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UNIVERSITE DE NANTES FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES Mémoire de Master 2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques Présenté par Monsieur Jérémy DRISCH Sous la direction du Professeur Sébastien TOUZE Année 2008-2009

CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

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UNIVERSITE DE NANTES

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES

CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LL AA NNOOTTII OONN DD’’ EEQQUUII TTEE

DDAANNSS LL EE CCOONNTTEENNTTII EEUUXX II NNTTEERRNNAATTII OONNAALL

DDEESS DDEELL II MM II TTAATTII OONNSS MM AARRII TTII MM EESS

Mémoire de Master 2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques

Présenté par Monsieur Jérémy DRISCH

Sous la direction du Professeur Sébastien TOUZE

Année 2008-2009

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UNIVERSITE DE NANTES

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES

CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LA NOTION D ’EQUITE

DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL

DES DELIMITATIONS MARITIMES

Mémoire de Master 2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques

Présenté par Monsieur Jérémy DRISCH

Sous la direction du Professeur Sébastien TOUZE

Année 2008-2009

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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En premier lieu, je tiens à remercier :

Monsieur Sébastien Touzé, Professeur de l’Université de Poitiers, pour son

soutien dans mes projets

Monsieur Jean-Pierre Beurier, Professeur émérite de l’Université de Nantes

pour son aide et nos échanges sur le sujet

Monsieur Elie Jarmache, Chargé de mission au Secrétariat Général de la Mer,

pour son accueil et ses éclairages

Monsieur le commissaire en chef Philippe Dezeraud, chargé de mission au

Secrétariat Général de la Mer, pour son accueil et ses conseils

Mon épouse ainsi que ma famille, qui ne cessent de me soutenir dans chacun de

mes projets.

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« La mer est un espace de rigueur et de liberté »

Victor Hugo

« Le plus intéressant dans les cartes,

ce sont les espaces vides, car c’est là que cela va bouger »

Joseph Conrad

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Abréviations

AFDI : Annuaire Français de Droit International

AJIL : American Journal of International Law

CIJ : cour internationale de justice

CPA : cour permanente d’arbitrage

DMF : Revue Droit Maritime Français

IBRU : International Boundaries Research Unit

ICLQ : The International and Comparative Law Quarterly

JDI : Journal du Droit International

PUF : Presses Universitaires de France

RBDI : Revue Belge de Droit International

Rec. : Recueil

REDI : Revista Espagnola de Derecho Internacional

RGDIP : Revue Générale de Droit International Public

RQDI : Revue Québécoise de Droit International

RSA : recueil des sentences arbitrales

ZEE : zone économique exclusive

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PARTIE I : L’ EQUITE , UNE NOTION INDEFINIE

TITRE I : L’ AMBIVALENCE DE LA NATURE JURIDIQUE DE L’EQUITE

CHAPITRE I : L’EVOLUTION DES FONDEMENTS JURIDIQUES

Section I : La délimitation de la mer territoriale

Section II : La délimitation du plateau continental et de la ZEE

CHAPITRE II : DES ELEMENTS DE REPONSE

Section I : L’équité et le droit

Section II : La mesure de la pertinence des techniques de

délimitation

TITRE II : L’ AMBIGUITE DE LA FONCTION DE L’EQUITE

CHAPITRE I : L’EQUITE, UNE FONCTION CREATRICE

Section I : L’« Equité créatrice » et pratique jurisprudentielle

Section II : L’équité, fonction normative de la pratique des Etats

CHAPITRE II : L’EQUITE, UNE FONCTION CORRECTRICE

Section I : L’« Equité correctrice » et la pratique jurisprudentielle

Section II : L’Equité, fonction correctrice de la pratique des Etats

PARTIE II : L’ EQUITE , UNE NOTION IDENTIFIABLE

TITRE I : UNE OBLIGATION DE MOYENS : LES METHODES DE DELIMITATION

CHAPITRE I : LE POINT DE DEPART : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EQUITABLE

Section I : La pertinence de la méthode de l’équidistance

Section II : La pertinence de la zone de délimitation

CHAPITRE II : LA CORRECTION EQUITABLE DE LA DELIMITATION

Section I : Les circonstances pertinentes et les circonstances

spéciales au regard des principes équitables

Section II : Des circonstances pertinentes identifiées

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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TITRE II : UNE OBLIGATION DE RESULTAT : L’OBTENTION D’UN RESULTAT EQUITABLE

CHAPITRE I : L’APPREHENSION DE L’EQUITABLE PAR LE JUGE

Section I : L’effet accordé aux circonstances pertinentes

Section II : Le balancement entre les différentes circonstances

pertinentes

CHAPITRE II : LA VERIFICATION DE L’EQUITE DU RESULTAT

Section I : La place de la vérification dans la procédure

Section II : La méthode de la proportionnalité

CONCLUSION

L ISTE DES ARRETS ET SENTENCES CITES

ANNEXES

TABLE DES MATIERES

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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INTRODUCTION

« L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche et l’exploitation

de la mer. Et naturellement, les ambitions des Etats chercheront à dominer la mer pour en

contrôler les ressources » prophétisait le Général de Gaulle le 2 février 1969 à Brest, peu de

temps avant de démissionner de la présidence de la République. Lui qui avait lancé le célèbre

« vive le Québec libre ! » en 1967, se doutait-il qu’en février 2009, les derniers français

d’Amérique du Nord, les habitants de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, provoqueraient

une nouvelle crise diplomatique entre la France et le Canada en demandant l’extension du

plateau continental au-delà des 200 milles marins, et confirmeraient par là même la prédiction

de 19691. Si outre-Atlantique un scandale a éclaté lorsque la France déposa sa déclaration

d’intention devant la commission des limites du plateau continental, c’est que cette

réclamation remet en cause, ou semble remettre en cause, une sentence arbitrale sur les

délimitations entre le Canada et la France datant de 1992. Cette affaire montre à la fois

l’impact des questions économiques sur le droit de la mer, et à la fois les nouveaux

contentieux à venir en matière de délimitations maritimes.

En suivant cette affaire franco-canadienne, on constate une transformation du sens des

différentes zones maritimes en jeu. Ainsi, la députée2 de Saint-Pierre et Miquelon, Annick

Girardin a pu expliquer que « la France (devait) exercer sa souveraineté nationale »3. Dit

ainsi, l’enjeu peut être assimilé à un conflit frontalier. Or, même si les nuances s’amenuisent,

une délimitation maritime n’est pas assimilable à une frontière terrestre.

De manière générale en droit international public, la frontière peut être définie comme étant

« la ligne d’arrêt des compétences étatiques »4, tandis que la cour internationale de justice

(CIJ) a défini la ligne de délimitation maritime comme « la ligne exacte ou les lignes exactes

de rencontre des espaces où s’exercent respectivement les pouvoirs et droits souverains »5 de

deux Etats. La première différence de taille tient au fait que la frontière renvoie à la

1 Pour en savoir plus sur la crise diplomatique franco-canadienne : Dupont Gaelle, « Les fonds marins, objet de convoitise pour les Etats », Le Monde, 13 mai 2009 ; Sabourin Clément, « Querelle Ottawa-Paris autour des fons marins de Saint-Pierre et Miquelon », dépêche AFP, 25 mars 2009 ; Dossier « Plateau continental : la France étend ses eaux », Le Marin, n°3227, 15 mai 2009 2 Au-delà des querelles grammaticales, Annick Girardin se fait appeler Madame la députée. 3 Depriek Matthieu, « Saint-Pierre et Miquelon cherche à récupérer un bout d’océan », L’Express, 25 mars 2009 4 Dupuy Pierre-Marie, « Droit international public »,Dalloz, Paris, 2008, 9ème édition, p.43 5 Plateau continental de la mer Egée, arrêt 19 décembre 1978, Recueil CIJ 1978, § 85, p. 35

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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souveraineté, or en mer, celle-ci ne s’exerce que dans les eaux intérieures6 et sur la mer

territoriale7 (avec une nuance à la notion de souveraineté, puisque il existe un droit de passage

inoffensif des navires sur cette zone). Les autres zones comme la zone contigüe8, la zone

économique exclusive9 et le plateau continental10 sont des espaces sur lesquels l’Etat n’exerce

que des droits souverains d’ordre économique. C’est pourquoi les auteurs en droit

international public considèrent souvent que le terme « limite », pour parler de la séparation

en mer entre deux Etats, convient mieux que le terme « frontière ». Pourtant, d’autres auteurs,

et même des juges, considèrent que l’on peut parler de « frontière maritime » (terminologie

que nous adopterons par commodité), à l’instar du juge Bedjaoui selon qui « les délimitations

maritimes donnent lieu à l'existence de "frontières" véritables. L'étendue des compétences de

l'Etat est sans doute différente pour les limites maritimes par rapport aux frontières

terrestres. Mais cette différence est de degré non de nature, même si certaines limites

maritimes ne "produisent" pas une exclusivité et une plénitude de compétence étatique »11. De

fait, on constate un certain rapprochement entre frontières terrestres et délimitations

maritimes, tant dans le règlement des litiges que dans l’exercice de la souveraineté. La preuve

en est que de plus en plus de contentieux présentés à la CIJ ou à un tribunal arbitral

concernent à la fois frontières terrestres et frontières maritimes12. De plus, la charge

émotionnelle qui était attribuée aux seules délimitations terrestres se retrouve de plus en plus

dans le contentieux en mer, puisque dans les deux cas, on est à la recherche d’une certaine

stabilité propice au développement économique. Le conflit autour de la péninsule de Bakassi

au Cameroun en est l’exemple parfait.

Toutefois, le développement des litiges en matière de délimitations maritimes a

entraîné le développement du système de règlement des différends. Le règlement judiciaire

des questions de frontières maritimes n’est pas nouveau. Dès le début du XXème siècle, il fut

traité de questions de délimitation par des tribunaux arbitraux. Ce fut le cas notamment dans

6 Eaux intérieures : eaux situées en deçà des lignes de base 7 Mer territoriale : zone de mer adjacente aux eaux intérieures de l’Etat côtier et sur laquelle il exerce sa souveraineté. Cet espace s’étend jusqu’aux 12 milles marins au-delà de la ligne de base 8 Zone contigüe : espace adjacent à la mer territoriale et sur lequel l’Etat peut exercer certains droits (fiscaux, douaniers,…), et s’étendant jusqu’à 24 milles marins. 9 Zone économique exclusive : zone adjacente à la mer territoriale et s’étendant jusqu’à 200 milles marins, sur laquelle l’Etat a des droits souverains (protection, exploitation, installation…) 10 Plateau continental : fonds marins, sols et sous-sols au-delà de la mer territoriale et dans le prolongement naturel du continent. S’étend jusqu’au rebord de la marge continentale ou jusqu’aux 200 milles. 11 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, sentence du 31 juillet 1989, RSA, volume XX, opinion dissident de M. Mohammed Bedjaoui, § 22, p. 154 12 Pour approfondir : Bardonnet Daniel, « Frontières terrestres et frontières maritimes », AFDI 1989, p. 1

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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l’affaire opposant la Suède à la Norvège, dite des Grisbådarna 13, ou encore l’affaire du canal

de Portland opposant la Grande-Bretagne aux Etats-Unis14. A côté du rôle des tribunaux

arbitraux s’est développée la compétence de la CIJ, dont la majorité des affaires traitées fût

longtemps des questions de délimitation.

La Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10

décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994 (ci-après convention de Montego

Bay), est venue préciser les différents modes de résolution des conflits dans cette matière.

Pour cela, elle s’appuie sur la charte des Nations-Unies du 26 juin 1944, qui donne comme

principe à l’organisation des Nations-Unies et à ses membres de régler « leurs différends

internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité

internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger » (article 2 § 3). Ces

moyens pacifiques, d’après l’article 33 § 1 de la charte, sont de rechercher une solution « par

voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement

judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens

pacifiques de leur choix ». A partir de cela, la convention de Montego Bay va proposer

plusieurs procédures pour remplir l’objectif d’un règlement pacifique des différends. L’article

287 de la convention propose quatre procédures, dont seulement trois intéressent les conflits

de délimitations maritimes. Les Etats signant, ratifiant ou adhérant à la convention doivent

fournir une déclaration écrite expliquant le ou les moyens qu’ils choisissent. Ils ont le choix

entre :

- Le tribunal international du droit de la mer (constitué conformément à l’annexe VI de

la convention),

- La cour internationale de justice,

- Et un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII de la convention.

Nous avons déjà vu que la CIJ, « organe judiciaire principal » des Nations-unies d’après

l’article 92 de la Charte, avait traité la majorité des affaires de délimitations maritimes jusqu’à

l’entrée en vigueur de la convention en 1994. Ces dispositions de l’article 287 ont pu faire

craindre un éparpillement des règles de délimitation. En effet, dix-huit Etats s’étaient

prononcés pour la cour (au moins treize comme premier choix), dix-huit autres pour le

13 Sentence arbitrale rendue le 23 octobre 1909 dans la question de la délimitation d’une certaine partie de la frontière maritime entre la Norvège et la Suède, RSA 1909, volume XI, p. 147 14 Sentence arbitrale du 20 octobre 1903

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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tribunal international du droit de la mer qui siège à Hambourg (dont six comme choix

prioritaire), et enfin huit choisissaient l’arbitrage de l’annexe VII15.

Certains Etats ont ouvertement critiqué la CIJ, la considérant, à l’instar de la France, comme

un tribunal sur lequel plane un risque de « politisation ». Cela fit dire à Emmanuel Decaux,

paraphrasant François Mauriac, que les Etats « aiment tellement le règlement des différends

qu’ils se réjouissent qu’il y en ait plusieurs… »16.

Pourtant, quinze ans après l’entrée en vigueur de la convention de Montego Bay, force est de

constater que seuls les tribunaux arbitraux et la CIJ ont traité de problèmes de délimitation

maritime. Les arbitres (qui bien souvent ont été juges à la CIJ) appliquent les règles de

délimitation telles que les a indiquées la cour en y apportant parfois quelques innovations,

reprises ensuite par les juges de la CIJ. Le tribunal international du droit de la mer a créé une

chambre pour le règlement des différends relatifs à la délimitation maritime en 200817 sans

que pourtant un seul litige ne lui soit soumis (voir Annexe I). Les Etats semblent s’être

accommodés de la résolution des conflits par la cour ou un tribunal arbitral, ceux-ci

s’inspirant l’un de l’autre. C’est ainsi que nous ne délaisserons pas un organe pour un autre

dans cette étude, considérant la vocation universelle du droit de la délimitation maritime forgé

par les juges et arbitres.

Il est à noter que cette vocation universelle a eu un impact sur les délimitations

interétatiques des Etats fédéraux. Ceux-ci n’ayant pas de droit de la délimitation ont considéré

que dans la résolution des conflits, le droit international s’appliquait en droit fédéral. C’est

ainsi que nous pourrons être amené à traiter d’affaires comme la sentence arbitrale concernant

la frontière entre les émirats de Dubaï et Sharjah du 19 octobre 198118.

Toutes ces juridictions ont permis de développer ce que l’on peut être tenté d’appeler

un droit de la délimitation maritime. Nombre d’Etats ont déjà demandé à ce que les juges ne

leur expliquent les règles de délimitation en mer ou ne délimitent les espaces maritimes entres

deux Etats voisins. Dès les premières affaires de délimitation sont arrivées les notions de

15 Pour une analyse précise des déclarations des Etats, on se réfèrera à Decaux Emmanuel, « Les eaux mêlées de l’arbitrage et de la justice (droit de la mer et règlement des différends) », in « La mer et son droit, mélanges offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre Queneudec », Pédone, Paris, 2003, pp. 159-176 16 Ibid. p. 162 17 Résolution sur la chambre pour le règlement des différends relatifs à la délimitation maritime, Tribunal international du droit de la mer, 7 octobre 2008, http://www.itlos.org/documents_publications/documents/vre%2026%2009%20pm%2004-03.pdf 18 Affaire du Différend Frontalier entre Dubaï et Sharjah. (Emirat de Dubaï c. Emirat de Sharjah), Sentence du 19 octobre 1981, non publiée, citée dans Despeux Gilles, « Droit de la délimitation maritime, commentaire de quelques décisions plutoniennes », Peter Lang Gmbh, Frankfurt am Main, 2000

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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principes équitables et surtout d’équité, notion qui traverse les temps, appréhendé en premier

lieu par les philosophes puis ensuite par les juristes pour revêtir une signification particulière

en droit de la mer.

• L’Equité : un principe de droit naturel

Nombreux sont les philosophes et les penseurs qui se sont penchés sur la question de la

justice et du droit. Le droit est-il toujours juste ? Peut-on aller au-delà du droit pour parvenir

au juste ? Le premier à avoir réellement formulé des réponses à ces interrogations est le grec

Aristote, bien que du temps du Roi David en Palestine, on se posait déjà la question des

éléments nécessaires pour une décision juste. On a ainsi pu lire dans la Bible le psaume selon

lequel « Amour et Vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent »19. On retrouvera plus

tard dans la pensée judéo-chrétienne le souci de la justice au-delà de l’application stricte du

droit.

Le terme équité vient du latin equitas qui signifie « égalité d’âme », mais on le trouve aussi en

grec chez Aristote : epieikeia. Ce terme désigne une correction à la loi écrite. Plus

précisément, pour le philosophe athénien, les lois humaines sont limitées et elles ne peuvent

prendre en compte toutes les considérations. Ainsi, l’Homme pourrait corriger l’application

stricte de la loi pour s’adapter aux cas particuliers. Aristote exprime sa pensée en énonçant

que «ce qui est équitable, tout en étant juste, ne l’est pas conformément à la loi ; c’est comme

une amélioration de ce qui est juste selon la loi. La raison en est que toute loi est générale et

que, sur des cas d’espèce, il n’est pas possible de s’exprimer avec suffisamment de précision

quand on parle en général»20. On peut donc distinguer pour parvenir à l’idée de justice, droit

et équité. L’équité n’est pas une règle de droit dans cette optique, mais le droit et l’équité ne

peuvent être séparés si l’on souhaite parvenir au juste, le général et le particulier s’alliant pour

parvenir à la justice.

On retrouve cette idée dans la pensée judéo-chrétienne, tout en dépassant la seule

rationalité d’une pondération du droit. Elle y inclut un sentiment d’humanité, de clémence

ainsi que de miséricorde. Il s’agit de faire une synthèse entre justice et amour du prochain,

entre raison et sentiment. Cela conduit à une herméneutique juridique. On interprète le droit et

19 « Psaume 85 (84), prière pour la paix et la justice », in « Bible de Jérusalem », Les éditions du CERF/Groupe Fleurus, Paris, 2001, p. 1162 20 Aristote, « Ethique à Nicomaque », Livre V, Chapitre X, GF-Flammarion, Paris, 1992, p. 162

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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on dissipe les éléments flous du texte. Cette pensée a pu inspirer Grotius, mais aussi plus

récemment Vladimir Jankélévitch21.

Ces différentes visions de l’équité font de cette notion un principe de droit naturel, dans le

sens où elle semble être inscrite dans l’ordre de la nature, ou dans la nature de l’homme, par

opposition à un droit positif établi par la société.

A côté de cette interprétation naturaliste, on peut opposer une conception plus

volontariste développée en particulier par John Rawls. Selon lui, les hommes désirant vivre en

communauté posent des limites à leurs liberté pour le bien de celle-ci, mais en contrepartie,

l’homme est en droit d’espérer des avantages de cette obéissance au système : « nous n’avons

pas à tirer profit de la coopération des autres sans contrepartie équitable »22. Cet avantage

est appelé par John Rawls, un principe d’équité.

• L’Equité : un principe universel

La notion d’équité a transpiré dans de nombreux systèmes juridiques. La CIJ le notait

dans son arrêt de 1982 en disant que « dans l'histoire des systèmes juridiques, le terme équité

a servi à désigner diverses notions juridiques. On a souvent opposé l'équité aux règles rigides

du droit positif, dont la rigueur doit être tempérée pour que justice soit rendue »23. En effet,

on connait l’exemple du système anglo-saxon de la Common Law qui est tempéré par

l’ Equity. Le principe d’équité se retrouve aussi dans le système romano-germanique (Europe

de l’ouest, Amérique du Sud, anciennes colonies françaises, etc.). Dans le droit romain, le jus

honorarium (dispositions prises par les magistrats) permettait de compléter, soutenir ou

corriger le jus civile (droit contenu dans les lois, plébiscites, sénatus consultes, constitutions

impériales).

Le juge Fouad Ammoun recense, dans son opinion individuelle jointe à l’arrêt de 1969

rendu dans l’affaire du plateau continental de la mer du Nord, les mécanismes faisant appel à

l’équité dans la plupart des grands systèmes juridiques24. Ainsi, l’Istihan, l’une des sources du

21 Grotius Hugo, « Du droit de la guerre et de la paix », Presses Universitaires de France, Collection Quadrige Grands textes, Paris, 2005 ; et Jankélévitch Vladimir, « Traité des vertus », tome II, Flammarion, Paris, 1993 22 Rawls John, « Théorie de la Justice », Editions du Seuil, Points Essais, Paris, 1997, p. 142 23 Plateau continental (Tunisie / Jamahiriya Arabe Libyenne), Arrêt, 24 février 1982, Recueil CIJ 1982, § 71 p. 60 24 Plateau continental de la mer du Nord, Arrêt, 20 février 1969, Recueil CIJ 1969, Opinion individuelle de M. Fouad Ammoun,§ 38 p. 139

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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droit musulman autorise les jugements en équité. On retrouve aussi dans le droit chinois « la

primauté de la loi morale et du sens commun de l’équité, en accord avec la philosophie

marxiste-léniniste »25. Le droit hindou invite le juge à statuer selon la justice et l’équité. Le

juge Fouad Ammoun termine son analyse en expliquant qu’« un principe général de droit

s’est, en conséquence, établi, que le Droit des Gens ne pouvait s’empêcher d’accueillir,

fondant les relations juridiques entre les Nations sur l’équité et la Justice »26.

Bien que cette conclusion soit fondée, le juge Weeramantry invite à ne pas conclure

trop vite à la similitude entre les principes d’équité des différents systèmes juridiques et

l’équité telle qu’on l’entend en droit international27.

Nous avons déjà vu que l’article 1 de la charte des Nations-Unies invitait les Etats et la

communauté internationale à « maintenir la paix et la sécurité internationale » et cela

« conformément aux principes de la justice et du droit international ». Par ce biais, la notion

d’équité a pu s’intégrer au droit international comme étant en dehors du droit, pour parvenir à

un règlement juste. C’est ainsi que le statut de la CIJ prévoit à l’article 38 § 2 que la cour « a

la faculté […] si les parties sont d’accord, de statuer ex aequo et bono28 ». Dans ce cas de

figure, l’équité a une fonction supplétive, puisque le règlement approprié est indépendant des

règles de droit. Mais notons que cette forme d’équité ne s’applique que lorsque les parties

sont d’accord, or cela ne s’est jamais produit. La cour n’a jamais non plus considéré un

principe d’équité comme un principe général de droit reconnu par les nations civilisées,

comme lui en aurait donné la possibilité l’article 38 § 1 de son statut29. Olivier Pirotte

explique cela par une méfiance à l’égard de l’équité, car « la cour doit dire le droit et non

rendre une justice subjective sous le couvert de règles morales vagues, souvent contestables,

plus ou moins assimilées à l’équité »30. Pourtant, en 1969, la notion d’équité va faire une

arrivée surprenante en droit de la délimitation maritime.

25 Ibid. 26 Op. cit. p. 140 27 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark / Norvège), Arrêt, 14 juin 1993, Recueil CIJ 1993, opinion individuelle de M. Weeramantry, § 51, p. 226 28 « Selon ce qui est équitable et bon » 29 Article 38 § 1 c) Statut de la CIJ : « La cour dont la mission est de régler conformément au droit international les différents qui lui sont soumis, applique : les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». 30 Pirote Olivier, « La notion d’équité dans la jurisprudence récente de la cour internationale de justice », RGDIP, Paris, tome 77, 1973/1, p. 93

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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• L’Equité : une spécificité en droit de la mer

D’après la doctrine, il peut être fait la distinction entre trois types d’équité : l’équité

contra legem, qui est utilisée en contradiction avec le droit ; l’équité praeter legem, qui est

utilisée au-delà du droit pour en combler les lacunes ; et l’équité infra legem, qui est utilisée

dans le cadre du droit existant. Le développement du droit des délimitations en mer par le

biais de la justice internationale va se faire grâce à un principe d’équité infra legem. Même si

cette vision n’apparaît pas immédiatement en 1969, la CIJ explique en 1982 que « la notion

d’équité est un principe général directement applicable en tant que droit »31, ce qui fait d’elle

une source autonome de normativité. Elle ne va pas à l’encontre du droit puisque le droit des

délimitations est très général et ne trouve pas une solution à côté du droit. Car il s’agit bien de

faire de la règle énoncée en l’espèce une règle de droit. La cour, suivie par les tribunaux

arbitraux, va donc fonder toutes les affaires de délimitation maritime qui lui sont soumises sur

un principe d’équité.

A l’instar de Voltaire qui faisait dire dans sa tragédie « Mérope » au tyran de Messène

Polyphonte, « mais j’ai trop d’ennemis, et trop d’expérience pour laisser le hasard arbitre de

mon sort », les témoins de cette audace jurisprudentielle se sont inquiétés, poussant les juges à

préciser leurs pensées au fur et à mesure des affaires, pour ne pas laisser le subjectif régler un

litige.

Comme nous venons de le voir, la notion d’équité est considérée en droit

international public comme une source subsidiaire du droit. Pourtant, elle n’en demeure

pas moins une notion autonome en droit de la mer, et particulièrement en droit des

délimitations maritimes. Toutefois, cette notion dans le contentieux international de la

délimitation maritime peut-elle être définie tant sur la forme que sur le fond ? Ainsi,

peut-on dire précisément dans quelle catégorie juridique elle se classe, et son contenu

peut-il être défini ?

L’équité comporte deux aspects : ce qui peut être appréhendé et reconnaissable de

manière stable dans la jurisprudence des différentes juridictions compétentes (partie II), et ce

qui ne peut être identifié de manière certaine, entrainant une difficulté de classification

juridique (partie I).

31 Rec. CIJ. 1982, § 71, p. 60

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

20

PARTIE I : L’E QUITE , UNE NOTION INDEFINIE

Classer l’équité dans la hiérarchie des normes aux vues des éléments déjà exposés est

ardu, mais deux critères peuvent aider dans cette tâche : la nature juridique de l’équité (titre I )

et sa fonction (titre II ). Mais toutes deux présentent un caractère ambivalent ou ambigu.

TITRE I : L’ AMBIVALENCE DE LA NATURE JURIDIQUE DE L’EQUITE

La nature juridique de l’équité revêt une certaine ambivalence. D’un côté, et de

manière général, la notion d’équité est présentée comme une source subsidiaire du droit, or le

droit de la mer, et plus particulièrement le droit de la délimitation maritime de par son

évolution, en fait une notion autonome. Cette ambivalence se traduit par son évolution

(Chapitre I ), mais aussi par les éléments que donnent les juges et arbitres permettant d’établir

plusieurs théories (Chapitre II ). Quels fondements permettent de faire passer au premier plan

l’Equité, alors qu’il ne s’agit que d’une source subsidiaire du droit international ?

CHAPITRE I : L’EVOLUTION DES FONDEMENTS JURIDIQUES

L’équité sous-tend toute l’histoire de la délimitation des espaces maritimes. Ses

origines ne sont pas si évidentes à déterminer. Tout dépend de si l’on considère qu’il existe un

droit ou des droits de la délimitation maritime. En effet, selon que l’on considère la

délimitation de la mer territoriale (Section I), ou la délimitation du plateau continental

(section II), l’origine et l’évolution de l’intervention de l’équité diffère. Pourtant elle est

présente dans tout le processus et des points communs demeurent. Pour reprendre les termes

du Professeur Prosper Weil, c’est l’opposition entre « université et diversité »32.

32 Weil Prosper, « Perspectives du droit de la délimitation maritime », Editions A. Pédone, Paris, 1988, p. 107

Page 22: CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

21

Section I : La délimitation de la mer territoriale

La délimitation de la mer territoriale est le socle à partir duquel un droit de la

délimitation maritime va se bâtir. Ses origines s’étalent sur plusieurs décennies (A) pour

parvenir à la règle et à une certaine stabilité de la règle « accord / équidistance / circonstances

spéciales » (B).

A°/ Les fondements

Difficilement identifiable, l’équité n’en demeure pas moins sous-jacente à tout le

contentieux des délimitations maritimes. Elle imprègne chaque opération.

Commençons donc par la première des zones maritimes à délimiter, à savoir la mer

territoriale, zone s’apparentant le plus au territoire terrestre puisqu’en principe « la

souveraineté de l’Etat s’étend au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures [...]à une

zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale »33.

La question fût longtemps de savoir quelle pouvait être la largeur de la mer territoriale.

Depuis le livre De justo imperio Lusitanorum Asiatico, de Frère Sérafim de Freitas, publié en

1625 en réponse au chapitre De mare liberum de l’ouvrage De jure praedae (publié en 1605)

écrit par Hugo Grotius, le principe est acquis que la mer adjacente au territoire terrestre aura

une largeur dépendant de la puissance du « dominateur terrestre ». Cette idée sera précisée

par le hollandais Cornélis Van Bynkershoek, qui énonce que les eaux territoriales sont

déterminées par la portée des canons. En 1782, cette largeur est considérée comme étant de 3

milles nautiques par l’italien Ferrante Galiani. Pour autant, tous les Etats n’appliqueront pas

cette largeur de 3 milles. Il faudra attendre la convention de Montego Bay pour que la largeur

soit fixée pour tous les Etats signataires à 12 milles nautiques.

33 Article 2 § 1 de la convention des nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

22

Bien que 3 et 12 milles34 ne soient de faibles distances, il n’en demeure pas moins que des

contentieux peuvent apparaître quant à la délimitation des frontières en mer. Ces contentieux

liés à la mer territoriale sont à l’origine même de l’apparition de la notion d’équité dans le

droit de la délimitation maritime. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la délimitation de

la mer territoriale est le point de départ de l’apparition de l’équité, alors qu’aujourd’hui, très

peu de contentieux traitent de cette partie. Pourtant, la délimitation de la mer territoriale revêt

un intérêt stratégique étant donné la proximité avec la souveraineté du territoire terrestre.

Plusieurs fois l’histoire a démontré le risque que pouvaient avoir de tels contentieux pour les

relations entre deux pays. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler de la guerre évitée in

extremis par le Pape Jean-Paul II en 1978, entre le Chili et l’Argentine au sujet du Canal de

Beagle. Huit heures après l’arrivée de l’émissaire du Pape, les troupes argentines auraient dû

envahir le territoire chilien. Plus grave fût la guerre dite « du Football » ou « de cent heures »

qui opposa le Honduras à la république d’El Salvador en juillet 1969, et dont le contentieux

territorial ne fût réglé par la CIJ qu’en 199235. Dans les affaires récentes, les juges et arbitres

ont eu à traiter de la délimitation de la mer territoriale entre la Guinée et la Guinée-Bissau36,

entre le Chili et l’Argentine37 ou encore entre l’émirat de Dubaï et l’émirat de Sharjah38.

Avant qu’il n’y ait une première codification des règles applicables en droit de la mer,

les arbitres internationaux ont eu à connaître plusieurs litiges. Le premier qui sera à l’origine

des règles de délimitation maritime moderne est le conflit qui opposa la Suède à la Norvège

dans l’affaire dite des Grisbådarna39. En 1661, un traité avait été signé entre la Norvège (alors

unie au Danemark) et la Suède afin de délimiter leur frontière. Or, en 1815, suite aux guerres

napoléoniennes, la Norvège fut rattachée à la Suède sans que ne se pose la question des

frontières. En 1905, la Norvège déclare son indépendance unilatéralement, sans réelle

opposition de la Suède. Quatre ans plus tard, le 23 octobre 1909, la cour permanente

34 Respectivement 5,556 et 22,224 kilomètres 35 Pour en savoir plus : Kapuściński Ryszard, « Il n’y aura pas de paradis, la guerre du foot et autres guerres et aventures », Plon, Pocket, Paris, 2003 36 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, Sentence du 14 février 1985, RSA volume XIX pp. 149-196 37 Arbitrage concernant le Canal de Beagle entre la République Argentine et le Chili, Sentence du 18 février 1977, RSA volume XXI, pp. 53-264 38 Affaire du Différend Frontalier entre Dubaï et Sharjah. (Emirat de Dubaï c. Emirat de Sharjah), Sentence du 19 octobre 1981, non publiée, citée dans Despeux Gilles, « Droit de la délimitation maritime, commentaire de quelques décisions plutoniennes », Peter Lang Gmbh, Frankfurt am Main, 2000 : cette affaire concerne deux Etats fédérés, mais les arbitres ont du utiliser le droit international arguant du fait que le droit fédéral des Emirats Arabes Unis ne contenait aucune règle en matière de délimitation maritime. 39 Affaire des Grisbådarna (Norvège, Suède), Sentence du 23 octobre 1909, RSA volume XI pp. 147-166

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

23

d’arbitrage rendait pour la première fois une sentence au sujet d’un problème de délimitation

maritime. La question était de savoir si le traité de 1661 établissait une délimitation en mer. Si

cela n’était pas le cas, il revenait au tribunal arbitral de délimiter « en prenant en compte des

circonstances de fait et des principes du droit international »40. L’arbitrage allait surtout

porter sur la possession d’un banc de sable, le banc des Grisbådarna, très riche en homards,

ainsi que sur le banc de Skjöttegrunden, très prisé des pêcheurs norvégiens. Chacune des

parties proposait une délimitation à l’aide d’une ligne médiane, mais pour la Suède, entre des

terres inhabités, et pour la Norvège, entre certaines îles. La cour rejette ces prétentions et à la

ligne dictée par le droit, elle apporte des infléchissements tenant compte de « circonstances de

fait », attribuant ainsi les Grisbådarna à la Suède41 au motif que la pêche aux homards y est

effectuée surtout par les pêcheurs suédois et que les Suédois y ont réalisés des aménagements

liés en partie à la sécurité de la navigation.

On peut voir dans ces « circonstances de fait » l’ancêtre des « circonstances

spéciales » qui retiendront l’attention des juges après 1958, reflet de l’équité dans le processus

de délimitation. Cette sentence aura un impact non négligeable sur des négociations futures,

comme ce fut le cas dans la délimitation entre la Lybie (italienne à l’époque) et la Tunisie

(française)42.

B°/ La règle Accord / Equidistance / Circonstances spéciales

Pendant de longues années, il n’a pas été possible de déterminer des règles

coutumières applicables en matière de délimitation. L’affaire des Grisbadårna n’est qu’une

exception.

Peu avant ce litige, deux litiges opposent le Royaume-Uni et les Etats-Unis43 au sujet de la

détermination du chenal séparant le continent américain à l’Ile de Vancouver, et du canal de

40 Article 3 de la Convention entre la Norvège et la Suède pour soumettre à l’arbitrage la question ayant trait à certaine partie de la frontière maritime entre les deux pays relativement aux récifs de Grisbådarna, signée à Stockholm le 14 mars 1908, RSA volume XI, p.153 41 Cf. Annexe II 42 Voir en ce sens : Rhee Sang-Myon, «Sea boundary delimitation between States before the world war II », AJIL, vol. 76, n°3, Juillet 1982, pp.555-588 43 Sentence arbitrale de l’Empereur d’Allemagne du 21 octobre 1871, citée dans, Lucchini Laurent et Voelckel Michel, « Droit de la mer », tome 2, volume 1, Editions A. Pédone, Paris, 1996, p. 36

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

24

Portland44. Dans le premier cas, la délimitation suit le milieu du chenal, et dans la deuxième

les arbitres utilisent une ligne médiane. Mais les Etats utilisent dans de nombreux traités

d’autres méthodes : thalweg (traité du 28 octobre 1922 entre la Russie et la Finlande ; sert

surtout à délimiter les chenaux et les détroits), ligne médiane (accord entre la Suède et la

Norvège du 15 mars 1904 relativement à la frontière établie dans la Baie de Christiana), titre

historique, tracé perpendiculaire à la direction générale de la côte, etc.

Bien que la conférence de 1930 sur la codification du droit international tente de fixer

des règles concernant la délimitation de la mer territoriale, il faudra attendre 1958 pour avoir

une réponse claire du droit. En effet, cette année là se réunit à Genève la première conférence

des Nations Unies sur le droit de la mer. Malgré les nombreux échecs, une convention sur la

mer territoriale et la zone contigüe fut signée le 29 avril 1958. Elle prévoit à l’article 12 alinéa

1 que «lorsque les côtes de deux Etats se font face ou sont limitrophes, aucun de ces Etats

n’est en droit, à défaut d’accord contraire entre eux, d’étendre sa mer territoriale au-delà de

la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes

de bas45e à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux

Etats. Les dispositions du présent paragraphe ne s’appliquent cependant pas dans le cas où, à

raison de titres historiques ou d’autres circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter

la mer territoriale des deux Etats autrement qu’il n’est prévu dans ces dispositions ». Cet

article prévoit donc une étape préliminaire, à savoir la recherche d’un accord, un principe de

délimitation (la méthode de la ligne médiane qui peut se définir comme étant le tracé de « la

ligne dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base »46)

et une atténuation du principe, soit par l’existence de titres historiques, soit par l’apparition de

« circonstances spéciales ». Cette dernière appellation n’est pas sans rappeler les

« circonstances de fait » de la sentence de 1909. La question qu’aura à se poser le juge ou

l’arbitre est de savoir ce que l’on peut mettre derrière ces circonstances spéciales.

44 Sentence du 20 octobre 1903, ibid. 45 Ligne de base : il s’agit de la limite à partir de laquelle sont mesurés les espaces maritimes. Le plus souvent, cette limite est la laisse de basse mer, c'est-à-dire la limite des zones toujours couvertes par la mer (en dehors des phénomènes météorologiques exceptionnels. Lorsque la côte est échancrée, la ligne de base peut être droite. 46 Ortolland D., Pirat J.P. (Dir.), « Atlas géopolitique des espaces maritimes, frontières, énergie, pêche et environnement », Editions Technip, Paris, 2008, p. 13

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

25

Il est à noter que cette règle est partiellement la même dans la convention de la même date sur

le plateau continental. Il n’y est pas fait mention des titres historiques, titres qu’on peut définir

comme étant des droits attestés par un usage pacifique dans la durée.

La convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre

1982 reprend dans son article 15, le contenu exact de l’article 12 de la convention de 1958 sur

la mer territoriale, alors que la partie concernant la délimitation du plateau continental et la

ZEE ne reprend pas la règle « équidistance / circonstances spéciales ».

Sur une zone maritime d’une si petite largeur, peu d’éléments peuvent perturber le

tracé d’une ligne médiane au point d’être inéquitable. Toutefois, prenons l’exemple de

l’arbitrage entre l’Erythrée et le Yémen47, considéré par certain comme comptant « among the

more important cases in the international adjudication and arbitration »48. Du 15 au 17

décembre 1995, un conflit éclata entre l’Erythrée et le Yémen au sujet des Iles Hanish. Ce

conflit était latent puisque datant de la dissolution de l’empire Ottoman et de la création des

empires coloniaux italiens et britanniques. En effet, jusqu’en 1923, l’empire Ottoman puis la

Turquie ont revendiqué la souveraineté sur les îles Hanish, situées à mi-distance entre les

actuelles côtes yéménites et érythréennes. De 1923 et jusqu’à la défaite de l’Italie en 1941,

elles furent administrées par l’administration coloniale italienne installée en Erythrée pour

être mise ensuite sous protectorat britannique. Dans les années 1970, le Yémen comme

l’Erythrée (annexée par l’Ethiopie à cette période) réclament la souveraineté de cet archipel.

Après son indépendance en 1991, l’Erythrée continue de revendiquer ces îles jusqu’à les

envahir militairement en 199549.

Suite à cet épisode qui fit une vingtaine de morts, des négociations commencèrent avec

notamment la médiation de la France et aboutirent à la signature d’un compromis d’arbitrage.

La cour permanente d’arbitrage rendit deux sentences, la première traitant des questions de

souveraineté territoriale50 et la seconde des délimitation maritimes51. La sentence rendue en

1998 avait attribué la plus grande partie des îles Hanish au Yémen. Il ne restait donc plus qu’à

47 Sentence du tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape entre l’Erythrée et la République du Yémen (délimitation maritime), 17 décembre 1999, RSA, volume XXII, pp. 335-410 48 Kwiatkowska B., « The Erithrea/Yemen arbitration : Landmark Progress in the acquisition of territorial sovereignty and equitable maritime boundary delimitation”, IBRU Boundary and security bulletin, 2000, volume 8, n°1, p.66 : “parmi les cas les plus important des jugements et arbitrages internationaux” 49 Pour comprendre tous les enjeux : Dzurek D.J. « Eritrea-Yemen dispute over the Hanish Islands » IBRU Boundary and Security bulletin, 1996, volume 4 n°1, pp. 70-77 50 Sentence rendue par le tribunal arbitral dans la première étape de la procédure (souveraineté territoriale et champ du différend) », 9 octobre 1998, RSA, volume XXII, pp. 211-334 51 Affaire Erythrée/Yémen, loc. cit.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

26

effectuer la délimitation de la frontière maritime entre les deux Etats. Sur les trois grands

tronçons que doit fixer la cour, le tribunal arbitral a pris en compte de manière fort différente

chaque île. Ainsi, l’île Zubayr se trouve dépourvue d’effet sur la délimitation, tandis que les

îles Hanish ne se voient attribuer qu’un effet réduit. Ces traitements différents sont justifiés

par l’importance stratégique de la mer rouge, passage obligé de la majeure partie du trafic

maritime international.

A côté de cela, le tribunal considère que les zones de pêche et les pêcheries « ne sauraient

avoir d’effets significatifs sur la détermination par le Tribunal de la délimitation à laquelle il

conviendrait de procéder en vertu du droit international pour aboutir à une solution équitable

pour les deux Parties »52. Il en est de même pour les contrats et accords de concession

pétroliers consentis par les parties. Les arbitres invitent le Yémen et l’Erythrée à rechercher

des possibilités d’exploitation commune ou partagée des différentes ressources de la mer

rouge.

Section II : La délimitation du plateau continental et de la ZEE

Les délimitations maritimes ont très rapidement concernées d’autres espaces aux

affectations différentes et aux régimes différents. Sur des fondements qui ont varié au cours

du temps, en particulier pour le plateau continental (A), les juges en viennent à unifier les

régimes des délimitations maritimes qui s’appliquaient à la ZEE et au plateau continental (B).

A°/ Les fondements

La délimitation du plateau continental est intimement liée à celle de la zone

économique exclusive, c’est pourquoi nous ne traiterons véritablement que du plateau

continental dans cette section.

Tout commence par l’une des célèbres déclarations du président américain Harry Truman du

28 septembre 1945 qui posa les bases d’une théorie juridique du plateau continental

permettant de justifier l’extension des droits de l’Etat riverain. En effet les Etats sont attirés

52 Ibid, p.474

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

27

par les richesses minérales que peuvent contenir le sol et le sous-sol du prolongement sous-

marin de leur territoire terrestre53. Après de nombreux débats sur la consistance réelle du

plateau continental, le droit de la mer le prend enfin en compte avec l’adoption lors de la

conférence de Genève sur le droit de la mer de 1958, d’une convention sur le plateau

continental. Cette dernière définit le plateau continental comme étant « le lit de la mer et le

sous-sol des régions sous-marines adjacentes aux côtes, mais situées en dehors de la mer

territoriale, jusqu’à une profondeur de 200 mètres ou, au-delà de cette limite, jusqu’au point

où la profondeur des eaux surjacentes permet l’exploitation des ressources naturelles

desdites régions »54.

Cette définition ou plutôt ces critères que l’on peut qualifier de « bathymétrique » (« jusqu’à

une profondeur de 200 mètres ») et d’ « exploitabilité » (« où la profondeur des eaux

surjacentes permet l’exploitation des ressources naturelles »)55 ont été fortement critiqués,

nécessitant alors de trouver une nouvelle définition.

C’est ainsi que lors de la IIIème conférence sur le droit de la mer qui aboutira à la

signature de la convention de Montego Bay, les plénipotentiaires vont chercher à clarifier la

définition du plateau continental. L’article 76 de la convention retient deux possibilités pour

définir juridiquement le plateau continental : il s’agit soit du fond et du sous-sol de l’océan

« au-delà de sa mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire

terrestre de cet Etat jusqu'au rebord externe de la marge continentale » ; soit du fond et du

sous-sol « jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la

largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à

une distance inférieure »56.

Une fois clairement identifié, le plateau continental de deux Etats se faisant face ou

dont les côtes sont adjacentes doit pouvoir être délimité. L’évolution de cette délimitation

n’est pas sans quelques péripéties.

53 Il est à noter qu’une autre déclaration Truman du même jour sur la revendication d’une zone de pêche dans les eaux adjacentes à la mer territoriale, est à l’origine des futures ZEE. 54 Article premier, Convention sur le plateau continental, faite à Genève le 29 avril 1958, entrée en vigueur le 10 juin 1964. Nations Unies, Recueil des traités, volume 499, p.311 55 Beurier Jean-Pierre (dir.), « Droits maritimes », Dalloz, Paris, 2008, 2ème édition, p.101 56 Article 76 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982, Nations-Unies, Recueil des traités, 1994, volume 1834, pp.1-178

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

28

La convention de 1958 sur le plateau continental permettant les prétentions étatiques

sur ce prolongement en mer du territoire terrestre prévoit, entre autres mesures, la délimitation

entre Etats. En effet, l’article 6 reprend en partie le contenu de l’article 12 de la convention de

la même date sur la mer territoriale et la zone contigüe à ceci près qu’il n’y a pas de référence

aux titres historiques. En clair, l’article 6 reprend la règle « équidistance/circonstances

spéciales », permettant une certaine unité du processus de délimitation des zones maritimes.

Toutefois, il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur le réel impact de cette règle pour

la délimitation du plateau continental. En effet, la convention signée en 1958 entre en vigueur

le 10 juin 1964, soit cinq ans avant que la CIJ ne rende son arrêt sur l’affaire du plateau

continental de la mer du Nord57. A partir de cet arrêt, comme dira le professeur Prosper Weil,

« la place occupée par l’article 6 est condamnée à se rétrécir comme peau de chagrin »58.

Dans cette affaire, la cour répond à trois Etats, la république fédérale d’Allemagne, les Pays-

Bas et le Danemark. En effet, ceux-ci s’opposent sur la délimitation du plateau continental. La

convention de 1958 n’étant pas ratifiée par l’Allemagne (et cela malgré les arguments

développés par les parties adverses sur l’applicabilité de l’article 6), elle n’est pas la règle de

délimitation qui sera utilisée en l’espèce. Les parties souhaitent dès lors savoir quels sont les

principes de droit applicables à la délimitation du plateau continental. Rejetant l’idée d’ériger

la méthode de l’équidistance comme un principe de droit coutumier, la cour va se fonder sur

l’ opinio juris en invoquant en premier lieu la déclaration Truman de 1945 « qui doit être

considérée comme ayant posé les règles de droit en la matière »59. Cette dernière énonçait

que la délimitation devait faire l’objet d’un accord entre Etats. De plus, elle précisait que « les

parties sont tenues d'agir de telle sorte que, dans le cas d'espèce et compte tenu de toutes les

circonstances, des principes équitables soient appliqués »60.

Toutefois, la démonstration de la cour n’est pas plus claire sur le fondement de l’emploi de

l’équité pour la délimitation du plateau continental. Elle parle de l’opinio juris sans pour

autant chercher en dehors de la proclamation Truman et de la commission du droit

international (dont elle parle aux paragraphes 48 à 55 de l’arrêt). En cherchant dans la

pratique des Etats après 1945, on trouve en effet l’application de principes équitables par

ceux-ci. C’est le cas par exemple d’une déclaration royale du royaume de l’Arabie Saoudite, 57 Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, CIJ, Recueil 1969, pp.3-57 58 Weil Prosper, « A propos du droit coutumier en matière de délimitation maritime », in « Ecrits de droit international », Collection Doctrine Juridique, Presses Universitaires de France, Paris, 2000, p.152 59 Rec. CIJ 1969, p. 48 60 Rec. CIJ 1969, p. 48

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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relative au sous-sol et au lit de la mer des zones du Golfe persique, en date du 29 mai 1949.

Celui-ci prévoit que « les limites de ces aires seront déterminées par notre gouvernement

conformément aux principes de l’équité par voie de convention avec les autres Etats »61.

Après une évolution jurisprudentielle importante, la IIIème conférence des Nations-

Unies sur le droit de la mer, va adopter dans la convention dite de Montego Bay, un article qui

ne reprend en rien l’article 6 de la convention de 1958, mais plutôt les principes issus de la

jurisprudence. L’article 83 § 1 de la convention de 1982 prévoit que « la délimitation du

plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face est effectuée par

voie d’accord conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du statut de

la cour internationale de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable ».

Cette même convention va prévoir la création d’une autre zone maritime sur laquelle

les Etats exercent d’autres souverains mais sur d’autres fondements. Pourtant la jurisprudence

va petit à petit se poser la question d’une ligne de délimitation unique.

B°/ La question de la ligne unique

La notion de ZEE a ceci d’intéressant qu’elle n’est pas, contrairement au plateau

continental, une zone dont l’existence est observée ipso facto et ab initio. C’est une

abstraction juridique qui ne peut être liée à la continuité géographique du fait de l’inexistence

de solidarité entre la terre et les ressources de la colonne d’eau.

En effet, la ZEE est une zone située au-delà de la mer territoriale et qui s’étend à 200

milles des lignes de base. L’Etat n’y exerce pas sa souveraineté mais y a des droits exclusifs

prévus à l’article 56 de la convention de Montego Bay qui ont trait à l’exploitation et la

conservation des ressources, à l’exploration et la recherche scientifique, etc. Régime nouveau

en 1982, la ZEE est l’héritière des « zones de pêche réservée »62 et des « zones de

61 N.U., série législative, « Lois et règlements concernant le Régime de la Haute Mer », vol. I, 1951, p.22, cité dans Lang Jack, « Le plateau continental de la Mer du Nord : arrêt de la cour international de justice, 20 février 1969 », Collection Bibliothèque de droit international, LGDJ, Paris, 1988, p.130 : y sont présentés d’autres exemples intéressants de la pratique des Etats. 62 Voir dans ce sens, la très intéressante affaire Compétence en matière de pêcherie (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, CIJ Recueil 1974, p.175.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

30

réglementation de pêcherie », faisant suite à la seconde déclaration Truman du 28 septembre

1945. Cette zone nouvelle va nous intéresser tout particulièrement en ce qui concerne sa

délimitation. L’article 74 § 1 de la Convention de Montego Bay reprend exactement la même

formulation que l’article 83 sur le plateau continental, prévoyant ainsi la recherche par les

Etats d’un accord afin d’aboutir à une solution équitable.

Maintenant, la question qui se pose et qui rejoint la problématique de la recherche

d’une unité de la notion d’équité dans le contentieux de la délimitation maritime, est de savoir

s’il est possible pour le juge de tracer une « frontière » maritime unique.

« Frontière » est certes un mot fort pour parler de délimitation, car il faut rappeler que « ni le

plateau continental ni la ZEE ne sont pas des zones de souveraineté »63 comme le rappelait en

1985 une sentence arbitrale. L’un accorde des droit sur les fonds sous-marins, l’autre sur la

colonne d’eau, ce que d’ailleurs Georges Scelle considérait comme une atteinte grave à

« l’unicité du domaine maritime »64. Pourtant le terme frontière est de plus en plus utilisé,

preuve que les Etats gardent toujours l’idée d’étendre leur souveraineté sur les mers. La cour

n’a pas manqué de rappeler en 2009 « qu’une frontière maritime délimitant le plateau

continental et les zones économiques exclusives ne doit pas être assimilée à une frontière

d’Etat séparant des territoires »65.

La délimitation unique revêt deux aspects différents : elle touche à la fois à la limite

extérieure (vers le large) et à la fois à la délimitation entre Etats. Nous n’étudierons pas les

limites vers le large (sauf lorsque les Etats se font face) bien que les évolutions récentes et à

venir soient très intéressantes, pour nous intéresser seulement à la frontière maritime unique

entre Etats. La question soulève de nombreux débats malgré une application assez uniforme

de ce principe par la jurisprudence. En effet, deux visions s’opposent : soit la superposition de

la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive est un principe à

éviter absolument, soit cette solution est la meilleure qu’il soit étant donné la multiplication

des revendications et des zones maritimes. Cette dernière position semble être celle prise par

la cour depuis l’affaire du Golfe du Maine. Elle présente le fondement de la ligne unique

comme étant logique car « avec l'adoption progressive, par la plupart des Etats maritimes,

63 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée Bissau, 14 février 1985, RSA, volume XIX, p. 194 64 Scelle Georges « Plateau continental et droit international », RGDIP, vol. 68, 1955, p.52 65 Affaire relative à la délimitation maritime en Mer Noire (Roumanie c/ Ukraine), 3 février 2009

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

31

d'une zone économique exclusive et, par conséquent, avec la généralisation de la demande

d'une délimitation unique, évitons autant qu'il est possible les inconvénients inhérents à une

pluralité de délimitations distinctes »66.

Et de fait, la pratique des Etats tend à démontrer qu’ils préfèrent traiter à la fois de la

délimitation du plateau continental et de la ZEE lorsqu’ils négocient un accord de

délimitation. Toutefois, cette affirmation reste à modérer, cette pratique ne permettant pas de

déterminer une source de droit coutumier pour la délimitation unique.

La question que l’on peut alors se poser est de savoir quels principes juridiques

pourraient fonder l’utilisation d’une ligne unique. Nous l’avons déjà vu, les articles 74 et 83

de la convention de Montego Bay ont exactement la même rédaction. Cela permet-il d’assurer

que la délimitation du plateau continental et de la ZEE doivent se superposer ? Bien

évidemment la réponse sera non, étant donné que l’équité pourra s’appliquer différemment

selon qu’il s’agisse d’une zone où s’exerce des droits souverains à des fins utiles, ou d’une

zone où s’exerce la souveraineté de l’Etat. Il en sera par conséquent de même pour les

circonstances pertinentes qui permettraient de modifier le tracé provisoire de la ligne de

délimitation. Pour certains, le fondement est uniquement une question d’opportunité. Et c’est

bien ce qu’a pu reprocher le juge Gros dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt de l’affaire

du Golfe du Maine. Les parties (Etats-Unis et Canada) considéraient que la simple volonté

commune des Etats était le fondement juridique pouvant presque être assimilé à une

circonstance pertinente, ce que la cour a retenu. Au juge Gros de se demander « quels sont les

motifs juridiques permettant d'appliquer cette demande aux faits de l'espèce, un certain

plateau continental et certaines zones de pêche, car s'il n'y a pas de réponse autre que la

transformation d'une demande des Parties en une circonstance spéciale, source de déductions

juridiques, le droit applicable se restreint à une appréciation à priori des Parties »67.

Au final, la jurisprudence de la cour n’a pas varié et le fondement de la ligne unique

demeure la volonté des Etats, comme le résume bien l’arrêt Qatar c/ Bahreïn : « le concept de

limite maritime unique n'est pas issu du droit conventionnel multilatéral mais de la pratique

66 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine , Arrêt, CIJ, Recueil 1984, p.327. 67 Op. diss. Gros, 1984, p. 364

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

32

étatique et qu'il s'explique par le vœu des Etats d'établir une limite ininterrompue unique

délimitant les différentes zones maritimes »68.

A travers le temps, nous comprenons que l’équité est à l’origine des règles de

délimitation qui se veulent semble-t-il assez pragmatique. Pour autant, cette forme de réalisme

juridique laisse perplexe quant à l’appréhension de la nature juridique de l’équité. Toutefois,

en élaguant un peu plus les jugements et sentences arbitrales, certains éléments de réponse se

dessinent.

CHAPITRE II : DES ELEMENTS DE REPONSE

Plusieurs indications permettent de définir les relations de l’équité avec le droit

(Section I), tout en lui donnant une valeur bien supérieure à une règle de droit classique lui

permettant d’être la mesure de la pertinence des techniques de délimitation (Section II).

Section I : L’Equité et le droit

La notion d’équité est avant toute chose, dans le cadre du droit des délimitations

maritimes, une notion juridique (A). Pour autant, à l’instar de nombreux auteurs, nous

pouvons nous demander si l’équité peut être comprise comme un principe général de droit ou

de justice (B).

A°/ Une notion juridique

Pour tenter de comprendre la place de l’équité dans la hiérarchie des normes

internationales, il est nécessaire de saisir la relation de celle-ci au droit. Pour cela, il existe

deux éléments de réponse donné par la jurisprudence : une définition négative, et une

définition positive.

68 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt, CIJ Recueil 2001, p.93

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

33

Chaque arrêt ou sentence explique dans les premiers temps que l’équité ne mène pas à

une décision rendue ex aequo et bono (article 38 § 2 statut de la CIJ). Ainsi, la première fois

que la cour fait usage d’une forme d’équité sans l’accord des parties, dans le cadre d’une

délimitation maritime, elle explique qu’il n’est « pas question en l'espèce d'une décision ex

aequo et bono qui ne serait possible que dans les conditions prescrites à l'article 38,

paragraphe 2, du Statut de la Cour »69. Il est intéressant de noter qu’elle rappelle par la suite,

que ce n’est pas la première fois qu’elle utilise une équité qui diffère de la règle prévue par le

statut de la CIJ70.

La cour et les arbitres internationaux font la distinction avec l’ex aequo et bono de la

même manière en 1982, 1984 et 1985, et ensuite, la chose semblant acquise, il n’est

aucunement fait mention de l’article 38 § 2, alors même que certains auteurs prétendent que

l’équité se rapproche inexorablement de la notion d’ex aequo et bono comme nous le verrons

par la suite71. Parlant de l’équité, le tribunal arbitral réuni en 1985 dans l’affaire opposant la

Guinée à la Guinée Bissau, explique que « cela ne signifie pas toutefois que le Tribunal soit

doté d'un pouvoir discrétionnaire ou soit habilité à décider ex aequo et bono. Il ne s'appuiera

que sur des considérations de droit »72.

Cette dernière remarque, issue d’une sentence arbitrale, permet d’en venir à la

définition positive de la notion d’équité. En effet, l’équité est de nature juridique. Elle se

rattache au droit.

Les citations consacrant et justifiant ce rattachement sont devenues célèbres. En effet, dès

1969, dans l’affaire du plateau continental de la mer du Nord, la CIJ explique qu’ « il ne

s’agit pas d’appliquer l’équité simplement comme une représentation de la justice abstraite,

mais d’appliquer une règle de droit prescrivant le recours à des principes équitables [...] le

juge doit procéder à une justification objective de ses décisions non pas au-delà des textes

mais selon les textes et [...] c’est précisément une règle de droit qui appelle l’application de

69 Rec. CIJ, 1969, § 88, p. 48 70 Affaire des jugements du tribunal administratif de l’OIT sur requête contre UNESCO, Recueil CIJ, 1956, p.100 71 Voir en ce sens, Weil. P., op. cit. p.179 ; Labrecque Georges « Les frontières maritimes internationales, géopolitique de la délimitation en mer », L’Harmatan, Paris, 2004. Il définit dans son lexique l’équité comme étant « l’application des principes de la justice. Moyen de corriger l’application trop stricte de la règle de droit, si les parties sont d’accord, d’en compléter le contenu, ou même de l’écarter » (p. 473). Cette définition est par divers aspects assez excessive et ne semble pas prendre en compte la jurisprudence, mais toutefois certains auteurs approchent l’équité dans la délimitation maritime à l’équité ex aequo et bono. 72 RSA, 1985, volume XIX, p. 182

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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principes équitables »73. Elle complètera en 1985 en disant que « la justice dont l’équité est

une émanation, n’est pas la justice abstraite, mais la justice selon la règle de droit [...]. Le

caractère normatif des principes équitables appliqués dans le cadre du droit international

général présente de l’importance »74.

La place accordée à l’équité dans le système normatif est indéniablement importante. Les

arrêts ne manquent pas de dire que le droit et l’équité procède de l’idée de justice, chacun en

traduisant une expression particulière.

Et cette importance, la cour lui donne un nom : « la norme fondamentale ». Mais la

question qui se pose est de savoir ce que l’on entend par ce terme ? En effet, celui-ci renvoie à

des débats liés à la théorie générale du droit et qui oppose principalement les auteurs

volontaristes et normativistes au sujet du fondement du caractère obligatoire du droit

international. Sans entrer dans les détails théoriques, Kelsen, normativiste, dans sa hiérarchie

des normes, place au dessus du droit coutumier et du droit conventionnel, une norme qu’il

nomme fondamentale. Elle est à l’origine de toute règle internationale. Ainsi, une coutume est

obligatoire car elle repose sur une norme supérieure qui l’exige, mais celle-ci est supposée et

donc indémontrable : la norme fondamentale « fait de la coutume fondée par la conduite

mutuelle des Etats un mode de création de droit »75.

Pour les volontaristes, l’idée de base est que toute règle de droit est le produit de la volonté

humaine. Comme nous allons le voir, la norme fondamentale dont parle la cour, est en

quelque sorte, le produit des deux, mais dans le cadre unique du droit de la délimitation

maritime. La cour, explique dans l’affaire du Golfe du Maine, que les Etats-Unis comme le

Canada sont d’accord sur peu de choses hormis le fait qu’une délimitation maritime nécessite

l’application de principes équitables, tenant compte de circonstances pertinentes en vue

d’aboutir à une solution équitable76.

Le Professeur Nathalie Ros n’hésite pas à parler de cette norme fondamentale comme d’une

« invention » judiciaire qui parait « avoir réalisé son fabuleux destin, pour incarner tout le

73 Rec. CIJ, 1969, §85 et 88 74 Plateau continental (Jamahiriya arabe Libyenne c. Malte), arrêt, CIJ, Recueil 1985, p.39 75 Kelsen Hans, « Théorie pure du droit », Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1953, p. 165 76 Rec. 1982, §§ 98-101

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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droit de la délimitation maritime, régir la délimitation de tous les espaces maritimes, et

fédérer toutes les logiques de délimitation »77.

Au final, cette norme qu’est l’équité est peut être à l’origine d’un droit coutumier aussi bien

que d’un droit conventionnel. Malgré les différences, elle est présente dans tout le droit de la

délimitation et pour tous les espaces maritimes. La cour a peut être trouvé la formule idéale

afin d’utiliser une norme que « la science du droit prend comme une hypothèse ou un postulat

indémontrable »78. Toutefois, le droit de la délimitation maritime n’est pas un droit autonome

ou une branche détachée du droit international public. La comparaison s’arrête donc là,

puisque si nous suivons la théorie de Kelsen, cette « norme fondamentale » trouverait encore

au dessus d’elle une autre norme hypothétique fondamentale qui domine toutes les normes du

droit international.

Bien que ces dernières considérations soient intéressantes du point de vue théorique,

elles n’en demeurent pas moins que des idées, sans véritable fondement juridique. Une autre

piste pourra alors être étudiée.

B°/ Un principe général de droit ou de justice ?

Chaque arrêt et chaque sentence ne cesse de dire que l’équité dans le cadre des

délimitations maritimes n’est pas à confondre avec l’ ex aequo et bono de l’article 38 § 2 du

statut de la CIJ. A côté de cela, il ne peut être nié que l’équité a une place centrale dans ce

domaine, lui permettant de se délaisser de sa classification comme source subsidiaire du droit

international. L’article 38, dans son paragraphe 1, donne une liste de ce que la cour peut

appliquer pour parvenir à régler les différends qui lui sont soumis.

L’article 38 § 1 a) et b) place les conventions internationales et la coutume internationale

comme les premières sources utilisables par le juge. Or, nous l’avons déjà vu, l’équité sous-

tend dès l’origine les règles des conventions, tout autant que les règles coutumières. Ce ne

77 Ros N., « Le fabuleux destin de la norme fondamentale », dans « La mer et son droit, mélanges offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre Quéneudec », Editions A. Pédone, Paris, 2003, p. 551 78 Anzilotti, « Cours de droit international, 1er volume : Introduction, théorie générale », Traduction Gidel, Paris, Sirey, 1929, p.65, rééd. 1999, p. 69, cité dans Salmon J. (dir.), « Dictionnaire de droit international public », Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 753

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

36

sont ni les traités, ni la coutume qui désignent l’équité comme mode de règlement des conflits

de délimitation maritime.

La dernière source principale proposée par l’article 38 sont « les principes généraux de droit

reconnues par les nations civilisées ». Ces principes ont pour fonction de faire face aux

lacunes du droit procédural et substantiel du droit international. Ils trouvent leur origine dans

une sorte de sens commun des lois internes que peut dégager le juge. La plupart du temps, ce

sont des règles relatives à l’administration de la justice ou des règles matérielles.

La CIJ donne des indices permettant de rapprocher l’équité d’un principe général de droit.

Réaffirmant une fois encore le rattachement de l’équité au droit, les juges précisent que

l’application de l’équité « doit être marquée par la cohérence et une certaine visibilité »79.

Ce point éclairci, ils rappellent le texte de l’arrêt de la CIJ dans l’affaire du Golfe du Maine :

« la notion juridique d’équité est un principe général directement applicable en tant que

droit »80. Cette citation est très intéressante car, il est bien dit que l’équité est un principe

général. Mais de quel principe général s’agit-il ? Il n’est pas dit explicitement, qu’il s’agissait

d’un principe général du droit, il est exprimé l’idée que ce principe général est le droit. Pour

paraphraser Winston Churchill, c’est « un paradoxe, enveloppé dans un mystère, à l’intérieur

d’une énigme »81.

Cet arrêt conforte malgré cela l’idée qu’il pourrait s’agir d’un principe général de droit. En

effet, l’équité se retrouve comme nous l’avons déjà vu (cf. Introduction) dans tous les

systèmes juridiques, et a été dégagée par le juge international.

Par ailleurs, à l’instar de certains auteurs, il est possible d’appréhender l’équité comme

un principe général de justice82.

A l’appui de cette idée, on trouve le développement de la CIJ dans l’affaire du plateau

continental de la mer du Nord. Les juges expliquent en effet que l’équité est inhérente à la

bonne administration de la justice. Ils précisent que « quel que soit le raisonnement juridique

du juge, ses décisions doivent par définition être justes, donc en ce sens équitables ». Il rend

79 Rec. CIJ, 1985, §35, p.39 80 Rec. CIJ, 1982, §71, p.60 81 Texte original : “A riddle wrapped in a mystery inside an enigma” – Définition de l’URSS selon Winston Churchill. 82 Sorel J.-M., « Le juge international face à l’équité dans le règlement des différends territoriaux », dans Weckel P. (dir.) « Le juge international et l’aménagement de l’espace : la spécificité du contentieux territorial », Editions A. Pédone, Paris, 1998 ; Nguyen Quoc Dinh, Daillier P., Pellet A. « Droit international public », LGDJ, 6ème édition, Paris, 1999.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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alors la justice en usant d’« une règle de droit qui appelle l'application de principes

équitables »83.

Il faut noter que depuis quelques arrêts déjà, la cour ne mentionne plus expressément le mot

même d’équité (contrairement aux parties). Elle passe dès le début à l’objectif, à savoir la

recherche d’une solution équitable, puis aux moyens d’y arriver, grâce à des principes

équitables. Prenons l’exemple du dernier arrêt rendu par la CIJ le 3 février 2009 dans le cadre

de l’affaire de la délimitation maritime de la mer Noire. Après de multiples péripéties, les

parties (l’Ukraine et la Roumanie) sont parvenues à un accord en 1997, énumérant les

principes devant être utilisés, tant dans les négociations diplomatiques que dans le règlement

du différend devant une instance judiciaire internationale. Parmi ces principes, il est indiqué

au paragraphe 4 c) que s’appliqueront « le principe de l’équité et la méthode de la

proportionnalité tel que ceux-ci sont appliqués dans la pratique des Etats et dans les

décisions des instances internationales concernant la délimitation du plateau continental et

des zones économiques exclusives »84.

Les juges font alors remarquer, en parlant des différents principes, qu’ils donnent à penser que

« dans l’esprit des Parties, les principes en question devaient être pris en considération dans

le cadre de leurs négociations sur la délimitation maritime, sans constituer pour autant le

droit applicable par la Cour. Cela ne signifie pas nécessairement que ces principes ne soient

pas en eux-mêmes susceptibles d’application en la présente affaire : ils peuvent s’appliquer

dès lors qu’ils font partie des règles pertinentes du droit international »85. Cette remarque de

la cour permet de rappeler aux parties que même s’il n’est plus fait mention de l’équité dans

ses décisions, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas inhérente à chaque délimitation. Ainsi, la

justice internationale tient pour acquise l’idée que l’équité est présente dans tout le processus

de délimitation : ligne de délimitation, circonstances pertinentes ou spéciales, méthode de la

proportionnalité, etc.

Pour autant, la cour ne s’est jamais prononcée clairement sur la nature juridique de

l’équité. Elle a certes fait des déclarations audacieuses en utilisant des termes comme « norme

fondamentale » ou en expliquant que l’équité était un principe de droit « directement

83 Rec. CIJ, 1969, §88, p.48 84 Rec. CIJ, 2009, § 33, p. 15 85 Rec. CIJ, 2009, § 41, p. 17

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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applicable en tant que droit », mais aucune réponse précise n’est apportée nous poussant à

échafauder de nombreuses théories.

Section II : La mesure de la pertinence des techniques de

délimitation

La nature juridique de l’équité présente une originalité indéniable qui ne cessera de

nous pousser à la réflexion. L’une des possibilités de définition de cette idée nous a été

donnée lors d’un entretien au secrétariat général de la Mer. Il en est ressorti l’idée que l’équité

pouvait être la mesure de la pertinence des techniques de délimitation. De prime abord, il

pourrait sembler s’agir non pas d’une définition de la nature juridique de la notion, mais de la

description de sa fonction. Pourtant, le fait d’être qualifié comme la mesure de la pertinence

des techniques de délimitation permet d’éclaircir cette nature complexe. Concept inhérent à

l’idée de justice (A), l’équité ne serait-elle pas le symbole du retour à l’idée de droit naturel

(B) ?

A°/ Un concept inhérent à l’idée de justice

L’équité, comme nous avons déjà pu le voir, est une norme fondamentale faisant d’elle

la règle fondatrice d’un droit de la délimitation maritime. La CIJ se fonde sur des principes

équitables et exprime l’idée qu’ « il s'agit là, sur la base de préceptes très généraux de justice

et de bonne foi, de véritables règles de droit en matière de délimitation des plateaux

continentaux limitrophes, c'est-à-dire, de règles obligatoires pour les Etats pour toute

délimitation »86.

Il s’agit donc bien d’une norme à caractère obligatoire, qui prescrit des principes équitables

dont le fondement est basé sur des idées qui ont animé la construction de la délimitation du

plateau continental, et découlant directement de la Proclamation Truman de 1945 :

- les Etats doivent avant toute chose négocier entre eux,

- tant le juge que les Etats doivent prendre en compte toutes les circonstances

permettant d’arriver à une solution équitable,

86 Rec. CIJ, 1969, § 85

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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- le plateau continental est le prolongement naturel de l’Etat (cette idée est aujourd’hui

désuète).

Ces idées donnent aux Etats et aux juges un pouvoir important. La cour, dans son arrêt rendu

en 1982 dans l’affaire opposant la Libye et à la Tunisie, exprime bien ce pouvoir conséquent :

« c'est néanmoins le résultat qui importe : les principes sont subordonnés à l'objectif à

atteindre. L'équité d'un principe doit être appréciée d'après l'utilité qu'il présente pour

aboutir à un résultat équitable »87.

Mais plus intéressant encore, cet arrêt nous permet de définir l’équité comme étant la mesure

de la pertinence des techniques de délimitation. Ainsi, elle explique que la cour « doit

appliquer les principes équitables comme partie intégrante du droit international et peser

soigneusement les diverses considérations qu'elle juge pertinentes, de manière à aboutir à un

résultat équitable »88.

Il est évident qu’une règle de droit ne peut venir corriger la géographie, ce qui oblige

tant les juges que les Etats à trouver les solutions les plus raisonnables. Les articles 73 et 84

de la Convention de Montego Bay reprennent tous les deux les idées énoncées ci-dessus. Etats

et juges ont pour objectif de trouver une solution équitable. L’application de l’équité se fait

donc dans ces deux cas de figure. La question sera de savoir si cette équité est identique ?

Autrement dit, les circonstances prises en compte par le juge international seront-elles les

même que dans le cadre d’une délimitation conventionnelle ?

Nous avons là plusieurs éléments de réponse.

Nous pouvons considérer que l’équité est avant toute chose l’obtention d’un résultat

équitable. C’est ainsi que le tribunal arbitral dans le différend franco-britannique, a précisé :

« qu’on se place sous l’angle de la Convention de 1958 ou sous celui du droit coutumier, le

choix de la méthode ou des méthodes de délimitation doit [...] être fait dans chaque cas à la

lumière des circonstances et sur la base de la règle fondamentale qui veut que la délimitation

soit conforme à des principes équitables »89. Il revient alors au juge de choisir la méthode qui

convient le mieux pour parvenir à cette fin.

87 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C. I. J. Recueil 1982, § 70, p.59 88 Rec. CIJ, 1982, § 71 p.60 89 Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République française, 30 juin 1977, RSA, vol. XVIII, § 97, p. 57

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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Pour les Etats, l’objectif est le même. La recherche d’un résultat équitable lors de

négociations bilatérales peut se traduire par l’obtention par chaque partie de l’essentiel des

revendications qu’il formulait, quitte à concéder tel ou tel élément pour parvenir à la

satisfaction de chaque partie placée sur un même pied d’égalité. Le choix de la méthode leur

revient pour parvenir à ce but. Prenons deux exemples concernant la France. L’accord du 30

janvier 198190 détermine la délimitation entres les eaux brésiliennes et les eaux françaises

selon une méthode proche de la perpendiculaire, tandis que la convention entre la France et

l’Espagne sur la délimitation de la mer territoriale et de la zone contigüe dans le golfe de

Gascogne du 29 janvier 197491 prévoit une délimitation dans un premier temps fondée sur

l’équidistance, et ensuite fondée sur la bathymétrie (la mesure de la profondeur des fonds

marins).

B°/ Un droit intangible

L’équité, considérée comme la mesure de la pertinence des techniques de

délimitation, pose la question de savoir si le juge ou l’arbitre pourrait modifier complètement

la méthode de délimitation (construction d’une ligne provisoire ; circonstances pertinentes ou

spéciales/principes équitables ; résultat équitable).

Les derniers arrêts et arbitrages rendus en matière de délimitation maritime sont très

intéressants en ce qui concerne la permanence des méthodes contentieuses de délimitation.

L’affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria92 du 10 octobre

2002 est l’occasion pour la CIJ d’expliquer que « délimiter avec le souci d’aboutir à un

résultat équitable, comme le requiert le droit international en vigueur, n’équivaut pas à

délimiter en équité »93. Ce rappel de la cour est important car il permet d’écarter l’idée que

90 Traité de délimitation maritime entre la République fédérative du Brésil et la République française (30 janvier 1981), Le Droit de la mer, Les accords de délimitation des frontières maritimes (1970-1984), Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Nations Unies, New-York, 1989, p. 89 91 Ibid., p. 53 92 Pour rappel, la presqu’ile de Bakassi (sous souveraineté camerounaise) fut envahie par le Nigeria en décembre 1993 pour des motifs tenant à la fois de la politique, de la géostratégie et de l’économie (concentration de richesses halieutiques et énergétiques autour de la presqu’ile). Bakassi suite à cet arrêt et à de nombreuses négociations redevint camerounaise le 14 août 2006, mais est aujourd’hui devenue la deuxième zone africaine de piraterie maritime. Sur les enjeux de ce conflit, voir Ntuda Ebode Joseph-Vincent « Le Cameroun et le Nigeria enterrent la hache de guerre à Bakassi. Et après ? », dans Diplomatie, Novembre-Décembre 2008, n°35. 93 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigeria ; Guinée Equatoriale (intervenant)), Arrêt C.I.J. Recueil 2002, § 294, p. 443

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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l’équité lors d’une délimitation se rapproche de l’équité ex aequo et bono de l’article 38 § 2

du statut de la CIJ. Le droit n’est pas écarté pour trouver une solution équitable, l’équité est le

droit applicable. A priori, cela impose aux juges et arbitres de délimiter de la même manière à

chaque fois. Cela tend même à prendre des proportions insoupçonnées en 1969. En effet,

comme nous le verrons par la suite, la méthode de l’équidistance fut contestée à plusieurs

reprises et pourtant, elle redevient de plus en plus la méthode de référence telle que nous la

connaissions dans les conventions de 1958 sur la mer territoriale ou sur le plateau continental.

Les juges et arbitres s’accordent pour reconnaître la nécessité d’un droit prévisible :

« Equitable considerations per se are an imprecise concept in the light of the need for

stability and certainty in the outcome of the legal process. Some early attempts by

international courts and tribunals to define the role of equity resulted in distancing the

outcome from the role of law and thus led to a state of confusion in the matter»94.

Le tribunal arbitral précise un peu plus loin que « Certainty, equity, and stability are thus

integral parts of the process of delimitation »95.

Pour obtenir cette prévisibilité, la meilleure méthode est, selon eux, celle de l’équidistance,

car il s’agit d’un critère objectif et mathématique (« The principle of equidistance as a method

of delimitation applicable in certain geographical circumstances was another such objective

determination »96(§ 231)).

Cet emploi de l’équidistance se fait tant sur le fondement de la convention de Montego Bay

(articles 74 et 83) que sur le fondement du droit coutumier.

Les dernières décisions rendues par les tribunaux d’arbitrage (s’attachant à suivre les mêmes

règles que la cour internationale de justice) permettent de constater l’emploi quasi-normal de

la ligne d’équidistance. Dans l’affaire qui opposa la Guyana au Surinam (un exemple de

règlement pacifique des différends faisant suite à plusieurs incidents sur la frontière

94 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relative à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, Décision du 11 avril 2006, RSA, volume XVII, § 230, p. 212 : « les considérations équitables per se sont un concept flou lorsque l’on considère le besoin de stabilité et de certitude lors de l’aboutissement d’un processus légal. Certaines tentatives passées des cours et tribunaux internationaux de définir le rôle de l’équité ont débouché sur un éloignement de l’issue par rapport au rôle de la loi, et ainsi ont conduit à une confusion sur ce problème ». 95 Ibid., § 244, p. 215 : « La certitude, l’équité et la stabilité sont ainsi parties intégrantes du processus de délimitation ». 96 « le principe d’équidistance, en tant que méthode de délimitation, applicable pour certaines circonstances géographiques est un autre critère objectif »

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

42

maritime97), le tribunal arbitral constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM estima

qu’ « In the course of the last two decades international courts and tribunals dealing with

disputes concerning the delimitation of the continental shelf and the exclusive economic zone

have come to embrace a clear role for equidistance »98. Mais le tribunal arbitral va aller

encore plus loin, outrepassant son rôle d’arbitre, pour recommander « d’introduire »99

l’équidistance dans les articles 74 et 83 de la CNUDM : « Articles 74 and 83 of the

Convention require that the Tribunal achieve an “equitable” solution. The case law of the

International Court of Justice and arbitral jurisprudence as well as State practice are at one

in holding that the delimitation process should, in appropriate cases, begin by positing a

provisional equidistance line which may be adjusted in the light of relevant circumstances in

order to achieve an equitable solution »100. Même l’arbitrage entre Etats fédérés a assuré dans

la décision rendue au sujet de l’affaire de la frontière maritime entre Terre-Neuve, le Labrador

et la Nouvelle Ecosse, que l’équidistance était la méthode normale de délimitation en

prétendant que « it has became normal to begin by considering the equidistance line »101.

Il est intéressant de constater la stabilité du principe d’équidistance quelque soit la

disposition des côtes, allant ainsi jusqu’à clarifier le compromis qui avait été obtenu au sujet

de la délimitation de la ZEE et du plateau continental en 1982 dans la convention de Montego

Bay. De plus, cette utilisation, permet de rapprocher encore plus la délimitation de la mer

territoriale de ces deux autres zones maritimes, diminuant un peu plus l’écart entre la règle

« équidistance/circonstances spéciales » et la règle « principes équitables/circonstances

pertinentes ».

97 Selon le Guyana, le Surinam aurait fait usage de la force le 3 juin 2000 pour expulser l’entreprise d’exploration pétrolière canadienne CGX Resources inc. , titulaire d’une licence guyanaise. 98 Tribunal arbitral constitué en application de l’article 287 et conformément à l’annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans l’affaire de l’arbitrage entre le Guyana et le Suriname (ci-après Sentence 2007), § 335, p. 108 : « au cours des deux dernières décennies les cours et tribunaux internationaux qui s’occupent des différends concernant la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive sont parvenus à adopter un rôle bien défini en ce qui concerne l’équité ». 99 Le mot est du professeur Yoshufumi Tanaka : Tanaka Y., « L’arbitrage Guyana/Surinam : un commentaire », Journal judiciaire de la Haye, volume 2, n°3, 2007 100 Ibid., § 342, p.110 : “les articles 74 et 83 de la convention demandent que le tribunal atteigne une solution équitable. La jurisprudence de la CIJ et la jurisprudence ainsi que la pratique des Etats sont unanimes en soutenant que le processus de la délimitation devrait lors de cas adéquates, commencer par le positionnement d’une ligne d’équidistance provisoire qui pourra être ajustée à la lumière des circonstances pertinentes afin qu’une solution équitable soit atteinte ». 101 Award of the Tribunal in the Second Phase, 26 mars 2002, § 2.28 : “il est devenu la norme de commencer en considérant la ligne d’équidistance »

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

43

Pour déterminer précisément la notion d’équité, il parait difficile de se baser

uniquement sur la nature juridique. Cette étude doit forcément être complétée par l’étude de la

fonction de l’équité dans le contentieux de la délimitation maritime.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

44

TITRE II : L’ AMBIGUITE DE LA FONCTION DE L’EQUITE

Depuis l’arrêt rendu par la cour dans l’affaire du plateau de la mer du Nord, la doctrine

a développé plusieurs théories sur la fonction de l’équité. Laurent Lucchini et Michel

Voelckel expriment bien cette division : « les conceptions doctrinales différentes qui en sont

développées témoignent de sa nature difficilement saisissable »102. Les deux courants

principaux oscillent entre la nécessité d’une certaine prévisibilité, et la question de la

flexibilité nécessaire à une telle matière. Elle s’est traduite par la vision d’une équité à la

fonction créatrice (Chapitre I ) et une équité à la fonction correctrice (Chapitre II ).

CHAPITRE I : L’EQUITE, UNE FONCTION CREATRICE

L’opposition entre fonction créatrice et fonction correctrice est intéressante du seul

point de vue jurisprudentiel (section I), mais nous savons que l’équité est théoriquement

applicable dans les délimitations conventionnelles. Etudier cette opposition prend plus de sens

si on la met en relief avec la pratique des Etats (section II).

Section I : L’« équité créatrice », et la pratique jurisprudentielle

Il fut très vite développé la théorie selon laquelle l’équité telle que l’utilisée la cour

avait une fonction créatrice (A). Pourtant, cette forme d’équité dû très vite évoluer pour palier

aux critiques formulées par la doctrine (B).

A°/ L’origine

Le droit de la délimitation maritime est marqué depuis une cinquantaine d’années par

l’opposition entre prévisibilité et flexibilité103. Charles de Vissher le résume en expliquant que

102 Op. cit. p. 228 103 Tanaka Y., « Quelques observations sur deux approches jurisprudentielles en droit de la délimitation maritime : l’affrontement entre prévisibilité et flexibilité », RBDI, vol. XXXVII 2004-2, pp. 419-456

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

45

« l’évolution du droit international contemporain est marqué par deux orientations opposées.

Un besoin de certitudes du droit et de sécurité travaille depuis un siècle à un développement

technique très poussé dès règles du droit positif. Un besoin, plus récemment ressenti

d’assouplissement de la règle, face à des situations nouvelles et de plus en plus

individualisées porte à rechercher dans les voies de l’équité, une justice adaptée aux cas

concrets, aux particularités de l’espace ».

La flexibilité d’un droit est due à une conception de l’équité basée uniquement sur

l’obtention d’un résultat équitable, donnant lieu à une équité dite « créatrice »,

« autonome »104, ou « dominatrice et exclusive »105.

Le fondement de cette théorie est à chercher dans l’affaire du plateau continental de la mer du

Nord. L’objectif que se donne la cour est de parvenir « par application de principes

équitables à un résultat raisonnable »106. Afin d’obtenir ce résultat équitable, les juges ne

veulent en aucun cas, que pour telle ou telle situation géographique, une méthode donnée soit

obligatoire : « Il n'y a aucune base logique à cela et l'on ne voit aucune objection à l'idée

qu'une délimitation de zones limitrophes du plateau continental puisse être faite par l'emploi

concurrent de diverses méthodes »107.

Dans cette optique, ce sont les circonstances pertinentes, éclairées par des principes équitables

qui permettent de trouver la méthode de délimitation la plus efficace. On peut s’étonner de

retrouver (par souci de compromis) dans la rédaction des articles 74 et 83 de la CNUDM une

même optique (« La délimitation [...] est effectuée [...] afin d’aboutir à un résultat

équitable ») alors même qu’à cette époque, comme nous le verrons, se développera une vision

de l’équité avec une fonction différente.

Cette conception de l’équité trouvera des soutiens de poids, notamment en la personne du

juge Jimenez de Arechaga qui expliquera : « The application of equity in maritime

delimitation is not a mechanism designed to correct or mitigate the inequitable effects of a

strict rule of law based on equidistance ; it is not something to be applied ex post, but it

104 Nelson L.D.M., « The role of equity in the delimitation of maritime boundary », AJIL, vol. 84, n°4, octobre 1990, pp. 837-858; Weil P. op. cit. p. 181 105 Lucchini L. et Voelckel M., op. cit. p. 230 106 CIJ Rec. 1969, § 90 p. 49 107 CIJ Rec. 1969, § 89 p. 49

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

46

constitutes a starting guide for seeking, ex ante, an equitable result based on the balance of

all the relevant circumstances of each case»108.

Mais une telle conception de l’équité ne peut laisser insensible les juristes attachés à la

sécurité juridique. Le plus célèbre opposant sera le juge Gros, qui dénonce ce raisonnement en

disant : « Je doute que la justice internationale résiste à une équité ayant pour mesure l’œil

du juge »109. En effet, le reproche souvent fait à l’encontre de cet arrêt et de l’utilisation qu’il

est fait de l’équité, est que la solution ne dépend que de la subjectivité des juges au risque

d’imposer une décision un peu trop arbitraire. Le juge Sorensen qui prenait part à l’affaire

Plateau continental de la mer du Nord expliqua « la délimitation ne devant alors être régie

que par un principe d'équité, on aboutira à une très grande incertitude juridique, et cela dans

un domaine où la précision juridique est non seulement dans l'intérêt de la communauté

internationale en général mais aussi – et tout bien pesé - dans celui des Etats directement

intéressés »110. Le juge Koretsky fit de même en notant : « il me semble qu'en introduisant

une notion aussi vague dans la jurisprudence de la Cour internationale, on risque d'ouvrir la

voie à des évaluations subjectives et donc parfois arbitraires, et que le règlement des

différends soumis à la Cour ne s'inspirerait plus alors des règles et des principes généraux du

droit international établi »111.

Une autre critique pouvant être faite, est celle de dire que les principes équitables sont

construits sans véritables règles, faisant d’eux des règles creuses. De plus, il peut être

reproché aux juges de négliger le rôle des circonstances spéciales justifiant l’emploi de telle

ou telle méthode de délimitation, pour s’intéresser un peu trop au résultat équitable. Cet

intérêt trop poussé pour le résultat renforce la fonction individualisatrice de l’équité (parfois à

outrance). Pour Prosper Weil, cette équité qui est alors « directement génératrice de la

solution » est une « exaltation de la théorie de l’unicum »112.

108 Jimenez de Arechaga, « The conception of equity in maritime delimitation » in “Etudes en l’honneur de Roberto Ago”, volume II, p.229 : « L’application de l’équité dans la délimitation maritime n’est pas un mécanisme qui vise à corriger ou minimiser les effets inéquitables d’une règle de droit rigide basée sur l’équidistance : ce n’est pas quelque chose qui doit être appliquée ex post mais qui constitue un point de repère de départ pour rechercher, ex ante, un résultat équitable fondé sur la prise en compte de toutes les circonstnces pertinentes de chaque cas ». 109 CIJ. Rec. 1984. Opinion dissidente § 41 p. 386 110 CIJ Rec. 1969, Opinion dissidente de M. Sorensen, p. 257 111 CIJ Rec. 1969, Opinion dissidente de M. Koretsky, p. 166 112 P. Weil, op. cit. p. 181

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

47

Cette exaltation va toutefois devoir évoluer faisant écho aux critiques qui lui sont

attribuées.

B°/ L’évolution

Malgré les critiques, tant la CIJ que les arbitres internationaux vont continuer à

défendre une vision large de l’équité.

En 1977, dans la sentence arbitrale réglant le différend entre le Royaume-Uni et la France, les

arbitres commencent à détailler un peu plus la méthode de délimitation, la faisant approcher

d’une équité dite « correctrice ». C’est pourquoi en 1982, la CIJ dans l’affaire opposant la

Tunisie à la Libye rappelle que même si pour parvenir à un résultat équitable, on utilise des

principes équitables, employant ainsi le même adjectif, c’est le résultat qui prime. Elle

reproche en effet ce double emploi du mot équitable et précise que « c'est néanmoins le

résultat qui importe : les principes sont subordonnés à l'objectif à atteindre. L'équité d'un

principe doit être appréciée d'après l'utilité qu'il présente pour aboutir à un résultat

équitable. Tous les principes ne sont pas en soi équitables ; c'est l'équité de la solution qui

leur confère cette qualité »113. Alors que les arbitres avaient placé sur un pied d’égalité

principes et résultat, la CIJ donne la prédominance au résultat ajoutant même que les

principes équitables sont choisis en fonction de leur « adéquation au résultat équitable »114.

Dans l’affaire qui opposera le Canada aux Etats-Unis au sujet du Golfe du Maine, la

cour commence par chercher les règles et principes du droit international régissant les

délimitations maritimes. Elle indique que le droit coutumier ne peut que fournir quelques

principes juridiques de base, énonçant des directives à suivre. Elle ne veut pas énoncer les

critères équitables à appliquer et les méthodes pratiques à utiliser. C’est ainsi qu’elle

prononcera cette formule célèbre : « chaque cas concret est finalement différent des autres,

qu'il est un unicum »115. Les juges vont alors s’accorder sur une chose, à savoir, reformuler la

norme fondamentale. Elle se décline en deux idées :

113 CIJ Rec. 1982, § 70, p. 89 114 Idem 115 CIJ Rec. 1984, § 81, p. 290

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

48

- dans un premier temps, la délimitation doit être obtenue par une négociation menée de

bonne foi afin de parvenir à un résultat positif, et si celle-ci n’aboutit pas, les Etats peuvent

recourir à une tierce personne.

- dans un deuxième temps, tant l’accord que le jugement ou l’arbitrage devront « être réalisés

par l’application de critères équitables et par l’utilisation de méthodes pratiques aptes à

assurer, compte tenu de la configuration géographique de la région et des autres

circonstances pertinentes de l’espèce, un résultat équitable »116.

Par la suite et cela dès 1985, bien que reprenant cette argumentation pour affirmer la

prédominance du résultat, elle donnera toute sa force juridique aux principes équitables et

circonstances pertinentes afin d’assurer une certaine prévisibilité.

Le dernier sursaut jurisprudentiel adoptant la théorie d’une équité autonome sera la

sentence arbitrale dans l’affaire qui opposera la France au Canada en 1992. Ce cas est

particulièrement évocateur puisqu’encore aujourd’hui, la solution « équitable » est fortement

contestée, ayant largement contribuée à diminuer les revenus tirés par les pêches de l’archipel

français de Saint-Pierre et Miquelon. Alors que la date limite de demande d’extension du

plateau continental auprès de la commission des limites du plateau continental arrivait à

échéance, la France qui refusait de faire cette demande pour l’archipel a finalement envoyé

une lettre d’intention à cette commission en mai dernier, nécessitant l’ouverture de

négociations avec le Canada rouvrant la plaie d’un arbitrage très mal digéré. Dans un rapport

récent, la députée de Saint-Pierre et Miquelon Annick Girardin explique « la décision

arbitrale délimitant la ZEE française a été vécue à Saint-Pierre-et-Miquelon comme une

cuisante défaite dont le Gouvernement pouvait être tenu pour partiellement responsable en

raison de son insuffisante implication »117.

Cette sentence revient en effet sur les règles claires qu’avait énoncé la cour dans l’affaire

Libye contre Malte. Elle avait juridiciarisé les principes équitables afin de permettre une

meilleure prévisibilité du droit de la délimitation maritime, mettant ainsi fin à l’équité « selon

l’œil du juge »118. Or, en l’espèce, les arbitres écartent la plupart des théories défendues par

les parties, à commencer par la méthode de l’équidistance proposée par la France, pour 116 CIJ Rec. 1984, § 112, p. 300 117 Girardin A. et Guedon L. « Rapport d’information déposé en vertu de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur la délimitation des frontières maritimes entre la France et le Canada », n° 1312, Assemblée nationale, 10 décembre 2008 118 Opinion dissidente de M. Gros, C.I.J. Recueil 1984, p. 388, § 47

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

49

appliquer la théorie de la projection frontale (dont la pratique est contestée traditionnellement

par les Etats et la jurisprudence), et le principe de non-empiètement donnant ainsi au final une

délimitation en forme de champignon (cf. annexe IV). Prosper Weil, arbitre proposé par la

France pour siéger au tribunal arbitral traitant de ce litige, trouve que cette sentence revient

sur une jurisprudence que l’on croyait désuète depuis 1985, année où la cour avait adoptée

une équité plus correctrice que créatrice. En tentant de comprendre la solution proposée, il

dira « la ligne a paru équitable à la majorité du tribunal, et cela a suffi à soi seul, à ses yeux,

pour satisfaire en droit à la norme fondamentale du résultat équitable »119 alors que les

arbitres avaient déclaré dans la sentence de 1977 opposant la France au Royaume-Uni que « le

juge n'a pas "carte blanche pour recourir à n'importe quelle méthode de son choix pour

effectuer une délimitation équitable »120. Prosper Weil aura ces mots durs à l’encontre de la

solution : « est-ce là une solution raisonnable et équitable ? Equité, que d'injustices on

commet en ton nom ! »121.

Malgré ce sursaut, une nouvelle forme d’équité permettant une plus grande sureté, une

plus grande prévisibilité et une plus grande sécurité croîtra. Il est à noté que les jugements et

sentences rendus avec une équité qualifiée d’autonome n’ont pas réglé entièrement et

correctement tous les conflits. Saint-Pierre et Miquelon espère à l’heure actuelle agrandir son

plateau continental afin de vivre de l’exploitation des ressources du sous-sol sous-marin, alors

que les Etats-Unis et le Canada se disputent toujours la souveraineté de l’île Machias Seal et

la délimitation des eaux environnantes. Dans le cas de la délimitation entre la Tunisie et la

Libye, le contentieux n’est toujours pas réglé, puisqu’une demande de révision et en

interprétation de l’arrêt de la CIJ a été déposée et rejetée122.

Toutefois, cette forme d’équité semble être assez proche de ce à quoi aspirent les Etats

dans leur pratique.

119 Opinion dissidente de M. Weil, RSA, 1992, p. 312, § 27 120 RSA, 1977, § 245 121 Opinion dissidente de M. Weil, RSA, 1992, p. 313, § 29 122 Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 192.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

50

Section II : L’équité, fonction normative de la pratique des Etats

Tout comme le juge, l’objectif des Etats est de parvenir à un résultat équitable. Le

fondement de cet objectif est le même (A) et astreint les Etats à une obligation de négocier

(B).

A°/ Les fondements

La première question à se poser est de savoir si l’équité a un rôle à jouer dans

l’établissement des délimitations en mer lorsque celles-ci sont établies de manière

conventionnelle. La question avait divisé les Etats lors des travaux de la 3ème conférence sur le

droit de la mer, puisque l’on trouvait d’un côté des Etats (le « groupe des 29 ») qui étaient

partisans de l’équité, et de l’autre, des Etats partisans d’une application de l’équidistance (le

« groupe des 22 »). Il est évident que cette opposition n’avait pas lieu d’être puisque

équidistance et équité ne peuvent être placées sur le plan.

En effet, la cour, dans l’affaire Tunisie- Libye, avait déclaré que l’équité ne peut être entendue

comme étant une méthode (ce qu’est l’équidistance) puisqu’il s’agit d’une notion juridique

qui « procède directement de l’idée de justice »123, dont le juge « ne saurait manquer (de)

faire application »124.

Dès le développement de la théorie du plateau continental, avec la proclamation Truman sur

la position des Etats-Unis concernant les ressources naturelles du sous-sol et du sol du plateau

continental, il est fait mention de principes équitables. En effet les Etats-Unis indiquent qu’ils

négocieront avec les Etats concernés conformément à des principes équitables, sans préciser

quelles seraient les méthodes utilisées.

Il est certain que lors d’une délimitation, il n’est fait aucune mention de l’équité.

Chaque partie vient avec son idée de méthode et ses arguments125. Mais, finalement, dès le

début, l’objectif d’une délimitation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est de parvenir

123 CIJ. Rec. 1982, § 71, p. 60 124 Ibid. 125 Nous en avons obtenu la certitude lors d’une rencontre avec un habitué des négociations de délimitations au secrétariat général de la mer

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

51

à un résultat équitable sans pour autant qu’une méthode précise soit donnée. Dans les

conventions de délimitations maritimes, on voit apparaître une multitude de méthodes qui

permet d’affirmer que l’équité est entendue dans ce cas là comme une équité créatrice. Il est

évident que l’équité utilisée par les juges ne peut pas être dissociée de l’équité des

conventions. La preuve irréfutable en est donnée par l’obligation de négocier.

B°/ L’obligation de négocier

Cette obligation de négocier est apparue dès les débuts du droit de la mer et n’a dès

lors cessée d’être présente.

Ainsi, dans la convention de Genève de 1958 sur le plateau continental, l’article 6 prévoit que

les délimitations se font par accord entre Etats, et si aucun accord n’est trouvé, les parties

devront alors appliquer la méthode de la ligne d’équidistance.

Mais on trouve une indication plus intéressante dans la convention des nations-unies sur le

droit de la mer de Montego Bay. L’article 83 § 1 sur la délimitation du plateau continental

prévoit que « la délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes

ou se font face est effectuée par voie d'accord conformément au droit international tel qu'il est

visé à l'article 38 du Statut de la cour internationale de Justice, afin d'aboutir à une solution

équitable ». Et c’est seulement si les Etats ne sont pas parvenus à un accord qu’ils peuvent

déclencher les mécanismes juridictionnels prévus par la convention (§2).

Entre ces deux conventions, la jurisprudence avait quelque peu éclaircie les propos de

la convention de 1958 ou tout du moins l’opinio juris. L’affaire de la délimitation du plateau

continental de la mer du Nord expliquait que « la délimitation doit être l'objet d'un accord

entre les Etats intéressés et que cet accord doit se réaliser selon des principes équitables. Il

s'agit là, sur la base de préceptes très généraux de justice et de bonne foi, de véritables règles

de droit en matière de délimitation des plateaux continentaux limitrophes, c'est-à-dire, de

règles obligatoires pour les Etats pour toute délimitation »126. La cour précise à la suite que

« les parties sont tenues d'engager une négociation en vue de réaliser un accord et non pas

simplement de procéder à une négociation formelle comme une sorte de condition préalable à

126 CIJ. Rec. 1969, § 85, p. 47

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

52

l'application automatique d'une certaine méthode de délimitation faute d'accord »127. Il s’agit

de conditions de négociation qui découlent de la bonne foi. C’est seulement lorsque des

négociations menées correctement ont été réalisées et qu’elles n’ont abouti à aucun résultat

accepté par les parties que le mécanisme juridictionnel s’enclenche.

Toutefois, la place de l’équité évoluant dans le contentieux juridictionnel, la différence

avec les négociations en vue d’un accord de délimitation va s’accentuer.

CHAPITRE II : L’EQUITE, UNE FONCTION CORRECTRICE

La notion d’équité a du être affinée par les juges afin de mieux servir la sécurité

juridique. Elle devint une notion qualifiée de correctrice (Section I) prenant dans la pratique

des Etats une tournure plus originale (Section II).

Section I : L’« Equité correctrice » et la pratique jurisprudentielle

Cette théorie qui fit vite son apparition (A) s’est vue rapidement confirmée, et

aujourd’hui encore (B)

A°/ Les origines

Répondant à un souci de prévisibilité et de sécurité juridique, la cour ainsi que les

arbitres internationaux vont s’efforcer de clarifier les règles de droit applicables à la

délimitation maritime, ainsi que la fonction jouée par l’équité.

C’est un tribunal arbitral qui sera à l’origine d’un corps de règles plus précis. S’appuyant

toujours sur la jurisprudence de la CIJ, le tribunal arbitral constitué dans l’affaire opposant le

Royaume-Uni à la France explique dans un premier temps qu’il « est d'avis que l'application

de la méthode de l'équidistance ou de toute autre méthode dans le but de parvenir à une

délimitation équitable dépend des circonstances pertinentes, géographiques et autres, du cas

127 Ibid.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

53

d'espèce »128. Dans un deuxième temps, elle explique que « le choix de la méthode ou des

méthodes de délimitation doit donc être fait dans chaque cas à la lumière de ces

circonstances et sur la base de la règle fondamentale qui veut que la délimitation soit

conforme à des principes équitables »129.

Cette sentence remet en cause la prédominance du résultat équitable. La méthode encadre

l’équité, et les principes équitables commencent à prendre de l’importance laissant voir

apparaître la règle principes équitables / circonstances pertinentes.

En l’espèce, le tribunal arbitral décide de commencer par tracer une ligne d’équidistance, qui

sans refaire la géographie130, va être modifiée en ne donnant qu’un demi-effet aux îles Scilly

et en tenant compte entièrement des Sorlingues (cf. Annexe V).

Pour définir cette équité correctrice, on peut dire qu’elle vise à rectifier tous les effets

jugés inéquitables de la méthode de délimitation utilisée. Dans la plupart des cas, il s’agira de

la méthode de l’équidistance. C’est pourquoi, on pourra faire le rapprochement entre cette

méthode et les règles prévues à l’article 6 de la convention de Genève sur le plateau

continental instaurant la règle équidistance / circonstances spéciales. C’est d’ailleurs ce que

dira la cour en 1993 à peu de choses près : « Il ne peut y avoir rien de surprenant à ce que la

règle équidistance/circonstances spéciales aboutisse essentiellement au même résultat que la

règle principes équitables/circonstances pertinentes »131.

L’équité n’intervient finalement qu’après l’établissement d’une première délimitation.

L’exigence de l’équité entrainera l’ajustement de la ligne d’équidistance ou le changement par

une autre méthode afin de parvenir à une solution équitable.

128 Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République Française, Décision du 30 juin 1977, Décision du 14 mars 1978, RSA, volume XVIII, p. 188, § 97 129 Idem. 130 RSA, 1977, § 249, p. 254 : « De même que l'équité n'a pas pour fonction de refaire totalement la géographie lors de la délimitation du plateau continental, elle n'a pas non plus pour fonction de créer une situation de complète équité lorsque la nature et la géographie ont créé une inéquité [...].Ce qu'exige l'équité, c'est de remédier de façon convenable aux effets disproportionnés ». 131 CIJ. Rec. 1993, § 56, p. 62

Page 55: CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

54

B°/ L’évolution

Comme nous avons pu déjà l’observer, le souci de prévisibilité dont fait preuve la

sentence du tribunal arbitral de 1977, ne ressort pas dans les arrêts de la CIJ qui suivent.

Il faut attendre 1985 dans l’affaire du plateau continental opposant Malte à la Libye

pour voir s’affirmer clairement une telle préoccupation. Cet arrêt correspond à un double

tournant en droit international de la mer. En effet, trois ans plus tôt, la convention de Montego

Bay est signée. Les articles 74 et 83 § 1 prévoient que les délimitations du plateau continental

et de la zone économique exclusive aboutissent à un résultat équitable, revenant ainsi sur

l’article 6 de la convention de Genève sur le plateau continental, dont la règle était plus

stricte. Inversement, la jurisprudence évolue. D’une équité autonome, dont le seul souci est le

résultat équitable (comme la convention de 1982), on passe en 1985, à une équité correctrice

reprenant sous divers aspects les règles prévues en 1958.

Ainsi la CIJ explique que « la convention fixe le but à atteindre, mais elle est muette sur la

méthode à suivre pour y parvenir. Elle se borne à énoncer une norme et laisse aux Etats ou

au juge le soin de lui donner un contenu précis »132. C’est ce à quoi le juge va s’attacher à

partir de là, et il constate que « dans la présente espèce, les deux Parties reconnaissent que,

quel que soit le statut de l'article 83 de la convention de 1982, qui se borne à énoncer que la

‘solution’ doit être équitable et ne fait pas mention expresse de l'application de principes

équitables, les deux exigences font partie du droit applicable »133.

L’arrêt va ensuite s’attaché à rappeler les fondements de l’emploi de l’équité déjà évoqués

dans les précédentes affaires, et sur son emploi propre, à commencer par la recherche

fondamentale d’un résultat équitable. Toutefois, elle explique que « la délimitation du plateau

continental doit s'effectuer par application de principes équitables en tenant compte de toutes

les circonstances pertinentes afin d'aboutir à un résultat équitable »134 et précise par la suite

que « la justice, dont l'équité est une émanation, n'est pas la justice abstraite mais la justice

selon la règle de droit ; autrement dit son application doit être marquée par la cohérence et

132 CIJ. Rec. 1985, § 28, p. 30 133 CIJ. Rec. 1985, § 29, p. 31 134 CIJ. Rec. 1985, § 45, p. 38

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

55

une certaine prévisibilité »135. Ainsi, le juge doit prendre en compte des circonstances

pertinentes liées à la spécificité de l’espèce, mais envisage des principes plus larges que cette

affaire, afin d’obtenir des principes d’application générale.

La jurisprudence va désormais suivre cette voie là sans réels soubresauts. Dans

l’affaire qui oppose le Danemark à la Norvège au sujet de l’île de Jan Mayen qui fait face au

Groenland, la CIJ, reprenant la démonstration de la sentence arbitrale de 1977, dit que « si, à

la lumière de cette sentence de 1977, la règle équidistance/circonstances spéciales de la

convention de 1958 doit être considérée comme l'expression d'une norme générale fondée sur

des principes équitables, il doit être difficile de trouver une différence appréciable - tout au

moins en ce qui concerne une délimitation entre côtes se faisant face – entre l'effet de l'article

6 et l'effet de la règle coutumière qui requiert également une délimitation fondée sur des

principes équitables ». Il faut noter l’une des remarques très intéressantes fournie par le juge

Weeramantry. Il se réjouissait de la solution trouvée à cette affaire et expliquait au sujet du

principe des circonstances pertinentes que « ce principe est l'expression de la règle d'équité

procédurale qui veut que toutes les circonstances matérielles pertinentes pour la question

dont il s'agit soient prises en considération pour parvenir a un résultat équitable et qu'aucune

circonstance juridiquement pertinente ne soit omise en l'absence de motifs contraignants à cet

effet »136.

Dans les affaires suivantes, la cour ne revient plus véritablement sur la définition

qu’elle entend donner à l’équité. Elle applique la méthode sans mentionner l’équité. Celle-ci

transcende tout le processus de délimitation. Ainsi, dans l’affaire opposant Bahreïn à Qatar, la

CIJ dit très simplement qu’elle « examinera à présent s'il existe des circonstances spéciales

qui exigeraient d'ajuster la ligne d'équidistance tracée à titre provisoire afin d'obtenir un

résultat équitable »137, renvoyant la démonstration directement au précédent arrêt, à savoir

l’affaire de la délimitation entre le Groenland et Jan Mayen.

Plus révélateur encore est l’arrêt rendu suite au conflit dans la péninsule de Bakassi. La cour,

après avoir rappelé cette méthode, explique que « délimiter avec le souci d'aboutir à un

résultat équitable, comme le requiert le droit international en vigueur, n'équivaut pas à

135 CIJ. Rec. 1985, § 45, p. 39 136 CIJ. Rec. 1985, Opinion individuelle de M. Weeramantry, § 205 p. 266 137 CIJ. Rec. 2001, § 217, p. 104

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

56

délimiter en équité. La jurisprudence de la Cour montre en effet que, dans les différends de

délimitation maritime, l'équité ne constitue pas une méthode de délimitation mais uniquement

un objectif qu'il convient de garder à l'esprit en effectuant celle-ci »138. La CIJ incite en effet

à considérer l’équité comme étant la possibilité de corriger l’inéquité trop flagrante qui

pourrait ressortir suite à l’application d’une méthode comme celle de l’équidistance. Le juge

n’est pas libre de choisir toutes les méthodes possibles et imaginables pour parvenir à un

résultat équitable. Son intervention « arbitraire » ne se fait que si la délimitation est

inéquitable.

La sentence traitant du litige entre Guyana et le Surinam (qui se rapproche très fortement139 de

l’arrêt rendu pour le différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Honduras dans la

mer des Caraïbes140), assure que « the tribunal agrees that special circumstances that may

affect a delimitation are to be assessed on a case-by-case basis, with reference to

international jurisprudence and State practice »141.

Enfin, le tout dernier arrêt rendu par la CIJ en matière de délimitation maritime reprenant les

avancées de ces dernières années réécrit la méthode à utiliser pour les délimitations

contentieuses sans même évoquer l’équité. Le juge commence par établir une ligne

d’équidistance (ou médiane, mais la méthode est la même) en se basant sur des critères

objectifs. Ensuite « le tracé de la ligne finale doit aboutir à une solution équitable »142. Le

juge doit alors prendre en compte des « facteurs »143 afin d’ajuster la ligne. La dernière étape

sera de vérifier que le résultat ne soit pas inéquitable.

Les Etats ont eux aussi développé dans leurs pratiques une fonction correctrice de

l’équité, mais qui garde une grande autonomie.

138 CIJ Rec. 2002, § 294, p. 443 139 Weckel Philippe (dir.), « Chronique de jurisprudence internationale », RGDIP, 2008-1 140 Différend territorial et maritime dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), Arrêt, 8 octobre 2007, CIJ, Recueil, p. 179 141 RSA, 2007, § 303, p. 96 : « le tribunal est d’accord sur le fait que des circonstnces spéciales qui affectent une délimitation doivent être prises en compte sur la base du cas par cas en se référant à la jurisprudence internationale et à la pratique des Etats ». 142 CIJ. Rec. 2009, § 120, p. 37 143 Idem.

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

57

Section II : L’équité, fonction correctrice dans la pratique des Etats

Les Etats font preuve d’un grand réalisme dans leur pratique (A) pour pouvoir

parvenir au résultat attendu (B). Pourtant, celui-ci n’est semble-t-il, valable qu’à court ou

moyen terme.

A°/ Les réalités des délimitations maritimes entre Etats

Nous avons pu voir, les points communs entre l’équité d’une délimitation

conventionnelle et l’équité d’une délimitation judiciaire dès lors qu’on la considérait comme

créatrice d’une méthode particulière de délimitation. Pourtant, sans remettre en cause cette

origine commune, l’équité entendue comme fonction correctrice a un impact encore plus vrai

dans la pratique des Etats, et qui ira certainement prendre en considération des éléments

volontairement négligés par les juges.

Le développement exponentiel des accords de délimitation depuis la deuxième moitié

du XXème siècle tient d’abord à l’obligation qui est faite aux Etats de négocier. Cela tient

ensuite au fait que deux Etats ayant des relations diplomatiques correctes vont pouvoir

envisager de prendre en compte une multitude de considérations dans le processus de

délimitation. Ainsi, on a pu voir apparaître des zones inconnues en droit de la mer, mais dont

l’utilité est avérée. C’est le cas des zones de protection de l’environnement, créée par exemple

par le traité du 18 avril 1990 entre Trinité et Tobago et le Vénézuéla, ou celui entre l’Australie

et la Papouasie-Nouvelle Guinée du 18 décembre 1978.

Mais l’intérêt le plus flagrant pour les Etats est néanmoins la coopération ou la

négociation en matière d’exploitation d’hydrocarbures. L’exploitation du plateau continental

et de ses ressources minérales est un élément de motivation pour délimiter les frontières

maritimes. C’est ainsi que la cour internationale de justice avait dès 1969, poussé les Etats à

établir des coopérations. L’arrêt expliquait : « si […] la délimitation attribue aux parties des

zones qui se chevauchent, celles-ci doivent être divisées entre les parties par voie d’accord,

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

58

ou, à défaut, par parts égales, à moins que les parties n’adoptent un régime de juridiction,

d’utilisation ou d’exploitation commune pour tout ou partie des zones de chevauchement »144.

Ainsi, de nombreux accords comportent des dispositions sur l’exploitation des ressources

minérales et surtout pétrolières. Il existe une multitude de formes de coopération. Laurent

Lucchini et Michel Voelckel ont pu recenser différentes dispositions déjà envisagées : la

recherche d’un accord entres les parties, la fixation d’une limite physique à l’exploitation, le

partage ou encore l’exploitation conjointe organisée et institutionnalisée.

L’important, on le devine bien, est de pouvoir parvenir à un résultat qui convient aux

parties.

B°/ L’Equité et le résultat des négociations

Dès lors qu’il s’agit de négociations interétatiques, l’équité peut être comprise dans un

sens téléologique. En effet, la question que l’on peut se poser est de savoir quand est ce qu’un

résultat équitable est atteint dans des négociations entre Etats. La réponse est claire, c’est à

partir du moment où les deux Etats, par le biais d’un jeu de concessions, arrivent à la

satisfaction de chacun de ses objectifs.

Messieurs Lucchini et Voelckel considèrent que l’équité dans les accords de délimitation

désigne « l’esprit de pondération et d’équilibre qui doit présider aux négociations, et qui est

de nature à amener les parties à un résultat juste et acceptable pour chacune d’elle »145.

Ainsi, plusieurs méthodes de délimitation sont possible et même imaginable lorsque

les Etats négocient, mais nous savons qu’aucune méthode ne peut être clairement énoncée par

le droit, et qu’à chaque méthode nous pourrons avoir des excès que l’équité appelle

nécessairement à corriger. Dans cette correction, les Etats sont libres de prendre en compte

d’autres critères qui leur permettront de parvenir à la satisfaction de leurs souhaits et/ou

besoins.

144 CIJ. Rec. 1969, § 101 C.2. , p. 53 145 Voelckel M. et Lucchini L., op. cit. p. 133

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

59

Toutefois, il faut relativiser cette grande liberté laissée aux Etats. Comme nous le

verrons plus particulièrement par la suite, si les juges ont décidé de ne pas prendre en compte

des circonstances économiques dans le tracé des délimitations maritimes, c’est parce que ces

considérations sont aléatoires dans le temps. L’exploitation des ressources hydrocarbures ne

durera qu’un temps, rendant certaines délimitations injustifiées. On peut même prévoir dès à

présent des déséquilibres en matière d’exploitation des énergies. Prenons l’exemple du

développement de l’offshore éolien ou des énergies marémotrices. Ces nouvelles formes

d’exploitation doivent se faire à une assez grande distance des côtes, et dans des zones à fort

courant ou à fort vent, ce qui n’est pas le cas partout en mer et certains Etats pourraient se

trouver lésés alors qu’ils bénéficiaient de délimitations « équitables » lorsqu’ils exploitaient

des hydrocarbures. Il faudra dès lors renégocier des frontières maritimes. Toutefois, le cas ne

s’est pas encore présenté, mais peut être imaginé.

Page 61: CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

60

PARTIE II : L’E QUITE , UNE NOTION IDENTIFIABLE

Bien que l’équité soit difficilement appréhendable juridiquement, elle n’en demeure

pas moins une notion constante dans la jurisprudence en matière de délimitation maritime.

Quels sont les éléments qui peuvent être identifié ?

Lorsque l’on étudie la notion d’équité, il apparait que dans le processus de délimitation, elle

donne aux juges ou arbitres deux types d’obligations : une obligation de moyens (Titre I ), et

une obligation de résultat (Titre II ).

TITRE I : UNE OBLIGATION DE MOYENS : LES METHODES DE DELIMITATION

Il s’agit en effet pour le juge de mettre tout en œuvre dès le départ pour que la

délimitation soit le plus équitable possible. Ceci se traduit par une obligation de moyens

L’équité imprègne chaque étape du processus de délimitation, tant sur le point de départ

(Chapitre I ) que sur la correction d’une ligne provisoire (Chapitre II ).

CHAPITRE I : LE POINT DE DEPART : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EQUITABLE

Le point de départ de toute délimitation est la recherche de la méthode la plus

équitable. Le débat qui anima la jurisprudence et les négociateurs lors des différentes

conférences sur le droit de la mer fût de savoir si la méthode de l’équidistance était pertinente

(Section I). Une fois la question de la ligne réglée, il faut aussi se poser la question de la zone

pertinente de délimitation (Section II).

Section I : La pertinence de la ligne d’équidistance

La question de l’équidistance fût énormément contestée (A), mais paradoxalement

souvent utilisée par ses détracteurs (B).

Page 62: CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

61

A°/ Une méthode contestée

Tout d’abord, la méthode de l’équidistance se définit comme étant « la ligne dont tous

les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de bases »146 que celles-ci

soient droites ou normales. Simple, cette méthode s’est rapidement imposée. C’est le cas par

exemple, dès 1842, dans la délimitation effectuée entre la Chine et le Royaume-Uni au sujet

des eaux situées entre Hong Kong et le continent.

L’équidistance peut se décliner de différentes façons. Elle peut être simplifiée lorsque

l’équidistance stricte donne naissance à une ligne compliquée d’usage, comme elle peut être

ajustée en fonction de caractéristiques géographiques (sans pour autant leur donner toujours

leur plein effet).

Bien que mentionnée dès 1958 dans les conventions de Genève sur la mer territoriale

et sur le plateau continental, la méthode de la ligne d’équidistance n’a cessé de poser

question. En effet, l’article 6 de la convention de Genève sur le plateau continental ainsi que

l’article 12 de la convention de Genève sur la mer territoriale et la zone contigüe traitent de la

règle équidistance / circonstances spéciales. La méthode de l’équidistance doit être écartée ou

la ligne modifiée dans le cas où il existerait un titre historique (pour la mer territoriale), ou des

circonstances spéciales.

Dès 1969, la CIJ se lance dans une longue diatribe déniant ainsi à l’article 6 le caractère d’une

norme coutumière, et refusant la méthode de l’équidistance comme étant un principe inhérent

à la délimitation du plateau continental. Pourtant, la cour et les tribunaux arbitraux vont

utiliser sans cesse cette technique ou ses variantes (ligne médiane pour les côtes qui se font

face, ligne bissectrice dans le cas de lignes de bases simplifiées ou droites).

Les juges expliquent ces refus en faisant observer que « (l'opinion des juristes) a procédé, et

elle n'a cessé de procéder, de deux convictions : en premier lieu il était peu probable qu'une

méthode de délimitation unique donne satisfaction dans toutes les circonstances et la

délimitation devait donc s'opérer par voie d'accord ou d'arbitrage; en second lieu, la

délimitation devait s'effectuer selon des principes équitables. C'est en raison de la première

conviction que la Commission a donné priorité à la délimitation par voie d'accord dans le 146 Article 15 Convention de Montego Bay

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

62

projet qui est devenu l'article 6 de la convention de Genève et c'est en raison de la seconde

conviction qu'elle a introduit l'exception des ‘circonstances spéciales’. Les documents

montrent cependant que, même avec ces atténuations, les doutes ont persisté, en particulier

sur le point de savoir si le principe de l'équidistance se révélerait équitable dans tous les

cas.»147.

Dans les arrêts suivants, la cour résumera sa position en précisant que « la Chambre ne peut

donc que conclure, sous cet angle, que les dispositions de l'article 6 de la convention de 1958

sur le plateau continental, tout en étant en vigueur entre les Parties, ne comportent pas pour

ces dernières, ni pour la Chambre, une obligation juridique de les appliquer à la délimitation

maritime unique qui fait l'objet du présent procès »148.

La convention des Nations-Unies, qui sera à l’origine de la convention de Montego Bay

tiendra compte de cet opinion, n’imposant ainsi aucune méthode spécifique aux Etats et aux

juges. Il revient aux juges, arbitres et Etats de trouver la méthode la plus adaptée permettant

de parvenir à un résultat équitable. La cour résumera en 1985 sa pensée ainsi : « la Cour ne

saurait admettre que, même comme étape préliminaire et provisoire du tracé d'une ligne de

délimitation, la méthode de l'équidistance doive forcément être utilisée ... »149

Cette méthode, bien que reconnue dans la pratique comme l’une des plus employables et

surtout des plus équitables, n’en demeure pas moins d’une grande rigidité pour la flexibilité

que permet l’équité. Il semble même qu’elle se place sur un même pied d’égalité avec les

autres méthodes si l’on en croit la cour. Elle fonde son jugement en regardant la pratique des

Etats, et c’est le tribunal arbitral de 1977 qui en explique l’une des raisons : «même sous

l'angle de l'article 6 [de la convention de 1958], ce sont les circonstances géographiques et

autres qui, dans chaque espèce, indiquent et justifient le recours à la méthode de

l'équidistance comme étant le moyen de parvenir à une solution équitable, plutôt que la vertu

propre de cette méthode qui ferait d'elle une règle juridique de délimitation »150.

A côté des ces affirmations, certainement liées à un souhait de ne pas compromettre la

flexibilité propre à l’équité, les juges font largement usage de l’équidistance.

147 CIJ. Rec., 1969, § 55, p. 36 148 CIJ. Rec., 1984, § 125, p. 303 149 CIJ. Rec., 1985, § 43, p. 37 150 RSA, vol. XVIII, § 70, p. 175

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

63

B°/ Une méthode largement employée

L’arrêt de 1969 a ceci de paradoxal que les juges critiquent la méthode de

l’équidistance tout en l’utilisant par la suite. Cette critique va perdurer de manière aussi forte

jusqu’en 1985 environ.

En effet, la cour explique à cette époque que « la méthode d'équidistance non corrigée peut

laisser en dehors du calcul d'appréciables longueurs de rivage et attribuer à d'autres une

influence exagérée en raison simplement de la physionomie des relations entre les côtes »151,

ce qui lui permet d’éviter d’ériger l’équidistance comme une règle principale de délimitation.

Ceci ne l’empêche par pour autant de dire quelques lignes plus bas que « l'équité de la

méthode de l'équidistance était particulièrement prononcée dans les cas dans lesquels la

délimitation à effectuer intéressait des Etats dont les côtes se faisaient face »152.

Par ailleurs, il est à noter que de nombreux Etats demandent à ce que l’équidistance soit

utilisée par le juge. Certains la considèrent même comme une règle générale et obligatoire153.

La sentence de 1977 qui à bien des égards est en avance sur les règles applicables à la

délimitation maritime, estime qu’il est « conforme non seulement aux règles juridiques

applicables au plateau continental mais aussi à la pratique des Etats de rechercher la

solution dans une méthode modifiant le principe de l’équidistance ou en y apportant une

variante, plutôt que de recourir à un critère de délimitation tout à fait différent »154.

L’arrêt rendu par la cour en 1993 dans l’affaire Jan Mayen ne se préoccupe plus de critiquer la

méthode de l’équidistance. Se débarrassant de toutes réserves, la CIJ affirme que le droit

coutumier permet, comme première étape pour la délimitation du plateau continental et de la

zone économique, l’élaboration d’une ligne d’équidistance ou médiane (lorsque les Etats se

font faces)155.

151 CIJ., Rec. 1985, § 56, p. 44 152 CIJ., Rec. 1985, § 62, p. 47 153 C’est le cas par exemple du Canada dans l’affaire du Golfe du Maine 154 RSA, vol. XVIII, § 249, p. 254 155 CIJ., Rec. 1993, § 53, p. 62 : « Il apparaît donc que, tant pour le plateau continental que pour les zones de pêche, il est approprié en l'espèce d'entamer le processus de délimitation par une ligne médiane tracée à titre provisoire. »

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

64

La raison de ce retour en grâce ou tout du moins de son utilisation fréquente, est qu’elle

permet d’observer de prime abord si une délimitation est équitable. Par la suite, il ne reste

plus qu’à modifier le tracé pour que le résultat obtenu soit équitable.

Par la suite, les arbitres se laissent entraîner eux aussi par la facilité que représente la

méthode de l’équidistance. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la remarque des arbitres dans

l’affaire Erythrée / Yémen : « il est généralement admis, ainsi qu’en témoignent tant les

écrits des publicistes que la jurisprudence, qu’entre des côtes se faisant face, c’est par une

ligne médiane ou d’équidistance que s’obtient en principe une frontière équitable telle que

prescrite dans la Convention, et en particulier dans ses articles 74 et 83, qui portent

respectivement sur la délimitation équitable de la zone économique exclusive et du plateau

continental entre Etats dont les côtes se font face ou sont adjacentes »156. Il est intéressant de

noter qu’il n’est plus seulement question de la jurisprudence ou de l’opinion des juristes pour

fonder cette décision. Les articles 74 et 83 de la Convention de Montego Bay, parce qu’ils

obligent les Etats à trouver une solution équitable, sont le fondement de l’emploi de la

méthode de l’équidistance.

Alors que celle-ci était mise sur un plan d’égalité avec les autres méthodes possibles, il

semblerait que sans devenir juridiquement la méthode applicable obligatoirement, elle est

obtenue la priorité. Se fondant sur la sentence concernant la mer des Caraïbes, la CIJ explique

en 2009 : « la Cour commence par établir une ligne de délimitation provisoire en utilisant des

méthodes objectives d’un point de vue géométrique et adaptées à la géographie de la zone

dans laquelle la délimitation doit être effectuée. Lorsqu’il s’agit de procéder à une

délimitation entre côtes adjacentes, une ligne d’équidistance est tracée, à moins que des

raisons impérieuses propres au cas d’espèce ne le permettent pas »157.

Pourtant, cette sentence de 2007 sur la mer des Caraïbes écarte l’emploi d’une ligne

d’équidistance. Les arbitres ont estimé qu’une telle méthode serait inappropriée en raison de

la disposition des côtes. Ils notent que « l’accrétion continue du cap risquerait […] de rendre

arbitraire et déraisonnable dans un avenir proche toute ligne d’équidistance qui serait tracée

aujourd’hui de cette façon »158. Mais il faut modérer cet emploi. En effet, une ligne

156 RSA 1996, § 131, p. 494 157 CIJ. Rec. 2009, § 116, p. 37 158 RSA 2007, § 277

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

65

bissectrice est dessinée entre les directions générales des côtes du Honduras et du Nicaragua.

Cette ligne n’est rien d’autre qu’une ligne d’équidistance simplifiée159.

Il semblerait qu’aujourd’hui nous en soyons arrivé à un stade où la méthode de

l’équidistance est devenue la méthode prioritaire sans que pour autant soient négligées les

autres méthodes possibles. Mais pour parvenir à tracer une ligne de délimitation, il convient

de délimiter la zone pertinente à cet usage.

Section II : La pertinence de la zone de délimitation

Pour que soit déterminée la zone pertinente de délimitation (A), il faut s’interroger sur

les titres qui sont à l’origine du litige (B).

A°/ Du prolongement naturel au partage équitable

La question de la pertinence de la zone de délimitation est un exemple flagrant de

l’interdépendance du plateau continental et de la ZEE, à l’origine conçues comme deux zones

maritimes absolument distinctes.

Mais avant de déterminer la zone de délimitation, se pose la question de l’existence même

d’une zone litigieuse, même si « it may appear as stating the obvious to say that if there were

no area in dispute there would be no case before the Court »160.

Avant la naissance de la notion de ZEE, la nature même du plateau continental poussa

tant les Etats que les juges à rapprocher la délimitation de cette zone de celle des territoires

terrestres. En effet, le plateau continental pouvait être déclaré unilatéralement par les Etats. Le

titre de l’Etat se fondait sur la théorie du prolongement naturel, ce que la cour explique en

disant que les droits des Etats existent « ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de

l’Etat sur ce territoire (terrestre) et par une extension de cette souveraineté sous la forme de 159 Voir en ce sens : Pratt M., «Affaire relative au différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) » , Journal judiciaire de la Haye, vol. 2, n°3, 2007 160 Evans M.D., « Relevant circumstances and maritime delimitation », Clarendon press, Oxford, 1989, p. 65 : “il peut sembler évident de dire que s’il n’y avait pas de zone de contentieux, il n’y aurait pas d’affaire devant le tribunal ».

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

66

l’exercice de droits souverains aux fins de l’exploration du lit de la mer et de l’exploitation

de ses ressources naturelles »161. Il ne s’agit donc plus là pour les Etats de créer, comme c’est

le cas pour la ZEE, une zone de novo, ni même de procéder à un partage « juste et

équitable »162. Les Etats seraient amenés à se fonder sur des critères plus géologiques que

géométriques, rejoignant par là l’idée de frontières naturelles telles qu’on peut les voir sur les

territoires terrestres. Pourtant la cour exprime déjà une nuance en affirmant que l’on doit avoir

recours à la « structure physique et géologique pour autant que cela soit possible »163.

De plus, dans la pratique, les Etats ont le plus souvent recours à des délimitations

géographiques, comme le montre la délimitation du plateau continental entre le Royaume-Uni

et la Norvège en mer du Nord. Ils utilisent une ligne médiane sans tenir compte de la fosse de

Norvège.

Avec la création des ZEE, on va finir par abandonner ou tout du moins diminuer le

critère du prolongement naturel pour voir apparaitre la notion de distance. Comme le dit le

professeur Beurier, « une frontière est avant tout politique, elle doit refléter la volonté des

Etats pour être stable »164, ce qui fait de la délimitation maritime (au même titre que la

délimitation terrestre), une « opération juridico-politique et rien ne dit que cette délimitation

doive suivre une frontière naturelle »165.

Dès 1977, le tribunal arbitral dans l’affaire franco-britannique considère que le

prolongement naturel n’est pas un « principe absolu »166. Cette théorie ne peut finalement

exister que dans le cas où il existe un plateau continental pour chaque Etat, mais la plupart du

temps, il s’agira du même plateau167, ce qui fait dire à la cour en 1978 que « ce n’est qu’en

raison de la souveraineté de l’Etat sur la terre que des droits d’exploration et d’exploitation

sur le plateau continental »168. En 1982, la cour explique que le prolongement n’est plus la

seule théorie acceptable ou en tout cas, n’est plus le fondement du raisonnement en matière de

délimitation, et c’est en 1985, au regard des évolutions de la convention de Montego Bay (qui

161 CIJ. Rec. 1969, § 19, p. 22 162 CIJ. Rec. 1969, § 15, p. 20 163 CIJ. Rec. 1969, § 101, p. 54 164 Op. cit., p. 104 165 CIJ. Rec. 1984, p. 246 166 RSA 1977, § 194 167 Affaire de la délimitation maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, Sentence arbitrale, 14 février 1985, RSA, Volume XIX, § 116, p. 191 168 Affaire du plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), 19 juin 1978, Recueil CIJ, p. 3

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

67

prévoit une limite juridique à 200 milles marins) que la cour affirme que « le critère de

distance doit dorénavant s’appliquer au plateau continental comme à la zone économique

exclusive »169. Ce critère a l’avantage d’éviter les superpositions de titres de différents Etats,

avec par exemple une ZEE d’un Etat qui surplombe le plateau continental d’un autre. On peut

déjà voir s’amorcer l’idée d’une ligne de délimitation unique. Le poids joué par la distance

est de plus, lié à un souci d’égalité, afin d’éviter que les différences de structures de fonds

marins ne défavorisent certains Etats, que ceux-ci se fassent face ou que leurs côtes soient

adjacentes.

Toutefois, certains évènements récents nous permettent de douter de la disparition

définitive de la théorie du prolongement naturel, tout du moins dans la pratique ou la volonté

des Etats. Prenons l’exemple de l’océan Arctique, qui devrait prochainement être l’un des

espaces à délimiter des plus complexes. En août 2007, la Marine Russe envoie un sous-marin

nucléaire planter un drapeau au bout de la dorsale de Lomonossov, à savoir sous le pôle nord

géographique. Cette dorsale est revendiquée comme étant le plateau continental de la Russie,

sauf que le Danemark et le Canada revendiquent tous deux le plateau continental qui se trouve

sous le pôle nord. Pour le moment, aucune proposition de délimitation équitable n’a été faite.

Il ne s’agit que de revendications strictement territoriales (comme le démontre le planté de

drapeau au fond de l’eau).

B°/ La définition de la zone pertinente

La définition d’une aire de délimitation, contrairement à ce que l’on pourrait croire,

n’a rien à voir avec des considérations géographiques170. Il s’agit bien d’une définition

juridique171 dans le cadre du processus de délimitation. Elle se définit comme étant « la zone

dans laquelle les titres des Etats en présence entrent en concurrence »172. L’étendue de cette

zone aura une importance non-négligeable sur le résultat de la délimitation et surtout dans

l’optique d’un résultat équitable. Toutefois, toute la zone ne sera pas forcément nécessaire

pour poursuivre l’opération.

169 CIJ. Rec. 1985, § 34, p. 33 170 Ces considérations sont généralement traitées au début de chaque arrêt ou de chaque sentence 171 CIJ. Rec. 1984, § 41, p. 272 : « seule la notion d’aire de délimitation est une notion juridique, quoique établie sur la toile de fond de la géographie physique et politique ». 172 Lucchini L. et Voelckel M., op. cit., p. 218

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

68

La zone pertinente est certes une aire de superposition des titres, mais il demeure

difficile de déterminer les critères permettant d’en fixer les limites.

On peut faire la distinction entre trois cas de figures.

Dans un premier temps, le juge peut n’avoir qu’à se baser sur la zone telle qu’elle est

exprimée par les parties dans le compromis. Ce fût, par exemple, le cas dans l’affaire du Golfe

du Maine où les Etats-Unis et le Canada avaient donné le point de départ de la ligne de

délimitation ainsi que la figure géométrique de la zone dans laquelle cette délimitation devait

avoir lieu (cf. annexe VI).

Dans un deuxième temps, le juge peut être confronté à un compromis ne déterminant pas

précisément la zone en question. Dans ce cas là, il s’appuiera sur le compromis pour tenter de

dégager la volonté convergente des parties. Dans l’affaire opposant la Tunisie à la Libye par

exemple, les positions des deux Etats se regroupaient approximativement, ce qui permis à la

cour et lui fit dire que cela suffisait « pour le moment à définir de manière générale la région

à prendre en considération aux fins de délimitation »173.

Enfin, il est parfois nécessaire pour le juge d’apprécier les droits ou revendications éventuels

d’Etats tiers dans la zone considérée. Dans l’affaire anglo-française de 1977, le compromis

entre les parties déterminent une zone de délimitation relativement claire, hormis le problème

concernant les droits irlandais. La ligne de délimitation du plateau continental entre les deux

pays pouvait potentiellement rencontrer celle qui délimiterait les plateaux britannique et

irlandais174. L’affaire du plateau continental entre Malte et la Libye est encore plus

significative du souci qu’a le juge de ne léser aucun Etat tiers. Il va en effet se contenter de

traiter uniquement de la zone sur laquelle aucun autre Etat tiers n’a formulé de revendications.

Lorsque la zone de délimitation est clarifiée, il convient pour le juge de déterminer les

côtes pertinentes175.

La première question à se poser est de savoir comment sont projetées en mer les zones

maritimes. La CIJ donne très clairement la réponse en 1982 : « c’est la côte du territoire de

173 CIJ. Rec. 1982, § 35, p. 42 174 RSA, 1977, §§ 25-27 175 Parfois, le juge déterminer d’abord les côtes avant de définir la zone de délimitation : CIJ Rec. 2009, §§ 106-107 p. 35 (cf. Annexe VII)

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

69

l’Etat qui est déterminante pour créer le titre sur les étendues sous-marines bordant cette

côte »176. Concernant à la fois le plateau continental et la ZEE, la cour dira : « le droit

international attribue à l’Etat côtier un titre juridique sur un plateau continental adjacent ou

sur une zone maritime adjacente à ses côtes »177.

On appelle cette théorie la théorie des « projections côtières », car elle met en évidence le rôle

joué par la façade maritime, déniant par là même à la masse territoriale qu’il peut y avoir

derrière, toute fonction dans la délimitation en mer178, et déniant à la simple adjacence du

plateau continental au territoire d’un Etat un rôle dans la possession du titre179. « La terre

domine la mer »180.

Sur ces côtes pertinentes, le juge peut être amené à choisir des segments de côtes pour

le tracé de la délimitation maritime. Ce choix s’explique aisément, notamment à la lumière de

l’affaire Tunisie-Libye où la CIJ explique que « tout segment du littoral d’une partie, dont en

raison de sa situation géographique, le prolongement ne pourrait rencontrer celui du littoral

de l’autre partie est à écarter »181.

Dans la dernière affaire en matière de délimitation qui opposait l’Ukraine à la Roumanie, on

peut voir que la totalité de la côte roumaine est considérée comme pertinente, alors que la coté

ukrainienne se voit amputée d’un segment entre le port de Zaliznyy et le cap Tarkhankut (cf.

Annexe VIII ).

La ligne provisoire de délimitation déterminée, le juge peut être amené à prendre en

compte certains éléments pour corriger équitablement le tracé temporaire.

CHAPITRE II : LA CORRECTION EQUITABLE DE LA DELIMITATION

La correction équitable d’une délimitation provisoire peut être comprise comme le

cœur de l’équité dans le processus de délimitation. A la lumière de principes équitables

176 CIJ. Rec. 1982, § 73, p. 61 177 CIJ. Rec. 1984, § 103, p. 296 (dans l’arrêt les mots adjacent et adjacente sont en italique) 178 CIJ. Rec. 1985, § 49, pp. 40-41 179 CIJ. Rec. 1984, § 103, p. 296 180 CIJ. Rec. 1969, § 96, p. 51 181 CIJ. Rec. 1980, § 75, p. 61

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

70

(Section I), les circonstances pertinentes ou spéciales (Section II) vont être l’enjeu principal

de la modification du tracé.

Section I : Les circonstances pertinentes ou spéciales au regard des

principes équitables

D’après Prosper Weil, « principes équitables et circonstances pertinentes constituent

les deux faces d’une même réalité : c’est leur conjugaison qui forme l’équité en tant que

notion juridique »182.Ces deux notions sont les deux hémisphères du cerveau que serait

l’équité. L’un a une fonction généralisatrice (A) et l’autre a une fonction individualisatrice

(B).

A°/ Les principes équitables : une fonction généralisatrice

Circonstances pertinentes et principes équitables sont en soit assez difficiles à

distinguer mais vont toujours de paire. Pourtant, il ne peut s’agir de la même chose puisque

tous les arrêts ou sentences parlent encore de la règle « principes équitables / circonstances

pertinentes ».

Cette règle, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire est à rapprocher de la règle qui

découle de la délimitation de la mer territoriale « équidistance / circonstances spéciales ».

C’est en tout cas ce que dit la cour en 1993 dans l’affaire Jan Mayen : « Il ne peut y avoir rien

de surprenant à ce que la règle équidistance/circonstances spéciales aboutisse

essentiellement au même résultat que la règle principes équitables/circonstances

pertinentes »183.

En 1985, on trouve une autre preuve de la distinction à faire entre circonstances pertinentes et

principes équitables. En effet le juge donne comme exemple de principe équitable le

« principe du respect dû à toutes ces circonstances pertinentes »184.

182 Weil. P., op. cit., p. 226 183 CIJ. Rec. 1993, § 56, p. 62 184 CIJ Rec. 1985, § 46, p. 39

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

71

Avec les principes équitables et l’ « énigme »185 qu’ils représentent, nous sommes au

cœur de la construction jurisprudentielle de l’équité. La cour en 1969 constate que les

conventions de Genève de 1958 ne sont pas applicables à l’espèce. Le juge doit pourtant

répondre à la question « d’une généralité extraordinaire »186 des principes et règles de droit

international applicables à la délimitation. La cour répond alors qu’il s’agit « d'appliquer une

règle de droit prescrivant le recours à des principes équitables conformément aux idées qui

ont toujours inspiré le développement du régime juridique du plateau continental »187. Pour

cela, les parties « sont tenues d’agir de telle sorte que, dans le cas d’espèce et compte tenu de

toutes les circonstances pertinentes, des principes équitables soient appliqués »188.

Depuis lors, les principes équitables sont systématiquement invoqués, avec ceci de

déconcertant pour les Etats, que l’on ne sait pas ce qui peut être considéré comme un principe

équitable. La cour elle-même le reconnait, en disant que le droit international « se limite à

prescrire en général l’application de critères équitables qu’il ne définit pas »189.

Seuls quelques exemples pouvaient être retenus jusqu’en 1985 : la délimitation ne doit pas

être une répartition des espaces190, la terre domine la mer191 ou encore la délimitation ne doit

pas refaire la géographie192. Ces exemples font partis de ceux résumés par la cour dans un

souci de clarification dans l’arrêt rendu dans l’affaire du Golfe du Maine193. Cet effort est

poursuivi en 1985, lorsque le juge établi une liste non-exhaustive de principes : « le principe

qu’il ne saurait être question de refaire complètement la géographie ni de rectifier les

inégalités de la nature ; le principe voisin du non-empiètement d’une partie sur le

prolongement naturel de l’autre [...], le principe du respect dû à toutes ces circonstances

pertinentes ; le principe suivant lequel, bien que tous les Etats soient égaux en droit et

185 Bedjaoui M., « L’énigme des principes équitables dans le droit de la délimitation maritime », Revista Espagnola de Derecho Internacional, 1990, p. 367 186 Highet Keith, « Les principes équitables en matière de délimitation maritime », Revue Québécoise de Droit International, volume V, 1988, p. 276 187 CIJ. Rec. 1969, § 85, p. 47 188 Idem. 189 CIJ. Rec. 1984, § 89, p. 278 190 CIJ. Rec. 1969, § 18 et 20, p. 22 191 CIJ. Rec. 1969, §96, p. 51 192 RSA 1977, § 249 193 CIJ. Rec. 1984, § 157, pp. 312-313

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

72

puissent prétendre à un traitement égal, ‘l’équité n’implique pas nécessairement

l’égalité’ [...] ; et le principe qu’il ne saurait être question d’une justice distributive »194.

Notons l’avis particulier émis par M.D. Bletcher, un auteur sud-africain, qui considère que

l’on peut voir en l’équidistance et la proportionnalité, deux principes équitables195 alors même

que la cour leur nie cette position.

La cour va elle-même reconnaître le caractère généraliste de ces principes196 mais qui

ne suffiront pas à donner un cadre juridique précis et sûr aux circonstances pertinentes. En

tout cas, à eux deux, ils s’ajustent, se compensent, se complètent afin d’assurer un résultat

équitable. Les principes équitables sont « subordonnés à l’objectif à atteindre »197, et leur

caractère équitable doit être « apprécié d’après l’utilité (qu’ils présentent) pour aboutir » à

une solution équitable »198. Purs produits de la jurisprudence, ces principes sont invoqués

dans tous les arrêts récents sans pour autant être plus clarifiés, alors que les circonstances

pertinentes semblent plus faciles à définir.

B°/ Les circonstances pertinentes et les circonstances spéciales :

une fonction individualisatrice

Les circonstances pertinentes ou spéciales ne peuvent être étudiées sans prendre en

compte le processus de délimitation dans son ensemble, auquel cas elles seraient accusées de

suite d’être l’expression d’une construction arbitraire du juge. Prises dans l’ensemble du

processus, elles constituent l’une des armes de l’équité pour parvenir à une délimitation

équitable. Elles sont le symbole de l’unicum de chaque espèce, mais sont cadrés comme nous

venons de le voir par des principes équitables et le souci d’une solution juste et équitable.

Avant toutes choses, il convient de faire une distinction entre les circonstances

pertinentes et les circonstances spéciales. Ces deux notions, certes proches, mais ne peuvent

être confondues ou tout du moins considérées comme ayant « une unité de nature »199. La

194 CIJ. Rec. 1985, § 46 p. 39 195 Bletcher M.D., «Equitable delimitation of continental shelf », AJIL, volume 73, n°1, Janvier 1979, pp. 60-88 196 Idem. 197 CIJ Rec. 1982, § 70, p. 59 198 Idem 199 Rec. CIJ 1993, Déclaration de M. Ranjeva, p. 88

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

73

cour reconnait leur proximité en 1993 en expliquant que « bien qu’il s’agisse de catégories

différentes par leur origine et par leur nom, il y a inévitablement une tendance à

l’assimilation des circonstances spéciales de l’article 6 de la convention de 1958 et des

circonstances pertinentes en droit coutumier, ne serait-ce que parce que toutes doivent

permettre d’atteindre un résultat équitable »200.

Comme le rappelle ici la cour, il faut distinguer d’une part les critères d’origine

conventionnelle et d’autre part les critères d’origine coutumière. A l’heure actuelle, seule la

délimitation de la mer territoriale selon la convention de Montego Bay nécessite l’intervention

de circonstances spéciales dont le but est la modification du résultat du tracé de la ligne

d’équidistance, ou l’utilisation d’une autre méthode de délimitation. Les circonstances

spéciales trouvent leur origine dans les conventions de Genève de 1958.

Les circonstances pertinentes découlent de l’arrêt de 1969. On s’en rappelle, cette décision ne

pouvait prendre en compte les conventions de Genève. La cour explique alors qu’ « il n’y a

pas de limites juridiques aux considérations que les Etats peuvent examiner afin de s’assurer

qu’ils vont appliquer des procédés équitables »201.

Plusieurs différences sont à noter entre « circonstances spéciales » et « circonstances

pertinentes ». Tout d’abord, il peut être fait la remarque que les circonstances spéciales

s’attachent un peu plus à des considérations géographiques202 alors que les circonstances

pertinentes sont plus diversifiées, comme nous le verront par la suite.

Les circonstances pertinentes ont un rôle d’individualisation de chaque affaire. Elles

sont à examiner dans les faits de l’espèce. Proposées par les Etats parties, il revient au juge de

faire le choix des circonstances qui s’avèrent pertinentes.

Dès 1977, le tribunal arbitral dit que c’est « dans les circonstances propres à la présente

affaire et dans l’égalité particulière des deux Etats [...] qu’il faut rechercher d’éventuelles

considérations d’équité »203. Le juge Jimenez de Arechaga expliqua pour sa part que

l’application de l’équité signifie « en fait considérer et mettre en balance les circonstances

particulières à l’espèce, de façon à statuer, non pas en appliquant rigidement un certain

nombre de règles et principes généraux et de notions juridiques formelles, mais en adaptant

et en ajustant ces principes, règles et notions aux faits, aux réalités et aux circonstances de

200 Rec. CIJ. 1993, § 56, p. 62 201 Rec. CIJ. 1969, § 93, p. 50 202 C’est le cas des îles dans l’affaire Anglo-Française de 1977 203 RSA 1977, § 195

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

74

l’espèce »204. Chaque cas étant un unicum, il n’est pas concevable d’avoir une liste détaillé et

inamovible des critères pouvant être pris en compte par les Etats et les juges. L’étendue des

circonstances pertinentes est amenée à évoluer, en fonction des avancées jurisprudentielles

mais aussi des progrès du droit de la mer et des préoccupations des Etats. On a ainsi glissé de

préoccupations géomorphologiques (liées notamment à l’importance qu’avait la théorie du

prolongement naturel) vers des préoccupations économiques. Cette évolution devrait tendre

désormais vers des préoccupations environnementales.

Le juge, malgré l’important pouvoir qui lui revient, ne peut dépasser certaines limites. Ainsi,

la CIJ explique en 1985 que « seules pourront intervenir les circonstances qui se rapportent à

l’institution du plateau continental telle qu’elle s’est constituée en droit, et à l’application de

principes équitables à sa délimitation. S’il en allait autrement, la notion juridique de plateau

continental elle-même pourrait être bouleversée par l’introduction de considérations

étrangères à sa nature »205.

Dans le processus de délimitation, la place des circonstances pertinentes a évolué.

Dans l’optique d’une équité créatrice, ces circonstances avaient plutôt tendance à intervenir

avant le choix d’une méthode de délimitation, alors que dans le cadre d’une équité correctrice,

la ligne d’équidistance, une fois tracée, peut se voir modifiée par l’intervention de

circonstances propres à l’espèce. Cette dernière méthode semble être acquise depuis quelques

années maintenant. Ainsi, la cour en 2002 expliquait qu’une fois la ligne d’équidistance

tracée, elle doit « examiner s’il existe des facteurs appelant un ajustement ou un déplacement

de cette ligne afin de parvenir à un ‘résultat équitable’ »206. Dans l’affaire de la mer Noire, le

juge précise ce qu’il entend par circonstances pertinentes. Elles « ont pour fonction de

permettre à la Cour de s’assurer que la ligne d’équidistance provisoire, tracée, selon la

méthode géométrique, à partir de points de base déterminés sur les côtes des parties, n’est

pas, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, perçue comme inéquitable »207.

Dans un souci de prévisibilité, on peut identifier un certain nombre de circonstances

pertinentes.

204 Opinion individuelle, CIJ. Rec. 1982, § 24, p. 206 205 CIJ. Rec. 1985, § 48, p. 40 206 CIJ. Rec. 2002, § 288, p. 241 207 CIJ. Rec. 2009, § 155, p. 47

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

75

Section II : Des circonstances pertinentes identifiées

Ces circonstances identifiables peuvent être classées, la plus grosse des catégories

étant celle des circonstances géographiques (A). L’économie a un moindre poids malgré

l’intérêt primordial pour les Etats (B).

A°/ Des circonstances géographiques au détriment des

circonstances géologiques

La majeure partie des circonstances prises en compte par la cour ou par les tribunaux

arbitraux sont des facteurs géographiques. Alors qu’au premier abord on serait tenté de croire

que des facteurs économiques, historiques ou géopolitiques primeraient, la géographie est

omniprésente dans les arrêts et sentences. La cour explique en 1984 que « c’est [...] vers une

application [...] de critères relevant surtout de la géographie qu’elle estime devoir

s’orienter »208. Cette importance est de deux ordres. Les circonstances géographiques peuvent

à la fois affecter le choix de la méthode de délimitation, comme elles peuvent permettre la

modification de la ligne provisoire qui est tracée.

Dans le premier cas, l’exemple le plus flagrant est la prise en compte de la

macrogéographie. Elle permet dans un premier temps de ne pas se contenter de l’aire de

délimitation, mais bien d’un ensemble géographique dans lequel peuvent se trouver d’autres

Etats dont les droits ne devraient pas être affectés. Et dans un deuxième temps, elle permet au

juge d’avoir une vision plus large pour choisir la meilleure méthode de délimitation. Ce

critère aura été longtemps débattu car en effet, à la seule échelle de l’aire de délimitation, une

situation particulière pourrait entrainer un surcroît d’attention, qui, si l’on se place à l’échelle

macrogéographique, nécessite de relativiser. Dans l’affaire du plateau continental de la mer

du Nord, le problème principal était que la république fédérale d’Allemagne se trouverait lésé

si était appliquée la méthode de l’équidistance. La cour explique « qu'étant donné la forme de

la mer du Nord, [...] la situation des Etats circonvoisins a pour conséquence naturelle de

faire converger leurs zones de plateau continental vers un point central situé sur la ligne

médiane divisant tout le lit de la mer, chacun des Etats intéressés peut, au moins dans la

208 CIJ. Rec. 1984, § 195, p. 327

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

76

partie où cette convergence existe, prétendre à ce que sa zone aille jusqu'à ce point central

(formant ainsi un secteur) »209. Cette prise en compte ne semble en tout cas pas satisfaire au

juge Koretsky qui répond à son tour que « les considérations macrogéographiques n’ont

absolument aucune pertinence, sauf dans l’hypothèse improbable où l’on souhaiterait

redessiner la carte politique d’une ou de plusieurs régions du monde »210. La cour rejette la

méthode proposée par l’Allemagne dans cette affaire, mais n’en oublie pas moins de prendre

en compte l’ensemble de l’espace géographique, sans pour autant s’atteler à la délimitation de

la mer du Nord. Elle écarte l’équidistance, reconnaissant que l’ignorance de certains critères

géographiques entrainerait une situation inéquitable211.

Dans l’affaire traitant du litige entre l’ile de Malte et la Libye, la CIJ, tout en rejetant

la demande d’intervention présentée par l’Italie, prend en considération l’ensemble de la

Méditerranée. Ainsi, la cour est amenée à réduire la zone de délimitation pour ne pas porter

atteinte aux droits italiens212.

Le litige le plus significatif date de la même année. Il s’agit de la sentence arbitrale dans

l’affaire opposant la Guinée à la Guinée-Bissau. En effet, ces deux Etats se trouvent sur les

côtes d’un golfe du même nom que se partagent de nombreux Etats. C’est pourquoi la cour

explique : « pour que la délimitation entre les deux Guinée soit susceptible d'être insérée

équitablement dans les délimitations actuelles de la région ouest-africaine et dans ses

délimitations futures telles qu'on peut raisonnablement les imaginer en recourant à des

principes équitables et d'après les hypothèses les plus vraisemblables, il convient de voir en

quoi l'allure d'ensemble de ces délimitations s'adapte à la configuration générale de la côte

occidentale d'Afrique »213. Les deux pays, si l’on prend leur « littoral court »214 ont une côte

de type concave, alors que la vue d’ensemble de la côte de l’Afrique de l’ouest offre une

vision plutôt convexe.

Ce critère macrogéographique persiste encore dans la jurisprudence malgré quelques

nuances. Il continue dans des proportions plus petites que pour le Golfe de Guinée, dans

l’affaire de la délimitation en Mer Noire. Il fallut à la CIJ prendre en compte le caractère

209 CIJ. Rec. 1969, § 15, p. 21 210 Opinion dissidente M. Koretsky, CIJ. Rec. 1969, p. 162 211 CIJ. Rec. 1969, § 89, p. 49 212 CIJ. Rec. 1985, § 22, p. 26 213 RSA 1985, § 109, p. 189 214 RSA 1985, § 108, p. 189

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

77

semi-fermé de cette mer, et surtout prendre en considération les délimitations existantes au

préalable (notamment entre la Turquie et la Bulgarie, ou entre la Turquie et l’Ukraine) afin de

ne pas empiéter dessus215.

Par ailleurs, dans l’affaire opposant le Cameroun au Nigéria, la CIJ refuse de prendre en

compte la côte « du golfe de Guinée d'Akasso (Nigéria) au cap Lopez (Gabon) »216.

Au-delà de la seule approche macrogéographique, la cour est amenée à se prononcer la

plupart du temps sur des critères qui ont trait aux caractéristiques générales de la côte. Nous

avons pu déjà voir à quel point la détermination des côtes pertinentes pour la délimitation était

importante. Elle fait partie intégrante du processus. Les côtes continuent par la suite à jouer

un rôle important. Ainsi, dès 1969, la CIJ explique que pour opérer la délimitation, il faudra

avant toutes choses considérer « la configuration générale des côtes des parties et la présence

de toute caractéristique spéciale ou inhabituelle »217. Ainsi, il revient aux juges d’étudier la

ligne de côte, sa longueur, ses sinuosités, ses promontoires ou échancrures, ses relations avec

les côtes des Etats en présence, la présence de rochers ou d’un chapelet d’îles à ses abords. La

présence d’une île ou d’îles, et que celles-ci soient considérées comme principales ou

secondaires est une question récurrente dans le processus de délimitation.

L’approche géographique prise par les juges et arbitres va masquer très rapidement, la

tendance insufflée par la CIJ dans l’affaire de la mer du Nord. En effet, la cour considérait que

dans le cadre du développement du plateau continental, la plupart des facteurs à prendre en

compte étaient d’ordres géologiques ou géomorphologiques. Elle les place au premier chef.

Ainsi explique-t-elle que « l'institution du plateau continental est née de la constatation d'un

fait naturel et le lien entre ce fait et le droit, sans lequel elle n'eût jamais existé, demeure un

élément important dans l'application du régime juridique de l'institution »218. Dans cette

affaire, le juge va donc imposer aux parties de prendre en compte lors de la délimitation,

« pour autant que cela soit connu ou facile à déterminer, la structure physique et géologique

et les ressources naturelles des zones de plateau continental en cause »219.

215 CIJ. Rec. 2009, §§ 169-178, pp. 52-54 216 CIJ. Rec. 2002, § 291, p. 442 217 CIJ. Rec. 1969, § 101, p. 54 218 CIJ. Rec. 1969, § 95, p. 51 219 CIJ. Rec. 1969, § 101, p. 54

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

78

Ces critères découlent de l’application prônée par la cour de la théorie du prolongement

naturel dont on a déjà vu qu’elle fut par la suite largement abandonnée, ou tout du moins

minorée. Dès 1982, la cour refusant de délimiter le plateau continental (lequel appartient à

deux Etats sans distinctions géologiques) en tirant des circonstances du principe du

prolongement naturel, la portée des circonstances géologiques et géomorphologiques vont

diminuer. A l’instar de M.D. Evans, nous pouvons affirmer au sujet du critère géologique :

« it has now a residual role and is more important as a conceptual statement than as a

practical means of achieving a solution to a dispute »220. Et c’est au tribunal arbitral de la mer

constitué en vertu de l’annexe VII de la convention de Montego Bay dans l’affaire opposant

la Barbade à Trinité-et-Tobago de dire que « the identification of the relevant circumstances

becomes accordingly a necessary step in determining the approach to delimitation. That

determination has increasingly been attached to geographical considerations »221.

B°/ Le poids de l’économie

La question de facteurs liés à l’économie, à la répartition des ressources ou à

l’environnement socio-économique est récurrente dans le sens où une délimitation peut

s’avérer pour un Etat, ou tout du moins ses citoyens, catastrophique sur le plan économique.

Ce genre de situation peut entrainer de graves complications sur le plan des relations

bilatérales.

Dans presque chaque contentieux, un des Etats parties demande au juge de prendre en compte

un critère d’ordre économique ou socio-économique et théoriquement, tout critère pourrait

être pris en compte : « tout fait quelconque, qu’il soit géographique, historique, diplomatique,

économique ou autre, susceptible, par sa nature, ou son poids dans l’ensemble du contexte,

d’avoir une influence sur l’opération de délimitation, constitue une circonstance

pertinente »222.

220 Ibid., p. 118 : “il a désormais un rôle mineur et est plus important qu’en tant que déclaration conceptuelle qu’en tant que moyen d’atteindre la résolution d’un différend » 221 RSA, volume XVII, § 233, p. 71 : « l’identification de circonstances pertinentes est par conséquent devenue une étape nécessaire pour déterminer une méthode de délimitation. Cette détermination a de plus en plus été liée à des considérations géographiques ». 222 Achour Yadh Ben, « L’affaire du plateau continental tuniso-libyen (analyse empirique) », Journal du droit international, n°110, 1983, p. 265

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

79

Pourtant, la cour exprime très clairement et très fermement sa position en ce qui concerne les

considérations ayant trait à la disparité de développement économique : « La cour estime que

ces considérations économiques ne sauraient être retenues pour la délimitation des zones de

plateau continental relevant de chaque partie. Il s’agit de facteurs quasiment extrinsèques,

puisque variables et pouvant à tout moment faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre

de façon imprévisible, selon les heurs ou malheurs des pays en cause. Un pays peut être

pauvre aujourd’hui et devenir prospère demain à la suite d’un évènement tel que la

découverte d’une nouvelle richesse économique »223. La CIJ emploiera la même fermeté dans

l’affaire Libye/Malte où elle expliquera de manière plus pédagogique encore que « la cour ne

considère [...] pas qu’une délimitation doive être influencée par la situation économique

relative des deux Etats concernés, de sorte que le moins riche des deux verrait quelque peu

augmentée, pour compenser son infériorité en ressources économiques, la zone du plateau

continental réputée lui appartenir. De telles considérations sont tout à fait étrangères à

l’intention qui sous-tend les règles applicables du droit international. Il est clair que ni les

règles qui déterminent la validité du titre juridique sur le plateau continental, ni celles qui ont

trait à la délimitation entre pays voisins ne font la moindre place aux considérations de

développement économique des Etats en cause »224.

Ces explications sont en soit totalement compréhensibles dans le sens où les richesses

exploitées actuellement ou au moment de la délimitation, ne seront pas les mêmes trente ou

quarante ans plus tard. Prenons l’exemple des ressources énergétiques. L’une des principales

ressources actuellement exploitée sur le plateau continental est le pétrole. Or, celui-ci tend à

disparaître. Si une délimitation est effectuée en prenant en compte les ressources de pétroles

présentes dans les fonds sous-marins, le partage peut sembler équitable quelques temps. Le

jour où la ressource est épuisée et que l’on passe à un autre mode de fourniture d’énergie, la

délimitation pourra paraître inéquitable. Si l’on en vient à utiliser les forces marémotrices, un

Etat pourrait se retrouver lésé par rapport à l’autre d’un point de vue strictement économique.

Toutefois, la cour prendra par la suite la même posture225 que le tribunal arbitral dans

l’affaire des deux Guinées. En l’espèce, les arbitres avaient adouci le ton à ce sujet en

déclarant que le tribunal ne peut pas « perdre de vue la légitimité des prétentions en vertu

223 CIJ. Rec. 1982, § 107, p. 77 224 CIJ. Rec. 1985, § 50, p. 41 225 CIJ. Rec. 1993, § 80, p. 74

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

80

desquelles les circonstances économiques sont invoquées, ni contester le droit des peuples

intéressés à un développement économique et social qui leur assure la jouissance de leur

pleine dignité »226.

Déjà en 1984, la cour dans l’affaire du Golfe du Maine avait eu une attitude laissant entrevoir

que des considérations économiques ne pourraient être négligées dans un cas extrême alors

qu’en l’espèce, elle refusait la moindre pertinence à ces arguments. Elle expliqua donc « que

l'ampleur respective de ces activités humaines liées à la pêche - ou à la navigation, à la

défense, ou d'ailleurs à la recherche et à l'exploitation d'hydrocarbures - ne saurait entrer en

considération en tant que circonstance pertinente [...]. Le scrupule que la Chambre estime

justifié d'avoir est celui de s'assurer que le résultat global, [...] ne se révèle pas d'une manière

inattendue comme radicalement inéquitable, c'est-à-dire comme susceptible d'entraîner des

répercussions catastrophiques pour la subsistance et le développement économique des

populations des pays intéressés »227. Par la suite, le juge fait le constat que la répartition des

ressources naturelles ne serait pas dramatiquement dommageable pour les populations. Il

s’agissait en l’espèce, de la présence de pétoncles péchés par les pêcheurs canadiens.

Le rejet de ces considérations d’ordre économique semble pourtant aller à l’encontre

de la prise en compte des ressources biologiques. En effet, dès 1951, dans l’affaire des

pêcheries, le juge avait estimé qu’il fallait « faire place à une considération dont la portée

dépasse les données purement géographiques : celle de certains intérêts économiques propres

à une région lorsque leur réalité et leur importance se trouvent clairement attestés par un

long usage »228. Cette formule fut reprise aux articles 4 § 4 de la convention de Genève sur la

mer territoriale et à l’article 7 § 5 de la convention de Montego Bay.

L’affaire des pêcheries entre le Royaume-Uni et l’Islande fut encore plus révélatrice du souci

du juge concernant la question de la dépendance économique des Etats. La cour y développe

le « concept de droits préférentiels pour les Etats riverains, particulièrement en faveur de

pays ou territoires dans une situation de dépendance spéciale à la pêche côtière »229. Bien

sur, ces deux affaires ne sont pas à proprement des litiges concernant la délimitation maritime.

Il s’agissait dans le premier cas de la question des lignes de bases droites décrétées par la

226 RSA 1985, § 123 227 CIJ. Rec. 1984, § 237, p. 342 228 Affaire des pêcheries, Arrêt du 18 décembre 1951, CIJ. Recueil 1951, p. 133 229 CIJ. Rec. 1974, § 58, p. 3

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

81

Norvège, et dans le deuxième cas, de la création par l’Islande d’une zone de pêche réservée.

Dans l’affaire entre Malte et la Libye, cette dernière expliqua dans son mémoire que dans

« les disputes concernant les limites de pêche [...] la dépendance économique de la

population riveraine est un facteur pertinent »230. Or, la délimitation en cause ne concernait

que le plateau continental et non la ZEE. La cour explique que cet argument ne peut être

invoqué pour une telle délimitation.

Cette question nous permet de relever le paradoxe inhérent à la délimitation par le

biais d’une ligne unique. En effet, les circonstances pertinentes utilisables dans le cadre d’une

délimitation du plateau continental ne peuvent être considérées comme les mêmes que celles

s’attachant à la délimitation de la ZEE. Or, afin d’obtenir une ligne unique, le juge ou l’arbitre

se retrouvent obliger de sélectionner parmi les différentes circonstances pertinentes proposées

par les Etats, des critères qui lui permettent de parvenir à un résultat qui peut sembler

équitable aux vues de ces deux types d’espaces.

Au final, une considération qui aurait pu passer au premier plan comme ce fut le cas dans

l’affaire des pêcheries de 1951, se retrouve finalement, comme dans l’affaire du Golfe du

Maine à participer au processus de vérification de l’équité du résultat231.

Exceptionnellement, en 1993, la cour fait repasser dans les circonstances pertinentes, la

question de l’accès aux ressources biologiques et elle s’interroge sur la nécessité qu’il y aurait

« de déplacer ou d’ajuster la ligne médiane, comme ligne de délimitation des zones de pêche,

pour assurer aux fragiles communautés de pêche intéressées un accès équitables à la

ressources halieutiques que constitue le capelan »232. En 2001, dans l’affaire de la

délimitation maritime entre Qatar et Bahreïn, elle écarte l’idée que l’existence de bancs

d’huitres perlières puisse faire écarter la ligne d’équidistance233 et en 2006, les arbitres

écartent purement et simplement la prise en considération de l’exploitation des ressources aux

fins de la délimitation. Elle invoque l’arrêt Golfe du Maine pour le justifier et souligne que le

résultat de l’opération de délimitation pourra toutefois être modifié s’il avait des

conséquences catastrophique pour la population concernée.

230 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne / Malte), Mémoire de la Libye, p. 114, n. 3 231 CIJ. Rec. 1984, § 237, p. 342 232 CIJ. Rec. 1993, § 75, pp.71-72 233 CIJ. Rec. 2001, § 236, p. 113

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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Aujourd’hui, les principales ressources naturelles qui distribuent les cartes de la

géopolitique mondiale sont le pétrole et le gaz que l’on peut trouver sur le plateau continental.

Pour s’en convaincre, il suffit de voir la bataille acharnée que se mènent les Etats qui se

situent dans le cercle arctique, ou encore les chinois et les Japonais en mer de Chine. Dans les

conflits récents, plusieurs incidents eurent lieu en mer en raison de ces ressources. Ce fut le

cas dans l’affaire qui opposa le Surinam et le Guyana. Le tribunal arbitral avait du engager la

responsabilité de l’Etat du Surinam suite à des actions de type militaire visant à faire fuir des

navires du Guyana234. En tout cas, dans toute la jurisprudence récente, les juges et arbitres se

refusent à prendre en compte l’existence de concessions d’exploitation pétrolière : « les

concessions pétrolières et les puits de pétrole ne sauraient en eux-mêmes être considérés

comme des circonstances pertinentes justifiant l’ajustement ou le déplacement de la ligne de

délimitation provisoire. Ils ne peuvent être pris en compte que s’ils reposent sur un accord

exprès ou tacite entre les parties »235.

On constate avec le temps que la cour, malgré son empressement dans les affaires des

pêcheries, étudie toujours les facteurs économiques sans les prendre en compte, hormis si la

délimitation venait à avoir un impact catastrophique pour les populations riveraines.

234 Guyana c. Surinam, 2007, § 445 235 CIJ. Rec. 2002, § 304, p. 447

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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TITRE II : UNE OBLIGATION DE RESULTAT : L’OBTENTION D’UN RESULTAT EQUITABLE

Une autre obligation incombe au juge : obtenir un résultat équitable. Il en a les moyens

entres mains. Il lui faut désormais appréhender l’équitable parmi tous ces éléments (Chapitre

I ) et vérifier l’équité du résultat (Chapitre II ).

CHAPITRE I : L’APPREHENSION DE L’EQUITABLE PAR LE JUGE

Le juge a déterminé la méthode de délimitation et pris en compte les circonstances

particulières à l’affaire que lui ont proposées les parties. Il lui reste désormais à modifier la

ligne de délimitation dans le but d’atteindre un résultat équitable. Il doit donc traduire dans

l’opération, l’effet qu’il accorde à une circonstance pertinente ou à un territoire donné

(Section I) et faire le balancement entre ces diverses circonstances qui peuvent parfois être

opposées (Section II).

Section I : L’effet accordé aux circonstances pertinentes

Pour comprendre l’effet qui peut être accordé aux circonstances pertinentes, le plus

caractéristique est d’étudier le cas des îles (A) et l’effet qui leurs sont accordées (B).

A : Les territoires insulaires

Les îles sont la source majeure à l’origine du contentieux des délimitations maritimes.

Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que les différends les plus commentés concernent

l’île de Malte, l’île de Jan Majen, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, les îles anglo-

normandes, ou encore l’île des Serpents.

Notre objectif est de faire la distinction entre deux types d’îles : les îles que l’on peut qualifier

d’Etats insulaires, et les îles politiquement dépendantes (mais qui sont l’objet de la

délimitation). Ces deux situations semblent a priori fort différentes mais l’évolution de la

jurisprudence tend à démontrer le contraire. Leurs qualités différentes pourraient modifier la

délimitation. La sentence de 1977 semble aller dans cette direction. En effet, le Royaume-Uni

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

85

souhaite le tracé d’une ligne médiane entre la France et les Îles Anglo-normandes. Pour eux, il

s’agit d’îles semi-indépendantes donc qui ont un titre pour revendiquer le plateau continental

jouxtant leurs côtes. . Ils demandent « au tribunal de les considérer en fait comme des Etats

insulaires distincts pour ce qui est de la détermination du plateau continental qui leur

revient »236. La cour étudie avec intérêt cet argument, mais elle rejette les prétentions

britanniques en considérant les Îles anglo-normandes comme des îles dépendantes du

Royaume-Uni. Le juge, dans son argumentation, fait finalement la distinction entre les deux

types d’îles même s’il rejette les prétentions anglaises. Cela autorise à penser que si la réponse

de la cour avait été différente, la délimitation aurait été différente et donc plus avantageuse

pour le Royaume-Uni, puisque bénéficiant du plateau continental afférent aux Îles Anglo-

normandes.

Dans le conflit entre Libye et Malte, la CIJ doit prendre en compte la nature insulaire de

Malte. Pourtant la cour ne fait pas de distinction particulière. Elle note que la relation entre

les côtes de Malte et « celles de ses voisins n’est pas la même que si elle faisait partie du

territoire de l’un d’entre eux »237.

Le tribunal arbitral constitué dans l’affaire opposant la France au Canada en 1992, va

clairement affirmer que le statut politique ne modifie en rien la possession du titre. En effet, il

explique que « rien ne permet de soutenir que l’étendue des droits maritimes d’une île dépend

de son statut politique »238. S’appuyant sur la convention de Montego Bay pour défendre sa

position (article 121 § 2), elle dit que les termes employés en 1985 « donnent à penser à une

égalité de traitement plutôt qu’à un traitement amoindri pour les îles politiquement

dépendantes »239.

Dans l’affaire Jan Mayen, le Danemark demandait à la cour de ne pas appliquer la méthode

d’équidistance car faisant face au Groenland, l’île Jan Mayen ne peut être considérée comme

un territoire d’importance égale puisqu’elle n’est pas habitable. La cour n’en tient pas compte

et ne développe même pas sa position.

236 RSA 1977, volume XVIII, § 184 237 CIJ. Rec. 1985, § 53, p. 42 238 RSA 1992, volume XVIII, § 49, p. 694 239 RSA 1992, volume XVIII, § 50, p. 695

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

86

Dans le dernier litige concernant une île, en 2001, la cour est face à une situation compliquée.

Avant de se lancer dans la délimitation des zones maritimes, elle se doit de statuer sur la

souveraineté de différentes iles. De là, dépendent beaucoup de choses, car le Royaume de

Bahreïn est composé d’une île principale et d’une multitude d’îles autour. Bahreïn prétend

être un Etat archipel de facto, ce qui entraînerait un régime particulier, si tel était le cas. Ce

régime permettrait notamment la possibilité de tracer des lignes de bases droites. La cour

refuse de statuer sur la question, et prend alors comme base de la délimitation la laisse de

basse mer de toutes les iles composant l’Etat Bahreïni. A côté de ce Royaume, se trouve

l’Emirat du Qatar. Il s’agit d’une presqu’ile près de laquelle se trouvent des îles au cœur du

litige : les îles Hawar (cf. Annexe IX).

Une fois, la question de la souveraineté des îles réglée, la cour va appliquer la méthode de

l’équidistance en donnant la même valeur à toutes les îles (cf. Annexe X).

Ce n’est en effet pas toujours le cas depuis que les juges ont développé la technique de

l’effet partiel.

B : La technique de l’effet partiel

La question qui nous intéresse ici est de savoir comment le juge prend en compte les

différentes circonstances pertinentes dans le processus de délimitation. En effet, il peut

reconnaitre à tel ou tel élément la valeur de circonstance pertinente, mais quel impact, celle-ci

aura sur la délimitation ?

C’est ainsi qu’intervient la technique que l’on peut nommer de l’effet partiel, déjà largement

utilisée dans les délimitations par voie conventionnelle. C’est encore une fois les îles qui vont

pousser au développement de cette technique. Cette dernière « a pour conséquence de ne

conférer qu’une projection limitée à une caractéristique géographique se trouvant dans la

zone où la délimitation doit intervenir »240.

Les arbitres internationaux vont commencer à utiliser cette méthode en 1977, rappelant son

origine conventionnelle. Elle explique que « dans la pratique des Etats, on trouve un certain

240 Lucchini L. et Voelckel M., op. cit., p. 157

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

87

nombre d'exemples de délimitations dans lesquels on n'a reconnu que des effets partiels à des

îles situées au large, à l'extérieur de la mer territoriale de la masse terrestre »241. Elle précise

ensuite que « la méthode adoptée varie, dans chaque cas, selon les diverses circonstances

géographiques et autres; cependant, dans un cas au moins, la méthode employée a consisté à

attribuer, non pas un plein effet mais un demi-effet à une île située au large, pour la fixation

de la ligne d'équidistance »242.

En l’espèce, le tribunal arbitral va s’en servir pour donner un effet relatif aux îles dites des

Sorlingues. Pour cela, la cour commence par tracer une ligne d’équidistance ne prenant pas en

compte les îles en question, puis une deuxième les prenant en compte. La ligne définitive sera

la ligne tracée entre ces deux lignes (cf. Annexe V).

Dans l’affaire Tunisie-Libye, la cour réutilise cette méthode. Elle peut l’appliquer à toutes

circonstances qui lui semblent pertinentes. Ainsi, elle précise que « la méthode adoptée varie

en fonction des diverses circonstances, géographiques et autres, caractérisant le cas d'espèce.

Une technique utilisable à cette fin, quand une méthode de délimitation géométrique est

appliquée, est celle du demi-effet ou du demi-angle »243. En l’espèce, elle l’utilise la méthode

du demi-effet pour les îles Kerkennah.

Dans l’affaire du Golfe du Maine, la position stratégique de l’île de Seal pousse la cour à

« donner à cette île un demi-effet »244. Le tribunal arbitral dans l’affaire qui oppose le Sénégal

à la Guinée ne reconnait qu’un demi-effet à l’archipel « allant d'Acudama à Ancumbe »245.

Parfois, la cour dénie tout effet à une île ou un rocher. C’est par exemple le cas dans

l’affaire du plateau continental entre la Tunisie et l’île de Malte. Elle explique que « dans ce

cas, l'effet équitable d'une ligne d'équidistance dépend de la précaution que l'on aura prise

d'éliminer l'effet exagéré de certains îlots, rochers ou légers saillants des côtes »246. Ainsi,

elle refuse de donner effet à l’îlot maltais de Filfla. Elle donnera par ailleurs un quart d’effet à

d’autres îlots maltais247. Dans l’affaire opposant Qatar à Bahreïn, le juge refuse de donner un

241 RSA 1977, volume XVIII, § 251, p. 255 242 Ibid. 243 CIJ. Rec. 1982, § 129, p. 89 244 CIJ. Rec. 1984, § 222, p. 337 245 RSA 1989, volume XX, § 145, p. 207 246 CIJ. Rec. 1985, § 64, p. 48 247 CIJ. Rec. 1985, § 73, p. 52

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

88

effet à un saillant de la côte de Bahreïn qu’est Fasht al Jarim au motif que la délimitation

« n'aboutirait pas à une solution équitable »248.

Pour la délimitation de la mer Noire, la cour pratique un ajustement pour le moins surprenant.

En effet, l’île des Serpent, source principale du litige opposant l’Ukraine à la Roumanie est

sous souveraineté ukrainienne. La cour refuse de lui accorder le moindre effet dans

l’établissement de la ligne d’équidistance. Par contre, une fois la ligne établie, elle ajuste

celle-ci afin de prendre en compte la limite extérieure des 12 milles de la mer territoriale dont

est dotée l’île. Ainsi, on peut dire que l’île des Serpents est dotée d’un effet relatif sans pour

autant qu’il soit d’un demi ou d’un quart (cf. Annexes XII et XIII ).

La jurisprudence en matière de délimitation n’a donné que des exemples concernant

des îles, mais à l’instar de M.D. Evans, nous pouvons dire que « although the examples are

all islands, there is no reason why a similar solution could not be adopted for other types of

geographical feature, if considered appropriate »249.

Section II : Le balancement entre les différentes circonstances pertinentes

Parmi toutes les circonstances pertinentes présentées au juge, il convient qu’il fasse le

balancement entre toutes celles-ci (A), bien que cette idée semble opaque à certains auteurs et

par là même inutile (B).

A : L’affirmation du principe

Comme nous avons pu déjà le voir, le juge doit faire le choix des circonstances qu’il

considère comme pertinentes en l’espèce aux fins de délimitation. Il ne lui reste plus alors

qu’à « mettre en balance » toutes les circonstances retenues pour parvenir à une solution

équitable. Dès 1969, la cour explique que « c’est le plus souvent la balance entre toutes ces

248 CIJ. Rec. 2001, § 248, p. 115 249 Evans M.D., op. cit., p. 149 : « bien que ces exemples ne soient que des îles, il n’y a pas de raisons qui empêcherai l’adoption de solutions similaires pour d’autres caractéristiques géographiques, si cela est considéré comme approprié »

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

89

considérations qui créera l’équitable plutôt que l’adoption d’une seule considération en

excluant toutes les autres »250.

Ce balancement entre différents facteurs nécessite à la fois de prendre en compte le poids d’un

élément en fonction de sa nature propre, et dans un deuxième temps, dans son rapport aux

autres circonstances. La prise en compte d’une circonstance peut s’avérer nécessaire pour le

tracé d’une ligne de délimitation, mais cette circonstance peut aussi aller à l’encontre d’autres

critères tout aussi valables. Le juge a là une obligation de pondération très délicate. Michel

Voelckel et Laurent Lucchini parlent ainsi d’une « opération chimique »251 et Prosper Weil

d’ « images empruntées du monde des poids et mesures »252. En effet, c’est ce qu’explique la

cour en affirmant qu’elle doit « peser soigneusement les diverses considérations qu'elle juge

pertinentes, de manière à aboutir à un résultat équitable »253. Plus loin, en parlant de la

présence de puits de pétrole, le juge se réfère au « processus au cours duquel tous les facteurs

pertinents sont soigneusement pesés pour aboutir à un résultat équitable »254

Cette mise en balance effectuée par le juge a un rôle important. Ce sont sur ses épaules

que repose la pondération des différentes circonstances. La cour reconnaît elle-même le poids

que cela représente dans l’affaire Jan Mayen : « une cour appelée à rendre un jugement

déclaratoire sur une délimitation maritime, et à fortiori une cour appelée à effectuer elle-

même une délimitation, aura par conséquent à déterminer quel doit être l'équilibre entre

diverses considérations dans chaque cas »255.

Pourtant, certains auteurs ont pu mettre en doute l’intérêt et l’objectivité d’une telle

méthode.

250 CIJ. Rec. 1969, § 93, p. 50 251 Voelckel M. et Lucchini L., op. cit. p. 281 252 Weil. P., « The law of maritime delimitation – reflections », Grotius publications, Cambridge, 1989, p. 267 253 CIJ. Rec. 1982, § 71 p. 60 254 CIJ. Rec. 1982, § 107, p. 78 255 CIJ. Rec. 1993, § 58, p. 63

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

90

B : Un « faux problème »

L’affirmation de la cour d’une mission de mise en balance des différentes

circonstances pertinentes dans l’objectif de trouver une solution équitable cache une opération

opaque. Ce balancement est qualifié par Prosper Weil de « faux problème »256.

En effet, à aucun moment le juge ou l’arbitre n’expliquent la méthode réellement

employée pour parvenir à un résultat en mettant en équilibre les différents facteurs reconnus à

chaque espèce. Le juge est discret sur son « opération chimique ». Cela laisse alors une place

importante au pouvoir d’appréciation du juge, et certains iront jusqu’à dire qu’il s’agit là d’un

pouvoir arbitraire du juge. Il le reconnait lui-même dans l’affaire Tunisie / Libye où il dit que

« il n'existe pas de règles rigides quant au poids exact à attribuer à chaque élément de

l'espèce ». Il tient ensuite à contrer les critiques éventuelles en affirmant que l’ « on est

cependant fort loin de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ou de la conciliation »257.

Il faut toutefois relativiser ce vocabulaire excessif et trouver des indices dans la

jurisprudence internationale.

On le sait déjà, les circonstances pertinentes ne peuvent être étudiées sans les principes

équitables. A eux deux, ils sont le mécanisme qui permet au juge de se donner les moyens de

faire une délimitation équitable. Ainsi, dans l’affaire Libye / Malte, il est dit que « s’il est vrai

que les circonstances de chaque cas de délimitation maritime différent, seul un ensemble clair

de principes équitables peut permettre de leur reconnaître le poids qui convient et d’atteindre

l’objectif du résultat équitable prescrit par le droit international général »258.

Dans l’affaire Jan Mayen, la cour tient à justifier ses prises de décisions qui lui semblent, à

juste titre, très importantes car dépourvues de cadre stricte. C’est pourquoi, elle explique que

pour effectuer ce balancement entre critères, « elle analysera non seulement ‘les

circonstances de l'espèce’, mais encore la jurisprudence et la pratique des Etats. A cet égard,

la Cour rappelle la nécessité, mentionnée dans l'affaire Libye/Malte, de ‘la cohérence et

d'une certaine prévisibilité’ (C.I.J. Recueil 1985, p. 39, par. 45) »259.

256 Weil. P., op. cit. , p. 266 257 CIJ. Rec. 1982, § 71, p. 60 258 CIJ. Rec. 1985, § 76, p. 55 259 CIJ. Rec. 1993, § 58, p. 63

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

91

En 2001, elle se contente d’expliquer pourquoi elle refuse de donner de l’effet au saillant

Fasht al Jarim. En effet, la délimitation « n'aboutirait pas à une solution équitable qui tienne

compte de tous les autres facteurs pertinents »260.

Le manque de clarté sur la mise en balance effectuée par le juge peut toutefois

s’expliquer. Comme le dit P. Weil, « par une chance heureuse »261, la cour n’a jamais eu

d’oppositions importantes entre différentes circonstances pertinentes. Mais, ce ne sera pas

toujours forcément le cas. Ainsi, la cour doit prévoir cette possibilité. C’est ainsi qu’elle

trouve dans la méthode de la mise en balance une solution.

CHAPITRE II : LA VERIFICATION DE L’EQUITE DU RESULTAT

La question qui hante tout le processus de délimitation des frontières maritimes est de

savoir comment on peut évaluer l’équité de cette opération. Dès 1969, une méthode a été mise

en place, évoluant au gré des affaires, et suscitant toujours autant d’interrogations. En effet,

dès le début est envisagé d’évaluer l’équitable par le biais de la méthode de la

proportionnalité. Deux questions sont inhérentes à cette méthode : quelle est la place de cette

vérification (Section I), et comment est-elle mise en œuvre ? (Section II).

Section I : La place de la vérification dans le processus

La jurisprudence offre deux visions possibles, semant à chaque fois un peu plus le

doute sur le fondement d’une telle méthode. En effet, certains arrêts ont entendu effectuer un

test de proportionnalité (A) à la fin du processus de délimitation, tandis que d’autres ont

préféré écarter ce test final au prétexte qu’il se faisait durant le tracé de la ligne et pendant la

pondération des circonstances pertinentes. Cela nous permet de nous poser la question de la

position de ce test dans le processus de délimitation (B).

260 CIJ. Rec. 2001, § 248, p. 115 261 Weil P., op. cit. p. 267

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

92

A : Le test de proportionnalité

Nous avons déjà pu le dire et le voir : déterminer ce qui est équitable est un exercice

hautement périlleux pour la cour si elle ne veut pas se voir qualifiée de juge partial, aux

jugements arbitraires. Il est donc important de comprendre le mécanisme que l’on entend par

test de proportionnalité.

Dès 1969, la cour y fait référence dans la conclusion de l’arrêt en parlant de facteurs à prendre

en compte dans les négociations entre les parties. Elle explique que doit être évalué le

« rapport raisonnable qu'une délimitation opérée conformément à des principes équitables

devrait faire apparaître entre l'étendue des zones de plateau continental relevant de 1'Etat

riverain et la longueur de son littoral »262. Il s’agit donc de l’évaluation du rapport entre les

zones délimitées et la longueur des côtes des Etats en présence. En 1977, dans la sentence

arbitrale concernant le litige franco-britannique, les arbitres qualifient la proportionnalité

comme un « critère d'évaluation des considérations d'équité pour certaines situations

géographiques »263. Elle fut même considérée comme une circonstance pertinente dans

l’affaire Tunisie-Libye264. A partir de 1985, les choses s’éclaircissent. Il est fait mention d’un

test de proportionnalité dont la définition devient très arithmétique, avec certainement

l’intention, en faisant intervenir les sciences exactes, de donner un peu plus de certitude au

processus de délimitation. C’est ainsi que la cour explique que le test « consiste à déterminer

les ‘côtes pertinentes’ et les ‘zones pertinentes’ du plateau continental, à calculer les rapports

arithmétiques entre les longueurs de côte et les surfaces attribuées, et finalement à comparer

ces rapports, afin de s'assurer de l'équité d'une délimitation »265.

Pourtant, une délimitation maritime ne peut être strictement proportionnelle. Ce n’est

en aucun cas l’esprit du droit de la mer en la matière. C’est ce qu’a pu exprimer en tout cas la

cour dans l’affaire du Golfe du Maine en 1984, en déclarant qu’« une délimitation maritime

ne saurait […] être établie en procédant directement à une division de la zone en

contestation, proportionnellement à l'extension respective des côtes des parties de l'aire

concernée, mais [...] une disproportion substantielle par rapport à cette extension, qui

262 CIJ Rec. 1969, § 101 D, p. 54 263 RSA 1977, § 246 p. 253 264 CIJ. Rec. 1982, § 133, p. 93 265 CIJ. Rec. 1985, §74, p. 53

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

93

résulterait d'une délimitation établie sur une base différente, représenterait non moins

certainement une circonstance appelant une correction adéquate »266.

Il convient de noter l’ambiguïté de telles hésitations de la part de la cour. Elle est

tiraillée entre un souci de justifications arithmétiques et une délimitation qui doit parvenir à

un résultat équitable, difficilement appréciable par les seules opérations mathématiques. Nous

verrons par la suite que ces hésitations vont trouver des réponses dans la jurisprudence des

tribunaux arbitraux.

B : La position du test dans le processus de délimitation

C’est de manière naturelle que nous allons retrouver le critère de proportionnalité à

l’issue de la construction d’une ligne de délimitation. Il s’agit de la dernière étape du

processus.

C’est ainsi qu’en 1982, la cour examine le rapport de proportionnalité entre les zones

tunisiennes et libyennes, bien que le point final de la délimitation soit indéterminée (en raison

de la présence d’autres Etats dans la région). Elle effectue ces calculs dans les derniers

paragraphes, permettant ainsi aux juges de déclarer que « de l'avis de la Cour, ce résultat, qui

tient compte de toutes les circonstances pertinentes, paraît satisfaire au critère de

proportionnalité en tant qu'aspect de l'équité »267. Dans l’affaire du Golfe du Maine, il est

question de « la dernière tâche qu’il lui reste à accomplir avant d’arrêter définitivement sa

conclusion »268. La formule de l’arrêt de 1982 est quasiment reprise dans le dernier

paragraphe intitulé « vérification du résultat », de la sentence arbitrale de 1992. En effet, il y

est expliqué après le calcul du rapport de proportionnalité, que « les exigences du test de

proportionnalité, en tant qu'aspect de l'équité, ont été satisfaites »269.

Ce test de proportionnalité n’a pas toujours été employé et cela pour deux raisons. La

première tient au choix qu’il est parfois fait d’utiliser la méthode d’une ligne bissectrice de

délimitation. Le choix des côtes pertinentes est fait avant le tracé de la ligne de délimitation.

La bissectrice est tracée en fonction de la direction générale des côtes (cf. Annexe XIV).

266 CIJ. Rec. 1984, § 185, p. 323 267 CIJ. Rec. 1982, § 131, p. 91 268 CIJ. Rec. 1984, § 230, p. 339 269 RSA volume XXI, 10 juin 1992, § 93, p. 297

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

94

En effet, ce choix fait l’objet de réticences de la part de certains juges ou arbitres, et n’est pas

forcément adapté à chaque affaire. La question qui sous-tend ces doutes est de savoir si on

peut comparer d’un côté le résultat d’un processus cherchant à prendre en compte selon des

principes équitables des circonstances pertinentes, et de l’autre côté, un résultat mathématique

résultant d’une opération arithmétique.

Section II : La méthode de la proportionnalité

La méthode en elle-même fut très souvent employée par la jurisprudence (A), mais

pourtant les critiques n’ont pas manquées, la faisant ainsi évoluer (B).

A : Une méthode largement employée

La méthode utilisée pour vérifier l’équité du résultat de l’opération de délimitation a

varié selon les affaires, mais fut très souvent employée.

Dès 1969, dans l’affaire du plateau continental de la mer du Nord, la cour conseille aux

parties de vérifier l’équité du résultat par une méthode qui peut être qualifiée de souple. En

effet, elle tient juste à établir l’existence d’un rapport raisonnable entre la surface des zones

délimitées du plateau et la longueur des côtes pertinentes des différents Etats riverains. Elle ne

conseille ni n’effectue de calculs de proportionnalité.

En 1977, les arbitres sont très réservés et rappellent que « la proportionnalité n’est pas en soi

la source d’un titre au plateau continental mais plutôt un critère d’évaluation des

considérations d’équité »270. Ils relativisent le rôle joué par la proportionnalité, faisant d’elle,

une méthode qui n’est pas systématique. Il s’agit plutôt d’un « facteur à prendre en

considération pour .juger de l'effet des caractéristiques géographiques sur l'équité ou

l'inéquité d'une délimitation, en particulier d'une délimitation effectuée par la méthode de

l'équidistance »271. Le rôle qui lui est donc accordé est marginal.

270 RSA 1977, § 246, p. 253 271 Ibid., § 99, p. 188

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

95

Si l’on devait désigner un arrêt fondateur en matière de test de la proportionnalité, ce serait

certainement l’affaire qui opposa la Libye à la Tunisie en 1982. Le rôle de la proportionnalité

est rehaussé par l’importance accrue de la notion d’équité. Rappelant la définition donnée par

la cour en 1969272, les juges rajoutent que le rapport raisonnable évoqué doit être « respecté

en vertu du principe fondamental suivant lequel la délimitation entre les Etats intéressés doit

être équitable »273. De plus, cet arrêt apporte une précision à la méthode approprié pour faire

le test de proportionnalité. En effet, il précise que la proportionnalité doit s’apprécier en

fonction de la longueur réelle des côtes et non à partir de la ligne de base.

En 1985, la cour a une approche approximative de la vérification de l’équité du résultat.

Effectivement, « la Cour ne pense pas qu'il soit conforme aux principes de l'opération de

délimitation d'essayer de parvenir à un rapport arithmétique préétabli entre les côtes

pertinentes et les surfaces de plateau continental qu'elles engendrent »274. Toutefois, elle

considère que de manière générale, « il lui est possible de se faire une idée approximative de

l'équité du résultat sans toutefois essayer de l'exprimer en chiffres »275.

La même année, alors qu’un tribunal arbitral se réunit pour régler le litige entre la Guinée et la

Guinée-Bissau, on peut voir la même souplesse dans la sentence rendue avec toutefois une

précision d’importance. En effet, encore une fois, les juges rappellent qu’équité ne signifie

pas égalité ou partage à parts égales. Expliquant que l’intérêt de la proportionnalité ne doit pas

être exagéré, elle précise que « la règle de la proportionnalité n'est pas une règle mécanique

reposant sur les seuls chiffres traduisant la longueur des côtes. Elle doit intervenir dans une

mesure raisonnable, compte dûment tenu des autres circonstances de l'espèce »276.

L’affaire concernant l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon traitée en 1992 par le tribunal

arbitral réuni à New-York, s’affaire dans des calculs arithmétiques et conclut qu’il n’y a pas

de disproportion et que « les exigences du test de proportionnalité, en tant qu’aspect de

l’équité, (sont) satisfaites »277. Il est intéressant de constater que dans cette affaire, le juge

nommé par les canadiens, Monsieur Adam Gotlieb, considérait dans son opinion dissidente

272 CIJ. Rec. 1969, § 101 D, p. 54 273 CIJ. Rec. 1982, § 103, p. 75 274 CIJ. Rec. 1985, § 75, p.55 275 Idem. 276 RSA 1985, volume XIX, § 120, p. 193 277 RSA 1992, § 93

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

96

qu’il y avait disproportion en défaveur du canada, alors que Prosper Weil, juge nommé par la

France pour ce litige concluait à la disproportion en défaveur de la France dans son opinion

dissidente.

En 1993, la cour, dans l’affaire Jan Mayen, réaffirme l’utilité de l’étude de la proportionnalité

et affirme qu’« une délimitation équitable doit tenir compte […] de la disparité des longueurs

respectives des côtes de la zone pertinente »278.

Dans l’affaire opposant l’Erythrée au Yémen, le test de proportionnalité reprend toute son

importance, et les arbitres mesurent précisément la longueur de la côte pertinente (à l’aide

d’un expert en géodésie) avant d’effectuer un calcul de proportionnalité279.

Avec le contentieux entre Barbade et Trinité-et-Tobago, on en revient à un test de

proportionnalité sans calculs savants. Les juges se sont satisfaits de ce test en expliquant que

“the bending of the equidistance line reflects a reasonable influence of the coastal frontages

on the overall area of delimitation, with a view to avoiding reciprocal encroachments which

would otherwise result in some form of inequity”280 (voir Annexe XV).

Ces différentes affaires, et surtout l’approche aléatoire qui est faite du test de

proportionnalité, va provoquer très souvent une remise en cause de cette méthode de

vérification de l’équité du résultat.

B : Une méthode remise en cause

Nous avons pu voir le caractère peu assuré de la méthode de la proportionnalité. Elle

fut donc aisément critiquée, et est critiquable. Elle peut être contestée tant sur le principe que

sur les modalités d’application. Ces critiques ont eu un effet constructif dont la réponse

quoiqu’insuffisante fut apportée par le dernier arrêt rendu en 2009.

278 CIJ. Rec. 1993, § 65, p. 67 279 RSA 1999, volume XXII, § 165, p. 502 280 RSA 2006, volume XVII, § 379, p. 112 « La courbe de la ligne d’équidistance reflète une influence raisonnable de la façade côtière de l’ensemble de la zone de délimitation, avec comme objectif d’éviter un empiètement réciproque qui pourrait autrement aboutir à une certaine forme d’inéquité. »

Page 98: CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE

LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

97

Le principe même du test de proportionnalité fut souvent remis en cause, en étant notamment

qualifié comme contraire au principe même de l’équité. Il suffit de se rappeler le texte de la

sentence de 1977 dans le différend franco-britannique. Celle-ci rappelait qu’une délimitation

équitable « ne consiste pas [...] en une simple attribution à (des) Etats de zones [...]

proportionnelles à la longueur de leurs lignes côtières »281. Dans l’affaire du Golfe du Maine,

les juges affirmaient qu’ « une délimitation maritime ne saurait certainement pas être établie

en procédant directement à une division de la zone en contestation, proportionnellement à

l’extension respective des côtes des parties de l’aire concernée »282. Pour Prosper Weil,

l’étude de la proportionnalité « est dépourvu de fondement juridique »283 car dans le droit des

délimitations maritimes, rien ne justifie qu’il y ait un rapport entre le ratio des longueurs

côtières et celui des superficies. En effet, dès 1969, les juges rappellent que l’équité ne

signifie pas égalité. Don Mc Rae avait fait remarqué que « l’utilisation de la proportionnalité

comme mesure de l’équité présente une contradiction fondamentale »284 puisqu’elle va à

l’encontre de la part juste et équitable que la délimitation doit attribuer aux Etats. La frontière

pour passer de l’équité à l’égalité est mince, mais toute la subtilité du travail des juges est de

ne pas la franchir. Pourtant ces différentes piqures de rappel qu’ont pu se faire les juges n’ont

pas toujours permis de rester en amont de cette frontière.

Le test de proportionnalité fut donc largement utilisé mais les modalités même

d’application furent critiquées. En effet, il existe de nombreux obstacles à l’application

sereine d’une méthode visant au calcul de la proportionnalité, ce que traduit la variété des

calculs et des appréciations dans la jurisprudence. Pour effectuer leurs calculs, les juges ont

du ou ont voulu calculer la longueur des côtes et non la longueur de la ligne de base, ce qui

pose dès le départ des problèmes d’application. Le calcul de la longueur des côtes a été fait de

manière assez aléatoire, soit de façon précise, soit de façon plus globale. La cour fait le

constat d’elle-même en 1985 lorsqu’il s’agit du tracé d’une ligne d’équidistance en fonction

de la côte pertinente. Alors qu'« une série déterminée de points de base ne peut engendrer

qu'une ligne d'équidistance, et une seule », il arrive fréquemment que « la marge de

281 RSA 1977, …, § 101, p. … 282 CIJ. Rec. 1984, § 185, p. 323 283 Weil Prosper, Op.cit., p. 259 284 Mc Rae Don, « La délimitation des espaces maritimes », ADMO, Nantes, tome XVI, 1998, p. 175

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

98

détermination des côtes pertinentes et des zones pertinentes (soit) si large que pratiquement

n'importe quelle variance pourrait être obtenue »285 dans une recherche de proportionnalité.

De plus, l’autre donnée du calcul de proportionnalité peut être aussi difficile à

appréhender. L’étendue de la zone maritime n’est pas forcément entièrement connue. Dans

plusieurs cas, on a pu voir des délimitations impossibles à achever en raison de la présence

d’autres Etats avec lesquels les délimitations n’étaient pas fixées. Il en fut ainsi dans l’affaire

de la délimitation entre la Libye et la Tunisie. La cour avait tout de même effectué le calcul en

imaginant que la totalité de la région serait partagée par la ligne de délimitation entre la

Tunisie et la Libye. Cela lui avait fait dire que « s’il n’était pas possible de fonder des calculs

de proportionnalité sur des hypothèses semblables, on voit mal comment deux Etats

pourraient tomber d’accord sur l’équité d’une délimitation bilatérale tant que toutes les

autres délimitations n’auraient pas été menées à bien dans la même région »286.

Prosper Weil a des mots particulièrement durs pour expliquer ce qu’est le test de

proportionnalité. Pour lui, il s’agit d’une méthode dont « les séductions trompeuses ne

peuvent conduire qu'à un simulacre d'équité »287. Il affirmera dans son ouvrage de réflexions

sur le droit des délimitations maritimes que le test de proportionnalité est « injustifiable

théoriquement, impossible à mettre en œuvre pratiquement, […] et enfin inutile ». Il pourrait

s’agir à la limite d’« une sorte de signal d’alerte permettant de détecter une déviation

inéquitable de la ligne d’équidistance provoquée par un accident géographique mineur »288.

Ces critiques ont permis à la jurisprudence d’évoluer. Le dernier arrêt rendu en matière

de délimitation dans l’affaire de la Mer Noire, semble marquer une nouvelle ère dans la

vérification de l’équité du résultat, tout en reprenant un argument développé dans la sentence

arbitrale de 1977. La cour explique qu’elle doit vérifier si la « ligne de délimitation envisagée

n’entraîne pas de disproportion marquée entre les longueurs respectives des côtes et les

espaces répartis par ladite ligne »289, tout en reprenant la formulation de 1977 selon laquelle

285 CIJ. Rec. 1985, § 19, p. 24 et § 74, p. 53 286 CIJ. Rec. 1982, § 130, p. 91 287 RSA 1992, op. dissidente P. Weil, § 21, p. 309 288 Weil Prosper, op. cit., p. 259 289 CIJ. Rec. 2009, § 210, p. 62

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

99

«c’est la disproportion plutôt qu’un principe général de proportionnalité qui constitue le

critère ou facteur pertinent »290.

La cour affirme donc en 2009 que la vérification de l’équité du résultat ne peut être qu’une

vérification approximative, en reconnaissant le côté aléatoire et surtout sans fondements

juridiques des méthodes utilisées antérieurement291.

Il a été par ailleurs plusieurs fois vérifié l’équité du résultat par une autre méthode, ou

tout du moins, un autre élément fut pris en considération, permettant de voir s’il n’existe pas

de disproportions trop importantes. En effet, à plusieurs reprises, les juges ont vérifié que la

ligne de délimitation ne soit pas trop proche de la côte de l’un des Etats. Cette considération

n’est pas exprimée à chaque fois, mais on trouve l’exemple en 1985 lorsque la cour explique

que « de toute manière, la limite qui résultera du présent arrêt […] ne sera pas proche de la

côte de l’une ou l’autre partie »292. On constate donc, qu’indépendamment de la notion de

proportionnalité, le juge s’assure que la ligne de délimitation ménage les intérêts essentiels de

chaque Etat.

290 RSA 1977, volume XVIII, § 101, p. 189 291 CIJ. Rec. 2009, § 212, p. 63 292 CIJ. Rec. 1985, § 51, p. 42

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

100

CONCLUSION

La particularité du contentieux des délimitations maritimes qui tient à la fois de la

difficile appréhension de l’environnement géographique, et à la fois de l’importance

stratégique croissante pour les Etats, a su développer un droit en se basant sur une notion aux

contours indéfinissables mais au contenu connu. Ce développement a suivi une double

évolution. Alors que les règles de délimitation données par les conventions étaient plus

rigides, les juges se sont basés sur une notion d’équité au fort pouvoir créateur. Les règles

conventionnelles devenant plus souples, l’équité s’est effacée petit à petit pour revenir à sa

vertu première, la correction du droit. Celui-ci, devenu fort pragmatique ne mentionne

quasiment plus l’équité, alors même qu’il transcende tout le processus de délimitation des

frontières en mer.

L’affaire de la délimitation maritime en mer Noire marque un tournant dans l’histoire

des délimitations maritimes. Avec une plus grande assurance du droit des délimitations, cet

arrêt clôt semble t-il une période de quarante ans de construction, d’hésitation et d’affinement.

La cour internationale de justice doit encore se prononcer dans les mois et années à venir sur

plusieurs contentieux : affaire du différend maritime entre le Pérou et le Chili (requête

déposée en 2008) et affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la

Colombie (requête déposée en 2001) (cf. Annexe XVI).

Certains contentieux n’ont pas encore été présentés à une juridiction internationale ou

tout simplement réglés, comme c’est le cas des conflits en mer de Chine.

D’autres litiges vont voir le jour, faisant suite aux demandes d’extension du plateau

continental au-delà des 200 milles marins. La France par exemple a fait une demande

conjointe d’extension des limites du plateau continental avec l’Espagne, l’Irlande et le

Royaume-Uni, repoussant à plus tard la question des délimitations interétatiques. Suivant cet

exemple, plusieurs Etats ont fait le même type de demande. Sachant que la commission des

limites du plateau continental ne traite pas des différends entre Etats, ceux-ci vont être amenés

à négocier et en cas d’échec, à présenter leur litige devant l’une des juridictions compétentes.

De plus, le 24 août 2009, Monsieur Jean-Louis Borloo, ministre en charge de la mer a

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

101

annoncé la création d’une ZEE française en mer Méditerranée ce qui pourrait présager de

nouveaux contentieux liés aux délimitations dans cette mer fermée.

L’affaire qui mobilisera certainement le plus les juristes sera le problème des délimitations

dans le cercle polaire. D’après certains observateurs, « la bataille du grand nord a (déjà)

commencé… »293.

En matière d’équité, les évolutions à venir pourraient se trouver dans une

uniformisation des règles de délimitation qu’elles soient territoriales ou maritimes. L’équité y

a fait son apparition depuis peu, et il ne serait pas étonnant qu’un rapprochement s’opère entre

frontières maritimes et frontières terrestres.

En paraphrasant Jean Jaurès, ne serait-ce pas en allant vers la mer que la terre serait fidèle à

la source (ou à l’équité)?294

293 Labévière Richard et Thual François, « La Bataille du grand nord a commencé… », Perrin, Paris, 2008 294 « C’est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à la source », Jean Jaurès

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

102

L ISTE DES ARRETS ET SENTENCES CITES

• Sentence arbitrale du 20 octobre 1903

• Sentence arbitrale rendue le 23 octobre 1909 dans la question de la délimitation d’une

certaine partie de la frontière maritime entre la Norvège et la Suède, RSA 1909,

volume XI, p. 147

• Affaire des jugements du tribunal administratif de l’OIT sur requête contre UNESCO,

Recueil CIJ, 1956

• Plateau continental de la mer du Nord, Arrêt, 20 février 1969, Recueil CIJ 1969

• Compétence en matière de pêcherie (République fédérale d’Allemagne c. Islande),

fond, arrêt, CIJ Recueil 1974

• Arbitrage concernant le Canal de Beagle entre la République Argentine et le Chili,

Sentence du 18 février 1977, RSA volume XXI, pp. 53-264

• Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-

Bretagne et d’Irlande du Nord et République Française, Décision du 30 juin 1977,

Décision du 14 mars 1978, RSA, volume XVIII

• Affaire du plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), 19 juin 1978,

Recueil CIJ

• Sentence arbitrale concernant la frontière entre les émirats de Dubaï et Sharjah du 19

octobre 1981, non publiée

• Plateau continental (Tunisie / Jamahiriya Arabe Libyenne), Arrêt, 24 février 1982,

Recueil CIJ 1982

• Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine , Arrêt, CIJ,

Recueil 1984

• Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau,

Sentence du 14 février 1985, RSA volume XIX pp. 149-196

• Plateau continental (Jamahiriya arabe Libyenne c. Malte), arrêt, CIJ, Recueil 1985

• Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du

Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe

libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985

• Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le

Sénégal, sentence du 31 juillet 1989, RSA, volume XX

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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• Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen

(Danemark / Norvège), Arrêt, 14 juin 1993, Recueil CIJ 1993

• Sentence du tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape entre l’Erythrée et

la République du Yémen (délimitation maritime), 17 décembre 1999, RSA, volume

XXII

• Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt,

CIJ Recueil 2001

• Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.

Nigeria ; Guinée Equatoriale (intervenant)), Arrêt C.I.J. Recueil 2002

• Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relative à la

délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux

pays, Décision du 11 avril 2006, RSA, volume XVII

• Tribunal arbitral constitué en application de l’article 287 et conformément à l’annexe

VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans l’affaire de

l’arbitrage entre le Guyana et le Suriname

• Affaire relative à la délimitation maritime en Mer Noire (Roumanie c/ Ukraine), 3

février 2009

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ANNEXES

ANNEXE I : RESOLUTION DE LA CHAMBRE POUR LE REGLEMENT DES DIFFERENDS RELATIFS A LA

DELIMITATION MARITIME

ANNEXE II : AFFAIRE DES GRISBADARNA

ANNEXE III : AFFAIRE ERYTHREE / YEMEN

ANNEXE IV : AFFAIRE FRANCE / CANADA

ANNEXE V : AFFAIRE FRANCE / ROYAUME-UNI

ANNEXE VI : AFFAIRE DU GOLFE DU MAINE

ANNEXE VII : AFFAIRE MER NOIRE

ANNEXE VIII : AFFAIRE MER NOIRE

ANNEXE IX : AFFAIRE QATAR / BAHREIN

ANNEXE X : AFFAIRE QATAR / BAHREIN

ANNEXE XI : AFFAIRE TUNISIE / LIBYE

ANNEXE XII : AFFAIRE MER NOIRE

ANNEXE XIII : AFFAIRE MER NOIRE

ANNEXE XIV : AFFAIRE HONDURAS / NICARAGUA

ANNEXE XV : AFFAIRE BARBADE / TRINITE-ET-TOBAGO

ANNEXE XVI : « DES FRONTIERES QUI FACHENT »

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ANNEXE I

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ANNEXE II

Source : Rhee S.-M., «Sea boundary delimitation between States before the world war II »,

AJIL, vol. 76, n°3, Juillet 1982, p. 567

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ANNEXE III

Délimitation de la frontière maritime

Entre l’Erythrée et le Yémen

Source : Kwiatkowska B., « The Erithrea/Yemen arbitration : Landmark Progress in the

acquisition of territorial sovereignty and equitable maritime boundary delimitation”,

International Boundaries Research Unit (IBRU) Boundary and security bulletin, 2000, volume

8, n°1, p.66

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ANNEXE IV

Source : Division géographique (direction des archives historiques), Ministères des Affaires

étrangères, 2008, in Girardin A. et Guedon L. « Rapport d’information déposé en vertu de

l’article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur la délimitation des

frontières maritimes entre la France et le Canada », n° 1312, Assemblée nationale, 10

décembre 2008

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ANNEXE V

Source : Colson D.-A., « The United Kingdom--France Continental Shelf Arbitration », AJIL,

volume 72, n°1, Janvier 1978, p. 107

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ANNEXE VI

Source : Délimitation de la frontière maritime dans la région du Golfe du Maine, arrêt C.I.J.,

Recueil 1984, p. 269

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ANNEXE VII

Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),

Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 38

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ANNEXE VIII

Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),

Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 38

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ANNEXE IX

Source : Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt,

CIJ recueil 2001, p. 92

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ANNEXE X

Source : Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt,

CIJ recueil 2001, p. 105

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ANNEXE XI

Source : Plateau continental (Tunisie / Jamahiriya arabe libyenne), Arrêt, CIJ Recueil 1982,

p.90

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ANNEXE XII

Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),

Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 49

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ANNEXE XIII

Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),

Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 65

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ANNEXE XIV

Source : Affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la

mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), Arrêt 8 octobre 2007, Recueil C.I.J., p. 82

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ANNEXE XV

Source : Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relative à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, Décision du 11 avril 2006, RSA, volume XVII, p. 112

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ANNEXE XVI

Source : extrait d’un article traduit de l’espagnol (Ferer Isabel, « Le tracé des frontières se fait

à la Haye»,El Pais, 1er août 2009) pour « Courier International », n°978-979-980, 1er août

2009

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

121

BIBLIOGRAPHIE TRAITES ET OUVRAGES GENERAUX :

• Alland D. et Rials S., « Dictionnaire de la culture juridique », PUF, Quadrige dicos poche, Paris, 2003

• Aristote, « Ethique à Nicomaque », GF-Flammarion, Paris, 1992

• Beurier J-P. (dir.), « Droits maritimes », Dalloz, Paris, 2008, 2ème édition

• Cadiet L. (dir.), « Dictionnaire de la Justice », PUF, Paris, 2004

• Dupuy P.-M., « Droit international public », Dalloz, 9ème édition, Paris, 2008

• Grotius H., « Du droit de la guerre et de la paix », Presses Universitaires de France,

Collection Quadrige Grands textes, Paris, 2005

• Jankélévitch V., « Traité des vertus », tome II, Flammarion, Paris, 1993

• Kapuściński R., « Il n’y aura pas de paradis, la guerre du foot et autres guerres et aventures », Plon, Pocket, Paris, 2003

• Kelsen H., « Théorie pure du droit », Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1953

• Labévière R. et Thual F., « La Bataille du grand nord a commencé… », Perrin, Paris,

2008

• Lucchini L. et Voelckel M., « Droit de la mer », tome 2, volume 1, Editions A. Pédone, Paris, 1996

• Nguyen Quoc Dinh, Daillier P., Pellet A. « Droit international public », LGDJ, 6ème

édition, Paris, 1999

• Oppetit B., « Philosophie du droit », Dalloz, 1ère édition, Paris

• Ortolland D., Pirat J.P. (Dir.), « Atlas géopolitique des espaces maritimes, frontières, énergie, pêche et environnement », Editions Technip, Paris, 2008

• Rawls J., « Théorie de la Justice », Editions du Seuil, Points Essais, Paris, 1997

• Salmon J. (dir.), « Dictionnaire de droit international public », Bruylant, Bruxelles,

2001

• Vincent P., « Droit de la mer », Editions Larcier, Bruxelles, 2008

• Zarka J.-C., « Droit international public », Ellipses, Paris, 2006

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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• « Bible de Jérusalem », Les éditions du CERF/Groupe Fleurus, Paris, 2001

• « Dictionnaire de la philosophie », Armand Colin, Dictionnaire, 2ème édition, Paris,

2002

• « Lexique des termes juridiques », 14ème édition, Dalloz, Paris, 2007 MONOGRAPHIES :

• Bundy R.R., « State practice in maritime delimitation », in « Maritime boundaries, World boundaries volume V», Rontledge, Londres, 1994

• Despeux G., « Droit de la délimitation maritime, commentaire de quelques décisions

plutoniennes », Peter Lang Gmbh, Frankfurt am Main, 2000

• Evans M.D., « Relevant circumstances and maritime delimitation », Clarendon press, Oxford, 1989

• Labrecque G. « Les frontières maritimes internationales, géopolitique de la

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• Lang J., « Le plateau continental de la Mer du Nord : arrêt de la cour international de justice, 20 février 1969 », Collection Bibliothèque de droit international, LGDJ, Paris, 1988

• Miyoshi M., « Considerations of Equity in the Settlement of Territorial and Boundary

Disputes », International law in Japanese perspective volume 2, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1993

• Reynaud A., « Les différends du plateau continental de la mer du Nord devant la CIJ :

la volonté, la nature et le droit », LGDJ, Paris, 1975

• Reuter P., « Le développement de l’ordre juridique international : écrits de droit international », Economica, Paris, 1995

• Rossi C., « Equity and international law : a legal realist approach to international

decision making », Transnational publishers, Irvington N-Y, 1993

• Weil P., « Ecrits de droit international », Collection Doctrine Juridique, Presses Universitaires de France, Paris, 2000

• Weil P., « Perspectives du droit de la délimitation maritime », Editions A. Pédone,

Paris, 1988

• Weckel P. (dir.) « Le juge international et l’aménagement de l’espace : la spécificité du contentieux territorial », Editions A. Pédone, Paris, 1998

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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• « La mer et son droit, mélanges offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre

Queneudec », Pédone, Paris, 2003 ARTICLES :

• Achour Y. B., « L’affaire du plateau continental tuniso-libyen (analyse empirique) », JDI, n°110, 1983

• Bardonnet D., « Frontières terrestres et frontières maritimes », AFDI, 1989, pp. 1-64

• Bedjaoui M., « L’énigme des principes équitables dans le droit de la délimitation

maritime », REDI, 1990 n°2, p. pp.367-388

• Bekker P. H. F., «Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria; Equatorial Guinea Intervening)», 2003, volume 97, n°2, pp. 387-398

• Beurier J.-P., « Le droit de la mer, dix ans après Montego Bay », DMF, 9-1993, n°530,

et 10-1993, n°531

• Bletcher M.D., «Equitable delimitation of continental shelf », AJIL, volume 73, n°1, Janvier 1979, pp. 60-88

• Charney J. I., « Progress in International Maritime Boundary Delimitation Law »,

AJIL, 1994, volume 88, n°2, pp. 227-256

• Charney J. I., « Maritime Delimitation in the Area between Greenland and Jan Mayen », AJIL, 1993, volume 88, n°1, pp.105-109

• Chemillier-Gendreau M., « Le droit de la mer : mythes et réalités », Hérodote, n°32,

1er trimestre 1984, pp.42-53

• Colson D.A., « The United Kingdom--France Continental Shelf Arbitration », AJIL, 1978, volume 72, n°1, pp.95-112

• Dzurek D.J. « Eritrea-Yemen dispute over the Hanish Islands » IBRU Boundary and

Security bulletin, 1996, volume 4 n°1, pp. 70-77

• Evans M.D., «Less than an Ocean Apart: The St Pierre and Miquelon and Jan Mayen Islands and the Delimitation of Maritime Zones », ICLQ, 1994, volume 43, n°3, pp. 678-696

• Evans M.D., « Maritime Delimitation and Expanding Categories of Relevant

Circumstances», ICLQ, 1991, volume 40, n°1, pp. 1-33

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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• Highet K., « Les principes équitables en matière de délimitation maritime », RQDI, volume V, 1988

• Galley J.-B. K., « Le juge en quête d’unité de régime juridique en matière de

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• Kwiatkowska B., « The Erithrea/Yemen arbitration : Landmark Progress in the

acquisition of territorial sovereignty and equitable maritime boundary delimitation”, International Boundaries Research Unit (IBRU) Boundary and security bulletin, 2000, volume 8, n°1

• McDorman T.L., « The Canada-France Maritime Boundary Case: Drawing a Line

Around St. Pierre and Miquelon », AJIL, 1990, volume 84, n°1, pp. 157-189

• Nelson L.D.M., « The role of equity in the delimitation of maritime boundary », AJIL, vol. 84, n°4, octobre 1990, pp. 837-858

• Ntuda Ebode J.-V. « Le Cameroun et le Nigeria enterrent la hache de guerre à

Bakassi. Et après ? », Diplomatie, Novembre-Décembre 2008, n°35

• Pirote O., « La notion d’équité dans la jurisprudence récente de la cour internationale de justice », RGDIP, Paris, tome 77, 1973/1, pp.92-135

• Plant G., « Maritime Delimitation and Territorial Questions between Qatar and

Bahrain (Qatar v. Bahrain) », AJIL, 2002, volume 96, n°1, pp.198-210

• Pratt M., «Affaire relative au différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) » , Journal judiciaire de la Haye, vol. 2, n°3, 2007

• Rhee S.-M., «Sea boundary delimitation between States before the world war II »,

AJIL, vol. 76, n°3, Juillet 1982, pp.555-588

• Samuelson, W. F., « Dividing coastal waters », The journal of conflict resolution, 1985, volume 29, n°1, pp. 83-111

• Scelle G. « Plateau continental et droit international », RGDIP, vol. 68, 1955

• Shaw M.N., « Case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El

Salvador/Honduras: Nicaragua Intervening), Judgment of 11 September 1992 », ICLQ, 1993, volume 42, n°4, pp. 929-937

• Tanaka Y., « Délimitation entre la Barbade et Trinité-et-Tobago », Journal judiciaire

de la Haye, volume, n°1, 2007, pp.57-60

• Tanaka Y., « L’arbitrage Guyana/Surinam : un commentaire », Journal judiciaire de la Haye, volume 2, n°3, 2007

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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• Tanaka Y., « Quelques observations sur deux approches jurisprudentielles en droit de

la délimitation maritime : l’affrontement entre prévisibilité et flexibilité », RBDI, vol. XXXVII 2004-2, pp. 419-456

• Tanaka Y., « Reflections on Maritime Delimitation in the Qatar/Bahrain Case »,

ICLQ, 2003, volume 52, n°1, pp. 53-80

• Weckel P. (dir.), « Chronique de jurisprudence internationale », RGDIP, 2003-1, p. 180-189

• Weckel P. (dir.), « Chronique de jurisprudence internationale », RGDIP, 2006-3, p.

711-721

• Weckel P. (dir.), « Chronique de jurisprudence internationale », RGDIP, 2008-1, p. 179-189

ARTICLES DE PRESSE :

• Depriek M., « Saint-Pierre et Miquelon cherche à récupérer un bout d’océan », L’Express, 25 mars 2009

• Dupont G., « Les fonds marins, objet de convoitise pour les Etats », Le Monde, 13 mai

2009

• Sabourin C., « Querelle Ottawa-Paris autour des fons marins de Saint-Pierre et Miquelon », dépêche AFP, 25 mars 2009

• Dossier « Plateau continental : la France étend ses eaux », Le Marin, n°3227, 15 mai

2009 RAPPORTS, MEMOIRES ET AUTRES DOCUMENTS :

• Girardin A. et Guedon L. « Rapport d’information déposé en vertu de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur la délimitation des frontières maritimes entre la France et le Canada », n° 1312, Assemblée nationale, 10 décembre 2008

• Türk H., « L’équité dans le règlement jurisprudentiel dans les délimitations de

frontières maritimes », Mémoire DEA, septembre 1999

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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TABLE DES MATIERES

Sommaire 9

Introduction 12

Partie I : L’Equité, une notion indéfinie _________________________________________ 20

Titre I : L’ambivalence de la nature juridique de l’équité _______________________________ 20

Chapitre I : L’évolution des fondements juridiques ____________________________________________ 20

Section I : La délimitation de la mer territoriale ___________________________________________ 21 A°/ Les fondements _______________________________________________________________ 21 B°/ La règle Accord / Equidistance / Circonstances spéciales ______________________________ 23

Section II : La délimitation du plateau continental et de la ZEE _______________________________ 26 A°/ Les fondements _______________________________________________________________ 26 B°/ La question de la ligne unique ____________________________________________________ 29

Chapitre II : Des éléments de Réponse _____________________________________________________ 32

Section I : L’Equité et le droit __________________________________________________________ 32 A°/ Une notion juridique ___________________________________________________________ 32 B°/ Un principe général de droit ou de justice ? _________________________________________ 35

Section II : La mesure de la pertinence des techniques de délimitation ________________________ 38 A°/ Un concept inhérent à l’idée de justice ____________________________________________ 38 B°/ Un droit intangible _____________________________________________________________ 40

Titre II : L’ambiguite de la fonction de l’équité _______________________________________ 44

Chapitre I : L’Equité, une fonction créatrice _________________________________________________ 44

Section I : L’« équité créatrice », et la pratique jurisprudentielle ______________________________ 44 A°/ L’origine _____________________________________________________________________ 44 B°/ L’évolution ___________________________________________________________________ 47

Section II : L’équité, fonction normative de la pratique des Etats _____________________________ 50 A°/ Les fondements _______________________________________________________________ 50 B°/ L’obligation de négocier ________________________________________________________ 51

Chapitre II : L’Equité, une fonction correctrice _______________________________________________ 52

Section I : L’« Equité correctrice » et la pratique jurisprudentielle _____________________________ 52 A°/ Les origines ___________________________________________________________________ 52 B°/ L’évolution ___________________________________________________________________ 54

Section II : L’équité, fonction correctrice dans la pratique des Etats ___________________________ 57 A°/ Les réalités des délimitations maritimes entre Etats __________________________________ 57 B°/ L’Equité et le résultat des négociations ____________________________________________ 58

Partie II : L’Equité, une notion identifiable ______________________________________ 60

Titre I : Une obligation de moyens : les méthodes de délimitation _______________________ 60

Chapitre I : Le Point de Départ : la recherche d’une méthode équitable ___________________________ 60

Section I : La pertinence de la ligne d’équidistance _________________________________________ 60 A°/ Une méthode contestée ________________________________________________________ 61 B°/ Une méthode largement employée _______________________________________________ 63

Section II : La pertinence de la zone de délimitation ________________________________________ 65 A°/ Du prolongement naturel au partage équitable ______________________________________ 65 B°/ La définition de la zone pertinente ________________________________________________ 67

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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES

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Chapitre II : La correction équitable de la délimitation ________________________________________ 69

Section I : Les circonstances pertinentes ou spéciales au regard des principes équitables __________ 70 A°/ Les principes équitables : une fonction généralisatrice ________________________________ 70 B°/ Les circonstances pertinentes et les circonstances spéciales : une fonction individualisatrice _ 72

Section II : Des circonstances pertinentes identifiées _______________________________________ 75 A°/ Des circonstances géographiques au détriment des circonstances géologiques ____________ 75 B°/ Le poids de l’économie _________________________________________________________ 78

Titre II : Une obligation de resultat : l’obtention d’un resultat equitable __________________ 84

Chapitre I : L’appréhension de l’équitable par le juge _________________________________________ 84

Section I : L’effet accordé aux circonstances pertinentes ____________________________________ 84 A : Les territoires insulaires _________________________________________________________ 84 B : La technique de l’effet partiel ____________________________________________________ 86

Section II : Le balancement entre les différentes circonstances pertinentes _____________________ 88 A : L’affirmation du principe ________________________________________________________ 88 B : Un « faux problème » ___________________________________________________________ 90

Chapitre II : La vérification de l’équité du résultat ____________________________________________ 91

Section I : La place de la vérification dans le processus _____________________________________ 91 A : Le test de proportionnalité _______________________________________________________ 92 B : La position du test dans le processus de délimitation __________________________________ 93

Section II : La méthode de la proportionnalité ____________________________________________ 94 A : Une méthode largement employée ________________________________________________ 94 B : Une méthode remise en cause ____________________________________________________ 96

Conclusion 100

Liste des arrêts et sentences cités 102

Annexes 104

Bibliographie 121