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075360F Depuis 1895. Le plus ancien magazine bancaire du monde. 2 / 2016 Une vue dégagée. . . CREDIT SUISSE Bulletin Gottardo Du mythe suisse au plus long tunnel du monde

Bulletin 2/16 - Gottardo

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F

Depuis 1895. Le plus ancien magazine bancaire du monde. 2 / 2016

Une vue dégagée. . .

C R E D I T S U I S S E

Bulletin

GottardoDu mythe suisse au plus long tunnel du monde

Page 2: Bulletin 2/16 - Gottardo

Photo : Image Source / Keystone

Page 3: Bulletin 2/16 - Gottardo

* À partir de décembre 2016, se rendre dans le sud prendra environ

une demi-heure de moins, et même une heure de moins dès 2020.

. . . jusqu’à la Méditerranée*

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Notre contribution pour un avenir meilleur : des innovations qui aident les grandes idées à voir le jour.

Il s’agit du plus long tunnel ferroviaire du monde : l’ouvrage du siècle s’étend sur 57 km sous le massif du Saint-Gothard. À partir de décembre 2016, ce sont jusqu’à 260 trains de marchandises et 65 trains de voyageurs qui circuleront chaque jour dans le tunnel, à une vitesse atteignant 250 km/h et sous une hauteur de montagne pouvant atteindre 2300 mètres. Pour y parvenir, le nouveau tunnel de base est tributaire d’une infrastructure parfaite et d’une ventilation extrêmement fiable. ABB a ainsi contribué au système de ventilation le plus puissant du monde avec une technique énergétique et une commande innovantes, poursuivant ainsi une véritable success-story.

Partenaire principal

Page 5: Bulletin 2/16 - Gottardo

— Éditorial —

Bulletin 2 / 2016 — 1

 Symbole de tous les records, le premier tunnel ferroviaire du Gothard était,

lors de sa mise en exploitation en 1882, le plus long du monde.

Aujourd’hui, le nouveau tunnel de base, inauguré le 1er juin, est avec

ses 57 kilomètres le plus long de sa catégorie.

Le Gothard traduit la force visionnaire de la Suisse, une qualité parfois

contestée à notre pays. Régulièrement, en effet, on entend que la Suisse

n’aurait ni la volonté ni les capacités pour mener à bien des projets d’envergure.

Le Gothard est bien la preuve du contraire, hier comme aujourd’hui.

Le premier tunnel ferroviaire du Gothard, qui doit beaucoup à l’engagement,

à l’esprit de pionnier et au courage d’Alfred Escher, est le « symbole d’une

Suisse dynamique, ouverte sur le monde et tournée vers l’avenir », comme l’histo-

rien Joseph Jung le résume (page 21). Alfred Escher étant également le fonda-

teur du Credit Suisse, nous sommes fiers de soutenir l’inauguration de l’ouvrage

du siècle, le tunnel de base du Gothard, en tant que partenaire principal.

 Avec la construction du Gothard, la Suisse a relevé un défi incroyable, en

1882, tout comme aujourd’hui. Peter Jedelhauser, à la tête du projet

du tunnel de base, nous décrit précisément dans un entretien cet esprit

de renouveau qui règne actuellement dans notre pays : « C’est ensemble

que nous avons dit : ‹ Nous allons le faire ! › » (page 14). Dans une vaste étude,

le service Economic Research du Credit Suisse a par ailleurs mis en lumière

les retombées de cette nouvelle ligne ferroviaire (page 26).

Le Gothard conjugue superlatifs, mythes et visions. Mais il est aussi

le symbole, certes moins spectaculaire, mais plus important, de vertus

suisses comme la persévérance, le pragmatisme, la précision et la fiabilité. Ainsi,

le tunnel de base du Gothard n’a présenté qu’une déviation de 0,00014%

lors de sa percée. Une telle précision illustre à merveille les forces de notre pays.

 J’ allais presque oublier la vertu la plus célèbre de la Suisse : la ponctualité.

À l’étranger, nos interlocuteurs s’en émerveillent régulièrement

(ce qui nous met toujours un peu dans l’embarras). Ponctualité ?

Surponctu alité ? Le tunnel de base du Gothard entre en service un an avant

la date prévue. Comment l’expliquer à l’étranger ?

Je vous souhaite une excellente lecture.

Thomas Gottstein,

CEO Swiss Universal Bank, Credit Suisse AG

Un élan nouveau, hier comme aujourd’hui

Photo de couverture : AlpTransit Gotthard AG ; photo : Rainer Wolfensberger

Page 6: Bulletin 2/16 - Gottardo

HauptpartnerPartenaire principal

Partner principaleMain Partner

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1 . 2.

3. 4.

Une montre pour une locomotive vénérableMises en service à partir de 1952, les 120 locomotives Ae 6/6 ont acheminé des milliers de personnes et tracté des tonnes de marchandises à travers la Suisse. Plus populaire sous le surnom de «locomotive du Saint-Gothard», cette machine a trouvé son terrain de prédilection dans le massif du cœur des Alpes. Cette locomotive vénérable ne traversera pas le nouveau tunnel du Saint-Gothard. En revanche, elle parcourra le monde entier sous la forme d’une montre exclusive «Gottardo 2016». La lunette de ce modèle spécial sera en effet fabriquée à partir du matériel des portes de la «locomotive du Saint-Gothard».

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Bulletin 2 / 2016 — 3

— Gottardo —

Illustration : Anna Dunn ; photos : Janosch Abel ; PCW / fotolia ; Stefan Meyers / Okapia

Sommaire

4 Le tunnel et moi

Neuf personnes nous racontent

comment le Gothard change

leur vie.

12 Plus rapide, plus long,

plus performant

Un ouvrage monumental

en faits et en chiffres.

14 « Deux voies et beaucoup

de béton »

Peter Jedelhauser, chef

de projet des CFF, a un plan

pour presque tout.

20 Une merveille helvétique

Comment la Suisse moderne

s’est construite grâce à Alfred

Escher.

24 Qui doit payer ?

Le premier chemin de fer du

Gothard fut difficile à financer.

38 De l’intérieur

Six entrepreneurs décrivent

les défis spécifiques à la

construction du tunnel.

43 Le saint et le diable

D’où le Gothard tire son nom.

44 Forteresse de granit

et littérature

De Dürrenmatt à Dobelli :

le Gothard a inspiré plus d’un

auteur.

50 Le Gothard dans le monde

Tour d’horizon des lieux qui

ont hérité de son nom.

52 Les tunnels

dans le monde animal

Une protection contre les préda-

teurs et les rigueurs de la nature.

56 Interconnexion

Comment infrastructures

et croissance économique

s’influencent-elles ?

66 Tout le monde descend !

Un trait d’union entre la Suisse

alémanique et le Tessin.

68 Courrier des lecteurs/

Impressum

70 Quiz

Connaissez-vous

le Gothard ? Sept questions

taillées dans la pierre.

E C O N O M I C R E S E A R C H

26 INTRODUCTION Le Gothard remet les pendules

à zéro.

28 TRANSPORTS PUBLICS La Suisse gomme les distances.

30 DÉVELOPPEMENT D’ALTDORF : l’histoire

se répète-t-elle ?

31 MARCHÉ IMMOBILIER Vivre à Bellinzone, travailler

à Lugano.

33 TRANSPORT DE MARCHANDISES Une ligne pour le commerce.

34 CONSTRUCTION DE TUNNELS Une spécialité suisse bien utile.

35 DÉVELOPPEMENT DE BELLINZONE : une

nouvelle porte sur le Tessin.

36 TOURISME Le Tessin devient plus proche.

Le soleil aussi.

37 MARCHÉ DU TRAVAIL De nouvelles options : NLFA

et flexibilité du travail.

Participez

et gagnez

une traversée

du tunnel !

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— Gottardo —

4 — Bulletin 2 / 2016

Le tunnel et moi

Bien sûr, la NLFA

permettra d’aller plus vite.

Mais ce n’est pas tout :

certains utiliseront l’eau

infiltrée pour élever

des poissons, d’autres

iront plus souvent sauter

en parachute. Neuf

usagers du Gothard nous

parlent des avantages

et de leurs projets.

Simon Brunner (texte) et Patricia von Ah (photos)

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— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 5

VITICULTEURDavide Ghidossi, 33 ans, viticulteur primé et œnologue, Giubiasco (TI)

« Mon grand-père travaillait aux CFF. Je me souviens des voyages avec lui de Bellinzone à Flüelen : l’église de Wassen, que l’on aperçoit trois fois à mesure que le train serpente à travers la vallée, me fascinait. La nouvelle ligne passera sous Wassen. Elle est très importante, et notamment pour les petites entreprises et les PME du Tessin, qui ont besoin d’une connexion ponctuelle et rapide vers leurs clients de Suisse alémanique. »

Page 10: Bulletin 2/16 - Gottardo

— Gottardo —

POLITIQUEFabio Regazzi, 53 ans, conseiller national (PDC) et entrepreneur, Gordola (TI)

« J’emprunte le Gothard deux à trois fois par mois. C’est plus commode pour moi d’aller au Palais fédéral en train, car je peux travailler pendant le trajet. Le Gothard est un symbole de cohésion nationale, un trait d’union entre les différentes régions de la Suisse. Avec le nouveau tunnel, notre pays gomme un peu les distances. Et les choses changent aussi beaucoup au Tessin : je ne mettrai bientôt plus que vingt minutes pour aller de Gordola à Lugano, contre le double aujourd’hui. »

ÉTUDIANTENathalie Boissonnat, 30 ans, étudiante en Public Management et politique à Lugano et à Berne, Giubiasco (TI)

« Le Gothard a toujours fait partie de ma vie : c’est dans le tunnel routier que je me suis familiarisée avec les panneaux de signalisation. Je demandais sans cesse à mes parents si nous étions bientôt arrivés, alors ils m’ont appris à lire les indications kilométriques. À présent, je vis à Berne et je rentre tous les quinze jours au Tessin. Je suis une fervente adepte des transports publics. J’aimerais qu’ils soient davantage une priorité, y compris au Tessin. »

6 — Bulletin 2 / 2016

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— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 7

CHEF D’ENTREPRISERichard L. Beeler, 64 ans, directeur de Basis57, Adligenswil (LU)

« Le nouveau tunnel s’accompagne d’un drainage de la montagne. Basis57 récupérera cette eau infiltrée pour faire de l’élevage de poissons : des sandres, des perches, mais aussi des espèces locales comme les lottes. L’eau de source de montagne, d’une température de 15 degrés environ, permettra d’engraisser environ 1200 tonnes de poisson par an. Depuis l’été 2015, les premiers poissons vivent dans un laboratoire d’Erstfeld. Nous suivons leur crois sance et leur besoin en nourri-ture et améliorons notre technique. Nous espérons construire le site d’engraissement dès 2018 sur une parcelle du portail nord, puis proposer à la vente dès 2020 les poissons du Gothard pour gourmets. »

Page 12: Bulletin 2/16 - Gottardo

8 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

PARACHUTISTEBarbara Gloor, 52 ans, économiste d’entreprise, Aristau (AG)

« Depuis que j’ai commencé à sauter en parachute en 2012, le Tessin est ma seconde patrie. J’aime retrouver cette lumière différente du côté sud des Alpes ; dès que je sors du tunnel, les vacances commencent, même si elles ne durent parfois que le temps d’une journée. La concen-tration absolue que requiert chaque saut me permet de déconnecter totalement. Lorsque je suis au Para Centro de Locarno, je me ressource vraiment. De plus, le paysage pendant le vol ascensionnel, la chute libre et une fois le parachute ouvert est l’un des plus merveilleux au monde. Je suis heureuse que le trajet soit bientôt plus rapide. »

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Bulletin 2 / 2016 — 9

— Gottardo —

FANRemo Kölliker, 39 ans, pédagogue social, Zurich

« Depuis que je suis tout gamin, je soutiens le HC Lugano. Il faut dire que mes parents sont Tessinois. J’arrive à assister chaque saison à quelques matches à la patinoire du club. Je dois, hélas, prendre ma voiture, car après le coup de sifflet final, c’est toujours trop juste pour attraper le dernier train. J’espère que grâce aux trajets plus courts, les horaires de départ pourront être différés quelque peu. »

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— Gottardo —

10 — Bulletin 2 / 2016

OUVRIER DU BÂTIMENTRené Kempf, 47 ans, installateur sanitaire et chauffagiste, Erstfeld (UR)

« Depuis 2002, je travaille périodi-quement sur le site du tunnel, le chantier est pratiquement devant chez moi. Treize ans durant, la NLFA a fait partie de ma vie. Une fois fini, le tunnel sortira un peu de mon quotidien, dans la mesure où je ne prends guère le train. »

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— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 11

PROPRIÉTAIRE D’UNE MAISON DE VACANCESIrene Durrer, 49 ans, assistante médicale, Immensee (SZ)

« Je me rends au moins une fois par mois au Tessin : généralement en voiture pour aller à notre maison en pierre du Vallemaggia et en train pour rendre visite à des proches dans le Locarnese. J’espère que le nouveau tunnel ferroviaire amélio-rera aussi la situation sur la route et que davantage de camions embar-queront sur le train. La question du temps n’est pas primordiale pour nous. Nous préférons passer par les cols pour admirer le paysage en prenant tout notre temps. »

LOGISTICIENMarkus Müller, 50 ans, responsable logistique chez Papyrus, un grossiste en papier, Turgi (AG)

« À l’heure actuelle, les wagons sont collectés à 21h30 à Dintikon (AG) et parviennent à 6h00 au Tessin. Un arrivage plus tôt serait un certain avantage pour nos partenaires de distribution tessinois, qui pourraient livrer plus vite les produits. Mais pour nous, la fiabilité est plus importante que le temps gagné. Par le passé, nous avons connu des contretemps. Nos clients dépendent de livraisons planifiables dans le temps, car si le papier vient à manquer dans une imprimerie, les machines ne tournent pas et les employés sont sans travail. Nous espérons donc que ce nouveau tunnel du Gothard assurera une connexion plus fiable avec le Tessin. »

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12 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Plus rapide, plus long, plus performant Le tunnel de base du Gothard

est l’œuvre de tout un siècle.

Faits et chiffres. Illustrations : Anna Dunn, contenu : Simon Brunner

Source : « Auf die Schienen, fertig, los! » (Musée Suisse des Transports de Lucerne/Christian Scheidegger), cff.ch, google.ch/maps

Source : cff.ch

AVANT 1830 CHEMIN MULETIER

1830ROUTE (MARCHANDISES) Ouverture de la route par le col vers 1830.

1830 ROUTE (POSTE) La route pour les calèches de la Poste était organisée à merveille, avec quatre stations pour le changement des chevaux. Le trajet se réalisait à un rythme assez soutenu et presque sans interruption.

1882 RAIL Ouverture du tunnel du Gothard

2015RAILDes locomotives toujours plus solides et rapides raccourcissent les trajets.

2015VOITUREPresque la même vitesse pour la voiture et le train.

TEMPS DE TRAJET

BÂLE–LUGANO

PASSAGERS PAR JOUR –

Chaque jour, 9000 personnes

environ passent par le

Gothard avec les CFF. D’ici

à 2025, ce chiffre devrait

plus que doubler à la faveur

de la densification et

de l’accélération de l’offre.

Les CFF tablent sur au

moins 15 000 voyageurs par

jour dès 2020.

BIENS PAR JOUR – Avantage

pour le transport des biens :

260 trains de marchandises

circuleront chaque jour

dans le tunnel de base

(160 actuellement), plus

chargés et plus longs.

2020RAIL Avec tunnel du Ceneri et assainissement des axes.

2016RAIL et TUNNEL DE BASE.

— Gottardo —

12 — Bulletin 2 / 2016

14 JOURS 6 JOURS 49 h 13,5 h 4 h 06 3 h 59 ~3 h 30 ~3 h 00

Page 17: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 13

— Gottardo —

LES COÛTS

Sources : BLS, « Der Spiegel », railway-technology.com, « Today’s railways Europe »

Source : Gottardo 2016 Source : Gottardo 2016

LES CINQ PLUS LONG TUNNELS DU MONDE

MATÉRIEL DÉBLAYÉ – 28,2 millions de tonnes de

déblais ont été extraits. Une grande partie a été

réinjectée dans la montagne sous forme de béton.

Le reste a surtout servi sur le site ou pour remblayer

des digues. Dans le lac d’Uri, trois îlots destinés

à la faune et aux baigneurs ont été créés.

Le tunnel de base du Gothard a coûté – renchérissement, TVA et intérêts de construction inclus – 12,2 milliards de francs.

La NLFA (tunnels de base du Lötschberg, du Gothard et du Ceneri) a coûté 23 milliards de francs.

TUNNEL DE BASE DU GOTHARD, 57,0 KMSUISSE, 2016, COÛTS : 12,2 MRD.

TUNNEL DU SEIKAN, 53,9 KMJAPON, 1988, COÛTS : 4,3 MRD.

TUNNEL SOUS LA MANCHE, 50,5 KMGRANDE-BRETAGNE / FRANCE, 1994, COÛTS : 16,1 MRD.

TUNNEL DE BASE DU LÖTSCHBERG, 34,6 KMSUISSE, 2006, COÛTS : 4,3 MRD.

TUNNEL DE GUADARRAMA, 28,4 KMESPAGNE, 2007, COÛTS : 1,34 MRD.

— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 13

Page 18: Bulletin 2/16 - Gottardo

14 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo — — Gottardo —

14 — Bulletin 2 / 2016

« DEUX VOIES, DES TONNES DE BÉTON

ET BEAUCOUP DE TECHNOLOGIE »

Mineurs avec le tunnelier « Heidi »

après le percement de la dernière

section du tunnel de base du Gothard

près de Sedrun, le 23 mars 2011.

Photo : Martin Rütschi / Keystone

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Bulletin 2 / 2016 — 15

— Gottardo —

Le tunnel de base du Gothard est plus qu’une merveille

du génie civil. Grâce à lui, le réseau de chemin de fer suisse se

réinventera en décembre 2016. C’est depuis un bureau

de Lucerne que tout s’organise, celui du chef de projet des CFF,

Peter Jedelhauser, qui se demande : « Quel sera

le prochain problème ? Et quelle sera la solution ? »

Simon Brunner

Monsieur Jedelhauser, vous avez déjà pu

faire le voyage que toute la Suisse attend avec

impatience : comment se sent-on dans

le plus long tunnel ferroviaire du monde ?

Je vais vous décevoir : les vingt minutes de

ce trajet test n’étaient guère différentes du

quart d’heure dans le tunnel actuel du

Gothard. La grande différence, c’est que

l’on sent l’Italie arriver plus vite. Le

trajet Erstfeld-Biasca prend aujourd’hui

74 minutes, contre un peu plus de

vingt minutes dès décembre prochain.

Et en termes de sensations ?

Le trajet dure cinq minutes de plus – on

ne le remarque pas. Mais le train va

plus vite : 200 km/h environ, contre les

125 km/h actuels du tunnel de faîte.

Remarque-t-on cette vitesse ?

Au contraire : c’est le calme qui frappe.

La qualité des voies est fantastique, on les

survole littéralement.

À l’ouverture de la ligne en 1882, le tunnel

du Gothard avait été qualifié de « merveille

du monde suisse ». Des observateurs internatio-

naux comparaient sa construction à celle

des pyramides de l’Égypte ancienne. Le tunnel

de base est-il une réussite de ce type ?

La société AlpTransit Gotthard AG

(ATG) a construit cette ligne de plaine

passant par le Gothard et le plus long

tunnel du monde (57 km), avec un écart

de 0,00014% sur le percement. Est-ce

une merveille du monde ? Je l’ignore.

Mais c’est à coup sûr une prouesse qui

nous remplit de joie et de fierté.

Les premiers pas sur la Lune ont secoué

les États-Unis. La confiance soviétique a

été décuplée avec le lancement de la

fusée Spoutnik. La Suisse vit-elle un élan

similaire avec le tunnel de base du Gothard ?

À l’évidence, ce tunnel de base est l’œuvre

du siècle. Sa construction a largement

reposé sur les qualités suisses : esprit

pionnier, force d’innovation, précision et

volonté de réussir. C’est ensemble que nous

avons dit : « Nous allons le faire. » Une

décision démocratique, étayée par plusieurs

votations populaires [voir l’histoire du

tunnel de base en page 19, ndlr].

Quel a été le plus grand moment

pour vous ?

J’en citerai deux. D’abord, le percement

avec l’énorme tunnelier à l’extrémité

de la galerie ouest – un moment chargé

d’émotions. Et puis la première fois

où nous avons parcouru le tunnel de

Bodio à Erstfeld, bien avant que les

voies ne soient posées. Il nous a fallu

plus de huit heures, et c’est là que j’ai

vraiment perçu toute l’ampleur du projet.

Abstraction faite du temps gagné,

qu’apporte ce tunnel ?

Le tunnel ne se résume pas à deux voies,

des tonnes de béton et beaucoup

de technologie : il rapproche le Tessin

et la Suisse alémanique, contribuera

significativement au transfert de la route

au rail et nous met en valeur à travers

le monde. Chaque contribuable

peut dire qu’il a apporté sa petite

pierre à l’édifice.

Page 20: Bulletin 2/16 - Gottardo

16 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Quelle importance le tunnel

de base a-t-il pour le système européen

de transport ?

Il décongestionne aussi les autoroutes

de l’étranger, voilà pourquoi l’Allemagne

développe notamment le tronçon du

Haut-Rhin. Il fera gagner du temps entre

le port de Hambourg, sur la mer du

Nord, et Gallarate. Il étoffera également les

capacités : les trains pourront être plus

longs et plus hauts. Les besoins logistiques

de nos clients Cargo seront donc satisfaits

par des solutions efficaces, sans bouchons

et écologiques. De nouvelles possibilités

s’ouvrent aussi pour le transport de biens

en Suisse. Désormais, nous pourrons

par exemple relier de nuit le Tessin et la

Suisse romande : un conteneur remis

le soir au Tessin arrivera le lendemain

matin en Suisse romande.

Le tunnel sera-t-il donc plus

utile pour le transport des biens,

que des voyageurs ?

Disons pour simplifier que la nouvelle

ligne a été conçue pour les biens,

mais qu’elle avantagera les voyageurs.

Du point de vue d’un ingénieur, quelle

est la différence entre le tunnel de base du

Gothard et les autres tunnels de Suisse ?

Le tunnel de base du Gothard se compose

de nombreux systèmes complexes.

Les maîtriser est au moins autant un défi

que la construction proprement dite.

Systèmes du tunnel, de drainage, de

ventilation, sécurité, contrôles, technologie

de commande : notre personnel doit tout

gérer pour que la ligne soit exploitée en

permanence de manière sûre, fiable et

ponctuelle.

Cette nouvelle philosophie vaut-elle

aussi pour l ’entretien ?

Absolument. Imaginez, cela équivaut à

entretenir le tronçon Zurich-Olten,

à peu près aussi long, mais avec un accès

depuis deux côtés seulement. Le processus

standard des CFF ne fonctionne pas.

Enfin, la planification de l’horaire a aussi

été compliquée, au vu surtout de tous

les chantiers. Tous ces éléments exceptés,

le tunnel de base du Gothard est

un tunnel tout à fait normal (rires) !

La sécurité est l ’un des thèmes principaux.

C’était l’un des principaux critères de

la planification. Ainsi, nous avons par

exemple deux galeries séparées et deux

stations d’arrêt d’urgence. Honnêtement,

je préfère emprunter le nouveau tunnel

de base plutôt que l’ancien tunnel de faîte.

Pourquoi ?

Imaginons que le train reste immobilisé.

Cela peut arriver. Tous les 325 mètres,

on trouve l’un des 178 passages menant à

l’autre tube, où un autre train peut

embarquer les voyageurs. Idéalement, le

train s’arrête dans une station d’arrêt

d’urgence après un incident. De là, de

grandes galeries d’évacuation permettent

de mettre en sécurité les passagers. Dans

l’ancien tunnel de faîte, ce transbordement

est presque impossible. Le chantier de

1882 aurait pu être complété en partie,

mais il n’aurait jamais atteint le niveau

du tunnel de base.

Peut-on affirmer que les 57 kilomètres du

nouveau tunnel sont les plus sûrs de Suisse ?

Sans hésiter, oui.

À propos de sécurité, vous parlez de « train

malade ». Qu’entendez-vous par là ?

Un train qui ne peut pas emprunter le

tunnel. Par exemple un train avec

des freins qui ne se desserrent pas. Un

train où une bâche d’un des camions

embarqués est mal fixée. Un train avec

un wagon-citerne qui perd du liquide.

Un train avec l’antenne d’un camion qui

flotte au vent. Une locomotive où le

pantographe ne fonctionne pas parfaite-

ment. Un train chargé asymétriquement.

Ou un train en feu.

Vous diagnostiquez toutes ces « maladies »

avant que le train n’entre dans le tunnel ?

Oui. Les accès nord et sud sont dotés de

systèmes qui examinent le matériel

roulant ferroviaire. Ces dispositifs de con-

trôle détectent les défauts cités avant

qu’ils ne provoquent des dommages plus

graves dans le tunnel. Les « trains

malades » sont arrêtés.

Quelques mois à peine avant la mise en

service, vous réveillez-vous parfois la nuit

PORTRAIT

Peter Jedelhauser, 57 ans, est aux manettes de l’Organisation du projet de l’axe nord-sud du Gothard (PONS). Il a travaillé plus de vingt ans dans l’industrie énergétique et a construit dans le monde entier des installations d’énergie hydraulique et d’irrigation. Cet ingénieur EPF (en génie ferroviaire) travaille depuis onze ans aux CFF.

L’ORGANISATION DU PROJET

L’Organisation du projet de l’axe nord-sud du Gothard (PONS) est un projet des CFF composé de neuf sous-projets. Elle est en charge de la mise en service des tunnels de base du Gothard et du Ceneri et du corridor 4 mètres.

Photo : Janosch Abel ; graphisme : © SBB CFF FFS

Page 21: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 17

— Gottardo —

en pensant : « Et si j’avais oublié un point

important... » ?

Nous avons articulé la planification un

peu différemment de celle de projets

comparables en partant des risques : et si

quelque chose tournait mal ? Ou, comme

l’on dit aujourd’hui : « What if ? »

Nous avons ainsi abouti à de nombreuses

réflexions et conclusions. Et s’il nous

manque un justificatif pour un type de

matériel roulant ? Si nous rencontrons

des difficultés avec un permis de construire ?

Que faire ? Quelle est la solution de

rechange ? Et quand y recourir ? Comme

nous n’avons cessé de nous poser ces

questions et que nous avons à chaque fois

« Chaque contribuable peut

dire qu’il a apporté sa

petite pierre à l’édifice. »

élaboré des alternatives, je suis assez

tranquille. Évidemment, des choses

peuvent encore se passer, mais je crois que

nous sommes prêts.

Vous êtes le chef de projet des CFF pour la

mise en service du chantier du siècle.

Pourtant, dans votre petit bureau de Lucerne,

le projet tient sur un poster, comme si vous

étiez en train de préparer une grande fête de

Noël. Comment est-ce possible ?

Il s’agit de l’image globale, d’un tableau de

bord, où tout doit être clair. Pour tout

ce que vous voyez ici, environ 1600 jalons

ont été posés.

Comment exécuter autant de jalons sans

tomber dans le chaos ?

En définissant des paquets de travail et

des domaines bien délimités – neuf,

dans notre cas. Nous avons sciemment

commencé non pas par les aspects

techniques, mais par le client. Que faire

pour qu’il soit satisfait ? Afin

qu’il obtienne ce pour quoi il a payé ?

Votre réponse ?

Il faut d’abord un horaire bien conçu pour

le transit ferroviaire longue distance,

régional ou de marchandises le long de

l’axe nord-sud. Pour le mettre en œuvre,

il faut développer les lignes d’accès, car la

capacité du tunnel de base du Gothard

ne sert que si ces tronçons peuvent eux aussi

absorber le trafic supplémentaire. Il

faut ensuite du courant – des sous-stations

doivent donc être construites. Et du

matériel roulant (nouveau et existant). Du

personnel pour transporter les voyageurs

et les marchandises. Finalement, après

l’ouverture, l’exploitation et la maintenance

doivent être garanties. Il faut ainsi

former en conséquence notre personnel

(environ 2900 employés et 1000 externes).

Aviez-vous ces 1600 jalons en tête ?

Non, peut-être 30% d’entre eux – plus que

la planification académiquement correcte,

c’est la gestion qui compte. Chaque paquet

de travail sur le poster correspond à

un responsable de projet. Chacun peut

Peter Jedelhauser, à propos

du tunnel de base du

Gothard (image) : « Nous

avons articulé la planification

un peu différemment. »

Photo : Gerry Amstutz

Page 22: Bulletin 2/16 - Gottardo

18 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

échouer à respecter un jalon et donc un

délai. Une question est importante :

quelles seront les conséquences pour mes

collègues et leur paquet de travail ?

Comment maîtriser et limiter les éven-

tuelles retombées ? Cette perspective

intégrée est à mes yeux un composant

central de notre réussite.

Il n’est pas simple pour tout un chacun de

reconnaître qu’un point ne fonctionne pas.

C’est une question de culture ! Deux

valeurs sont à mes yeux essentielles en la

matière : la transparence, même si elle

est douloureuse (mais par expérience,

je dirais que c’est pire si une erreur

En 2010, à l’occasion d’une coordination

et d’un réajustement des programmes

de construction et de montage, l’entreprise

ATG, en charge de la construction,

avait constaté qu’il serait possible de faire

entrer en service le tunnel un an plus

tôt que prévu. Une très bonne nouvelle

dans l’absolu, mais un réel défi pour les

CFF. Car nous n’avions plus que cinq ans

au lieu de six pour mener à bien nos

tâches. Notre réserve de temps s’amenuisait.

Vous étiez en colère ?

D’abord, j’ai pensé aux nombreux risques

et problèmes. Puis un jour, un collègue

d’ATG m’a dit : « C’est votre chance de

pouvoir vous donner à fond. » Il avait raison.

Si les délais sont serrés, on discute moins

de détails insignifiants au mauvais moment.

Il faut trouver des solutions simples,

pragmatiques et les appliquer ensemble

de manière ciblée. L’efficacité règne ainsi.

apparaît ultérieurement). Et la fiabilité.

Finalement, toutes deux ont très

bien fonctionné – je remercie d’ailleurs

chaleureusement mes collaborateurs.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

Oh que oui ! Sans cesse, notamment avec

des permis de construire, des évolutions

technologiques ou la livraison de nouveau

matériel roulant. Des moments délicats,

mais nous n’étions jamais complètement

pris au dépourvu puisque nous avions

déjà pensé en amont à des alternatives.

Dans la plupart des cas, nous avons

pu contourner ces écueils en recourant

à un plan B.

Les grands projets d’infrastructures interna-

tionaux accusent un retard notoire ou

ne sont jamais terminés. Le tunnel de base

du Gothard, lui, entrera en service un

an plus tôt que prévu. Par quel miracle ?

« Ambitieux oui,

mais pas inconscients ! »

Salle de contrôle du

tunnel de base

du Gothard à Pollegio.

Photo : Alexandra Wey / Keystone

Page 23: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 19

— Gottardo —

Vous dirigez l ’un des plus grands projets

de Suisse. Durant votre temps libre, êtes-

vous organisé ou plutôt chaotique ?

Je suis à mi-chemin : je suis spontané.

Quand ma fille, qui travaille chez

Swiss, me dit : « Tu m’accompagnes

à New York demain ? » et que je peux

m’arranger, je fonce.

Aviez-vous du mal à trouver le sommeil

à cause du projet ?

Au début, souvent.

Parce qu’il était difficile de prendre

vos distances ?

Je n’aime pas cette expression. À mon

sens, penser par recoupements est plus

efficace qu’isoler les différentes réflexions.

À trop délimiter les concepts, des

éléments peuvent facilement se perdre.

Comment avez-vous évité que cette tâche

gigantesque ne vous consume ?

C’est une illusion de penser qu’en

rentrant à la maison le soir, on éteint

l’interrupteur et on a l’esprit léger.

Lorsqu’on a la chance d’être en charge

d’une telle tâche, il faut une bonne

dose de feu sacré. Un enthousiasme

intérieur. Et j’ai aussi le bonheur

extraordinaire que ma famille s’intéresse

à ce que je fais. Par contre, j’ai dû

apprendre à déconnecter. Je crois que

j’y arrive mieux qu’auparavant.

Les objectifs peuvent aussi être trop élevés.

Et dans ce cas, nous parlons d’un projet

de 12 milliards de francs…

C’est clair. Le courage est une chose,

l’inconscience une autre. En 2011, nous

avons décidé de tout mettre en œuvre

ensemble pour une mise en service en

décembre 2016, selon les plans. Nous

avons alors fixé un point de contrôle : nous

reverrions les comptes deux ans avant

cette date et déciderions alors définitive-

ment, sur la base des progrès et des risques,

si la mise en service aurait vraiment

lieu en décembre 2016. Ambitieux donc,

mais pas inconscients.

Cela dit, il est rare qu’ailleurs dans le

monde, de tels mégaprojets soient terminés

un an en avance. Pourquoi en Suisse ?

Trois facteurs expliquent ce constat.

Premièrement, nous n’avons jamais dû

débattre de la légitimation politique.

Le projet, approuvé par la population,

avait été voté démocratiquement à la

majorité. Un accueil positif lui était donc

réservé. Des oppositions auraient pu

nous compliquer la vie. Le soutien est

bien moindre lorsque des entreprises

privées ou des gouvernements décident

d’un projet sans un large appui de la

population. En outre, il s’agit d’un projet

ferroviaire. Traditionnellement, la popula-

tion suisse y est très favorable.

Deuxièmement ?

Deuxièmement, l’Office fédéral des

transports a été un organe d’autorisation

et de décision très fiable. Les autorisations

ou permis de construire n’ont jamais

pris plus de temps que prévu. Et troisiè-

mement, aussi bien ATG que les CFF

ont mis en place des équipes à même de

prendre en permanence des décisions

et de collaborer de manière constructive.

Avec ce projet, avez-vous appris quelque

chose qui vous sert dans votre vie privée ?

La sphère privée est peut-être l’un des

rares domaines où l’on ne doit pas

systématiquement disposer de plusieurs

options. Mais j’ai déjà pu faire passer

un message à mes enfants en leur disant :

« Si votre plan ne marche pas,

que ferez-vous ? »

L’HISTOIRE DE LA LIGNE DU GOTHARD

Entre la première esquisse et l’inauguration du tunnel de base du Gothard, presque une éternité s’est écoulée.

1947L’ingénieur Carl Eduard Gruner esquisse l’idée visionnaire d’un tunnel de base du Gothard.

1963La Confédération évalue différentes variantes de tunnel ferroviaire.

1971Les CFF reçoivent le mandat de développer la ligne de base du Gothard Erstfeld-Biasca.

1992Le peuple suisse vote oui à la « Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes » (NLFA) et à la construction des nouveaux tunnels de base du Lötschberg, du Gothard et du Ceneri.

1993De premiers sondages dans la Piora donnent des indications sur le tracé géotechniquement le plus favorable.

1994L’« Initiative des Alpes » est approu-vée lors d’une votation populaire etla protection des Alpes ancrée dans la Constitution.

1995Le Conseil fédéral approuve le tracé entre Erstfeld et Bodio et le tronçon ouvert Bodio-Giustizia.

1999Début des travaux de percement du tunnel de base du Gothard en novembre.

2010Percement principal du tunnel de base du Gothard entre Sedrun et Faido.

2016Ouverture du tunnel de base du Gothard le 1er juin ; mise en service en décembre.

2020L’axe nord-sud est totalement fonctionnel après la mise en service du tunnel de base du Ceneri et le corridor 4 m.

194

019

50

196

01970

198

019

90

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02010

2020

Page 24: Bulletin 2/16 - Gottardo

20 — Bulletin 2 / 2016

Alfred Escher (1819-1882) :

De son vivant, le visionnaire du Gothard

n’a jamais traversé le tunnel qui

a été construit en partie grâce à lui.

Illustration : Gregory Gilbert-Lodge ; photo : Noë Flum / 13 Photo20 — Bulletin 2 / 2016

Page 25: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 21

— Gottardo —

Aucun ouvrage d’art n’a aussi profondé-

ment changé la Suisse que le chemin de

fer du Gothard, ouvert à la circulation le

1er juin 1882. Mêlant audace, courage, es-

prit pionnier et pensée visionnaire, il est le

symbole d’une Suisse dynamique, ouverte

sur le monde et tournée vers l’avenir. Grâce

à lui, le canton du Tessin fut enfin relié au

reste du pays par l’intermédiaire du réseau

ferré, ce qui lui donna une impulsion vitale.

Artère majeure pour l’économie d’exporta-

tion suisse, la ligne du Gothard avait avant

tout une vocation internationale. Néan-

moins, si elle donna d’abord une nouvelle

dimension aux relations économiques et

culturelles entre l’Italie, l’Allemagne et la

Suisse, sa portée finale fut bien plus vaste.

Un besoin d’infrastructures

En franchissant les Alpes, elle devint en ef-

fet une voie mondiale reliant le nord de

l’Europe au canal de Suez et à l’Orient via

la Suisse. Il n’est donc pas surprenant que la

Suisse ait célébré à l’époque son inaugura-

tion en grande pompe, offrant au monde

un spectacle des plus grandioses.

Au cours de la première moitié de ce siècle,

le Zurichois Alfred Escher reconnut à quel

point ces lacunes étaient préoccupantes.

Lors de son premier discours au Conseil

national, il attira l’attention sur cette situa-

tion dramatique. Il déclara que les rails se

rapprochaient de la Suisse de tous côtés

sans que celle-ci n’y fasse rien. Selon lui, le

pays risquait de se retrouver isolé et de

constituer un triste ermitage au milieu de

l’Europe. Effectivement, il n’existait à

l’époque en Suisse qu’une seule voie ferrée

longue de 23 kilomètres, la ligne

Zurich–Baden (dite « Spanisch-Brötli-

Bahn »). Cette intervention d’Escher fut le

point de départ de l’avènement de la Suisse

moderne, une histoire fascinante dans la-

quelle cet homme à la fois visionnaire,

pionnier, responsable politique et leader

économique joua le rôle de sa vie.

Après la fondation de l’État fédéral

en 1848, face à la complexité des défis liés à

la politique ferroviaire, les parlementaires

eurent à déterminer si les chemins de fer

devaient être installés et exploités par l’État

ou par une société privée. Il fallait en

Une merveille du monde, helvétiqueVoici comment la Suisse, après avoir raté le train

du progrès, est devenue un État moderne. C’est

l’histoire du chemin de fer du Gothard, dans laquelle

un certain Alfred Escher a joué le rôle de sa vie.

Joseph Jung

1882 CHEMIN DE FER

DU GOTHARDLe chemin de fer du Gothard fut ouvert

à la circulation le 1er juin 1882. Artère majeure pour l’économie

d’exportation suisse, la ligne du Gothard avait avant tout une voca-

tion internationale et permit de renforcer les relations économiques

et culturelles entre l’Italie, l’Allemagne et la Suisse.

Si l’on remonte trente ans avant l’inaugu-

ration de la ligne du Gothard, on se re-

trouve dans une Suisse très différente : un

pays qui, dans des domaines essentiels,

s’est laissé distancer par les grandes na-

tions industrialisées. Jusqu’au milieu du

XIXe  siècle, les infrastructures d’un État

moderne y font défaut.

Photo : Musée Suisse des Transports de Lucerne / Keystone

Page 26: Bulletin 2/16 - Gottardo

— Gottardo —

22 — Bulletin 2 / 2016

suite, ni les nombreuses tentatives de prise

de contrôle, ni même le fait que la plupart

d’entre elles devinrent plus tard dépen-

dantes vis-à-vis de l’étranger avant d’être

finalement nationalisées au début du

XXe siècle. Après le milieu du XIXe siècle,

grâce à des entreprises privées, la Suisse

avait rattrapé en un temps record son re-

1854 EPF DE ZURICH

À l’époque du boom ferroviaire, il n’existait en Suisse aucun centre

de formation pour les ingénieurs, les techniciens, les mathématiciens

et les géologues. Ainsi, pour faire face à la demande,

l’École polytechnique fédérale, l’actuelle EPF de Zurich,

fut fondée en 1854. Jusqu’à sa mort, Escher en demeura

membre du Conseil d’administration.

tière de concessions), et uniformise l’ex-

ploitation au profit des voyageurs et du

transport de marchandises ?

Mais ces discussions éludent l’essen-

tiel. Au milieu du XIXe  siècle, l’urgence

pour la Suisse était de déterminer com-

ment mener au plus vite la construction du

réseau ferré. Imaginons un peu : comment

les voies ferroviaires se seraient-elles déve-

loppées si l’État fédéral avait été aux com-

mandes ? À l’époque, celui-ci n’avait tout

simplement pas les moyens de financer

substantiellement, en plus de la mise en

place de l’Armée suisse, des projets d’in-

frastructures supplémentaires. Et avec le

peu de fonds qu’il aurait pu affecter aux

chemins de fer, la couverture du Mittelland

se serait étalée sur plusieurs décennies.

Autre aspect peu réjouissant : on devine ai-

sément à quel point les parlementaires à

Berne se seraient chamaillés au sujet des

lignes à construire en priorité.

La Suisse, pays de transport

Mais heureusement, ce scénario catas-

trophe n’eut pas lieu. Les faits sont là pour

en attester. La décision de l’été 1852 donna

un véritable coup de fouet à la construc-

tion des voies ferrées fédérales. La Suisse

connut alors un essor ferroviaire sans pré-

cédent à l’échelle européenne. Des sociétés

de chemins de fer sortirent de terre de

toutes parts. Moins de dix ans plus tard,

le Mittelland était raccordé et les rails

reliaient le lac de Constance au lac Léman.

Alfred Escher lui-même – conseiller

d’État, député au Grand Conseil et

conseiller national, entre autres – prit la

direction opérationnelle des Chemins de

fer du Nord-Est (1853), l’une des plus

grosses sociétés de chemin de fer, fit

construire une nouvelle gare à Zurich

(1865-1871) et transforma la ville en un

important nœud de communication.

La vitesse avec laquelle les lignes

ferroviaires furent installées en Suisse dans

les années 1850-1860 et l’impulsion in-

croyable que ces nouvelles infrastructures

donnèrent au développement industriel et

à l’économie confirment a posteriori le

bien-fondé des positions défendues par

Escher. Rien ne changera jamais cette réa-

lité : ni les turbulences financières qui tou-

chèrent les sociétés de chemins de fer par la

outre définir le tracé des lignes et fixer les

priorités pour le déroulement des travaux.

Escher identifia clairement les risques et

les opportunités associés aux décisions po-

litiques prises à Berne pour le canton de

Zurich. Et il craignait que la Suisse orien-

tale soit traitée comme le parent pauvre si

le projet de voie ferrée était chapeauté par

la Confédération.

Quel rôle pour l’État ?

Bientôt, les discussions politiques sur le

chemin de fer se concentrèrent sur la ques-

tion du financement. Le sujet devint en-

core plus explosif lorsque les débats abor-

dèrent non seulement le projet de voie

ferrée mais aussi celui d’une université fé-

dérale. Le Parlement se vit alors contraint

de définir très clairement les tâches in-

combant à l’État et celles relevant de l’éco-

nomie privée.

Les élus ne cachèrent pas leur in-

quiétude à l’idée de devoir financer simul-

tanément deux projets titanesques : le ré-

seau ferroviaire et l’université. Face à cette

situation, Escher obtint la séparation des

deux initiatives. Contre la volonté de la

Commission du Conseil national, il rem-

porta la majorité au sein des deux

Chambres fédérales en faveur d’une loi

confiant la construction et l’exploitation

des chemins de fer à l’économie privée. La

Confédération fut exclue de facto de la Loi

fédérale sur les chemins de fer, sans la

moindre marge de manœuvre légale. Elle

ne disposait même pas d’un droit de sur-

veillance sur les sociétés ferroviaires et

pouvait uniquement intervenir sur le tracé

des lignes pour des raisons de politique

militaire.

Cette décision cruciale de l’été 1852

influa sur l’évolution économique, sociale

et politique de la Suisse. En effet, dès

l’adoption du décret, des sociétés de che-

mins de fer privées virent le jour partout

dans le pays. Leur objectif était de

construire plus vite que leurs concurrentes

et sur un tracé optimisé comprenant peu

de ponts et de tunnels. Une question se

pose : aurait-il été bénéfique que la loi li-

mite un peu l’omnipotence des sociétés

ferroviaires privées, instituée de fait en

1852 (et seulement faiblement entravée

par les compétences des cantons en ma-

tard par rapport à ses voisins. En l’espace

d’un an, le trafic ferroviaire privé fut en me-

sure de fournir au marché national les ca-

pacités de transport dont il avait besoin.

La place industrielle et financière suisse

La décision de 1852 ne fut pas seulement

judicieuse sur le plan de la politique ferro-

Photo : bibliothèque de l’EPF de Zurich, archives photographiques / photographe inconnu / Ans_02467/CCBY-SA 4.0

Page 27: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 23

— Gottardo —

viaire. En effet, au milieu du XIXe siècle,

la Suisse accusait également un retard

dans d’autres domaines. Le boom du che-

min de fer nécessita le recrutement d’une

main-d’œuvre qualifiée répondant aux

exigences des entreprises de chemin de

fer. Le tracé des lignes requérait de trouver

la meilleure solution topographique, il fal-

lait construire des gares, renforcer les

ponts, prévoir des tunnels.

Toutefois, il n’existait alors en Suisse

aucun centre de formation pour les ingé-

nieurs, les techniciens, les mathématiciens

et les géologues. C’est ainsi que fut fondée

en 1854 l’École polytechnique fédérale,

l’actuelle EPF de Zurich. L’influence d’Al-

fred Escher dans ce domaine est encore

une fois incontestable. Jusqu’à sa mort,

Escher demeura membre du Conseil d’ad-

ministration de l’École polytechnique.

Cette haute école assura le transfert de

connaissances de la théorie à la pratique.

Les enseignants venus pour la plupart de

l’étranger menèrent des travaux avant-gar-

distes sur le plan scientifique. L’École poly-

technique posa pour ainsi dire la première

pierre qui permit à la Suisse de se forger

une tradition de recherche.

Néanmoins, le besoin en capital pla-

ça aussi les sociétés de chemin de fer face à

de grands défis. Étant donné qu’il n’existait

alors aucune banque commerciale en

Suisse, il fallait aller chercher le capital ail-

leurs. Or les bailleurs de fonds et les inves-

tisseurs étrangers voulaient participer aux

décisions relatives au développement des

sociétés de chemin de fer helvétiques, y

compris aux questions du tracé des lignes.

Cette ingérence n’était pas du goût

d’Escher. La Suisse avait besoin de sa

propre infrastructure de financement. Il

fonda donc le Crédit Suisse en 1856, au-

jourd’hui le Credit Suisse sans accent. Un

an plus tard, il fonda la Société suisse

d’Assurances générales sur la vie humaine,

l’actuelle Swiss Life. Le Crédit Suisse per-

mit en premier lieu à Escher de satisfaire

les besoins financiers de sa société des

Chemins de fer du Nord-Est. Il fut en

outre le moteur de l’économie helvétique :

il mit du capital-risque à la disposition

d’entreprises privées, aida à la création de

sociétés et s’engagea auprès d’institutions

publiques, par exemple pour la construction

celles-ci se trouvait le Genevois Louis

Favre, à qui fut confiée la construction du

tunnel long de 15 kilomètres.

Dans l’euphorie du moment, le che-

min de fer du Gothard fut qualifié de mer-

veille du monde helvétique, car le parcours

le long de la « world’s most picturesque

route » suscitait l’enthousiasme des voya-

geurs de la Belle Époque. Aujourd’hui, au

XXIe siècle, on s’étonne encore du génie, de

la grandeur visionnaire et de la qualité

technique avec lesquels le chemin de fer du

Gothard fut planifié et réalisé.

Le plus grand chantier du monde fut

mis en place entre Airolo et Göschenen.

Des milliers de travailleurs affluèrent de

l’étranger, la plupart d’Italie. Si la ligne du

Gothard a conservé jusqu’à ce jour son sta-

tut incontesté d’ouvrage d’art grandiose,

l’hygiène dans les baraquements ou les ca-

sernes de l’entreprise Favre où logeaient

les ouvriers était notoirement douteuse. S’y

ajoutaient des conditions de travail ex-

trêmes à l’intérieur du tunnel. De nom-

breux ouvriers souffrirent de maladies et

furent terrassés par des épidémies. Plus de

300 hommes périrent durant les travaux de

construction, auxquels il faut ajouter les

ouvriers malades et accidentés qui ne

moururent que plus tard, une fois rentrés

chez eux.

La tragédie du héros …

Le projet du Gothard, grâce auquel Al-

fred Escher entra dans l’histoire, repré-

senta pourtant un grand échec personnel

et l’une des principales déceptions de sa

vie : en 1878, il fut en effet contraint de se

retirer de la construction en raison de dé-

passements de devis, qui se révélèrent en

fin de compte négligeables. Ce n’était plus

son heure. La Suisse avait changé, la dé-

mocratie directe (1874) lui conférait une

nouvelle identité. « Nous sommes de moins

en moins nombreux », avait fait remarquer

Escher à un ami. Les pionniers de la géné-

ration fondatrice avaient vieilli, beaucoup

étaient décédés. Escher apparaissait de plus

en plus comme une relique d’un passé de-

puis longtemps révolu.

En 1880, devenu « persona non grata »

dans le projet du Gothard, il ne fut même

pas mentionné lors des célébrations orga-

nisées à l’occasion du percement. Deux

1856 CRÉDIT SUISSE

DE ZURICHAfin de couvrir le besoin en capital

des sociétés de chemin de fer, Escher fonda le Crédit Suisse en

1856, aujourd’hui le Credit Suisse sans accent. En 1857, il fonda la Société suisse d’Assurances

générales sur la vie humaine (Swiss Life).

de routes. Grâce au Crédit Suisse, Escher

fit de Zurich la place bancaire suisse.

La voie vers le Sud

Dans les années 1860, la Suisse faillit en-

core une fois laisser passer le train du déve-

loppement européen. En effet, le pays

manquait toujours d’une liaison nord-sud à

travers les Alpes, alors que des voies ferrées

alpines existaient déjà en France et en Au-

triche. Différentes variantes de transversale

alpine furent débattues, mais aucune ne fut

retenue. Les projets allaient du Lukmanier

au Simplon en passant par le Splügen.

Dans ce contexte, Alfred Escher soutint le

projet du Gothard et devint président de la

Société des chemins de fer du Gothard en

1871. Pour mener à bien ce gigantesque

projet, il mit toute sa force politique et éco-

nomique dans la balance. Il s’occupa du

budget et du financement, négocia avec les

décisionnaires suisses, allemands et italiens

et fit tout pour rassembler les personnes les

plus compétentes autour du projet. Parmi

Photo : Wikimedia Commons

Page 28: Bulletin 2/16 - Gottardo

24 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

À qui revient le financement du projet ?En 1882, les fonds publics locaux jouaient un rôle infime dans

le projet de construction. À l’inverse, le nouveau tunnel

de base du Gothard est financé exclusivement par des impôts

et des taxes.

Lors de la conférence internationale du

Gothard qui s’est tenue en 1869 à Berne,

les frais de construction de la ligne du Go-

thard furent estimés à 187  millions de

francs suisses (ce qui équivaut aujourd’hui à

environ 1,5 milliard). Environ un tiers était

prévu pour le tunnel reliant Göschenen et

Airolo ; les deux autres tiers revenaient aux

tronçons allant d’Immensee à Chiasso. Sur

cette somme totale, 102 millions devaient

être obtenus sur le marché financier inter-

national et 85 millions devaient être appor-

tés sous forme de subventions par l’Alle-

magne (20 millions), l’Italie (45 millions)

et la Suisse (20 millions). Quinze cantons

et trois villes participèrent aux paiements

auxquels la Confédération s’était engagée.

Ils ne purent rassembler que 13 millions de

francs suisses. Il fallut faire appel aux socié-

tés privées des Chemins de fer du Nord-

Est et du Chemin de fer Central suisse, qui

participèrent à hauteur de 7  millions de

francs, soit un tiers de la somme garantie

par la Suisse – en plus du capital d’investis-

sement de 9 millions qu’elles avaient cha-

cune déjà mis à disposition.

Le pourcentage des fonds publics

provenant de la Suisse s’élevait à près de

7% des coûts totaux, mais il faut préciser

que la Confédération n’apporta aucune

aide durant cette phase. Les entreprises

gérées par Alfred Escher, le Crédit

Suisse et les Chemins de fer du Nord-

Est, financèrent, quant à elles, plus de

11%, des coûts.

Des coûts trop élevés

Après 1875, la Société des chemins de fer

du Gothard plongea dans une crise fi-

nancière. Les frais de construction

avaient été estimés trop bas en 1869. Les

raisons étaient multiples : coûts plus

hauts en raison de calculs techniques er-

ronés, salaires et coûts des matériaux plus

élevés, infiltrations dans la galerie et sur

les lignes d’accès, manque d’expérience

en relation avec le granit du Gothard. La

mauvaise humeur régnant entre la direc-

tion générale et l’ingénieur en chef en-

traîna de vilaines querelles publiques :

Escher fut confronté à des diffamations

et à des écrits injurieux. Au final, la ques-

tion des coûts mena à son départ forcé en

tant que président de la direction de la

Société des chemins de fer du Gothard

(1878). Mais avant de signer sa lettre de

démission, il se sentit obligé de désenve-

nimer la problématique complexe des

frais supplémentaires et de procéder à

une restructuration.

Il parvint ainsi à réduire les frais

supplémentaires à 40 millions de francs

suisses. Suite à d’âpres négociations, il

put se procurer 12  millions de francs

suisses sur les marchés financiers interna-

tionaux. L’Allemagne et l’Italie partici-

pèrent également à hauteur de 10  mil-

lions chacune. La Suisse s’engagea à

fournir la somme de 8 millions de francs

(traité d’État de 1878), laquelle devait

être répartie entre les différents cantons

et les deux grandes compagnies ferro-

viaires privées. Mais cette promesse

n’était pas réaliste. Dans ce contexte, le

Conseil fédéral demanda au Parlement

une subvention de 6,5 millions de francs

suisses. Suite à des débats émotionnels et

humiliants pour Escher, un montant de

subvention de 4,5  millions de francs

suisses fut approuvé. Ainsi, la Confédéra-

tion finit elle aussi par participer à la voie

mondiale helvétique inaugurée en 1882,

même si ce ne fut qu’à hauteur d’environ

2% des coûts totaux.

La Nouvelle ligne ferroviaire à tra-

vers les Alpes (NLFA) est en revanche

entièrement financée par les pouvoirs pu-

blics, c’est-à-dire au moyen d’impôts et

de taxes. Selon les indications officielles,

la NLFA, y compris le tunnel de base du

Lötschberg, le tunnel de base du Go-

thard et le tunnel de base du Ceneri,

coûte plus de 23  milliards de francs

suisses. Elle est financée par le « fonds

FTP », qui est alimenté par la redevance

sur le trafic des poids lourds liée aux pres-

tations (RPLP) (60%), l’impôt sur les

huiles minérales (10%) et la taxe sur la

valeur ajoutée (30%).

Texte : Joseph Jung

Joseph Jung est historien, journaliste et directeur

de la Fondation Alfred Escher. Il est l’auteur

de travaux importants sur l’histoire économique

et culturelle de la Suisse, du XIXe siècle à nos

jours. Sa biographie d’Alfred Escher est un best-

seller : « Alfred Escher. Un fondateur de

la Suisse moderne. »

www.briefedition.alfred-escher.ch

www.alfred-escher.ch

ans plus tard, il ne fut pas invité non plus

à la grande fête d’inauguration du chemin

de fer à Lucerne, à laquelle furent pourtant

conviés environ 460 dignitaires italiens et

allemands ainsi que quelque 400 Suisses.

A la dernière minute, le président de la

Confédération lui envoya tout de même

une invitation. Mais Escher, déjà très ma-

lade, ne put se rendre à Lucerne. Il lui fut

ainsi épargné de ne pas entendre son nom

cité par le président de la Confédération

ni par aucun autre intervenant. De son

vivant, il n’a jamais traversé le tunnel. Si

Alfred Escher n’a pas non plus obtenu de

remerciements de la part de ses contem-

porains, ses initiatives, ses interventions,

ses projections et son engagement pour le

bien de la Suisse sont désormais considé-

rés sous un tout autre jour. Car il a amorcé

comme nul autre le développement de la

Suisse moderne.

Page 29: Bulletin 2/16 - Gottardo

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Page 30: Bulletin 2/16 - Gottardo

26 — Bulletin 2 / 2016

E C O N O M I C R E S E A R C H

BÂLE, ZURICH, LUCERNE BELLINZONE

MOINS 42 MIN. 1

LE GOTHARD REMET

LES PENDULES À ZÉRO

Illustration : Crafft

Le rail modèle la Suisse. Ses artères

relient les régions, acheminent biens et

voyageurs et alimentent la population

ainsi que l’économie. Après l’euphorie

de la route des années 1960, le rail

est désormais un axe central du

commerce, du développement

territorial et du tourisme. La

croissance passée d’Olten, ville

du chemin de fer par excellence,

témoigne de son influence.

Dans les agglomérations, de

nouvelles lignes de trains

de banlieue ou de tram ont

fait naître un boom de la

construction encore perceptible.

La NLFA changera-t-elle

la Suisse ? Assurément ! Le service

Economic Research du Credit Suisse

a mis en évidence les gagnants –

économiques – et les éventuels

perdants de la nouvelle ligne dans

une étude exhaustive centrée sur

le transport des marchandises,

l’amélioration de l’accessibilité, le

tourisme journalier, les marchés

immobiliers et les gares d’Altdorf et

Page 31: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 27

ECONOMIC RESEARCH

BELLINZONE LUGANO

MOINS 10 MIN. 1

LUGANO LOCARNO

MOINS 29 MIN. 1

de Bellinzone. En marge de la « vue

dégagée sur la Méditerranée », la

NLFA pourrait accélérer la connexion

vers les marchés asiatiques et

contribuer à flexibiliser les marchés

du travail.

En 1882, la ligne du Gothard a réin-

venté la traversée des Alpes. Si

les visionnaires de l’époque ciblaient

déjà les avantages économiques

du tunnel, il était difficile d’en évaluer

tous les effets. Il en va de même

pour la NLFA, qui pourrait permettre

des avancées encore inimaginables.

Credit Suisse Economic Research, équipe de projet : Thomas Rühl (direction), Simon Hurst, Sara Carnazzi Weber, Jan Schüpbach, Tim Maurer

52 minutes de moins entre Zurich

et Lugano

ACCESSIBILITÉ → P. 28

120 000 m2 d’aire industrielle

et artisanaleà la nouvelle gare

cantonale d’Altdorf

ZONE DE

DÉVELOPPEMENT → P. 30

Les logements en propriété 41%

plus chers à Lugano qu’à

Bellinzone. La NLFA reliera les marchés

du logement

MARCHÉ DU LOGEMENT

→ P. 31

40 mio. de tonnes : deux

fois plus de marchandises

chaque année

TRANSPORT DE

MARCHANDISES → P. 32

70 000 CHF le mètre de tunnel

de baseDANS LE TUNNEL → P. 34

3150 m2 de bureaux

et commerces à la gare NLFA de Bellinzone

ZONE DE

DÉVELOPPEMENT → P. 35

260 000 touristes

journaliers de plus

dans la zone d’attraction de Locarno

TOURISME

→ P. 36

42% des employés pourraient

profiter d’une flexibilisation de leur lieu de travail

MARCHÉ DU TRAVAIL

→ P. 37

SOMMAIRE

1 Dès 2020, d’après

les indications

actuelles

Page 32: Bulletin 2/16 - Gottardo

ECONOMIC RESEARCH

28 — Bulletin 2 / 2016

En 1775, le géologue britannique Charles Greville

est le premier à franchir le col du Gothard. Le

voyage s’effectue en calèche. À chaque obstacle,

celle-ci est démontée et portée à bout de bras par

78 personnes. En comparaison, la route ouverte

en 1830 est un réel progrès. Cela dit, jusqu’à l’ou-

verture des premiers tunnels alpins à la fin du

XIXe siècle, les chemins vers le sud du pays restent

pénibles, et les échanges économiques timides.

Les connexions bien plus rapides par le rail et la

route transforment la traversée des Alpes – autre-

fois périlleuse – en un saut de puce que l’on ne fait

plus trois fois dans une vie seulement comme

Goethe, mais chaque année, chaque semaine,

voire chaque jour.

La NLFA améliorera l’accessibilité du Tessin

et d’Uri, qui se rapprocheront des grands centres

et verront leurs zones d’attraction s’étendre. Pour

mesurer les effets de la nouvelle ligne en chiffres,

Credit Suisse Research a modélisé l’ensemble des

horaires des transports publics après l’ouverture

des tunnels de base du Gothard et du Ceneri. Sur

la base des 450 millions de connexions entre tous

les kilomètres carrés habités et compte tenu des

trajets préférés, l’institut a calculé les zones d’at-

traction de toutes les localités suisses. L’influence

des agglomérations étrangères a été intégrée

à l’équation.1 L’accessibilité est la somme de

toutes les personnes accessibles, pondérée par la

probabilité qu’elles entreprennent un tel voyage.

TRANSPORTS PUBLICS

LA SUISSE GOMME LES DISTANCES

Les longs trajets sont des grains de sable dans l’économie :

ils freinent les flux de biens et de personnes ainsi que

la collaboration entre les régions. Les sites accessibles ont plus

de chances de se développer.

Bellinzone profite le plus de la NLFA

Mieux accessible, et donc plus attractif : le centre-ville de Lugano.

Photo : Martin Rütschi / Keystone

Page 33: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 29

ECONOMIC RESEARCH

Lorsque les entreprises décident où s’établir et les

personnes où vivre, la connexion aux transports

publics est essentielle. Les régions bien acces-

sibles sont plus intéressantes et ont donc de meil-

leures perspectives économiques.

Connexions et développement vont de pairLes agglomérations ont la meilleure accessibilité

ou centralité, tandis que les régions périphériques

et de montagne obtiennent de par leur situation

des valeurs moins élevées. Contrairement aux

transports individuels, l’accessibilité aux trans-

ports publics est ponctuellement plus importante

autour des gares longue distance. L’agglomération

de Zurich est en tête du classement de l’accessibi-

lité, devant Bâle et Berne. En marge des connexions

de transport, la densité de population est essen-

tielle, d’où la valeur assez faible d’Altdorf. La nou-

velle gare cantonale, avec sa connexion directe

vers Zurich, accroît la zone d’attraction des pen-

dulaires d’Altdorf de 13 200 personnes ou 15%.

C’est Bellinzone qui profite le plus de la

NLFA, avec une zone d’attraction en hausse de

33 000 personnes. Le trajet plus rapide vers la ré-

gion de Lugano accroît l’attractivité du district de

Bellinzone pour les pendulaires et devrait intensi-

fier les échanges entre les deux parties du canton.

Les entreprises pourront balayer un territoire plus

grand pour recruter leur personnel, et les deman-

deurs d’emploi auront plus de choix. L’améliora-

tion la plus significative est à Locarno : le trajet

bien plus rapide vers Lugano – sans détour par

Giubiasco – accroît la zone d’attraction de 24% ou

21 000 personnes.

AUTEURS : THOMAS RÜHL ET JAN SCHÜPBACH

1 Autres informations : qualité de la localisation des

cantons et régions suisses. Credit Suisse 2013.

Accessibilité aux transports publics de la population suisse

Indicateur synthétique, km2, variations entre l’horaire 2016

et l’horaire 2020 modélisé

Sou

rces

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arch

.ch,

Geo

stat

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dit S

uiss

e

Genève

Lausanne

Neuchâtel

Fribourg

Sion

Berne

Soleure

Delémont

Bâle

Aarau

Zurich

Zoug

Lucerne Glaris

Coire

Chiasso

Frauenfeld

St-Gall

Schaffhouse

élevée

Accessibilité

faible

Tunnel de base du Ceneri

Tunnel de base du Gothard

+23% Bellinzone

+ 33 000 personnes

+ 24% Locarno + 21 000 personnes

+15% Altdorf

+ 13 200 personnes

+8,5% Lugano

+ 23 300 personnes

Page 34: Bulletin 2/16 - Gottardo

30 — Bulletin 2 / 2016

ECONOMIC RESEARCH

En 1882, les bâtisseurs de la première

ligne du Gothard n’ont pas voulu faire de

détour par Altdorf. Les voies filaient

donc tout droit de Flüelen à Erstfeld à tra-

vers le fond de la vallée d’Uri. La gare

d’Altdorf a été édifiée au milieu de la

plaine de la Reuss, loin de la commune, au

grand dam de la population. Le rail a néan-

moins attiré entreprises et commerces,

insufflant un élan à Altdorf. L’histoire

pourrait se répéter près de 140 ans plus

tard : dès 2021, l’InterCity Bâle-Lugano,

qui empruntera le tunnel de base du Go-

thard, fera halte toutes les deux heures à

Altdorf. Un InterRegio desservira la gare

chaque heure et, pour les pendulaires,

l’Innerschweizer Sprinter reliera celle-ci à

Zoug et à Zurich matin et soir.

Cette fois, Altdorf attend de pied

ferme la ligne du Gothard : une nouvelle

gare cantonale sera la pierre angulaire du

fond de la vallée, où résident 80% des

Uranais. Le transport par bus sera réorga-

nisé, étoffé et adapté aux nouvelles

connexions. Le canton construit aussi

une grande zone artisanale et industrielle

de 120 000 m2 juste à côté de la ligne.

La surface peu accessible et délaissée

entre le canal de la Reuss, l’autoroute

et les voies devrait donc devenir un pôle

de croissance bien desservi. Selon des

calculs officiels, 1300-1400 places de

travail devraient être créées et 170-260

nouveaux habitants devraient s’installer

aux alentours de la gare. Les pouvoirs pu-

blics et les CFF prendront en charge les

coûts : environ 80 millions de francs, sans

compter le nouveau bâtiment de la gare.

Uri saisit sa chanceGlobalement, le canton affiche une qua-

lité de localisation inférieure à la moyenne.

Une bonne partie de son territoire con-

siste en des régions de montagne : 2%

seulement sont des zones à urbaniser ;

40% de ces dernières sont dédiées à des

infrastructures de transport (routes, au-

toroutes, chemin de fer), pour beaucoup

des voies de circulation nationales. Les

possibilités d’augmenter l’attractivité

sont de ce fait très limitées. Un aména-

gement global du territoire et une meil-

leure accessibilité dans le canton (l’ob-

jectif d’Uri) sont d’autant plus importants.

Avec son nouveau quartier industriel, Uri

utilise sa dernière grande réserve de ter-

rains connexes pour amener à Altdorf en-

treprises, places de travail et recettes

fiscales.

Les 1300 places de travail visées

équivalent à 10% de l’emploi actuel à Uri.

Et si le « pôle de développement du fond

de la vallée d’Uri » s’articule sur plusieurs

décennies, l’optimisme est de mise. Le

nombre d’employés dans le canton est en

recul, mais un retournement de la ten-

dance est possible. La croissance démo-

graphique attendue de 170 à 260 habi-

tants à Altdorf semble réaliste. Avec

l’InterCity, la commune gagne aussi en

attractivité pour les pendulaires.

Malgré tout, le « boom du Gothard »

sera moins marqué que la dernière fois :

en 1882, la ligne avait été une alternative

de choix aux chemins muletiers et aux

sentiers caillouteux. Aujourd’hui, un axe

routier et ferroviaire bien fréquenté tra-

versant le canton existe déjà. Néan-

moins, grâce au nouveau concept de

transport et à de meilleures connexions,

le fond de la vallée se rapproche lui aussi

des centres économiques du Mittelland.

Et en sa qualité de membre de l’organisa-

tion de promotion de la Greater Zurich

Area, Uri appartient depuis 2016, virtuel-

lement du moins, à l’espace économique

zurichois.

AUTEUR : SIMON HURST

ALTDORF, ZONE DE DÉVELOPPEMENT

L’HISTOIRE SE RÉPÉTERA-T-ELLE ?

La gare d’Altdorf connectera Uri à la NLFA.

Gros plan sur ce que le canton gagnera (ou pas) avec la nouvelle ligne.

Étude préliminaire de la gare d’Altdorf, qui devrait être inaugurée en 2021.

Illustration : Germann & Achermann AG

Page 35: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 31

ECONOMIC RESEARCH

MARCHÉ IMMOBILIER

VIVRE À BELLINZONE, TRAVAILLER À LUGANO

Le tunnel de base du Ceneri reliera les marchés

tessinois de la location et de la propriété.

Au Tessin, les prix de la propriété du logement

suivent la tendance suisse avec une progression

de 76% en moyenne depuis l’an 2000. La région de

Lugano caracole en tête des chiffres du canton

avec une hausse de 96%, loin devant celles de

Bellinzone (+68%) et des Tre Valli (+32%). Comme

la demande d’un bien immobilier dépend, entre

autres, fortement de son accessibilité, la NLFA

aura des répercussions sur le marché du logement

tessinois.

Bellinzone gagne en attractivitéAssocié aux nouvelles technologies et à la flexibi-

lisation des contrats de travail, le gain de temps

permis par le tunnel de base du Gothard pourrait

consolider la position du Tessin comme lieu de ré-

sidence principale (cf. page  37). L’influence sur

les prix des logements devrait n’être que margi-

nale. Le tunnel de base du Ceneri (le tronçon sud

de la NLFA) devrait jouer un rôle majeur pour le

marché tessinois des résidences principales. Avec

des coûts de logement bien moindres à Bellinzone

et un trajet réduit à douze minutes entre les deux

villes, il sera plus intéressant de vivre à Bellinzone

et de travailler à Lugano.

Aujourd’hui, le mètre carré en location est en

moyenne 17% plus cher à Lugano qu’à Bellinzone.

Cet écart est même de 41% lorsqu’on parle de la

propriété. Ces chiffres pourraient évoluer à l’ou-

verture du tunnel de base du Ceneri en 2020.

Ainsi, les locataires et propriétaires qui ont quitté

Lugano pour son agglomération du fait des prix

élevés devraient à l’avenir toujours plus opter pour

Bellinzone, un lieu de résidence qui aura donc le

vent en poupe dans le sillage de la NLFA.

Le tunnel de base du Gothard ne devrait pas boule

verser le marché des résidences secondaires. Le

potentiel de demande supplémentaire est limité ;

pour les excursions comme pour les vacances, les

transports publics ne sont utilisés que dans 19%

des cas, selon l’Office fédéral de la statistique.

Les résidences secondaires dans les hauteurs ou

dans les vallées latérales, notamment, sont sou-

vent difficilement accessibles en train ou en bus

– les transports publics sont donc encore moins

privilégiés dans ces cas.

À long terme toutefois, des véhicules auto-

nomes pourraient parcourir plus efficacement les

petites distances entre gares centrales et résiden-

ces. Les transports publics seraient donc plus sé-

duisants pour les propriétaires de résidences se-

condaires. En plus du potentiel de demande limité,

l’initiative sur les résidences secondaires freine la

construction : les communes attrayantes du Tes-

sin comptent une part si élevée de résidences se-

condaires qu’il n’est plus autorisé de construire.

Lugano et Bellinzone sont l’exception : le taux

critique n’y a pas encore été atteint et la meilleure

accessibilité devrait un peu tirer vers le haut la

demande en résidences secondaires.

AUTEUR : TIM MAURER

Bellinzone : hausse attendue de la demande en logements.

Il est plus cher de vivre à Lugano qu’à Bellinzone :

+41% logements en propriété

+17% en location

Photo : fotoember / fotolia

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Page 36: Bulletin 2/16 - Gottardo

32 — Bulletin 2 / 2016

ECONOMIC RESEARCH

Lenteur, lourdeur, complexité: c’est en ces termes

peu flatteurs que le Conseil fédéral évoquait en

1990 les passages alpins suisses dans son mes-

sage sur la Nouvelle ligne ferroviaire à travers les

Alpes (NLFA). Au vu du flux de marchandises en

hausse, la Suisse devait défendre activement sa

position en matière de politique des transports en

Europe et présenter un gage pour négocier avec

l’UE (à l’époque CE). Le projet de la NLFA a donc

été lancé pour transporter des biens. Une ligne de

plaine moderne par les Alpes devait gérer le tran-

sit en hausse et consolider les parts de marché à

la baisse du rail.

Entre 1980 et 2014, la quantité de biens

transportés par route et rail via les Alpes a doublé

(de 50 à 100 millions de tonnes). Quatre tonnes

sur dix sont acheminées par des passages alpins

suisses ; les six autres sont réparties entre l’Au-

triche et la France.

Contrairement à ce qui se passe dans les

pays voisins, la position du rail est solide en

Suisse, à la faveur de sa politique de transfert

ancrée dans la loi. De ce fait, près de 70% des biens

qui transitent par les Alpes dans le pays sont trans-

portés en train (Autriche : 30%, France : 15%).

Les flux transalpins de marchandises par la Suisse

sont avant tout à mettre au crédit du commerce

entre l’Allemagne et l’Italie (40%), suivi du couple

commercial Benelux-Italie (30%). Ce n’est qu’en

troisième position que l’on retrouve les échanges

entre la Suisse alémanique et le Tessin (12%).

Le transfert du transport des marchandises

de la route au rail se poursuit : en 2000, environ

1,4 million de camions empruntaient les routes al-

pines suisses chaque année, contre 1 million au-

jourd’hui (–28%). Un chiffre d’autant plus remar-

quable que, dans le même temps, le volume des

biens acheminés par les Alpes suisses a progressé

de 32%. Cette réduction s’explique également par

l’autorisation de circuler des camions jusqu’à

40 tonnes (contre 28 auparavant) en vigueur de-

puis 2001, et par l’introduction d’une redevance

sur le trafic des poids lourds liée aux prestations

(RPLP). Malgré tout, l’objectif de transfert pour

2018 ne sera pas atteint, du propre aveu du Con-

seil fédéral. La loi vise 650 000 trajets par an.

Qu’apporte la NLFA ?Une question se pose, celle de l’influence des

chantiers actuels sur ce transfert. En 2020, la

ligne de plaine transalpine sera une réalité : entre

Rotterdam et Gênes, grâce aux tunnels de base du

Gothard et du Ceneri, les trains n’auront plus

de grand dénivelé à franchir. Le point culminant

du trajet aura une altitude de 550  m – comme

la ville de Berne. Pour le transport de biens, les

avantages sont évidents : des trains plus chargés,

TRANSPORT DE MARCHANDISES

UNE LIGNE POUR LE COMMERCE

La NLFA a été conçue pour transporter des marchandises.

Près de trente ans après le début du projet, la nouvelle ligne contribuera bien

au transfert de la route au rail, mais pas autant que prévu.

moins de locomotives et de personnel, des trajets

plus courts, moins d’énergie consommée. Mais

des restrictions demeurent. La NLFA ne donnera

sa pleine mesure que lorsque le tronçon entre Bâle

et les terminaux conteneurs du nord de l’Italie se-

ront praticables en continu pour des trains plus

longs et plus hauts. Il faudra pour ce faire aména-

ger une galerie de quatre mètres de hauteur.

Selon les prévisions officielles, les nouveaux

tunnels de base réduiront le trafic des poids lourds

de 240 000  trajets d’ici à 2030 (comparé à un

scénario sans la NLFA). Mais comme le transport

de biens progresse globalement, ce nombre devrait

néanmoins augmenter à long terme par rapport

Des marchandises ou des voyageurs, qui a la priorité ?

Photo : © SBB CFF FFS

Page 37: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 33

ECONOMIC RESEARCH

à aujourd’hui. Il faudra attendre la modernisation

complète du corridor entre Gênes et le nord pour

que le potentiel du rail s’exprime pleinement. Diffi-

cile de dire à quel point il sera utilisé. De nombreux

facteurs entrent en jeu, tels que la qualité d’amé-

nagement en Italie et en Allemagne ou la gestion

des créneaux sur toute la ligne (qui a la priorité, les

trains de marchandises ou de voyageurs ?).

Des obstacles demeurentLa capacité limitée des voies d’accès en Italie

mine l’efficacité de la NLFA. Fort de ce constat,

Berne a débloqué un crédit de 300  millions  de

francs (convertis) pour des projets de développe-

ment avec le pays transalpin. À l’heure actuelle, le

franc fort plombe aussi les logisticiens du rail :

leurs coûts sont en francs, mais leurs recettes en

euros. Et les prix peu élevés du diesel réduisent

l’attractivité du rail par rapport à la route.

Le transport des marchandises par rail fait

aussi face à des obstacles. Le réseau suisse a la

plus forte densité au monde. Et si les trains de

voyageurs circulent jusqu’à 200 km/h dans le tun-

nel de base du Gothard, les trains de marchandi-

ses sont limités à 100 km/h environ. Plus les

différences de vitesse sont importantes dans le

tunnel, plus la distance requise entre les trains

doit être élevée pour empêcher que les deux con-

vois ne se rejoignent. Selon le concept d’exploita-

tion, six trains de marchandises et deux de voya-

geurs peuvent circuler chaque heure et dans

chaque direction. Les trains de marchandises sont

donc réunis sur des voies d’évitement devant les

portails, puis éclusés conjointement entre les

trains de voyageurs qui circulent toutes les de-

mi-heures.

Objectif pas totalement atteint, mais nécessaire L’augmentation des volumes de biens transportés

devrait aussi être renforcée par l’attrait en hausse

des ports du nord de l’Italie, qui comptaient

peu jusqu’ici dans le commerce entre l’Europe et

l’Extrême-Orient en raison des capacités des

ports du nord. Cela dit, Rotterdam, Hambourg et

Anvers étant de plus en plus surchargés, et compte

tenu de l’ouverture de la NLFA, les investisse-

ments dans les infrastructures portuaires et de

transport ont fortement augmenté en Italie.

Conclusion : de plus en plus de biens transi-

teront par les Alpes, mais la route ne sera pas

décongestionnée autant que prévu à l’origine.

Cependant, sans la NLFA, il est clair que bientôt

plus personne ou presque ne prendrait de son

plein gré le chemin du Tessin par la route, car les

bouchons de camions s’étireraient de Bâle à

Lugano.

AUTEUR : SIMON HURST

Principales connexions (volumes)

Flux de marchandises, en millions de tonnes (2014),

par connexion (route et rail)

Route et rail (volumes)

En millions de tonnes

Scandinavie–Italie 0,5

0

10

20

30

40 Route Rail

Sou

rce

: OF

T, O

FRO

U, O

FS

20151980 1990 2000

* Une grande partie du commerce avec l’Extrême-Orient passe par les ports de Rotterdam, Hambourg et Anvers.

France–Italie 2

R.-U.–Italie 1

Transport transalpin de marchandises par la Suisse

Sou

rces

: O

FT,

CA

FT

Autres 5

Allemagne*– Italie

15

Benelux*– Italie 11

Suisse du Nord–Italie

5

Route (trajets)

En milliers de camions

0

400

800

1200 Tous les passages des Alpes

Gothard

Sou

rces

: O

FT,

OFR

OU

, OFS

1981 1991 2001 2015

1600

Objectif de transfert de 650 000 camions dès 2018

Page 38: Bulletin 2/16 - Gottardo

34 — Bulletin 2 / 2016

ECONOMIC RESEARCH

CONSTRUCTION DE TUNNELS

TRAVERSER LES MONTAGNESSi la construction de tunnels est une spécialité suisse, l’intérêt économique

de ces chantiers onéreux n’est pas toujours évident.

Jusqu’à la moitié du XXe siècle, les tunnels percés

en Suisse étaient presque tous ferroviaires. Puis,

dès 1980, le développement des autoroutes s’est

traduit par des centaines de kilomètres de tunnels

routiers. Avec la NLFA, les tunnels ferroviaires

sont à nouveau à l’ordre du jour : entre 2000 et

2020, la longueur totale des galeries passera de

400 à 800 km environ.

Les tunnels sont parmi les chantiers les plus

coûteux : 70 000 francs par mètre environ pour le

tunnel de base du Gothard, si l’on répartit les

10 milliards de francs d’investissements entre les

153 km de galeries (y c. les galeries transversales

et de raccordement). Quel est l’intérêt de cette

connexion directe à travers la montagne ? Sou-

vent, il s’agit de promouvoir des régions isolées,

comme avec le tunnel de base de la Furka (1982),

entre Oberwald (VS) et Realp (UR) ou le tunnel de

la Vereina (1999) entre Klosters et Sagliains (GR),

lequel devait doper l’économie et le tourisme

d’une région moins développée. Avec le tunnel du

Grimsel, le prochain projet ferroviaire est déjà sur

les rails : trois galeries d’un total de 22 km de-

vraient relier Oberwald et Innertkirchen (BE).

Si le tunnel de la Vereina a bien fait augmen-

ter le nombre de nuitées en Basse-Engadine, au-

cun effet direct n’a été observé sur le reste de

l’économie, car l’accessibilité est un facteur d’im-

plantation, mais ce n’est pas le seul.

Apprendre du LötschbergDifficile de comparer le tunnel de base du Gothard

avec les autres chantiers : il n’a pas été conçu

comme alternative à une route de montagne me-

nacée par les avalanches, mais pour déconges-

tionner un axe de transit très fréquenté. Afin

d’évaluer les retombées sur les régions environ-

nantes, nous nous pencherons sur le cas similaire

du tunnel de base du Lötschberg (le deuxième

axe de la NLFA) inauguré en 2007 entre Frutigen

(BE) et Rarogne (VS). Grâce à ce tunnel de base,

le Valais s’est rapproché des centres du Mittel-

land. C’est d’ailleurs la partie sud du canton qui

a surtout bénéficié des retombées : des trajets

raccourcis de trente à soixante minutes per-

mettent par exemple de vivre à Brigue et de tra-

vailler à Berne.

Le trafic de loisirs a encore plus augmenté, à

l’image du nombre de touristes visitant le Valais le

temps d’une ou de plusieurs journées. Pour déter-

miner à quel point cette évolution est à imputer au

tunnel, des usagers du tunnel de base du Lötsch-

berg ont été interrogés. Deux sur trois ont ré-

pondu qu’ils utiliseraient la route de montagne

existante plutôt que le nouveau tunnel de base.

Et quid des régions le long de la route de

montagne ? Reportons-nous une fois encore à

l’exemple du Lötschberg : dans le Kandertal et le

Lötschental, où l’on redoutait un recul du tou-

risme, les chiffres liés aux nuitées et à la popula-

tion sont restés constants après l’ouverture. Au

sud du Gothard, la Léventine craint pour son po-

tentiel, tandis qu’Uri espère davantage de tou-

ristes du sud. Aucun bouleversement n’est at-

tendu au Gothard. Avant même la NLFA et en

dépit de leur situation sur un axe nord-sud très

fréquenté, les régions des deux côtés du tunnel

n’étaient pas précisément florissantes. Les

grandes tendances de ces dernières décennies –

émigration vers les centres régionaux, vieillisse-

ment démographique, emploi en baisse – de-

vraient compter au moins autant pour le futur de

ces régions que le tunnel de base.

La qualité du réseau des transports suisses

étant déjà supérieure à la moyenne, l’effet des

optimisations et des transformations n’est évi-

demment pas aussi important que si le niveau

était bas.

AUTEUR : SIMON HURST

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trav

aux

sout

erra

ins

Longueur des tunnels en Suisse

Longueur totale des galeries, en km

0

250

500

750

1000

1930-1969 1970-20191890-19291850-1889

Tunnel ferroviaire Tunnel routier

Page 39: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 35

ECONOMIC RESEARCH

Au tournant du XXe siècle, le chemin de

fer du Gothard a eu l’effet d’un boom à

Bellinzone. Le rail a généré la plupart des

postes de travail, et les ateliers sont vite

devenus le principal employeur de la ré-

gion – ils le sont toujours, avec l’adminis-

tration cantonale. Bien d’autres entre-

prises ont profité de leur emplacement

sur cet axe nord-sud. Par la même occa-

sion, le Tessin s’est ouvert au tourisme.

La population de Bellinzone a rapidement

augmenté.

Rien ne prédisposait la ville à deve-

nir un point de jonction de la NLFA plus

d’un siècle plus tard. À l’origine, les trains

de la nouvelle ligne devaient contourner

par l’ouest le chef-lieu du Tessin grâce à

un autre tunnel – pour notamment pré-

server du bruit cette région peuplée. Une

nouvelle gare devait servir d’arrêt à la

NLFA à Camorino, un point de jonction au

sud-est de la ville à l’entrée nord du tun-

nel de base du Ceneri, là où convergent

les routes vers Lugano, Locarno et Bellin-

zone. Contre la volonté du Tessin, ce pro-

jet de contournement a été abandonné.

Pour les voyageurs arrivant du nord, Bel-

linzone sera désormais le premier arrêt à

la sortie du tunnel de base du Gothard.

Pour le tourisme, le nouveau tunnel aura

une influence la journée et le week-end.

Pour les pendulaires, les centres écono-

miques de Suisse alémanique restent trop

éloignés, même si les durées des trajets

sont bien raccourcies. Le fond de la vallée

d’Uri et Bellinzone sont eux des centres

isolés et trop petits pour que le tunnel

puisse leur permettre de devenir une ré-

gion économique.

Il en va tout autrement au sein même

du Tessin : à l’instar des autres régions du

nord du canton, la qualité de la localisation

de Bellinzone est inférieure à la moyenne,

car l’accessibilité, la main-d’œuvre haute-

ment qualifiée et l’attractivité fiscale pour

les entreprises sont notamment relati-

vement limitées. La nouvelle liaison ferro-

viaire y remédiera, puisque le tunnel de

base augmentera l’accessibilité vers le

nord et surtout vers le sud.

Deux fois plus d’usagers ?Dès 2020, le trajet Bellinzone–Lugano

sera réduit à douze minutes grâce au tun-

nel de base du Ceneri. La NLFA aura ainsi

des retombées concrètes importantes au

Tessin : ce tunnel ne sera pas qu’une

connexion de transit entre deux régions ;

il contribuera aussi à la mise en relation

des espaces économiques du nord et du

sud du Tessin.

C’est avec une zone de la gare tota-

lement rénovée que Bellinzone deviendra

une porte d’entrée sur le sud. Des quais

plus longs et une voie supplémentaire

étofferont les capacités, tandis qu’un bâti-

ment moderne accueillera magasins et bu-

reaux. Cette nouvelle gare doit permettre

à la NLFA de doubler le nombre d’usagers

en dix ans – tel est l’espoir de Bellinzone.

Une importante gare routière et plusieurs

nouvelles connexions de transport urbain

devraient suivre. À lui seul, le bâtiment

de la gare coûte 36 millions de francs. La

ville veut aussi mettre en valeur ses sites

touristiques et attirer ainsi de nouveaux

touristes. Bellinzone veut également se

réorganiser politiquement : la fusion avec

seize communes périurbaines pour former

une ville de 50 000 habitants a passé les

premiers obstacles politiques.

La dynamique économique pourrait

ainsi s’épanouir au Tessin et à Bellinzone

ces prochaines années. Après celle de Lu-

gano, la région affiche déjà la deuxième

croissance démographique du canton, et la

tendance se poursuivra dès que Bellinzone

sera un point de jonction de la NLFA.

AUTEUR : SIMON HURST

BELLINZONE, ZONE DE DÉVELOPPEMENT

NOUVELLE PORTE SUR LE TESSINLes infrastructures de transport rapprochent Bellinzone de la Suisse alémanique.

Mais c’est pour le cœur du Tessin que la NLFA aura un impact plus marqué.

La nouvelle gare de Bellinzone, qui sera inaugurée en 2016 (visualisation).

Image : © SBB CFF FFS

Page 40: Bulletin 2/16 - Gottardo

36 — Bulletin 2 / 2016

ECONOMIC RESEARCH

TOURISME

UNE JOURNÉE AU SOLEILLe Tessin va accueillir davantage de touristes journaliers.

Si l’hôtellerie s’adapte à cette nouvelle donne, elle pourra,

elle aussi, tirer parti de la situation.

Au sud des Alpes, le soleil brille en moyenne une

fois et demie plus souvent qu’au nord. Plombés par

le brouillard, les Suisses alémaniques font volon-

tiers du chemin pour s’offrir des excursions d’une

journée – et le Tessin a évidemment plus à offrir

que du soleil. Pour ces touristes, le temps du trajet

est déterminant : à partir d’une certaine durée, des

visites sans nuit à l’hôtel ne valent plus la peine.

Selon l’Office fédéral de la statistique, 47%

des excursions journalières vont de pair avec un

aller-retour d’une heure maximum. De même,

seuls 8% des voyageurs journaliers sont prêts à

faire des trajets de 2h41 (la durée actuelle d’un

Zurich–Lugano). Avec la NLFA, ce voyage passera

à 1h49 environ, et le Tessin devient ainsi bien plus

séduisant pour des excursions spontanées : 25%

des touristes journaliers envisageraient de telles

durées de voyage. Grâce à la nouvelle ligne, la

zone d’attraction de Bellinzone s’enrichit de

380 000  touristes journaliers helvétiques poten-

tiels. Tournée vers le tourisme, Locarno peut ga-

gner 260 000 Suisses supplémentaires attirés par

cette destination et Lugano 315 000.

La NLFA devrait donc doper le tourisme

journalier dans le Tessin. Pour la restauration, cela

signifiera surtout davantage de repas de midi, tan-

dis que des attractions telles que le musée des

fossiles du Monte San Giorgio verront leur af-

fluen ce augmenter. L’avantage temporel du rail

sur la route (sujette aux bouchons) pourrait en

outre amener les visiteurs du nord à davantage

opter pour le train.

Plus vite dans les deux sensPour l’hôtellerie, les perspectives sont moins

claires : si les hôtes arrivent plus rapidement sur

place, ils rentrent aussi plus vite chez eux. Les

Suisses alémaniques (le principal groupe de tou-

ristes dans le Tessin) pourraient, par exemple,

visiter le nouveau centre culturel LAC à Lugano

puis repartir. Néanmoins, les trajets dans la plu-

part des agglomérations au nord du Gothard ne

sont pas courts au point que la majorité d’entre

eux renonce à des nuitées. Le service Economic

Research du Credit Suisse ne table donc pas sur

un recul du nombre total de nuitées. De fait, le

tunnel de base du Lötschberg n’a pas eu d’effet de

ce type sur les retours. Si les hôteliers tessinois

saisissent leur chance et axent leurs offres sur les

utilisateurs de la NLFA, les tunnels de base pour-

raient tout à fait leur insuffler un nouvel élan.

Pour les destinations touristiques d’Uri et

de la Léventine, peu de changements à signaler : la

connexion par l’ancienne ligne du Gothard est

maintenue. Elle pourrait même devenir une attrac-

tion touristique: CFF Historic souhaite en effet

mettre en scène et en valeur la locomotive « cro-

codile » et d’autres légendes du Gothard.

AUTEURS : THOMAS RÜHL ET JAN SCHÜPBACH

Élargissement des zones d’attraction touristiques

par km2, transports publics, variations entre l’horaire 2016

et l’horaire 2020 modélisé

Chiasso

Tunnel de base du Saint-Gothard

Lugano

Altdorf

Stans

Sarnen

Locarno

Coire

Bellinzone

0

Touristes journaliers dans la zone d’attraction en hausse de

380 000180 000 Sou

rces

: se

arch

.ch,

Geo

stat

, Cre

dit S

uiss

e

Tunnel de base du Ceneri

Page 41: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 37

ECONOMIC RESEARCH

MARCHÉ DU TRAVAIL

NLFA ET FLEXIBILITÉ DU TRAVAILAu quotidien, il faut toujours moins être présent physiquement au travail :

de nouvelles technologies ont révolutionné la façon de travailler.

Et meilleure accessibilité rime avec nouvelles opportunités.

Le monde du travail évolue : de nouvelles technolo-

gies de l’information et de la communication, des

habitudes de vie en pleine évolution et une part en

hausse des métiers axés sur les connaissances ont

fait apparaître toute une palette de formes de tra-

vail flexibles. Près de 50% des personnes actives en

Suisse recourent déjà à certaines formes de travail

modernes (travailleurs indépendants, à temps par-

tiel, temporaires) ; au sein de l’OCDE, seuls les

Pays-Bas affichent une valeur plus élevée. De plus,

23% des salariés suisses saisissent dès aujourd’hui

l’occasion de travailler en partie depuis chez eux. La

surcharge du trafic routier et des transports publics

consécutive à des hausses des mouvements de

pendulaires renforce cette évolution. De même, la

part de parents actifs progresse. Pour eux, concilier

emploi et famille dans un foyer et un lieu de travail

séparés est un défi clé.

Dans ce contexte, la meilleure accessibilité

sur l’axe nord-sud offre de nouvelles options aux

régions concernées. Si le travail est possible où

que ce soit, les régions périphériques peuvent,

elles aussi, se positionner comme des zones rési-

dentielles de qualité. Les collaborateurs en mesure

d’exercer une partie de leur activité depuis chez

eux ou un site proche peuvent renoncer à démé-

nager dans la région de leur emploi ou doivent

moins souvent jouer les pendulaires – mais, en

contrepartie, sur de plus longues distances.

Ainsi, ces dix dernières années, 400  per-

sonnes environ ont quitté le Tessin pour la région

de Zurich-Zoug : dans 55% des cas, il s’agissait de

main-d’œuvre hautement qualifiée avec une for-

mation tertiaire, surtout active dans la finance, les

services aux entreprises, le commerce, les trans-

ports ou les services publics. La majorité des

1500 pendulaires tessinois de la région de Zurich-

Zoug se retrouve aussi dans ces branches, même

si 54% ne retournent pas tous les jours de la

semaine dans leur canton de domicile.

Dans une région, le potentiel d’un travail géo-

graphiquement flexible augmente proportionnelle-

ment avec la part des salariés du secteur de la

connaissance, lequel inclut surtout des emplois de

bureau classiques et des services modernes. Mais

le potentiel de l’industrie ne doit pas être négligé.

Les services proches de la production – analyses

des besoins, services à distance, exploitation com-

plète d’installations pour le client – progressent.

Une analyse de la structure des employés selon les

caractéristiques de leur emploi nous révèle que

41,8% des employés en Suisse pourraient à l’avenir

profiter d’une flexibilisation des horaires et du lieu

de travail (42,3% pour le Tessin et 34,5% pour Uri).

La flexibilisation du travail se poursuit, également

à la faveur de l’encombrement croissant des cent-

res et d’une conscience en hausse pour l’environ-

nement et le numérique.

Le monde du travail du futur pourrait être

fortement fragmenté et constitué de quantité

de réseaux et de petits prestataires hautement

spécia lisés offrant leurs services projet par projet.

Les entreprises ne conserveront, quant à elles, que

leurs fonctions principales.

AUTEUR : SARA CARNAZZI WEBER

Évolution du monde du travail

23% des salariés

suisses travaillent

parfois depuis

chez eux.

42% des salariés suisses

pourront profiter

d’une flexibilisation

de leur travail à

l’avenir(Uri: 35%; Tessin 42%).

La vision d’un monde du

travail atomisé :

Salariés Groupes de travail

Réseaux Entreprises

Page 42: Bulletin 2/16 - Gottardo

38 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Des milliers d’ouvriers et de spécialistes, des millions de tonnes de pierre…

Le tunnel de base du Saint-Gothard (TBG) est le fruit d’une

collaboration complexe. Six entrepreneurs nous parlent des temps

forts et des défis de ce projet pharaonique.

Par Simon Brunner (interviews) et Anne Morgenstern (photos)

Histoires des profondeurs

STRABAG AG SCHWEIZ

PORTRAIT : Le groupe technologique

Strabag est l’un des leaders européens

de la construction (chiffre d’affaires :

14 milliards d’euros/73 300 colla-

borateurs). Strabag Schweiz opère dans la

planification et l’exécution de travaux

de construction, tous domaines confondus.

SIÈGE : Schlieren

CRÉATION : 1835

EFFECTIF : 1350 (Suisse)

Quelle a été votre contribution au TBG ?

La Strabag AG Österreich et la Strabag

AG Tunnelbau Schweiz ont remporté

les lots d’Amsteg et d’Erstfeld de l’appel

d’offres. Nous avons donc réalisé

toute la partie nord du TBG. Volume de

la commande : 1100 millions de francs.

Quelles différences entre un tunnel et

d’autres constructions ?

Comme le dit un vieil adage de mineurs,

les pioches avancent sur l’obscurité.

La construction d’un tunnel compte

parmi les projets les plus complexes

et les plus risqués.

Des pierres d’achoppement ?

D’après un autre dicton, la montagne est

plus forte que tout. Alors que sur

le lot d’Erstfeld, nous avons battu le

record journalier du TBG à une vitesse

de percement de plus de 56 mètres,

STRABAG AG SCHWEIZ, Peter Murer

Page 43: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 39

— Gottardo —

GROUPE ELKUCH, Günther Elkuch

Page 44: Bulletin 2/16 - Gottardo

40 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

le même tunnelier est resté enseveli à

Amsteg. Il a suffi d’un mètre pour que les

conditions géologiques passent d’un

gneiss solide à des cailloutis, qui se sont

déversés comme une coulée de boue dans

le tunnel, bloquant notre tête de forage.

Malgré ses 5000 CV, la machine a été

immobilisée. Avec de l’inventivité, du

savoir-faire et beaucoup d’huile de coude,

l’équipe l’a libérée de sa cage de pierre

au bout de six mois.

Réponses de Peter Murer,

président du conseil d’administration

GROUPE ELKUCH

PORTRAIT : Le groupe réunit sept

sociétés dans le domaine de la tôle.

Elkuch Bator AG fabrique des portes

industrielles et coupe-feu et a tenu

un rôle clé pour le TBG.

SIÈGE : Bendern, LI (groupe)/

Herzogenbuchsee (Bator AG)

CRÉATION : 1949

EFFECTIF : >350

Quelle a été votre contribution au TBG ?

Nous avons installé environ 750 portes et

portails, dont 353 portes reliant les deux

tubes principaux tous les 320 mètres, ainsi

que 24 portes aux stations de secours et

4 portes de 22 tonnes et quelque 68 m de

haut dans les zones de changement de voie.

Quelles différences avec d’autres mandats ?

Nous avons souvent fait œuvre de

pionniers, car il n’y avait ni standards ni

normes pour les lignes à grande vitesse

dans les tunnels. Dans un tunnel par

exemple, un train se comporte comme une

cartouche dans le canon d’un fusil ; il

exerce une pression brève et énorme qui

va et vient par vagues. Si plusieurs

trains circulent, ces vagues de pression

se superposent – une charge extrême

pour l’infrastructure. Il nous a d’abord

fallu identifier ce qui influe sur la

durée de vie des différents éléments.

Qu’est-ce qui vous a marqué ?

Les mineurs. Ils passent quasiment la

journée dans l’obscurité, dans une chaleur

étouffante et forment une communauté

soudée d’individualistes à l’esprit

d’équipe. Les jalons tels que la dernière

« traverse d’or » ont été allègrement

célébrés. Fascinés par ce rituel, nous avons

décidé de fêter nous aussi une étape :

l’installation du dernier battant « d’or »,

un geste simple mais fort, qui a eu

un écho retentissant.

Réponses de Günther Elkuch,

président du conseil d’administration

REX ARTICOLI TECNICI SA

PORTRAIT : Développement et

fabrication de produits techniques en

caoutchouc et thermoplastique

SIÈGE : Mendrisio

CRÉATION : 1935

EFFECTIF : >100

Quelle a été votre contribution au TBG ?

Nous avons fabriqué et livré les

380 000 sabots en caoutchouc des

traverses sur lesquels les rails sont posés.

La voie sans ballast du TBG est très

spéciale : elle est dépourvue des pierres

habituellement présentes entre les

voies – pour une maintenance minimale.

Quelle a été l ’importance de ce mandat

pour vous ?

Cette mission a été la plus importante

jamais exécutée par l’entreprise en

80 ans d’activité et se chiffre à plus de

4,5 millions de francs. Fait notable,

nos instructions tenaient sur quelques

pages, alors que l’on aurait pu écrire

des romans avec les descriptifs de missions

comparables à l’étranger.

Quelle était l ’ambiance sur le chantier ?

L’organisation n’a eu de cesse

de nous surprendre. Tous ont montré

un engagement sans limites,

dans une atmosphère de travail

que je n’avais encore jamais

vue – et les machines d’assemblage

construites pour l’occasion étaient

tout simplement incroyables.

Réponses de Marco Favini,

président du conseil d’administration

AGIR AGGREGAT AG (AAA)

PORTRAIT : AAA compte parmi

les plus grands prestataires

de systèmes logistiques pour les gros

chantiers

SIÈGE : Gurtnellen

CRÉATION : 1967

EFFECTIF : 350

Quelle a été votre contribution au TBG ?

Nous avons évacué du tunnel ou transformé

en granulats pour béton 20,1 millions

de tonnes, soit près de 80% des matériaux

comme la roche ou les eaux usées, pour

un contrat à hauteur de 380 millions de

francs.

Votre anecdote préférée ?

Un petit problème linguistique, comme

cela peut arriver sur un chantier :

nous voulions disposer six conteneurs

et demandions l’accord de la direction

du chantier. Mais la collaboratrice

allemande n’a pas compris notre « säggs

Container » (six conteneurs, en suisse

alémanique) et a entendu « sex container ».

Comme vous l’imaginez, elle s’est

énervée, il était hors de question de

placer ce genre de conteneurs sur

le chantier. Mais nous ne comprenions

pas en quoi ils posaient problème.

Il nous a fallu un long moment pour

dissiper ce malentendu.

Quel a été votre plus grand défi ?

Éviter les accidents, voire les décès.

Tout accident ébranle nécessairement

un gros chantier où tout le monde

s’est déjà rencontré à un moment ou

à un autre. C’est pourquoi la

Sainte-Barbe, le 4 décembre, a une

grande importance pour les

personnes mobilisées, même si

la plupart ne sont pas religieuses.

Réponses d’Andreas Meyer,

gérant

Page 45: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 41

— Gottardo —

AGIR AGGREGAT AG (AAA), Andreas Meyer

Page 46: Bulletin 2/16 - Gottardo

42 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

TENCONI SA

PORTRAIT : Construction métallique

et mécanique dans le secteur ferroviaire

SIÈGE : Airolo

CRÉATION : 1871

EFFECTIF : 130

Quelle a été votre contribution au TBG ?

Côté sud, nous avons notamment fabriqué

les pièces mécaniques des tunneliers

ou réparé les pièces défectueuses, confec-

tionné les pièces d’usure, construit les

appareils de forage, soudé les structures en

acier, monté les murs de séparation pour

la ventilation.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

Tenconi a été très appréciée pour

sa simplicité, sa fiabilité, son respect

des délais et la qualité des travaux

exécutés – et surtout pour sa polyvalence.

Nous avons été appelés un nombre

incalculable de fois dans les tunnels pour

discuter des problèmes survenus. Et nous

avons été invités à toutes les fêtes, pour

notre plus grand plaisir.

En quoi votre société est-elle liée

au tunnel du Gothard ?

La fondation de Tenconi SA Airolo

coïncide avec le début des travaux

du premier tunnel ferroviaire du Gothard.

Les frères Tenconi, alors maréchaux-

ferrants et charrons, avaient eu vent de

ce projet de construction et avaient

quitté la Ligurie pour Airolo, où le travail

ne manquait apparemment pas.

Réponses de Fabrizio Lucchini,

directeur des ventes

WOERTZ

PORTRAIT : Fabricant de systèmes

d’installations électriques, systèmes

domotiques, systèmes de sécurité incendie

SIÈGE : Muttenz

CRÉATION : 1928

EFFECTIF : 230

Quelle a été votre contribution au TBG ?

Le câblage de l’éclairage de secours et

l’installation de câbles de sécurité

incendie et de boîtes de dérivation.

Quel a été votre plus grand défi ?

Nous adapter aux nouvelles exigences.

Nous avons dû mettre au point de

nouveaux boîtiers de raccordement

conformes aux exigences techniques

strictes. Dans cette optique, nous avons

notamment précâblé les éclairages et

boîtes de dérivation pour câble plat avant

la livraison, de sorte qu’il ne reste qu’à

fixer les éclairages sur le chantier

et à raccorder les boîtes de dérivation au

câble plat.

Comment avez-vous perçu l ’ampleur

du projet ?

La concurrence était rude, la pression sur

les prix et les délais énorme, et il a

fallu concevoir des produits selon des

spécifications détaillées très strictes.

Réponses de Tamas Onodi,

gérant

TENCONI SA, Fabrizio Lucchini

Page 47: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 43

— Gottardo —

À l’ère de la mobilité, Gothard est l’un

des noms de saints chrétiens les plus

idiomatiques de notre quotidien. Ce saint

du Xe et du XIe siècle, qui a donné son

nom au roi des cols, s’appelait Godard, ou

Godehard en ancien haut allemand.

Par Hansjörg Schultz

En 1236, les premières

chroniques font état du

lien entre Godard, ancien

évêque d’Hildesheim, et le

col du Gothard. Un moine

bénédictin de Brême avait

fait le voyage à Rome pour de-

mander au pape de prier pour le

pardon de ses péchés. Sur le pé-

nible chemin du retour le menant

à Bellinzone, Airolo puis Lucerne, il

entend le nom du col du Saint-Go-

thard et rapporte cette nouvelle à son

retour dans le nord. Dès le XIe siècle, le

col abritait une chapelle que l’archevêque

de Milan avait consacrée à Saint Godard

en 1230. Dans le même temps, un hospice

dirigé par des moines avait été érigé pour

offrir le gîte aux voyageurs.

Gothard – aussi appelé Godard en

français ou Godehard en haut allemand an-

cien – d’Hildesheim naît en 960 à Reichers-

dorf (Basse-Bavière) dans une famille de

paysans pauvres. À 30  ans, il entre dans un

couvent bénédictin comme moine et devient

bientôt prieur. Il était communément appelé

l’abbé de la réforme, parce qu’il avait fait siennes

les idées de la réforme née dans l’Abbaye de

Cluny (Bourgogne), qui se centrait sur l’aide aux

pauvres. En 1022, l’empereur Henri  II nomme

Godard, 62  ans, évêque d’Hildesheim. Durant

les seize ans de son apostolat, il se révèle un maître

d’ouvrage appliqué en faisant agrandir la cathé-

drale et construire plus de trente églises. Au sein

du grand évêché, son apostolat a coïncidé avec

l’âge d’or de la dynastie saxonne : de fait, les tré-

sors de l’architecture et de l’art de l’époque im-

prègnent la ville aujourd’hui encore.

Les sources évoquent la sérénité placide

de Godard. Plusieurs légendes gravitent au-

tour de lui. Il est ainsi généralement repré-

Le saint et le diable

Hansjörg Schultz est rédacteur et présentateur

de la radio SRF 2 Kultur. Auparavant, il avait

présenté l’émission de télévision « Sternstunde

Religion » et dirigé jusqu’à début 2014 la rédaction

« Religion » à la radio et télévision suisse SRF.

senté avec des charbons ardents sur son manteau, car il aurait, lors-

qu’il était enfant de chœur, porté dans son habit des charbons

incandescents jusqu’à l’encensoir. Et la légende ajoute qu’il n’aurait

pas été brûlé à cette occasion.

Le 5 mai 1038, l’évêque meurt à l’âge respectable pour l’époque

de 76 ans. Ses reliques sont conservées à la cathédrale d’Hildesheim.

Aujourd’hui encore, cette date souvenir est célébrée à la fois dans le

catholicisme et le protestantisme. En 1131, Godard est canonisé par

le pape Innocent II. La basilique de Saint-Godard a été érigée en

son honneur à Hildesheim. De même, des sites et des églises ont été

baptisés à son nom, à la fois dans les pays scandinaves et en Italie.

Et donc, sur le chemin vers l’Italie. La chapelle

au sommet du col du Gothard lui est consacrée,

tout comme l’hospice (mentionné pour la pre-

mière fois en 1236) bâti pour les pèlerins de

Rome et devenu une auberge dirigée par des

moines capucins dès le XVIIe  siècle. En

raison de la neige, les moines avaient d’ail-

leurs reçu l’autorisation exceptionnelle de

porter des chaussures.

Selon une autre légende, l’évêque Godard

aurait même ressuscité des morts pour qu’ils

puissent lui confesser leurs péchés. Il n’est

pas seulement le saint patron du col du

Gothard, il protège également de

l’éclair et de la grêle, des rhuma-

tismes, de la goutte et des accou-

chements difficiles. Une statue le

représente, un dragon (symbole du

diable) à ses pieds, affairé à planter sa

crosse dans la gorge de l’animal. Et

le diable nous ramène au col du Saint-

Gothard, puisque le pont qu’il faut fran-

chir dans les gorges de Schöllenen est

plus connu sous le nom de Pont du

Diable. Le saint et le diable – tous deux

se retrouvent dans la longue histoire du

col du Saint-Gothard.

Le saint était le fils de

paysans pauvres

(statue de la basilique

de Saint-Godard,

Hildesheim)

Photo : Wikimedia Commons / Hildesia / CC BY-SA 3.0

res

du

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, et le

moine

me avait

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rier pour le

. Sur le pé-

ur le menant

puis Lucerne, il

l du Saint-Go-

te nouvelle à son

Dès le XIe siècle, le

lle que l’archevêque

crée à Saint Godard

me temps, un hospice

s avait été érigé pour

geurs.

si appelé Godard en

d en haut allemand an-

naît en 960 à Reichers-

dans une famille de

30  ans, il entre dans un

omme moine et devient

it communément appelé

arce qu’il avait fait siennes

me née dans l’Abbaye de

qui se centrait sur l’aide aux

mpereur Henri  II nomme

que d’Hildesheim. Durant

ostolat, il se révèle un maître

n faisant agrandir la cathé-

us de trente églises. Au sein

n apostolat a coïncidé avec

tie saxonne : de fait, les tré-

et de l’art de l’époque im-

urd’hui encore.

quent la sérénité placide

légendes gravitent au-

nsi généralement repré-

Hansjörg Schultz est rédacteur et z

de la radio SRF 2 Kultur. Auparava

présenté l’émission de télévision «

Religion» et dirigé jusqu’à début 20

«Religion» à la radio et télévision s

Et donc, sur le chemin vers l Italie. L

au sommet du col du Gothard lui est

tout comme l’hospice (mentionné po

mière fois en 1236) bâti pour les p

Rome et devenu une auberge diri

moines capucins dès le XVIIe

raison de la neige, les moines av

leurs reçu l’autorisation exceptio

porter des chaussures.

Selon une autre légende, l’évêq

aurait même ressuscité des morts

puissent lui confesser leurs péch

pas seulement le saint patron

Gothard, il protège éga

l’éclair et de la grêle, d

tismes, de la goutte et

chements difficiles. Un

représente, un dragon (s

diable) à ses pieds, affairé

crosse dans la gorge de l

le diable nous ramène au co

Gothard, puisque le pont qu’

chir dans les gorges de Sch

plus connu sous le nom d

Diable. Le saint et le diable –

se retrouvent dans la longue

col du Saint-Gothard.

pay

(statue de la basilique

de Saint-Godard,

Hildesheim)

Page 48: Bulletin 2/16 - Gottardo

44 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Dans les entrailles en granit de l’Helvétie

Page 49: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 45

— Gottardo —

Pour les planificateurs

des transports, le Gothard

est le chemin le plus

court entre nord et sud.

Pour les écrivains suisses,

il est avant tout un sujet

d’inspiration sans fin. Gros

plan sur sept livres phares

autour du « Sinaï helvétique »

et d’un autre tunnel suisse.

Daniele Muscionico (texte) et Maiko Gubler (illustration)

Page 50: Bulletin 2/16 - Gottardo

46 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

 Que serait la Suisse sans le

mythe littéraire du Go-

thard ? La perspective est

effrayante : peut-être un

pays comme un autre. Pour les écrivains et

les auteurs de Suisse (alémanique), le géant

de granit nimbé de légendes est un thème

central, une montagne d’inspiration. « Que

penses-tu du Gothard ? » est la question qui

revient d’un côté comme de l’autre. Pour

Peter von Matt, grand philologue, écrivain

et spécialiste de littérature de Suisse, le

Gothard est le « Sinaï helvétique ».

D’autres exégètes sont tout aussi

dithyrambiques. Curieusement, les auteurs

masculins privilégient l’aspect biogra-

phique de ce géant helvétique de granit,

tandis que leurs homologues féminines

préfèrent en explorer les aspects fantas-

tiques. Au siècle dernier surtout, les auteurs

du Tessin – Piero Bianconi, Plinio Martini

et Albero Nessi – dépeignaient le Gothard

comme un espace social. À l’heure actuelle,

ce n’est guère un thème abordé en Suisse

méridionale et romande. Dans la littérature

de Suisse alémanique, en revanche, les pers-

pectives et les histoires liées au Gothard

peuvent combler tous les types d’amateurs

de lecture. Les exemples ci-après sont vo-

lontairement contemporains, qu’il s’agisse

de découvertes ou de redécouvertes, de

classiques modernes ou d’ouvrages pointus

de science-fiction.

Pour les aficionados de la Grèce antique

Rolf Dobelli —« Massimo Marini »

Le destin est cruel. Les Grecs anciens l’ont

maintes fois souligné dans leurs tragédies.

Si Rolf Dobelli (né en 1966) est un peu

plus jeune qu’eux, son roman a la force de

ce genre littéraire.

Il narre l’histoire fabuleuse de la vie

de Massimo Marini et est tout à la fois un

grand récit politique et un instantané de

la société suisse sur la seconde moitié

du siècle dernier. Intégration, immigra-

tion, travailleurs étrangers, fatalité œdi-

pienne, soap opera sur une jolie violoncel-

liste de l’opéra de Zurich – tels sont les

différents ingrédients que Rolf Dobelli

inclut à son récit.

Roman · Diogenes

Rolf DobelliMassimo

Marini

Roman · Diogenes

Rolf DobelliMassimo

Marini

« L’ascension et la chute de

Massimo Marini, avec

le Gothard comme décor. »

Détail croustillant : l’ascension et la chute

de Massimo Marini qui, nourrisson, était

arrivé en Suisse dans les années 1950 dans

la valise de ses parents, des saisonniers des

Pouilles, sont narrées avec le Gothard

comme décor. Et, ironie du destin, ce se-

ront Massimo Marini et les travailleurs de

sa société de construction qui bâtiront

plus tard le tunnel de base du Gothard. Le

lien entre l’ancienne et la nouvelle patrie

du héros portera chance à son entreprise,

la merveille politico-technique verra le

jour, mais sur le plan personnel, l’homme

sans identité échouera lamentablement.

La vie de Massimo Marini est l’exemple

d’une vie tragique oscillant entre sommets

et abîmes.

La perspective sur le Gothard de

Rolf Dobelli est celle d’un sceptique : « Seul

celui qui parvient à laisser derrière lui tout

son passé biographique trouve sa patrie. »

Son héros n’y arrive pas. Mais ce n’est pas

de sa faute. C’est le destin qui lui joue des

tours. Cette saga du Gothard a tout le

grandiose de la Grèce antique.

Pour les théologiens

Friedrich Dürrenmatt — « Le Tunnel » et« La guerre dans l’hiver tibétain »

Du grand Friedrich Dürrenmatt : un train

sans conducteur de locomotive – mais avec

des passagers qui ne se doutent de rien

(« Nous étions assis dans nos comparti-

ments sans savoir que tout était déjà per-

du ») – gronde dans un petit tunnel (qui

n’est pas le Gothard). Il file toujours plus

vite. Au fur et à mesure, le tunnel semble

s’allonger et la vitesse du train s’accélérer.

À la dernière phrase du scénario, face à

la catastrophe imminente, le personnage

principal demande au dernier membre du

personnel du train : « Que devons-nous

faire ? » Et celui-ci lui répond impitoyable-

ment : « Rien du tout. »

Une réponse prononcée sans détour-

ner son visage du spectacle mortel mais

non dépourvu d’une certaine sérénité fan-

tomatique, avec tous ces éclats de verre

provenant du tableau de bord brisé. Le nar-

rateur résume alors brièvement, froidement

et prosaïquement la situation : « Rien du

tout. Dieu nous a laissé tomber, et cette

chute nous mène à lui. »

Dans la nouvelle surréaliste de Frie-

drich Dürrenmatt (1921-1990) « Le Tun-

nel », un jeune étudiant plonge dans le

désespoir, avant de trouver Dieu. En pré-

sence de Dieu, face à la catastrophe, il

vit même un moment d’absolue sérénité.

Comment procède l’auteur ? Il con-

fronte l’absurde à l’ordinaire, boycotte le

temps réel en recourant à un événement

surréaliste. Cette parabole de l’absurdité

paradoxale de la vie humaine se déroule au

cœur de la montagne, dans l’obscurité, là où

l’être humain est tout à fait désorienté. Et

c’est pourtant là que se révèle l’objectif de

toute une vie : l’absence de but. Cette

conclusion est cependant orientée vers le

rapprochement avec Dieu.

Page 51: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 47

— Gottardo —

Diogenes

FriedrichDürrenmattDer Tunnel

und andere Meistererzählungen

Diogenes

FriedrichDürrenmattDer Tunnel

und andere Meistererzählungen

« Rien du tout. Dieu nous

a laissé tomber, et

cette chute nous mène à lui. »

La fiction au cœur d’une montagne que

Friedrich Dürrenmatt narre des années

plus tard est un peu plus vive. Dans une

œuvre ultérieure « Mise en œuvres », l’au-

teur imagine dans une satire politique

critique une Suisse après la Troisième

Guerre mondiale. Le narrateur à la pre-

mière personne est un genre de merce-

naire qui lutte depuis vingt ou trente ans

dans les montagnes tibétaines. « La guerre

dans l’hiver tibétain » est un cauchemar

sans fin dans le style typique de l’auteur,

avec des labyrinthes souterrains et des

puits de plusieurs niveaux. Le Gothard a

servi d’inspiration, c’est un secret de Poli-

chinelle. Car dans cette nouvelle, même le

gouvernement suisse s’est judicieusement

retranché dans un bunker d’une forteresse

des Alpes située sous le Blüemlisalp. Cette

parabole de Dürrenmatt sur la montagne

se veut une parabole sur le monde. Mais

elle met aussi en exergue le grotesque de

cette échappatoire.

Pour les poètes

Gertrud Leutenegger — « Juste après le Gothard, le Dôme de Milan »

Ce récit à la première personne commence

ainsi : une rue animée traverse l’enfance (de

la narratrice). Juste derrière le jardin, des

voitures roulent, des freins crissent, puis de

la tôle est froissée : hagarde, la mère se lève

de sa chaise longue, se couvre le visage de

ses mains, et le village se vide de tous ses

habitants. Les uns derrière les autres, tous

filent avec des coussins jusqu’au lieu de

l’accident. Où se dirigent ces voyageurs

avides de mort ? La rue de l’enfance n’a

qu’un panneau indicateur : Gothard-Italie.

Où mène-t-elle ? Cette question de

la jeune fille ne trouvera sa réponse que

bien plus tard dans un album de photos de

son père : elle reconnaît une « ville gigan-

tesquement édulcorée ». Cette ville doit

être derrière le tunnel, créé par ceux qui

aiguisent leur regard dans les longues nuits

des tunnels, exposés au reflet de la neige

des glaciers, au sommet glacé du Gothard.

C’est ainsi que l’enfant s’imagine cette ville

éthérée. Lorsque plus tard, elle découvre

sur un panneau d’école la situation géogra-

phique, son « intime conviction » s’avère

exacte : « Juste après le Gothard, le Dôme

de Milan. »

Gertrud Leutenegger

Gleich nach demGotthard kommt der

Mailänder DomSuhrkamp

« Dans le récit, le Gothard

est un bastion de Dieu

incomparablement léger. »

Dans le texte succinct mais prégnant de

Gertrud Leutenegger (née en 1948), le

Gothard est un bastion de Dieu incompa-

rablement léger. C’est la fantaisie de l’en-

fance qui parle : la montagne encombrée et

pourtant sacrée de Suisse se laisse modeler

par l’imagination.

L’artiste associe léger et lourd, idéo-

logie et subjectivité, et fait aboutir son

lecteur à une opinion : le poids de chaque

histoire, de chaque légende ou mythologie

est lourd ou léger, suivant notre bon vouloir.

Pour les fantasques

Christian Kracht — « Je serai alors au soleil et à l’ombre »

Ce jeune auteur suisse aux racines alle-

mandes s’est toujours senti plus proche de

la folie des grandeurs que de l’amour du

rapetissement cher à de nombreux Suisses.

Né en 1966, il a écrit un livre, « Je serai

alors au soleil et à l’ombre », qui est rien de

plus et rien de moins qu’un recueil d’his-

toires baignant dans l’Histoire. Mais pour

ceux qui ne comprennent pas l’ironie, il

s’agit d’un adieu teinté d’impertinence à la

« Suisse bunker ».

« D’autres grands peuples

de l’histoire ont bâti

des pyramides. Nous, nous

creusons des tunnels. »

À grand renfort d’absurde, Christian

Kracht invente une version de l’histoire

suisse trop abstraite pour pouvoir la résu-

mer. Une chose est sûre : la Suisse qu’il dé-

peint, comme d’ailleurs le monde entier, a

été convertie au bolchevisme par Lénine,

révolutionnaire en exil à Zurich, ce qui a

pour résultat une guerre perpétuelle. Un

commissaire du parti de « Nouvelle Berne »,

quant à lui, est chargé de capturer un colo-

nel controversé. L’auteur a appris de sa pa-

trie le rôle stratégique des tunnels, sur le

plan militaire et des infrastructures. Pour

citer le narrateur : « D’autres grands peuples

de l’histoire ont bâti des pyramides. Nous,

nous creusons des tunnels. » Mais durant

les années de guerre, le pays, notre pays,

s’est rétréci jusqu’à se limiter au territoire

du Réduit, cette « œuvre du siècle des

Suisses, essence, vivier et expression de

notre existence ».

Le colonel recherché et idéologique-

ment friable se cache justement dans ce tun-

nel, au sein de la construction défensive, cet

ancien emblème du pouvoir que la Suisse

avait édifié dans les Alpes pendant la Deu-

xième Guerre mondiale pour faire office de

Réduit. Pas la peine pour l’auteur hardi de

donner à cette blague massive le nom de

« Gothard » : son nom transparaît pour

Page 52: Bulletin 2/16 - Gottardo

48 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

ainsi dire à chaque ligne. Le Gothard

imaginé par Christian Kracht est aussi

utopique que le programme du Gothard a

dû l’être à son époque.

Pour les épris d’érotisme

Hermann Burger — « La Mère artificielle »Un récit portant sur une caricature de la

démence qui se déroule dans la montagne.

Dans ce roman d’Hermann Burger (1942-

1989), tout ce qui peut sembler pontifiant

chez ses contemporains Dürrenmatt et

Frisch a la légèreté d’un jeu d’enfants. Il

traite de thèmes récurrents en Suisse : viri-

lité, identité, patrie. La forteresse militaire

qui sert de décor s’inspire sans camouflage

du Gothard. Un tunnel du Gothard est

même l’infirmerie pour une thérapie éro-

tique en profondeur.

« Un tunnel du Gothard est

même l’infirmerie

pour une thérapie érotique

en profondeur. »

Cette œuvre puissante d’Hermann Burger

se centre sur Wolfram Schöllkopf, un pro-

fesseur privé de germanistique et glaciologie

souffrant. Il est en quête de rédemption –

d’après lui, sa mère l’a privé d’amour – au-

près de la mère originelle, dans le giron

maternel de la République. Après avoir

perdu son emploi à l’EPFZ, le héros

s’effondre et part chercher son salut au

Gothard, auprès des « sœurs du Gothard ».

L’une d’entre elles l’a tout particulièrement

charmé : la blonde « Dagmar Dom », une

figure lumineuse et germanique. Elle est la

sœur préférée du patient. D’aucuns pour-

raient voir en elle la caricature de la pré-

sentatrice allemande du journal télévisé

Dagmar Berghoff. Grâce à elle, une nou-

velle vie s’offre au malade. La « thérapie de

la galerie » qu’elle dispense doit le guérir et

soigner ce qu’on appelle la « migraine du

bas-ventre » durable et mystérieuse : l’im-

puissance de Wolfram Schöllkopf.

La relecture ironique par l’auteur

du mythe du Réduit s’élève avec le désir

d’une libération définitive de l’étroitesse

du carcan suisse. La chaleur du cœur de la

montagne – matrice du massif – devient

son alter ego, qui finit par transformer

les personnes cérébrales émotionnellement

froides en quelque chose de grandiose :

Wolfram Schöllkopf « explose comme une

double fusée » (Burger) au Tessin. Guéri,

il renaît et se dédouble et s’italianise,

devenant « Armando » (« le bien armé »).

Et la montagne ? Elle n’explose pas, elle se

décompose élégamment et efficacement.

De l’intérieur.

Pour les contemporains

Zora del Buono — « Gotthard »

Cette petite nouvelle est également un

horaire cadencé. La compagne de voyage

idéale au moment d’emprunter la nouvelle

ligne ferroviaire du Gothard. Zora del

Buono (1962), née à Zurich et habitant

à Berlin, est un auteur qui sait comment

écrire, et surtout comment écrire à l’heure

actuelle.

Architecte de formation et autrefois

constructrice de chantier, elle nous fait

ressentir ces expériences en nous racon-

tant des événements inouïs, des destins et

des aventures humaines sur le grand chan-

tier du portail sud du tunnel de base du

Gothard.

Elle y parvient joliment et ne s’arrête

pas là. L’action charmante et fascinante de

ce livre cadencé se déroule sur une seule

journée et dure exactement six heures et

« Divertissement,

raffinement, volupté et

ingénierie de la technique

narrative »

vingt-trois minutes, durant lesquelles une

personne périt d’une manière inouïe et édi-

fiante, des hommes commettent des actes

immoraux terribles et un meurtre ancien

est enfin résolu. Divertissement, raffine-

ment, volupté et ingénierie de la technique

narrative à la manière d’un mineur – Del

Buono a consacré son livre de 2015 à la

montagne du siècle.

Bibliographie :

— Rolf Dobelli. « Massimo Marini ».

Zurich, Diogenes, 2010.

— Friedrich Dürrenmatt. « Le Chien, Le Tunnel,

La Panne ». Trad. de Walter Weideli et Armel

Guerne, Genève-Carouge, Éditions Zoé, 1994.

— Friedrich Dürrenmatt. «La guerre dans l’hiver

tibétain ». Dans : La mise en œuvres, trad.

d’Étienne Barilier, Paris, C. Bourgois, 1989.

— Gertrud Leutenegger. « Gleich hinter dem

Gotthard kommt der Mailänder Dom.

Geschichten und andere Prosa ».

Frankfurt am Main, Suhrkamp 2006.

— Christian Kracht. « Je serai alors au soleil

et à l’ombre ». Paris, Jacqueline Chambon

Éditeur, 2010.

— Hermann Burger. « La Mère artificielle »,

roman, trad. de Françoise Salvetti et

Olga Weissert, Paris, Éditions Fayard, 1985.

— Zora del Buono. « Gotthard ».

München, C.H.Beck, 2015.

Daniele Muscionico est une journaliste artistique

et culturelle plusieurs fois primée. Elle

travaille pour la « Neue Zürcher Zeitung ». Couve

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Page 53: Bulletin 2/16 - Gottardo

Credit Suisse félicite chaleureusement la Croix-Rouge suisse pour ses 150 ans d’existence. Depuis plus de huit ans, nous avons la joie de soutenir la CRS dans ses actions humanitaires. Nous encourageons aussi nos collaborateurs à apporter leur contribution personnelle.

credit-suisse.com/volunteering

CRS: une affaire de cœur depuis 150 ans.

Page 54: Bulletin 2/16 - Gottardo

— Gottardo —

50 — Bulletin 2 / 2016

St. Gotthard Way,Ceres, CA, États-Unis

Gotthard Street,Sugarcreek, OH, États-Unis

Saint Gotthard Street,Soweto, Afrique du Sud

Sankt Gotthard im Mühlkreis, Autriche

Saint Gotthards Avenue,Martlesham, Ipswich, Royaume-Uni

Le Gothard dans le monde

Photos : 4maksym / iStock Photo ; Google Earth (10) ; Michael Kranewitter / Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0 ; Darinko / Wikimedia Commons / Public Domain

Saint Gotthard Avenue,Anchorage, AK, États-Unis

Page 55: Bulletin 2/16 - Gottardo

— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 51

Saint Gothard, Dawes Close, Dobwalls, Royaume-Uni

Saint Gothard Road, Londres, Royaume-Uni

Gothard Street, Vancouver, Canada

Gotthardt Street, Newark, NJ, États-Unis

Gothard Street, Huntington Beach, CA, États-Unis

Szentgotthárd,Hongrie

Il désigne une grande montagne en Suisse, mais aussi une simple

rue ailleurs : où se cache le Gothard sur notre planète ?

Page 56: Bulletin 2/16 - Gottardo

52 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Les tunnels dans le monde animal

Photo : Gerard Lacz / FLPA / Minden Pictures

Page 57: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 53

— Gottardo —

Le blaireau excelle dans l’art de

construire des tunnels. Avec

son corps trapu, sa tête allon-

gée, son museau pointu et ses

longues griffes recourbées, ce mustélidé

parvient à creuser de véritables labyrinthes

de galeries. Il s’y cache durant la journée et

n’en sort qu’à la tombée de la nuit, en quête

de nourriture : coléoptères, vers de terre, nid

de guêpes, baies et fruits tombés au sol.

Pendant longtemps, on a cru que le

blaireau était un solitaire qui ne rencontrait

ses semblables que lors de la reproduction.

Néanmoins, des études récentes révèlent

que, s’il part seul à la recherche de nourri-

ture, il apprécie la compagnie de ses congé-

nères dans son refuge diurne et pendant les

mois de repos hivernal. Ainsi, les couples

restent unis pour la vie et des clans pai-

sibles comptant jusqu’à une douzaine d’in-

dividus peuvent se former.

Un terrier mis au jour dans l’ouest de

l’Angleterre montre à quel point un tel ha-

bitat peut être spacieux. Douze entrées et

sorties conduisent à 94 galeries d’une lon-

gueur totale de 310 mètres. Vingt-trois

chambres tapissées de feuilles offrent un

excellent confort pour le sommeil, tandis

que plusieurs excavations (pots) rassem-

blées en latrines garantissent la propreté de

l’ensemble. Des ossements découverts dans

des « forteresses » de blaireaux prouvent que

certaines sont habitées depuis plusieurs

siècles ; une grotte karstique près de Bristol,

dans le sud-ouest de l’Angleterre, abrite

même des blaireaux depuis plusieurs di-

zaines de milliers d’années.

Un maître de maison tolérant

Le blaireau est d’un naturel doux. En

témoigne la tolérance dont il fait preuve

à l’égard de son sous-locataire, le rusé re-

nard. Celui-ci profite sans vergogne du

L’être humain construit des tunnels pour permettre à ses voies de transport

de franchir des montagnes et des cours d’eau. Dans le monde animal, les

tunnels constituent une protection contre les prédateurs et une nature hostile.

Auteur : Herbert Cerutti

Sous-locataire rusé : le renard profite sans vergogne

du réseau laborieusement creusé par le

blaireau, n’hésitant pas à y prendre ses quartiers.

Page 58: Bulletin 2/16 - Gottardo

54 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Efficacité : les trous percés par les lombrics

favorisent la croissance des plantes.

Propre et tranquille : le blaireau excelle dans la construction de tunnels.

réseau laborieusement creusé par le musté-

lidé, n’hésitant pas à y prendre ses quartiers.

Pour que les deux protagonistes ne se gê-

nent pas mutuellement, ils occupent des

chambres bien éloignées ayant chacune

leur propre entrée. Leur différence de tem-

pérament – le blaireau est propre et tran-

quille ; le renard est actif et ramène des

proies sanguinolentes – cause tout de

même quelques échauffourées. On a cepen-

dant aussi déjà observé des renardeaux et

des blaireautins jouer paisiblement en-

semble.

Cette cohabitation réserve parfois de

mauvaises surprises aux chasseurs. Lors

de la chasse avec des terriers et des teckels

spécialement dressés pour le déterrage,

les chiens plongent dans les galeries pen-

dant que le chasseur attend, prêt à tirer, de-

vant l’une des sorties de la tanière. Tandis

que le renard se laisse généralement délo-

ger, le blaireau, lui, défend son territoire

avec hargne.

Si le chien ne fait pas marche arrière,

le blaireau s’attaque à lui avec ses griffes

acérées et sa mâchoire puissante. Ou fait

rapidement volte-face et lui projette avec

ses pattes de la terre et des pierres dans le

museau. Très vite, la galerie se referme, sé-

parant les deux adversaires. S’il se met alors

à creuser vigoureusement, le chien finit par

s’enterrer vivant. En effet, il ramène der-

rière lui tant de matière qu’il se coupe toute

issue et arrivée d’air. Parlant d’un immense

terrier en Forêt-Noire, un garde-chasse

local a déclaré : « Cinq excellents chiens

de chasse gisent ici, et le vieux blaireau vit

encore. »

Un rôle écologique important

Le ver de terre est plus discret, mais pas

moins efficace pour ce qui est de creuser

des tunnels. Parmi les plus de 3000 espèces

de lombric recensées sur Terre, notre ver de

terre commun est un véritable artiste du

terrassement. Dans des sols sableux et argi-

leux, il s’aménage des galeries d’habitation

verticales. Il peut ainsi y avoir jusqu’à mille

tunnels par mètre carré de terre, dont cer-

tains peuvent atteindre huit mètres de pro-

fondeur ! Ce réseau crée un système d’aéra-

tion exceptionnel qui approvisionne

amplement le sol en oxygène et en azote.

Le ver de terre rampe dans l’obscurité

jusqu’à la surface et tire du matériel végétal

dans son habitation tubulaire. À l’aide de

bactéries et de champignons, les parois in-

digestes des cellules végétales sont décom-

posées, puis les nutriments passent dans le

sang à travers la paroi intestinale. Tout ce

qui n’est pas digéré est excrété et déposé

sous forme de tortillons à l’entrée de la ga-

lerie. Bactéries, larves d’insectes et collem-

boles se jettent alors sur ces turricules, libé-

rant à leur tour des nutriments. Pour le ver

de terre, c’est une invitation à ingérer de

nouveau ses propres déjections ainsi enri-

chies. La même bouillie alimentaire tra-

verse donc plusieurs fois l’intestin du ver,

sans cesse complétée par de nouveaux mi-

néraux, restes végétaux et micro-orga-

nismes. Ces rejets deviennent un mélange

qualitatif de substances organiques et mi-

nérales que les plantes peuvent facilement

assimiler.

Les galeries des vers constituent en

outre un système de drainage efficace, car

de fortes pluies peuvent s’infiltrer sous terre

comme dans une éponge. Les sols creusés

par des vers absorbent quatre à dix fois plus

d’eau que ceux où il n’y en a pas. C’est pour-

quoi un tel drainage naturel protège les

terres cultivées de l’érosion. Pour que les

parois de ses galeries de seulement quelques

millimètres de diamètre ne s’effondrent pas,

le ver les tapisse de ses excréments. Lors-

Le ver de terre est

un artiste du terrassement.

Photos : Stefan Meyers / Okapia ; National Geographic Creative

Page 59: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 55

— Gottardo —

Talentueuse experte en construction : la dame blanche creuse des galeries dans les dunes

de sable de Namibie.

qu’un tunnel a été abîmé par son va-et-

vient incessant, son habitant ajoute de nou-

velles couches de déjections afin de le

réadapter à la forme de son corps. Car il lui

faut un tube sur mesure pour pouvoir se

hisser vers le haut par vagues de contrac-

tions en alternant, à l’aide de ses muscles

longitudinaux et circulaires, l’allongement

et le raccourcissement des différentes par-

ties de son corps.

Les galeries désertées sont immédia-

tement colonisées par des racines qui

trouvent ainsi un chemin aisé vers les pro-

fondeurs humides, tandis que la couche de

déjections constitue pour la plante affamée

un excellent engrais. L’importance biolo-

gique de l’animal pour la croissance des

plantes a été prouvée par des expériences

menées aux Pays-Bas. On y a introduit de

façon ciblée des vers de terre dans des pol-

ders nouvellement gagnés (terres endi-

guées) : par rapport à de nouveaux champs

sans vers de terre, le rendement est deux

fois supérieur pour le blé d’hiver et même

dix fois pour le trèfle.

Lutte pour la survie dans le sable

Dans le désert du Namib, dans le sud-ouest

de l’Afrique, une araignée connue sous le

nom de dame blanche et une espèce de

guêpe pompile se livrent à un concours

d’architecture souterraine d’un genre parti-

culier. La dame blanche vit sur les majes-

tueuses dunes de sable. Pour se cacher, elle

creuse à la verticale de la pente des galeries

pouvant mesurer jusqu’à 50 centimètres de

profondeur. Une prouesse difficile à réaliser

dans le sable glissant. Mais l’araignée s’en

sort en stabilisant la paroi du tunnel avec

de la soie au fur et à mesure de sa progres-

sion. Puis, elle en obstrue l’entrée avec un

mélange de sable et de soie afin de se pro-

téger des prédateurs. La nuit, elle part

chasser et ramène de petits insectes ; il lui

arrive aussi parfois de capturer un coléop-

tère ténébrionide ou un gecko.

L’ennemi mortel de la dame blanche

est la guêpe pompile. Lorsque celle-ci at-

trape une araignée, elle la paralyse à l’aide

de son dard venimeux. Puis, elle pond un

œuf sur le corps inerte ; la larve éclose est

ainsi directement approvisionnée en nour-

riture fraîche. Inlassablement, les guêpes

femelles sillonnent les dunes à la recherche

de dames blanches. Lorsqu’elles trouvent

une porte en soie, elles s’introduisent dans

le repaire. Dans l’étroit conduit, l’araignée

se défend avec ses pattes avant ou arrache,

si besoin, le revêtement de soie qui soutient

la paroi. Si la dame blanche parvient à re-

pousser la première attaque, la guêpe passe

au plan B, plus fastidieux : au-dessus du re-

fuge de l’araignée, elle creuse un trou en

forme d’entonnoir dans la dune. Elle pour-

suit son travail pendant de longues heures

afin d’atteindre son but. Pour obtenir un

cratère de 15 centimètres de profondeur,

elle doit retirer à l’aide de ses seules pattes

cinq kilogrammes de sable, soit 80 000 fois

son poids d’environ 60 milligrammes.

Si la guêpe réussit à entrer, l’araignée

saisit sa dernière chance. Passant devant

l’ennemi, elle file jusqu’au bord du cratère,

descend un peu la dune et se jette subite-

ment sur le côté, ses huit pattes repliées

autour de son corps au niveau de la troi-

sième articulation : elle se transforme en

roue. Sur la couronne formée par ses pattes,

elle dévale la pente en roulant toujours plus

vite. Des biologistes ont mesuré jusqu’à 44

tours par seconde, ce qui équivaut à la vi-

tesse de rotation des roues d’une Ferrari

lancée à 300 km/h. La dame blanche par-

court ainsi facilement une dizaine de mètres

en dix secondes et ne rebascule probable-

ment sur ses pattes qu’après avoir effectué

une course de 100 mètres jusqu’au pied de

la dune. La guêpe a perdu l’araignée des

yeux. En effet, même si elle sait voler, il lui

est impossible de retrouver sa proie dans le

désert.

Que ce soit le blaireau, le ver de terre

ou l’araignée dame blanche, le monde ani-

mal compte de nombreux experts de l’ar-

chitecture souterraine, dont les réseaux de

tunnels cachent des univers fascinants.

Herbert Cerutti est un physicien expérimental

qui a reçu de nombreux prix en tant que journaliste

scientifique. Il vit à Maseltrangen (SG).

Inlassablement, les guêpes

sillonnent les dunes

à la recherche de dames

blanches.

Photo : Solvin Zankl / Nature Picture Library

Page 60: Bulletin 2/16 - Gottardo

56 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

InterconnexionComment les infrastructures et la

croissance économique interagissentelles ?

Poser des rails à 2000 milliards de

dollars selon le modèle chinois ne suffit

pas. Mais ne pas rénover les tunnels,

les lignes de métro et les aéroports

comme à New York est encore pire.

Par Lars Jensen

— Gottardo —

56 — Bulletin 2 / 2016 Photo : Tom Nagy / Gallery Stock

Page 61: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 57

— Gottardo —

2000 — SUÈDE–DANEMARK Un plan parfait : le pont de l’Øresund entre Copenhague et Malmö

devrait générer 8 milliards de dollars.

— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 57

Page 62: Bulletin 2/16 - Gottardo

58 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

2016 — WORLD TRADE HUB Le budget alloué à la gare au sous-sol de Ground Zero a été dépassé

de 3 milliards de dollars.

Photo : Connie Zhou / Otto

Page 63: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 59

— Gottardo —

 Fin janvier, le gouverneur de l’État de

New York, Andrew Cuomo, a surpris ses

concitoyens en annonçant vouloir investir

8 milliards de dollars dans l’infrastructure

de la ville. Selon ses dires, l’avantage économique

pour la région serait largement supérieur. Chaque

dollar dépensé serait rentabilisé et doublé, voire tri-

plé. Il en est convaincu, New York doit enfin rattra-

per son retard.

Il veut percer deux nouveaux tunnels sous

l’Hudson River, moderniser l’aéroport de LaGuar-

dia – avec un train express vers Manhattan –, dépla-

cer la gare de Pennsylvania Station de quelques

blocs, développer les lignes ferroviaires vers Long

Island et Upstate New York, construire un centre de

congrès, des lignes de métro et 100 000 logements

sociaux. La ville doit également s’équiper contre les

inondations et rénover son réseau électrique. À

l’avenir, plus aucun câble ne pendra sur les façades

des cours intérieures. Ces projets ne datent pas

d’hier, mais aucun responsable politique new-yorkais

ne les a jamais mis en œuvre. Pourquoi ?

L’annonce du gouverneur a été accueillie avec

indifférence. Les habitants, qui considèrent leur ville

comme le nombril du monde, se sont habitués à une

infrastructure qui ressemble à celle d’un pays en dé-

veloppement. Seules les tentatives de mise en œuvre

de projets sont plus désastreuses. Un métro sous la

Second Avenue, en construction depuis 1972, est

loin d’être opérationnel. Le budget du World Trade

Hub, une gare régionale au sous-sol de Ground

Zero, a été dépassé de 3 milliards de dollars. En rai-

son d’erreurs de planification et de corruption, le

nouveau Tappan Zee Bridge – l’un des vingt ponts

délabrés de la région – va coûter plus de 4 milliards

de dollars. Dans ce contexte, le programme

d’Andrew Cuomo a-t-il un sens ?

Qu’apportent les projets d’infrastructure ?

L’économie new-yorkaise prospère, la ville attire les

entreprises high-tech et les touristes. Chaque année,

elle gagne des dizaines de milliers d’habitants.

Même l’ouragan Sandy n’a pas stoppé son essor.

La situation de New York soulève des ques-

tions d’intérêt mondial. Quels sont les avantages

réels des projets d’infrastructure pour une écono-

mie ? Les responsables politiques, les banquiers et

les entrepreneurs ont-ils raison d’affirmer que les

investissements importants apporteront des béné-

fices exponentiels à l’ensemble de la société ? Ou

serait-il préférable de s’habituer aux retards des

trains et des avions new-yorkais, aux embouteillages

et aux pannes d’électricité ? Devrait-on réduire les

impôts au lieu de construire des autoroutes ?

Il est difficile de mesurer les répercussions des

projets majeurs sur une économie. Pour le tunnel de

base du Gothard par exemple, le Credit Suisse pré-

voit que la meilleure accessibilité du centre et du sud

de la Suisse permettra d’accroître les performances

économiques annuelles (voir p. 26).

Parmi les grands gagnants, les entreprises et

les opérateurs logistiques, qui pourront transporter

leurs marchandises par-delà les Alpes plus facile-

ment et à moindre coût. Touristes et commerciaux

gagneront une heure pour aller de Zurich à Milan.

En revanche, le tunnel n’aura aucun intérêt direct

pour les travailleurs qui effectuent de petits trajets

et voyagent rarement. Ils doivent miser sur les ef-

fets de synergie, par exemple sur les entreprises qui

s’installeront en Suisse, attirées par de meilleures in-

frastructures.

Il n’existe aucune réponse universelle à ces

questions, soulevées par chaque projet d’envergure,

qu’il s’agisse d’une piste de décollage supplémen-

taire à l’aéroport londonien d’Heathrow ou d’une

canalisation à Mumbai. Avant le lancement, les

avantages économiques ne peuvent être estimés que

vaguement et ce n’est que des années plus tard que

les économistes en débattent : dans quelle mesure

le bruit aérien et la baisse des prix de l’immobilier

à proximité d’un aéroport sont-ils négatifs pour la

communauté ? Combien une grande ville indienne

économise-t-elle quand elle améliore la santé pu-

blique grâce à des mesures d’hygiène ?

Un dollar fois deux

La Banque mondiale a établi et diffusé une règle in-

ternationale de base : chaque dollar investi dans l’in-

frastructure (énergétique, logistique ou immobilière)

génère deux dollars de performance économique

supplémentaire. Un chiffre qui peut être correct à

titre de moyenne. Les exploitants du pont de l’Øre-

sund entre Copenhague et Malmö escomptent un

impact économique de huit milliards de dollars pour

un investissement de quatre milliards. Chaque pro-

jet a toutefois ses propres défis et opportunités.

Un investisseur qui équipe en électricité, ali-

mente en eau et dote d’une école un village de

Devrait-on réduire

les impôts au lieu de

construire des autoroutes ?

Page 64: Bulletin 2/16 - Gottardo

60 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Mauritanie, génère pour chaque dollar investi une

plus grande valeur ajoutée que celui qui ajoute deux

voies à une autoroute allemande qui en comptait

déjà quatre. Les gains de productivité sont plus éle-

vés en Afrique qu’en Europe centrale.

Par ailleurs, l’impact de projets quasiment

identiques peut différer énormément au sein d’un

même pays. D’après le Forum international des

transports (FIT), la portion à grande vitesse du che-

min de fer chinois reliant Zhengzhou et Xi’an est un

gouffre financier, faute d’usagers. La voie ferrée entre

Jinan à Qingdao, tout aussi chère, dégage, quant à

elle, des bénéfices et a contribué à l’essor durable des

deux villes.

Les chemins de fer chinois sont un bon exemple

de la difficulté d’estimer les répercussions des investis-

sements infrastructurels sur une économie. En quinze

ans, la Chine a investi plus de 2000 milliards de dol-

lars dans 10 000 km de voies de chemin de fer à

grande vitesse. Le pays compte environ quarante villes

plus peuplées que Berlin (3,5 millions d’habitants en-

viron) et pour ces citoyens, le train est le moyen le plus

efficace pour rallier ces centres urbains. Le miracle

économique chinois n’aurait pu se produire si le pays

avait, à l’instar des États-Unis, misé sur les voitures et

les avions. Le Ministère de l’économie estime que

sans les trains à grande vitesse, le PNB de la Chine

serait réduit de 10%.

Toutefois, deux économistes de la Commis-

sion nationale chinoise pour la réforme et le déve-

loppement ont émis des doutes sur l’efficience de ces

investissements massifs. Selon le magazine « For-

tune », les deux scientifiques anonymes ont calculé

que depuis 2009, la Chine a gaspillé près de 7 mil-

liards de dollars en projets d’infrastructure « super-

flus ». Durant la phase de récession mondiale, la

Chine a décidé de stimuler la croissance à l’aide

d’investissements financés par des crédits. Les deux

experts proches du gouvernement ont calculé que le

rapport coûts/utilité des investissements avait aussi

baissé de moitié en raison des coûts de financement.

Un dollar investi ne génère plus que 1,2 dollar de

performance économique supplémentaire.

La Chine investit à l’étranger

Toutefois, le gouvernement n’abandonnera pas son

plan quinquennal, qui prévoit la construction de

120 000 km de rails d’ici à 2020. Les planificateurs

espèrent un effet de réseau : plus un système est grand,

plus le nombre d’usagers croît rapidement. Le FIT es-

time que la Chine sera toujours mal desservie en 2020.

Chaque Japonais parcourt près de 70 fois plus de

kilomètres en train par an que le Chinois moyen.

On peut également observer l’importance de

l’infrastructure pour un régime à l’aune de ses inves-

tissements à l’étranger. Beijing paie environ 50 mil-

liards de dollars pour le corridor Chine-Pakistan –

des rails, des routes, des aéroports, des canaux, des

ports, des centrales, qui conféreront à la Chine un

accès à l’océan Indien. La Chine est tout aussi géné-

reuse en Afrique, où elle construit une ligne de che-

min de fer entre Mombasa et Kigali (13,5 milliards

de dollars) et participe à l’établissement d’une cen-

trale d’extraction de méthane au Rwanda (2  mil-

liards de dollars) et d’un pipeline entre le Nigeria et

l’Algérie (9 milliards de dollars). La Banque mon-

diale estime que l’Afrique accroîtrait sa productivité

de 40% si l’infrastructure répondait aux exigences

minimales. La Chine possède les capacités finan-

cières et techniques pour l’aider. Mais est-ce vrai-

ment une bonne affaire pour l’Afrique quand les

Chinois construisent des réseaux de télécommuni-

cations dans des dizaines de pays avec de l’argent

chinois, de la technologie chinoise et de la main-

d’œuvre chinoise ?

Le projet d’infrastructure le plus controversé

au monde est le canal de 278 km que le géant du

bâtiment Wang Jing souhaite percer au Nicaragua

avec le soutien du gouvernement chinois. Compte

tenu des énormes problèmes techniques (mon-

tagnes, volcans actifs, séismes), le projet va coûter

40 milliards de dollars. Le président nicaraguayen,

Daniel Ortega, a cédé les surfaces nécessaires à

Wang Jing sans poser de conditions. Les Chinois

peuvent exproprier des milliers d’habitants, détruire

l’une des réserves naturelles les plus riches du monde

et prélever les gains des cinquante premières années

d’exploitation.

Ce projet ne dégagera jamais de bénéfices : il

est trop onéreux et est concurrencé 500 km plus au

sud. L’ouverture officielle du canal de Panama élargi

est prévue pour avril 2016. Lors du krach boursier

chinois, Wang Jing aurait perdu 85% de sa fortune,

ce qui le pousse à différer l’aventure nicaraguayenne.

Peu de stigmates témoignent aujourd’hui du

passage de l’armée américaine, envoyée à Panama

Effet de réseau :

plus un système est grand,

plus le nombre

d’usagers croît rapidement.

Page 65: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 61

— Gottardo —

Lars Jensen vit depuis quinze ans à New York et écrit

notamment pour la « Frankfurter Allgemeine Zeitung »,

« brand eins », la « Süddeutsche Zeitung » et le « Spiegel ».

par Theodore Roosevelt en 1904 pour construire le

canal contre la volonté des habitants. Les Améri-

cains ont anéanti des centaines d’hectares de forêt,

réduit les Panaméens en esclavage et annexé la terre,

jusqu’à ce que Jimmy Carter leur restitue le canal en

1977. Un siècle après son inauguration, il s’agit de

l’un des projets d’infrastructure les plus rentables de

tous les temps. Les Américains l’avaient bâti à des

fins militaires, mais cette voie navigable s’est vite ré-

vélée utile pour le commerce international. Au-

jourd’hui, le Panama est le pays le plus prospère de la

région – conséquence tardive de l’impérialisme de

Roosevelt.

L’histoire du canal souligne une composante

aussi essentielle qu’imprévisible dans la planification

d’infrastructures : la durée de vie de l’ouvrage. Hors

inflation, les États-Unis ont déboursé environ 9 mil-

liards de dollars pour le construire. Un siècle plus

tard, il génère une valeur ajoutée de plus de 10 mil-

liards de dollars par an.

En 1904, aucun économiste ne l’avait prévu.

Tout comme au XIVe siècle, il n’était pas venu à

l’idée des commerçants d’Amsterdam que leurs ca-

naux pourraient donner naissance à l’une des villes

les plus fonctionnelles du monde 600 ans plus tard.

La Grande Muraille de Chine, avec ses 21 000 km, a

survécu plusieurs millénaires, mais les premiers via-

ducs construits pour les trains express chinois ont

commencé à céder dès leur quinzième anniversaire.

New York vit de son passé

Retour à New York, où les trains vers le New Jersey

circulent toujours à vitesse réduite dans le tunnel

sous l’Hudson River, rongé par l’eau salée (quand ils

ne sont pas immobilisés par une panne d’électricité).

En outre, la principale liaison entre Manhattan et

Brooklyn, le L Train, sera bientôt interrompue pour

deux ans. Est-il vrai que cette ville se porte très bien

sans projets d’infrastructure ambitieux ? Bien sûr

que non.

New York fonctionne uniquement parce

qu’elle vit sur les projets pharaoniques de la généra-

tion du baby-boom. Entre 1924 et 1968, le légen-

daire urbaniste Robert Moses a mis en place l’en-

semble du réseau autoroutier de l’agglomération de

New York, treize ponts, deux aéroports, trois stades,

150 000 logements, 700 terrains de jeux, plusieurs

dizaines de piscines et des lignes de métro. Il fut

controversé. Ses autoroutes ont permis l’exode ur-

bain de la classe moyenne blanche et ses grands lo-

tissements se sont vite mués en ghettos. Cependant,

depuis quelques années, les New-Yorkais jettent un

nouveau regard sur son héritage. En effet, bien que

tous ses projets n’aient pas été des réussites, Robert

Moses voulait moderniser New York pour tous ses

habitants.

Cet esprit a disparu. La croissance écono-

mique est majoritairement fondée sur l’essor de l’in-

dustrie de la finance et des branches connexes, la

bulle du marché immobilier et l’arrivée de

super-riches. Dans le même temps, le nombre de

sans-abri a presque doublé depuis 2005. Il atteint

presque 100 000 individus, le plus haut niveau de-

puis la Grande Dépression. Les gratte-ciel avec ap-

partements de luxe se multiplient, mais les pendu-

laires mettent toujours autant de temps pour se

rendre au travail. Sans parler du plomb dans les

conduites hydrauliques du Bronx et des eaux usées

non épurées qui souillent les fleuves lors de fortes

pluies.

Un rapport de la Banque mondiale prend

l’exemple des villes américaines pour prouver que

plus les écarts en termes de fortune se creusent,

moins l’infrastructure fonctionne. Étant donné que

l’État investit trop peu depuis des décennies, les

quartiers les moins bien équipés tombent plus rapi-

dement en désuétude, ce qui entraîne criminalité,

pauvreté et toxicomanie. Autre facteur important :

quel est le prix à payer si l’on ne construit rien ?

13 ponts, 2 aéroports,

3 stades, 150 000

logements et 700 terrains

de jeux.

Page 66: Bulletin 2/16 - Gottardo

62 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

62 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

INACHEVÉ — LE CORRIDOR CHINE-PAKISTAN Beijing investit 50 milliards de dollars

pour accéder à l’océan Indien.

Photo : Huang Zongzhi / Xinhua / Eyevine

Page 67: Bulletin 2/16 - Gottardo

Bulletin 2 / 2016 — 63

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Bulletin 2 / 2016 — 63

— Gottardo —

EN CONSTRUCTION — CENTRALE DE MÉTHANE AU RWANDALa Chine investit massivement en Afrique et participe à hauteur de 2 milliards

de dollars à la construction de cette centrale sur le lac Kivu.

Photo : Jason Florio

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64 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

64 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

2016 — NOUVEAU CANAL DE PANAMALe premier canal de Panama est considéré comme l’un des projets d’infrastructure les plus rentables

de tous les temps. Aujourd’hui, le Panama est le pays le plus prospère de la région.

Photo : Arnulfo Franco / AP Images / Keystone

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— Gottardo —

66 — Bulletin 2 / 2016

Tout le monde descend !

Le nouveau tunnel de base du

Gothard rapproche la Suisse

alémanique et le Tessin,

mais pas question d’oublier la région

qu’il traverse.

Un essai de Thomas Widmer

D’ici peu, le trajet au quotidien nord-sud, d’Uri au Tessin, sera une

pure merveille du rail : à Erstfeld, le voyageur plongera dans le

tunnel de base du Gothard, puis dans la lumière à Bodio. À peine

vingt  minutes auparavant, il était dans le brouillard, et le voilà

devant des palmiers.

Le début d’un nouveau voyage, la fin d’un autre – l’ancienne

ligne du XIXe siècle devrait progressivement être abandonnée. Et

avec elle, toutes ses traditions et ses légendes. La plus célèbre

d’entre elles est naturellement celle du diable, qui aurait construit

pour les Uranais le premier pont sur la Reuss. En échange, les gens

de la vallée lui auraient promis la première âme qui traverserait le

pont. Le moment venu, ils font passer un bouc. Dupé, le diable

veut alors briser le pont avec un rocher. Peine perdue : une femme

a tracé une croix sur ce dernier et le diable manque sa cible.

Cette « pierre du diable » de 2000 tonnes est toujours visible

à Göschenen. Il y a quelques décennies, il a fallu la déplacer de

127 mètres, car elle gênait le chantier de l’autoroute. L’opération

a coûté 300 000 francs – preuve que les Suisses tiennent à leur

Gothard ! Et à ses mythes.

Des aménagements en forme d’appareil dentaire

Le Gothard est lié à tant de choses. Passer par la ligne actuelle, c’est

admirer un kaléidoscope merveilleux et toujours surprenant. Pre-

nons Amsteg par exemple : depuis le train, le sentier sinueux et ir-

réel de la corniche qui serpente jusqu’à la vallée de Maderaner est

un régal pour les yeux.

Gurtnellen ensuite, avec ses aménagements en forme de

bagues d’appareil dentaire : la commune est sous la menace de

53 trajectoires d’avalanches, et notamment celle du Geissberg, qui

a balayé en 1942 une famille de neuf personnes. De l’autre côté de

la vallée de la Reuss, à l’est, derrière la première chaîne de mon-

tagnes, une autre curiosité : la Treschhütte, dans la vallée oubliée de

Felli. Elle porte le nom de Johann Josef Tresch-Indergand, une

figure du XIXe siècle. Ce paysan pauvre, guide de montagne et

chercheur de cristaux, habitait une cabane rudimentaire de la val-

lée de Felli. Il trompait sa solitude en jouant de l’orgue de Barbarie

et avait sculpté ses chaussures de bois. Il a été le premier à accéder

à de nombreux sommets. En 1902, il disparaît dans la brume en

répondant à un appel de détresse. Deux décennies plus tard, sa

dépouille est retrouvée avec un écusson et un couteau de poche.

Le Gothard n’est pas tendre, il est imposant. Le peintre et

poète d’Altdorf Heinrich Danioth déclarait que l’Uranais, entre les

roches sombres, reste fidèle et humble. Depuis peu, le luxe a peu à

peu fait son apparition dans la région. L’auberge « Im Feld » se

Photo : sodapix / Getty Images

Page 71: Bulletin 2/16 - Gottardo

— Gottardo —

Bulletin 2 / 2016 — 67

présent. À Giornico enfin, un peu après les gorges, on trouve à côté

des voies du train l’église fortifiée en pierre grise noble de San Ni-

cola, avec sa tour incorporée – un vestige de l’art roman lombard.

Le voyageur a encore ce sentiment d’être hors du temps : s’il plisse

les yeux, il pourrait voir devant l’église des enfants de paysans en

haillons, une charrette tirée par des bœufs ou un soldat avec un

bandage ensanglanté de retour de Marignan.

Le Gothard est un réservoir de l’Histoire et d’histoires.

N’était-il pas considéré comme le centre du monde au Moyen Âge,

l’endroit d’où les grands fleuves du continent jaillissaient puis cou-

laient dans toutes les directions ? Pour le vérifier, il suffit d’aller

jusqu’à Airolo et de prendre un car postal avec vue sur la Tremola.

Si cette route n’est encore jamais apparue dans un film de James

Bond, c’est sûrement parce qu’elle a trop de courbes, même pour

007. En haut du col, on longe pour un temps le chemin des quatre

sources. Retour au glamour ensuite à Andermatt, où un investis-

seur égyptien a construit le tout dernier hôtel cinq étoiles de Suisse.

Le hall du « Chedi » ne détonnerait pas à New York ou à Tokyo.

Toutes ces merveilles risquent de passer dans l’oubli avec la

NLFA. Parfois, il vaudra donc la peine de prendre le temps d’em-

prunter l’ancienne ligne, qui traverse une région où fantaisie et

réalité s’entremêlent comme nulle part ailleurs en Suisse.

Thomas Widmer est rédacteur au « Tages-Anzeiger » et chroniqueur

de randonnée. Il a publié aux éditions Echtzeit trois recueils, tous best-sellers,

de ses plus de 500 promenades en montagne. Ce spécialiste de l’islam et de

l’arabe a été membre du jury du prestigieux prix littéraire Ingeborg Bachmann.

niche ainsi à Gurtnellen, à côté de l’église St. Michael, compacte

avec sa petite tour, en raison des ondes de choc des avalanches.

Au menu, des plats alpins locaux dignes du Gault-Millau aux

noms pittoresques : « Ryys et Boor », « Milchbänzä-Kotlettä » au

« Sywgagglä » ou « Gschtunggätä Pullis ».

Puis la petite église de Wassen, que l’on aperçoit sous trois

perspectives différentes au gré du parcours du tunnel. Comment

imaginer une enfance digne de ce nom sans avoir eu l’occasion de

voir ce classique en traversant les Alpes ?

Hors du temps

Peu après, le tunnel. Puis Airolo, le premier village tessinois. À

nouveau, les curiosités se succèdent. À Piotta, par exemple, le funi-

culaire de Ritom est l’un des plus raides du monde. Ceux qui l’em-

pruntent feraient bien de poursuivre un peu leur route jusqu’au lac

de Cadagno. Des chercheurs de toute la planète font régulièrement

ce chemin, car ce petit lac de montagne présente une particularité

unique : une épaisse couche de bactéries sépare en effet parfaite-

ment les eaux de la surface des eaux des profondeurs.

Un peu plus loin au sud, à Rodi, le téléphérique de Tremor-

gio mène au lac du même nom. Un autre petit bijou. Comme le lac

Tremorgio et sa cuvette sont ronds, il pourrait avoir été créé par la

chute d’une météorite. On étudiera idéalement ce mystère dans un

grotto. Les Tessinois s’y retrouvent souvent entre eux. Car les

étrangers – ces inconscients – traversent à toute vitesse la Léven-

tine. Sans même goûter aux exquis raviolis à la truite de l’hôtel

Baldi à Rodi.

Au sud de la Léventine, l’obscurité règne dans les gorges du

Monte Piottino. Pendant l’Ancien Régime, un droit de douane

était perçu sur les marchandises à son entrée supérieure. Le « Dazio

Grande », l’énorme poste de douane, est désormais un hôtel. La

nuit, dans ses grandes chambres rustiques, les voyageurs oublient le

Le Gothard

n’est pas tendre,

il est imposant.

Page 72: Bulletin 2/16 - Gottardo

68 — Bulletin 2 / 2016

— Gottardo —

Impressum : éditeur : Credit Suisse AG, responsabilité du projet : Claudia Hager, Urs Schwarz, contenu, rédaction :

Ammann, Brunner & Krobath AG (www.abk.ch), conception, mise en page, réalisation : Crafft Kommunikation AG (www.crafft.ch), rédaction photo : Studio Andreas Wellnitz, Berlin, adaptation française : Credit Suisse Language & Translation Services préimpression : n c ag (www.ncag.ch), impression : Stämpfli AG, tirage : 181 000

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Page 74: Bulletin 2/16 - Gottardo

70 — Bulletin 2 / 2016 Illustration : Kerry Hyndman

1 Quel est le tunnel routier

le plus long du monde ?

chem) Lærdalstunnel, Norvège

spec) Zhongnanshan, Chine

rota) Tunnel routier du Gothard,

Suisse

resi) Arlberg, Autriche

2 Le tunnel de base du Gothard

a coûté environ 12 milliards

de francs. C’est :

nour) presque aussi cher

que l’Eurotunnel

inde) env. 25% moins cher

blem) env. 25% plus cher

larg) env. 2 fois plus cher

3 Quel célèbre personnage

littéraire a évoqué le Gothard ?

ferc) Guillaume Tell dans

« Guillaume Tell » de Friedrich

von Schiller (1804)

spec) Jean de Stoffeln dans

« L’araignée noire » de Jeremias

Gotthelf (1842)

naie) Henri Lee dans « Henri le vert »

de Gottfried Keller (1854/5 et

1879/80)

habi) Heidi dans « Heidi »

de Johanna Spyri (1880)

Pas aussi haut que la Pointe Dufour, pas aussi photogénique que le Cervin, moins glamour

que le sommet de la Jungfrau : le Gothard reste la montagne suisse la plus importante.

Mais en est-ce seulement une ? Quiz sur cette légendaire forteresse.

Par Simon Brunner et Mikael Krogerus

Sept questions taillées dans la pierre

Participation au concours

Les lettres correspondant aux bonnes

réponses forment un proverbe connu.

Écrivez-le en objet d’un e-mail à envoyer

d’ici au 15 juin 2016 en indiquant

votre adresse à :

5 × 2: traversées du tunnel « Gottardino »

(1000 CHF)

Pack aller-retour 1 jour 1re classe pour

deux, traversée du tunnel avec halte

à la station multifonction de Sedrun.

Date : 30.08.2016.

1 × montre Mondaine stop2go édition

CFF Gottardo 2016 (750 CHF)

Cadran issu des portes des cabines

de conduite des Ae 6/6, arrêt

secondes comme l’original en gare.

2016 exemplaires.

1 × montre Mondaine édition Nord Sud

(260 CHF)

« Griäzi » et « Buon di » sur le bracelet

en cuir, armoiries des deux cantons sur

l’envers, logo au dos du cadran.

100 × lunettes 3D

Les « Cardboard » de Google permettent

de visualiser l’intérieur du tunnel en 3D.

La participation est gratuite et n’implique pas

la conclusion d’un acte juridique. Le concours

est ouvert à toutes les personnes physiques

domiciliées en Suisse et âgées de 18 ans révolus.

Une seule inscription / participation est

autorisée par personne. Les gagnants seront tirés

au sort et informés par écrit ou par e-mail.

Aucune correspondance ne sera échangée au sujet

du concours. Tout recours juridique est exclu.

4 Il n’y a aucune photo

du sommet du Gothard.

Est-ce bien une montagne ?

hemi) Le Gothard est un massif

montagneux pétrologique

et tectonique. Ce n’est pas

une seule montagne.

hott) Le Gothard existe (3210 m),

sinon il n’y aurait pas de col

du Gothard. En venant du nord,

le sommet est au niveau

du refuge sur le flanc droit.

lern) Les Romains ont nommé Saint

Godehard de Hildesheim le

sentier muletier qui franchit le

col (voir p. 43). Seul le sentier

s’appelle ainsi.

trai) Toutes les réponses ci-dessus

sont fausses.

5 Parmi les idées suivantes

pour franchir le Gothard, laquelle

est vraie ?

pota) Des avions de ligne et un

nouvel aéroport à Andermatt

(idée de l’inventeur égyptien

Samih Sawiris)

cher) Le plus long funiculaire

du monde, entre Airolo et

Göschenen (idée de Suisse

Tourisme)

tase) Un hyperloop entre Zurich

et Milan (idée d’Elon Musk,

fondateur et PDG de Tesla

et de SpaceX)

ndes) Des canaux pour rendre

le Gothard navigable

(idée de l’ingénieur italien

Pietro Caminada)

6 Qui a affirmé que le Gothard

était le plus haut sommet du monde ?

rohi) Napoléon

affa) Jules César

polu) Hannibal

nilo) Johann Wolfgang von Goethe

7 Y a-t-il d’autres tunnels

ferroviaires du Gothard ?

tion) Oui, un à St. Godehard dans

l’Ohio aux États-Unis (615 m)

ires) Oui, un de 318 m entre

Nuremberg (DE) et Egra (CZ)

stin) Les deux premières réponses

sont correctes.

ppes) Non, il n’existe qu’un tunnel

du Gothard, en Suisse

Jouez

et gagnez

une traversée

du tunnel

— Quiz —

[email protected]

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Alfred Escher a fondé le Credit Suisse en 1856. Véritable moteur économique d’une Suisse

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