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Bruno Cabanis
Dans l’atelier des créateurs de figurines
G13516_SculpteurDeBD_PDT.indd 3 08/09/2014 17:34
© Groupe Eyrolles, 2014
ISBN : 978-2-212-13516-9
Révision : Sylvie Rouge-PullonConception graphique et mise en pages : Aurélie Vilette
Toutes les photographies sont de l’auteur, sauf mention
© Groupe Eyrolles, 2014
ISBN : 978-2-212-13516-9
droits réservés.
Dépôt légal : Septembre 2014N° d’éditeur : 8899Imprimé en Slovénie par DZS
Sommaire
Avant-Propos
La genèse des produits dérivés de la BD franco-belge,
Gérard Liger-Belair et Géo Salmon
Nat Neujean
Jean-Marie Pigeon
Leblon-Delienne
Michel Aroutcheff
Pixi, Alexis Poliakoff
Patrick Regout
Démons & Merveilles, Figures & Vous
Idem, Serge Leuba
Fariboles, Pascal Rodier
Attakus
Dominique Mufraggi
Glossaire
Bibliographie
Remerciements
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Jean-Marie PigeonOn peut se demander ce qui poussa Jean-Marie Pigeon, fraîchement diplômé des Arts appliqués et des Beaux-Arts, à sculpter au début de l’année 1977 le buste du Tintin au mouchoir, tiré de l’album Le Crabe aux pinces d’or (Casterman, dès 1941).
Rien de ce qu’on appelait alors le « marché des produits dérivés » de la bande dessinée ne pouvait inciter un artiste à sculpter le héros d’Hergé pour en commer-cialiser une petite série. Rappelons qu’à l’exception des Pouet-Pouet créés par Nat Neujean1 et de certaines figurines en latex, la plupart des produits dérivés créés entre 1960 et 1975, pour plaisants qu’ils aient été, furent sculptés sans grand ta- lent avant d’être fabriqués à l’économie, dans des matériaux bon marché comme le plastique moulé ou injecté. Lorsqu’ils ne faisaient pas l’objet d’un cadeau à gagner dans le cadre d’opérations publicitaires ou à l’occasion du plein de la voiture, ils étaient vendus par correspondance au travers d’encarts dans les journaux Tintin et Spirou.
Son parcoursRevenons en 1970, lorsque Jean-Marie Pigeon entra à l’École des arts appliqués de Paris. Il y fit la rencontre de Frank Margerin, Denis Sire et Alain Frentzel, qui partageaient la même culture musicale, et avec lesquels il forma Los Crados, un groupe de rock. Margerin était l’homme des « dessins défis », capable de traduire n’importe quelle situation en quelques coups de crayon, et ses amis le poussèrent à faire de la bande dessinée. Comme Denis Sire, il devint donc auteur de BD et s’inspira d’Alain Frentzel – devenu peintre –, pour le personnage de Ricky Banlieue.
Sa formationQuant à Jean-Marie Pigeon, il découvrit aux Arts appliqués le pop art, qui lui ouvrait tout un éventail de nouvelles possibilités : comment agrandir des objets usuels en exploitant divers rapports d’échelle, comment choisir, utiliser, détourner et dupli-quer des images appartenant à l’inconscient collectif. Aux « Zarza » (les Arts appli-qués), il suivit une formation au laquage chinois et japonais et apprit toutes sortes de techniques, en particulier celles du ponçage et du vernissage. Il découvrit le moule à l’élastomère, qui autorisait le tirage d’objets dans des matériaux aussi dif-férents que la résine, l’étain ou le plomb.
En 1974, muni de son diplôme, il entra à l’École nationale supérieure des beaux-arts, où il fit l’apologie de ces techniques nouvelles. Moulant et dupliquant tout ce qui l’inspirait, il contribua par son activisme à populariser cette technique de moulage auprès des étudiants et professeurs de l’école, et à la faire intégrer dans le cursus de formation.
À sa sortie des Beaux-Arts en 1976, il devint jusqu’en 1986 l’assistant de son pro-fesseur Gaston Watkin, prix de Rome de sculpture, auquel il apporta ses compé-tences dans le domaine de la résine.
T Le sculpteurPhotographié en 1970 par Frank Margerin.
T LucienDessin extrait du tome XI de Lucien, de Frank Margerin (Fluide Glacial, 2011). Le dessin original de la BD a été ici légèrement modifié par Frank Margerin pour que le personnage visible au premier plan ressemble au J.-M. Pigeon de 1970. © Frank Margerin/Fluide Glacial
Q J.-M. Pigeon face à CorsoLe chien a été dessiné en 1982 par Joost Swarte, pour l’exposition Rock et BD au CNBDI d’Angoulême. © Joost Swarte
1 - Voir le chapitre sur le sculpteur, p. 15.
• Les yeux d’Alfred sont mis en place (92, 93). Il est temps pour l’artiste de signer son œuvre (94).
• Pour protéger la peinture des rayons ultraviolets et de la poussière, et permettre son nettoyage, J.-M. Pigeon pulvérise une couche de vernis (95).
• Alfred Ier est achevé, il mesure 72 cm de haut et sera tiré à 12 exemplaires.
58 | Les sculpteurs de BD
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Michel AroutcheffSon père, d’origine russe, était arrivé avec sa famille à Paris à l’âge de trois ans. Il devint architecte et épousa une Française. En 1946, il remporta un concours d’architecture au Maroc, l’année même où Michel vit le jour. Ils s’installèrent à Casablanca pour dix ans, période qui fut pour Michel Aroutcheff celle d’une enfance ensoleillée et qui s’acheva avec l’indépendance et le retour en métropole.
Sa scolarité fut marquée par la diversité des établissements qu’il fréquenta. Dissipé et peu motivé, l’élève était généralement remercié au bout d’un an, de deux par les plus patients. Il persévéra jusqu’en classe de troisième, avant de per-suader ses parents qu’il était plus raisonnable de jeter l’éponge.
Un talent particulierIl commença à travailler pour un tapissier, puis un menuisier, apprenant ces métiers sur le tas en réaménageant des appartements et en travaillant sur des chantiers. Ce fut l’occasion pour lui de se découvrir un talent particulier pour le travail du bois, et de s’apercevoir qu’il pouvait prendre du plaisir à l’exercer.
Son grand-père, un éminent mathématicien de son époque, était également inven-teur de jeux. Un jour qu’il mettait au point le plan d’un nouvel échiquier, Michel Aroutcheff prit l’initiative d’en faire le prototype. Son père en fut le premier uti- lisateur, et du jour au lendemain, Michel passa du statut de raté à celui de virtu-ose aux yeux de sa famille. Il développa une complicité nouvelle avec son aïeul, qui passait de longs moments en sa compagnie. Ils parlaient mathématiques pendant que Michel fabriquait les modèles dont son grand-père voulait déposer le brevet.
Encouragé par ces changements, son père l’inscrivit en tant qu’auditeur libre aux cours d’architecture des Beaux-Arts. S’il était très intéressé par la pratique, Michel l’était un peu moins par le cursus théorique. Mais de nombreux étudiants mirent ses talents à contribution pour les maquettes de leurs projets de diplôme.
En 1967, il partit pour le Canada, où il espérait faire son service militaire. Ce plan s’étant effondré au dernier moment, ce fut finalement sans projet particulier qu’il débarqua à Montréal. Il y resta cinq ans, vendant des casseroles, des encyclopédies et construisant des charpentes. En 1973, il avait 27 ans lorsque la conscription le rattrapa. Il rentra en France, où il fut affecté à l’armée de l’air, au Bourget – juste le temps de se faire réformer. Il s’installa à Paris, fonda une famille et décida de se lancer dans un projet qui allait déterminer le cours de son existence.
Du jouet à la paraBDLes premières voitures en boisSa formation d’architecte, son goût pour le design d’objets ou de mobilier et ses prédispositions pour le travail du bois avaient éveillé son intérêt pour le marché du jouet. Fort de ses voyages au Canada et en Europe, il constata qu’en France cette
Q Michel Aroutcheff avec sa fusée TintinLe sculpteur est en compagnie d’une version unique de la fusée Tintin, qui mesure plus de 2 mètres.
S L’atelierVoici la vue, depuis l’atelier, sur la maison que Michel Aroutcheff s’est construite.À côté de la grande fusée se tiennent quelques jouets à bascule en bois sérigraphié, tirés du monde de Tintin. (Notons que la marionnette que l’on voit ici est un cadeau de Leblon-Delienne.)
La collection Blake et MortimerComme il fallait composer un nouveau catalogue en repartant de zéro, c’est en prio- rité vers l’univers d’Edgar P. Jacobs que Michel Aroutcheff se tourna. Les aven-tures de Blake et Mortimer sont peuplées de superbes véhicules volants relevant du fantastique ou de la science-fiction. Dans Le Secret de l’Espadon (Le Lombard, dès 1950), Blake et Mortimer et leurs ennemis s’affrontent aux commandes d’engins volants comme l’Aile rouge, le Golden Rocket ou l’Espadon. Dans L’Énigme de l’Atlantide (Le Lombard, dès 1957), les Atlantes se déplacent dans les airs avec nos héros grâce à des Sphéros ou à une voiture biplace, avant de s’envoler vers leur destinée à bord d’astronefs rouges frappés de lettres greques.
Les premiers véhicules Aroutcheff vinrent puiser dans ces deux albums :• À partir de 1996, de L’Énigme de l’Atlantide sortirent le Sphéros grand modèle, la voiture biplace, une grande et une petite soucoupe volante, suivis d’autres Sphéros et de deux modèles (un grand et un petit) d’astronefs rouges.• Toujours en 1996, Michel Aroutcheff s’attaqua aux Requins patrouilleurs du Secret de l’Espadon, à un chasseur et à un hydravion au service de l’empereur Basam-Damdu.• En 1998 furent édités l’Espadon et l’Aile rouge grands modèles.
Bien qu’imposantes (l’Espadon mesure 61 cm, le Grand Astronef 65 cm et la grande Aile rouge 70 cm d’envergure), ces pièces étaient réalisées à une échelle plus petite que celle du 1/10 à laquelle Michel Aroutcheff recourt habituellement. Cette même année vit la sortie de deux modèles plus traditionnels, Blake et Mortimer au volant d’une Ford 38, tirés de L’Énigme de l’Atlantide, et une moto Triumph pilotée par Blake.
T Les Requin patrouilleurs(1996, 26 cm de long, environ 200 ex. au total)
Q Le Sphéros 2 (à gauche) et Le Grand Astronef (à droite)(1996, 24 cm de haut, environ 100 ex. pour Le Sphéros 2 ; 1998, 65 cm de haut, environ 180 ex. pour Le Grand Astronef)Le Sphéros 2 est un engin volant terrestre ; Le Grand Astronef transporte les Atlantes à la rencontre de leur destin. Il y eut un second astronef plus petit (1998, 35 cm de haut, environ 110 ex.), dont les pieds métalliques sont d’une grande fragilité.
j L’Aile rouge et L’Espadon(1996, 30 cm de long sur 70 cm d’envergure, une centaine d’ex. pour L’Aile rouge ; 1998, 59 cm de long, environ 420 ex. pour L’Espadon)Tirés du Secret de l’Espadon, la première des aventures de Blake et Mortimer.
S Le Mini Golden Rocket(2000, 22 cm de long, environ 250 ex.)Il est intéressant de comparer ce véhicule avec son ancêtre, réalisé par Gérard Liger-Belair (voir p. 9).
Pour la double page :© Éditions Blake et Mortimer/Studio Jacobs (Dargaud-Lombard s.a.) 2014
Si plusieurs chemins mènent à la paraBD, celui qu’emprunta Pascal Rodier ne fut pas le plus court. Il s’essaya d’abord au fonctionnariat, travailla dans la banque avant de devenir commercial pour la construction, passant d’un emploi à l’autre sans intérêt ni regret.
La naissance d’une vocationProfitant de son temps libre, il se lança dans la fabrication de petits personnages en plomb pour un fabricant rouennais de véhicules de collection à l’échelle 1/431. Muni de ce viatique, il se présenta en 1992 auprès des établissements Leblon-Delienne et postula à un emploi de sculpteur. Le hasard fit bien les choses, car ces derniers réfléchissaient justement à une manière de répondre à la concurrence commerciale de Pixi2. S’écartant de sa production traditionnelle de figurines en plomb, cette société se lançait dans la résine, domaine dans lequel Leblon-Delienne n’avait souffert jusque-là d’aucune rivalité. Embauché pour un stage de trois mois, Pascal travailla dans l’équipe de Marie Leblon sur six figurines3 en plomb de Spirou, Suzette et Vertignasse, d’après la série « Le Petit Spirou », de Tome et Janry (Dupuis, tome I, 1991). Il intervint sur d’autres pièces de Leblon-Delienne, dont le condor du Tintin condor, les plombs de « Quick et Flupke » et « Jo, Zette et Jocko ». À l’issue de ces trois mois, Pascal Rodier ne fut pas engagé, mais le plaisir inédit qu’il avait ressenti à sculpter ces figurines lui donna l’envie et l’énergie nécessaire pour se lancer dans l’aventure.
Les débuts de FaribolesEn septembre 1993, quand Pascal Rodier, à l’âge de 31 ans, fonda sa société, les marques historiques Aroutcheff, Pixi et Leblon-Delienne contrôlaient le marché, monopolisant les grandes signatures comme celles d’Hergé, Franquin, Uderzo, Jacobs et Morris. Pour se distinguer de la production existante, Pascal Rodier décida de miser sur de grands auteurs de BD un peu moins connus du grand public, se proposant de réaliser des statuettes en résine de dimensions raisonnables (de 20 à 30 cm), et de ce fait à des prix abordables.
Il contacta Régis Loisel, qui accepta qu’il sculpte Le Fourreux, animal aux pouvoirs magiques issu de la série « La Quête de l’oiseau du temps » (Dargaud, dès 1983).
Les premières créationsDès sa première réalisation sous la marque Fariboles, Pascal Rodier innova. Plutôt que d’interpréter un visuel établi, il rechercha la meilleure attitude traduisant le caractère fantastique et malicieux de l’animal. Maniant la couleur comme une matière – bleu mat pour le pelage, noir brillant pour la lumière dans les yeux –, il donnait vie et profondeur au regard.
Fariboles, Pascal Rodier
Q Pascal Rodier sculptant Le Zorglhomme
S Le Fourreux (1993, 8,5 cm de haut, 2 626 ex.)Niché sur l’épaule de Pelisse, fille mystérieuse d’une princesse sorcière, cet étrange animal de compagnie capte la force mentale de la jeune femme pour la sauver de situations périlleuses.La Quête de l’oiseau du temps © Régis Loisel/Le Tendre/Dargaud
1 - L’échelle 1/43 est très utilisée par les fabricants d’automobiles miniatures.
2 - Pour plus de détails, voir le chapitre « Pixi, Alexis Poliakoff ».
3 - Visibles au chapitre « Leblon-Delienne », p. 68.
En créant le rat suicidaire de Ptiluc, personnage de la série « Pacush Blues » (Vents d’Ouest, dès 1983), il se lança dans les accessoires. En témoigne le (vrai) caillou relié au cou de l’animal par une fine cordelette de chanvre, signal d’un désespoir pathétique.
Pour la fée Clochette, la quatrième figurine d’après Loisel tirée de la série « Peter Pan » (Vents d’Ouest, dès 1990), le sculpteur changea de manière significative ses méthodes de fabrication. Alors que ses trois premières créations étaient mono- blocs, la suivante fut scindée en quatre : la tête et sa petite houpette, le corps, le bas des jambes et les pieds, puis les ornements (la fleur à son cou, les clochettes aux chevilles et le fil du corsage). Cette technique d’assemblage simplifie les travaux de peinture, contribuant visuellement à séparer les parties du corps qui s’emboîtent, tout en leur donnant volume et profondeur.
Pour l’effet de surprise, il munit la fée Clochette d’ailes nervurées4 translucides qui la rendirent vivante et fragile… incitant à l’adoption avant même son envol.
En 1998, il mit au point la Pin-Up dans un fauteuil. Cette figurine tirée de la couver-ture du tome I de la série « Pin-Up » (Berthet, Dargaud, 1994), connut un beau suc-cès commercial, ses ventes dépassant le cercle habituel des amateurs de bandes dessinées. Toujours éditée à l’heure actuelle, elle a assis la réputation de Fariboles et contribué à sa solidité financière.
Sa manière de procéder n’a guère varié depuis l’origine. Pascal Rodier aime à initier le dialogue avec l’auteur, lui proposer une création qui le surprenne et l’intéresse par une interprétation de la posture et des accessoires. Le projet aboutit plus rap-idement quand l’auteur est conquis, car celui-ci fournit des dessins complémen-taires et son regard aiguisé détecte toutes les petites anomalies. L’interaction avec le dessinateur rend le travail plus intéressant – voire plus compliqué, si l’auteur est très exigeant.
T Le Rat suicidaire de Ptiluc(1993, 11 cm de haut, tirage non limité)Un rat au bout du rouleau… © Ptiluc
k La Pin-Up dans un fauteuil(1998, 17 cm, 2 000 premiers ex. numérotés, puis tirage non numéroté et non limité)© Berthet-Yann/Dargaud 2014
T La Fée Clochette de Loisel(1994, 20 cm, 3 100 ex.)Peter Pan © Régis Loisel/Vents d’Ouest
4 - Ces ailes, découpées dans une feuille de plastique transparent, sont rehaussées de nervures tracées dans l’épaisseur de la matière.
m T Le Scorpion(2003, 29 cm, 600 ex. et 100 ex. série spéciale ABD.com)Cette figurine fut en partie modelée en séance publique. Le dessinateur Marini esquissait des croquis pour aider le sculpteur dans sa recherche de postures. La figurine montrée ici fait partie de la série spéciale de 100 exemplaires reconnaissables à la chemise entièrement noire et au pistolet à la ceinture.© Marini – Desberg/Dargaud Benelux 2014
T Spirou(2002, 20,5 cm de haut, 2 000 ex.)Il tient dans sa main ce qu’il prend pour la réduction de son ami Fantasio.© Franquin/Dupuis 2014
L’expansion de la sociétéPascal Rodier démarra seul, embauchant progressivement du personnel. Installé à Darnétal, dans la proche banlieue de Rouen, il emploie aujourd’hui plus de dix sala-riés qui effectuent toutes les opérations de la chaîne de fabrication : prototypage, moulage, ponçage, peinture, emballage et expédition.
La licence Franquin…En 2002, sa notoriété et son talent aidant, Pascal Rodier décrocha la licence Franquin auprès de l’ayant droit, après avoir proposé une statuette de Spirou tenant dans sa main un « mini » Fantasio, dans la bande dessinée Les Petits Formats (deuxième partie de Spirou et les Hommes-bulles, Dupuis, 1964). Un des challenges fut donc de réaliser une statuette en plomb très ressemblante, de 4 cm de long. L’ayant droit fut conquis, les collectionneurs également.
Merci, mademoiselle Souris ! En CP, cette institutrice organisait des séances de modelage où Dominique excellait. S’attachant à ouvrir l’esprit de ses jeunes élèves, elle leur distribuait des images dont il fallait détourer le contour à l’aide d’une épingle. À la fin, le motif se détachait comme un timbre-poste, établissant dans l’esprit des écoliers un lien entre le trait et la forme, préfigurant de cette manière les techniques de taille-douce que Dominique Mufraggi allait apprendre à l’école d’arts appliqués.
La genèseC’est sans doute en souvenir de ces moments privilégiés que Dominique Mufraggi entra à l’école Boulle quelques années plus tard pour une spécialisation en gravure ornementale.
Orfèvrerie et joaillerieAprès avoir obtenu son diplôme, il pratiqua l’émail sur cuivre et la dinanderie1 dans un village d’artisans, puis monta un atelier de résine chez un petit orfèvre pour lequel il façonnait des manches de couverts colorés dans la masse. Au cours de ses nombreuses recherches, Dominique Mufraggi inventa, à partir d’un mélange de résine et de sable de Fontainebleau, un matériau magnifiquement marbré qu’il utilisa pour fabriquer ses manches. En 1989, il s’établit en tant que travailleur indépendant, proposant ses services dans deux domaines connexes, l’orfèvrerie et la joaillerie.
À cette époque, Dominique Mufraggi réalisait ses prototypes en sculpture d’étain. Un camarade de promotion de l’école Boulle vint à lui montrer ses sculptures en cire verte de bijoutier2 – technique incontournable dans le domaine de la haute joaillerie, qu’il avait apprise en travaillant dans l’atelier de Bernard Brimeur3. Curieux d’en connaître un peu plus, Dominique Mufraggi se rendit à plusieurs reprises chez ce dernier, qui retint ses coordonnées.
Il fut séduit par cette technique, et vit là une occasion d’élargir sa clientèle. Il acheta un fer à souder, des scalpels, et se forma à l’usage de la cire. Cette ren-contre avec Bernard Brimeur fut loin d’être anodine. On verra qu’elle le propulsa quelques années plus tard dans le monde de la paraBD.
La joaillerie est le domaine de la confidentialité, du secret, tant il est vrai que la « marque » est mise en avant, ne laissant aucune place au créateur. Disons seule-ment que Dominique Mufraggi participa, et participe encore à de nombreux pro-jets, dont certains, très prestigieux, sont commercialisés par des noms qui tiennent le haut du pavé de la place Vendôme. Pendant plusieurs années, il exerça ces deux activités d’orfèvrerie et de joaillerie qui le passionnaient. Cette alternance rendait le travail moins monotone tout en apportant un peu plus de sécurité matérielle.
Dominique Mufraggi
Q Le prototype en cire de L’Ombre(2007, 28 cm de haut, 399 ex.)L’ombre – Debrah Faith – est une des protagonistes de la série « Le Chant des Stryges ».© Guy Delcourt Productions-Corbeyran-Guérineau
T Dominique MufraggiIl tient dans sa main la statuette de Cyann en cire.
T Gravure en taille-douceTravail réalisé à l’école Boulle. À gauche, la plaque de cuivre gravée, à droite, l’impression obtenue.
1 - Mise en volume de feuilles de métal par planage.
2 - Voir le chapitre « Démons & Merveilles, Figures & Vous ».
3 - Premier sculpteur historique de Démons & Merveilles.
• Cyann, replacée sur son VLA, subit une batterie de mesures destinées à valider les proportions des différentes parties de son corps (13). Le rapport des mesures de ces différents éléments est en principe invariant pour la plupart des êtres humains. Ici, le sculpteur estime que le mollet de Cyann est trop court, ce qui, visuellement, n’était pas facile à détecter, du fait de sa position assise.
• Le mollet de Cyann a besoin d’une opération chirurgicale qui nécessite qu’on le scie au bocfil (14).
• Une plaquette de cire de l’épaisseur voulue est insérée et soudée (15).
• Avant que la pièce ne soit définitivement soudée, le sculpteur met la cire en place sur le VLA (16) et vérifie visuellement le rendu de la pose et des proportions.
• Satisfait, Dominique Mufraggi rend la correction définitive en faisant fondre au fer à souder toute la matière autour de la plaquette (17). Très rapidement, la modification devient invisible, comme on peut le constater sur la statuette en situation (18).
Prototype finalisé• À présent, la cire de la figurine est finalisée (19, 20). Le sculpteur a travaillé les détails, la texture des vêtements, les détails du visage et la chevelure, la musculature des bras. Le dessin d’origine, en regard de la statuette (21), donne une belle idée de la fidélité du travail de Dominique Mufraggi.
La statuette de sérieComme pour le grand modèle de Cyann, la cire aboutie a été soumise à l’approbation de l’ayant droit avant d’être envoyée au mouleur qui a tiré la résine. La résine définitive constitue le master à partir duquel ont été réalisés les moules de production. Sur les deux photos ci-contre (à droite), les deux pièces de série sont telles qu’elles furent commercialisées.
282 | Les sculpteurs de BD
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Cyann sur le VLA monomoteur(2008, 24 cm de long, 444 ex.)Dessins préparatoires de François Bourgeon, prototype en cire et modèle de série.© F. Bourgeon/C. Lacroix/Éditions 12 Bis
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