1971 SOLEIL DE MON ESPAGNE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1971 LES SIX COMPAGNONS ET LES ESPIONS DU CIEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA PRINCESSE NOIRE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA BRIGADE VOLANTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 YANI DELAGRAVE Romain SIMON1972 CONTES DE L’HIVER EDITIONS BIAS Romain SIMON1972 LE SECRET DU LAC ROUGE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1972 LES SIX COMPAGNONS A LA TOUR EIFFEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1972 L'HOMME A LA TOURTERELLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 SLALOM SUR LA PISTE NOIRE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 LES SIX COMPAGNONS ET L'OEIL D'ACIER BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1973 LES SIX COMPAGNONS EN CROISIERE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS ET LES VOIX DE LA NUIT BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS SE JETTENT A L'EAU BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES ESPIONS DU X-35 (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1975 LE CIRQUE ZIGOTO DELAGRAVE Romain SIMON1975 LE RENDEZ-VOUS DE VALENCE les veillées des chaumières ???1975 LES SIX COMPAGNONS DEVANT LES CAMERAS BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1975 LES SIX COMPAGNONS DANS LA CITADELLE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1975 LA ROULOTTE DE L'AVENTURE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1976 LES SIX COMPAGNONS ET LA CLEF-MINUTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1976 DIABOLO LE PETIT CHAT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO POMPIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 LES SIX COMPAGNONS AU TOUR DE FRANCE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1976 LE CAVALIER DE LA MER (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1977 LES SIX COMPAGNONS AU CONCOURS HIPPIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIROGUIERS BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1977 L'HOMME AU NOEUD PAPILLON (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1977 DIABOLO JARDINIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 LES SIX COMPAGNONS AU VILLAGE ENGLOUTI BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1978 DIABOLO PATISSIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 LES SIX COMPAGNONS ET LE CIGARE VOLANT BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1978 AHMED ET MAGALI DELAGRAVE Monique GORDE1979 LES SIX COMPAGNONS ET LES SKIEURS DE FOND BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 LES SIX COMPAGNONS ET LA BOUTEILLE A LA MER BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 DIABOLO SUR LA LUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1980 LES SIX COMPAGNONS ET LES BEBES PHOQUES BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1980 LES SIX COMPAGNONS DANS LA VILLE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY

THEATRE1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit1954 L'insécurité sociale 1956 Les Carottes des Champs-Elysées 1956 Nous les avons vus 1956 Aux urnes, citoyennes ! 1957 Permis de conduire à tout âge 1957 La nuit du 3 mars 1957 Madame a son robot 1957 Plus on est de fous??? Devant le rideau

NOUVELLES 1952 Le Grand Linceul Blanc

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(Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952)1953 Les monstres de Maladetta

(Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953) 1959 Le chamois de Zimmis

Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 "Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des Editions Fleurus).??? Le père Noël n'avait pas six ans

Paul-Jacques Bonzon

Paul-Jacques Bonzon (31 août 1908 à Sainte-Marie-du-Mont (Manche) - 24 septembre 1978 à Valence) est un écrivain français, connu principalement pour la série Les Six Compagnons.

Biographie

Paul-Jacques Bonzon est originaire du département de la Manche. Né à Sainte-Marie-du-Mont en 1908, scolarisé à Saint-Lô, Paul-Jacques Bonzon fut élève de l'école normale d'instituteurs de Saint-Lô, promotion 1924-1927. Il fut d'abord nommé en Normandie, dans son département d'origine. En 1935, il épouse une institutrice de la Drôme et obtient sa mutation dans ce département où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt-cinq ans. En poste à Espeluche puis à Chabeuil, il rejoint Saint-Laurent-en-Royans en 1949 et Valence en 1957 où il termine sa carrière en 1961.

Il se consacre alors entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants ayant rejoint l'Académie Drômoise des Lettres, des sciences et des arts, association culturelle qui groupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".

Son œuvre tranche sur la littérature pour la jeunesse de l'époque par le caractère réaliste et parfois triste de certaines situations : les enfants qu'il met en scène sont confrontés à la misère, au handicap, à l'abandon. Paul-Jacques Bonzon décrit la solidarité qui anime les milieux modestes auxquels ils appartiennent, n'hésitant pas à les insérer dans des contextes historiques marqués comme, Le jongleur à l'étoile (1948) ou Mon Vercors en feu (1957).

La plus grande majorité de ses ouvrages ont été publiés à la Librairie Hachette. À ce titre, il se trouve être l'un des romanciers pour la jeunesse les plus représentatifs de cette époque.

Plusieurs de ses ouvrages mettent en scène le Cotentin et plus particulièrement Barneville-Carteret, qu'il nomme d'ailleurs Barneret et Carteville dans ses romans. Les cousins de la Famille HLM y prennent leurs vacances. Delph le marin, publié chez SUDEL, se déroule à Carteret (Hardinquet, dans le roman) de même que "Le marchand de coquillages" ,"Le cavalier de la mer" ou encore "Le bateau fantôme". L'auteur connaissait bien la région. Il y venait régulièrement.

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Paul-Jacques Bonzon laisse une œuvre dont l'importance se mesure au succès rencontré notamment par des séries fortement appréciées comme Les Six compagnons, La Famille HLM ou Diabolo, mais pas seulement car ce serait oublier tout un autre aspect de l'œuvre, tout aussi significative de la qualité de l'écrivain. Les ouvrages de Bonzon ont été traduits, adaptés et diffusés dans 18 pays dont la Russie et le Japon. Les premières adaptations connues l'ont été en langue néerlandaise pour les Pays-Bas mais également pour l'Indonésie et l'Afrique du Sud. Il l'est encore aujourd'hui. Par exemple, Le roman Les Orphelins de Simitra a été adapté sous forme d'une animation diffusée, en 2008, au Japon, sous le nom de "Porphy No Nagai Tabi" (Le long voyage de Porphyras).

Paul-Jacques Bonzon est aussi connu dans les milieux scolaires. Il publie chez Delagrave,à partir de 1960, une série d'ouvrages de lectures suivies pour l'école dont l'un, "La roulotte du Bonheur", se déroule dans son département d'origine. Il a écrit en collaboration avec M. Pedoja, inspecteur départemental de l'Éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques".

Il décède à Valence le 24 septembre 1978. Néanmoins, les éditions Hachette poursuivront l'œuvre de l'écrivain en publiant, encore quelques années, plusieurs titres de la série Les Six Compagnons, mais sous d'autres signatures. Aujourd'hui, un peu moins d'une vingtaine de titres figurent encore au catalogue de l'éditeur, dans la collection bibliothèque verte, sous une présentation modernisée.

En mars 2010, la première aventure de la série Les Six Compagnons a été rééditée en Bibliothèque rose dans une version modernisée.

Le 12 mars 2011, la ville de Valence a inauguré un square à son nom, en présence de ses enfants, petits-enfants et admirateurs.

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Paul-Jacques Bonzon

Biographie : rédigée par la dernière épouse de Paul Jacques ; Maggy

Paul-jacques Bonzon est né le 31 août 1908 à Sainte marie du mont, Manche, en Normandie.

Élève de l'école normale d'instituteur de Saint-lô, il fut d'abord nommé en Normandie. Pour des raisons de santé, il vint dans la Drôme où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt cinq ans. Marié, père de deux enfants : Jacques et Isabelle, il termine à Valence en 1961 sa carrière d'enseignant pour se consacrer entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants.

Il appartenait à l'"Académie Drômoise", association culturelle qui groupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".Il ne rattachait pas ses livres à un courant historique quelconque, cependant il lisait beaucoup Freud, Bergson, Huxley. Très peu de romans, sauf ceux dans lesquelles il trouvait la documentation qu'il cherchait. Pourtant, il aimait Simenon dont il appréciait la psychologie, l'étude d'un milieu.

A l'origine de son oeuvre est un concours de circonstances. Pendant la dernière guerre, instituteur dans le Vercors, (mon Vercors en feu), il eut à se pencher sur la condition de vie des enfants réfugiés, des juifs en particulier. Pour les aider moralement et les distraire, il leur lisait des histoires qu'il écrivait pour eux. Envoyé à un éditeur "Loutsi-chien" fut accepté. D'autres romans, tous retenus, suivront.

Tout naturellement, l'instituteur qu'il était a écrit pour ses élèves, pour la plupart d'un milieu modeste. Ils se reconnaissaient dans les héros de Paul-jacques Bonzon, enfants de la rue, sans moyens financiers (la série Six compagnons), mais adroits, dévoués, généreux, chevaleresques même.

C'est aussi cette connaissance des enfants qui lui a fait introduire des animaux dans ses romans : Kafi (Six compagnons), Tic-Tac (Famille H.L.M.), Minet, (La roulotte du Bonheur), Ali-Baba-Bikini (La maison au mille bonheurs), l'Âne (série des "Pompon").Les romans sentimentaux, plus psychologiques sont le plus souvent une quête, celle d'une

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sœur, d'une famille affectueuse, d'ou leur atmosphère un peu triste, tous, et en particulier, ceux écrits pour les écoles, s'attachent à faire connaître la France ou les pays étrangers (Sénégal, Laponie, Japon, Portugal, Espagne, Grèce, Italie, Angleterre). La documentation est toujours très sérieuse, la vérité historique respectée (Le viking au bracelet d'argent, La princesse sans nom, Le jongleur à l'étoile).

Ecrits dans un but éducatif et culturel, le livres de Paul-jacques Bonzon allient à une langue simple, pure, évocatrice, souvent poétique, le souci d'instruire autant que celui de plaire.

Il a écrit en collaboration avec Monsieur Pedoja , inspecteur départemental de l'éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques".

Chacun écrivait un chapitre et le communiquait.

Il disparaît le 24 septembre 1978 à Valence, Drôme.

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Paul-Jacques BONZON

J'ai demandé à plusieurs personnes si ce nom leur était familier et la plupart m'ont répondu par la négative...

Mais lorsque j'ai parlé des "Six Compagnons", tout à coup des souvenirs leur sont revenus dans une bouffée de chaleur et de bonheur de l'enfance...!

Paul-Jacques Bonzon a été un auteur très prolifique. Son écriture légère et fluide destinée aux enfants n'en est pas moins rigoureuse et très littéraire. Son style, un enchantement et ses histoires toujours bien ficelées jusque dans les moindres détails. Des adultes peuvent trouver grand plaisir à la lecture de ces histoires bien construites et dans lesquelles les grandes valeurs de la morale judéo-chrétienne ont cours. Mystère, tristesse, tendresse, émotion et joie, tout y est...!

Nous avons donc réuni dans cette page, un peu en vrac, des informations pêchées à droite et à gauche sur cet écrivain et nous espérons que cela vous donnera peut-être envie de découvrir son oeuvre.

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Biographie de P-J Bonzon:

Paul-Jacques Bonzon est né le 31 août 1908 à Sainte-Marie-du-Mont, Manche, en Normandie. Aujourd'hui, un bourg de 700 à 800 habitants, situé à deux pas de la baie des Veys, et des plages du débarquement.

Fils unique né dans une famille aisée, Paul-Jacques eut cependant une enfance assez difficile face à un père autoritaire qui ne lui laissa pas souvent faire ce qu'il aurait aimé.

Elève de l'école normale d'instituteur de Saint-lô, il fut d'abord nommé en Normandie. Pour des raisons de santé, il vint dans la drôme où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt cinq ans.

Marié, père de deux enfants : Jacques et Isabelle, il termine à Valence en 1961 sa carrière d'enseignant pour se consacrer entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants.

Il appartenait à l'"Académie Drômoise", association culturelle qui groupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".

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Il ne rattachait pas ses livres à un courant historique quelconque, cependant il lisait beaucoup Freud, Bergson, Huxley. Très peu de romans, sauf ceux dans lesquels il trouvait la documentation qu'il cherchait.

Pourtant, il aimait Simenon dont il appréciait la psychologie, l'étude d'un milieu.

A l'origine de son oeuvre est un concours de circonstances. Pendant la dernière guerre, instituteur dans le Vercors, (mon Vercors en feu), il eut à se pencher sur la condition de vie des enfants réfugiés, des juifs en particulier. Pour les aider moralement et les distraire, il leur lisait des histoires qu'il écrivait pour eux. Envoyé à un éditeur "Loutsi-chien" fut accepté. D'autres romans, tous retenus, suivront.

Tout naturellement, l'instituteur qu'il était a écrit pour ses élèves, pour la plupart d'un milieu modeste. Ils se reconnaissaient dans les héros de Paul-Jacques Bonzon, enfants de la rue, sans moyens financiers (la série Six compagnons), mais adroits, dévoués, généreux, chevaleresques même.

C'est aussi cette connaissance des enfants qui lui a fait introduire des animaux dans ses romans : Kafi (Six compagnons), Tic-Tac (Famille H.L.M.), Minet, (La roulotte du Bonheur), Ali-Baba-Bikini (La maison au mille bonheurs), l'Ane (série des "Pompon").Les romans sentimentaux, plus psychologiques sont le plus souvent une quête, celle d'une soeur, d'une famille affectueuse, d'ou leur atmosphère un peu triste. Tous et en particulier ceux écrits pour les écoles, s'attachent à faire connaître la France ou les pays étrangers (Sénégal, Laponie, Japon, Portugal, Espagne, Grèce, Italie, Angleterre). La documentation est toujours très sérieuse, la vérité historique respectée (Le viking au bracelet d'argent, La princesse sans nom, Le jongleur à l'étoile).

Ecrits dans un but éducatif et culturel, le livres de Paul-Jacques Bonzon allient à une langue simple, pure, évocatrice, souvent poétique, le souci d'instruire autant que celui de plaire.

Il a écrit en collaboration avec Monsieur Pedoja , inspecteur départemental de l'éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques".

Chacun écrivait un chapitre et le communiquait.

Il disparut le 24 septembre 1978 à Valence, Drôme.

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Article paru à sa mort:

Valence.

La mort de Paul-Jacques Bonzon va toucher des millions de jeunes et d'enfants à travers le monde. Il était leur écrivain, celui qui avait compris leurs goûts, et qui était devenu leur complice à travers une centaine de romans. Depuis plus de trente ans ( c'est à dire que ses premiers lecteurs sont aujourd'hui des hommes), il a enchanté des générations d'écoliers par

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ces récits d'aventure clairs, purs et passionnants. Son oeuvre a été traduite dans un grand nombre de pays, y compris le Japon, et partout elle a connu un et connaît encore, un étonnant succès.

Originaire de Ste-Marie-du-Mont dans la manche, il était doué pour la peinture et la musique, mais son père avait voulu qu'il soit instituteur. Et c'est comme tel qu'il arriva un jours dans le Vercors, puis, plus tard, à l'école de la rue Berthelot à Valence, et qu'il commença à écrire des histoires qu'il lisait à ses élèves, guettant leurs réactions, et s'inspirant souvent de leurs remarques..

Ses héros les plus populaires sont les Six compagnons qu'il entraîna dans des aventures lointaines ou proches, à Valence, à l'Aven Marzal, à la Croix-Rousse, à Marcoules, et qui tiennent aujourd'hui un bon rayon dans la bibliothèque verte. Pour la bibliothèque rose, il mit en scène la famille H. L. M., et écrivit beaucoup d'autres récits comme Mon Vercors en feu, et d'autres fictions tel l' Eventail de Séville qui fut adapté pour la télévision.Paul-Jacques Bonzon avait reçu en France le grand prix du Salon de l'Enfance, puis, à New-York, le prix du Printemps qui couronne le meilleur livre pour enfants paru aux Etats-Unis.Il avait abandonné l'enseignement assez tôt pour se consacrer à son oeuvre, entouré de son épouse et de ses deux enfants, une fille et un garçon, aujourd'hui mariés. Il travaillait le plus souvent directement à la machine dans sa tranquille demeure de la rue Louis-Barthou, prolongée par un charmant petit jardin.

C'est là qu'il inventait ses belle histoires, et lorsqu'il avait achevé un chapitre il prenait sa pipe et venait faire un tour en ville de son pas glissé, calme et amical.

Paul-Jacques Bonzon était naturellement membre de l'académie drômoises, vice-président de Culture et Bibliothèques pour tous. Il était devenu un authentique Dauphinois très attaché à sa province d'adoption. Sa gloire littéraire, qui est mondiale parmi les jeunes, n'avait en rien altéré sa simplicité ni sa bienveillance : et il disparaît comme il a vécu, dicrètement.

Pierre Vallier.

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Autres témoignages:

Paul-Jacques Bonzon est très connu pour sa série de livres parus dans la bibliothèque verte, sous le titre "Les six compagnons". Outre de nombreux autres ouvrages pour la jeunesse de grande qualité, il a aussi publié des ouvrages scolaires. Paul-Jacques BONZON était instituteur.

Paul-Jacques BONZON est surtout connu comme grand romancier de la jeunesse, d'ailleurs abondamment lauré (Second Prix "Jeunesse" en 1953. Prix "Enfance du Monde" en 1955. Grand Prix du Salon de l'Enfance en 1958). Ses ouvrages suscitent

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chez nos enfants - et chez bien des adultes - un intérêt croissant. Il sait, de longue expérience, que composer un livre de "lectures suivies" est une entreprise délicate, que le goût des jeunes est à l'action rondement menée, aux péripéties multiples voire violentes ou cruelles. Les livres d'évasion, de délassement, de bibliothèque, pour tout dire, laissent paraître ces caractères.

Paul Vigroux, Inspecteur général honoraire.

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Paul-Jacques Bonzon a réalisé de très nombreux dessins. En fait il voulait à l'origine être dessinateur, peintre ou musicien mais sont père en a décidé autrement! A une certaine époque, il résidait en Suisse et vivait de ces dessins humoristiques vendus sous forme de cartes postales.

Un dessin de Paul-Jacques Bonzon:

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Voici quelques informations supplémentaires, tirées d'un ouvrage de Marc Soriano, aux Éditions Delagrave, 2002.

L'auteur nous apprend que Paul-Jacques Bonzon, né dans une famille aisée, fils unique, père autoritaire, a eu une enfance difficile.

Paul-Jacques Bonzon, en écrivant pour les enfants, se réinvente une enfance.Il écrit des aventures sentimentales qui sont des quêtes : une soeur, une famille normale...(Du gui pour Christmas, La promesse de Primerose).

Cela plaît particulièrement aux filles, confie Paul-Jacques Bonzon.

Il avoue aussi que s'il ne tenait qu'à lui, les ouvrages finiraient mal !

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Ce qui plaît plus aux filles qu'aux garçons. Un seul titre finit mal : "L'éventail de Séville". Encore l'adaptation télévisée adoucit-elle la fin. Et des pays étrangers, pour la traduction dans leur langue, demandent "une fin heureuse".

Les six compagnons se vendent à 450000 par an en moyenne. L'auteur dit qu'on lui a reproché de "s'être laissé aller" à des séries, comme si c'était une déchéance pour l'auteur et un mal pour le lecteur. Paul-Jacques Bonzon reprend :

"Il est important d'encourager la lecture à une époque ou elle est concurrencées par toutes sorte d'autres sollicitations".

Bonzon avoue aussi son penchant pour les milieux modestes, qui, dit-il plaisent aux enfants. Il comprend, avec le temps, pourquoi sa série des "Six compagnons" a plus de succès que sa série "La famille HLM" : Il y a un chien !

Les ouvrages de Bonzon sont traduits dans 16 pays.

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Bibliographie:

Titres hors séries:

- Contes de mon chalet- Contes de l’hiver- Delph le marin- Du gui pour Christmas (Second Prix "Jeunesse" 1953)- Fan-Lo- J'irai à Nagasaki- La ballerine de Majorque- La croix d'or de Santa Anna- La disparue de Montélimar- La princesse sans nom- La promesse de Primerose- Le rendez vous de Valence- Le cheval de verre- Le jongleur à l'étoile- Le petit passeur du lac- Le secret du lac Rouge- Le viking au bracelet d'argent- Le voyageur sans visage- Les aventures de Saturnin- Les orphelins de Simitra (Prix "Enfance du Monde" 1955)- L'éventail de Séville (Grand Prix "Salon de l'Enfance" 1958)- L'homme à la valise jaune- Loutsi-Chien- Mamadi- Mon Vercors en feu- Saturnin et le vaca-vaca- Soleil de mon Espagne- Tout Fou- Un secret dans la nuit polaire

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Les six Compagnons:

1 1961 Les Compagnons de la Croix-Rousse 2 1963 Les Six Compagnons et la pile atomique3 1963 Les Six Compagnons et l'homme au gant4 1963 Les Six Compagnons au gouffre Marzal5 1964 Les Six Compagnons et l'homme des neiges6 1964 Les Six Compagnons et la perruque rouge7 1964 Les Six Compagnons et le piano à queue8 1965 Les Six Compagnons et le château maudit9 1965 Les Six Compagnons et le petit rat de l'Opéra10 1966 Les Six Compagnons et l'âne vert11 1966 Les Six Compagnons et le mystère du parc12 1967 Les Six Compagnons et l'avion clandestin13 1968 Les Six Compagnons et l'émetteur pirate14 1968 Les Six Compagnons à Scotland Yard15 1969 Les Six Compagnons et les agents secrets16 1969 Les Six Compagnons et le secret de la calanque17 1970 Les Six Compagnons et les pirates du rail18 1970 Les Six Compagnons et la disparue de Montélimar19 1971 Les Six Compagnons et la princesse noire20 1971 Les Six Compagnons et les espions du ciel21 1972 Les Six Compagnons à la tour Eiffel22 1972 Les Six Compagnons et la brigade volante23 1973 Les Six Compagnons et l'œil d'acier24 1973 Les Six Compagnons en croisière25 1974 Les Six Compagnons et les voix de la nuit26 1974 Les Six Compagnons se jettent à l'eau27 1975 Les Six Compagnons dans la citadelle28 1975 Les Six Compagnons devant les caméras29 1976 Les Six Compagnons au village englouti30 1976 Les Six Compagnons au tour de France31 1977 Les Six Compagnons au concours hippique32 1977 Les Six Compagnons et la clef-minute33 1978 Les Six Compagnons et le cigare volant34 1978 Les Six Compagnons et les piroguiers35 1979 Les Six Compagnons et la bouteille à la mer36 1979 Les Six Compagnons et les skieurs de fond37 1980 Les Six Compagnons et les bébés phoques38 1980 Les Six Compagnons dans la ville rose

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SERIE LA FAMILLE H.L.M

Paul-Jacques BONZON

1. Où est passé l'âne Tulipe ? (1966) (publié également sous le titre La famille H.L.M. et l'âne Tulipe)

2. Le secret de la malle arrière (1966) 3. Les étranges locataires (1966) 4. Vol au cirque (1967) 5. L'homme à la valise jaune (1967) 6. Luisa contre-attaque (1968) 7. Le marchand de coquillages (1968) 8. Rue des chats-sans-queue (1968) 9. Un cheval sur un volcan (1969) 10. Le perroquet et son trésor (1969) 11. Quatre chats et le diable (1970) 12. Le bateau fantôme (1970) 13. Le secret du Lac Rouge (1971) 14. L'homme à la tourterelle (1972) 15. La roulotte de l'aventure (1973) 16. Slalom sur la piste noire (1974) 17. L'homme aux souris blanches (1975) 18. Les espions du X-35 (1976) 19. Le cavalier de la mer (1977) 20.L’homme au nœud papillon (1978)

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LA FAMILLE H.L.M

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SERIE : DIABOLO

1. DIABOLO LE PETIT CHAT 1976 2. DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT 1976 3. DIABOLO POMPIER 1976 4. DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS 1977 5. DIABOLO JARDINIER 1977 6. DIABOLO PATISSIER 1977 7. DIABOLO SUR LA LUNE 1979

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SERIE : DIABOLO

par Paul-Jacques BONZON

8. DIABOLO LE PETIT CHAT 1976 9. DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT 1976 10.DIABOLO POMPIER 1976 11.DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS 1977 12.DIABOLO JARDINIER 1977 13.DIABOLO PATISSIER 1977 14.DIABOLO SUR LA LUNE 1979

A suivre

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Livres scolaires: "Livres de lecture suivie"

P.-J. Bonzon et M. Pédoja:

- Pompon le petit âne des tropiques. CP.

P.-J. Bonzon:

- Le château de Pompon (CP)- Pompon à la ville (CP)- Le jardin de Paradis (CP, CE1)- La maison aux mille bonheurs (CE1, CE2)- Le cirque Zigoto (CE1, CE2)- Le chalet du bonheur (CE1, CE2, CM1)- Yani (CM1, CM2)- Ahmed et Magali (CM1, CM2)- Le relais des cigales (CM1, CM2)- La roulotte du bonheur (CM2)

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Voici quelques photos de couvertures de livres de P-J Bonzon (Cliquez sur une vignette pour voir la photo agrandie, puis sur le bouton "Précédente" de votre

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A suivre

THEATRE1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit1954 L'insécurité sociale 1956 Les Carottes des Champs-Elysées 1956 Nous les avons vus 1956 Aux urnes, citoyennes ! 1957 Permis de conduire à tout âge 1957 La nuit du 3 mars 1957 Madame a son robot 1957 Plus on est de fous??? Devant le rideau

NOUVELLES 1952 Le Grand Linceul Blanc

(Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952)1953 Les monstres de Maladetta

(Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953) 1959 Le chamois de Zimmis

Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 "Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des Editions Fleurus).

??? Le père Noël n'avait pas six ans

Sauf erreur ou omission.

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