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Histoire(s) de(s) Logique(s) Formalisation, m´ ecanisation et calculabilit´ e Enseignant: Maarten Bullynck Universit´ e Paris 8 Vincennes Saint-Denis 1

Bullynck, M. Histoire(s) de(s) Logique(s)

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Bullynck, M. Histoire(s) de(s) Logique(s)

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Histoire(s) de(s) Logique(s)Formalisation, mecanisation et calculabilite

Enseignant: Maarten BullynckUniversite Paris 8 Vincennes Saint-Denis

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1 La naissance de la logique classique en Grece

1.1 Origines de la logique dans la langue quotidienne

Bienque les origines de la logique (en tant que corpus de concepts et methodeset fonctionnant comme technique ou meme discipline) soient perdus dans uneprehistoire lointaine, on peut trouver les racines de certains problemes logiquesdans la langue quotidienne. En particulier dans les discussions, dans les bataillesde mots entre hommes, on peut retrouver des fragments d’une pensee logique.Comme tout le monde sait de son experience quotidienne, dans les discussionsles contradictions entre ce que dit A et ce que dit B, les jeux de mots, les ironiesqui inversent le sens de ce que a dit l’autre, etc. sont des motifs recurrents. Tousces motifs deviendront ulterieurement objet d’une logique, mais cette logiquepeut s’averer tres differente selon le contexte culturel et historique.

Dans les discussions on retrouve beaucoup de procedures d’argumentationqui aident a ‘gagner’ une discussion. Dans l’argumentation, la sequence des argu-ments est important, et ainsi, l’etoffe pour les mettre en sequence, pour enchaınerles idees et arguments. Les “ainsi”, “parce que”, “il s’ensuit” etc. doivent repo-ser sur une relation existante ou sur une relation qui peut etre argumentee. Cepeuvent etre des causalites, des proximites, des associations etc. La rhetorique yjoue un role important a etoffer et former l’enchaınement des idees et arguments,et biensur la rhetorique peut deformer ou transformer des parties de l’argument.Representer les choses plus grandes ou plus petites qu’elles ne sont (pathos oubathos) ; generaliser sur base de cas specifiques ; associer des idees aux chosesdiscutees afin de mener la discussion sur une tout autre thematique.... C’esta partir du moment ou de telles procedures d’argumentation deviennent par-tie integrante d’un contexte instutionnalise et qu’elles attirent de plus en plusd’importance sociale et culturelle, et que, finalement, elles sont integrees dansune structure coherente, une theorie, un enseignement bien articule etc. qu’unelogique comme theorie, technique ou discipline peut (mais pas necessairement)naıtre.

Regardons finalement de plus pres quelques “fragments logiques” tres parti-culieres qui peuvent apparaıtre dans une discussion quotidienne.1

(Deux peintres, Chagall et Mane Katz, vivant a Paris) Mane Katzdit a un journaliste, qu’il estime hautement les toiles de Chagall.Le journaliste, reportant cette opinion a Chagall, recoit en reponse,qu’il n’en veut pas de ces compliments, parce que “Mane Katz, c’estun mauvais peintre”. Le journaliste retourne aupres de Mane Katzavec cette citation. Mane Katz, en reponse, dit au journaliste : “Celane fait rien, tous les peintres sont des menteurs”.

C’est en fait l’art de s’engueuler, et de servir de replique, laisser rebondir ce quel’autre a dit sur lui-meme. La forme presque primitive mais classique est cellede l’engueulade entre garcons ou filles :

1Les exemples viennent d’etudes par Harvey Sacks (Lectures on Conversation), et JeanPaulhan (Entretiens sur les faits divers).

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– Voyou !– Voyou toi-meme !– Menteur !– Pas tant que toi !– Salaud !– Parle pour toi !

Des ces “fragments” on reconnaıt les origines du paradoxe du menteur qui joueraun role important dans l’articulation de certains theories logiques chez les an-ciens Grecs et chez les logiciens du 19e et 20e siecles.

– “Un homme disait qu’il etait en train de mentir. Ce que l’homme disaitest-il vrai ou faux ?”, attribue a Eubulide

– Variation : “Epimenide le Cretois dit, Tous les Cretois sont des menteurs.”

1.2 Naissances de logiques dans des contextes culturels etinstitutionnels : Les Jaina et les Sophistes

On ne dressera ici pas une liste de tous les cultures et/ou periodes historiquesou on trouve la naissance d’une logique (partielle) comme activite structuree ettechnique culturelle au sein d’une societe. Mais on discutera brievement deuxcontextes ou les conditions necessaires pour la naissance d’une forme d’unelogique formelle etaient presentes.

1.2.1 Inde

Prenons d’abord l’Inde. Chez les hindous et chez les buddhistes, on avait unetradition de dispute theologique. Dans certaines ecoles buddhistes, ou etaientforme les pretres et les moines, une forme de logique est ne et codifie dans unlivre, le Nyaya-Sutra (a peu pres 200 apres J.C.). La sont definies certainesformes codifiees pour fixer une connaissance, cad. sont definies une propositionlogique. La est developpe aussi l’enchaınement des telles propositions dans dessyllogismes, cad. la derivation de propositions d’autres propositions. L’exempleclassique dans la logique indienne est :

– Proposition : Il y a du feu sur la montagne– Raison : Parce qu’il y a de la fumee sur la montagne– Exemple : Comme dans la cuisine, pas comme dans un lac– Application : C’est comme ca– Conclusion : Alors c’est comme ca

Cette forme peut nous sembler curieuse, mais la procedure est bien simple (etressemble plutot la structure d’une discussion). D’abord on a la proposition,que l’on veut demontrer, ici c’est demontrer que la propriete “feu” doit etreattribuee a la montagne. La raison (la premice) pour cette propriete vient du faitque “fumee” est attribuee a la montagne. Il faut donc demontrer que “fumee”implique “feu”. L’exemple montre que l’implication peut etre vrai : Dans lacuisine, fumee implique feu. Le contre-exemple est aussi mentionne : Fumee surle lac (cad. brouillard), n’implique pas feu. Alors, on reconnaıt que l’implicationfonctionne dans l’exemple, et que l’exemple dans ce cas peut etre applique a ce

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que l’on veut prouver (le contraire est biensur aussi possible) : “C’est commeca”. Maintenant on peut conclure : “Alors c’est comme ca”

La forme de logique qu’on trouve chez les Jaina (un secte buddhiste ‘specialise’en logique) est inhabituelle parce que l’argument pour et l’argument contresont produits en meme temps, tandis que dans la logique dit ‘classique’ (cad.grecque ou occidentale) on y trouverait une contradiction. Chez les Jaina, ontrouve plutot une pluralite d’arguments, donnes en forme d’exemples, et toutest dans l’application, les arguments en et pour soi ne se contredisent pas. Dansle meme esprit on trouve chez eux que la negation d’une proposition fonctionnedifferemment. Tandis que dans la logique ‘classique’, la proposition “A est B”,devient par la negation “A non est B”, et par double negation “A non non estB” egale a “A est B” ; chez les Jaina les negations ne disparaissent pas “A nonnon est B” n’egale pas “A est B”, c’est une proposition differente.

1.2.2 Grece

Dans l’ancienne Grece une autre version de logique s’est developpe, sousd’autres conditions culturelles et contextuelles. Au 5e siecle av. J.C., certainesvilles grecques etaient devenues de vraies centres politiques, economiques etmilitaires, Athenes en est l’exemple le mieux connu. Contraire aux royaumes,ou une seule personne reigne, ces villes etaient regi par une elite d’hommes (ils’agit d’une minorite de la population, la majorite etaient des artisans, ouvrierset beaucoup d’esclaves). Cette structure politique republicaine impliquait quela discussion publique entre parties opposees etait un important aspect de la viepolitique et que l’art de disputer etait indispensable pour celui aspirait a unecarriere politique dans le polis (ville grecque).

A un certain point dans l’histoire de ces villes grecques on rencontre ce qu’onappelle les sophistes.2 C’etaient des hommes doues dans la rhetorique qui of-fraient, contre paiement, un enseignement dans l’art de parler et de discuter.Mais au 4e siecle, cette profession de ‘sophiste’ s’etait specialisee dans la fabrica-tion et dans l’enseignement de manieres a convaincre l’opposant non seulementpar des arguments valides ou probables, mais aussi par des arguments faux ousans sens. Biensur, cet art de discussion, qui entre autres a mene a un euloge surune mouche, a attire beaucoup de critique. C’est dans ce contexte qu’est nee lalogique classique.

Les techniques enseignees et developpees par les sophistes ne pouvaient passeulement etre appliquees dans la domaine de la politique, mais aussi dansd’autres domaines de la societe grecque. En particulier, il y avait aussi une tra-dition, qui a ses origines dans la secte de Pythagore, de philosopher sur la naturedes objets et phenomenes physiques, notamment des theories et speculations,souvent aussi mathematiques, sur la nature du son. Bref, une sorte de loin-taine precurseur de la physique comme discipline scientifique. Aussi dans lesdiscussions sur la physique et sa structure s’insinuait des strategies sophistes.Le philosophie Zenon d’Elea (5e siecle av. J.C.) formulait des paradoxes sur le

2Ce nom, maintenant avec des connotations negatives, leur est impute posterieurement parl’ecrivain de comedies Aristophane et le philosophe Platon.

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temps et le mouvement, montrant que la langue utilisee pour decrire et analyserles phenomenes physiques se contredisait. Par exemple :

Imaginons une fleche en vol. A chaque instant, la fleche se trouve aune position precise. A chaque instant, la fleche ne bouge donc pas.Si le temps est une succession d’instants et que chaque instant estun moment ou le temps est arrete, le temps n’existe donc pas. Lafleche est immobile a chaque instant et ne peut pas se deplacer : lemouvement est impossible.

C’est comme reaction contre les sophistes et pour trouver une methode, unetechnique pour sauver les raisonnements sur la physique que s’est lentementaccumule un savoir structure qui est devenu la logique ‘classique’. La traditionaccorde aux philosophes Socrate et Platon la preparation d’une logique, maisc’est Aristote qui l’a finalement mis dans la forme decisive et influentielle.

En fait, Socrate (fin 5e siecle av. J.C.) avait developpe la dialectique commetechnique de raisonner. Beaucoup de ses contemporains, comme le comedienAristophane, le mettaient dans la categorie des sophistes, parce leurs moyens seressemblaient. L’objectif du style d’argumentation de Socrate etait neanmoinsdifferent de celui des sophistes. Il s’agit de questionner l’adversaire jusqu’a cequ’il s’appercoit que ce qu’il dit ou croit n’a pas de fondements solides. C’estconfronter l’adversaire avec sa manque de connaissance afin de pouvoir mieuxcommencer de trouver la verite apres. Ce n’est pas convaincre l’autre d’un cer-tain point de vue, mais le mettre en doute sur ses propres points de vue.

Cette maniere de raisonner et discuter a ete mis dans une forme ecrite etcoherente par l’eleve de Socrate, Platon (428 a 346 av. J.C.). Dans plusieursdialogues Platon developpait la methode de Socrate, tout en y ajoutant sespropres idees et innovations. Pour l’histoire de la logique, le plus importantde ces dialogues est Sophistes (360 av. J.C.). La, les arguments des Sophistessont attaque avec la technique de Socrate, et lentement un nouveau corpus demanieres d’enchaıner des idees et concepts y est presente. Le developpementconsequent et systematique sera fait par Aristote (384 a 322 av. J.C.) dans unnombre de textes qu’on appelle maintenant l’Organon, l’outil, cad. l’outil de laraison.

1.3 Aristote et son Organon

L’Organon est en fait une assemblage d’Andronicus de Rhodes (60 av. J.C.)de divers textes d’Aristote :

1. Les Categories2. De l’interpretation3. Premiers Analytiques4. Seconds Analytiques5. Les Topiques6. Refutations sophistiques

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L’ordre de ces textes n’est pas l’ordre dans laquelle Aristote les a ecrits. Cetteordre de l’ecriture est probablement : 5 & 1 ; 6 ; 2 ; 3 & 4. Dans les Refutations onretrouve quasiment les origines de la logique : Trouver une maniere systematiquepour analyser et defaire les raisonnements des sophistes, trouver les paralogismes(contre le logos, la raison). Dans les Topiques on retrouve plutot une sorte derhetorique, une sorte de systematique pour construire et etoffer des raisonne-ments ou discussions (cfr. les avocats). Dans les Analytiques finalement, onretrouve les racines d’une logique systematique et assez formelle.

1.3.1 Aristote et son Organon : Les Analytiques

Dans les Analytiques on trouve plusieurs elements importants de la logiquedite ‘classique’ :

– Definition du syllogisme (dit analytique) :– Forme generale : si p et q, alors r– p, q et r de la forme “A est B” avec les operateurs “tout” et “il existe”

et leurs negatives– Syllogisme : A est B ; C est D ; alors E est F– F est le majeur, E le mineur, le terme X qui n’est E ou F est le moyen

– Trois figures de syllogisme :1. le moyen est le sujet dans le 1r premisse, et predicat dans le second2. le moyen est le predicat dans les deux premisses3. le moyen est le sujet dans les deux premisses

– L’utilisation de lettres grecques pour indiquer des variables– Principe du tiers exclu– Commencements d’une axiomatisation de la logique

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2 Transmission, adaptations de la logique dansl’Europe occidentale 12e-16e siecles

2.1 L’impact de l’Organon sur la Scholastique

Jusqu’au 12e siecle, seulement les livres des Categories et de l’Interpretationetaient connus dans l’Europe au debut du Moyen Age. Au 12e siecle, graceaux contacts avec l’empire des Abbasides, et surtout par voie de l’Espagne, lesautres livres d’Aristote sur la logique devenaient accessibles. Cet import nonseulement de nouveaux textes d’Aristote, mais plus general, de nouveaux textesde l’Antiquite et des textes et innovations scientifiques des Arabes, a aide alancer une sorte de ‘renaissance’ des sciences dans l’Europe Occidentale. Cette‘renaissance’ etait aussi due aux changements dans le systeme economique etpolitique. Sur le plan economique p.ex., de nouvelles methodes pour l’agriculture(cfr. l’attelage du cheval), amelioraient la situation. Sur le plan politique, onvoit que les villes deviennent plus importantes et qu’une nouvelle classe de genss’y forme, qui ne sont pas de religieux, pas de noblesse, et pas de paysans,mais des commercants, banquieurs et artisans specialises. La commerce dans lebassin de la Mediterrannee, en consequence des Croisades, devient un espaced’interactions commerciales, et avec la commerce viennent les idees, theories,textes etc.

Avant le 12e siecle, l’enseignement un peu avance se retrouvait surtout dansles monasteres, mais avec le temps, les ecoles s’etaient etablies aux murs descathedrales et avaient lentement obtenu une sorte d’independance vis a vis l’au-torite civile. Vers la fin du 13e siecle, on voit que ces ecoles sont devenus lesuniversites du Moyen Age, les plus fameuses etaient a Paris, a Toulouse, et aOxford. Ces universites etaient directement sous la protection du pape et doncassez independant du roi, a cause de cela, les universites se trouvaient hors deslimites de l’autorite civile, p.ex. au rive gauche de la Seine.

Dans les universites on avait quatre facultes : Arts et philosophie, Loi,Medicine, et Theologie. La faculte des arts et philosophie etait en fait une sortede propedeutique, une classe preparatoire (trois annees, on y entre a dix ans apeu pres) pour les trois autres facultes qui menaient droit aux trois sortes deprofession qui etaient bien determinees et implantees dans la societe medievale,cad. avocat ou notaire ; medecin ; et pretre ou moine. Dans la faculte des artesliberales, on enseignait le quadrivium, cad. musique, arithmetique, astronomieet geometrie, et le trivium, rhetorique, dialectique-logique, et grammaire. L’en-seignement avant 1200 reposait surtout sur l’usage du memoire, de la voix etdu corps. Ce qui veut dire : l’enseignement se faisait par l’exemple (monochordepour la musique ; abaque et calcul aux doigts pour l’arithmetique etc.) et etaitrepete par les etudiants utilisant la voix et le corps afin de memoriser l’ensei-gnement. Les reformes du 13e siecle changeront cet enseignement qui s’appuiesur son et corps, et introduira un enseignement base sur l’ecrit.

C’etait dans la faculte des artes liberales qu’on enseignait la logique selonAristote, ou pour etre plus precis : la logique selon les interpretations medievales

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d’Aristote. La reforme de l’education au 12e siecle etait du aux hommes telsque Pierre Abelard (1079–1142) et Thierry de Chartres ( ?–1150) qui avaientintroduit la methode dite scolastique dans l’universite. Cette methode etait, al’epoque (et contraire a la connotation du mot ‘scolastique’ d’aujourd’hui) nova-toire. C’etait un enseignement qui prends son depart des livres (des manuscritsen fait), que le professeur lit et commente, tandis que les eleves ecoutent etnotent. Le professeur discute le contenu des livres, en confrontant les opinionstrouves dans livres, en presentant les pro et les contra qu’on pouvait retrou-ver dans la litterature. Pour mieux faire cela, on enseignait d’abord le gram-maire (apres Prisciane) et plus tard la logique (apres Aristote). Grammaireet logique etaient deux outils a faire la critique des opinions et a raisonner.La place importante de la logique dans le systeme d’enseignement medieval ainstige plusieurs recherches logiques, p.ex. par Roger Bacon, Duns Scotus, Wil-hem Ockham, Pierre de l’Espagne... Bienque ces recherches soient tres eloigneesd’une logique formelle (c’est plutot une logique psychologique ou grammaticale),d’interessantes idees peuvent etre retrouvees dans les ecrits de ces temps. On endiscutera quelques qui sont importantes pour l’evolution ulterieure de la logiqueen tant qu’elle tend vers formalisation et calcul.

2.1.1 L’impact de l’Organon sur la Scholastique : Barbara Celarent

Les syllogismes (deux propositions et une conclusion) qu’on trouvait chezAristote ont ete repris et etendus par les logiciens medievaux. Une innovationplutot pedagogique pour memoriser les syllogismes vrais/possibles etait inventepar Pierre d’Espagne dans ses Summulae Logicae (1230–1245). La mnemoniquese basait sur les quatre types de propositions predicatives, parce qu’elles attri-buent ou refusent un predicat P a un sujet S. Chacune est designee par unevoyelle : A : l’universelle affirmative (tout...) ; E : l’universelle negative (nul...) :I : la particuliere affirmative (quelque...) ; O, la particuliere negative (quelque... ne ...). Les combinaisons de ces predicates, de ces lettres, qui codifient lessyllogismes possibles sont transcrits dans des mots mnemoniques :

1. (premiere figure) Barbara, Celarent, Darii, Ferio ; BaralipetCelantes, Dabitis, Fapesmo, Frisesmo.

2. (deuxieme figure) Cesare, Camestres, Festino, Baroco.3. (troisieme figure) Darapti, Felapto, Disamis, Datisi, Bocardo, Ferison.

P.ex. Barabara correspond a un syllogisme comme “Tout chien est carnivore,tout basset est chien, donc : tout basset est carnivore” .

Cette utilisation de lettres pour designer les predicats va un pas plus loin quel’usage des lettres chez Aristote pour designer les sujets, les noms qui entrentdans une proposition. Vu dans cette perspective, “Barbara, celarent...” est unpas vers l’algebrisation de la logique qui commencera des le 17e siecle. Aussi,cette innovation suggerait qu’on pouvait faire une sorte de combinatoire de lalogique. Si on avait tous les idees vraies, et tous les syllogismes possibles, unecombinatoire pouvait generer toutes les propositions vraies. On trouve de telles

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idees chez Hispaniane, et chez Raymond Llull. Ramon Llull ou latinise Raimun-dus Llullius (1232–1315) etait un polygraphe avec 265 publications. Dans sonArs magna de 1305 il presentait une sorte de mecanisme combinatoire pourgenerer toutes les verites de la foi chretienne, mecanisme qui aiderait a conver-tir les juifs et musulmans. On prend les attributs de Dieu, et on les combinantdans une proposition, on a une verite. Llull inspirera Nicolas de Cuse, Athana-sius Kircher et G.W. Leibniz.

Le disque rotatoire de Lull pour generer les propositions vraies, et une tableavec les combinaisions entre les 8 termes principaux

2.2 La reformation de l’education aux 15e et 16e siecles

Au 15e siecle, de nouvelles reformes repoussaient lentement la methodescolastique, maintenant devenue antiquee et rigide. Plusieurs developpementsexterieurs aidaient a accelerer ces reformes.

– Avec la chute de Constantinople en 1453, une masse de manuscrits del’Antiquite, gardes dans les bibliotheques, arrivait en Europe Occidentale,d’abord en Italie, plus tard dans les autres territoires. Cela occasionait larenaissance des idees antiques.

– Les decouvertes de Christophe Colombe (1492), de Magellane etc., l’etablissementdes colonies et les effets economiques et politiques

– La richesse croissante des villes commercantes comme Florence, Genes,Venise, Bruges, Hambourg, Nurembourg etc. avec l’essor des banques etde l’arithmetique commerciale

– L’invention de l’imprimerie typographie par Gutenberg, maintenant il de-venait possible d’imprimer cent, mille fois le meme livre, et il ne fallaitplus recopier a la main

– Les reformations religieuses un peu partout en Europe, Luther en Alle-magne, Calvin en France, Zwingli en Suisse...

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Tous ces developpements avaient aussi leur equivalent sur le plan pedagogiqueet scientifique, cad. dans l’enseignement.

Les centres de la reforme religieuse sont tres souvent aussi les centres dereformes educatives et des centres d’humanisme, cad. de la dissemination denouvelles idees et des editions d’anciennes sources. Pour en citer trois, impor-tants pour la logique :

– Philipp Melanchthon (1497–1560) a Wittenberg (Allemagne)– Jean Sturm (1507–1589) a Strassbourg (Alsace)– Pierre de la Ramee, aussi dit Petrus Ramus (1515–1572) a Paris (France)

A partir de 1545, la contre-reforme (cad. reaction du pape, des catholiquescontre les ‘protestants’) prend forme, organisee surtout par les Jesuites. Dansl’education on peut citer en particulier Christoph Clavius (1538–1612), qui in-troduira les mathematiques dans le curriculum des ecoles jesuites, et editera unimportant edition d’Euclide (1574).

2.3 Editions et transformations de la logique

Un Precurseur des reformes (et des reformations) de la logique etait l’Alle-mand Rudolph Agricola (1444–1485). Il ecrivait De inventione dialectica reliantla rhetorique a la logique et met l’emphase sur l’invention des arguments, cad.accentuer les Topiques d’Aristote, et ainsi changeant le visage de la logique en-seignee. En particulier dans la confrontation avec les mathematiques nouvellesdu 16e siecle, cette evolution de la logique vers les Topiques, aidera a renfor-cer une scission dans la logique meme. D’un cote, une logique de syllogismeset deduction qui s’associe avec les methodes de demonstration en maths ; del’autre cote, une logique qui tends vers la rhetorique, qui assigne surtout l’ordre,l’arrangement des concepts et arguments. La forme exterieure, l’arrangement,prevaut.

Cette tendance se trouve dans beaucoup de manuels de logique (ou de dialec-tique, comme le nom de preference devient), p.ex. dans Dialecticae Praeceptiones(1541) de Philipp Melanchthon, ou les Institutiones Dialecticae de Pierre de laRamee. Ce dernier remplacait les syllogismes classiques par des dichotomies(visualisees), mettant l’emphase encore plus sur l’arrangement, et non sur lesstructures deductives.

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La division des chapitres dans la Dialectica de Ramus

On trouve de la une certaine friction entre mathematiques (apres Euclide) etses structures, aussi deductives et donc ‘logiques’, et la logique nouveau style deRamus et d’autres. L’entree de certains elements de l’arithmetique commercialeou de cossisme (une forme precoce d’algebre) renforcait encore cette friction.D’une part, ces elements ne se laissaient pas aisement integrer dans les mathsa l’Euclide, d’une autre part, le fait qu’ils ne se laissaient pas integrer accentueque la structure des mathematiques ne correspond pas a celle de la logique.

2.4 Deux importantes discussions en Italie au 16e siecle

2.4.1 Concilier Aristote et l’experience : Zabarella

Une nouvelle interpretation des ecrits d’Aristote, depassant la grille de lec-ture scolastique, etait propose par l’Italien Jacopo Zabarella (1533–1589), quienseignait a Padovie, le centre des commentateurs d’Aristote du 16e siecle. Vuque les sciences etaient en train de se moderniser (pensons a Copernic, Kepler,Galilee, Stevin...), une sorte update sur Aristote devenait necessaire. Zabarellafaisait exactement cela, en retourant aux textes originaux d’Aristote, et en yretrouvant et transformant le concept de l’experience. Il decrivait ses idees dansDe Methodis et De Regressu (1578), ou il decrivait une “methode” (debut de lamode de ce mot ‘methode’) qui conciliait la derivation logique de causes et effetsapres Aristote avec l’insertion d’observation et experience dans cette derivation.La methode avait deux faces : Une face analytique (des causes aux effets) et une

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face synthetique (des effets aux causes). La face analytique correspondait a peupres a la derivation logique, la face synthetique a l’induction par l’observation.Pour un raisonnement pleinement correct (potissimma) il fallait les deux faces,les deux demi-cercles de raisonner, un regressus complet. En particulier, c’etaitimportant d’avoir un moment ou l’intelligence capte vraiment ce qui se passe(negotio intellectus), le point ou il sait relier les deux mouvement de penser,analytique et synthetique.

2.4.2 La quaestio de certitudine mathematicarum

La friction entre logique et mathematiques (nouvelles) etait l’un des causesd’un debat philosophique que dura pres de deux siecles. Cette discussion estconnue sous le nom de la quaestio de certitudine mathematicarum, et commenceavec la publication d’un livre de Piccolomini (1547), Commentarium de cer-titudine mathematicarum disciplinarum, ou il pretend que les mathematiquesne sont pas une science aristotelienne. Comme chez Zabarella, cette discussiondoit aussi etre vu sur le fond de la naissance des sciences modernes et doncmathematisees. Tandis que la logique, l’enchaınement des causes et effets selonAristote, etait l’instrument de preference pour codifier le savoir scientifique, pen-dant les 15e, 16e et 17e siecles, les mathematiques, non seulement la geometrieselon Euclide mais aussi l’algebre et plus tard le calcul differentiale, devenaientde plus en plus l’instrument prefere des scientifiques, la langue de preferencepour exprimer les relations et causes-effets dans la nature. En fait, quand p.ex.Fracois Viete ,l’un des peres de l’algebre moderne, presente son ‘ algebre’, ilreprend des expressions de la logique d’Aristote pour justifier et legitimer cequ’il fait dans son texte. Ceci montre combien la logique vaut encore commestandard de scientificite au 16e siecle.

[texte de Viete]La discussion etait sur la nature des mathematiques, est-elle une science selon

Aristote ? Cad., est-ce qu’elle presente un enchaınement propre de causes et ef-fets ? Pour certaines demonstrations p.ex., par construction et par contradiction,c’etait difficile de les interpreter comme cause et effet. Comment peut un argu-ment de l’absurde etre vu comme cause, raison de qqc de vraie ? et une construc-tion, vu que l’homme doit l’ajouter, n’est qu’accidentelle a la demonstration, pasune vraie cause etc. Ces points assez techniques mettaient en doute si les mathsetaient une science aristotelienne, ou plutot, si les maths pouvaient servir commelangue preferee du savoir scientifique. Dans ce cadre on presentait aussi des lo-gifications les mathematiques. On retrouve ces discussions et logifications dansEuclidis Elementorum Libri XV.(1574) de Clavius et dans l’ouvrage de ConradDasypodius (1530–1600/1601) et Christoph Herlin, editions d’Euclide, ainsi queAnalyseis geometricae sex librorum Euclidis (1566).

[texte de Clavius]

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3 La logique rencontre l’algebre et la methodescientifique au 17e siecle

3.1 La Guerre de Trente Ans 1618–1648 et ses suites in-tellectuelles

Une grande coupure dans l’histoire de l’Europe dans la Modernite est laGuerre de Trente Ans (1618-1648), une guerre avec des hautes mises religueuseset politiques, qui a profondement traumatisee les etats allemands, et qui a promula France et les Pays-Bas comme nouvelles forces sur le plan europeen. La finde la Guerre a ete particulierement cruelle dans les etats allemands, a causedes famines, maladies et pillements et cruautes des soldats (loues) envers lapopulation.

La guerre a commence avec une alliance entre le Palatinat et le Boheme(tous deux protestant), alliance qui a provoque des reactions des Habsbourgscatholiques (Espagne, Autriche) qui etaient alors des pouvoirs redoutables en

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Europe. La guerre se fait en plusieurs episodes, avec, en ordre chronologique, desinterventions de Danemark, de Suede et de la France. En 1648 la Paix de West-phalie est conclue, parallelement a Munster et a Paderborn afin que les acteursprincipales ne devaient pas se rencontrer. Comme resultats chez les perdants,il y a la fragmentation des etats allemands ; la decimation de la population enAllemagne ; des fuites et demenagements de centaines de milliers de protestants(du Palatinat en Saxonie ; des Flandres aux Pays-Bas etc.). Chez les gagnants ontrouve les Pays-Bas (protestants), dont l’independance est maintenant reconnuepar l’Europe entiere, et la France qui devient une force majeure pour le 17e et18e siecles.

La guerre est entrevenue dans la vie de presque tout le monde et a eu unprofond impact sur les intellectuels et leurs philosophies. En particulier, uneforte reaction contre les rhetoriques de guerre entre les differentes croyances(catholique, calviniste ou lutherien), et une repulsion contre les guerres demots(logomachia). L’emotion de la religion devient donc fort temperee, elle restepresente, mais une certaine tolerance se repand, et certains developpent memedes idees sceptiques, deistes ou meme athees. Aussi, beaucoup d’intellectuels del’epoque developpent des idees utopiques, ou pensent a une langue universellepour resoudre tout debat intellectuel, sans verser du sang (p.ex. Comenius,Bacon, Pell).

3.2 La Methode Universelle de Descartes

3.2.1 Les Regles pour la direction de l’esprit

Rene Descartes (1596–1650) est assez directement implique dans la Guerre deTrente Ans. Il entre dans l’armee de Maurice de Nassau en 1617, visite les Pays-Bas, en 1619 il va a Ulm et a Prague dans le cadre de la Guerre, bienque ce soitindeterminee s’il a vraiment pris partie dans la guerre ou etait plutot spectateur.EN 1620 il quitte l’armee, mais voyage pendant 5 annees en Allemagne, Italieet la France, pour a partir de 1628 s’installer presque definitivement aux Pays-Bas afin de pouvoir y travailler en toute solitude. Neanmoins il reste en contactavec d’autres savants, en particulier les Francais, par sa correspondence avec lePere Marin Mersenne, qui fonctionne un peu comme mediateur entre plusieurssavants du 17e siecle.

Plusieurs philosophes et mathematiciens inspirent les idees de Descartes,entre autres Pierre de la Ramee, les Cossistes (Stifel, Faulhaber), mais certai-nement aussi Francois Viete (1540–1603), “pere” de l’algebre moderne. Dansson oeuvre In Artem Analyticem Isagoge de 1591, Viete utilise des lettres pourdesigner les inconnus et les coefficients. Dans son preface figure la formule quideviendra celebre : “Nullum non problema solvere”, “nul probleme ne peut pasetre resolu”, avec l’algebre on peut ajouter. Descartes concoit d’une physiquemathematique (apres le contact avec Beeckman en 1618), et d’une mathesisuniversalis (art de savoir universel). En 1628 il ecrit les Regles pour la direc-tion de l’esprit ou il propose un projet de mathesis universalis. Le texte restemanuscrit, mais sera le depart pour un autre texte, le fameux Discours de la

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methode de 1637, avec trois ‘exemples’ de la methode, la dioptrie, les meteoreset la geometrie, ou Descartes “algebrise” l’espace (coordonnees cartesiennes).Bienque les Regles restent manuscrit (et ne sont publies qu’en 1701), le manus-crit “circule”, cad. beaucoup viennent a Leyde apres la mort de Descartes pourconsulter et/ou copier le manuscrit. Par cette voie, les Regles inspireront lesauteurs de la Logique de Port-Royal, ainsi que G.W. Leibniz.

3.2.2 La Logique de Port-Royal

Port Royal etait une abbaye et ecole janseniste a Paris. Les professuers lesplus connus de l’ecole sont Blaise Pascal (1623–1662) et Antoine Arnauld (1612–1694). Ce dernier sera l’auteur d’une Grammaire generale et raisonnee contenantles fondemens de l’art de parler, expliques d’une maniere claire et naturelle(ensemble avec Claude Lancelot, 1660) et de La logique ou L’art de penser :contenant outre les regles communes, plusieurs observations nouvelles, propres aformer le jugement (ensemble avec Pierre Nicole, 1662). La Logique est structureselon les quatre aspects de la pensee rationnelle : comprendre, juger, deduire,ordonner, et introduit de nouveaux concepts importants en logique, entre autres,idee et methode (bienque cela se trouve deja chez Zabarella). Les trois premieresparties de la Logique de Port-Royal correspondent encore aux themes d’Aristote(Categories, Propositions et Syllogismes), la quatrieme est dediee a la Methode.La Logique de Port Royal reprend dans certaines chapitres de passages entiersdes Regles (XIII et XIV) de Descartes, mais au lieu de poursuivre dans lavoie d’une mathematique universelle, les logiciens du Port-Royal choississent dereprendre plutot le style de Descartes dans Discours de la Methode, style parlant,qui contraste avec le style mathematique des Appendices sur la dioptrique etgeometrie.

3.3 La reprise de la Quaestio de certitudine mathemati-carum

Les questions soulevees pendant les discussions sur la certitude des mathematiquesse poursuivent au 17e siecle. Dans la Logique de Port-Royal p.ex. on trouve uneliste des defauts des geometres :

– Plutot convaincre qu’eclairer– Demontrer des choses qui n’ont pas besoin de preuves– Demonstration par l’impossible– Demonstrations par voies trop eloignees– Pas suivre le vrai ordre de la nature– Ne pas utiliser les divisions et partitions

Poru remedier a cela, ils proposent leur variante de logique, qui s’inspire de lamethode de Descartes.

En dehors de la France la discussion se poursuit aussi, mais avec d’autresaccents. En particulier la discussion se centre sur les avantages de l’arithmetiquesur la geometrie ou vice versa, accompagne avec des discussions philosophiquessi les fondements de la science viennent des sensations (empirisme) ou de l’esprit

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(idealisme). En Angleterre, on trouve une reprise de la quaestio de certitudinemathematicarum entre John Wallis (1616–1703), Thomas Hobbes (1588–1679)et Isaac Barrow (1630–1677). La question se reprend a partir de la propostionde Wallis de traduire les livres d’Euclide en langue arithmetique, propositionfaite dans son Aritmetica Universalis (1657). Hobbes l’attaque et une disputelongue se developpe (avec des demonstrations de Hobbes et des falsificationsde Wallis). Aussi, Isaac Barrow discute certains aspects de la demonstrationmathematique, il traduit l’Euclide en langue algebrique, mais pour la physiquemathematisee, prefere plutot la geometrie au lieu de l’algebre.

L’innovation la plus importante pour l’histoire de la logique est faite parHobbes dans un livre, De Corpore (1655), dont la premiere partie s’appelle,Logica sive Computatio. Hobbes donne un apercu de la logique classique maissuggere que l’on peut additionner des propositions.

3.4 Le Mathesis Universalis d’Erhard Weigel

En Allemagne, on trouve Erhard Weigel (1628–1699), professeur a Iena. Filsde parents qui s’etaient enfuis du Palatinat a Iena, Weigel est marque parl’experience de la Guerre de Trente Ans. Il va defendre l’idee d’une mathesisuniversalis (independemment de Descartes) comme solution pour la logoma-chies entre les religions et entre les opinions des savants. Les mathematiquespour Weigel peuvent etre la langue universelle, faite pour resoudre non seule-ment tout probleme (Viete), mais aussi tout dispute. La, Weigel, s’inspire desprojets utopiques de Jan Amosz Comenius, pour instaurer une nouvelle langueen Europe.3 Dans son oeuvre philosophique majeur, l’Analysis Aristotelica exEuclide restituta (1658), il explore cette idee, mais sous la guise d’une analysede la demonstration mathematique chez Euclide. Weigel donne une anatomie ettaxonomie des causes complexes dans les demonstrations d’Euclide, et analyseen particulier comment les signes peuvent etre utilises pour abbrevier des causescomplexes. Comme cela, un syllogisme peut etre compose de plusieurs syllo-gismes non-explicites, phenomene qu’il illustre en donnant cinq demonstrationsdifferentes d’Euclide I.32 (cfr. Clavius).

On trouve aussi, probablement inspire par Hobbes, des commencementsd’une logique arithmetisee ou algebrique chez Weigel. Apres Hobbes, Weigelvoit une proposition comme une addition des termes, mais va un pas plus loindans une arithmetisation tentative de la demonstration mathematique. Il pro-pose que, dans un syllogisme, le moyen est le moyen harmonique entre le majeuret le mineur, dans une serie de syllogismes, et qu’il y a donc une serie harmo-nique qui peut representer toute demonstration, et que des termes peuvent etreajoutes ou effaces. Les idees de Weigel, bienque plutot des suggestions que desidees mures, auront une influence sur Johann Christoph Sturm (qui developpaen premier une notation geometrique pour decider des sylllogismes) et Gott-fried Wilhelm Leibniz, qui sera le premier a venir pres d’une algebrisation de lalogique.

3Weigel partage aussi qqs idees sur la pedagogie avec Comenius et sera l’un des premiersa etre avocat de l’introduction de l’arithmetique dans l’education elementaire.

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3.5 Les Regles en forme abregee

Regle premiere. Le but des etudes doit etre de diriger l’esprit de manierea ce qu’il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se presente a lui.Regle deuxieme. Il ne faut nous occuper que des objets dont notre espritparoıt capable d’acquerir une connaissance certaine et indubitable.Regle troisieme. II faut chercher sur l’objet de notre etude, non pas ce qu’enont pense les autres, ni ce que nous soupconnons nous-memes, mais ce que nouspouvons voir clairement et avec evidence, ou deduire d’une maniere certaine.C’est le seul moyen d’arriver a la science.Regle Regle quatrieme. Necessite de la methode dans la recherche de laverite.Regle Regle cinquieme. Toute la methode consiste dans l’ordre et dans ladisposition des objets sur lesquels l’esprit doit tourner ses efforts pour arriver aquelques verites. Pour la suivre, il faut ramener graduellement les propositionsembarrassees et obscures a de plus simples, et ensuite partir de l’intuition deces dernieres pour arriver, par les memes degres, a la connaissance des autres.Regle Regle sixieme. Pour distinguer les choses les plus simples de celles quisont enveloppees, et suivre cette recherche avec ordre, il faut, dans chaque seried’objets, ou de quelques verites nous avons deduit d’autres verites, reconnoıtrequelle est la chose la plus simple, et comment toutes les autres s’en eloignentplus ou moins, ou egalement.

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Regle Regle septieme. Pour completer la science il faut que la pensee par-coure, d’un mouvement non interrompu et suivi, tous les objets qui appar-tiennent au but qu’elle veut atteindre, et qu’ensuite elle les resume dans uneenumeration methodique et suffisante.Regle Regle huitieme. Si dans la serie des questions il s’en presente une quenotre esprit ne peut comprendre parfaitement, il faut s’arreter la, ne pas exa-miner ce qui suit, mais s’epargner un travail superflu.Regle Regle neuvieme. Il faut diriger toutes les forces de son esprit sur leschoses les plus faciles et de la moindre importance, et s’y arreter longtemps,jusqu’a ce qu’on ait pris l’habitude de voir la verite clairement et distinctement.Regle Regle dixieme. Pour que l’esprit acquiere de la facilite, il faut l’exer-cer a trouver les choses que d’autres ont deja decouvertes, et a parcourir avecmethode meme les arts les plus communs, surtout ceux qui expliquent l’ordreou le supposent.Regle Regle onzieme. Apres avoir apercu par l’intuition quelques proposi-tions simples, si nous en concluons quelque autre, il n’est pas inutile de lessuivre sans interrompre un seul instant le mouvement de la pensee, de reflechira leurs rapports mutuels, et d’en concevoir distinctement a la fois le plus grandnombre possible ; c’est le moyen de donner a notre science plus de certitude eta notre esprit plus d’etendue.Regle Regle douzieme. Enfin il faut se servir de toutes les ressources del’intelligence, de l’imagination, des sens, de la memoire, pour avoir une intui-tion distincte des propositions simples, pour comparer convenablement ce qu’oncherche avec ce qu’on connoıt, et pour trouver les choses qui doivent etre ainsicomparees entre elles ; en un mot on ne doit negliger aucun des moyens dontl’homme est pourvu.Regle Regle treizieme.Quand nous comprenons parfaitement une question,il faut la degager de toute conception superflue, la reduire au plus simple, lasubdiviser le plus possible au moyen de l’enumeration.Regle Regle quatorieme. La meme regle doit s’appliquer a l’etendue reelledes corps, et il faut la representer tout entiere a l’imagination, au moyen defigures nues ; de cette maniere l’entendement la comprendra bien plus distincte-ment.Regle Regle quinzieme. Souvent il est bon de tracer ces figures, et de lesmontrer aux sens externes, pour tenir plus facilement notre esprit attentif.Regle Regle seizieme. Quant a ce qui n’exige pas l’attention de l’esprit,quoique necessaire pour la conclusion, il vaut mieux le designer par de courtesnotes que par des figures entieres. Par ce moyen la memoire ne pourra nous fairedefaut, et cependant la pensee ne sera pas distraite, pour le retenir, des autresoperations auxquelles elle est occupee.Regle Regle dix-septieme. Il faut parcourir directement la difficulte pro-posee, en faisant abstraction de ce que quelques uns de ses termes sont connus etles autres inconnus, et en suivant, par la marche veritable, la mutuelle dependancedes unes et des autres.Regle Regle dix-huitieme. Pour cela il n’est besoin que de quatre operations,l’addition, la soustraction, la multiplication et la division ; meme les deux dernieres

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n’ont souvent pas besoin d’etre faites, tant pour ne rien embrasser inutilement,que parce qu’elles peuvent par la suite etre plus facilement executees.Regle Regle dix-neuvieme. C’est par cette methode qu’il faut chercher au-tant de grandeurs exprimees de deux manieres differentes que nous supposonsconnus de termes inconnus, pour parcourir directement la difficulte ; car, par cemoyen, nous aurons autant de comparaisons entre deux choses egales.Regle Regle vingtieme. Apres avoir trouve les equations, il faut achever lesoperations que nous avons omises, sans jamais employer la multiplication toutesles fois qu’il y aura lieu a division.Regle vingt-et-unieme. S’il y a plusieurs equations de cette espece, il faudrales reduire toutes a une seule, savoir a celle dont les termes occuperont le pluspetit nombre de degres, dans la serie des grandeurs en proportion continue, selonlaquelle ces termes eux-memes doivent etre disposes.

3.6 De l’introduction de la Logique de Port-Royal

La logique est l’art de bien conduire sa raison dans la connaissance deschoses, tant pour s’instruire soi-meme que pour en,instruire les autres. Cet artconsiste dans les reflexions que les hommes ont faites sur les quatre principalesoperations de leur esprit, concevoir, juger, raisonner et ordonner.On appelle concevoir, la simple vue que nous avons des choses qui se presentent anotre esprit, comme lorsque nous nous representons un soleil, une terre, un arbre,un rond,- un carre, la pensee, l’etre, sans en former aucun jugement expres ; etla forme par laquelle nous nous representons ces choses s’appelle idee.On appelle juger, l’action de notre esprit par laquelle, joignant ensemble di-verses idees, il affirme de l’une qu’elle est l’autre, ou nie de l’une qu’elle soitl’autre, comme lorsqu’ayant l’idee de la terre et l’idee du rond, j’affirme de laterre qu’elle est ronde, ou je nie qu’elle soit ronde.On appelle raisonner, l’action de notre esprit par laquelle il forme un jugementde plusieurs autres ; comme lorsqu’ayant juge que la veritable vertu doit etrerapportee a Dieu, et que la vertu des paıens ne lui etait pas rapportee, il enconclut que la vertu des paıens n’etait pas une veritable vertu.On appelle ici ordonner, l’action de l’esprit par laquelle, ayant sur un memesujet, comme sur le corps humain, diverses idees, divers jugements et divers rai-sonnements, il les dispose en la maniere la plus propre pour faire connaıtre cesujet. C’est ce qu’on appelle encore methode.Tout cela se fait naturellement, et quelquefois mieux par ceux qui n’ont apprisaucune regle de la logique que par ceux qui les ont apprises. Ainsi, cet art neconsiste pas a trouver le moyen de faire ces operations, puisque la nature seulenous les fournit en nous donnant la raison ; mais a faire des reflexions sur ce quela nature nous fait faire, qui nous servent a trois choses.La premiere est d’etre assures que nous usons bien de notre raison, parce quela consideration de la regle nous y fait faire une nouvelle attention ; La secondeest de decouvrir et d’expliquer plus facilement l’erreur ou le defaut qui peutse rencontrer dans les operations de notre esprit ; car il arrive souvent que l’ondecouvre, par la seule lumiere naturelle, qu’un raisonnement est faux, et qu’on

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ne decouvre pas neanmoins la raison pourquoi il est faux, comme ceux qui nesavent pas la peinture peuvent etre choques du defaut d’un tableau, sans pou-voir neanmoins expliquer quel est ce defaut qui les choque ; La troisieme est denous faire mieux connaıtre la nature de notre esprit par les reflexions que nousfaisons sur ces actions ; ce qui est plus excellent en soi, quand on n’y regarderaitque la seule speculation, que la connaissance de toutes les choses corporelles,qui sont infiniment au-dessous des spirituelles.

Reflexions sur les idees Comme nous ne pouvons avoir aucune connaissancede ce qui est hors de nous, que par l’entremise des idees qui sont en nous, lesreflexions que l’on peut faire sur nos idees sont peut-etre ce qu’il y a de plusimportant dans la logique, parce que c’est le fondement de tout le reste.On peutreduire ces reflexions a cinq chefs, selon les cinq manieres dont nous consideronsles idees :

– La premiere, selon leur nature et leur origine ;– La deuxieme, selon la principale difference des objets qu’elles representent ;– La troisieme, selon leur simplicite ou composition, ou nous traiterons des

abstractions et precisions d’esprit ;– La quatrieme, selon leur etendue ou restriction, c’est-a-dire leur universa-

lite, particularite, singularite ;– La cinquieme, selon leur clarte et obscurite, ou distinction et confusion.Le mot d’idee est du nombre de ceux qui sont si clairs qu’on ne peut les ex-

pliquer par d’autres, parce qu’il n’y en a point de plus clairs et de plus simples.Mais tout ce qu’onpeut faire pour empecher qu’on ne s’y trompe, est de marquerla fausse intelligence qu’on pourrait donner a ce mot, en le restreignanta cetteseule facon de concevoir les choses, qui se fait par l’application de notre espritaux images qui sont peintes dans notre cerveau, et qui s’appelle imagination.Car, comme saint Augustin remarque souvent, l’homme, depuis le peche, s’esttellement accoutume a ne considerer que les choses corporelles dont les imagesentrent par les sens dans notre cerveau, que la plupart croient ne pouvoir conce-voir une chose quand ils ne se la peuvent imaginer, c’est-a-dire se la representersous une image corporelle, comme s’il n’y avait en nous que cette seule manierede penser et de concevoir.Au lieu qu’on ne peut faire reflexion sur ce qui se passe dans notre esprit,qu’on ne reconnaisse que nous concevons un tresgrand nombre de choses sansaucune de ces images, et qu’on ne s’apercoive de la difference qu’il y a entrel’imagination et la pure intellection. Car lors, par exemple, que je m’imagineun triangle, je ne le concois pas seulement comme une figure terminee par troislignes droites ; mais, outre cela, je considere ces trois lignes comme presentespar la force et l’application interieure de mon esprit, et c’est proprement ce quis’appelle imaginer. Que si je veux penser a une figure de mille angles, je concoisbien, a la verite, que c’est une figure composee de mille cotes, aussi facilementque je concois qu’un triangle est une figure composee de trois cotes seulement ;mais je ne puis m’imaginer les mille cotes de cette figure, ni, pour ainsi dire, les

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regarder comme presents avec les yeux de mon esprit.Il est vrai neanmoins que la coutume que nous avons de nous servir de notre ima-gination, lorsque nous pensons aux choses corporelles, faitsouvent qu’en conce-vant une figure de mille angles, on se represente confusement quelque figure ;mais il est evident que cette figure, qu’on se represente alors par l’imagination,n’est point une figure de mille angles, puisqu’elle ne differe nullement de ce queje me representerais si je pensais a une figure de dix mille angles, et qu’elle nesert en aucune facon a decouvrir les proprietes qui font la difference d’une figurede mille angles d’avec tout autre polygone.Je ne puis donc proprement m’imaginer une figure de mille angles, puisquel’image que j’en voudrais peindre dans mon imagination me representerait touteautre figure d’un grand nombre d’angles, aussitot que celle de mille angles ; etneanmoins je puis la concevoir tres-clairement et tres-distinctement, puisquej’en puis demontrer toutes les proprietes, comme, que tous ses angles ensemblesont egaux a mille neuf cent quatre-vingt-seize angles droits ; et, par consequent,c’est autre chose de s’imaginer, et autre chose de concevoir.

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4 Essais vers une logique symbolique au 18e siecle

4.1 Gottfried Wilhelm Leibniz (1646–1716)

Leibniz est ne comme fils d’un administrateur de Hannovre et poursuit sesetudes dans divers universites allemandes, entre autres une annee a Iena, ouil etudie sous Erhard Weigel. Il entre en correspondence avec plusieurs savantseuropeens et fait des voyages un peu partout en Europe, entre autres en An-gleterre ou il rencontre des membres de la Royal Society, et les Pays-Bas ou ilconsulte les manuscrits de Descartes. Son esperance de devenir professeur demathematiques a l’universite de Paris echoue (ils preferent un francais), et il de-vient diplomat et historien de la maison de Hannovre. Aujourd’hui Leibniz estle plus connu pour etre co-inventeur du calcul infinitesimal (avec Isaac Newton),en particulier inventeur de la notation moderne, et comme important philosophede la 2e moitie du 17e siecle.

Bienqu’il travailla beaucoup sur la logique, Leibniz ne publia jamais sesresultats, parce que ses essais restaient des brouillons inacheves. Les calculs lo-giques que Leibniz developpa en fragments resteront inconnus jusqu’au debut du20e siecle, quand Louis Couturat edita La logique de Leibniz, d’apres des docu-ments inedits (1901), suivie par l’edition d’un recueil de fragments des archivesde manuscrits leibniziens (1903). Avec l’edition de la correspondence et les ma-nuscrits de Leibniz par C.I. Gerhard a partir de 1849, les livres de Couturataidaient a etablir Leibniz comme l’un des plus importants precurseurs de la lo-gique symbolique ou formelle, ou encore, de la logistique ou calcul logique. Pourles contemporains de Leibniz et les philosophes et logiciens du 18e siecle, cetaspect de Leibniz etait presque inconnu. Seulement dans 1) la these doctorale deLeibniz, Dissertatio de arte combinatoria (1666) ; 2) quelques lettres publies deLeibniz ; et 3) dans quelques passages de Christian Wolff (qui developpa beau-coup des idees de Leibniz et determina ‘l’heritage’ intellectuelle de Leibniz) onpouvait trouvait des suggestions pour un calcul logique, mais aucun detail sur lecontenu d’un tel calcul. Neanmoins, dans les annees 1760, plusieurs philosophes-logiciens developperont versions d’un calcul logique qui ressemblera aux essaisde Leibniz sur base des suggestions et de propres innovations.

Le developpement (en manuscrit) par Leibniz de plusieurs logiques formelleset calculs logiques se passa en trois stages principales :

– Premiere arithmetisation de la logique d’Aristote (1679)– Generales Inquisitiones (1686)– De Formae Logicae per linearum ductus (1690) : Diagrammes logiques

(cfr. Lambert, Euler, Venn)On peut y ajouter la these doctorale Dissertatio de arte combinatoria de 1666 ouon retrouve plusieurs references a Raymond Llull, Hispanianus et autres logiciensdu Moyen Age qui appliquaient une sorte de combinatoire a la logique d’Aristote.Dans cette these on rencontre un trait typique de Leibniz, que Leibniz est unsyncretiste, ecclecticiste, ou autrement dit, Leibniz sait bien absorber une varieted’influences et idees et d’en faire qqc a lui. Dans ses etudes logiques on peutdiscerner les influences des logiciens du Moyen Age, mais aussi de Descartes, de

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Port-Royal, de Hobbes et d’Erhard Weigel et J.C. Sturm, mais Leibniz combinetoutes ces influences et en deduit des formes nouvelles de logique formelle.

La premiere arithmetisation se caracterise par la recherche de regularitesentre des nombres qui correspondent aux relations entre des syllogismes (cfr.Weigel). Leibniz mettra la proposition generale ‘sujet est predicat’ sous la formeS.x=P.y, si y/x est un entier, alors la proposition est universelle, sinon elle estparticuliere. Il est clair, que Leibniz cherche dans les proprietes multiplicativesdes nombres des relations utilisables. Si on prend pour ‘tout homme sage estpieux’ sage comme 3 et pieux comme 12, alors il s’ensuit que 3x=12y, propo-sition vraie et universelle (comme 12 est un multiple du nombre premier 3 quicorrespond a un concept anatomique, a une idee primitive). Leibniz veut intro-duire la negation, et veut pour cela utiliser les nombres negatifs. Pour que camarche, il doit changer son systeme, et faire correspondre a chaque concept unpair de nombres, sage=(11,2) et pieux (44,8), non-pieux correspond a (-8,-44).Si on veut neanmoins transformer des propositions comme ‘nul A n’est non-B’en ‘tout A est (non-non-)B’ ou autres, il se montre que cette arithmetisation nefonctionne pas tout a fait. A cause de problemes dans ce genre, Leibniz arreteces premiers esquisses.

Dans son deuxieme part d’essais, Leibniz part de la formalisation A = ABpour ‘tout A est B’. Par les axiomes de 1) identite (A = A) ; 2) tautologie(A = AA) et 3) simplification (AB = A), Leibniz arrive a formaliser de simplessyllogismes. Pour une proposition particuliere, Leibniz revient a AX = BY . Enintroduisant la negation non des problemes resurgissent, en particulier Leibnizn’arrive pas a traduire la negation de est ou = en compte. Neanmoins, dansce deuxieme essai, qui s’attaque plutot au syntaxe des propositions (et pastant a l’extension des concepts), Leibniz arrive a des propositions comme (A =B) = (C = D), des propositions sur le syntaxe alors, ce qui est une innovationimportante.

Finalement, Leibniz invente le calcul par des lignes ou ensembles, ou oncombine des concepts par addition (A + B) et ou on se demande si les conceptscoincident oui, non ou partiellement avec d’autres concepts. A + B < C ouA + B = C ou A + B non-= C. Ce calcul sera redecouvert par Lambert.

4.2 Logique, Psychologie et Calcul chez Christian Wolff

Christian Wolff (1679–1754) etait le principal philosophe des Lumieres dansla premiere moitie du 18e siecle. Il ecrivit sa these doctorale en 1702, De phi-losophia practica universali methodo mathematica conscripta, interessa Leibnizet entra en correspondence avec lui. Entre 1706 et 1723 il est professeur pourmathematiques et sciences physiques a Halle ou il ecrivit une serie de livres surles mathematiques, les sciences et la philosophie qui deviendront des manuelsclassiques dans l’Allemagne des Lumieres. Dans sa philosophie, Wolff continuaitde sa propre facon Leibniz, mais il absorba aussi beaucoup d’idees de Weigel.4

4Sous qui Wolff faillit d’etudier, vu que Weigel meurt en 1699 quand Wolff arrive a Ienapour y etudier.

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Quand en 1721 Wolff essaiee de demontrer que l’ethique est independant de lareligion (par l’exemple des Chinois), le roi prussion le licencie et le force a partiren exil. Apres la mort du roi en 1740, Wolff peut retourner a Halle ou il meurt.Par ses ecrits et sa vie, Wolff devient l’un des heros de Lumieres en Allemagne.

Comme il est deja clair du titre de sa these doctorale, Wolff essaie d’ap-pliquer la methode mathematique a la philosophie (idee qu’on rencontre chezDescartes, Weigel et bienspur Leibniz). Quand il s’agit de la logique, Wolff ex-prime quelques suggestions dans cette direction, avec reference a Leibniz, maisrien de concret est propose. Plus important est que dans sa philosophie, Wolffdedie beaucoup d’effort a appliquer la methode mathmeatique a la psychologie,il publie deux livres volumineux, la Psychologia rationalis (1734) et la Psycho-logia empirica (1732). Au lieu de voir dans la logique cet art du raisonnement,Wolff propose que la pensee humaine, l’intellect, se fait par des structures etmethodes mathematiques. Wolff va comparer le raisonnement avec la multipli-cation de deux nombres ou avec le calcul d’une formule algebrique etc. Cecirenforcera a fin de compte l’idee que la logique, comme ancien art de raisonner,pouvait etre ‘mathematisee’, vu que la methode mathematique egalait raisonner.

4.3 Calculs logiques de Lambert et Plouquet

Dans les annees 1760, un peu par accident, trois philosophes-logiciens pro-poseront des calculs logiques, assez pres de ceux developpes en manuscrit parLeibniz. Biensur ils connaissaient Leibniz et certainement les ecrits de Wolff,mais vu la manque de detail sur un calcul logique la, on doit dire que ces troisarriveront a un calcul logique presqu’independemment de Leibniz. Il s’agit de Jo-hann Heinrich Lambert (1728–1777), Gottfried Plouquet (1716–1790) et GeorgJonathan Holland. Lambert avait annonce en 1763 un calcul avec des lignes pourtrouver des propositions, calcul eventuellement publie dans son oeuvre philoso-phique Neues Organon oder Gedanken uber die Erforschung und Bezeichungdes Wahren und dessen Unterscheidung vom Irrthum und Schein (1764). Cecievoqua une reaction de Ploucquet sur la priorite de cette decouverte, commeil avait deja decrit un autre calcul logique dans ses Fundamenta PhilosophiaeSpeculativae (1759). Il s’ensuivit un petit dispute, pendant laquelle Plouquetpublia les Untersuchungen und Abanderunge der logikalischen Constructionendes Herrn Professor Lambert (1765) et Holland la Abhandlung uber die Ma-thematik, die allgemeine Zeichenkunst und die Verschiedenheit der Rechenarten(1764). Il s’avera que Lambert et Plouquet avaient travaille independemmentl’un de l’autre, et qu’en plus, leurs calculs etaient differents. Celui de Lambertetait plutot par figures (lignes), celui de Ploucquet plutot par arithmetique etcalculation. L’ensemble de textes de cette petite controverse fut publie en 1766,Sammlung der Schriften, welche den logischen Calcul Herrn Prof. Ploucquetsbetreffen, mit neuen Zusatzen. Apres la mort de Lambert, Jean III Bernoullipublia des manuscrits de Lambert, entre autres les “Sechs Versuche einer Zei-chenkunst in der Vernunftlehre” qui dataient de 1752–53, et dans lesquels setrouvaient encore deux autres essais de calcul logique.

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4.3.1 Le calcul de lignes (Lambert)

Le calcul figuratif que proposait Lambert dans la premiere partie de son livreNeues Organon5 (1764), la Dianoiologie, est equivalent au calcul diagramma-tique (avec les ensembles dits d’Euler6 ou de Venn). L’idee principale etait quel’extension du concept pouvait etre visualisee. Dans une proposition simple, Su-jet + est + Predicat, Sujet et Predicat ont une extension et ils admettent d’unerepresentation lineaire. Si les lignes coincident, completement, partiellement oupas du tout, sont les trois possibilites, qui sont la base du calcul lineaire.

4.3.2 Le calcul arithmetique (Ploucquet et Lambert)

La meme idee, representer l’extension des concepts dans les propositions, seretrouve dans les calculs algebriques developpes par Ploucquet en 1759 et parLambert en 1752 (mais publie en 1782). Pour donner un exemple de l’idee (apresLambert) on peut algebriser un syllogisme comme suit :

maior m/p.A=n/q.Bminor µ/π.C=ν/ρ.Bconclusio (µn/πa).C=(m ν/p ρ).A

Un syllogisme Barbara serait dans ce schema : B = mA et C = B, alors C =mA ; ou bien Celarent B/q = A/p et C = νB alors C/q = νA/p

4.3.3 Le calcul probabiliste (Lambert)

Comme le titre indique, le Neues Organon de Lambert veut etre un nouveloutil, un nouveau instrument pour l’avancement des sciences. Pour atteindrecela, Lambert n’inclut pas seulement des meditations sur la logique classique (etun calcul), et sur la systematique (comme chez Euclide ou Wolff), mais aussi surl’apparence et la probabilite. Dans la 4e partie du livre, la Phenomenologie, Lam-bert etudie comment raisonner sur base des apparences des phenomenes. Entreautres il pose comme question, si on a plusieurs recits sur un meme phenomenede differents observateurs, quoi en faire ? Pour cela, il developpe un calcul proba-biliste : on assigne des probabilites (entre 0 et 1) au sujet, predicat et conjonctiondes propositions. Les syllogismes classiques restent valables, mais se resolventdans un calcul.

5Le titre du livre invoque a la fois Aristote et Bacon,6Euler publia l’idee, apres Sturm, d’utiliser des cercles pour decider des syllogismes dans

ses Lettres a une princesse allemande de 1774.

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5 Le reseau des algebristes anglais : Industriali-sation, mathematiques et logique

5.1 The Analytical Society

En France ou en Allemagne, des reformes dans l’enseignement superieur(ENS ou universite modele Humboldt) se mettent en place autour de 1800 et sestabilisent apres les Guerres Napoleonniennes. Il est a noter que les mathematiquesy prennent une place assez centrale. Il y a plusieurs raisons pour cela : Le besoinqu’on en ressentait dans l’industrie naissante, dans l’administration moderne,chez les ingenieurs et les militaires (eux aussi en train de professionalisation)...De telles reformes educatives arrivent aussi en Angleterre, mais que lentement,malgre le fait que l’Angleterre est a l’avant de la Revolution Industrielle. Lepouvoir et anciens structures des universites d’Oxford et Cambridge jouent unrole ici, ainsi que l’heritage d’Isaac Newton en mathematiques, heritage traduiteen pouvoir scientifique par moyen de la Royal Society. Neanmoins, les reformesseront portees par des organisations, qui fonctionneront comme catalysateurdans l’import des maths continentiales et dans le developpement de nouvellesidees. D’abord on a l’Analytical Society (fondee en 1812), plus tard, la BritishAssociation for the Advancement of Science.

L’Analytical Society est fondee en 1812 a Cambridge par des etudiants deRobert Woodhouse : Charles Babbage (1791–1871) ; John Herschel (1792–1871) ;George Peacock (1791–1858). Le but de cette societe etait une reforme generalede l’education des mathematiques au Royaume Uni ; la propagation de l’usagede la notation leibnizienne dans le calcul infinitesimal (au lieu de la notationnewtonienne) ; et l’introduction de nouvelles methodes, recemment developpeessur le Continent (France et Allemagne, p.e. Lagrange et Gauss). Pour faire cela,ils faisaient des traductions des livres d’exposition ou d’introduction, p.ex., latraduction de S.F. Lacroix, Traite du calcul differentiel et du calcul integral(1797–1800), publie en 1816 : An Elementary Treatise on the Differential andIntegral Calculus. Dans le groupe de l’Analytical Society on voit qu’un interettres articule naıt pour la notation mathematique et son influence en general surles mathematiques. Les nombres imaginaires et le calcul leibnizien jouent unrole impportant comme exemples.

Chez Peacock on voit que ses vues sur la notation deviennent program-matiques dans ses ecrits sur les mathematiques, ou il enonce un “principleof the permanence of equivalent forms” qui serait a la base de sa theorie dessignes mathematiques et peut jouer le role d’heuristique ou art d’invention enmathematiques. Ces vues sont exprimees dans le Treatise on Algebra (1830),traıtement quasi-axiomatique de l’algebre ; et dans son Report on the Progressof Mathematics, for the 1833-Meeting of the British Association for the Advan-cement of Science

Chez Babbage, on peut voir que cet interet s’allie aux idees de mecanisation(“On the Influence of Signs in Mathematical Reasoning” , 1827), il developpeune notation pour le mouvement des machines (“On a Method of Expressing

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by Signs the Action of Machinery” , 1826), et biensur, plus tard, developperadeux machines, la Difference Engine (a partir de 1822, “Observations on theApplication of Machinery to the Computation of Mathematical Tables”) et laAnalytical Engine (a partir de 1837), en partant de certaines proprietes dessymbolismes du calcul des differences, mais en les generalisant de plus en pluset en les alliant a des machineries industrielles comme le metier de Jacquard (etmeme l’idee de combiner tout cela avec un moteur a vapeur).

Vue sous un certain perspectif historique, Peacock et Babbage poursuiventune tradition anglaise de symbolic algebra deja presente au 17e siecle (Oughtred,Harriot, Wallis...), mais maintenant revigorisee par l’industrialisation. Leursidees sur les mathematiques et sur le role des signes dans les maths serontinfluentiels tout au long du 19e siecle en Angleterre et aux Etats-Unis.

Cette idee que la notation peut “electrifier” les mathematiques s’allie aussia certains developpement proposees en logique. Ce passage se fait d’abord parWilliam Whewell (1794–1866), philosophe et logicien, qui s’associe aux membresde l’Analytical Society pour les reformes, et apporte un interet pour la logique.Quand une nouvelle generation de mathematiciens et logiciens reprennent desidees sur la notation de l’Analytical Society, des ecoles de l’algebre symbolique,et des ecoles de logique symbolique se forment. On peut nommer Duncan Far-quharson Gregory (1813–1844) en algebre et Augustus de Morgan (1806–1871)en algebre et logique.

5.2 Extraits d’auteurs de l’Analytical Society

Woodhouse 1801 L’Algebre est une espece d’ecriture abregee, un langage,ou un systeme de caracteres ou de signes, inventes dans le but de faciliter lacomparaison et la combinaison des idees. De fait, toute demonstration effectueesur des signes doit finalement reposer sur des observations faites sur des ob-jets particuliers ; et toutes les varietes de transformation et de combinaison dessignes, sauf ceux qui sont arbitraires et conventionnels, doivent etre regies parles proprietes dont on a observe qu’elles appartenaient aux choses dont les signessont les representants. On montre que les demonstrations faites sur des signessont vraies, en se referant aux choses individuelles que ces signes representent ;et qu’elles sont generales, en remarquant que l’operation est la meme, quelle quesoit la chose signifiee, ou, en d’autres termes, que l’operation est independantedes choses signifiees.

Preface du premier et seul receuil des memoires de l’Analytical So-ciety, 1813

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Peacock 1830 Les operations et les formes qui en resultent en Arithmetiqueet en Geometrie, exprimees par des symboles, sont porteuses d’une stricte ana-logie avec les operations de meme nom, et avec les formes qui en resultent sem-blablement en Algebre, quand les symboles sont parfaitement generaux : Maisc’est par la loi de permanence des formes equivalentes, et non par analogie, quenous sommes capables de passer de l’une a l’autre : c’est seulement dans la me-sure, par consequent, ou l’analogie peut etre consideree comme une expressionmodifiee de cette loi, que nous pouvons legitimement generaliser les conclusionsque nous avons obtenues grace a elle.

Peacock 1833 Il y a en fait, deux sciences distinctes, l’algebre arithmetiqueet l’algebre symbolique, qui sont etroitement liees l’une a l’autre, bien que l’exis-tence de l’une ne determine nullement l’existence de l’autre. La premiere de cessciences serait, a proprement parler, l’arithmetique universelle : ses symbolesgeneraux ne representeraient que des nombres ; ses operations fondamentales,et les signes utilises pour les representer, auraient la meme signification qu’enarithmetique commune ; elle rejetterait l’usage independant des signes + et -,tout en reconnaissant pourtant les regles communes permettant de les incorpo-rer aux calculs lrosqu’ils sont precedes d’autres quantites ou d’autres symboles :l’operation de soustraction serait impossible quand le terme soustrrait seraitplus grand que celui dont on cherche a le soustraire, et les quantites proprementimpossibles d’une telle science seraient les quantites negatives de l’algebre sym-bolique ; elle rejetterait aussi la consideration des valeurs multiples des racinessimples, ainsi que les racines negatives et impossibles des equations de degresuperieur ou egal a deux : seule cette espece d’algebre peut etre legitimementfondee sur l’arithmetique.[Le principe de permanence des formes equivalentes](A) : Toute forme qui est algebriquement equivalente a une autre quand elle estexprimee en symboles generaux doit continuer a lui etre equivalente, quel quesoit ce que ces symboles representent.(B) : Toute forme qui est decouverte en algebre arithmetique consideree commescience de suggestion, lorsque les symboles sont generaux dans leur forme, bienque specifiques dans leur valeur, doit continuer a etre une forme equivalentequand les symboles sont generaux dans leur nature aussi bien que dans leurforme.

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5.3 La controverse sur la quantification du predicat

Dans les annees 1845–1850 une controverse naıt entre deux mathematicienssur une algebraisation de la logique qui attira qqs mathematiciens a s’occuperde ce probleme.7 Il s’agit de Sir William Hamilton (1788–1856) ( != WilliamRowan Hamilton, algebriste), qui avait fait des voyages en Allemagne (1817 et1820) et etait devenu grand admirateur de la philosophie allemande (Kant, He-gel ..), (et y avait peut etre lu qqs ecrits sur l’algebraisation de la logique ?).

7Apparemment, l’idee d’une algebraisation de la logique est nee en Angleterreindependemment des evolutions en Allemagne au 18e siecle, bienque p.ex. John Venn (1834–1923) va citer Leibniz et Lambert plus tard dans son livre Symbolic Logic de 1881.

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En 1846, il ecriva “An essay on the new analytic of logical forms” qu’il pu-blia en 1850 (1846/1850) ou il proposa une quantification du predicat. Ceciprovoqua une replique de Augustus de Morgan (1806–1871), qui avait lui aussidecrit une telle quantification dans son Calculus of inference, necessary and pro-bable de 1847. Il s’ensuiva une controverse entre Hamilton et de Morgan sur laprioritequi attira George Boole vers la logique. La proposition de Hamilton estplutot d’ordre philosophique, chez de Morgan par contre on voit l’introductiond’elements algebriques, sans que pour cela un systeme complet se forme.

5.4 Les Travaux de George Boole

George Boole (1815–1864), ne a Cork en Irlande (alors part du R.U.), avantde se devouer a la logique, commenca sa carriere de mathematicien avec desrecherches sur la methode des differences finies et l’analyse infinitesimale (p.ex.apres plusieurs articles, il publiera A treatise on the calculus of finite differencesen 1860). En fait, ses experiences avec les differences finies ne seront pas sansinfluence sur son oeuvre logique (cfr. Babbage). En 1847, apres la controverseHamilton-De Morgan, il publie The Mathematical Analysis of Logic, being anessay towards a calculus of deductive reasoning (1847) et plus tard son oeuvremajeur ou il developpe ce qu’on appelle aujourd’hui la logique booleenen, AnInvestigation of the Laws of Thought, on Which are Founded the MathematicalTheories of Logic and Probabilities (1854). Les travaux de Boole sur la logiquesont ignores par De Morgan et Hamilton, mais etudies et developpes par WilliamStanley Jevons (1835–1882) en Angleterre, Charles Sanders Peirce (1839–1914)aux Etats-Unis, Ernst Schroder en Allemagne ((1841–1902, 1877) et GiuseppePeano en Italie (1858–1932, 1888)... Il sera au commencement de la logiquesymbolique, ce qui implique, que la logique devient une discipline mathematique,et qu’on etudiera la logique comme une structure, un algebre.

Extrait de Boole Here, however, the analogy of the present system withthat of algebra, as commonly stated, appears to stop. Suppose it true that thosemembers of a class x which possess a certain property z are identical with thosemembers of a class y which possess the same property z, it does not followthat the members of the class x universally are identical with the members of theclass y. Hence it cannot be inferred from the equation zx = zy, that the equationx = y is also true. In other words, the axiom of algebraists, that both sides of anequation may be divided by the same quantity, has no formal equivalent here. Isay no formal equivalent, because, in accordance with the general spirit of theseinquiries, it is not even sought to determine whether the mental operation whichis represented by removing a logical symbol, z, from a combination zx, is in itselfanalogous with the operation of division in Arithmetic. That mental operation isindeed identical with what is commonly termed Abstraction, and it will hereafterappear that its laws are dependent upon the laws already deduced in this chapter.What has now been shown is, that there does not exist among those laws anythinganalogous in form with a commonly received axiom of Algebra.But a little consideration will show that even in common algebra that axiom does

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not possess the generality of those other axioms which have been considered. Thededuction of the equation x = y from the equation zx = zy is only valid whenit is known that z is not equal to 0. If then the value z = 0 is supposed to beadmissible in the algebraic system, the axiom above stated ceases to be applicable,and the analogy before exemplified remains at least unbroken.15. However, it is not with the symbols of quantity generally that it is of anyimportance, except as a matter of speculation, to trace such affinities. We haveseen (II. 9) that the symbols of Logic arc subject to the special law,x2 = xNow of the symbols of Number there are but two, viz. 0 and 1, which are subjectto the same formal law. We know that 02 = 0, and that 12 = 1 ; and the equationx2 = x, considered as algebraic, has no other roots than 0 and 1. Hence, insteadof determining the measure of formal agreement of the symbols of Logic withthose of Number generally, it is more immediately suggested to us to comparethem with symbols of quantity admitting only of the values 0 and 1. Let usconceive, then, of an Algebra in which the symbols x, y, z, &c. admit indifferentlyof the values 0 and 1, and of these values alone. The laws, the axioms, and theprocesses, of such an Algebra will be identical in their whole extent with the laws,the axioms, and the processes of an Algebra of Logic. Difference of interpretationwill alone divide them. Upon this principle the method of the following work isestablished.

Quelques elements de la logique de Boole Au lieu de considerer un termex comme idee ou concept, il considere x comme une classe (ensemble d’objets).Ou bien une classe existe, ou elle n’existe pas, alors vrai=1 ; faux=0, donc, leconverse de p est 1−p (ceci resoud le probleme de la negation cfr. Leibniz !). Surces classes on eput definir les operations arithmetiques (on forme un algebre) :La multiplication donne l’intersection de deux classes, l’addition est l’union.Finalement, la loi centrale chez Boole est la Law of duality x2 = x.Maintenant il devient possible un calcul algebrique de la syllogistique classique(cfr. Leibniz) :

* Tous x sont y : x = xy* Aucun x est y : xy = 0

Ainsi qu’un calcul des propositions, avec operateurs OU, ET et PAS :* x ou y : 1− (1− x)(1− y) = x + y − xy* pas x et pas y : x− 2(xy) + y

Finalement, on peut commencer le developpemnt des fonctions logiques, d’apresle modele de calcul infinitesimal :

* L’expansion de Taylor d’une fonction autour de a :f(x) = f(a) + f ′(a)(x− a) + f ′′(a)(x−a)2

2! + . . . + f(n)(a)(x−a)n

n! + Rn

* Formule d’interpolation avec les differences finies :y = y0 +"y0(x− x0) +"2y0(x− x0)(x− x1) + ...

* avec x symbole logique : f(x) = f(1)x + f(0)(1− x)* avec x, y symboles logiques : f(x, y) = f(1, 1)xy + f(1, 0)x(1 − y) +

f(0, 1)(1− x)y + f(0, 0)(1− x)(1− y)

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6 Le courant logiciste : Une langue et une lo-gique pour les mathematiques

6.1 L’heritage de Leibniz et Boole

La reception de Boole se fait dans la deuxieme moitie du 19e siecle, dansplusieurs pays a la fois. Cette reception est coloree selon les nationalites, etsera inscrit dans une tradition qui revient au 17e-18e siecles. Avec l’edition dela correspondence et les manuscrits de Leibniz par C.I. Gerhard a partir de1849 on redecouvra Leibniz comme precurseur, ainsi que Lambert et Ploucquet(cfr. les travaux de Couturat). Pour distinguer cette nouvelle forme logique-mathematique de l’ancienne logique d’Aristote (ou “logique philosophique”) onappella souvent cette nouvelle logique, logique symbolique (surtout pays anglo-phones), ou logique formelle ou logistique (dans les pays germanophones plutot).

Pour la reception de Boole dans les pays germanophones, on peut nommer :– Robert Grassmann, Lehrbuch der Logik (1861)– Ernst Schroder (1841–1902), Algebra der Logik– Louis Couturat, La logistique (en France)

Dans les pays anglophones :– Charles Saunders Peirce– John Venn, Symbolic logic (1881)– C.I. Lewis, A survey of symbolic logic (1918)

Tous ces logico-mathematiciens se devoueront a developper de nouveaux systemesalgebriques qui puissent exprimer et representer de relations entre objets. Leurrelation a la logique gıt donc dans cette recherche a exprimer une multitudede relations entre les choses, mais l’elaboration en est maintenant plus dansl’intension (semantique), mais dans l’extension, cad., dans le formalisme, dansl’algebre. Leurs travaux seront importants plus tard, quand il s’agira de trou-ver un formalisme pour representer et calculer les meta-proprietes de systemesmathematiques (comme les demonstrations etc., voire la seance sur les limitesdes formalismes I)

Il y a, outre cette tradition de logique symbolique, un autre phenomene de lafin du 19e siecle qui est important pour nous, ce sont les projets ambitionnes demettre les mathematiques entieres sur un fondement logique, en utilisant un seullanguage. Ceci doit etre vu dans le contexte du temps (la periode des guerresentre la France et l’Allemagne de 1870 et la premiere Guerre Mondiale), tempsou maint projet est commence pour une langue universelle (comme Esperanto,Ido, Weltdeutsch, Basic English etc) et pour une sorte de bibliotheque ou archifde la connaissance universelle et mondiale (Wilhelm Ostwaldet sa Weltbiblio-thek, Paul Otlet et l’Institut International de Bibliographie ou le Mundaneum).Les projets de mettre toutes les mathematiques dans une seule forme, une formelogique chez plusieurs auteurs, entre dans cette sorte de philosophie, et heritentquelque peu de l’utopisme et de l’internationalisme de la periode autour de 1900.

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6.2 Aux fondaments de l’arithmetique

Un important probleme dans ce 2e moitie du 19e siecle etait de trouverun fondement axiomatique ou logique pour l’arithmetique elementaire. Main-tenant que l’arithmetique se retrouvait un peu partout dans les maths, plu-sieurs mathematiciens voulaient suppleer un fondement rigoreux pour cettearithmetique en tant qu’arithmetique, au dela de l’axiomatique qu’Euclide enavait donne. En particulier, l’induction comme methode de demonstration mathematiqueetait un probleme assez penible. L’induction est montrer que si qqc est vrai pourn, alors il sera vrai pour n + 1, et donc pour tous les nombres plus que n. Cetteidee puissante demandait une enonciation plus claire de +1 et des entiers commeserie allant a l’infini. Ceci etait essaye d’abord par Hermann Grassmann dansson Lehrbuch der Arithmetik (1861). Il voulait demontrer tout l’arithmetique defacon scientifique, cad. avec demonstrations et deductions completes. Il donnaune definition iterative du nombre (addition repete des unites) et des definitionsdes quatre operations utilisant cette definition du nombre. En Allemagne, cetessai evoque plusieurs criticismes et plusieurs autres essais. Pour en citer lesplus importants :

– Gottlob Frege, Grundlagen der Arithmetik (1884), critique de plusieursauteurs

– Des essais de Kummer, Helmholtz et Kronecker (1887)– Richard Dedekind, Was sind und was sollen die Zahlen ? (1888)

– Ce qui est prouvable, ne devrait pas etre cru dans les sciences sanspreuve...Comme je vois l’arithmetique comme une partie de la logique, jedis que le concept du nombre est completement independant des concep-tions ou idees de l’espace et du temps, que je le concois comme produitdirect des lois de la pensee pures.

– Definitions du nombre utilisant des ‘ensembles’, cad. des suites 0,1,2,...,n.N est p.e. le nombre qui contient tous les nombres n¡N, cad. la suite quicontient les sous-suites.

– Theoreme 66. Il y a des systemes infinis, utilisant la differenciation den et l’idee de n.

– Guiseppe Peano, Arithmetices Principia, nova methodo exposita (1889),systeme axiomatique pour l’arithmetique.

6.3 Le projet de Gottlob Frege (1848–1925)

Gottlob Frege est souvent vu comme le plus important logicien apres Aristote(souvent ensemble avec Godel p.ex.). En effet, il a renouvele l’etude de la logiqueavec un projet ambitionne, cad. montrer qu’on pouvait trouver un fondementpour toutes les mathematiques (pas seulement l’arithmetique) dans la logique,cad. un projet de logification des mathematiques. Le livre ou Frege exposa sonsysteme de logique est le Begriffsschrift, eine der arithmetische nachgebildetenFormelsprache des reinen Denkens (1879), ou il proposa de ne pas seulementutiliser des propositions en logique mais aussi fonctions, l’atout exprime dansun seul language, la Formelsprache.

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Apres 1879, Frege commenca a la realisation de son projet. D’abord avec lapublication des Grundlagen der Arithmetik (1884), ou il critiqua severement lesessais de fondements pour les entiers. Frege par contre, commenca a definir lesnombres a partir de zero, et en utilisant des relations entre les nombres commeconcepts avec une extension :

i. le concept F ist en nombre egale (gleichzahlig) avec le concept G,s’il y une relation φ qui peut coordonner uniquement tous les chosessous F aux choses sous Gii. le nombre qui est atttribue au concpet F est l’extension (Umfang)du concept“en nombre egale au concept F”iii. O est le nombre qui est attribue au concept “inegale a soi-meme”iv. 1 est le nombre qui est attribue au concept “egale a zero” ou bien,1 suit directement 0 dans la suite des nombres naturelsv. 2 est le nombre qui est attribue au concept “egale a zero ou a uns”

Dans les annees 1891–1892, il publia trois essais ou il developpe ses conceptslogiques : “Fonction et concept” ; “Concept et objet” et “Sens et denotation”.Finalement, il publia en 1893 le premier volume des Grundgesetze der Arith-metik, ou il “logifie” une grande partie des mathematiques, le deuxieme volumen’apparaıtre qu’en 1903, mais deviendra presqu’obsolete des son apparition, acause des critiques de B. Russell.

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6.4 Le projet de Giuseppe Peano (1858–1932)

L’Italien Peano est un representant typique des courant internationalistes deson epoque. Il etait l’inventeur d’une langue universelle, De latino sine flexione(1903), une sorte de latin simplifie, et aussi partisan de l’esperanto. Ses pro-jets mathematiques sont concus dans le meme esprit. Peano voulait etablir unelangue de signes pour toutes les mathematiques, non seulement pour “logifier”les mathematiques (comme chez Frege ou Russell), mais explicitement aussicomme language internationale de la communate des mathematiciens. Pourcela, Peano et ses collaborateurs (Burali-Forti, Fano, Vivanti...) definissaientune langue, le Formulaire mathematique, edite en cinq volumes (1895–1903)pour successivement etablir des signes pour toutes les parties des maths, avecdes actualisations si de nouvelles parties etaient developpees. Cette langue etaitaussi utilisee dans le revue de Peano, Rivista di Matematica.

L’application de la notation de Peano aux mathematiques avait une doublefinalite : D’abord, traduire les maths dans une seule langue, et en faire desmaths divers un seul ensemble de suites de derivations sans lacunes (commechez Frege) ; mais aussi etablir un repertoire ou encyclopedie des maths dans unelangue unique comprise par tout mathematicien. La traduction des maths dansla langue de Peano se faisait par axiomes et deductions, et pour l’arithmetique ildonna une telle exposition dans ses Arithmetices Principia, nova methodo expo-sita (1889), ou on trouve les axiomes utilises encore aujourd’hui pour l’arithmetiqueelementaire (les axiomes sont inspires par Dedekind, il faudrait ajouter).

Peano cite Leibniz, Lambert et Boole comme precureurs :Un avantage des notations de Logique Mathematique, qui a aussison importance, est leur concision. Le volume actuel contient un en-semble de propositions et demonstrations, qui, pour etre enonceespar la langage ordinaire, exigent, au moins, dix volumes comme lepresent.Le Formulaire maintenant, par l’abondance des propositions, de in-dications historiques et bibliographiques, joue le role d’une Ency-clopedie...P.e. appelons a, b, c, d, ... les symboles du Formul, dansl’ordre convenu. Le §d contiendra successivement les propositionscomposees par les combinaisons suivantes : d, ad, bd, abd, cd, acd,bcd, abcdEn consequence, on trouvera ici la place d’une proposition, dejaecrite en symboles, a peu pres comme on trouve la place d’un moitdans un dictionnaire, mais en lisant la combinaison des signes dedroite a gauche.

6.5 Le projet de Bertrand Russell (1872–1970) et AlfredWhitehead

Bertrand Russell, Anglais ayant etudie la philosophie et les mathematiquesa Cambridge, rencontre Peano pendant une conference mathematique en 1900et revient enthousiasme en Angleterre. La, il commence, ensemble avec Alfred

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North Whitehead, a un projet de logification des maths, inspire par Peano etles Grundgesetze der Arithmetik de Frege. Ce projet sera ultimativement realisedans les trois volumes des Principia Mathematica, ecrits de 1902 a 1913. Unpoint tournant dans ce projet est le moment ou Russell decouvre un paradoxedans le systeme de Frege. Chez Frege, le concept de extension d’une idee (Be-griffsumfang) etait defini comme un ensemble et etait a la base de son systeme.Russell decouvre maintenant que p.ex. l’idee d’un ensemble des ensembles quine se contiennent pas eux-memes, ne peut pas etre defini dans le systeme logiquede Frege. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Russell (1902) :L’ensemble des ensembles qui n’appartiennent pas a eux-memes, appartient-ila lui-meme ? Si on repond oui, on contradicte la definition de cet ensemble.Mais si on repond non, alors, il a la propriete requise pour appartenir a lui-meme : contradiction de nouveau. Russel decrit son paradoxe dans une lettre aFrege (1902), et l’antinomie de Russell bouleverse le programme de Frege. Pourresoudre le probleme, Russell et Whitehead developpent la theorie des types,la un ensemble ne peut pas enoncer qqc sur le niveau de type dans lequel ilse situe lui-meme, pour faire une telle enonciation, il faut un ensemble d’unetype plus elevee, d’un niveau plus haut. Le projet de Russell et Whitehead seratres influentiel dans le monde mathematique et philosophique, il influencera desphilosophes comme Wittgenstein, et des mathematiciens comme Emil Post ouAlan Turing. Leur projet evoquera aussi de fortes reactions contre.

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7 La crise des fondaments : Qu’est-ce les mathematiqueset que peuvent-elles faire ?

La croissance des mathematiques autour de 1900, en peu partout dans lemonde, avait comme effet une reflexion generale sur la “nature” et sur lespossibilites et/ou limites des mathematiques. Plusieurs developpements, assezindepedants, contribuaient a aiguiser des questions epistemologiques sur les ob-jets et structures mathematiques.8 Dans la version classique de cette partiede l’histoire de la logique, les reponses a cette question existentielle sur lanature et l’extension des mathematiques sont regroupees dans trois groupes.Premierement, les logicistes, qui veulent un fondement logique pour les mathematiques(Frege, Russell, voir la seance sur les programmes logicistes). Deuxiement, lesformalistes, qui considerent les mathematiques comme un systeme formel, presquecomme un jeu de signes (Hilbert et autres). Troisiement, les intuitionnistes, quicritiquent certains aspects des programmes formalistes (Brouwer et autres). Cestrois courants ne se laissent pas si aisement differencier dans la pratique, et il ya encore bien d’autres idees qui circulent aussi.

7.1 Developpements en mathematiques : Arithmetisation,ensembles et systemes axiomatiques

Plusieurs developpements en mathematiques menent a des questions fonda-mentales sur la forme et le sujet des mathematiques. On peut citer ces developpementsen arithmetique, en geometrie et en analyse

Fondements de l’arithmetique Voir la seance sur les programmes logicistes

D’un systeme axiomatique a une pluralite d’axiomatiques Classique-ment la systematique des mathematiques est derivee des anciens Grecs, duschema des Elements d’Euclide. C’est-a-dire, des definitions, des axiomes, despostulats et puis les demonstrations de theoremes, demonstrations qui utilisentdefinitions axiomes et postulats.9 Sujet a des discussions depuis le 16e siecleetait le cinquieme postulat d’Euclide :

si une droite tombant sur deux droites, fait les angles interieurs dumeme cote plus petits que deux droits, ces deux droites, prolongeesa l’infini, se rencontreront du cote ou les angles sont plus petits quedeux droits

8Il faudrait ajouter, pour avoir une vue plus complete encore des debats de cette periode,les problemes que posaient les innovations dans la physique mathematique, cad. la theorie derelativite d’Einstein et la mecanique quantique. La aussi, il etait clair que les idees recues d’unautre siecle ne valaient plus tel quel.

9La difference entre axiomes et postulats n’est pas trop claire et a ete sujet de longuesdiscussions. En general, on dit que les axiomes sont des propositions qui sont vraies et quetout le monde accepte comme vrai, des verites evidentes ; tandis que les postulats sont aussides propositions qui sont vraies, mais ou la verite n’est pas si evidente, parce qu’elle naıt parconstruction p.ex., ou parce que la raison de la verite n’est pas claire.

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Ce postulat etait utilise pour les demonstrations avec les proprietes des paralleleset equivaut : “il y a justement une parallele qui passe par un point donne etavec une droite donnee”. Il y avait eu des recherches sur le postulat des pa-ralleles au XVIIIe siecle sur la question, est-ce un postulat, axiome ou peut onle demontrer ? Entre autres Giovanni Girolamo Saccheri (1667–1733), Euclidesab omni novo vindicatus, ou Euclide libere de toute tache, assume autres ver-sions du postulat et essaie d’en deduire les consequences ; ou encore JohannHeinrich Lambert (1728–1777), utilise de longues syllogismes pour en deduiredes contradictions (assumant autres versions du postulat), et n’en trouve pas.

Au 19e siecle, plusieurs mathematiciens, independemment l’un de l’autrearrivent a la conclusion qu’on peut substituer le postulat avec un autre, etqu’il s’en suit une autre geometrie que la geometrie classique euclideenne. Cesont l’Allemand Carl Friedrich Gauß (1777–1855, travaux non publies durantsa vie), le Hongrois Janos Bolyai (1802–1860) et le Russe Nicolaı IvanovitchLobatchevski (1792–1856). Le postulat est substitue par 1 ou 2 :

1. “la somme des angles d’un triangle est inferieure a deux droits” (“’il yait une infinite de paralleles passant par un point exterieur a une droitedonnee”)

2. “il n’existe aucune droite parallele a une droite donnee passant par unpoint exterieur a cette droite”

Partant de ces nouveaux postulats, on peut deriver et construire de geometriesneuves : geometrie hyperbolique et spherique, qui en et pour soi semblent va-lides et consistentes. Biensur, ces geometries ne semblent pas correspondre anotre intuition du monde (la spherique, on peut encore imaginer, l’hyperbo-lique beaucoup moins). Finalement, il s’ensuit la question, si un autre ensembled’axiomes et postulats mene a une autre geometrie, le statut des axiomes et pos-tulats change. Leur statut ne releve plus d’une evidence naturelle, mais devientconventionnelle, et on peut se demander si l’ensemble d’axiomes pour d’autressystemes mathematiques (comme l’arithmetique ou l’analyse) ne peuvent pasetre remplaces par des variantes.

La theorie des ensembles comme nouveau fondements L’analyse estpeut-etre l’une des plus importants disciplines en mathematiques, en tout cas,l’une avec le plus de succes et le plus de sous-disciplines et applications. Depuisles jours de Newton et Leibniz, on avait etendu le domaine de l’analyse, ajou-tant une formulation plus claire de ce qui est l’objet de l’analyse (les fonctions,Euler et Lagrange), et comment on peut fonder les methodes de prendre unelimite dans la differenciation et integration (Cauchy et Weierstrass). De nou-velles questions s’etaient offertes aussi, p.ex., toute fonction peut etre exprimeecomme une suite infinie de puissances de x’s, mais est-ce qu’il y d’autres fonc-tions autres que les series de puissances qui peuvent faire ca ? La reponse estoui, comme le montrera Fourier au debut du 19e siecle : Toute fonction peutetre exprime comme l’addition de fonctions trigonometriques. Cette decouverteetait important pour la solution de certaines equations differentielles et pourdes applications de l’analyse aux phenomenes physiques comme la chaleur, le

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son etc. Malheureusement, tout en essayant de generaliser enocre les resultatsde Fourier, il devenait clair au long du 19e siecle, qu’on pouvait construire desfonctions qui ne se laissaient pas “reconstruire” en fonctions trigonometriques,et qu’il devenait donc necessaire de recommencer la reflexion sur ce qui est unefonction.

Une reponse a ces question fut fourni par Georg Cantor avec la realisationde la theorie des ensembles. Cette theorie etait l’issue de plusieurs annees derecherche (1874–1897), et aussi de correspondance avec Richard Dedekind. Pourciter quelques des etapes importants :

1. L’ensemble de Cantor (1883)2. “Grundlagen einer allgemeinen Mannigfaltigkeitslehre” (“Fondements d’une

theorie generale des agregats”) (1884)3. La methode de diagonalisation de Cantor (1891, elabore dans la corres-

pondance avec Dedekind)4. “Beitrage zur Begrundung der transfiniten Mengenlehre” (1895–1897)

L’un des resultats importants est la differenciation entre plusieurs sortes d’in-finis : L’ensemble des nombres naturels correspond a aleph 0, tandis que l’en-semble des nombres reels a aleph 1. Cantor avait construit une echelle de aleph’s,et avait pose l’hypothese du continu : La puissance du continu est un cardinalforcement superieur ou egal au cardinal suivant immediatement le denombrable.La theorie de Cantor fut generalement recu avec beaucoup d’enthousiasme enAllemagne, comme nouveau fondement de l’analyse, mais attirait aussi des cri-tiques severes, a cause du caractere quelque peu obscure des nouveaux concepts(p.ex. critiques de Poincare).

7.2 Le programme formaliste de David Hilbert

Le tournant de 1900, le passage du 19e au 20e siecle, en mathematiques estdomine par deux mathematiciens : Henri Poincare (1854–1912) en France etDavid Hilbert (1862–1943) en Allemagne. A partir de 1895 Hilbert etait devenuprofesseur a Gottingue. Ensemble avec Felix Klein, Hilbert fera de l’univer-site de Goettingue le centre international des mathematiques au debut du 20esiecle, et des Mathematische Annalen le plus prestigueux journal des maths.Hilbert organisait un vrai reseau de mathematiciens (69 doctorants !) et de pro-jets mathematiques a partir de son universite de Goettingue. Son renommeeattirait beaucoup d’etrangers (de Hongrie, Pologne, Etats-Unis, Scandinavie etPays-Bas), et il avait le talent (comme Poincare d’ailleurs) de formuler avecbeaucoup de rhetorique et insistence ses opinions.

Pour comprendre la position de Hilbert dans les debats sur les fondementsdes mathematiques, il est important de revenir a ce qu’on appelle le trau-matisme de jeunesse de Hilbert. Le premier resultat majeur du jeune Hilbertmathematicien (1888) etait une demonstration sur le calcul des invariants, demonstrationcherchee depuis longtemps, mais demonstration non-constructive, seulementexistentielle (il existe ...). Par cause de cette non-constructivite, l resultat n’estpas accepte par des anciens maıtres des mathematiques allemandes, Leopold

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Kronecker et Gordan, le dernier dit meme que la demonstration de Hilbert est“de la theologie”.10 Quand plus tard, p.ex., Cantor est critique, parce que sesensembles infinis semblent resister une interpretation concrete, Hilbert se metsur le cote de Cantor (“personne nous chassera du paradis que Cantor a cree”).

A partir de 1899, Hilbert commence a s’interesser dans les fondements desmathematiques, il publie les Grundlagen der Geometrie (1899). La, il remplaceles cinq axiomes usuels de la geometrie euclidienne par 21 axiomes :

– Axiomes d’appartenance : huit axiomes expriment le lien entre les notionsde point, de droite et de plan.

– Axiomes d’ordre : quatre axiomes definissent le terme « entre » et per-mettent de definir l’ordre des points alignes, coplanaires ou dans l’espace

– Axiomes de congruence : cinq axiomes definissent la notion de congruenceet de deplacement.

– Axiome des paralleles : il s’agit essentiellement du cinquieme axiome d’Eu-clide.

– Axiomes de continuite : il contient l’axiome d’Archimede et celui de l’integritelineaire.

En 1900, Hilbert donne la demonstration de consistence de ce systeme d’axiomespour la geometrie, mais elle repose sur la consistence des axiomes de l’arithmetique(Dedekind/Peano) et de la continuite (Dedekind), cad. sur les nombres reelles.

A partir de 1920, un programme de recherche en metamathematique (entretheorie des demonstrations, Beweistheorie) est lance par Hilbert et attirre beau-coup de chercheurs (Behmann, Schonfinkel, Bernays, Ackermann, von Neu-mann...). Le projet est influence par Frege et Russell/Whitehead, mais l’in-terpretation des signes ne joue plus un role, il s’agit plutot de l’etude de systemesformels. Un premier succes sera l’axiomatisation de la theorie des ensembles aGoettingue par Zermelo, Fraenkel et von Neumann (1904–...). Le programmede recherche de Hilbert insiste sur la forme des sytemes mathematiques, cad.l’interpretation reste hors du systeme, et on peut concevoir les maths commeun jeu d’echec, un jeu formel de signes, mais un jeu fini. Les premisses sont quetoutes les mathematiques doivent decouler d’un ensemble fini d’axiomes correc-tement choisis ; que les demonstrations sont faites avec des moyens finis (maispas necessairement constructifs !) et qu’il peut etre demontre que cet ensembleest coherent et consistent (comme p.ex. la geometrie). Chez Hilbert, on trouveune croyance tres accentuee qu’un tel projet doit aboutir, une croyance dans leprogres des sciences en general (“il n’y a pas de ignorabimus dans les maths” ;“wir muessen wissen, wir werden wissen”).

7.3 L’intuitionnisme de Luitzen E. J. Brouwer (1881–1966)

Le Neerlandais L.E.J. Brouwer a commence sa carriere en mathematiquespar des publications dans ce qu’on appelle aujourd’hui topologie. Hilbert l’ac-cueillait comme l’un des mathematiciens les plus prometteurs dans ce domaine.

10Plus tard, Hilbert trouvera une version constructive, avec des algorithmes explicits, quiest bien plus longue et complexe !

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Des les annees 1910 Brouwer s’engagea de plus en plus dans des reflexions philo-sophiques sur les mathematiques. Il se tourna contre le formalisme de Hilbert, etdeveloppa une autre theorie de la connaissance mathematique, l’intuitionnisme.Dans cette theorie epistemologique, le sujet et ses intuitions sont le point dedepart de toute connaissance, aussi mathematique, cette intuition commencesans forme ou signe dans le temps, se concretise en sequences causales et sematerialise finalement dans la langue ou des signes. La creativite humaine (etsa conscience et morale) joue un role primordiale dans tout ce processus.

Comme toute chose doit partir d’experience mentale, et en sequence causale,certaines formes de mathematiques sont exclues par Brouwer. En particulier,Brouwer construivit une forme de mathematique sans le principe du tiers ex-clu (logique intuitionniste). Des demonstrations ex absurdo, de pure existence,etaient donc plus possibles, mais Brouwer commenca un programme de recherchepour reconstruire les maths a partir de cette logique sans tiers exclue pour voirce qui restait. Ce plan sera publie en 1918, et trouva un sympathisant dans Her-mann Weyl qui publai “Uber die neue Grundlagenkrise der Mathematik” (1921).Il s’ensuivit un refroidissement et meme ennimite entre Brouwer et Hilbert quivoyait son programme en danger.

7.4 Reactions philosophiques sur le debat des fondements :Carnap, Wittgenstein et Husserl

A la suite de ces discussions sur les fondements de la connaissance mathematique,plusieurs philosophes s’interesserent aux mathematiques.11 Deux importantscourants philosophiques du 20e siecle naissent dans ce contexte : Le positivismelogique (ou empirisme logique) du Cercle de Vienne (Moritz Schlick, RudolphCarnap, Karl Popper...) ; et la phenomenologie d’Edmund Husserl.

Carnap (1891–1970) publia Der Logische Aufbau der Welt (1928) et Lo-gische Syntax der Sprache (1934), deux livres ou il veut appliquer une seulelangue pour decrire le monde de maniere scientifique et pour formaliser les voiesde decouverte scientifique. Il se voyait dans la tradition de Frege et Russell, maisplus que seulement logifier les maths, il voulait logifier tous les processus scien-tifiques. Les sciences s’appuyaient sur des observations empiriques, et celles-cidevaient etre verifiees et combinees par une langue unique. Cette langue etaitune sorte de logistique (logique formelle), mais plus tard il ajoutera d’autreslogiques a l’instrumentaire (p.ex. dans Meaning and Necessity : a Study in Se-mantics and Modal Logic, 1947). Avec la fuite de beaucoup de savants allemandset juifs a partir de 1933, cette philosophie arriva aussi aux Etats-Unis, ou elledeviendrait tres importante apres la deuxieme Guerre Mondiale. La philosophiedite analytique d’ajourd’hui est heritiere de l’empirisme logique.

Ludwig Wittgenstein (1889-1951) est aussi vu comme l’un des peres de la phi-losophie analytique moderne. Ses deux travaux majeurs sont Tractatus Logico-Philosophicus de 1921 et les Philosophische Untersuchungen de 1953. Dans ce

11Felix Klein avait attire aussi des chercheurs en histoire des maths, pedagogie des mathset philosophie a Goettingue.

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premier travail, Wittgenstein voulait entrer dans le projet de Frege et Russell,une analyse logique du monde, ou il veut etablir une correspondence entre leschoses du monde et les noms qui peuvent les designer, et deriver les relationsentre eux. Le resume fameux est le suivant : “On peut resumer le sens de celivre dans les mots : Ce qui se laisse dire, se laisse dire clairement ; et de quoion ne peut pas parler, sur ca on doit se taire.” Le role de la langue (logique)est primordiale chez Wittgenstein. Plus tard dans sa vie, il changera quelquepeu ses vues, comme le montrent les Philosophische Untersuchungen. Au lieude considerer le monde comme une projection entre choses, relations et mots,il va plutot concevoir l’application de langue comme l’issue de jeux de langue(Sprachspiel), et fonder sa theorie sur l’utilisation de la langue plutot que surune correspondencee a priori.

Husserl (1859–1938) etudia les maths sous Weierstrass et Kronecker et philo-sophie chez Brentano. Avec ses premiers travaux, il attira l’attenation de Frege,et il se devoua a la recherche des bases psychologiques pour les raisonnementsmathematiques et logiques (processus de l’intentionalite sur des objets p.ex.).Avec ses Logische Untersuchungen (1900), ou il etudie les syntheses passivesqui seraient a la base de la perception et d’enchaınements logiques, il devintprofesseur a Goettinge (de 1901–1916). Avec les travaux Ideen zu einer rei-nen Phanomenologie und phanomenologischen Philosophie (1913) ou il se voueplutot a des problemes metaphysiques, en particulier le probleme de l’intersub-jectivite, Husserl evoqua des reactions plutot negatives chez les mathematicienset logiciens qui le soutenaient avant. Avec l’un de ses derniers travaux, Die Kri-sis der europaischen Wissenschaften und die transzendentale Phanomenologie(1938), il critiqua les aspirations des sciences dites exactes dans leurs tendancesobjectivistes, et pretenda que toute science a ses racines dans la Lebenswelt,monde vecu d’experience, et qu’il faut pouvoir retourner a celui-ci pour eviterl’alienation entre science et monde. La philosophie de Husserl sera le point dedepart pour beaucoup de philosophes du 20e siecle, comme Heidegger, Sartre,Derrida.

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