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CENTRE DÉTUDES ETHNIQUES GROUPE DE RECHERCHE ETHNICITÉ ET SOCIÉTÉ PRÉSENTATION Deirdre Meintel ARTICLES Julie Beausoleil Travailler pour s'établir. Les expériences des réfugiés salvadoriens à Montréal Jean Renaud Ils sont maintenant d'ici! Les dix premières années au Québec des immigrants admis en 1989 Sylvie Paré Le facteur ethnique dans le choix de son agent immobilier : perceptions de quelques acteurs Linda Pietrantonio Action positive et égalité : une analyse sociologique NOTES DE TERRAIN Sylvie Fortin Citoyennetés et appartenances en situation de migration NOUVELLES DU GRES PRÉSENTATION DES AUTEUR-E-S Les Cahiers du Gres

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CENTRE D’ÉTUDES ETHNIQUES

GROUPE DE RECHERCHE ETHNICITÉ

ET SOCIÉTÉ

PRÉSENTATION

Deirdre Meintel

ARTICLES

Julie Beausoleil Travailler pour s'établir. Les expériences des réfugiés salvadoriens à Montréal

Jean Renaud Ils sont maintenant d'ici! Les dix premières années au Québec des immigrants admis en 1989

Sylvie Paré Le facteur ethnique dans le choix de son agent immobilier : perceptions de quelques acteurs

Linda Pietrantonio Action positive et égalité : une analyse sociologique

NOTES DE TERRAIN

Sylvie Fortin Citoyennetés et appartenances en situation de migration

NOUVELLES DU GRES

PRÉSENTATION DESAUTEUR-E-S

Les Cahiers duGres

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Les Cahiers du GRES, vol. 2, n°1, automne 2001

Responsable de la publication :Deirdre Meintel

Coordination et réalisation du numéro :Sylvie Fortin et Laurent Raigneau

Comité de lecture :Rachad AntoniusMarguerite Cognet Danielle JuteauPatricia LamarreMarie-Nathalie Le BlancChristopher McAllDeirdre MeintelVictor PichéBruno RamirezJean RenaudIsabelle Schulte-TenckhoffGladys Symons

Dépôt légal : 3e trimestre 2001ISSN 1499-0431Bibliothèque nationale du CanadaBibliothèque nationale du Québec

Groupe de Recherche Ethnicité et SociétéCentre d’Études Ethniques des Universités Montréalaises3744, Jean-Brillant, # 550Montréal (Québec), CanadaTéléphone : (514) 343-6111, #3803Télécopieur : (514) 343-7078Courriel : [email protected]

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Les Cahiers du GRES, vol. 2, n°1, automne 2001

Les Cahiers du GRES

SOMMAIRE

PRÉSENTATION

Deirdre Meintel ................................................................ p. 5

ARTICLES

Julie Beausoleil Travailler pour s'établir. Les expérien-ce des réfugiés salvadoriens à Montréal.................................................. p. 7

Jean Renaud Ils sont maintenant d'ici! Les dix premières années au Québec des immigrants admis en 1989......................p. 29

Sylvie Paré Le facteur ethnique dans le choix de son agent immobilier : perceptions de quelques acteurs.....................................p. 41

Linda Pietrantonio Action positive et égalité : une analyse sociologique........................p. 55

NOTES DE TERRAIN

Sylvie Fortin Citoyennetés et appartenances en situation de migration.............................. p. 73

NOUVELLES DU GRES ................................................................ p. 85

PRÉSENTATIONDES AUTEUR-E-S ................................................................ p. 87

G r o u p e d e Re c h e r c h e E t h n i c i t é e t S o c i é t é

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Les Cahiers du GRES, vol. 2, n°1, automne 2001

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Ce deuxième numéro desCahiers du GRES, présenteplusieurs travaux centrés sur diver-ses dimensions du processusd’établissement et d’intégration desnouveaux arrivants à la société derésidence. Le premier texte, deJulie Beausoleil, théorise les pre-mières phases de ce processus ence qui concerne les réfugiés, etpropose d’aborder l’établissementmême comme une forme de travail,évidemment non-rémunéré. AvecJean Renaud et al. ce processus està nouveau documenté, cette fois àla lumière de profils d’immigrants dediverses provenances établis auQuébec depuis dix ans, moment oùles auteurs concluent que pourplusieurs, l’établissement est ter-miné et qu’ils sont désormais pleine-ment « d’ici ». Ce texte résume lesdonnées d’une vaste étude longitu-dinale (10 ans) auprès d’une co-horte de 1000 immigrants et com-porte nombre de faits intéressants etmême surprenants. Ainsi, après 10ans, les répondants manifestent uneintégration pleinement réussie selonles critères habituellement invoqués(connaissances linguistiques, parti-cipation au marché du travail,réseaux sociaux), tout en gardant defortes attaches au pays d’origine.

Les réseaux des acteurs revien-nent dans l’article de Sylvie Paré

sur le choix d’agents immobiliers.L’auteure constate l’importante pa-rité ethnique chez les groupesmajoritaires (Québécois d’originefrançaise ou anglaise) ou très bienétablis, soit les Italiens, souventdénommés la « troisième majorité »à Montréal. La notion d’intégrationest de nouveau abordée par SylvieFortin, cette fois-ci dans sa dimen-sion symbolique. Dans une note derecherche, l’auteure amorce une cri-tique du concept de citoyenneté parle biais d’une étude sur les espacesde sociabilité des migrants françaisà Montréal.

Enfin, le texte de LindaPietrantonio propose un regard cri-tique sur le concept d’« égalité »,ceci à la base d’une étude de textessavants portant sur l’action positive.Les questions posées touchent nonseulement les minorités ‘ethniques’mais les minorités dans un senslarge. L’analyse présentée ici mon-tre que les politiques d’action posi-tive ne remettent pas en questionles structures sociales existantes.Ces structures sont, en fait, penséesdans une perspective de maintiend’un ordre social où le pouvoir estdifférencié selon l’appartenance àdiverses catégories minoritaires,qu’elles soient de sexe, de race oud’ethnicité.

Dans le prochain numéro desCahiers du GRES, nous espéronspublier des textes qui ont étéprésentés lors d’un colloque pourétudiants gradués et jeuneschercheurs au CEETUM, en avrildernier. Nous invitons nos col-lègues d’ailleurs au Canada et à l’étranger, particulièrement lesjeunes chercheurs, à soumettre des

Deirdre MEINTEL Professeure titulaireDépartement d’anthropologieDirecteurGroupe de Recherche Ethnicité etSociétéUniversité de Montréal

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textes pour publication dans lesCahiers. Enfin, nous vous invitons à prendreconnaissance de notre rubrique« Nouvelles du GRES » qui paraîtpour la première fois à la fin de cenuméro.

DEIRDRE MEINTEL

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Un violent conflit a littéralementdéchiré le Salvador, petit paysd’Amérique Centrale, entre 1979 et1992. Les migrations vers les payslimitrophes étaient monnaiecourante bien avant que ne débutece conflit. Celui-ci a cependantmené à des déplacements interneset externes d’une ampleur jamaisvue alors que près d’un cinquièmedes cinq millions de résidents a quit-té le pays pour le reste del’Amérique Centrale, le Mexique, lesÉtats-Unis, etc. Au Canada, nom-breux sont ceux2 qui, ayant fait unedemande d’asile à la frontière, ontlonguement dû demeurer en attentede la reconnaissance de leur statutde réfugié, les délais étant accrustant par la complexité et les faillesdes mécanismes de traitement desdemandes que par leur nombredevenu important.

La présence des Salvadoriensau Québec reste difficile à établiravec exactitude mais peut êtreestimée à dix mille individus3.Plusieurs ont élu domicile àMontréal. Ce centre urbain principaldu Québec abrite la majorité desimmigrants qui choisissent leQuébec. Il est caractérisé par laprésence d’un large éventail degroupes ethniques partageant l’es-pace avec les « deux majorités »,anglophone et francophone.

Quelles sont les expériences desréfugiés salvadoriens à Montréal ?Tel qu’il sera explicité plus bas, la lit-térature fournit des informations per-tinentes à ce sujet, cependant deslacunes demeurent quant aux con-naissances des problèmes reliés àleur statut de réfugié et à leurs con-séquences éventuelles sur l’éta-blissement. De plus, les efforts quedoivent réaliser les nouveaux venusaux chapitres de l’emploi rémunéréet de l’apprentissage du françaisn’apparaissent pas clairement dansla littérature.

Cet article s’attache à présenterles faits saillants d’une analyse desexpériences des réfugiés sal-vadoriens vivant à Montréal(Beausoleil, 1998). Des entrevuessemi-structurées auprès de trente etune personnes d’origine salvado-rienne servent de fondement à cetteinitiative. Il s’agit d’une rechercheexploratoire visant à documenterces expériences et à mieux com-prendre la réorganisation de leur viequotidienne après la migration.Nous proposerons que les réfugiéssalvadoriens réalisent en fait unvéritable travail au cours de leurspremières années au Québec. Troisthématiques spécifiques sont exa-minées, soit la quête du statut deréfugié, la recherche d’un emploi etenfin l’apprentissage du français.Émergeront de l’analyse la teneur etla complexité d’un tel travail d’éta-blissement ainsi que l’impact déter-minant qu’a sur lui la « conditionadministrative » réservée aux reven-dicateurs de statut de réfugié.

Le texte débute par une présen-tation de la problématique, suivied’une discussion au sujet de la

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Julie BEAUSOLEIL, M.SC

Département d’anthropologieUniversité de Montréal

TRAVAILLER POUR S’ÉTABLIR. LES EXPÉRIENCES DES RÉFUGIÉS

SALVADORIENS À MONTRÉAL1

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notion de travail. Puis, des consi-dérations relatives au conceptd’établissement sont énoncéesavant que des précisions ne soientfournies au sujet de la méthodolo-gie. Les observations faites relative-ment aux trois thématiques étudiéessont brièvement présentées. Enfin,quelques-unes des avenues quepourraient emprunter des recher-ches ultérieures sont mentionnéesen guise de conclusion.

Problématique

Notre objectif initial était d’étu-dier principalement les problèmesentourant la quête du statut deréfugié pour les réfugiés sal-vadoriens. Cependant, une appro-che inductive a guidé l’analyse versune perspective plus large, axée surles efforts d’établissement. Deuxraisons principales le motivent. Enpremier lieu, ce qui entoure l’obten-tion du statut de réfugié est tissé àmême la trame de la vie quotidien-ne, notamment parce que la résolu-tion des problèmes administratifs etlégaux nécessite souvent de longsmois, voire même des années. Enconséquence, isoler cette théma-tique des autres dimensions du quo-tidien pourrait compromettre unevision d’ensemble sur ces expéri-ences et, par là, entraver la possibi-lité d’en faire une analyse valable.Pour comprendre les expériencesde la vie quotidienne et sa trame, ilsemblait préférable d’examinerattentivement deux des thèmes cen-traux aux préoccupations des infor-mateurs quant à leur établissementau Québec, soit la recherche d’unemploi et l’apprentissage dufrançais.

En second lieu, aux yeux desmigrants, l’établissement ne sem-blait pas être une voie vers l’ « assi-milation » ou l’ « intégration » maisplutôt un processus exigeant demultiples efforts. Par exemple,Carmen est une femme au début dela quarantaine qui a voyagé avec ses deux jeunes enfants vers le Nord (période d’arrivée au Canada: 1989-1991) afin de trouverune sécurité après des années depeur. Au cours de l’entrevue, elledécrivait comment elle se démenaitsans cesse, investissait temps etefforts pour trouver l’informationdont elle avait besoin à propos demultiples sujets, faire face à desrelations difficiles avec le proprié-taire de son appartement et aiderses enfants à s’adapter au systèmescolaire.

Se pouvait-il qu’il faille ainsi con-sentir des efforts, travailler enquelque sorte, pour réorganiser savie quotidienne au Québec ? Pourrépondre à cette question, un cadrethéorique et analytique fondé surune notion « ample » du travail etsur une définition « pragmatique »de l’établissement a été adopté. Cecadre est élaboré à partir des leçonsdu travail de terrain ainsi que des considérations théoriques sui-vantes.

Définir le travail

Deux mouvements opposés onttransformé le concept de « tra-vail ». Collins (1990) fait allusion aupremier et écrit: « the intellectualtrajectory of the last two centuries(...) narrowed the concept of workfrom the sense of all productive

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effort to that of productive effort per-formed for someone else... » (p. 3).Le second mouvement consiste enla tendance inverse, soit un passagede définitions étroites vers d’autresqui reconnaissent, comme véritabletravail, des actions souvent consi-dérées improductives.

Les chercheurs, anthropologues,féministes et autres, ont développéune telle nouvelle vision du travail.Les travaux d’anthropologues sug-gèrent que l’étude de la productionet de la reproduction dans les paysnon-occidentaux exige un recours àdes définitions larges du travail. Ladiversité des conceptions culturellesdu travail (Parkin 1979, Beaucage1989, Schwimmer 1979) et des con-textes économiques et sociaux lesont menés à proposer que le travailcorrespond, par exemple, auxactions assurant la subsistance(Wallman 1979: 7), à la capacité detransformer (Gamst 1984: 58) ou à ce qui permet la satisfactiondes besoins humains (Nash 1984:46)4.

Les conceptions du travaildomestique des femmes ont enquelque sorte connu le double mou-vement en question. Oakley (1984)soutient que l’industrialisation a con-tribué à la dévalorisation des acti-vités des femmes ainsi qu’à leurréduction à un « non-travail ».C’est hors du foyer que la vraiebesogne est abattue contrerémunération, le reste du labeurétant simplement de l’ordre de lareproduction ou du loisir. Or, depuisles années soixante, nombre dechercheuses ont soutenu et montréqu’il est indispensable de dépasserce type de définitions restrictives. Il

est maintenant largement reconnuque les tâches domestiques(surtout) accomplies par les femmesconstituent bien un travail nonrémunéré productif (Walby 1990),en fait le plus important dans lemonde occidental (Gimenez 1990:26).

Il n’en demeure pas moins quenombre de tâches impayées ne sontpas reconnues comme travail, invi-sibles, assimilées aux tâchesdomestiques ou simplement au sup-posé « rôle des femmes ». Il s’agiten l’occurrence, du travail de con-sommation (Weinbaum et Bridges1979, Glazer 1990)5, du travail payéaccompli à la maison (Allen 1989),de l’éducation des enfants et de latransmission de l’ethnicité (Juteau1983) ainsi que du maintien desrelations de parenté (DiLeonardo1987)6.

De plus, selon Cellier (1995), lebénévolat serait « un travail nonpayé comme don ». Des auteurssoutiennent également, dans unautre ordre d’idée, que pour répon-dre aux multiples exigences desinstitutions et bureaucraties, lescitoyens réalisent aussi un travail(Collins 1990, Illich 1980, Wadel1979). Enfin, Smith (1987) écrit, aucours de son étude de la vie quoti-dienne dans une perspective fémi-niste:

…the concept of work is extended here towhat people do that requires some effort,that they mean to do, and that involvessome acquired competence. The notionof work directs us to its anchorage inmaterial conditions and means and that itis done in " real time " - all of which areconsequential for how the individual canproceed... (p. 165)

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La notion de travail retenue icis’inspire de la discussion précé-dente et en particulier de la positionde Smith. Ainsi seront considéréescomme faisant partie du travaild’établissement, les activités,physiques ou intellectuelles, réa-lisées dans le but de s’établir aprèsla migration et qui exigent l’engage-ment de temps, de compétences etd’efforts; de plus, ces gestes sedoivent d’être posés avec intention.

S’établir

Afin de décrire les expériencespost-migratoires, il semble utile d’utiliser ici le simple terme d’« éta-blissement ». Cependant, dans lechamp des études ethniques, l’at-tention tend à être portée sur lesprocessus dits d’assimilation et d’in-tégration (Anderson 1991, Meintel1992). Les concepts associés à cesprocessus posent problèmes.D’abord, plusieurs auteurs souli-gnent la confusion entre les con-cepts les plus communs, tels l’as-similation et l’intégration (Avery etRamirez 1990, Barou 1993, Beaudet Noiriel 1989, Taboada Leonetti1994). De plus, ces concepts ten-dent à présupposer que de l’immi-gration résulte une transformationtotale (ou partielle, Schnapper 1992)des valeurs, voire même la dispari-tion du groupe ethnique (Park etBurgess 1924, Eisenstadt 1990,Gordon 1964). De plus, il estfréquent que l’on se réfère à l’exis-tence de processus unilinéairesdont on cherche à identifier lesstades7. À ce sujet, Oriol (1985)écrit :

Les sciences sociales invoquent un

parcours progressif du dehors vers lededans, des étapes qu’on puissejalonner avec des indices repérables,cette évolution étant toutefois plus oumoins rapide selon les groupes etpouvant même comporter des arrêtsdéfinitifs qui correspondent à desformes seulement partielles d’intégra-tion. Cette bipolarité organisée par ladichotomie ne correspond guèremieux aux faits d’observation que lescatégorisations de sens commun. (p.172)

Un obstacle pour les études deterrain réside dans le fait que lesdéfinitions opératoires de ces con-cepts-clés restent rares dans la lit-térature. Ce projet porte sur lesdimensions pragmatiques de l’éta-blissement, incluant les activitésconcrètes permettant la réorganisa-tion de la vie quotidienne. Le con-cept d’établissement est utilisé sansprésumer de la nature des change-ments qui surviennent chez les indi-vidus, les familles ou les commu-nautés concernées. Enfin, ce con-cept paraît approprié dans les casoù la migration n’implique pas larésidence permanente, ce qui estparticulièrement le cas des réfugiéset de nombre de migrants dans cetteère de globalisation.

Considérations méthodologiques

Afin d’étudier les expériencesd’établissement des réfugiés sal-vadoriens, des entrevues ont étémenées auprès d’un groupe d’infor-mateurs relativement diversifié, par-ticulièrement au plan du genre se-xuel, des situations familiales, deshistoires et des procès migratoires.Les contenus de ces rencontres ontensuite été analysés au cours de

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deux étapes successives résuméesplus bas.

Deux séries d’entrevues ont étéconduites. La première comprenddes entretiens avec dix-septSalvadoriens (treize hommes etsept femmes) arrivés au Canadaentre 1975 et 1991. Onze person-nes ont demandé l’asile à la fron-tière tandis que six ont été sélection-nées par les autorités cana-diennesavant leur arrivée au pays. La sec-onde série compte quatorze entre-tiens (avec neuf hommes et cinqfemmes) menés dans le cadre d’unerecherche du Groupe de RechercheEthnicité et Société (GRES) avecd’anciens revendicateurs de statutde réfugié. La majorité de ces infor-mateurs est entrée au Canada entre1986 et 1987 (dix sur quatorze)8.

Les répondants proviennent dediverses régions du Salvador maissurtout des centres urbains. Lesmotifs de départ du pays d’origineincluent la violence généralisée et ladéstabilisation du pays, la persécu-tion individuelle et familiale (dontl’emprisonnement et la torture), lescraintes découlant d’un engagementpassé dans les services gouverne-mentaux, les mouvements étu-diants, la guérilla ou l’armée.Quelques uns ont séjourné auxÉtats-Unis, au Mexique, auGuatemala pour une période de plusde six mois avant de rejoindre leCanada. Les durées de séjour auQuébec, au moment des entrevues,varient grandement puisqu’elles s’étendent entre seize mois et dix-huit ans.

En ce qui a trait au traitementdes informations recueillies,

l’analyse qualitative permet de con-naître les expériences de ces per-sonnes et d’éventuellement identi-fier les activités productives quin’ont pas été prises en compte dansd’autres études et ce, dans le cas dechacun des thèmes étudiés. Cecitient davantage à une explorationqu’à une analyse quantitativemenée à partir de schémas spéci-fiques (pour déterminer, par exem-ple, les durées du travail en heuresou en minutes). Ainsi, lorsque desréférences sont faites en regard dunombre de personnes ayant réalisételle ou telle activité elles n’appa-raissent qu’à titre illustratif.

La première phase de l’analyse,dite horizontale, consiste en l’exa-men attentif et en la codification dechacun des entretiens. Elle est sui-vie d’un examen vertical durantlequel les contenus thématiques desentrevues sont évalués en parallèle(Deslauriers 1987 et 1991).

Obtenir le statut de réfugié

Les analyses des politiques etpratiques du gouvernement cana-dien envers les réfugiés abondent etrévèlent à la fois la complexité et lesfailles du système9. À notre con-naissance, peu de recherches ontexaminé les répercussions de cesystème sur les expériences desréfugiés, en particulier pour lesSalvadoriens. Les rares étudesconsultées suggèrent que les pra-tiques en vigueur et la complexité dela situation ont d’importantes réper-cussions sur les expériences desrevendicateurs au quotidien, dont lefait que les demandeurs de statut deréfugié éprouvent de graves inquié-

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tudes face aux changements despolitiques les affectant, souffrent deslongues périodes d’attente etressentent une peur d’un retourforcé dans leur pays d’origine(A.F.S.C.A. 1987, Beaulieu etConcha 1988, Hess et Smith 1984,Bibeau et al. 1992). Appartenir à lacatégorie de « revendicateur de sta-tut de réfugié » entraîne des pro-blèmes concrets, dont l’exclusiontemporaire des cours de françaisofferts aux Centres d’Orientation deFormation des Immigrants(C.O.F.I.)10, un accès restreint auxservices de santé et services so-ciaux, et de garde, etc. (A.F.S.C.A.1987, Beaulieu et Concha 1988,Jacob 1991). Enfin, notons que lestatut de résident permanent estexigé pour initier les démarchesauprès des autorités de l’immigra-tion pour la réunification familiale.

Quelles sont les expériences desréfugiés salvadoriens relativementaux questions légales et administra-tives entourant leur migration?Jacob (1991 et 1992) mentionneleur manque de connaissance dusystème d’immigration, leur senti-ment de désorientation et leur an-xiété. Qu’en est-il exactement ? Enparticulier, quelles sont les démarch-es que les réfugiés doivent réaliserafin d’obtenir leur statut de réfugié ?Est-ce que l’on peut considérerqu’elles participent au travail d’étab-lissement ?

Pour répondre à ces questions ilfaut considérer les gestes posés parles réfugiés au cours des deux «temps» que sont, d’abord lademande d’asile initiale et ensuite,le processus de traitement de larequête. Les démarches appartien-

nent à deux catégories : d’une part,les démarches directes auprès desautorités de l’immigration et, d’autrepart, ce qui précède et suit ces pre-mières (incluant la préparation desaudiences, la recherche d’informa-tion et le suivi du dossier).

Les expériences des informa-teurs sont diversifiées, ne serait-ceque parce qu’ils sont arrivés à desmoments différents. Le systèmecanadien de traitement des deman-des d’asile a connu de profondschangements au cours des annéesoù les Salvadoriens sont arrivés auCanada; il est donc utile de dis-tinguer deux périodes d’arrivée:1975-1988 et 1989-1991. Au coursde la première période, les expé-riences relatives à la demanded’asile varient mais ne sont enaucun cas tout à fait positives. Lespremières personnes interviewées àrejoindre le Québec font mention dumanque de reconnaissance de lagravité de la situation au Salvador,tant de la part des autorités de l’im-migration que des avocats qui lesassistent dans leurs démarchespour obtenir le statut de réfugié11.

La documentation consultée etles témoignages des informateurssuggèrent qu’au cours de cette pre-mière période, la détermination dustatut de réfugié demeure en pre-mier lieu peu systématique puis tendà devenir compliquée et inefficace.En pratique, la résolution des caspeut exiger de nombreuses années.À titre d’exemple, les répondants àl’enquête du GRES, entrés en 1986et 1987, sont demeurés en attented’une réponse pendant des pério-des variant surtout entre trois etquatre ans (une seule personne a

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été reconnue comme réfugiée aprèsdeux ans)12.

Au cours de la seconde période,il devient évident que de multiplesfailles menacent le système dedétermination du statut de réfugié.Un arriéré considérable se con-solide. La nouvelle loi instaure uneCommission sur le Statut de Réfugié(C.S.R.). Le traitement des deman-des d’asile est désormais fait sui-vant deux étapes: une enquête ini-tiale établit le minimum de fonde-ment de la demande, puis l’au-dience approfondie établit le bien-fondé de la crainte de persécution.

Les informateurs décrivent lesactivités qu’ils ont dû mener et lecontexte dans lequel cela se pas-sait. À titre d’exemple, Carmenarrive à la frontière canadienne en1990. Au moment d’une conversa-tion informelle avec une officiellelors de la première enquête à lafrontière, elle raconte avoir été nom-mée « vraie » réfugiée, par opposi-tion aux « menteurs ». Felicia seprésente aux autorités canadiennesde l’immigration en 1991 avec sonmari et ses deux jeunes enfants. Àla frontière, elle écoute les récits decompatriotes affirmant avoir étéinterrogés avec rudesse avant d’êtreretournés aux États-Unis. Ellepasse de longues heures auxbureaux de l’immigration pourrépondre aux questions des officiels.Quant à eux, Juan et Raul (arrivéseux aussi entre 1989 et 1991), tousdeux jeunes et célibataires, ont étédéportés aux États-Unis en atten-dant que la première enquête puisseavoir lieu.

Plusieurs mois s’écoulent avant

que l’audience approfondie permet-te aux revendicateurs de relater leur« histoire » devant les membres dela Commission. Avec l’aide de leuravocat, certains s’y préparent et dis-cutent de la présentation de leur his-toire et des procédés des commis-saires. L’histoire doit être conformeaux règles, implicites et explicites,de la Commission. À ce sujet,Carmen raconte avoir été profondé-ment troublée par le fait que seulesses dernières années de vie auSalvador comptent au moment de lacomparution. De plus, n’est consi-déré pertinent que ce qui la con-cerne uniquement même si, à sesyeux, son histoire ne prend vérita-blement de sens qu’à la lumière desannées passées avec son ex-con-joint, victime de persécution 13.Carmen est parvenue tout de mêmeà élucider certains doutes des com-missaires en expliquant ce que lespièces justificatives à son dossiervenaient appuyer.

Certains informateurs relatentqu’ils se sont familiarisés avec lesméthodes d’interrogation des com-missaires et le déroulement de lacomparution avant l’événement.Par exemple, Alicia et Raul (céli-bataires), sont au début de la ving-taine au moment de leur arrivée(1989-1991), tous deux étudiants auSalvador. Ils expliquent comment ilest utile de se préparer à l’audiencecar, par exemple, les commissairescherchent à vérifier les faits-clés eninsistant, par exemple, sur les datesde certains événements et ce, avecune telle force qu’il devient facile dese fourvoyer. Ils utilisent des ques-tions répétitives et, dans certainscas, pendant de longues heures.Les difficultés à subir cet interroga-

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toire et le stress engendré par lacomparution sont soulignés par lesinformateurs, que ce soit à leur sujetou à celui de leurs compatriotes.Suite à cette étape décisive, desdémarches supplémentaires sontnécessaires pour obtenir les résul-tats, entreprendre de nouvellesactions le cas échéant, etc14...

Les informateurs ayant demandél’asile de l’extérieur du Canada l’ontfait le plus souvent en état de vul-nérabilité, en danger au Salvador ouillégaux dans les pays de résidencetemporaire (que ce soit auGuatemala, au Mexique ou auxÉtats-Unis). Quelques-uns ont puêtre acceptés sans trop de difficultésalors que d’autres se sont heurtés àdes obstacles répétés. Par exem-ple, Victor (âgé entre 37 et 60 ans,période d’arrivée 1975-1988), undéserteur de l’armée salvadorienneayant fui précipitamment son pays,se trouvait en difficulté car il n’avaitplus en sa possession les piècesd’identité requises. Si les revendi-cateurs de statut de réfugié peuventgénéralement profiter d’une aidelégale (surtout après 1989), ceux setrouvant à l’extérieur du pays n’onteu qu’un accès difficile à une telleassistance. Les autres ont dû trou-ver appui auprès d’amis ou d’orga-nismes humanitaires pour lesdémarches entourant l’obtention dustatut de réfugié.

En résumé, il semble que lesréfugiés salvadoriens réalisent bienun travail lorsqu’ils font les démar-ches pour obtenir un statut deréfugié et, par là, une sécurité per-sonnelle (et familiale, le caséchéant). En effet, les donnéesrecueillies suggèrent qu’il faille

accorder du temps à ces démar-ches. De plus, les réfugiés utilisentleurs compétences, par exemplepour analyser les enjeux, problèmeset informations, etc. Ces activitésdemeurent exigeantes en effortsrépétés. Les informateurs insistentsur leurs tentatives à résoudre leursproblèmes et sur leurs rapports par-fois difficiles avec les officiels del’immigration. Bien que plusieursactivités soient à bien des égardsobligatoires, les témoignages mon-trent qu’elles sont faites avec inten-tion, détermination et persévérancemême lorsque, pendant desannées, l’incertitude demeure quantà un avenir au Canada.

Trouver un travail rémunéré

Les Salvadoriens se sont établisà Montréal durant une période aucours de laquelle un desemployeurs « traditionnels » desnouveaux venus, le secteur manu-facturier, traverse des temps diffi-ciles et connaît des réductions con-sidérables au chapitre du volumed’emplois. La demande de main-d’œuvre n’est cependant pas le seulfacteur qui intervienne dans l’entréeen emploi. Pour offrir leur force detravail, les revendicateurs de statutde réfugié doivent d’abord obtenirun permis de travail. Ceci concernele premier type d’activités menépour parvenir à travailler. Lesactions d’un deuxième type sont enrapport avec la recherche d’emploiauprès des employeurs. Lesitinéraires de travail sont discontinuset, en conséquence, un retour spo-radique à cette recherche survient.La précarité en motive plusieurs àdessiner des plans alternatifs afin

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d’améliorer leur situation par la for-mation et le recyclage; il s’agit làd’un troisième type d’activitésentourant l’obtention d’un travailrémunéré.

Si les réfugiés sélectionnés àl’extérieur du Canada ont pour laplupart le droit de travailler dès leurarrivée (i.e. une fois le statut d’immi-grant reçu en main), les revendica-teurs doivent d’abord obtenir unepermission de la part des autorités.Avant même d’en faire la requête, illeur faut détenir une offre d’emploi15.L’émission d’un permis de travailsuit des règles précises. Par exem-ple, on n’émet qu’un seul permis parfamille et n’est autorisé qu’un seulemploi par personne (Matas etSimon 1989). De plus, tous ne sontpas éligibles car le permis ne peutêtre octroyé qu’à une certaine étapedu processus d’évaluation dudossier. Ainsi, il n’est pas rare quela permission tarde à être émise, cequi peut forcer un recours auxprestations de la sécurité du revenu,prestations dont les montants va-riaient, au cours des années 1980,selon l’âge (les moins de trente ansétant pénalisés quant aux sommesallouées). Par ailleurs, des pro-blèmes au chapitre de la demanded’asile peuvent contrecarrer l’émis-sion du permis. Enfin, lorsque celui-ci tombe à échéance, il doit êtrerenouvelé.

En ce qui a trait à la recherched’emploi, une assistance peutprovenir des organismes gouverne-mentaux, de la famille, des amis oudes membres de réseaux sociauxplus larges. Le soutien des organi-sations gouvernementales reste leplus souvent réservé aux résidents

permanents. Les organisationscommunautaires d’aide aux nou-veaux venus servent occasionnelle-ment de points de liaison entreimmigrants et employeurs.Cependant, dans la majorité descas, l’aide est prodiguée surtout parles proches16. Les amis et autresconnaissances procurent égalementdes renseignements utiles, voiremême des contacts directs avec lesemployeurs.

Au chapitre des emplois et desexpériences de travail, F. Juteau(1989) indique que les Salvadoriensà Montréal occupent des postesdans les manufactures de textile etd’habillement, dans le secteur del’hébergement, de la restauration etdes services domestiques. Les don-nées recueillies au cours de notreétude confirment une telle concen-tration dans les emplois peu spécia-lisés. Les informateurs sontembauchés dans deux types demanufactures. Il s’agit, en premierlieu des usines de confection vesti-mentaire et de textile. Les positionsdétenues y concernent la production(couture, coupage de fils, par exem-ple) ou le travail général (entretien,emballage, tâches diverses). Lesecond groupe d’usines est com-posé des manufactures variées(accessoires de mode, antennes,etc.). Des emplois hors des usinescomptent l’agriculture, l’entretienménager, la restauration, etc. Danspratiquement tous les cas, lesniveaux de rémunération restenttrès bas, près du salaire minimum.

Une discontinuité semble carac-tériser les itinéraires de travail (tellequ’observée par Labelle et ses col-laboratrices 1987), ponctués de

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changements d’emploi et d’interrup-tions. Cette irrégularité se lit en par-ticulier dans les courtes duréesd’engagement17 et dans le fait que leplus souvent la cessation d’emploiest forcée18. Quelques personnespossèdent des postes durables, parcontre plusieurs ont exprimé del’anxiété due au manque de stabilitéet de bonnes conditions de travail.

Le refus de rester dans dessecteurs d’emploi précaires conduitplusieurs d’entre eux à songer à dessolutions pour en sortir. En effet, desinformateurs mentionnent leur inten-tion d’apprendre un métier ou de serecycler en poursuivant des forma-tions courtes, des études post-sec-ondaires ou des stages. Par exem-ple, Ricardo (arrivé entre 1989 et1991) se dit très préoccupé par sonavenir. Célibataire au début de lavingtaine, il est actif dans un mouve-ment religieux et est isolé de safamille. Au moment de l’entrevue, iltravaille dans une usine de textile etson salaire y est très bas. Il est àl’affût de toute information concer-nant les moyens d’apprendre enfinun métier. Sans famille pour le sup-porter, il lui est cependant difficiled’assumer les coûts d’une forma-tion. Il déplore son bas niveau descolarité, la guerre l’ayant contraintà interrompre ses études. Ian(arrivé entre 1975 et 1988), au débutde la quarantaine, partage le mêmesouci quant à son avenir et, main-tenant que son fils a quitté la mai-son, il veut poursuivre ses propresobjectifs, apprendre le français et unmétier. Lors de notre conversation,il habitait seul et était au chômage.

En pratique, peu de répondantsont entamé la réalisation de tels

plans. Parmi les obstacles au faitd’entreprendre une formation, oncompte, le manque d’énergie aprèsles longues journées de travailphysique, l’impossibilité de pouvoirlaisser un emploi rémunéré en rai-son de responsabilités familiales etl’insuffisance de leur maîtrise dufrançais. Il n’est donc pas rare quel’on remette les études à plus tard.

Parmi les personnes les plusqualifiées certaines désirent se recy-cler. Pour s’inscrire à une institutiond’enseignement ou à des stages, ilfaut d’abord obtenir une équivalencede diplômes du Ministère de l’Édu-cation. Déqualification, manque deconsi-dération pour les acquis pro-fessionnels s’ajoutent au délainécessaire (d’environ un an) avantd’en faire réception. La participationà des stages est obligatoire danscertains cas, par exemple Felicia(arrivée entre 1989 et 1991, mariéeet mère de deux enfants), a dû suiv-re un stage pour devenir professeurau niveau primaire. Enfin, quelquesrépondants se sont inscrits à descours post-secondaires (tels queCarmen – arrivée entre 1989 et1991, divorcée et mère de troisenfants; Alicia – même période d’ar-rivée, célibataire et sans enfants;Tomás - arrivé entre 1975 et 1988,célibataire et père d’un enfant).

Toutefois, on craint qu’un man-que d’accès aux postes qualifiéspuisse forcer même les mieux outil-lés au plan de la formation et de l’ex-périence professionnelle à se satis-faire d’emplois peu intéressants.Devant la peur de s’y voir confinés,certains pensaient même à retour-ner au Salvador si leur situation nes’améliorait pas.

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En résumé, les activités queréalisent les réfugiés salvadorienspour assurer leur entrée et maintienen emploi semblent bel et bien con-stituer un travail. Elles exigent l’en-gagement de temps, de compé-tences, d’efforts et d’être menéesavec intention. Il faut leur consacrerdu temps. Ce sont des compé-tences variées qui entrent en scène,habiletés sociales, linguistiques,intellectuelles et techniques.L’intention de travailler et de trouverune meilleure situation est claire,tout comme l’est celle d’apprendrele français.

Apprendre le français

Au Québec, les questionsentourant l’emploi des languesanglaise et française sont de grandeimportance sur les plans culturel etsocial. Il s’agit en outre d’un enjeumajeur pour les immigrants. Cettesituation sait surprendre les nou-veaux venus. Par exemple,plusieurs racontent ne pas avoir su,avant leur arrivée, que le françaisétait la langue majoritaire duQuébec et moins encore qu’il exis-tait à ce sujet tant de débats. Ilsapprennent à comprendre lesenjeux relatifs aux tensions entreanglophones et francophones et àse situer dans ce contexte. Les lati-no-américains se sentent plus prèsdes francophones (Gosselin, 1984)mais Jacob (1991) souligne que lesSalvadoriens reconnaissent la perti-nence de maîtriser l’une ou l’autredes langues. Toutefois, ceux quiconnaissent l’anglais à leur arrivéeau Québec ont du mal à comprendrepourquoi le gouvernement de laprovince les pousse vers l’apprentis-

sage du français.

Au moment de l’étude, les coursde français du C.O.F.I. sont subven-tionnés par le gouvernement pourles immigrants recevant des presta-tions de l’assurance-chômage. Cesderniers doivent s’adresser auxbureaux du ministère de l’immigra-tion pour demander leur entrée auxcours de français offerts au C.O.F.I.Leur éligibilité aux cours dépend,entre autres, de leur statut d’immi-grant. Les immigrants reçus ontgénéralement un accès rapide tan-dis que les revendicateurs de statutde réfugié doivent attendre que leurdossier ait atteint un certain stade.En effet, avant 1988, la reconnais-sance du statut de réfugié estexigée alors qu’entre 1989 et 1991,l’accès aux cours est autorisé plustôt dans le processus d’évaluationdu dossier. Quoi qu’il en soit, cesrestrictions ont des conséquencescertaines pour ceux qui doivent sedébrouiller sans ces rudiments dufrançais. Par contre, une éligibilitétardive aux cours peut contrecarrerla participation, notamment parcequ’on ne peut s’absenter du travailsans risquer de perdre sa place.

Les données recueillies révèlentque la participation aux divers coursde français est répandue. Dans lecas de la première série d’entre-vues, dix personnes sur dix-sept ontété inscrites au C.O.F.I. Dans laseconde liste de répondants, septpersonnes sur quatorze ont fréquen-té ces cours. Ceux qui l’ont suivi àtemps plein l’ont fait pendant unepériode moyenne de six mois etdemie. Nombreux sont ceux quientrent au C.O.F.I. à temps plein etquelques-uns à temps partiel.

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Notons que d’autres enseignementsdispensés par les organisationscommunautaires ou par les écolessecondaires ont été suivis (dix per-sonnes ont uniquement suivi cescours). Une seule personne n’asuivi aucun cours de langue.

Hormis les enseignementsformels reçus en classe, les réfugiéssalvadoriens utilisent d’autresstratégies informelles pour améliorerleur maîtrise de la langue française.Notamment par l’étude personnelleet la mise en pratique des acquis lin-guistiques dans les occasions ren-contrées de rapports sociaux et pro-fessionnels.

Les informations recueillies sug-gèrent donc, en résumé, que lesactivités permettant l’apprentissagedu français sont diverses. Cesstratégies formelles et informellessemblent bien présenter les carac-téristiques du travail d’établisse-ment. Les compétences linguis-tiques sont évidemment en jeu.Plusieurs ont mentionné les effortsconsentis à ces activités, d’abordpour obtenir le droit de prendre partau C.O.F.I., puis d’y participer etenfin de chercher à compléter cetapprentissage par des formationssupplémentaires et des stratégiesindividuelles.

Les répondants s’exprimentlonguement au sujet de leur fermeintention d’apprendre le français.Plusieurs raisons sont invoquées,dont le fait que leur manque de con-naissance de cette langue est unobstacle majeur au quotidien. Ilsmentionnent le désir d’entrer enrelation avec les francophones.Pour le travail comme pour les

études, une maîtrise de l’anglaisn’est pas suffisante (même si cer-tains font remarquer que le français,seul, peut aussi être insuffisant).Bien que, comme l’explique un infor-mateur, on se sent toutefois coincéentre deux cultures, certains affir-ment qu’apprendre le français est ungeste de réciprocité, posé pourredonner quelque chose auQuébec, si généreux à leur égard.Enfin, le français est utile lors desvisites dans les bureaux du gou-vernement. Par exemple, Isabel, audébut de la trentaine, explique quedepuis qu’elle parle mieux lefrançais elle peut s’acquitter seulede ces tâches et se sent donc plusautonome pour cette raison.

Conclusion

À la lumière des entrevuesmenées au cours de cetterecherche, il semble donc que lesréfugiés salvadoriens réalisent untravail en réorganisant leur vie quo-tidienne au cours des premièresannées de vie au Québec. En pre-mier lieu, c’est par de multiplesdémarches que l’on peut parvenir àobtenir le statut de réfugié. Celui-cipermet un meilleur contrôle sur sondevenir et apporte un sentiment desécurité. Sans lui, on demeurepiégé dans une espèce de classe de« migrants non légitimes » et onsouffre de multiples difficultés pra-tiques. En second lieu, la recherched’une position rémunérée nécessiteégalement des efforts divers qui serépètent en raison de la précaritéd’emploi, révélée dans la disconti-nuité des itinéraires de travail. Entroisième lieu, l’apprentissage dufrançais relève également d’un tra-

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vail, par le fait de nombreux effortsque les réfugiés y consacrent.

Les questions reliées au statut àl’immigration ont un impact sur cetravail d’établissement. Ce « vec-teur » traverse littéralement les deuxautres sphères de la vie quotidienneétudiées, engendrant contraintes etcomplications, telles celles asso-ciées à l’obtention du permis de tra-vail et à la permission de participerau C.O.F.I.

Ce n’est qu’en adoptant une dé-finition « ample » du travail que l’onpeut véritablement appréhender cesgestes. Se résigner à leur invisibilitépourrait, entre autres, signifier quel’on continue à dépeindre les per-sonnes qui les portent comme desêtres dépendants plutôt que commede véritables acteurs. Il n’est pasrare que les réfugiés soient vuscomme des individus passifs et endétresse (De Voe 1981) ou dénuésde tout contrôle sur leur vie (Oliver-Smith et Hansen 1982).

À notre avis, la notion de travaild’établissement est utile et rendpossible la prise en compte de nom-breux gestes réels posés par lesréfugiés salvadoriens au cours despremières années suivant la migra-tion. Notre examen a tenté d’identi-fier ces actions. Toutefois, plusieursthèmes mériteraient d’être explorésplus avant. Ainsi, notre étude n’apas permis d’estimer avec précisionla multitude d’activités et le tempsinvesti à chacune d’entre-elles, lanature des contraintes pesant surl’exécution de ces gestes et lesproblèmes que pose le fait de devoiragir sur plusieurs plans à la fois.Des études ultérieures aideraient à

éclaircir ces questions.La division sexuelle du travail

d’établissement mériterait égale-ment d’être étudiée avec attention.Comment se sépare-t-on les tâchesdans le couple? Que se passe-t-illorsque les hommes veulent par-ticiper à des cours du soir, parexemple? Est-ce que les femmesrestent à la maison, s’occupant desenfants et des tâches domestiques?Existe-t-il également, au-delà desactions individuelles, des efforts dela part des parents (incluant le faitd’aider les enfants à s’adapter ausystème scolaire et social par exem-ple), des familles (dont les démar-ches pour la réunification familiale)et des communautés (responsables,par exemple, du soutien apporté auxcompatriotes et autres immi-grants) ?

Sur un autre plan, l’histoirerécente du Salvador est particulière-ment marquée par les intensesmigrations de travail. Est-il possibleque les expériences des réfugiés secomprennent davantage à la lumièrede la signification que prend cetteassociation entre travail et migra-tion? Ou bien, leurs réfé-rences,implicites et explicites, au travail del’établissement cons-tituent-ellesune forme de réponse de la part desinformateurs aux remises en causede la « légitimité » de leur migration?Car on sait que les demandeursd’asile sont fréquemment suspectésd’abuser le système d’immigrationen se présentant aux frontières sansy être invités (Grey 1989, Matas etSimon 1989).

Daniel et Knusden (1995) sou-tiennent qu’il existe une méfianceenvers les réfugiés. Nous dirions

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qu’en Occident un tel climat de sus-picion entoure plus généralementles mouvements migratoires enprovenance des dits pays en voie dedéveloppement. Fernandez-Kelly(1993) rappelle pourtant qu’alorsque les migrations suscitent unetelle réaction, les mouvements desressources naturelles, économiqueset financières se poursuivent dansl’impunité que permet la globalisa-tion. Dans ce contexte, un défi detaille demeure: celui de parvenir àune compréhension des phéno-mènes que sont, d’une part, la cons-truction idéologique de la légitimitédes migrations et la mise en oeuvrede mécanismes de gestion decelles-ci et d’autre part, les réper-cussions de ces processus sur lesexpériences et activités réelles desindividus et communautés con-cernées.

Notes

1 Je remercie mes informateurspour leur confiance et leur aideprécieuse ainsi que Dr DeirdreMeintel pour la direction dumémoire de maîtrise sur lequelest basée cette contribution.

2 Le masculin n’est utilisé quepour alléger le texte.

3 D’après les statistiques québé-coises et canadiennes, 5 689Salvadoriens ont fait unedemande d’asile entre 1984 et1990. Il faut ajouter à ce nom-bre les immigrants reçus, éva-lués à environ quatre mille pourla période 1973 à 1986. Lesdonnées disponibles au publicrendent toutefois difficile un por-

trait statistique précis – les caté-gories d’immigration n’étant pastoujours mutuellement exclu-sives – par ex., au cours d’unemême année, un individu peutêtre réfugié et immigrant reçu.

4 Des définitions plus restrictivescomptent par exemple celles deUdy (1970) et de Hakken(1987).

5 Le « travail de consommation »désigne les corvées reliées àl’achat des marchandisesnécessaires pour le ménage(toutefois, il est souvent assimiléau travail domestique, Collins1990, Gimenez 1990, Oakley1984, Smith 1987, Seccombe1980). Il exige temps, efforts etexpertise.

6 DiLeornado affirme que lesfemmes se chargent d’un « tra-vail de parenté », qu’elle définitcomme : « the conception,maintenance, and ritual celebra-tion of cross-household kin ties» (p. 442).

7 Voir par exemple, Dorais (1989),Eisendstadt (1990), Gordon(1964), Park et Burgess (1924),Stein (1981), Scudder et Colson(1982).

8 Les entrevues de la deuxièmesérie ont été réalisées, pourplusieurs, par d’autres assis-tantes de recherche du GRES

9 Ces études incluent Adelman(1991), Adelman et Lanphier(1990), Basok et Simmons(1989), Crépeau (1990), Dirks(1977), (1984) et (1985), Gilad

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(1990), Hathaway (1991), JesuitRefugee Service (1991 et 1992),Matas et Simon (1989).

10 Ces centres n’existent plus.

11 Le Canada donne quelquessignes d’une telle reconnais-sance en 1981 et instaure unmoratoire sur la déportation desSalvadoriens en 1984. En 1986,le Canada inscrit le Salvador surla liste des pays où sont per-pétrées de très sérieuses viola-tions des droits humains. Maisen février 1987 le gouvernementsupprime le moratoire sur ladéportation (Jesuit RefugeeService 1992).

12 L’arriéré comptait alors 85 000cas au Canada, dont 25 000 auQuébec (Frenette 1991: 22).Les dossiers non résolus avantl’entrée en vigueur d’une nou-velle loi en janvier 1989 ont étéétudiés suivant les procéduresde la nouvelle législation. Ondevait alors revoir chacun desdossiers en ordre chronologiquemais des problèmes techniquesont fait que pour plusieurs, l’at-tente s’est poursuivie (Azaad1991).

13 Pour des dimensions culturellesentrant en compte dans lescomparutions pour le droitd’asile, voir entre autres Kalin(1986). Ceci a d’autant plusd’importance que les expé-riences vécues au Salvadordoivent aussi être comprises àla lumière des conceptions cul-turelles. En particulier Jenkins(1991) explique comment lesréfugiés salvadoriens se réfè-

rent à une expression spéciale,la “situación” pour désignerl’ensemble des problèmes sur-venant au Salvador pendant laguerre.

14 Par exemple, Raul a dû compa-raître à nouveau pour une autreaudience devant les arbitres del’immigration, ce qui s’est soldépar un échec.

15 Celle-ci n’est pas toujours aiséeà trouver. Par exemple, Raul aété embauché illégalementavant d’être en mesure dedemander une offre de travail àson patron.

16 La présence de conflits familiauxn’est pas exceptionnelle chezles familles d’exilés salva-doriens, séparées pendant delongues périodes. Ward (1987)décrit les déchirements dans lesfamilles salvadoriennes à LosAngeles.

17 D’une part, dans le premiergroupe d’usine, les durées d’en-gagement varient entre troisjours et six ans (ceci est excep-tionnel) (plus précisément dixpériodes varient entre quelquesjours et un an, uniquement qua-tre durent entre vingt et soixantemois). Dans le cas du secondtype d’entreprises manufac-turières, on note aussi unehaute fréquence des courtsengagements (huit emploisdurent moins d’un an et huitentre douze et soixante mois,encore une fois les longuesdurées sont rares).

18 L’examen des motifs de départ

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suggère que la discontinuitérésulte surtout de départs for-cés. Deux raisons principalessont invoquées pour expliquerles premiers: la fermeture desusines et le manque temporairede travail. Les départs volon-taires surviennent aussi, en par-ticulier pour des raisons d’ordrepratique (des lieux de travail tropéloignés du domicile par exem-ple, ou un refus de se soumettreà des conditions de travail dontl’horaire de nuit ou de fin desemaine).

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L’enquête Les dix premièresannées au Québec des immigrantsadmis en 1989 se veut l’aboutisse-ment de l’enquête ÉNI (Établisse-ment des nouveaux immigrants)amorcée il y a douze ans. ÉNI 10ans après, c’est aussi la fin dupériple en tant qu’immigrant. Leprocessus d’établissement est,sinon complètement terminé, envoie de l’être, et ce, non sanspéripéties et ajustements… Il s’agitd’une étude longitudinale qui a suivi,au moyen d’entrevues, une cohorted’immigrants adultes admis en1989. En tout, 1000 participants ontcollaboré à la première enquête quis’est tenue en 1990, 729 d’entre euxont participé à la deuxième qui a eulieu en 1991, 508 ont été interviewésà la troisième en 1992, et 429 ayantparticipé à au moins la premièreenquête ont collaboré à la dernièrequi s’est déroulée en 1999.

En 1989, l’immigration auQuébec était en pleine croissance2,faisant ainsi suite au «creux» dudébut des années 1980. Cette immi-gration n’est plus alimentée par les

bassins traditionnels : elle provientplus fortement de pays plus pauvreset des pays de l’ancien bloc de l’Est.Il faut ajouter que Montréal attire lamajorité des immigrants admis auQuébec3. C’est donc dire qu’en faitd’intégration, tout se joue dans cettegrande région.

Comment cette intégration s’yfait-elle ? Peu de données docu-mentent le sujet de façon multidi-mentionnelle et encore moins le fonten rendant compte de la dynamiquede l’établissement. Des questionscomme celles-ci ne trouvent passouvent de réponse : combien detemps prennent les immigrants à setrouver un emploi et à se stabili-ser ? Continuent-ils à se former unefois installés au Québec, et leursétudes influencent-elles leurschances de se trouver un emploi ?Quels types de réseaux ont-ils établis au Québec ?

Les données généralementdisponibles nous offrent au mieuxdes portraits statiques de la situationd’une cohorte donnée. On peutpenser aux séries chronologiquessur la population active qui offrentune information de nature tem-porelle, mais l’histoire de chacundes répondants n’est connue qu’aumoment de l’enquête (ou la semaineprécédant l’enquête) : aucune don-née biographique n’est recueillie àleur sujet, interdisant toute explica-tion du phénomène étudié (parexemple le chômage). De plus, nel’oublions pas, ces séries de don-nées nécessitent un sondage parmois !

L’enquête ÉNI a voulu répondreà la vaste question de l’intégration

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Jean RENAUD, Ph.DProfesseur titulaireDépartement de sociologie Université de Montréal

Lucie Gingras Sébastien Vachon Christine BlaserJean-François Godin Benoît Gagné

ILS SONT MAINTENANT D’ICI! LES DIX

PREMIÈRES ANNÉES AU QUÉBEC DES

IMMIGRANTS ADMIS EN 19891

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en couvrant non seulementplusieurs dimensions de l’intégrationmais, également, en saisissant cesinformations de façon dynamique,longitudinalement. Le logement,l’emploi, les études et les forma-tions, le non-emploi, le ménage etsa constitution, la citoyenneté sontquelques-uns des aspects couvertspar l’enquête pour lesquels nousdisposons d’informations datées,c’est-à-dire qu’on en connaît lesmoments d’occurrence dans le ca-lendrier des personnes. L’approchedescriptive privilégiée permet decouvrir un large éventail des dimen-sions de l’établissement. Mais«descriptif» n’est pas synonyme de«simplicité» et de «facilité». Ladimension temporelle qui est inté-grée dans l’enquête ÉNI rend en soicomplexe la donnée. Nous obser-vons ce qui se déroule dans la vieprofessionnelle, résidentielle, aca-démique, etc., des immigrants et ce,chaque semaine. Nos observationsse trouvent donc à varier dans letemps4.

NOTES MÉTHODOLOGIQUES

Pour réussir à saisir ladynamique de cet établissement, quis’inscrit sur plusieurs mois, voireplusieurs années, quatre vaguesd’enquête ont été nécessaires. Lestrois premières ont été réaliséesapproximativement un an, deux anset trois ans après l’arrivée auQuébec ; la quatrième vague s’estfaite, elle, dix ans après l’arrivée.Pour éviter au maximum la déperdi-tion, un suivi des coordonnées rési-dentielles a été effectué jusqu’à lafin de la troisième entrevue5. Pour laquatrième vague, nous avons fait

appel aux dossiers administratifs dela Régie de l’assurance maladie duQuébec (RAMQ)6. Cette dernièrevague nous a permis de retracerquelques répondants perdus lors dudeuxième ou du troisième passa-ge : nos informations ont ainsi puêtre mises à jour.

Cette méthodologie d’enquête al’avantage d’éviter le biais desenquêtes rétrospectives usuelles quine rejoignent que les «survivants»d’une cohorte. Bien sûr, avec uneenquête à passages répétés, il fauttenir compte du phénomène dedéperdition : ainsi, l’histoire d’éta-blissement des cas «perdus» encours de route se trouve tronquée.Mais cela n’engendre pas néces-sairement de biais dans les analy-ses dans la mesure où cephénomène correspond à unchangement dynamique de la popu-lation7.

Le fait de conserver tous lesrépondants formant la cohorte dedépart, même ceux qui n’ont pasparticipé à toutes les vagues d’en-trevues, bonifie nos analyses dedeux façons : d’une part, les effec-tifs de départ sont plus importantset, d’autre part, nous avons là unemasse d’informations dont il seraitdommage de se priver. Cela nous aaussi permis de récupérer quelquesrépondants «perdus» aux temps 2 et3 ou qui avaient quitté le Québec ety sont revenus. Plusieurs tech-niques d’estimation, commel’analyse des transitions ou celle destrajectoires, utilisent les cas tantqu’ils sont observés. Les résultatsont ainsi l’avantage d’être plusrobustes.

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En termes d’échantillon, nous nenous sommes intéressés qu’auximmigrants adultes (de 18 ans etplus), ayant obtenu leur visa à l’étranger, arrivés entre la mi-juin1989 et novembre 1989 et admisdans l’une ou l’autre des trois caté-gories d’immigration (réfugié,indépendant et famille)8. Ce sontquelques 1880 immigrants parmi les9645 ayant le Québec comme desti-nation et ayant transité aux postesfrontières du Canada qui, dans unpremier temps, ont accepté de par-ticiper à l’enquête. Environ un anaprès leur arrivée, 1000 immigrantsont été retracés et ont accepté derépondre au questionnaire de la pre-mière vague de l’enquête. Cetéchantillon n’est pas à proprementparler aléatoire. Les analyses de laqualité de l’échantillon indiquentqu’il y aurait eu des sorties systéma-tiques de la population immigrantede même que des cas systéma-tiquement non retraçables bien queles effectifs impliqués soient petits.Cependant, on ne connaît pas lapopulation immigrante réelle. Lespersonnes ayant déclaré avoir leQuébec comme destination sont-elles vraiment venues et, si oui, ysont-elles restées toute leur pre-mière année ? Nous n’en savonsrien. Ainsi, il est impossible d’éva-luer si les différences proviennentd’un changement dans la populationdes personnes qui se destinaientofficiellement au Québec et qui s’ysont établies ou d’un quelconquebiais échantillonnal. Les analysesde qualité de l’échantillon indiquentque parmi la plupart des variablestestées, les distorsions nedépassent pas 10% entre la popula-tion qui se destinait au Québec etl’échantillon des 1000 immigrants. Il

ne faut pas pour autant conclure quecet échantillon est biaisé mais plutôtconclure sur la population : elle achangé de composition entre l’ar-rivée et le moment de l’enquête.

L’année suivante, soit 2 ansaprès leur arrivée, 729 répondantsparmi les 1000 de départ ont répon-du au questionnaire du second pas-sage9. La troisième année, 508immigrants ont participé à l’en-quête10. Enfin, lors du dernier pas-sage, 429 ont accepté de répondreune dernière fois au questionnaire. Pour tous ces répondants, nousavons donc de l’information datéeconcernant les principaux événe-ments de leur vie au Québec. Celasignifie que nous avons reconstituéun calendrier pour chacun desrépondants et de son conjoint(lorsqu’il y a cohabitation) sur lequelest inscrite chaque date de début etde fin des épisodes d’emploi, derésidence, de formation. Chaquemembre du ménage a égalementune date d’entrée et de sortie dansle ménage.

FAITS SAILLANTS

Le logement : un accès crois-sant à la propriété et une dispersion géographique

Après dix ans de séjour, onestime à plus de 36 % les répon-dants ayant accédé à la propriété.

On ne note cependant aucunedifférence entre les sexes, l’âge oula catégorie d’immigration. Seule lascolarité semble influencer lavitesse à laquelle on accède à lapropriété, l’accès augmentant à

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mesure que le niveau de scolarités’élève.

Sur le plan de la mobilité, onremarque des mouvements de dis-persion à partir de la troisièmeannée d’établissement et ce jusqu’àla dixième. Cette dispersion n’a paslieu seulement sur l’île de Montréal,mais se produit également enMontérégie, à Laval et dans lesBasses-Laurentides.

L’emploi : une augmentation de la stabilité et du statut socio-économique

L’accès à un premier emploi sefait assez rapidement. Après 15semaines, plus de 50 % des répon-dants ont trouvé un premier emploi.On remarque par ailleurs que moinsde 14 % n’ont jamais occupé unemploi après dix ans de séjour.

La stabilité en emploi s’observesurtout à partir de la troisième annéed’établissement. Cela correspond àpeu près au quatrième emploi. Ladurée des emplois augmente signi-ficativement et la vaste majorité desrépondants ont connu à cette péri-ode au moins un emploi.

L’augmentation de la stabilité enemploi est davantage observéechez les répondants plus scolarisés.

Le salaire médian hebdomadairede l’ensemble des répondants enemploi croît au cours des dix pre-mières années (de 300 $ au temps 1à 500 $ au temps 4), le nombred’heures de travail par semainedemeurant toutefois stable (39,1heures/semaine).

La proportion d’emplois salariéstend à décroître au fil du temps, auprofit du travail autonome.

En général, les répondants enemploi se concentrent surtout danstrois grands secteurs au cours desdix premières années d’établisse-ment : les industries manufac-turières (29 %), le commerce dedétail (17 %), l’hébergement et larestauration (10 %). On observe unediminution significative des emploisdans les industries manufacturièresau fil du temps (32 % en 1990 à 26% en 1999). Cette baisse est essen-tiellement due à une diminution dunombre de travailleurs dans l’indus-trie de l’habillement.

Les répondants en emploi tra-vaillent surtout dans de petitesentreprises. Pour toute la durée del’enquête, la proportion de répon-dants en emploi travaillant au seinde petites entreprises est de 47 %. Ilest de 40 % pour ceux travaillantdans des entreprises comptant de11 à 100 employés, et de 13 % dansdes entreprises employant plus de100 travailleurs.

Le taux de syndicalisationdemeure aussi assez stable au fil dutemps, oscillant autour de 15 %.

Pendant toute la période cou-verte par l’étude, les hommes con-naissent des probabilités plusgrandes d’occuper un emploi queles femmes. De plus, le salaire heb-domadaire médian des hommes estconstamment supérieur à celui desfemmes. Il l’est également chez lesrépondants âgés de 26 ans et pluset chez ceux qui détiennent undiplôme post-secondaire et plus.

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Les répondants admis sous lacatégorie «indépendant» connais-sent aussi des probabilités plusfortes d’occuper un emploi au coursdes dix années comparativementaux répondants des catégories«famille» ou «réfugié».

Le statut socio-économiquemoyen des emplois augmentelégèrement au cours des dix ansd’observation. Les répondantsadmis sous la catégorie « indépen-dant », les gens plus âgés et lesplus scolarisés connaissent enmoyenne tout au long de la périodedes emplois de statut socio-économique plus élevé que lesautres répondants.

Les répondants occupant unemploi sont de plus en plus nom-breux à occuper des emplois quali-fiés. En effet, au fil des ans, la pro-portion de répondants affirmant queleur travail exige des qual lif ications«supérieures» passe de 22 % autemps 1 à 41 % au temps 4.

La formation : un investisse-ment important dès les premières années d’établisse-ment

L’investissement en formationest important. La très grandemajorité des activités de formationsuivies par les répondants a lieudans les premières années d’éta-blissement. Après un an, 53 % ontdéjà participé à une activité de for-mation. Après dix ans, la proportionest de 70 %.

Les jeunes (de 18 à 25 ans) ontrecours plus rapidement à une for-

mation. Après dix années d’observa-tion, on estime que près de 82 %des 18-25 ans ont suivi une forma-tion, comparativement à 75 % pourles 26-40 ans et 53 % chez les 41ans et plus.

Les répondants de niveau pri-maire tardent significativement plusà suivre une formation que lesautres répondants de niveau de sco-larité plus élevé. Après dix ansd’établissement, ce sont près de 43% qui n’auront jamais suivi de for-mation comparativement à 27 %chez ceux de niveaux secondaire,post-secondaire et universitaire.

Les répondants admis sous lacatégorie «réfugié» détiennent lepourcentage le plus élevé d’inscrip-tion à un programme de formation(qu’il soit à temps plein ou à tempspartiel) au cours des dix annéesd’observation. Les répondants de lacatégorie «famille» sont en propor-tion moins nombreux.

La proportion de répondantssuivant une formation à temps plein,après une croissance rapide lorsdes six premiers mois d’établisse-ment (22 % à la semaine 22),décroît tout au long des années sub-séquentes, si bien qu’après dix ans,seulement 4 % des répondants sui-vent une formation à temps plein.Le pourcentage de répondants sui-vant une formation à temps partielest de 16 % à la semaine 20. Par lasuite, la proportion décroît jusqu’à laquatrième année, pour finalementse stabiliser à environ 3 %.

On remarque que la place rela-tive de la formation en C.O.F.I. desrépondants est importante en tout

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début de parcours d’établissement,mais décroît rapidement par la suite(à temps plein ou à temps partiel).Plus de trois répondants sur cinqayant suivi une formation à tempsplein au cours de la première annéel’ont fait en COFI. Elle ne représenteplus que 5 % des formations àtemps plein lors de la deuxièmeannée.

Les ménages : une recompo-sition qui tend à la nucléarisa-tion familiale

La taille des ménages diminueau fil du temps. Lors de la premièreannée, 40 % des ménages sontcomposés de cinq individus et plus.À la fin de la dixième année, cetteproportion baisse à 30 %.

On note que le taux de répon-dants vivant seuls croît avec letemps. On remarque également uneforte croissance des ménages com-posés de quatre individus.

La proportion de «famillesnucléaires» (répondant, conjoint etenfant-s) connaît une forte crois-sance au fil du temps, tandis que la«famille élargie» connaît une fortediminution.

On note également une crois-sance de familles monoparentales,passant de 2 % lors de la premièreannée à 6 % lors de la dernière.

Dans la majorité des ménages,les répondants n’ont pas d’enfant(de moins de 18 ans). On observetoutefois une diminution au fil desans de ménages «sans enfant». À61 % à l’arrivée, cette proportion

diminue à 50 % à la fin de ladernière année d’observation. C’estchez les 18 à 25 ans (à l’arrivée)que l’on connaît la plus forte aug-mentation de naissances au fil dutemps.

La langue : un usage croissantdu français à la maison et en public

Le français comme langued’usage public prédomine chez lesrépondants. Près de 61 % desrépondants disent utiliser seulementle français à l’extérieur de la maison.Près de 8 % disent l’utiliser autantque l’anglais et près de 6 % l’uti-lisent autant qu’une autre langue.Moins de 20 % utilisent seulementl’anglais. Cette ventilation demeurepresque exactement la même pourceux dont la langue maternelle n’estni le français ni l’anglais. Ellechange cependant selon la scola-rité, les universitaires et les répon-dants de niveau primaire utilisantmoins le français en dehors du foyerque les répondants de niveau post-secondaire.

La langue maternelle est cellequi est la plus souvent parlée à lamaison. Elle connaît toutefois unebaisse notable au dernier tempsd’observation (un peu moins de lamoitié disent utiliser leur languematernelle), au profit du français.

Au dernier temps d’observation,un peu plus de 48 % des répondantsdont la langue maternelle n’est ni lefrançais ni l’anglais disent ne jamaisparler français à la maison.Cependant, on note une augmenta-tion de l’utilisation du français à la

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maison au fil du temps. En effet,chez ceux dont la langue maternellen’est ni le français ni l’anglais, lesproportions doublent du premiertemps d’observation au dernier.

Les répondants des niveauxsecondaire et post-secondaire (àl’arrivée) dont la langue maternellen’est ni le français ni l’anglais sontplus nombreux à parler français 75 % du temps à la maison que lesgens des niveaux primaire et univer-sitaire.

La proportion de répondants neparlant jamais l’anglais à la maisonest plus forte, représentant 81 %des répondants au dernier tempsd’observation. Qui plus est, seule-ment 4 % le parlent plus de 75 % dutemps.

L’entrée dans un premier emploien français est plus rapide qu’unpremier emploi en anglais. Onestime que 25 % des répondantsaccèdent à un emploi en françaisaprès 13 semaines; il en est de 90semaines pour un premier emploi enanglais. Si les tendances des dixannées se maintiennent, on peutestimer qu’à long terme 63 % desrépondants occuperont un emploi delangue française; les probabilitéssont estimées à 32 % pour unemploi en anglais.

La perception d’un Québecmajoritairement francophone domi-ne toujours toute autre perceptionaprès dix ans. Si, dans les faits,l’usage de la langue française croît àla maison ou en public, l’évolutionde la perception, quant à elle, ne vaparadoxalement pas dans le mêmesens. En effet, 57 % des répondants

en 1999 considèrent que le Québecest une société «majoritairementfrancophone», alors qu’en 1990, ilsétaient 71 %. En contre partie, prèsde 21 % perçoivent le Québec de1999 comme une société «multi-lingue», contre 4 % en 1990.

Demande de citoyenneté et engagement de parrainage

Après dix ans d’établissementau pays, plus de 95 % des répon-dants ont fait une demande decitoyenneté. Les répondants âgésde 18 à 25 ans (à l’arrivée) sontmoins nombreux à avoir fait unedemande de citoyenneté que lesautres répondants. On compteégalement des proportions plusélevées de personnes n’ayant pasfait de demande chez les moins sco-larisés.

La moitié ont obtenu la citoyen-neté au bout de quatre ans et unpeu plus de 75 % l’ont obtenue àquatre ans et demi. Après dix ans,près de 11 % n’avaient pas obtenula citoyenneté. L’aide financièrefournie par le parrain est moinsfréquente au fil du temps. De 73 %au temps 1, elle passe à 39 % audernier temps d’observation.

Plus de 18 % des répondants ontfait une demande de parrainaged’un ou des membres de la famille.On rencontre une plus forte propor-tion de répondants chez ceux ayantété admis sous la catégorie«réfugié», comparativement à ceuxdes catégories «famille» ou«indépendant» qui ont entrepris desdémarches pour parrainer un mem-bre de leur famille.

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Vie civique : les plus scolari-sés participent plus

Près de 85 % des répondantsont voté lors de la dernière électionprovinciale de 1998. Au référendumde 1995, ils étaient 87 % à aller auxurnes. Il faut noter que 7 % ont votélors des élections provinciales de1989.

Le niveau de scolarité joue enfaveur de la participation civique desrépondants. On note en effet uneplus grande participation des plusinstruits au processus électoral et àla vie associative (participation à desorganismes ou associations). Onremarque également que les plusscolarisés s’impliquent davantagedans des associations regroupantsurtout des Québécois et desCanadiens d’origine.

Trois répondants sur quatreayant des enfants d’âge scolaire di-sent assister à des réunions de pa-rents à l’école. Près de 10 % sont ouont été membres du conseil d’étab-lissement ou du comité d’école.

Contrat moral : un soutien sans équivoque à l’interditionde discriminer

Près de 90 % des répondantssont plutôt ou tout à fait d’accordavec le fait que les gouvernementsquébécois et canadien interdisenttoute forme de discrimination selonle sexe, l’origine ethnique, la religionet les opinions politiques. Seule l’orientation sexuelle ne reçoit pasun appui aussi unanime.

Les opinions des répondants

concernant le mariage de leursenfants témoignent d’une certaineouverture d’esprit. Seulement 7 %seraient en désaccord avec lemariage d’un de leurs enfants avecune personne ayant des opinionspolitiques différentes. Cette propor-tion augmente à 17 % en ce qui atrait à l’ethnicité et 25 % en ce qui atrait à la religion.

Enfin, la discrimination perçuechez les répondants diminue signi-ficativement avec le passage dutemps, non seulement sur le plan del’emploi, mais aussi sur le plan dulogement.

Réseaux sociaux au Québec :l’importance du voisinage comme source de soutien et lecaractère multiculturel des réseaux

Le type de réseau social que l’onrencontre le plus fréquemment(déterminé par le nombre de con-tacts) chez les répondants est celuiformé de voisins qui offrent un sou-tien élevé. En effet, 32 % des répon-dants ont des contacts plusfréquents avec des voisins sur qui ilspeuvent compter pour obtenir del’aide ou pour se confier. Chez plusde 23 % des répondants, ce sont lescontacts avec des connaissancesqui sont les plus fréquents. Enfin, unpeu moins de 20 % des répondantsont plus fréquemment des contactsavec des voisins dont le soutienoffert est faible. Il est important denoter que seulement 15 % desrépondants ont plus fréquemmentdes contacts avec leur réseau fami-lial.

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Par contre, en terme de taille, letype de réseau le plus important estle réseau familial : 9,7 personnes enmoyenne.

Plus de 70 % des répondantsobtiennent un soutien social élevé(tous réseaux confondus). Onobserve aucune différence significa-tive selon le sexe, l’âge et la scola-rité. Seule la catégorie d’immigrationy est associée : les «indépendants»bénéficient davantage d’un soutiensocial élevé que les répondants descatégories «famille» et «réfugié».

Le fait d’avoir des enfants dis-tingue significativement les types deréseaux dominants des répondants.Ainsi, ceux qui ont des enfants ontdavantage de contacts avec lesvoisins (soutien élevé ou faible). Àl’inverse, les répondants sans enfantont plus fréquemment des contactsavec des connaissances (37 %,contre 17 % chez les répondantsavec enfants). Le fait de vivre seul(11 % de l’échantillon total) distingueaussi l’importance relative des typesde réseaux. Les répondants vivantseuls ont plus souvent un réseau deconnaissances (42 %) et de voisinsà soutien social faible (24 %) queceux demeurant avec d’autres per-sonnes (respectivement 21% et 19%).

L’examen de la composition eth-nique des réseaux (selon cinq typesde réseaux : réseaux composés deQuébécois et de Canadiens d’ori-gine, de Québécois d’origine, deCanadiens d’origine, de personnesde la même origine ethnique que lerépondant et d’immigrants d’uneautre origine ethnique) montre qu’iln’y a pas de différence significative

dans la répartition des réseauxselon cette composition.

L’examen de la composition lin-guistique des réseaux (selon septtypes de réseaux : parler enfrançais, en anglais et dans uneautre langue, parler en françaisseulement, parler en anglais seule-ment, parler en français et enanglais, parler dans une autrelangue, parler en français et dansune autre langue, et parler enanglais et dans une autre langue)montre qu’il n’y a pas de différencesignificative dans la répartition desréseaux selon cette composition.

Le choix des sources d’informa-tion varie selon le sujet d’interroga-tion. On note à cet égard que lesrépondants utilisent surtout les ser-vices publics et les médias pour larecherche d’un emploi, plus qued’autres moyens. Les informationsconcernant la santé sont égalementrecherchées auprès des organismespublics. Par contre, pour trouver unlogement, on a davantage recoursaux médias, aux parents et auxamis.

Les liens hors Québec : conserver ses liens de parenté

La proportion de répondantsayant de la parenté au Québec tendà augmenter au fil du temps. Ilsétaient 54 % en 1990, ils sontaujourd’hui 60 % à avoir de la familledans la province. Près de 22 % ontde la famille dans une autreprovince canadienne.

Depuis leur arrivée au Québec,près de trois répondants sur quatre

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(72 %) ont séjourné au moins unefois dans leur pays d’origine, la plu-part du temps (84 %) pour visiterdes parents ou des amis. Il fautnoter que près de 96 % des répon-dants disent avoir de la famille dansleur pays d’origine.

Plus de 93 % des répondantsdisent conserver des liens avec leurpays d’origine, qu’ils soient familiaux(57 %), amicaux (52 %), d’affaires (6 %) ou professionnels (2 %). Et 16 % déclarent posséder une mai-son dans leur pays d’origine, 11 %un immeuble et 2 % un commerceou une entreprise.

Perception des répondants deleur établissement : une expé-rience positive

Depuis leur arrivée au Québec,la vaste majorité des immigrantsinterrogés (99,3 %) n’a jamais fait dedemande pour émigrer dans unautre pays. Ils ne veulent pas nonplus retourner dans leur pays d’ori-gine. Une grande majorité souhaitedemeurer au pays. On remarquenéanmoins une légère hausse desrépondants exprimant le désir deretourner un jour dans leur pays d’origine, passant de 19 % au temps1 à 23 % au temps 4.

À leur dernière entrevue, quatrerépondants sur cinq estiment queleur situation d’établissement per-sonnelle s’est améliorée. Cette partétait de trois répondants sur cinqlors des deuxième et troisièmeentrevues.

La grande majorité des répon-dants (83 %) encouragerait un com-

patriote à immigrer au pays.Seulement, les répondants plus sco-larisés sont moins susceptiblesd’encourager un tel geste que lesmoins scolarisés.

CONCLUSION

La quantité et la diversité desinformations présentées dans lerapport dont nous faisons état ici,rendent difficile une synthèseenglobant tous les aspects de l’étab-lissement au Québec des immi-grants. De plus, nous ne présentonspas d’analyse comparative de la si-tuation de ces immigrants par rap-port à la population en général.Malgré tout, certains éléments sedégagent de cette mosaïque.

D’abord, soulignons que leprocessus d’intégration à la sociétéquébécoise est réalisé sur bien desdimensions. Au plan de la langue,nous constatons que la connais-sance du français oral est acquisepour 80 % des répondants. De plus,les deux tiers des répondants quitravaillent le font maintenant enfrançais. Ils sont aussi bien ancrésau Québec. Ils se sont tissés diversréseaux sociaux au Québec, ils ontde la famille et une bonne part d’en-tre eux ont eu des enfants ici. La plu-part ont acquis la citoyenneté (83,3%) et ils participent activement auxélections tant provinciales quefédérales (un peu plus que 80 %).Sur le plan de l’emploi, leur insertions’est faite assez tôt et dans unebonne proportion. Après la qua-trième année, les probabilités de tra-vailler se stabilisent à environ 68 %.De plus, l’insertion sur le marché dutravail ne s’est pas faite au prix

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d’une déqualification : 74 % desrépondants disent faire un travailégalement ou plus qualifié qu’avantla migration. Par ailleurs, la stabilitéen emploi n’a été acquise que pro-gressivement.

Après le choc de la «transplanta-tion», il y a une forte tendance à lastabilisation, en emploi mais aussien logement. Près de 40 % desrépondants ont même acheté unepropriété.

Leur enracinement au Québecs’est fait tout en conservant desliens avec leur pays d’origine : 72 %des répondants sont retournés aumoins une fois dans leur pays d’ori-gine depuis leur arrivée au Québec.

Bref, ils sont maintenant large-ment à l’image de leurs concitoyensnés ici ou d’établissement plusancien. Non pas qu’ils se soient con-formés à un modèle unique, bien aucontraire. Ils se sont plutôt confor-més à la diversité de la société etce, dans tous les aspects étudiés :ils sont maintenant d’ici!

Plusieurs questions soulevéespar cette étude n’ont pas encoretrouvé réponse. La plupart de cesquestions demandent des analysesapprofondies… Beaucoup de travailreste à faire.

Notes

1 Ce texte est une présentationsuccincte de la parution récen-te : Renaud, Jean, LucieGingras, Sébastien Vachon,Christine Blaser, Jean-FrançoisGodin et Benoît Gagné, 2001. Ils

sont maintenant d’ici ! Les dixpremières années au Québecdes immigrants admis en 1989,Sainte Foy, Les publications duQuébec, Collection Études,recherches et statistiques, 197 p.

2 Ce mouvement était généraliséà l’ensemble du Canada. Pour leQuébec, les immigrants admisen 1989 sont 32 % plus nom-breux par rapport au mouvementde l’année 1988.

3 Ce sont 89 % des immigrantsadmis cette année-là qui s’instal-lent dans la région métropoli-taine de recensement deMontréal.

4 Cette enquête, soulignons-le,est une des rares au paystouchant une cohorte d’immi-grants. La méthodologie de col-lecte, maintenant connue etappliquée à plusieurs autresdomaines de recherche (démo-graphie, mortalité infantile,mobilité résidentielle, etc.) sedéveloppe de plus en plus.

5 Voir l’annexe 1 de J. Renaud, S.Desrosiers et A. Carpentier,1993.

6 L’accès à la base de données dela RAMQ et le transfert des infor-mations à la firme de sondageont nécessité des permissionsde la Commission d’accès à l’in-formation.

7 Pour une analyse détaillée surles pertes échantillonnales, voirles annexes 1 et 2 de Renaud etal., 1993.

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8 Ces catégories administratives(en vigueur en 1989) sontdéfinies comme suit : la caté-gorie «famille» concerne les pa-rents proches, comme les con-joints, les enfants à charge, lesparents (âgés de 60 ans et plus)et les grands-parents. Lescritères de sélection ne s’ap-pliquent pas à ces immigrants,exception faite du contrôle médi-cal et de l’enquête de sécurité; lacatégorie «réfugiés et personnesen situation de détresse» com-prend les réfugiés au sens de laConvention de Genève sur lestatut des réfugiés, les person-nes définies collectivement, parrèglement, comme personnesen situation de détresse et lespersonnes qui sont dans une si-tuation de détresse telle qu’ellesméritent une considérationhumanitaire; les immigrants de lacatégorie «indépendant» sontspécifiquement visés par lesobjectifs de la politique d’immi-gration québécoise puisqu’ilssont pleinement soumis à lagrille de sélection. Cette grille estbasée sur un système depointage évaluant les caractéris-tiques suivantes : l’instruction,l’âge, les connaissances linguis-tiques, les qualités personnelleset la motivation, l’emploi projeté,la compétence et l’expérienceprofessionnelle, la présence auQuébec de parents ou d’amis etl’apport de leur famille. (MCCI,1989)

9 La déperdition enregistrée au

temps 2 affecte peu la qualité del’échantillon. Les changementsobservés reflèteraient une défini-tion de la population étudiée;dans la mesure où nous nousintéressons aux immigrants de-meurant encore au Québec,nous ne sommes pas en pré-sence de biais échantillonnal.

10 Nous sommes possiblementface à un début de biais maiségalement d’effets qui indi-queraient, là aussi, une redéfini-tion dynamique de la populationétudiée, une partie de celle-ciayant quitté le Québec avant letroisième passage.

Bibliographie

Ministère des Communautés cul-turelles et de l’Immigration, 1989.Consultation sur les niveauxd’immigrants. Le cadre adminis-tratif et les aspects légaux etréglementaires de l’Immigrationau Québec. Direction des com-munications, Gouvernement duQuébec, 19 p.

Renaud, Jean, S. Desrosiers et A. Carpentier, 1993. Trois annéesd’établissement d’immigrantsadmis au Québec en 1989.Portrait d’un processus, Directiondes communications du mi-nistère des Communautés cul-turelles et de l’Immigration,Collection Études et Recherchesno. 5, Gouvernement duQuébec, 120 p.

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Au moment d’acheter une maisonpour se loger, l’acheteur dresse, leplus souvent, une liste de critères dechoix résidentiels. Qu’en est-il del’intermédiaire qu’il interpellera pourl’aider à faire le meilleur choixd’établissement résidentiel? Quelssont les facteurs qui influencent sasélection de l’intermédiaire immobi-lier1? Comment le trouve-t-il ? Querecherche-t-il dans le service immo-bilier ? Cet article rend compte d’unepartie de l’étude du lien social entreagents immobiliers et clientsacheteurs d’habitation dans le con-texte de nos travaux sur la produc-tion de la ségrégation résidentielleethnique (Paré, 1998; Paré, 2001).Notre perspective est inspirée destravaux de Weber2 qui ont montrél’importance des liens de communa-lisation dans la relation sociale,expliquant, entre autres, le niveaude confiance que procure l’apparte-nance au même groupe ethnique.Au-delà de sa dimension utilitaristeou instrumentale, le lien socialagent-client influerait sur les déci-sions d’établissement résidentiel enjeu dans le processus de productionde la différenciation spatiale.

Outre les quelques mécanismes

que nous avions identifiés dans ceprocessus, tels l’accès à la transac-tion immobilière et le pilotage eth-nique, il y avait le choix de l’agentimmobilier3 par le client lors del’achat (Paré, 1998). Influencé parles perceptions qu’ont les acteurs(clients) de la qualité du serviceimmobilier recherché, le choix d’unagent dépendrait aussi de la con-naissance préalable du marché, del’accès à l’information, de la capa-cité d’identifier ses besoins résiden-tiels personnels et des représenta-tions que se font les clients desquartiers résidentiels. Ce momentde la relation agent-client s’insèredans une problématique d’offre et dedemande de services à l’intérieurd’un même groupe ethnique, unsecteur de recherche en relationsethniques peu exploré au Québec.Certains auteurs ont abordé desaspects de cette problématique àl’intérieur de leurs travaux en con-texte public ou para-public(Weinfeld, 1998). Mais qu’en est-ildes services du secteur privécomme dans le domaine immobi-lier?

L’adéquation de l’offre à lademande des services immobiliersdépendrait, entre autres, de lacapacité organisationnelle dugroupe, de l’incorporation et dudéveloppement de ses institutions(Breton, 1964, 1991). C’est pourquoila convergence entre les besoins etla disponibilité d’un service ne peutêtre parfaite, puisque de multiplesfacteurs interviennent dans cetteéquation. Le recours aux servicesd’un agent immobilier sous-entend

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Sylvie Paré Ph.DProfesseure associéeDépartement d’études urbaines et touris-tiques/École des sciences de la gestionUniversité du Québec à Montréal

LE FACTEUR ETHNIQUE DANS LE CHOIX

DE SON AGENT IMMOBILIER : PERCEP-TIONS DE QUELQUES ACTEURS

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qu’il y a une quête d’informations etde compétences en immobilierauprès d’une personne réunissantdes qualités personnelles (valeurs)et des connaissances du secteur del’habitation qui doivent cadrer avecdes besoins spécifiés par la clientèle(Michelson, 1977). Le choix del’agent constitue donc un momentimportant d’un processus me-nant à la transaction immobilière et à l’établissement résidentiel(Cadwallader, 1993). Ainsi, l’agentimmobilier s’avère être l’intermé-diaire clé participant aux diversesphases de l’échange économiqueque constitue l’achat ou la vented’une propriété à condition, bien sûr,qu’il réussisse à créer la relation deconfiance nécessaire à l’actualisa-tion de cette transaction immobi-lière.

Cet article présente des résultatspuisés à même de deux recherchessur le rôle des agents immobiliersdans la production de la ségrégationrésidentielle ethnique. La premièreenquête a eu lieu entre 1995 et 1996auprès de 50 agents d’immeuble ducentre et de l’est de l’Île de Montréal.Il s’agit d’un échantillon stratifiéselon la taille de l’agence immobi-lière et selon la zone géographique.Quelques entrevues en profondeuront complété la cueillette des don-nées de cette première étude. Ladeuxième enquête a eu lieu en l’an2000 auprès de 80 acheteurs demaisons pendant la période de1995-1997. Une dizaine d’entrevuesen profondeur ont fourni le matérielqualitatif pour l’analyse des relationsagent-client de la seconde étude.

Cet article examine donc plusieursquestions à partir de ces enquêteset entrevues portant, entre autres,sur le comportement de la clientèlevu d’abord par les agents immo-biliers, puis par les clients eux-mêmes. Nous avons cherché ainsi àcomprendre les convergences entreles perceptions des uns et desautres.

LA RELATION SOCIALE AGENT-CLIENT VUE PARL’AGENT

Le choix de l’agent immobilier

La compilation des données del’enquête4 montre que les agentsperçoivent surtout un choix interneau groupe ethnique de la part deleurs clients (tableau 1). En effet, lesrésultats de recherche suggèrentque, dans 92% des cas, les agentsimmobiliers croient leur clientèleconstituée de membres de leurgroupe ethnique parce qu’ellechercherait à être représentée parun des leurs lors d’une transactionimmobilière. 54% des agents immo-biliers rendent compte aussi d’unchoix extra-ethnique de leur clien-tèle. Il semble donc qu’à partir desbilans dressés par les agents qui ontparticipé à l’étude de 1998, l’appar-tenance au même groupe ethniquerevêt une certaine importance.Rappelons que ces données reflè-tent une partie seulement de ladynamique de l’offre et de lademande de services, les percep-tions des agents permettent de dis-cuter seulement de leur clientèle

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effective, sous-ensemble de la clien-tèle potentielle.

En raison des petits nombres,deux catégories d’analyse ont étéretenues pour les divers traitementsstatistiques représentant, d’une part,le regroupement principal “majori-taire” qui réunit les Canadiensfrançais et les Canadiens anglais et,d’autre part, l’autre regroupement,“minoritaire”, où sont rassemblés lesautres groupes ethniques del’échantillon. À l’examen des don-nées, l’appariement agent-clientvarie considérablement selon lescatégories majoritaire et minoritaire.En effet, à l’examen des deux caté-gories d’analyse, outre des ressem-blances notées dans les choix à l’in-térieur du groupe (intra-ethnique,94% vs 88%), on remarque unegrande différence en dehors dugroupe ethnique (extra-ethnique,71% vs 46%). En somme, nous constatons que le bilan dressé parles agents de la catégorie majori-taire généralise le phénomène del’appariement ethnique, alors qu’ilest tout autre lorsqu’il s’agit de lacatégorie minoritaire. En effet, selonles perceptions des agents, les per-sonnes de cette catégorie tendraient

à choisir un agent immobilier endehors du groupe ethnique.

Quoi qu’il en soit, les donnéessuggèrent que ces choix sont aussiinfluencés par l’absence d’agentsimmobiliers de certaines originespour représenter des groupes eth-niques, ce qui est particulièrementprévisible pour les clients deplusieurs groupes minoritaires. Lapréférence pour un agent dans l’unou l’autre des groupes majoritaires,plus fortement représentés dans lasociété d’accueil5, devient aussi uneexplication d’un choix en dehors dugroupe ethnique. Les acheteurs dela catégorie minoritaire montreraientalors une ouverture aux autresgroupes dans une relation d’affaires.

Pourquoi choisir un agent immobilier de son groupe eth-nique ?

Selon les agents immobiliers, laclientèle retient des critères asso-ciés aux divers réseaux à l’œuvredans la communauté ethnique(tableau 2). En effet, ceux-cipensent que le client a entendu par-

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TABLEAU 1 Fac teur e thn ique dans le cho ix apparen t de l ’ agen t pa rle c l ien t , te l que perçu par l ’ agent , se lon la ca tégor ie d ’ana lyse

Catégories d’analyse

Percept ion du facteur ethnique dans le choix Majoritaire Minor i ta i re Ensemble

Intra-ethniqueExtra-ethnique

(n)

% % %94 88 9246 71 54(33) (17) (50)

Enquête sur le rôle des agents immobi l iers dans la ségrégation résident iel le eth-nique, Î le de Montréal (excluant le West-Island), 1995.

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ler de l’agent par des connaissancescommunes (46%) ou qu’il s’agit d’unami (32%) ou encore, d’un membrede la famille (12%). En fait, le choixd’un agent à l’intérieur du groupeethnique serait facilité par le réseaude “proches”. D’autres agentsdéclarent que leurs clients font unchoix linguistique dans 28% des casou n’ont tout simplement pas étéréférés (36%). L’examen des varia-tions dans les critères de choix d’unagent à l’intérieur du même groupe,selon les catégories d’analysemajoritaire et minoritaire, jette unéclairage sur le processus de choixvers un membre du groupe.Toujours au tableau 2, nous consta-tons la préséance de la langue com-mune ainsi qu’en témoignent lesagents de la catégorie minoritaire(65%), alors que ce critère est depeu d’importance au sein du groupemajoritaire (9%). Pour les agentsimmobiliers des groupes minori-taires, il semble donc prioritaire depouvoir communiquer dans lalangue du client. Ici, les languestierces prendraient leur importancedans le contexte de la relation d’af-

faires agents-clients.

En somme, l’ethnicité joue unrôle majeur dans les choix de l’agentpar le client. Le facteur linguistiquejoue plus que tout autre critère et defaçon significative. Ainsi, le motif dela langue commune se combineraitétroitement à l’appartenance à ununivers familier et permettrait defonder la confiance mutuelle, condi-tion de base du déroulement d’unetransaction immobilière réussie.

LE CHOIX D’UN AGENT IMMO-BILIER VU PAR L’ACHETEUR

La rencontre avec l’agent immobilier

L’appartenance ethnique est con-sidérée importante par le cinquièmedes répondants lors du choix de leuragent immobilier. Les motifs invo-qués tournent autour de la facilité decommunication, de la confiance, dela complicité en raison des valeurs,de la culture et de la langue com-mune. À l’examen des catégoriesd’analyse, les différences s’avèrent

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TABLEAU 2 : Critères du choix intra-ethnique effectué par le client d’aprèsla perception de son agent immobilier, selon la catégorie

Catégories d’analyse

Critères intra-ethniques Majoritaire Minoritaire Ensemble

Connaissances communesAmis communs

FamilleLangue commune

Sans référence(n)

% % %42 53 4627 41 3215 6 12

9 65 2836 35 36

(33) (17) (50)

Enquête sur le rôle des agents immobiliers dans la ségrégation résidentielle ethnique, Île de Montréal(excluant le West-Island), 1995.

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notables, les proportions passant dusimple au double (de 19 % à 36 %)(données non montrées). Ainsi,nous constatons une valorisation del’appartenance à un groupe eth-nique commun par les acheteurs dugroupe minoritaire. Mais, en dehorsdes perceptions, qu’en est-il objec-tivement ?

Dans notre enquête auprès desacheteurs, 45 % des répondants ontdéclaré connaître leurs agentsimmobiliers avant cette transaction.Pour plusieurs des répondants, laquestion “ comment rencontrer sonagent immobilier? ” ne se posaitdonc pas car plusieurs desacheteurs que nous avons rejointsavaient déjà leur réseau de connais-sances et l’utilisaient. Mais pour lesautres qui n’avaient pas de connais-sances parmi les professionnels del’immobilier, comment ont-ils trouvéleur agent immobilier ?

Ceux-ci ont utilisé des annoncesdans les journaux dans 11 % des

cas, 10 % ont eu recours à desaffiches sur les propriétés pourrejoindre l’agent inscripteur directe-ment et 19 % ont invoqué d’autresmoyens de contact. À l’examen desdifférences entre les répondants desgroupes majoritaires et minoritaires,nous avons trouvé que les straté-gies déployées se ressemblent dansl’identification d’un agent immobilier,à l’exception du recours à l’affichepostée sur la propriété visée. Elleest six fois plus utilisée chez lesacheteurs des groupes minoritairesque chez les autres groupes, majori-taires (5 % vs 29 %).

Par ailleurs, nous avons relevédes formules diversifiées dans l’utili-sation des ressources par les répon-dants à l’intérieur de leur groupeethnique (données non montrées),soit le recours aux connaissancescommunes de leur groupe ethniquedans trois cas sur dix, à un agentimmobilier partageant la mêmelangue dans deux cas sur dix et àdes amis communs dans un cas et

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45Tableau 3 : Moyens mis de l’avant pour trouver un agent lorsque le répon-dant ne connaissait aucun professionnel de l’immobilier, acheteurs ayantaccompli une transaction immobilière entre 1995-1997.

Catégories d’analyse

Moyens Groupes Groupes Ensemble des majoritaires minoritaires répondants

Annonces dans les journauxCirculaire de porte à porte

Affiche sur la propriétéMédias du groupe ethnique

Autre(n)

% % %

13 6 112 0 15 29 100 6 1

18 24 19

(63) (17) (80)

Enquête sur Le facteur ethnique dans la production de l’espace différencié : relations sociales et trans -actions immobilières, Montréal (moins West-Island), 2000.

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demi sur dix. Un nombre négli-geable de personnes ont indiqué lerecours à des ressources externesau groupe ethnique. On peut doncaffirmer encore une fois que l’usagedes ressources de groupe est nonseulement privilégié mais constituela norme. Le recours aux ressourcesde groupe est deux fois plus intensechez les membres des groupesminoritaires que chez ceux desgroupes majoritaires. Ainsi, les per-sonnes des minorités ethniques fontjouer beaucoup plus leurs réseauxde connaissances que les autres.Même si le facteur linguistique n’ap-paraît pas aussi marqué, on noteaussi sa plus grande importanceparmi les membres des groupesminoritaires, facteur dont l’impor-tance avait été relevée lors desenquêtes avec les agents immo-biliers.

En résumé, on peut dire que leréseau des connaissances et d’ami-tié à l’intérieur du groupe ethnique,de même que la langue prennentbeaucoup d’importance dans lasélection d’un agent immobilier. Leprocessus de communalisation, plusque celui de la sociation6, semble àl’œuvre dans l’équation du choix del’agent immobilier.

Critères de sélection de l’agent immobilier par les acheteurs

Les deux cinquièmes de l’échan-tillon ont signalé des critères depréférence dans le choix de leuragent immobilier. Parmi ceux-ci, lecritère de performance de l’agent,

en matière de connaissance duquartier dans lequel le clientsouhaite habiter, fut le plus souventinvoqué (trois cas sur dix). Donc, laplupart des acheteurs recherchent lacompétence de l’agent avant touteautre chose. En deuxième lieu, vientle critère de la langue commune :dans un cas sur cinq, les répondantsont signalé ce critère de préférence.Le troisième critère est la compé-tence et l’expérience del’agent immobilier (dans un cas surdix). L’appartenance ethnique nousest apparue comme un facteur mar-ginal, car seulement 4 % des per-sonnes ont indiqué ce critère dans lechoix d’un agent immobilier. Maiss’agit-il d’une dimension conscientedans les comportements individuelsrelevés? Nous avons vu que cettedimension n’était pas primordialelors des entrevues en profondeuravec les répondants, mais àl’analyse des données, elle nous estapparue paradoxalement dominantechez les individus du groupe cana-dien français puisque la plupartd’entre eux se retrouvaient dans unesituation d’appariement ethnique.Ce fait social contraste nettementavec les répondants de la catégoriedes groupes minoritaires où l’onretrouvait l’opposé.

Sur l’appariement ethnique

Le facteur ethnique tel qu’ana-lysé à travers les degrés d’ap-pariement ethnique ressort commeune dimension dominante dans lesrelations agent-clients. En effet,pour la plupart des groupes, il existe

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une grande congruence, soit un tauxde 70 % (56/80), pour l’ensembledes acheteurs de l’étude récente(Paré, 2001), une proportion moinsélevée que celle perçue par lesagents immobiliers lors de larecherche précédente (Paré, 1998),mais qui s’avère substantielle. Lacomparaison entre les catégoriesmajoritaire et minoritaire indique unécart relativement important : 77 %pour les individus des groupesmajoritaires vs 41 % pour les autres,membres de groupes minoritaires(données non-montrées). Cesderniers sont en situation d’ap-pariement ethnique beaucoup moinsmarqué que les autres. La disponi-bilité du service immobilier dans legroupe ethnique de l’acheteur pourla propriété qui l’intéresse en cons-titue notamment l’explication.

L’examen des groupes montreque les Canadiens français ont unepropension à faire des affaires avecles leurs dans huit cas sur dix. Il enest de même pour les personnes dugroupe canadien anglais qui, dansune moindre mesure (sept cas surdix), se trouvent aussi en situationdominante d’appariement ethnique ;c’est aussi le cas des Italiens qui, aunombre de huit dans l’échantillon, seretrouvent en situation d’ap-pariement ethnique dans les trois-quarts des cas. Par contre, pour lesautres groupes, le nombre de casest trop réduit pour pouvoir con-clure. Nous constatons toutefois queles acheteurs du groupe haïtien ontutilisé les services d’agents immo-biliers des groupes canadien fran-çais, italien et haïtien.

L’ouverture de ce groupe aux autresgroupes fortement représentés,surtout dans la partie nord-est del’Île, en serait l’une des explications.

UN REGARD QUALITATIF SURL’APPARIEMENT ETHNIQUE

La non-linéarité des itinérairesdans la quête de l’intermédiai-re immobilier

Prendre la décision de retenir lesservices d’un agent immobilier sup-pose parfois une, deux ou troisexpériences avant de s’engagerdans la relation d’affaires, unprocessus modulé par de multiplesfacteurs. En voici un exemple:

“Un agent de Saint-Bruno nousa déconseillé de venir àMontréal parce que... Elle acommencé à dire : “À Montréal,c’est très cosmopolite, c’estpas tout le monde qui aime ça!”Puis, on a demandé ce qu’ellevoulait dire... c’est le genre de“Québécoise pure laine” quiveut rien savoir des groupesethniques... On a dit mercibeaucoup, puis on est parti...Mais pour nous, au contraire,l’aspect cosmopolite est trèsimportant.” (Entrevue auprèsde la clientèle des agentsimmobiliers, Sujet 1, 25 avril2000.)

Dans ce cas, le client valorisait ladiversité ethnique, alors que l’agenttentait de mettre en valeur l’ho-mogénéité ethnique de Saint-Bruno

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(étant sous-entendues ici les mar-ques identitaires suivantes: blanche,québécoise et française). Lastratégie du remplacement de l’agent fut ainsi retenue pour desraisons d’insatisfaction quant au cli-mat de travail créé par l’agent.

Après une expérience sem-blable, certains acheteurs poursui-vent parfois leur recherche sansagent, arpentant quartiers et ruespour trouver les propriétés à vendre.Dans ces cas, la pancarte “À ven-dre” postée sur la propriété devenaitle moyen par lequel le lien s’établis-sait avec l’agent immobilier. Il y a cetexemple d’une propriété à Rivière-des-Prairies où l’agent inscripteurn’était pas du même groupe eth-nique que l’acheteur mais, commelui, d’un groupe minoritaire. Labonne relation agent-client fut telleque la relation d’affaires se transfor-ma en amitié.

“... nos relations d’affaires sontdevenues amitié. Il faut direque moi j’ai habité dans unecommunauté italienne et queje jouais au soccer donc c’étaitfacile aussi, surtout que lesagents d’immeuble sont bonsdans les relations humaines...”(Entrevue auprès de la clien-tèle des agents immobiliers,Sujet 7, 27 avril 2000.)

En fait, le client choisit sa pro-priété tout en s’assurant d’avoir lemeilleur agent d’immeuble pourmener à bien l’opération d’achat. Etce candidat devra, quant à lui, êtrecompatible avec le client enplusieurs points car le partage des

valeurs s’avère important, de mêmeque la langue7, comme outild’échange entre les parties, sansoublier la qualité du service dispen-sé au client. Le niveau de confortrequis à l’actualisation de la transac-tion s’installe dès que ces conditionssont réunies,

“ Théoriquement, j’auraisaccepté que cette personne làne soit pas de langue mater-nelle française. Ça aurait prisune connaissance parfaite dufrançais.... Disons qu’il y ades choses qui se compren-nent mieux à l’intérieur d’ungroupe ethno-linguistique.”(Entrevue auprès de la clien-tèle des agents immobiliers,Sujet 4, 27 avril 2000.)

Il en résulte des choix quidécoulent de ces diverses logiquesde relations sociales. D’un côté, latendance à l’appariement ethniquede la clientèle d’origine canadiennefrançaise s’avère forte alors quec’est l’opposé pour tous les autresgroupes représentés dans notreéchantillon construit aux fins d’en-trevues. Les relations d’affaires àl’intérieur du même groupe ethniqueconstitueraient donc la norme dansle groupe canadien français. Parcontre, nous l’avons vu, lesacheteurs des autres origines quecanadiennes-françaises se trouventdans des situations interethniques.L’un des répondants nous fournitquelques éléments explicatifs :

“La langue et la race sontdeux choses. Il y a beaucoup

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de francophones qui sont detoutes sortes de couleurs...Mais, c’est sûr qu’il faut qu’ilsparlent français. Un Africainqui est fraîchement débarquéva probablement être moinssensible aux arguments queje vais invoquer. Par contre,quelqu’un qui est ici depuislongtemps... Je connais desHaïtiens qui sont ici depuisvingt ans ou trente ans, avecqui je suis allé à l’école. Ilsconnaissent bien la mentalité,ils sont presque nés ici ... unFrançais qui débarque, à monavis, va être moins de serviceque celui qui est ici depuistrente ans.” (Entrevue auprèsde la clientèle des agentsimmobiliers, Sujet 5, 1er mai2000.)

Ici, les valeurs et l’expériencecommune de la société québécoiseauraient une prépondérance. Lalangue constituerait aussi un mar-queur de la frontière intergroupequand il s’agit de relations d’affaires.Cela dit, l’acheteur ne réfléchit pastoujours à des critères formels d’ap-partenance de sexe, de classe oude groupe ethnique dans sa déci-sion de retenir les services d’unagent. Parfois, ce n’est pas du toutun choix volontaire et rationnel, maisinvolontaire, voire même, le fait duhasard. En effet, le hasard relié à lalocalisation géographique desbureaux immobiliers semble jouerun rôle dans le choix que font lesacheteurs de maison. Plusieurs despersonnes interviewées ont indiquéavoir eu recours au bureau locale-

ment actif dans le quartier qui lesintéressait et ont, par conséquent,utilisé les services de l’un desagents disponibles sur place. Lapoursuite de la relation de servicedépendait alors du niveau de confortsuscité. Dans nos entrevues, nousavons pu relever au moins quatrecas sur dix où l’agent retenu pour latransaction finale était soit le secondou le troisième agent rencontré. Àcela s’est ajoutée une variété de jus-tifications aux divers choix portéspar les clients débordant largementle cadre de l’appartenance ethnique.À notre avis, la question ethniquedevient vite occultée par la relationsociale utilitariste, mais son imbrica-tion dans la relation d’affaires tend àstructurer l’appariement qui enrésulte.

Le jeu des réseaux

Par ailleurs, le réseau familial,d’amitié ou des connaissances con-stitue aussi une voie privilégiéedans le choix de l’agent, pour le tiersdes acheteurs interviewés. En effet,il est plus courant d’accorder sa con-fiance à une personne du réseaudes proches et des connaissancesqu’à un inconnu. Le réseau desproches, fortement imbriqué danscelui de la communauté ethnique,aura donc un impact important surl’occurrence de la relation d’affaires.

Il y a aussi la situation où la per-sonne en est à sa troisième ou à saquatrième acquisition de maison eta déjà un agent immobilier avec quielle fait affaire systématiquement.

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Dans ces cas spécifiques, le préjugésera favorable, peu importe lesautres facteurs qui pourraient inter-venir, l’expérience étant fondée surla confiance entre les partiesintéressées. D’ailleurs, dans l’unedes entrevues, nous avons constatéque malgré une différence d’appar-tenance ethnique, l’agent d’immeu-ble et l’acheteur étaient de mêmelangue maternelle, de même appar-tenance de sexe et avaient aussides réseaux en commun, le toutfacilitant la relation de confiance.Dans leur cas, le fait de résider àWestmount, Notre-Dame-de-Grâce,ou Côte-des-Neiges, donc des voisi-nages rapprochés et contigus géo-graphiquement, favorisait ici l’appar-tenance à un réseau de connais-sances de la communauté anglo-phone, à des lieux communs, mêmesi les personnes impliquées appar-tiennent à des groupes distincts.

CONCLUSION

Ayant vu un ensemble de carac-téristiques dynamiques pouvantinfluer sur le choix d’un profession-nel de l’immobilier, le facteur eth-nique nous a semblé une dimensionfortement imbriquée dans la relationsociale économique transactionnelleimmobilière. Certes, le choix d’untype de propriété, celui d’un quartieret la capacité financière d’unacheteur constituent la toile defonds sur laquelle se déroulent demultiples choix d’établissement rési-dentiel. Mais les acheteurs ne s’entiennent pas uniquement à ces

paramètres. À cet effet, à partir desenquêtes et des entrevues, nousavons pu cerner l’importance deconditions pré-requises telles queles relations d’amitié, les connais-sances et la famille dans une rela-tion agent-client, et ce, encore pluschez les individus des groupesminoritaires que chez les autres.

Si la dimension ethnique neressort qu’accessoirement à d’au-tres facteurs primordiaux dans lesdonnées des questionnaires, ellesemble plutôt centrale à partir desconstats que nous faisons del’analyse des données sur l’ap-pariement ethnique, que ce soitdans les enquêtes auprès desacheteurs ou dans les entrevues enprofondeur. En effet, la déclarationde l’importance du facteur ethniquetelle que transmise dans la réponseconsciente par le cinquième des ré-pondants à l’enquête ne constituequ’une mince part de la réalité.L’appartenance ethnique dans lechoix d’un agent immobilier auraitainsi une place importante puisqueles données compilées sur l’ap-pariement ethnique montrent que,dans la majorité des groupes, il y asept à huit fois sur dix un pairageethnique entre clients et agents.

L’étanchéité de la frontière eth-nique nous est apparue plus grandeparmi quelques groupes ethniques(Juteau-Lee, 1979). Par exemple,les acheteurs ou agents immobiliersdu groupe majoritaire desCanadiens français ont montré unecertaine fermeture vis-à-vis desgroupes avec lesquels ils auraient

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des difficultés de communication,référant ici aux dimensions linguis-tiques, bien sûr, mais aussi auxvaleurs de groupe. À l’opposé, lesrépondants du groupe haïtien ontmanifesté un ouverture aux autresgroupes par leur usage diversifiédes ressources externes à leur pro-pre groupe. Cela n’est pas sans rap-peler les différences d’ouvertureobservées chez les Américainsselon leurs origines ethniques parFarley Reynolds et Allen Walter(1987), quand il s’agit de cohabita-tion dans des quartiers mixtes degrandes villes aux États-Unis, lesWASP étant beaucoup moins récep-tifs à la mixité ethnique dans leurvoisinage que les Afro-américains8.

Par ailleurs, dans notre étude de1998, les agents immobiliersn’avaient pas exagéré l’importancedu facteur ethnique, ceux-ci ayantdéclaré que le choix d’un agentimmobilier se produisait neuf fois surdix à l’intérieur du groupe ethnique.D’après leur expérience, et ils sontde bons baromètres pour établir cediagnostic, les clients préfèrent tran-siger avec les leurs : “Le groupe demême ethnie donne plus de service”affirmait un agent lors d’une entre-vue.

D’un autre point de vue, lesagents manifestent leurs pré-férences selon une échelle à partirde laquelle ils évaluent leurs clients:“Il existe des préjugés défavorablesenvers certains groupes ethniquesdus en grande partie à une certainedifférence de mœurs. Pour ma part,c’est plus facile de m’entendre et

négocier avec des Latins que desAsiatiques ou des Arabes”, mention-nait l’un des agents immobiliers. Engénéral, il y aurait donc un préjugénécessairement favorable aux mem-bres de son propre groupe tout enmaintenant, parfois pour d’autres,une fermeture. Les agents se com-porteraient ainsi selon des percep-tions que leur renvoie le marchéimmobilier de ce que sont les “bonsou mauvais clients”, représentationsqui sont construites à travers expé-riences, perceptions, médiatisationet traditions d’accueil à la différence.

Notes

1 Environ 80 % des personnesutilisent les services d’un agentimmobilier lors de l’achat d’unemaison.

2 Weber, 1995 (1922).

3 Les indicateurs du choix ethniquede la part du client, selon la per-ception de l’agent, nous permet-tent de comprendre l’importancepour les agents immobiliers defaire des affaires à l’intérieur duréseau ethnique.

4 Les tableaux présentés sont con-struits à partir d’une collection detableaux croisés à deux varia-bles. Sa conception, dérivée dufait qu’on tient compte de laréponse multiple, vise à simplifierla présentation. Le lecteur verraqu’il est impossible d’additionnerles pourcentages pour un total de

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100%. Donc, il faut lire les résul-tats en pourcentage de l’effectif(n) apparaissant en bas de la colonne.

5 S’il est vrai que la société dited’accueil renferme des groupesautres que les groupes majori-taires, ces derniers contrôlent engrande partie le fonctionnementsociétal dont celui des institutionsd’insertion et d’intégration desimmigrants.

6 Weber a exploré ces deux dimen-sions de la relation sociale, l’unerelevant plus des liens prochesexistants entre membres d’unemême communauté et l’autreétant plus caractéristique desrelations utilitaristes.

7 Max Weber a expliqué l’impor-tance de la langue dans la cons-truction de la relation sociale decommunalisation (Weber, 1922).Au cours de la relation socialeutilitariste entre agents et clients,c’est la relation de confiance quis’imbrique progressivement à larelation formelle d’affaire. Cetterelation de confiance s’établit plusfacilement dans une commu-nauté de langue.

8 Récemment, lors des Étatsgénéraux sur la langue, onsoulignait l’intérêt de créer unindicateur de réceptivité sociale àl’égard des populations immi-grées (Piché, 2001), une sugges-tion que nous saluons. Sonobjectif serait essentiellement lamesure de la capacité d’accueildes Québécois, une donnée

complémentaire pour mieuxappréhender l’intégration desimmigrants.

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Depuis trente ans, opinions etétudes scientifiques sur les poli-tiques sociales dites d’action posi-tive1 s’appuient sur la notion d’éga-lité pour favoriser la mise en place etla pratique de ces politiques, maisaussi pour les dénoncer. Le recoursà la notion d’égalité dans l’argumen-tation sociale et scientifique sur l’ac-tion positive paraît obligé, cepen-dant peu d’études se sont inter-rogées sur ces usages apparem-ment différenciés de l’égalité oùcelle-ci sert à la fois une argumenta-tion <pro> et une argumentation<contre> ces politiques. Doit-onalors parler de l’ambiguïté du con-cept d’égalité ? À l’instar de MichelPêcheux (1979), nous sommesd’avis que tout terme social d’usageimportant et qualifié d’ambigu révèleen fait la présence de rapports deforce. Une étude de la structurationsociologique de la notion égalité àpartir des catégories d’analyse<majoritaire> et <minoritaire> nousa permis d’examiner sous un nou-veau jour les débats de légitima-tion/délégitimation de l’action posi-tive (Pietrantonio, 1999). Cetteétude relève divers usagesexplicites et implicites de l’égalité eton peut lire à travers ces usages lesrapports sociaux concrets entre

groupes majoritaires et minoritaires,dans leur dimension discursive. Cetexte rend compte de cette analysesociologique de l’égalité développéedans le cadre de l’examen du dis-cours social scientifique sur l’actionpositive. L’étude démontre que l’am-biguïté du concept d’égalité au seindu discours social sur l’action posi-tive renvoie en fait à des rapportssociaux de pouvoir.

L’action positive ou de l’éga-lité juridique à l’égalité fac-tuelle

Même s’il existe des différencesnotables quant aux types demesures qui caractérisent la pra-tique de l’action positive selon lessociétés occidentales, ces politiqueset leur conceptualisation sont enquelque sorte l’admission que l’éga-lité est un fait de structure. Mais lespolitiques d’action positive sontaussi liées à l’admission sociale quel’inégalité est aussi un fait de struc-ture.

Ces mesures antidiscrimina-toires partent du même substratlégal, et on y identifie, de la Suèdeau Québec en passant par les États-Unis, les mêmes constats et finali-tés : soit la persistance de pratiquesdiscriminatoires (mises en évidencenotamment sur le marché de l’em-ploi) à l’égard des femmes et autresgroupes sociaux minoritaires et lamise en œuvre de moyens oud’outils pour contrer ces pratiquesqui passent par une spécification

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Linda PIETRANTONIO, Ph.DDépartement de sociologie Université de Montréal

ACTION POSITIVE ET ÉGALITÉ :

UNE ANALYSE SOCIOLOGIQUE

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juridique de l’égalité.

Suivant la reconnaissance socialedu phénomène de discriminationsystémique2 et son ancragejuridique au sein des « droits à l’égalité », la plupart des législa-tions sur l’action positive se carac-térisent par trois dimensions(Delphy 1995) :

1. Au-delà de l’obligation législativeque suggère le droit à l’égalité asso-cié à la reconnaissance des droitsde la personne ou des droitshumains, les sociétés concernéespar les mesures d’action positivedoivent trouver les moyens de « mettre en œuvre » l’égalité. Il n’ya toutefois pas d’obligation de con-formité des mesures d’une société àl’autre, d’où la variété des mesures3.

2. À l’obligation de fonder desmoyens de « mise en œuvre de l’égalité » s’ajoute l’obligation des « résultats » ; mieux connue sousle nom de « égalité des résultats ».Au Canada, ces mesures sontperçues comme un préalable àl’exercice du droit à « l’égalité des

chances » pour les groupes de pop-ulations dites discriminées4.

3. La législation entourant cesmesures prévoit qu’une telle appli-cation du principe de l’égalité estréputée non discriminatoire. On peuttrouver le qualificatif « mesurespréférentielles » à l’énoncé de cedispositif législatif.

Le réaménagement juridique dela notion égalité, qu’a suscité la con-ception de ces politiques5, constitue

l’un des principaux fondements de lacontroverse sociale qu’elles con-naissent. Cette spécification du droità l’égalité est un lieu de cristallisa-tion des débats sur l’action positive.Elle suggère, entre autres, l’idéed’une « mise en œuvre » de l’éga-lité, voire de sa pratique, etéventuellement de « l’atteinte » del’égalité. Ce sens d’une égalité « pratiquée » et que l’on peutéventuellement mesurer, occupedésormais une place importantedans la définition des enjeux égali-taires. Mais quelle place les rapportssociaux inégalitaires occupent-ils,dans la définition de ces enjeux?

D’égalité et de <places socia-les> : une société en ordre

De manière générale on estimeque les politiques d’action positiveconstituent un nouveau mode d’attri-bution des places sociales, parmilesquelles les emplois, et la notionégalité traverse l’ensemble desthèmes les plus usités dans l’appré-ciation sociale de ces politiques, soitle mérite, la compétence, la justice,la discrimination ou la discriminationà rebours, etc. On observe aussi,dans les appréciations savantes deces politiques, que tant sesdéfenseurs que ses opposants mon-trent des usages de la notion égalitéproches du sens commun, et queles positions même sur l’action po-sitive, sont souvent le prolongementargumenté scientifiquement de lapensée sociale de sens commun surces politiques. C’est en effet ce quenous avons pu observer sur une

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période de près de cinq ans pendantlesquelles nous avons eu l’occasiond’entendre des discussions (nonsollicitées de notre part) sur l’actionpositive dans le cadre de formationsprofessionnelles préparées pourdivers publics dans des lieux où onallait implanter un « programmed’accès à l’égalité » et dans lecadre de conversations libres enten-dues en divers lieux. Par exemple,la menace de la perversion de l’or-dre social, que l’on définit commeégalitaire et que l’on dit assuré par leprincipe méritocratique (suivant laconception de l’égalité des chancesla plus répandue), pourra fonder uneperspective de délégitimation del’action positive. Mais c’est aussi aunom de l’égalité, une égalité à ca-ractère téléologique, que l’on veutconcrète et pratiquée, que l’on justi-fie la mise en place de ces poli-tiques. En clair, la notion égalité aucentre des débats (scientifiques,mais aussi non scientifiques) surl’action positive sert autant de justifi-catif d’un ordre social à maintenirque de justificatif d’un ordre social àchanger.

Les débats entourant la mise enplace de mesures d’action positivetraduisent une conscience aiguëdes interlocuteurs sur les enjeuxassociés à ces mesures, dont undes plus importants se rapporte à« l’ordre social » et à sa constitu-tion, voire sa justification. Que cespolitiques soient jugées subversivespar certains qui y voient l’occasionde changer les modes d’attributiondes places sociales ou qu’on y voitau contraire l’occasion d’une nou-

velle mystification dans le fait dechanger des pratiques sociales ausein d’une structure qui, elle, resteinchangée, on peut observer quec’est sur la notion d’ordre social quese fonde l’unité de ces débats ou sion veut que se rejoignent les posi-tions <pour> et <contre> l’actionpositive. Être <pour> ou être <con-tre> ces politiques sociales d’actionpositive, c’est leur conférer un pou-voir d’impact non négligeable, quiindique la centralité de la questionde l’ordre social au sein de cesdébats. Toutefois, plutôt que la constitution d’un certain ordre social,la question de la constitution mêmedes majoritaires et des minoritairesau sein de cet ordre - réputé égalitaire ou inégalitaire -nous apparaît tout aussi centrale.

Un point aveugle dans l’ap-préciation sociale/scientifiquedes politiques d’action posi-tive

Cette question a été relative-ment peu exploitée au sein de larecherche sur ces politiquessociales. À ce jour, peu d’études ontprocédé à l’appréciation scientifiquede ces politiques sociales en notantque les groupes minoritaires (ceuxauxquels sont destinés ces poli-tiques : les femmes, les Noirs, ceuxqu’au Canada on appelle les « minorités visibles », et qu’auQuébec on désigne plus volontierspar l’expression les membres des « communautés culturelles »6, etc.)se constituent à l’intérieur de rela-tions sociales. La catégorie minori-

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taire elle-même ne fait pas tant l’ob-jet d’interrogations au sein del’analyse de ces politiques. La caté-gorie majoritaire non plus ; lesanalyses se centrant plutôt sur la « gestion sociale » du fait minori-taire constaté.

Si avec l’avènement juridique del’action positive on reconnaît que lephénomène de discriminationtouche des minoritaires ou mieux,des groupes d’individus désignéssocialement par le sexe, la race,l’ethnicité cette catégorisation/dési-gnation ne fait pas elle l’objet d’exa-men7. La désignation des groupessociaux (minoritaires) en tant queprocessus qui s’inscrit à l’intérieurde relations sociales d’un type spé-cifique est peu examinée dans l’ap-préciation sociale des politiquesdites d’action positive, sauf excep-tion (par exemple, McAll 1990;Sociologie et sociétés 1992). Elle nefait pas non plus l’objet d’examendans les entreprises où on a implan-té ces politiques8. Pourtant, lesplaces sociales occupées par lesmajoritaires et les minoritaires sontbien au nombre des considérationssur la constitution de l’ordre social – voire sa justification -, qu’il soitpensé comme égalitaire ou commeinégalitaire. Si l’égalité au sein desdiscours sociaux sur l’action positiverenvoie à l’idée d’ordre social, com-ment les majoritaires et les minori-taires sont-ils pensés au sein de cetordre ? Quels sont alors, les rap-ports de ces derniers à l’égalité ?Comment ces rapports s’établis-sent-ils ? Ces questions permettentd’aborder la notion égalité dans une

perspective relationnelle, au-delà deconsidérations axiologiques, soitdans une perspective proprementsociologique.

Les politiques d’action positive,leur conceptualisation et les débatsscientifiques auxquels elles donnentlieu sont l’occasion de compréhen-sion des différentes lectures qui sontfaites de l’ordre constitutif des « égaux » et des « inégaux ». Laconception même de l’action posi-tive fondée à la fois sur la recon-naissance de l’inégalité d’accès, parexemple au marché du travail – surla base des appartenances eth-niques, sexuelles et raciales – et surle principe d’une égalité actualisée,de même que les débats auxquelsdonne lieu la pratique de ces poli-tiques, offrent ainsi l’occasion d’uneanalyse de ce que l’égalité traduitdes rapports sociaux inégalitaires etainsi des groupes majoritaires etminoritaires, que nous considéronscomme se constituant au sein deces rapports. Les fondements so-ciaux/politiques et la conceptionsociale de ces politiques, tout autantque ce qu’on en dit socialement, ycompris scientifiquement, renvoientà ces relations de pouvoir et à lacompréhension qu’on en a.

C’est en quelque sorte de cepoint aveugle dans l’appréciationdes politiques sociales d’action pos-itive, mais aussi considérant l’ab-sence de théorisation de la notiond’égalité en sociologie, que nousnous sommes penchées sur lastructuration sociologique de lanotion égalité, telle qu’on peut la

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trouver au sein des débats sur l’ac-tion positive.

C’est ainsi en regard des rap-ports des majoritaires et des minori-taires à l’égalité que nous parlons destructuration sociologique de lanotion égalité. L’expression renvoieen quelque sorte à un postulat quipréside à notre analyse, à savoirque nous considérons que sansl’existence de rapports de pouvoir– qui constituent les majoritaires et

les minoritaires – on ne saurait par-ler d’égalité. Entendons par là que lacatégorie égalité (lorsqu’elle se rap-porte à des individus ou à des situa-tions qu’ils vivent) ne serait pas utilesocialement, et donc qu’on y auraitpas recours, s’il n’y avait pas cetteconscience sociale de l’existence deces rapports sociaux de pouvoirs -que ceux-ci soient reconnus ou niés,perçus ou non dans toute leur com-plexité, ne change rien à l’affaire.L’usage que nous faisons de l’ex-pression la structuration socio-logique de la notion égalité est aussidestiné à nommer et (à commencer)à cerner ce champ de rechercheencore inexploré, où la catégorieégalité est considérée dans une perspective proprement socio-logique. On pose aussi commeprémisse, on l’aura compris, que l’égalité se constitue socialement,comme idée mais aussi comme rap-port (social) et comme représenta-tion (de structure).

Du point de vue méthodo-logique

D’un point de vue métho-dologique, nous avons pratiquécette analyse sociologique de l’éga-lité en exploitant à des fins d’analysediscursive les catégories <majori-taire> et <minoritaire> qui sontusitées en sociologie des relationsethniques et des rapports sociauxde race et de sexe et qui renvoient àl’idée de pouvoir : soit un pouvoirsocialement différencié, qui fondenotamment la revendication égali-taire9. L’analyse s’est centrée sur unensemble d’appréciations scien-tifiques de l’action positive de disci-plines diverses (sociologie/anthro-pologie, sciences économiques,philosophie politique et sciencesjuridiques), soit l’ensemble des dis-ciplines qui ont abordé la questionde l’action positive. Ce corpusreprésentait des positions <pour> et<contre> l’action positive et nouspouvions y trouver chacun desgroupes minoritaires concernés parl’action positive. Le corpus retenu nese voulait pas exhaustif ni compara-tif mais illustratif des principalespositions sur l’action positive et nonsur l’égalité. Cependant, dans uncorpus « pré-test », on a aussi con-sidéré des jugements, ainsi que desdocuments institutionnels relatifs àl’égalité. On parle ici de textes cana-diens, américains et français (pourplus de détails sur la constitution ducorpus, voir Pietrantonio 1999, pp.85-98). À cet égard, il nous fautmentionner que nous avons remar-qué une certaine parité dans lestextes de ces divers contextesnationaux concernant la manièred’aborder l’égalité et d’en définir lesenjeux s’y rattachant. Ce qui tendrait

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à montrer la force extraordinaire dece substrat idéologique que porte lanotion d’égalité ou encore l’étenduedu consensus culturel en jeu avec lapratique de l’action positive. Autreprécision : les textes scientifiquesde notre corpus ont été retenus entant que représentatif du discourssocial sur les politiques d’action positive et non au titre de discoursindividuel. Par conséquent, tel qu’onle verra dans la section suivante, lesréférences de ces textes, commeles extraits que nous produisonspour fin d’analyse, ne sont pas per-sonnalisés. Seul un renvoi à la disci-pline et à la structure <pour> ou<contre> l’action positive estindiqué. Il est à noter que notreanalyse discursive a considéré cha-cun des textes dans leur entièreté etque ces derniers ont ensuite étécomparés entre eux à partir d’unegrille d’examen dont nous ne pou-vons rendre compte ici faute d’espace. Pour l’essentiel, à traverscet examen de la production discur-sive scientifique sur l’action positive,qui est caractérisée par la formed’opposition <pour>/<contre>, nousavons cherché à reconstituer lescompréhensions de la constitutionde l’ordre social égalitaire ou inéga-litaire en vertu desquelles les per-ceptions/appréciations savantesface à l’action positive sont for-mulées. Et cela en prenant un angleprécis : soit les différentes concep-tualisations scientifiques de groupessociaux majoritaires et minoritairespar le prisme de la notion égalité. Ona procédé de la sorte afin de com-mencer à cerner comment l’égalitéest définie entre ces groupes ou

comment l’égalité se définit à partirde l’appartenance à ces groupes.Nous indiquons ci-dessous quel-ques-uns des principaux résultatsde cette étude de la structurationsociologique de la notion égalité,pratiquée à partir des catégoriesd’analyse sociologique <majoritaire> et <minoritaire>.

La structuration sociologique de la notion égalité au sein des discours scientifiques surl’action positive : des résul-tats d’analyse

Concernant l’action positive, lefait suivant est à signaler : notreanalyse montre que les effets despolitiques sociales d’action positivesont généralement évalués non pastant à partir de leurs incidences surles groupes sociaux minoritairesauxquels elles sont pourtant des-tinées, mais bien à partir de leurseffets bénéfiques ou néfastes pourle groupe majoritaire, le groupesocial de référence10. Les effetspositifs comme les effets négatifs deces politiques concernent d’abord lastructure sociale. L’extrait que nousprésentons ci-dessous est issu d’untexte de philosophie politique àstructure <pour> l’action positive. Ils’agit des derniers énoncés d’untexte d’une vingtaine de pages des-tiné à faire valoir l’utilité de la miseen œuvre des politiques d’actionpositive. Signalons que les premiersénoncés du texte annonçaient ledéveloppement « d’une théorieadéquate de l’égalité » parce que « [l]es difficultés théoriques posées

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par la notion d’action positive tien-nent en fin de compte à l’ambiguïtédu concept de l’égalité » (nositaliques). Sans développer plusavant cette idée d’ambiguïté del’égalité, l’argumentaire du texte sedéploiera en fait par l’exemplificationd’un « exercice de réciprocité desperspectives » pratiqué au titre de« principe de la justice en tant queréversibilité » dont la finalité con-siste à … « assurer le maintien dela probité du système » :

« […] Un Blanc intéressé àpréserver la structure fonda-mentale de la société, et àréaliser l’intégration de tousles membres de la société enun système uni de productionet de distribution, serait parconséquent d’accord pourimplanter des programmesprovisoires d’action positivemême s’ils ont pour effet dediminuer ses propres chancesd’obtenir certaines denréesrares. En somme, vue à partirde la réciprocité totale detoutes les perspectives perti-nentes, l’action positive neprive finalement aucun indi-vidu de son droit d’être traitéen égal ». […] En outre, l’ac-tion positive […] remanie lesplaces de certains individus,mais par là même elle main-tient intacte les structures dupouvoir et les hiérarchies pro-fessionnelles existantes »(nos italiques).

C’est à la légitimation de l’ordresocial qu’est orienté le déploiement

argumentatif de ce texte, tout autantqu’à la légitimation de l’action posi-tive - pour le groupe social deréférence (« un Blanc ») auquel esten fait destiné ce texte. La légitimitéde l’action positive pour les minori-taires n’est ici pas questionnée. Ellene constitue pas l’objet de ce texte,non plus que le phénomène de dis-crimination. On constate aussi qu’il ya des <places> (sociales) et que ces« places de certains individus»sont en fait celles du groupe socialde référence (celui « intéressé àpréserver la structure fondamentalede la société, et à réaliser l’intégra-tion de tous… »), soit : le sujetsocial ou l’agent; celui qui agit (« <préserve> la structure »>; <est… « d’accord pour »>; <laisse sa« place »>; <réalise « l’intégrationde tous »>). Mais attirons l’attentionsur cet autre extrait : « …l’actionpositive ne prive finalement aucunindividu de son droit d’être traité enégal ». Dans ce texte social, nousn’avons rencontré aucune occur-rence où l’action positive aura étéexaminée sous cet angle précis, soit<priver un individu de son droitd’être traité en égal>, pour lesgroupes sociaux minoritaires. Les « individus » de l’expression « neprive finalement aucun individu… »ne sont en fait que des individus dugroupe social de référence, legroupe majoritaire. Nulle part eneffet, dans ce texte social à structure<pour> ni d’ailleurs dans aucuntexte social sur l’action positive, luou entendu, scientifique ou de senscommun, n’avons-nous rencontré cetype d’énoncé pour la catégoriesociologique <minoritaire>. Dans

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l’ensemble de notre corpus, lesseules occurrences où l’action posi-tive est dite <priver un individu deson droit d’être traité en égal > sontles occurrences qui concernent legroupe sociologique <majoritaire>.La conclusion de ce texte paraîtconcerner <tous les individus> alorsqu’en fait elle ne concerne que lesindividus du groupe social deréférence - le seul sujet socialpossible dans les occurrences oùl’action positive est associée àune privation, quelle qu’elle soit -et cela à partir d’un exercice dit de « réciprocité » (« la justice en tantque réversibilité ») qui suppose unesymétrie sociale, ici en regard del’égalité, des groupes sociaux enexamen.

De même, la dynamique dufonctionnement de cette structuresociale est décrite en regard d’ac-tions posées par le groupe majori-taire; actions qui rendent compteainsi d’une pratique de l’égalité donton défend l’existence. En ce cas, onse réfère à l’idée de libre circulationdu marché et des biens et à l’idée decompétition.

« […] la consécration légaleou institutionnelle du pouvoird’échanger entre deux agentsaux conditions qui élèvent for-cément le bien-être de l’un etde l’autre des deuxéchangeurs » (nos italiques).

L’extrait est relevé d’un texte de sciences économiques, dont ledéploiement discursif est destiné àprévenir contre la menace à la« liberté » que constitue la pratique

de l’action positive. Dans l’en-chaînement discursif, l’égalité deschances, qui est « tradition occi-dentale », sert un ordre marqué parl’efficacité et motivé par la « liberté». Le pouvoir des « échangeurs »assure la dynamique d’un marchéaux effets bénéfiques… sur cesderniers. Dans ce texte à structure<contre> l’action positive, lesfemmes ne sont en aucune occur-rence considérées comme des « échangeurs ».

« En l’absence de discrimina-tion, tant que les femmesauront des enfants et qu’ellesauront une perception sem-blable de leur carrière, lemarché l’enregistrera et créerades écarts de traitements. […]Si les femmes évoluent, lerésultat s’enregistrera quelquepart dans le marché » (nositaliques).

« L’entreprise qui ferait labêtise de discriminer auraitdes coûts de production plusélevés, ses profits seraientplus bas ». [Discriminer] « pénaliserait l’entreprise :Voilà la position-clé. C’estl’employeur qui souffrirait dediscrimination » (nositaliques).

Tel que l’indiquent ces deuxextraits, le cœur de ce texte de sciences économiques est motivépar la (re)définition de la « discrimi-nation ». Le texte analyse ainsi lephénomène de discrimination sys-témique que vivraient « les fem-mes » en faisant valoir l’idée que ce

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phénomène serait le résultat nonpas du « marché » ou d’une « entreprise » mais plutôt d’unenature spécifique des femmes,exprimée par l’entremise de lamaternité (le fait <d’avoir> desenfants) et ses effets psycho-logiques sur la « perception… ».Les femmes sont ici, par trait denature, hors du champ de « l’égalitédes chances » par leur propre « perception », et devraient<évoluer> afin de rejoindre cechamp des « échangeurs » - donton constate qu’eux et eux seulsentretiennent un rapport de con-tiguïté avec ce champ, par leurseule médiation personnelle : l’ac-tion (<l’échange>) plutôt que la « perception ».

L’égalité dans les discours sociaux scientifiques sur l’actionpositive, dont l’actualisation estlargement débattue, n’est cepen-dant pas remise en cause. En fait,elle se réfère principalement à unesituation sociale générique, soit l’ab-sence de discrimination ou d’entra-ves. Dans l’ensemble des textes,l’égalité veut dire <ne pas être deceux qui sont discriminés>, soit êtredans ce lieu social de l’égalité, leplus souvent défini, en implicite, parle marché du travail. Elle veut direaussi ne pas être « défavorisé » etsert à « se faire valoir », sens quiindique l’idée d’une reconnaissancesociale que favoriserait « l’accès(sans entrave) à l’égalité ». En cesens, notre analyse montre uneégalité qui se définit essentiellementpar les conditions sociales qu’onpeut dire être le fait de majoritaires,

par ailleurs idéalisées par tous,majoritaires et minoritaires.

« [les minoritaires]… vantentpeu les mérites de l’action po-sitive, sauf pour soulignerqu’elle donnera peut-être unepulsion aux immigrants pour sefaire valoir, une fois qu’ilsseront mis sur un même piedd’égalité » (nos italiques)(texte de sociologie/anthro-pologie à structure <contre>l’action positive).

Notons, au passage, la réfé-rence implicite (soit, non spécifiée)du « même » dans l’expression « le même pied d’égalité ». Ainsique nous l’avons signalé plus haut,les deux thématisations de l’éga-lité les plus importantes que nousavons relevées dans l’ensemble denotre corpus sont l’égalité re-vendiquée (l’égalité à atteindre) etl’égalité défense d’un état (l’égalité àpréserver). Mais l’égalité apparaîtaussi comme un <état social> pourla catégorie de référence (majori-taire) d’abord et avant toute analyse,ce qui revient à dire que la situationsociale de référence, celle desmajoritaires, que traduit la notionégalité (par exemple dans son sens le plus prégnant : le fait de « n’être pas discriminé » ou « défavorisé »), ne fait pas l’objetd’analyse. Dans aucun des textesanalysés, l’égalité n’est <état social>pour la catégorie minoritaire d’abordet avant toute analyse. Ce fait quenotre pratique d’analyse a pu mettreau jour révèle un défaut de symétriede conceptualisation du rapport des

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uns et des autres majoritaires etminoritaires à l’éga-lité11. Il y a bel etbien une dualité de l’égalité, que l’onpeut identifier au sein de textes surl’action positive – et que l’on peutrelever par exemple par l’expressionironique « certains sont plus égauxque d’autres »12 -, mais cette dualitén’est pas symétrique, et ne paraîtpas non plus relationnelle.Autrement dit, on ne considère nullepart, dans aucune occurrence donc,que l’égalité s’établit à partir de rap-ports so-ciaux – que ceux-ci soientde groupe (s) à groupe (s) ou d’indi-vidu (s) à individu (s) -, mais danstous les textes examinés on retrou-ve une égalité qui s’établit dans lerapport des individus à la structuresociale.

Notre pratique d’analyse nous apourtant placé devant le constatsuivant : l’égalité à laquelle « accèdent » les minoritaires n’estpas une égalité entre minoritairesmais une égalité dont le référent estle groupe social majoritaire, tantdans sa dimension concrète quesymbolique. L’égalité, on peut lecomprendre alors, n’a de sens quedans une perspective relationnelle,même si ce fait n’apparaît dansaucun des textes étudiés; que cetterelation se fasse aussi intra-groupen’apparaît pas non plus de manièreexplicite. On peut cependant la lirede manière implicite dans l’expres-sion les <libres échangeurs> - quiferaient <fonctionner un ordre socialde gens libres… d’entrer en com-pétition>. Dans les textes scien-tifiques sur l’action positive, c’estainsi la dynamisation de l’égalité qui

pose problème, et non pas l’égalitéelle-même. Mais on doit ajouter : ladynamisation de l’égalité pour lesminoritaires.

Ainsi, l’égalité existe. Et elle està atteindre ou à protéger. On peuten trouver une sorte de preuve dansl’idée suivante observée au sein denotre corpus : on ne songe pas àdébattre longuement de l’action po-sitive pratiquée par des minoritaires,qui pratiqueraient pour ainsi dire une« embauche préférentielle » ens’embauchant entre eux et en ex-cluant les majoritaires13. L’extrait quenous présentons ci-dessous est tiréd’un texte en sociologie/anthropolo-gie à structure <contre> l’action po-sitive :

« … il y avait quasi unanimitéchez nos interlocuteurs à nepas mettre le phénomène desous-économie ethnique(italiques du texte) – des entre-prises créées par des minori-taires et qui emploient depréférence des travailleurs demême origine – sur le mêmepied que l’exclusion de minori-taires par des majoritaires.Presque tous approuvent cesinitiatives, dans la mesure où iln’y a pas d’exploitation desimmigrants, même s’ils regret-tent l’existence de ghettosd’emplois. Plutôt que de con-sidérer ces pratiques contra-dictoires avec l’esprit de l’ac-tion positive, il s’agit demoyens d’accès non pas à l’égalité, mais à l’emploi pourceux qui n’en auraient pas

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autrement… » (nos italiques).

Si on déplore ce genre de prati-que d’embauche « préférentielle »,chez les minoritaires par des minori-taires, en disant qu’elle crée des « ghettos d’emploi », on ne songepas apparemment à débattre dece type d’action positive avec lethème de l’égalité (« [p]lutôt quede considérer ces pratiques contra-dictoires avec l’esprit de l’actionpositive, il s’agit de moyens d’accèsnon pas à l’égalité, mais…. »). Onsait alors que l’égalité ne se trouvepas au sein de ce type d’emplois –chez les minoritaires. « L’embauchepréférentielle » chez les minori-taires ne porte pas atteinte à l’éga-lité, comme on conçoit que ce soit lecas chez les majoritaires. Le thèmede l’égalité pour débattre des poli-tiques d’action positive (chez lesmajoritaires) apparaît ici claire-ment – dans une échappée de sens.Notons au passage qu’on ne songepas non plus au thème du « méri-te » pour qualifier les motifs d’attri-bution de ces emplois. Ce fait mon-tre l’importance de l’idéologie méri-tocratique dans la conception del’égalité, ou sa représentation, et lacentralité de la notion <égalité>comme descriptive du lieu social<majoritaire>, lequel est circonscritprincipalement par « le marché del’emploi » - mais un marché del’emploi qui n’est pas qualifié de « ghetto d’emploi ». On constateainsi que l’expression « ghettod’emploi » ne renvoie pas tant autype d’emploi exercé mais bien auxgroupes d’individus qui le pra-tiquent14.

Enfin, suivant notre pratiqued’analyse, on peut dire que danstoutes les occurrences et thématisa-tions diversifiées de l’égalité,observées au sein de textes scien-tifiques sur l’action positive, il est unréférent qui oriente sa définitionsociale, mais qui ne quitte jamais lelieu de l’implicite. En vertu de ceréférent on parlera alors de « dévia-tion » de l’égalité ou de « déroga-tion » au principe de l’égalité qu’ins-taurerait la pratique de l’action posi-tive, et cela que l’on soit <pour> ou<contre> les pratiques d’action posi-tive.

« L’objection majeure soule-vée contre les programmesd’action positive vient du faitqu’ils procurent un traitementpréférentiel aux minorités, audétriment du groupe majori-taire, et cela constitue de ladiscrimination à rebours. N’est-il pas paradoxal, en effet, quedans le but d’en arriver à uneplus grande égalité, à longterme, l’on doive prendre desmesures qui, à court terme,vont directement à l’encontredu principe même de l’égalité» (nos italiques).

Dans cet extrait issu d’un textede sciences juridiques à structure<pour> l’action positive, observonsseulement que, par un procédé dis-cursif de contiguïté, faire « au détri-ment du groupe majoritaire » (icipar un « traitement préférentiel auxminorités »), c’est <aller « à l’en-contre du principe même de l’éga-

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lité »>. Dans un autre extrait dumême texte, on peut voir le référentimplicite de l’égalité spécifié :

« Si la majeure partie du pro-blème de l’égalité pouvait serésoudre en démontrant queles femmes ont les mêmescapacités que les hommes…» (nos italiques).

On peut lire ici le référent qui oriente le sens social de l’égalitémais aussi le référent des « capa-cités » sociales – qui mènent à l’égalité. Ce référent qui oriente laconduite du discours social surl’égalité et l’asymétrie de sa concep-tualisation selon les catégoriesmajoritaires et minoritaires ne paraîtpas porté à la conscience des pro-ducteurs de ces textes sociaux.Cette obstruction perceptivedécoule, nous semble-t-il, d’une évi-dence sociale partagée par tous,majoritaires et minoritaires, et nonquestionnée, à savoir que l’égalitéest pensée comme un symétriquesocial. Derrière cette apparentesymétrie, un sort différent est pour-tant fait à l’égalité des uns et desautres avant toute analyse et àl’analyse. Au sein de notre corps detextes, c’est le groupe majoritaire entant que groupe matériel autant quegroupe symbolique à valeur deréférence que nous avons rencontréle plus souvent. Suivant les chaînesde sens où nous retrouvions cemajoritaire, on a pu observer demanière constante que le rapport dece dernier à l’égalité est établi parcontiguïté et non par oppositioncomme c’est le cas pour la catégorie

<minoritaire>. À titre d’exemple ici,mentionnons que le thème de « l’égalité dans la différence »(aussi présent dans les textes scien-tifiques sur l’action positive) ne con-cerne que les minoritaires – lesseuls à être définis (socialement)par la notion « différence », quel’on oppose à « égalité »15. Dans unautre extrait du texte de philosophiepolitique à structure <pour>, on peutlire ci-dessous un exemple de dis-symétrie de conceptualisation desmajoritaires et des minoritairesdevant l’égalité mais aussi devantl’appréciation d’une situation socialequi peut être commune, soit <pos-tuler pour un emploi>:

« […] En effet, à partir de laréciprocité des perspectives, ledésir d’action positive afin d’ef-fectuer la transition entre l’in-fériorité et l’égalité semble êtremoralement supérieur à lapréoccupation du Blanc deréduire l’angoisse causée parla peur d’échouer pour l’emploiqu’il postule » (nos italiques).

On peut observer que « l’égalité» et « l’infériorité » sont deuxespaces sociaux séparés; qu’on nepeut être (sociologiquement) dansl’un (l’espace social de l’égalité) etdans l’autre (l’espace social de l’in-fériorité) à la fois, puisqu’il y a « transition à effectuer » (pour lesminoritaires seulement). Notonsaussi que l’opposé social de l’égalitén’est pas ici l’inégalité ou les inéga-lités mais bien « l’infériorité » -laquelle infériorité ne connote pasexclusivement des référents de

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socialité et exclut certainement touteanalyse en termes de rapports so-ciaux. De même, on remarqueraque « l’angoisse causée par la peur d’échouer pour l’emploi qu’ilpostule » est restreinte dans sonusage au groupe social de référence(ici le « Blanc »). Nulle part dans cetexte ni au sein d’autres textes àstructure <contre> et à structure<pour> n’avons-nous rencontréd’occurrence où « l’angoissecausée par la peur d’échouer pourl’emploi qu’il postule » est le fait desminoritaires. Non pas que ce ne soitpas possible, mais le fait n’est pasconsidéré. « La peur d’échouerpour l’emploi qu’il [le Blanc] postule» n’est causée ici ni par une « infé-riorité » ressentie ou désignée pard’autres ni par crainte de compé-tence non reconnue mais bien par lapratique de l’action positive. Dansce même sens, la forme <postulerpour un emploi> est généralementréservée au sein de ce texte augroupe social de référence, alorsque l’on trouve la forme < « con-voiter » un emploi> pour la caté-gorie minoritaire. Connotation :convoiter… « le bien d’autrui » ou« désirer une chose qui appartient àun autre » (Le Petit Robert 2000).

Remarques conclusives

L’une des conclusions impor-tantes de notre analyse ’est que l’égalité, telle qu’elle est usitée dansles textes scientifiques sur l’actionpositive, ne remet pas en cause l’or-dre social existant. S’il y a revendi-cation égalitaire, celle-ci n’émane

plus seulement de groupes minori-taires et ces derniers réclament,pour ainsi dire rapidement, surtoutdes aménagements. Avec l’actionpositive, la lutte des minoritairespour « l’atteinte de l’égalité » se faitau sein d’une structure déjà exis-tante, et dont on prétend qu’elle peutêtre « adaptée ». C’est là que sesitue principalement la discussionsur les enjeux égalitaires.Contrairement au projet sociopoli-tique du 18e siècle, ce n’est pas lastructure sociale qu’il faut changer,mais bien les mesures d’accès pourles groupes sociaux minoritaires.Cette distinction majeure éclairepeut-être implicitement un des senssociaux que recouvre la notion éga-lité tel qu’on a pu l’observer au seinde textes scientifiques <pour> et<contre> l’action positive : soitd’être descriptive de la structuresociale et du groupe social deréférence. Notre analyse montreque ces politiques d’action positivesont aussi pensées dans une pers-pective de maintien d’une structuresociale où le pouvoir est différenciépar l’appartenance à des catégories(minoritaires) de sexe, de race,d’ethnicité. Les types ou systèmesde compréhension des sources desinégalités et de l’égalité que révèlentla controverse sur l’égalité et la jus-tice au sein des débats sur l’actionpositive achoppent sur la saisie dela spécificité des rapports de pouvoirentre majoritaires et minoritaires.Entre les positions qui indiquent lanécessité de combattre la discrimi-nation par ces politiques et cellesqui indiquent que ces politiquescréent de la discrimination envers

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les majoritaires et pervertissent lesystème, la catégorisation/désigna-tion/spécification des minoritairesdemeure impensée et avec elle, lesrapports sociaux de pouvoir qui lesconstituent tels, catégorisés, dé-signés, spécifiés, jusqu’à l’intérieurde la norme symbolique et concrèteque constitue l’égalité. À cet égard,le type de compréhension des rap-ports entre les majoritaires et lesminoritaires demeure capital, et lerapport des majoritaires et desminoritaires à l’égalité à être docu-menté plus avant – dans une pers-pective sociologique.

Notre étude révèle que ce qui estdisputé avec la notion égalité, c’estentre autres un lieu social, une si-tuation sociale qui sont exemptsd’entraves ou de discrimination.Ainsi, on s’aperçoit que l’égalité ausein des textes sur l’action positivedécrit non seulement une structuresociale, perçue comme égalitaire,mais tout autant une situationsociale idéalisée et pour tellerevendiquée, qu’une situationsociale existante, celle du majori-taire qui ne subit pas de discrimina-tion – sur le marché de l’emploi. Il ya là bien peu d’ambiguïté.

Notes

1 Ce que nous appelons des « politiques d’action positive »connaît diverses appellations,dont la plus connue est sansdoute l’appellation américaine « Affirmative Action Program ».Au Québec, on parle de « pro-

grammes d’accès à l’égalité »,alors que les autres provincescanadiennes usent de l’appella-tion « Équité en emploi ». EnFrance, on a utilisé l’expression« programmes d’égalité profes-sionnelle », mais aussi « dis-crimination positive » - pour nenommer que ces quelquessociétés. Nous retenons l’ex-pression « action positive »comme une appellation géné-rique.

2 Pour une analyse du phé-nomène de discrimination sys-témique au Québec voir :Chicha-Pontbriand, Marie-Thérèse (1989); Garon, Muriel(1986); Dusseault, Ginette(1983); McAll, Christopher(1990).

3 Les mesures d’action positivesont régies par des conditionsque l’on retrouve dans les con-ventions internationales contre ladiscrimination sexuelle et raciale.À ce titre, mentionnons laConvention internationale surl’élimination de toutes les formesde discrimination à l’égard desfemmes de l’Organisation desNations Unies et la Conventioninternationale sur l’élimination detoutes les formes de discrimina-tion raciale.

4 Cette position a été défenduenotamment par la Juge RosalieSilberman Abella (1984) ainsique par la Commission desdroits de la personne et desdroits de la jeunesse du Québec.

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5 Au Canada, la Charte canadien-ne des droits et libertés élaboréeautour du droit à l’éga-lité fûtamendée afin de prescrire untraitement égalitaire à partir del’appartenance de catégoriesraciales, ethniques et sexuelles,ainsi qu’à partir d’autres caté-gories liées à un processus deminorisation tels le handicapphysique ou mental. Il en fut demême au Québec.

6 L’expression est encore usitéemalgré la loi constitutive duMinistère des Relations avec lescitoyens et de l’Immigration(MRCI), qui a remplacé leMinistère des Communautés cul-turelles et de l’Immigration(MCCI), en 1996 (nos italiques).

7 On peut toutefois s’inquiéter ducaractère factice de certainescatégories, comme on l’a faitnotamment au Canada avec lacatégorie « minorité visible »,ou encore dénoncer les effets del’usage de ces catégories par l’État en invoquant « l’ethnicisa-tion » et ses manquements sup-posés à l’universalisme, tel qu’enfont foi les débats actuels sur lepluralisme normatif, maisrarement aborde-t-on ces caté-gories (majoritaire et minoritaire)comme produites à l’intérieurd’un rapport social.

8 Notons que cette dimension dela recherche sur l’action positive,soit la recherche empirique dansles entreprises qui ont mis enplace des mesures d’action posi-tive, est restée relativement peu

développée en comparaison destravaux qui se sont penchés surles effets macro-sociaux de cespolitiques.

9 Le développement de notre pra-tique d’analyse s’est appuyé surune approche théorique qui con-sidère les groupes sociauxmajoritaires et minoritaires dansleurs dimensions constitutives.Voir notamment Guillaumin(1972); Juteau (1999);Pietrantonio (2000); Pietrantonio(1999).

10 Les exceptions à cet égard sontle fait de travaux qui se penchentplus spécifiquement sur lephénomène de discriminationsystémique pour l’appréciationscientifique de ces politiques.

11 Nous avons observé ailleurs(Pietrantonio 2000) cettesymétrie déficiente dans la saisiescientifique des majoritaires etdes minoritaires, au sein deproblématisations sociales diver-ses qui les mettent en scène.Cette symétrie déficiente n’estainsi pas le seul fait de la notionégalité – le fait est à signaler.

12 Expression présente dans notrecorpus et rendue célèbre par lafable de George Orwell (1981)[1945], La ferme des animaux :« Tous les animaux sont égaux,mais (il semble que cela ait étérajouté) il y en a qui le sont plusque d’autres ».

13 Pensons notamment à l’industriedu taxi à Montréal où un groupe

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de propriétaires Haïtiens embau-che des chauffeurs Haïtiens.

14 Pour reprendre précisémentnotre exemple de l’industrie dutaxi, il ne viendrait à l’esprit depersonne de qualifier de « ghet-to d’emploi » une « flotte detaxi » (comme on dit dans le mi-lieu) où les propriétaires et con-ducteurs sont des « Blancs ».

15 Cette thématisation de « l’égalitédans la différence » est problé-matique à maints égards, notam-ment parce que ces deux caté-gories « égalité » et « dif-férence » sont souvent usitéescomme des donnés. Les rela-tions de pouvoir qui sont consti-tutives de l’idée de différencesont alors oblitérées – sans par-ler des rapports constitutifs del’égalité, dont on aura comprisqu’ils sont pour nous un objetd’analyse. Une telle thématisa-tion de « l’égalité dans la dif-férence » n’est pas récente. Onen trouve des traces au 18e siè-cle lors des débats sur la placedes femmes et leur rapport à l’é-galité, que l’on est à constitueralors en principe juridique. Voir àce sujet Capitan, Colette (1993),La nature à l’ordre du jour. 1789-1793, Éditions Kimé, Paris;Varikas, Eleni (1987), « Droitnaturel, nature féminine et éga-lité des sexes », L’Homme et lasociété, nos 85-86, pp. 98-111,2e semestre.

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bureau, Thèse de doctorat,présentée à l’Université McGill,Québec.

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Sociologie et sociétés,1992. vol. 24,no 2, Les Presses de l’Universitéde Montréal.

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Les questions relatives à lacitoyenneté et aux appartenancessont d’actualité sur la scène québé-coise. Penser immigration et sociétéd’établissement implique certes,dans ce contexte, une réflexion surces questions de citoyenneté et deprocessus d’identification - maisaussi sur les thèmes de lien social,de processus d’inclusion et d’exclu-sion, de droits et de devoirs. Lesdonnées présentées ici font partied’un corpus plus large recueilli dansle cadre de notre recherche docto-rale sur les espaces de sociabilitéen situation de migration. Cetterecherche, sur les migrants françaisà Montréal, se veut une analyse cri-tique de la notion polysémique d’« intégration » et l’étude de l’or-ganisation sociale en contextesmigratoire et d’établissement.

Pour examiner ces relationssociales, nous proposons unenotion d’espace de sociabilité(notion à l’état de ‘work in progress’)comme autant de lieux quitémoignent de liens sociaux. Cettenotion permet un ‘marquage’ de l’or-ganisation sociale et spatiale desmigrants et l’examen du capital so-cial1 mobilisé par les acteurs. Plus

généralement, l’étude des liens desociabilité permet de saisir les rela-tions telles qu’elles s’expriment surle terrain, entre individus, intra etinter-groupes (majoritaires-minori-taires, minoritaires-minoritaires etintra minoritaires), et la variabilité deces relations selon les espaces so-ciaux et spatiaux.

Les espaces de sociabilité peu-vent être privés (ou de proximité),semi-privés ou publics et recoupentplusieurs champs à la fois tels quel’économique, le résidentiel, lerécréatif, la famille, les proches. Cesespaces, dans le sens social et spa-tial2, peuvent également témoignerdes aspects transnationaux de lamigration et du rôle potentiel des filières migratoires. À partir d’ego, ils’agit d’examiner les différentessphères de sa vie de travail, defamille, de loisirs, d’activités de culteetc., et de situer, à l’intérieur de cessphères, les liens créés ou main-tenus en situation de migration, touten opérant une classification de cesliens du plus proche au plus distant.Cette classification établie par lechercheur est validée auprès durépondant. Ce sont les participantsqui définissent ces sphères, tout aulong des échanges. Il s’agit de liens‘volontaires’, en lien direct avec ego.Les liens des autres membres de lafamille sont aussi documentés, dansune moindre mesure toutefois.

En termes méthodologiques, ils’agit d’une démarche qualitativeavec données quantitatives en toilede fond3. Différents temps d’enquêtese chevauchent et s’étendent sur

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Sylvie FORTIN Candidate au Ph.DDépartement d’anthropologieUniversité de Montréal

Citoyennetés et apparte-nances en situation de migra-tion

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plusieurs rencontres formelles etinformelles avec une approche à lafois transversale (recensement desactivités, description du profil socio-démographique, identification desliens de sociabilité actifs au momentde l’étude) et diachronique (rendupossible par le récit). Il s’agit d’en-tretiens en profondeur auprès d’unevingtaine d’individus – répondantsclés - (plusieurs entretiens avec lesmêmes sujets), d’observation parti-cipante et de données d’enquête parquestionnaire4. Chaque répondantclé est en fait le point de départd’une constellation de liens surlaquelle nous colligeons des don-nées et chaque constellation estindépendante. L’échantillonnage estfait par ‘boule de neige’ et, à deuxexceptions près, les répondants clésévoluent dans des univers tout à faitautonomes. La méthode de travailutilisée est inspirée de la théorieancrée – où terrain et analyse (dedonnées et aussi littérature) sedéroulent simultanément5.

Quant au choix de la populationà l’étude, il a été motivé par :

1- l’importance numérique de l’immi-gration française actuelle en solquébécois6

2- ce ‘groupe’ est très peu étudié7 entant que groupe national mais aussicomme groupe occupant un espacesociologique peu exploré, i.e. l’étuded’un groupe comparable sur le plansocio-économique au groupemajoritaire de la population hôte

3- une variabilité intéressante ausein même de sa composition. Cette

variabilité sociale (dans ce cas, lesFrançais d'origine française [et dontles parents sont aussi françaisdepuis plusieurs générations] et lesFrançais d'origine algérienne etmarocaine) permet de cerner lesprocessus d'établissement d'unepopulation qui, sur le plan socio-logique, était soit en position majori-taire en France, soit en positionminoritaire.

À travers les différents liensrépertoriés se dessinent, entreautres, les rapports au pays d’ori-gine, d’établissement et lieux tiers.Se dessinent également l’influencede ces rapports sur ego, sur sa pro-jection dans l’avenir pour lui-mêmemais aussi pour ses enfants (lechoix d’une école par exemple, unquartier d’habitation). Les stratégiesd’appartenance, souvent multipleset mobilisées selon le contexte,côtoient des stratégies identitairesvariées et association de ‘patterns’de sociabilité selon le type destratégie (i.e. francophiles, franco-phobes, et la rétention d’un accentdu lieu d’origine par exemple).

Dans cette note de recherche,nous proposons quelques donnéesde terrain relatives aux apparte-nances et aux sens accordés par lesacteurs à la notion de citoyenneté.Nous abordons la parfois délicatequestion – à savoir qui estQuébécois, la notion d’exclusionsymbolique et les rapports majori-taires-minoritaires. Enfin, les termescitoyenneté et nationalité sont distin-gués, au profit d’une citoyennetésociale, d’un national cosmopolite

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ou encore d’une société post-nationale.

Résultats de recherche

Une vingtaine de répondantsnés en France de parents d’originefrançaise et/ou d’origine franco-algérienne ou marocaine se sontexprimés, au fil des entretiens, surles questions d’appartenance et decitoyenneté. Ils vivent à Montréaldepuis en moyenne quatorzeannées – certains depuis 6, 8 ou 10ans, d’autres depuis 25 ou 30 ans.Tous travaillent, plus de la moitiésont propriétaires de leur logementet tous sont parents, à une excep-tion près. Ils sont tous citoyenscanadiens.

Peu de recherches portent surles attitudes envers la nationalité etles sentiments d’appartenance et lavariabilité de sens accordés auxnotions de citoyenneté ou d’apparte-nance (Taboada-Leonetti, 2000).Sur le terrain, les gens ont tendanceà exprimer ce qu’ils ressentent, - cequ’ils vivent dans leur quotidien - ets’éloignent des catégories juri-diques.

Interrogés sur la notion decitoyenneté, les Français d’originefrançaise se sont exprimés sur leurcitoyenneté canadienne alors queles répondants d’origine franco-algérienne ont spontanémententamé une discussion sur lacitoyenneté française. L’accès à lacitoyenneté en France étant unprocessus complexe – et très poli-tisé, on comprendra le lien fait parles répondants pour qui cette

citoyenneté est, ou a été, probléma-tique. Une répondante franco-algé-rienne (R #05) dira même que l’ob-tention de la citoyenneté canadien-ne correspondait à l’obtention d’unpays, le sien – pour la première fois.

La citoyenneté comme catégorieadministrative n’évoque que peu decommentaires. En fait, plusieursdiront que la citoyenneté ne veutrien dire – ou encore que c’est unequestion administrative. Par exem-ple un répondant (d’originefrançaise) ici depuis 30 ans dira :On est sur un territoire à un momentdonné – cela permet d’avoir unpasseport, c’est administratif. Celapermet d’avoir des facilités, et departiciper à la vie politique par lebiais du vote. C’est ce que j’appelleadministratif. Pour moi cela n’a pasde valeur sentimentale – c’est dunationalisme. J’ai beaucoup voyagé,j’ai deux citoyennetés, ma femmeaussi, mes filles en ont trois (R #04).Un autre répondant (R #07) dira qu’ils’agit d’un document et que la vraiecitoyenneté se joue ailleurs dans lasociété, dans son milieu de vie,dans l’implication auprès des gensdans le milieu de travail, de rési-dence, etc. Cela dit, même s’ils sontplusieurs à dire d’emblée que la ci-toyenneté ne veut rien dire, sonacquisition symbolise un certainancrage et aussi une ouverture, uneliberté d’envisager l’avenir. On peutrester, partir, revenir – tout estouvert. Être citoyen d’un lieu, c’estse sentir chez soi et avoir le droitd’être soi-même (R #14).

Plusieurs font une distinction

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entre, d’une part, la citoyennetécomme contrat social, associée à unterritoire et qui permet de participer,entre autres, à la vie politique8 etavoir un passeport et, d’autre part,les questions d’identité. L’un etl’autre sont à prendre différemment,la citoyenneté n’impliquant pas lepartage d’une identité commune.C’est d’ailleurs un trait marquant despropos tenus par les enquêtés. Cen’est pas une question d’apparte-nance ou de fidélité, ni une questiond’ancêtres, d’enracinement. C’estune question de liberté (R #14).

De façon générale, la citoyen-neté canadienne évoque latolérance, une certaine neutralité,une protection, une sécurité, unefierté aussi.

Pour certains, cette citoyennetéimplique des droits et devoirs, uncontrat social. Il y a le droit de votemais aussi, plus largement, le droitde participer, le droit de se projeterdans l’avenir et pour une répon-dante (d’origine franco-marocaine),la possibilité de faire peau neuve (R#17). Quant aux devoirs, on évoquele respect d’un code commun (dansce cas la constitution), le respectd’un environnement, le devoir desoutenir les programmes sociaux envigueur.

En terre d’établissement, troiscatégories d’appartenances émer-gent – canadienne, montréalaise,québécoise – et s’ajoutent auxautres appartenances dans cecas,française, bretonne, algérienne,marocaine, voire libanaise. En effet,ils sont nombreux à se dire

Canadien et non Québécois – touten appréciant le Québec – et plusprécisément Montréal comme villede résidence. Certains accordentune grande importance à la ‘bi-cul-turalité canadienne’ imaginée et auprincipe du bilinguisme officiel – touten ayant choisi le Québec pour yvivre en français. À noter que seule-ment deux répondants pourraientenvisager vivre ailleurs au Canada(et certains l’ont déjà fait) – dont uneBretonne qui souhaiterait vivre àproximité de la mer. D’autres, dansune proportion moindre toutefois, nes’identifient pas du tout au Canada.

De manière générale, Montréalagit comme première référence. Enfait, Montréal représente un pont,une charnière entre un Canada plu-raliste et un Québec monolithique. Àtitre d’exemple : Je n’ai pas de rap-port avec le Québec. Lorsque jesors de Montréal ou je vais dans unepetite ville en région – je me senscomme un métèque. J’ai un type dusud, je parle un français interna-tional (comme on dit), je me senscomme quelque chose de bizarre.Autant à Montréal on passe dans lepaysage parce que le paysage estmultiple, autant là je me sens disso-nant. J’ai peu de rapport avec leQuébec, à l’exception de Montréal,tout en ayant le goût de le décou-vrir… (R #14).

Quant aux autres apparte-nances, qu’elles soient française,berbère, bretonne ou libanaise, ellescohabitent et relèvent de trajectoiresmigratoires et de lieux de vie variésmais aussi de mixité sur le plan des

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origines parfois diversifiées des pa-rents, par exemple, ou encore cellesdu conjoint (plus de la moitié de cesrépondants sont dans des unionsmixtes). Fait intéressant – ledéplacement des frontières évoquépar Frederik Barth (1969) se retrou-ve dans le discours même desenquêtés. C’est dans le rapport àl’Autre que se joue la loterie desidentités. C’est mon interlocuteur quidécide de me pousser dans uncamp ou dans un autre. Au Québecje suis française, en France je suiscanadienne. Je me sens commeune balle de ping-pong. Mais [aufond] je ne me sens pas amputéede quoi que ce soit (R #06). Ouencore : En France, face à unFrançais, je suis algérienne ; face àl’administration je suis françai-se; aux USA, je suis canadienne (R#05).

Personne ne se sent ‘québé-cois’ – ils ne pourront jamais êtredes ‘pures laines’, les racines sontautres. Comme le souligne unrépondant (R #03), ici depuis 20 ans : Je ne m’associe pas vraimentà la culture d’ici. Je n’ai pas grandiici, je ne connais pas le hockey, lesmouvements politiques, l’histoire -mais en même temps je suis fierd’être canadien. La citoyenneté,dans ce cas, permet d’exprimer uneappartenance au-delà des racinesculturelles, familiales. Les répon-dants font une distinction entre l’ap-partenance à un groupe social – etl’appartenance à une ‘culture’. Lepatrimoine culturel québécois nesera jamais le mien. J’apprends à leconnaître, je suis curieuse, je

découvre mais il n’est pas le mien (R#10).

Même après 20 ans de rési-dence, dira un autre répondant, Onme dira toujours « d’où tu viens ».Je viens de là-bas (France) mais çafait 20 ans que je suis ici. On medemandera toujours d’où je viens, jene serai jamais québécois. Je suisun hybride et je connais les codesd’ici. Même si tu me parachutesdans une famille de Chicoutimi, àpart l’accent, je peux les faire rire,prendre une bière, faire la fête… (R#03)

En fait, qui est québécois ? Unefemme dans la quarantaine, icidepuis une dizaine d’années affirmeque pour elle, qui vient de l’extérieur,les discours tendent à présenter lesQuébécois comme étant multiples –mais la définition qu’elle vit au quoti-dien c’est qu’être québécois – c’estêtre ‘pure laine’. Si t’es pas purelaine, tu peux pas être québécois.Au-delà du fait qu’on habite le mêmeterritoire, il y a des éléments aux-quels je ne peux pas m’identifier.Être québécois – c’est trop mono-lithique (R #06). La répondante faitici référence à la division tripartitesouvent invoquée pour décrire lapopulation du Québec selon qu’ellesoit francophone, anglophone, allo-phone. Qui sont les francophones ?Dans la presse, dans l’idée popu-laire, être francophone c’estpartager l’identité québécoise, dira-t-elle. La catégorie francophone ren-voie toujours à celle de ‘souche’.

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Discussion

Ces propos ne sont pas sansrappeler les débats récents qui onteu lieu dans le cadre des ÉtatsGénéraux sur la situation et l’avenirde la langue française au Québec.La langue est-elle un marqueurd’appartenance ? Le fait que leslangues soient acquises par unprocessus de socialisation, et ce àdes âges divers, n’empêche pas cescatégories (francophone, anglo-phone, allophone) d’être souventessentialisées dans le contextequébécois. La langue est prisecomme une évidence, un témoin dequalités plus globales telles quel’appartenance à une supposéecommunauté, des solidarités, desallégeances (Meintel et Fortin,2001). La proximité linguistique,être francophone, n’est pas un gaged’inclusion. Après six années de vieici, une répondante affirme - je mesens plus étrangère ici que je ne l’étais en Suède - et pourtant lalangue suédoise n’est pas facile (R#15). À noter qu’en Suède cetterépondante travaillait et évoluaitdans un espace social à dominantefrançaise alors qu’à Montréal cen’est pas le cas.

Et qu’en est-il des différentsaccents ? Quoi que de phénotypessimilaires aux non-immigrants et delangue maternelle française, lesFrançais rencontrés n’hésitent pas àse dire une ‘minorité audible’. Il n’estpas rare d’entendre le qualificatif‘francophone d’ici’ pour faire la dis-tinction entre ces derniers et lesimmigrants dont la première langue

est le français. En fait, il s’agit desavoir qui est ‘vraiment’ québécois.

Au-delà du cas des Français àMontréal, ces propos nous ramè-nent à la notion d’exclusion symbo-lique d’Isabelle Taboada-Leonetti(1994). On peut être bien intégréselon les critères habituels (travail,revenus, etc.), faire sa vie auQuébec – et dans ce cas précis àMontréal, et même joindre son des-tin personnel au destin national,sans pour autant se sentir inclusdans la désignation ‘Québécois’.Dans ce sens, citoyenneté n’est passynonyme d’inclusion. Certes, l’ac-cès à la citoyenneté au Canada estune démarche plus simple, plusaccessible qu’en France, par exem-ple – mais au delà de cette plusgrande accessibilité au droit de vote,une certaine exclusion, dans ce casnon pas sociale ou économiquemais culturelle, demeure un frein àune pleine participation, au ‘nous’inclusif. Dans les rapports majori-taires-minoritaires, même lorsque legroupe minoritaire en questionbénéficie d’un prestige et d’uneplace ‘accessible’ au sommet de lahiérarchie sociale – il reste que lesentiment d’appartenance ‘nationa-le’ est mitigé.

On a longtemps présumé d’uneunité territoire, peuple, culture. Or, laproduction de la différence culturelleest enracinée dans des espacescontinus, traversés par des relationspolitiques et économiques inégales(Gupta et Ferguson, 1992). Puis,toute culture est traversée par desphénomènes de classes, de genre.

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Ainsi, même lorsque les enquêtésfont référence à cette culture québé-coise, elle est variable selon le pointde référence. Il en est de mêmeavec la culture française. D’ailleurs,interrogé sur ses appartenances, unrépondant – ingénieur de professiondira : La culture que j’ai reçuecomme enfant est manifestementdifférente de la moyenne de la cul-ture québécoise en général. En plusil est possible qu’elle soit différentede la culture française parce que iln’y a pas une culture française mais36 mille variations (R #04).

Toute culture nationale doit êtreconsidérée comme un construit,dont les acteurs principaux sont lesélites instruites (Taboada-Leonetti,2000). Dans les sociétés plurielles,pluralistes, le système étatique esttoujours dominé par l’un desgroupes - qui s’érige en référent dela nation. On oppose le ‘vrai’ citoyenau minoritaire. Comme le rappelleColette Guillaumin (1992, in Juteau,2000 : 6), la différence est indisso-ciable de la domination et de lahiérarchisation sociale ; elle se construit dans le rapport entremajoritaires et minoritaires et non àpartir de traits, naturels ou culturels,communs. Ainsi, malgré une volon-té politique de construire un Québecinclusif, il semble que cette ré-férence au ‘vrai’ québécois soit tou-jours présente, même dans unMontréal cosmopolite où 20% de sapopulation est d’origine immigrante(Renaud et al., 2000). Cela dit, lesnouvelles générations d’origineimmigrante sont largement scola-risées en français depuis la loi 101.

Des études en cours menées parMeintel et Lamarre (Groupe derecherche ethnicité et société),auprès de jeunes collégiens mon-tréalais, témoigneront peut-êtred’une évolution de ces perceptionsvers un Québec inclusif et pluriel.

En résumé, nos enquêtés seretrouvent dans une citoyennetépolitique, une citoyenneté sociale(Gallissot, 2000) fondée sur l’espacesocial, une citoyenneté pratique(Daum, 1997) mais peu s’identifientà une citoyenneté culturelle. Ladiversité culturelle renouvelée parles migrations et le cosmopolitismedes références culturelles rendentcaduque la promotion d’une identiténationale commune au profit d’unecitoyenneté sociale. Il ne peut êtrequestion, ici, d’un État-nation, d’unenation ou d’un national qui faitréférence à un peuple sur les basesd’une appartenance à un territoireenracinée dans une culture et unpassé communs (Lapeyronnie et al.,1990 in Castles, 1998).

Nos données témoignent d’uneappartenance à l’État québécois etcanadien dans son rôle juridique etlégislatif – garant de droits sociauxet une appartenance à l’État dans saforme politique – régissant droits etdevoirs9. Mais les gens rencontrésne peuvent s’identifier à la nationquébécoise dans sa représentationhistorico-culturelle. Ils sont davan-tage portés vers une société civileplurielle, orientée sur le présent etvers l’avenir, une société que nouscherchons maintenant à inventer,construite sur ce que Alain Médam

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(1992) appelle le national cosmopo-lite10, Yasmina Soysal (in Juteau,2000), la société post -nationale11 ouDanielle Juteau (2000), la citoyen-neté pluraliste et différenciée12. Lesappartenances sont variables et serapportent à plus d’une collectivité –qu’elles soient immigrantes ou non.

Conclusion

En contexte migratoire, lesappartenances sont multiples :appartenances sociales au lieud’établissement ; appartenancesculturelles et sociales au lieu d’ori-gine ; appartenances aussi à deslieux tiers selon la trajectoire migra-toire, selon les origines du conjoint,selon les origines des parents. Cesappartenances ne semblent en rienconflictuelles et sont au contrairequalifiées de richesse. Penser lacitoyenneté dans un Québec con-temporain doit tenir compte de cesréférents multiples pour une parttoujours croissante de sa popula-tion. Ici, citoyenneté et nationalitésont souvent employées commesynonymes – la nationalité ayantlongtemps été un préalable à lacitoyenneté (Juteau, 2000).Maintenant encore, l’on confond l’unet l’autre – et parler de citoyennetérevient souvent à parler de nationa-lité. Or, justement pour le migrant,cette citoyenneté sociale, pratique,ne trouve pas de résonance danscette ‘nationalité’ où l’appartenanceest associée à un projet identitairedans lequel il ne se reconnaît pas oupeu.

En dernier lieu, ce qui a été

présenté ici porte sur la mise encommun de témoignages qui indi-viduellement présentent à certainségards des ressemblances – maisaussi des différences dont nousn’avons que peu tenu compte.Étudier les espaces de sociabiliténous permet justement d’explorercomment ces divergences et simi-larités s’expriment dans le social etcomment ces espaces traduisent outémoignent des différentes apparte-nances mises de l’avant par lesrépondants. Les parcours d’éta-blissement sont variables, les trajec-toires individuelles aussi – l’âge à lamigration et l’étape plus générale ducycle de vie, les obstacles rencon-trés, la réceptivité sociale (Piché,2000) du milieu d’accueil sont tousdes éléments qui teintent les senti-ments d’appartenance – et lesespaces de sociabilité créés et/oumaintenus en situation de migration.

Notes

1 La notion de capital socialévoque celle de capital culturelde Bourdieu (1986) et celle deressources sociales de Wellman(1981). Il s’agit de la capacitédes acteurs de s’assurer desbénéfices par la participation àdes réseaux sociaux ou autresstructures sociales. RaymondBreton (1994) évoque les com-pétences individuelles et collec-tives en tant que stratégiesengagées dans un processus dereconstruction d’un universsocial (toujours en contextemigratoire). Cette capacité d’éla-

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borer des stratégies dépend desressources dont disposent lesindividus.

2 Ces espaces permettent desituer les liens sociaux sur uncontinuum spatial en explorantles liens à la fois dans un espacelocal (dynamique présente dansla société d’établissement) ettransnational (société d’originemais aussi lieux tiers, hors deces espaces conçus trop sou-vent dans une polarité sociétéshôte et d’origine). Voir aussi lestravaux d’Andrée Fortin (1993).

3 Les données quantitatives pro-viennent d’une étude longitudi-nale sous la direction de JeanRenaud (2000).

4 Amorcé à l’automne 1999, le tra-vail de terrain s’est étendu sur unpeu plus d’une année – en ce quia trait à l’enquête questionnaireet les entretiens de fond.L’observation participante et lesentretiens informels sont tou-jours en cours.

5 Voir Strauss et Corbin (1998).

6 S'il est vrai que depuis 1975, auQuébec, la composition des fluxmigratoires s'était modifiée, pas-sant d'une migration à prédomi-nance européenne à une immi-gration majoritairement tiers-mondiste, les politiques mises enoeuvre au début des années1990 accordent une place priori-taire au fait français. Lorsqu'onobserve la répartition des immi-grants admis au Québec, pour la

période 1982-86, les immigrantsdont le pays de naissance était laFrance étaient au troisième rang(avec un effectif de 4 697), pourla période 1987-91, cette mêmecatégorie était encore autroisième rang (effectif de 7 975)et pour la période 1992-1996, aupremier rang (avec un effectif de12 807). Source : Direction de laplanification stratégique, Québec(Province) - Ministère desRelations avec les Citoyens etde l'Immigration, Gouvernementdu Québec, 1997.

7 Mentionnons les travaux deBéatrice Verquin, centrés toute-fois sur les migrations tempo-raires (à la différence de migra-tion d’établissement) Du ‘modèlemigratoire colonial’ à la circula-tion mondiale des élites profes-sionnelles. Le cas des Françaisà l’étranger. Thèse de doctorat,Département de géographie,Université de Poitiers, 2000.

8 La dimension politique n’estqu’un des aspects de la citoyen-neté. La participation sportivedans une équipe nationale, parexemple, ou encore l’inclusiondans le milieu des arts, de lamusique en sont d’autres dimen-sions.

9 Il s’agit d’un modèle d’apparte-nances développé par Taboada-Leonetti (2000).

10 […] il s’agit de continuer de pass-er, transgressant les frontièresde la société multiethnique, seslignes de démarcation. Et pour

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lors qu’on y réussisse, ce qui estimportant ce n’est plus de savoir,en cette juxtaposition decouleurs et de cultures, ce quiest « comme ceci » ou « comme cela ». Et où cela est.C’est d’apprendre à savoir plutôtà partir de quoi, d’où – à partir dequel flou ; de quelle zone d’in-certitude – ceci ou cela peutavoir la certitude d’être comme ilest là où il est. (Médam, 1992 :58)

11 Dans le modèle postnational enémergence, les droits indivi-duels, jadis définis par la natio-nalité seraient codifiés demanière plus universelle, enfonction des droits de la person-ne. L’individu transcende lecitoyen, les droits de la person-ne, - souvent pris en charge pardes organismes internationaux -,remplacent les droits individuels,les droits humains universels sesubs-tituent aux droits nationaux.[…] Le citoyen n’est plus unnational, il possède de multiplesappartenances et n’est plusobligatoirement attaché à la col-lectivité nationale. (Soysal, 1994: 136-142 in Juteau, 2000 : 10)

12 Dans cette citoyenneté, onadmet la diversité des comporte-ments et des valeurs, la pluralitédes familles politiques et laprésence de sous-groupes dif-férenciés fondés sur des rap-ports sociaux distincts. On yreconnaît la double exigenceque comporte l’égalité : cons-truire une citoyenneté non con-

notée par la différence et dé-construire les différences en poli-tique pour abolir les asymétriesde pouvoir. On accepte que lesattachements soient variables,forts, faibles ou inexistants etqu’ils se rapportent à plus d’unecollectivté. (Juteau, 2000 : 22)

BIBLIOGRAPHIE

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Le Groupe de Recherche Ethnicité et Société est heureux d’accueillir LindaPietrantonio, une boursière post-doctorale (Conseil de Recherches en SciencesHumaines du Canada) pour l’année 2001. Les travaux de Madame Pietrantoniosur la notion d’égalité dans une perspective sociologique, et le développementde ceux-ci à partir d’une méthode d’analyse du discours social sont un apportimportant pour le GRES. En effet, s’étant récemment jointe au Groupe (janvier2001), cette chercheure a déjà intégré et enrichi notre programme de rechercheavec de nouveaux travaux qui s’insèrent de plain pied dans nos recherchesactuelles qui traitent, de manière générale, de la dynamique interethnique de lasociété québécoise, telle qu'elle se présente dans la région montréalaise depuisles changements sociaux et politiques mis en oeuvre avec la Loi 101 (1977),visant la francisation de la vie publique.

Les chercheurs impliqués dans ce programme, comme membres de l’équipeou comme collaborateurs sont Deirdre Meintel, Victor Piché, Danielle Juteau,Jean Renaud, Patricia Lamarre et Sylvie Fortin (professionnelle de recherche)de l’Université de Montréal ; Gladys Simons, de l’École nationale d’administra-tion publique (Université du Québec); Marie Nathalie LeBlanc, de l’UniversitéConcordia; Marguerite Cognet, du Centre de recherche et de formation du CLSCCôte-des-Neiges et Monica Heller, de l’Institut d’études pédagogiques del’Ontario (Université de Toronto). Catherine Quiminal, de l’Unité de rechercheMigration et société (URMIS), Université Paris 7 et Paris 8, collabore égalementaux travaux reliés à ce programme et participait, le printemps dernier, aux ate-liers du GRES.

Les projets sont nombreux, les organismes subventionnaires étant aussidiversifiés1. Plusieurs assistants de recherche sont également mobilisés par cesprojets, tels que Laurent Raigneau, Francine Lemire, Sébastien Arcand, SirmaBilge, Sophie Ambrosi, Julie Paquette, Emmanuel Kahn, Hayley Wilson, MarcoGuerrera et Josiane LeGall (coordonnatrice de projet), tous de l’Université deMontréal.

Le GRES est également très heureux d’accueillir, à la rentrée 2001, troisnouveaux stagiaires doctoraux, soient Alkistis Fleischer, Université deGeorgetown (Washington, DC); Sabine Meyer, Université de Francfort-sur-le-Main (Allemagne) et Paul Eid, Université de Toronto.

Mentionnons enfin trois nouvelles parutions des membres du GRES:

LES NOUVELLES DU GRES

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Jean Renaud, Lucie Gingras, Sébastien Vachon, Christine Blaser, Jean-François Godin et Benoît Gagné. « Ils sont maintenant d’ici ! Les dix pre-mières années au Québec des immigrants admis en 1989 », Sainte Foy, Lespublications du Québec, Collection Études, recherches et statistiques, 2001,197 pages.

Bruno Ramirez, « Crossing the 49th Parallel. Migration from Canada to theUnited States, 1900-1930 » Cornell University Press, 2001.

Sylvie Fortin, « Destins et Défis. La migration libanaise à Montréal »,Montréal, Les éditions Saint-Martin, 2000, 127 pages.

Notes

1 Ces organismes subventionnaires étant :

Fonds pour la Formation de Chercheurs et l’Aide à la Recherche (FCAR),Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada (CRSH),Conseil Québécois de la Recherche Sociale (CQRS) et Patrimoine cana-dien, Multi-culturalisme Canada.

Les nouveaux projets subventionnés sont (printemps 2001) :

« Social Cohesion in a Linguistical Divided Society : Intergroup Relationsamong Montreal College Students », P. Lamarre, D. Meintel et M. Heller,Patrimoine Canada

« Prise de parole II: la francophonie canadienne et la nouvelle économiemondialisée ». D. Heller, A.T. Boudreau, D. Meintel, L.M. Dubois, N. Labrieet P. Lamarre, CRSH

« Transmission culturelle et identitaire chez les jeunes couples mixtes », D.Meintel, CRSH

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Julie Beausoleil, M.Sc, complétait, en 1998, une maîtrise en anthrophologie,Le travail d'établissement des réfugiés salvadoriens à Montréal, sous ladirection de Deirdre Meintel, Université de Montréal. Depuis, elle a par-ticipé à plusieurs recherches, en Angleterre et aux Etats-Unis (Texas), oùelle habite présentement.

Jean Renaud, Ph.D, est professeur titulaire au département de sociologie del’Université de Montréal. Il dirige également le Centre d’études ethniquesdes universités montréalaises (CEETUM) et participe aux travaux duGRES, à titre de membre fondateur.

Sylvie Paré, Ph.D, complétait, en 1998, une thèse de doctorat en sociologie,Le rôle des agents immobiliers dans la ségrégation résidentielle ethnique :processus et mécanismes de production, sous la direction de DanielleJuteau, co-direction Claude Marois, Université de Montréal. Elle estprésentement professeure associée au département d’études urbaines ettouristiques de l’École des sciences de la gestion, Université du Québec àMontréal (UQAM).

Linda Pietrantonio, Ph.D, complétait, en 1999, une thèse de doctorat ensociologie, La construction sociale de la (dé)légitimation de l'action positiveou l'envers de l'égalité, sous la direction de Danielle Juteau, Université deMontréal, co-direction Colette Guillaumin, Université Paris 7 (URMIS). Elleest présentement chercheure postdoctorale au GRES et participe au pro-gramme de recherche de l’équipe.

Sylvie Fortin, est candidate au Ph.D en anthropologie. Elle prépare unethèse, sous la direction de Deirdre Meintel, sur les espaces de sociabilitéconstruits et/ou maintenus en situation de migration. Elle participe auxtravaux du GRES à titre de professionnelle de recherche et coordonna-trice.

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UN MOT SUR LES AUTEUR-E-S

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Les Cahiers du Gres sont disponibles au

CEETUM

à l’adresse suivante :

Centre d’Études Ethniques des Universités

Montréalaises (CEETUM)

C.P. 6128, succursale Centre-ville

Montréal (Québec)

H3C 3J7

Prix : 10$

NB : Les commandes doivent être accompagnées d’un

réglement par chèque à l’ordre de l’Université de Montréal

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