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MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER Cancers de lovaire : la biologie moléculaire Ovarian Cancer: Molecular Biology M. Devouassoux-Shisheboran Reçu le 13 janvier 2014 ; accepté le 9 mai 2014 © Springer-Verlag France 2014 Résumé Les tumeurs ovariennes rassemblent un groupe hétérogène de lésions dont la classification était au départ basée uniquement sur la morphologie. Nous rapportons ici les nouvelles avancées dans le domaine de la biologie molé- culaire et de lhistogenèse des tumeurs épithéliales et des cordons sexuels de lovaire. Les données de la biologie moléculaire viennent conforter la classification morpholo- gique des tumeurs de lovaire et établissent ainsi une classifi- cation phénotypique/génotypique de ces tumeurs. Ces nou- velles découvertes scientifiques ont permis la mise en place de biomarqueurs tels que les marqueurs immunohistochi- miques et les tests moléculaires, qui apportent une aide considérable aux pathologistes dans leur pratique au quoti- dien. Ils permettent le diagnostic des différents sous-types histologiques de tumeurs ovariennes en complément de lexamen morphologique au microscope. Enfin, ces nou- veaux biomarqueurs ouvrent la voie à la mise en place de nouvelles thérapies ciblées dans un futur proche. Mots clés Carcinome ovarien · STIC · HR · Tumeurs des cordons sexuels · FOXL2 · DICER1 Abstract Ovarian tumours comprise a heterogeneous group of lesions, initially classified on morphological bases. We report herein the newly described molecular abnormalities in carcinomas and sex cord stromal tumours of the ovary. Molecular findings corroborate the morphological classifi- cation, leading to a phenotypic/genotypic classification of these tumours. Biomarkers such as immunohistochemical antibodies and molecular testing help pathologists in their everyday practice. Our better understanding of molecular bases of ovarian tumours represents the first step in the deve- lopment of targeted therapies, in near future. Keywords Ovarian carcinoma · STIC · HR · Sex cord tumors · FOXL2 · DICER1 Introduction Tous les composants histologiques de lovaire peuvent don- ner naissance à une prolifération tumorale. Les tumeurs ova- riennes sont subdivisées en trois grandes catégories : les tumeurs épithéliales (55 %), les tumeurs germinales (30 %) et les tumeurs des cordons sexuels et du stroma gonadique (8 %). Parmi les cancers, les carcinomes (tumeurs épithélia- les malignes) sont majoritaires (85 %), alors que les tumeurs germinales malignes ne représentent que 3 à 5 % des cancers de lovaire, car la majorité des tumeurs germinales sont des tératomes bénins. Tumeurs épithéliales Les carcinomes sont subdivisés, en fonction du type histo- logique du revêtement épithélial qui les compose, en carci- nomes séreux, endométrioïdes, mucineux, à cellules claires, à cellules transitionnelles et indifférenciés. Il apparaît de plus en plus que le cancer de lovaire soit une maladie hétérogène avec des spécificités moléculaires et thérapeutiques en fonc- tion du type histologique du carcinome. Carcinomes séreux Les carcinomes séreux sont subdivisés en deux groupes : les carcinomes séreux de bas grade et les carcinomes séreux de haut grade. Les carcinomes séreux de bas grade sont rares (15 % des carcinomes séreux et 2 % des carcinomes ova- riens), et sont observés en association avec des tumeurs bor- derline séreuses (60 %) ou surviennent au cours de lévolu- tion dune tumeur borderline séreuse (récidive sous la forme de carcinome de bas grade dans 73 % des cas). Ils touchent les femmes plus jeunes (43 ans en moyenne versus 64 ans pour les séreux de haut grade). Les carcinomes séreux de bas M. Devouassoux-Shisheboran (*) Service de pathologie, centre de biologie et de pathologie Nord, hôpital de la Croix-Rousse, 103, grande rue de la Croix-Rousse, F-69317 cedex 04, France e-mail : [email protected] Oncologie DOI 10.1007/s10269-014-2407-x

Cancers de l’ovaire : la biologie moléculaire; Ovarian cancer: molecular biology;

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MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER

Cancers de l’ovaire : la biologie moléculaire

Ovarian Cancer: Molecular Biology

M. Devouassoux-Shisheboran

Reçu le 13 janvier 2014 ; accepté le 9 mai 2014© Springer-Verlag France 2014

Résumé Les tumeurs ovariennes rassemblent un groupehétérogène de lésions dont la classification était au départbasée uniquement sur la morphologie. Nous rapportons iciles nouvelles avancées dans le domaine de la biologie molé-culaire et de l’histogenèse des tumeurs épithéliales et descordons sexuels de l’ovaire. Les données de la biologiemoléculaire viennent conforter la classification morpholo-gique des tumeurs de l’ovaire et établissent ainsi une classifi-cation phénotypique/génotypique de ces tumeurs. Ces nou-velles découvertes scientifiques ont permis la mise en placede biomarqueurs tels que les marqueurs immunohistochi-miques et les tests moléculaires, qui apportent une aideconsidérable aux pathologistes dans leur pratique au quoti-dien. Ils permettent le diagnostic des différents sous-typeshistologiques de tumeurs ovariennes en complément del’examen morphologique au microscope. Enfin, ces nou-veaux biomarqueurs ouvrent la voie à la mise en place denouvelles thérapies ciblées dans un futur proche.

Mots clés Carcinome ovarien · STIC · HR · Tumeurs descordons sexuels · FOXL2 · DICER1

Abstract Ovarian tumours comprise a heterogeneous groupof lesions, initially classified on morphological bases. Wereport herein the newly described molecular abnormalitiesin carcinomas and sex cord stromal tumours of the ovary.Molecular findings corroborate the morphological classifi-cation, leading to a phenotypic/genotypic classification ofthese tumours. Biomarkers such as immunohistochemicalantibodies and molecular testing help pathologists in theireveryday practice. Our better understanding of molecularbases of ovarian tumours represents the first step in the deve-lopment of targeted therapies, in near future.

Keywords Ovarian carcinoma · STIC · HR · Sex cordtumors · FOXL2 · DICER1

Introduction

Tous les composants histologiques de l’ovaire peuvent don-ner naissance à une prolifération tumorale. Les tumeurs ova-riennes sont subdivisées en trois grandes catégories : lestumeurs épithéliales (55 %), les tumeurs germinales (30 %)et les tumeurs des cordons sexuels et du stroma gonadique(8 %). Parmi les cancers, les carcinomes (tumeurs épithélia-les malignes) sont majoritaires (85 %), alors que les tumeursgerminales malignes ne représentent que 3 à 5 % des cancersde l’ovaire, car la majorité des tumeurs germinales sont destératomes bénins.

Tumeurs épithéliales

Les carcinomes sont subdivisés, en fonction du type histo-logique du revêtement épithélial qui les compose, en carci-nomes séreux, endométrioïdes, mucineux, à cellules claires,à cellules transitionnelles et indifférenciés. Il apparaît de plusen plus que le cancer de l’ovaire soit une maladie hétérogèneavec des spécificités moléculaires et thérapeutiques en fonc-tion du type histologique du carcinome.

Carcinomes séreux

Les carcinomes séreux sont subdivisés en deux groupes : lescarcinomes séreux de bas grade et les carcinomes séreux dehaut grade. Les carcinomes séreux de bas grade sont rares(15 % des carcinomes séreux et 2 % des carcinomes ova-riens), et sont observés en association avec des tumeurs bor-derline séreuses (60 %) ou surviennent au cours de l’évolu-tion d’une tumeur borderline séreuse (récidive sous la formede carcinome de bas grade dans 73 % des cas). Ils touchentles femmes plus jeunes (43 ans en moyenne versus 64 anspour les séreux de haut grade). Les carcinomes séreux de bas

M. Devouassoux-Shisheboran (*)Service de pathologie, centre de biologie et de pathologie Nord,hôpital de la Croix-Rousse, 103, grande rue de la Croix-Rousse,F-69317 cedex 04, Francee-mail : [email protected]

OncologieDOI 10.1007/s10269-014-2407-x

grade sont des tumeurs diploïdes présentant peu d’anomaliesdu nombre de copies des gènes (peu d’amplifications ou dedélétions). Le séquençage complet des exons dans huit cas arévélé des tumeurs génétiquement stables avec très peu demutations (moyenne de 7,5 mutations par tumeur) [1]. Ilsprésentent des mutations de BRAF ou KRAS (68 % descas) mutuellement exclusives, sans mutation du gène TP53[2]. Les mutations de BRAF ou KRAS sont retrouvées dans33 à 50 % et 36 % des tumeurs borderline séreuses, respec-tivement. Les mutations de BRAF (V600E) semblent plusfréquentes dans les tumeurs borderline séreuses (28–48 %)que dans les carcinomes séreux de bas grade (5–38 %), sontplus souvent associées aux tumeurs de faible stade (I/II) etsont corrélées à une meilleure survie globale (47,3 mois pourles tumeurs BRAF et KRAS wt versus 78 mois pour lestumeurs avec mutations de BRAF ou KRAS) [3,4]. Ainsi, lamutation de BRAF semble prévenir l’évolution d’une tumeurborderline séreuse en un adénocarcinome séreux de basgrade.

Les données moléculaires démontrent que les carcinomesséreux de bas grade se développeraient à partir d’un précur-seur, la tumeur borderline séreuse, suivant une séquenceadénome/carcinome caractérisée par des altérations mitogé-niques de la voie RAS-RAF-MEK [2]. De plus, des muta-tions du gène ERBB2 (codant pour HER2/neu protéine) acti-vant un régulateur en amont de KRAS sont rapportées dans9 % de ces tumeurs. Ces carcinomes séreux de bas grade ontune progression lente et sont de meilleur pronostic que lescarcinomes séreux de haut grade avec une survie à dix ansd’environ 50 %. Ils sont peu chimiosensibles avec uneréponse complète après une moyenne de six cycles de chi-miothérapie à base de sels de platine de 4 à 6 % contre 8 %de progression et 88 à 90 % de réponses stables [5]. PAX2est un facteur de transcription appartenant à la famille desgènes paired-box (PAX1 à PAX9) et joue un rôle au coursdu développement embryonnaire des organes müllériens,entre autres. Une surexpression de PAX2 a été identifiéedans les carcinomes séreux de bas grade et leurs précurseurs,les tumeurs borderline [6]. La surexpression de PAX2 a étéimpliquée dans la chimiorésistance des carcinomes rénauxaux sels de platine, et pourrait en partie expliquer la chimio-résistance des carcinomes séreux de bas grade.

Les carcinomes séreux de haut grade représentent 85 %des carcinomes séreux et 60 % de l’ensemble des carcinomesovariens. C’est la forme observée dans les cancers héréditai-res avec mutation constitutionnelle des gènes BRCA. Ils ontdans plus de 90 % des cas une mutation du gène TP53. Grâceaux études sur les pièces d’annexectomies prophylactiqueschez des patientes avec mutation constitutionnelle des gènesBRCA, un précurseur à l’origine des carcinomes séreux dehaut grade de l’ovaire et du péritoine a été mis en évidenceau niveau du revêtement du pavillon tubaire sous la formed’un carcinome débutant intraépithélial (STIC : serous tubal

intraepithelial carcinoma). Des lésions de STIC sont retrou-vées dans 67 % des carcinomes séreux de l’ovaire et 49 %des carcinomes séreux péritonéaux, sporadiques. De plus, lamême mutation TP53 a été mise en évidence dans le STIC etles carcinomes séreux ovariens et péritonéaux, indiquant unefiliation directe entre le carcinome tubaire in situ et le carci-nome ovarien ou péritonéal invasif [7].

Le Cancer Genome Atlas Projet [8] a analysé 489 cas decancers de l’ovaire de façon exhaustive (profil d’expres-sion, nombre de copies, méthylation, miRNA) et complétéle séquençage complet des exons pour 316 cas. Il s’agit detumeurs aneuploïdes et génétiquement instables, avec unemoyenne de 61 mutations par tumeur. Si quasiment tousles carcinomes séreux ovariens de haut grade sont mutéspour TP53 (96 %), on ne retrouve, de façon surprenante,que de rares mutations somatiques récurrentes, de préva-lence faible mais significative, dans neuf gènes supplémen-taires, dont NF1, BRCA1, BRCA2, RB1 et CDK12. PourBRCA1 et BRCA2, il existe des mutations germinales dans9 et 8 % des cas respectivement et des mutations somati-ques additionnelles dans 3 % des cas, et une hyperméthy-lation de leur promoteur dans 11 % des cas. Les étudesconfirment les amplifications connues de MYC, de CCNE1et de MECOM dans plus de 20 % des tumeurs et surtout detrès nombreux petits foyers d’amplifications (168), ce quiest totalement différent de ce qu’elles avaient observé dansla même analyse faite sur les glioblastomes. Les études desprofils d’expression réalisés sur trois plateformes différen-tes pour 11 864 gènes ont permis de déterminer quatresignatures moléculaires différentes : immunoréactive, diffé-renciée, proliférative et mésenchymateuse. Il existe égale-ment trois sous-types selon l’expression de miRNA et qua-tre sous-types de méthylation. En général, ces différentssous-types présentent des similitudes et des chevauche-ments entre eux en termes de distribution et ne permettentpas d’établir de véritables signatures moléculaires distincteset exclusives des carcinomes séreux de haut grade, commecela a été le cas pour les carcinomes mammaires infiltrants.Les études montrent des anomalies de la recombinaisonhomologue dans plus de 50 % des cas, ce qui ouvre desperspectives thérapeutiques avec les inhibiteurs du PARP.De plus, les altérations récurrentes retrouvées sur les voiesNOTCH, RAS/PI3K, RB, FOXM1 offrent des cibles théra-peutiques intéressantes à développer. Utilisant le cataloguede The Cancer Genome Atlas, une signature pronostiquedes carcinomes séreux de haut grade (CLOVAR : Classifi-cation of OVArian cancer) a pu être développée. Ellecomprend un groupe de bon pronostic avec une médianede survie de 46 mois et un taux de résistance aux sels deplatines de 23 % versus un groupe de mauvais pronostic(23 % des carcinomes) avec une médiane de survie de23 mois et un taux de résistance aux sels de platine de63 % [9].

2 Oncologie

Carcinomes mucineux

Les carcinomes mucineux s’associent volontiers à destumeurs borderline mucineuses qui représentent un précur-seur de ces carcinomes. Des mutations de KRAS (codons12 ou 13) sont d’ailleurs observées dans 86 % des carci-nomes mucineux, avec la même mutation dès le stade detumeurs bénigne (55 %) et borderline (73 %) indiquant lafiliation entre ces différentes tumeurs de gravité différente[10]. Par ailleurs, les carcinomes mucineux se caractéri-sent par une amplification du gène HER2-neu retrouvéedans 18 % des cas, dès le stade borderline (6 % des cas)[11], permettant d’envisager une thérapie ciblée. L’ampli-fication d’HER2 et la mutation de KRAS sont mutuelle-ment exclusives dans ces tumeurs et confèrent un meilleurpronostic à la tumeur en comparaison aux tumeurs double-négatives, avec une réduction significative des récidives etdes décès [12].

Carcinomes endométrioïdes

Les carcinomes endométrioïdes se développeraient à partirde foyers d’endométrioses, auxquels ils sont associés dans23 à 42 % des cas. L’endométriose semble être le précurseurde ce type de carcinome avec les mêmes anomalies du gèneCTNNB1 codant pour la bêtacaténine (48 % des cas) et dugène PTEN (20 % des cas), dès le stade précurseur, l’endo-métriose [13,14]. Ce type histologique est associé au syn-drome de Lynch, et les formes sporadiques présentent éga-lement des instabilités des microsatellites, souvent dues àune hyperméthylation du promoteur du gène MLH1 (12 à19 % des cas) [13].

Carcinomes à cellules claires

Les carcinomes à cellules claires s’associent volontiers àdes foyers d’endométriose et cohabitent avec un carcinomeendométrioïde dans environ 25 % des cas. Il s’agit d’uncarcinome génétiquement stable, avec un faible taux de pro-lifération, sans mutation de TP53. Il survient chez despatientes plus jeunes (moyenne d’âge de 55 versus 64 anspour les carcinomes séreux de haut grade). Bien que latumeur soit souvent de stade I/II au moment du diagnostic(49 %), la survie à cinq ans est plus faible que les carci-nomes séreux de haut grade (60 versus 80 %). Ce phéno-mène est surtout vrai pour les carcinomes à cellules clairesde stade supérieur à I, probablement majoré par la faiblechimiosensibilité de ces tumeurs [15]. Le séquençage com-plet des exons dans huit cas a permis de révéler une muta-tion récurrente dans quatre gènes : AR1D1A, PIK3CA,KRAS et PPP2R1A. Une mutation somatique d’un gène sup-presseur de tumeurs ARID1A (the AT-rich interactivedomain1A [SSWI-like] gene) codant pour BAF250 associée à une

perte d’expression de BAF250 a été récemment identifiéedans 46 % des 119 carcinomes à cellules claires, 30 % des33 carcinomes endométrioïdes et aucun des 76 carcinomesséreux de haut grade. Cette anomalie était présente dansdeux kystes d’endométriose adjacents à la tumeur [16], indi-quant que ce cancer se développerait à partir de l’endomé-triose ovarienne. L’activation de la voie PI3K/AKT associéeà l’inactivation concomitante des gènes suppresseurs detumeur comme PTEN et mTOR est observée à la fois dansl’endométriose et les carcinomes qui en découlent (carci-nomes endométrioïdes et à cellules claires). Le carcinomeà cellules claires est le type histologique de carcinome ova-rien avec le taux le plus élevé de mutation activatrice dePIK3CA, dans 33 % des cas [17], permettant d’envisagercertaines thérapies ciblées. Les mutations de PPP2R1A(exon 5 ou 6) codant pour l’isoforme A de la protéine phos-phatase 2A impliquée dans la survie et la prolifération cel-lulaire sont observées dans 7 à 9 % des cas. Les mutationsde KRAS sont retrouvées dans 14 % des cas [18,19]. L’étudecomparative de quatre lignées cellulaires de carcinomes àcellules claires et de sept lignées de carcinomes non à cellu-les claires a identifié 16 gènes surexprimés dans les premiers[20], parmi lesquels figure l’HNF-1 beta (hepatocytenuclearfactor). L’HNF-1 est un facteur de transcription impliquédans l’embryogenèse hépatique, pancréatique et rénale, etfacilite la synthèse de glycogène. Ce gène est surexprimédans les carcinomes à cellules claires de l’ovaire, au niveaudu messager, mais également protéiques avec une détectionimmunohistochimique nucléaire dans 95 % des cas contre2 % des autres types histologiques de carcinomes ovariens,apportant une aide diagnostique aux pathologistes [21]. L’HNF-1 beta est impliqué dans la régulation d’autres gènes etnotamment l’annexine 4, gène de la résistance au paclitaxel,expliquant en partie la chimiorésistance de ces carcinomes.La surexpression de la protéine MET détectée par immuno-histochimie et l’amplification de MET mise en évidence parhybridation in situ fluorescente (FISH) sont observées dansrespectivement 22 et 24 % des carcinomes à cellules claires,et dans 0 à 3 % des carcinomes non à cellules claires [22].La surexpression de MET semble être un facteur de mauvaispronostic indépendant dans ces cancers avec une survie àcinq ans de 33 % pour les carcinomes MET positifs versus76 % pour les carcinomes MET négatifs [22].

Carcinomes à cellules transitionnelles

Les carcinomes à cellules transitionnelles s’approchent davan-tage du carcinome séreux de haut grade avec une mutation deTP53 [23].

Ainsi, les carcinomes ovariens ne représentent pas uneentité unique, mais correspondent à cinq maladies distinc-tes, avec des caractéristiques épidémiologiques, moléculai-res, morphologiques et cliniques et évolutives différentes

Oncologie 3

(Tableau 1) [24]. La prise en charge et les modalités théra-peutiques devraient s’adapter à chaque sous-type histolo-gique de ces carcinomes.

Tumeurs des cordons sexuels et du stromagonadique

Ces tumeurs sont subdivisées en tumeurs du stroma gona-dique (87 %) qui sont pour la plupart bénignes (fibrome,thécome, tumeur stromale sclérosante) et rarement malignes(fibrosarcome), et en tumeurs des cordons sexuels. Ces der-nières comprennent les tumeurs de la granulosa (12 %) et lestumeurs de Sertoli-Leydig (0,5 %) et ont un potentiel demalignité indéterminé au moment du diagnostic, avec uneévolution péjorative dans un quart des cas environ.

De nouveaux biomarqueurs ont été rapportés dans lestumeurs des cordons sexuels. En effet, une anomalie spé-cifique des tumeurs à cellules de la granulosa adulte a étédécrite sous la forme d’une mutation ponctuelle du gèneFOXL2 (402C>G) dans 95 à 97 % de ces tumeurs contre10 % des tumeurs de la granulosa juvénile, 20 % des théco-mes, et aucune des tumeurs de Sertoli-Leydig, ni les tumeursépithéliales [25]. Ce gène est localisé sur le chromosome3q23 et code pour un facteur de transcription impliqué dansle développement embryonnaire des cellules folliculaires del’ovaire. Cette mutation ponctuelle faux sens (C402G) induitun changement acide aminé (C134W), mais n’altère pas lafonction protéique, ni sa localisation. L’immunodétectionnucléaire de la protéine dans les tumeurs n’est pas liée à laprésence ou non de la mutation, mais est un marqueur diag-nostique pour la catégorie des tumeurs des cordons sexuelset du stroma gonadique, quel que soit le sous-type histolo-gique. Par ailleurs, la présence de la mutation (C402G) et leniveau d’expression du messager du gène FOXL2 sont asso-

ciés à un taux de survie sans progression plus faible par rap-port aux tumeurs avec le gène sauvage. Cependant, la survieglobale n’est pas affectée par la présence ou non de la muta-tion [26]. La recherche de cette mutation à partir des blocs deparaffine est actuellement une aide considérable au diagnos-tic des tumeurs de la granulosa de type adulte (Fig. 1). Eneffet, l’absence de la mutation 402C>G de FOXL2 peutremettre en cause le diagnostic de tumeur de la granulosaadulte, car cette anomalie est présente dans plus de 95 %de ces tumeurs. Cette mutation est, par ailleurs, exception-nelle dans les autres tumeurs des cordons sexuels et dustroma gonadique comme les thécomes et les tumeurs de lagranulosa juvénile [27,28]. Cette mutation altère la capacitédu facteur de transcription FOXL2 à moduler certains de cesgènes cibles, en particulier des gènes situés en amont de lavoie du TGFb impliqués dans la régulation de la proliféra-tion et de la survie cellulaires. Ainsi, la mise en évidence decette mutation bénéficie non seulement aux pathologistesdans leur diagnostic au quotidien, mais permet égalementune avancée considérable dans notre compréhension desphénomènes moléculaires et la pathogénie des tumeurs dela granulosa adulte. Enfin, elle permet d’envisager de nou-velles approches thérapeutiques ciblées dans le futur [29,30].La mutation somatique des exons 26 ou 27 du gène DICER-1, un gène codant pour une RNAIII endoribonucléase indis-pensable pour la transformation des miRNA, a été mise enévidence dans 60 % des tumeurs à cellules de Sertoli-Leydig(Fig. 1), 7 % (1/14) des tumeurs de la granulosa juvénile,aucune des tumeurs de la granulosa adulte et également dans13 % (2/15) des tumeurs vitellines [31]. Ce gène présenteune mutation constitutionnelle dans les blastomes pleuropul-monaires et le syndrome familial dysplasique. La protéinemutée présente un maintien de l’activité RNaseIIIa et uneperte de l’activité RNaseIIIb aboutissant à un profil miRNAoncogène dans ces tumeurs [31].

Tableau 1 Carcinomes ovariens : cinq maladies distinctes [24].

Carcinomes ovariens Séreux haut

grade

Séreux bas grade Mucineux Endométrioïde Cellules claires

Fréquence 70 % < 5 % 3 % 10 % 10 %

Facteurs de risque BRCA1/2 ? ? HNPCC ?

Précurseurs STIC T borderline T borderline Endométriose atypique Endométriose atypique

Mode d’extension Transcœlomique

rapide

Transcœlomique Confiné ovaire Confiné pelvis Confiné pelvis

Anomalies

moléculaires

BRCA, P53 BRAF, KRAS KRAS, HER2 PTEN, ARD1A HNF1b, PIK3, ARD1A

Chimiosensibilité Élevée Intermédiaire Faible Élevée Faible

Pronostic Mauvais Intermédiaire Favorable Favorable Intermédiaire

STIC : serous tubal intraepithelial carcinoma ; T : tumeur ; HNPCC : hereditary non polyposis colonic cancer.

4 Oncologie

Tumeurs germinales

Elles sont subdivisées en tératomes purs (pluritissulaires oumonotissulaires) et en tumeurs germinales primitives (dys-germinome, tumeur vitelline, choriocarcinome, carcinomeembryonnaire, polyembryome et tumeurs germinales mix-tes pouvant contenir un contingent de tératome). En effet,les tératomes purs de l’ovaire présentent des particularitésqui sont propres à leur localisation ovarienne, alors queles autres tumeurs germinales primitives de l’ovaire ont lescaractéristiques cytogénétiques et moléculaires des tumeursgerminales, en général. Ces deux catégories tératomes et nontératomes diffèrent en plusieurs points.

Les tumeurs germinales primitives dériveraient d’une cel-lule germinale primordiale (avant la division méiotique), alorsque les tératomes de l’ovaire (notamment les tératomes matu-res) sont d’origine postméiotique et ont donc un génotypehomozygote (Tableau 2). Les tumeurs germinales se caracté-

risent par une anomalie cytogénétique, l’isochromosome 12p,i(12p). Il s’agit d’une perte de 12q et une duplication du 12pse mettant de part et d’autre du centromère. Cette anomalieest assez spécifique, retrouvée dans 80 % des tumeurs germi-nales testiculaires et médiastinales et dans les tumeurs germi-nales non tératomateuses de l’ovaire (elle est absente des téra-tomes purs de l’ovaire). Les tumeurs germinales primitivessont aneuploïdes, alors que les tératomes purs sont diploï-des. Peu d’anomalies moléculaires caractéristiques ont étédétectées dans ces tumeurs, en partie du fait de leur rareté etdes difficultés de regrouper un nombre suffisant de tumeurscongelées pour des études moléculaires [32].

Conclusion

Le cancer de l’ovaire est essentiellement représenté par lescarcinomes. Les carcinomes ovariens correspondent à un

Fig. 1 Séquençage des exons 27 (A) et 26 (B) du gène DICER1 et de l’exon 1 du gène FOXL2 (C) - Images du Dr F. Descotes

« Unité médicale d’oncologie moléculaire et transfert », hospices civils de Lyon, centre hospitalier Lyon-Sud) A. (haut) : tumeur à cellu-

les de Sertoli-Leydig ne présentant pas la mutation E1813D sur l’exon 27 : la séquence est GAGTCG ; (bas) : tumeur à cellules de

Sertoli-Leydig présentant une mutation E1813D : la séquence est GAKTCG avec substitution d’un T à la place de G en position 5439.

B. (haut) : tumeur à cellules de Sertoli-Leydig ne présentant pas la mutation E1705K sur l’exon 26 : la séquence est TTAGAA ; (bas) :

tumeur à cellules de Sertoli-Leydig présentant une mutation : la séquence est TTAAAA avec substitution d’un A à la place de G en posi-

tion 5113. C. (haut) : fibrome ovarien ne présentant pas de mutation C134W : la séquence est CCTGCGA avec un C en position 402 ;

(bas) : tumeur à cellules de la granulosa de type adulte présentant une mutation C134W : la séquence est CCTGSGA avec substitution

d’un G à la place de C en position 402 sur l’un des deux allèles

Oncologie 5

groupe hétérogène regroupant cinq maladies distinctes parleur épidémiologie, leur morphologie, leur biologie et leurpronostic. Leur traitement et leur prise en charge devraientintégrer cette hétérogénéité avec le développement de théra-pies spécifiques de chaque sous-type histologique. Les nou-velles anomalies moléculaires détectées dans les différentstypes histologiques des tumeurs ovariennes pourraientconstituer un point de départ pour de nouvelles options thé-rapeutiques dans ces cancers.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir deconflit d’intérêt.

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Tableau 2 Tumeurs germinales de l’ovaire.

Incidence Âge Ploïdie Cytogénétique Génotype Pronostic

Tératomes 95–98 % TG ovaire Tout Diploïde Chromosome

12 normal

Homozygote (mature) T bénigne

Hétérozygote

(immature)

T malignité limitée

TG primitives 3–5 % TG ovaire < 20 Aneuploïde i(12p) Hétérozygote T maligne

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6 Oncologie

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Oncologie 7