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Permanence juridique et sociale - Cours de français - Animations - Activités d’intégration Avenue de Tourbillon 34, 1950 Sion - Tél. 027 323 12 16 - Fax: 027 323 12 46 - email: [email protected] no 21/Printemps 2018 - Journal du Centre Suisses-Immigrés CE QUE L’ON EMPORTE... Le Centre Suisses-Immigrés Le Centre Suisses-Immigrés (CSI) existe en Valais depuis 1984. Il a pour objectifs de: Soutenir les migrants dans les différentes démarches so- ciales ou juridiques auxquel- les ils se trouvent confrontés; Mettre à disposition une structure qui permette le dia- logue entre citoyens d’ici et d’ailleurs; Favoriser l’intégration de la population étrangère en créant des espaces propices aux échanges interculturels. Le CSI est une association à but non lucratif. Il vit des co- tisations de ses membres, des dons, des subsides fédéraux, cantonaux et communaux. La plupart des activités ont lieu grâce à l’engagement régulier de nombreux béné- voles qui assurent une partie des permanences, les cours de français, l’Accompagnement Mère-Enfant, ainsi que diver- ses prestations. Les services fournis par le CSI sont gratuits. Une participation aux frais administratifs peut être demandée. Pour vos dons: CCP 19 - 14927 - 3 CSI Valais un espace d’accueil un lieu de dialogue Il ne s’agissait «que» de déménager Madeline Heiniger, rédactrice L’équipe du Centre Suisses-Immigrés a bien pensé se retrouver à la rue en avril dernier! Depuis plusieurs mois, elle était à la recherche de locaux, suite à la rési- liation de son contrat de bail pour le 31 mars, le bâtiment de la rue de l’Industrie étant destiné à disparaître. Or mi-mars, il n’y avait encore aucun contrat signé. Quelques rares pistes, malgré de nombreuses recherches en amont et plusieurs visites de locaux à Sion. Quelques frustrations de ne pas trouver de solution malgré l’appui des autorités communales. Et du boulot: il fallait tout de même trier, remplir les cartons, évacuer ce qui était devenu superflu, encombrant. L’issue s’est présentée à la dernière minute, sous la forme de locaux confortables, un peu moins spacieux – il manque une salle de classe et un bureau et les espaces ont dû être réorganisés – mais proches de la gare, avec un contrat de bail qui semble pérenne et un loyer acceptable. Ce 15 juin, on y partage le pique-nique de clôture de l’année scolaire. Il s’en est donc fallu de peu. Il y eut des soucis, des questions, du travail. Mais il ne s’agissait «que» d’un déménagement. Le lien est vite fait avec le parcours de celles et ceux pour qui l’on cherchait ces lieux d’accueil, de cours et d’information juridique. Dans quelles circonstances ont-elles, ont-ils quitté leur maison? Qu’ont-elles, les mamans, qu’ont-ils, les papas, les enfants, les jeu- nes mineur-e-s emporté avec eux, dans la précipitation? Quels ob- jets les ont accompagnés et à quoi se sont-ils accrochés au cours d’un voyage de tous les risques, vers l’inconnu… C’est avec ces questions plus ou moins formulées que nous avons abordé les personnes qui s’expriment dans ce numéro. Chacune d’elles a un récit personnel, intime, unique. Nous qui les interro- gions, nous avons compris un peu mieux, en les écoutant, ce que signifie partir, quitter son chez soi. Nous vous invitons à entendre ces récits. Vous partagerez peut-être notre émotion.

CE QUE L’ON EMPORTE · trouver de solution malgré l’appui des autorités communales. Et du boulot: il fallait tout de même trier, remplir les cartons, évacuer ce qui était

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Page 1: CE QUE L’ON EMPORTE · trouver de solution malgré l’appui des autorités communales. Et du boulot: il fallait tout de même trier, remplir les cartons, évacuer ce qui était

Permanence juridique et sociale - Cours de français - Animations - Activités d’intégrationAvenue de Tourbillon 34, 1950 Sion - Tél. 027 323 12 16 - Fax: 027 323 12 46 - email: [email protected]

no 21/Printemps 2018 - Journal du Centre Suisses-Immigrés

CE QUE L’ON EMPORTE...

Le Centre Suisses-Immigrés

Le Centre Suisses-Immigrés(CSI) existe en Valais depuis 1984. Il a pour objectifs de:

Soutenir les migrants dans les différentes démarches so-ciales ou juridiques auxquel-les ils se trouvent confrontés;

Mettre à disposition une structure qui permette le dia-logue entre citoyens d’ici et d’ailleurs;

Favoriser l’intégration de la population étrangère en créant des espaces propices aux échanges interculturels.

Le CSI est une association à but non lucratif. Il vit des co-tisations de ses membres, des dons, des subsides fédéraux, cantonaux et communaux.

La plupart des activités ont lieu grâce à l’engagement régulier de nombreux béné-voles qui assurent une partie des permanences, les cours de français, l’Accompagnement Mère-Enfant, ainsi que diver-ses prestations.Les services fournis par le CSI sont gratuits. Une participation aux frais administratifs peut être demandée.

Pour vos dons:CCP 19 - 14927 - 3

CSI Valaisun espace d’accueilun lieu de dialogue

Il ne s’agissait «que» de déménagerMadeline Heiniger, rédactrice

L’équipe du Centre Suisses-Immigrés a bien pensé se retrouver à la rue en avril dernier! Depuis plusieurs mois, elle était à la recherche de locaux, suite à la rési-liation de son contrat de bail pour le 31 mars, le bâtiment de la rue de l’Industrie étant destiné à disparaître. Or mi-mars, il n’y avait encore aucun contrat signé. Quelques rares pistes, malgré de nombreuses recherches en amont et plusieurs visites de locaux à Sion. Quelques frustrations de ne pas trouver de solution malgré l’appui des autorités communales. Et du boulot: il fallait tout de même trier, remplir les

cartons, évacuer ce qui était devenu superflu, encombrant.

L’issue s’est présentée à la dernière minute, sous la forme de locaux confortables, un peu moins spacieux – il manque une salle de classe et un bureau et les espaces ont dû être réorganisés – mais proches de la gare, avec un contrat de bail qui semble pérenne et un loyer acceptable. Ce 15 juin, on y partage le pique-nique de clôture de l’année scolaire.

Il s’en est donc fallu de peu. Il y eut des soucis, des questions, du travail. Mais il ne s’agissait «que» d’un déménagement.

Le lien est vite fait avec le parcours de celles et ceux pour qui l’on cherchait ces lieux d’accueil, de cours et d’information juridique. Dans quelles circonstances ont-elles, ont-ils quitté leur maison? Qu’ont-elles, les mamans, qu’ont-ils, les papas, les enfants, les jeu-nes mineur-e-s emporté avec eux, dans la précipitation? Quels ob-jets les ont accompagnés et à quoi se sont-ils accrochés au cours d’un voyage de tous les risques, vers l’inconnu…

C’est avec ces questions plus ou moins formulées que nous avons abordé les personnes qui s’expriment dans ce numéro. Chacune d’elles a un récit personnel, intime, unique. Nous qui les interro-gions, nous avons compris un peu mieux, en les écoutant, ce que signifie partir, quitter son chez soi. Nous vous invitons à entendre ces récits. Vous partagerez peut-être notre émotion.

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Sommaire

01 Il ne s’agissait «que» de déménager

02 Renvois vers l’Erythrée

04 De l’insouciance de l’enfance à la gravité de l’exil 05 Qu’ont-elles emporté?

06 Je lui parle, elle m’écoute

07 Des papiers pour se faire reconnaître

Le Comité du CSI

Présidente: Françoise Jacquemettaz

Membres:Christiane AntilleFrançois-Xavier AttingerMarie-Hélène GonnetMadeline HeinigerDaniel KirosGeneviève LévineChristine ReynardSonia Z’Graggen

«Il faut partir de la diversité des langues comme on part de la di-versité des citoyens. Le nom de cet-te articulation s’agissant des lan-gues, c’est: traduire. A chaque fois, il faut construire entre: entre les citoyens, entre les langues, et faire un atout de la diversité». Barbara Cassin, invitée des Rencon-tres «Orient-Occident» à Sierre.

Rédaction: Madeline Heiniger et Adam MouradMise en page: Marie-Paule ZuffereyImprimerie:Bertrand de Preux, Grône

LE BILLET DE LA PRÉSIDENTE

Quelle mouche a donc piqué le SEM lorsqu’il a décidé de lever 3’200 admissions provisoires prononcées en faveur de ressor-tissants érythréens, alors qu’il était ainsi reconnu que leur ren-voi vers l’Erythrée n’était pas possible?La situation politique dans ce pays se serait-elle améliorée? Y aurait-on constaté une avancée sur le plan du respect des droits humains? L’enrôlement de force de jeunes mineurs serait-il aban-donné? La durée de l’obligation de servir dans les rangs de l’armée serait-elle enfin compatible avec ce qui se passe dans tout pays démocratique? Les soldats ne seraient-ils plus astreints durant des décennies à accomplir des travaux d’utilité publique quasi non rétribués? Les déserteurs ne seraient-ils plus condamnés en cas de retour forcé à des peines de prison totalement disproportion-nées et soumis à des traitements contraires à la dignité humaine? Eh bien non, visiblement rien ou pas grand-chose n’a changé dans ce pays. Alors, sur quoi se basent les autorités fédérales pour justi-fier leur nouvelle pratique et re-fuser à grande échelle toutes les demandes d’asile déposées par les Erythréens? Il semble que ce soit notam-ment sur la base d’un Arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF). Pourtant, la question de

la conformité avec le droit inter-national est encore en examen auprès du Comité contre la Tor-ture des Nations-Unies (CAT), en charge de surveiller la mise en œuvre de la Convention contre l’interdiction de la torture que la Suisse a ratifiée. Il paraît dès lors que tant que le CAT ne s’est pas prononcé sur l’Arrêt mentionné plus haut, il serait prématuré et injustifié d’envisager la levée des admissions provisoires octroyées aux Erythréens. En plus, il convient de relever que le HCR maintient la posi-tion exprimée en 2011, à savoir que les ressortissants érythréens doivent bénéficier d’une protec-tion internationale et que rien ne permet pour l’instant d’envi-sager une nouvelle évaluation. Par ailleurs, le taux de protection des ressortissants érythréens reste stable dans les pays européens. Aucun Etat européen n’a durci sa politique à leur égard. Le 12 mars dernier, la Commis-sion des droits de l’Homme de l’ONU a tenu une session à Ge-nève sur la situation des droits de l’homme en Erythrée. Ce pays n’était pas présent et a refusé le dialogue. La rapporteuse spé-ciale, Mme Sheila B. KEETHA-RUTH, a constaté dans le cadre de son mandat et de celui de la Commission d’enquête que le «système de violation des droits de l’Homme en Erythrée n’a pas évolué depuis 2012». Les arrestations arbitraires per-durent et nombre de détenus meurent en prison. En 2016, la même commission avait de sé-rieuses raisons de croire que des crimes contre l’humanité étaient commis en Erythrée. Même la Suisse a fait part, lors de cette session, du «manque d’informa-tions vérifiables à disposition en

Renvois vers l’ErythréeFrançoise Jacquemettaz, présidente du CSI

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LE BILLET DE LA PRÉSIDENTE

raison de l’absence d’accès libre et indépendant dans ce pays». Ce qui forcément permet de s’étonner des positions adoptées par le SEM et le TAF qui, eux, estiment être en possession de suffisamment d’in-formations pour justifier leur changement d’attitu-de et de pratique envers les ressortissants érythréens et par ailleurs juger que les renvois vers ce pays sont raisonnablement exigibles. Relevons encore la position de Caritas suisse révélée dans un document diffusé le 9 février 2017 et inti-tulée «Les bases d’une coopération avec l’Érythrée ne sont pas réunies». L’institution relève que la situation politique, économique et des droits hu-mains reste très problématiques en Erythrée. Elle mentionne par ailleurs que «tant qu’il ne sera pas possible d’inspecter les prisons érythréennes ou de vérifier la situation des Erythréens qui rentrent dans

leur patrie, le droit international ne permettra pas de renvoyer les requérants d’asile vers ce pays».Madame Simoneta SOMMARUGA, Conseillère fédérale en charge du Département fédéral de Jus-tice et Police, a été interpellée par plusieurs associa-tions humanitaires suisses inquiètes de la tournure des événements afin qu’elle agisse auprès du SEM et qu’il révise sa position à l’égard des ressortissants érythréens qui ont demandé la protection de nos autorités. Espérons que les autorités suisses compétentes en matière d’asile reviendront sur leur décision de réexaminer les admissions provisoires accordées en son temps et analyseront avec bon sens et responsa-bilité les demandes d’asiles déposées par les ressor-tissants érythréens.

Le CSI a déménagé à l’Avenue de Tourbillon �4En quelques images, voici ses nouveaux locaux.

Vous y êtes les bienvenu-e-s!

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CE QUE L’ON EMPORTE Viens parler français

Depuis trois ans, tous les mercredis ma-tin, le Centre Suisses Immigrés ouvre ses portes aux femmes migrantes qui désirent pratiquer le français.Cinq femmes bénévo-les assurent, à tour de rôle, l’animation de ces matinées, qui com-mencent à 9h15 et se terminent à 11h00.Il n’est pas nécessaire de s’inscrire pour par-ticiper à ces moments de parole; la seule de-mande des organisa-trices est de respecter les horaires. Les fem-mes viennent donc les jours où elles veu-lent, les jours où elles peuvent. Car oui, les femmes ont des obli-gations: amener les enfants à l’école, les rechercher, préparer le repas de midi, s’occu-per d’un proche...Cet «entre-soi» fémi-nin plaît beaucoup aux participantes; elles se disent heureuses de pouvoir évoquer tous les sujets avec sim-plicité et dans la plus grande liberté.Les thèmes abordés sont les plus divers et quelquefois de l’or-dre de l’intime. Et pourtant tout se dit et s’échange dans une ambiance de joyeuse complicité.Lors de la dernière séance, nous leur avons demandé ce qu’elles avaient emporté en partant de chez elles. Sur la page suivante, vous trouverez la syn-thèse de nos échanges à ce propos ...Qu’ont-elles emporté?

Je suis arrivée chez eux avec ma ques-tion embarrassante: avaient-ils em-porté avec eux, dans leur migration, un objet important, précieux pour eux aujourd’hui? Nous étions dans leur salon, une interprète et moi, un jour de Ramadan, et je faisais leur connaissance.Non, ils n’avaient rien emporté. Seu-lement les papiers importants, dont leurs passeports. Et leurs enfants? Non, rien. Ils avaient des photos, peut-être? Oui, de la famille, de la maman de Monsieur, sur le smart-phone. Une famille qui leur man-que. On peut tout avoir ici, sauf la famille.Ils sont en Suisse depuis bientôt une année et dans ce village depuis un mois, avec leurs quatre enfants âgés aujourd’hui de douze, quatorze, dix-sept et vingt-et-un ans. Sont-ils arrivés par avion? Non, par la mer. Bien sûr… c’est la voie de ceux qui fuient depuis la Lybie. Là-bas, ça faisait déjà plus de trois ans qu’ils avaient quitté leur mai-son de Benghazi, pour se réfugier dans une autre ville de Lybie. Ils n’ont rien pris car tout a été détruit chez eux.Fahim Mohammad ouvre un dossier où sont classés des documents papier en écriture arabe ou traduits en fran-çais: son CV. Il raconte. La Lybie et ces nouvelles terribles qu’ils n’aiment pas voir à la télévision. Hier encore, la sœur de sa femme Karima et sa fa-mille ont quitté leur ville de Derna après qu’une autre famille a été tuée par les bombardements.Eux-mêmes se sont enfuis après l’épisode où lui et son fils aîné ont été kidnappés, pour des raisons po-litiques. Blessé à la jambe, son fils souffrait d’une infection à leur arri-vée en Italie, où ils sont restés sept jours. Dans l’insécurité: ils ont reçu là encore des menaces de mort, puis ils se sont fait agresser par d’autres requérants d’asile, en rétorsion de ce qu’eux-mêmes, Africains nigérians, avaient subi dans les geôles lybiennes

quelques mois plus tôt…Il raconte encore. Les articles qu’il a écrits pour dénoncer le régime de Khadafi, à l’époque, ou les exactions plus récentes. Son travail de médecin au service des plus pauvres, l’ouver-ture de centres de santé. La documen-tation et l’identification des corps dé-couverts dans des fosses communes. L’engagement pour les droits hu-mains, jusqu’en Syrie. Karima, pen-dant ce temps, assume la vie familiale, porte le souci de voir ses enfants vic-times de racisme à l’école. Car ils ont bougé plusieurs fois au cours des sept dernières années, régulièrement me-nacés. En 2012, alors qu’il est absent, des hommes attaquent et brûlent la maison. Elle s’enfuit avec les enfants.La sécurité, ils l’ont trouvée en Suisse, bien qu’ils soient encore en attente d’un statut de réfugiés. Démunis, mais riches de leur engagement hu-manitaire. Les papiers en témoignent. Des photos aussi: on le voit devant une fosse commune avec d’autres experts. Ou, souriant, avec un nou-veau-né dans les bras, alors qu’il vient de pratiquer un accouchement sans aucune expérience d’obstétricien, parce qu’il le fallait.Finalement, quelle image aimeraient-ils donner pour le journal du CSI? Celle du CV sur la table, la photo de la maman restée en Lybie? Non, Fa-him craint de possibles représailles sur les siens au pays. Voici une autre photo*: c’est leur salon, dans une autre vie. Quand autrefois ils vivaient confortablement en Lybie, leur pays natal.

Des papiers pour se faire reconnaîtreMadeline Heiniger

* Le format de la photo ne permet pas qu’elle soit publiée. Le velours aubergine des canapés est assorti aux couleurs du tapis, sous la petite table basse. De lourdes tentu-res blanches à lambrequin violet ornent la fenêtre. Un lustre de cristal, un morbier à l’angle du salon et l’écran plat de la télévi-sion complètent le décor, celui d’une époque révolue.

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Qu’ont-elles emporté?Propos recueillis par Jacqueline Vuagniaux et Marie-Paule Zufferey

Zeinep «J’ai emporté des photos de famille et des re-cettes de cuisine et aussi les numéros de téléphone de mes amis et de ma famille. Après douze ans, je suis retournée à Istanbul. Ça a été un choc. Il y avait beaucoup de changements! Je me suis dit: Il n’y a plus d’Instanbul! J’étais comme une touriste dans cette ville.»

Hacer «Je suis une réfugiée politique, sensible aux droits humains et très engagée pour leur défense. J’ai été condamnée pour cela. Quand j’ai quitté la Turquie, j’ai emmené avec moi un grand dossier, car j’avais beaucoup de procès en cours dans mon pays. Pour ma demande d’asile, j’avais besoin de tous ces papiers. Cela m’a permis d’obtenir un permis B. Deux vies dans une petite valise. Quand je regarde ce dossier, je retourne en pensée en Turquie et je suis toujours dans la lutte…»

Tamara «Quand nous sommes partis d’Arménie, avec mon mari, nous avons emporté un dictionnaire français-arménien, une Bible, un livre de cuisine et des photos de famille. Et puis j’ai gardé ce bijou que mon frère m’a offert. C’est un bracelet avec des des-sins religieux.»

Farouze est partie d’Ethiopie pour des raisons politi-ques. «J’ai pris avec moi des photos de famille; ça aide. J’ai apporté quelques foulards, parce qu’ici on n’en trouve pas des pareils et aussi une tunique toute noire. Je la mets pour aller à la mosquée.»

Lemlem «Je suis partie d’Erythrée seule avec mes 5 enfants, à pied. Mon mari était déjà en Suisse. L’aîné

de mes enfants avait 15 ans. Je portais en écharpe le petit dernier, qui avait 4 ans. Nous avons marché toute la nuit, de 6 heures du soir à 6 heures du matin. Alors, je n’ai emporté que ce qu’il faut pour manger et de l’eau…»

Fatemeh vient d’Iran «J’ai emporté du safran et un mélange d’herbes qui contient 4 sortes de plantes: de la coriandre, du persil, du céleri et des feuilles d’ail. Nous utilisons ces herbes dans le riz ou dans les omelettes. Le parfum de ces herbes me rappelle ma grand-mère. Elle cuisinait toujours avec ça quand nous étions invités chez elle. Nous utilisons beaucoup de safran, dans le riz, dans les desserts, en thé… Pour rendre le safran plus fin (et ainsi l’économiser), nous l’écrasons avec un peu de sucre.»

Nagat est en Suisse depuis 23 ans. «Je n’ai rien em-porté avec moi quand je suis partie ; ma fille et des photos de famille, c’est tout. Des amis nous ont don-né des sculptures en bois d’Abanos. (C’est un bois noir et brun qui vient du Sud Soudan). C’est un sou-venir.»

Nian «J’ai emporté avec moi une boîte en bambou; c’est pour mettre le riz collant. C’est un objet impor-tant pour moi. C’est mon père qui l’a fait. Il en a fait une pour chacun de ses enfants et nous l’a donnée avant de mourir. En Thaïlande, tout le monde mange le riz dans ce récipient; on le met au centre de la table et chacun se sert avec la main. Quand je vois cet objet, quelquefois je pleure, au souvenir de mon père.»

CE QUE L’ON EMPORTE

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CE QUE L’ON EMPORTE

Maryam, vingt ans, est une jeune femme d’ori-gine syrienne. Elle vit maintenant en Suisse et je l’ai connue lors du cours de français que je don-ne au Centre Suisses-Immigrés. Pendant l’un de ces cours, nous avons travaillé sur le thème du passé, en imaginant ce que chacun d’entre nous mettrait dans une «boîte à souvenirs». Maryam y avait mis une poupée, sa poupée, qui a fait tout le voyage depuis la Syrie avec elle. Maryam accepte de m’en parler.

Pendant l’entretien, Maryam pose la poupée as-sise à côté de moi.

Quand es-tu partie de Syrie? Je suis partie en 2015, je dois rejoindre celui que je vais épouser. Il est déjà en Suisse. Il vient du même village que moi en Syrie.L’homme (le passeur) est venu pendant la nuit. Il nous a réveillés: «On part tout de suite». J’ai pris ma poupée, avec mon téléphone, des habits, un peu d’argent.

Tu avais pensé à ce que tu voulais prendre? Non, mais je dormais avec ma poupée, je l’ai emmenée. C’est un cadeau de ma maman, je l’ai reçue à neuf ans.

Tu savais que tu devais partir? Oui, mais je ne savais pas quand. J’ai seulement eu le temps de prendre mes parents dans mes bras. Tu comprends, je ne savais pas quand j’ar-riverais.

Ton voyage était long? Oui, très long. Je suis partie en septembre et arri-vée en novembre. Sur la mer, et puis j’ai marché, j’ai pris le train. Je ne voulais pas aller sur la mer, je voulais marcher.

Tu avais peur? Oui, je ne voulais pas aller sur la mer, mais l’hom-me m’a réveillée et il a dit: «C’est maintenant, on y va. Tu ne peux pas tout prendre, c’est trop lourd, il faut jeter tes affaires!» Mais j’ai gardé ma poupée. Je veux la garder, c’est un cadeau de ma-man. J’ai peur mais je ne peux pas rester toute seule, là. J’ai un carnet, comme toi. J’ai écrit mon nom, le numéro de mon mari. Comme ça, si je meurs, on sait qui je suis. L’homme nous a tout volé, même mon téléphone.

Et sur la mer? C’est difficile, il fait froid. Les enfants crient. Je ne peux pas oublier ça, je les entends.

Et après, tu as marché? Oui, j’ai marché, j’ai pris le train, j’ai marché. La Croix-Rouge nous a aidés.

Maintenant, ici, ça va? Tu t’es mariée? Oui, je suis mariée maintenant. Mon mari est gentil. Je dors toujours avec ma poupée, tout le temps, en Syrie, en Suisse. Je lui parle, je raconte, je pleure. Elle ne me répond pas mais elle m’écou-te. C’est le cadeau de ma maman, tu comprends, ce qui reste de la Syrie. Quand j’ai peur, je la serre, et puis elle me relie avec maman et papa. Tout ce que je demande, c’est de les prendre dans mes bras, peut-être? Bientôt?Tu vois, ma poupée, c’est une petite fille comme moi, mais elle a vécu des choses d’adulte.

Je lui parle, elle m’écouteChristine Reynard

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CE QUE L’ON EMPORTE

«Quand je suis parti de Syrie, je voulais prendre avec moi quelque chose de mon quartier. Je voulais ramasser des petits cailloux sur la place où on jouait tout le temps avec mes amis». Abdulaziz se souvient ainsi du terrain de jeux de son enfance, comme il en existe alors tant à Damas. Dans ses souvenirs, il revoit les bâtiments et maisons qui l’entourent.

Il évoque les matchs de foot, les parties de cache-cache et les discussions entre amis. Il se remémore aussi l’un des che-mins qu’il empruntait pour s’y rendre: «Depuis chez moi, il faut d’abord traverser un petit parc avec des fleurs et des jeux. Juste après, tu dois descendre un peu. Et remonter. Après, tu passes devant l’épicerie et il y a la place où on jouait au foot. Depuis là, si tu montes un peu, il y a encore un autre parc avec des jeux». Ce lieu, c’est celui de son insouciance, de ses espoirs, de ses amitiés. Ce lieu «sacré», où la vie est à son paroxysme, et où se rencontre l’avenir d’un pays. De ce lieu, le jeune hom-me n’aura finalement pas em-mené de petits cailloux. «Après, j’ai dit non, je ne prends pas, parce que je pensais que j’allais revenir».

De ce souvenir, tout le monde sait ce qu’est devenue la Syrie depuis. Abdulaziz n’est pas re-venu. La fuite, de région en ré-gion, de pays en pays, l’éloigna, progressivement, mais indubi-tablement, toujours plus loin de sa ville natale, de son quar-tier, de son terrain de jeux, de ses amis et, finalement, de son avenir en Syrie. L’exil finit par le séparer de sa famille aussi, et

l’emmena seul en Suisse. C’était il y a quelques années déjà.

«Les cailloux, je voulais les gar-der dans de l’eau. C’est un peu comme un bout de mer». Il ré-fléchit et se souvient, enfant, des vacances passées avec sa fa-mille au bord de la mer. «Il y a peut-être cinq ou six heures de voiture depuis Damas pour re-joindre la côte. C’est très beau. A des endroits, c’est plutôt des falaises qui se jettent dans la mer. Mais ce qu’il y a le plus, c’est les plages de sable. Avec ma famille, on avait un hôtel proche de la plage».

Si Abdulaziz raconte que les cailloux sont restés en Syrie, depuis peu est venue à lui une poignée de sable de Maaloula, village de montagne au nord-est de Damas. Une citoyenne de Martigny s’y est rendue dernièrement et a ramené un infime fragment de cette terre hautement historique. Dans la continuité de leur voyage, ces grains de sable, d’abord trans-portés par les vents et les mers, sont passés de mains en mains pour se retrouver sur la table de chevet du jeune homme. «Quand j’ai reçu le sable, j’étais vraiment content. Ce n’est pas moi qui l’ai pris, mais il vient de là-bas. J’ai un bout de chez moi».

Aujourd’hui, ce jeune homme, encore mineur, et vivant tou-jours séparé de sa famille, avance avec courage dans la vie. Volon-taire et dévoué, il suit actuelle-ment un apprentissage de cuisi-nier. Il est toujours en contact avec deux de ses meilleurs amis restés au pays. La croisée des destins l’interpelle. Et les mots

sont difficiles à trouver pour évoquer la Syrie d’aujourd’hui: «Tout a tellement changé. Avant, on était tous ensemble. Maintenant, on est dans des pays différents. Certains sont à l’armée. C’est la guerre. On ne peut rien faire. J’espère que ça va finir bientôt et qu’on pourra tous y retourner un jour».

Quand on demande à Abdu-laziz ce qu’il emporterait de la Syrie aujourd’hui, il répond sans hésiter: «Un collier de ma famille. C’est un beau souvenir. Je peux le porter et ça reste tout le temps avec moi. Par exemple un collier de ma mère…»

De l’insouciance de l’enfance à la gravité de l’exilAdam Mourad

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Les offres du Centre Suisses-Immigrés - www.csivs.ch

Permanence juridique et sociale

- Quels sont les droits et les devoirs des migrants? - Quelles démarches faire pour obtenir un permis de séjour? - Est-il possible de bénéficier du regroupement familial? - Que faire lorsque le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM)refuse une demande d’asile… Autant de questions auxquelles la permanence peut apporter une réponse:

Sion - Lundi, mardi et jeudi: de 14 h à 18 h - Mercredi de 18 h à 21 h

Sierre, Martigny et Monthey: 2 après-midi par mois Informations auprès du CSI: tél. 027 323 12 16 Accompagnement Mère-Enfant: informations les lundi et mardi auprès du CSI

Cours de français

Pour faciliter l’intégration, le CSI propose tout au long de l’année, des cours de français gratuits. Ils s’adressent à toute personne, quel que soit son niveau de connaissance de la langue ou de l’écriture.Ces cours ont lieu du lundi au vendredi le matin et l’après-midi. Les cours du mercredi soir s’adressent en priorité à des personnes qui travaillent.

Cours Information: Naturalisation. Ce qu’il faut savoir.

Viens parler français: moment d’accueil et de conversation pour femmes. Mercredi: de 09 h 15 à 11 h

Permanence juridique et sociale - Cours de français - Animations - Activités d’intégrationAvenue de Tourbillon 34, 1950 Sion - Tél. 027 323 12 16 - Fax: 027 323 12 46 - email: [email protected]

CENTRE SUISSES-IMMIGRES

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Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Adresse e-mail: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La cotisation annuelle est de Fr. 50.-- Pour vos dons: CCP 19 - 14927 - 3