9
Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0985-0562(01)00083-8/FLA Nutrition et cancer Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques Éric Lerebours , Pierre Déchelotte, Pierre Michel Groupe ADEN (Appareil Digestif Environnement et Nutrition) et service d’Hépato-Gastroentérologie et Nutrition, hôpital Charles Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen, France Résumé La cachexie est un phénomène complexe, aggravant le pronostic, lié à une diminution des apports et à des perturbations métaboliques spécifiques de l’hôte. L’anorexie, d’origine multifactorielle, n’est pas dépendante d’une augmentation des concentrations de leptine. Les perturbations métaboliques de l’hôte associent une augmentation inconstante et de faible amplitude des dépenses énergétiques et des perturbations spécifiques du métabolisme glucidique et lipidique. Les mécanismes moléculaires de la diminution de la masse musculaire, élément clé de la cachexie cancéreuse, commencent à être mieux connus. Elle est due non seulement à une augmentation du catabolisme protéique mais également à une diminution des phénomènes de synthèse et de réparation tissulaire. La protéolyse accrue est liée principalement à l’activation du système ubiquitine- protéasome sous l’action d’un facteur « cachectisant », le PIF (Proteolytic inducing factor ), alors que le rôle des cytokines reste plus controversé. Les progrès dans la compréhension des mécanismes de la cachexie ouvrent des perspectives pour le développement de nouvelles voies thérapeutiques. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anorexie / cachexie / catabolisme protéique / dénutrition / muscle Summary – Cancer cachexia: physiopathology. Cachexia is a complex syndrome characterized by a decrease in nutritional intake and specific metabolic abnormalities in the host. Anorexia is a multifactorial phenomenon mainly of unknown origin which is not related to an increase in leptin level. Metabolic alterations in the host include an inconstant and weak hypermetabolism and specific perturbations in carbohydrate and lipid metabolism. Skeletal muscle wasting is the main feature of cachexia. There is a consensus on the view that muscle wasting is related not only to muscle catabolism but also to a decrease in the synthesis of new myofibrils and muscle proteins. Muscle protein catabolism is mainly related to an increase in ubiquitin-proteasom pathway by the cachectic factor PIF (Proteolysis inducing factor). Better understanding of the mechanisms of cachexia offers new targets for the development of specific therapeutic approach of cachexia. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anorexia / cachexia / malnutrition / muscle / protein breakdown La cachexie cancéreuse est un syndrome complexe de définition imprécise, caractérisé par une perte de la masse protéique musculaire, une diminution de la masse grasse, une anorexie, une asthénie et des perturbations métaboliques spécifiques [1 – 3]. La prévalence de la cachexie varie selon la localisation et l’extension tumorale [4]. Quarante à quatre vingt pour cent des malades développent un état de dénutrition pouvant aller jusqu’à la cachexie. Ce sont les cancers du tube digestif et des voies aérodigestives supérieures qui Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (E. Lerebours). s’accompagnent le plus fréquemment d’une dénutrition. Au cours du cancer de l’estomac et du pancréas, la prévalence de la dénutrition est supérieure à 80 % [5]. Dans le cancer du pancréas, la perte de poids est de 14 % au moment du diagnostic et de 24 % lors du décès [6]. La cachexie serait la cause du décès des patients dans 22 % des cas [7] et la dénutrition est associée à une augmentation de la morbidité, notamment infectieuse, et à une moindre réponse à la chimiothérapie. En réalité, la moindre efficacité de la chimiothérapie est liée au fait que 257

Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques

Embed Size (px)

Citation preview

Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0985-0562(01)00083-8/FLA

Nutrition et cancer

Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques

Éric Lerebours∗, Pierre Déchelotte, Pierre Michel

Groupe ADEN (Appareil Digestif Environnement et Nutrition) et service d’Hépato-Gastroentérologie et Nutrition, hôpitalCharles Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen, France

RésuméLa cachexie est un phénomène complexe, aggravant le pronostic, lié à une diminution des apports et à desperturbations métaboliques spécifiques de l’hôte. L’anorexie, d’origine multifactorielle, n’est pas dépendanted’une augmentation des concentrations de leptine. Les perturbations métaboliques de l’hôte associent uneaugmentation inconstante et de faible amplitude des dépenses énergétiques et des perturbations spécifiquesdu métabolisme glucidique et lipidique. Les mécanismes moléculaires de la diminution de la masse musculaire,élément clé de la cachexie cancéreuse, commencent à être mieux connus. Elle est due non seulement àune augmentation du catabolisme protéique mais également à une diminution des phénomènes de synthèseet de réparation tissulaire. La protéolyse accrue est liée principalement à l’activation du système ubiquitine-protéasome sous l’action d’un facteur « cachectisant », le PIF (Proteolytic inducing factor ), alors que le rôle descytokines reste plus controversé. Les progrès dans la compréhension des mécanismes de la cachexie ouvrentdes perspectives pour le développement de nouvelles voies thérapeutiques. 2001 Éditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS

anorexie / cachexie / catabolisme protéique / dénutrition / muscle

Summary – Cancer cachexia: physiopathology.Cachexia is a complex syndrome characterized by a decrease in nutritional intake and specific metabolicabnormalities in the host. Anorexia is a multifactorial phenomenon mainly of unknown origin which is not relatedto an increase in leptin level. Metabolic alterations in the host include an inconstant and weak hypermetabolismand specific perturbations in carbohydrate and lipid metabolism. Skeletal muscle wasting is the main feature ofcachexia. There is a consensus on the view that muscle wasting is related not only to muscle catabolism but alsoto a decrease in the synthesis of new myofibrils and muscle proteins. Muscle protein catabolism is mainly relatedto an increase in ubiquitin-proteasom pathway by the cachectic factor PIF (Proteolysis inducing factor). Betterunderstanding of the mechanisms of cachexia offers new targets for the development of specific therapeuticapproach of cachexia. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

anorexia / cachexia / malnutrition / muscle / protein breakdown

La cachexie cancéreuse est un syndrome complexe dedéfinition imprécise, caractérisé par une perte de lamasse protéique musculaire, une diminution de la massegrasse, une anorexie, une asthénie et des perturbationsmétaboliques spécifiques [1 – 3].

La prévalence de la cachexie varie selon la localisationet l’extension tumorale [4]. Quarante à quatre vingt pourcent des malades développent un état de dénutritionpouvant aller jusqu’à la cachexie. Ce sont les cancers dutube digestif et des voies aérodigestives supérieures qui

∗ Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail :[email protected] (E. Lerebours).

s’accompagnent le plus fréquemment d’une dénutrition.Au cours du cancer de l’estomac et du pancréas, laprévalence de la dénutrition est supérieure à 80 % [5].Dans le cancer du pancréas, la perte de poids est de 14 %au moment du diagnostic et de 24 % lors du décès [6].La cachexie serait la cause du décès des patients dans22 % des cas [7] et la dénutrition est associée à uneaugmentation de la morbidité, notamment infectieuse, età une moindre réponse à la chimiothérapie. En réalité, lamoindre efficacité de la chimiothérapie est liée au fait que

257

Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65 E. Lerebours et al.

les patients dénutris sont plus fréquemment exposés à unetoxicité médicamenteuse et justifient donc plus souventd’une réduction de dose [8].

La cachexie cancéreuse est un phénomène complexe,d’origine multifactorielle, lié à deux facteurs principaux :une réduction des apports et des perturbations spéci-fiques du métabolisme de l’hôte, dominées par une ré-duction majeure de la masse protéique musculaire [9,10]. Ces perturbations métaboliques sont dues à uneproduction anormale de médiateurs produits par l’hôteet par la tumeur : cytokines, hormones et substances« cachectisantes » d’origine tumorale [11, 12].

Sur le plan métabolique, la perte de poids liée au can-cer diffère de celle due à une simple carence d’apport [9].Lors du jeûne court, glucose et acides aminés sont mobi-lisés du foie et du muscle pour répondre à la demandemétabolique. Lorsque le jeûne se poursuit, les lipidesdeviennent le substrat énergétique préférentiel pour pré-server la masse protéique. En revanche, au cours de lacachexie cancéreuse, cette adaptation métabolique ne seproduit plus. Le bilan azoté reste fortement négatif, quelque soit le niveau des apports nutritionnels, ce qui ex-plique l’échec des approches purement nutritionnelles dela cachexie cancéreuse. Le profil métabolique particulieret la composition différente de la perte de poids obser-vés chez le malade cancéreux par rapport aux données dujeûne prolongé démontrent que la réduction des apports,si elle joue un rôle clé, n’est pas le seul facteur en causedans la genèse de la cachexie cancéreuse.

RÉDUCTION DES APPORTS

La réduction des apports est le principal facteur expli-quant la survenue d’une dénutrition au cours du cancer.Plusieurs causes de réduction des apports sont souventassociées chez le même malade : anorexie, obstacle mé-canique au cours des cancers ORL ou digestifs, syndromeocclusif ou subocclusif lié à une carcinose péritonéale, ef-fets secondaires des traitements radiochimiothérapiquessur le tube digestif.

Cependant, l’anorexie est, chez la très grande ma-jorité des patients, le principal facteur responsable dela diminution des apports. Trente à 75 % des maladessont anorectiques selon la localisation de la tumeur [13].Pour l’essentiel, malgré les travaux récents, la physio-pathologie de l’anorexie chez le malade cancéreux resteinexpliquée. Certains facteurs jouent de façon évidenteun rôle majeur mais non spécifique : diminution del’apport liée aux modifications du goût et de l’odorat,syndrome dépressif, douleurs, effets secondaires diges-tifs et anorexigènes des traitements, retentissement surla prise alimentaire des troubles de la motricité digestivegastro-intestinale. En revanche, il n’est pas démontré quel’existence d’une malabsorption puisse seule retentir surla prise alimentaire, chez l’homme, comme en témoigne

indirectement l’hyperphagie compensatrice observée encas de syndrome de grêle court.

De très nombreux travaux expérimentaux se sont atta-chés, au cours des dernières années, à rechercher le rôle decertains médiateurs sur la réduction de la prise alimentaireobservée au cours du cancer [11, 14]. La régulation de laprise alimentaire est un phénomène complexe résultant del’intégration de messages centraux et périphériques. Lesprincipaux facteurs étudiés ont été les substances séro-toninergiques, les cytokines, le neuropeptide Y et, plusrécemment, la leptine [11].

L’activité sérotoninergique au niveau hypothalamiquesupprime l’appétit. Une augmentation du contenu en tryp-tophane libre, précurseur de la sérotonine, a été mise enévidence chez les malades cancéreux. Cette augmentationa été corrélée à la réduction de la prise alimentaire. Il estdifficile, sur le plan méthodologique, de démontrer le rôledes cytokines sur la prise alimentaire [14]. En effet, lescytokines agissent essentiellement par un mécanisme pa-racrine et autocrine, difficile à mettre en évidence. Lescytokines peuvent donc être impliquées, non seulementen cas d’augmentation des concentrations plasmatiques,mais également en cas de synthèse locale accrue au niveaudes différentes zones du cerveau. Chez le rat, il existe, àun stade précoce du cancer de la prostate, une augmen-tation de l’expression des ARN messagers (ARNm) del’interleukine 1β, dans certaines zones de l’hypothala-mus et du cortex. Ce résultat suggère que la tumeur induitdes perturbations qui vont secondairement être à l’origined’une sécrétion intracérébrale de cytokines. L’adminis-tration intracérébrale de cytokines nécessite des doses500 à 1000 fois plus faibles que celles nécessaires parvoie périphérique pour induire une anorexie [14]. Desétudes utilisant des animaux invalidés pour le gène del’IL6, de l’IL12, de l’IFN γ et du TNFα suggèrent que,à l’exception de l’IL6, les cytokines sécrétées par la tu-meur jouent un rôle plus important que les cytokinessécrétées par l’hôte dans la cachexie cancéreuse et notam-ment dans la réduction des apports alimentaires [15]. Lesprincipales cytokines anorexigènes sont l’IL1, l’IL8 et leTNFα. L’étude du rôle des cytokines est rendue complexepar l’existence d’interactions cytokines-cytokines, les cy-tokines agissant en cascade sur la production d’autrescytokines, et d’interactions cytokines-neuropeptides. Leneuropeptide Y, qui augmente la prise alimentaire, peutpar exemple bloquer l’effet anorexigène des cytokines, et,inversement, les cytokines inhibent la prise alimentaire in-duite par le neuropeptide Y. Les cytokines peuvent induirela libération d’hormones satiétogènes comme la cholécys-tokinine (CCK), le glucagon et surtout leCorticotropinReleasing Factor(CRF) qui est un puissant anorexigène.

La leptine est une protéine de 16 kDa, synthétisée etsécrétée principalement par le tissu adipeux en fonction

258

Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65

Figure 1. Contrôle de la prise alimentaire : voie de la leptine etdes mélanocortines. MC4R : récepteur de type 4 aux mélanocortines.AGRP : agouti related Protein. NPY : neuropeptide Y. DE : dépensesénergétiques.

des réserves lipidiques. La leptine joue un rôle clé dans larégulation de la masse corporelle et dans l’équilibre de labalance énergétique. L’administration de leptine entraîneune réduction de la prise alimentaire, une diminutiondu poids et une augmentation de la dépense énergétiquechez la souris ob/ob. La leptine induit également unediminution de la prise alimentaire et du poids chez lessouris non obèses. La majorité des études a été consacréeau rôle de la leptine dans les obésités. En revanche,peu de travaux se sont intéressés au rôle éventuel d’uneaugmentation de la leptine à l’origine de l’anorexieobservée au cours du cancer, du sepsis ou des maladiesinflammatoires chroniques.

Confirmant les études réalisées chez l’animal [16], lesétudes chez l’homme ont démontré que les concentrationsde leptine n’étaient pas augmentées chez les maladesdénutris atteints d’un cancer du poumon et du pancréas[17]. Certains malades ont même, paradoxalement, uneconcentration basse de leptine, corrélée à la réduction dela masse grasse. Il n’existait pas non plus d’anomalies durythme circadien de sécrétion de la leptine dans un groupede 16 malades avec un cancer à un stade avancé [18].Ces résultats suggèrent que la leptine n’est pas impliquéedans l’anorexie des malades cancéreux. On ne peut pascependant éliminer formellement une augmentation de lasensibilité des récepteurs de la leptine ou une perturbationde la voie finale d’action de la leptine.

L’effet de la leptine au niveau des centres régulateurs dela prise alimentaire implique l’action d’un certain nombrede neuropeptides cérébraux(figure 1). Le récepteur detype 4 aux mélanocortines (MC4R) joue un rôle majeurdans le contrôle de l’homéostasie pondérale et dans l’ef-fet de la leptine. Il s’agit d’un récepteur à sept domainestransmembranaires, couplé aux protéines G. Ce récepteurest exprimé uniquement au niveau cérébral, principale-ment dans l’hypothalamus. Les deux principaux ligandsphysiologiques du récepteur MC4R sont : l’alpha MSH(αMSH) et l’AGRP (Agouti Related Protein) dont l’ex-pression au niveau de l’hypothalamus est dépendante dela leptine. L’αMSH est un produit de la maturation d’une

protéine produite à partir du gène de la proopioméla-nocortine (POMC) dont l’expression est augmentée parla leptine. L’αMSH est l’agoniste principal du récepteurMC4R qui entraîne une diminution de la prise alimen-taire. L’AGRP est l’antagoniste principal du récepteurMC4R qui stimule la prise alimentaire et diminue les dé-penses énergétiques. Il a été démontré récemment que lacachexie, induite chez la souris par l’injection de lipo-polysaccharides ou par l’implantation d’une tumeur, étaitpartiellement corrigée par le blocage du récepteur MC4R[19]. Des souris invalidées pour le MC4R, ou ayant reçuune injection d’AGRP, antagoniste du MC4R, ne présen-taient pas de perte de masse maigre et maintenaient uneactivité normale. Ce résultat ouvre de nouvelles voies derecherche dans le traitement de la cachexie cancéreuse enbloquant le récepteur MC4R [19, 20].

Il faut néanmoins s’interroger sur la pertinence d’uneapproche thérapeutique fondée sur le seul contrôle del’anorexie et la recherche d’une amélioration de l’appétit[21]. En effet, une méta-analyse de l’effet de l’acétatede mégestrol sur l’appétit a souligné la discordance quiexiste entre l’amélioration de l’appétit observée dans 14études sur 15 et l’absence d’amélioration de la qualité devie notée dans 13 études sur 15 [22]. Une telle approchethérapeutique doit donc s’intégrer dans une prise encharge globale du patient cancéreux visant à traiter latumeur et à contrôler les anomalies métaboliques qui ysont associées.

AUGMENTATION DES DÉPENSESÉNERGETIQUES

Si la réduction des apports nutritionnels joue le rôlele plus important dans la physiopathologie de la dénu-trition du malade cancéreux, celle-ci implique d’autresfacteurs. Le maintien d’un état nutritionnel stable résulted’un équilibre à long terme entre les apports et les dé-penses énergétiques. Depuis de très nombreuses années,il a été envisagé l’existence d’une augmentation des dé-penses énergétiques chez le malade cancéreux, ou toutau moins une non adaptation des dépenses à la réductionde la masse maigre. Chez le sujet normal, le jeûne s’ac-compagne d’une réduction parallèle des dépenses énergé-tiques. Ce mécanisme adaptatif existe-t-il chez le maladecancéreux ? Les résultats des études sur le métabolismeénergétique au cours du cancer ne sont pas univoques, etles résultats sont souvent contradictoires [23]. Globale-ment, l’augmentation des dépenses énergétiques chez lemalade cancéreux est inconstante, d’amplitude variableet le plus souvent modérée. L’existence, dans certainesétudes, d’une corrélation entre le niveau des dépensesénergétiques et l’extension métastatique et le retour àla normale des dépenses énergétiques après résectionchirurgicale ou traitement chimiothérapique, constituent

259

Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65 E. Lerebours et al.

néanmoins des arguments indirects en faveur de la réalitéde ce phénomène hypermétabolique.

La physiopathologie de l’augmentation de la dépenseénergétique est complexe et encore mal élucidée. Ellepeut être théoriquement liée au métabolisme propre dela tumeur. Néanmoins, ce phénomène est probablementaccessoire chez l’homme où, à la différence des mo-dèles animaux dans lesquels la tumeur peut atteindre10 à 30 % de la masse corporelle, la tumeur représentele plus souvent moins de 1 à 2 % de la masse corpo-relle [24]. L’augmentation de la dépense énergétique estbeaucoup plus vraisemblablement liée à une modifica-tion du métabolisme de l’hôte induite par des médiateurssécrétés soit par la tumeur elle-même, soit par l’hôteen réponse au processus tumoral [12]. Les principauxmécanismes invoqués sont une augmentation des cyclesfutiles, notamment l’augmentation du cycle de Cori (cf in-fra), et le coût énergétique de l’augmentation duturnoverprotéique. L’équipe de K. Lundholm suggère que l’hyper-métabolisme des patients cancéreux pourrait être en partiedû à une augmentation du tonus adrénergique, secondaireaux conséquences cardiaques de l’état inflammatoire et del’anémie [25]. Cette hypothèse est étayée par la réductionde la dépense énergétique observée après administrationde bêtabloquants [25]. Plus récemment, a été évoquéel’implication des protéines découplantes. Chez l’animal,et notamment chez le rongeur, l’Uncoupling Protein–1 (UCP1) joue un rôle majeur dans le maintien de labalance d’énergie en agissant au niveau de la régula-tion de la thermogenèse liée au froid. UCP1 entraîne undécouplage entre le flux d’électrons dans la chaîne res-piratoire et la production d’ATP, ce qui conduit à uneperte d’énergie sous forme de chaleur. UCP1 est expriméeexclusivement dans le tissu adipeux brun, pratiquementinexistant chez l’homme adulte. Deux autres protéines dela famille des UCP, UCP2 et UCP3, ont été mises en évi-dence chez l’animal mais aussi chez l’homme. Le rôleexact des UCP n’est pas clairement établi chez l’homme,en particulier UCP2 et 3 ne sont pas modifiées au coursdu jeûne, alors que les dépenses énergétiques sont dimi-nuées. Chez la souris, la cachexie cancéreuse est associéeà une augmentation de l’expression de UCP1, sans mo-dification des UCP2 et 3, dans le tissu adipeux brun parcomparaison à des animaux témoins oupair-fed [26]. Enrevanche, l’UCP2 est augmentée dans le muscle chez lessouris atteintes de cachexie cancéreuse, mais aussi chezles animauxpair-fed. Il reste à préciser si l’augmenta-tion des UCP ne représente qu’un mécanisme adaptatifà l’hypothermie induite par la tumeur ou si elle repré-sente un effet direct ou indirect duLipolytic MobilizingFactor (LMF) sur le tissu adipeux brun [5]. Il existe eneffet une corrélation entre l’augmentation des acides graslibres et l’augmentation de UCP3, et également une rela-tion inverse entre la concentration d’UCP3 musculaire et

la masse grasse, suggérant un rôle d’UCP3 dans la mobi-lisation des lipides et leur métabolisme.

En conclusion, l’augmentation des dépenses énergé-tiques est un phénomène inconstant, d’intensité variablemais souvent faible, qui ne joue un rôle, le plus souventaccessoire, que parce que le sujet cancéreux ne peut pascompenser cette augmentation des besoins par un apportalimentaire accru du fait de l’anorexie.

PERTURBATIONS DU MÉTABOLISMEGLUCIDIQUE

Sur le plan expérimental, un certain nombre de modifica-tions du métabolisme glucidique est associé au processustumoral. Les principales perturbations sont, au niveauhépatique, une production de glucose accrue avec uneaugmentation de la néoglucogenèse, et au niveau mus-culaire, une diminution de la captation de glucose [5,27]. L’augmentation de la production hépatique de glu-cose n’est que partiellement freinée par l’administrationde glucose, traduisant une résistance à l’insuline, proba-blement en partie secondaire à l’effet des cytokines etnotamment du TNFα. La néoglucogenèse hépatique sefait à partir du lactate et des acides aminés.

Le métabolisme du glucose au niveau de la tumeur sefait en partie par voie anaérobie avec production de quan-tités importantes de lactate. Ce dernier est transformé englucose au niveau hépatique par le cycle de Cori. L’ac-tivité de ce cycle, qui représente 20 % duturnover duglucose chez le sujet normal, est augmentée à 50 % chezle malade cancéreux. Il existe également une néoglucoge-nèse importante à partir des acides aminés libérés par lecatabolisme musculaire accru. La néoglucogenèse à par-tir du lactate est une voie métabolique très consommatriced’énergie, et l’augmentation du cycle de Cori est un desmécanismes responsables de l’augmentation des dépensesénergétiques observée chez certains malades cancéreux.

Il faut souligner que la majorité des données dispo-nibles sur l’influence du cancer sur le métabolisme duglucose est issue de données expérimentales animales.Chez l’homme, il existe une augmentation de 40 % en-viron de la production hépatique de glucose.

MÉTABOLISME LIPIDIQUE

La perte de poids du malade cancéreux correspond à uneréduction parfois considérable à la fois de la masse grasseet de la masse maigre, cette dernière prédominant surla masse musculaire. La réduction de la masse grasseest liée à une augmentation de la lipolyse associée àune oxydation lipidique accrue [5, 28]. Il semble existerparallèlement une augmentation de la lipogenèse. Chezle sujet normal, il a été montré que la lipolyse estcorrélée aux apports énergétiques et à la masse maigre.

260

Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65

Un des mécanismes pouvant expliquer l’augmentationobservée de la lipolyse était donc la réduction des apportsénergétiques liée au cancer. Une étude a prouvé laspécificité de l’augmentation de la lipolyse au cours dela cachexie cancéreuse, puisque les différences observéespar rapport à une population témoin persistaient aprèsajustement sur le niveau des apports [28].

Les perturbations du métabolisme lipidique sont liéesà une diminution de la lipoprotéine lipase (LPL) et àune augmentation de la lipase hormonosensible associéesà une augmentation de l’oxydation lipidique [28]. Cettelipolyse accrue est responsable de l’augmentation desacides gras libres et du glycérol, tandis que la diminutionde la LPL entraîne une augmentation de la triglycéridé-mie du fait d’une clairance diminuée. Ces modificationsdu métabolisme lipidique sont sous le contrôle de mé-diateurs, et notamment de celui des cytokines. Expéri-mentalement, le TNFα diminue l’activité LPL du tissuadipeux chez l’animal, mais cet effet n’est pas retrouvédans des adipocytes humains en culture. Plus récemment,a été mis en évidence l’existence d’un facteur de mo-bilisation des graisses (Lipid Mobilizing Factor : LMF),synthétisé par la tumeur ou l’hôte [5]. L’identificationprécise du LMF n’a pas encore été réalisée. Le LMF in-duit au niveau du tissu adipeux une libération d’acidesgras libres et de glycérol par une voie métabolique AMP-dépendante. Chez le malade cancéreux, il n’est pas établique les cytokines jouent un rôle direct sur la dégradationdes réserves lipidiques. En effet, ni l’activité LPL, mar-queur de l’activité des cytokines, ni les niveaux d’ARNmde la LPL et de l’acide gras synthétase ne sont significati-vement différents entre des sujets cancéreux et des sujetstémoins. En revanche, il existe une augmentation de la li-pase hormonosensible qui est une des cibles du LMF. Cesrésultats suggèrent que les produits « cataboliques », issusde la tumeur, seraient des médiateurs plus importants queles cytokines dans la genèse de la perte de tissu adipeuxobservée chez les malades cancéreux.

MÉTABOLISME PROTÉIQUE

La réduction de la masse musculaire est une des carac-téristiques et un des éléments pronostiques majeurs de lacachexie cancéreuse [29, 30]. Chez les patients atteintsd’un cancer du poumon et ayant perdu 30 % de leur poidsantérieur, une étude de la composition corporelle a mon-tré une réduction de 85 % de la masse grasse et de 75 %de la masse protéique musculaire. Contrastant avec lafonte musculaire, la masse protéique viscérale était rela-tivement épargnée. Ce résultat est très différent de ceuxobservés au cours d’autres situations, comme l’anorexiementale ou le jeûne prolongé, caractérisées par une perteproportionnelle de masse protéique viscérale et muscu-laire. Un autre facteur que la simple réduction des apports

est donc responsable des perturbations du métabolismeprotéique observées au cours du cancer.

Les principales perturbations du métabolisme pro-téique, mises en évidence à l’aide d’isotopes stables, sontune augmentation duturnover des protéines au niveaudu corps entier et de la synthèse protéique hépatique, et,au niveau musculaire, une augmentation du catabolismeet une réduction de la synthèse des protéines, corrigéesexpérimentalement par la chimiothérapie [31]. Certainesétudes ne mettent pas en évidence de différence au niveaudu corps entier entre sujets cancéreux et sujets témoins.Cette absence de différence peut s’expliquer non seule-ment par des problèmes méthodologiques, mais aussi parla sommation d’effets opposés au niveau du muscle etdu foie. L’augmentation de la synthèse hépatique de pro-téines de la phase aiguë de l’inflammation (acute phaseproteins) [32] masque la diminution de la synthèse pro-téique musculaire. Il faut cependant noter que l’épargnedes protéines viscérales n’est que relative puisqu’il existeune diminution de la synthèse protéique intestinale chezl’animal cancéreux [33].

À court terme, le catabolisme protéique peut avoir uneffet bénéfique en fournissant au foie, à l’intestin et pro-bablement à d’autres tissus, des acides aminés pour lasynthèse protéique notamment desacute phase proteinset la néoglucogenèse. En revanche, à plus long terme,les conséquences du catabolisme protéique musculairesont particulièrement néfastes. Sur le plan fonctionnel, ilprovoque une diminution de la fonction musculaire, no-tamment sur le plan locomoteur et respiratoire. Il existeparallèlement une augmentation des pertes azotées, en-traînant un bilan azoté constamment négatif, une diminu-tion des concentrations plasmatiques des protéines dites« nutritionnelles », albumine et transthyrétine notamment,et un profil particulier d’acides aminés plasmatiques avecune augmentation de la concentration des acides aminésramifiés, alors que les acides aminés ramifiés sont soitnormaux, soit diminués en cas de carence d’apport iso-lée.

Bien qu’incomplètement élucidée, la physiopathologiedu catabolisme musculaire, élément clé de la cachexiecancéreuse, commence à être mieux connue dans sesmécanismes moléculaires les plus fins [1, 2, 12, 29, 30].Jusqu’à présent la majorité des études a été consacrée auprocessus de destruction musculaire : le catabolisme desprotéines. Les études les plus récentes montrent que lemaintien d’une masse musculaire normale correspond àun équilibre entre d’une part le catabolisme et d’autre partles phénomènes de synthèse des protéines myofibrillaires,actine et myosine. La perte de masse musculaire de lacachexie cancéreuse peut résulter soit d’une augmentationdu catabolisme proprement dit soit d’une diminution ou,tout au moins, d’une non adaptation des phénomènes deréparation tissulaire à une dégradation accrue [2, 29, 34].

261

Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65 E. Lerebours et al.

Figure 2. Représentation schématique de la voie ubiquitine – protéasome de la protéolyse (d’après 23). U : ubiquitine ; E1 :ubiquitin activating enzyme;E2 :ubiquitin conjugating enzyme; E3 :ubiquitin ligase.AA : acides aminés.

Le catabolisme protéique repose sur trois systèmesenzymatiques distincts qui diffèrent selon l’organe et laprotéine considérés [35].

Le système lysosomial

Il fait intervenir des enzymes protéolytiques, les cathep-sines. Il joue un rôle important dans le foie et un rôlemoindre dans le muscle. La voie lysosomiale ne semblepas être impliquée dans le catabolisme protéique observéchez le malade cancéreux. En effet, ce catabolisme n’estpas modifié par des anticorps spécifiques de la cathepsine.

La voie calcium-dépendante de la protéolyse

Elle fait intervenir deux enzymes, la calpaïne m et la cal-païneµ. La protéolyse induite par le processus cancéreuxsemble en partie dépendante de cette voie [36]. En effet,chez le rat, l’implantation d’un hépatome Yoshida AH-130 entraîne un déséquilibre entre le contenu en calpaïnequi reste inchangé, et celui en calpastatine, inhibiteur na-turel de la calpaïne, qui baisse [36]. La voie calciumdépendante apparaît en particulier indispensable à la libé-ration des protéines myofibrillaires puisque le protéasomene semble pas pouvoir dégrader les myofibrilles intactes.Ces travaux suggèrent que la cachexie cancéreuse seraitla conséquence d’une libération accrue de myofilamentsd’actine et de myosine à partir des myofibrilles par la voiecalcium-dépendante, l’augmentation de l’expression et del’activité du protéasome n’étant qu’une réponse adapta-tive à l’augmentation des substrats [28].

Le système ubiquitine-protéasome

Il est classiquement la voie la plus importante puis-qu’elle assure 80 à 85 % du catabolisme protéique dans

le muscle [37]. Dans ce système, les protéines à dégra-der sont d’abord ubiquitinylées c’est-à-dire conjuguées àplusieurs molécules d’ubiquitine, protéine de 76 acidesaminés et de masse moléculaire 8,5 kDa(figure 2). Lesprotéines ubiquitinylées sont ensuite reconnues et dégra-dées au sein du protéasome 26S [29]. Schématiquementles principales étapes sont l’activation de l’ubiquitine parune enzyme activatrice E1, le transfert de l’ubiquitineà une enzyme de conjugaison E2, puis l’interaction desenzymes E2 et E3 aboutissant à la formation d’une pro-téine poly-ubiquitinylée qui est ensuite dégradée au seindu protéasome 26S. Ce dernier présente une structurecyclique, composée de quatre anneaux : deux anneaux ex-ternesα et deux anneaux internesβ. Le protéasome libèreensuite, grâce à sa sous-unité catalytique, le protéasome20S, des oligopeptides constitués de six à huit acides ami-nés, rapidement dégradés en acides aminés libres par despeptidases cytosoliques. Cette dernière phase implique ladésubiquitinylation de la protéine qui libère des molé-cules d’ubiquitine qui, du fait de leur stabilité, peuventêtre réutilisées. Des travaux récents suggèrent que la désu-biquitinylation est une des étapes clé du processus etconstitue une des cibles potentielles pour un contrôle ducatabolisme musculaire.

La voie ubiquitine-protéasome joue un rôle majeurdans la dégradation des protéines musculaires observée aucours de la cachexie cancéreuse [2, 29]. Il existe une aug-mentation de l’expression de l’ubiquitine dans le muscleà la fois dans des modèles d’animaux porteurs de tu-meur [38], mais aussi chez les malades cancéreux [39].Par comparaison avec un groupe témoin, les ARNm del’ubiquitine étaient augmentés chez 20 malades atteintsde cancer gastrique, l’augmentation étant corrélée avec lestade de la tumeur. En revanche, le contenu en ARNm del’ubiquitine n’était pas corrélé à l’état nutritionnel sug-

262

Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65

Figure 3. Mécanismes de la perte de masse musculaire au cours de la cachexie (d’après 2 et 29). PIF :Proteolysis inducing factor; EPA : acideeicosapentaénoïque, 15-HETE : acide 15-hydroxyoctadecadiénoïque ; TNFα : tumor necrosis factor alpha ; IFNγ : interféron gamma.

gérant que l’activation du système ubiquitine-protéasomeest un phénomène précoce dans la genèse de la cachexiecancéreuse [39].

Le NFκB est un des facteurs essentiels dans la régula-tion de cette voie métabolique en inhibant la transcriptiondes unitésα du protéasome [34](figure 3). Le TNFα ac-tive le NFκB, ce qui théoriquement a un effet inhibiteursur le catabolisme musculaire. Cet effet, a priori para-doxal, est concordant avec l’absence d’augmentation ducatabolisme musculaire par les cytokines, qui agirait pluspar le biais d’une altération des fonctions de réparationtissulaire musculaire que par une augmentation directe ducatabolisme [2]. Inversement, l’IL 15 a un effet antago-niste sur le catabolisme musculaire qui est lié à un effetinhibiteur sur la voie ubiquitine-protéasome [40]. L’effetprotéolytique des glucocorticoïdes semble également liéà un effet sur la voie de régulation du NFκB.

Quel facteur peut être responsable du catabolisme mus-culaire, si on élimine le rôle direct des cytokines ? Unfacteur de dégradation des protéines, le PIF (ProteolysisInducing Factor) a été détecté dans le sérum de maladescancéreux [41]. Le PIF est une glycoprotéine sulfatée de24 kDa, produite par les cellules tumorales. L’activitéprotéolytique du PIF est liée à la partie carbonée de lamolécule. L’administration de PIF à des animaux sans tu-meur induit rapidement un état cachectique avec perte depoids et diminution sélective de la masse protéique mus-culaire [42]. La réduction de la masse maigre est observéealors que les apports alimentaires sont normaux, confir-mant que cachexie et anorexie ne sont pas obligatoirementliées.

Le PIF a été mis en évidence dans les urines de patientscancéreux et cachectiques, mais pas dans les urines depatients dénutris, sans pathologie cancéreuse, atteintsde brûlures, de sepsis ou en période postopératoire.La sécrétion de PIF semble donc être spécifique duprocessus cancéreux. Les mécanismes de régulation duPIF sur la voie ubiquitine-protéasome restent encorehypothétiques; ils pourraient faire intervenir le NFκB[43] et également une molécule intermédiaire, l’acide 15hydroxyeicosatétraénoïque (15 HETE) [2].

La diminution des processus de maturation myofibril-laire et de réparation tissulaire est le deuxième grandmécanisme qui peut, parallèlement à l’augmentation ducatabolisme, expliquer la diminution de la masse muscu-laire au cours du cancer [2, 28, 33]. La découverte récentedu rôle de NFκB sur la différenciation du muscle squelet-tique fournit une nouvelle explication au rôle du NFκBqui s’opposerait à la reconstitution du muscle lésé. L’ac-tivation de NFκB par la surexpression d’une IκB-kinasebloque la myogenèse et inversement l’introduction d’uneforme mutée de IκBα restaure la différentiation des myo-blastes traités par le TNFα [44]. L’effet de NFκB sur lemuscle pourrait être lié à une suppression de la productionde MyoD, facteur de transcription essentiel pour la diffé-renciation du tissu musculaire et la réparation du musclelésé [45].

Les progrès, dans la compréhension des mécanismes àl’origine de la protéolyse musculaire, ouvrent des pers-pectives thérapeutiques intéressantes [30]. La premièreapproche consisterait à bloquer le NFκB, ce qui, expéri-mentalement, entraîne une inhibition de la cachexie can-céreuse dans un modèle animal. Une autre voie consiste

263

Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65 E. Lerebours et al.

à bloquer l’effet activateur du PIF sur le protéasome.L’acide eicosapentaénoïque (EPA) est un inhibiteur dela formation de 15 HETE dans la cellule musculaire enprésence de PIF [46]. Cet effet peut expliquer la dimi-nution de la cachexie cancéreuse induite par l’EPA, àla fois dans des modèles animaux [47] et chez les pa-tients atteints de cancers pancréatiques non résécables[48]. La dégradation protéique musculaire est associée àune augmentation significative des prostaglandines E2 quipourraient jouer un rôle dans la signalisation intracellu-laire [15]. En effet, les anticorps monoclonaux anti-PIFinduisent, parallèlement à la diminution du catabolismemusculaire, une inhibition de la synthèse de PGE2. Cetteobservation doit être rapprochée de l’effet bénéfique desinhibiteurs des cyclo-oxygénases qui entraînent une ré-duction de la cachexie cancéreuse et de l’anorexie, à lafois dans un modèle animal [15, 49] et chez les patients at-teints de cancers digestifs à un stade avancé [48, 50]. Lesinhibiteurs sélectifs des Cox2 ont donc non seulement uneffet sur la croissance tumorale, mais également un effetanticachectisant qui doit être évalué par des études cli-niques prospectives.

Si des progrès importants ont été réalisés dans lesconnaissances des bases fondamentales de la protéo-lyse musculaire liée au cancer, un certain nombre d’in-certitudes persiste quant au mécanisme intime régulantl’homéostasie protidique au niveau musculaire. Il est enparticulier probable qu’il existe d’autres facteurs de régu-lation que le NFκB communs entre les voies de synthèseet de dégradation [35].

RÉFÉRENCES

1 Baracos VE. Regulation of skeletal-muscle-protein turnover incancer-associated cachexia. Nutrition 2000 ; 16 : 1015-8.

2 Tisdale MJ. Biomedicine. Protein loss in cancer cachexia. Science2000 ; 289 : 2293-4.

3 Puccio M, Nathanson L. The cancer cachexia syndrome. SeminOncol 1997 ; 24 : 277-87.

4 Lerebours E, Déchelotte P, Michel P. Prévalence et évaluation de ladénutrition chez le cancéreux. Nutr Clin Métabol 1997 ; 11(Suppl1) : S373-6.

5 Tisdale MJ. Metabolic abnormalities in cachexia and anorexia.Nutrition 2000 ; 16 : 1013-4.

6 Wigmore S, Plester C, Richardson R, Fearon K. Changes innutritional status associated with unresectable pancreatic cancer. BrJ Cancer 1997 ; 75 : 106-9.

7 Inagaki J, Rodriguez V, Bodey GP. Causes of death in cancerpatients. Cancer 1974 ; 33 : 568-73.

8 Andreyev HJN, Norman AR, Oates J, Cunningham D. Why dopatients with weight loss have a worse outcome when undergoingchemotherapy for gastrointestinal malignancies? Eur J Cancer1998 ; 34 : 503-9.

9 Costelli P, Baccino FM. Cancer cachexia: from experimentalmodels to patient management. Curr Opin Clin Metab Care 2000 ;3 : 177-81.

10 Preston T, Fearon KCH, Robertson I, East BW, Calman KC. Tissueloss during severe wasting in lung cancer patients. In : Ellis KJ,Yasumara S, Morgan WD, editors. In vivo body composition

studies. London : Institute of Physical Sciences in Medecine ; 1987,p. 60-9.

11 Barber MD, Ross JA, Fearon KC. Disordered metabolic responsewith cancer and its management. World J Surg 2000 ; 24 : 681-9.

12 Argiles JM, Lopez-Soriano FJ. New mediators in cancer cachexia.Nestle Nutr Workshop Ser Clin Perform Programme 2000 ; 4 : 147-65.

13 Tchekmedyan N, Zahyma D, Halpert C, Heber D. Clinical aspectsof nutrition in advanced cancer. Oncology 1992 ; 42 : 3-7.

14 Plata-Salaman CR. Central nervous system mechanisms contri-buting to the cachexia-anorexia syndrome. Nutrition 2000 ; 16 :1009-12.

15 Cahlin C, Korner A, Axelsson H, Wang W, Lundholm K, Svan-berg E. Experimental cancer cachexia: the role of host-derivedcytokines interleukin (IL)-6, IL-12, interferon-gamma, and tumornecrosis factor alpha evaluated in gene knockout, tumor-bearingmice on C57 B1 background and eicosanoid-dependent cachexia.Cancer Res 2000 ; 60 : 5488-93.

16 Lopez-Soriano J, Carbo N, Tessitore L, Lopez-Soriano FJ, Ar-giles JM. Leptin and tumor growth in rats. Int J Cancer 1999 ; 81 :726-9.

17 Brown DR, Berkowitz DE, Breslow MJ. Weight loss is notassociated with hyperleptinemia in humans with pancreatic cancer.J Clin Endocrinol Metab 2001 ; 86 : 162-6.

18 Mantovani G, Maccio A, Mura L, Massa E, Mudu MC, Lusso MR,et al. Serum level of leptine and proinflammatory cytokines inpatients with advanced-stage cancer at different sites. J Mol Med2000 ; 78 : 554-61.

19 Marks DL, Cone RD. Central melanocortins and the regulation ofweight during acute and chronic disease. Recent Prog Horm Res2001 ; 56 : 359-75.

20 Marks DL, Ling N, Cone RD. Role of the central melanocortinsystem in cachexia. Cancer Res 2001 ; 61 : 1432-8.

21 Desport JC, Blanc-Vincent MP, Gory-Delabaere G, Bachmann P,Beal J, Benamouzig R, et al. Standards, Options and Recommen-dations (SOR) for the use of appetite stimulants in oncology. Workgroup. Federation of the French Cancer Centres (FNCLCC). BullCancer 2000 ; 87 : 315-28.

22 Jatoi A, Kumar S, Sloan JA, Nguyen PL. On appetite and its loss. JClin Oncol 2000 ; 18 : 2930-2.

23 Lerebours E, Dechelotte P. Nutrition et relations hôte-tumeur. NutrClin Métabol 1993 ; 7 : 117-9.

24 Baracos VE, Le Bricon T. Animal models for nutrition in can-cer. Nestle Nutr Workshop Ser Clin Perform Programme 2000 ; 4 :167-82.

25 Hyltander A, Daneryd P, Sandstrom R, Korner U, Lundholm K.Beta-adrenoceptor activity and resting energy metabolism in weightlosing cancer patients. Eur J Cancer 2000 ; 36 : 330-4.

26 Bing C, Brown M, King P, Collins P, Tisdale MJ, Williams G. In-creased gene expression of brown fat uncoupling protein (UCP)1and skeletal muscle UCP2 and UCP3 in MAC16-induced cancercachexia. Cancer Res 2000 ; 60 : 2405-10.

27 Tayek JA. A review of cancer cachexia and abnormal glucose me-tabolism in humans with cancer. J Am Coll Nutr 1992 ; 11 : 455-6.

28 Zuijdgeest-van Leeuwen SD, Van den Berg JW, Wattimena JL,van der Gaast A, Swart GR, Wilson JH, et al. Lipolysis and lipidoxydation in weight-losing cancer patients and healthy subjects.Metabolism 2000 ; 49 : 931-6.

29 Hasselgren PO, Fischer JE. Muscle cachexia: currents conceptsof intracellular mechanisms and molecular regulation. Ann Surg2001 ; 233 : 9-17.

30 Tisdale MJ. Catabolism of skeletal muscle proteins and its rever-sal in cancer cachexia. Nestle Nutr Workshop Ser Clin PerformProgramme 2000 ; 4 : 135-46.

31 Samuels CE, Knowles AL, Tilignac T, Debiton E, Madelmont JC,Attaix D. Higher skeletal muscle protein synthesis and lowerprotein breakdown after chemotherapy in cachectic mice. Am JPhysiol 2001 ; 281 : R133-9.

264

Cachexie cancéreuse : bases physiopathologiques Nutr Clin Métabol 2001 ; 15 : 257-65

32 Moshage H. Cytokines and the hepatic acute phase response. JPathol 1997 ; 181 : 257-66.

33 Samuels SE, Knowles AL, Tilignac T, Debiton E, Madelmont JC,Attaix D. Protein metabolism in the small intestine during can-cer cachexia and chemotherapy in mice. Cancer Res 2000 ; 60 :4968-74.

34 Mitch WE, Price SR. Transcription factors and muscle cachexia: isthere a therapeutic target? Lancet 2001 ; 357 : 734-5.

35 Darmaun D. Métabolisme protéique. In : Basdevant A, Laville M,Lerebours E, editors. Traité de Nutrition clinique de l’adulte. Paris :Médecine Sciences Flammarion ; 2001, p. 53-62.

36 Costelli P, Tullio RD, Baccino FM, Melloni E. Activation of Ca(2+)-dependent proteolysis in skeletal muscle and heart in cancercachexia. Br J Cancer 2001 ; 84 : 946-50.

37 Attaix D, Aurousseau E, Combaret L, Kee A, Larbaud D, Rel-lière C, et al. Ubiquitin-proteasome dependent proteolysis inskeletal muscle. Reprod Nutr Dev 1998 ; 38 : 153-65.

38 Llovera M, Garcia-Martinez C, Agell N, Marzàbal M, Lopez-Soriano FJ, Argilès JM. Ubiquitin gene expression is increasedin skeletal muscle of tumour-bearing rats. FEBS Lett 1994 ; 338 :311-8.

39 Bossola M, Muscaritoli M, Costelli P, Bellantone R, Pagelli F, Bus-quets S, et al. Increased muscle ubiquitin mRNA levels in gastriccancer patients. Am J Physiol 2001 ; 280 : R1518-23.

40 Carbo N, Lopez-Soriano J, Costelli P, Busquets S, Alvarez B, Bac-cino FM, et al. Interleukin-15 antagonizes muscle protein waste intumour-bearing rats. Br J Cancer 2000 ; 83 : 526-31.

41 Todorov P, Cariuk P, McDevitt T, Coles B, Fearon K, Tisdale M.Characterization of a cancer cachectic factor. Nature 1996 ; 379 :739-42.

42 Lorite MJ, Cariuk P, Tisdale MJ. Induction of muscle proteindegradation by a tumour factor. Br J Cancer 1997 ; 76 : 1035.

43 Watchorn TM, Waddell I, Dowidar N, Ross JA. Proteolysis-inducing factor regulates hepatic gene expression via the transcrip-tion factors NF-(kappa)B and STAT3. FASEB J 2001 ; 15 : 562-4.

44 Langen RC, Schols AM, Kelders M, Wouters EF, Janssen-Heininger YM. Inflammatory cytokines inhibit myogenicdifferentiation through activation of nuclear factor-κB. FASBJ 2001 ; 15 : 1169-80.

45 Guttridge DC, Mayo MW, Madrid LV, Wang CY, Baldwin AS, etal. NF-KappaB-induced loss of MyoD messenger RNA: possiblerole in muscle decay and cachexia. Science 2000 ; 289 : 2363-6.

46 Sauer LA, Dauchy RT, Blask DE. Mechanism for the antitumorand anticachetic effects of n-3 fatty acids. Cancer Res 2000 ; 60 :5289-95.

47 Whitehouse AS, Smith HJ, Drake JL, Tisdale MJ. Mechanism of at-tenuation of skeletal muscle protein catabolism in cancer cachexiaby eicosapentaenoic acid. Cancer Res 2001 ; 61 : 3604-9.

48 Barber MD, McMillan DC, Preston T, Ross JA, Fearon KC.Metabolic response to feeding in weight-losing pancreatic can-cer patients and its modulation by a fish-oil-enriched nutritionalsupplement. Clin Sci 2000 ; 98 : 389-99.

49 Hussey HJ, Tisdale MJ. Effect of the specific cyclooxygenase-2inhibitor meloxicam on tumour growth and cachexia in a murinemodel. Int J Cancer 2000 ; 87 : 95-100.

50 McMillan DC, Wigmore SJ, Fearon KCH, O’Gorman P,Wright CE, McArdle CS. A prospective randomized study ofmegestrol acetate and ibuprofen in gastrointestinal cancer patientswith weight loss. Br J Cancer 1999 ; 79 : 495-500.

265