Carnet 1 - Janvier 1931, par Carlo Suarès

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    CARNET 1J A N V I E R 1 9 3 1L A F I N D U

    GRAND M YTHE

    ( 1 )

    ET TEXTES DE

    KRISHN ANI URTI

    S U A R E S

    B O U S Q U E T

    T R O L L I E T

    C R E S P E L L E

    France : le N 4 f rs. Carnets Mensuels Etranger : le N 5

    A g e n t G n r a l : J o s Co r t i , 6, R u e d e C l i c h y . P a r i s

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    C A R N E TLA FIN DU GRAND M YTHE (1 )

    J. KRISHNAIHURTISur le renoncement

    CARLO SUARES

    Cela nous transf orme en lacs

    JOE BOUSQUETMise au point provisoire

    GILBERT TROLLIET

    Analogies (fragments)

    JACQUES CRESPELLETerres - mirages

    Notes : Sur Jean Cassou par Bousquet

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    Carnets mensuels (sauf aot et septembre, soit dix numros par a

    AGENT GENERAL : JOSE CORTI, 6, RUE DE CLICHY. PARI

    Adresser tout ce qui concerne ladministration et la rdaction

    M. Carlo Suars, 15, Avenue de La Bourdonnais. Paris VIK

    Chques postaux Paris 152573.

    Abonnement pour lanne 1931 :

    France et Colonies : 25 frs. Etranger : 35 frs.

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    IlNous ne savons pas encore jusquo peu t aller la souffrance.

    crise est partout, dans les consciences et dans notre civilisatio

    nous vivons en tat de guerre. Jusquo, jusqu quand? Est-ce

    cessairement jusqu Vcroulement de lEurope?

    Ces souffrances et ce chaos sont le cauchemar dune conscie

    endormie : les hommes dsesprs sous un ciel vide ne trouvent

    de rponse au pourquoi primordial, ou plutt ils ne se pos

    pas ce pourquoi, ils ne connaissent pas le sens de la vie.

    Dans cette dsolation et dans ce vide nous assistons un ph

    mne nouveau : la naissance de lHomme. Le nouvel homme po

    en lui sa rponse et sa dlivrance. Il ne participe plus au mon

    qui scroule : un cycle entier d e civili sations est parvenu au bout

    sa course.

    La Vrit absolue quaujourdhui nous pouvons tre, formible, ne se laisse pas approcher : son seuil il faut mourir, et s

    grain ne veut mourir la Vie passera outre.

    Il est temps de se dire que la Vrit existe et quelle nest pas

    domaine des philosophies ni des religions ni de la mtaphysiq

    Elle est dans chaque acte que nous faisons en vue de dlivrer

    conscience vivante et impersonnelle. Seule cette Vrit absolue, d

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    LA F IN D U G R A N D MY TH E

    Sur l a v r i t

    Nous voudrions, dans ces Carnets, exposer certaines ides fo

    damentales au sujet de la destine humaine, et de ce qui dpas

    toutes les destines : la Vrit. Cette Vrit autour de laquelle no

    nous exprimerons (car delle on ne peut pas parler), nous entendo

    bien quelle est ternelle, absolue, et quil est possible de la connatr

    Si notre esprit, dans ses dveloppements, exprime des chos

    qui ne sont pas essentielles, cest que lessentiel ne peut tre conte

    dans des mots, et ne peut qutre vcu.

    Que lon ne reproche donc pas nos crits daborder lessen

    des choses de mille cts la fois, sans laborder jamais. Il sera

    inutile, pour les autres, de se borner crire une suite dexcl

    mations, sous prtexte que ce que lon a dire est inexprimable.

    Dailleurs la Vrit absolue a ceci dtonnant quen sa prsen

    nous sommes recrs. Ltre neuf qui se prsente tout insta

    devant des mots dj vieux les ranime, quels que soient ces mots,

    leur donne un sens nouveau.

    Si donc lessentiel ne se fait pas contenir dans des mots, il le

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    et les dualits sont rsolues, non au dtriment de lun des term

    de lopposition, mais en donnant raison aux deux.Ainsi, en Vrit, le monde est la fois fini et infini, et

    cest les autres.

    Il fau t donc la fois com pren dre et sentir, ca r lintelligence to

    seule est bien trop complique pour connatre la Vrit.

    Que personne ne dise je ne suis pas assez intellectuel p

    comprendre, mais si lon trouve notre langage trop difficile, c

    nous que lon doit en faire le reproche, car nous ne parlerjam ais assez sim plement.

    Que chacun de nous se demande jusqu quel point il dsire

    Vrit, et jusqu quel point ce dsir le porte couter avec am

    ce qua dire un homme sincre, quel que soit cet homme.

    L e s i d e s s o n t i m p e r s o n n e l l e s

    Quand lun de nous affirme quil a trouv la Vrit absolue

    premire raison que les autres ont de ne pas Fcouter cest qu'ils

    croient pas que la Vrit existe, ou, sils croient quelle existe, c

    quils latten dent sous une forme dtermine.

    Et ct de ces raisons que lon a de ne pas couter il y en a u

    troisim e, terriblem ent insidieuse : m ais vous, qui donc tesvo

    pou r affirmer? qu and prcism ent celui qui affirme n est rientout. Alors chaque mot est retourn, transform, diminu dans

    dbat au sujet dune identit que lon veut dcouvrir et situer,

    oubliant la Vrit qui seule a une valeur.

    Mais on ne saura jamais quelle est lidentit dun homme,

    jusqu quel point exactem ent il est capable de vivre la vrit. L

    mme, cela ne lintresse en aucune faon, car il na vritablem

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    le dbat lidentit de ceux qui crivent ces pages. Ils so

    une poigne ou trs nombreux. Ils tiennent ntre pas l. Sils ptent des noms, ils ne veulent pas que ces noms dsignent autre cho

    que des fictions, des tatscivils, qui nont aucun rapport avec

    Vrit. Ces noms, ici, ne sauraient que faire.

    Ceux dont les noms figureront pour des ncessits dadminist

    tion et de rdaction demandent quon ne leur attribue point telle

    telle page. Le travail dcriture exige une certaine unit de p

    sentation et de style. Tel passage dont on reconnatra que le style de lun de nous pourra prcisment ne pas avoir t conu par ce

    qui laura crit.

    L e s m o t s

    Nous aborderons la Vrit, avonsnous dit, de mille cts

    fois, ce qui veut dire que nous utiliserons des mots diffrents ponexprimer toujours que la mme Vrit. En outre le sens mme d

    mots changera au fur et mesure que nous nous en servirons.

    Il en rsultera comme un certain flottement, car chaque m

    sera comme baign dans un cercle de lumire dont on ne saura p

    exactement o il finit. Ainsi les mots pourront sinterpntrer. D

    mots trop rigides tueraient la Vrit en eux, cestdire quils

    tueraient euxmmes.

    I l s ag i t t r s pa r t i cu l i r emen t de chacun

    Parfois, quand nous irons chercher les causes de lenvotem

    millnaire dans lequel nous sommes pris, il pourra sembler que

    recherches seront trangres nos proccupations essentielles.

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    faire un effort dm esur p our p arv en ir ce prem ier rsult

    convaincre chacun en particulier quil sagit prcisment de lui.A chaque lecteur de ces lignes nous disons donc quil sagit

    lui, quil ne sagit que de lui.

    Je n ai pas atte int l tat limite dont vous parlez, nous dit

    cet tat limite qui nest plus du devenir mais de ltre. Fautil d

    attendre que lon soit parvenu cet tatl pour agir?

    Non, il ne faut pas at tendre, car laisser scouler du temps p

    rendre rel ce qui est au del du temps est inutile. Il faut donc de suite tre cet tat limite, en faisant le geste prcis qui convien

    lidentification.

    P r s e n c e e t a b s e n c e

    Les uns nous suivront dans des disse rtations sur F essentie

    dau tres sint resseront lexpos de ce que nous appelons le the , dau tres nous ex pliqu eront que le moi et le nonmoi sacc

    modent ou ne saccommodent pas dun Dieu personnel, dau

    dcouvriront des lois physiques ou mtaphysiques, soccuperont

    science ou de posie.

    Tout cela ne vaut pas le plus petit geste que lon sefforce, d

    la banale vie quotidienne vcue, d 'identifier lternit.

    Lternit est ici, partout, dans nos mains, dans un regdomestique, utile, prcise, vivante, nourrissante. Ce nest plus

    sujet dtudes. Cest un simple ajustement, cest tre neuf.

    Jeter le premier regard sur le monde manifest, cest la

    le transpercer, lexaminer dune manire tout fait objective, et

    mme temps le sentir intrieurement. Le soi scrie : cest d

    Cela? cest Cela? ctait Cela?... Maintenant il se sent libre.

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    dont nous disons qu il est une identification : lacte sad ap te

    objets et aux circonstances en leur donnant leur vraie valeur. Qu ltat dabsence il rend lacte impersonnel.

    Lamour vritable est cette combinaison de prsence et d

    sence : une sollicitude c lairvoyante e t active, mle du plus gr

    dtachement.

    L ' i n d i s p e n s a b l e t e r n i t

    Ainsi la perception de lEternit devient le mobile et le ce

    mme de laction exacte. Loin dloigner, lternit est le seul

    vritable qui puisse unir lindividu et le social. En dehors delle to

    action ne fait quajouter au chaos. En elle sont toutes les prcisio

    toutes les solutions, tous les principes.

    Nos carnets auront pour but de montrer quil est non seulem

    possible mais ncessaire de faire de la Vrit absolue u ne leur. Que des philosophes sourient une telle assertion. Chacu

    le droit de sourire. Mais quils nous disent ensuite si les philosoph

    ou les religions ont su draciner de leur vie toutes les dual

    au point de leur faire dcouvrir lart de vivre.

    Dautres encore ne voudront pas de cette paix absolue. Ils dir

    que rien ne se fait de beau et de grand en dehors des rafales d

    passion. Cest encore une faon de ne pas croire la Vrit. moi personnel de chacun se dfend comme un enrag contre

    ce qui tend le dtruire. Il flaire le danger de loin. Le subconsc

    oppose immdiatement lennemi un univers entier, trs compliq

    destin le drouter. Il a raison, il sagit dun duel mort. La V

    poursuit le je jusque dans ses retranchements les plus secr

    o se rfugient ses affections, ses trsors, tout ce quil possde

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    Et non seulement les individus se dfendent, mais ils se ligu

    pour crier leur peur. Ils accusent la Vrit de sen prendre lemeubles, leurs maisons, leurs billets de banque. Ils veulent

    traner dans la rue et la forcer sc prononcer sur la politique. M

    il ne sagit pas de politique, il sagit de la Vrit.

    L e g r a n d e n v o t e m e n t

    Notre tche la plus urgente est, selon nous, de montrer, de voiler Venvotement partout o il existe, cestdire partout.

    Lenvotement cest linconscient, qui sinterpose entre la V

    et nous, en nous donnant comme point de dpart de toutes

    penses, comme base apparente de tout notre tre, un monde irr

    que nous ne mettons pas une seconde en doute.

    Chacun vit dans un tat hypnotique, dans un tat de rve,

    lui fait accepter et vivre ce rve sans sen tonner le moins du monCe rve cest tout lUnivers tel que chacun laccepte.

    Plus on do rt profondm ent moins on se dem ande le pourquo

    des choses. Le sommeil est si profond que le fait de partir

    recherche de sujets dtonnement, tables tournantes, concidenc

    forces inconnues, semble dj sublime, alors quau premier v

    la simple constatation que quelque chose existe suffit nous rem

    de stupeur.La premire condition pour sortir de lenvotement cest

    comprendre que cet envotement existe, et que les personnages

    nous sommes nont pas dexistence vritable. Lorsquon parvien

    sortir de lenvotement on ne sefforce plus dagir sur le rve, de

    conqurir ou de lamliorer, mais on agit dans la Vrit, et de ce

    on est, lintrieur du rve, llment qui le dissipera.

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    la cause demeure profondment cache, nous ne pourrons rien fai

    dutile.Or nous ne comprendrons pas la cause du rve tant que no

    refuserons de nous rveiller. Cessons donc de vouloir rformer l

    autres, de les juger, dagir sur eux : que peut faire un envot po

    dautres envots? Ajouter la confusion. Tant que nous croiro

    que notre moi est une entit vritable , ta nt que nous agiro

    pour lui et par lui, en vrit, tant que nous dirons moi en croya

    dire quelque chose nous serons encore dans lenvotement. Et nous croyons perdre ce sens personnel en abdiquant, en nous so

    mettant une obissance ou une discipline, en acceptant un cre

    ou une croyance quelconque, ou une rgle quelconque spirituelle

    morale, ou en suivant avec humilit des guides spirituels, ou

    demandant un Dieu que sa volont soit faite nous serons enco

    dans lenvotement.

    Et si nous croyons tre affranchis de toutes ces choses maque nous remplissons encore dans notre vie un rle quelconque po

    lequel il nous fait avoir certaines particularits, nous sommes enco

    pris. Jouer un rle quelconque, un rle d hom me ou un rle de femm

    cest tre pris dans le rve, car la Vrit na pas de sexe.

    On nous opposera tout de suite Dieu le Pre, et aussi le F

    qui nous donna la reprsentation dune dlivrance masculine. No

    nous proposons ce sujet de dvelopper les raisons qui nous porte penser que les temps sont si bien accomplis quaucune dlivra

    ce dont lHistoire ou la Lgende nous offre lexemple, pour rel

    authentique quelle ait t, ne peut aujourdhui tre efficaceme

    imite.

    Nous serons amens rech ercher parfo is trs loin la significati

    de nos gestes les plus lmentaires, de nos conceptions les plus

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    nous ne prtendrons jamais avoir dmontr quelque chose. L

    dmonstrations ne servent rien. Nous savons trop bien queldeviennent instantanment un beau jeu intellectuel dans leq

    lesprit cherche se rfugier en manire de dfense pour ne

    ramener le dbat dans son camp retranch personnel.

    En exposant donc certaines ides relatives aux mythes, aux sy

    boles, lHistoire, aux vnements contemporains, aux objets

    nous entourent, notre seul but sera de dtruire leur puissance hyp

    tique, et dappeler les hommes au REVEIL.

    De la V r i t abso lue

    On ne croit pas la vrit absolue parce quelle est toujo

    reprsen te par ceux qu i la transm ettent et que labsolu ne p

    tre reprsent. Cette reprsentation, mme si lon naccepte

    symboles, ni mythes, ni formes hermtiques ou religieuses est intable puisque les mots euxmmes ne sont que des reprsentatio

    Et si sans trop attacher de valeur aux mots on vit la Vrit l o l

    est, la vie devient cette reprsentation. Quant celui qui dit tre p

    venu la Vrit et qui ne la reprsente en aucune faon, il n

    apparat que sa dcouverte est une illusion qui lloigne du mon

    et le porte se dsolidariser des autres hommes. Il est trs import

    pour nous de rechercher ltat de vrit absolue, tout en demeurdans le monde. Cela semble impossible, car le monde est fait dobj

    de penses, de gestes, qui nont rien de com mun avec la Vrit. No

    civilisation tout entire na rien de commun avec elle, et pourt

    cest de la Vrit absolue que nous parlons, tout en affirmant q

    nous demeurons dans le monde, et que cette Vrit loin d

    abstraite et thorique concerne chacun, chaque geste, chaque ob

    Voil une premire contradiction dont nous nous efforcer

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    D e l a p e r s o n n a l i t

    Une autre antinomie (mais toutes les antinomies ne sont que

    formes diffrentes dune apparente dualit) est celle qui concern

    personnalit par rapport au groupe social ou religieux. Nous av

    dit que pour dcouvrir la Vrit il ne faut ni maintenir le m

    ni le dissoudre dans un groupe. Dvelopper indfiniment une

    sonnalit que lon croit immortelle est aussi faux que de la dtr

    parce quon la trouve mauvaise.Nous disons plutt que la personnalit est la voie individue

    particulire, unique, que doit prendre chaque individu pour trou

    lternit . Une fois la Vrit trouve, qui est universelle, le m

    qui tait la voie, ayant rempli son but, disparat. A vrai dir

    disparat totalement, il nest plus du tout l, mais une prsence

    l dont on ne peut rien dire. Cest ltat dabsence et de prsence d

    nous parlions plus haut.

    Il ne sagit pas ici de ce quil est convenu dappeler une ex

    rience mystique . Nous aurons loccasion p lus loin de dire pourq

    selon nous, lextase mystique est incapable de se maintenir.

    mystique sidentifie lobjet de sa recherche, ou bien la voie q

    a parcourue. Au moment de lextase il ne voit pas le chemin

    quand lextase cesse le chemin lui apparat de nouveau, mais com

    sil tait objectif. De l tous les conseils, les yogas, les disciplinesaussi les prires, laspiration retrouver lunion. La voie et lo

    de a recherche (Dieu ou Matre) sont redevenus extrieurs.

    Nous dirons pourquoi ce genre de recherche nous semble st

    aujourdhui, tandis qu dautres poques il a pu tre fcond.

    Il en est de mme de loccultisme : il se peut quil ait t

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    m ais la faon dont nous pouvons la trou ve r varie suivant les poqu

    et notre poque est telle quil nous faut tre tout fait neufs.

    Disons en passant que si lOccident chrtien a dvelopp la p

    sonnalit en la croyant immortelle, et que si lOrient a dtruit

    personnalit en la sachant phmre, cest la premire fois aujo

    dhui quune synthse peut se faire, une rconciliation. Il sagit b

    en effet daboutir travers une personnalit, mais une personna

    phmre, car, ainsi que nous le disions, la personnalit, lunicit

    div iduelle , est la voie quutilise la vie en chaque homme pour se

    trouver ellemme la fois consciente et impersonnelle, parfaite.

    fur et mesure que lindividu sapproche de ce but, la voie se dtr

    en lui, intrieurement, comme une chose morte dont la vie na p

    besoin, qui a toujours t imparfaite, imparfaite parce quisole.

    Cette importance primordiale et phmre de la personna

    nous conduit une nouvelle conception de lindividu et du soc

    dont elle est appele concilier les exigences jusquici contrad

    toires.

    R e c h e r c h e s e x p r i m e n t a l e s

    Cette attitude et cette nouvelle connaissance sont naturellem

    exprimentales, car il ne sagit pas de rsoudre intellectuellem

    un problm e qui ne po urra jam ais tre rsolu intellectuellement.

    mtaphysiques ne servent rien si lon est incapable de vivre sa p

    pre vrit. Mais tout le m onde fait des concessions po ur m ille raiso

    dordre matriel ou sentimental, des concessions au sujet de la v

    intrieure. Que de Chrtiens, par exemple, disent il ny a eu qu

    seul vrai Chrtien, il est mort sur la Croix. Pourtant il avait

    soyez parfaits , il navait pas dit le devenez parfaits , des cyc

    et des volutions et des illusions Le devenir est toujours illusoire

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    La Vrit absolue, en effet, nest pas une question de quant

    Un simple geste peut prtendre tre absolument vrai sil est ablument impersonnel et absolument conscient. Si ensuite lindiv

    fait une multitude de gestes faux, irrels, sa souffrance lui dira b

    quil ny trouvera pas le bonheur. Cest sa souffrance mme qui

    contraindra refaire le geste vrai.

    Souffrir cest lutter contre lEternit.

    L a p u r ifi ca t i o n d u J e

    Afin de dpasser ltat de lutte nous devons comprendre

    quest la nudit dune conscience libre. Cette nudit, par dfiniti

    ne se situe nulle part. Considrons le cas habituel dun individu

    se situe, afin de voir ce que cette libration nest pas. Examin

    patiemment en quoi consiste sa position, afin de nous affranc

    en ce qui nous concerne, chacun individuellement, de lenvotemvritable que toute position constitue.

    Chacun possde un minimum de conceptions quil a toujo

    acceptes sans les discuter ni les m ettre en doute. Ds lenfance cha

    a accept certaines choses comme ntant pas mystrieuses, com

    ntant pas un sujet dtonnement et dincertitude. Lenfant qui c

    nat ceux qui lentourent, qui lon a dit son nom, qui a pris cont

    avec lunivers o il est plong ne doute pas. Il sest identifi a

    son nom, avec tout son petit univers, celuici lui est familier, in

    cutable. Puis il sait dire je. Ce je il sait que cest un p

    garon ou une petite fille. Son univers slargit peu peu, mais

    je, toujours identifi cet univers ne sen tonne pas. Cet

    desprit a une trs grande analogie avec ltat de rve sur leq

    nous reviendrons trs souvent. Dans un rve la situation la p

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    trerons (nous ne disons cela maintenant quen passant) comm

    chacun de nous, du fait mme quil nest quun fragment deconscienceune, vit vritablement dans un rve, dans une hypno

    dont le propre est de ne pas stonner.

    Reprenons lenfant dans son dveloppem ent : suivan t ldu

    tion quon lui donne, suivant la quantit de choses quadmettent t

    comme lui, sans mettre en doute, ceux qui se chargent de lle

    il acceptera que son je soit pa uvre ou riche, frana is ou allema

    catholique ou juif, il acceptera les cours de science ou dhistoire etoujours sans le moindre tonnement, toujours en tat d hypno

    Plus tard, lorsquil fera de la philosophie, il pourra discu

    pour savoir si Dieu existe, il pourra ensuite remettre en disc

    sion certaines valeu rs sociales, mais il y aura toujours en lui quel

    chose sur quoi repose son je et toutes ses qualits, quelque ch

    quil na jamais mis en question, dont il na jamais dout, qui, p

    lui, constitue lessence de son tre. En ralit ce quelque choseson inconscient. En somme il nest pas parvenu ltonnem

    primordial, et cest comprhensible, puisquil dort, puisquil r

    puisque son je ne peut que rver tan t qu il est un fragm en t i

    du tout.

    Ltonnement et le doute sont donc de plus en plus grands

    fur et mesure que ltre se rveille. On peut dire que celui qu

    doute na jamais effleur est dans un tat dhypnose totale.

    Ltat du doute primordial place le je, dpourvu de to

    qualit, de toute position, de toute influence, un je qui est i

    ductible, incapable de dire nous, devant un mystre total.

    mystre cest la simple constatation suivante : quelque chose exi

    il y a quelque chose.

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    laffirm ation qui sop poserait toute vidence, laffirm ation il

    a rien, celle du nant total, serait dj ellemme quelque chIl y a quelque chose. Voil donc le minimum irrductible

    trouve le je. Pour trouver ce minimum, pour le percevoir

    je doit au pralable stre dpouill de tout ce quil avait acce

    depuis son enfance, de tout ce quoi il stait identifi par erre

    tat civil et social, religion, affections, famille, et jusqu sa qua

    dhomme ou de femme, car la Vrit, le soi universel, na pas

    sexe. Il doit se librer de linconscient et du subconscient. Lorsce travail de dpouillement est fait (nous ltudierons longuem

    plus tard ) il reste un je personnel, inqualifiable m ais re

    irrductible, en face de quelque chose qui est le monde, g

    ment rel, inqualifiable et irrductible. Voici les deux ennemis f

    face. Le drame commence, un drame dont il serait vain da

    chercher le dnouement dans un livre, un drame qui na sa vr

    valeur, qui nest rel, que sil est vcu. Nous rptons que ce dradans ce quil a dirrductible, de froce, dinexorable, ne se prse

    qu ceux qui se sont dj dsenvots, car tan t que le je

    meure identifi des qualits, des circonstances, des objet

    des passions, des dsirs qui ne sont pas lui, cest contre toutes

    vicissitudes de rve que ce je de rve se dba ttra. Ce dpou

    ment total qui doit prcder le drame final est si indispensable

    nous nous y consacrerons plus loin trs longuement. Nous verr

    comment la plupart des activits individuelles et sociales tend

    prolonger lhypnose plutt qu la dtriure.

    Le je , dpouill jusqu son tat limite, ne peut pas acce

    ce quelque chose qui non seulem ent est en face de lui, mais qu

    pris et enferm dans une prison inexorable. Se dbattant dans

    cration qui est l quil le veuille ou non, qui ne le lchera pas q

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    il sent aussi que mme la mort ne pourrait pas le dlivrer, la m

    corporelle, parce quelle ne rsoudrait pas le conflit.

    La perception nette et prcise de cette opposition, de cette

    volte du je , et de ce que cela a d inexorable, il est imposs

    de la soutenir plus dun fragment de seconde, car cette souffra

    est mortelle, ou plutt est de nature rendre fou.

    Le je sent que cela est plus fo rt que lui, quil ne p

    rien, quil ne pourra rien, quil ne pourra pas senfuir. Alors, ap

    des convulsions atroces, il comprendra bien quune seule solut

    est possible : ne pouvant dtruire cela , il sera cela . Ce cel

    quil a senti tre ternel, infini, ce cela, le suprme vainque

    ce cela impersonnel, absolu, et qui est, il le sera, cote que co

    et il ne peut pas ne pas chercher ltre, puisque luimme est d

    cela .

    Lident i f ica t ion

    Ainsi, aprs le dnuement du je, voici la deuxime ta

    celle de lidentification. Voyant son but plus clairement quil ne

    fait jusquici, il lui faut maintenant travailler avec une patie

    inoue le rejoindre. Il aura encore des convulsions, il ne saura

    toujours discerner son vrai dsir, il fera mille fois fausse route, mil ne perdra plus le fruit de sa perception, il ne pourra jamais p

    oub lier la lutte prim ordiale et irrduc tible qu il dut so utenir p

    que lui ft rvle sa destine.

    Lorsque, graduellement, la perception de sa raison dtre re

    place le rve, le je se dissout vritab lem ent, et perd sa dens

    son opacit, jusqu ne plus pouvoir se situer, jusqu navoir p

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    qui se contemple, la vision in trieure qui m ane du cela ,

    dautres termes sa conscience.

    Lhomme qui parvient cet tat na plus en lui ni inconscie

    ni subconscience. Cet tat na rien de mystique ni docculte. Il

    la simplicit mme de laction juste. Nous en avons dj parl p

    haut en disant que cest une prsence totale et une absence tot

    mais on ne nous en voudra pas de revenir toujours lessentiel

    prix de le rpter, comme on revient un mme paysage de p

    sieurs cts diffrents.

    Lac t ion jus t e

    Ltat de laction juste est, aprs la premire tape de la pu

    cation du je, o le je sest purifi de tout ce qui nest pas

    et la deuxim e tape, celle de l identification, un tat o le sest compltement transform, et o il est impossible de dire qu

    je subsiste, comme il est impossible de dire qu il ne subsiste

    Alors seulement stablit lharmonie entre ltre et le ne pas

    qui est lamour. En somme lamour est la fusion de deux oppo

    leur solution positive. Cette solution est positive pour la bo

    raison que quelque chose existe. Ltrenontre , rsolu, est.

    Rptons que la solution positive ne soppose pas au ngmas englobe la fois le positif et le ngatif. Ainsi lamour ne s

    pose pas la rpulsion, mais se combine avec lui, il se pro

    comme une combinaison chimique qui est une synthse.

    Nous nous proposons dtudier, parfois tour tour, et par

    simultanment, les trois tapes qui conduisent laction juste,

    en insistant sur le fait que ces tapes ne sont que fictives, et

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    nous ne croyons pas une spiritua lit qui ne sau rait pas ta

    un contact direct et humain avec tout le monde. Nous ne croy

    pas une spiritualit qui se donne des grades dinitiations ou

    sattribue des pouvoirs pontificaux. Il ne sagit ni de grades ni

    pouvoir, mais de la Vrit.

    L e p r o b l m e d e F a c t i o n

    Pour conclure aujourdhui ce premier expos nous voulons d

    que laction juste, qui est la Vrit absolue, est essentiellement u

    et efficace. Elle est mme la seule action au monde qui soit vraim

    utile et efficace.

    Ce problme de laction est le dernier que lon puisse rsoud

    car on ne parvient laction juste quaprs le rveil de ltre, ap

    quil ne subsiste plus en lui dinconscient. Cest pour cela quil si difficile de ramener le problme social au problme individu

    Le monde entier est boulevers, chacun voudrait faire quelque ch

    pour les autres, pour viter des catastrophes, pour soulager, p

    rsoudre les difficults inoues dune civilisation dont on ne

    plus si elle ne scroulera pas compltement, mais quand nous diso

    que seule la Vrit absolue, inconditionne, totale, seule la C

    naissance intgrale peut nous sauver individuellement et collevement, on pense quil sagit dutopies.

    Avant dentreprendre de nouveaux dveloppements nous essa

    rons de dire quel point pourtant, loin dtre utopique, notre po

    de vue est pratique et simple. On est si habitu ne voir que d

    choses compliques que cest prcisment l que rside la plus gran

    de toutes les difficults; la Vrit est trop simple. Pour la voir

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    S U R L E R E N O N C E M E N T

    Pour celui qui place la raison dtre de lexistence dans l

    nouissement et laccomplissement de la vie, dans la Vrit et

    bonheur, le renoncement nexiste pas. Le renoncement existe

    pour le rosier qui fleurit? Le rosier donne ses fleurs parce quil

    peut pas faire autrement. Produire de la beaut appartient

    nature.

    La plupart des personnes saccrochent leurs petits avantag de petites choses quils ont accomplies, ce qui les a encourag

    leurs petits espoirs, leurs strictes croyances, leurs dogm

    troits; mais dans la recherche de la Vrit ils doivent abandon

    toutes ces restrictions dont ils ont euxmmes brid la vie. Pour

    le renoncement existe, et doit exister.

    A travers les ges, dans chaque religion, le renoncement a

    tenu pour ncessaire la recherche spirituelle. Ce nest que lors

    la Vrit a t limite et conditionne et que lon est mainten

    lintrieur de cette vrit conditionne que le renoncement devi

    un idal. Mais si lindividu tablit sa raison dtre, sil a const

    m ent devant lui la vision de son bu t terne l, et sil va vers ce b

    alors il met de ct ce quil avait amass, ce qui est dsormais s

    valeur; et ce nest pas du renoncement. Sil sattache tous

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    Comme les mauvaises herbes sur des eaux stagnantes, de no

    breuses complications encombrent le cur et lesprit de ceux

    vivent satisfaits dans des croyances et des dogmes, de ceux qui n

    pas connu la tempte du doute. Pour lhomme qui a peur de dou

    le renoncement existe. Sans la capacit de douter il ne peut

    dcouvrir un point de vue exact de luimme, cestdire qu

    est incapable de rire de luimme. Etre srieux avec osten

    tion ne conduit pas la vrit, mais lillusion. Pour compren

    dans leur juste proportion la vie et toutes ses variations il faut t

    observer, et peser chaque chose la balance du doute.

    De mme que la nature lutte constamment pour faire cl

    les nouvelles expressions de la vie, nous devons constamment reje

    le pass mort et nous lancer vers de nouveaux achvements.

    nous maintenons notre vision fixe au but, alors, dans lacte

    rejeter tout le reste nous nprouvons pas de douleur mais la j

    de laccomplissement de la vie. Lide du renoncement est assoc

    la douleur, mais nous nprouvons pas de douleur renoncer a

    choses qui sont devenues trop petites pour nous. Lorsque n

    ramassons en notre cur le rsultat dune exprience, ce nest

    un sacrifice pou r nous que de dpasser cette exprience : nous

    mettons simplement de ct.

    Donner la vie la plnitude de son expression cest slan

    tout droit, car ce qui pousse tordu est le rsultt dune vie bri

    par des croyances et des dogmes. Une vie qui est libre grandit to

    droite, de la faon la plus naturelle; mais pour une vie qui a

    tordue le renoncement existe, le sacrifice, et de continuels co

    promis.

    J. KRI8HNAMURTI.

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    C E LA N O U S T R AN S F O R M E EN L A C S

    A JEAN CASS

    Quand on le laissait seul aux heures de repos Monsieur Cou

    tait un miroir sans taches. Et comme il n'avait rien reflter i

    refl tait lui-mme, la fois soleil et image du soleil projete ver

    source. Il se confondait ainsi avec son image, et son image se confdait avec lui; il se perdait en lui-mme, et se retrouvait en lui-m

    comme un tre parfait . Ainsi lui, soleil, communiait en lu i-mme

    chacun des points de sa propre surface, sans que lexigut de cha

    des poin ts le diminut en aucune faon, de sorte que, totalem

    rpt par chacun de ses atomes il se mult ipliait infiniment.

    Mais ceux qui leussent aperu dans ces moments de plnitu

    se fussent arrts son seuil comme aux rivages dune eau tilante, et eussent t incapables de se dissoudre au sein de la colo

    de lumire qui du soleil au miroir et du miroir au soleil, extati

    et silencieuse, demeurait. Ils ne leussent vu que du dehors,

    neussent vu quune eau calme qui riait au soleil, un Monsieur C

    cou qui riait.

    Lui, colonne de lumire sans commencement ni fin ni hau

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    fentre, sucer un sucre dorge en faisant un tour sur les chevaux

    bois. Cela ctait le secret de Monsieur Coucou, son grand mystre,

    farce, son guignol de Dieu, les casse-noisettes avec lesquels il bris

    le monde pour en extraire la molle. Et cette molle, lui seul sav

    de quoi elle est faite : d un calembour.

    Ayant dcouvert et lu le calembour qui est la substance don

    monde est fait, Monsieur Coucou avait ce pr ivilge de savoir ce q

    cest quun monde, tandis que tant de personnes parlent du mon

    sans savoir ce que cest. Ils disent tous, quand on le leur demand

    Mais le monde cest le monde, que voulez-vous que je vous dise

    Je voudrais surtout, rpondait Monsieur Coucou, que vous

    disiez rien

    CARLO SUARES.

  • 7/30/2019 Carnet 1 - Janvier 1931, par Carlo Suars

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    MISE AU POINT PROVISOIRE

    Je vis, cestdire qu travers tout, mon regard se cherche

    corps autre que le mien. Il se fait chair dans un horizon qui, m

    humanit, refusera lentre. On dirait que, dans un vide intrie

    soudain, toutes les couleurs se rattrapent dans lblouissement du

    simple tache de soleil.

    Et, ces joursl, je vois toutes les contraintes de la vie tom

    les unes sur les autres, se neutraliser. Il me semble quelles prenn

    le temps avec elles, me dvoilent, me mettent nu en se retirdevant la puret dun feu dont lunivers vivant na voulu retirer

    des couleurs. C'est dans loubli du temps que notre tre sveill

    lui-mme. Il ny a pas dautre vrit. Et jentends quelle doit rc

    cilier tous ceux que les activits intellectuelles les moins incom

    tibles se partagent.

    Po ur quelquesuns d entre nous, reg ard er lheure cest reve

    de loin, retourner dans une autre existence o il ne se trouve palaise. Car il ne vit que port et dpass par les tendresses cratri

    dun monde qui ignore les dtours du rel, qui semble ne saccom

    quen expulsant de son sein la matire. Rompre le cercle de no

    humanit, cest entrer dans un autre cercle dont nous deven

    aussitt le centre, devenir les indignes dun monde inexistant d

    il arrivera bien, un jour ou lautre, que la ralit accepte de sacco

  • 7/30/2019 Carnet 1 - Janvier 1931, par Carlo Suars

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    des profondeurs du temps quitt, monte la voix, amie ou ennem

    de ceux qui nous observent. Nous navons pas eu devenir d

    artistes. Mais le milieu vivant o nous nous dplaons a chang

    fond en comble pour nous permettre daller au bout de nousmm

    sans perdre notre tatcivil.

    Accabls dun fardeau dont le poids brut nous a changs dh

    sphre, il sagit pour nous de faire passer dans le monde des form

    ce qui nous poussait en avant sans se rvler.

    Les convulsions dun monde inconnu, et qui veut tre, soulvles unes vers les autres des cratures qui parlent damour. A chaq

    heure du jour, cest un temps nouveau qui commence, et, parce q

    j ai mis to ut mon bonheur dans ces clairs o lunivers renat

    moimme, je vois ma vie brler travers tout, se dfaire de m

    sur les pentes o me prcipite la vitesse dune auto, lamour

    linvraisemblable...

    Linspiration pour linspiration. Quelle se renouvelle pour n

    ter lenvie de la porter plus loin dans le domaine de luvre.

    Avancer dans une lumire diffrente de celle qui nous a ouv

    les yeux. Porter et, chaque instant, en soi, quelque chose dont r

    ne peut avoir raison, pas mme lamour, une bizarre disposit

    intrieure, hors de laquelle, de certains moments, je nai p

    dexistence, au regard de qui toutes les solutions dune avent

    donne passent pour quivalentes.

    La vie o je mavance na pas dhorizons. Et je ne vois les cho

    qu travers ce qui me les montre. Je ne suis pas dupe de l'illus

    qui me les fait, travers le temps, identiques ellesmmes. P

    si semblables que les choses soient dans le temps, elles me rend

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    ... Nous navons plus d uvres crire. Des hom mes, oui,

    femmes, veiller. Comme si lon devinait lapproche de quelqchose que nous devons tre nombreux attendre debout. Je v

    la salle o un homme qui me ressemble passe rapidement en t

    chant du doigt les dormeurs...

    Sacrifier tout pour tout trouver. Ecrire, cest apprendre cr

    apprendre les autres sentir.

    Ma vie se jette sur ce jprouve; sur ce que je pense. Une ch

    nest plus belle si lon sait quon la trouve belle.Ce que lon crit ne vaut que par son accent, par son poids,

    les ravages que cela exerce dans le domaine des choses crites.

    JOE BOUSQUET.

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    A N A LO G IES (F ra gme n t s )

    Regarde en la mer trangre :

    Peuples chevels qui sont

    La confiance passagre

    Et les astres que nous pressons.

    Formes, bustes, mains d livres,

    Et vous, rapides frondaisons!Jamais les choses dsires

    Ne connurent tant de saisons.

    Regarde voir ainsi sans cesse

    Dfiler un monde que presse

    Le Rve, et qui longe la mort,

    Tes yeux tamisent mes vacarmes,

    Je puis enfin glacer de larmes

    Cette inconscience dun corps.

    Divergence, dans l'air trop large, pour connatre

    Ce que moffre de pur un royaume de mort

    Et ce que m a donn la place de ton corps,

    Transparente jusqu solliciter ton tre.0 liquide clart, si, complice, je veux

    Calmer ici Vimpatience des annes,

    Tu tes glisse en moi, forme blanche entrane

    Dans la nuit sans relais dont tmoignent tes yeux...

    Confondue en moi-mme, as-tu la force encore

    De te rendre au sommeil absolu de laurore,

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    O silences fixs dans la mer absolue,

    Comme un alignement redoutable dlots

    O notre souvenir identique senglue

    Dune heure enchevtre aux miracles des flots!

    Capitales, lots, le vent qui saventure

    Jusquau bord cumeux de votre apaisement,

    Le vent parat en lui tailler une blessure

    Et saffaisser ici comme un oiseau dment...Rien ne bouge, sinon plaine, mtamorphose,

    La mer que nous savons animer toute chose

    Et jeter la rive, au sable, nos lambeaux;

    Cest l dans le silence anonyme du Rve

    Que la mort jamais imaginaire lve

    Des ouvrages ltre en place de tombeaux.

    Quelle vision trop farouche

    Tcarte, bel accablement,

    Du signe bless que je touche

    Devant la mer obscurment?

    Je cherche encore, fluvialesMoissons d heures et de baisers,

    Les soli tudes animales

    Quaucune arme ne peut briser...

    Devant la mer! et lOrigine,

    Cest la jouissance o chemine

    L tre au message fraternel :

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    T E R R E S - M I R A G E S

    I

    Entre cette fort qui m offre son ombre rousse, et mon c

    qui bat au rythme dune ternelle attente, il ny a place pour au

    geste, pour aucune pense, mais seulement pour lclat timide

    mon dsir.En levant un peu le regard, je vois la mer, pleine de ch

    filantes et assourdies. Autour de moi, des noces se consomment d

    le silence, celles de lodeur primitive de la terre, et des brum

    quon voudrait sentir mme la peau.

    Jai quit t ton regard derrire cette barrire que mes remo

    auraient voulu franchir. Jai enfoui dans la poussire tout ce

    j ai pu abandonner de mes haines, et je ne suis plus quun coopaque, cherchant entre des pierres quelques restes de cette cl

    qu'on m a dite.

    Dj un insecte est venu m apporter sa part de secret; et

    caress timidement ses ailes, plus vivantes au toucher que lins

    mme.

    Un peu dombre savance vers moi, guide par le vol dune b

    de nuit. Etes-vous porteur, mystre, d un long message de joie(es sacs qui tombent de chaque ct de vos paules sont-ils pleins

    ces parchemins dArabie o des lettres-flenrs sternisent, ou b

    ntes-vous encore quune mchante besace dans laquelle il

    faudra sans fin puiser la peine de mes jours?

    Tant de calme, tant de notes qui se perdent dans un Silen

    trop vaste, ne sont poin t pour m atteindre.

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    IIDans ces heures-l, je retrouve au plus profond de mon prem

    sang, sous une peau bleue de cicatrices, quelques notes trs lo

    taines, presque trangres, une suite de deux voix qui se pour

    vent sans jamais satteindre.

    Que cherchez-vous, bruissement de mon dsir, pas trembla

    sur un chemin plein d odeurs amres? Des flches aventureus'lancent les dimanches, portes par un refrain, de ceux quon cha

    lheure des blmes rverbres, avec toute la gravit du monde

    fond de lme, et quon rpte sans y songer, le soir, pendant lo

    temps.

    Mes jours tombent dans une crevasse, et je m attarde encor

    poursuivre lcho touff de leur chute. Quand nous dbord

    des barrires, jeunes prospecteurs sur les sentiers d un nouveau csais-je que je trouverai au-del toute la ferrai lle lumineuse de m

    rves? Cette ruelle au bout de laquelle tu m attendais, si peu viva

    avec ta frange de corneil le et ton corselet, savais-je quelle reje

    rait bien vite une pave?

    De la liqueur qui bout petit feu dans ma poitrine, je ve

    ainsi quelques gouttes la place mme de mes pas. Et dans

    cercle o. je voudrais tourner, tourner pour vivre, pour avoir encdroit desprer, je me prcipite comme un fleuve.

    Je laisse toutes mes belles guenilles flotter au vent du soir.

    troupeaux d lphants me guident; de grands troupeaux de bo

    aussi, portant deux buccins en place de corne, et qui laissent derr

    eux une vapeur daromates.

    Mes jambes flchissent parfois sous le poids de tant de cho

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    JEAN CASSOU : Comme une grande image (Emi le-Paul)

    La place nous tant mesure, nous ne dirons quun mot de Jean Caet de son dernier livre.

    Des voix couvertes. Quelque chose de trs vivant, de contenu. Une

    pas trs haute, parce quelle est laite de rsonnances.

    Des personnages aux yeux agrandis par des rves, autour desquelcre une intimit, le frisson dune aventure qui nen est qu son au

    Rve qui se poursuit plusieurs et o lirruption de la ralit sann

    par des espces de rencontres musicales, o lme ne tire tout dabord

    de ses incertitudes lide dun univers extrieur. Le monde dans sa po

    sous la menace des larmes.

    Rverie nen plus finir o revient comme une sorte de nvralgi

    pense que le monde est monde. Que lon dise que nous aimons le to

    Jean Cassou, la condition que lon admette que le ton, cest tout. Cons

    dun point de vue littraire et limit, il reprsente ce qui nous fait dexpression intellectuelle et sentimentale une rvlation. Donnant la pa

    la plus banale la transparence du vrai, il trahit la prsence rayonnant

    ce que je mefforce dveiller en moi quand jcris. Dans limpossibilitje me trouve, videmment, de le dfinir, je dirai que la lecture dune

    comme celleci menlve, tandis que je la poursuis, la tentation dcrire,

    en me la montrant comme dpasse dans mon plaisir. Je dirai, pour pre

    ma pense pa r un autre bout : je ne comprends pas quun homme se d

    pour un critique littraire et quil se sente prt dresser le long de

    les ouvrages possibles lchelle double du jugement philosophique et littrLhomme qui a de bonnes raisons dcrire voit la rvlation dune

    souvrir en ellemme un chemin travers lavortement de la sienne

    quil prenait pour son inspiration, il le sent devenir le contenu et com

    la matire dune autre inspiration. Je ne sais pas si je russis rest

    fidlement cette impression... Un homme vient mrir pour moi ma v

    la prcipiter dans ltre. Il la donne son inspiration pour objet, chinsensiblement le signe auquel notre marche tait soumise.

    Je rdige ces lignes en manire de postscriptum mes autres cQuelles portent tmoignage de notre admiration pour Jean Cassou. Ici

    ailleurs, je reparlerai de son beau livre.

    JOE BOUSQUET.

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