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SINGAPOUR SINGAPOUR Président Tony Tam Keng Yam (depuis le 1 er septembre 2011) Population (2010) 5 100 000 hab. Densité 7295 hab./km 2 Altitude 13 m Superficie 699,1 km 2 Fuseau horaire GMT/UTC + 8 Capitale des fortunes de l’Asie La cité-Etat de Singapour affiche la plus forte densité au monde de millionnaires. Les banques s’y livrent une rude concurrence pour gérer les nouvelles fortunes de toute l’Asie. LUXE Vue de la ville, depuis la piscine installée au 57 e étage de l’Hôtel Marina Bay Sands. BLOOMBERG GETTY IMAGE 206 L’HEBDO 29 SEPTEMBRE 2011 29 SEPTEMBRE 2011 L’HEBDO 207

Capitale des fortunes · sur place des expatriés occidentaux employés dans les entreprises de la place, dont de nombreux établisse-ments financiers. Une simple balade en ville

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Page 1: Capitale des fortunes · sur place des expatriés occidentaux employés dans les entreprises de la place, dont de nombreux établisse-ments financiers. Une simple balade en ville

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S I N G A P O U RPrésident

Tony Tam Keng Yam (depuis le 1er septembre

2011)Population (2010)

5 100 000 hab.Densité

7295 hab./km2

Altitude 13 m

Superficie 699,1 km2

Fuseau horaire GMT/UTC + 8

Capitale des fortunes de l’AsieLa cité-Etat de Singapour affiche la plus forte densité au monde de millionnaires. Les banques s’y livrent une rude concurrence pour gérer les nouvelles fortunes de toute l’Asie.

LUXE Vue de la ville, depuis la piscine installée au 57e étage de l’Hôtel Marina Bay Sands.

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PHOT

OS DR

Autre différence majeure: le climat. La température oscillant entre 23 et 30 degrés chaque jour de l’année et la végétation tropicale donnent un air de vacances aux premiers séjours sur place des expatriés occidentaux employés dans les entreprises de la place, dont de nombreux établisse-ments financiers. Une simple balade en ville permet très vite de compren-dre que les banques du monde entier se font ici concurrence pour capter les fortunes d’Asie. Européennes, américaines, chinoises ou locales, les banques sont omniprésentes. Certai-nes, installées de longue date, dispo-sent d’immeubles entiers; à l’instar de HSBC qui occupe le même bâti-ment depuis plus de trente ans. Une des publicités de ce groupe interpelle le visiteur: «Il y a en Chine plus de personnes apprenant l’anglais que de gens parlant anglais au Royaume-Uni.» Changement d’échelle radical: Sin-gapour entend bien devenir le centre de référence de la gestion de fortune pour les millionnaires et milliardai-res de toute l’Asie, Chine comprise. «La création de fortunes en Asie est énorme», relève Peter Kok, respon-sable sur place d’UBS pour Singa-pour et la Malaisie. Et «le marché de la gestion de fortune dans la région Asie Pacifique, hors Japon, croît rapi-dement. On s’attend à ce que la croissance des fortunes dans la région se fasse à un rythme près de deux fois plus rapide que dans le reste du monde. De ce fait, la part de marché de la région dans la gestion de fortune mondiale devrait passer de 15% en 2009 à près de 20% en 2014.»

Compétition très vive. Vice-prési-dent du Private Banking du Credit Suisse pour l’Asie Pacifique, en charge des Ultra High Net Worth – soit les personnes dont la fortune gérée dépasse les 50 millions de dol-lars américains – Tee Fong Seng indique que ce segment se développe si rapidement qu’il espère «une crois-sance à deux chiffres» de son activité. Et de relever que le nombre de mil-lionnaires augmente si vite en Asie que nombre de banques se focalisent sur les plus riches d’entre eux. La compétition est très vive. Lui-même en est un bon exemple: il a rejoint le Credit Suisse après quinze ans pas-sés à UBS.Autre signe de la concurrence sur place pour attirer les personnes

GENEVIÈVE BRUNET SINGAPOUR

Souvent appelée «La Suisse d’Asie», Singapour ravira-t-elle

sous peu à l’Helvétie sa place de numéro un mondial de la gestion de fortune? La question n’a rien de théo-rique. Dans son édition 2011 du «Glo-bal Private Banking and Wealth Mana-gement Survey», PWC affirme que «d’ici à 2013, dans un classement qui mesure le succès global, la Suisse prendra la deuxième place derrière Singapour.» Or, le cumul des succès, année après année, amènera peut-être un jour le volume des fortunes gérées dans la cité-Etat à dépasser celui déposé en Suisse.Associé gérant de Pictet & Cie et res-ponsable du développement en Asie du banquier privé, Nicolas Pictet se rend quatre ou cinq fois par an dans la région depuis une vingtaine d’an-nées. Il constate que «Singapour a une politique extraordinairement habile et volontaire de développe-ment dans différents domaines: le gouvernement a déjà par le passé cherché avec succès à développer la médecine de pointe et la biotechno-logie. Depuis plusieurs années main-tenant, il entend faire de ce pays un centre financier d’importance mon-diale, non seulement dans le domaine de la gestion de fortune – déjà bien développé – mais en tant que centre d’administration de fonds de place-ment, de dépôts et de financement de négoce. Ce sont des spécialités de la place financière de Genève. Nous devons prendre cette concurrence au sérieux.» Cap donc sur la «ville du Lion», la signification de «Singa-pura» en sanskrit. Même si aucun fauve à crinière n’a sans doute jamais gambadé dans une des îles compo-sant la cité-Etat, son emblème reste encore aujourd’hui un lion à queue de poisson.

Un air de vacances. Pour le voyageur arrivant à l’aéroport de Singapour, rien n’indique la force de la gestion de fortune dans ce pays qui affiche la plus forte concentration de million-naires au monde, en proportion de sa population; avec 15,5% des ménages détenant au moins un million de dol-lars américains d’actifs financiers. Pas de publicité de banques escortant le passager de sa descente d’avion à la réception des bagages, comme le font à Genève les luxueuses annon-ces des banquiers privés et de leurs concurrents.

Notre croissance est très rapide: en 2006, nous avions quelque 2000 personnes à Singapour et nous en avons aujourd’hui 5500.

Jose Isidro (Lito) N. Camacho, vice-président, Asie Pacifique, Credit Suisse

Nous employons 250 spécialistes de la banque privée. Ce nombre est nécessaire pour fournir d’excellents services avec des spécialistes de la philanthropie ou de la gouvernance familiale.

Peter Kok, Regional Market Manager, Singapore & Malaysia, UBS

Nous avons commencé notre activité à Singapour avec 30 personnes en 2006 et nous sommes maintenant 400.Markus Kobler, Deputy CEO Singapore, Regional COO Asia & Middle East, Julius Bär.

La gestion de fortune privée visant à préserver le capital pour les générations suivantes est nouvelle pour la plupart des Asia-tiques, car nombre de grandes fortunes ont été constituées récemment.

Richard C. W. Wee, Chief Executive Officer Lombard Odier Darier Hentsch & Cie (Singapore)

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L’Université d’UBS, installée à Singapour, a déjà délivré 24 000 jours de formation pour ses employés de la cité-Etat et du reste de la région. La banque aux trois clés emploie 250 «banquiers privés» – des gérants de fortune expérimentés – à Singapour. L’effort de formation n’en reste pas moins crucial, explique Peter Kok, Regional Market Manager pour Singapour et la Malaisie: «La formation et le développement de carrière de nos employés sont essentiels pour le succès d’UBS: c’est pour nous un élément clé de différenciation sur le marché local très compétitif de la gestion de fortune. Cela représente un investissement important.» Ces formations maison sont également destinées aux enfants des riches clients pour les préparer à la gestion de leur future fortune. UBS n’a pas lésiné sur le cadre dans lequel elles sont dispensées. Rien de moins qu’un monument historique: l’ancienne résidence du gouverneur, lorsque l’île était encore un joyau de la couronne britannique. Le Gouvernement de Singapour s’est également préoccupé de proposer des formations spécialisées en gestion de fortune. Créé en 2003 avec le soutien de Temasek Holdings et de Government of Singapour Investment Corporation (GIC) – les deux grands fonds souverains singapouriens –, le Wealth Management Institute (WMI) est présidé par Ng Kok Song, responsable des investissements du GIC. Cet institut spécialisé propose un «Certificate in Private Banking» et un «Advanced Wealth Management Programme» pour les gestion-naires de fortune; ainsi qu’un «Certificate in Trust Services» et un «Advanced Certificate in Trust Services» destinés aux employés de l’industrie locale du trust. En outre – souligne son CEO, Cynthia Teong: «Un Master of Science in Wealth Management a été élaboré en collaboration avec la Singapore Management University (SMU), Yale School of Management et le Swiss Finance Institute (SFI).» Un exemple de plus de la volonté des autorités de faire du pays une référence en matière de formation supérieure, en concluant des partenariats avec de prestigieuses écoles étrangères: l’INSEAD, l’ESSEC, le MIT ou encore la Wharton School sont installés dans la cité-Etat. Cynthia Teong relève d’ailleurs que l’institut qu’elle dirige a été fondé «avec l’objectif de développer Singapour comme un leader régional dans la gestion de fortune et une référence de la formation en la matière.» Cinquante étudiants sont inscrits au master en gestion de fortune pour l’année universitaire 2011/2012. Pour la CEO, «développer les talents dans le domaine de la gestion de fortune est essentiel pour que cette activité soit durable et rencontre du succès.» L’ambition est clairement affichée: «Former les meilleurs gestionnaires de fortune; pas seulement pour Singapour, mais pour toute la région.» !GB

Formation haut de gamme Cursus internes aux banques et diplômes proposés par le Wealth Management Institute tentent de répondre aux immenses besoins dans la gestion de fortune.

UBS UNIVERSITY La banque forme ses gestionnaires de fortune dans l’ancienne commanderie du gouverneur britannique, datant du temps où la cité du Lion était encore une colonie de la couronne.

expérimentées disposant d’un bon réseau de clients: une étude récente d’EMA Partners Internatio-nal affirme qu’un senior private ban-ker peut gagner à Singapour «près du double» de la rémunération qui lui serait proposée en Suisse. Et pour cause: les banques se développent ici à un rythme plus que soutenu. Jose Isidro (Lito) N. Camacho, vice-prési-dent Asie Pacifique pour le groupe Credit Suisse, précise que ses effec-tifs à Singapour ont doublé en cinq ans: «Nous employions 2000 per-sonnes en 2006 et nous en avons aujourd’hui 5500.» Un phénomène général: «Julius Bär s’est installé ici en 2006 avec 30 personnes et nous avons aujourd’hui 400 employés à Singapour», indique Markus Kobler, Deputy CEO pour Singapour et COO régional pour l’Asie et le Sud-Est asiatique. UBS emploie pour sa part 2000 personnes à Singapour, dont 250 private bankers. HSBC Private Bank (Suisse) a 400 employés. Nan-cie Dupier, Chief Executive pour l’Asie du Sud-Est, relève – sans dévoiler de chiffre précis – que «l’Asie, et plus particulièrement l’Asie du Sud-Est, apporte une part importante des 500 milliards de dollars gérés par le Private Banking d’HSBC.» Singapour fait vraiment figure d’el-dorado pour les gestionnaires de fortune. Et tous s’y précipitent ou renforcent leur présence sur place, notamment les banquiers privés. Nicolas Pictet indique que sa mai-son, dont l’activité en Asie «est déjà rentable», emploie «près de 90 col-laborateurs entre Hong Kong et Sin-gapour». Bart van Leemput, Execu-tive Vice President de Lombard Odier Darier Hentcsh & Cie, en charge de l’Asie, annonce, lui aussi, une acti-vité déjà rentable avec 30 employés à Singapour pour «2,5 milliards de francs suisses sous gestion », et «7 milliards de dollars gérés pour l’en-semble de l’Asie.» Evrard Bordier, associé du banquier privé du même nom, s’est installé sur place en août pour développer les activités en Asie. La banque Gonet vient d’obtenir une licence pour lancer une activité sur place et elle souhaite développer la clientèle de la région avec des équi-pes locales. Quel est donc le secret de Singapour pour aimanter les activités de ges-tion de fortune? Outre le fait de se trouver au cœur d’une région en forte croissance, le pays affiche de sérieux

Un logement pour tous 7295 habitants au km2: la plus forte concentration de population avec Monaco. L’Etat n’en garantit pas moins un logement à chacun à travers le Housing and Development Board (HDB). Plus de 80% des Singapouriens sont logés par son intermédiaire. Pour acheter son premier logement HDB subventionné, il faut être marié ou avoir 35 ans. On peut acquérir deux logements HDB dans une vie, en gardant la plus-value d’un achat à l’autre. Résultat: 93% des habitants sont propriétaires. Ceux qui ne logent pas dans les HDB achètent au prix fort des appartements dans les condominiums.!

atouts. Les dirigeants de banques mettent souvent en avant la parfaite maîtrise de l’anglais de leurs employés: tous les petits Singapou-riens étudient en anglais, une des quatre langues nationales avec le mandarin, le malais et le tamoul; en sus de leur langue maternelle. Les habitants d’origine chinoise étant majoritaires dans l’île, le mandarin est aussi très pratiqué.

Politique de collaboration. La qua-lité de l’éducation est également relevée. Les trois universités publi-ques – National University of Singa-pore (NUS), Nanyang Technological University (NTU) et Singapore Management University (SMU) – délivrent des diplômes de haut niveau. En outre, le pays développe depuis 1990 une politique de colla-boration avec les écoles les plus prestigieuses en les incitant à déve-lopper des programmes en collabo-ration avec les établissements uni-versitaires locaux: le MIT, l’INSEAD, l’ESSEC, La Wharton School ou Yale ont répondu à l’appel. Une politique également menée dans le domaine de la formation postgrade en finance (lire encadré). Autre atout: la régula-tion bancaire est transparente et efficace. Singapour, tout comme la Suisse, a assoupli son secret bancaire pour se conformer à la convention-cadre de l’OCDE sur l’échange d’in-formations en matière fiscale. Pour autant que les demandes présentées par les fiscs étrangers ne relèvent pas de la pêche aux renseignements, tant la loi sur les banques que celle sur les trusts ont été adaptées pour répondre à ces nouvelles exigences internationales. Plusieurs banquiers suisses estiment que Singapour et la Suisse disposent désormais d’un level playing field en matière de ges-tion de fortune. Avec, toutefois un léger avantage pour la cité-Etat: la vision à long terme de son gouver-nement qui ne bride en rien sa réac-tivité. Certains estiment qu’un conflit avec les Etats-Unis n’aurait pas pu se développer jusqu’au point où UBS a dû fournir des noms de clients: les autorités singapourien-nes auraient réagi plus prompte-ment… De fait, Singapour est dirigée depuis son indépendance en 1965 par le même parti: le PAP (Parti d’action populaire). Or, si le gouvernement pratique un contrôle politique et social évident – le Parti des tra-

sommes pas les plus puissants et nous ne sommes pas les plus nom-breux. Nous devons donc, pour nous faire une place au soleil, être parmi les plus capables et les plus ins-truits.» Un appel à l’effort qui n’ex-clut pas la fierté. Un terme local – les Peranakans – désigne à l’origine les personnes nées d’alliances entre Chinois et Malais et, par extension, ceux «nés ici et qui y vivent». Tous fruits de croisements familiaux entre Asiatiques ou entre Asiatiques et Européens. Un musée leur est consa-cré. Des vidéos montrent nombre d’entre eux de l’enfant au vieillard – exprimant leur bonheur d’être Pera-nakan et de vivre à Singapour.!

vailleurs, parti d’opposition qui avait fait campagne sur la cherté de la vie, n’a obtenu que 5 sièges sur 87 à la Chambre unique du Parlement en mai dernier avec 40% des suffrages – il a toujours eu une vison à long terme pour le pays. Les programmes de développement sont déclinés sur plusieurs années et mis en œuvre efficacement, notamment la construction de logements.Singapour se préoccupe également de présenter une offre culturelle pro-pre à séduire tant sa jeunesse que les cadres étrangers qui s’y installent. Le message du président précédent à sa population était très clair: «Nous ne sommes pas les plus riches, nous ne

!!Nous avons ici une équipe pratiquant vingt lan-gues dif-férentes: dont des Italiens, des Fran-çais, des Suisses qui connais-sent l’Asie mais par-tagent aussi les références culturelles des clients euro-péens. Nancie Dupier, Chief Executive, South-East Asia, HSBC Private Bank (Suisse)Market Manager, Singapore & Malaysia, UBS

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