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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/5 Pourquoi Bruxelles n’a jamais résorbé son «croissant pauvre» PAR LUDOVIC LAMANT ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 25 MARS 2016 La région bruxelloise et son bassin d'emploi. En son coeur, les communes où se concentrent les difficultés sociales. Carte: ULB / Etude dynamique des quartiers en difficulté / 2015. La région bruxelloise et son bassin d'emploi. En son coeur, les communes où se concentrent les difficultés sociales. Carte: ULB / Etude dynamique des quartiers en difficulté / 2015. Les caches de Salah Abdeslam et des frères El Bakraoui à Forest ou Molenbeek, ou encore les perquisitions menées à Schaerbeek mardi soir, ont un point commun. Tous ces sites appartiennent au « croissant pauvre » de Bruxelles, la zone la plus précarisée de la capitale, avec des taux de chômage des jeunes qui dépassent 30 %. L’histoire de 25 ans de politiques sociales à l’échelle de la région, qui n’ont pas réussi, sous-financées ou empêchées. De notre envoyé spécial à Bruxelles. - Durant ses 126 jours de cavale, Salah Abdeslam a occupé au moins trois planques : rue Bergé, à Schaerbeek (nord de Bruxelles), rue des Quatre-Vents, à Molenbeek, où il a été arrêté, et, semble-t-il, rue du Dries, à Forest (dans le sud de la région). Ce dernier appartement, perquisitionné le 15 mars, aurait été loué par Khalid El Bakraoui, l’un des kamikazes des attaques de Bruxelles du 22 mars. À son retour de Paris, le 14 novembre 2015 au petit matin, Abdeslam s’était fait déposer place Bockstael, dans une autre commune du nord de Bruxelles, Laeken, avant de rejoindre la place Lehon, à Schaerbeek. Enfin, mardi soir, des perquisitions ont eu lieu au 4, rue Max-Roos, encore à Schaerbeek, où l’on a découvert des explosifs, et dans une poubelle environnante, un ordinateur qui semble avoir été abandonné par Ibrahim El Bakraoui. Tous ces sites ne parleront pas aux Français qui seraient venus passer quelques jours dans la capitale belge, visiter l’Atomium ou la Grand-Place. Ils ne diront rien non plus à la plupart des expatriés installés à Bruxelles dans des quartiers plus cossus – et encore moins aux exilés fiscaux réfugiés à Uccle ou Woluwe- Saint-Pierre, dans le sud. Ils ont pourtant un point commun, bien connu des urbanistes et des élus du Royaume : ils se situent tous sur le « croissant pauvre », une zone qui s’étend le long du canal, dans l’ouest de la ville, à cheval sur sept des dix-neuf communes qui forment la région administrative de Bruxelles. C’est le secteur le plus densément peuplé de la région, le plus jeune, mais aussi le plus pauvre, avec des taux de chômage record (près de 25 % à Molenbeek, plus de 26 % à Saint-Josse). Sur ce terrain, les anciens logements ouvriers, épargnés par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui totalement vétustes, ont été récupérés par une population en grande partie immigrée. « Une partie du bâti reste terriblement décrépite, parfois à l'abandon. Il est donc plus facile d’y trouver une planque et un certain anonymat », précise Véronique Lamquin, journaliste au Soir. Depuis novembre, les projecteurs des médias internationaux sont braqués sur le vieux Molenbeek et sa population immigrée d’origine marocaine. En France, les responsables politiques semblent tous avoir un avis, à commencer par le ministre des finances Michel Sapin, sur la manière dont cette commune a laissé se développer le communautarisme au fil des décennies. Mais ce n’est qu’une pièce d’un puzzle plus vaste, à l’échelle d’une région, la capitale bruxelloise, qui peine à développer des politiques sociales ambitieuses, pour des raisons très variées. Il n’est pas question ici de réduire le phénomène de la radicalisation à des problématiques exclusivement socio-économiques, mais de donner à voir un « contexte spécifique belge et bruxellois », selon les mots du sociologue Eric Corijn, qui pourrait expliquer, par exemple, pourquoi le royaume de 11 millions d’habitants est le pays d’Europe qui envoie, en proportion, le plus grand nombre de jeunes en Syrie. La région bruxelloise et son bassin d'emploi. En son coeur, les communes où se concentrent les difficultés sociales. Carte: ULB / Etude dynamique des quartiers en difficulté / 2015. « Ce qui structure le croissant pauvre, c’est le canal industriel qui, au XIX e siècle, reliait le port d’Anvers sur la côte et la zone industrielle de Charleroi [dans le sud du pays – ndlr]. À l’époque, la

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Pourquoi Bruxelles n’a jamais résorbé son«croissant pauvre»PAR LUDOVIC LAMANTARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 25 MARS 2016

La région bruxelloise et son bassin d'emploi. En son cœur, les communes où se concentrentles difficultés sociales. Carte: ULB / Etude dynamique des quartiers en difficulté / 2015.

La région bruxelloise et son bassin d'emploi. En son cœur, les communes où se concentrentles difficultés sociales. Carte: ULB / Etude dynamique des quartiers en difficulté / 2015.

Les caches de Salah Abdeslam et des frères ElBakraoui à Forest ou Molenbeek, ou encore lesperquisitions menées à Schaerbeek mardi soir, ontun point commun. Tous ces sites appartiennent au« croissant pauvre » de Bruxelles, la zone la plusprécarisée de la capitale, avec des taux de chômagedes jeunes qui dépassent 30 %. L’histoire de 25 ans depolitiques sociales à l’échelle de la région, qui n’ontpas réussi, sous-financées ou empêchées.

De notre envoyé spécial à Bruxelles. - Durant ses126 jours de cavale, Salah Abdeslam a occupé aumoins trois planques : rue Bergé, à Schaerbeek (nordde Bruxelles), rue des Quatre-Vents, à Molenbeek, oùil a été arrêté, et, semble-t-il, rue du Dries, à Forest(dans le sud de la région). Ce dernier appartement,perquisitionné le 15 mars, aurait été loué par KhalidEl Bakraoui, l’un des kamikazes des attaques deBruxelles du 22 mars. À son retour de Paris, le 14novembre 2015 au petit matin, Abdeslam s’était faitdéposer place Bockstael, dans une autre communedu nord de Bruxelles, Laeken, avant de rejoindre laplace Lehon, à Schaerbeek. Enfin, mardi soir, desperquisitions ont eu lieu au 4, rue Max-Roos, encore àSchaerbeek, où l’on a découvert des explosifs, et dansune poubelle environnante, un ordinateur qui sembleavoir été abandonné par Ibrahim El Bakraoui.Tous ces sites ne parleront pas aux Français quiseraient venus passer quelques jours dans la capitalebelge, visiter l’Atomium ou la Grand-Place. Ils nediront rien non plus à la plupart des expatriés installésà Bruxelles dans des quartiers plus cossus – et encoremoins aux exilés fiscaux réfugiés à Uccle ou Woluwe-

Saint-Pierre, dans le sud. Ils ont pourtant un pointcommun, bien connu des urbanistes et des élus duRoyaume : ils se situent tous sur le « croissantpauvre », une zone qui s’étend le long du canal, dansl’ouest de la ville, à cheval sur sept des dix-neufcommunes qui forment la région administrative deBruxelles. C’est le secteur le plus densément peupléde la région, le plus jeune, mais aussi le plus pauvre,avec des taux de chômage record (près de 25 %à Molenbeek, plus de 26 % à Saint-Josse). Sur ceterrain, les anciens logements ouvriers, épargnés parles bombardements de la Seconde Guerre mondiale,aujourd’hui totalement vétustes, ont été récupérés parune population en grande partie immigrée. « Unepartie du bâti reste terriblement décrépite, parfoisà l'abandon. Il est donc plus facile d’y trouver uneplanque et un certain anonymat », précise VéroniqueLamquin, journaliste au Soir.Depuis novembre, les projecteurs des médiasinternationaux sont braqués sur le vieux Molenbeeket sa population immigrée d’origine marocaine. EnFrance, les responsables politiques semblent tous avoirun avis, à commencer par le ministre des financesMichel Sapin, sur la manière dont cette communea laissé se développer le communautarisme au fildes décennies. Mais ce n’est qu’une pièce d’unpuzzle plus vaste, à l’échelle d’une région, la capitalebruxelloise, qui peine à développer des politiquessociales ambitieuses, pour des raisons très variées. Iln’est pas question ici de réduire le phénomène dela radicalisation à des problématiques exclusivementsocio-économiques, mais de donner à voir un «contexte spécifique belge et bruxellois », selon lesmots du sociologue Eric Corijn, qui pourrait expliquer,par exemple, pourquoi le royaume de 11 millionsd’habitants est le pays d’Europe qui envoie, enproportion, le plus grand nombre de jeunes en Syrie.

La région bruxelloise et son bassin d'emploi. En son cœur, les communes où se concentrentles difficultés sociales. Carte: ULB / Etude dynamique des quartiers en difficulté / 2015.

« Ce qui structure le croissant pauvre, c’est le

canal industriel qui, au XIXe siècle, reliait le portd’Anvers sur la côte et la zone industrielle deCharleroi [dans le sud du pays – ndlr]. À l’époque, la

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Wallonie connaît la première révolution industriellesur le continent, immédiatement après l’Angleterre.Molenbeek s’appelle Little Manchester », raconte EricCorijn, sociologue à l’Université libre de Bruxelles(VUB) et l’un des spécialistes de l’urbanisme dela capitale. Outre Schaerbeek, Laeken et le vieuxMolenbeek, il faut ajouter, pour dessiner ce « croissantpauvre », « les bas » de Saint-Gilles et de Forest, dansle sud de la capitale, certains secteurs d’Anderlecht etenfin, des poches d’habitation du quartier historiquedes Marolles, connu pour ses marchés aux puces, dansla ville de Bruxelles (l’une des dix-neuf communes dela région Bruxelles-capitale).« Non seulement Bruxelles est une région pauvre, maiselle n’est absolument pas homogène », résume HenriSimons, un ancien conseiller en urbanisme PS de laville de Bruxelles, aujourd’hui à la tête de l’Atomium.L’une des tensions qui structure ce territoire de 161kilomètres carrés (1,15 million d’habitants), enclaveautonome en territoire flamand, c’est un centre pauvre,contre une périphérie aisée (à partir d’Ixelles au sud, etsurtout d’Uccle, Auderghem ou Woluwe-Saint-Pierre,qui forment, selon Simons, un « triangle riche » paropposition au « croissant pauvre » du centre). « C’estl’inverse d’une ville comme Paris, où ceux qui peuventse le permettre finissent par rentrer dans la ville,commente Eric Corijn. Ici, la bonne vie a toujoursété pensée dans les zones résidentielles dans le péri-urbain, au contact de la nature, avec des logementsindividuels et des lopins de terre, et l’on a laissé lecentre aux classes populaires. »Les urbanistes parlent de Bruxelles comme d’une «métropole horizontale » qui, à l’opposé de Londres,ne cesse de s’étaler hors de ses frontières, pour faireface à la progression de sa démographie. Après laSeconde Guerre mondiale, ce système fonctionnait,parce que les quartiers pauvres n’étaient qu’unsas d’entrée, dans lequel les nouveaux arrivantsrestaient quelques années, avant de déménager. Avecla désindustrialisation et le chômage de masse, lespopulations immigrées débarquées à partir des années1960 et 70 (Marocains et Turcs en priorité), souvent

dans les secteurs proches des deux gares (gare du Midiet gare du Nord), se sont trouvées « bloquées » dans lecentre, sans perspective.

« On parle toujours du port d’Anvers ou de lasidérurgie liégeoise, mais Bruxelles, dans les années1970, est la capitale industrielle du pays, avec 180 000emplois dans le secteur secondaire, précise Corijn. Àcause de la désindustrialisation, la mobilité sociale,dans ces quartiers où se sont installées les populationsimmigrées, va être stoppée. Et aujourd’hui, alorsque l’économie de Bruxelles s’est tertiarisée et aussidéveloppée dans les services aux personnes, ce nesont pas avec des chômeurs de l’industrie, que l’on varemplir les institutions européennes. » Corijn regretteque la ville n’ait pas su, comme Anvers par exemple,devenu centre international de la mode, ou Gand,autre ville flamande adossée à un réseau de start-upculturelles très dense, réinventer la présence d’une

activité manufacturière au XXIe siècle.

L’argent manque

Cette réalité n’est pas nouvelle. Elle est déjàbien documentée lorsque l’une des « réformes del’État » accouche, en 1989, de la création de larégion Bruxelles-capitale (qui chapeaute les dix-neuf communes). La Belgique est un État fédérald’une rare complexité avec, entre autres, troisrégions : la Wallonie au sud, la Flandre au nord etBruxelles-Capitale. À ces régions s’ajoutent, sans s’ysuperposer, des « communautés » linguistiques quidétiennent d’autres compétences (il y en a trois :la communauté Wallonie-Bruxelles, où l’on parlefrançais, la communauté flamande, où l’on parlenéerlandais, et la communauté germanophone, à lafrontière avec l’Allemagne). Dès les années 1990,le secteur du canal bruxellois est considéré commeune zone prioritaire d’intervention par l’ensemble despouvoirs publics. Des plans se succèdent. Depuis2014, en l’espace d’un an, pas moins de deux plansciblant le canal ont encore été dévoilés, l’un par larégion, l’autre par le gouvernement fédéral. Maisforce est de constater, 25 ans plus tard, que les pochesde pauvreté n’ont pas été résorbées. Pourquoi cetéchec ?

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Pour l’ex-échevin à l’urbanisme de la ville deBruxelles Henri Simons, la raison est simple : c’estd’abord parce qu’au-delà des plans et des promesses,l’argent manque. « Bruxelles produit 20 % de larichesse du pays, mais ne reçoit que 10 % du budgetdans la loi de financement des régions. Il faudraitau moins passer à 15 %. Cette région n’est passoutenue comme devrait l’être une capitale. Ellen’est pas financée à hauteur de ce qu’elle produit »,martèle Simons. Voici l’un des paradoxes bruxellois :la ville cumule les casquettes glorieuses qui font saréputation à l'international – capitales de la Flandre,du royaume de Belgique, mais aussi de l’Europeet de l’Otan – et elle reste pourtant totalementsous-financée. Le territoire est pris en étau par lesdeux autres régions qui font bien souvent la loi aufédéral, la Flandre et la Wallonie. L'équation esttellement bancale qu'une structure parallèle, Beliris,a été imaginée pour financer, depuis le fédéral,certains projets d'infrastructure lourds de la région deBruxelles, au coup par coup, et tenter de compenserles déséquilibres.

En bleur clair, le « croissant pauvre » de la région deBruxelles. © Institut bruxellois de statistique et d'analyse.

Ce n’est pas tout : la structure sociologique de larégion-capitale pose un redoutable problème fiscal,qui s’aggrave chaque année. Sur les 715 000 emplois àBruxelles, pas moins de 380 000 sont occupés par des «navetteurs », des gens qui font la navette, au quotidien,vers le centre de la capitale. En résumé, la majorité deceux qui travaillent à Bruxelles – et qui touchent parailleurs les revenus les plus confortables – ne paientpas leurs impôts là. « Bruxelles, où les pauvres sontnombreux, accueille tous les jours, en tant que capitaledu pays et centre d’emploi principal, une populationimportante qui n’y réside pas mais en utilise lesinfrastructures et y génère des coûts. Les dotationsdont la capitale bénéficie [en retour – ndlr] sont loinde compenser l’insuffisance du financement par lesimpôts régionaux », résume le géographe ChristianVandermotten (ULB, auteur de Bruxelles, une lecturede la ville).

Bruxelles est confrontée à un problème d’assisefiscale gigantesque : puisque les classes bourgeoisess’éloignent de plus en plus du centre, jusqu'àquitter la région bruxelloise, elle doit compter surune population déjà précarisée, souvent au chômage,pour boucler ses comptes. C’est mission impossible.Et les élargissements successifs de l’UE, associésà la prolifération des bureaux dans le quartiereuropéen, n'ont rien arrangé : ils ont encore un peuplus vidé le cœur de Bruxelles de ses habitants,et fait augmenter les prix de l'immobilier danscertains quartiers autrefois plus abordables, commeIxelles ou Saint-Gilles (on estime à 120 000 lenombre d’emplois directement liés à la présencedes institutions européennes à Bruxelles, lobbiescompris).Le problème, c’est que ni la Wallonie, ni la Flandre,n’ont intérêt à redessiner les frontières de la région deBruxelles-capitale (par exemple en les élargissant pourintégrer l’ensemble du bassin d’emploi bruxellois, quitouche 2,9 millions de personnes). « Les deux autresrégions ne vont jamais “donner” leur périphérie àBruxelles. Le Brabant flamand d’un côté, et le Brabantwallon de l’autre, sont devenues les provinces lesplus riches de Belgique », fait valoir Eric Corijn. «Prenez par exemple l’aéroport de Zaventem ou la zoneindustrielle autour de Diegem, en Flandre : tout celan’existe que parce que c’est à proximité de la capitale.D’un point de vue géographique, c’est le même bassind’emplois. Mais les Flamands veulent bien sûr garderles emplois chez eux », se désole Henri Simons. Laprésence, au sein de la coalition au pouvoir au fédéral,de la N-VA (droite indépendantiste flamande), trèsremontée contre la gestion par les autorités bruxelloisdes enjeux de sécurité, n’arrange rien.Au lendemain des attentats du 22 mars, le bourgmestre(maire) de la commune de Forest nous reçoit dans sesbureaux. Marc-Jean Ghyssels, socialiste de 53 ans,s’est trouvé au cœur de la tourmente médiatique, lasemaine dernière, après la perquisition menée rue duDries, qui a tourné à la fusillade. Deux individus ontéchappé aux tirs de la police ce jour-là, et il se pourraitbien qu’il s’agisse des frères El Bakraoui, devenusles kamikazes des attaques du 22. Lui n’avait même

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pas été prévenu de la perquisition : « On m’a appelépour me dire qu’il y avait des tirs dans la rue »,raconte-t-il. La commune de Forest, 55 000 habitants,s’est développée le long de chemins de fer, ceux queles Thalys empruntent à leur arrivée gare du Midi àBruxelles. Les touristes étrangers connaissent surtoutla salle de concert (Forest National), ou encore leWiels, un musée d’art contemporain aménagé dansd’anciennes brasseries, témoin du passé industriel deslieux.

« Les poches de pauvreté ne se résorbent pas aussivite que l’on voudrait, mais il y a des améliorationsdans certains secteurs. La vraie difficulté que l’on a,c’est l’emploi », reconnaît Ghyssels. Il insiste tout demême pour dire que les choses n’ont plus grand-choseà voir avec l’époque où Forest – c’était en 1991 –était devenu le théâtre des premières manifestations dejeunes originaires de l’immigration. Ce que certainsont décrit comme des « émeutes urbaines », dans lequartier de Mérode (une partie du fameux « croissantpauvre »), ont marqué les mémoires bruxelloises.

L’éducation, levier oublié ?

À Forest, une entreprise résume à elle seule la délicateéquation des communes bruxelloises. Le long deschemins de fer, le constructeur d’autos Audi a installéd’immenses hangars. C’est « le premier employeurde la région bruxelloise », assure le bourgmestre.Sur ce site, qui continue de s’étendre chaque année,quelque 3 000 ouvriers viennent travailler chaque jour,dont à peine… 300 Bruxellois. Les autres viennent deWallonie et de Flandre, et ne consomment rien surplace, puisqu’ils ne sortent pas des usines. « Un groupecomme Audi paie un impôt sur les sociétés qui vadirectement dans les caisses du fédéral, alors qu’elleprend 10 % environ du territoire de la commune »,explique, stoïque, le bourgmestre. C’est un exemple,parmi d’autres, du manque criant de marges demanœuvre budgétaire de la région de Bruxelles et deses communes. « Je ne crois pas qu’on va rouvrirce débat-là avec les attentats… Ce sont des partisflamands qui tiennent le fédéral en ce moment [en faitune coalition entre un parti francophone, le MR, ettrois partis flamands, dont la N-VA – ndlr] et je ne

crois pas qu’ils souhaitent rouvrir la boîte de Pandore.Il faudrait, pour le faire, que les Bruxellois soient enposition de force, et ce n’est pas le cas », juge-t-il.

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Dans ce contexte budgétaire ultra serré, les communesfont ce qu’elles peuvent, et misent sur la collaborationavec la région (socialiste, c'est-à-dire dans l'oppositionau niveau fédéral). Comme beaucoup d’autres,Ghyssels insiste sur les succès des « contrats dequartier », conclus entre la région et les communes,pour rénover certains des secteurs les plus défavorisés.Ici, une maison de quartier, là, une ancienne usinereconvertie en logement social… Pour le sociologueEric Corijn, « il ne faut pas tout dramatiser : certainespolitiques ont porté leurs fruits, et c’est le cas descontrats de quartier ». « Pourquoi nous n’avonspas, comme dans certaines banlieues françaises, desvoitures brûlées tous les ans à Molenbeek ou ailleurs?Le fait que nos pauvres vivent dans le centre-ville,a obligé les autorités à davantage “pacifier” ceslieux, dont certains sont tout de même situés à 500mètres de la Grand-Place, le cœur touristique de laville… » Ghyssels, le maire de Forest, renchérit : «Chez nous, il n’y a pas de zone où les policiers neseraient pas les bienvenus. Les relations entre lespoliciers et les habitants, quelle que soit leur origine,se passent bien », assure-t-il. Lui regrette toutefoisla disparition, depuis 2000, des dix-neuf policescommunales, remplacées par six districts de forcesde sécurité. « La police communale nous permettaitd’avoir des retours sur ce qu’il se passait dans lesquartiers. Maintenant, les policiers connaissent moinsbien le terrain, et l’histoire de la commune, c’est unproblème », juge-t-il.Pour Eric Corijn, il ne faudrait pas oublier, dansce tableau peu réjouissant, de parler d’éducation. ÀBruxelles, l’enseignement n’a pas été utilisé commeun levier d’intégration des populations les plusfragiles. Pourtant, un tiers des enfants scolarisés àBruxelles vivent dans des familles sans revenus dutravail. Pourquoi l’éducation a-t-elle été oubliée encours de route ? On en revient au mille-feuilleinstitutionnel de la Belgique : l’éducation, c’est lacompétence exclusive des communautés, et non des

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régions. En résumé, c’est la Wallonie qui fixe lecadre d’enseignement des francophones à Bruxelles,y compris d’un public immigré (a priori plusfrancophone que néerlandophone…) qui mériteraitpeut-être une attention plus particulière. Les appels à« régionaliser l’éducation » (c’est-à-dire en faire unecompétence exclusive de la région de Bruxelles) semultiplient depuis des années déjà.« C’est l’une des clés du problème, juge Corijn. Unegrande base de jeunes, surtout des garçons, sonten manque de perspectives professionnelles. Ils ontle sentiment, et je pense parfois à raison, que lasociété leur ment, et leur demande de faire des efforts

qui, de toute façon, n’aboutiront pas. On ne réussirapas à faire de tous les jeunes d’origine marocainedu centre de Bruxelles des “eurocrates”, ce n’estpas vrai. Alors, certains décident de se replier sureux-mêmes, et parfois tombent dans la délinquance.» Afin d’inverser la tendance, il faudrait peut-êtrereconnaître, de manière plus forte, la spécificitéd’un « fait bruxellois », multiculturel, par-delà lescommunautés flamande ou wallonne. Des initiativesculturelles bruxelloises, comme la Zinneke Parade,ou le KunstenFestivaldesArts, indiquent la voie.Mais le royaume dans son ensemble n’en est pasencore là.

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