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Dernière mise à jour le 29 juin 2009 1 Cahier iconographique Le mérite et la république www.olivierihl.fr Le pouvoir des récompenses Figure 1 - Henri Gervex, « Distribution des récompenses aux exposants par le président Sadi-Carnot, à la suite de l’Exposition universelle, le 29 septembre 1889 » (Châteaux de Versailles et de Trianon). 29 septembre 1889 : l’Exposition Universelle touche à sa fin. Dans la grande nef du Palais de l’Industrie apprêtée par Lavastre pour le centenaire de la Révolution française, le moment est capital. C’est la remise des médailles. Au sommet de l’estrade, portrait en pied d’une République triomphante, le président Carnot. En habits bourgeois, il arbore le cordon en sautoir de la Légion d’honneur. Face à lui, un rideau s’ouvre pour laisser passer les délégations d’exposants. Venus du monde entier, les heureux élus défilent. Par ordre alphabétique comme il se doit désormais en démocratie : de l’Argentine qui ouvre le ban au Venezuela qui le ferme. Sur la toile, ont été délaissées les délégations les plus récompensées, comme la Grande Bretagne ou les Etats-Unis, pour celles des colonies avec leurs bannières et tuniques flamboyantes. Comme si, avant même que ne s’accomplisse le geste souverain, celui de classer talents et mérites, une leçon devait être dispensée. Comme s’il fallait montrer que dorénavant, la gloire acquise avait supplanté la gloire héritée. Le mérite ? Il est dorénavant le fait d’hommes distingués. Non plus d’hommes distincts... Que la distinction honorifique soit un attribut du pouvoir, on le savait. Distraitement. C’est le tableau d’Henri Gervex qui m’a invité à aller au delà. Dans la Distribution des récompenses aux exposants par le président Sadi Carnot, à la suite de l’Exposition universelle, le 29 septembre 1889, le peintre assimile cette distinction à la baguette d’un puissant régisseur. Du coup, c’est tout un concept qui s’expose dans ce sentencieux décor, celui d’une émulation lancée à la conquête de l’univers.

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Cahier iconographique se rattachant à l'ouvrage "Le mérite et la République. Essai sur la société des émules" paru en 2007 chez Gallimard.Par Olivier Ihl

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Le pouvoir des récompenses

Figure 1 - Henri Gervex, « Distribution des récompenses aux exposants par le président Sadi-Carnot, à la suite de l’Exposition universelle, le 29 septembre 1889 » (Châteaux de Versailles et de Trianon).

29 septembre 1889 : l’Exposition Universelle touche à sa fin. Dans la grande nef du Palais de l’Industrie apprêtée par Lavastre pour le centenaire de la Révolution française, le moment est capital. C’est la remise des médailles. Au sommet de l’estrade, portrait en pied d’une République triomphante, le président Carnot. En habits bourgeois, il arbore le cordon en sautoir de la Légion d’honneur. Face à lui, un rideau s’ouvre pour laisser passer les délégations d’exposants. Venus du monde entier, les heureux élus défilent. Par ordre alphabétique comme il se doit désormais en démocratie : de l’Argentine qui ouvre le ban au Venezuela qui le ferme. Sur la toile, ont été délaissées les délégations les plus récompensées, comme la Grande Bretagne ou les Etats-Unis, pour celles des colonies avec leurs bannières et tuniques flamboyantes. Comme si, avant même que ne s’accomplisse le geste souverain, celui de classer talents et mérites, une leçon devait être dispensée. Comme s’il fallait montrer que dorénavant, la gloire acquise avait supplanté la gloire héritée. Le mérite ? Il est dorénavant le fait d’hommes distingués. Non plus d’hommes distincts... Que la distinction honorifique soit un attribut du pouvoir, on le savait. Distraitement. C’est le tableau d’Henri Gervex qui m’a invité à aller au delà. Dans la Distribution des récompenses aux exposants par le président Sadi Carnot, à la suite de l’Exposition universelle, le 29 septembre 1889, le peintre assimile cette distinction à la baguette d’un puissant régisseur. Du coup, c’est tout un concept qui s’expose dans ce sentencieux décor, celui d’une émulation lancée à la conquête de l’univers.

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La pesée des âmes

Le catholicisme a longtemps défini le salut par la révérence de Dieu. C’était là une façon de conduire les âmes – de rendre vertueux les fidèles – par l’attente de récompenses et la crainte de punitions. De quelle manière ces biens spirituels pouvaient-ils gouverner les hommes ? C’est justement ce qui fait débat avec le mouvement de la Réforme et les transformations sociales qui affectent une partie de l’Europe. Le salut dépend-il de la seule élection divine ou des actions de chacun, bonnes ou mauvaises, voire de la miséricorde, cette divine rédemptrice de l’humanité ? Une controverse puisqu’elle a longtemps constitué en Occident la tension principale des échanges organisés entre les hommes et Dieu, les clercs et les laïcs, les vivants et

les morts. La crainte du Jugement dernier est une préoccupation familière dans la société catholique. D’où l’omniprésence en son sein du cérémonial du pèsement des âmes. Si sa source d'inspiration en est l'évangile de saint Mathieu, de multiples prônes et représentations en répandent la présence. Avec la figure d’un Christ accueillant le « peuple des élus » d'un mouvement du bras droit levé, le mouvement de la main gauche abaissée désignant, lui, l'enfer qui attend les réprouvés. D’innombrables sculptures propagent cette image du Jugement dernier. Comme celle, terrible, qui se joue depuis plus de huit siècles au-dessus du parvis de l'abbatiale de Sainte Foy, à Conques.

Figure 2 - Détail de la fresque du portail occidental de l’abbaye de Conques. Coll. Pers. Revêtu du pallium, le Souverain-Juge a prononcé son verdict. Sur le nimbe crucifère, l'inscription : "Judex et Rex", "roi et juge". De la main droite il montre aux élus le ciel : "venez les bénis de mon Père..." ; de la main gauche il indique l'enfer aux réprouvés : "éloignez-vous de moi, maudits" (Mat 25,31). Et tandis que deux anges sonnent l'olifant pour le rassemblement final de l'humanité (Mat 24, 31), au-dessus, la croix du Christ se dresse entre le soleil et la lune : "ce signe de la croix sera dans le ciel lorsque le Seigneur viendra juger". (Mat 24, 30)

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La grâce royale

Depuis la Réforme, une ingénierie s’est installée au cœur des pratiques de gouvernement. Vouée à l’administration de la déférence, celle-ci traduit la montée en puissance d’une nouvelle conception de la grâce. Les guerres de religion en ont facilité l’émergence. Et déjà en introduisant une incertitude radicale dans l’architecture traditionnelle du Salut. Moment singulier de l’Occident chrétien. C’est l’époque où la «rédemption des âmes » oppose une religion cléricale, prodigue en bénédictions et autres indulgences, à une doctrine de la prédestination qui, elle, justifie la piété par un sola fide contestant jusqu’à l’idée de dévotion protectrice. L’époque où l’essor des rapports marchands et le développement du pouvoir monarchique fragilisent les enseignements, voire les commandements de l’Eglise. La « rédemption » est alors concurrencée par la « reconnaissance » : une épreuve avant tout humaine dans laquelle les dignités royales, bien qu’elles demeurent encore extérieures au concept de mérite, encouragent et récompensent. Or, cette

reconnaissance repose sur des signes hiérarchiques qui sont en même temps des titres honorifiques. Des grades, des rangs, des costumes, des décorations : autant d’instruments au moyen desquels le roi s’efforce de

domestiquer la noblesse.

Figure 3 - Nicolas-Guy Brenet, Henri II donne le collier de l’ordre de Saint-Michel au Maréchal de Tavannes après le combat de Renty le 15 août 1554 (1789), huile sur toile, 3, 810 x 2,360, Châteaux de Versailles et de Trianon @ Réunion des musées nationaux.

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Figure 4 - Vêtements et décorations des membres de différents ordres de chevalerie : à gauche, un chevalier de l’ordre de malte (costume de 1678), au centre, un chevalier de St Louis (costume paré de 1693), à droite un chevalier de l’ordre teutonique d’après une gravure d’un ouvrage du XVIe siècle. Source : Le Magasin pittoresque. 1841.

Au cours des XVIe et XVIIe siècle, les gouvernements en Europe n’ont eu de cesse de bâtir « leur » État de droit divin. Une Sainte Jérusalem qu’ils rêvaient d’établir à l’intérieur même du royaume des hommes. Les historiens ont abondamment décrit cette confessionnalisation des États modernes, qu’elle soit calviniste, luthérienne ou catholique. Ils ont aussi décrit les multiples résistances qui lui furent opposées. L’enjeu était d’importance : il s’agissait de consacrer l’existence d’une justice monarchique, celle des dignités de sang et de titres. Avec l’avènement des premiers États modernes, cette technique de gouvernement va de changer de nature. En changeant de monde, elle va s’intensifier et donner naissance aux premiers grands patronages honorifiques d’État. Désormais, les membres des ordres militaires et nobiliaires devaient jurer fidélité, non plus au chef de la Compagnie mais au roi lui-même et être libre de tout autre engagement d’ordre. De plus, ils étaient nommés par le souverain et non plus élus par leurs pairs, à la pluralité des voix comme dans l’ordre de la Toison d’Or institué par le duc de Bourgogne, Philippe le Bon en 1429. Une façon de s’assurer d’une loyauté à toute épreuve alors que les liens de vassalité s’affaiblissaient.

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Honor, gradus, dignita

Figure 5 - L’ordre du Saint-Esprit. Le Roi donne l’accolade et « fait » les chevaliers de Saint-Michel, le jour qui précède la cérémonie de l’ordre du Saint-Esprit. Composition d’Abraham Bosse qui sert de frontispice à un ouvrage de Pierre d’Hozier, Histoire de l’ordre du Saint-Esprit (1634). On y voit Louis XIII recevant un des cents chevaliers, choisi parmi les plus illustres personnages de la cour, de l’église et de la noblesse, à Fontainebleau le 14 mai 1633. Hauteur : 0.240 m. Longueur : 0.160 m, Châteaux de Versailles et de Trianon (Photo RMN ©)

L’honneur : cette « marque de considération » (Lucien Febvre), ce « préjugé de personne et de condition » (Montesquieu) fut progressivement mis en apanage. Il fut instrumenté par les souverains des premiers États modernes : au sens premier du terme, transformé en rubans, manteaux, médailles, cordons, plaques. Un instrumentum (ameublement) destiné à instruire (instruere) en l’occurrence à discipliner les Grands du royaume pour s’assurer de leur fidélité. Autre changement lié à la constitution de cette déférence d’État : la distribution des prestiges et distinctions se codifie et se

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délègue. Elle est désormais le fait de légistes au service d’un Prince qui fait plus que jeter les éclats du sacre. Qui les proportionne aux lignages et aux services, qui en règlemente l’usage, qui les protège contre les usurpations. Bref qui les bureaucratise en s’appuyant de plus en plus sur des savoirs et des administrations d'État. La transformation de la figure d’un roi dispensateur de grâce en celle d’un monarque dispensant des libéralités souveraines fut essentielle. Ce mouvement amorce une

véritable bureaucratisation des honneurs.

La focalisation des historiens sur la société de cour a fait délaisser les compétitions autour des honneurs de l’Église. Et pourtant. Le sacerdoce offre des distinctions particulièrement disputées. Le clergé n’occupe-t-il pas le premier rang du royaume, après le roi et les princes de sang ? Avec la dignité, le personnat, l’office ou les prélatures, l’Église est restée longtemps la grande productrice de biens honorifiques. Instrumentant l’amour des distinctions, elle a bâti une architecture de concepts et de techniques particulièrement éprouvée. La dignité ? Elle y désigne un titre réservé à certains bénéfices, ceux des églises, cathédrales ou collégiales combinant prééminence et juridiction. Le personnat correspond, lui, à la prééminence sans la juridiction. Et l’office à l’administration de questions ecclésiastiques sans prééminence ni juridiction. Quant à la prélature (la culmina seu apices dignitatem), elle rassemble les plus hautes fonctions du gouvernement ecclésial :

le pape, les cardinaux, les patriarches, les primats, les archevêques et évêques. Jeu subtil de titres et fonctions qui, avec leurs récompenses célestes (ses « indults », ses «

grâces expectatives ») s’offrait comme un modèle à l’administration royale. D’un côté donc les honneurs de l’Eglise, de l’autre les honneurs dans l’Église. C’est une autre source d’instrumentation, avec le banc fermé dans le chœur, les armes aux vitres, les préséances lors des processions, les prières nominales au prône, la sépulture dans le chœur, les litres ou ceintures funèbres, le droit de sonnerie après le décès des patrons et seigneurs haut justiciers. Le droit canon a fait de toutes ces marques d’estime un domaine à part. Rubrique austère mais capitale, celle des droits honorifiques. Dans les paroisses, les droits honorifiques exemplarisent un lien de subordination : entre ceux qui commandent sur terre et ceux à qui il est enjoint de leur obéir et de les honorer. C’est pourquoi la pyramide de ces droits s’attache avant tout à hiérarchiser les membres de la « communauté» afin que chacun puisse y « conserver les rangs ».

Figure 6 - Frontispice de Jacques CORBIN, Traicté des droicts de patronage honorifiques et autres en dependans…, dédié à Nicolas de Verdun , Paris, Thomas Blaise, 1622. Photo pers.

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Une nouvelle disciplina ?

Figure 7 - Catalogus Gloriae Mundi, édité par Sigismond Feyerabend, Francfort-sur-Main, 1579 (1ére éd. Lyon, S. Vincent, 1527). Cette illustration montre les « gloires de la plèbe » : l’agriculture, le commerce, l’architecture, la chasse, la chirurgie, et le « Tympanastria » l’art du tambour. Des figures allégoriques encore empreintes de connotations alchimistes mais transformées en emblèmes des nouveaux domaines conquis par la gloire. L’ouvrage va connaître de nombreuses copies en Europe : il célèbre l’honneur non seulement des créatures de la puissance divine mais de celles de la science, des arts et des matières humaines. Démarche originale en ces temps de Renaissance. La considération 39 de la partie XI porte, par exemple, sur l’éloge des professions de librairie, de typographie et de bibliothèque synonymes d’excellence des « arts pratiques ». Photo. pers.

Si la « discipline » tient à une déférence d’État, si elle est liée à une mise en rangs des positions d'autorité, c’est-à-dire à une majesté royale devenue puissance souveraine, reste à savoir comment la dispenser. Au XVIe siècle, les distinctions n’étaient pas assujetties à la « loi ». Intercédant pour Dieu, elles étaient synonymes de « supériorité visible ». Comme chez Jean Ferrault avec ses Insignia Pecularia (1510) ou Charles de Grassaille avec ses Regalium Franciae (1538) : une marque personnelle, « rayon de considération » qui, sur le modèle des rituels d’adoubement, permet d’étendre la potestas erga omnes. Le jurisconsulte Barthélemy de Chasseneux en propose une taxinomie complète dans son Catalogue des gloires du Monde. Un tableau qu’il ordonne en distinguant des marques rhétoriques (des « épithètes d’honneur »), des gestes de concorde (« fléchir le genou », « abaisser son chapeau », « céder une préséance »), des insignes ou vêtements (médailles, épée, armoiries timbrées, manteau). Dans tous les cas, ces honneurs répondaient à une nécessité : rendre visibles pour les classer les qualités d’excellence qui fondent la hiérarchie sociale. D’Oncieu parle, d’insignia insignium : de marques et d’« enseignes » destinées à signaler les grands en les distinguant du peuple. « Sans la reverence d’honneur, écrit-il, que luy est deüe par quelque demonstration extérieure, (la noblesse) ne demeure obscurcie et abismee au fondz du vulgaire, avec lequel elle seroit traictee confusement ».

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Le régime honorifique de la faveur

La faveur, de favere (favoriser, marquer son approbation) est le régime honorifique de la monarchie à son apogée. Cette disposition à accorder du crédit s’entend comme une marque de préférence ajustée à la condition de son bénéficiaire. Grand justicier, le roi accorde chaque faveur souverainement, au nom d’une justice commutative (pour les litiges entre particuliers) ou d’une justice distributive (pour la distribution des dignités et concessions que lui dicte son sens de l’équité). La prééminence est donc toujours un privilège (privi-legium, loi privée). Elle est toujours une concession du roi, qu’elle soit crée en compensation d’un service ou « confirmée » lorsqu’elle s’appuie sur une coutume immémoriale. Moyen de pacification, source de rémunération, garante de fidélités : la faveur est bel et bien un instrument de gouvernement à part entière. Si la récompense est faveur, c’est parce que la hiérarchie sociale est entendue comme une projection du corps mystique : le Roi en forme la tête et les différents ordres les membres. De sorte qu’elle

se révèle aussi singulière que cette écharpe ou ce ruban donné à un chevalier par une dame auxquelles la favere était identifiée au XVIe siècle, aussi profuse que cette largesse que les peintres figurent sous les traits d’une abondance native se donnant elle-même en partage.

La majesté (maiestas) de la couronne impliquait une soumission entière : au double sens de complète et de démonstrative. D’où le rôle qu’y jouait l’étiquette. Visant à donner au trône un éclat sans pareil, notamment dans la lutte que se livraient les cours européennes, celle-ci réglait les devoirs extérieurs, notamment entre individus de statut ou de lignée distincts. Une manière d’obliger chacun à « tenir son état ». Cette disciplina se composait d’innombrables prescriptions qu’il fallait connaître sous peine de déchoir pour « manque d’usage ».

Figure 8 - De la faveur, on trouve une représentation caractéristique sur cette eau-forte réalisée au XVIIIe siècle « Le mérite récompensé par Louis Le Grand dans la distribution des dignités de l’église et des charges de l’Etat » (Louvre, coll. Rothschild, 1696, 0, 862 x 0, 574 @ Réunion des Musées nationaux). Louis XIV, à Versailles y tient le rôle d’une corne d’abondance. Némésis solaire, intercesseur intarissable : les qualificatifs se bousculent pour célébrer la puissance du donateur. Et sa dispensatio souveraine.

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Figure 9 - Le coronet : un signe honorifique qui est arboré par les membres de la noblesse britannique lors des couronnements et réceptions royales. La forme des coronets répond à un protocole très précis : il existe une chronologie distinctive pour ces insignes. En témoigne le fait que le cercle d’argent est rehaussé des armes propres à chaque lignée mais aussi de lys, de croix, de boules ou de feuilles métalliques. C’est ainsi que les pairs et pairesses portent un coronet d’argent doré à calotte de velours rouge avec bord relevé d’hermine orné d’un gland d’or sur le sommet. Le rang (marquis, comte, vicomte, baron) peut également être signalé par le nombre de perles ou de boules d’argent ou par le nombre de tâches noires sur la fourrure d’hermine. Les couronnes des pairesses sont plus petites que celle des pairs : elles peuvent ainsi être accrochées dans des tiares ou être fixées à l’aide d’épingles dorées (Photo Soldsmiths et Silversmiths Cie). Source : Le Monde Illustré.

Figure 10 - Louis XVI et le duc de Richelieu lors de la fête du St Esprit, Antoine Vestier, (Avallon, 1740, Paris, 1824 @ Musée national de la Révolution française). La scène décrit un hommage au doyen des membres de l’Ordre, Armand du Plessis, duc de Richelieu, auquel le roi, Grand-Maitre de l’ordre, rend visite à l’occasion de la fête célébrée le 1er janvier. Il s’agit d’un témoignage de ce que fut sur le terrain honorifique la réaction nobiliaire à la montée en puissance de la bourgeoisie notamment dans l’armée.

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L’édit portant création et institution de cet Ordre dont le Roi se déclarait « Chef et Souverain Grand-maître » fut donné à Versailles au mois d’avril 1693. En pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg, Louis XIV voulait stimuler la valeur des officiers roturiers et, pour cette raison, exclus des anciens ordres de chevalerie nobiliaires. Doté de 300 000 mille livres de rentes et de biens en revenus, l’ordre mettait en scène le triangle classique de la grâce royale : une valeur d’éclat, des candidats mis en lice et un arbitrage à la fois personnel et surnaturel. « Les Officiers de nos troupes se sont signalés par tant d’actions considérables de valeur et de courage dans les victoires et les conquêtes dont il a plus à Dieu de bénir la justice de nos armes, que les récompenses ordinaires ne suffisant pas à notre affection et à la reconnaissance que Nous avons de leur services, Nous avons cru devoir chercher de nouveaux moyens pour récompenser leur zèle et leur fidélité.» : c’est dans cette vue que fut établi le nouvel ordre honorifique. Outre les marques d’honneur qui y étaient attachées (un habit couleur de feu, une croix d’or sur laquelle se détachait l’image de Saint Louis), des revenus et des pensions venaient augmenter leur attrait. Des « grâces » décernées par le souverain mais accessibles aux seuls officiers qui, professant «la Religion catholique, Apostolique et Romaine », avaient servi sur terre ou sur mer pendant dix années. Ce qui n’empêcha pas le souverain d’affirmer que « la vertu, le mérite et les services rendus avec distinction dans nos armées seront les seuls titres pour y entrer ». Mais le référent n’est plus tant la dignité que l’émulation. Melin en convient : « Ce qui n’est que grand ne frappe qu’un certain ordre d’individus et ce qui est utile est transmis aux siècles futurs de génération en génération ».

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La révolution de l’Égalité

Avec la Révolution française, le mérite, notion sans cesse redéfinie, est proclamé nouveau critère des distinctions sociales. L’admiration des « talents » et des « vertu s» est surtout le moyen de stigmatiser les croyances « gothiques » de la société d’ordres. Comme l’image d’une noblesse descendant des conquérants francs et faisant face à des « ignobles » issus eux des Gallo-romains vaincus. Si l’égale dignité des hommes est inscrite dans la constitution, est-ce à dire que le citoyen est désormais un être sans qualité ? Il s’en faut de beaucoup.

Si la première république a sacralisé la notion d'égalité, ce fut aussitôt pour universaliser le principe de l'émulation patriotique. Sous forme de citations, de brevets, d’éloges, de couronnes civiques, de colonnes gravées, d’annales héroïques ou tout simplement de récompenses pécuniaires, la Révolution a enfanté une vigoureuse politique d’exemplarité. Pédagogique et commémorative, celle-ci s’est étendue à la nation toute entière. Au point que Roederer, à la fin de sa vie, s’en

montrera convaincu : la république n’avait pas aboli la noblesse. Elle avait simplement substitué à l’hérédité de ses privilèges une autre noblesse, celle du mérite.

Figure 11 - Le Plan d’émulation civile et militaire de Jean-Baptiste Louis La Tournelle, « Mestre de camp » depuis 1759, Chevalier de St Louis, reçu dans cet ordre à l’âge de 26 ans et Vétéran national depuis le 1er juillet 1790. Ce dernier avait imaginé en janvier 1791 deux décorations patriotiques pour remplacer les ordres de Saint-Michel, de Saint Lazare, du Saint-Esprit et de Saint-Louis. Il s’agit de deux décorations, l’une civique : un ruban national qui attache à la boutonnière de l’habit une grande croix d’or émaillée représentant un pélican nourrissant son fils de son sang avec la légende « De sanguine meo nutrisco meos » et un autel de la patrie (entre une corne d’abondance et un soc de charrue) ; l’autre militaire ouverte « à tout militaire de religion chrétienne y compris les gardes nationaux titulaires ». Une décoration qui s’essayait au syncrétisme en reprenant les caractéristiques de la croix de Saint-Louis mais sans référence monarchique. Il était même précisé que les mères et épouses de ces « chevaliers civiques ou militaires » pourraient arborer un anneau d’or avec l’inscription « Mère ou épouse de … ». Source : A. N.

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Figure 12 - Proposition du citoyen Babin âgé de 73 ans 17 mai 1793 envoyée au Comité d’Instruction Publique, « pour récompenser au mérite » mais une décoration qui, assurait son auteur « ne forme point de corporation par le nombre de ceux qui en seront détenteurs ». Source : A.N. D XXXVIII (4)

L’entrée en scène du mouvement populaire poussait la Convention dans une fuite en avant. La qualité civique exigée de chacun ? Elle n’était plus que la fidélité aux idéaux du jour. C’est-à-dire la fidélité à ses porte-parole attitrés : hommes de main, administrateurs, sectionnaires. En retour, tout écart devenait signe de suspicion : il ne pouvait que démasquer un mauvais citoyen. La Commune de Paris puis la Convention, à partir d’octobre 1793, vont donner au précieux certificat une fonction d’apostrophe : sa tâche sera de remplacer jusqu’au Monsieur que l’on accusait de dériver de « mon seigneur ». Utilisée devant le patronyme, l’appellation de citoyen marquait, elle, une égalité d’apparence. Au nom de l’égalité politique et à la place de l’égalité sociale. D’autres voulaient aller plus loin. Limiter le propos aux distinctions décoratives, n’est-ce pas rester prisonnier d’une vision bourgeoise ? Abattre l’orgueil des nobles ? A quoi bon si c’est pour exhausser celui des riches. Inégalité pour inégalité, celle des rangs était jugée moins insultante que celle des fortunes.

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La vogue de l’Antiquité va lui assurer un grand succès parmi les hommes des Lumières et durant la période de la Révolution française. Mais ce ne fut pas le seul signe antique à jouir d’une telle réputation. Que l’on songe aux feuilles d’olivier brandies par l’helléniste Jean-Jacques Barthélémy. Elles l’invitent à lancer un appel véhément : « excitez toutes les espèces d’émulation ; honorez tous les genres de mérite ; n’attendez que des actes de courage et de grandeur de celui qui ne vit que pour la gloire ». On pense plus encore à Jean-Jacques Rousseau célébrant les emblèmes de la Rome antique : le pileus du citoyen délivré de l’esclavage ou la couronne civique de ceux qui ont sauvé la vie d’un homme. Des distinctions qui étaient, croit savoir le genevois, ce qu’on regardait « avec plus de plaisir dans la pompe des triomphes ».

La Convention fut-elle hostile au principe des décorations ? C’est la thèse que développe l’historien Aulard, dans l’important article qu’il a consacré à la légion d’honneur1

1 Alphonse Aulard, « Le centenaire de la légion d’honneur », Etudes et leçons sur la Révolution française, 4ème série, Paris, Felix Alcan, 1904, p. 261-302.

. Si l’on entend le mot décoration dans le sens d’un insigne héréditaire, arboré dans le but de se distinguer, notamment comme membre d’un groupe réputé supérieur, l’historien a raison. Mais ce n’est alors qu’un usage qui est visé, non pas le principe de la décoration. Cet usage chez Aulard est celui de l’Empire qui renoua, en créant la « croix » de la légion d’honneur, avec l’imaginaire catholique et hiérarchique de la société de cour. Le terme décorer est, par lui-même, bien plus modeste. Il vient du latin decorare (orner, parer) qui a donné au figuré rehausser, distinguer. La décoration, c’est l’ornement qui agrandit une personne ou un acte en y attachant l’estime publique. Il dérive du mot decus, la gloire. A la fin du XVIIIe siècle, son sens se restreint en France à l’insigne honorifique remis au titre d’une récompense.

Figure 13 - La vignette est un hommage rendu au « vertueux citoyen Joseph Cange, Commission de St-Lazare ; né à Sarrebourg. On y lit cette strophe : « C’est dans cette classe autrefois dite obscure/Qu’on retrouve partout la sensible nature/De ces hommes de bien, d’un esprit ingénu:/Leur corps respire l’air, leur âme la vertu ». Peint d’après nature par Legrand gravé par P. Beljambe. Source : Inventaire du fonds français.

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En 1792, une société du blâme et de la louange se met en place. La guerre, déclarée le 20 avril, la levée des volontaires, en juillet, bientôt l’abolition de la distinction censitaire entre citoyens actifs et passifs : il fallait donner à la République son propre régime d’incitations. Sous forme de citations publiques, de brevets solennels, d’éloges en assemblée, de couronnes civiques, d’annales héroïques ou tout simplement de récompenses pécuniaires, la Convention va promouvoir une émulation civique. C'est donc une certaine manière d’honorer que la Convention s'attacha à proscrire. Ce sera l’enjeu de l’exemplarité civique dont le gouvernement va organiser le déploiement sur une vaste échelle.

Le principe des expositions industrielles et commerciales date… de la Révolution française. C’est aux Champs de Mars qu’en l’an VI de la République (1798) eut lieu la première de ces « arènes du travail et de l’industrie». Le Directoire sur le rapport de François de Neufchateau décréta ces expositions pour promouvoir « l’émulation des milieux économiques ». Modeste compétition qui n’accueillait à ses débuts qu’une centaine d’exposants et auxquels on accorda après cinq jours de présence 23 récompenses. Les expositions allaient pourtant se répandre et s’étoffer. En 1855, ce fut la première exposition internationale ou universelle pour laquelle fut bâti le Palais de l’Industrie. Le nombre des exposants tant français qu’étrangers fut de 9237 mais de plus de 20 000 pour les Expositions universelles de 1867 et 1878 qui eurent lieu aux Champs de Mars. Les plus hautes autorités de l’Etat, des souverains, des élus, des ministres venaient les présider et y discourir. Des milliers puis bientôt des dizaines de milliers de récompenses y entretenaient un désir de reconnaissance qui se graduait en « grands prix », « médailles d’or », « médailles d’argent », « médailles de bronze » ou « mentions honorables ». Aucune limite ne semblait plus être mise à l’émulation premiale.

Figure 14 - La phalère romaine passe, sous la Révolution, pour le modèle sinon l'origine des récompenses « civiques » : plaque de bronze ronde, fixée sur les cuirasses, elle pouvait être remplacée par des colliers (torques), des javelots d'honneur ou des bracelets. Source : la Grande Encyclopédie.

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Figure 15 - Les cartes et médailles des députés sous la Révolution française. Ces décorations étaient portées par les membres de l’assemblé pendant l’exercice de leurs fonctions. Source : Le Magasin pittoresque du 15 novembre 1835

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Figure 16 - L’exposition publique annuelle des produits de l’industrie nationale au Champ de mars en 1798. Coïncidant avec l’anniversaire la république, cette exposition était présidée par un jury nommé par le gouvernement et appelé à désigner « les douze fabricants ou manufacturiers qui lui paraîtraient mériter d’être offerts à la reconnaissance publique dans la fête du 1er Vendémiaire qui devait clore l’exposition ». Source : Le Monde Illustré du 6 janvier 1900.

Figure 17 - L’exposition publique annuelle des produits de l’industrie nationale au Champ de mars en 1798. Coïncidant avec l’anniversaire la république, cette exposition était présidée par un jury nommé par le gouvernement et appelé à désigner « les douze fabricants ou manufacturiers qui lui paraîtraient mériter d’être offerts à la reconnaissance publique dans la fête du 1er Vendémiaire qui devait clore l’exposition ». Source : Le Monde Illustré du 6 janvier 1900.

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La bureaucratisation des honneurs

Lors de la séance du Conseil d'État du 14 floréal an X consacrée à la création de la Légion d'honneur, le premier consul, le futur Napoléon Bonaparte, dresse un constat accablant : «Nous sommes après la révolution. On a tout détruit ; il s'agit de récréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs ; mais tout le reste de la nation, qu'est-ce ? Des grains de sable. Nous avons au milieu de nous les anciens privilégiés, organisés de principe et d’intérêts et qui savent bien ce qu'ils veulent. Je peux compter nos ennemis. Mais nous, nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact (…). Il nous faut jeter sur le sol de la France quelques masses de granit ; il faut donner au peuple une direction et pour cela avoir quelques instruments». Ces instruments, ce seront des distinctions honorifiques. Des grades, des rangs, des insignes au moyen desquels l'État va objectiver le mérite en l'assimilant à des signes hiérarchiques, à la fois fonctionnels et sécularisés.

Figure 18 - Deux lauréats de la Société centrale de sauvetage des naufragés (Phot. Sartony). Deux figures de bravoure récompensées par le prix Gabrielle Lunain et le prix Tourville. Agé de douze ans, Le Hénaff (à gauche) a sauvé dans le Guer (Finistère) un enfant de dix ans qui se noyait. Du même âge, Henri Cyrille (à droite), monté sur l’Albatros qui chavira, se cramponna à la quille et sauva un enfant de sept ans. Source : Le Monde Illustré.

Tout au long du XIXe siècle, la bureaucratie va produire en Europe d'innombrables gratifications honorifiques. En France, à la Légion d'honneur s'est, par exemple, ajoutée une pléiade de médailles : la médaille d'honneur dite du sauvetage (1820), médaille de Juillet et croix des Combattants de Juillet (1830), la médaille militaire (1852), celle de Sainte-Hélène (1857), des Sociétés de Secours mutuels (1858), d'Italie (1859), de Chine (1861), du Mexique (1863), des Postes et Télégraphes (1882), des Préposés Forestiers (1883), du Mérite agricole (1883), du Tonkin (1885), du Travail (1886), de Madagascar (1896), des Administrations Pénitentiaires (1896), des Contributions indirectes (1897), des Travaux Publics (1898), des Établissements pénitentiaires coloniaux (1898), des Ouvriers de l'Exposition Universelle (1899), des Sapeurs Pompiers (1900), des Halles et Marchés de Paris (1900).

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Au total, plus d’une cinquantaine de décorations nationales. Comme si en s'arrogeant les prérogatives du Roi, la bureaucratie s’était approprié un monopole sur la certification du mérite. Avec le souci de transformer certains comportements -ce que l'on peut appeler des poses de la grandeur- en dignités reconnues et convoitées.

Figure 19 - Un diplôme de la Médaille de Ste Hélène. Source : le Monde Illustré de 1879. Fondée par un décret du 12 août 1857, elle était attribuée à tous les militaires, de nationalité française et étrangère, qui avaient combattu sous le drapeau durant la Révolution et les guerres impériales. Si de modestes secours viagers l’accompagnaient parfois, selon l’âge ou l’importance des blessures, la décoration, elle, dissociait, la gratitude de l’idée d’indigence. Elle récompensait l’ensemble des « vieux soldats ». Réalisée en bronze, elle se portait à la boutonnière, surmontée d’un ruban vert et rouge. Une de ses faces représentait l’empereur ; l’autre portait l’inscription « campagnes de 1792-1815 – à ses compagnons de gloire, ses dernières pensées, 9 mai 1821. ». Une création qui accentuait la démocratisation du système honorifique né avec le 29 floréal an X (19 mai 1802). Sur les 390 000 vétérans encore en vie en 1857, tous ne reçurent pas la médaille. Il fallait en justifier le port, soit par deux années de service, soit par deux campagnes soit encore par une blessure. Mais le signe fut largement accordé, propageant autour de lui, ce que Sudhir Hazareesingh, appelle une véritable « déférence impériale ».

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Figure 20 - Scène de la fille perdue. Un poste de police en 1900. Dans cette scène de la vie d’un commissariat parisien, on remarquera que tous les gardes municipaux sont décorés. Source : Le Monde Illustré du 12 novembre 1900

Figure 22 - La fascination pour les signes de mérite fut construite par la bureaucratie comme une technique de gouvernement. Publicité du journal L’Armée Française, avril 1900. Source : le Monde Illustré

Figure 21 - La médaille du concours agricole dessiné par Alphée Dubois, avec sa représentation de la République personnifiée par une jeune femme d’élégant profil tendant une main pleine de promesse à l’agriculture, féconde et gracieuse. Source : Le Monde Illustré

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La laïcisation des honneurs

Pour le journal légitimiste L’ami de la religion et du roi, la distinction de la légion d’honneur n’ajoutait aucun lustre à l’éclat de la dignité épiscopale : «un évêque qui, en cette qualité, porte sa croix, n’a guère besoin d’autre décoration. La croix épiscopale est au-dessus de toutes les autres ». Comment en douter ? Les sarcasmes dirigés contre les honneurs « séculiers » en soulignent l’ampleur : la bureaucratisation des récompenses d’Etat ouvrit, au XIXe siècle, une profonde rivalité en matière de tutelle honorifique. Signe que derrière chaque décoration se trouve engagé un rapport de déférence. Modifier l’une, c’est porter atteinte au second.

Décernés au nom de l’Empereur, du Roi ou des ministres de la République, de tels hommages mettaient en scène une prérogative ("honorer la vertu") qui avait d'abord pour mission de favoriser un sens de la reconnaissance. De promouvoir une exemplarité qui, elle-même, s’affirmait comme un puissant moyen de contrôle. D’où au XIXe siècle, des concurrences et des conflits liés à la « nationalisation » des honneurs. Le culte des distinctions ecclésiales et de tout ce qui peut nourrir le patronage chrétien n’est pas nouveau. Il est issu du Grand Siècle de la prédication chrétienne. Au XIXe siècle, le Pape, quoique son pouvoir temporel soit contesté, conserve une souveraineté honorifique. Il confère des titres personnels et héréditaires, des blasons de chevalerie et des décorations reconnus par la plupart des gouvernants. Comme les distributions extraordinaires de La Rose d’Or, les Insignes de Commandeur du Saint Esprit, l’Insigne du Porte Etendard ou ceux, plus classiques, de la Croix de Lorette, de la Croix de Pèlerin de Terre Sainte, de Saint Jean de Latran. Au XIXe siècle, la concurrence des ordres séculiers en a fit naître de nouveaux. Comme l’Ordre de Saint Grégoire le Grand.

Figure 23 - Mgr François-Joseph Le Courtier, nouvel évêque de Montpellier arborant sa croix… de la Légion d ‘honneur (photo. De Desmaisons). Source : Le Monde Illustré du 26

octobre 1861.

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On l'aura compris : ce que recouvre, au XIXe siècle, la codification administrative des honneurs, c'est – dans l’Église comme au cœur des Etats – le passage d'une distinction patrimoniale à une dignité dorénavant bureaucratisée. La théorie de la bureaucratie l’a toutefois longtemps ignoré : les honneurs furent l’un des moyens matériels qui ont permis de produire cette régularité de comportement. Instruments de discipline, ils ont participé de la mise en ordre des positions de pouvoir. Non pas comme une simple notification décorative, sorte de maniérisme hérité d'un passé que personne n'osait plus s'abaisser à congédier, mais en entretenant une émulation spécifique. Il en a résulté, un esprit de corps, autrement dit, un amour-propre individuel et collectif, qui a favorisé un sens de la distinction et joué comme un puissant moyen de contrôle.

Figure 24 - Un acte concordataire : la remise en 1879 du cardinalat à Mgr Meglia par le président Jules Grévy au palais de l’Élysée. Dessin G. Janet d’après un croquis de M. Dick. Source : Le Monde Illustré.

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Une fontaine d'honneurs

Si les honneurs au XIXe siècle furent pour les princes le moyen de s’attacher les « hommes nouveaux », ils eurent un autre ressort dont témoigne l'évolution des pratiques de gouvernement. Partout sur le continent européen, les nouvelles tâches administratives nécessitaient la mise sur pied de bureaux et d'organismes permanents, la délimitation de juridictions et de règles de procédures. Entre les mains des nouvelles élites dirigeantes, l'administration d'Etat se transformait. Elle passait d'une logique prébendo-patrimoniale à une rationalité bureaucratique. Cette réorganisation des services, intense tout au long du siècle, poussa la bureaucratie à généraliser l'usage des gratifications honorifiques. Et déjà pour s'assurer une maîtrise méthodique de la conduite des fonctionnaires. L’exigence était sensible dans des secteurs comme la magistrature, la police ou l’armée.

Figure 25 - Une scène appelée à devenir rituelle : la remise de décoration par le chef de l’Etat lors d’une revue des troupes. Ici, Napoléon III lors de la réception du Grand Duc Constantin en 1857. Source : le Monde Illustré de 1858.

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Figure 26 - A Valence, le président de la République Sadi Carnot distribue des diplômes de médailles aux plus anciens employés de la compagnie PLM. Cette « libéralité » républicaine concernait les vieux serviteurs récompensés pour plus de 30 ans de loyaux services. Une distribution effectuée lors des voyages des chefs de l’Etat qui s’imposera très vite comme une figure éprouvée de la capacité du chef de l’Etat à « reconnaître » le mérite. Source : Le Monde Illustré du 4 août 1888.

Figure 27 - La remise de récompense des mains du chef de l’Etat : le 13 avril 1901 lors du voyage à Antibes pour les fêtes de Toulon. Source : le Monde Illustré.

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La théorie de la bureaucratie l’a toutefois longtemps ignoré : les honneurs furent l’un des moyens matériels qui ont permis de produire cette régularité de comportement. Instruments de discipline, ils ont participé de la mise en ordre des positions de pouvoir. Non pas comme une simple notification décorative, sorte de maniérisme hérité d'un passé que personne n'osait plus s'abaisser à congédier, mais en entretenant une émulation spécifique. Il en a résulté, un esprit de corps, autrement dit, un amour-propre individuel et collectif, qui a favorisé un sens de la distinction et joué comme un puissant moyen de contrôle.

Figure 28 - 14 juillet 1914 : le chef de l’Etat décerne les grades de chevaliers à plusieurs officiers et élève plusieurs généraux parmi lesquels les généraux Joffre et Archinard, grand croix. Source : le Monde Illustré.

Figure 29 - Distribution par le roi Victor-Emmanuel sur la place du Plébiscite, à Naples, des médailles de la valeur militaire aux bataillons de la garde nationale (croquis de Pierre Blanchet). Source : le Monde Illustré du 17 mai 1862.

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Figure 30 - La « manne du Nouvel An » dénoncée au XIXe siècle comme une curée des honneurs par le caricaturiste E. Marin. Source : Le Pèlerin. (Coll. Yves Déloye).

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Traquer les vertus du peuple

Si les récompenses sont désormais nationales, la nation reste, elle, un continent à explorer. Or, c’est sur elle que les administrations s’efforcent dorénavant de jeter une lumière salvatrice, notamment sur l’indigence vertueuse. La tâche est évidemment difficile. Non pas que les actions vertueuses soient plus rares chez les pauvres, mais elles passent pour y être « ignorées ». C’est en tout cas le sentiment qu’en ont les élites. D’« ignorées », ces vertus deviennent «obscures», donc « à éclairer ». A découvrir, à classer, à publiciser, à réhabiliter.

Figure 31 - Le citoyen décoré : le quartier-maître Lauri arborant la Légion d’honneur reçue en récompense d’un acte de sauvetage/ Source : Le Monde Illustré de 1857. Le quartier-maître Lauri était le patron de la baleinière qui, après le naufrage du bâtiment Duroc, fut envoyé pour chercher des secours. La bataille livrée par cette frêle embarcation contre les ouragans et les orages («lutte formidable contre les éléments conjurés ») fut exploitée par la presse parisienne pour encenser la grandeur et le dévouement de ces hommes qui n’hésitent pas à aller « chercher à travers de tels dangers et au prix de semblables fatigues des moyens de salut pour leur compagnons restés sur un écueil ».

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Figure 32 - En « une » du Monde Illustré du 28 février 1914, Guillaume Rolland, le « glorieux » clairon de Sidi-Brahim qui, en 1845, aux trois quart mourrant sonna la charge de Sidi Brahim a reçu la rosette d’officier de la Légion d’honneur. Quelques mois plus tard, les « enfants de Rouergue » ont fêté le glorieux vétéran à Paris : pour l’occasion, le président Poincaré lui a donné une accolade. Signe de l’importance croissante de cette émulation premiale, une page entière fut consacrée à l’ « évènement », avec des photos de l’arrivée du héros décoré à la gare dans une automobile Alada et lors du banquet présidentiel organisé à son intention, le « vieux brave » fut installé à la droite du chef de l’Etat le « vieux brave ». Lors de ce banquet (de mille couverts), députés et généraux, ministres et officiers d’état major célébrèrent l’image du soldat français.

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Figure 33 - Les victimes du devoir. Tableau de M. Edouard Detaille (1894). La reproduction est celle du Monde Illustré du 5 mai 1904. Le sujet illustre une attente de la bourgeoisie urbaine en cette fin de XIXe siècle : celle de pouvoir compter sur le dévouement de gens veillant sans relâche sur la sécurité de la grande ville. Sur la toile, des gardiens de la paix interviennent. Une maison d’angle à la croisée de deux rues flambe ; le sinistre a fait deux victimes. Et tandis que des gardiens les transportent, le peintre a représenté l’action salvatrice des autorités : M. Lépine préfet de police, M. Pielle, préfet de la Seine, M. Gaillont chef de la police municipale, M. Goron chef de la Sûreté (le dernier personnage à droite qui se dresse sur la pointe des pieds pour voir). A droite du préfet de police, l’agent de la Sûreté Rossignol en chapeau mou. Un officier de la garde républicaine est là aussi pour rappeler le zèle de cette troupe d’élite. Devant sur le pavé ruisselant des pompiers déroulent installent des tuyaux en travers de la rue une voiture d’ambulance à droite un peu cachée par la foule les chevaux de l’attelage gris ; plus en vue au deuxième plan à gauche sur la corniche de la maison sinistrée un sapeur pompier marche d’un pied prudent mais assuré ; plus loin la grande échelle rouge à coulisses amène des pompiers qui attaquent le fléau, lance à la main. Les uns et les autres vont et viennent sans désordre, chacun allant au devoir à sa place ordinaire pour ce qui est un hommage à « ceux qui se dévouent chaque jour modestement, jour et nuit ».

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Figure 34 - Le naufrage de la « Russia ». Le sauvetage. Arrivée de la première barque. Dessin de L. Tinatre. Le Monde Illustré. 19 janvier 1901.

Une conviction qui va pousser les élites libérales et républicaines à multiplier les « prix de vertu ». En incitant à se comparer sans cesse, à se surpasser les uns les autres, le ministère de l’aemulatio offre un instrument de gouvernement. Rendre la passion de la vertu conforme à l’intérêt de la raison : tel est l’idéal poursuivi par la philanthropie savante. Reconnaître l’indigence vertueuse, c’est montrer que les princes ne sont pas ingrats. Que la société n’a pas qu’un bras, pour frapper. Au nom de cette vocation, est organisée une émulation qui contribuera, en tout cas l’affirmait-on, à moraliser le corps social. Elle viendra aussi entretenir un effet incitatif en permettant de « produire une somme d’activités humaines bien supérieure à celle qui se serait manifestée en dehors de son influence».

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Mériter, c’est, pour les tenants de l’émulation, créer une obligation sous couvert de pousser chacun à donner sa pleine mesure. Une façon de galvaniser bien au-delà de ce que pouvait escompter la loi. Cette opération qui agrège les volontés particulières pour en faire un bien public, républicains et libéraux la définissent chacun à leur manière. Pour les premiers, l’équation tient – on l’a vu – à la subordination librement consentie des intérêts privés au bien public. En somme, à l’attrait que suscite l’acte vertueux lorsqu’il vit, par l’exemple, dans la conscience de chacun. Pour les libéraux, c’est là un modèle dépassé. Il faut abandonner la solution stoïcienne : celle du sacrifice volontaire de l’intérêt particulier ou le « mythe » de la vertu antique chère à la culture humaniste. Un débat doctrinal qui se poursuit toujours de nos jours.

Figure 35 - Un soldat, chevalier de la légion d’honneur. Le Monde Illustré 10 mai 1902. Le fait est présenté comme « rare » : le ministre de la Guerre vient de décerner la croix de la Légion d’honneur à un simple canonnier servant de l’artillerie coloniale. Ce militaire a eu le bras gauche et la jambe droite enlevés par des éclats d’obus devant Tien-Tsin. Cité souvent pour sa bravoure et son endurance : Pierre Caillet, après la médaille militaire vient d’accrocher sur sa poitrine l’étoile des braves.

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Figure 36 - La visite de M. le président Carnot à l’hôpital militaire du Val de Grâce (dessin de Charles Morel) le 14 janvier 1888. Source : Le Monde Illustré. A l’occasion du Nouvel An, le Président a visité les malades au Val de Grâce. Il a notamment distingué Mme de Moissac, supérieure des sœurs de St Vincent de Paul : âgée de 82 ans, cette dernière était récompensée pour ses 54 ans au service des hôpitaux dont 33 au Val de Grâce. Un geste accompagné d’une mise en scène bien adaptée aux fondements doctrinaux du nouveau régime et à la quête de popularité de Carnot : le président a « emprunté » la croix de M. Badour médecin principal de 1ère classe de l’état major de la place de Paris pour séance tenante décorer la vieille dame… Une scénographie que la presse saluera comme « chaudement accueillie par l’opinion ».

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Surveiller et récompenser

Décorer le mérite est une activité qui emporte avec elle une technique de gestion sociale. Et déjà parce qu’elle fixe l’individu à un appareil qui le rend susceptible de contrôle. Balzac qualifia cet idéal d’espionnage de la vertu, un état où « la surveillance des citoyens les uns sur les autres rend le crime impossible... où il faut ne pas raisonner pour en commettre. En effet, aucune des iniquités que la loi n’atteint pas ne reste impunie et le jugement social est plus sévère encore que celui des tribunaux ». Intuition pénétrante que le XIXe siècle va associer à un paradigme politique : celui qui veut que la vertu soit aussi à sa manière une règle de police.

Figure 37 - L’œil de la vertu : le questionnaire de la fondation Carnot à la fin du XIXe siècle. Source : A.D. Loire Atlantique, AD, 1 M 468.

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Il y avait des tribunaux, des geôliers, des bourreaux, des guillotines. Il y aura des prix, des honneurs, des récompenses. Et déjà dans ces populations où l’on dit que se recrute le crime. Dans ces classes dangereuses où la vertu ne demande qu’à être mise en exemple. En 1825, l’Académie française, s’appuyant sur la fondation du Baron de Montyon et des ordonnances du Roi qui en ont réglé l'exécution, décide d’étendre à la France entière le prix du « Français pauvre qui aura fait l'action la plus vertueuse ». Les indigents de tous les départements, et non plus seulement de la Seine, peuvent concourir. En décernant un prix d’une valeur de 10 000 francs à Pierre-Antoine-Roch de Montigny-les Metz ou une médaille de la valeur de 1 200 francs à un ancien domestique Mathieu François Wéry, demeurant au Paris, l’Académie devient à son tour un tribunal de la vertu. Dispensatrice de renommée, elle s’enorgueillit de donner publicité à la vertu.

Figure 38 - La distinction des pauvres vertueux : Les Comices, un tableau de Brispot en 1902. Source : Société des Artistes français. 1902.

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Figure 39 - Annales des victimes du devoir. En 1884, la presse parisienne fondait la caisse des Victimes du devoir avec la Fête des fleurs grâce aux concours de la population parisienne. La nouvelle œuvre philanthropique était destinée à récompenser ceux qui s’étaient distingués dans l’accomplissement de leur devoir ou les familles de ceux qui ont succombé. Comme l’Académie la Presse parisienne distribue donc ses prix de Vertu mais elle le fait au moment même, avec l’idée qu’ainsi que le secours sera plus efficace. Qu’il sera en un mot un « encouragement au bien ». Pour donner plus de publicité aux actes courageux récompensés chaque année au moment de la Fête des fleurs le Syndicat de la presse prit l’initiative de publier sous le nom de Annales des Victimes du devoir un journal représentant par la gravure les « faits qui honorent » : depuis le berger Jupille soigné par Pasteur aux actions d’éclat des pompiers, gardiens de la paix, sauveteurs gendarmes, mineurs, carriers ou sœurs de la charité. Source : Le Monde Illustré du 5 juin 1886.

Pour embrasser la conduite de l’individu uti singulus, pour traquer la grandeur ignorée, il fallait des relais mais aussi des techniques d’enquête, une méthodologie et des éléments de preuve : « des certificats de témoins probes, de magistrats, d'administrateurs de charité et autres personnes dont le caractère inspire la confiance ». Présentés à l'appui de chaque mémoire déposé au secrétariat de l'académie, ces témoignages supposent à leur tour un appareil adéquat : pour observer, certifier, légaliser, comparer.

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Trafic

Figure 40 - Aspect de la 10ème Chambre pendant l’audience du 11 février (croquis de Louis Tinayre). Source : Le Monde Illustré du Aspect de la 10ème Chambre pendant l’audience du 11 février (croquis de Louis Tinayre). Source : Le Monde Illustré du 25 février 1888. On reconnaît au centre l’accusé, Wilson, à coté de son avocat Lenté et face au président Villiers entouré de deux juges assesseurs, les deux avocats M. Comby et Demange ainsi que Mme Rattazi et M. Dubreuil.

Le scandale Wilson en 1887, celui d’une vente de titres de la Légion d’honneur par le gendre du président de la république, est venu le révéler : en cette fin du XIXe siècle, industriels et marchands convoitent les décorations. S’ils le font, c’est essentiellement comme support de publicité. Le Parlement avait déjà pu s’en rendre compte en 1885 en règlementant l’usage des distinctions honorifiques décernées dans des expositions ou concours soit en France, soit à l’étranger. Leur exhibition n’était permise qu’à ceux qui les avaient obtenues « personnellement » et « pour la maison de commerce en considération de laquelle ils avaient été décernés ». Il était ainsi prévu de punir d’amende (de 50 à 6000 francs) et d’emprisonnement (de un à trois mois à deux ans) ceux qui, frauduleusement, s’attribueraient ces récompenses (médailles, diplômes, mentions) ou s’en prévaudraient «mensongèrement sur leurs enseignes, annonces, prospectus, factures, lettres ou papiers de commerce ». La décision valait également pour les récompenses et distinctions des corps savants ou de sociétés scientifiques. Une codification qui traduit une évolution tout à fait essentielle.

Figure 41 - Un faussaire inspiré : Achille Laviarde. Plus connu sous le nom d’Orélie-Antoine 1er, roi d’Araucanie et de Patagonie, ce faussaire avait ouvert place de la Nation le siège d’un ordre qui possédait ses chambellans et ses grands maîtres. Véritable providence pour les amateurs de décorations, ce souverain était le fondateur de l’ordre de l’Etoile du Sud institué le 24 juin 1872 ainsi que de la Couronne d’Acier largement conféré à tout abonné de son journal, homme ou femme. L’Etoile du Sud reprenait les catégories de grand-croix, commandeurs, chevaliers autorisait les femmes « à porter le manteau, avec traîne, de couleur noire, doublé en blanc, et portant la plaque de l’ordre sur l’épaule gauche auquel elles pourront joindre les broderies de leur garde ». Les hommes étaient dotés d’un chapeau à plume et d’une épée à poignée d’or et de nacre, d’épaulettes à graine d’épinards munies d’étoiles. Commandeurs et chevaliers portaient des décorations en forme de plaques sur le côté gauche, des grands cordons bleu de ciel d’une dizaine de centimètres de largeur (comme les Grand croix) mais cette fois en argent. Un signe imité de l’ordre du Saint-Esprit. Ces titres correspondaient à des grades militaires dans l’armée patagonienne. Elles conféraient aussi le droit de faire graver un cachet aux armes de l’ordre. Phot. Dulong. Source : Le Monde Illustré.

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Faire de la vertu un signe, c’était ouvrir la possibilité que le signe soit arboré sans la vertu. En somme, que tout un chacun puisse faire passer l’un pour l’autre. D’où le développement dans les sociétés démocratiques d’un arsenal législatif destiné à contrôler que le port des décorations est bien légal.

Figure 42 - « N’hésitez pas. En prenant deux litres à la fois, vous avez droit à une prime ». Dessin de Caran d’Ache dans les Annales de la Patrie française, 1903.

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Le pouvoir des récompenses

La poitrine est bombée, l’air majestueux. L’homme donne au regard sa meilleure image. La plus digne, en tout cas la plus honorable. Il est désormais décoré. D’où sa pose apprêtée, de face, le front haut, la tête droite. Portrait d’apparat avec marge signée ou portrait-carte de petit format : le cliché met en scène une position, un prestige, un acte de vertu. Non pas des traits physiques mais des qualités sociales ou morales. La représentation de soi est maintenant accessible à une proportion considérable de la population. Réalisé par des photographes ambulants ou dans les premiers studios commerciaux, le portrait en pied est abandonné pour un cadrage en gros plan. Une prise de vue destinée à montrer que l’homme jouit d’une considération sociale. Réservé jusque là aux peintres et aux commanditaires fortunés, le désir de représentation est là pour rendre visible une ascension. Loin des Galeries de contemporains, il se

répand depuis le début des années 1860, avec une obsession : préserver de l’oubli, là, face à l’éternité, le regard hors champ, vers l’infini de la postérité.

Figure 43 - Un multi décoré : le patron Postel récompensé pour avoir risqué 20 fois sa vie (Trouville) Il pose devant le dessinateur, demain devant le photographe avec ses rangées de décorations. Cette parure de médailles est arborée car elle passe pour exemplariser le mérite : chacune n’est-elle pas la marque d’un haut fait ? Source : Le Monde Illustré.1892.

Figure 44 - Le retour du Brave au village. Crès. Source : le Monde Illustré. 1900.

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Figure 45 - La promotion de l’Exposition. Photographie du célèbre Pirou. Représente différents chevaliers et officiers de la Légion d’honneur. Le Monde Illustré du 28 avril 1900.

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Avec la démocratisation du mérite, la photographie du décoré devient un genre à part entière. Insignes et plaques arborés sur l’habit, étoiles et croix qui se portent au moyen d‘un ruban, sur le côté ou à la boutonnière, parfois en écharpe ou en sautoir comme sur les costumes de cérémonie ou l’uniforme, la portraiture du décoré se banalise. Académicien, militaire de carrière, administrateur ou avocat mais aussi employé de grand magasin, commerçant, artisan, instituteur, ouvrier : tous l’exhibent comme un instrument de différenciation. Si les distinctions ont accompagné l’affirmation de la bourgeoisie, notamment des classes moyennes, c’est parce que cette manière de voir s’est banalisée. Parce que l’émulation premiale est devenue une figure imposée de la vie sociale. A croire que le pouvoir de gratifier a fini par devenir plus important que celui de punir. Si c’est le cas, gageons que c’est en raison de sa capacité de distinguer : au sens propre, de faire sortir de l’anonymat et d’élever au dessus des autres.

Figure 46 - Le plastron militaire. Photographie publiée dans la presse de l’amiral de la Noé, commandant de la 2ème division, de l’amiral de Maigret, commandant de la flotte française, amiral Caillard, commandant l’escadre légère. Source : Le Monde Illustré 13 avril 1901.

Figure 47 - La croix du mérite crée par Edouard VII en 1902. Suspendue à un ruban bleu et rouge, elle porte au recto la formule « pour le mérite » gravé en or et au verso les initiales du souverain. Source : Le Monde Illustré. En prévision de son couronnement le roi d’Angleterre a signé de nombreuses élévations dans les rangs de la noblesse mais aussi une liste de nomination dans l’ordre du mérite qu’il a crée le 23 juin L’insigne porté par les membres de l’armée et de la marine consiste en une croix d’amiral rouge avec deux épées d’argent entrecroisées dans les branches de la croix. Le centre de l’insigne est en mail bleu entouré d’une guirlande de lauriers. Au verso For the Merit, au recto les initiales du roi Edouard VII. La croix est surmontée d’une couronne impériale en émail de couleur : elle récompense aussi les civils comme les hommes de sciences, des arts et des lettres.

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A la fin du XIXe siècle, dans une Europe que bouleversent le principe des nationalités, le mouvement d’industrialisation ou l’arrivée des masses sur la scène électorale, être distingué est devenue une préoccupation de masse. A défaut de chiffre précis sur les candidats à ces multiples compétitions honorifiques, on peut partir du nombre de récipiendaires de décorations officielles. Jules Martin évalue à un million sept cents mille le nombre de décorés d’Etat en 1912 dont six cents trente six mille civils. Donnée qui ne prend pas en compte les distinctions scolaires, commerciales ou sportives. Elle suffit néanmoins à suggérer la présence d’une honorification de masse. Si la propension à être décoré s’universalise, à la suite notamment de la création de 28 décorations ministérielles de 1882 à 1913, c’est aussi pour une autre raison. Avec l’incertitude installée par la mobilité sociale de marché, la gratification d’Etat offre comme une sorte de salut. Cantonné jusque là au monde de la pédagogie ou aux activités militaires ou scientifiques, son système d’emprise se généralise. Et avec lui, une forme d’administration du social caractérisée par certaines techniques d’assignation et de certification du mérite.

Figure 48 - Une distinction « démocratique » : en 1857, la croix de Victoria. Lors de la cérémonie de remise de cette décoration, le 26 juin 1857, sur Hyde-park des milliers de badauds purent assister à une revue de la fine fleur de l’armée anglaise : de l’artillerie à cheval, des horse-guards, des dragons, du génie royal, des gardes à pied, des soldats de marine, du 79ème highlanders ou des célèbres rifles. Face à l’amphithéâtre des tribunes, Sa Majesté la Reine fit une arrivée remarquée. Précédée du commandant en chef, le duc de Cambridge, elle était accompagnée du prince Albert et du prince de Prusse. Habillée d’un uniforme rehaussé par le grand cordon du nouvel ordre, elle va personnellement décorer 61 «braves». Et selon un protocole précis : chaque décoration, renfermée dans un riche écrin, était saisie par deux personnes ; puis la croix, serrée dans un papier de soie, remise à Lord Panmure qui la remettait à la reine pour qu’elle l’attache à l’uniforme du décoré. Source : Le Monde Illustré.

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Figure 49 - Tableau de Jean Geoffroy. Sortie des prix à l’école maternelle. Source : le Monde Illustré du 8 juin 1901.

Figure 50 - Quelques sauveteurs, chevaliers de la Légion d’honneur : Charlet Eugène, capitaine d’un remorqueur à Dunkerque décoré en 1885, Delannoy, patron du canot de sauvetage de Calais décoré en 1875, J. Noedts, capitaine de remorqueur à Dunkerque.

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Le bûcher des vanités

Figure 51 - Le squelette de pierre calciné du Palais de la Légion d’honneur au lendemain de l’incendie. Pour Le Monde Illustré du 10 juin 1871, le jour où l’incendie consumait cette importante rangée d’édifices nationaux (Conseil d’Etat, Cour des Comptes, légion d’honneur…), la « torche incendiaire a brutalement enlevé au pays ses moyens de contrôle, la moralité de sa gestion financière, l’honorabilité de sa fortune publique ».

Bien que démentie par les faits et instructions criminelles, la thèse de saturnales honorifiques s’est propagée. Beaucoup y avaient intérêt à la fin du XIXe siècle. Avec elle, l’image d’une Commune fascinée jusqu’à la destruction par les distinctions et récompenses d’honneurs pouvait favoriser ralliements et méfiances. Une Commune égalitaire jusqu’à ravaler la décoration au rang d’une résurgence barbare : c’était un argument commode alors que se ravivait la suspicion contre la manne honorifique. L’incendie du palais de la Légion d’honneur lors de la Commune de Paris a donc marqué

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en profondeur. Pour Édouard Charton, c’est le lundi 22 mai 1871 que l’insurrection « a exercé sa fureur et essayé de venger sa défaite ». Fureur : si Flaubert ne reprend pas le terme, en revanche, il juge la perte du palais de la légion d‘honneur « plus considérable que celle de deux provinces ». Au milieu de la rue de Lille, avec ses arbres hachés par les obus, ses trottoirs défoncés et ses maisons écorchées, le palais en feu de la Légion est devenu l’emblème du vandalisme révolutionnaire. Maxime Du Camp, plus que d’autres, l’a constitué en fantasme social : celui d’un déchaînement soudain de violence. Lugubre mascarade opérée par ce qui n’était plus une armée mais « une

multitude indisciplinée, raisonneuse, braillarde que l’alcoolisme ravageait ».

Figure 53 - Le Palais de la Légion d’honneur sur le quai d’Orsay à Paris en 1861. Ce petit édifice de style romain se trouvait à la droite du palais occupé par le Conseil d‘Etat et la Cour des Comptes. De sa terrasse qui dominait la Seine, on voyait le jardin des Tuileries. Il fut construit par l’architecte Rousseau en 1786 et acheté par l’Etat sous Napoléon puis occupé par les services de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur Source : Le Magasin Pittoresque.

Figure 52 - Le général Eudes d’après une photo de Marius publiée dans Le Monde Illustré le 18 août 1888. L’incendie du Palais de la Légion n’est qu’un expédient d’une décision militaire. Il a toutefois été exploité politiquement pour dénoncer les saturnales honorifiques, sorte de bûchers de vanité allumés par des esprits envieux. Témoin de ces récupérations partisanes, la légende qui veut que le général Eudes ait pillé une « grande partie des objets du Palais de la Légion » notamment les « 1600 à 1700 médailles et croix d’honneur » alors qu’une instruction militaire l’a établi : ces objets ne faisaient pas partie de l’inventaire opéré à son domicile.

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Figure 54 - Le député Méline, inventeur du Mérite agricole, raillé dans une carte postale à succès. Dans Guy Jacquy, « Poirissimo ! Du poireau à toutes les sauces… », CPC, 2-3, mai-juin 2002, pp. 3-11. Le ruban vert, bordé d’un petit liseré rouge, sera désigné familièrement comme le « poireau » : avec une médaille blanche, la ressemblance parut frappante. Méline étant longiligne avec un visage émacié de grands favoris, les caricaturistes sautèrent sur l’occasion : Méline sera représenté comme un poireau. Chanteclair, Guido, Léandre, bien d‘autres le croqueront sous ces traits en entretenant le stéréotype social d’une distinction peu « distinctive » socialement car « prodiguée ».

Figure 55 - L’insigne des taupins en 1901. Le Monde Illustré 8 juin 1901. Souhaitant protester contre la baisse du nombre d’admis à l’école Polytechnique les taupins (candidats à l’entrée) décore leur insigne dans le centre d‘une carte hexagonale le général André ceint de la couronne de Mars est représenté armé d’une grande paire de ciseaux dont il se sert pour couper le cent quatre-vingt et unième de la liste des admis (contre 2000 jusque là) c’est-à-dire le premier refusé. A gauche on aperçoit le fauteuil auréolé avec cette mention « Réservé à al Reine » tandis que vers luis ‘achemine un jeune candidat déjà en uniforme avant les autres et qui n’est autre que le second fils du ministre de la guerre dont le fils aîné a déjà passé par Polytechnique. En bas deux polytechniciens présentent le nouveau drapeau de l’Ecole aux candidats qui défilent en une joyeuse farandole devant ce symbole sacré de la patrie qu’ils saluent tous fièrement.

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Une féodalisation de la bourgeoisie

Figure 56 - Une caricature du socialiste Millerand, décoré et ennobli par les Allemands. Sous le titre « Son Excellence le baron Millerand », cette caricature représente le leader socialiste avec le grand manteau de la Couronne de fer de 1ème classe, la main gauche sur la garde de l’épée. Une distinction prussienne qui conférait au titulaire le droit de prendre la noblesse avec le titre de chevalier baron du St Empire et d’ornementer ses armoiries de famille de l’insigne de l’Ordre, avec son écusson, ses sceaux et cachet de lettres. Les Annales de la Patrie française du 15 avril 1902.

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L’essor de la presse et l’arrivée des classes moyennes dans les effectifs des décorés vont changer la perception des récompenses honorifiques. Désormais, le port des distinctions est aussi conditionné par des convenances sociales. Des convenances qui sont volontiers tournées en dérision : la bourgeoisie ne ferait qu’imiter les manières de cour d’une aristocratie en déclin. Une façon de dénoncer la naissance d’une aristocratie de l’argent. Son arrogance ? Elle tiendrait au fait que ses titres acquis à chers deniers constitueraient aux yeux de tous « l’enseigne de sa fortune ». Des arguments qui devaient longtemps servir à établir les droits de la bureaucratie républicaine sur les titres et les rubans mais sans que cesse pour autant d’être agité l’hydre d’un retour de la féodalité. Le port des distinctions semblait monopolisé par les classes dirigeantes et le milieu de la noblesse.

Figure 57 - Arrivée à Paris de S.M. Guillaume III, roi des Pays-Bas (dessin de Ch. Vriarte) Le Monde Illustré 17 mai 1862.

Figure 60 - Le comte Mouravieff, ministre des Affaires Etrangères de Russie mort le 21 juin. Photo Bieber. Monde Illustré 19 mars

1892.

Figure 58 - Frédéric-Guillaume-Louis, prince de Prusse. Source : le Monde

Illustré. 1885.

Figure 59 - Maximilien II, roi de Bavière. Hôte de la France en mai 1857, il suscite des commentaires enthousiastes : « son extérieur est d’une rare distinction » note un journaliste. La nostalgie des apparences fastueuses des familles de Prusse, de Russie, d’Autriche. Source : le Monde Illustré, 16 mai 1857.

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Hiérarchiser des égaux

Figure 61 - L’épée du général Faidherbe. A la fin de sa vie, le général Faidherbe reçut l’épée d’honneur offerte par les villes d’Amiens et de Saint-Quentin, Nancy et Strasbourg… Remise au domicile de l’ancien chef des armées du nord, l’objet en or massif offre à la vue les statues des villes délivrées en relief sur la poignée et des armoiries sur le pommeau ; sur la lame : les noms des communes qui ont participé à la souscription. Source : le Monde Illustré du 5 février 1880.

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Destinés à accroître une notoriété marchande par la réclame qu’ils suscitaient, les honneurs avaient un nouveau destin : orner des prospectus, des enseignes et des brevets. Du coup, le crédit sur la nature duquel les spéculateurs tablaient s’évaluait au regard d’une restitution escomptée : celle d’un amortissement du prix engagé. Certes, ces décorés pouvaient se méprendre car il y avait là un risque. Mais ils l’assumaient à leur manière : comme un investissement commercial qui avait au moins la matérialité d’un signe d’excellence. Des usages inédits qui révélaient combien étaient assigné aux décorations un nouveau cercle de significations. En faisant du mérite une ingénierie de gouvernement, les institutions de la démocratie libérale ont redéfini l’échelle des valeurs. Elles n’ont pas abaissé les grandeurs, encore moins avili les dignités comme le craignaient leurs détracteurs, effrayés par la montée de la roture ou de l’Etat. Non, elles en ont fait un nouveau moyen de salut : celui d’une émulation proclamée gardienne des formes du paraître. La double révolution qui marque le XIXe siècle, celle de l’industrialisation de la société, celle de la bureaucratisation du pouvoir, en est l’origine. Avec pour conséquence de faire du souci de distinction une forme spécifique de management.

Figure 62 - Une enseigne sous la Révolution française. Musée Carnavalet. Source : Le Monde Illustré du 19 mai 1894.

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Figure 63 - Exemples de réclame commerciale parue dans la presse en utilisant la mention de « médailles d’or » obtenues aux expositions nationales ou internationales au tournant du XXe siècle. Source : Le Monde Illustré.

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La distinction scolaire

Bancs d’honneur, croix et bons points, rubans de toutes les couleurs, tableaux d’honneur : l’école est, à la fin du XIXe siècle, un terrain privilégié de l’émulation premiale. Comme si cette institution, parfois comparée à une caserne ou à un couvent avait été, en réalité, un sanctuaire de la récompense. Sans revenir sur l’histoire de la salle de classe, il faut observer combien cette mise à prix du travail scolaire s’est établie sur le renversement du régime punitif. Les punitions corporelles ont, d’abord, été éradiquées : la loi du 28 juin 1833 sur les écoles primaires, élémentaires et communales déclarait que « les élèves ne pourront jamais être frappées » (25 avril 1834, titre 2, art. 29). A la fin du siècle, un règlement scolaire modèle est publié pour ces mêmes écoles par le ministère, celui du 19 janvier 1887 : il énonce en son art. 29 qu’il «est absolument interdit

d’infliger aucun châtiment corporel ». Puis, les punitions ont été converties en «mauvais points, réprimande, privation partielle de récréation, retenue après la classe et exclusion partielle ou définitive prononcée par l’inspecteur d’académie ». Même dans les lycées et collèges de garçons où le statut de 1808 avait longtemps maintenu la « table de pénitence » ou le « piquet au réfectoire », la loi de 1890 normalise cet arsenal sur le modèle des établissements primaires. Un adoucissement des peines, dira Michel Foucault. Oui, mais gagée sur une inflation des récompenses. C’est-à-dire sur une autre forme de discipline.

Ce jugement scolaire, cette discipline du nombre : ce sont bien entendu les attendus d’une démocratie libérale qui en modulent la présence. Distribution de prix, discipline scolaire, autorité du maître : leur organisation traduit l’institutionnalisation scolaire du principe méritocratique. Longtemps, il y avait eu opposition à cette manière de forcer le travail : récompenses, distinctions, distributions de prix, autant de moyens jugés factices et surtout contraires à la cohésion des classes. Avec les récompenses au succès, on rompait avec l’éducation par l’exemple que les républicains avaient bâti en modèle : l’exemple qui, à l’appui du conseil donné, se proposait à l’admiration de

Figure 64 - Tableau de croix d’honneur pour les classes proposé par la Librairie Delagrave en 1892. Source : Catalogue de mobilier et matériel

scolaire Delagrave. Extrait de Tayac Jean-Yves, « L’Archéologie de la sanction en milieu scolaire », RAMAGE, 8, 1990, p. 139-169.

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l’enfant en espérant que « sa pensée sera de faire aussi bien ». Toutefois, avec le développement industriel, la compétition s’affirme comme le ressort véritable du progrès individuel et collectif. Celui que l’éducation morale doit déjà employer pour accélérer la marche de l’instruction. François Guizot écarte les mises en garde d’hier : «Par l’organisation même des écoles publiques, tout danger est prévu et prévenu. La rivalité se perd dans le nombre des concurrents ; elle n’a pas le temps de se former, de se consolider». C’est le « talent », conçu comme une substance derrière la réalité de surface des « performances » qui finalement distingue les meilleurs parmi les émules. C’est pourquoi il faut le stimuler par des prix et des concours qui viendront sanctionner les « meilleurs ».

Figure 65 - La distribution des prix aux écoles municipales de Rome au Capitole. Dessin de M. Lix, le Monde Illustré. 19 octobre 1872.

Ce jugement scolaire, cette discipline du nombre : ce sont bien entendu les attendus d’une démocratie libérale qui en modulent la présence. Distribution de prix, discipline scolaire, autorité du maître : leur organisation traduit l’institutionnalisation scolaire du principe méritocratique. Longtemps, il y avait eu opposition à cette manière de forcer le travail : récompenses, distinctions, distributions de prix, autant de moyens jugés factices et surtout contraires à la cohésion des classes. Avec les récompenses au succès, on rompait avec l’éducation par l’exemple que les républicains avaient bâti en modèle : l’exemple qui, à l’appui du conseil donné, se proposait à l’admiration de l’enfant en espérant que « sa pensée sera de faire aussi bien ». Toutefois, avec le développement industriel, la compétition s’affirme comme le ressort véritable du progrès individuel et collectif. Celui que l’éducation morale doit déjà employer pour accélérer la marche de l’instruction. François Guizot écarte les mises en garde d’hier : «Par l’organisation même des écoles publiques, tout danger est prévu et prévenu. La rivalité se perd dans le nombre des concurrents ; elle n’a pas le temps de se former, de se consolider». C’est le « talent », conçu comme une substance derrière la réalité de

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surface des « performances » qui finalement distingue les meilleurs parmi les émules. C’est pourquoi il faut le stimuler par des prix et des concours qui viendront sanctionner les « meilleurs ».

Figure 66 - Un « billet d’honneur » d’une école de la Croix-Rousse. Source : A.D. Rhône.1 M 260. Récompenser le travail de ceux qui se sont élevés, c’est certifier des qualités qu’incarne l’idéal d’une discipline consentie. Des gratifications qui sont réputées « tirer » l’enfant vers le haut en lui apportant un avantage pour les nouvelles compétitions qui l’attendent.

Figure 67 - Un « billet d’honneur » d’une école de la Croix-Rousse. Source : A.D. Rhône.1 M 260. Récompenser le travail de ceux qui se sont élevés, c’est certifier des qualités qu’incarne l’idéal d’une discipline consentie. Des gratifications qui sont réputées « tirer » l’enfant vers le haut en lui apportant un avantage pour les nouvelles compétitions qui l’attendent.

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L'émulation sportive

A la fin du XIXe siècle, les activités olympiques (saut en hauteur, lancé de poids, 110 mètres haies…) mais aussi les courses de fond ou, plus encore, les courses de chevaux ou de vélo, posent le problème des podiums de l’émulation sportive. Historiens et sociologues s’accordent pour faire émerger cette compétition de la révolution industrielle, voire des progrès de l’horlogerie. C’est par ce double mouvement que le phénomène du sport bourgeois apparu à la fin du XIXe siècle se serait étendu socialement. Et que s’y serait développé le culte du record. Mais comment rendre compte de la recherche de la performance ? Comment expliquer les formes prises par l’impératif d’y récompenser le mérite sportif ? L’émulation premiale a aussi pour fonction, en matière sportive, de comparer, de mesurer, de distinguer. Si la comparaison permet

une recomposition hiérarchique sur la base des performances réalisées, encore faut-il pouvoir se mesurer avec rigueur. La compétition est fondée sur des critères à la fois individuels et objectivés. L’idée de record est son aboutissement logique.

Lorsque les premiers centres sportifs apparaissent en France dans les années 1880, l’organisation des activités sportives est considérée comme le moyen de se démarquer des coureurs de peine professionnels, ceux qui participaient à des courses-paris ou à des courses exhibitions. Le geste sportif trouve son autonomie en se déclare gratuit et désintéressé. La distinction entre professionnels et amateur ? Elle embrasse une distinction à la fois technique et éthique. Les courses de valets de pieds du XVIIIè siècle récompensaient par des augmentations de salaires des affrontements organisés par des nobles pour se distraire. Comme avec les footmens anglais dont l’historiographie est émaillée de records fabuleux mais invérifiables. Ainsi celui de Langham, cet irlandais qui servait Henry Lord Berkeley au temps d’Elisabeth et qui, pour sauver sa femme tombée malade, porta une lettre de Callowdon au docteur Fryer à Little Britain à Londres avant de revenir avec une petite fiole dans les mains. Une course de 148 miles réalisée en moins 42 heures, en dépit d’une nuit passée dans l’appartement du médecin, ce qu’aucun cheval n’aurait pu réussir. Il fut récompensé, dit l’anecdote, par une nouvelle série de vêtement. Autre récit : Foster Poweel qui en 1764 aurait réalisé 50 miles sur la route de Bath en 7 heures, couvrant le premier 10 miles en une heure. Après 1896 et la rénovation des Jeux Olympiques, le développement de la compétition sportive va directement être liée, comme l’ont montré, plusieurs historiens au temps mécanique de la révolution industrielle et

Figure 68 - Un “running footman” anglais de la fin du XVIIIe siècle. Toutes les grandes familles nobles tiraient grandeur, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, de faire précéder l’arrivée de leur attelage par un valet de pied qui signalait leur importance sociale. Agile et corpulent, un manteau de jockey, un chapeau à plume blanche, des pantalons courts, une perche de six à sept pieds constituaient leur apparence. Dans son meilleur jour, un bon coureur réalisait 7 miles à l’heure. Une fonction que le Duc de Queensberry conserva dans son service jusqu’au début du XIXe siècle. On trouvait encore de semblables valets de pied en Autriche ou en Saxe dans les années 1840. Source : Earl R. Anderson, “The Running Footmen of the 19th Century England,” Running Times, mars 1981, pp. 17-20.

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aux progrès du chronographe. Définissant une hiérarchie d’aptitudes, caractérisée par l’absence de discrimination et un accès «libre», la compétition est un système institutionnalisé de pratiques qui vise à désigner le meilleur concurrent et, plus encore, à enregistrer la meilleure performance.

Figure 69 - Distribution de récompenses au tir national de Bruxelles. Source : le Monde Illustré du 22 septembre 1861. Plus de 30 000 coups de carabines seront chaque jour destinés à distinguer les compétiteurs du concours organisé par le roi Léopold. Le but de cette émulation premiale : doter la Belgique de tireurs qui rivalisent avec les Français ou les Suisses.

L’imposition du record comme élément central de la culture sportive est patente en 1924 avec le premier marathon standardisé : il est remporté par le finlandais Stenroos en 2 h 41 mn et 22 sec. Pour cela, il a fallu qu’hippodromes, vélodromes et pistes d’athlétisme se normalisent et se codifient. La mesure des performances requiert la standardisation des temps et des distances : question centrale pour l’homologation des records. De plus, la performance doit être inscrite dans une compétition officielle. Et devenir un concours. Autrement dit, c’est aux fédérations sportives de les homologuer pour user d’un pouvoir symbolique : celui qui consiste à désigner le meilleur. Les fédérations ont entre leurs mains la définition même du record. Les capacités propres de l’individu triomphent. Mais avec des principes d’égalité très variables.

Une secrète nécessité semble relier cette obsession de la performance et les progrès des instruments de mesure moderne. Alors que la première Olympiade de la République le 22 septembre 1796 sur le Champ de Mars, courses à pied et à cheval avait attiré la foule des parisiens, l’astronome Alexis Bouvard tentait déjà de figer les performances au dixième de seconde près à l’aide de montres marines : un calcul effectué en mètres/seconde du fait de l’absence de distance standard. Que l’on pense à la standardisation du marathon entre les JO de 1896 à Athènes et ceux de Paris en 1924 (42 195 km). Suggéré par le pédagogue Michel Bréal à Coubertin, l’introduction du Marathon en 1896 se conçoit sur une distance approximative environ une quarantaine de km. Elle est emporté par le grec Louis Spirodon : son temps 2 h 58 mn 50, faute de distance précise.

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L’histoire du Racing-Club de France, crée en 1883, en donne un exemple. Aidé par l’Etat notamment pour acquérir et aménager ses terrains de la Croix-Catelan en vue de contribuer «au développement des forces françaises », son apparition suit d’une vingtaine d’années la création des premiers clubs anglais d’athlétisme. Société modèle, cette « Académie française des sports » tient à jour ses statistiques : un tableau de mérites qui renseigne sur la faible structuration du réseau sportif à l’échelle nationale. De 1888 à 1900, elle a pris part à 119 championnats interclubs et a été 80 fois vainqueur dans 89 championnats scolaires et 54 fois dans des championnats individuels. L’Union des Sociétés françaises de course à pied voit, elle, le jour en 1887. Elle deviendra plus tard l’Union des Sociétés Françaises des Sports athlétiques (U.F.S.A.). En 1900 les championnats internationaux de l’Exposition universelle permettent d’offrir l’hospitalité à des équipes venues du monde entier. Saut en hauteur, saut en longueur, lancer du disque, joute à l’aviron, football : sous la houlette des clubs anglo-saxons, autrement plus nombreux et mieux équipés, la logique du classement mesuré se banalise à l’échelle nationale et internationale.

Figure 70 - Un héros moderne : le marathonien Charbonnel, aux mains les élastiques tenant les longs bouchons sur lesquels se crispent les ongles pendant la longue épreuve. Vainqueur de la sixième course du marathon de Paris organisée par le Vélo, il avait déjà été vainqueur en 1899 sur ces même 40 km qui séparent Conflans à Paris face à l’anglais Hurst grand favori qui l’avait gagné en 1896, 1900 et 1901. Source : Le Monde Illustré du 19 juillet 1902.

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Figure 71 - Le grand match de football entre les champions français et anglais - Le 18 avril entre le « stand « français et le foot-ball club de Londres eut lieu un match sur la piste du Coursing Club à Levallois Perret. Le club anglais l‘a emporté en faisant preuve «d’une admirable connaissance de ce jeu ». La « lutte a eu lieu à deux reprises et n’a pas duré moins d’une heure vingt minutes » la famile Dufferin assistait au match ainsi que le premier secrétaire de l‘ambassade d’Angleterre, le vicomte de Janzé ou le baron de Coubertin à la fin de la partie lady Dufferin a remis au capitaine de l’équipe anglaise un objet d’art, prix de la victoire pendant que la musique du 117ème jouait la Marseillaise. Source : Le Monde Illustré.

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Figure 72 - Grand prix de Paris de 1886. Dessin de M. Chelmonski qui représente le cheval anglais Minting arrivant en tête au disque. Source : le Monde Illustré du 12 juin 1886. Cette année, la victoire reste à l’Angleterre. C’est la 23ème édition de ce qui était volontiers présenté dans la presse comme « une lutte internationale ». En 1886, les éditorialistes tentent de se rassurer : « les Français sur ces 23 éditions l’ont emporté 11 fois, les Anglais 10 les Hongrois 1 et les Américains 1 ». Un tel engouement sportif laisse chez les élites traditionnelles un sentiment de frayeur. Sous le titre « Luttes d’autre espèces », l’éditorialiste du Monde Illustré en fait la remarque : « sur l’hippodrome d’Auteuil, la France s’est, parait-il, couverte de gloire parce que Boissy cheval qui représentait notre pays a battu de quelques foulées la bête qui défendait l’honneur d’Albion. L’effet produit est assez étrange, bien étrange. Non jamais homme de génie ne fut acclamé de la sorte. Non jamais, jamais on ne pourra dépasser cette ovation si demain un général heureux nous rendait l’Alsace et la Lorraine. Je voudrais croire que cette belle ardeur est un symptôme favorable et ne trahit pas une décadence irrémédiable. Je voudrais le croire Mais je ne peux pas » (6 juin 1886).

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La reconnaissance scientifique

Si le monde scientifique a été particulièrement sollicité pour objectiver l’incitation scolaire ou mesurer le talent sportif, ce n’est pas sans raison. C’est aussi le milieu social où la pratique des prix et des récompenses est depuis longtemps systématiquement organisée. Les études des historiens et des sociologues s’accordent sur ce point : la raison principale pour laquelle les hommes de sciences font de la recherche est d‘obtenir de la reconnaissance. A ces savants mais aussi gens de lettres et artistes, cent mille écus furent attribués, une somme égale à celle accordée pour les arts et métiers et que répartira annuellement le Bureau de Consultation des Arts pour le compte du Comité d‘Instruction Publique. L’émulation avait des accents patriotiques. Pour Grégoire, ce fut

l’occasion de défendre l’idée d’une rétribution au mérite : « Les savants ne demandent pas la richesse : la précieuse médiocrité d’Horace sera toujours leur devise ; cependant, nous devons observer que communément les places qui exigent le plus de talent sont le plus mal rétribuées. Voulez-vous que la République soit bien servie ? Que les traitements soient proportionnés à l’étendue, à l’importance du travail : alors dans toutes les places où l’on peut influencer puissamment l’opinion et donner une haute idée de la nation, vous aurez les hommes les plus forts de l’Europe… et c’est ainsi qu’en faisant le bonheur des individus on travaille à celui de l’espèce ».

Figure 73 - M. Jamin secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences mort à Paris le 15 février est représenté dans la presse avec sa décoration (dessin de Vuillier). Source : Le Monde Illustré du 20 février 1886. Les obsèques eurent lieu à St Sulpice. Elles donnèrent l’occasion à des panégyriques au nom de l’Académie, de la faculté des Sciences, de l’Ecole Polytechnique, de la société de physique, de la Société d’encouragement à l’industrie nationale et au nom des laboratoires de l’Ecole des hautes Etudes. Pour ce physicien récompensé pour ses travaux sur les aimants et la lumière électrique, la récompense honorifique venait certifier une grandeur assimilée à une fidélité « au culte de la Science ».

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Figure 74 - Le phonographe perfectionné de M Edison présenté à l’Académie des Sciences. Source : Le Petit Moniteur Illustré 5 mai 1889.

Figure 75 - Distribution solennelle des récompenses aux exposants du salon de 1861. Source : le Monde Illustré. La Constitution créa par les décrets des 9 et 25 brumaire an II la Commune des artistes, institua un jury des arts pour juger des tableaux et les sculpteurs exposés et décerner des récompenses aux œuvres les plus méritantes. Napoléon en 1810 décréta que des prix décennaux seraient accordés aux artistes. En 1825 Charles X voulu distribuer lui-même aux artistes les médailles et décorations et pour la première fois faire entrer dans l’ordre de la LH peintres et sculpteurs exposants. Depuis la restauration chaque souverain a tenu à à honneur de protéger et d’encourager le goût artistique français. L’Empereur et l’Impératrice visite à la veille de l’Exposition universelle 1857 encouragements et le 4 juillet discours de M le Comte Walewski ministre d’Etat à la distribution des récompenses fait des « arts » de « nouveaux titres de noblesse » puis distribution de LH lecture du décret impérial Distribution de la médaille d’honneur à M Pills pour sa Bataille de l’Alma 13 juillet 1861.

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Figure 76 - Le docteur Roux. Source : Le Monde Illustré du 13 juillet 1895. Le conseil municipal a décidé qu’une médaille d’or lui serait décerné au nom de la ville de Paris en hommage à sa découverte du vaccin antiphérique connu sous le nom de sérumthérapie. Une façon de récompenser de « beaux travaux scientifiques si utiles à l’humanité ». Deux médailles furent frappées qui reproduisent l’effigie de la République gravée par Chaplain l’une pour la ville, l’autre pour le département de la Seine qui s’est associée à l’hommage. Elles furent remises le 4 juillet lors d’une séance solennelle dans la salle de l’Hôtel de Ville, devant les élus et les autorités administratives.

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Le culte de la performance

Il serait commode de ne voir dans le développement de l’émulation premiale qu'un mimétisme du style de vie aristocratique (Arno Mayer). Certes, dans le reste de l’Europe, les nouveaux titres ont pu, comme en Russie avec les grades supérieurs des ordres de Sainte-Anne et de Saint Stanislas, constituer l'antichambre d'un anoblissement véritable. Mais, le plus souvent, purement personnels, ils ne constituaient qu'une appellation honorifique. Non assis sur des fiefs territoriaux (ou comme sous le 1er Empire sur des majorats), ils avaient pour fonction de récompenser les services d'agents et de professions sur lesquels la bureaucratie souhaitait établir un contrôle. C'est le cas en Allemagne de titres purement honorifiques comme Kommerzienrat, Justizrat, Baurat, Medizinalrat ou

Regierungsrat de première ou deuxième classe. Un signe d’excellence professionnelle gagé sur un universalisme d’Etat et dont l’école se fera le conservatoire vigilent : voilà finalement la valeur instrumentale dont se sont enveloppées les décorations civiles.

Figure 77 - Réclame parue dans Le Monde Illustré du 27 février 1886.

Figure 78 - Sur proposition des ministres de la guerre et de la marine, le président de la République signa le décret créant cette médaille réservée à la commémoration des opérations militaires effectuées dans les colonies françaises ou pays de protectorat. Cette médaille est en argent et du module de 30 millimètres. Gravée par Georges Lemaire, elle porte d’un côté l’effigie de la République avec les mots République française et de l’autre coté la légende « médaille coloniale » et au milieu d’un globe terrestre entouré des attributs militaires. Elle est suspendue à un ruban à raies blanches et bleues. Le titulaire pouvait y attacher autant d’agrafes qu’il avait accompli de campagnes dans des possessions différentes.

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Figure 79 - Un tableau de quelques distinctions qui encouragent l’émulation premiale à la fin du XIXe siècle : la France, comme d’autres, était entrée dans l’ère du culte de la performance. Source : Art Médaille, La Grande Encyclopédie.

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Figure 80 - En 1901, le concours agricole est organisé au Grand Palais des Champs Elysées (et non plus au palais de l’Industrie) : un choix qui obligea à scinder les parties du concours : produits agricoles, animaux reproducteurs, beurre, vins, fruits, légumes… Tout se compare, mesure, hiérarchise. Et se récompense : les « prix d’honneur » sont distribués sous la houlette du commissaire général. Les hommes politiques ne sont pas en reste. Le jury de l’espèce bovine est présidé par M. Méline ancien président du conseil, celui de l’espèce ovine par l’ancien ministre de l’agriculture Viger et celui de l’espèce porcine par M. Gomet sénateur du Puy-de-Dôme. Un concours inauguré par le président de la République qui sera reçu devant chaque box par les propriétaires des animaux exposés. C’est encore lui qui viendra saluer les animaux « primés », par exemple le porc craonnais de six cents livres qui a remporté le prix d’honneur.

Cela rejoint ce que prétendait enseigner la révolution libérale du XVIIIe siècle : la direction d’un groupe peut se réaliser par objectifs, c’est-à-dire par un gouvernement à distance qui incite chacun à contribuer à développer sa « performance ». Une technique de gestion des conduites, jusque là délaissée par la science du pouvoir alors même qu’elle synonyme de pouvoir. C’est d‘autant plus singulier qu’elle s’est étendue au monde scolaire, à l’industrie, aux activités sportives et scientifiques. Bref, qu’elle s’est transformée en une pratique de plus en plus usitée.

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Figure 81 - Les prix de vertu et les concours à l’Académie en 1902. Source : Les Annales politiques et littéraires du 29 novembre 1902.

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La société des émules

Si ces témoignages iconographiques avaient une ambition, c’était de montrer que le culte de la performance, aujourd’hui triomphant, n’est pas seulement le contrecoup de ce que paresseusement, certains s’ingénient à appeler le libéralisme Il tient à un système de déférence généralisée. A un type d’emprise qui, sans avoir été explicitement décrété, s’est établi comme tuteur des hommes. Avec ses dignités visibles, ses échelles de mérite, ses distinctions honorifiques. Une histoire que j’ai voulu retracer non pas pour chercher un commencement « fondateur », traquer des relations « cachées » ou opposer à la justice pénale les vertus d’une justice distributive, mais pour comprendre. Comprendre comment la récompense honorifique est devenue la figure générale d’une forme de gouvernement qui a fait du mérite le fondement du lien entre les individus. Comprendre les théories qui en ont porté l’exigence mais sans tourner le dos aux pratiques qui se sont revendiquées d’elles. Comprendre, enfin, comment la gloire nobiliaire et, plus encore, la vertu chrétienne ont été « disciplinées » par les récompenses de l’Etat libéral. En d’autres termes, comment prisonnières d’un passé qui continua longtemps d’être exalté (la société de l’honneur) mais séparées de ce qui en faisait la grandeur (la quête cléricale du salut), la gloire et la vertu ont quitté les « âmes bienheureuses », puis reflué des « royaumes de grâce », pour devenir de simples signes de mérite : ceux d’une société d’émules. La nôtre.

Figure 82 - Une rémunération du mérite : le président Georges Bush décerne la médaille présidentielle de la Liberté (Presidential Medal of Freedom) à trois figures centrales de la guerre en Irak : le général Tommy R. Franks, qui a conduit l’opération militaire d’invasion ; Paul Bremmer qui fut l’administrateur civil de l’Irak occupé et Goerges J. Tenet qui dirigea les services de renseignement de la CIA durant cette guerre. Source : The New York Times du 15 décembre 2004.