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PROCÉDURE CIVILE CAS PRATIQUE 1 Cas n° 1 : Afin d’envisager la possibilité pour la demanderesse de toucher le gros lot, il convient au préalable de s’assurer que son action sera jugée recevable et qu’elle dispose bien du droit d’agir en justice à l’encontre de la société de casino. Le premier problème de droit qui se pose concerne les conditions de recevabilité de l’action en justice. Plus précisément, il convient de déterminer si la demanderesse justifie d’un intérêt à agir en indemnisation du préjudice subi. En principe, l’article 31 du Code de Procédure civile subordonne la recevabilité d’une action en justice à la démonstration de deux conditions a priori. En premier lieu, l’intérêt à agir, défini comme le bénéficie escompté du succès de ses prétentions qui doit présenter trois caractères cumulatifs : être né et actuel, personnel et direct, ainsi que juridique et légitime. En second lieu, la qualité à agir qui correspond à l’habilitation conféré par la loi aux plaideurs afin de les autoriser à saisir la justice. En principe, lorsque le demandeur justifie d’un intérêt à agir, l’action est dite banale et il est dispensé d’avoir à justifier de sa qualité. En l’espèce, la demanderesse justifie d’un intérêt : - né et actuel : le fait litigieux à l’origine de la saisine du juge s’est d’ores et déjà produit ; - personnel et direct : l’indemnisation éventuellement obtenue sera directement alloué à la demanderesse ; - juridique et légitime : l’action intentée repose sur l’application des règles de la responsabilité délictuelle prévues par le Code civil. Néanmoins, l’article 1965 du Code civil pose une difficulté, car il dénie aux justiciables toute possibilité d’action en paiement d’une dette de jeu, ce qui incite à penser que cet intérêt n’est pas juridiquement protégé et qu’en conséquence, l’action envisagée est irrecevable. Il convient toutefois de relever que l’objet de la demande réside dans l’obtention d’une indemnisation fondée sur la mise en cause de la responsabilité délictuelle du défendeur à raison de la faute commise, et non dans le paiement de sommes perdues au jeu.Dès lors, l’article 1965 du Code civil n’est pas de

Cas Prat Procédure Civile

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PROCÉDURE CIVILE

CAS PRATIQUE 1

Cas n° 1 : Afin d’envisager la possibilité pour la demanderesse de toucher le gros lot, il convient au préalable de s’assurer que son action sera jugée recevable et qu’elle dispose bien du droit d’agir en justice à l’encontre de la société de casino.

Le premier problème de droit qui se pose concerne les conditions de recevabilité de l’action en justice. Plus précisément, il convient de déterminer si la demanderesse justifie d’un intérêt à agir en indemnisation du préjudice subi.

En principe, l’article 31 du Code de Procédure civile subordonne la recevabilité d’une action en justice à la démonstration de deux conditions a priori. En premier lieu, l’intérêt à agir, défini comme le bénéficie escompté du succès de ses prétentions qui doit présenter trois caractères cumulatifs : être né et actuel, personnel et direct, ainsi que juridique et légitime. En second lieu, la qualité à agir qui correspond à l’habilitation conféré par la loi aux plaideurs afin de les autoriser à saisir la justice. En principe, lorsque le demandeur justifie d’un intérêt à agir, l’action est dite banale et il est dispensé d’avoir à justifier de sa qualité.

En l’espèce, la demanderesse justifie d’un intérêt :

-  né et actuel : le fait litigieux à l’origine de la saisine du juge s’est d’ores et déjà produit ;

-  personnel et direct : l’indemnisation éventuellement obtenue sera directement alloué à la demanderesse ;

- juridique et légitime : l’action intentée repose sur l’application des règles de la responsabilité délictuelle prévues par le Code civil.

Néanmoins, l’article 1965 du Code civil pose une difficulté, car il dénie aux justiciables toute possibilité d’action en paiement d’une dette de jeu, ce qui incite à penser que cet intérêt n’est pas juridiquement protégé et qu’en conséquence, l’action envisagée est irrecevable.

Il convient toutefois de relever que l’objet de la demande réside dans l’obtention d’une indemnisation fondée sur la mise en cause de la responsabilité délictuelle du défendeur à raison de la faute commise, et non dans le paiement de sommes perdues au jeu.Dès lors, l’article 1965 du Code civil n’est pas de nature à tenir en échec l’action en réparation (l’intérêt à agir sera apprécié indépendamment de l’évaluation du préjudice subi, qui ne constitue pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès : Cass. 2ème civ., 6 mai 2004). D’ailleurs, dans une espèce similaire, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 30 juin 2011, a admis la recevabilité de l’action d’une joueuse, interdite de casino, ayant continué à jouer, sur le fondement de la légitimité de son intérêt à mettre en jeu la responsabilité d’un casino et à solliciter réparation de son préjudice (Cass. 2ème civ., 30 juin 2011).

En l’espèce, il est donc permis de conclure que l’action que souhaite engager Madame PASTICHE est parfaitement recevable. En effet, elle dispose d’un intérêt à agir réunissant tous les caractères requis, ce qui lui confère automatiquement qualité à agir.

Le deuxième problème de droit qui se pose porte sur la recevabilité de la demande en paiement formulée par le défendeur.

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En principe, selon l’article 30 du CPC, le droit d’agir doit s’apprécier, non seulement en la personne du demandeur, mais aussi en celle du défendeur, qui doit, lui aussi, satisfaire aux conditions d’intérêt et de qualité posées par l’article 31 du CPC.

L’intérêt à agir doit présenter trois caractères cumulatifs : être né et actuel, personnel et direct, ainsi que juridique et légitime. En théorie, les parties doivent aussi rapporter la preuve de ce qu’elles ont qualité à agir, qui correspond à l’habilitation conférée par la loi aux plaideurs afin de les autoriser à saisir la justice. Toutefois, lorsque le demandeur justifie d’un intérêt à agir, l’action est dite banale et il est dispensé d’avoir à justifier de sa qualité.

En l’espèce, l’intérêt à agir du défendeur ne répond pas au caractère de légitimité. En effet, sa demande a pour objet le règlement d’une dette de jeu pour laquelle l’article 1965 du Code civil interdit toute action24.

Pour conclure, il convient de rassurer Mme PASTICHE en lui indiquant qu’elle peut agir sans craindre que la société PATOUCHE ne réplique par une demande reconventionnelle en paiement. Une telle demande, visant à faire sanctionner en justice une créance née d’un jeu, serait irrecevable en raison de l’article 1965 du Code civil.

Notez que, si la demande avait été recevable, (cela ne vous était pas demandé dans la mesure ou elle ne l’était pas) le cas pratique aurait pu comporter une question supplémentaire sur la recevabilité de la demande reconventionnelle.

Le problème aurait été de savoir quelles sont les conditions de recevabilité d’une demande reconventionnelle.En principe, l’article 64 du CPC précise que la demande par laquelle ce dernier entend obtenir un avantage autre

que le simple rejet de la prétention adverse, constitue une demande reconventionnelle. Celle-ci, en vertu de l’article 70 du CPC est recevable à la condition qu’elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant. Cette exigence n’est toutefois pas requise lorsque la demande est une demande en compensation (art. 70 al. 2 du CPC).

24 L’intérêt et la qualité à agir sont deux notions interdépendantes qui entretiennent des relations complexes et sont parfois difficile à distinguer. On pourrait ainsi faire valoir que l’article 1965 du Code civil en interdisant les actions tendant à l’exécution d’une dette de jeu, dénie au plaideur toute qualité et n’est pas relatif à l’intérêt. En effet, la qualité étant définie comme l’habilitation conférée par le législateur qui autorise l’action, l’article 1965 du Code civil peut être conçu comme n’habilitant personne à agir. En somme, ce texte poserait une action attitrée dont personne ne pourrait se prévaloir. A l’analyse, la controverse sur la question se révèle assez vaine, dans la mesure où en pratique rien ne distingue véritablement la qualité à agir du caractère légitime de l’intérêt : dans les deux cas, le législateur intervient pour étendre ou au contraire restreindre le droit d’agir.

En l’espèce, la demande en paiement, qui serait présentée par le défendeur, vise à obtenir le paiement d’une somme d’argent, qui s’analyse en un avantage différent du simple débouté de la prétention dont il fait l’objet. Il s’agit donc d’une demande reconventionnelle dont la recevabilité est subordonnée à la justification d’un lien suffisant, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 3ème civ., 4 avril 2002).

On pourrait chercher à soutenir qu’il n’existe aucun rapport entre l’obtention d’une indemnisation fondée sur l’application des principes de la responsabilité civile délictuelle et le paiement d’une dette de jeu. Cependant, le défendeur qui sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de son adversaire à lui verser une certaine somme, pourra solliciter le bénéfice de la compensation judiciaire avec les sommes qu’il pourrait être lui-même condamné à verser au demandeur. Il faut donc admettre que l’absence de lien suffisant n’est pas de nature à rendre la demande reconventionnelle irrecevable.

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Cas n° 2 : 1/ En termes procéduraux, s’interroger sur la possibilité offerte à l’association « Met du sel dans ta vie » d’agir en réparation, revient à poser la question de l’existence d’un droit d’agir à son profit. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si l’action de l’association est recevable dans les trois hypothèses considérées.

Le premier problème de droit qui se pose concerne la recevabilité de l’action d’une association en réparation du préjudice qu’elle a subi.

L’article 31 du Code de procédure civile pose le principe de l’action dite « banale » selon lequel, à partir du moment où un plaideur justifie d’un intérêt né et actuel, personnel et direct, ainsi que juridique et légitime, la loi lui reconnaît automatiquement qualité, ce qui suffit à caractériser la recevabilité de son action. L’intérêt à agir est ainsi défini comme le bénéfice escompté par le justiciable de l’exercice son action, le fait de s’adresser à la justice devant être susceptible d’améliorer sa propre situation juridique.

En l’espèce, l’association demanderesse souhaite saisir la justice aux fins d’être indemnisée du préjudice dont elle estime avoir été victime en raison de la mauvaise exécution du contrat passé avec le prestataire de service. L’intérêt poursuivi par la personne morale s’avère donc :

- né et actuel, dès lors que les faits litigieux (la mauvaise exécution du contrat de prestation) se sont produits (litige né, V. par ex. Cass. 3ème civ., 8 février 2006 : le bailleur n’a pas d’intérêt à agir en validation du congé qu’il a délivré avant sa date d’effet car le litige n’est pas encore né) et que la demande en réparation ne revêt aucun caractère interrogatoire ou provocatoire (litige actuel, V. par ex. Cass. soc. 19 juin 1985 : l’intérêt à voir juger qu’une clause de conscience peut jouer alors qu’aucun journaliste ne l’invoque, n’est qu’éventuel) ;

- personnel et direct, l’indemnisation éventuellement obtenue (en cas de gain du procès) a vocation à intégrer le patrimoine de la personne morale25 ;

- juridique et légitime, la réparation à laquelle l’association prétend repose sur l'application des principes de la responsabilité contractuelle qui sont sanctionnés par le droit26.

25 Le caractère direct est très critiqué en doctrine, la plupart des auteurs se référant au seul intérêt personnel. Pour certains, il s’agit d’une exigence requise du préjudice et non de l’intérêt (L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 2009, n° 361) ; pour d’autres, cette condition se trouve intégralement absorbée par la notion d’intérêt personnel (S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, Dalloz, 2010, n° 139, “être directement intéressé, c’est subir personnellement la lésion ou profiter personnellement de l’avantage”).

26 L’intérêt n’est pas considéré comme légitime lorsqu’il n’est pas juridiquement protégé. Par exemple, à l’occasion de l’arrêt dit Perruche (AP, 17 octobre 2000), la Cour de cassation avait reconnu l’intérêt légitime de l’enfant né handicapé, à la suite de fautes d’un médecin et d’un laboratoire ayant conduit sa mère à ne pas faire le choix d’un IVG, à demander réparation du préjudice consistant dans ce handicap. Le législateur a ensuite invalidé cette solution par la loi du 4 mars 2002. En faisant cesser la reconnaissance juridique attachée à l’intérêt de l’enfant né handicapé, la loi a ôté à cet intérêt tout caractère de légitimité.

L’intérêt poursuivi par l’association, lorsqu’elle cherche à agir en réparation du dommage qu’elle a subi, remplit ainsi toutes les conditions requises par la loi et suffit à rendre son action recevable car l’article 31 du CPC, en l'autorisant à agir, lui confère automatiquement qualité.

En conclusion, l’action en réparation de l’association « Met du sel dans ta vie » intentée en vue d’obtenir réparation du dommage dont elle a été victime du fait de la médiocrité des prestations fournies par la SARL « Macramé and friends » sera jugée recevable par les tribunaux.

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Le deuxième problème de droit concerne la recevabilité de l’action d’une association en réparation du préjudice subi par ses membres. Il s’agit donc de déterminer quelles sont les conditions de recevabilité de l’action d’une association en réparation du préjudice causé à ses membres.

En principe, l’article 31 du CPC subordonne la recevabilité de l’action d’un justiciable à la démonstration d’un intérêt né et actuel, personnel et direct, ainsi que légitime ou, à défaut, à l’attribution expresse par le législateur d’une qualité à agir.

En l’espèce, l’intérêt poursuivi par l’association ne lui est pas personnel car son action a vocation à indemniser les participants à la manifestation qu’elle a organisé, l’avantage éventuellement procuré profitera donc aux membres de l’association et non à la personne morale elle-même. L’action en réparation est intentée dans l’intérêt d’autrui.

En outre, aucun texte spécial n’autorise les groupements a agir en réparation du préjudice subi par leurs membres : l’association n’est dotée d’aucune qualité.

Il semble donc que l’action soit irrecevable. Néanmoins, la jurisprudence dite « ligue de défense » (Cass. 1ère civ., 27 mai 1975) est venue admettre la possibilité pour un groupement de demander en justice la réparation d’un préjudice causé aux intérêts de ses membres (intérêt dénommé par l’expression : intérêt collectif des membres de l’association, Cass. 3ème civ., 4 novembre 2004) lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : il faut que les personnes ayant subi le dommage soient effectivement membres de la personne morale (Cass. com. 19 janvier 1999) et que les statuts prévoient expressément cette possibilité (Cass. 3ème civ., 10 octobre 1978).

Or, en l’espèce, les participants à la manifestation sont tous membres de l’association qui l’a organisée et les statuts prévoient bien la faculté de l’association d’agir en réparation du préjudice subi par ses membres.

Pour conclure, il semble donc que l’association serait recevable à agir pour obtenir réparation du préjudice subi par ses membres.

Le troisième problème de droit porte sur la recevabilité de l’action d’une association en réparation du préjudice causé à son intérêt collectif. Il s’agit de s’interroger sur le point de savoir quelles sont les conditions de recevabilité de l’action d’une association en réparation du préjudice causé à son intérêt collectif.

En principe, l’article 31 du CPC subordonne la recevabilité de l’action d’un justiciable à la démonstration d’un intérêt né et actuel, personnel et direct, ainsi que légitime ou, à défaut, à l’attribution expresse par le législateur d’une qualité à agir.

En l’espèce, l’association poursuit un intérêt collectif qui n’est pas direct. En effet, elle cherche à agir pour voir indemniser l’atteinte portée à l’image de la pâte à sel. Le résultat de l’action a donc vocation à profiter à toutes les personnes qui pratiquent cette activité, et non directement à l’association en tant que personne morale. C’est donc l’intérêt collectif des « amoureux de la pâte à sel » qui est poursuivi. Par ailleurs, l’association ne justifie d’aucune habilitation législative à agir.

Toutefois, la Cour de cassation est venue assouplir les conditions de recevabilité des actions collectives des associations en leur reconnaissant la faculté d’agir, hors habilitation législative, au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social (Cass. 2ème civ., 27 mai 2004 ; Cass. 2ème civ., 5 octobre 2006). Une association peut donc être déclarée recevable à agir dans un intérêt collectif même si aucun texte ne lui attribue qualité, à condition que cet intérêt corresponde à son objet, c’est-à-dire à la raison pour laquelle elle a été constituée.

Or, l’association en cause a pour objet de « développer la pratique de la pâte à sel sous toutes ses formes et de défendre les intérêts des amoureux de la pâte à sel, notamment, en communiquant sur la question, en organisant

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des manifestations et des actions de promotion de la confection d’objets en pâte à sel ». Le fait de porter atteinte à l’image de la pâte à sel est source d’une mauvaise publicité, on peut donc estimer qu’il s’agit d’un fait contraire à la promotion de cette activité, ce qui est l’une des raisons pour laquelle l'association a été constituée de l’association. Il faut donc considérer que l’intérêt collectif poursuivi entre bien dans l’objet de l’association et suffit à rendre l’action recevable, sans qu’aucune autre condition ne soit requise27. De plus, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 18 septembre 2008 que cette règle s’applique à l’action en réparation du dommage causé à un intérêt collectif (il s’agissant de l’intérêt collectif des malades atteints de myopathie).

Pour conclure, on peut affirmer que l’action de l’association en réparation de l’atteinte causée à l’intérêt collectif qu’elle représente est recevable.

2/ La difficulté juridique consiste à déterminer si l’absence de pouvoir conféré au président de l’association pour agir au nom et pour le compte de cette dernière est susceptible d’avoir un impact sur la recevabilité des actions que l’association projette d’intenter.

L’article 31 du CPC pose, a priori, deux conditions à l’existence du droit d’agir : l’intérêt et la qualité à agir. Le pouvoir, c’est-à-dire la faculté d’exercer l’action au nom et pour le compte de son titulaire, ne constitue donc pas une condition de recevabilité de l’action, mais simplement une condition de régularité de la demande (art. 117 du CPC).

En l’espèce, l’absence de prévision par les statuts de l'association de la possibilité pour son représentant d’agir en son nom et pour son compte s’analyse donc en un défaut de pouvoir, le président ne se voyant pas conférer de mandat pour mettre en œuvre les actions sus envisagées. Cette situation doit rester sans incidence sur la recevabilité de l’action de l’association elle-même, qui existe indépendamment de la personne habilitée à l’exercer et pourra être mise en œuvre par un représentant valablement désigné (Cass. 1ère civ., 19 novembre 2002 ; Cass. soc, 16 janvier 2008).

Pour conclure, il convient d’indiquer à M. Mako que le défaut de prévision statutaire lui donnant mandat d’agir pour le compte de l’association « Met du sel dans ta vie » n’a pas d’impact sur la recevabilité des actions envisagées. Il faudra toutefois pour lui permettre d’exercer valablement ces actions, soit une modification préalable des statuts, soit qu’une délibération de l’association lui octroie un mandat spécial.

3/ Le problème de droit suppose de déterminer si un tiers au litige est recevable à intervenir à l’instance pour soutenir les prétentions d’une parte.

Selon l’article 66 du CPC, la demande incidente dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires s’analyse en une intervention. L’article 327 du CPC distingue l’intervention volontaire de l’intervention forcée, selon que le tiers prend ou non l’initiative de se joindre à l’instance. L’intervention volontaire peut être principale, lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme, ou accessoire, lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie (art. 328 à 330 du CPC).

En l’espèce, il n’est pas question pour l’association tierce, qui n’a aucun intérêt au litige opposant les parties, de former une prétention à l’encontre du défendeur, mais de se joindre à l’instance pour produire des éléments destinées à soutenir les prétentions du demandeur. Par conséquent, il s’agit de former une intervention volontaire accessoire.

L’article 330 du CPC subordonne la recevabilité de l’intervention accessoire à la démonstration par son auteur d’un intérêt à soutenir une partie pour la conservation de ses droits. Par ailleurs, puisque l’intervenant ne peut se prévaloir d’aucun droit propre, la Cour de cassation estime que la recevabilité de l’intervention accessoire dépend de la recevabilité de la demande principale (Cass. soc. 9 octobre 1986).

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27 Cass. 2ème civ., 18 septembre 2008 : la Cour de cassation a décidé que le fait que les statuts ne prévoient pas la possibilité d’emprunter les voies judiciaire n’est pas une condition de recevabilité de l’action dans l’intérêt collectif.

En l’espèce, il convient de s’interroger sur l’éventuel intérêt de l’association tierce à intervenir à l’instance, étant précisé que l’article 330 al. 2 du CPC impose que l’intervention soit de nature à conserver les droits de l’intervenant. On peut observer que le succès des actions intentées par le demandeur principal, l’une dans son intérêt personnel, l’autre dans l’intérêt de ses membres, resterait sans incidence sur la situation juridique de l’association intervenante. Aussi, la seule prétention que cette dernière pourrait éventuellement avoir intérêt à appuyer est celle qui vise à défendre l’intérêt collectif de l’association demanderesse. Si la caractérisation de l’intérêt de l’intervenant accessoire relève, certes, de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 3ème civ., 31 octobre 1989) ; il apparait difficile de justifier en quoi les droits du tiers serait conservés par l’intervention, sauf à considérer que la présence du défendeur sur le marché est susceptible de nuire à toutes les associations susceptibles de faire appel à ses services.

Pour conclure, l’association « Le bonheur ne tient qu’à une perle » doit être informée qu’elle peut tenter d’intervenir à l’instance accessoire à l’action intentée par l’association « Met du sel dans ta vie » en défense de son intérêt collectif, dont la recevabilité a été démontrée. Elle acquerra la qualité de partie et pourra produire des pièces afin de soutenir la demande principale. Toutefois, il n’est pas certain que son intérêt soit jugé suffisant, dans la mesure où le rapport avec la conservation de ses droits n’apparait pas évident.

Cas n° 3 : Le demandeur s’est manifestement installé sur un terrain dont il n’est pas propriétaire. Le problème qui se pose est donc de savoir si le possesseur d’un bien peut exercer une action en justice pour obtenir la protection de son droit.

En principe, l’article 1264 du Code de procédure civile protège le simple fait d’être possesseur. Cette action possessoire est subordonnée à la réunion de deux conditions de fond.

Il faut, en premier lieu que les conditions de la possession soient satisfaites. Cette dernière doit être :

-  Paisible (l’art. 1264 CPC se réfère expressément : « à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement »), ce qui exclut de la protection possessoire les situations de fait nées de la violence ou se maintenues par la violence. En l’espèce, il est précisé que les lieux sont occupés tranquillement.

-  Publique, l’immeuble doit être occupé au vu et au su de tous (Cass. 3eme civ., 15 février 1968), ce qui est manifestement le cas ici car le voisinage est informé de la présence du possesseur.

-  Continue, la possession doit avoir duré au moins un an (art. 1264 in limine du CPC) : il faut que la situation de fait ait une certaine durée pour que sa légitimité puisse être présumée28. Cette exigence est ici remplie car il est précisé que le demandeur se rend régulièrement sur les lieux depuis plusieurs années.

-  Non équivoque, ce qui signifie que la possession ne doit pas être juridiquement contestée (en matière d’action possessoire la possession est assimilée à la détention : Cass. 3eme civ., 24 janvier 1984). En l’espèce, les occupants n’ont pas été inquiétés avant le 6 juillet 2012. On peut donc affirmer que le demandeur est en mesure de justifier de sa qualité de possesseur du terrain. En second lieu, le possesseur doit être victime d’un trouble, soit de fait (ex : un empiétement) soit de droit (ex : une sommation faite au possesseur d’avoir à payer des loyers). La protection possessoire suppose un trouble possessoire, c’est-à-dire un fait ou un acte manifestant la volonté d’un tiers d’exercer sur l’immeuble un droit incompatible avec la situation dont se prévaut le possesseur ou le détenteur. En l’espèce, le possesseur ne peut, à la date à laquelle il envisage d’agir, faire état d’aucun trouble, car le complexe immobilier n’est pas encore construit. On peut donc penser qu’en l’absence d’intérêt né

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et actuel (art. 31 CPC), il est irrecevable à agir. Cependant, en matière possessoire, il existe une action préventive, la dénonciation de nouvel œuvre, qui peut être exercée en l’absence de trouble réalisé, dès l’instant qu’il existe

une menace (Req. 4 février 1856 ; Cass. 3ème civ., 10 juin 1971 : la solution est traditionnelle et constante). 28

Notez cependant que cette condition n’est exigée qu’en ce qui concerne la complainte et la dénonciation de nouvel œuvre. Elle est, en effet, abandonnée lorsque le possesseur ou le détenteur est dépossédé par une voie de fait : peu importe alors que la situation de fait ait les apparences de la légitimité, l’illégitimité du trouble l’emporte et impose une protection immédiate. L’action en réintégrande peut donc être exercée contre l’auteur de la voie de fait alors même que la victime de la dépossession possédait ou détenait depuis moins d’un an (art. 1264 in fine du CPC).

Pour conclure, il convient de recommander au Dr. Moune d’intenter une dénonciation de nouvel œuvre, qui constitue la seule voie de droit à sa disposition dès lors qu’aucune atteinte n’a encore été effectivement portée à sa possession.

Reste à s’interroger sur les règles de procédure applicables à une telle action. Comme toutes les questions relatives à la détermination de la procédure à suivre celle-ci suppose que l’on s’interroge d’abord sur les règles de compétence d’attribution puis sur les règles de compétence territoriale.

En ce qui concerne la compétence matérielle, les actions possessoires doivent être portées devant le TGI, qui jouit en la matière d’une compétence exclusive prévue à l’article R. 211-4 du COJ.

En ce qui concerne la compétence territoriale, il convient de se référer à l’article 44 du CPC, selon lequel pour les actions immobilières le tribunal compétence est celui de situation de l’immeuble.

Enfin, il faut informer le demandeur que l’exigence d’agir dans l’année du trouble ne peut trouver à s’appliquer car, s’agissant d’une dénonciation de nouvel œuvre, le trouble n’est, par hypothèse, pas encore réalisé.

Le second problème de droit suppose de déterminer si le défendeur assigné au possessoire peut invoquer en défense un droit de propriété.

En principe, l’article 1265 du CPC prévoit que «la protection possessoire et le fond du droit ne sont jamais cumulés ». Cette règle, dite du non cumul du possessoire et du pétitoire, signifie que le possessoire et le pétitoire ne peuvent être joints dans la même demande, s’instruire dans la même instance et se décider dans le même jugement. La possession doit être protégée en elle-même de la propriété. L’alinéa 2 de ce texte prévoit toutefois que le juge saisi du possessoire peut examiner les titres mais uniquement pour vérifier si les conditions de la possession sont réunies.

En l’espèce, le défendeur entend invoquer son titre pour démontrer son droit de propriété sur le terrain litigieux, ce qui relève du pétitoire (V. Cass. 3eme civ., 4 mars 2009 : Le juge du possessoire ne peut faire dépendre le sort de l'action portée devant lui d'une décision devant intervenir au pétitoire).

En conclusion, la société Bouig ne peut utiliser son titre de propriété dans le cadre de la dénonciation de nouvel œuvre intentée à son encontre (elle le pourrait uniquement pour tenter de démontrer que le Dr. Moune ne remplit pas les conditions de la possession). Si la société Bouig persiste dans sa volonté de faire valoir son titre de propriété, il faudra, au préalable qu’elle mette fin au trouble dont souffre le Dr. Moune. En effet, l’article 1267 du CPC dispose que le défendeur au possessoire ne peut agir au pétitoire qu’après avoir mis fin au trouble. Il faut donc que la société renonce à son projet si elle désire faire reconnaître son droit de propriété sur le terrain occupé par le Dr. Moune.

Le troisième problème de droit concerne la date d’appréciation de la recevabilité de l’action en justice. Plus

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précisément, il s’agit de savoir si la date à prendre en considération pour apprécier la recevabilité de l’action est celle de l’introduction de la demande ou celle à laquelle le juge statue.

L’article 31 du Code de procédure civile pose le principe de l’action dite banale selon lequel dès lors que les plaideurs justifient d’un intérêt né et actuel, personnel et direct, ainsi que juridique et légitime, la loi leur attribue automatiquement qualité, ce qui suffit à caractériser la recevabilité de leurs actions.

En l’espèce, on pourrait soutenir qu’à partir du moment où le terrain est vendu, le demandeur ayant agi au possessoire n’a plus d’intérêt né et actuel à obtenir la libération de l’accès à un endroit qu’il n’occupe plus.

Toutefois, ce serait oublier que la question de la recevabilité de l’action, conçue comme la possibilité d’être entendu par un juge sur ses prétentions, est un préalable à l’examen de son bien-fondé. C’est pourquoi la jurisprudence décide de façon constante que « l’intérêt au succès ou au rejet d’une prétention s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice » (Cass. 2ème civ., 13 février 2003). Cette solution a été récemment rappelée en cas de vente d’une parcelle en cours de procédure par un arrêt de la troisième Chambre civile en date du 8 décembre 2010. On ne peut donc faire dépendre l’appréciation de la recevabilité de l’action de circonstances postérieures l’ayant rendue sans objet (Cass. 2ème civ., 13 juillet 2006). Or, c’est précisément la question soulevée ici, dès lors que la vente du terrain est envisagée après que l’action possessoire a été intentée.

Pour conclure, il faut expliquer à M. Moune que le fait de vendre son terrain après avoir saisi la justice d’une dénonciation de nouvel œuvre, n’aura pas pour effet de rendre cette dernière irrecevable et de mettre ainsi un terme au procès. Le fait qu’il ne soit plus possesseur du terrain sera donc apprécié par le juge dans le cadre de l’examen du bien- fondé de sa prétention.

CAS PRATIQUE 2   :

Cas n°1 : Pour répondre aux interrogations de la société demanderesse relatives au risque que le TGI saisi se déclare incompétent, il est indispensable, au préalable, de déterminer la juridiction compétente. En effet, s’il s’avère que le TGI de Paris se trouve compétent pour statuer, la question de son incompétence n’a plus lieu d’être.

Le premier problème de droit porte ainsi sur les conditions de validité des clauses attributives de compétence d’attribution et territoriale. Plus particulièrement, il s’agit de savoir dans quelles mesures deux commerçants peuvent insérer dans leur contrat une clause attributive de compétence au profit du TGI de Paris (En effet, si la prorogation conventionnelle de compétence matérielle et territoriale est régulière, la juridiction appropriée a été saisie et il n’y a plus aucune raison de s’interroger sur l’éventuelle incompétence).

Dans la mesure où le régime des clauses attributives diffère pour la compétence d’attribution et territoriale, nous les envisagerons successivement.

Sur l’attribution de compétence matérielle (rationae materiae) : L’article 6 du Code civil répute non-écrites les conventions contraires à l’ordre public, ce qui implique, a contrario, leur validité dans les matières dans lesquelles les parties ont la libre disposition de leurs droits. Or, lorsqu’une règle de compétence est exclusive, elle désigne une seule juridiction, ce qui suppose que les parties soient tenues de lui confier le règlement de leur litige sans pouvoir y déroger par convention. En conséquence, une règle de compétence exclusive revêt nécessairement un caractère d’ordre public qui peut être de direction, auquel cas la clause y dérogeant est nulle (sur le fondement de l’article 6 du Code civil) ou de protection, la clause est alors inopposable à la partie protégée qui dispose de la faculté de renoncer à s’en prévaloir (Cass. com. 11 juin 1997). Enfin, l’article L. 721-3 du Code

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de commerce attribue au tribunal de commerce une compétence matérielle exclusive pour connaître des différends opposant les sociétés commerciales.

En l’espèce, le litige oppose une société anonyme (SA) et une société à responsabilité limitée (SARL) qui sont des sociétés commerciales (art. L 210-1 C. com.). La clause attributive de compétence matérielle au TGI a donc été conclue en violation de la compétence exclusive du tribunal de commerce. Dans la mesure où les deux parties sont commerçantes, la règle de compétence n’a pas pour fonction de protéger la partie faible. Elle relève donc d’un ordre public de direction. C’est pourquoi, la clause se trouve, dans son aspect matériel, entachée d’une cause de nullité absolue.

Par conséquent, la clause attributive de compétence au TGI, qui déroge à une règle de compétence exclusive, est nulle.

Sur l’attribution de compétence territoriale (rationae loci) : l’article 48 du CPC répute non écrite les clauses attributives de compétence territoriale, à moins qu’elles ne soient conclues par des parties intervenant toutes en qualité de commerçant et qu’elles soient spécifiées de manière très apparente dans le contrat.

En l’espèce, il est précisé que la clause attributive de compétence aux juridictions parisiennes est écrite en petits caractères. Elle n’est donc pas mentionnée de manière apparente.

Il faut donc conclure que la stipulation comportant attribution de compétence territoriale doit être considérée comme réputée non écrite.

La clause attributive de compétence matérielle et territoriale n’étant pas valable, le tribunal auquel le litige doit être soumis doit être déterminé par application du régime légal. Le problème est donc de savoir quelle est la juridiction compétente pour connaître d’un litige qui oppose deux sociétés commerciales. Pour répondre à cette question, il convient, dans un premier temps, de s’intéresser aux règles de compétence d’attribution, avant de s’intéresser aux règles de compétence territoriale.

En ce qui concerne la compétence matérielle (d’attribution) : Il a déjà été indiqué que l’article L. 721-3 du Code de commerce dispose que les contestations relatives sociétés commerciales doivent être portées devant le tribunal de commerce.En l’espèce, la demande en paiement est formée par une SARL à l’encontre d’une SA et relève donc de la compétence exclusive de la juridiction commerciale, quel que soit son montant.

En ce qui concerne la compétence territoriale, l’article 42 du CPC prévoit que, sauf dispositions contraires, la demande doit être formée devant la juridiction du lieu du domicile du défendeur. Toutefois, si le litige concerne un contrat de vente, l’article 46 du CPC ouvre au demandeur une option en lui permettant de s’adresser soit à la juridiction du lieu du domicile du défendeur, soit à celle du lieu de livraison effective de la chose, soit à celle du lieu d’exécution de la prestation de service.

En l’espèce, le litige concerne une vente. La société défenderesse est établie à Paris et les biens vendus ont été livrés à Toulouse, conformément aux stipulations du contrat. Le demandeur pouvait donc, au titre de l’option de l’article 46 du CPC, choisir de saisir une juridiction parisienne (lieu du domicile du défendeur) ou toulousaine (lieu de livraison effective de la chose).

Pour conclure, la société « Big and Nice » a saisi une juridiction territorialement compétente. Cependant, ce choix n’est pas très judicieux, dans la mesure où son siège est situé à Toulouse. Il était dans son intérêt de délivrer l’assignation devant une juridiction locale, afin d’éviter les frais et les complications occasionnés par la tenue du procès à Paris.

En définitive, les inquiétudes de Mme Anthony sont fondées. Dès lors que la société « Big and Nice » a saisi une

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juridiction incompétente matériellement et qu’elle aurait pu agir à proximité du lieu où elle est établie. Elle aurait donc dû s’adresser au Tribunal de Commerce de Toulouse.

Cependant, cette situation risque de ne pas trouver de sanction si l’analyse de son conseil est exacte et que le TGI de Paris n’est plus en mesure de se déclarer incompétent. Il existe deux mécanismes de déclenchement de la vérification de la compétence par la juridiction saisie : l’exception d’incompétence, à l’initiative des parties, et le relevé d’office de son incompétence par le juge. Par conséquent, l’analyse proposée par le conseil de la demanderesse se révèlera exacte si, d’une part, aucune exception de procédure ne peut plus être soulevée et, d’autre part, le juge ne peut pas se déclarer d’office incompétent.

Le deuxième problème de droit porte alors sur le point de savoir si le défendeur est recevable à critiquer la compétence du TGI par le biais d’une exception d’incompétence. Il s’agit donc de déterminer les conditions de recevabilité d’une exception d’incompétence.

Aux termes de l’article 74 du CPC, les exceptions de procédure, parmi lesquelles figurent les exceptions d’incompétence (art. 75 s. du CPC), doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. L’article 72 du CPC définit la défense au fond comme le moyen qui tend à faire rejeter, comme infondées, les prétentions adverses.

En l’espèce, le défendeur a d’ores et déjà déposé des conclusions dans lesquelles il soutient que le matériel est conforme aux prévisions du contrat. Cet argument, qui porte sur le fond du droit, tend à obtenir le débouté de la société demanderesse et constitue donc une défense au fond.

Par conséquent, la SA Electroloose n’est plus recevable à exciper de l’incompétence du TGI de Paris, dans la mesure où elle a déjà opposé une défense au fond14.

14 Attention, la solution qui est ici donnée vaut dans la mesure où la procédure applicable devant le TGI revêt un caractère écrit, car dans ce cas le tribunal connait des écritures des parties au moment où elles sont déposées devant lui. En revanche, lorsque la procédure est orale (TI, J. prox., T.

Le troisième problème de droit implique de préciser si le TGI peut relever d’office son incompétence matérielle. Plus juridiquement, il s’agit donc de déterminer quelles sont les conditions dans lesquelles un juge peut relever d’office son incompétence d’attribution.

L’article 92 du CPC offre à une juridiction la faculté de relever d’office son incompétence matérielle lorsque la règle de compétence non respectée est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparait pas.

En l’espèce, le défendeur a comparu, car il a constitué avocat et déposé des conclusions en défense. Aussi, le TGI ne pourra relever d’office son incompétence qu’à condition que la règle attribuant compétence au Tribunal de commerce pour connaître de l’affaire ait un caractère d’ordre public. Il a été exposé qu’une règle de compétence constitue une règle d’ordre public à partir du moment où elle est exclusive, car ceci suppose l’impossibilité d’y déroger conventionnellement. Or, l’attribution de compétence matérielle prévue par l’article L. 721-3 du Code de commerce est opérée au seul profit du Tribunal de commerce (« les tribunaux de commerce connaissent »). Il faut donc admettre qu’il s’agit d’une règle de compétence exclusive dotée d’un caractère d’ordre public15. C’est pourquoi, le fait de porter un litige relatif à deux sociétés commerciales devant un autre juge que le tribunal de commerce, au mépris de l’attribution de compétence exclusive dont il bénéficie en la matière, autorise la juridiction saisie à se déclarer d’office incompétente.

En conclusion, l’analyse de Maître De Croissans s’avère erronée, dans la mesure où le TGI a toujours, en l’état d’avancement de la procédure, la possibilité de se déclarer d’office incompétent. Il est, en outre, fortement

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probable que le juge fasse usage de cette faculté qui lui permettra de se décharger de l’affaire sans avoir à statuer au fond.

Le quatrième problème de droit est relatif au recours ouvert contre la décision par laquelle le TGI se déclarerait incompétent.

L’article 80 du CPC dispose que la décision, par laquelle le juge se prononce sur sa compétence sans trancher le fond du litige, ne peut être attaquée que par la voie du contredit, même si pour ce faire, le juge a examiné une question de fond dont dépend la compétence.

En l’espèce, s’agissant d’une décision d’incompétence, le TGI n’aura pas tranché le fond du litige. Cependant, il est possible de soutenir qu’en se déclarant d’office incompétent, le tribunal aura nécessairement pris parti sur la nature commerciale des droits en cause. Quoi qu’il en soit, cette question, qui relève du fond du droit, aura été examinée par le TGI dans le seul but de se déclarer incompétent, ce qui ne remet pas en cause l’application de l’article 80 du CPC à l’espèce.

En conclusion, si le TGI de Paris prononçait d’office son incompétence, la société « Big and Nice » devrait critiquer cette décision par le biais d’un contredit, formé devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans les 15 jours du prononcé de la décision, et ce à peine d’irrecevabilité (art. 82 du CPC).

Com., CPH), seules les observations orales des parties présentées à l’audience saisissent valablement le juge. Sur ce fondement, la Cour de cassation reconnaît, devant les juridictions statuant selon une procédure orale, la faculté de soulever une exception d’incompétence (ou toute autre exception de procédure) à l’audience, alors même que des conclusions sur le fond auraient été communiquées antérieurement (Cass. com., 16 octobre 2003), à condition qu’elle soit formulée avant tout autre moyen de défense (Cass. com., 6 juin 2000).

Depuis, l’intervention du décret du 1er octobre 2010, qui a considérablement réformé la procédure orale, cette règle connaît une dérogation importante. En effet, le nouvel article 446-1 du CPC prévoit désormais que, lorsque la loi le permet, les parties peuvent formuler leurs observations par écrit sans avoir à se présenter à l’audience. Dans cette hypothèse, l’article 446-5 du CPC dispose : « La date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties ». Il est donc aujourd’hui possible de se voir déclarer irrecevable à soulever une exception de procédure à l’audience en procédure orale pour avoir antérieurement présenté par écrit une fin de non-recevoir ou une défense au fond.

15 La situation recevrait une solution contraire si le TGI avait été saisi en lieu et place du TI en violation, non pas d’une règle de compétence exclusive, mais des principes applicables à la détermination de la valeur du litige, qui s’analysent en des règles de compétence partagées entre le TGI, le TI et la juridiction de proximité. Ainsi, un TGI saisi d’une demande d’un montant inférieur à 10000€ ne peut pas se déclarer d’office incompétent pour cette seule raison que l’article 41 du CPC autorise la prorogatio de quantitate ad quantitatem, ce qui implique un partage de compétence entre les juridictions de droit commun). Cette analyse ne vaut toutefois qu’en ce qui concerne les conflits de compétence susceptibles de s’élever entre le TGI, d’une part, et le TI ou la juridiction de proximité d’autre part, puisque l’article 847-5 du CPC résout explicitement la difficulté lorsque le conflit intervient entre le TI et la juridiction de proximité (ces juridictions peuvent toujours se déclarer d’office incompétentes l’une au profit de l’autre).

La cour d’appel aurait alors trois possibilités :

-  Soit, confirmer la décision d’incompétence du TGI ; elle devrait alors renvoyer l’affaire à la juridiction qu’elle estime compétente, soit le tribunal de commerce de Paris, soit celui de Toulouse (art. 86 du CPC) ;

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-  Soit, mais c’est peu probable, infirmer la décision d’incompétence du TGI et, en conséquence, lui renvoyer l’affaire pour qu’il tranche au fond (art. 86 du CPC) ;

-  Soit évoquer le fond, car elle est la juridiction d’appel de la juridiction normalement compétente en première instance (art. 89 du CPC). Il ne serait alors pas nécessaire d’inviter les parties à constituer avocat dans la mesure où cette formalité a déjà été accomplie (art. 90 du CPC). La cour trancherait alors définitivement le litige, comme si elle avait été saisie par le biais d’un appel. Le cinquième problème de droit suppose de déterminer quelle est la voie de recours contre une décision d’irrecevabilité. Les articles 78 et 80 du CPC établissent une distinction entre les jugements par lesquels le juge se prononce uniquement sur la compétence, qui ne peuvent être critiquées que par la voie du contredit, et les jugements qui tranchent le fond du droit, à l’encontre desquels il convient d’interjeter appel. En l’espèce, le jugement du TGI de Paris déclarant l’action irrecevable ne statue ni sur la compétence, ni sur le fond du droit. En effet, l’examen de la recevabilité de l’action est indépendant de celui du bien-fondé de la prétention (Cass. 2ème civ., 6 mai 2004) et implique le défaut de pouvoir de juger, qui ne saurait être assimilé à un problème de compétence, qui désigne l’étendue du pouvoir juridictionnel (Cass. 2ème civ., 21 avril 2005 : Cass. 2ème civ., 13 juillet 2006). Dès lors que l’article 80 du CPC réserve le contredit aux décisions rendues sur la compétence, il faut admettre que les jugements rendus sur la recevabilité n’entrent pas dans le champ d’application de ce texte. La Cour de cassation retient ainsi que lorsque le dispositif du jugement se borne à déclarer l’action irrecevable, le juge ne se prononce pas sur la compétence, ce qui a pour conséquence d’exclure la possibilité de former contredit : Cass. 2ème civ., 30 avril 200916. En conséquence, seules les voies de recours de droit commun sont envisageables contre le jugement d’irrecevabilité rendu par le TGI de Paris. Il devient alors nécessaire de qualifier la décision pour déterminer si le juge a statué en premier ou en dernier ressort. Selon l’article R. 211-3 al. 2 du COJ, le TGI statue en dernier ressort lorsqu’il est appelé à statuer sur une demande dont le montant est inférieur ou égal à la somme de 4.000 € en principal. En l’espèce, il convient de retenir la somme de 3.900 € pour évaluer le montant de la demande initiale, dès lors que les sommes sollicités au titre de l’article 700 du CPC constituent des frais irrépétibles, qui ne participent pas à la détermination du principal. Pour conclure, le TGI saisi d’une demande inférieure au taux de ressort de 4.000 € a statué en dernier ressort. Sa décision ne peut donc être attaquée que par un pourvoi en cassation (art. 605 du CPC). Enfin, le sixième et dernier problème de droit suppose de déterminer quelle est la voie de recours à exercer contre un jugement qui statue, en dernier ressort, à la fois sur la compétence et sur le fond du droit. L’article 78 du CPC dispose que lorsque le juge se déclare compétent et statue sur le fond du droit en dernier ressort, sa décision ne peut être attaquée que par la voie de l’appel, qui ne porte alors que sur la question de la compétence. La Cour d’appel n’est alors saisie que du problème de la compétence, sans qu’elle puisse procéder à un nouvel examen du fond du droit (Cass. 2ème civ., 18 novembre 2004). Deux solutions sont alors envisageables. Soit, la Cour d’appel infirme la décision du chef de la compétence, celle-ci se trouve sans valeur (rendue par une juridiction qui n’aurait jamais dû en connaître). La cour d’appel n’a alors d’autre choix que de désigner la juridiction devant laquelle l’affaire pourra être reprise. Soit la cour d’appel confirme la décision du chef de la compétence (la décision de première instance se trouve validée) et les parties n’ont plus d’autres recours que de

former un pourvoi en cassation. 16 La solution est identique lorsque le juge annule des conclusions dans lesquelles le défendeur soulève une exception d’incompétence. Cette décision, qui ne porte pas sur la compétence, doit être attaquée par un appel, lorsque les conditions en sont par ailleurs réunies (Cass. 1ère civ., 24 janvier 2008

En l’espèce, la demande initiale s’élevant à une somme inférieure au taux de ressort, le TGI a statué en dernier ressort. Sa décision ne peut donc être critiquée que par un appel limité à la seule question de la compétence (le pourvoi en cassation est alors irrecevable : Cass. 2ème civ., 27 mai 1988).

En définitive, la SA Electroloose devra interjeter appel en critiquant uniquement la partie du jugement relative à la compétence. Il y a de fortes chances pour que la Cour d’appel infirme la décision de première instance du chef de la compétence. Les parties n’auront d’autres solutions que de reprendre l’instance devant la juridiction compétente.

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Cas n° 2 :Le premier problème de droit suppose de déterminer quelle est la juridiction compétente pour connaître d’un

litige relatif à un bail commercial.

Répondre à cette question suppose d’envisager, dans un premier temps, la compétence d’attribution et, dans un second temps, la compétence territoriale.

Concernant la compétence matérielle : par principe, en application de l’article R. 211-3 du COJ le TGI a une compétence pour connaître de toutes les affaires qui ne relèvent pas de la compétence d’une autre juridiction. On dit qu’il a une compétence virtuelle concernant toutes les affaires personnelles ou mobilières d’un montant supérieur à 10 000 euros qui ne relèvent pas de la compétence d’attribution d’une autre juridiction. Par ailleurs, à coté de sa compétence de principe, l’article R.211-4 du COJ lui attribue compétence exclusive dans certaines matières et notamment, les baux commerciaux (article R. 211-4 11° du COJ) à l’exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail (compétence exclusive du Président du tribunal de grande instance).

En l’espèce, la contestation porte sur le recouvrement des loyers d’un bail commercial, la question relève donc de la compétence exclusive du TGI.

Concernant la compétence territoriale : Par principe, selon l’article 42 du Code de procédure civile, le Tribunal territorialement compétent est celui du lieu de domicile du défendeur. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une contestation relative à un bail commercial, la compétence revient au tribunal dans le ressort duquel se trouve l’immeuble (article R.145-23 du Code de commerce).

Pour conclure, l’action en recouvrement des loyers impayés que souhaite engager la Société Cafédijo devra être portée devant le Tribunal de grande instance de Rouen.

Le deuxième problème de droit consiste à déterminer la juridiction compétente pour connaître d’une demande incidente relative à un bail d’habitation visant à rendre un tiers partie à l’instance principale ?

Répondre à cette question suppose, au préalable, de qualifier la demande.

L’article 63 du Code de procédure civile dresse la liste des demandes incidentes : la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l’intervention. Cette dernière est définie comme la demande visant à rendre un tiers partie à une instance principale (article 66 du CPC). L’intervention est dite volontaire ou forcée, selon que le tiers prend ou non l’initiative de se joindre à l’instance.

En l’espèce, la demande incidente du preneur tendant à attraire dans la cause son sous-locataire s’analyse en une intervention forcée.

En principe, pour pouvoir attraire une partie dans l’instance, il faut nécessairement que le demandeur justifie d’un intérêt à agir (art. 31 du CPC) et qu’il existe un lien suffisant entre la demande principale et la demande incidente (art. 325 du CPC).

En l’espèce, la recevabilité de l’intervention forcée ne pose pas difficulté dans la mesure où le défendeur justifie manifestement d’un intérêt répondant aux exigences de l’article 31 du CPC. En outre, la demande formée sur le fondement du bail d’habitation se rattache à la demande initiale fondée sur le bail commercial dès lors qu’on est en présence d’une sous-location. Il s’ensuit qu’il existe une interdépendance entre la demande principale du bailleur commercial et l’intervention forcée du sous locataire de nature à caractériser un lien suffisant au sens de l’article 325 du CPC. La demande incidente formée par le preneur est donc de toute évidence recevable.

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Reste à déterminer si la juridiction saisie du principal est compétente pour connaître de l’intervention forcée.

L’article 51 du Code de procédure civile confère compétence de principe au Tribunal de grande instance pour connaître de toutes les demandes incidentes à l’exception de celles relevant de la compétence exclusive d’un autre tribunal. Conformément à ces dispositions, la demande incidente ne peut être traitée par le tribunal de grande instance saisi du principal qu’à la condition que la demande incidente n’entre pas dans la compétence exclusive d’une autre juridiction. En d’autres termes, pour que le TGI saisi du principal puisse connaître d’une intervention (ou plus généralement d’une demande incidente), il ne suffit pas qu’elle soit recevable, il faut également que la question soulevée échappe à la compétence exclusive de toute autre juridiction.

Or, l’article R.221-38 du COJ donne compétence exclusive au Tribunal d’instance en matière de contestation relative à un bail à usage d’habitation.

En l’espèce, la contestation incidente porte sur le défaut de paiement de loyers du bail à usage d’habitation. Celle- ci entre dans la compétence exclusive d’une autre juridiction, le Tribunal d’Instance.

Pour conclure, si le preneur cherche à faire intervenir le sous-locataire à l’instance pendante devant le TGI, cette demande serait portée devant une juridiction incompétente. En conséquence, le défendeur à l’intervention forcée disposerait d’un moyen de contester la compétence du Tribunal devant lequel il serait forcé d’intervenir.

Le troisième problème de droit suppose de déterminer le moyen par lequel l’intervenant peut opposer l’incompétence du TGI pour statuer sur son intervention ?

L’article 73 du Code de procédure civile définit l’exception de procédure comme tout moyen tendant à faire déclarer la procédure irrégulière. Parmi les exceptions de procédure, l’exception tendant à soulever l’incompétence d’un tribunal s’analyse en une exception d’incompétence envisagée à l’article 75 du Code de procédure civile. Celle-ci doit être invoquée in limine litis c’est-à-dire avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (art. 74 du CPC).

En l’espèce, dans l’hypothèse où l’intervention forcée serait formée devant le Tribunal de grande instance, l’intervenant aurait la possibilité d’invoquer une exception d’incompétence.

Pour conclure, il convient d’informer Madame Calvalpa que Madame Siroz pourra soulever une exception d’incompétence devant le Tribunal de grande instance de Rouen et que celle-ci a toutes les chances d’aboutir. Le TGI devra donc renvoyer le litige relatif à l’exécution du bail à usage d’habitation devant le Tribunal d’instance (art. 96 al. 2 du CPC).

Si tel était le cas, le preneur aurait alors la faculté de répliquer en opposant, dans le cadre de l’instance désormais pendante devant le Tribunal d’instance, une exception tendant à la joindre à celle pendante devant le Tribunal de Grande instance.

L’article 101 du Code de procédure civile prévoit la possibilité pour un plaideur de solliciter d’une juridiction qu’elle se dessaisisse au profit d’une autre s’il existe entre deux affaires portées devant ces deux juridictions distinctes un lien d’indivisibilité tel qu’il serait d’une bonne administration de la justice qu’elles soient jugées ensemble.

En l’espèce, le contrat de bail à usage d’habitation a été conclu par le bailleur pour faciliter le paiement des loyers relatifs à son bail commercial pour lequel il est preneur. En conséquence, la demande relative à l’un présente un lien d’indivisibilité et de connexité évident avec l’autre de sorte qu’il est possible de soutenir qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les faire juger ensemble. S’il est vrai que l’appréciation de la connexité relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. soc. 13 octobre 1988), on peut toutefois penser que l’exception

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de connexité tendant à joindre les deux affaires a des chances d’aboutir17.

Pour conclure, selon qu’il retiendra ou non la connexité, le Tribunal d’Instance pourra, soit à se dessaisir au profit du TGI, soit statuer sur le fond.

Le quatrième problème de droit porte sur la compétence de la juridiction susceptible de connaître d’une demande reconventionnelle en paiement fondée sur un contrat de travail. (Ce problème de droit se pose que le litige soit tranché par le TGI, ou que l’instance relative au bail à usage d’habitation reste inscrite au rôle du TI)

Par principe, selon l’article 64 du Code de procédure civile, la demande par laquelle le défendeur prétend obtenir un avantage autre que le rejet de la prétention adverse s’analyse en une demande incidente et plus précisément en une demande reconventionnelle. Celle-ci n’est recevable que si elle présente un lien suffisant avec les prétentions originaires, à moins qu’il ne s’agisse d’une demande en compensation (article 70 al. 1er et 2 du CPC).

En l’espèce, la demande s’analyse en une demande reconventionnelle par laquelle le sous-locataire demandera compensation entre les sommes dont il est débiteur (loyers du bail à usage d’habitation) et créancier (salaires lié au contrat de travail) de sorte qu’aucun lien suffisant n’aura besoin d’être caractérisé.

Cependant, si la recevabilité de cette demande reconventionnelle ne fait aucun doute, encore faut-il qu’elle relève de la compétence du Tribunal de grande instance (ou du Tribunal d’instance).

Par principe, l’article 51 du Code de procédure civile donne compétence au TGI pour connaître de toutes les demandes incidentes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction. L’article 1421-1 du Code du travail donne compétence exclusive au Conseil des prud’hommes pour connaître de tous les litiges relatifs à l’exécution d’un contrat de travail.

En l’espèce, la demande reconventionnelle en paiement fondée sur un contrat de travail relève de la compétence exclusive du Conseil des prud’hommes. Ainsi, cette demande ne peut être soulevée devant une autre juridiction. Dès lors, si cette demande reconventionnelle en compensation était formée, le preneur (et employeur) disposerait de la possibilité d’invoquer une exception d’incompétence.

Pour conclure, la demande en paiement des arriérés de salaire ne pourra être formée que devant le Conseil des Prud’hommes à titre principal et non à titre reconventionnel devant le TGI (ou le TI). Il faudrait alors que le preneur oppose une exception d’incompétence (art. 75 du CPC). On peut noter qu’ici, le sous-locataire ne pourrait pas tenter de faire valoir une éventuelle connexité afin que les demandes soient tranchées par le même juge, dans la mesure où il est acquis en jurisprudence que la compétence du conseil des prud’hommes revêt un caractère exclusif qui s’oppose à ce qu’elle soit tenue en échec pour cause de connexité (Cass. 2ème civ., 12 octobre 1978).

Cas n°3 :

Quel est le tribunal compétent pour connaître de diverses demandes en réparation formée par plusieurs demandeurs contre plusieurs défendeurs à l’occasion d’un même litige de nature délictuelle ?

Répondre à cette question suppose d’examiner la compétence matérielle avant de se pencher sur la compétence territoriale.

17 Il est vrai que les baux d’habitation relèvent de la compétence exclusive du TI, de sorte que l’on peut penser que la connexité ne trouve pas à s’appliquer, puisqu’elle aboutirait à confier au TGI la connaissance d’une affaire relevant de la compétence exclusive du TI. Toutefois, une telle dérogation est admise en matière de sous-location (comme en l’espèce) sur le fondement du principe d’indivisibilité du bail commercial (Civ. 3ème, 2 mai 2007).

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Sur la compétence matérielle : En application de l’article L. 211-4 du COJ, seuls sont compétents les tribunaux de l’ordre judiciaire pour connaître des actions en responsabilité tendant à la réparation des dommages causés par un accident de la circulation (v. Loi du 31 décembre 1957). A défaut de texte spécial, le litige relève de la compétence générale des juridictions civiles (TGI, TI et juge de proximité) en fonction du montant de la demande18 (V. art. L. 211-3, L. 221-4 et L. 231-3 du COJ).

Pour savoir quelle est la juridiction compétente il faut donc déterminer le montant de la demande. En présence de prétentions émises par plusieurs demandeurs ou contre plusieurs défendeurs, l’article 36 du CPC dispose que lors les demandes sont formées en vertu d’un titre commun, la communauté de titre crée une interdépendance des différentes demandes de telle sorte que la compétence et le taux de ressort doivent être déterminés, pour l’ensemble des prétentions, par la plus élevée d’entre elles. En effet, l’article 35 du CPC qui autorise à additionner les prétentions ne s’applique, selon sa lettre, qu’aux cas dans lesquels elles sont émises par un demandeur unique à l’encontre d’un même adversaire.

En l’espèce, il importe donc de savoir si les demandeurs ou les défendeurs peuvent ou non se prévaloir d’un titre commun. Cette expression est entendue restrictivement par la Cour de cassation qui estime que les demandes en réparation fondées sur un même délit ne relèvent pas d’un titre commun : Cass. 2ème civ., 29 avril 1997 (le titre commun s’entend d’un acte juridique et non d’un fait juridique, constituant la source du droit litigieux). Or, dès l’instant que le litige intervient en matière d’accident de la circulation, il a une origine délictuelle et ne peut constituer un titre commun.

En outre, il parait impossible de faire application de l’article 35 du CPC qui n’envisage que l’hypothèse d’une pluralité de demandes formulées par un demandeur unique contre le même adversaire. En l’absence de texte applicable chaque demandeur devra donc agir isolément : Cass. 2ème civ., 7 octobre 1982. Le taux de compétence et le taux du ressort sont déterminés, à l’égard de chaque partie, par la valeur de ses prétentions (Cass. 2ème civ.,

5 juin 1991) 19.

Néanmoins, la Cour de cassation interprète l’alinéa 2 de l’article 35 du CPC de façon extrêmement souple et admet son application lorsque plusieurs prétentions sont émises à l’encontre de différents défendeurs par un seul demandeur (Cass. 2ème civ., 4 mars 2004). Il devient alors nécessaire d’additionner les demandes si elles se fondent sur les mêmes faits ou en cas de connexité.

En l’espèce, les prétentions résultent d’un même accident de la circulation et sont donc fondées sur les mêmes faits. Il convient donc d’additionner l’ensemble des prétentions de chaque demandeur pour connaitre le montant à retenir au titre du taux de compétence.

Pour conclure, dans la mesure où les époux Lamoulette ne peuvent se prévaloir d’aucun titre commun, ils devront agir isolément. En revanche, les demandes fondées sur les mêmes faits à l’encontre d’une pluralité de défendeurs pouvant être additionnées, les prétentions de M. Lamoulette, d’un montant total de 10600 €, relèvent de la compétence du TGI et celles de Mme Lamoulette, d’un montant total de 9500 €, doivent être portées devant le TI20.

Sur la compétence territoriale : Le principe est prévu par l’article 42 du CPC, actor sequitur forum rei, selon lequel la juridiction territorialement compétente est celle du lieu du domicile du défendeur. En présence de plusieurs défendeurs, l’alinéa 2 de l’article 42 du CPC ouvre la possibilité au demandeur de choisir la juridiction du lieu ou demeure l’un d’eux.

18 Le montant de la demande est connu par les dernières conclusions. Elle est appréciée en principal et non en capital. Le principal comprend le capital, les fruits et intérêts dus eu moment de la demande. En conséquence, ne

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sont pas compris, les dépens, la somme demandée sur la base de l’article 700 du CPC et les intérêts échus depuis

le jour de la demande.19 Il ne faut pas confondre taux de ressort et taux de compétence. Le taux de ressort est le chiffre fondé sur le montant de l’intérêt litigieux, en deçà duquel la voie de l’appel est fermée. Le taux de compétence est le chiffre fondé sur le montant de l’intérêt litigieux, au-delà duquel une juridiction cesse d’être compétente.

20 Faites bien attention, l’article R. 212-8 du COJ qui prévoit que « le tribunal de grande instance connaît à juge unique des litiges auxquels peuvent donner lieu les accidents de la circulation terrestre » et permet à ce juge de renvoyer une affaire en l’état à la formation collégiale, ne confère pas une compétence exclusive au TGI. Il précise simplement que si le TGI est compétent l’affaire sera jugée à juge unique. D’ailleurs, l’ancien article R. 311-4 du COJ, dont les dispositions ont été supprimées parlaient bien de la compétence « des tribunaux de l’ordre judiciaire ». Cette disposition n’avait vocation qu’à déroger à la compétence des juridictions administratives pour le cas une personne morale de droit public serait impliquée dans un accident de la circulation.

En l’espèce, l’un des défendeurs est domicilié à Nantes, tandis que l’autre habite à Brest. A priori donc le demandeur devrait pouvoir agir devant l’une ou l’autre de ces juridictions.

Toutefois, ce serait oublier que l’article 46 du CPC ouvre en matière délictuelle, une option de compétence : le demandeur est admis à saisir, outre la juridiction du lieu du domicile du défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou du lieu où le dommage a été subi.

En l’espèce, le litige est de nature délictuelle, les demandeurs pourront donc s’adresser à la juridiction du lieu du fait dommageable, soit Bordeaux.

Pour conclure, il convient de ne pas perdre de vue que les époux Lamoulette désirent choisir la solution la plus pratique, ce qui suppose de saisir une juridiction située à proximité de leur domicile, qui est fixé à Rennes. Ils n’ont donc pas intérêt à se prévaloir de l’option de compétence, compte tenu de la distance qui sépare Rennes de Bordeaux. Il est préférable qu’ils s’adressent le juge Nantais qui, géographiquement, se trouve plus proche de leur lieu de résidence.

En définitive, M. Lamoulette portera ses demandes devant le TGI de Nantes et Mme Lamoulette devant le TI de Nantes. On peut ajouter, même si la question n’était pas expressément posée, qu’il y de fortes chances pour que les défendeurs, assignés devant deux juridictions différentes, décident d’invoquer une exception de connexité qui pourra être invoquée en tout état de cause (art. 103 du CPC). Cette exception conduira le TI, dont la compétence est plus restreinte, à se dessaisir au profit du TGI, qui dispose d’une compétence de principe (CA Lyon, 19 février 1975).

[Une question supplémentaire est soulevée. Elle consiste à trouver un moyen d’accélérer la procédure et de simplifier la question de la juridiction compétente. Le problème de droit posée implique de déterminer s’il est possible que l’intégralité des demandes soient confiées à la même juridiction.

Selon l’article 89 du CPC, lorsque la cour d’appel est saisie d’un contredit, elle détient la faculté d’évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive et qu’elle est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente. Par ailleurs, lorsque le juge saisi se déclare incompétent, il ne statue pas, par hypothèse, sur le fond de l’affaire, ce qui implique que cette décision puisse être critiquée par la voie du contredit.

En l’espèce, on peut imaginer que les demandeurs saisissent une juridiction territorialement incompétente, par exemple Rennes. Dans ce cas, les défendeurs ne manqueraient pas, s’ils sont bien conseillés, de soulever une exception d’incompétence (art. 75 du CPC), en indiquant la juridiction qu’ils estiment compétente, c’est-à-dire la

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juridiction de leurs domiciles respectifs. Ce faisant, ils obligeraient le juge rennais à vérifier la régularité de sa saisine et à se déclarer incompétent.

En outre, même si aucune exception d’incompétence n’était soulevée, la juridiction aurait la faculté de se constater d’office son incompétence territoriale, dans la mesure où la règle de compétence violée désigne exclusivement les juridictions de Brest, Nantes ou Bordeaux (art. 93 du CPC).

Si le juge rennais devait se déclarait incompétent, les demandeurs auraient alors la possibilité de critiquer cette décision, dans les 15 jours de son prononcé, par le biais d’un contredit devant la Cour d’appel de Rennes (art. 82 du CPC). Or, dans la mesure où cette juridiction est juridiction d’appel relativement aux juridictions compétentes (Brest ou Nantes), il serait alors possible de lui demander d’évoquer l’affaire et de rendre un arrêt sur le fond. Cette possibilité est laissée à l’appréciation souveraine de la cour, sans que la complexité de l’affaire ne puisse s’y opposer, ni que le consentement des parties ne soit requis (Cass. 2ème civ., 8 juin 1979 ; Cass. 1èreciv., 2 décembre 1975).

Pour conclure, les époux Lamoulette peuvent tenter de déclencher une évocation de la Cour d’appel de Rennes en saisissant sciemment une juridiction territorialement incompétente en première instance. Le stratagème est toutefois risqué car, si la cour d’appel refusait de faire usage de sa faculté d’évocation, le règlement du litige, loin d’être accéléré serait au contraire ralenti par la nécessité de renvoyer l’affaire aux juges de Brest et de Nantes, conformément à l’arrêt de la cour statuant sur le contredit (art. 86 du CPC).]

CAS PRATIQUE 3 : Cas pratiques

Cas n° 1 : La clause litigieuse du contrat de fourniture contient deux dispositions distinctes. D’une part, elle stipule que les parties doivent nécessairement tenter une médiation avant de pouvoir saisir le juge. D’autre part, et dans le cas où la médiation échouerait, la clause prévoit que celles-ci devront porter leur litige devant un arbitre et non devant une juridiction étatique.

Il est ainsi stipulé à la fois une clause de médiation et une clause compromissoire.Le premier problème qui se pose est de savoir quelle est la nature du moyen de défense tiré du non-respect

d’une clause imposant le recours à la médiation préalablement à la saisine du juge ?

Par principe, la qualification du moyen de défense suppose préalablement de déterminer quels sont les effets d’une clause de médiation. Celle-ci consiste à interdire aux parties de saisir le juge sans avoir préalablement eu recours à la médiation. Ceci implique qu’elles n’ont pas le droit d’être entendues par un juge sans avoir respecté cette exigence, elles n’ont pas la possibilité de lui soumettre leurs prétentions. C’est donc leur droit d’action, d’agir qui est aménagé par contrat.

Selon l’article 122 du Code de procédure civile, le moyen de défense qui, sans examen au fond du droit, tend à sanctionner un défaut de droit d’agir est une fin de non-recevoir. Le fait que la clause de médiation préalable ne figure pas dans les dispositions de cet article est sans incidence aucune, la Cour de cassation ayant reconnu que cette liste n’était pas limitative. Les parties peuvent donc créer des fins de non-recevoir d’origine contractuelle : Cass. Ch. mixte 14 fév. 2003.

En l’espèce, la clause stipulée dans le contrat de prêt étant une clause de médiation qui conditionne le droit d’agir des parties en cas de litige survenant quant à l’exécution du contrat, le moyen de défense tiré du non-respect de cette clause est une fin de non-recevoir. C’est d’ailleurs cette solution que le Cour de cassation a retenu dans un

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arrêt du 8 avril 2009.

Pour conclure sur cette question, il convient de préciser à Monsieur Sam SOUNG qu’il est en mesure d’opposer au demandeur l’irrecevabilité de son action pour violation d’une clause de médiation. Cette fin de non-recevoir, conformément aux dispositions de l’article 122 du Code de procédure civile, pourra être invoquée en tout état de cause.

Le deuxième problème qui se pose est de savoir quelle est la nature du moyen de défense tiré du non-respect d’une clause compromissoire ?

La qualification du moyen de défense suppose de déterminer quels sont les effets d’une clause compromissoire (clause par laquelle les parties s’engagent à recourir à l’arbitrage pour les différends qui surgiraient entre elles). A la différence de la clause de médiation, celle-ci n’a aucun impact sur le droit d’action. En effet, dans cette hypothèse, les parties n’ont pas subordonné leur droit d’agir à l’accomplissement d’une formalité, mais ont simplement prévu de l’exercer devant une juridiction arbitrale. L’action n’est donc pas entravée, elle est simplement affectée de modalités différentes. A la différence du conciliateur, l’arbitre est investi d’un pouvoir juridictionnel (il y a un bien un « juge », un tiers, investi du pouvoir de juger).

Par principe, l’article 73 du CPC qualifie d’exception de procédure tout moyen qui tend, soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. Cette exception sanctionne un défaut de régularité de la demande (c’est une condition d’exercice de l’action qui est affectée), et non un défaut d’existence du droit d’agir. Dès lors, il ne s’agirait plus d’une fin de non-recevoir mais d’une simple exception de procédure qui, pour être recevable doit être invoquée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (art. 74 du CPC) : Cass. 2ème civ., 22 nov. 2001.

Pour conclure, Monsieur Sam SOUNG pourra invoquer l’exception de procédure tirée de la violation de la clause de compromissoire.

Le troisième problème de droit consiste à déterminer la nature du moyen de défense tendant à invoquer le défaut de personnalité morale du défendeur ?

Par principe, l’article 122 du Code de procédure civile défini la fin de non recevoir comme le moyen tendant à soulever l’irrecevabilité de la demande pour défaut de droit d’agir du fait, notamment, d’un défaut de qualité ou d’intérêt. L’article 30 du CPC précise que le droit d’agir est, pour le défendeur, le droit de discuter le bien fondé de la prétention émise à son encontre. En d’autres termes, les conditions de recevabilité de l’action sont appréciées tant du côté du demandeur que du défendeur. On parle aussi de qualité à défendre ou de droit d’être « agi ». Les fins de non recevoir peuvent être invoquées en tout état cause (article 123 CPC). Par ailleurs, l’article 125 du CPC prévoit que le juge a la possibilité de relever d’office cette fin de non recevoir.

En l’espèce, la société défenderesse n’ayant jamais été immatriculée, elle est dépourvue de toute personnalité morale de sorte qu’elle ne saurait être titulaire du droit d’agir, entendu comme son aptitude à combattre la prétention de son adversaire. C’est d’ailleurs en ce sens que la Chambre commerciale s’est prononcée dans un arrêt en date du 26 février 2008 (Cass. com. 26 février 2008) en énonçant que la société non immatriculée au jour de l’introduction de l’instance était irrecevable à agir pour défaut de qualité faute pour elle de jouir de la personnalité morale.

Pour conclure, la Société SAM SOUNG pourra soulever elle-même son défaut de qualité à défendre par le biais d’une fin de non recevoir susceptible d’être invoquée à toute hauteur de la procédure. Il faut toutefois noter la possibilité offerte au juge, s’il estime que le moyen a été invoqué trop tardivement, de condamner celui qui l’invoque au versement de dommages intérêts (art. 123 in fine du CPC). La Société SAM SOUNG devra donc invoquer ce moyen de défense rapidement, sauf à être condamnée à des dommages et intérêts pour intention

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dilatoire.

Le quatrième problème de droit suppose de caractériser la recevabilité de demandes contradictoires. Plus précisément, il s’agit de déterminer si une partie peut, en première instance, agir contre une société non immatriculée au RCS dépourvue de personnalité morale, puis soutenir, en cause d’appel, que le recours de cette société est irrecevable puisqu’elle n’est pas dotée de la personnalité morale. Une telle attitude implique une contradiction, car elle revient à considérer qu’après avoir soutenu en première instance que son action était recevable, le demandeur reconnaît, en appel, qu’elle était irrecevable.

L’article 31 du CPC subordonne la recevabilité de l’action à la justification d’un intérêt à agir. Cette exigence sert de fondement à la Cour de cassation pour sanctionner les demandes contradictoires, dès lors qu’en principe, elles ne peuvent simultanément procurer un avantage. Ainsi, un plaideur ayant agi contre une personne est sans intérêt à contester la qualité de celle-ci à défendre, car ceci entraînerait l’irrecevabilité de sa propre action (Cass. soc. 30 juin 1976). De même, lorsqu’une partie a déclaré accepter une demande de révocation d’une ordonnance de clôture, elle n’est pas recevable à la critiquer (Cass. 3ème civ., 27 juin 2007). En outre, l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 27 février 2009 est venue jeter le trouble en laissant entendre que le principe selon lequel un plaideur ne doit pas se contredire au détriment de son adversaire, calqué sur la règle de l’estoppel issue du droit anglo-saxon, serait susceptible d’être sanctionné, au plan procédural, par une fin de non-recevoir. Cette décision retient en effet que « la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir ».

En l’espèce, la situation est donc susceptible d’être analysée de deux manières. Dans un premier temps, on peut soutenir que le demandeur initial se trouve sans intérêt à opposer l’irrecevabilité de l’appel de son adversaire, car ceci impliquerait de reconnaître que sa propre action, en première instance, était irrecevable. Une telle approche, qui a déjà été retenue en jurisprudence, souffre toutefois une objection. En effet, s’il est vrai que l’intérêt à agir s’apprécie au jour d’introduction de la demande en justice (Cass. 2ème civ., 13 février 2003), il faut reconnaître qu’au moment où l’appel est interjeté, l’intimé justifie incontestablement d’un intérêt à opposer une fin de non-recevoir tirée du défaut de personnalité morale de l’appelant. La sanction de la contradiction inhérente à son attitude suppose donc un aménagement des conditions d’appréciation traditionnelles de l’intérêt à agir.

Pour remédier à cette difficulté, on peut penser à faire valoir que l’intimé est irrecevable à se prévaloir de l’absence de personnalité morale de l’appelant après avoir obtenu un jugement validant la recevabilité de son action en première instance. Ceci induirait, en effet, une auto-contradiction au détriment de son adversaire qui serait alors privé de son droit d’appel. La société non immatriculée pourrait donc répliquer à la fin de non-recevoir qui lui est opposée par une fin de non-recevoir tirée de la règle de l’estoppel, selon laquelle son défaut de personnalité morale, dont son adversaire n’a pas fait état lors de l’instance devant le TGI, ne peut pas lui être opposé pour faire échec à la recevabilité de son appel. A l’occasion d’une espèce similaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 septembre 2011 a d’ailleurs retenu un tel raisonnement (plaideur ayant formé un pourvoi en cassation contre une société non immatriculée avant d’opposer une fin de non-recevoir devant la cour d’appel de renvoi).

Pour conclure, il convient d’indiquer à la société SAM SOUNG TAB qu’elle peut tenter de faire sanctionner l’incohérence de l’argumentation adversaire par une fin de non-recevoir fondée soit sur un défaut d’intérêt, soit sur l’existence d’une contradiction à son détriment.

Cas n°2 : Le premier problème qui se pose est de savoir quel est le moyen de défense tiré du défaut d’habilitation du syndic à exercer une action en justice au nom du syndicat de copropriété ?

Par principe, l’article 55 du décret du 17 mars 1967 énonce que « le syndic ne peut agir en justice au nom du

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syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l’assemblée générale ». Autrement dit, le syndic doit être habilité par l’assemblée générale des copropriétaires à représenter le syndicat en justice.

Il convient à ce stade de différencier d’une part la qualité à agir et, d’autre part, le pouvoir d’agir en justice.

La qualité est entendue comme le titre juridique qui ouvre la possibilité d’agir, le droit de solliciter du juge l’examen de sa prétention. En effet, selon l’article 31 du CPC, il est permis de la définir comme « l’habilitation légale à élever ou combattre une prétention, ou à défendre un intérêt déterminé ». La qualité est la traduction processuelle de la titularité du droit d’agir. L’article 122 du CPC précise que le moyen de défense tiré du défaut de qualité constitue une fin de non-recevoir.

Le pouvoir d’agir en justice se cristallise autour de la notion de représentation. Outre la représentation des personnes atteintes d’une incapacité d’exercice, toute personne capable peut donner pouvoir à une autre pour la représenter à l’action. Dans une telle hypothèse, c’est toujours la personne titulaire de la prérogative litigieuse qui détient la qualité à agir (tirée de l’intérêt) mais l’action est exercée par le représentant. Le représentant doit alors justifier d’un pouvoir régulier de représentation. Ce pouvoir doit avoir été donné expressément ; cela signifie, en pratique, que le représentant ne peut prendre aucune initiative procédurale avant d’avoir été autorisé à agir. A défaut, le moyen de défense tiré du défaut de pouvoir constitue une exception de nullité. L’article 117 du CPC précise en effet que la demande formée au nom du représenté est nulle pour irrégularité de fond.

En l’espèce, c’est bien le syndicat de copropriétaires qui est titulaire de l’action en indemnisation. Cependant, son organe représentant, le syndic, dispose de la possibilité d’agir au nom du syndicat dès lors qu’il s’est vu conférer le pouvoir d’agir par l’assemblée générale des copropriétaires (art. 55 du décret du 17 mars 1967). L’assemblée des copropriétaires n’ayant jamais conféré un tel pouvoir au syndic, celui-ci ne dispose pas du pouvoir d’agir en justice. Une exception de nullité pour vice de fond pourra donc être invoquée à l’encontre la demande formée par le syndic.

Pour conclure, il convient de rassurer la Société VENTOU sur le fait qu’outre des défenses au fond, elle peut potentiellement invoquer une exception de nullité pour défaut de pouvoir, qui s’analyse en une irrégularité pour vice de fond.

Le second problème qui se pose tient au régime du moyen de défense que constitue une irrégularité pour vice de fond. Plus particulièrement, il convient de préciser à quel stade de la procédure cette exception peut être soulevée et si un relevé d’office par le juge d’une telle exception est envisageable.

Par principe, le défaut de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice, prévu à l’article 117 du CPC, doit être soulevé par le biais d’une exception de nullité qui suit le régime de toutes les exceptions de procédure envisagé à l’article 74 du CPC. Aux termes de cet article, « les exceptions doivent être, à peine d’irrecevabilité, soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir », c'est-à-dire in limine litis. En outre, l’article 119 du CPC précise que l’exception de nullité pour vice de fond doit être accueillie sans que celui qui l’invoque n’ait à justifier d’un quelconque grief « et alors même que la nullité ne résulterait d’aucune disposition expresse ».

L’article 118 du CPC modifie le régime applicable aux exceptions de procédure lorsque celles-ci viennent sanctionner l’inobservation d’une règle de fond. Dans ce cas précis, les exceptions de nullité pour vice de fond « peuventnêtre proposées en tout état de cause », mais le défendeur s’expose à une condamnation à des dommages et intérêts s’il s’est abstenu, dans une intention dilatoire, d’invoquer plus tôt l’exception.

En l’espèce, le défaut de pouvoir du syndic à représenter le syndicat de copropriétaires en justice constitue une nullité pour vice de fond qui pourra être soulevée en tout état de cause, c'est-à-dire à toute hauteur de la procédure.

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Pour conclure, il convient de préciser à la Société VENTOU qu’elle aura la possibilité d’invoquer une telle exception, même postérieurement à une défense au fond, sous réserve d’une possible condamnation à des dommages et intérêts si le juge venait à caractériser une intention dilatoire.

Enfin le troisième problème qui se pose porte sur la possibilité pour le juge de relever d’office l’exception de procédure tirée du défaut de pouvoir d’une partie.

Par principe, l’article 120 du Code de procédure civile prévoit l’obligation pour le juge de relever d’office les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond dès lors qu’elles ont un caractère d’ordre public.

En l’espèce, l’article 55 du décret du 17 mars 1967 étant d’ordre public (Cass. 3ème civ., 14 mai 1974), le juge saisi de la demande devra soulever d’office cette exception.

Pour conclure, il convient de rassurer la Société VENTOU, le défaut de pouvoir du syndic a toutes les chances d’être sanctionné par une exception de nullité soit par le biais d’une exception de procédure, soit par le juge lui-même.

Le quatrième problème de droit est alors de savoir quel est le moyen de défense par lequel le défendeur oppose l’incompétence de l’huissier de justice significateur.

L’article 55 du CPC énonce que l’assignation est un acte d’huissier de justice, ce qui implique qu’elle soit signifiée par un officier public et ministériel doté du pouvoir nécessaire pour instrumenter, conformément aux articles 653 et suivants du CPC. De plus, l’article 5 du décret du 29 février 1956 prévoit que les huissiers de justice ne peuvent effectuer d’actes hors du ressort du TGI dans lequel ils sont établis.

En l’espèce, l’assignation a été signifiée dans le Val d’Oise par un huissier de justice installé dans le Val de Marne. Il convient donc de s’interroger sur la sanction applicable aux actes délivrés par un huissier de justice ne disposant pas du pouvoir nécessaire (violation d’une règle de compétence territoriale).

Selon l’article 117 du CPC, le défaut de capacité ou de pouvoir des parties ou de leurs représentants constitue une irrégularité de fond, sanctionnée par le biais d’une nullité pour vice de fond.

En l’espèce, il est possible de soutenir que l’assignation est nulle pour vice de fond dans la mesure où l’huissier de justice qui a instrumenté n’était pas doté du pouvoir nécessaire. Ce serait toutefois oublier que l’article 117 du CPC n’est applicable qu’aux seuls défauts de capacité ou de pouvoir touchant les parties ou leurs représentants. Or, l’huissier de justice s’est ici borné à transmettre l’assignation sans représenter le demandeur en justice, cette prérogative étant celle de son avocat, investi du mandat ad litem (art. 411 du CPC)23. Qualifier l’irrégularité correspondant au défaut de pouvoir de l’huissier de vice de fond suppose donc de considérer que l’énumération de l’article 117 du CPC n’est pas limitative. Cette interprétation extensive a été retenue, notamment, par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mai 199924.

Toutefois, rompant avec cette conception extensive de l’article 117 du CPC, la Chambre mixte de la Cour de cassation a rendu, le 7 juillet 2006, une décision remarquée dans laquelle elle a retenu que « quelle que soit la gravité des

23 Dans certains cas, d’autres personnes que l’avocat sont autorisées à assister ou représenter les parties en justice dans le cadre d’un mandat ad litem, notamment dans les procédures orales. Cependant, en l’espèce, l’affaire étant pendante devant le TGI de Paris, seul un avocat du barreau de Paris disposait du pouvoir de représenter les parties, en raison de la règle de la postulation (V. art. 751 du CPC selon lequel les parties sont

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tenues de constituer avocat devant le TGI).

24 Il s’agit d’une solution qui a été adoptée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, l’arrêt fondateur étant une décision de la deuxième Chambre civile du 20 mai 1976 ayant retenu que « la signification d’un acte par un huissier instrumentant hors de son ressort sans habilitation spéciale est entachée d’une nullité d’ordre public, pour violation d’une règle d’organisation judiciaire, qui enlève à l’acte son caractère authentique et constitue une irrégularité de fond ».

irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du nouveau code de procédure civile ». Cette solution, tout en condamnant fermement la réception de la théorie de l’inexistence en procédure civile, affirme le caractère limitatif des hypothèses visées par l’article 117 du CPC. Il n’est donc pas certain, compte tenu de ce revirement de jurisprudence, que la solution consistant à sanctionner le défaut de pouvoir de l’huissier instrumentaire par une nullité pour vice de fond soit maintenue.

Comment alors qualifier le moyen de défense par lequel une partie soulève le défaut de pouvoir de l’huissier de justice instrumentaire ?25

Une première solution consiste à applique strictement la règle posée par la chambre mixte. Il faut alors convenir que l’irrégularité en cause s’analyse en une nullité pour vice de forme (art. 112 et suivants du CPC). Cette qualification risque toutefois de conduire à une impasse en empêchant que la nullité de l’acte soit prononcée si aucun grief n’est caractérisé puisque l’art. 114 du CPC subordonne, en toutes hypothèses, l’annulation d’un acte pour vice de forme à la démonstration du grief engendré par l’irrégularité. Un huissier de justice pourrait alors signifier un acte en dehors de son ressort si aucun grief n’est causé à son destinataire.

Une deuxième possibilité suppose de soutenir que le principe énoncé dans l’arrêt du 7 juillet 2006 ne peut être appliqué de façon systématique et doit souffrir exception dans deux situations : lorsque la loi impose de procéder selon une forme particulière (c’est l’hypothèse dite de l’omission et de la substitution d’actes) ou bien en cas de violation d’une règle d’organisation judiciaire (c’est l’hypothèse de l’inobservation d’un principe de procédure). Certains arrêts de la Cour de cassation ont ainsi refusé de suivre la position de la chambre mixte pour des irrégularités qui n’aurait pas été de nature à entraîner l’annulation de l’acte, faute de grief (V. par ex. Cass. 3eme civ., 4 février 2009, la signification de conclusions en lieu et place d’un mémoire dans le cadre d’une procédure de fixation d’un loyer commercial constitue une irrégularité de fond). Ceci autorise à soutenir que le défaut de pouvoir de l’huissier de justice peut toujours être sanctionné par une nullité de fond, en dépit de la solution posée par la Chambre mixte de la Cour de cassation.

Cependant, une troisième approche peut être proposée. Elle consiste à prendre en considération le fait que les fins de non-recevoir, définies par l’article 122 du CPC comme le moyen tendant a faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande pour défaut du droit d’agir, ne sont pas limitativement énumérées (Chambre mixte, 14 février 2003). Récemment, la Cour de cassation a appliqué ce texte à une demande formée devant un tribunal paritaire des baux ruraux sans respecter les formes de l’article 855 du CPC (Cass. 2ème civ., 6 janvier 2011 : « le défaut de saisine régulière du tribunal ne constitue pas un vice de forme mais une fin de non-recevoir et celui qui l'invoque n'a pas à justifier d'un grief »). Il s’ensuit que, lorsqu’un vice fait obstacle à ce que la juridiction soit saisie par l’acte irrégulier, ce vice constitue une irrecevabilité sanctionnée par une fin de non-recevoir.

En l’espèce, il est impossible, en l’état du droit positif, de donner une réponse certaine à la question posée. L’assignation délivrée par un huissier de justice hors de son ressort de compétence pourra être critiquée soit par une nullité pour vice de fond, si l’on considère que le principe d’interprétation limitative de l’article 117 du CPC doit ici recevoir exception, soit par une fin de non-recevoir, si l’on estime que l’assignation signifiée par un huissier sans pouvoir n’est pas de nature à saisir la juridiction des prétentions qu’elle contient, de telle sorte que

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le droit d’agir du demandeur s’en trouve affecté.

Pour conclure, cette incertitude sur la qualification du moyen de défense s’avère, quoi qu’il en soit, dénuée de conséquences pratiques. En effet, les fins de non-recevoir et les irrégularités pour vice de fond sont soumises à un régime quasi identique : elles peuvent être opposées en tout état de cause et exposent le défendeur à une condamnation à des dommages et intérêts s’il les fait valoir tardivement (art. 118 et 123 du CPC). Ainsi, à ce stade du développement, la Société VENTOU dispose de deux moyens qu’elle pourra soulever à toute hauteur de la procédure sans risquer l’irrecevabilité.

Le cinquième problème de droit qui se pose revient à déterminer la régularité des conditions dans lesquelles l’assignation a été délivrée par l’huissier de justice. Plus particulièrement le problème porte sur le point de savoir si, lorsqu’une signification est destinée à une personne morale, l’acte peut être valablement remis à l’un des salariés de cette société?

25 Cette partie est extrêmement développée afin d’exposer de façon exhaustive l’état du droit positif. Si un problème similaire vous était posé à l’examen, il faudrait le traiter beaucoup plus rapidement en exposant tout de suite l’incertitude sur la qualification.

Par principe, l’article 654 alinéa 1 du CPC énonce que la signification doit être faite à personne, faute de quoi elle peut être faite à domicile (article 655 du CPC). Dans son alinéa 2, ce même article, précise que pour une personne morale, la signification est réputée faite à personne lorsque l’acte est délivré « à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet ». En outre, l’article 690 du CPC impose que la notification faite à personne morale soit faite au lieu de son établissement, ou à défaut, à la personne d’un de ses membres apte à la recevoir. Ce texte est interprété par la jurisprudence comme édictant une présomption au titre de laquelle l’huissier de justice peut considérer que toute personne déclare valablement être habilitée à recevoir l’acte destiné à une personne morale, à partir du moment où elle se trouve au siège social (Cass. 2ème civ., 30 avril 2009). Autrement dit, l’acte délivré à une personne habilitée se trouvant au siège social de la personne morale vaut signification à personne (Cass. com. 12 novembre 2008).

En l’espèce, l’assignation est destinée à une personne morale et a été faite à son lieu d’établissement. L’huissier de justice s’est en effet rendu au siège de la société défenderesse, sans y rencontrer son représentant légal. L’acte a ainsi été valablement remis à une personne déclarant avoir le pouvoir de recevoir les actes destinés à la personne morale. Il faut ainsi considérer qu’il a tenté une signification à personne, le siège social de l’entreprise étant l’endroit où il avait la plus grande chance de délivrer l’acte à personne, conformément à l’article 654 al. 226. Le salarié ayant déclaré être habilité à recevoir, et ce alors même que cette affirmation serait fausse, la signification devrait être considérée comme faite à personne. En effet, l’huissier n’a pas l’obligation de vérifier la qualité déclarée par la personne à qui est remise l’assignation (Cass. 2ème civ., 18 septembre 2003).

Pour conclure, l’assignation semble avoir été valablement faite à personne et c’est d’ailleurs de la sorte que l’huissier a, dans son acte, qualifié sa signification.

Cependant, ce dernier n’a pas mentionné que le salarié avait expressément déclaré être habilité à recevoir l’acte. Dès lors, il est impossible de pouvoir justifier d’une remise à « une personne habilitée à cet effet » au sens de l’alinéa 2 de l’article 654 du CPC.

Par principe, l’article 654 alinéa 1er du CPC impose que la signification soit faite à personne. Si celle-ci s’avère impossible, il peut être procédé à une signification à domicile. L’article 655 alinéa 2 du CPC impose néanmoins à l’huissier de détailler toutes les diligences mises en œuvre pour toucher le destinataire à personne et caractériser « l’impossibilité d’une telle signification ». L’acte peut alors être valablement délivré à toute personne présente au domicile, l’huissier devant laisser un avis de passage (art. 655 al. 5 du CPC) et mentionner les conditions dans

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lesquelles la remise a été effectuée (art. 657 du CPC). En matière de signification à personne morale, la signification est faite à domicile lorsque l’acte est remis à une personne présente au siège social qui accepte de recevoir l’acte, mais qui précise ne pas y être habilitée (à défaut de quoi il s’agirait d’une signification à personne).

En l’espèce, la signification de l’assignation doit être qualifiée de signification à domicile, avec remise à toute personne présente. En effet, en l’absence de toute mention quant à l’habilitation du salarié à recevoir l’acte, ce dernier doit être réputé comme avoir simplement accepté de recevoir l’acte27, sans y être expressément habilité. En effet, dès

26 Il serait en effet irréaliste d’imposer aux huissiers de justice de rechercher, dans cette hypothèse, le représentant légal de la société pour lui remettre l’acte en mains propres. La jurisprudence admet cette solution de façon constante (Cass. com. 10 juillet 1989, l’impossibilité de signifier à personne est caractérisée lorsqu’un huissier de justice se rend au siège social d’une société et y trouve un employé qui refuse l’acte au motif qu’il n’a pas reçu d’instructions à cette fin ; Civ. 2e, 21 février 1990, l’huissier de justice n’a pas d’autre obligation que de tenter la signification au siège social dont l’existence n’est pas contestée).

27 Attention, la Chambre sociale de la Cour de cassation a initié une jurisprudence selon laquelle la signification à une société faite à un employé de celle- ci est nulle si celui-ci ne déclare pas avoir été habilité à cet effet (Cass. soc. 12 septembre 2007). Cette solution doit être bien comprise. Il ne s’agit pas d’invalider la possibilité d’une signification à personne morale avec remise à toute personne présente. La Cour de cassation vient ici simplement sanctionner le fait qu’une signification ait pu être qualifiée à personne (art. 654 al. 2 du CPC) sans que le destinataire ne se déclare habilité à la recevoir (si l’employé se déclare habilité la signification est faite à personne car l’huissier ne peut pas vérifier l’exactitude de ses dires : Cass. com. 12 novembre 2008). L’huissier de justice devait donc procéder à une remise à toute présente (art. 655 du CPC), ce qui impliquait de satisfaire aux formalités requises d’une signification à domicile. Cette solution a été suivie par la troisième chambre civile dans une hypothèse très particulière. Une société locataire avait donné congé à une SCI bailleresse ayant son siège dans les mêmes locaux que le preneur. L’huissier s’étant rendu dans les lieux pour signifier l’acte avait remis le congé à un préposé du preneur (qui exerçait une activité dans les locaux) et non du bailleur. La signification a donc été annulée, le preneur (auteur du congé) s’étant, par l’intermédiaire de son préposé substitué au bailleur, destinataire du congé (Cass. 3ème civ., 28 octobre 2009).

l’instant que l’huissier de justice s’est rendu au siège social de la personne morale destinataire, il convient de considérer que si les conditions de l’article 654 al. 2 du CPC ne sont pas réunies (l’acte n’a pas été remis à une personne se déclarant habilitée), celles de l’article 655 du CPC le sont (l’acte a été remis à une personne présente au siège social). Le principe d’une signification à personne morale avec remise à toute personne présente est d’ailleurs validé par la jurisprudence depuis longtemps (V. par ex. Cass. 2ème civ., 1er juillet 1987).

Par conséquent, l’huissier de justice instrumentaire, pour qui la signification avait été faite à personne, n’a pas respecté les formalités imposées par les articles 655 et 657 du CPC en matière de signification à domicile (relater les diligences accomplies pour délivrer l’acte à personne, avis de passage, mentionner les conditions de la remise, laisser l’acte sous pli cacheté). De telles irrégularités sont susceptibles de servir de fondement à la contestation de la régularité de la signification.

En outre, l’article 658 alinéa 2 du Code de procédure du code de procédure civile, pose en principe qu’après avoir procédé à une signification à une personne morale, que celle-ci soit qualifiée de signification à personne ou à domicile, l’huissier doit envoyer au destinataire de l’acte, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable suivant la signification, une lettre simple comportant les mêmes mentions que celle de l’avis de passage telles qu’énoncées à l’article (article 655 alinéa 2).

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En l’espèce, cette exigence ne semble pas avoir pas été respectée, le défendeur devrait pouvoir se fonder sur cette omission pour obtenir la nullité de l’acte.

Le sixième problème de droit qui se pose est de savoir quelle est la nature du moyen de défense par lequel on soulève la nullité d’une signification entaché d’une irrégularité au regard des articles 654 et suivants du CPC. Les exigences posées par ces textes étant relatives aux conditions dans lesquelles la signification a été opérée, l’irrégularité ne peut être qu’un vice de forme, car elle ne concerne pas la capacité ou le pouvoir des parties ou de leurs représentants (art. 117 du CPC).

L’article 114 du CPC subordonne le prononcé de la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme à deux conditions cumulatives. Outre la nécessité d’un texte prévoyant expressément que l’omission de la formalité litigieuse sera sanctionnée par la nullité (« pas de nullité sans texte »), il faut que le demandeur à l’exception rapporte la preuve de ce que l’omission lui cause un grief (« pas de nullité sans grief »). Le grief réside généralement dans la preuve de la désorganisation des droits des droits de la défense et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 2ème civ., 21 octobre 1982). A défaut de ces deux conditions cumulatives, l’exception de nullité ne pourra prospérer.

En l’espèce, l’article 693 du CPC pose en principe que les exigences requises par les articles 655, 657 et 658 le sont à peine de nullité. La condition d’un texte prévoyant expressément la nullité est donc satisfaite. Reste à déterminer si les diverses irrégularités ont causé un grief à la société défenderesse. S’il est vrai que la caractérisation relève du pouvoir souverain des juges du fond, on peut néanmoins relever que la Cour de cassation invite ces derniers à caractériser, par le biais d’une appréciation in concreto non seulement une atteinte aux droits de la défense, mais également un dommage résultant de cette atteinte (Cass. 2ème civ., 31 janvier 1980).

Pour conclure, la société VENTOU est en mesure d’opposer une exception de nullité pour vice de forme à raison des multiples irrégularités entachant la signification. Cette exception de procédure devra être opposée in limine litis, avant l’exception tenant au défaut d’habilitation du Syndic EPO et le moyen relatif à l’incompétence territoriale de l’huissier instrumentaire (art. 74 et 112 CPC). Les chances de parvenir à obtenir le prononcé de l’annulation sur ce fondement dépendent de la question de savoir si l’assignation a été rapidement transmisse par M. FESSETINA au représentant légal de la société VENTOU. Les faits de l’espèce ne permettent pas de se prononcer sur ce point.

Cas n°3 :

Le premier problème qui se pose est de savoir quelles sont les conditions de l’interruption d’instance. Plus particulièrement, il s’agit de savoir quelles sont les conditions pour que l’instance soit interrompue suite au décès d’une partie. (En effet, si l’instance a été interrompue par le décès du défendeur, il n’est alors plus possible d’invoquer la péremption, l’interruption d’instance empêchant le délai de péremption de courir : art. 392 du CPC).

L’article 370 du CPC pose en principe que le décès d’une partie interrompt l’instance, mais subordonne cette interruption à notification.

En l’espèce, le décès n’ayant pas été notifié par les héritiers du défendeur, le demandeur ne pourra se prévaloir d’aucune cause d’interruption de l’instance. En effet, il est impossible d’analyser la notification de l’ordonnance de radiation en une notification au sens de l’article 370 du CPC (Cass. 2ème civ., 15 nov. 2007).

Pour conclure, le demandeur ne pourra pas invoquer l’interruption de l’instance pour échapper au moyen tiré de sa péremption.

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Dès lors, le second problème qui se pose est de savoir quelles sont les conditions de la péremption d’instance. Plus particulièrement la question revient à déterminer quel est le point de départ du délai de péremption.

L’article 386 du Code de procédure civile pose en principe que l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplie de diligences interruptives de péremption pendant deux ans. Ce délai de deux ans court à compter du dernier acte de procédure.

En l’espèce, le délai de péremption a commencé à courir à compter du 8 juin 2010, date du dernier échange de conclusions. La péremption est donc, en principe, acquise depuis le 8 juin 2012 (lorsqu’un délai est exprimé en année ; il se calcule de quantième à quantième : art. 641 CPC). Le seul moyen de faire obstacle à la péremption serait de rapporter la preuve de ce que les parties ont accompli des diligences interruptives de péremption. Le courrier en date du 19 juin 2011 constitue le seul élément susceptible d’être invoqué afin de caractériser une telle diligence.

Or, les diligences interruptives de péremption s’entendent comme des actes faisant partie de la procédure et la continuant. Dès lors, un courrier qui n’est pas un acte de procédure ne peut donc être considéré comme ayant interrompu la péremption. C’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcée la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 15 novembre 2007 (Cass. 2ème civ., 3 mars 1988 : demande de renvoi).

Pour conclure, le demandeur n’a aucun moyen de s’opposer à la péremption. L’instance est donc éteinte et il n’aura d’autre solution que de réintroduire une demande. Cependant, il ne pourra le faire, qu’à condition que la prescription n’ait pas fait son œuvre. En effet, lorsque l’instance est périmée on considère qu’elle est non avenue : la prescription est considérée comme n’ayant jamais été interrompue, les intérêts moratoires comme n’ayant jamais couru (art. 2243 du Code civil). Il faut, par ailleurs, ajouter qu’il devra supporter tous les frais de l’instance périmée (art. 393 du CPC).

CAS PRATIQUE 4

Cas n°1 : 1/ Le premier problème de droit concerne le point de savoir si un délai suffisant a été respecté entre la délivrance de l’assignation et l’audience, afin de permettre au défendeur de préparer sa défense.

L’article 838 du CPC énonce que, devant le tribunal d’instance, l’assignation doit être délivrée au moins 15 jours avant la date de l’audience26. En outre, selon les articles 640 à 642 du CPC, lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte qui le fait courir ne compte pas et il expire le dernier jour du délai à vingt-quatre heures.

En l’espèce, l’assignation a été signifiée le 13 août 2012 pour une audience devant se tenir le 28 août 2012. Les termes de l’article 838 du CPC impliquent de computer le délai de 15 jours à l’envers. En effet, ce n'est pas l'assignation qui fait courir le délai de quinze jours. C’est la date d'audience, et non celle de l’acte introductif, qui constitue la base de calcul de la date limite avant laquelle l'assignation doit être délivrée. La Cour de cassation est venue clarifier le régime des délais « à rebours » en retenant que lorsque le Code de procédure civile dispose qu'un acte doit être signifié ou une formalité accomplie, au plus tard tant de jours avant une audience, le jour de l'audience n'est pas pris en considération et les jours sont comptés en remontant dans le temps (Cass. 2ème civ., 20 oct. 2005). Cette règle s'explique par le fait que, lorsqu'un délai est computé à l’envers, l'expiration du délai ne saurait être au dernier jour de ce délai à 24H, car ceci impliquerait de ne pas comptabiliser ce jour. Il faut donc admettre que le délai expire au jour précédent à 24H (ce qui revient à considérer qu'il expire au dernier jour du délai à 0H, c'est la raison pour laquelle la doctrine estime que l'on est en présence d'un délai franc).

Ici, l’audience ayant été fixé au 28 août (ce premier jour, qui fait courir le délai à rebours, ne compte pas aux

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termes de l'article 641 du CPC), le délai de quinze jours imparti pour délivrer l’assignation expire non pas le 13 août à 24h, mais à 0h, soit le 12 août à 24h. Or, le 12 août 2012 tombe un dimanche. On pourrait alors penser que la règle de l'art. 642 CPC, selon laquelle les délais expirant un samedi, un dimanche ou un jour férié sont repoussés au premier jour ouvrable suivant trouve à s'appliquer. La Cour de cassation est toutefois venue préciser que, dans cette hypothèse, il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article 642 du CPC (Cass. 2eme civ., 14 février 1990). Par conséquent, puisqu’une signification ne peut être faite le dimanche (art. 664 du CPC), l'acte devait être délivré, au plus tard, le samedi 11 août 2012.

Reste à préciser la sanction attachée au non-respect du délai imposé par l’article 838 du CPC. Le texte ne prévoit rien27.

En premier lieu, on peut soutenir que sa violation constitue une nullité pour vice de forme dans la mesure où l’art. 114 CPC subordonne l’application de ce moyen de défense à deux conditions cumulatives : la nullité doit être expressément prévue par la loi ou bien procéder de la violation d’une formalité substantielle ou d’ordre public, le défendeur doit établir le grief qui lui a causé l’irrégularité. Il faudrait alors considérer que la règle posée par l’article 838 du CPC constitue une formalité substantielle ou d’ordre public puisque la nullité n’est pas explicitement mentionnée. De plus, le grief serait caractérisé de façon quasi-automatique car nous serions en présence d’un manquement aux dispositions de l’article 15 du CPC, selon lequel les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utiles les moyens sur lesquels elles fondent leurs prétentions. Or, le délai de 15 jours qui doit être observé entre la délivrance de l’assignation et l’audience est destiné à permettre au défendeur de préparer sa défense. Dès lors, le grief serait caractérisé puisque le principe du contradictoire aurait été violé (Cass. com. 22 décembre 1975). Toutefois, la jurisprudence a refusé de suivre cette interprétation et a considéré que le non-respect du délai de l’art. 838 CPC ne constitue pas un simple vice de forme (Cass. 2e civ., 12 juin 2003), la formalité ne revêtant aucun caractère substantiel ou d’ordre public. Cette solution s’explique par le fait que la qualification d’irrégularité pour vice de forme risque de conduire à une absence de sanction dans l’hypothèse où le juge du fond estimerait qu’aucun grief n’est caractérisé (l’appréciation du grief relève de l’appréciation souveraine des juges du fond : cf. supra).

Il est également possible, en deuxième lieu, de considérer que le défendeur peut opposer une exception de nullité pour vice de fond. Selon l’article 117 du CPC, cette sanction s’applique aux hypothèses de défaut de pouvoir ou de capacité des parties ou de leurs représentants. Qualifier l’irrégularité correspondant au non-respect du délai de 15 jours suppose donc de considérer que l’énumération de l’article 117 du CPC n’est pas limitative. Toutefois, la chambre mixte de la Cour de cassation a rendu, en date du 7 juillet 2006, une décision remarqué dans laquelle elle retient que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du nouveau code de procédure civile ». Cette solution, tout en condamnant fermement la réception de la théorie de l’inexistence en procédure civile, affirme le caractère limitatif des hypothèses visées par l’article 117 du CPC. Toutefois, ce principe est d’application délicate dans deux séries de situations : lorsque la loi impose de procéder selon une forme particulière (c’est l’hypothèse dite de l’omission et de la substitution d’actes) ou bien en cas de violation d’une règle d’organisation judiciaire (c’est l’hypothèse de l’inobservation d’un principe de procédure). Certains arrêts de la Cour de cassation ont ainsi refusé de suivre la position de la Chambre mixte pour des irrégularités qui n’aurait pas été de nature à entraîner l’annulation de l’acte, faute de grief (V. par ex. Civ. 3e, 4 février 2009, la signification de conclusions en lieu et place d’un mémoire dans le cadre d’une procédure de fixation d’un loyer commercial constitue une irrégularité de fond). Il faudrait alors penser que lorsque qu’une assignation est délivrée moins de 15 jours avant l’audience devant se tenir devant le TI, une règle d’organisation judiciaire a été violée, ce qui aurait pour conséquence l’annulation de l’acte pour vice de fond. Néanmoins, si cette approche peut paraître adéquate, on comprendrait mal comment une règle pourrait être entendue comme une règle d’organisation judiciaire au sens de l’article 117 du CPC et ne pas constituer une règle d’ordre public au sens de l’article 114 du CPC. Ceci conduit à envisager une troisième possibilité.

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Cette troisième approche consiste à prendre en considération le fait que les fins de non-recevoir, définies par l’article 122 du CPC comme le moyen tendant a faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande pour défaut du droit d’agir, ne sont pas limitativement énumérées (Chambre mixte, 14 février 2003). Récemment, La Cour de cassation a appliqué ce texte à une demande formée devant un tribunal paritaire des baux ruraux sans respecter les formes de l’article 855 du CPC (Civ. 2e, 6 janvier 2011 : « le défaut de saisine régulière du tribunal ne constitue pas un vice de forme mais une fin de non-recevoir et celui qui l'invoque n'a pas à justifier d'un grief »). Il s’ensuit que, lorsqu’un vice fait obstacle à ce que la juridiction soit saisie par l’acte irrégulier, ce vice constitue une irrecevabilité sanctionnée par une fin de non- recevoir28. Or, lorsque le délai laissé au défendeur pour préparer sa défense est trop bref, on peut affirmer que la juridiction saisie ne peut pas examiner l’acte communiqué en violation du principe du contradictoire, ce qui signifie qu’elle n’en est pas saisie. Dès lors, le défendeur pourrait en l’espèce opposer une fin de non-recevoir à l’action de l’adversaire. Toujours est-il que, tenu de la similitude du régime de ces deux moyens de défense, l’incertitude sur la qualification est dénuée de conséquences pratiques par rapport à celle d’irrégularité pour vice de fond, car ces deux moyens de défense peuvent être opposés en tout état de cause et exposent le défendeur à une condamnation à des dommages et intérêts s’il les fait valoir tardivement (art. 118 et 123 du CPC).

Pour conclure, l’analyse proposée par Monsieur GEAIT est exacte car il n’a pas disposé d’un temps suffisant pour préparer sa défense au sens de l’article 838 du CPC. Toutefois, en l’état du droit positif, il existe une véritable incertitude sur la nature du moyen de défense qu’il pourra faire valoir29. Il convient de lui indiquer, par sécurité de faire valoir à la fois la nullité pour vice de forme et de fond de l’assignation tout en opposant une fin de non-recevoir à l’action. La nullité pour irrégularité de fond devra être proposée in limine litis, les deux autres moyens pouvant être soulevés en tout état de cause.

Le problème consiste à déterminer si ce moyen de défense pourrait relevé d’office par le juge.Pour répondre à cette question, il est nécessaire de se pencher sur la faculté pour le juge de relever d’office le

non-respect du délai de 15 jours prévu à l’article 838 du CPC.

28 Le raisonnement suivi est ici le même qu’en matière de clause de conciliation préalable et de clause

compromissoire (cf. supra).29 Certains auteurs soutiennent que le non-respect du délai de comparution serait sanctionnée par une exception dilatoire (art. 108 s. CPC, V. J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 330, n° 66). L’idée est extrêmement intéressante car le but de l’exception dilatoire est d’octroyer à une partie le bénéfice d’un délai que lui reconnait la loi. Le défendeur, qui a été cité à une date d’audience dans un délai trop bref ne lui permettant pas, pourrait ainsi demander au juge de suspendre l’instance afin de pouvoir d’organiser sa défense de façon satisfaisante. Reste que cette solution n’est pas validée en jurisprudence...

Compte tenu de l’incertitude sur la qualification nous envisagerons successivement les trois possibilités :

-  S’il s’agit d’une exception de nullité pour vice de forme, le juge ne pourra pas la relever d’office en raison de la règle posée à l’article 112 du CPC : Cass. 3ème civ., 10 juill. 1985 ; Cass. 2ème civ., 21 juill. 1986.

-  S’il s’agit d’une exception de nullité pour vice de fond, le juge ne pourrait pas non plus la relever d’office dans la mesure où elle ne correspond pas à l’un des cas prévus par l’article 120 du CPC (ce n’est ni une nullité d’ordre public, ni un défaut de capacité).

-  S’il s’agit d’une fin de non-recevoir, le juge serait confronté à la même interdiction car la fin de non-recevoir résultant d’un défaut de saisine n’est pas envisagée à l’article 125 du CPC. 2/ Le deuxième problème de droit suppose de préciser les modalités de comparution devant le tribunal d’instance et d’indiquer les conséquences d’un défaut de comparution sur la qualification du jugement à intervenir. Selon l’article 827 du CPC, devant le tribunal d’instance les parties se défendent elles-mêmes et peuvent se faire assister ou

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représenter. Toutefois, l’article 446-1 du CPC (issu du décret du 1er octobre 2010) prévoit que le juge peut, lorsqu’une disposition particulière le prévoit, autoriser les parties à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit, sans être tenues de comparaître à l’audience. Enfin, l’article 472 du CPC énonce que si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond. Dans cette hypothèse, le jugement sera rendu par défaut s’il n’a pas été cité à personne et si l’appel est fermé. En revanche, si ces conditions ne sont pas cumulativement satisfaites, la décision sera qualifiée de réputée contradictoire (art. 473 du CPC). En l’espèce, dès lors que l’article 847-1 du CPC déclare l’article 446-1 du CPC applicable devant le TI, le défendeur sera admis à solliciter auprès du juge l’autorisation de faire valoir ses arguments par écrit. Si cette autorisation lui est accordée, il pourra se contenter d’adresser ses conclusions par écrit dans les conditions fixées par le TI, sans avoir à se déplacer. Si en revanche un refus est opposé, le défendeur devra par principe se déplacer à l’audience ou bien s’y faire représenter, à peine d’être déclaré non-comparant. En définitive, il convient alors d’informer Monsieur GEAIT qu’il doit, soit se rendre en personne à l’audience ou consentir à quelqu’un pouvoir à cet effet, soit demander l’autorisation de formuler ses prétentions par écrit. Dans l’hypothèse où il ne comparaitrait pas, le TI rendrait tout de même un jugement sans qu’il soit entendu. Cette décision serait qualifiée de réputée contradictoire puisque l’appel est ouvert (le montant de la demande est supérieur au taux de ressort de 4.000 €) et que l’assignation a été signifiée à personne (art. 654 al. 2 du CPC). Le troisième problème de droit implique de préciser les conditions de l’assistance et de la représentation des parties devant le Tribunal d’instance. L’article 828 du CPC mentionne la liste des personnes autorisées à assister ou représenter les parties devant le Tribunal d’instance, parmi lesquelles figurent les personnes exclusivement attachés à leur service ou à leur entreprise. Ce texte précise que le représentant doit justifier d’un pouvoir spécial s’il n’est pas avocat. En l’espèce, la secrétaire peut valablement représenter Monsieur GEAIT lors de l’audience à intervenir, à condition de justifier d’un mandat spécial. 3/ Le problème de droit concerne le moment auquel une exception d’incompétence doit être soulevée lorsque la procédure est orale. Selon l’article 75 du CPC, le défendeur qui entend contester la compétence de la juridiction saisie doit présenter un déclinatoire de compétence motivé et indiquant la juridiction qu’il estime compétente. S’agissant d’une exception de procédure, ce moyen de défense est soumis au régime posé par l’article 74 du CPC, qui impose aux parties de présenter leurs exceptions de procédure in limine litis, à peine d’irrecevabilité, et ce alors même que la règle invoquée au soutien de l’exception serait d’ordre public.

De plus, lorsque la procédure est orale, le juge est saisi par les observations orales des parties. Il en résulte que les parties sont toujours in limine litis jusqu’au début de leur plaidoirie. La Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue tirer les conséquences de cette situation en retenant que lorsque la procédure est orale les parties peuvent toujours invoquer leurs exceptions de procédure oralement à l’audience quand bien même elles auraient préalablement conclu au fond. Cass. com., 16 octobre 2003. Or devant le TI la procédure est orale (art. 843 du CPC).

Néanmoins, lorsqu’en application des articles 446-1 et suivants du CPC, le juge a autorisé une partie à présenter ses moyens et prétentions par écrit, il convient de faire application de l’article 446-4 du CPC selon lequel la date à retenir est celle de la communication des écritures entre les parties. Par conséquent, le juge est, de façon dérogatoire, saisi par les moyens formulés à l’écrit et non plus par les observations orales de la partie bénéficiaire de l’autorisation. Il faut donc admettre que cette dernière n’est plus in limine litis à l’audience puisque, par hypothèse, elle a préalablement déposé des conclusions écrites.

En l’espèce, il est donc nécessaire de distinguer selon que le défendeur a été ou non autorisé à formuler ses prétentions par écrit par application des articles 446-1 et suivants du CPC. Dans l’affirmative, les conclusions au fond qu’il a déjà communiqué ont saisi le juge. Il se trouve ainsi irrecevable à soulever une exception de procédure à l’audience. Dans la négative, les conclusions au fond n’ont pas saisi le Tribunal d’instance. La compétence pourra donc toujours être discutée à l’audience, à condition de présenter oralement cette exception de procédure avant tout autre développement au fond.

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Pour conclure, dans la mesure où l’avocat de M. GEAIT a d’ores et déjà communiqué des écritures sur le fond, la recevabilité de l’exception de compétence dépend du point de savoir s’il a obtenu ou non l’autorisation de présenter par écrit ses moyens et prétentions.

4/ Le problème de droit consiste à préciser les conséquences d’un désistement d’instance sur l’obligation faite au juge de statuer sur une demande incidente lorsque la procédure est orale.

L’article 846 du CPC précise que la procédure est orale devant le TI. Selon l’article 63 du CPC, l’intervention constitue une demande incidente. Enfin, l’article 395 du CPC dispose que le désistement d’instance doit être accepté par le défendeur, sauf si celui-ci n’a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.

En l’espèce, si les parties parviennent à trouver un accord transactionnel avant l’audience, le défendeur se désistera de l’instance qui a engagé devant le Tribunal d’instance. Sur le fondement de l’article 395 du CPC, il est admis que le désistement produit immédiatement son effet extinctif dès lors qu’au moment où il est donné, il n’appelle aucune acceptation de la partie adverse (Cass. 2eme civ., 7 mars 1983). Or, lorsque la procédure est orale, le juge est saisi par les observations des parties formulées verbalement à l’audience et non par leurs écritures. Cette situation a pour conséquence que, devant les juridictions suivant une procédure orale, le désistement écrit du demandeur avant l’audience éteint immédiatement l’instance (Cass. 2ème civ., 12 octobre 2006), ce qui s’oppose à ce que le juge puisse statuer sur les demandes des parties (à l’exception des demandes accessoires relatives au dépens et à l’article 700 du CPC qui n’ont pas le caractère de demande incidentes : Cass. 2ème civ., 10 décembre 1986) car il est dessaisi (Cass. 2ème civ., 10 janvier 2008). Ces principes impliquent qu’en procédure orale, le désistement qui intervient avant l’audience n’a jamais besoin d’être accepté par le défendeur, qui ne peut soulever de défense au fond ou de fin de non-recevoir que verbalement. Appliqué à l’espèce, ceci signifie que si les parties parvenaient à un règlement amiable du litige, le défendeur serait irrecevable à formuler une demande en intervention devant le TI, l’instance étant éteinte.

Pour compenser les inconvénients de cette solution, la Chambre mixte de la Cour de cassation a décidé, le 13 mars 2009, sur le fondement de l’article 6 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, en matière de désistement d’appel (mais la solution est transposable au désistement d’instance), que, dans une procédure orale, il est contraire aux exigences du procès équitable et de l’égalité des armes que le juge ne statue pas sur une demande incidente formulée dans une écrit adressé au greffe antérieurement au désistement et soutenue verbalement à l’audience.

Pour conclure, il convient d’indiquer à Monsieur GEAIT que, pour éviter que le TI refuse de statuer sur la demande en intervention qu’il entend formuler, il doit déposer au greffe des écritures en ce sens avant de transiger avec son adversaire. Ceci interdira au juge de se déclarer dessaisi en raison du désistement intervenu et l’obligera à se prononcer sur la demande incidente. On peut en outre remarquer que, s’il avait obtenu l’autorisation de formuler ses prétentions par écrit (art. 446-1 du CPC), il n’aurait pas besoin de procéder ainsi puisque dans cette hypothèse, le juge est saisi des écritures des parties à la date à laquelle elles sont communiquées (art. 446-4 du CPC).

Cas n° 2 : Le premier problème suppose de déterminer quelle est la qualification du moyen de défense par lequel le défendeur invoque l’irrecevabilité de l’action du demandeur30.

L’article 122 du CPC énonce que constitue une fin de non-recevoir tout moyen par lequel le défendeur oppose à son adversaire un défaut de droit d’agir, ce qui est le cas notamment pour l’absence d’intérêt et de qualité à agir.

En l’espèce, en faisant valoir que l’association ne subit aucun préjudice du fait de la commercialisation d’une quenelle à base de pomme de terre, le défendeur critique la recevabilité de la demande dans la mesure où le

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demandeur ne tirerait aucun avantage du succès de son action, ce qui suppose qu’il ne justifie pas d’un intérêt personnel et direct dès lors qu’il poursuit un intérêt collectif. Par ailleurs, l’absence de texte prévoyant expressément l’action constitue un défaut de qualité. Le moyen de défense correspondant s’analyse donc en une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt ou de qualité.

Pour conclure, Monsieur Da Costa propose de soulever une fin de non-recevoir, qui, conformément aux dispositions de l’article 123 du CPC peut être soulevée en tout état de cause.

Reste à savoir si une fin de non-recevoir peut être soulevée devant le juge de la mise en état.

En vertu de l’article 771 du CPC le juge de la mise en état, jusqu’à son dessaisissement, est compétent pour, notamment, statuer sur les exceptions de procédure et incidents mettant fin à l’instance. Il convient donc de déterminer si une fin de non-recevoir peut entrer dans le champ d’application de ce texte. Dans la mesure où une fin de non-recevoir n’est pas une exception de procédure, la seule difficulté est de savoir si la fin de non-recevoir peut s’analyser en un incident mettant fin à l’instance.

A priori l’expression « incident mettant fin à l’instance » renvoie aux incidents d’instance envisagés aux articles 367 et suivants du CPC (jonction, disjonction, interruption, suspension, extinction). De sorte qu’une fin de non-recevoir n’est en théorie pas visée par 771 du CPC. La Cour de cassation dans un avis en date du 13 novembre 2006 a d’ailleurs statué en ce sens : « les incidents mettant fin à l’instance visés par le deuxième alinéa de l’article 771 sont ceux mentionnés par les articles 384 et 385 du CPC et n’incluent pas les fins de non-recevoir »31.

Une telle solution revient à exclure de la compétence du juge de la mise en état les fins de non-recevoir alors même que, s’il y est fait droit, il en résultera une extinction de l’instance à titre accessoire, par application de l’article 384 du Code de procédure civile. Il faut donc en déduire qui si la fin de non-recevoir n’est pas un incident mettant fin à l’instance stricto sensu, elle n’en constitue pas moins une cause d’extinction de l’instance32. Dès lors, les parties se trouvent forcées d’attendre la clôture de la mise en état pour invoquer leurs fins de non-recevoir. On pourrait alors être tenté de soutenir que si les fins de non-recevoir n’entrent pas dans le champ de compétence exclusive du JME, ce dernier peut toutefois en connaître au titre d’une compétence partagée.

30 Notez qu’en l’espèce, la résolution du cas supposait de se placer du côté du défendeur en soulevant la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de son adversaire. Le fait que ce moyen de défense ait peu de chance de prospérer, compte tenu de la jurisprudence qui autorise les associations à poursuivre leur intérêt collectif

hors habilitation législative (Civ. 2ème, 27 mai 2004) était sans incidence sur la nécessité de le soulever.31 Parmi les incidents d’instance seuls ceux envisagés par les articles 384 et 385 CPC entraînent l’extinction de l’instance.

32 Une telle situation est en totale contradiction avec l’esprit des réformes tendant à accroître les pouvoirs du juge de la mise en état. Le but de ces réformes était en effet de transmettre à la formation de jugement une affaire purgée de tous ces vices procéduraux. En refusant d’offrir au JME compétence pour connaître des fins de non-recevoir on prend donc le risque d’une part d’un allongement inutile de l’instance, d’autre part, d’une instrumentalisation de la procédure par les parties qui ne manqueront pas d’attendre le dernier moment pour soulever ce type de moyen de défense. Or, fins de non-recevoir qui ne supposent pas d’examen au fond du droit. Cette situation est donc incompatible avec l’esprit du décret du 28 décembre 2005, qui a doté le juge de la mise en état d’une compétence exclusive pour statuer sur les incidents susceptibles de mettre fin à l’instance et, plus généralement, pour tout moyen non substantiel.

La Cour de cassation dans un nouvel avis rendu sur la question en date du 13 février 2012 a pourtant réitéré sa solution en indiquant cette fois expressément que « le juge ou le conseiller de la mise en état n’est pas compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir ».

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En l’espèce, si le défendeur soulève devant le JME la fin de non-recevoir tirée de la prescription, il s’expose à ce que son adversaire soulève une exception d’incompétence (art. 75 s. du CPC)33. On peut en outre s’interroger sur le point de savoir si, en supposant que le demandeur n’oppose pas l’incompétence du JME, ce dernier pourrait se déclarer d’office incompétent car la règle de compétence matérielle violée serait ici exclusive (art. 771 du CPC) et donc d’ordre public (art. 92 du CPC). En l’absence de jurisprudence sur cette question délicate, il parait préférable de considérer qu’il n’entre pas dans les prérogatives du JME de relever d’office son incompétence, dans la mesure où l’article 771 du CPC ne prévoit pas cette possibilité (le relevé d’office n’est pas une exception de procédure et n’est pas l’un des incidents d’instance visé aux articles 384 et 385 du CPC, même s’il est susceptible de mettre fin à l’instance). Dès lors, seule la formation collégiale du TGI est susceptible de relever d’office son incompétence.

Pour conclure, il convient, dans l’intérêt de Monsieur Da Costa, d’essayer de soumettre la fin de non-recevoir au JME. Cependant, si l’association réplique par une exception d’incompétence, le JME sera tenu d’y faire droit. Précisons que la Cour de cassation (Civ. 1e, 9 mars 2011) a admis que le JME saisi d’une fin de non-recevoir peut en renvoyer l’examen à la formation collégiale du TGI et surseoir à statuer dans l’attente de la décision.

Le second problème qui se pose est de savoir si un recours est ouvert contre une décision par laquelle le JME statue sur une exception d’incompétence. En effet, il est précisé que le juge a indiqué ne pas pouvoir connaître de la fin de non-recevoir opposée par le défendeur, ce qui suppose qu’il ait été saisi d’une exception d’incompétence (cf. supra).

L’article 776 du Code de procédure civile dispose que les ordonnances du juge de la mise en état sont susceptibles d’appel notamment lorsqu’elles statuent sur une exception de procédure.

En l’espèce, le JME a nécessairement fait droit à une exception d’incompétence soulevée par l’association en réponse à la fin de non-recevoir opposée par le défendeur, ce qui implique qu’il a statué sur une exception de procédure (art. 75 CPC). Dès lors, en application de l’art. 776 CPC, cette décision doit faire l’objet d’un appel dans les 15 jours de sa signification, quand bien même le JME n’aurait statué que sur sa compétence. En effet, la Cour de cassation est venue préciser que, la règle spéciale de l’article 776 du CPC prévalant sur la règle générale de l’article 80 du CPC, le contredit n’est pas possible contre les ordonnances du JME que ne peuvent être contestées que par la voie de l’appel V. Cass. 2ème civ., 2 juillet 2009.

Pour savoir précisément jusqu’à quelle date le défendeur former un tel recours il convient de se reporter aux dispositions de l’article 641 du CPC : lorsqu’un délai est exprimé en jour celui de la décision ne compte pas, le délai commence à courir le lendemain (dies a quo). En l’espèce, le délai de 15 jours a donc commencé à courir le 24 février 2012 (notification en date du 23 février). En outre, l’article 642 du CPC pose en principe que les délais expire le dernier jour à 24 heures. Il s’ensuit que l’appel pouvait être interjeté jusqu’au 9 mars 2012 (2012 est une année bissextile) : dies ad quem.

Pour conclure, au 26 mars 2012, M. Da Costa semble forclos.Toutefois, il convient de relever que l’ordonnance du JME n’a pas été préalablement notifiée au représentant du

défendeur. Le troisième problème de droit consiste donc à apprécier la régularité de la signification effectuée à la partie.

L’article 678 du CPC impose, à peine de nullité, que les jugements soient préalablement notifiés aux représentants des parties lorsque la représentation est obligatoire. La Cour de cassation, après avoir longtemps estimé que le défaut de notification préalable constitue une nullité sans qu’il y ait lieu de rechercher si l’omission a causé grief (Civ. 2ème, 15 février 1995), a opéré un revirement et décide aujourd’hui que l’irrégularité s’analyse en un vice de forme

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33 Normalement, les exceptions d’incompétence sont des moyens de défense qui ne peuvent être présentés que par le défendeur. Il est toutefois admis qu’exceptionnellement, le demandeur puisse également opposer cette exception de procédure en présence d’une question préjudicielle (Civ. 2e, 25 novembre 1981). Dans ce cas, la règle de l’art. 74 CPC ne pose pas de difficultés car, par hypothèse, le demandeur n’a pas pu présenter de fin de non- recevoir ou de défense au fond.

qui n’entraîne la nullité de la signification destinée à la partie que sur justification d’un grief (Civ. 2ème, 12 avril 2012). L’annulation se trouve donc désormais pleinement soumise au régime prévu à l’article 114 du CPC.

En l’espèce, l’instance est pendante devant le TGI, juridiction devant laquelle la représentation est obligatoire (art. 752 CPC). Le défendeur a donc la possibilité de soulever une exception de nullité pour vice de forme de la signification du 23 février 2012, dont il a été destinataire. Les conditions de l’article 114 du CPC sont en effet réunies puisque d’une part, la nullité est expressément prévue par l’article 678 du CPC et d’autre part, un grief est vraisemblablement caractérisé dans la mesure où cette irrégularité a eu pour effet de priver le défendeur de la faculté effective d’interjeter appel (Civ. 2ème, 22 novembre 1984 : l’irrégularité cause grief lorsque de son fait le destinataire de l’acte n’a pu exercer son recours en temps utile).

Par ailleurs, si en principe l’article 74 du CPC impose de soulever les exceptions de nullité pour vice de forme in limine litis, l’article 112 du CPC tempère cette règle en reconnaissant la recevabilité de l’exception soulevée au fur et à mesure de la survenance de l’irrégularité. Dès lors, le défendeur est recevable à faire valoir la nullité de la signification de l’ordonnance pour vice de forme, à condition de l’opposer dans les premières écritures

Pour conclure, M. Da Costa obtiendra vraisemblablement le prononcé de l’annulation de la signification de l’ordonnance, ce qui aura pour effet de lui faire recouvrer la faculté d’interjeter appel, le délai de recours n’ayant pas pu commencer à courir (V. par ex. Civ. 1ère, 10 mai 2007 : le délai d’appel ne peut courir que d’une notification régulière).

Le quatrième problème de droit concerne les possibilités de recours contre une décision du JME qui rejette une demande de sursis à statuer.

L’article 776 du CPC dispose que les ordonnances du JME ne peuvent en principe être frappées d’appel qu’avec le jugement statuant sur le fond, sous réserve notamment du régime spécifique prévu en matière de sursis à statuer. Selon l’article 380 du CPC la décision de sursis peut faire l’objet d’un appel sur autorisation du premier président de la cour d’appel.

En l’espèce, le JME a statué sur une exception de sursis que la Cour de cassation assimile, en ce qui concerne la compétence, à une exception de procédure (Cass. avis, 29 septembre 2008). Il convient donc d’appliquer le régime spécial prévu par l’article 380 du CPC, auquel renvoie l’article 776 du CPC. Or, la faculté d‘interjeter appel sur autorisation est prévue à l’encontre des décisions qui ordonnent un sursis à statuer et ne saurait être étendue aux cas dans lesquelles le sursis est refusé (CA Paris 8 juillet 1977)34.

Pour conclure, M. Da Costa peut être rassuré. L’ordonnance du JME rejetant la demande de sursis ne peut pas être critiquée par le biais d’un appel immédiat et doit être contestée avec le jugement sur le fond.

Le cinquième problème qui se pose est de savoir quelle est la sanction encourue en cas de dépôt de conclusions trois jours avant le prononcé de l’ordonnance de clôture.

Littéralement, l’article 783 du Code de procédure civile n’interdit pas aux parties de déposer de nouvelles conclusions ou de nouvelles pièces peu de temps avant l’ordonnance de clôture. Cependant, l’article 15 du CPC, oblige les parties à se communiquer « en temps utile » leurs moyens de fait et de droit ainsi que les éléments de

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preuve qu’elles entendent produire. Ce texte n’est qu’une application du principe du contradictoire. Cette exigence est justifiée par le fait que chaque partie doit être en mesure d’assurer au mieux sa défense. L’articulation des articles 15 et 783 du CPC doit conduire le juge de la mise en état à écarter des débats les éléments invoqués ou produits par les parties tardivement.

En l’espèce, le fait de soulever, trois jours avant l’ordonnance de clôture, de nouvelles conclusions déterminantes, semble contrevenir à l’exigence posée par l’article 15 du Code de procédure civile et devrait suffire à justifier que le juge écarte des débats les conclusions tardives (Cass. 2ème civ., 14 juin 1994 ; Cass. 1ère civ., 8 juin 2004 : pour des conclusions déposées le 20 avril avec une clôture fixée au 23 avril) s’il estime que la partie adverse ne dispose pas du temps nécessaire pour faire valoir ses arguments. La Chambre mixte de la Cour de cassation a d’ailleurs affirmé,

34 Notez que si le moyen rejeté avait été une exception de procédure non soumise à un régime spécifique, l’appel aurait été ouvert sur le fondement de l’art. 776 al. 3 2 CPC ; et ce, même si la décision ne mettait pas fin à l’instance (il n’y a pas lieu de distinguer selon que l’ordonnance ait ou non mis un terme à l’instance lorsqu’elle est rendue sur une exception de procédure Civ. 2ème, 14 mai 2009).

dans un arrêt en date du 3 février 2006, que les juges n’avaient pas à caractériser une violation manifeste du principe du contradictoire pour écarter des pièces ou conclusions déposées tardivement. V. dans le même sens Cass. 3ème civ., 10 mars 2009.

Par ailleurs, la Cour de cassation admet que les conclusions par lesquelles une partie demande que des écritures déposées tardivement soient rejetées des débats sont recevables après la clôture (Civ. 2ème 28 juin 2012). Cette solution se justifie par la nécessité d’assurer la sanction du principe du contradictoire.

Pour conclure, il convient de recommander au défendeur de solliciter le rejet des débats des conclusions tardives. Cette possibilité lui est ouverte au 24 juillet 2012, même si l’ordonnance de clôture est déjà rendue. Compte tenu du délai de dépôt, il est probable que les écritures litigieuses seront écartées des débats, sauf si l’adversaire parvenait à obtenir la révocation de l’ordonnance de clôture sur le fondement de l’article 784 du CPC, ce qui suppose de rapporter le preuve d’une cause grave35.

Le sixième problème qui se pose est de savoir quelle est la qualification du moyen de défense par lequel une partie soulève l’irrégularité dans la constitution de l’avocat de son adversaire devant une juridiction où la représentation par avocat est obligatoire.

L’article 751 du CPC impose aux parties de constituer avocat devant le TGI. L’avocat en cause doit, pour pouvoir valablement postuler, être inscrit au barreau du TGI saisi (art. 5 de la loi du 31 décembre 1971). Enfin, l’article 117 du CPC dispose que le défaut de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une personne en justice constitue une irrégularité de fond.

En l’espèce, l’avocat du demandeur est inscrit au barreau de Paris alors que l’affaire a été portée devant le TGI de Lyon. Il s’ensuit que cet avocat ne dispose pas du pouvoir de se constituer devant la juridiction lyonnaise : Cass. 2ème civ., 9 janv. 1991.

Pour conclure, le demandeur pourra faire valoir la nullité pour vice de fond de l’intégralité des actes accomplis par maître Keu.

Reste à savoir si le défendeur est encore en mesure d’invoquer la nullité pour vice de fond de la constitution de l’avocat, postérieurement à l’ordonnance de clôture.

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L’article 118 du CPC prévoit que les exceptions de nullité pour vice de fond peuvent être invoquées en tout état de cause. Néanmoins, l’article 771 du CPC dispose que le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure.

En l’espèce, il convient de s’interroger sur le point de savoir si le régime spécifique de la mise en état prime sur le régime général des nullités pour vice de fond.

La Cour de cassation fait en la matière application de l’adage specialia generalibus derogant et décide qu’il n’est plus possible de soulever une exception de nullité pour vice de fond postérieurement au dessaisissement du JME dès lors qu’il aurait été possible de la faire valoir avant : Cass. 2ème civ., 10 nov. 2010.

Pour conclure, il n’est plus possible de soulever la nullité des actes accomplis par maître Keu devant la formation collégiale.

CAS PRATIQUE 5

Cas n° 1 : Le premier problème de droit consiste à déterminer s’il existe une procédure permettant, avant d’engager un procès, d’obtenir le prononcé d’une mesure d’instruction.

L’article 145 du CPC dispose que des mesures d’instruction dites in futurum peuvent être ordonnées, avant tout procès, afin de conserver ou d’établir des preuves dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Trois conditions doivent être réunies pour pouvoir agir sur le fondement de l’article 145 du CPC. Outre qu’il faut être en dehors de toute instance (1ère condition), il faut que la mesure sollicitée soit légalement admissible (2ème condition) et que le demandeur justifie d’un motif légitime (3ème condition).

En l’espèce, la société demanderesse souhaite voir désigner un huissier de justice qui devra effectuer des constatations sans pour autant porter un avis sur les conséquences qui peuvent en résulter. La désignation d’un constatant est prévue par les articles 249 et suivants du CPC. Il faut dès lors admettre qu’il s’agit d’une mesure légalement admissible. La jurisprudence décide en effet que les mesures d’instruction légalement admissibles au sens de l’article 145 du CPC sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du CPC (Cass. 2ème civ., 8 février 2006).

En outre, le demandeur doit justifier d’un motif légitime. Ce motif relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et donne lieu à une jurisprudence difficile à systématiser. On peut néanmoins affirmer que le motif n’est pas considéré comme légitime lorsque les mesures d’instruction in futurum sont requises dans un but comminatoire (CA Paris, 6 août 2003) ou pour fournir au demandeur un fondement juridique à sa demande ultérieure (CA Paris, 8 juin 1988). Par ailleurs, le litige à régler doit être au moins potentiel (Cass. 3ème civ., 16 avril 2008) et les mesures sollicitées s’avérer pertinentes pour établir ou conserver une preuve (Cass. 2ème civ., 17 novembre 1993). Enfin, la mesure ne doit pas porter atteinte aux intérêts légitimes de la partie adverse (Cass. 2ème civ., 14 mars 1984).

En l’espèce, le litige paraît suffisamment caractérisé dans la mesure où son fondement est déjà envisagé (violation d’un contrat de bail) et que la contestation n’est pas manifestement vouée à l’échec (Cass. 1ère civ., 29 avril 1985).

En conclusion, le bailleur remplit les conditions requises pour bénéficier de mesures d’instruction in futurum.Le deuxième problème de droit concerne la procédure à suivre pour obtenir le prononcé d’une mesure d’instruction in futurum.

L’article 145 du CPC dispose que les mesures d’instruction peuvent être ordonnées avant tout procès sur requête

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ou en référé. Pour que la voie de la requête soit possible, il faut que les circonstances exigent que la mesure ne soit pas prise contradictoirement : art. 17 du CPC et Cass. 2ème civ., 13 mai 1987.

En l’espèce, si le défendeur était informé à l’avance de la venue de l’huissier de justice, ceci risquerait de ruiner l’efficacité de la mesure. C’est pourquoi, il faut conseiller au demandeur de solliciter, dans un premier temps, la désignation de l’huissier sur requête21.

Il convient donc d’exposer au demandeur la procédure à suivre pour obtenir sur requête la désignation d’un huissier.

Le régime des ordonnances sur requête est posé aux articles 493 et suivants du CPC. L’article 494 du CPC exige notamment que la requête soit présentée en double exemplaire, motivée et qu’elle comporte l’indication des pièces invoquées. L’article 58 du CPC précise les mentions obligatoires contenues dans l’acte à peine de nullité. Enfin, devant le TGI, l’article 812 du CPC confie au Président de la juridiction la connaissance de la procédure sur requête et indique qu’elle concerne « toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement ». Traditionnellement, la jurisprudence estimait, sur le fondement de ce texte, que les mesures d’instruction in futurum pouvaient être ordonnées sur requête à la double condition qu’il soit justifié de l’urgence et de l’existence de circonstances autorisant une dérogation au principe du contradictoire (Cass. 2ème civ., 7 mai 2008). Par un arrêt en date du 15 janvier 2009, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement et considère désormais que l’urgence n’est plus une condition requise pour que soient ordonnées sur requête des mesures sur le fondement de l’article 145 du CPC. La requête tendant au prononcé de mesures d’instruction in futurum se trouve ainsi soumise à des conditions autonomes et échappe donc aux règles du droit commun.

En l’espèce, il est manifeste que le fait d’avertir l’adversaire de la venue de l’huissier nuirait à l’efficacité de la mesure puisqu’il lui donnerait l’occasion de faire disparaître les preuves de nature à établir la violation du contrat de bail. La condition de la nécessité d’une dérogation au contradictoire est remplie et suffit à fonder la requête sans qu’il soit besoin de démontrer l’urgence.

Pour conclure, il faut donc conseiller au bailleur de saisir le Président du TGI sur requête. L’acte devra être établi en double exemplaire, motivé et comporter les mentions prévues à l’article 58 du CPC.

Le troisième problème de droit consiste à déterminer la voie de recours ouverte au requérant contre une ordonnance n’ayant pas fait droit à sa requête.

Par principe, l’article 496 du CPC ouvre la voie de l’appel contre l’ordonnance ayant rejetée la requête, à moins qu’elle n’émane du Premier Président de la Cour d’appel. Le demandeur dispose d’un délai de 15 jours à compter du prononcé de l’ordonnance pour interjeter appel. Cette règle s’explique par le fait qu’il n’existe aucun défendeur à l’instance et que sa notification n’est donc pas nécessaire.

21 Il est possible, lorsque les circonstances de l’espèce le justifient, de solliciter par ailleurs que soit ordonnée une expertise en référé même en dehors de toute instance au fond. La Cour de cassation a en effet validé la possibilité de combiner une procédure sur requête et une procédure de référé dans le cadre de l’article 145 du CPC dès lors que le demandeur ne cherche pas à pallier l’irrégularité ou l’insuffisance des mesures sollicitées, mais simplement à en assurer l’efficacité : Cass. 2ème civ., 21 janvier 2010. Les ordonnances de référé sont régies par les articles 484 et suivants du CPC. S’agissant d’une procédure contradictoire, l’instance est introduite par une assignation (art. 485 CPC) qui comporte, à peine de nullité, les mentions prévues par l’article 56 du CPC. Devant le TGI, les ordonnances de référé relèvent de la juridiction présidentielle et sont subordonnées aux conditions prévues aux articles 808 et 809 du CPC. Toutefois, en matière de mesures d’instruction in futurum, la Cour de cassation est venue consacrer l’autonomie de l’instance ouverte en application de l’article 145 du CPC

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(Cass. Ch. Mixte, 7 mai 1982). Le Président du TGI statuant sur une demande de mesures d’instruction in futurum n’a donc à rechercher ni l’urgence (Cass. com. 25 octobre 1983), ni l’absence de contestation sérieuse (Cass. 3ème civ., 10 décembre 1980).

En l’espèce, dans l’hypothèse où le juge n’accèderait pas à la requête aux fins de désignation d’un constatant, le bailleur dispose de la possibilité d’interjeter appel de la décision dans les 15 jours du prononcé de l’ordonnance. Cet appel est soumis aux dispositions applicables à la matière gracieuse.

Le quatrième problème de droit consiste à déterminer si l’ordonnance sur requête commettant un huissier de justice est susceptible de faire l’objet d’un recours de la part défendeur.

L’article 150 du CPC dispose que les décisions qui ordonnent, modifient ou refusent d’ordonner ou de modifier une mesure d’instruction ne peuvent normalement pas faire l’objet d’un recours immédiat.

Toutefois, le cas des mesures d’instruction in futurum est particulier puisqu’elles sont prescrites dans le cadre d’une instance autonome ayant pour finalité de statuer sur la mesure. Le juge se trouve ainsi dessaisi après avoir statué sur la mesure d’instruction. C’est pourquoi la jurisprudence refuse d’appliquer ce texte lorsque le juge statue sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. Ch mixte, 7 mai 1982).

Selon, l’article 496 du CPC lorsqu’il est fait droit à une requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. Il s’agit d’un recours en rétraction, qui est introduit comme en matière de référé (Cass. 2ème civ., 20 février 1980), ne répond à aucun délai et peut être formé même si l’affaire a été postérieurement confiée à un juge du fond (Cass. 2ème civ., 26 novembre 1990).

En l’espèce, une fois que l’huissier de justice aura exécuté sa mission, le défendeur, alors informé de l’existence de l’ordonnance, pourra saisir le juge ayant rendu la décision litigieuse afin qu’il la réexamine (rétablissement a posteriori du principe du contradictoire). Ceci pourra aboutir à la rétraction de l’ordonnance, ce qui entraînera, ipso facto, l’annulation des mesures effectuées sur son fondement.

Le cinquième problème de droit consiste à déterminer quelle est la voie de recours ouverte contre une décision ordonnant, avant dire droit, une expertise dans le cadre d’une instance au fond ?

L’article 272 du CPC dispose que la décision ordonnant l’expertise peut être frappée d’appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du Premier président de la Cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime.

En l’espèce, le bailleur pourrait faire valoir qu’un allongement de la procédure risquerait de mettre en péril la conservation de son local commercial. L’appréciation de la gravité et de la légitimité du motif relève, certes, de l’appréciation souveraine du premier président (Cass. 3ème civ., 3 avril 1978). Toutefois, si ce risque est avéré, il serait tout à fait susceptible de revêtir un caractère de gravité.

On peut donc estimer que le motif dont se prévaut le bailleur peut être qualifié de grave et légitime.

L’article 272 al. 2 du CPC précise que l’autorisation doit être sollicitée dans le mois de la décision attaquée par voie d’assignation. Le point de départ de ce délai d’un mois est donc fixé au prononcé de la décision ordonnant l’expertise (CA Paris, 26 novembre 1985).

En l’espèce, le défendeur pourra faire délivrer l’assignation devant le premier président de la Cour d’appel dans un délai d’un mois à compter du rendu de la décision.

Pour conclure, Il faut donc lui conseiller d’assigner la demanderesse devant le Premier président de la Cour

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d’appel car il a de grandes chances d’être autorisé à interjeter l’appel de la décision ayant ordonné l’expertise.

Le sixième problème de droit porte sur la possibilité pour une partie de faire récuser l’expert désigné par le Tribunal pour cause de suspicion légitime.

Par principe, l’article 232 du CPC confère au juge la possibilité de désigner un technicien pour l’éclairer sur un point technique dont dépend la solution du litige. L’article 234 du CPC fixe que la récusation des techniciens est possible pour les mêmes causes que celles applicables aux magistrats, causes prévues à l’article 341 CPC. Cet article dispose notamment que la récusation peut être prononcée dans l’hypothèse où la personne visée aurait un intérêt personnel à la contestation (article 341 1° du CPC). En présence d’un cas d’ouverture à récusation, la demande de récusation du technicien doit être portée devant le juge qui l’a commis et ce avant le début des

opérations ou dès que la cause de récusation s’est révélée (article 234 al. 2 du CPC) 22.

En l’espèce, l’expert semble être président d’une association dont l’objet vise à la défense de la cause des canards de sorte qu’il est possible de soutenir l’existence d’un intérêt personnel, au sens de l’article 341-1° du CPC, qui serait susceptible d’avoir des incidences sur son impartialité. La demande de récusation de l’expert devra être formée devant le juge qui a ordonné l’expertise et ce dès que sa cause aura été portée à la connaissance du demandeur.

Pour conclure, si l’information parvenue aux oreilles de Monsieur CHANG s’avère exacte, il convient de lui préciser qu’il devra former une demande afin que le juge puisse pourvoir à son remplacement.

Le septième problème de droit implique de préciser la manière dont la partie qui n’a pas été convoquée aux opérations d’expertise peut contester le rapport de l’expert.

L’article 160 du CPC impose aux techniciens commis par le juge de convoquer les parties et les tiers intéressés verbalement s’ils sont présents lors de la fixation de la mesure ou, à défaut, par lettre recommandée avec accusé de réception.

En l’espèce, les parties n’ont visiblement pas été convoquées aux opérations d’expertise qui se sont déroulées hors leur présence. Il convient donc de préciser la sanction de l’obligation prévue à l’article 160 du CPC.

Les articles 175 et suivants du CPC précisent que les décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction peuvent être annulés conformément aux dispositions régissant la nullité des actes de procédure. La sanction d’un rapport d’expertise déposé au mépris de l’obligation de convoquer les parties doit donc être envisagée au regard des articles 112 et suivants du CPC qui distinguent les nullités pour irrégularité de forme et de fond.

Toutefois, les articles 176 à 178 du CPC prévoient un régime restrictif afin d’éviter les contestations dilatoires formées, dans le seul but, de retarder l’administration de la preuve. Ainsi, la nullité en matière de mesures d’instruction est limitée à l’opération irrégulière et ne rejailli pas sur les actes valables (art. 176 du CPC), elle peut être régularisée à tout moment (art. 177 du CPC) et ne peut être prononcée s’il est prouvé, par tous moyens, que les prescriptions de la loi ont été en fait respectée (art. 178 du CPC).

Pour cette raison, la jurisprudence fait application en la matière du régime des nullités pour vice de forme (art. 112 à 116 du CPC) en subordonnant l’annulation à l’exigence d’un texte ou de l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (Cass. 2ème civ., 16 décembre 1985) et d’un grief (V. par ex. Cass. 2ème civ., 28 octobre 1975, sur la question de la convocation ; Cass. 2ème civ., 18 février 1992, rappelant l’exigence de la démonstration d’un grief).

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Toutefois, on peut relever que la jurisprudence de la Cour de cassation est fluctuante sur la question de la sanction du rapport d’expertise établi non contradictoirement. En effet, un courant jurisprudentiel assez important décide, depuis un revirement opéré par la deuxième Chambre civile le 24 novembre 1999, que la violation du principe du contradictoire par l’expert justifie l’annulation de son avis, même en l’absence de grief (Cass. 2ème civ., 24 novembre 1999 ; Cass. 2ème civ., 24 février 2005 ; Cass. Com. 4 novembre 2008). La nullité n’est alors pas soumise à l’art. 114 CPC, l’art. 16 CPC faisant figure de fondement autonome justifiant à lui seul l’annulation. Cette position n’est toutefois pas uniformément adoptée par toutes les formations de la Haute juridiction (V. pour une solution contraire : Cass. civ. 2ème, 8 septembre 2011). Cette jurisprudence a été très récemment confirmée par un arrêt rendu le 1er février 2012 par la première chambre civile de la cour de cassation prononçant la nullité d’un rapport d’expertise au seul visa de l’article 16 du Code de procédure civile pour défaut de communication aux parties des pièces sur lesquelles le juge a fondé son rapport (Cass. 1ère civ., 1er février 2012).

En l’espèce, la partie souhaitant se prévaloir du défaut de convocation pourra soutenir la nullité du rapport soit sur le fondement d’un vice de forme (article 114 du CPC), soit sur le seul fondement du non-respect du principe du contradictoire (article 16 du CPC).

22 Attention, bien que l’article 234 du CPC relatif à la récusation d’un technicien renvoie à l’article 341 du CPC pour ce qui est des causes, la procédure subséquente répond à une régime propre détachée de celle énoncée à l’article 341 du CPC (Cass. 2ème civ., 5 mai 1993 : la procédure spécifique de récusation des magistrats des article 341 et suivants n’est applicable aux techniciens, seules les causes de récusation étant communes)

Le fait que l’article 160 du CPC ne prévoit pas expressément la sanction de la nullité est sans incidence dans la mesure où ce texte fait application, en matière d’expertise, du contradictoire, principe dont le respect constitue une formalité substantielle (Cass. 2ème civ., 17 janvier 1985).

Pour pouvoir obtenir la nullité du rapport, le défendeur devra également rapporter la preuve d’un grief. Cette notion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 2ème civ., 21 octobre 1982). Ici, on peut légitimement penser que le fait d’avoir tenu une ou l’autre des parties à l’écart d’une des opérations a eu nécessairement pour effet de désorganiser sa défense. En effet, l’expert a exécuté sa mission sans tenir compte de ses observations - ce dont il a par ailleurs l’obligation (art. 276 du CPC)23 , tout en recueillant celles de l’adversaire. Il est ainsi régulièrement jugé que le fait de communiquer le rapport aux parties et de les mettre à même de débattre contradictoirement à l’audience, ne saurait suffire à écarter le grief (Cass. 1ère civ., 7 mars 2000, Cass. 2ème civ., 21 décembre 2001).

Si le juge devait estimer que le défendeur ne subit aucun grief, ce dernier pourrait chercher à se prévaloir de la jurisprudence qui admet l’annulation d’un rapport d’expertise dès que le contradictoire a été violé, sur le fondement de l’art. 16 CPC, sans exiger la démonstration d’un grief (cf. supra).

Par contre, la nullité du rapport pourrait être écartée si le juge considérait que l’expert s’est livré uniquement à des investigations purement matérielles ou techniques, car il n’a plus, dans ce cas, l’obligation d’appeler les parties (Cass. 2ème civ., 3 novembre 2005). Néanmoins, en l’espèce, non seulement l’expert a tenu à l’écart les parties d’une ou plusieurs constatations matérielles, mais il ne leur a pas soumis son pré-rapport afin de recueillir leurs observations.

En définitive, il faut donc conseiller à Monsieur CHANG de soulever la nullité du rapport dès son dépôt, à défaut, il risquerait de n’être plus recevable à le faire s’agissant d’un vice de forme (art. 74 et 112 du CPC : la nullité des actes de procédure est invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement).

Cas n° 2 : Le premier problème de droit suppose de déterminer si le débiteur est recevable à former opposition

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contre l’ordonnance portant injonction de payer. Plus particulièrement il s’agit de savoir quelles sont les conditions pour pouvoir former opposition contre une ordonnance en injonction de payer.

L’article 1412 du CPC reconnaît au débiteur la possibilité de former opposition contre l’ordonnance portant injonction de payer. L’article 1416 du CPC prévoit que l’opposition doit être exercée dans un délai d’un mois qui court à compter de la signification de l’ordonnance.

Lorsque les délais sont exprimés en mois, l’article 641 al. 2 du CPC pose en principe que le délai expire le dernier jour du mois qui porte le même quantième que l’acte qui le fait courir.

En l’espèce, dans la mesure où la signification date du 14 juin 2012, le débiteur avait, en principe, jusqu’au 14 juillet 2012 pour former opposition. Toutefois, le 14 juillet étant un jour férié, il convient de faire application des dispositions de l’article 642 al. 2 qui prévoit que, lorsque le délai expire un jour férié, il faut le proroger jusqu’au jour ouvrable suivant.

Dès lors, le délai pour former opposition doit donc être prorogé jusqu’au 16 juillet 2012 (le 15 était un dimanche). Le débiteur semble donc, de prime abord, forclos.

Néanmoins, l’article 1416 du CPC prévoit que lorsque la signification de l’ordonnance en injonction de payer n’a pas été effectuée à personne, l’opposition demeure recevable jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter du premier acte signifié à personne ou, à défaut, de la première mesure d’exécution.

En l’espèce, la signification n’a pas été faite à personne mais à domicile, l’acte ayant été remis à toute personne présente (art. 655 du CPC). Par conséquent, le délai d’opposition d’un mois court à compter du premier acte signifié à personne ou, à défaut, du premier acte d’exécution forcée. Ainsi, la signification de l’ordonnance revêtue de la formule

23 Selon ce texte, l’expert doit prendre en considérations les observations des parties et les joindre à son rapport si elles sont écrites. Dans ce dernier cas, elles prennent la forme de « dires ». Il est fréquent que les parties présentes plusieurs fois des observations au cours d’une expertise, dans ce cas chaque dire doit, pour être pris en compte, récapituler l’argumentation développée dans le dire précédent (art. 276 al. 3 du CPC).

exécutoire du 26 juillet 2012, qui a été effectuée à la personne du débiteur, a eu pour effet de faire courir un nouveau délai d’un mois. L’opposition se trouve donc recevable jusqu’au lundi 27 août 2012 (le 26 août tombe un dimanche).

Pour conclure, M. De Wurst est, à la date de résolution du cas pratique, toujours recevable à former opposition contre l’ordonnance portant injonction de payer.

Le deuxième problème de droit concerne les modalités d’exercice de l’opposition à l’encontre d’une ordonnance portant injonction de payer.

L’article 1415 al. 1er du CPC dispose que l’opposition est portée, selon le cas, devant le Tribunal d’instance, le Président du Tribunal de commerce ou le juge de proximité. L’alinéa 2 du même texte ajoute que l’opposition est formée au greffe, soit par déclaration contre récépissé, soit par lettre recommandée.

En l’espèce, l’ordonnance ayant été rendue par le Tribunal d’instance de Strasbourg, le débiteur doit former son opposition par déclaration ou par LR/AR adressée au greffe de cette juridiction. Toutefois, il convient de remarquer que le montant de la condamnation s’élève à 12.500 euros, ce qui suppose que la demande initiale s’élève à une somme supérieure à 10.000 euros et échappe à la compétence d’attribution du TI (L. 221-4 du COJ).

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Or, selon l’article 1417 du CPC la juridiction saisie de l’opposition statue dans les limites de sa compétence d’attribution et renvoie l’affaire conformément à l’article 97 du CPC en cas d’incompétence.

La Cour de cassation se fonde sur l’article 1417 du CPC pour affirmer que le Tribunal d’instance ne peut connaître d’une opposition que dans les limites de sa compétence de droit commun (Cass. 2ème civ., 9 février 1994). Ce régime spécifique déroge au droit commun de l’article 41 du CPC (« Le litige né, les parties peuvent toujours convenir que leur différend sera jugé par une juridiction bien que celle-ci soit incompétente en raison du montant de la demande ») et oblige le Tribunal d’instance, saisi d’une opposition contre une requête en injonction de payer d’un montant supérieur au taux de sa compétence à renvoyer l’affaire au Tribunal de grande instance dans les conditions de l’article 97 du CPC24.

Pour conclure, M. De Wurst a intérêt à former une opposition qui entraînera le renvoi de l’affaire devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour qu’il statue au fond. Le jugement rendu se substituera à l’ordonnance portant injonction de payer, qui sera réputée ne jamais avoir existée (art. 1420 du CPC).

Le troisième problème de droit suppose de déterminer s’il existe une procédure permettant au créancier d’obtenir un paiement dans de meilleures conditions que par le biais d’une procédure en injonction de payer.

L’article 484 du CPC dispose que l’ordonnance de référé est une décision provisoire rendue contradictoirement. L’article 489 du CPC précise qu’elle est assortie de l’exécution provisoire de droit. Enfin, l’article 809 al. 2 du CPC prévoit que lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable25, le Président du tribunal de grande instance peut accorder une provision au créancier.

En l’espèce, l’obligation n’est pas sérieusement contestable de sorte que, cette procédure lui serait également ouverte.

Néanmoins, la provision est normalement une somme à valoir sur la condamnation définitive (même si elle peut couvrir la totalité de la somme susceptible d’être demandée au principal). Il semble donc que cette procédure soit moins utile pour SARL Sillam Waurien, à moins qu’elle ne souhaite, par la suite, intenter une action en paiement (ce qui lui permettrait alors d’obtenir une provision en attendant la décision sur le fond).

24 L’art. 97 CPC qui détermine les modalités du renvoi devant la juridiction désignée comme compétente après une décision d’incompétence s’applique également lorsque le créancier demande à ce qu’en cas d’opposition

l’affaire soit renvoyée devant le juge qu’il estime compétent (art. 1408 CPC).25 La jurisprudence a évolué et divergé quant au point de savoir si la Cour de cassation devait ou non contrôler l’existence d’une contestation sérieuse. Finalement la Cour de cassation a tranché en Assemblée plénière, pour l’exercice d’un contrôle de l’appréciation portée par le juge : Cass. Ass. Pl. 16 nov. 2001.

Un autre point fait difficulté. Faut-il exiger pour le référé provision qu’il y ait urgence ? Ne pouvait-on pas se contenter de ce que l’obligation ne soit pas sérieusement contestable, ce qui est un juste motif ? La jurisprudence a admis qu’en l’état des textes, l’article 809 était indépendant de l’article 808 et que la preuve de l’urgence n’était pas nécessaire : Cass. 1ère civ., 4 nov. 1976.

. S’agissant de la compétence : Il convient d’envisager d’abord la compétence d’attribution et ensuite la compétence territoriale.

Sur la compétence d’attribution : Le principe est posé par l’article 810 du CPC qui dispose que les pouvoirs du Président du tribunal de grande instance prévus aux articles 808 (urgence nécessaire) et 809 (urgence présumée et résultant des circonstances et référé provision), s’étendent à toutes les matières ou il n’existe pas de procédure particulière de référé. Il dispose donc d’une compétence de droit commun en matière de référé, compétence qu’il

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partage toutefois avec le juge d’instance (art. 849 du CPC).

Dans la mesure ou la compétence du juge des référés est fonction de la compétence de la juridiction saisie au fond, il faut conclure que le Président du Tribunal de grande instance serait à même de connaître du référé.

Sur la compétence territoriale : En principe, l’article 42 du CPC prévoit que le tribunal compétent est celui du lieu du domicile du défendeur.

En l’espèce, il faudra donc que le demandeur agisse devant le Président du tribunal de grande instance de Strasbourg.

. S’agissant de la procédure : L’article 809 du CPC qui précise la compétence du Président du tribunal de grande instance en matière de référé ne fournit aucune précision sur la procédure. Il convient donc de faire application des règles générales contenues dans les articles 484 à 492 du CPC. La demande devra être introduite par voie d’assignation.

La décision du juge des référés est une ordonnance qui présente trois caractères :

. Caractère exécutoire de plein droit : Elle bénéficie de droit de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’elle peut être exécutée dès sa signification, nonobstant le caractère suspensif du délai des voies de recours et de leur exercice. Dans certains cas d’absolue nécessité, ces ordonnances peuvent même être exécutées sans signification préalable et sur minute (art. 489 al. 2 du CPC).

. Caractère provisoire : Aux termes de l’article 484 du Code de procédure civile, l’ordonnance de référé est une décision provisoire.

. Absence d’autorité de la chose jugée au principal : Le caractère provisoire de l’ordonnance de référé exerce une influence profonde sur l’autorité qu’elle possède au point de vue de la chose jugée : D’abord, le juge du fond n’étant, en aucune mesure, lié par la décision obtenue en référé, l’ordonnance n’a donc pas autorité de la chose jugée quant au fond. Elle n’a pas au principal l’autorité de la chose jugée (art. 488 alinéa 1 du CPC). En revanche, si elle peut être modifiée ou rapportée par un nouveau référé, c’est seulement dans la mesure où sont apparues des circonstances nouvelles (art. 488 al. 2 du CPC). Il faut donc considérer que le juge des référés est obligé de maintenir sa propre ordonnance. Il ne pourrait la rétracter que si des faits nouveaux se produisaient. En tant qu’elle aménage des mesures provisoires, l’ordonnance a donc une certaine autorité de la chose jugée.

Les pouvoirs du juge des référés sont limités à la fois par le fait que ce juge n’est pas saisi du fond du droit et par le caractère provisoire des mesures qu’il peut prendre : ainsi s’il peut condamner le débiteur à verser une provision (qui peut être égale au montant de la créance), il ne peut pas le condamner à des dommages et intérêts. Si la SARL Sillam Waurien choisit cette procédure, elle sera obligée de saisir les juges du fond si elle souhaite obtenir autre chose que le seul paiement de sa facture.

Il faut enfin lui dire que l’ordonnance de référé peut être frappée d’appel dans les quinze jours de sa notification devant la cour d’appel. Le délai de quinze jours, court à compter de la signification de la décision (art. 490 du CPC).

Lorsqu’elle n’est plus susceptible de recours l’ordonnance de référé devient irrévocable, mais même devenue irrévocable, elle n’en demeure pas moins une décision provisoire, dans son principe au moins. En effet, si la SARL Sillam Waurien parvient à obtenir, en référé, le montant total de sa facture impayée (ce qui est possible puisque la demande n’est pas sérieusement contestable) et qu’elle renonce à demander réparation de son préjudice, il n’y aura pas d’instance au fond.

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Cas n° 3 : Le premier problème qui se pose suppose de déterminer la nature de la décision rendue en premier ressort lorsque l’acte introductif d’instance a été délivré au moyen d’un procès verbal de recherches infructueuses.

Par principe, même lorsque le défendeur ne comparaît pas, l’article 472 du Code de procédure civile impose qu’il soit statué sur le fond. Dans ce cas, l’article 473 du CPC qualifie le jugement rendu de réputé contradictoire si le défendeur n’a pas été touché à personne ou que la décision est susceptible d’appel.

En l’espèce, le seul fait que la décision rendue l’ait été à charge d’appel suffit à la qualifier de décision réputée contradictoire.

Pour conclure, dans la mesure où l’assignation a été signifiée selon les modalités de l’article 659 du CPC, il convient d’observer que le jugement du 20 juillet 2012 doit être qualifié de réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel.

Le second problème de droit nécessite de préciser les conditions de signification d’une décision de justice à personne morale.

Par principe, l’article 654 alinéa 1 du CPC énonce que la signification doit être faite à personne, faute de quoi elle peut être faite à domicile (article 655 du CPC). Dans son alinéa 2, ce même article, précise que pour une personne morale, la signification est réputée faite à personne lorsque l’acte est délivré « à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet ». En outre, l’article 690 du CPC impose que la notification faite à personne morale soit faite au lieu de son établissement, ou à défaut, à la personne d’un de ses membres apte à la recevoir. La combinaison de ces dispositions suppose que l’huissier ne saurait délivrer l’acte en un autre lieu que le siège social.

En l’espèce, l’huissier a signifié la décision de justice au domicile du représentant légal en effectuant une signification à domicile avec remise à l’étude (article 656 du CPC). Or, la signification à personne morale ne peut être effectuée au domicile du gérant que si l’acte lui est directement remis en main, puisqu’elle vaudra alors signification à personne sur le fondement de l’article 654 al. 2 du CPC : Cass. 2ème civ., 30 avril 2009. En revanche, si le gérant ne peut être rencontré à son domicile, l’acte ne peut pas être signifié à cet endroit qui ne constitue pas le siège social (c’est-à-dire le domicile) de la personne morale destinataire. Dès lors, le fait d’avoir procédé à une signification à domicile (avec dépôt à l’étude) à une adresse inexacte entache l’acte d’une irrégularité.

Pour conclure, il convient de préciser à Monsieur XANAX que la signification de la décision rendue le 21 juillet 2010 est irrégulière.

Le troisième problème de droit qui se pose est de savoir quelle est la nature du moyen de défense par lequel on soulève la nullité d’une signification.

L’article 693 du CPC pose en principe que les exigences requises par les articles 654 à 659 du CPC le sont à peine de nullité. En l’espèce, une formalité ayant été omise, le vice ne peut être qu’un vice de forme.

Dès lors la question qui se pose est de savoir quelles sont les conditions requises pour que le défendeur puisse soulever, devant le juge de la mise en état, une exception de procédure tirée de la nullité de l’acte d’assignation.

L’article 114 du CPC subordonne le prononcé de la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme à deux conditions cumulatives. Outre, la nécessité d’un texte prévoyant expressément que l’omission de la formalité litigieuse sera sanctionnée par la nullité (« pas de nullité sans texte »), il faut que le demandeur à l’exception rapporte la preuve de ce que l’omission lui cause un grief (« pas de nullité sans grief »). Le grief réside

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généralement dans la preuve de la désorganisation des droits des droits de la défense.

A défaut de preuve de ces deux conditions cumulatives, l’exception de nullité ne pourra prospérer.

La nullité d’un acte peut être soulevée par le biais d’une exception de procédure dont le régime est prévu par l’article 74 du CPC (in limine litis, avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir).

En l’espèce, les deux conditions requises sont réunies. En effet, non seulement la nullité est expressément prévue par un texte (art. 693 du CPC) mais en plus le défendeur n’ayant pas constitué avocat il pourra sans peine se prévaloir d’un grief dès lors qu’il n’a pu se défendre en temps utile. La nullité poursuivie aura, dès lors, toutes les chances de prospérer.

Le quatrième problème de droit suppose de déterminer quelles sont les conséquences de la nullité de la signification d’un jugement réputé contradictoire. Répondre à cette question permet de déterminer si le défendeur non comparant dispose d’un moyen de s’opposer à l’exécution du jugement rendu à son encontre.

Par principe, l’article 478 CPC prévoit que les jugements réputés contradictoires au seul motif qu’ils sont susceptibles d’appel doivent être signifiés dans les six mois de leur prononcé, faute de quoi ils sont non avenus.

En l’espèce, si la décision en date du 21 juillet 2010 a bien été signifiée dans le délai de 6 mois (21 janvier 2011), il a été démontré que l’acte de signification était entaché de nullité pour vice de forme. Dès lors, il faut considérer que la signification n’a jamais eu lieu et que le jugement dont le demandeur poursuit l’exécution est non avenu, puisqu’il a été exposé qu’il est réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel.

Pour conclure, il convient de rassurer Monsieur XANAX qu’il pourra s’opposer aux mesures d’exécution forcée en invoquant le défaut de notification régulière du jugement26. Il convient toutefois de lui préciser que l’instance pourra être reprise par la demanderesse qui, à condition que la prescription n’ait pas fait son œuvre, aura toujours la possibilité d’introduire une nouvelle demande.

Le cinquième problème de droit touche à la recevabilité de l’appel envisagé par la partie défaillante en première instance. L’hypothèse considérée suppose que cette partie renonce à se prévaloir du caractère non avenu du jugement de première instance27.

La recevabilité de l’appel est subordonnée à la réunion de diverses conditions :

-  le jugement attaqué doit avoir été rendu en premier ressort : en l’espèce cette exigence est satisfaite dès lors que la demande initiale est supérieure au taux de ressort (4000€).

-  L’appelant doit justifier d’un intérêt qui est « à la mesure de la succombance » (art. 546 du CPC) : en l’espèce la SCI a été condamnée par le jugement.

-  L’appelant doit avoir la qualité de partie en première instance (art. 547 du CPC) : en l’espèce cette condition se trouve manifestement satisfaite.

-  L’appel doit être interjeté dans le délai d’un mois qui court à compter de la signification de la décision litigieuse (art. 538 du CPC) : en l’espèce, du fait de l’annulation de la signification du jugement, ce délai n’a jamais commencé à courir (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007). Par ailleurs, on peut remarquer que contrairement à ce que l’on pourrait croire, la SCI n’est pas forclose pour former cet appel sur le fondement de l’article 528-1 du CPC. Ce texte prévoit que les parties comparantes sont déchues de toute possibilité de recours si le jugement n’a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé. Or, il ne peut pas s’appliquer car d’une part, l’appelant n’a pas comparu en première instance et, d’autre part, la Cour de cassation estime qu’il suffit que le jugement ait été

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notifié, peu important que cette notification ait été entachée d’une irrégularité susceptible d’en affecter l’efficacité (Cass. civ., 2ème, 2 mars 2000 ; Ass. Pl. 7 octobre 2011). L’annulation de la signification de la décision de première instance a pour conséquence que le délai de recours n’a jamais couru. La signification du 21 janvier

2011, même affectée d’un vice de forme, a donc satisfait à l’exigence de l’article 528-1 du CPC28. 26 En pratique ce moyen sera opposé devant le juge de l’exécution, qui dispose d’une compétence exclusive pour connaître des

contestations en matière d’exécution forcée (art. L. 213-6 du COJ).27 Il est, en effet, acquis en jurisprudence que l’appel de la partie défaillante en première instance emporte renonciation à se prévaloir des dispositions protectrices de l’article 478 du CPC (Cass. 2ème civ., 10 juillet 2003).

Pour conclure, la SCI Atarax serait recevable à interjeter appel de la décision, plutôt que d’en soulever la caducité sur le fondement de l’article 478 du CPC. Toutefois, il convient de lui indiquer que cette solution s’avère moins avantageuse car non seulement, il n’est pas certain que la cour d’appel infirmera le jugement (alors que le caractère non avenu suppose son anéantissement) ; mais encore, l’appelant serait tenu d’exécuter le jugement durant l’examen de son recours, en raison de l’exécution provisoire, sauf à en obtenir l’arrêt devant le premier président de la cour d’appel sur le fondement de l’article 524 du CPC.

CAS PRATIQUE 6

1) Le problème de droit est relatif à la procédure à suivre lorsque l’intimé ne constitue pas avocat après avoir été convoqué par transmission de la déclaration d’appel par le greffe.

L’article 902 du CPC dispose, qu’après réception de la déclaration d’appel de l’appelant, le greffe l’adresse aussitôt, par lettre simple, à l’intimé. Si, passé un délai d’un mois à compter de l’envoi de cette lettre, l’intimé ne constitue pas avocat, le greffe envoie à l’avocat de l’appelant, par voie électronique (art. 748-1 du CPC), un avis destiné à l’informer de la situation. L’appelant doit alors, à peine de caducité de la déclaration d’appel la signifier à l’intimé dans le mois de l’avis. Il est précisé que la signification doit indiquer à l’intimé qu’il dispose d’un délai de 15 jours pour constituer avocat, faute de quoi il s’expose à ce qu’une décision soit rendue sur les seuls éléments fournis par son adversaire et lui rappeler les dispositions de l’article 909 du CPC (obligation de conclure dans le délai de deux mois qui court à compter de la notification des conclusions de l’appelant), le tout à peine de nullité.

En l’espèce, le 25 avril 2012, soit plus d’un mois à compter l’envoi de l’avis effectué le 24 mars 2012, l’avocat de l’appelant a été informé par le greffe que l’intimé n’a pas constitué avocat (art. 641 du CPC les délais exprimés en mois sont computés de quantième à quantième). Il faut, par conséquent, indiquer à l’appelant qu’il doit impérativement procéder à la signification de la déclaration d’appel à Madame Marine avant le 25 mai 2012, faute de quoi sa déclaration d’appel sera caduque19.

Question supplémentaire : Le problème de droit se rapporte à la qualification de l’arrêt d’appel rendu sans que l’intimé n’ait constitué avocat. Le problème qui se pose est de savoir quelle est la nature de la décision par laquelle une cour d’appel statue lorsque l’intimé n’a pas constitué avocat.

L’article 899 du CPC dispose que, devant la cour d’appel, la représentation par avocat est en principe obligatoire. Par ailleurs, l’article 902 du CPC, précité, indique que faute pour l’intimé de constituer avocat, un arrêt peut être rendu sur les seuls éléments fournis par son adversaire. Ceci revient à assimiler, dans les procédures avec représentation obligatoire, le défaut de constitution à un défaut de comparution (art. 467 du CPC). Enfin, l’article 473 du CPC qualifie les décisions de jugement par défaut, lorsque le défendeur non comparant n’a pas été cité à personne et que la décision est rendue en dernier ressort. Si seulement l’une de ces conditions est satisfaite, la

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décision est qualifiée de réputée contradictoire.

En l’espèce, dans l’hypothèse où l’intimé ne constituerait pas avocat, il serait alors traité comme non comparant. En outre, s’agissant d’une décision d’appel, l’arrêt serait rendu en dernier ressort. En revanche, aucune indication n’est fournie sur la qualification de la signification de la déclaration d’appel à l’intimé. Il convient donc d’envisager les deux hypothèses.

Si la déclaration d’appel a été signifiée à la personne de Madame Marine, il faut conclure que l’arrêt d’appel à intervenir sera réputé contradictoire. En revanche, si la signification a été effectuée à domicile ou par PV de recherches infructueuses, l’arrêt sera rendu par défaut.

2) Le premier problème de droit suppose de déterminer dans quelle mesure l’appelant est tenu d’exécuter le jugement de première instance assorti de l’exécution provisoire lorsque l’instance d’appel a été radiée sur le fondement de l’article 526 CPC. Plus précisément, il s’agit de savoir si l’appelant peut toujours obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire postérieurement à la radiation du rôle.

L’article 526 du CPC dispose que lorsque l’instance d’appel a fait l’objet d’une radiation au motif que l’appelant n’a pas exécuté la décision attaquée exécutoire par provision, le CME, lorsqu’il est saisi, autorise la réinscription de l’affaire au rôle sur justification de l’exécution, sauf s’il constate la péremption. Par ailleurs, selon l’article 524 du CPC, l’appelant peut obtenir, devant le premier Président de la cour d’appel saisi en référé, l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée si cette dernière est interdite par la loi ou risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

En l’espèce, l’instance d’appel a été radiée par une ordonnance du CME en date du 18 mai 2012 régulièrement signifiée. Dans la mesure où l’article 526 al. 2 du CPC subordonne le rétablissement de l’affaire à la justification de l’exécution du jugement exécutoire par provision, on peut penser que l’appelant n’est plus recevable à saisir le premier président de la cour d’appel en arrêt de l’exécution provisoire, car ceci impliquerait de remettre en cause la décision du CME. Or, une ordonnance de référé, même rendue par le premier président de la CA, n’est pas dotée d’une autorité suffisante (art. 484 CPC) pour venir contredire une décision rendue par la cour. Cette situation est source de difficultés car elle conduit à obliger l’appelant à s’exécuter en cas de radiation. La Cour de cassation a toutefois mis un terme à la controverse en retenant que la décision de radiation rendue sur le fondement de l’article 526 du CPC ne s’oppose pas à ce que l’arrêt de l’exécution provisoire soit demandé sur le fondement de l’article 524 du CPC (Cass. 2ème civ., 9 juillet 2009), puisqu’il s’agit de deux procédures distinctes: le premier président de la CA saisi en référé n’est pas tenu par l’appréciation opérée par le CME.

Pour conclure, il convient d’indiquer à Maître Ludo que la société LBESP est toujours recevable à saisir le premier président de la CA en arrêt de l’exécution provisoire pour tenter d’échapper à l’exécution du jugement, même postérieurement à la radiation de l’affaire sur le fondement de l’article 526 du CPC.

Reste à préciser quelles sont les chances de l’appelant de voir l’exécution provisoire arrêtée par le premier président de la Cour d’appel. Plus précisément il s’agit de savoir quelles sont les conditions requises pour que le premier président de la Cour d’appel ordonne l’arrêt de l’exécution provisoire.

L’article 524 du CPC subordonne la recevabilité d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement à la satisfaction de deux conditions. D’une part, l’exécution provisoire doit avoir été ordonnée (il ne s’agit pas d’exécution provisoire de droit) ; d’autre part, l’appel doit avoir été interjeté. Par ailleurs, pour que le premier président ordonne effectivement l’arrêt, l’appelant doit démontrer que l’exécution provisoire est interdite par la loi ou risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

En l’espèce, l’exécution provisoire du jugement du 10 février 2012 a été ordonnée par le TGI et l’appel a été interjeté le 23 mars 2012. Rien ne permet ici d’affirmer que cet appel est irrecevable (l’appelant à succombé et a

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exercé le recours dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision), ou que l’exécution provisoire ordonnée par le TGI est interdite par la loi. Il reste donc à déterminer si les arguments soulevés par l’appelant sont susceptibles de constituer des conséquences manifestement excessives au sens de l’article 524 du CPC. Si, le principe en la matière est que l’appréciation du caractère manifestement excessif relève du pouvoir souverain des juges du fond (Civ. 2e, 11 juillet 1977), la Cour de cassation exerce néanmoins un contrôle restreint en fixant certaines « orientations » (Soc. 13 juillet 1999 ; Civ. 2e, 13 juin 2002). Il est donc possible d’indiquer au demandeur à l’arrêt de l’exécution provisoire si ses arguments ont une chance de prospérer.

En premier lieu, l’avocat du demandeur argue de ce que la décision de première instance risque d’être remise en cause car elle a été rendue en méconnaissance d’une jurisprudence de la Cour de cassation. Les chances d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire sur ce fondement sont minces car la Cour de cassation décide que le risque de réformation de la décision assortie de l’exécution provisoire ne peut, à lui seul, constituer une conséquence manifestement excessive, les juges du fond devant également caractériser l’irréversibilité des conséquences de l’exécution (Cass. 3e civ., 4 novembre 1987 ; Cass. 2ème civ., 5 février 1997 ; V. aussi AP 2 novembre 1990). Cependant, ici aussi, le risque de réformation du jugement a pu, parfois, être pris en compte par les juges du fond pour arrêter l’exécution provisoire (V. par ex. CA Bordeaux, 28 avril 1982).

En second lieu, l’appelant soutient que sa situation financière, ne lui permet pas de faire face à la condamnation. Dans la mesure où l’Assemblée plénière, dans un arrêt du 2 décembre 1990, a enjoint aux juges du fond de tenir compte des « facultés de paiement ou de remboursement » du débiteur pour apprécier le caractère manifestement excessif des conséquences de l’exécution provisoire, cet argument devrait normalement lui permettre d’y échapper dès lors que l’exécution de mesure de nature à ruiner la trésorerie de l’intimé engendrait de telles conséquences (CA de Paris, 3 mai 1985). Il est dès lors possible de se fonder sur cette situation pour solliciter, comme le projette le conseil de l’intimé, l’arrêt de l’exécution provisoire devant le premier Président statuant en référé sur le fondement de l’article 524 du CPC.

En conclusion, il est impératif d’indiquer à la société LBESP qu’elle est toujours en mesure d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire avec de grandes chances de succès. Cette dernière devra donc saisir le premier président de la CA par une assignation en référé. Si l’exécution provisoire est arrêtée, l’appelant ne sera plus tenu de déférer à la condamnation prévue par le jugement durant l’examen de son appel, l’affaire étant rétablie sur production de l’ordonnance d’arrêt (qui produit ses effets à compter de sa signification à l’adversaire : Cass. 2ème civ., 20 décembre 2001), ce qui lui évitera de s’endetter20.

Le deuxième problème de droit a trait aux conséquences de l’infirmation en appel d’un jugement assorti de l’exécution provisoire.

Le principe en la matière est posé à l’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution qui dispose que « l’exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié».

En l’espèce, il ne fait donc aucun doute que l’appelant pourra recouvrer auprès de l’intimé la somme qu’il a versée en exécution du jugement infirmé, à condition toutefois de procéder à la notification de l’arrêt d’appel21 (art. 503 du CPC).

Le point de savoir si l’appelant pourra obtenir la restitution des sommes qu’il doit payer au titre des intérêts de l’emprunt qu’il a contracté pour exécuter le jugement exécutoire par provision est plus délicat car il pose la question de la responsabilité du créancier qui procède à l’exécution forcée d’une décision assortie de l’exécution provisoire.

Cette question a été tranchée dans un important arrêt rendu par L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation le

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24 février 2006 selon lequel la simple signification de la décision assortie de l’exécution provisoire suffit à manifester la volonté du signifiant d’en poursuivre l’exécution à charge pour lui d’en réparer les conséquences dommageables en cas d’infirmation ultérieure. Ainsi, la simple notification du jugement suffit-elle à caractériser la poursuite de l’exécution au sens de l’ancien article 31 de la loi du 9 juillet 1991 (aujourd’hui L. 111-10 CPCE) et oblige le créancier à réparer le préjudice subi du fait de cette exécution.

En conclusion, comme Madame Marine a procédé à la signification du jugement le 24 février 2012, elle pourra être condamnée, en exécution de l’arrêt d’appel, à indemniser la société LBESP de l’intégralité de son préjudice, ce qui inclut les intérêts de l’emprunt onéreux qu’elle a souscrit pour honorer la décision de première instance.

3) Il convient de préciser la qualification procédurale de chacun des moyens que l’avocat de l’appelant envisage de soulever dans ses écritures avant d’indiquer s’ils sont recevables en cause d’appel et, le cas échéant de préciser quel est leur régime.

Le premier problème de droit porte sur la qualification de l’irrégularité tirée de l’absence de référence au représentant légal de la société défenderesse dans l’acte introductif d’instance.

L’article 56 du CPC dispose que l’assignation contient à peine de nullité les mentions prescrites pour tout acte d’huissier de justice, ce qui implique de respecter les prescriptions prévues par l’article 648 du CPC. Ainsi, lorsque le

20 Le décret du 9 décembre 2009 n’ayant pas modifié les articles 524 et 526 du CPC, la solution serait la même si

le problème était posé antérieurement au 1er janvier 2011.21 Qui est investi de la force de chose jugée dès son prononcé (art. 501 CPC).

requérant est une personne morale, l’acte introductif d’instance doit indiquer « l’organe qui la représente légalement »22 ; en revanche, lorsque l’acte est destiné à une personne morale, seule la mention de sa dénomination et de son siège social est imposée.

En l’espèce, le défaut de mention du représentant légal concerne le défendeur en première instance.

Pour conclure, la société LBESP ne peut se prévaloir d’aucune irrégularité dans la mesure où aucun texte n’a été violé. Par ailleurs, on peut observer que, même si Maître Ludo décidait de « tenter sa chance » en opposant une exception de nullité pour vice de forme relative à l’assignation délivrée en première instance, ni le CME qui est compétent uniquement pour les exceptions de procédures propres à l’instance d’appel (V. Cass. avis, 2 avril 2007 : cf. infra), ni la formation collégiale de la Cour ne pourraient en connaître, dès lors que l’appelant n’est plus in limine litis (art. 74 CPC).

Le deuxième problème de droit est relatif à la qualification de l’irrégularité relative à la signification du jugement de première instance.

L’article 680 du CPC dispose que l’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente les voies de recours ouvertes contre cette décision, leurs délais ainsi que les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé. L’article 693 du CPC prévoit que les dispositions de l’article 680 du CPC sont sanctionnées par la nullité.

En l’espèce, l’acte de signification du jugement du 10 février 2012 fait mention d’un délai de recours erroné, ce qui revient à considérer que le délai d’appel n’est pas indiqué (Cass. 2ème civ., 12 février 2004).

Par conséquent, dès lors que l’irrégularité est expressément prévue par l’article 693 du CPC et qu’elle est relative

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à la régularité de la procédure, il faudra la soulever par une exception de nullité pour vice de forme.

Reste à savoir quelles sont les conditions pour pouvoir invoquer un vice de forme affectant la signification du jugement attaqué en appel.

Selon l’article 74 du CPC, les exceptions de procédure doivent être opposées in limine litis. Toutefois, l’article 112 du CPC précise que la nullité des actes de procédure doit être soulevée au fur et à mesure de leur accomplissement. L’article 114 du CPC impose que la nullité soit prévue par un texte et qu’elle cause un grief à l’adversaire pour qu’elle puisse être retenue. Enfin, par renvoi à l’article 771 du CPC, l’article 905 du CPC confie au Conseiller de la mise en état, compétence exclusive pour statuer sur les exceptions de procédure.

En l’espèce, la nullité de forme porte sur la signification du jugement de première instance. Il était donc impossible de faire valoir cette irrégularité dans le cadre de l’instance ayant donné lieu au jugement du 10 février 2012, l’irrégularité s’étant produite postérieurement. Il faut ainsi admettre que l’appelant sera toujours recevable à soulever cette nullité au début de l’instance d’appel, car il n’avait pas la possibilité de le faire avant. On peut s’interroger sur la possibilité de soulever cette exception de procédure devant le Conseiller de la mise en état. En effet, la Cour de cassation dans un avis remarqué du 2 avril 2007 a précisé que la compétence du CME pour statuer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’appel ne concernait que les irrégularités affectant l’instance d’appel et non la procédure de première instance (Cass. Avis, 2 avril 2007 ; V. également Cass. 2ème civ., 7 mai 2008 et 18 décembre 2008). Or, l’irrégularité de la signification du jugement ne concerne pas l’instance d’appel. L’application stricte de cette solution a pour conséquence que seule la formation collégiale de la cour pourra statuer sur cette exception de procédure puisqu’elle n’affecte pas spécifiquement la procédure d’appel et n’entre pas dans le champ de la compétence exclusive du Conseiller de la mise en état. On peut toutefois remarquer que cette approche est beaucoup trop restrictive car, si le CME n’est pas compétent pour apprécier la régularité de la signification de la décision de première instance, on voit mal comment il pourrait efficacement apprécier la recevabilité de l’appel sur le fondement de l’art. 914 CPC.

22 La jurisprudence établit une distinction entre la simple omission d’indiquer le représentant légal d’une personne morale, qui s’analyse en une irrégularité de forme, et le fait que l’acte soit effectué par une personne n’ayant pas la capacité ou le pouvoir de représenter cette personne morale, qui constitue un vice de fond au sens de l’article 117 du CPC (Cass. Ch. Mixte, 22 février 2002).

L’irrégularité est ici prévue par un texte (art. 693 du CPC). Reste à déterminer si elle est susceptible de causer un grief. L’appréciation de l’existence d’un grief relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 2ème civ., 21 octobre 1982). L’indication du délai de recours participe de l’information de l’appelant sur la façon dont il doit engager son recours. C’est pourquoi, il est possible de soutenir qu’elle porte atteinte aux droits de la défense car elle ne permet pas d’informer pleinement le destinataire de l’acte. Il a ainsi été jugé que la connaissance de la voie de recours ouverte ou de ses modalités ne suffit pas à démontrer l’absence de grief (Cass. 2ème civ., 25 avril 1981).

En l’espèce, toutefois, l’absence de la mention du mode de comparution n’a pas eu d’incidence sur l’exercice de l’appel, qui a valablement été interjeté. Il devient alors difficile de soutenir que cette omission a causé grief. C’est pourquoi dans cette hypothèse, la jurisprudence décide que la nullité ne peut être prononcée. Faute de préjudice causé par l’irrégularité, la signification est alors valable (Cass. 2ème civ., 14 février 2008), mais il faut considérer qu’elle n’a pas eu pour effet de faire courir le délai de recours (Cass. 2ème civ., 7 mars 2002).

En conclusion, même s’il est possible à la société LBESP de soulever la nullité pour vice de forme de la signification du jugement, cette dernière ne sera vraisemblablement pas obtenue, en l’absence de grief. Il convient de préciser que même en imaginant que la nullité de la signification soit acquise, ceci n’aurait aucune conséquence sur la procédure d’appel dans la mesure où il est parfaitement possible d’interjeter appel d’un

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jugement non signifié. La Cour d’appel resterait donc valablement saisie de l’affaire.

NB : La seule hypothèse dans laquelle l’annulation de la signification pourrait avoir une conséquence sur la saisine de la cour d’appel est celle dans laquelle le jugement aurait été rendu par défaut ou serait réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel. En effet, dans ce cas, la signification doit être opérée dans les six mois du prononcé de la décision faute de quoi elle est réputée non avenue (art. 478 du CPC). Il faudrait alors que l’appelant soulève la péremption du jugement du 10 février 2012 devant la Cour, antérieurement à toute défense au fond (l’exception tendant à faire valoir la caducité du jugement sur le fondement de l’art. 478 CPC est irrecevable dès lors que l’appelant l’a fait précéder de conclusions au fond : Cass. 2ème civ., 22 novembre 2001), ce qui rendrait l’appel sans objet puisque le jugement sera réputé n’avoir jamais été rendu et disparaîtrait de l’ordre juridique (V. CA de Paris 5 novembre 2002 : seule la formation collégiale de la Cour d’appel peut connaître des exceptions de procédure relatives à la procédure de première instance, susceptibles d’entraîner l’annulation du jugement).

Le troisième problème de droit suppose de préciser la recevabilité en appel d’une pièce qui n’a pas été produite en première instance. Le problème est donc de déterminer s’il est possible d’invoquer pour la première fois en cause d’appel une nouvelle pièce.

L’article 563 du CPC dispose que, pour justifier les prétentions soumises aux premiers juges, les parties peuvent, en cause d’appel, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

En l’espèce, le constat d’huissier de justice s’analyse en une preuve et a été établi postérieurement au prononcé du jugement du 10 février 2012.

Il s’agit donc d’une pièce nouvelle qui pourra être produite en appel même s’il n’en a pas été fait état en première instance.

Le quatrième problème de droit porte sur la recevabilité en cause d’appel d’une demande qui n’a pas été formulée en première instance. Le problème est donc de déterminer s’il est possible d’invoquer, pour la première fois en cause d’appel, une nouvelle prétention.

L’article 564 du CPC sanctionne par une irrecevabilité relevée d’office les prétentions nouvelles qui n’ont pas été soumises aux premiers juges. Plusieurs exceptions sont prévues à cette règle pour les demandes en compensation, en intervention et les moyens de défense (art. 564 in fine du CPC) ; ainsi que pour les prétentions accessoires ou virtuelles (art. 566 du CPC), celles tendant au mêmes fins que les prétentions émises en première instance (art. 565 CPC) et les demandes reconventionnelles (art. 567 du CPC).

En l’espèce, la demande en paiement que l’appelant souhaite élever en appel n’a pas été formulée en première instance, il s’agit donc d’une prétention nouvelle. Par ailleurs, cette prétention ne tend pas à opposer la compensation et ne constitue ni un moyen de défense, ni une demande incidente. Enfin, elle ne tend pas aux mêmes fins que les demandes soumises au TGI dès lors qu’elle tend à obtenir réparation de manquements non évoqués à ce stade.

Par conséquent, si la demande est intégrée dans les conclusions d’appel, l’appelant s’expose à ce que Madame Marine lui oppose une fin de non-recevoir (Cass. 2ème civ., 24 janv. 2008 ; Cass. 3ème civ., 18 nov. 2009) ou, à défaut, que l’irrecevabilité soit relevée d’office par le CME23.

Question supplémentaire : Le problème de droit concerne le délai dans lequel l’appelant doit conclure.

L’article 908 du CPC dispose que l’appelant doit conclure dans les trois mois de la déclaration d’appel, sans quoi cette dernière est frappée de caducité relevée d’office par le Conseiller de la mise en état. L’article 641 du CPC

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précise que les délais exprimés en mois expirent le jour du dernier mois portant même quantième que le jour de l’acte qui fait courir le délai.

En l’espèce, la déclaration d’appel date du 23 mars 2012, le délai expire donc le 25 juin 2012 (le 23 juin 2012 tombe un samedi) et se trouve sanctionné par la caducité de la déclaration.

En conclusion, Maître Ludo doit impérativement établir ses conclusions, les communiquer à l’adversaire (art. 911 du CPC) et les déposer au greffe de la cour d’appel au plus tard le 25 juin 2012 à minuit. A défaut, la déclaration d’appel serait caduque, ce qui aurait pour conséquence de faire perdre son droit d’appel à sa cliente, qui ne pourrait pas tenter de réitérer son recours, le délai étant expiré. Bien que la Cour de cassation n’ait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la question, il semble qu’elle soit encline à faire du relevé d’office par le juge de cette caducité une obligation : V. Sur un problème similaire : Cas. Avis 2 avril 2012.

4) Le premier problème de droit est relatif à la possibilité pour l’intimé de contester la recevabilité de l’appel devant le CME.

Selon l’article 914 du CPC, le CME est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent pour déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel. Ceci signifie que le CME est doté d’une compétence exclusive pour connaître des fins de non-recevoir relatives à l’appel. En outre, l’article 905 du CPC renvoie aux articles 760 et suivants du CPC, l’article 771 du CPC, qui définit la compétence du JME, est donc applicable devant le CME24. Par ailleurs, selon les articles 528 et 538 du CPC, le délai d’appel de droit commun est d’un mois à compter de la signification à partie du jugement de première instance (art. 677 du CPC).

En l’espèce, en soulevant la fait que l’appel a été interjeté hors délai, l’intimé oppose une fin de non-recevoir tirée de l’expiration du délai de recours (art. 122 du CPC). Ce moyen de défense entre donc incontestablement dans le champ de compétence exclusive du CME, qui sera tenu d’y répondre en précisant si l’appel a bien été exercé hors délai. Le jugement du 10 février ayant été signifié à partie le 24 février 2012, la forclusion était acquise au 26 mars à minuit, puisque le 24 mars est un samedi (art. 642 du CPC).

Pour conclure, la fin de non-recevoir opposée par Maître Benjamin sera cette examinée par le CME mais n’a aucune chance de prospérer. Ce dernier a cru, semble-t-il, que le délai de recours courrait non pas à compter de la signification à partie mais à compter de la notification préalable au représentant, ce qui est contraire à l’article 677 du CPC (jurisprudence).

Le deuxième problème de droit consiste à déterminer quels sont les recours ouverts contre une ordonnance du CME qui statue sur la recevabilité de l’appel.

23 Sous l’empire du droit ancien, ces solutions auraient été les mêmes, si ce n’est que le juge n’était pas en mesure de relever d’office la fin de non- recevoir tirée de la nouveauté d’une demande en cause d’appel (Cass. 3ème civ., 22 février 1989). Sur la portée de la modification introduite par le décret du 9 décembre 2009, v.

commentaire de l’article 564 du CPC.24 C’est pourquoi, les fin de non-recevoir non relatives à l’appel ou aux art. 909 et 910 CPC n’entrent pas dans la compétence exclusive du CME et doivent être soulevées devant la formation collégiale (Cass. avis. 13 février 2012).

Selon l’article 916 du CPC, les ordonnances du CME peuvent être déférées par simple requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsque, notamment, elles statuent sur une exception de procédure à condition qu’elles aient pour effet de mettre fin à l'instance. Il convient donc de distinguer selon que le CME a, ou non, fait droit à la fin de non- recevoir proposée par l’intimé.

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Si le CME déclare l’appel irrecevable, cette décision aurait pour effet de mettre un terme à l’instance. Il serait alors possible, dans un délai de 15 jours à compter du prononcé de l’ordonnance, de la déférer sur requête à la formation collégiale de la cour d’appel afin qu’elle la réexamine.

Si le CME rejette la fin de non-recevoir, l’instance se poursuivrait alors devant lui. L’ordonnance ne pourrait donc pas être déférée à la cour d’appel. Il serait toutefois possible de débattre à nouveau de la question devant la formation collégiale, la décision du CME n’étant pas, dans cette hypothèse, assortie de l’autorité de chose jugée au principal en dépit de la formulation retenue par l’article 914 al. 2 du CPC (Cass. 2ème civ., 13 mars 2008 : seules les ordonnances du CME qui mettent fin à l’instance sont investie de l’autorité de la chose jugée au principal ; V. aussi Cass. com. 4 octobre 2011 et Cass. 2ème civ., 2e, 2 février 2012 pour une ordonnance déclarant l’appel recevable)25.

Question supplémentaire : Le problème de droit porte sur le délai dans lequel l’intimé doit former un appel incident et sur les conséquences résultant de l’absence d’appel incident.

L’article 550 du CPC dispose appel incident est recevable en tout état de cause, sous réserve des articles 909 et 910 du CPC. L’art. 909 prévoit que l’intimé dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour former appel incident à peine d’irrecevabilité relevée d’office. Selon l’article 911 du CPC, les conclusions sont notifiées aux avocats dans leur délai de remise au greffe à peine d’irrecevabilité relevée d’office. Enfin, l’article 562du CPC pose en principe que la cour d’appel n’est saisie que des chefs du jugement qui sont expressément ou implicitement critiqués par les parties (effet dévolutif).

En l’espèce, la date à laquelle l’intimé a reçu notification des conclusions de l’appelant n’est pas précisée. Néanmoins, dans la mesure où ce dernier a déposé ses conclusions au greffe le 24 mai 2012, il faut admettre que la notification a été opérée au plus tard à cette date, sans quoi l’appel serait caduc (art. 908du CPC). Par conséquent, on peut affirmer que, si à la date du 24 juillet 2012 minuit, l’intimé n’a pas formé appel incident, ce dernier sera déclaré irrecevable, au besoin d’office, par le CME (V. art. 914 CPC selon lequel le CME est exclusivement compétent pour statuer sur la recevabilité de l’appel). Lorsque la représentation est obligatoire, l’appel incident ne peut donc pas être exercé en tout état de cause.

Dans l’hypothèse où l’intimé n’interjetterait pas d’appel incident dans le délai, la cour d’appel ne serait pas saisi de ses prétentions et ne statuerait que sur l’appel principal, puisque l’étendue de la dévolution est fixé par les appels respectifs des parties (Civ. 2ème, 8 octobre 1986 ; Civ. 3ème, 15 mai 2002). Il est ainsi admis que les juges d’appel ne peuvent aggraver la situation de l’appelant en l’absence d’appel incident de l’intimé (Civ. 2ème, 26 juin 1991 ; Civ. 1ère, 23 juin 2005).

Pour conclure, Maître Ludo doit impérativement formuler un appel incident dans ses conclusions avant le 24 juillet 2012 sans quoi la cour d’appel statuera uniquement sur l’appel principal et ne pourra pas majorer le montant des condamnations prononcées en première instance (180.000€ ont été obtenus alors que 300.000€ étaient demandés).

5) Le premier problème de droit est relatif à la recevabilité d’une demande reconventionnelle présentée pour la première fois en appel.

Par principe, le nouvel article 564 du CPC prohibe les prétentions nouvelles en appel, sous la sanction d’une irrecevabilité relevée d’office, si ce n’est pour opposer compensation, faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou d’une évolution du litige depuis la première instance. Toutefois, l’article 567 du CPC pose une importante dérogation à cette règle et dispose que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel. Selon l’article 64 du CPC, une demande reconventionnelle est celle par laquelle le défendeur originaire tend à obtenir un avantage autre que le simple rejet de prétention adverse.

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25 La solution de ces problèmes sous l’empire du droit positif est exactement la même, puisque les règles relatives à la compétence du CME sont restées inchangées sur ce point. Il convenait toutefois de s’appuyer, non pas sur les articles 905 et 914 du CPC, mais sur les anciens articles 910 et 911 du CPC.

En l’espèce, la demande, non présentée en première instance, tendant à voir l’appelant condamné à verser 22.000 € s’analyse en une demande reconventionnelle, puisqu’elle émane de l’intimé et qu’elle tend à obtenir un paiement.

Il faut alors conclure que cette demande reconventionnelle est recevable devant la cour, même si elle n’a pas été soumise au TGI, sur le fondement de l’article 567 du CPC, à condition de se rattacher à l’appel principal par un lien suffisant (Civ. 2ème, 29 mai 1979), ce qu’il n’est pas possible d’apprécier faute d’éléments. L’analyse de Maître Ludo est donc inexacte sur ce point.

Elle est en outre reprise dans les dernières conclusions de l’appelant sous forme de dispositif (art. 954 nouveau du CPC).

Le second problème de droit concerne l’obligation imposée aux parties à l’instance d’appel de récapituler dans le dispositif de leurs conclusions l’intégralité de leurs prétentions.

L’article 954 al. 2 du CPC dispose que les conclusions d’appel doivent récapituler l’ensemble des prétentions des parties sous forme de dispositif, la cour ne statuant que sur les prétentions ainsi récapitulées. Par ailleurs, selon l’alinéa 3 du même texte, les parties sont réputées avoir abandonnés les prétentions et moyens présentés dans des écritures antérieures et non repris dans les dernières conclusions.

En l’espèce, l’intimé a omis de reprendre dans le dispositif de ses conclusions, la cour d’appel n’en est donc pas saisie par application de l’article 954 al. 2 du CPC. En outre, s’agissant des dernières écritures, l’intimé est réputé avoir abandonné les prétentions qui n’y figurent pas, sur le fondement de l’article 954 al. 3 du CPC.

Pour conclure, la cour d’appel ne statuera pas sur la demande reconventionnelle qui n’est pas récapitulée dans le dispositif des dernières écritures. En revanche, si Maître Benjamin avait correctement établit ses conclusions, la demande en paiement aurait été recevable, car elle s’analyse en une demande reconventionnelle26.

6) Le premier problème de droit est relatif à la procédure à suivre pour mettre en cause un tiers à l’instance d’appel.

Selon l’article 331 du CPC, un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par le biais d’une intervention forcée. L’article 68 du CPC précise que les demandes incidentes (au rang desquelles on compte l’intervention : art. 63 du CPC) sont formées, en appel, à l’égard des tiers, par voie d’assignation.

La société LBESP devra donc assigner son assureur en intervention forcée.

Le deuxième problème de droit a trait au moyen par lequel un tiers peut contester sa mise en cause en appel, c’est-à-dire aux conditions de recevabilité d’une intervention forcée devant la Cour d’appel.

En principe et en application des articles 554 et 555 du CPC un tiers qui n’a été ni partie ni représenté au premier degré peut être mis en cause devant la Cour d’appel et cela même aux fins de condamnation. A priori donc rien ne s’opposerait à ce que le défendeur initial mette en cause son assureur27.

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26 Sous l’empire du droit antérieur, la solution n’aurait été la même que si la demande reconventionnelle avait été reprise dans les dernières écritures de l’intimé, puisque si aucune obligation n’était imposée au parties de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif par l’ancien art. 954 CPC, ce texte exigeait déjà le dépôt de

conclusions récapitulatives.27 Il a déjà été observé que l’assureur n’a pas été partie en première instance, la question ne pouvait porter ici que sur les particularités de l’intervention forcée en appel. Il convient cependant de préciser qu’en théorie, l’intervenant aurait pu également contester sa mise en cause en discutant les conditions de recevabilité ou de régularité de droit commun :

- au regard de la recevabilité de l’action, l’art. 331 al. 1 CPC prévoit que le tiers ne peut être mis en cause aux fins de condamnation que par une partie en droit d’agir contre lui à titre principal. Si la société LBESP ne remplissait pas les conditions de recevabilité pour agir contre son assureur à titre principal, ce dernier pouvait alors contester la mise en cause en opposant une exception de chose jugée (Civ. 2e, 17 février 1983). C’est une exception de

Néanmoins pour être recevable cette intervention forcée en cause d’appel doit être justifiée par « l’évolution du litige », qui doit impliquer la mise en cause du tiers. La Cour de cassation s’est pendant longtemps refusée à donner une définition précise de cette notion et se contentait d’une directive générale : « l’évolution du litige implique l’existence d’un élément nouveau, né du jugement, ou survenu postérieurement » : Cass. 2ème civ., 6 mai 1999. Mais dans un arrêt d’Assemblée plénière du 11 mars 2005 elle a précisé que l’évolution du litige n’est caractérisée que par la révélation d’une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieur à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

Or, en l’espèce, aucune circonstance de fait ou de droit ne s’est révélée depuis le jugement rendu par le TGI, dans la mesure où l’appelant a simplement oublié de mettre en cause son assureur en première instance et détenait depuis lors les éléments nécessaires pour le faire intervenir à l’instance. Cette solution a été rappelée dans un arrêt rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation le 9 novembre 2007 qui approuve une cour d’appel pour avoir constaté que l’évolution du litige n’était pas caractérisée dès lors que le demandeur en intervention forcée28 « disposait dès la première instance des éléments lui permettant d’orienter la procédure comme il l’estimait nécessaire ».

Pour conclure, l’assureur pourra opposer à la société LBESP une fin de non-recevoir (Civ. 2ème, 23 octobre 1991) tirée de l’absence d’évolution du litige en cause d’appel pour faire écarter la demande en intervention forcée dont il est la cible.

Le troisième problème de droit porte sur la compétence du CME pour statuer sur la recevabilité d’une intervention en cause d’appel.

L’article 914 du CPC donne compétence exclusive au CME pour statuer sur la recevabilité de l’appel. Cette règle doit être strictement entendue et ne confère pas au CME la faculté de statuer sur d’autres fin de non-recevoir (Cass. avis, 13 février 2012). En outre, la Cour de cassation estime que les fins de non-recevoir ne constituent pas des incidents mettant fin à l’instance dont le JME peut connaître sur le fondement de l’article 771 du CPC (Cass. avis, 13 novembre 2006). Aussi, le CME ne peut-il statuer sur une fin de non-recevoir, sauf si elle tend à remettre en cause la recevabilité de l’appel.

En l’espèce, l’irrecevabilité porte sur l’action en intervention forcée exercée contre l’assureur29 et non sur l’appel.

Par conséquent, ce moyen de défense devra être opposé par l’assureur devant la formation collégiale et non devant le CME qui ne peut statuer sur une fin de non-recevoir, même relative à la procédure d’appel (il ne peut statuer que sur les FNR relatives à la recevabilité de l’appel)30.

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Question supplémentaire: Le problème de droit implique de préciser les diligences auxquelles est astreint l’intervenant forcé en cause d’appel.

L’art. 910 al. 2 CPC prévoit que l’intervenant forcé doit, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, conclure dans un délai de trois mois à compter de la demande d’intervention formée à son encontre.

En l’espèce, l’intervenant forcée, assigné le 9 avril 2012, était tenu de conclure au plus tard le 9 juillet 2012 à minuit (art. 641 CPC, les délais exprimés en mois sont computés de quantième à quantième). Dès lors qu’il n’a déposé aucune écriture à la date du 10 juillet 2012, il s’expose donc à ce que l’appelant oppose une fin de non-recevoir à toute conclusion

chose jugée parce que la décision de première instance est inopposable à celui que l’on cherche à mettre en cause (c’est donc une fin de non-recevoir). Mais en l’espèce et à défaut de précisions, on ne voit pas ce qui s’opposerait à ce que l’appelant agisse à titre principal contre son assureur.- Ensuite, sur le plan de la régularité de la demande, l’art. 68 al. CPC impose de mettre en cause les tiers « dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance ». L’assureur pourra donc faire également valoir la nullité de l’assignation sur le fondement du droit commun des actes de procédure (art. 56 et 648 CPC). Ici, encore rien ne vous permettait de conclure à une éventuelle cause de nullité.

28 Cet arrêt s’applique aussi à l’intervention volontaire pour laquelle il vient préciser que « L'appréciation de l'intérêt à agir de l'intervenant volontaire et du lien suffisant qui doit exister entre ses demandes et les prétentions originaires relève du pouvoir souverain des juges du fond ». La solution est transposable à

l’intervention forcée.29 On peut supposer que cette fin de non-recevoir est fondée sur l’absence d’évolution du litige depuis la première instance (art. 555 du CPC). En l’absence d’éléments dans l’énoncé du cas, il était toutefois impossible de se prononcer sur la question.

30 Antérieurement au 1er janvier 2011, l’intégralité de ces solutions reste inchangée à conditions de se fonder sur les articles 910 et 911 du CPC.26

qu’il tenterait de déposer ultérieurement. En outre, même si l’irrecevabilité n’était pas opposée par les parties, elle serait relevée d’office par le CME, qui est exclusivement compétent pour déclarer des conclusions irrecevables en application de l’art. 910 CPC (art. 914 CPC). La jurisprudence n’est pas fixée sur la point de savoir si ce pouvoir s’analyse en une simple faculté ou en une réelle obligation pour le juge. Néanmoins, un avis rendu par la Cour de cassation le 2 avril 2012 incite à penser qu’il s’agit d’un devoir.

Pour conclure, s’il ne déposait pas ses conclusions dans le délai imparti, l’assureur s’expose à être déclaré irrecevable et, en conséquence, à ne pas pouvoir faire valoir ses arguments en cause d’appel. Ainsi, il ne pourra pas contester sa mise en cause pour absence d’évolution du litige et sera vraisemblablement condamné par la cour qui statuera sur les seuls éléments fournis par l’appelant31.