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BULLETIN DES ARCHIVES VLADIMIR GHIKA 3 ème Année, n o 3mai 2016 Nathalie de Serbie. À la recherche du trône perdu 1 À l’ombre des jeunes russes en fleur Longtemps je me suis posé la question de savoir quel était le lien de parenté réel entre Vla- dimir Ghika, ou plutôt sa mère Alexandrine, et sa « cousine » Nathalie Kechko (1859-1941), deve- nue reine de Serbie par son mariage avec Milan Obrénovitch. Un coup d’œil jeté sur la généalogie Ghika que l’on trouve sur Internet m’a fait dé- couvrir que c’est surtout avec Élisabeth Ghika, belle-sœur de Vladimir, que cette parenté est proche : en effet, son oncle paternel, Grigore (1848-1911), de la branche des Ghika-Brigadier, a épousé Maria Kechko, sœur de Nathalie. Mais il existe également un autre lien : un autre Ghika, Eugène (1840-1912), est lui aussi marié à une sœur de Nathalie, Ecaterina. En étudiant les arbres généalogiques des grandes familles roumaines, Iulia Cojocariu a fi- nalement découvert que la grand-mère de Natha- lie, Maria Ghika-Comăneşti, dite Marghioliţa (1805 ou 1808-1887), épouse de Nicolae Sturdza, était à la fois la grand-mère de Nathalie Kechko Quand on a commencé à regarder le ciel… et la cousine germaine du grand-père de Vladi- mir, le prince Grigore Ghika. Rappelons que la grand-mère maternelle de Vladimir Ghika était elle aussi une Ghika, mais d’une parenté plus éloignée avec les Kechko. Par contre, ce qui pouvait rapprocher Alexandrine Ghika de sa cousine Nathalie, c’est que leurs pères respectifs étaient tous deux officiers dans l’armée du tsar. Nathalie retrouvée Il semble que Nathalie Obrenovitch et Alexandrine Ghika se soient rapprochées au mo- ment de la maladie de Démètre. Ce dernier a été traité à Berck, or c’est à Berck que Nathalie, en 1902, choisit d’organiser sa cérémonie de conver- sion au catholicisme. Je me demande si son ne- veu Georges (Gheorghe), qui deviendra célèbre en épousant la sulfureuse demi-mondaine Liane 1 J’espère que les proustiens (et les anti-proustiens) me par- donneront mes plagiats éhontés à l’œuvre du maître. Arbre généalogique de Nathalie de Serbie Nathalie de Serbie en 1926

Bulletin des Archives Vladimir Ghika no 3 2016

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BULLETIN

DES ARCHIVES VLADIMIR GHIKA

3ème Année, no 3— mai 2016

Nathalie de Serbie. À la recherche du trône perdu1

À l’ombre des jeunes russes en fleur Longtemps je me suis posé la question de

savoir quel était le lien de parenté réel entre Vla-dimir Ghika, ou plutôt sa mère Alexandrine, et sa « cousine » Nathalie Kechko (1859-1941), deve-nue reine de Serbie par son mariage avec Milan Obrénovitch. Un coup d’œil jeté sur la généalogie Ghika que l’on trouve sur Internet m’a fait dé-couvrir que c’est surtout avec Élisabeth Ghika, belle-sœur de Vladimir, que cette parenté est proche : en effet, son oncle paternel, Grigore (1848-1911), de la branche des Ghika-Brigadier, a épousé Maria Kechko, sœur de Nathalie. Mais il existe également un autre lien : un autre Ghika, Eugène (1840-1912), est lui aussi marié à une sœur de Nathalie, Ecaterina.

En étudiant les arbres généalogiques des grandes familles roumaines, Iulia Cojocariu a fi-nalement découvert que la grand-mère de Natha-lie, Maria Ghika-Comăneşti, dite Marghioliţa (1805 ou 1808-1887), épouse de Nicolae Sturdza, était à la fois la grand-mère de Nathalie Kechko

Quand on a commencé à regarder le ciel…

et la cousine germaine du grand-père de Vladi-mir, le prince Grigore Ghika.

Rappelons que la grand-mère maternelle de Vladimir Ghika était elle aussi une Ghika, mais d’une parenté plus éloignée avec les Kechko. Par contre, ce qui pouvait rapprocher Alexandrine Ghika de sa cousine Nathalie, c’est que leurs pères respectifs étaient tous deux officiers dans l’armée du tsar.

Nathalie retrouvée Il semble que Nathalie Obrenovitch et

Alexandrine Ghika se soient rapprochées au mo-ment de la maladie de Démètre. Ce dernier a été traité à Berck, or c’est à Berck que Nathalie, en 1902, choisit d’organiser sa cérémonie de conver-sion au catholicisme. Je me demande si son ne-veu Georges (Gheorghe), qui deviendra célèbre en épousant la sulfureuse demi-mondaine Liane

1 J’espère que les proustiens (et les anti-proustiens) me par-donneront mes plagiats éhontés à l’œuvre du maître.

Arbre généalogique de Nathalie de Serbie

Nathalie de Serbie en 1926

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de Pougy, n’a pas été lui aussi soigné à Berck quand il était enfant. Ce serait à vérifier. En tous cas, il existe un lien entre Nathalie et Berck qui reste peut-être à éclaircir.

Du côté de Sachino La première lettre que nous possédons de

Nathalie de Serbie, datant du 10 février 1896, rap-pelle au bon souvenir d’Alexandrine le séjour de Vladimir et Démètre chez elle, dans sa somptueu-se villa de Sachino (que l’on appelle aujourd'hui le Pavillon-Royal), qu’elle a fait construire à Bidart, près de Biarritz. Ce séjour a eu lieu en 1895 donc, juste au moment de la grave maladie de Démètre. Et si Berck a peut-être été, dans de tristes circons-tances, le lieu de leur rencontre, Sachino va bien-tôt devenir le lieu, heureux, de leurs vacances. C’est ainsi que les deux frères y retournent très régulièrement, en 1898, en 1899, en 1901, en 1902, en 1905 et ce sera leur refuge en 1918, lors-que Démètre perdra son poste d’ambassadeur de Roumanie à Rome.

Au début, ce sont sans doute les Ghika qui sont les plus intéressés dans cette relation, en effet le climat de la côte basque française est certaine-ment très bon pour la maladie de Démètre et puis cela met le jeune diplomate en contact avec toute une société haut placée qui bourdonne autour de la reine de Serbie, dont le fils, Alexandre (Sacha, d’où le nom de la villa Sachino), devenu roi après l’abdication de son père Milan, est encore bien jeune pour tenir seul les rênes du pouvoir. Même séparée de son époux, même sans pouvoir offi-ciel, Nathalie de Serbie exerce une réelle influence sur le roi son fils, du moins jusqu'en 1900.

C’est à partir de cette date qu’il semble que ce soit plutôt Nathalie qui soit désireuse d’entre-tenir les liens avec les deux frères, avec Démètre, d’une part, qui peut avoir, de par ses fonctions diplomatiques, une certaine influence, notam-ment auprès du roi d’Italie ou de celui de Rouma-nie, mais aussi avec Vladimir, d’autre part, qui la console spirituellement des affres que connaît alors sa vie.

La Prisonnière En effet, en 1900, Alexandre décide

d’épouser sa maîtresse, Draga Mašin (je devrais écrire « Machine », à la française, mais enfin…), ancienne dame d’honneur de la reine Nathalie. Cette dernière la traite, dans une lettre du 4 mars 1900, de « vieille frippe avec fausses dents » (il faut dire qu’elle a 12 ans de plus que le roi…), reprochant à son fils de ne pas « chercher quel-que chose de jeune et de frais », et aussi de plus aristocratique ! Et c’est aussi l’avis de tout le pays de Serbie… mais Alexandre, aveuglé (ensorcelé diront certains), n’en tient pas compte. Nathalie, effondrée, esseulée, n’a plus guère que les deux frères Ghika, surtout Démètre, pour s’épancher, pour exprimer son sfogo, comme elle dit. Car à qui se confier ? Aux ennemis du roi ? Il n’en est pas question. À ses amis alors ? Ces lèche-bottes ne font qu’approuver les décisions scandaleuses du souverain. Les frères Ghika, eux, sont droits, étrangers, diplomates et neutres. Elle leur fait confiance. Elle se confie à eux dans plusieurs let-tres, leur disant son désespoir et sa colère.

Ce drame familial va bientôt se transformer en tragédie nationale, quand le roi Alexandre et la reine Draga sont assassinés, en 1903, dans leur palais de Belgrade, par des militaires comploteurs qui livrent le trône sur un plateau à la famille riva-le, celle des Karageorgévitch. La Reine Nathalie ne pouvait connaître drame plus terrible que la perte de son seul fils, même indigne à ses yeux, et de son titre de reine-mère.

Le côté de Rome Je pensais ainsi que la Reine s’était conver-

tie au catholicisme à la suite de la douleur causée par l’assassinat de son fils, que je plaçais, dans ma tête, quelque part à la fin du XIXe siècle. En fait, à l'occasion du travail que je viens de faire sur la correspondance échangée entre Vladimir et Dé-mètre Ghika et Nathalie de Serbie, je me suis ren-

Lettre adressée par Nathalie de Serbie à Vladimir Ghika, 2.08.1926

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les dessous de toutes ces intrigues politiques décrites dans les lettres de la reine Nathalie.

Il y a notamment un nom qui revient sans cesse dans sa correspondance, c’est celui d’une demoiselle (ou dame ?) de compagnie de la rei-ne et qui semble rester à ses côtés du début jus-qu'à la fin. J’ai lu son prénom « Bangéa », mais il pourrait très bien se lire « Roujea » ou quelque chose comme cela. En tout cas, son nom de famille (de jeune fille sans doute) serait Oresko-vic (Orechkovitch). Elle appartiendrait donc à cette grande famille serbe et pourrait être la sœur de Mitza (Mica) Oreskovic, fille du colonel Antonije Oreskovic, devenue Mitza Cukic. Ma-ria Solacolu parle d’une certa ine Mme Chassériaux qui accompagne toujours la reine. Est-ce la même personne ? Internet n’a pu me permettre de résoudre cette énigme. Si nos lecteurs ont quelques lumières à ce sujet, qu’ils n’hésitent pas à nous les faire partager2.

Luc Verly

Max de Hohenlohe.

Héros ou maître chanteur ?

Un beau jour du printemps 1939, Vladi-mir Ghika voit s’adresser à lui un homme déses-péré. Il en voyait sans doute beaucoup, mais celui-ci a la particularité d’avoir un nom assez imposant : Max Karl zu Hohenlohe-Langenburg, donc issu d’une grande famille al-lemande. Cet homme est désespéré parce qu’il se dit spolié de son héritage par sa famille et notamment par son cousin germain Max Egon. La cause de cette spoliation serait son attitude envers l’Allemagne nazie. En effet, il est l’un des rares intellectuels allemands, avec Klaus Mann, le fils de Thomas Mann, à avoir appelé les Sarrois à voter contre leur intégration défini-tive à l’Allemagne en 1934. Ce qui lui a valu la perte de sa nationalité allemande, qu’il venait juste d’acquérir, étant né Autrichien. De plus, le 7 mai 1938, il a publié dans un journal allemand paraissant à Paris, Das Neue Tage-Buch, une lettre

du compte que celle-ci s’était convertie un an auparavant, en 1902, et donc qu’il faudrait plu-tôt rattacher sa conversion à d’autres événe-ments de sa vie, comme son divorce voulu par le roi Milan (et consenti par l’Église orthodoxe) ou le mariage de son fils (béni par le métropoli-te orthodoxe de Belgrade, en 1900), ou encore à une éventuelle guérison de son neveu Georges à Berck (lieu de son abjuration et de sa conver-sion officielle), plutôt qu’à la mort de son fils Sacha.

Il est étrange que cette conversion semble avoir plus refroidi les liens entre Nathalie de Serbie et Vladimir Ghika que les avoir resserrés, mais les conceptions religieuses du prince rou-main et de la reine serbe n’étaient peut-être pas exactement les mêmes (Vladimir Ghika tentera vainement par exemple d’intéresser la Reine à l’aventure d’Auberive). Ils se verront cependant assez régulièrement à Paris, notamment lors des visites de Démètre dans la capitale.

La correspondance disparue C’est ainsi que, bizarrement, il y a un gros

trou dans la correspondance : aucune lettre en-tre 1905 et 1922, alors que, pendant cette pério-de, les frères Ghika font de nombreux séjours à Sachino durant et juste après la Première Guer-re mondiale. Cette absence de correspondance peut sans doute s’expliquer en partie par le fait que les deux familles se trouvaient assez sou-vent ensemble à Rome ou à Sachino même. Mais cela peut aussi venir de la perte d’une par-tie de la correspondance ou par le fait que celle-ci soit restée dans quelque grenier (dans les pa-piers personnels de Démètre, s’ils existent, car celui-ci semble bien être son principal interlocu-teur dans la famille Ghika).

L’écriture de Nathalie de Serbie n’est pas très difficile à déchiffrer en général, même si elle a une drôle de façon d’écrire les majuscules et certaines lettres en particulier et qu’elle a l’art de mettre des accents circonflexes là où il n’en faut pas et de ne pas en mettre là où il en faut !

En général, dans toute cette correspon-dance, les noms serbes sont assez difficiles à déchiffrer et il nous faudrait l’aide d’un serbo-phone s’intéressant à l’histoire de son pays pour pouvoir bien comprendre qui est qui, ainsi que

2 Quel dommage, encore, que nous n’ayons pas les lettres écrites par Vladimir Ghika à Nathalie de Serbie ! Comme cette dernière est un personnage historique, il est possible que sa correspondance ait été conservée, mais où ?

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à sa mère où il lui reproche sa fidélité à Hitler et où il fait un réquisitoire très dur contre le natio-nalisme allemand, contre l’antisémitisme, bref contre le nazisme en général. Nous n’en donne-rons que le début, déjà très prémonitoire : « Toute ta vie et jusqu’à aujourd’hui tu t’étais reconnue dans cette Autriche des Habsbourg non-allemande et en son Empereur. Et mainte-nant, ce serait dans ce Hitler qui est non seule-ment une crapule mais que l’on prétend être également un bâtard. Je ne doute absolument pas qu’il ait pu faire résonner quelque chose comme un appel du sang auquel tu aurais sou-haité répondre. Mais je te le dis : si aujourd’hui tu entends son appel, demain tu le verras cou-ler. Ce sera peut-être le sang de ton fils. » Ou encore : « 100 millions de Teutons armés jus-qu’aux dents ont lancé une guerre impitoyable contre 16 millions de Juifs, qui n’ont pour se défendre que leurs seuls stylos. (…) Si l’ambi-tion des Allemands d’aujourd’hui ne consiste en rien d’autre qu’à massacrer les Juifs, alors c’est une bien pauvre ambition. »

Par contre, son cousin Max Egon, qui vit princièrement grâce à ses nombreuses proprié-tés, est un nationaliste convaincu. Il vient juste de négocier, dans son château de Bohême, le rattachement à l’Allemagne des Sudètes, qui faisaient jusque-là partie de la Tchécoslovaquie.

Vladimir Ghika se croit donc en droit de faire appel à la générosité et au sens de la justi-ce, non pas de Max Egon lui-même, mais de sa femme, Maria Piedad de Iturbey Scholtz-Hermensdorff, une riche espagnole d’origine mexicaine par son père. Celle-ci répond à Vladi-mir Ghika en accusant le prince Max Karl de chantage (black-mailing est le mot qu’elle em-ploie), l’accusant, entre autres, de n’être pas fils de son père, d’avoir toujours vécu au crochet de sa famille, d’être un artiste peintre raté et même d’avoir proposé ses services au régime nazi… Elle adresse tout de même une maigre aumône à son intention… pour qu’on les laisse tranquil-les, elle et son mari.

La princesse a eu soin de mettre ses accu-sations dans deux lettres séparées, l’une, plus conciliante, à mettre sous les yeux du prince Max Karl, et l’autre, plus accusatrice, destinée au seul prélat roumain. La réponse est donc transmise au prince Max Karl, qui y répond ver-

tement et poursuit son cousin devant les tribu-naux français.

Un article du journal l’Époque du 22 juin 1939 nous explique ce qu’il en est : « Le prince Max Charles, à l’encontre de son fastueux cou-sin, ne possède d'autre ressource qu'une rente viagère que ce dernier s'est engagé à lui servir à l’ouverture de la succession d'un de leurs pa-rents pré-décédé ; mais la convention avait été faite sous le régime de la loi tchèque, tandis que le domaine de Rothenhaus est devenu allemand et que la Tchéco-Slovaquie n'existe plus. Le prince Max Egon a cru pouvoir profiter de cet état de choses nouveau et notamment de la lé-gislation allemande qui interdit l’exportation des devises ; il a simplement cessé de servir la pen-sion due à son cousin Max Charles. » Ce qui fait que le tribunal de Bayonne donne raison au prince Max Karl.

Est-ce cette décision de justice qui fait que la princesse Piedad, en route pour les Sudè-tes, essaie de résoudre à l’amiable le problème, en rencontrant Vladimir Ghika à Paris le mardi 27 juin 1939 ? La négociation échoue, semble-t-il, mais la princesse remet tout de même une modeste somme d’argent à l’intention de son cousin par alliance.

Bien entendu cela ne satisfait pas Max Karl, surtout que la voiture de son cousin qui devait être saisie à la suite de la décision du tribu-nal de Bayonne… reste introuvable. Le prince

Lettre de Max Charles de Hohenlohe à Vladimir Ghika, 6.07.1939

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pense donc demander la saisie des biens d’Anglet détenus par son cousin… il faut dire que la guerre civile sévit alors en Espagne et que Max Egon et sa femme attendent que les choses s’arrangent dans leur belle propriété d’Anglet, au pays basque français. Mais pour payer un avocat Max Karl a besoin d’argent et, comme on l’a vu, il n’en a pas. C’est pourquoi il en appelle de nouveau à la géné-rosité de Vladimir Ghika, qu’il rencontre à Paris le vendredi 7 juillet 1939.

Vladimir Ghika a alors sans doute tenté de calmer le prince et a poursuivi sa correspondance avec la princesse Piedad, pour trouver un arrange-ment. Cette dernière lui répond aimablement, le 21 août 1939 : « Je vous en remercie ainsi que pour votre aimable intervention auprès du Prince Max Charles Hohenlohe et d’avoir pris influence sur lui. Selon mon mari il parait exister une espé-rance de ce que le gouvernement allemand donne-rait la permission pour l'envoi de certaines som-mes à l'étranger, et peut-être même pour un seul envoi d'une quantité plus importante. Mais cela entrerait seulement en considération pour des pays avec lesquels l’Allemagne entretient des trai-tés spéciaux comme la Roumanie, la Yougoslavie, la Bulgarie, la Hongrie etc. et il serait nécessaire que le Prince Max Charles Hohenlohe fixe son domicile dans un de ces pays, et s'il en serait ci-toyen cela faciliterait naturellement beaucoup la question. Je crois qu'il serait peut-être possible de pouvoir trouver une solution sur cette base. »

Tout le monde connaît la suite des événe-ments : la Seconde Guerre mondiale éclate le 1er septembre 1939 et laisse très certainement cet-te affaire en suspens… comme tant d’autres.

Mais tout le monde ne sait pas ce qu’il est advenu de nos protagonistes, si ce n’est que Vladi-mir Ghika est rentré en Roumanie et n’a sans doute plus entendu parler de ces gens. Les docu-ments détenus par les Archives Vladimir Ghika en tous cas ne les mentionnent pas.

Des recherches sur Internet nous appren-nent que Max Egon zu Hohenlohe-Langenburg a, durant toute la guerre, à titre plus ou moins offi-ciel, mené des négociations avec les puissances anglo-saxonnes pour trouver une paix de compro-mis… sans y parvenir. Il semble n’avoir eu aucune sympathie pour les entreprises bellicistes et suici-daires de Hitler. Il est mort en Espagne franquiste en 1968. Sa femme, Piedad, l’a certainement sou-tenu durant tout ce temps, nous n’en savons rien

de précis, juste qu’elle est décédée en 1990, à l’âge honorable de 98 ans.

Et le cousin Max Karl ? Eh bien, cet artiste sensible fut conséquent dans ses choix politiques et s’engagea dans la Légion Étrangère française pour lutter contre l’armée allemande. Mais, une fois l’armistice du 22 juin signé, il fit la grave er-reur de ne pas se cacher ou de fuir. Il rentra tout simplement en Allemagne. Il y est arrêté et condamné à mort pour trahison le 12 décembre 1942. Le 27 Juillet 1943, le prince Karl Max est exécuté à la prison de Stuttgart.

Repose-t-il en paix ? Luc Verly

Calinic Popp-Şerboianu Personnage assez fascinant et mystérieux

que ce Calinic Popp-Şerboianu, qui semble s’ap-peler, de fait, de son vrai nom, Constantin Popes-cu-Şerboianu. Il use des deux noms, sans que l’on sache vraiment quel est le bon (dans ses lettres à Vladimir Ghika il signe « C. Popescu Serboian »). Peut-être que Calinic est le nom qu’il a pris en devenant moine. Car il est moine, orthodoxe, archimandrite même. Notre homme paraît très attiré par le gréco-catholicisme, même s’il ne semble jamais s’être converti officiellement. En tous cas, dans ses lettres à Vladimir Ghika de 1929 il dit bien clairement qu’il n’a pas (encore) abjuré.

En 1929 donc, fâché avec le patriarche or-thodoxe de Roumanie (car son attirance pour le catholicisme semble plus provenir d’un rejet de la hiérarchie orthodoxe que d’un amour pour l’au-torité papale), il se rapproche beaucoup, à Paris, de Vladimir Ghika.

Nous ne possédons pas l’Agenda 1929 pour connaître la date de la première rencontre entre les deux hommes. L’Agenda 1928 ne sem-ble pas mentionner le nom de Popescu Şerboia-nu. Notons d’ailleurs que la seconde partie de l’année 1928 est marquée par le voyage de Vladi-mir Ghika en Australie puis la fin de l’année 1928 et le début de l’année 1929 par l’opération subie et la convalescence en Italie. Ce qui laisse penser que les deux hommes se sont rencontrés après le

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Pourtant Calinic Popp-Şerboianu est de-meuré actif dans la vie sociale, voire très actif, toujours entre orthodoxie et catholicisme, jus-qu'à sa mort en 1941. Rentré en Roumanie, sans doute en 1930, il se met en tête d’organiser les Tziganes en une structure sociale et politique défendant leurs droits particuliers. Ce sera le combat de sa vie, mais pas le seul, car, expulsé de l’association après avoir été accusé de vouloir pousser les Tziganes au gréco-catholicisme (ce qui était peut-être vrai, mais pas certain4), il commence en parallèle un autre combat, qui va mettre le Patriarche, une nouvelle fois, dans tous ses états : le combat pour la crémation des corps, rejetée officiellement par l’Église ortho-doxe et qui n’a pas dû non plus recevoir l’ap-probation de l’Église Catholique5.

Le combat de Şerboianu en faveur de l’in-cinération des corps, ainsi que son refus d’abju-rer officiellement (si tel est le cas), n’ont sans doute pas eu l’heur de plaire à notre Protonotai-re Apostolique, mais le contact n’a peut-être pas été totalement coupé entre les deux hommes. En tous cas, Calinic Popp-Şerboianu, navigant entre Tziganes et Roumains, entre Orthodoxes et Catholiques, toujours en porte-à-faux, est un personnage assez fascinant que l’on aimerait mieux connaître, mieux comprendre.

Luc Verly

Yvan Lenain et la Nouvelle Équipe

Qui, en Belgique et ailleurs, connaît enco-re le nom d’Yvan Lenain (1907-1965) ? Pour-tant, dans sa jeunesse, plein d’enthousiasme, il a été à la tête d’un mouvement de jeunes littéra-teurs catholiques belges. Il a été très actif, orga-nisant, sous le nom de « la Nouvelle Équipe », une revue, une association, des réunions, des cours, des retraites, ce qui lui a fait rencontrer Vladimir Ghika, qui résidait alors assez souvent et longuement chez son frère Démètre, ambas-

retour de Vladimir Ghika à Paris qui a eu lieu au début du mois d’avril 1929.

À cette époque Calinic Popp-Şerboianu a sans doute commencé à écrire son grand œuvre sur les Tziganes, car il cite Vladimir Ghika comme l’un de ses principaux mentors dans l’introduction à son étude publiée à Paris en 19303. Car notre archimandrite parlait parfaitement la langue tziga-ne, même si, semble-t-il, il n’en était pas un.

Les trois lettres de 1929 que nous possé-dons de lui aux Archives et adressées à Vladimir Ghika sont dues au fait que notre moine errant se retrouve bientôt en Albanie à la recherche d’une situation dans l’Église (soit orthodoxe soit catholi-que…) après être passé par Rome pour y chercher du soutien (mais quelle situation pourrait occuper cette tête brûlée, en porte à faux entre orthodoxie et catholicisme ?). Ces trois lettres, écrites en rou-main, sont riches en informations biographiques le concernant, mais elles laissent le lecteur sur sa faim. Les Archives Vladimir Ghika ne semblent posséder aucun document laissant penser que les deux hommes seraient restés en contact épistolai-re ou autre (mais des découvertes inopinées peu-vent toujours avoir lieu).

3 Les Tsiganes – Histoire – Ethnographie – Linguistique – Gram-maire – Dictionnaire, Payot, Paris, 1930.

4 Voir Petre MATEI, « Raporturile dintre organizaţiile ţigă-neşti interbelice şi Biserica Ortodoxă Română », in Partide politice şi minorităţi naţionale din România în secolul XX, Vol. V, coord. Vasile Ciobanu et Sorin Radu, Editura Universităţii "Lucian Blaga" din Sibiu, Sibiu, Techno Media, 2010, pp. 159-173. 5 Voir Calinic J. Popp Şerboianu, Cremaţiunea şi religia creştină,

ed. Marius Rotar, Institutul European, Iaşi, 2012, 234 pages.

Lettre de Calinic Pop Şerboianu à Vladimir Ghika, 16.07.1929

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sadeur de Roumanie à Bruxelles, et qui avait entamé de nombreuses activités dont nous ne cernons, à l’heure actuelle, qu’une faible partie. Nous y reviendrons sans doute dans un numéro ultérieur du Bulletin des Archives Vladimir Ghika.

Voici ce que dit la chercheuse Geneviève Duchenne sur la Nouvelle Équipe : « Celle-ci entend mener une restauration de l’unité spirituelle et défendre la restructuration de la cité par l’élabora-tion préalable d’un ordre intellectuel organisé d’après la doctrine de saint Thomas, censée donner une synthèse satisfaisante du monde. Le programme néo-thomiste proposé par la Nouvelle Équipe séduit les jeunes de sa génération – en atteste les nom-breux témoignages enthousiastes6. » Parmi ces jeunes plus ou moins liés à Yvan Lenain, citons, entre autres : l’artiste peintre et militant trots-kyste Édouard (dit War) Van Overstraeten (1891-1981) ; le poète Jean Glineur (1906-1969) ; le poète et futur résistant Edmond-Henri Humeau (1907-1998) ; le pionnier du ci-néma documentaire belge Charles Dekeukeleire (1905-1971) ; le journaliste et écrivain Marcel Lobet (1907-1992) ; le poète Adrien Jans (1905-1973) ; la poétesse Hilda Bertrand (1898-1979) ; le philosophe Marcel Lallemand (1899- ?) ; le philosophe Philippe Devaux (1902-1979) ; l’économiste Robert J. Lemoine (1897-1938) ; le poète et journaliste Paul Werrie (1901-1974) ; l’avocat et futur martyr de la résistance Louis Braffort (1886-1944) ; le juriste Léon Moureau, etc.7 Toute une jeune élite intellectuelle belge catholique, donc.

Quand Yvan Lenain rencontre Vladimir Ghika, il est jeune, 26 ans, mais précoce, car il a déjà publié plusieurs ouvrages, notamment des recueils de poèmes : la Maison dans les arbres (Éditions de la "Revue Sincère", Bruxelles, 1925.) ; le Mouvement littéraire à Louvain (éditions de la Métropole, 1926) ; la Chambre claire (Eugène Figuière, Paris) ; le Cantique de l’absence (Desclée de Brouwer et Cie, Paris, 1932).

C’est l’année suivant la parution de son dernier livre et un an environ après la dispari-tion de la revue, à la fin de l’année 1933, qu’Y-van Lenain semble avoir connu Vladimir Ghika.

Il a dès lors entretenu avec lui une riche corres-pondance qui se termine en 1936, au moment du mariage du jeune intellectuel belge avec Su-zanne Bultot. À partir de cette date Yvan Le-nain s’est sans doute consacré à sa famille et paraît même avoir abandonné toute activité po-litico-religieuse. Le départ de Démètre Ghika de son poste d’ambassadeur de Roumanie à Bruxelles est peut-être aussi pour quelque chose dans cette cessation d’une correspondance qui fut relativement abondante : 30 longues lettres en deux ans et demi, soit environ une par mois. Malheureusement, aux Archives, il nous man-que l’original d’une lettre de 1935 et des lettres de 1936, alors que le Père Georges Schorung les a eues en main puisqu’il les a copiées.

Comme toujours, nous n’avons pas les réponses de Vladimir Ghika. Nous avons seule-ment un début de piste très sérieuse et promet-teuse, car Geneviève Duchenne écrit que les pa-piers d’Yvan Lenain lui « ont été aimablement transmis par le prof. M. Otten8 ». Après recher-che sur Internet, il semble qu’il s’agisse du pro-fesseur Michel Otten, de l’université de Louvain-la-Neuve. Nous n’avons pas réussi à entrer en contact avec cet éminent professeur, mais nous ne désespérons pas, peut-être avec l’aide de nos lecteurs, d’y parvenir.

Nous savons aussi que le frère d’Yvan Lenain, Raymond, dont nous avons deux lettres 6 Esquisses d’une Europe nouvelle: l’européisme dans la Belgique de

l’entre-deux-guerres (1919-1939), P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, 2008. 7 Cette liste se base en grande partie sur une liste d’invités à une conférence donnée par Vladimir Ghika en février 1935.

8 Op. cit.

Liste de participants à l’une des réunions de la “Nouvelle Équipe”

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ques puisqu’il fonda, en 1948, les Cahiers du sym-bolisme chrétien.

Nous espérons que nos lecteurs pourront nous donner plus d’informations sur la person-nalité d’Yvan Lenain, homme à l’enthousiasme et à l’activité aussi divers que variés (il semble qu’il ait créé le premier magasin de produits na-turels de Bruxelles !) et qui a rayonné en Belgi-que et au-delà, dans les années trente, mais aussi dans l’après-guerre.

Luc Verly

Dorothy F. Gordon et la Fédération des Congrégations modernes de religieuses

De l’une des boîtes des Archives, l’on a retiré un paquet important de lettres, en général dactylographiées et en anglais, venant de Doro-thy F. Gordon, une religieuse britannique, de la communauté des Messagères de la Foi. Cette correspondance, très circonscrite dans le temps, m’a paru fort intéressante. Elle éclaire la façon dont l’œuvre de Vladimir Ghika s’inscrit dans un élan missionnaire européen, voire mondial. Dans un certain renouveau catholique du mo-nachisme traditionnel.

L’échange de lettres commence en no-vembre 1929, quand Dorothy Gordon fait part à Vladimir Ghika, en tant que fondateur de la Fraternité St Jean, de son intention d’organiser un congrès des nouvelles sociétés missionnaires catholiques du monde entier. Vladimir Ghika accepte de le présider et participe à son organi-sation. Cependant, peu de temps avant son ou-verture, à Salzburg, en juillet 1930, Vladimir Ghika se désiste, pour cause de maladie – une maladie qui tombait à pic, car il semble bien qu’une bonne partie de la hiérarchie catholique ne voyait pas d’un très bon œil ce congrès qui visait à fonder une « Fédération des Congréga-tions modernes de religieuses ». Le mot « moderne » faisait encore très peur à l’époque.

Voici ce que dit Dorothy Gordon de cette future fédération :

« 1. Le but de la Fédération des Congré-gations modernes de religieuses, c'est le désir que toutes les Communautés soient renforcées par des rapports internationaux et que, par suite des conseils mutuels, et du secours spirituel,

adressées à Vladimir Ghika, était prêtre. Et Mi-haela Vasiliu l’a connu : « Depuis que je me suis établie en Allemagne, comme je suis proche de la frontière avec la Belgique, je me rends sou-vent au Sanctuaire de la Vierge des Pauvres à Banneux. Là j’ai connu le Père Raymond Le-nain. Son frère, Yvan Lenain, avait bien connu Mgr Ghika ; il avait fait partie du cercle thomis-te de Meudon de Raïssa et Jacques Maritain. Le Père Raymond m’a appris beaucoup de choses qu’il avait apprises par son frère9. »

Yvan Lenain apparaît dans ses lettres comme un double belge de Jean Daujat. D’abord attiré par la politique, il se tourne, sous la direction de Jacques Maritain et de Vladimir Ghika, vers le spirituel et plus particulièrement vers l’enseignement de la philosophie thomiste et de la doctrine de l’Église. « Pour Lenain, la restructuration de la cité passe par l’élaboration préalable d’un ordre intellectuel organisé d’après la doctrine de saint Thomas, censée donner une synthèse satisfaisante du monde. Le jeune hom-me et ses amis sont persuadés qu’afin d’agir sur le monde il est nécessaire d’accorder une pri-mauté à l’art et à la littérature, intégrés tous deux dans une recherche raisonnée et mystique. (…) [Mais, pour financer sa revue,] s’étant fâché avec les autorités de l’ACJB10 (de plus en plus sous l’emprise de Degrelle), il ne peut compter sur aucun soutien. Il cherchera, après 1932, à trouver un financement auprès des notables catholiques, mais son discours révolutionnaire et ses accointances avec les milieux d’extrême gauche n’ont pas l’heur de plaire. Sans argent ni soutien, la revue ne peut que s’éteindre11... » Cet échec, conjugué sans doute à la charge de travail qu’impliquait ces activités militantes et la néces-sité de faire vivre sa famille (il évoque les diffi-cultés financières de sa famille dans plusieurs de ses lettres), font qu’Yvan Lenain recentrera ses activités sur sa carrière d’avocat. Il n’oublia ce-pendant pas ses origines catholiques et poéti-

9 Actualitatea Creştină, iunie 2012, p. 30, interview de Mihaela Vasiliu. 10 Association Catholique de la Jeunesse Belge. 11 Cécile Vanderpelen-Diagre, Écrire en Belgique sous le regard de Dieu. La littérature catholique belge dans l’entre-deux-guerres, Bruxelles, CEGES/Éditions Complexe, coll. « Histoires contemporaines », novembre 2004, pp. 71-74.

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niveau mondial, tout en permettant de distin-guer ses particularités.

« AUTRICHE Caritas Socialis. Cette Communauté fut

fondée après la Guerre par Monseigneur Teipel et Frau Doktor Buryan. Il y a à peu près 200 Sœurs. Elles ont 18 maisons. Leur formation religieuse est excellente, et elles sont aussi exer-cées à fond dans les œuvres d’Assistance Socia-le. Elles travaillent beaucoup dans les paroisses. Elles ont des maisons pour les mères non-mariées et leurs enfants, ainsi qu’un emplace-ment magnifique pour anciennes prostituées à Kloster Neuberg, complètement entretenue aux frais de l'État. Elles ont aussi de florissantes missions auprès des chemins de fer dans les ga-res de Vienne, et une pension pour jeunes em-ployées ; celles-ci ne paient qu’un prix incroya-blement modéré, et elles ont chacune leur chambre. (…)

Oblates de St Benoît. C’est une fondation religieuse qui donne le moyen aux domestiques et aux personnes du peuple de mener la vie reli-gieuse. Elles s'occupent des pauvres. Elles fu-rent fondées par le Père Nobert Schachinger. (…)

AMÉRIQUE Société des Missionnaires Médicales Ca-

tholiques. Cette excellente communauté fut fondée par la Dr Anna Dengal en 1925, à Was-hington. Son œuvre c’est le service médical dans les Missions Étrangères. Il y a à peu près 50 Sœurs, dont 30 déjà professes , et 4 maisons : la Maison-mère en Amérique, une maison de for-mation en Angleterre, à Osterley, et deux hôpi-taux aux Indes. (…) Elles tirent leur subsistance soit du travail des Sœurs dans les hôpitaux de l’Inde, soit de contributions volontaires. (…)

Catéchistes Missionnaires. Les Sœurs mè-nent une vie missionnaire très dure, et elles sont très pauvres. Elles travaillent absolument sans rémunération, et elles dépendent de la charité pour vivre. Elles sont pleinement approuvées, et sont soumises à l’Archevêque de Santa-Fe. C’est une fondation Franciscaine moderne, avec un esprit tout-à-fait apostolique. (…)

Sœurs Missionnaires Étrangères de Saint Dominique. C’est une grande communauté mo-derne très florissante. Elle est pleinement ap-

elles soient plus adaptées à leurs diverses œu-vres.

2. Nous espérons l’association à cette fé-dération des Congrégations et Communautés modernes de dames vivant en religieuses, ou sous les vœux simples (annuels ou perpétuels) ou en vie consacrée, mais qui désirent faire de l'apostolat et des œuvres sociales sous les condi-tions modernes et sans clôture. »

Si les organisateurs prenaient bien soin de dire qu’ils se soumettaient en tout à la hiérarchie catholique, l’idée d’une fédération ne trouvant pas ses racines au Vatican inquiétait certains prélats romains. Si le congrès a bien eu lieu, la fédération rêvée ne verra jamais le jour.

Mais ce qui nous intéresse particulière-ment, c’est de savoir quelles congrégations fu-rent invitées à participer à ce Congrès. Les do-cuments retrouvés nous en donnent une liste précise et détaillée. Nous en reproduisons ci-dessous des extraits (les personnes intéressées peuvent nous demander la liste complète). La liste peut paraître un peu fastidieuse, mais cela permet de replacer l’Œuvre de Saint-Jean dans le grand courant de renouveau catholique au

Lettre de Dorothy Gordon à Vladimir Ghika, 3 juin 1930

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prouvée et fait beaucoup de bien. Les Sœurs sont très nombreuses. Elles ont 13 maisons, répandues en différentes parties du monde. El-les se rendent parfaitement compte des nécessi-tés des temps actuels et elles sont d’excellentes missionnaires. (…)

BELGIQUE. Oblates du Christ-Roi. Cette communau-

té fut fondée par le Révérend Père Rosschaerts, Bénédictin. Les Sœurs sont habillées comme tout le monde, et on les appelle Madame, Made-moiselle. (…) Elles font tout ce qu’elles peuvent pour promouvoir la Prière Liturgique parmi les gens du monde, et elles font du bien tâchant de mettre en pratique les instructions du Pape sur l’Action Catholique. (…)

CANADA. Sœurs d’Assistance. C’est une admirable

Communauté Missionnaire fondée par le Père Georges Daly, C.S.S.R. au mois d’août 1922, pour travailler dans les missions intérieures au Canada. Il y a 75 Sœurs, dont 63 tout-à-fait pro-fesses. Elles ont 14 maisons. (…) Elles gagnent de l’argent en travaillant dans les écoles et dans les hôpitaux. Elles ont les deux approbations, épiscopale et pontificale. Elles se sont trouvées en face de grandes difficultés nées d’idées conservatrices sur la vie religieuse. Leur seule appréhension pour l'avenir c'est de risquer d’être contraintes de revenir à la manière tradi-tionnelle de vie religieuse. (…)

Sœurs de Notre-Dame de Bon Conseil. Cette Communauté fut fondée par le R. P. Sa-muel Ballavance S.J., et elle fait pour les Cana-diens de langue française ce que les Sœurs d’As-sistance, déjà nommées, font pour ceux de lan-gue anglaise. (…)

ANGLETERRE Sœurs de Notre-Dame de la Consolation.

Ces Sœurs furent fondées dans les premières années de ce siècle, avant la Guerre, par Sœur Constance Burd. Elles ont l’approbation épisco-pale. Elles sont plus de 20 Sœurs et elles ont deux maisons. Elles s’occupent presqu’exclusi-vement du soin des malades. (…)

Sœurs de Ste Anne. Elles furent fondées peu de temps avant la Guerre par Mademoiselle Gordon Smith. Elles ont plusieurs maisons en Angleterre et je crois que les Sœurs sont entre 40 et 50, Elles travaillent dans les œuvres pa-

roissiales et entreprennent toute sorte d’œuvres pour les pauvres. Elles aussi, comme les précé-dentes, se sont formées à l’ancienne, et portent l’habit religieux. (…)

Messagères de la Foi12. Ces Sœurs furent fondées en 1914. Elles sont Missionnaires dans leur patrie et elles aspirent à la conversion de leurs compatriotes à la Religion Catholique. El-les se dédient surtout à aider les personnes ins-truites. Elles vont un peu partout pour avoir l’occasion de rencontrer du monde, et elles en-treprennent l’instruction des convertis pour le clergé. Elles travaillent aussi dans les œuvres paroissiales, dans quelques œuvres de protec-tion de la jeunesse, et elles donnent des confé-rences dans les parcs de Londres et ailleurs ; elles enseignent le Catéchisme et entreprennent toute œuvre qui ait pour objet la propagation de la Foi Catholique. Elles forment une petite Communauté. Elles ont deux maisons (…).

FRANCE Sœurs de St Jean l’Évangéliste13. Ces

Sœurs furent fondées par le Révérend Abbé Prince Vladimir Ghika. (…) Elles ont plus de clôture qu’en ont généralement les Communau-tés modernes. Leur Communauté n’est pas très nombreuse. Elles ont une seule maison. (…)

Fondation de Lyon. Le Révérend Père Remillieux14 a fondé une petite Communauté semi-religieuse, qui a son quartier-général à Lyon et une petite maison à Berlin. Les Sœurs s’occupent des pauvres, et elles travaillent sur-tout à amener une bonne entente entre la Fran-ce et l'Allemagne, dans l’espoir d’éviter la guerre dans l’avenir. (…)

Mlle Louise de Taphanel15. Elle a fondé à Cambrai une communauté, secrète en partie, qui s’emploie dans les œuvres d’Assistance So-ciale. (…)

ALLEMAGNE. Société du Christ-Roi de la Croix Blan-

che. (…) La communauté se compose de 30 Frères et 90 Sœurs. Ils ont 9 maisons de leur propriété. Ils ont la permission des Évêques des neuf diocèses dans lesquels ils travaillent. Leur

12 Dont Dorothy Gordon fait partie. 13 Sic ! 14 Vladimir Ghika le connaissait un peu. 15 Vladimir Ghika la connaissait et était en correspondance avec elle.

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constitution est plutôt du genre de confrérie, bien qu’ils vivent en communauté. (…) C’est une triple communauté de prêtres, de laïques et de sœurs, et elle fut fondée par le Dr Metzger16, qui y est connu sous le nom de Frère Paul. Les Sœurs s’occupent des pauvres ; elles écrivent aussi un Journal Catholique. (…)

Société du Christ Roi. (N’a rien à faire avec la précédente). Cette excellente Société fut fondée par Mlle Berta Wiedenbusch. Les Sœurs sont habillées comme tout le monde et elles enseignent dans toute sorte d’écoles. Le plus grand nombre vivent chez elles, leur Commu-nauté étant plus ou moins secrète ; mais pen-dant les vacances elles se réunissent auprès de leur Supérieure, et elles ont très bon esprit reli-gieux. Ce sont des femmes fort instruites et ca-pables. (…)

HOLLANDE. Dames de Nazareth. Le Graal. C’est la

plus grande et la plus connue des communautés hollandaises. (…) Il y a beaucoup de maisons du Graal en Hollande, en Allemagne, et en An-gleterre. Les Sœurs s’occupent des jeunes filles Catholiques. Elles ont une formation religieuse en pleine règle. (…)

HONGRIE. Mission Sociale. Celle-ci est la première

des Communautés hongroises modernes. Elle fut fondée par Madame von Farkas. Il y a envi-ron 200 Sœurs. (…) Elles ont à leur charge les prisons de femmes à Budapest. (…)

Sœurs d’Assistance Sociale. Ces Sœurs furent fondées par Sœur Margit Schlachta. Sœur Marguerita appartenait d’abord à la Mission So-ciale, mais l’ayant quittée elle fonda pour son compte une nouvelle Communauté qui compte maintenant 210 Sœurs. Elles commencèrent en 1923. Les Sœurs professes sont 124. Elles ont 33 maisons. (…) Elles suivent la Règle de Saint Benoit. (…)

Sœurs de Ste Marthe Garde-Malades. El-les furent fondées en 1926, et elles sont mainte-nant plus de 100, dont 76 sont professes. Elles

ont deux maisons. Elles ont deux ans d’épreuve et deux ans d’études professionnelles. Elles ne font pas de vœux, mais se consacrent à Dieu. Elles vivent avec l’argent qu’elles gagnent en soignant les malades. Elles travaillent dans les hôpitaux, dans les maisons de cure, et dans les maisons privées. (…)

ITALIE. Compagnie de St Paul. Cette triple com-

munauté de prêtres, de laïcs, et de Sœurs fut fondée par le Cardinal Ferrari, et elle a sa Mai-son-mère à Milan. (…) Les membres de cette Compagnie sont assez nombreux. Ils ne portent pas l'habit religieux. Ils s’occupent des pauvres. (…)

POLOGNE. Ursulines du Sacré-Cœur de Jésus Agoni-

sant. Cette branche moderne des Ursulines commença en 1923. Il y a près de 700 Sœurs et 25 maisons. De ces dernières, 21 sont en Polo-gne, une en France, et le reste en Italie. (…) El-les ont l’approbation du Saint-Siège et sont Congrégation pontificale. La Supérieure Géné-rale écrit : "Elles reçoivent une formation très simple sans exaltation ; on leur apprend la fidé-lité à tous nos devoirs, et être toujours de bon-ne humeur." Elles tirent leur subsistance par des travaux d'agriculture, par le tissage, et par des écoles, des pensions, des maisons d’hôtes et des restaurants. Leurs difficultés consistent toujours dans le manque de fonds pour leurs nombreu-ses œuvres de charité. (…) Elles se considèrent comme Ursulines fondées par Ste Angèle, mais elles en sont un développement très moderne, avec des constitutions et des coutumes plus adaptées aux nécessités de nos jours. Elles ne portent pas un habit religieux ordinaire, mais une robe de toile grise avec un petit bonnet ser-ré derrière la tête, et quand elles sortent, elles mettent un chapeau gris et un paletot noir. Elles font une œuvre vraiment magnifique et elles sont la plus grande des Communautés moder-nes. Elles sont très bonnes religieuses. (…)

Société de St Pierre Claver. Elle fut fon-dée par une dame polonaise, la Comtesse Marie Thérèse Ledochowska. Son œuvre pour les mis-sions étrangères est vraiment admirable. Elle a plusieurs maisons, et en Autriche une imprime-

16 Celui-ci a dit à Dorothy Gordon qu’il connaissait et ap-

préciait Vladimir Ghika : « Dr Metzger was most enthusias-tic about getting you to preside, as we don't want it to be entirely German. He said he knew you and liked you so much. » (Lettre de Dorothy F. Gordon à Vladimir Ghika du 12.03.1930.)

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ment parmi les ouvriers. Elles enseignent le Ca-téchisme et aussi des métiers. Elles ne portent pas l'habit religieux quand elles sortent. Elles ont un grand noviciat à Loyola, et des maisons dans toute l’Espagne et dans le Midi de la France. (…)

SUISSE St Anna Verein. 57 Rigi Strasse, Lucerne.

Il y a beaucoup de Sœurs Infirmières ; elles ont un grand hôpital aux environs de Lucerne. La Supérieure est la Rde Mère Dorman, qui en est aussi la fondatrice. »

On voit que certaines de ces communau-tés sont « modernes » de par leur organisation, mais d’autres de par le but qu’elles poursuivent. Il faudrait aller plus loin en étudiant de près l’ensemble de ces œuvres missionnaires catholi-ques, les comparer et voir quelles sont leurs points communs mais aussi les particularités de chacune d’elles. Ainsi que la place de la Frater-nité St Jean dans ce mouvement. Gros travail en perspective…

On sait que Vladimir Ghika était en contact avec un certain nombre de ces person-nalités ou communautés citées plus haut : avec le Dr Metzger, en Allemagne, avec le Père Kor-niłowicz, en Pologne, avec la Compagnie de St Paul, en Italie, avec Melle Taphanel à Cambrai, etc. Si nos lecteurs ont des informations sur ces communautés, sur leur état actuel et passé, sur les relations qu’elles ont pu avoir avec Vladimir Ghika, cela nous intéresse grandement.

Luc Verly

Autour du catafalque d’Andrei Brezianu […] Andrei a été fidèle à l’Église sa vie entière et il est

resté, constamment, fils spirituel de Mgr Ghika. À l’été 1954, après la mort de Monseigneur,

Andrei Brezianu, qui avait alors 19 ans et demi, a accompagné comme enfant de chœur le Père François à la tombe de Jilava et a donné les ré-ponses à la prière Libera me, Domine, de morte æter-na… Des années plus tard, nous nous sommes tous réjouis d’apprendre qu’un tel événement émouvant avait eu lieu, surtout qu’il y avait des preuves que la tombe de Monseigneur était connue, ce qui a d’ailleurs été prouvé au mo-ment de son exhumation.

rie d’où sortent tous les imprimés que les Sœurs envoient aux Missions d'Afrique. (…)

Franciscaines Servantes de Dieu. C’est une communauté qui se dévoue exclusivement au service des aveugles. La Fondatrice et Supé-rieure est aveugle elle-même. Elle a bâti un vrai village dans une clairière de la forêt, à dix lieues de Varsovie. Elle a 115 Sœurs, quelques-unes d’entre elles Juives converties, et elles font un bien remarquable. Bien que je n’aie pas reçu de détails en réponse à mes questions, je les connais, et elles vivent en vraies religieuses avec la pleine approbation de leur Évêque. Le Prélat Korniłowicz17 les a beaucoup aidées, et il de-meure dans leur village quand il se trouve dans son pays. La communauté a dans ce village fait par elle-même : un couvent, un noviciat, une ferme, une salle de concerts, un orphelinat pour les aveugles, une école pour petites filles, pas nécessairement orphelines, mais aveugles, une école pour les garçons aveugles, une crèche pour les bébés aveugles, une fabrique de bros-ses et d’autres ateliers pour ouvriers aveugles, une maison de retraites pour les dames du mon-de, et enfin, et surtout, une église avec presbytè-re. Elles font énormément de bien parmi les Juifs, chose qui n’est pas ordinaire en Pologne. (…)

Sœurs Samaritaines. C’est une fondation récente, commencée il y a neuf ans, c’est-à-dire en 1926, et elle compte déjà 180 Sœurs. Elle s’est plutôt développée selon les idées ancien-nes, et même à l’extérieur les Sœurs sont tout-à-fait comme des religieuses ordinaires ; mais elles se dévouent à une œuvre héroïque, ayant de grands hôpitaux pour les idiots, pour ceux qui souffrent de maladies vénériennes à un degré avancé, et pour ceux qui souffrent de maladies mentales de toute sorte. Elles ont 9 maisons, et elles sont pleinement approuvées par leur Évê-que. (…)

ESPAGNE. Damas Catequistas. C’est la première, par

ordre chronologique, de toutes les communau-tés modernes. Elles furent fondées avant la guerre et reçurent l'approbation pontificale du Pape Pie X. Elles travaillent presqu’exclusive-

17 Vladimir Ghika et surtout Jacques Maritain étaient en contact avec le Père Władysław Korniłowicz (1884 -1946).

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s’y attendre, ne s’était laissé entraîner dans aucu-ne intrigue. Les conclusions de la synthèse étaient également soutenues par le prestige in-ternational d’Andrei Brezianu.

C’est encore lui qui a rédigé la partie intro-ductive du volume POSITIO super martyrio, pré-sentant les choses dans une large perspective historique, européenne.

Je me rends bien compte maintenant quel effort cela a été pour lui d’être présent à toutes sortes de symposiums et de sessions de com-munication pour parler de Mgr Ghika : en Fran-ce, au Canada, à Sighet, et on ne sait en quels autres lieux.

Un homme de haut niveau intellectuel et moral, qui a répondu à sa vocation nous a quit-té . […] Sa vie a été toute de discrétion. Avec l’aide de sa femme, qui est toujours restée à ses côtés, partageant ses hauts et ses bas, nous le connaîtrons de mieux en mieux. Nous connaî-trons ainsi encore un homme de la génération d’or de l’Église Catholique. […]

Emanuel Cosmovici Article partiellement repris et traduit de la revue Actualitatea creştină, n° 4, 2015, p. 24-25. „Bienheureux Vladimir Ghika, Prêtre mar-tyr. Prières et Textes”, Éditions Bénédicti-nes, Saint-Benoît-du-Sault, 2015, 75 p.

En 2015, parut en France, aux Éditions Bénédictines, un petit recueil de prières ayant pour auteur Vladimir Ghika. Une partie de ces prières paraissent ici pour la première fois, d’au-tres par contre ont été reprises de divers écrits de Mgr Ghika, comme par exemple la Visite des pauvres, l’Heure sainte, les Inter-mèdes de Talloires. L’on

trouve, parmi ces prières, une variante du Che-min de croix, des prières au Sacré Cœur de Jé-sus, des prières de préparation à la Communion,

Mais la Securitate, tout de suite après cet événement, a jeté un voile de plomb sur Andrei, considéré, dans un ordre du ministère de l'Inté-rieur, Direction III, du 29 septembre 1954, « courrier et homme de confiance du prêtre bel-ge François Van Der Jonckheyd », qui été quali-fié, dans d’autres documents, d’« espion François » !

En 1956, il se trouvait au séminaire d’Alba Iulia, dernière possibilité en ce temps de devenir prêtre : il avait répondu, généreusement, à l’ap-pel de Dieu. Il a été ensuite au séminaire de Iaşi. Mais l’époque lui a brisé les ailes.

C’était un intellectuel très raffiné. Un hom-me d’une grande modestie et très compétent.

Pendant le communisme, il n’a pu s’exprimer que de manière allégorique dans ses écrits.

Il s’est installé aux États-Unis pour échapper à la Securitate. Là, il a fait honneur à la Rouma-nie. Ce sont des choses que nous découvrirons avec le temps. […] Mais là-bas aussi il s’est vu confronté à un nouveau totalitarisme : le soi-disant « politiquement correct ». Et de nouveau il a dû s’exprimer de manière allégorique, quoi-que plus librement, comme il l’a fait dans son dernier livre Incorect în Epithymia: tribulaţiile şi sfâr-şitul lui Dennis Little [« Incorrect en Épithymie : les tribulations et la fin de Dennis Little »], Ga-laxia Gutenberg, 2012.

Revenu au pays, il s’est mis avec enthousias-me au travail, dans l’équipe de la postulature pour la cause de béatification de Mgr Vladimir Ghika. […]

Avec mandat de l’Archevêché, il a exploré les Archives du Vatican pour réaliser une syn-thèse documentée concernant la présence de Vladimir Ghika dans ces archives. La synthèse qu’il a rédigée, sur un ton fort équilibré, a été convaincante : le prince Ghika, comme il fallait

Andrei Brezianu (1934-2015)

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des prières à la Sainte Vierge ou au Saint Esprit, des prières à dire quand on souffre. Ce livre, au graphisme très intéressant, peut être un bon compagnon dans les moments de prière et de méditation. Pour mieux trouver ou indiquer en référence les différentes prières de ce petit livre, une table des matières aurait été la bienvenue, mais, vu que les prières sont regroupées par thèmes, il est toutefois assez aisé de s’y retrou-ver.

Certaines prières ont un caractère per-sonnel, ayant été écrites à diverses occasions (moments de méditation, de recueillement, à la mort de sa mère, et même à l’occasion de ce que l’on pourrait appeler des moments de crise – comme par exemple juste avant sa conversion officielle), d’autres ont été écrites à l’intention de diverses personnes souffrantes, malades, ou encore à la recherche d’un soutien ou même de l’âme-sœur.

D’autres prières encore ont été écrites pour des moments de prière publique, comme par exemple l’Heure Sainte, composée à l'occa-sion du Jeudi Saint de l’année 1910, pour les Filles de la Charité, de Bucarest, et publiée en 1912, à Rome. Ce même texte a également été lu à l'occasion de la cérémonie de présentation des drapeaux alliés à Paray-le-Monial, le 26 mars 1917. Une autre série de prières provient de l’Association des Frères et Sœurs de Saint Jean, pour laquelle Vladimir Ghika a composé plu-sieurs prières à prononcer en cours de journée.

D’un bout à l’autre, le livre est parsemé de « pensées » de Mgr Ghika, ainsi que de quel-ques images illustrant sa vie. En début de livre, l’on trouvera une courte biographie, ainsi que quelques prières pour l’obtention de grâces par l’entremise de Vladimir Ghika et une litanie en son honneur.

Nous présentons ci-dessous la prière intitulée Comment porter à présent toute ma vie[d’après les premiers mots qui la composent18] :

« Comment porter à présent toute ma vie, toute une vie ? le poids est trop lourd à soulever en une fois.

Comment faire connaître son âme à un au-tre. Par la parole ? par l’écriture ? par l’aveu fré-quent dénonciateur de lui-même ? par l’épreuve ? Énumérer les péchés suffit-il ? Ne doit-on donner à cet autre que des éléments de classification et d’hypothèse ? Que doit-on laisser à l’Inspiration, à la divination chez celui-ci ?

Le souvenir du péché peut-il être appelé une croix ? croix d’humiliation, croix de dégoût, croix de honte, croix d’indignité, croix méritée que personne ne peut m’aider à porter.

Je suis en moi – c'est-à-dire dans les derniè-res ténèbres. Je suis comme l’œil qui s’est fermé qui ne voit rien, qui ne peut même se voir.

Le jour où je croirai vraiment que Dieu vient à moi, que je ne lui serai pas éternellement étranger, où je croirai davantage à la possibilité de rapports entre Lui et moi, où je considérerai vrai-ment les grâces données comme venues de Lui – Vivant – payé de tout. Pour le moment je me dé-fie trop et dois trop me défier de moi-même. Je suis si loin de Lui quand je suis en mon péché, même en seul souvenir quand je suis en moi…

Aucune joie, aucune bonne action, rien de moi où je puisse reposer mes yeux. Je n’ai pas le droit d’agir maintenant avant d’être net.

J’ai maintenant à combattre des aspirations qui n’ont rien de répréhensible, des désirs de vie chrétienne en conflit avec mon séjour dans cette demeure de mort.

Je Le louerai du dehors si je ne puis entrer. Si je suis condamné à rester mauvais, je chanterai jusqu'à ma mort la beauté de ce qui est bien, de ce qui est pur, de ce qui est divin.

Tout mauvais que je suis, j’ai tâché de ne faire de mal à personne et j’y ai assez réussi. J’ai pu faire quelque bien. Pourquoi n’en pourrais-je pas faire étant meilleur ? – Prends courage. Qu’importe la honte, elle est méritée, elle est juste.

Je n’ai rien dit de bien pour me vanter ; je ne veux pas l’avoir dit ; je rayerais tous les passa-ges qui pourraient le faire croire – si j’en avais l’idée sérieuse ; je l’ai fait pour que l’on sache que vous m’avez donné le désir de vous aimer, Sei-gneur – que l’on ne me rejette pas.

Vous avez dit : Compelle intrare19. Aidez-moi. Vous ne voudrez pas que je reste dans ma

mort.

18 Il semblerait, de par son contenu, que cette prière ait été écrite avant sa première confession et sa première commu-nion catholiques. Sans doute, donc, en 1902. Ce fut, pour lui, un grand moment, un moment-clé de sa vie, qui l’enga-gerait jusqu'à la mort, ce qui explique le ton de la prière.

19 Compelle intrare: „Force-les à entrer”, Luca 14, 23.

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amis. D’ailleurs Pie X, trois mois seulement après son élection, émet un document sur la musique sacrée, dont Perosi est le coauteur. Ce Motu proprio déclare, entre autres, que le chant grégorien doit retrouver une place d’honneur dans les églises ca-tholiques.

Un autre de leurs amis communs est le ba-ron Rudolf von Kanzler (né le 7 mai 1864), l’ar-chéologue en chef du Saint-Siège. Car, entre au-tres, une exposition s’élabore alors à Grottaferra-ta, présentant la foi orientale aux catholiques la-tins. Pour cette exposition Vladimir Ghika a offert une icône, et Mac Swiney lui écrit le 3 mai 1905 : « Votre icône figure en bonne place, avec votre nom sur l’étiquette ».

Vladimir Ghika veut aussi, à l’inverse, pré-senter le catholicisme aux Roumains orthodoxes, en profitant du fait que son frère aîné, Alexandre, a été nommé directeur de l’exposition du jubilé du Roi Carol en 1906. Il demande à Mac Swiney de l’aider à trouver des documents importants et no-tamment une reproduction de l’acte d’Union du Concile de Florence (1439), acte signé par l'empe-reur byzantin, Jean VIII Paléologue, par le futur patriarche de Constantinople, Georges Scholarios, et par le métropolite de Moscou, Isidore de Kiev.

On voit aussi Vladimir Ghika plaidant à Ro-me pour trouver le meilleur successeur possible à l’archevêque de Bucarest, Mgr Hornstein, décédé. Son choix se porte sur le chanoine monégasque Joseph Baud, alors curé de la cathédrale « Saint-Joseph », et, à défaut, il verrait bien sur le siège catholique de la capitale roumaine le moine béné-

Cette joie du rachat et de la délivrance ne me la donnerez-Vous pas ? peut-être Vous ne me la donnerez pas parce que je n’aurais pas l’âme assez forte pour la supporter.

Rien ne m’a désigné à Vous – et Vous m’avez permis de vouloir Vous aimer. Pourquoi m’empêcher de Vous aimer maintenant, en me faisant vivre si longtemps dans ma honte ? – Et puis il y a si longtemps que je dois me cacher, mentir pour écrire ceci ; les heures dérobées.

Dieu lie à des besognes amères. Ne me donnerez-Vous pas un travail de consolation et de joie ?

J’ai faim du pain de vie et je demande Vo-tre sang pour croire à la réalité de mon pardon aussi.

Quand je Vous aurai touché de mes lè-vres en pleine conscience en plein aveu de mon âme, qui pourra me le faire profaner ? »

Iulia Cojocariu

Patrice Mac Swiney, l’intrigant

Intrigant ? Dans quel sens du mot ? Dans les deux, comme on va le voir.

Entre le 10 mars 1905 et le 30 octobre 1906, donc pendant environ un an et demi, Vla-dimir Ghika entretient une intense correspon-dance en français avec un « camérier de cape et d’épée » du pape, Patrice Mac Swiney. Dans ce court intervalle de temps, Patrice Mac Swiney envoie 17 assez longues lettres à Vladimir Ghi-ka. Comme toujours, nous n’avons pas les ré-ponses de Vladimir Ghika. Hélas ! Trois fois hélas !

De quoi parlent-ils ? D’abord de leur amis communs, comme du grand compositeur Don Lorenzo Perosi (1872-1956), alors directeur du chœur de la chapelle Sixtine, et on voit là enco-re l’attirance de Vladimir Ghika pour la musi-que. Les Archives possèdent ainsi, datant de cette époque, quatre lettres de Lorenzo Perosi à Vladimir Ghika. Leur objet est notamment l’or-ganisation d’un concert à Bucarest. Malgré l’aide de Constance Cantacuzène, il semble que ce concert n’ait jamais eu lieu. À noter que Loren-zo Perosi est proche du Pape Pie X, car, comme lui et comme le Père Orione, il est né à Torto-na, petite ville du Piémont. Tous trois sont

Lettre de Patrice Mac Swiney à Vladimir Ghika, 8 septembre 1905

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Bulletin des Archives Vladimir Ghika, no 3, 2016

mais une lecture récente m’a fait retomber un peu en enfance, et commettre ce texte, que les esprits trop sérieux me pardonneront, j’espère, et qui, j’en suis certain, aurait bien fait rire les deux personna-ges qui en sont l’objet. Et n’oublions pas que la bande dessinée a gagné, du moins en France, ses lettres de noblesse sous le nom de neuvième art.

Relisant en effet pour la énième fois les Cigares du pharaon, l’album de ban-des dessinées des aventu-res de Tintin20 paru en 1932-1934, je tombe sur la carte de la première planche où l’on voit le trajet que doit suivre Tintin, de Suez à Shang-hai en bateau. Je remar-que, pour la première fois, qu’il s’agit de l’itiné-raire exact suivi par Vla-dimir Ghika pour aller au Japon en 1933 justement et en 1936, et en partie celui suivi en 1928 pour aller en Australie : Port-Said, Aden, Bombay, Colombo, Singapour,

Hong-Kong, Shanghai. Évidemment, cela n’a rien d’étonnant, c’était là le parcours normal des lignes transocéaniques de l’époque joignant l’Europe à l’Extrême-Orient.

Puis y repensant, je me rends compte que Tintin s’est rendu au Congo (Tintin au Congo, 1931) et à Sydney (Vol 714 pour Sydney, 1968), tout com-me Vladimir Ghika, respectivement en 1936 et en 1928. Étrange, non ? Et puis il y a cette prédilec-tion de Tintin pour l’Amérique du Sud, où se dé-roulent plusieurs de ses albums, et l’on sait com-bien la participation de Vladimir Ghika au Congrès Eucharistique de Buenos Aires, en 1934, l’a marqué.

Si Vladimir Ghika n’a jamais été en Améri-que du Nord comme Tintin (une seule fois, dans

dictin allemand Raymond Netzhammer. C’est ce dernier qui sera effectivement choisi. Est-ce le fruit des intrigues de Mac Swiney ?

On voit clairement dans ses lettres que Patrice Mac Swiney est influent, et qu’il en pro-fite, pas nécessairement pour lui, mais pour ai-der ses amis… qui pourront à leur tour lui ren-dre service. Il semble bien que ce soit en partie lui qui ait initié Vladimir Ghika aux arcanes du Vatican.

Et puis, soudain, la correspondance s’ar-rête. Que s’est-il passé ? A-t-on perdu les autres lettres ? Il ne semble pas que ce soit le cas. J’ai plutôt l’impression que Vladimir Ghika a cessé de faire confiance à Patrice Mac Swiney et que leur correspondance se soit ainsi interrompue.

L’on apprend, par un article du journal catholique français la Croix du 13 janvier 1911, que « les Brefs apostoliques, en date du 29 juil-let 1892, du 7 mars 1896 et du 26 janvier 1909, par lesquels furent concédés à M. Patrice-Valentin-Emmanuel Mac Swiney la chevalerie de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand, le titre héréditaire de marquis et la commanderie de l’Ordre de Pie IX, ont été annulés », que celui-ci a donné sa démission de sa charge de camérier, qu’il a divorcé de sa femme et qu’il s’est remarié dans le rite… protestant ! Scandale !

Tout ceci devait couver dès 1906 (au Va-tican les scandales couvent toujours longtemps avant d’éclater) et c’est certainement la raison de l’interruption de cette intéressante corres-pondance qui éclaire sous un certain angle une période peu connue de la vie de Vladimir Ghi-ka, car si la période couverte par cette corres-pondance est assez courte, elle n’en est pas pour autant pauvre d’informations, au contraire.

Mais, au fond, au sortir de cette lecture, nous n’en savons guère plus sur ce Patrice Mac Swiney… intrigant, non ?

Luc Verly

Mgr Vladimir Ghika sur les traces de Tintin… ou l’inverse ?

L’article qui suit n’a pas vraiment à voir

avec les (très sérieuses) recherches entreprises parmi les archives laissées par Vladimir Ghika,

20 Notons que tous les albums de Tintin ont été publiés ré-cemment en roumain par les éditions Marketing Manage-ment Europe. Notons encore qu’après l’adaptation de Ste-ven Spielberg pour le grand écran, les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne, sorti en 2011, un second épisode : Les Aventures de Tintin : Le Temple du Soleil devrait sortir au ciné-ma, en 2016.

Itinéraire suivi par Vladi-

mir Ghika pour son voyage

de retour du Japon (1937)

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Bulletin des Archives Vladimir Ghika, no 3, 2016

Tintin en Amérique, 1932), ou en Union Soviétique (Tintin au pays des Soviets, premier album des aven-tures de Tintin, en 1930), on sait que le prélat roumain a eu le projet, à un moment donné, de se rendre dans le Nouveau Monde et l’on sait aussi combien la conversion de la Russie était pour lui une idée maîtresse, une ligne de force de sa vie apostolique.

En ce qui concerne les coïncidences géo-graphiques existant entre nos deux héros, je ne vais pas m’étendre ici sur le problème si débattu parmi les tintinologues, à savoir si la Syldavie (dont le nom semble mélanger Transylvanie et Moldavie), pays imaginaire qui revient dans plu-sieurs des aventures de Tintin, notamment dans le Sceptre d’Ottokar, Objectif Lune, On a marché sur la Lune et l’Affaire Tournesol, si la Syldavie, donc, a eu la Roumanie ou plus précisément la Transylvanie pour modèle. Il est certain qu’il s’agit d’un pays d’Europe Centrale, traversé par la chaîne de montagnes des Zmyhlpathes (la fin du nom nous évoque quelque chose), où, dans le Sceptre d’Otto-kar, un certain Müsstler (formé sur les noms de Mussolini et Hitler), à la tête de la Garde d’Acier (tiens, tiens !), tente de renverser le bon roi Ottokar.

Si les pas de Tintin et ceux de Vladimir Ghika se superposent souvent sur les cartes géo-graphiques, comme on vient de le voir, ils se sui-vent aussi à la trace sur les cartes spirituelles, si je puis dire. N’oublions pas que Tintin est né dans le monde de la presse catholique belge. Là enco-re, on pourrait écrire bien des pages sur Vladimir Ghika et la Belgique21 . Cependant il ne semble pas qu’il ait connu ni le jeune Georges Remi dit Hergé, l’auteur des aventures de Tintin (les a-t-il même lues ? on ne sait pas) ni l’influent directeur du Petit Vingtième, où sont publiées les planches d’Hergé, l'abbé Norbert Wallez22. Si Tintin va au

Congo, c’est parce que le Congo est alors posses-sion belge, et l’album qu’Hergé consacre à ce voyage, sans que l’auteur ait jamais mis les pieds dans ce pays, est une sorte d’éloge de la colonisa-tion et surtout de l’évangélisation des Noirs afri-cains. C’est exactement dans cet esprit que Vladi-mir Ghika se rend au Congo, à la suite de sa nièce Manola et du mari de celle-ci, Pierre de Briey, vice-gouverneur du Congo. Il n’y voit pas ce qu’y a vu André Gide (Voyage au Congo, 1927), c'est-à-dire l’exploitation éhontée du colonisé par le colon (mais par ailleurs l’exploitation sexuelle des en-fants noirs par le pédophile qu’est André Gide ne dérange pas du tout l’écrivain français…) ; Vladi-mir Ghika y voit plutôt les missionnaires civilisant ces grands enfants que sont les Noirs, c’est ainsi d’ailleurs qu’ils apparaissent également dans l’al-bum d’Hergé. Sur le terrain et à l’époque, les cho-ses étaient sans doute plus complexes que vues d’aujourd'hui, quand plus d’un demi-siècle est pas-sé et que les colonisés se sont mis à exprimer leur indignation, se sont révoltés et que l’on sait ce qu’il est advenu des anciennes colonies européennes.

Par contre, avec l’album le Lotus bleu23, on sent là qu’il y a divergence de points de vue entre Hergé et Vladimir Ghika sur la situation en Extrê-me-Orient et plus particulièrement en Chine. Chez Hergé, on sait que son changement d’attitu-de face à la colonisation en général est en partie dû à sa rencontre avec le jeune étudiant chinois Tchang Tchong-jen (qui sert de modèle au per-sonnage du même nom du Lotus bleu et de Tintin au Tibet). D’un coup, le regard de l’auteur de ban-des-dessinées change, il se met du côté de l’oppri-mé, du côté chinois, les méchants étant, entre au-tres, les colonisateurs japonais, européens etc. Il est étrange que Vladimir Ghika qui a, lui, été voir sur place, en Chine (un peu) et au Japon (surtout), n’a pas vu, là non plus, les effets secondaires de la colonisation dénoncés par Hergé.

C’est que Vladimir Ghika voit dans le Japon le porteur de la civilisation en Extrême-Orient,24 com-me l’Europe en Afrique, et il fait ainsi écho aux dé-clarations du délégué japonais dans le Lotus bleu, qui

21 Voir notamment l’article « Yvan Lenain et la Nouvelle Équipe ». 22 En 1924, sur l'ordre du cardinal Mercier, il assume la direc-tion du quotidien catholique conservateur le Vingtième Siècle, influencé par Charles Maurras. Il sympathise avec les idées du fascisme italien. En 1933, Wallez est déchargé de son poste de directeur et nommé conservateur des ruines de l'Abbaye d'Aul-ne, c’est sans doute pourquoi Vladimir Ghika ne l’a pas connu car Démètre a été nommé à Bruxelles en cette année 1933 justement. Après la victoire allemande de 1940 et l'Occupation, le Père Wallez reprend la plume et soutient Léon Degrelle. En 1947 il est condamné pour faits de collaboration à quatre ans de prison et 200 000 francs d'amende. (D’après Wikipedia.)

23 Le Lotus bleu est classé à la 18e place des 100 meilleurs livres du XXe siècle, classement établi au printemps 1999 dans le cadre d'une opération organisée par la Fnac et Le Monde. 24 Planche 22 de l’album.

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affirme : « … le Japon doit se souvenir qu’il est le gardien de l’Ordre et de la Civilisation en Extrême-Orient. » Vladimir Ghika n’affirme-t-il pas, dans son discours à la jeunesse japonaise : « Rendre l’Asie à sa destinée dans l’ordre de Dieu – l’Asie pacifiée, bé-nie, ramenée à son rôle providentiel par l’ouvrier le plus volontaire, le plus persévérant, le plus compré-hensif de l’Extrême-Orient, le plus mûr, le plus actif et le plus méthodique [comprendre : le Japon] – s’il peut être l’honneur et la gloire de l’Église, le soldat du règne de Dieu, il a là aussi, vous le savez cepen-dant tout à gagner (…). » Mais, les étudiants japo-nais qui l’ont alors écouté n’ont peut-être pas com-pris le sens de « soldat de Dieu » comme l’entendait notre prélat roumain ; ils comprirent sans doute plutôt « soldat de l’Empereur-Dieu », du Mikado. Car pour Vladimir Ghika la civilisation était indisso-ciable du christianisme et la conquête des âmes orientales par les Japonais enfin christianisés ne pouvait se faire, évidemment, à ses yeux, que de manière pacifique. Et là il remet ses pas dans ceux de ce boy scout de Tintin.

Car, fondamentalement, Tintin et Vladimir Ghika, jusqu'au bout, gardent l’esprit scout. D’ail-leurs le personnage précurseur de Tintin est un chef de patrouille dénommé Totor. Vladimir Ghika, lui, n’aurait guère pu être scout dans sa jeunesse, vu que le mouvement n’a été créé par Baden-Powell qu’en 1907, mais toute sa vie laisse voir qu’il aurait été un bon élément : foi et idéal, discipline, maîtrise de soi, compréhension, tact, exemplarité, prévoyance, sens du réel25. Mais une grave question se pose : quel aurait donc été son totem ? Je propose Fox-terrier rieur (comme Mi-lou, le chien de Tintin !)… un fox-terrier à poils longs et blancs, bien entendu. Je crois que « Monsé » en aurait bien aimé l’idée.

Pour rester chez les scouts, faisons remar-quer, pour conclure et pour rester dans le ton humoristique de cet article, que les scouts unis de France organisent régulièrement une grande fête en l’honneur du saint patron de la Syldavie, qui n’est autre que… saint Wladimir !!!

Luc Verly

25 Qualités du chef de patrouille telles que décrites par Ba-den-Powell.

Luc Verly — Nathalie de Serbie. À la re-cherche du trône perdu ......................................

p. 1

Luc Verly — Max de Hohenlohe. Héros ou maître chanteur ?……...……………….…

p. 3

Luc Verly — Calinic Popp-Şerboianu ……. p. 5

Luc Verly — Yvan Lenain et la Nouvelle Équipe ………...………………………..

p. 6

Luc Verly — Dorothy F. Gordon et la Fédé-ration des Congrégations modernes de religieuses.

p. 8

Emanuel Cosmovici — Autour du catafal-que d’Andrei Brezianu ...………………...

p. 12

Iulia Cojocariu — „Bienheureux Vladimir Ghika, Prêtre martyr. Prières et Textes” …...

p.13

Luc Verly — Patrice Mac Swiney, l’intrigant. p. 15

Luc Verly — Mgr Vladimir Ghika sur les traces de Tintin… ou l’inverse ?…………….

p. 16

Cuprins

Les Archives Vladimir Ghika sont gérées par la Postulation de la Cause de Canonisation du Bienheureux Vladimir Ghika, dans le cadre de l’Archevêché Catholique de rite latin de Bucarest. Ont collaboré à ce numéro du Bulletin des Archives Vladimir Ghika: Luc Verly, Iulia Cojocariu, Francisca Băltăceanu, Monica Broşteanu., Emanuel Cosmovici, Mihaela Cosmovici. Mise en page et conception graphique: Iulia Cojoca-riu Pour plus d'information sur Mgr Vladimir Ghika : www.vladimirghika.ro www.vladimir-ghika.ro www.vladimiri-ghika-amicus.blogspot.com Pour nous contacter : Postulatura Cauzei de Canonizare a Fericitului Vladimir Ghika Str. G-ral Berthelot, 19 ; 010164, Bucuresti, România Tél. : 0212015400 ; 0212015401 ; Fax : 0213121207 Email : [email protected]