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THÉRAPEUTIQUES Michel Gerson Endocrinologue Hôpital Monod, Le Havre [email protected] Mots clés : adolescent, antidépresseur, enfant, ISRS, risque, suicide Brève de pharmacovigilance Enfant, adolescent et antidépresseurs ISRS Le risque suicidaire lié à la prise d’antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) par des enfants ou adolescents a fait l’objet au cours de l’année 2005 de mises au point par diverses agences de sécurité sanitaire. La mise en ligne sur le site de l’Afssaps en mars der- nier d’une mise au point sur le « bon usage des anti- dépresseurs au cours de la dépression chez l’enfant et l’adolescent » nous offre l’occasion de faire le point sur ce sujet difficile et controversé. Il importe de souligner les limites méthodologiques des différentes approches : • Les essais cliniques d’antidépresseurs n’ont pas pour objet d’évaluer le passage à l’acte suicidaire. Leur durée est trop brève, leurs effectifs trop petits. • Les méta-analyses d’essais cliniques comportent des effectifs importants mais les autres critiques demeurent. • Les études cas-témoins sont des « nids à biais » ; l’HAs et ses équivalents étrangers les classent loin derrière les essais cliniques et les méta-analyses en terme de niveau de preuve. En outre, de nombreuses études incluent à la fois enfants, adolescents et adul- tes. Aussi, même si ces études comportent des po- pulations importantes, le nombre d’enfants et d’ado- lescents inclus reste limité. Ainsi, l’étude cas-témoins de Jick a inclus 555 cas et 2 062 témoins dont res- pectivement 68 et 235 âgés de moins de 20 ans [1]. Celle de Martinez a été effectuée à partir d’une co- horte de 146 095 patients traités par antidépresseur dont 5 287 de moins de 19 ans [2]. Au total, malgré ces réserves et au vu de l’ensemble des données disponibles, une augmentation du risque de « suicidalité » 1 chez les enfants et adolescents trai- tés par ISRS est retenue par les agences de sécurité sanitaire. Ainsi pour la FDA américaine, « il paraît clair que les antidépresseurs entraînent un doublement d’environ 2 % à environ 4 % du risque de suicidalité dans les essais cliniques » [3]. En pratique, c’est l’ensemble du rapport bénéfice/ris- que des ISRS et autres antidépresseurs qu’il faut pren- dre en compte comme le note l’Afssaps [4]. À la lecture des essais, publiés ou non, le bénéfice clinique chez l’enfant des antidépresseurs les plus récents paraît mi- nime et de portée clinique douteuse [5]. Au minimum, la prescription en routine des antidépresseurs chez l’adolescent et l’enfant doit être découragée [6]. Références : 1. Jick H, Kaye JA, Jick SS. Antidepressants and the risk of suicidal behaviors. JAMA. 2004;292:338-43. 2. Martinez C, Rietbrock S, Wise L, Ashby D, Chick J, Moseley J, et al. Antide- pressant treatment and the risk of fatal and non-fatal self harm in first episode depression : nested case-control study. Br Med J. 2005;330:389-95. 3. Rados C. Safeguards for children taking antidepressants strengthened. FDA. www.fda.gov/fdac/features/2005/105_kids.html 4. Afssaps. Le bon usage des antidépresseurs au cours de la dépression chez l’enfant et l’adolescent. Février 2006. Sur www.afssaps.fr 5. Jureidini JN, Tonkin AL. Suicide and antidepressants in children. Australian Prescriber. 2005;28:110-1. 6. Cipriani A, Barbui C, Geddes JR. Suicide, depression, and antidepressants. Br Med J. 2005;330:373-4. PS. Note complémentaire à propos des ISRS et de la grossesse (cf. Médecine. 2006;2:160) L’Afssaps a adressé le 26 mars 2006 une « lettre aux prescripteurs » disponible sur son site et modifié en conséquence le RCP de la paroxétine. En raison de « la possibilité d’une légère augmentation du risque de malformations à la naissance chez les enfants de mère traitée par la paroxétine par rapport aux enfants de mère traitée par un autre antidépresseur », il est recommandé : • De n’utiliser la paroxétine pendant la grossesse que si elle paraît strictement nécessaire. Dans ce cas, le prescripteur doit évaluer le rapport bénéfice/risque d’un tel traitement. • D’informer les patientes de ces nouvelles données, ainsi que de l’existence d’autres traitements. • D’éviter un arrêt brutal de la paroxétine si une inter- ruption de traitement est décidée. L’interruption du traitement doit être progressive avec une diminution de la dose journalière par palier de 10 mg par semaine. 1. On entend par « suicidalité » les tentatives de suicide et autres actes auto-agressifs ainsi que les pensées suicidaires. Dans les ré- sultats des études, c’est en général la suicidalité qui ressort et non les tentatives de suicide qui sont beaucoup plus rares et non retrou- vées dans beaucoup d’études. 207 mai 2006 MÉDECINE

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Michel GersonEndocrinologueHôpital Monod,Le [email protected]

Mots clés :adolescent,

antidépresseur,

enfant, ISRS, risque,

suicide

Brève de pharmacovigilance

Enfant, adolescentet antidépresseurs ISRS

Le risque suicidaire lié à la prise d’antidépresseursinhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) pardes enfants ou adolescents a fait l’objet au cours del’année 2005 de mises au point par diverses agencesde sécurité sanitaire.La mise en ligne sur le site de l’Afssaps en mars der-nier d’une mise au point sur le « bon usage des anti-dépresseurs au cours de la dépression chez l’enfantet l’adolescent » nous offre l’occasion de faire le pointsur ce sujet difficile et controversé.Il importe de souligner les limites méthodologiquesdes différentes approches :• Les essais cliniques d’antidépresseurs n’ont paspour objet d’évaluer le passage à l’acte suicidaire. Leurdurée est trop brève, leurs effectifs trop petits.• Les méta-analyses d’essais cliniques comportent deseffectifs importants mais les autres critiques demeurent.• Les études cas-témoins sont des « nids à biais » ;l’HAs et ses équivalents étrangers les classent loinderrière les essais cliniques et les méta-analyses enterme de niveau de preuve. En outre, de nombreusesétudes incluent à la fois enfants, adolescents et adul-tes. Aussi, même si ces études comportent des po-pulations importantes, le nombre d’enfants et d’ado-lescents inclus reste limité. Ainsi, l’étude cas-témoinsde Jick a inclus 555 cas et 2 062 témoins dont res-pectivement 68 et 235 âgés de moins de 20 ans [1].Celle de Martinez a été effectuée à partir d’une co-horte de 146 095 patients traités par antidépresseurdont 5 287 de moins de 19 ans [2].Au total, malgré ces réserves et au vu de l’ensembledes données disponibles, une augmentation du risquede « suicidalité » 1 chez les enfants et adolescents trai-tés par ISRS est retenue par les agences de sécuritésanitaire. Ainsi pour la FDA américaine, « il paraît clairque les antidépresseurs entraînent un doublementd’environ 2 % à environ 4 % du risque de suicidalitédans les essais cliniques » [3].En pratique, c’est l’ensemble du rapport bénéfice/ris-que des ISRS et autres antidépresseurs qu’il faut pren-dre en compte comme le note l’Afssaps [4]. À la lecturedes essais, publiés ou non, le bénéfice clinique chezl’enfant des antidépresseurs les plus récents paraît mi-nime et de portée clinique douteuse [5]. Au minimum,la prescription en routine des antidépresseurs chezl’adolescent et l’enfant doit être découragée [6].

Références :

1. Jick H, Kaye JA, Jick SS. Antidepressants and the risk of suicidal behaviors.JAMA. 2004;292:338-43.2. Martinez C, Rietbrock S, Wise L, Ashby D, Chick J, Moseley J, et al. Antide-pressant treatment and the risk of fatal and non-fatal self harm in first episodedepression : nested case-control study. Br Med J. 2005;330:389-95.3. Rados C. Safeguards for children taking antidepressants strengthened. FDA.www.fda.gov/fdac/features/2005/105_kids.html4. Afssaps. Le bon usage des antidépresseurs au cours de la dépression chezl’enfant et l’adolescent. Février 2006. Sur www.afssaps.fr5. Jureidini JN, Tonkin AL. Suicide and antidepressants in children. AustralianPrescriber. 2005;28:110-1.6. Cipriani A, Barbui C, Geddes JR. Suicide, depression, and antidepressants.Br Med J. 2005;330:373-4.

PS. Note complémentaire à propos des ISRS et dela grossesse (cf. Médecine. 2006;2:160)

L’Afssaps a adressé le 26 mars 2006 une « lettre auxprescripteurs » disponible sur son site et modifié enconséquence le RCP de la paroxétine. En raison de« la possibilité d’une légère augmentation du risquede malformations à la naissance chez les enfants demère traitée par la paroxétine par rapport aux enfantsde mère traitée par un autre antidépresseur », il estrecommandé :• De n’utiliser la paroxétine pendant la grossesse quesi elle paraît strictement nécessaire. Dans ce cas, leprescripteur doit évaluer le rapport bénéfice/risqued’un tel traitement.• D’informer les patientes de ces nouvelles données,ainsi que de l’existence d’autres traitements.• D’éviter un arrêt brutal de la paroxétine si une inter-ruption de traitement est décidée. L’interruption dutraitement doit être progressive avec une diminutionde la dose journalière par palier de 10 mg par semaine.

1. On entend par « suicidalité » les tentatives de suicide et autresactes auto-agressifs ainsi que les pensées suicidaires. Dans les ré-sultats des études, c’est en général la suicidalité qui ressort et nonles tentatives de suicide qui sont beaucoup plus rares et non retrou-vées dans beaucoup d’études.

207mai 2006MÉDECINE

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- Type : pINT 06-05-23 09:29:47- Folio : p15- H : 306.994 - Couleur : BlackYellowMagentaCyan