Carrier 2013_Frailty

  • Upload
    roberto

  • View
    219

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    1/11

    Canadian Journal on Aging / La Revue canadienne du vieillissement 32 (3) : 260269 (2013)doi:10.1017/S0714980813000263

    260

    Les pratiques de coordination en gestionde cas dans le secteur du soutien domicilepour les personnes en perte dautonomie

    lie au vieillissement, une analyseconventionnaliste

    Sbastien CarrierUniversit de Sherbrooke

    ABSTRACTThe objective of this article is to understand coordination as it unfolds in case management practices in the context ofintegrated care networks devoted to frail elderly individuals. More specifically, we describe practical coordinationprocesses. We conducted a qualitative exploratory study using an embedded case study design. Our study covers threehealth and social service centers in Qubec. We noted that coordination produces convention in case management practicesthrough a process of bringing together different types of compromise in home care situations where multidimensionalityappears to be more or less important. We constructed four different types of compromise-producing convention withregard to coordination in case management practices: compromise at the interface, scheduling compromise, compromiseof opportunity, and compromising change.

    RSUMLobjectif de cet article est de comprendre la coordination telle quelle se droule dans les pratiques de gestion de cas,dans le contexte des rseaux de services intgrs pour personnes en perte dautonomie lie au vieillissement au Qubec.Nous avons ralis une tude qualitative et exploratoire, utilisant un devis de recherche de type tude de cas uniqueimbrique. Notre recherche couvre trois centres de sant et de services sociaux au Qubec. Nous avons constat que lacoordination fait convention dans le cadre des pratiques de gestion de cas travers un processus ralliant diffrents

    compromis au sein de situations de soutien domicile, dans lesquelles la multidimensionnalit apparat plus ou moinsimportante. Ainsi, nous avons construit quatre types de compromis de la coordination faisant convention dans lespratiques de gestion de cas : dinterface, dordonnancement, doccasion et dinflexion.

    Manuscript received: / manuscrit reu : 20/01/12

    Manuscript accepted: / manuscrit accept : 26/11/12

    Keywords: aging, integrated networks, case management, coordination practices, conventions, home support

    Mots cls : vieillissement, rseaux intgrs, gestion de cas, pratiques de coordination, conventions, soutien domicile

    La correspondance et les demandes de tirs--part doivent tre adresses : Correspondence and requests for offprintsshould be sent to:

    Sbastien Carrier, Ph.D.Dpartement de service socialUniversit de Sherbrooke2500, boul. de lUniversitSherbrooke, QC J1K 2R1([email protected])

    IntroductionDans les annes 1990, le Qubec a connu une granderforme nomme virage ambulatoire , qui visait passer dun modle hospitalocentrique dans la dispen-sation des services un modle domicilocentrique

    (Hbert, Tourigny, et Gagnon, 2004). Ce mouvementde dsinstitutionalisation a dailleurs t entam dansplusieurs pays membres de lOrganisation de coo-pration et de dveloppement conomiques (OCDE)(Hofmarcher, Oxley, et Rusticelli, 2007). En rponse

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    2/11

    Pratiques de coordination en gestion de cas La Revue canadienne du vieillissement 32 (3) 261

    la dsinstitutionalisation des services de sant etsociaux, le ministre de la Sant et des Services sociauxdu Qubec (MSSS) dmontre aujourdhui une forteproccupation pour la qualit des services dispenss la population. Pour cause, si la dsinstitutionalisationa certains effets positifs comme lhumanisation desservices, elle modifie aussi considrablement loffre de

    services, crant ainsi certaines difficults. Notamment,la coordination des services savre beaucoup plusdifficile, puisque la dsinstitutionalisation provoqueune multiplication des lieux de pratiques. Cette proc-cupation se traduit, entre autre, par la mise en placede rseaux de services intgrs (RSI) pour certainsusagers prioritaires comme les personnes en pertedautonomie lie au vieillissement.

    Si lintgration des services prend place au cur despriorits gouvernementales actuelles, le MSSS voitla coordination comme le constituant fondamental delintgration des services, la qualifiant mme de cimentde lintgration (Qubec, 2004). La prescription de dis-positifs formels de coordination comme la gestion decas et le guichet unique, visant soutenir lintgrationaux niveaux stratgique, tactique et oprationnel (cli-nique) (Qubec, 2007), illustre limportance accordeau concept de coordination dans ce projet gouverne-mental dintgration. Malgr la mise en priorit dedispositifs formels et planifis de coordination, unegrande incertitude continue dentourer le processusmme de la coordination dans les pratiques de soutien domicile pour les personnes en perte dautonomielie au vieillissement (Couturier, Carrier, Gagnon etChouinard, 2007).

    Dans cet article, nous nous intressons lobjet coordination conu comme un processus com-plexe (Alexander, 1998; Boltanski et Thvenot, 1991;Chisholm, 1989; Espinosa, Lerch, et Kraut, 2004; Maloneet Crowston, 1991) se dployant dans le cadre dactivitsprofessionnelles de gestion de cas, qui sont constitu-tives dun rseau de services intgrs pour les personnesen perte dautonomie lie au vieillissement. Prenant deplus en plus dimportance dans ces rseaux de servicesintgrs, la gestion de cas apparat aussi comme ledispositif professionnel de coordination le plus sou-vent prescrit dans les pays avancs en matire de

    coordination (Chen, Brown, Archibald, Aliotta et Fox,2000). En fait, la gestion de cas est identifie interna-tionalement comme un des principaux modles decoordination des soins, conu pour les clientlesvulnrables prsentant des problmes multidimen-sionnels sans gard la spcificit de la morbidit(Chen et al., 2000). Au Qubec, comprise comme undispositif professionnel vise intgratrice, la gestionde cas est dote dun mandat qui la rend imputable de lacoordination interprofessionnelle et inter-tablissementpour les personnes en perte dautonomie lie au

    vieillissement et dont la situation de maintien domi-cile savre intense et multidimentionnelle (Hbertet al., 2004).

    En somme, ce texte vise prsenter une conceptualisa-tion conventionnaliste des pratiques de coordinationdans le secteur du soutien domicile pour les per-sonnes en perte dautonomie lie au vieillissement partir des actions professionnelles des gestionnairesde cas. Ainsi, nous voulons comprendre le processusde coordination, notamment sous langle de sa capac-it arrimer des pratiques professionnelles aux dis-positifs techniques et sociaux de lintgration desservices. Cette conceptualisation est le produit dersultats de recherche de notre thse de doctorat(Carrier, 2011), qui est inscrite dans le cadre de lquipede recherche Enraciner lintgration des services aux

    personnes ges fragiles dans les pratiques des dirigeants,des gestionnaires, des intervenants, des ans et de leurs

    proches aidants (Enraciner). Cette quipe est incluse

    dans une programmation de recherche plus gnrale,soit lquipe de recherche sur la fragilit, qui estfinance par les Instituts de recherche en sant duCanada (IRSC).

    Mthodologie et cadre thoriqueNous avons opt pour une stratgie dtude de casunique imbrique, cest--dire sur ltude dun seulcas comprenant des units danalyse de niveauxdiffrents (Yin, 2003). Le cas que nous avons tudipour documenter lobjet coordination est celui despratiques professionnelles de la gestion de cas dans

    le contexte de lintgration des services aux personnesen perte dautonomie lie au vieillissement au Qubec.Nous avons examin les activits de coordinationmenes dans les pratiques professionnelles des ges-tionnaires de cas dans les trois centres de sant et deservices sociaux (CSSS) qui ont particip au projet derecherche Enraciner: un en milieu mga urbain, un enmilieu urbain et un en milieu semi-rural. Reprsent-ant nos units danalyse, ces CSSS ont t slection-ns sur la base de la nature contraste des territoiresquils occupent, puisque nous savons que lintgrationnadopte pas la mme forme selon les ressourcesdisponibles, qui varient grandement dun tablisse-

    ment lautre (par exemple, la prsence de servicesde troisime ligne). Nous voulions ainsi dgagerles conditions transversales des pratiques professi-onnelles de coordination dans diffrents contextes deCSSS.

    Trois collectes de donnes ont t ralises de janvier2009 fvrier 2010 : 1. une analyse documentaire,2. des entretiens dexplicitation, 3. de lobservationdirecte. Les trois collectes de donnes ont t couvertespar les certificats thiques mis par deux tablissements

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    3/11

    262 Canadian Journal on Aging 32 (3) Sbastien Carrier

    universitaires et par les trois CSSS participants. Ellesont t ralises et analyses par le chercheur princi-pal de la prsente recherche et compares avec dautresrsultats, qui ont t produits dans le cadre lquipeEnracinerpour des fins de validation. Premirement,lanalyse documentaire (Cellard, 1997) a consist enun travail descriptif visant relever les lments

    prescrivant les activits professionnelles de coordi-nation pour chacune des units danalyse (CSSS) deltude. Nous avons effectu une lecture exhaustivedes documents afin de codifier des lments suivantune grille de lecture comportant six paramtres :1. coordination inter-tablissement, 2. guichet daccsunique, 3. gestion de cas, 4. outil unique dvaluationcoupl un systme de classification des besoins,5. systme de communication partageable et continuede donnes cliniques, 6. plan de services individualiss(PSI). Ces paramtres composent le modle dintgrationconu par le programme de recherche sur lintgrationdes services pour le maintien de lautonomie (PRISMA)

    (Hbert et al., 2004). Nous les avons choisis du faitquils ont t retenus par le MSSS pour faire le suivi delimplantation des composantes des rseaux de servicesintgrs aux personnes en pertes dautonomie lieau vieillissement (Qubec, 2007). Ensuite, nous avonsproduit un travail de reconstruction analytique, qui,dune part, contraste les caractristiques spcifiques chacun des territoires de CSSS et, dautre part, met enlumire les attributs transversaux de ces derniersdonnant lieu un portrait des lments qui prescriventles pratiques professionnelles de coordination desgestionnaires de cas. Si dans cet article, les rsultats

    de lanalyse documentaire ne sont pas explicitementprsents, ce portrait a t essentiel pour raliserlanalyse transversale afin de bien comprendre, dis-tinguer et dfinir les contextes de pratique de chacundes CSSS.

    Deuximement, les entretiens dexplicitation (Vermersch,2000) consistent en une technique, qui vise faireexpliciter des savoirs tacites ou difficilement diciblespar la verbalisation de laction passe. Les entretiensmens dans le cadre de cette tude portaient sur 18situations cliniques provenant des trois CSSS partici-pants, un nombre de situations qui nous a permisdatteindre une saturation thorique pour le traitementdes donnes. Ces situations ont t construites autourdun pisode de soin rcent ayant ncessit ladmissionen gestion de cas dune personne en perte dautonomielie au vieillissement demeurant domicile et recevantdes services de soutien domicile du CSSS. Pour queles situations cliniques soient retenues pour ltude, lespersonnes ges devaient avoir 75 ans ou plus, treadmises en gestion de cas depuis au moins six mois ettre capables de relater de manire fiable lhistoire desservices quelles ont reus. Ce dernier critre a t

    retenu pour convenir aux exigences de la recherchede lquipe Enraciner. Les entretiens ont t ralissauprs des 14 gestionnaires de cas qui sont intervenusdans au moins un des 18 cas cliniques, certains ges-tionnaires de cas ayant prsent plus dun cas clinique.Les gestionnaires de cas ont t slectionns partir decas correspondants aux critres dinclusion et qui ont

    t reprs par la cheffe de programme du secteurdu soutien domicile pour personnes ges en pertedautonomie lie au vieillissement de chacun des CSSS ltude. Lensemble des gestionnaires de cas avaitune formation de travailleur social de niveau universi-taire. Les entretiens effectus auprs des gestionnairesde cas visaient faire dcrire ces derniers les inter-ventions rcentes, qui avaient t ralises dans ledossier, principalement sur le thme de la coordina-tion. Les entretiens ont t retranscrits et ont fait lobjetdune codification au moyen du logiciel Nvivo 7. Auterme, nous avons produit une analyse thmatiquepour rduire les donnes et ensuite laborer une

    synthse des thmes figurant dans le corpus (Paill etMucchielli, 2003).

    Troisimement, lobservation directe (Kohn et Ngre,2003; Patton, 2002) a consist suivre pas pas, de faoncontinue, six gestionnaires de cas. Ceux-ci devaientprsenter les caractristiques suivantes : 1. assumer unefonction de gestion de cas reconnue par ltablissement,incluant un mandat inter-tablissements et interdisci-plinaire quant la coordination, 2. avoir une chargede cas dans le secteur des services domicile pourles personnes en perte dautonomie lie au vieillisse-ment, 3. possder une exprience de trois ans et plus

    titre de gestionnaire de cas. Nous avons ralis untotal de 190 heures dobservation. Pour raliser cetravail dobservation, nous avons labor une grilledobservation, qui vise produire un compte rendudcrivant avec prcision les situations de coordination(Laperrire, 2003). Nous avons conu un modle decompte rendu comportant deux sections distinctes.La premire section a servi consigner les informa-tions factuelles telles que le lieu, la date, la dure delobservation et le type de participants. La secondesection a t labore partir de la thorie des con-ventions de Boltanski et Thvenot (1991) que nousdfinirons plus bas. Cette section comprend cinq typesdlments descriptifs : 1. la description des situationsde coordination, incluant les types dactivits et leursbuts, 2. la description des interactions et des rapportsentre les acteurs participant la situation, 3. la descrip-tion des conventions partages par les acteurs dans leurspratiques de coordination, 4. la description des objetsde dsaccord ou de controverse obligeant les acteurs dfendre leur point de vue dans le cadre dune preuve,au sens o lentend la thorie des conventions, 5. ladescription des compromis labors en rponse ces

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    4/11

    Pratiques de coordination en gestion de cas La Revue canadienne du vieillissement 32 (3) 263

    dsaccords. Le travail danalyse des donnes issues delobservation a t fait partir des notes dobservationpour effectuer un exercice de rduction et de recon-struction inductive des normes, des rgles, des gestesprofessionnels et des cultures pour reconstruire le sensde laction (Laperrire, 2003),

    Au terme, ces trois collectes de donnes ont t analyses

    de faon transversale pour reconstruire les rgimesdactions entourant les activits de coordination en appui sur la thorie des conventions (Boltanski etThvenot, 1991). Une convention est [] un ensemblede critres, un ensemble de repres auxquels des indi-vidus confronts des situations incertaines, se rfrentpour dcider des comportements quils vont adopter (Nizet, n.d.). Les conventions renvoient sept cits quipossdent chacune un principe daction : 1. marchande,loccasion, 2. industrielle, lefficacit, 3. domestique, latradition, 4. civique, le bien commun, le juste, 5. inspire,la crativit, 6. dopinion, la notorit, 7. du projet, lamise en rseau (Boltanski et Chiapello, 1999; Boltanskiet Thvenot, 1991). Ces cits consistent en un ordon-nancement axiomatis des rgimes daction (Dodier,1993), ordonnancement qui structure laccord socialgnral de la convention au regard dun plan spcifiquede laction pour une situation donne. Lanalyse, laquelle nous nous livrons, vise reprer les conven-tions qui sont mobilises dans le cadre des pratiques decoordination de gestion de cas. Les conventions convo-ques dans les contextes de pratique ne sont pas issusde cits pures, mais dun compromis entre certaines deces mmes cits. En fait, toute convention survenantdans les pratiques des acteurs professionnels rsulte

    dune activit dlaboration dun compromis entrediffrents rgimes daction, qui sont potentiellementprsents dans une situation donne.

    Lapproche conventionnaliste permet dapprhenderla coordination en croisant une coordination produitepar les acteurs dans le geste professionnel (par exem-ple, la production dun plan de services individualis(PSI) dans le cadre dune rencontre multidisciplinaire)et une coordination plus gnrale produite par lesacteurs dans le lien social (par exemple, la conventionsociale chez les gestionnaires de cas concernant lafaible reconnaissance du PSI). En ce sens, la thorie des

    conventions apparat aux yeux mme de ses concepteurs(Boltanski et Thvenot, 1991) comme une thorie socialede la coordination, qui se situe au cur de toute activitsociale. Ainsi, pour nous, lanalyse des conventionsconsiste en une reconstruction conceptuelle des com-promis luvre dans les pratiques de coordination degestion de cas. Ces conventions de compromis nouspermettent de reconstituer lordonnancement axiomatisdes compromis, qui rgissent les rgimes dactiongnraux de coordination ordinaire et de coordina-tion ddie que nous dfinirons plus bas.

    RsultatsDans cette section, nous prsentons deux analysesconceptuelles des pratiques de coordination chez lesgestionnaires de cas. Ces conceptualisations ont tconstruites sur la base de lanalyse thmatique desentretiens et de lanalyse des notes dobservationdesquelles, dans cet article, nous avons extrait certains

    passages titre dillustration. La premire analyseconceptuelle porte sur les rgimes daction gnrauxdes coordinations ordinaire et ddie. Cette dernire afond les bases de la deuxime analyse conceptuelle,soit celle des conventions mobilises dans les pratiquesde coordination de la gestion de cas et qui donne lieu quatre types de compromis.

    Coordinations ordinaires et ddies

    Les rsultats gnraux de cette recherche ont conduit certains constats contraires ce quoi nous nousattendions. Les gestionnaires de cas au Qubec sont en

    principe destins la coordination des services pourles cas intenses, cest--dire qui ncessite un bon nom-bre dheures dintervention, et multidimentionnel, doncdes cas complexes ncessitant plusieurs professionnelsde plusieurs tablissements. Nous constatons plutt queles activits de coordination ralises par les gestion-naires de cas savrent souvent peu intenses et faible-ment multidimensionnelles.

    Ce constat analytique nous a permis de reconstruire,dans les pratiques de coordination de gestion de cas,deux rgimes daction gnraux de coordination. Unpremier que nous nommons rgime daction gnral de

    coordination ordinaire et que nous dfinissons commetant, la fois, le produit dactivits professionnelleshabituelles ou coutumires incorpores et dactivitsinformelles. Toutes ces activits ne sont pas spcifiques la coordination et renvoient un mode passif deveille de coordination, qui sarticule autour dune sriede moyens de coordination simples requis pour mettreen place des services. Le deuxime rgime dactiongnral est celui de la coordination ddie. Cette coor-dination est ralise de faon rationnelle partir dedispositifs prvus cet effet, comme le plan de serviceindividualis (PSI).

    De faon gnrale et ce pour les trois CSSS ltude, lesgestionnaires de cas agissent souvent dans le rgimedaction ordinaire en adoptant un mode passif de veillepar lentremise dune grande diversit dacteursprofessionnels (infirmires, ergothrapeute, mdecin,etc.), semi-professionnels (les auxiliaires familiales) etnon professionnels (les proches aidants) et de disposi-tifs sociotechniques (dossier clinique informatis, outildvaluation de lautonomie, requte de service, etc.).Ce sont ces acteurs et ces dispositifs, qui informent lesgestionnaires de cas, des vnements prsentant une

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    5/11

    264 Canadian Journal on Aging 32 (3) Sbastien Carrier

    intensit et une multidimensionnalit accrues qui, parexemple, pourraient compromettre le soutien domi-cile dun usager et qui justifieraient une coordinationddie, comme lillustrent les extraits suivants.

    Cest sr que quand il y a quelque chose, lauxiliairevient toujours nous voir directement. Si elle pense quily a un besoin en ergothrapie, pour x raisons, un qui-

    pement ne fait plus laffaire, et elle aurait besoin dtrervalue, elle passe par nous. On est vraiment le pivot.Cest bien parce que cest nos yeux, ces personnes-l, domicile. Quand il y a quelque chose, ils viennent nousvoir et nous en parler. Nous, on peut ragir cemoment-l et faire une rfrence en physiothrapie, energothrapie, dpendamment du besoin (gestionnairede cas 10).

    Quand je suis entr au dossier, rapidement, jai fait unedemande pour quune ergothrapeute value la scu-rit la salle de bain pour quon compense les servicesdassistance lis lhygine et la routine du matin.

    [] Comme je dis, peu dinterventions dans la dernireanne, dans le sens quaprs cette coordination, il ya eu lergothrapeute qui est entre de front dans ledossier pour voir installer les services (gestionnairede cas 2) .

    Lanalyse des donnes empiriques ce sujet a permisde montrer, que ce mode passif de veille appartenant une coordination ordinaire provoque un dcalageentre les besoins exprims par le systme-client etla rponse apporte ces besoins par le systme degestion de cas. Ceci soulve lexistence dune carencesur le plan de la prvention, ce qui oblige les gestion-

    naires de cas se montrer ractifs plutt que proactifs,ce qui ntait pas attendu pour une telle fonctionconsacre la coordination. Donc, dans ce contexte,on peut se demander comment les gestionnaires decas concilient-ils les diverses formes de coordinationen contexte de prcarit, dintensit et de multidi-mensionnalit? Comment les gestionnaires de casaccordent-ils la coordination ordinaire la coordina-tion ddie?

    partir de cette reconstruction analytique des rgimesdaction ordinaire et ddie, nous avons ralis uneanalyse conventionnaliste. Donc, pour mieux compren-dre les pratiques de coordination effective des gestion-naires de cas, nous reconstruisons, transversalementaux trois CSSS ltude, quatre compromis : dinterface,dinflexion, doccasion et dordonnancement.

    Lanalyse des conventions: les compromis

    Compromis dinterfaceDans le compromis dinterface, le rle de coordinationdu gestionnaire de cas est reconnu comme permettant larencontre entre la cit industrielle, valorisant lefficacit,

    et la cit civique, mettant laccent sur lintrt gnral,et le bien commun. Ce rle se structure autour dunetension inhrente la fonction de coordination dugestionnaire de cas. Ce dernier doit adapter loffre deservices aux besoins des usagers et usagres (personnesges), en appui un projet qui peut tre prventif,proactif, humanisant ou autre, dans un contexte o

    loffre de services est limite et o lefficacit est posecomme principe de valeur suprieure. Dans ces condi-tions, le gestionnaire de cas doit coordonner les servicesde faon efficace et efficiente tout en respectant, autantque faire se peut, le bien collectif dans la distributionde ces mmes services. Par exemple, tous les gestion-naires de cas sentendent sur le fait que, pour une per-sonne ge, un seul service daide au bain par semainesavre nettement insuffisant. Toutefois, ils sont aussitous daccords pour dire quil vaut mieux offrir unservice daide au bain une fois par semaine, toutesles personnes ayant besoin dun tel service, plutt queden attribuer trois une seule personne et aucun

    deux autres usagers. Ce souci dquilibrer le besoin etle possible structure influence profondment les activi-ts de coordination des services des gestionnaires decas. Dailleurs, nous avons not que des mesures derduction de services, temporaires ou permanentes,avaient t prises dans chacun des CSSS tudis. Cesrestrictions exigeaient un ajustement constant sur leplan de la coordination des services. Lextrait qui suit,issu des notes dobservation directe, dmontre la ten-sion existante entre les besoins des personnes ges etla capacit du systme fournir des services adapts leurs besoins, un rel dfi que rencontrent les gestion-naires de cas.

    De nouveaux critres dattribution des services ont ttablis dans le CSSS. Loffre de services est rduite cause de raisons financires. Dans ce contexte, le ges-tionnaire de cas doit annoncer monsieur que les ser-vices daide au bain seront rduits de trois un parsemaine. Toutefois, le gestionnaire de cas va ngocieravec la cheffe de programme pour inscrire monsieurau programme de mesures dexception. Le gestionnairede cas justifie la demande par les problmes dodeurqui sont causs par le manque dhygine. Les rsidentsde la rsidence dhbergement prive se plaignent deces odeurs. La rduction des services daide lhygine

    peut donc compromettre le maintien domicile etncessiter une relocalisation en hbergement public. Lesmesures dexception ont alors t acceptes (gestion-naire de cas 10).

    Le compromis dinterface est la convention dans laquellesancre la coordination ordinaire et, donc, le mode pas-sif de veille. En effet, les gestionnaires de cas adoptentle mode passif de veille en mettant contributionles ressources professionnelles, semi-professionnelles,informelles et sociotechniques pour complmenter leur

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    6/11

    Pratiques de coordination en gestion de cas La Revue canadienne du vieillissement 32 (3) 265

    capacit donner des services. Ainsi, la coordinationdans le compromis dinterface se fonde tout dabordsur une coordination ordinaire, qui privilgie lusagede ressources non ddies la coordination pour coor-donner les services de faon efficace et juste. Mais,comme nous le verrons plus loin, ce compromis estinhrent toutes les conventions compromissoires de

    coordination, que nous avons reconstruites partir desobservations auxquelles nous avons procd dans lecadre des pratiques de gestion de cas.

    Compromis dordonnancementLa deuxime convention reconstruite est celle ducompromis dordonnancement, dans une logique demise en ordre des modes dintervention. Ce compro-mis fait appel des valeurs relevant non seulementdes la cit industrielle et la cit civique, mais ausside la cit domestique. Cette dernire est fonde surlassujettissement des rapports sociaux issus de la tra-

    dition professionnelle. La coordination nest donc plusdtermine ou contrle par les dispositifs profession-nels et sociotechniques du rseau de services intgrs,dont celui de la gestion de cas, mais plutt par les rap-ports structurs et tablis par la tradition, que celle-cisoit professionnelle ou organisationnelle. Ceci en faitdonc un compromis issu dune coordination ordinaire.Nous constatons lexistence dun compromis de cegenre notamment entre les professionnels et les organi-sations appartenant lunivers mdical et au mondenon mdical; pensons la relation entre les mdecinset les gestionnaires de cas. Cest ce que montre lextrait

    suivant que nous avons tir des entretiens.a sest fait vite parce que le mdecin, je ne lavais pasbeaucoup de mon ct, dans le sens que, quand jappelais,ctait vite, vite, vite au tlphone, puis il me raccro-chait presque la ligne au nez parce quil tait occup.Il disait : Bien, vous savez, oui, on sait le contexte:la fille nie beaucoup les pertes de sa mre. Mais, enmme temps, je trouvais quil banalisait aussi les pertesde la dame. Moi, je voyais clairement quelle hallucinaitdes personnes qui venaient son domicile. Je rapportaisau mdecin tous les exemples vite, vite au tlphone.Je parlais rapidement pour essayer dtre capable delui dire le plus dinformations possible, mais ce quilme faisait comme rponse, ctait : Cest normal, cestla vieillesse, compte tenu de son ge. Je suis all la voirdernirement et a ne minquite pas. Je pense que jelai relanc deux fois, puis je lui avais envoy le papiermdical pour enclencher la demande dhbergement.Puis cest a qui faisait que a ne passait pas pourune demande dhbergement parce que, dans son doc-ument, a ne faisait pas ressortir les pertes cognitivesde la madame; il ny avait pas de diagnostic, il ny avaitrien, et moi, jessayais de pousser de son ct pour quil

    pose un diagnostic qui fasse en sorte que a soit accept(gestionnaire de cas 7).

    Nous pouvons voir aussi le compromisdordonnancement dans la mise en uvre des pro-grammes de dsengorgement des hpitaux. En effet,ces programmes ordonnent la coordination en priori-sant les besoins des hpitaux aux dpends de ceux dusoutien domicile du CSSS en matire de gestion deslits de courte dure. Dit autrement, il se fait un ordon-nancement des rapports organisationnels. Dans la miseen uvre de ces dispositifs, nous pouvons clairementdfinir les objets de compromis entre trois cits. Lesprogrammes de dsengorgement des hpitaux visent accrotre lefficience des services hospitaliers voca-tion de courte dure (cit industrielle) au moyen dunprogramme crit nonant des principes de bien com-mun (cit civique), qui a pour objectif dordonnerles rapports organisationnels dans la gestion des litsdhpitaux considrs comme prioritaires (cit domes-

    tique). Lextrait qui suit illustre lordonnancement desrapports organisationnels dans le contexte dun telprogramme.

    Pour le dsengorgement, on doit rpondre, habituelle-ment, dans un dlai de 48 72 heures. Paf! [] Parcontre, a donne des moyens au CLSC, mais surtout nos usagers, puis cest pour a quon le fait. [] Mais,en mme temps, moi, je vous dirais que lensemblede ces programmes-l, tant mieux celui qui passe.Malheureusement, on est rendus quasiment vers a,celui qui passe lhpital, parce quil va pouvoir bn-ficier dune intensification des services. Le mmeusager qui a la mme problmatique et qui reste lamaison naura pas accs aux mmes services. Ce sontdes gens qui ont transit par lhpital qui peuventsortir en dsengorgement des hpitaux. [] il fautdire quon peut quand mme prioriser des demandesdhbergement quand la situation est trs urgente domicile, mais jamais une rponse aussi rapide et sanscompromission non plus (gestionnaire ce cas 14) .

    Compromis doccasionLe troisime compromis que nous dgageons estcelui doccasion, au sens dun moment qui appellelengagement dans une activit de coordination. Auxcits industrielle et civique du compromis dinterfacesajoute ici la cit marchande, dont lun des principesde grandeur est loccasion par laquelle la concurrencedevient possible. Ainsi, le compromis doccasion sefonde sur des occasions de coordination, ce qui estcontraire une coordination planifie normalementattendue par une fonction de gestion de cas. Il rsultedvnements imprvus qui ouvrent ou suscitent unepossibilit de coordination, ce qui est le propre dunecoordination ordinaire. Loccasion se place toujours

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    7/11

    266 Canadian Journal on Aging 32 (3) Sbastien Carrier

    en tension avec les cits industrielle et civique, quirenvoient laction prvisible de la coordination, la fois efficace et juste. Nous avons eu loccasiondobserver ce compromis notamment lors dpisodesdhospitalisation pour les personnes ncessitant unerelocalisation en hbergement public. Lorsquune per-sonne rencontre les critres dadmission pour tre relo-

    calise en hbergement permanent, elle demeure lhpital jusqu ce quune place dans une ressource selibre. Ceci, fait en sorte, que les personnes hospitali-ses et en attente dhbergement sont priorises audtriment des autres clientles. En fait, lhospitalisationdevient une occasion pour le gestionnaire de casdacclrer le processus de relocalisation. Or, ces pra-tiques font convention puisquelles sont connues etreconnues par les gestionnaires de cas, qui justifientmme leur action par leur habilet tirer profit detelles occasions. Lextrait ci-dessous, qui est la suitedu cas gestionnaire de cas 7 dont nous avons faitrfrence dans la coordination dordonnancement,

    illustre une situation dans laquelle le gestionnaire decas a saisi loccasion qui soffrait lui lors dun pisodedhospitalisation.

    Cest la fille qui ma appele; elle ma dit : Ma mrene va pas bien. La fille savait que ce qui tait leplus simple, cest que, si elle rentrait lhpital, aallait beaucoup plus rapidement pour avoir accs lhbergement. Pour elle, a allait lui enlever le tracasde dire : Lhiver, je ne suis pas au Qubec. Donc, silarrive de quoi maman, je ne suis pas l. a retom-bait sur nous, le CLSC, de soccuper de sa mre. Dumoment quelle a vu quil y avait une petite chose mdi-

    cale qui nallait pas bien, elle a saisi cette opportunit-l.Puis, en mme temps, elle avait des douleurs impor-tantes au ventre; a avait t aussi relat par la rsi-dence. Je me suis dit : Bon, bien, oui, cest vraiquelle a un Mais je lavais bien avertie quon nepeut pas lenvoyer lurgence juste parce que cestdangereux quelle reste domicile; ils ne la garderontpas. Mais l, on avait quand mme une composante:elle avait mal au ventre. Donc, lambulance avait tappele. Puis, lauxiliaire mavait appele pour medire: Madame ne va vraiment pas bien. Elle a mal auventre, donc on va lenvoyer lhpital pour se faireexaminer. Quand elle est arrive lurgence, moi,

    je me suis dpche de communiquer avec lurgencepour prparer le terrain, pour quils sachent le contexte(gestionnaire de cas 7) .

    Compromis dinflexionLe quatrime et dernier compromis est celui dinflexion,qui revient changer la suite du soutien domicile. Cecompromis mobilise la cit industrielle, la cit civiqueet la cit par projet. Dentre de jeu, il convient de men-tionner que dans la thorie des conventions, la cit par

    projet se caractrise par la ncessit de mise en rseaudes acteurs pour la ralisation de projets ad hoc. Lecompromis dinflexion cherche changer le modeopratoire (par exemple, le mode de veille) de faon crer ou modifier le projet de la coordination. Cela passepar une meilleure reconnaissance de lintensification dubesoin dintervention du client, voire par la reconnais-

    sance de la multidimensionnalit de ce mme besoin.Dans ce contexte, le gestionnaire de cas quitte le modepassif de veille, observ dans le compromis dinterface,pour sinvestir dans un projet tendu vers le futur etvisant inflchir lobjet permettant la reconnaissancede la multidimensionnalit. Par exemple, il pourraitsagir de reconnatre lexistence dun risque de maltrai-tance physique, la possibilit que le retour domicile oula relocalisation devienne problmatique, la prsencedun risque pour la scurit de lusager domicile en rai-son de la diminution de lautonomie ou de lpuisementdu proche aidant, etc. Le temps que prenne placelinflexion, le gestionnaire de cas occupe alors un rle

    de mailleurde rseau, et ce, de concert avec les acteursprofessionnels, semi-professionnels et informels. Audemeurant, le rle de mailleur se situe au fondementmme des fonctions relatives la gestion de cas.Ainsi, le compromis dinflexion constitue lactivit parlaquelle sactualisent les fonctions de la gestion de cas,qui sont ddies la coordination. Le compromisdinflexion possde un caractre ponctuel du projetassoci un moment dintensit et de multidimension-nalit. Dans lextrait suivant (suite de lextrait gestion-naire de cas 7), nous prsentons une situation dont lecaractre multidimensionnel a ncessit une mise en

    rseau plus ou moins tendue. La mise en rseau avaitpour projet dinflchir un objet multidimensionnel, savoir lorientation du mdecin de famille de mainte-nir domicile une personne ge, alors que, selon lejugement professionnel du gestionnaire de cas, les pro-blmes cognitifs de la personne compromettaient sascurit.

    Quand elle est arrive lurgence, moi, je me suis dp-che de communiquer avec lurgence pour prparer leterrain, pour quils sachent le contexte. Je demandaisquelle soit value et quelle soit monte en griatrieparce que ctait une situation prcaire. Javais envoyla demande de services inter-tablissements de la dame lurgence. Javais envoy les coordonnes. Puis, javaisdemand la fille daccompagner sa mre et de direle mme discours que moi. Envoyer un mdecin etleur dire de mappeler pour tre sr que linformationpasse. Aprs a, quand elle a t lurgence, ils ontclairement vu quelle avait vraiment mal au ventre; ilsont dcouvert, je pense, un cancer; donc, il y avaitquand mme quelque chose dimportant investiguer.Puis, partir de ce moment-l, ils lont monte en griat-rie. [] Puis, ce moment-l, moi, je me suis prsente.

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    8/11

    Pratiques de coordination en gestion de cas La Revue canadienne du vieillissement 32 (3) 267

    Jai demand dtre aux rencontres multi; cest l quejai eu ma porte dentre pour leur expliquer toutes lesdmarches que javais faites depuis janvier dernier etla prcarit du retour domicile (qui ntait pas pos-sible), et ils ont bien vu rapidement que a navait pasde bon sens. Et ils ont t surpris de voir que le mde-cin de famille ne voyait pas Ctait vident pour eux

    que, mme sils navaient pas fait lvaluation encore,la dame avait des pertes cognitives majeures et quellene pouvait pas retourner la maison. Bien, cest moiqui suis alle au devant. Oui. Parce que je savaisquelle tait lurgence, a fait que je la suivais. Puis,aussitt quelle est monte ltage, je me suis assuredenvoyer tout de suite ma demande de services inter-tablissements ltage. [] Dans ce cas-l, quand elle estmonte ltage, je me suis intgre dans leur quipe(gestionnaire de cas 7).

    Certaines situations multidimensionnelles peuventse rvler des occasions de mise en rseau avec des

    acteurs professionnels lors de situations de coordination,ces situations permettant dautres collaborationspour des projets venir. Pour le gestionnaire de cas,lhospitalisation de la personne ge peut devenir unprojet grce auquel il pourra dvelopper des rseauxprofessionnels et organisationnels de coordination avecles professionnels des hpitaux. En fait, ces rseauxrelationnels pourront dans le futur permettre auxintervenants non seulement de se coordonner nouveau,mais aussi de contribuer faire reconnatre la gestionde cas comme tant un dispositif, qui se consacre lacoordination des services dans le cadre des rseaux deservices intgrs par les professionnels de lhpital.

    Voici un extrait qui illustre le compromis dinflexionpour ce type de projet.

    La base est dj connue, a fait quon est comme unautre niveau quand on rentre au Centre hospitalieruniversitaire principalement sur ltage de griatrie.Moi, souvent, je prends linitiative; par rapport auxrencontres multi, cest peu prs toujours moi quiprends linitiative; ce nest pas quils ne la prendraientpas, mais je ne le sais pas parce que je la prends avanteux. [] Mais on a appris tre trs proactifs aussi. Onles connat, nos dossiers domicile. On le sait que, sily a x et x conditions domicile, a va tre problma-

    tique lhpital (gestionnaire de cas 14).

    Des compromis multifinalissLes quatre conventions de compromis prcdentes sont,pour nous, des idaux types qui nous permettent dedcouper la multidimensionnalit des pratiques decoordination. Toutefois, ces compromis ne se mani-festent pas de faon isole et mcanique. Au contraire,les pratiques de coordination forment plutt un proces-sus fluide dans lequel sarticulent de faon complexe,

    volutive et en partie inattendue, les diffrents com-promis requis pour parvenir une bonne coordinationdans toutes les situations que rencontre le gestionnairede cas. Le cas gestionnaire de cas 7, que nous avons repris quelques reprises, est une illustration de larticulationentre les compromis.

    Les compromis ont, comme base commune, larticulation

    de la cit industrielle et de la cit civique, puisque latension entre lefficacit et le bien commun constitueune caractristique de la coordination dans le contextedes rseaux de services intgrs. Cette tension irr-ductible fait, en sorte, que nous ne nous situons jamaiscompltement dans une logique pure defficacit, etdans une logique pure dquit. Cest le jeu de ngocia-tion constant entre ces deux cits qui justifie la profes-sionnalit distinctive de lintervention en gestion decas. Dans leur rle dadvocacy, de courtier de servicesou dintervenant disciplinaire, les gestionnaires de casngocient, au jour le jour, le rapport entre la cit indus-

    trielle et la cit civique avec les acteurs professionnelsselon un compromis, qui sadapte chacune des situa-tions cliniques.

    Discussion et conclusionVers une mesure des effets des aspects relationnels de lacoordination ordinaire

    Le mode de coordination plus systmatis convoit parle MSSS, avec limplantation des rseaux de servicesintgrs et de la gestion de cas, se voit ici questionn.Investir dans des modles qui ont pour objectifs desystmatiser la coordination pour amliorer la qualit,

    comme la fait le MSSS, suppute quune meilleurequalit des services passe ncessairement par uneplus grande systmatisation. Or, cette recherche posela question de lefficacit telle quattendue de la gestioncas, puisque comme nous lavons observ, les pratiquesde coordination sappuient encore aujourdhui sur desmodes de coordination que nous avons nomms ordi-naires, fonds sur des aspects plus relationnels quesystmatiques. La coordination dans les pratiques degestion de cas est donc encore lapanage de mode cherau travail social traditionnel. dfaut dune vritablesystmatisation accrue de la coordination, nous pouvonsposer la question savoir si les rseaux de services

    intgrs penss par le MSSS, qui ont mis en uvre lesdispositifs de coordination de gestion de cas, permettentou non une meilleure coordination formelle ou mmeinformelle?

    Si, en considrant les rsultats de cette recherche, nousne pouvons plus ngliger laspect relationnel de lacoordination ordinaire pour valuer la qualit desservices, il nous est difficile, ce moment, den mesurerles effets. Au Qubec, plusieurs travaux de rechercheont t raliss (Carrier, 2011, Couturier et al., 2007;

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    9/11

    268 Canadian Journal on Aging 32 (3) Sbastien Carrier

    Lortie, 2009) ou sont en cours de ralisation (le groupede recherche Enraciner) sur le thme de la coordinationdes services dans le cadre des rseaux de services int-grs aux personnes en perte dautonomie lie au vieil-lissement. Si ces recherches fondent limportance de lacoordination ordinaire dans les pratiques de soutien domicile, aucune de celles-ci na, ce jour, mesur

    ladite coordination ordinaire ainsi que ses effets sur laqualit des services. Cest la raison pour laquelle nouspensons, que la coordination ordinaire est un objet depremire importance investir dans le domaine de larecherche de lorganisation des services de sant etsociaux au Qubec, pour entamer une rflexion sur lespratiques de coordination dans ce secteur de services.Comment la coordination ordinaire agit-elle sur la qualitdes services du point de vue des acteurs professionnelset non professionnels? Favorise-t-elle une meilleurequalit des services ou non? Quels sont les effets sur lesclientles et les rseaux de soins informels? Ce sont desquestions qui mritent une investigation approfondie

    pour mieux adapter les pratiques de coordination auxbesoins des usagers et des usagres.

    ce sujet, Gittell (2010) propose une thorie et unemthode de la coordination relationnelle, qui sonttroitement associes notre concept de coordinationordinaire. Utilise dans plusieurs domaines, dont celuide la sant, cette thorie considre la coordination rela-tionnelle comme un construit dynamique et non for-malis entre la communication et la relation, tandisque la mthode permet de mesurer la coordinationrelationnelle ainsi que certains de ses effets. Pour la suitede notre programmation de recherche, nous proposons

    dutiliser cette thorie de la continuit relationnelle etcette mthode de mesure de la coordination relationnelle(Gittell, 2010). Nous dsirons mesurer les liens de la coor-dination relationnelle entre les prestataires de servicesformels et les proches aidants, comme co-producteursdes services de soutien domicile pour les personnesges en perte dautonomie lie au vieillissement et demesurer certains effets de la coordination relationnellesur les proches aidants, dont ceux lis la satisfaction desservices, de lautonomisation, du fardeau, etc.

    Limites et porte de la recherche

    Nous avons t contraints certaines limites et diffi-cults dans la ralisation de cette recherche. Une limiteque nous relevons tient au fait que lunique point devue recueilli provient des gestionnaires de cas. Nousavons observ linteraction des gestionnaires de cas avecdautres acteurs professionnels et organisationnels,notamment avec des infirmires, des intervenantsde lhpital, etc. Toutefois, il aurait t enrichissantdajouter des entrevues, qui auraient t conduitesauprs de partenaires provenant de divers secteurs

    (secteur communautaire, secteur public et secteur priv)pour obtenir leur point de vue concernant le rle desgestionnaires de cas et la coordination des servicesralise autour des personnes en perte dautonomie lieau vieillissement.

    Nous avons aussi rencontr des difficults au chapitre durecrutement des candidats, et ce, tant pour lobservation

    que pour les entretiens. Nous expliquons ces difficultsnotamment par les critres de slection trop restrictifs.Pour nous rapprocher du nombre de cas dsir, nousavons d revoir certains critres, ce qui signifiaitdabaisser 65 ans lge des personnes ges pluttque 75 ans et dallonger plus de six mois la priodedadmission en gestion de cas plutt qu moins de sixmois. Mais, cest le critre exigeant que la personnege en perte dautonomie soit capable de relater demanire fiable lhistoire des services, qui aux diresdes gestionnaires de cas, fut le plus contraignant. Pourcause, la majeure partie des personnes ges qui faisaientpartie de leur charge de cas prsentaient des problmescognitifs importants, ce qui les excluait automatique-ment de notre recherche. Ceci reprsente une limite,qui mriterait que lon sy attarde davantage dans lesrecherches futures, pour valuer si les rsultats seraientles mmes avec des personnes ayant des problmescognitifs. Nous expliquons galement ces difficults derecrutement en raison du roulement de personnel, quenous avons constat parmi les gestionnaires de cas. Eneffet, durant ltude, certains gestionnaires de cas ontd se dsister, parce quils avaient quitt leur poste avantque nous puissions effectuer lentretien ou lobservationavec eux. Un dernier lment dexplication concerne le

    caractre intrusif de la mthode dobservation directe,qui peut tre perue comme tant contraignante, ds-agrable, voire menaante par les intervenants. Lefait de se savoir constamment et longtemps observ,reprsente un aspect de la dmarche dobservation,qui nest pas toujours accueilli favorablement par lesparticipants. En dpit de ces problmes, nous avonsrussi constituer un chantillon, qui nous a permisdatteindre le seuil de saturation thorique; dans lesentretiens et au cours de lobservation, ceci se mani-festait par une constance dans linformation que nousavons collecte. Dailleurs, les cheffes de programmedes tablissements ont t des actrices essentielles pour

    faciliter le recrutement, trouver des solutions nosproblmes que nous avons rencontrs ce propos etrendre possible le droulement de la recherche.

    Au terme, lanalyse conventionnaliste nous permet, parla construction des compromis des conventions, de mieuxcomprendre la coordination, qui relve beaucoup plusdactivits ordinaires que systmatiques. Donc, par sanature exploratoire, cette recherche met en lumirelimportance de la coordination ordinaire et des aspectsrelationnels quelle comporte dans les pratiques des

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    10/11

    Pratiques de coordination en gestion de cas La Revue canadienne du vieillissement 32 (3) 269

    gestionnaires de cas. La thorie et la mthode de lacoordination relationnelle proposes par Gittell (2010)nous permettront de vrifier les effets de ces pratiquessur la qualit des services au moyen doutils de mesuredes effets.

    Bibliographie

    Alexander, E. R. (1998). A structuration theory of interorgani-zational coordination: Cases in environmental manage-ment. The International Journal of Organizational Analysis,6(4), 334354.

    Boltanski, L., et Chiapello, E. (1999). Le nouvel esprit du capital-isme. Paris: Gallimard.

    Boltanski, L., et Thvenot, L. (1991). De la justification. Lesconomies de la grandeur. Paris: Gallimard.

    Carrier, S. (2011). Coordonner les services autour des personnesges en perte dautonomie, une analyse conventionnaliste(thse de doctorat, Universit de Sherbrooke, Canada).

    Cellard, A. (1997). Lanalyse documentaire. In J. Poupart,J.-P. Deslauriers, L.-H. Groulx, A. Laperrire, R. Mayeret A. P. Pires (eds.). La recherche qualitative. Enjeux pis-tmologiques et mthodologiques (pp. 251271). Montral:Gatan Morin diteur.

    Chen, A., Brown, R., Archibald, N., Aliotta, S., & Fox, P.(2000). Best practices in coordinated care (Reference No.:8534004). Princeton, NJ: Mathematica Policy ResearchInc. Retrieved from http://www.mathematicampr.com/publications/PDFs/bestpractices.pdf.

    Chisholm, D. (1989). Coordination without hierarchy: Informalstructures in multiorganizational systems. Berkeley, CA:University of California Press.

    Couturier, Y., Carrier, S., Gagnon, D., et Chouinard, I. (2007).Les appropriations locales de la gestion de cas et leursenseignements pour limplantation en dautres contextes.Dans R. Hbert, A. Tourigny, et M. Rache (Eds.), PRISMAvolume II, Lintgration des services: les fruits de la recherche

    pour nourrir laction(pp. 113128). St-Hyacinthe: Edisem.

    Dodier, N. (1993). Les appuis conventionnels de laction.lments de pragmatique sociologique. [Version lec-tronique]. Rseaux, 62, 6386. Consult le 10 octobre 2008http://gspm.ehess.fr/docannexe.php?id=528.

    Espinosa, J. A., Lerch, F. J., & Kraut, R. E. (2004). Explicit ver-sus implicit coordination mechanisms and task depen-

    dencies: One size does not fit all. In Salas, E. & Fiore,S. M. (Eds.), Team cognition: Understanding the factors thatdrive process and performance(pp. 107129). Washington,DC: American Psychological Association.

    Gittell, J. H. (2010). Relational coordination: Guidelines fortheory, measurement and analysis. Waltham, MA: Brandeis

    University. [En ligne]. Consult le 6 juillet 2011 http://www.jodyhoffergittell.info/content/gittell.html.

    Hbert, R., Tourigny, A., et Gagnon, M. (Eds.) (2004). Intgrer lesservices pour le maintien de lautonomie des personnes. (n. p.):St-Hyacinthe: Edisem. http://www.prismaquebec.ca/documents/document/Prisma.livre.pdf .

    Hofmarcher, M. M., Oxley, H., & Rusticelli, E. (2007). Improvedhealth system performance through better care coordination,Working paper no. 30. Paris: OEDC.

    Kohn, R. C., et Ngre, P. (2003). Les voies de lobservation: represpour les pratiques de recherche en sciences humaines. Paris:LHarmattan.

    Laperrire, A. (2003). Lobservation directe. In Gauthier, B.(ed.), Recherche sociale: de la problmatique la recherche desdonnes(pp. 269291). Sainte-Foy: Presses de lUniversitdu Qubec.

    Lortie, M. (2009). La contribution des proches aidants de per-sonnes ges en perte dautonomie la coordination et lacontinuit des services(mmoire de matrise, Universitde Sherbrooke, Canada).

    Malone, T. W., & Crowston, K. (1991). Toward an interdisci-plinary theory of coordination(Technical Report No. 120).Cambridge, MA: Massachusetts Institute of TechnologyCenter for Coordination Science. Retrieved from http://dspace.mit.edu/bitstream/handle/1721.1/2356/SWP-3294-23946943-CCS-TR-120.pdf?sequence=1.

    Nizet, J. (n.d.). Lathorie des conventions. Facults Universita-ires de Namur. [En ligne]. Consult le 23 septembre 2010.http://www.grh.hec.ulg.ac.be/cours/supports/COSE/conventions.pdf.

    Paill, P., et Mucchielli, A. (2003). Lanalyse qualitative ensciences humaines et sociales. Paris: Armand Colin.

    Patton, M. Q. (2002). Qualitative research and evaluation methods(3rd ed.). Thousand Oaks, CA: Sage.

    Qubec. Ministre de la Sant et des Services sociaux (2004).Projet clinique. Cadre de rfrence pour les rseaux locaux deservices de sant et de services sociaux . Dans Ministrede la Sant et des Services sociaux. Retrieved from:http://ftp.msss.gouv.qc.ca/publications/acrobat/f/documentation/2004/04-009-05.pdf.

    Qubec. Ministre de la Sant et des Services sociaux. (2007).Outil de suivi de limplantation des composantes du rseau de

    services intgrs aux personnes ges (OSIRSIPA). Qubec:Gouvernement du Qubec.

    Vermersch, P. (2000). Lentretien dexplicitation. Paris: ESFditeur.

    Yin, R. K. (2003). Case study research: Design and methods(2nd ed.). Thousand Oaks, CA: Sage.

  • 7/23/2019 Carrier 2013_Frailty

    11/11

    Reproduced with permission of the copyright owner. Further reproduction prohibited without

    permission.