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Chants des Forets

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ALFRED DE MONTBRUN

Chants des Forêts

POÈMES CANADIENS

JOUVE &• Oe. ÉDITEURS 15, RUE RACINE — PARIS-VI *

1919

— TOUS DROITS RÉSERVÉS -

Chants des Forêts

L E S V O Y A G E U R S

La piste est longue camarades

Soit en été soit en hiver,

Les camps sont courte : allons nomades

Du Labrador au Vancouver

Des rivages de l 'Atlantique

Aux campements des Nascaupis, ( i )

A travers la forêt antique

Où les Carcajous (2) sont tapis,

Les rapides nombreux et traîtres

Tiennent chaque homme en éveil :

Ici les forts seuls sont les maîtres

E t gardent leur place au soleil.

1. Nascaupis : tribu indienne. I . . . . „ r> • J . 1 % ) mot» indiens, a. Carcajous : espèce de panthère. (

6

Des bords de la Saskatchouane Aux défilés des monts Rocheux, Nos chiens, tirant leur tobogane, (3) Ont plié leurs jarrets nerveux , Par les monts boisés, par les plaines, Nous passons d'un effort puissant Sans cesse et d'une longue haleine, Vers l'Ouest immense et rougissant.

La piste est longue camarades, Soit en été, soit en hiver, Les camps sont courts: allons, nomades 1 Du Labrador au Vancouver.

i . Tobogane : traîneau plat (mot indien).

LE DÉPART

L'étoile luit encore d'un éclat éphémère,

Et le ciel semble noir mais le jour va venir,

Dans l'Est déjà paraît une vague lumière,

Levons la tente il faut partir.

A peine si l'on voit se dérouler géante,

La forêt solitaire où nul n'a dû passer ;

Et dont la sourde voix gémit et se lamente

Parlant sans jamais se lasser.

Le souffle froid du Nord parmi la cendre éteinte

Passe et la fait tourner en un tourbillon gris.

La saison qui se meurt jette partout sa plainte,

Et jonche le sol de débris,

Chants des Forêts

Le canot nous attend et se balance, avide

De couper le flot noir en prenant son essor.

Retirons les piquets, baissons la toile humide

Que la corde retient encor.

Elle glisse et se tord entre nos mains roidies,

Ainsi qu'un blanc drapeau le vent la fait claquer ;

11 nous mène en avant sur des courses hardies,

Sur des chemins qu'il faut marquer.

Nous ne reverrons plus ce foyer temporaire,

Où nous avons trouvé l'abri pour une nuit,

Où nous avons songé devant la flamme claire

A d'autres jours qui sont enfuis.

Qu ' impor te! nous vivons sur un ample domaine,

Et notre but se trouve où la nuit nous surprend ;

Notre toit c'est le ciel à la voûte sereine

Notre route c'est le torrent.

Encore un camp passé,— laissons là tous nos rêves,—

Le temps est revenu quand l 'homme doit agir,

Nous ne reviendrons pas nos minutes sont brèves,

Levons la tente il faut partir.

L ' A R R I V É E

V a g u e i nc l émen te , a t t aque et c l a q u e ,

J e t t e tes éclats b r u i n e u x

Déferle et m o n t e , éclate et c r a q u e ,

S u r les flancs d u cano t n e r v e u x .

Que nos c œ u r s soient légers en dépi t des cieux s o m b r e s

Car le lac est tout près , n o u s l ' en tendons m u g i r

Nous e n t e n d o n s siffler sans cesse d a n s les o m b r e s

Les b r anchages velus q u e le vent fait f rémir .

Nous e n t e n d o n s br iser su r la plage invisible

Les flots t e m p é t u e u x se rou lan t j u s q u ' à n o u s ,

Nous berçan t l e n t e m e n t , tel u n sillon flexible,

Nous m e n a ç a n t déjà de crêtes en c o u r r o u x .

I l )

Penchons-nous en avant d'un mouvement rythmique,

Et que nos bras soient forts pour pousser en avant

Le canot balancé, qui se plie élastique,

Lorsque frappe le flot mourant.

Relevons et plongeons la brillante pagaie,

Nous avançons sans cesse en pays inconnu,

La décharge est passée et nous voyons la baie,

Et sa plage courbée où le sable est à nu.

Par les joncs clairsemés qu'elle plie et secoue,

La brise poussera notre léger esquif

Et sur le gravier fin grincera notre proue,

Que guide et presseencor l'effort d'un bras actif.

Nous camperons ici; bientôt notre fumée

Montera vers le ciel entre les bouleaux blancs,

Tordant, comme un serpent, sa spirale animée

Que fuyeronteffrayés les fauves vigilants.

Nous dormirons, rêvant aux courses vagabondes,

Sous la tente dressée et sous l'abri vermeil

Des couvertes delaine, et le bruit sourd des ondes

Mugira dans la nuit, berçant notre sommeil.

L E S C H A S S E S

I

L'aube vacillante grisonne, Est-ce le jour, est-ce la nuit ? A peine le buisson frissonne Sous le soupir du vent, sans bruit.

Tout dort sur la hauteur voilée, A l'horizon lointain tout dort, Les brumes cachent la vallée, Et flottent partout sans effort.

Ah ! belle heure calme et pensive ! La déesse au front virginal Finit sa course fugitive, Quand partie chasseur matinal.

Chants des Forêts

Et d'une lueur affaiblie

Indique le toit forestier,

Le bois dans sa mélancolie

Pleure en gouttes sur le sentier.

II

Auprès de la forêt encore ténébreuse, Sur un coteau saillant, des airs vifs caressé. Maintes vieilles chansons aux notes langoureuses Font vivre en mon esprit les chasses du passé.

Et dans le demi-jour, à la pâleur mystique,

Il me semble revoir les farouches Gaulois,

Tous les géants sans peur des légendes Gothiques,

De vaillants paladins, des chevaliers, des rois.

En ces jours exaltés, où bouillant de jeunesse, Vers las bois automnals ils partaient bruyamment, Quand la meute sauvage hurlait avec ivresse, Et les chevaux poussaient de longs hennissements.

C'est alors que les cors et de corne et d'ivoire

Lançaient par tousles bois leur frissonnant appel,

Qui semblent aujourd'hui renaître en ma mémoire,

Pour réveiller dans l'âme un regret éternel.

Les Chasses i 3

Un regret du passé, puissant, inexprimable,

Un regret du futur que rien ne peut guérir,

Que l'être inquiet sent, qui le poursuit, l 'accable,

De voir s'enfuir les jours et la saison mourir.

III

Il m'a semblé vous voir, vous qu'ont chanté les âges !

Car vous aussi peut-être avez parfois rêvé,

Car peut-être arrêtés sous les vastes ombrages.

Vous avez pris le fil d'un songe inachevé.

Dans cet enchantement de la prime lumière,

Quand pendent les brouillards aux chênes rougissants

Du grand silence vierge, au matin renaissant

Vous avez ressenti la magie éphémère.

IV

Siegfried, mâle et sans peur, unique espoir des dieux,

Tu surgis tout à coup appuyé sur ta lance

Auprès des eaux du Rhin ; et tes accords joyeux

Eveillent les échos en sonores cadences.

Chants des Forêts

Puis les guerriers Gaulois, chassant le noir auroch,

Passent dans les grands bois le temple des druides,

Le sol dur en résonne, et tremble à chaque choc,

Au galop cadencé des cavales rapides.

Ils disparaissent ; quels sont ces rouges guerriers,

Aux longs cheveux flottants, fils du peuple Sicambre ?

Poursuivant pas à pas d'énormes sangliers,

Ou de féroces loups dont luisent les yeux d'ambre.

Pharamond et Clovis et le Hun Attila,

Chacun fuit emportant la course furibonde,

Puis Charles le Martel et les guerriers d'Allah

Echouant à Poitiers leur horde vagabonde.

Enfin Charles le Grand ! rempli d'âpre vigueur

Combien peuvent le suivre en sa course effrénée?

Et qui peut résister contre sa forte ardeur

De l'heure du départ à l'heure de curée ?

Glorieuse épopée ! où tant d'autres sont vus,

Jusqu'à ces chefs Indiens et leurs stoïques braves

Sur la piste des cerfs el des bisons velus,

Indomptables et fiers, insouciants d'entraves.

Les Chasses iS

V

Oui, je sens que dans moi votre sang est mêlé,

Et vous voyant ainsi, comme un éclat de flamme

Semblerait ranimer un instinct refoulé,

Revenant tout à coup plus vigoureux dans l 'âme.

Et je jouis alors du temps de liberté,

Je jouis de la vie au plus profond de l'être,

Du monde, du ciel bleu, de ce flot enchanté,

Ou revient s'apaiser l'esprit de chaque ancêtre.

Et si, dans les forêts de ce monde nouveau

V o u s n avez pu lancer votre appel à l'aurore,

Mon chant revient à vous, tel un lointain écho

De vos cors de jadis, qui renaîtrait encore.

FANTAISIE DU SOIR

Surles herbages desséchés, Auprès de grands pins parfumés,

Le chaud soleil est doux après de longues pluies, Et je rêve à ma tendre fleur Qui fait ma joie et ma douleur,

Ma mélodie

Après bien de longs jours brûlants, Quand vient l'éclair étincelant,

L'orage semble bon aux plantes assoiffées, Ainsi, lorsque je la revois, Je respire heureux, et la crois

Reine des fées.

9

Seul sur le lac et dans la nuit

J'ai poussé mon canot sans brui t :

Fantaisies du soir 17

J'aime errer sur les eaux, quand luisent les étoiles,

Mon cœur la rêve et la pressent

Parmi les nuages, passant

Comme des voiles.

Les flots s'en vont, calmes et noirs,

Ils reflètent ternes miroirs,

Ces points brillants semés dans la céleste plaine

Leur éclat m'est moins merveilleux

Que la lumière dans ses yeux ,

Qui fait ma peine.

J'écoute les cèdres épais

Sur les eaux chuchoter en paix,

Ils semblent m'appeler au fond brumeux de l'anse,

« Arbres penchés qui murmurez,

Mon amour sera-t-i l jamais,

Qu'une espérance ? »

Mais je ne comprends leurs soupirs

Au vent qui les fait tressaillir,

Et pousse mon esquif vers la distante rive ; —

Tel des ans le souffle moqueur,

Dans la nuit emporte mon cœur

A la dérive.

L'ORIGNAL

C'est l'heure du néant, c'est l'heure longue et noire Avant le point du jour, entre l'aube et la nuit ; Je me suis réveillé ne sachant où me croire, Essayant de saisir dans ce silence un bruit.

Appuyé sur le lit de résineux branchages

J'écoute, et tout à coup, le cri de l'orignal ( i )

M'arrive d'une pointe où foulant les herbages,

Enorme et fantastique, il jette son signal.

Il brame sur les eaux, et cet appel sonore

Flotte dans le lointain sur l'écho faiblissant,

Et dans les airs enfin se meurt et s'évapore

Pour revenir encor mâle et retentissant.

i . O r i g n a l : m o t i n d i e n s ign i f i an t é l a n .

L'orignal

Et dans la nuit je rêve, et je croirais entendre

Magique résonner la trompe d'Obéron,

Je me perds dans le songe, et je ne puis comprendre

Si je n'aurais atteint le pays d'Avilion.

Ou si, dans le sommeil revenant aux ancêtres,

S'éveillerait en moi quelque sombre terreur,

Et que tout ce moderne où je me croyais maître,

Ces travaux ne seraient qu'un songe séducteur.

Partout règne la nuit, et la cendre est éteinte,

Le froid envahit tout. Oh ! que l'on se sent seul

Dans cette immensité, lorsque sa longue plainte

Nous réincarne dans quelque distant aïeul.

Je suis l 'homme farouche à l âge de la pierre,

Vivant dans ma caverne à l'aurore des temps,

Je redoute le noir ! Je voudrais la lumière,

Je voudrais le soleil et le jour éclatants I

Je suis seul et petit, sans ami ni compagne,

Et tout est contre moi : les d a n l s d u froid cruel

Annoncent l'hiver et la faim qui l'accompagne,

Pendant ces mois obscurs spectre perpétuel.

ao Chanta des Forêts

Et faible que je suis je voudrais encor vivre.

Je ne veux pas penser que ce corps tout raidi

Tombera faiblissant sous la neige et le givre,

Servira de pâture à quelque fauve hardi.

Je veux vivre ainsi que la bête mugissante,

Pour appeler à moi la femme que je veux,

Ou bien de la tribu l'arracher, et tremblante,

L'emporter par les monts et les marais fangeux.

Je veux vivre, et combattre avec ma rude hache

L'ours velu dont la peau couvrira mon corps nu ;

Déjà je me fais craindre et la bête se cache,

Car elle voit dans l 'homme un péril inconnu.

Ainsi ce son du Nord évoquant tout un drame, Croise en moi les pensers et le sang des aïeux, Pendant que sur le lac, l'orignal pleure et brame, Et je me sens petit sous la voûte des cieux.

Résonne encor, son clair qui viendrait d'une cloche 1

Qui sortant du poitrail musclé du roi des bois,

Monte et couvre un pays! défi, plainte, ou reproche,

Tu fais trembler les airs, surnaturelle voix 1

L'orignal

Mais je surprends enfin une lueur première,

La brume se blanchit et je la vois flotter ;

A l'aube tout se tait sur la contrée entière :

Silencieusement les ombres vont passer.

J'écoute, mon cœur bat, l'eau lave le rivage,

Et les calmes hauteurs se dorent tour à tour,

Le fantôme évoqué par la voix d'un autre âge,

Avec la nuit fuyante est chassé par le jour .

L E C A M P

J'ai passé sur le mont, par la triste brûlée ( i ) ,

Par les bois de sapins, temple silencieux,

Par les ruisseaux bruyants où la truite affolée

Glisse rapidement dans les flots furieux.

Le soir est arrivé : sous l'abri de ma tente.

Auprès d'un feu nourri des arbres d'alentours,

J'ai regardé longtemps chaque flamme vivante

Revêtir le bois sec de son brillant velours.

Et respirant l'air frais, plein d'odeurs résineuses.

J'écoute s'élever le chant du bois-pourri (a)

Près du marais humide, près des eaux vaporeuses,

Lançant à tout instant, strident, son triste cri .

I . Brûlée : Fo rê t o ù l ' incendie a passé.

s . Bois-pourri: O i seau canad ien n o c t u r n e qu i répè te un cr i

r e s semblan t aux mots : bo i s -pour r i .

Le camp

Maintenant il est doux de songer à sa mie,

Là-bas, bien loin, là-bas,

J e croyais sa mémoire à jamais endormie.

Mon cœur est las, bien las.

J 'aurais cru l'oublier en partant solitaire,

Mais j e l'entends toujours,

Mais j e la vois le soir comme au temps de naguère,

Moments trop courts, trop courts.

J e crois la sentir près aux instants de silence,

Sa main frôle mon front,

Ce n'est qu'illusion, la nuit froide s'avance,

Les doux rêves s'en vont.

Par delà l'horizon, la lune nette et claire

A passé lentement,

Le feu, de ses tisons, rougeoie et ne m'éclaire

Qu'en de rares instants.

O h ! ma mie entends-tu mon être qui t'appelle,

Ressens-tu mon désir?

Tel le Ilot agité balançant la nacelle,

L'amour me fuit frémir.

Chants des Forêts

En vain je te voudrais, la voix des solitudes

Répond seule à ma voix,

En vain j 'attends brisé de morne lassitude,

Je suis seul dans les bois.

RETOUR

De loin j ' a i vu ce toit et j ' a i voulu venir,

J 'ai voulu l'émotion qui console et qui brise,

J 'a i voulu rappeler et j ' a i voulu sentir

Un vieil amour caché qui fait mal et qui grise.

Et quand le cœur bondit d'un élan infini,

Qui saurait résister? J'ai suivi ma pensée

Où s'éveille l 'amour que j 'avais cru banni,

Et je reviens à toi chère ombre délaissée.

Car ce n'était qu'une ombre, une ombre de bonheur

Que je vis devant moi ; mais ces ans d'espérance

Je ne les aurai plus, et d'un rêve enchanteur

Je n'ai plus que le rêve, et j ' a ime sa souffrance.

26 Chants des Forêts

Un mal très doux, très pur qui s'éveille en ces lieux,

Il retient sa fraîcheur de première jeunesse,

Il met la joie au cœur et des larmes aux yeux .

J'aime à le ressentir et cependant il blesse.

Oh I la saison est belle, et tout chante et renaît,

Sous le vieux pont de bois le torrent gronde et roule,

Sur le buisson en fleurs, où la feuille parait,

La grive mêle son chant au bruit de la houle.

Autrefois j 'écoutais, heureux d'illusions,

Ces voix du renouveau qui me sont toujours chères,

Mais je te savais là : l'anticipation

De te voir, leur donnait un éclat éphémère.

Et je chantais aussi, joyeux, insouciant,

Avec l'oiseau frivole, avec l'eau fugitive,

Où s'en est-il allé ce flot blanc et riant?

Qui trouvera l 'écho que ma chanson ravive?

Reverrai-je jamais sur ce sentier caché,

La forme que j'attends passer légère et rose ?

En vain mes yeux errants dans l'ombre auront cherché;

Le jardin est désert, la porte reste close.

P L U I E

Qu'il est triste le lac, quand vient le soir d'automne,

Qu'il est seul,dans les bois, noirs comme son flot noir,

Ou par le froid dorés ainsi qu'une couronne,

Sur les bords arrondis. Qu'il est triste le soir !

Quand sur le front massif des montagnes lointaines,

Les nuages pressés passent en rangs serrés

E t , comme s'ils pleuraient, vident leurs urnes pleines

Sur les arbres raidis des humides forêts.

Qu'il est triste l'esprit que les chagrins dévorent !

Flots serrés qui tombez nombreux comme mes pleurs,

Vous êtes transparents : mes larmes se colorent,

Ecarlates du sang qui coule de mon cœur.

a8 Chants des Forêts

Et froids comme l'automne au joug qui nous accable

Sont mes pensers : ainsi qu'Octobre sans pitié

Dont le glaive tranchant a fait saigner l'érable

Sur son feuillage vert, puis l'en a dépouillé.

Car je ne verrai plus sa blonde chevelure,

Ni ses yeux souriants à la fine douceur,

J 'ai passé maintenant, la voie est longue et dure

Pourquoi n'être resté quand j'avais le bonheur?

LE LAG MIMI

Le lac est là, perdu !

Sous l'ombre du grand pic où l'épervier se pose,

Au sein de la forêt, perle bleue, il repose,

Solitaire, inconnu.

Et le sapin rugueux bravant les noirs orages,

Accompagne avec lui de mystiques présages.

Les cèdres toujours verts

L'entourent de leur ombre épaisse, et si profonde,

Que l'on croirait de jai le reflet de son onde

Près des bords recouverts,

Où la mousse se mêle à l 'humide racine

En monstres tortueux qu'à peine l'on devine.

3o Chants des Forêts

Mais il est un endroit

S'élevant plus ouvert des rives submergées.

Un pin géant s'y dresse, aux branches allongées.

Au Ironc énorme et droit,

De là le lac s'étend jusqu'à perte de vue,

S'enfuyant pour s'unir à la lointaine nue.

Ah ! J 'y vins bien souvent . . .

Je m'arrêtais longtemps à ces bords pleins de charme,

Où nul ne pouvait voir quelque furtive larme

Qui tombait en rêvant,

Lorsque seul je berçai mon amour malheureux

Aux échos de la vague lente et mélodieuse.

Je t'aimais, lac Mimi ! Altéré j 'arrivais boire à ta solitude, Une consolation intime quoique rude,

Tu fus comme un ami,

Tu redonnais vigueur à mon âme abattue,

Tu comprenais ma peine et ma passion émue.

Et le calme de ton azur

Me consolait un peu, souvent mélancolique,

Je regardais passer plein de reflets magiques,

L'éclair de ton flot pur,

Le Lac Mimi 31

En mon être sentant ta furtive caresse

Pleine d'une puissante et sauvage tendresse.

J'écoutais sur les eaux

Et dans l'herbe des bords, des vents le doux murmure

Ces sons me parlaient tous, et cette langue obscure

Passant dans les roseaux,

Venait autour de moi comme une mélodie,

Je me perdais en elle et j 'oubliais la vie.

0 lac, je viens à toi, Et ma douleur est là comme aux heures passées, L'oublierai-je jamais ? Car les larmes versées

A tes bords autrefois,

Voudraient renaître encore en entendant ta brise

Qui semble murmurer toujours : « Elise ! Elise ! »

IOLANTÉ

Iolanté ! Iolanté ! Comme la nappe violacée Des mers sous la lune argentée,

Sont tes yeux Iolanté I Le Soupir du lac aux collines, Le bruit des chutes crystallines,

Renaissent dans ta voix, Ta voix qui parle sur les brises En stances à peine comprises,

Qui les chante parfois.

Ne serais-tu que la vision fugitive

Par moi-même créée en un songe vivant,

Parlant sans être vue à l'oreille attentive

Ou sans bruit fuyant sur le nuage mouvant ?

Iolanté 33

Et pourtant je te cherche et je neveux pas croire

Que tu ne serais plus ! Tous mes jours et mes nuits

L'esprit revient à toi, puisant dans la mémoire

Toi, suprême idéal que toujours je poursuis !

Au bois, dans les ravins, tu fuis et tu m'appelles. . .

J 'ai tout quitté tout oublié

Quand je t'ai vue, et que, sous les feuilles nouvelles,

J'ai surpris ton sourire. Ah ! belle sans pitié !

Iolanté ! viens ô ma mie, Que ton regard puisse assouvir Le flot fiévreux de ma vie, Peut-être même ma folie, Naissant d'un farouche désir.

L'imagination, passagère, irréelle.

Souvent, hélas, croirait ou l'entendre ou te voir,

Mais je dois retomber, comme l'oiseau dont l'aile

A faibli quand surgit l 'ombre de l'aigle noir,

En vain questionnant la nappe éblouissante

Des grands cieux azurés, je reste dans l'attente,

Tu ne m'apparais plus, ni dans l'âpre montagne,

Ni dans l'ardent désert, ni la verte campagne,

Ni dans les bois touffus.

Pour toujours serais-tu partie ?

Un écho de mon cœur répond : « Jamais ! Jamais I o

34 Chants des Forêts

Et j 'ai pressé mon pas dans la rugueuse ortie

Près du ruisseau bruyant, et je lui demandai,

« L'as-tu vue onde passagère ? »

Mais l'onde qui gazouille et dont les yeux ouverts

Ont vu tout un pays aux horizons divers

Murmure: « Non! Non! Non !» Parfois même je doute

Quand d'étranges pensers reviennent m'assaillir

Il ne semble exister lorsque l'esprit écoute

Qu'un vague souvenir.

Et je vois seulement flotter les brumes blanches,

Et j 'entends soupirer les feuilles dans les branches.

L'OUTARDE

I

Corps allongé, l'aile agitée

Contre le ciel brillant du soir,

Où vas-tu dans l'air emportée?

Outarde, où fuit ton profil noir ?

11

Où te mène ton vol rapide

Vers l'horizon sombre du Nord ?

Est-ce vers la plage aride

Où le flot écumant se tord ?

Si

Chants des Forêts

III

Où vers les eaux silencieuses

A l 'ombre des grands bois déserts,

Sous l'abri des branches rêveuses

Des pins aux rameaux toujours verts

IV

Verras-tu les forêts immenses,

Dont les arbres verdoyants,

Couvrent , aux lointaines distances,

Un pays de monts ondulenls ?

V

Que ne puis-je te suivre Outarde 1

Te suivre et m'enfuir sans effort,

Sous le croissant qui le regarde

Voler vers l'horizon du INord !

L ' A P P E L D E S B O I S

Q u e g r o n d e le to r ren t qu i s 'enfuit et q u i passe ,

Q u e dit- i l au rocher q u e rapide il enlace

I n d o m p t é , b r u y a n t , et sans lo i?

J ' é c o u t e penché su r l ' é c u m e ja i l l i s san te ,

E t j ' e n t e n d s cet appe l qu ' i l m u r m u r e et qu ' i l c h a n t e ,

« V i e n s à moi ! Viens à moi ! »

Q u e b ru i s se le sapin p loyé sous la rafale

Q u a n d revient de l 'h iver l 'ha le ine g l ac i a l e?

Rêveur j ' a t t e n d s r emp l i d ' é m o i ,

P o u r c h e r c h e r à saisir la p la in te fugi t ive,

E t j e c o m p r e n d s ces m o t s d a n s sa l a n g u e furtive

« Viens à m o i ! Viens à moi ! »

38 Chants des Forêts

Sur le feuillage mort que dit le vent d'automne

Pleurant aux bois tout nus que la vie abandonne ?

Le doute a remplacé la foi,

Et l'humide saison ramène la tristesse,

Mais ce frissonnement dit comme une caresse,

« Viens à moi ! Viens à moi ! »

LA RIVIÈRE

Je suis parti sur la rivière,

Sans regrets et sans adieux,

Je n'ai demandé de prière

Ni de souhaits ni de vœux.

Le courant porte ma nacelle,

Où ? dira-t-on, je ne sais pas,

L'horizon peut-être recèle

Ou le bonheur, ou le trépas.

Soucieux, je vois chaque rive

A mes côtés fuir lentement ;

Point d'arrêt ! la barque hâtive

Suit son cours implacablement.

J'ai connu des plaines riantes

Où j 'aurais voulu m'arrêter,

Mais hélas, les vagues fuyantes

Plus encor, voulaient se hâter.

Chants des Forêts

J e vois des forêls t énébreuses

Où par len t des voix d u passé ,

Où des formes si lencieuses

Se penchen t sur le flot p r e s s é . . .

Le flot rap ide qu i m ' e m p o r t e

Vers l 'océan de l ' i n c o n n u ,

Dressan t l à - b a s sa s o m b r e por te

D ' o ù n u l n 'es t j ama i s revenu .

Parfois je me penche su r l 'eau

S c r u t a n t la p ro fondeur n o c t u r n e ,

Mais seule l ' ombre du bateau

Pa ra î t dans l 'onde t ac i tu rne ,

E t le cou ran t passe t o u j o u r s . . .

P o u r q u o i fouiller d a n s l ' i n s o n d a b l e ?

J e laisse se passer mes j o u r s

Vers l 'avenir inexorab le .

Q u e la course soit longue ou brève

Qu ' impor t e - t - i l ? j e suis lancé,

E t la b a r q u e descend sans t rêve,

Son sil lage c 'est le passé .

J e suis par t i su r la r ivière

Q u i coule tou jours en avant ,

T o u t bas je dis u n e prière

Songean t aux por ta i l s d u néan t .

CROYANCE

Que mes jours soient ou gris ou clairs, Au matin flamboyant quand l'espoir se ranime, Au soir quand revient l 'ombre et ses pensers intimes,

Mon chant montera sur les airs.

Soit que la joie ou le malheur Tour à tour partagés reviennent dans ma vie, De moments plus bénis je n'aurai point d'envie,

Je ne verrai que mon bonheur,

Je ne varrai qu 'un monde pur. J'ignorerai le mal ; dans toutes mes journées Je ne veux compter que les choses fortunées,

Je n'aurai point d'instant obscur

42 Chants des Forêts

Je ne veux regarder qu'au ciel

Le puissant ciel ouvert tout dénué de feinte !

Partout où je serai j 'adorerai sans crainte,

L'Univers sera mon autel.

BIVOUAC DE NOVEMBRE

Entends-tu dans les bois la voix du vent d'hiver

Qui chante aux monts glacés sur sa lyre de fer ?

Partout le souffle amer de sa folle rafale

Tour à tour se relève et s'enfuit pour mourir ,

Et l'arbre nu s'incline à ce cruel soupir,

L'entends-tu gémissant sous l'haleine fatale ?

Tout semble abandonné sous le ciel étoile,

Il n'arrive de loin que ce chant désolé,

L'arbre mourant qui grince, et se tord, et frissonne,

Le clapotis des eaux dans les roseaux penchés,

Et le tournoiement fou des feuillages séchés

Qui passent sans arrêt dans les herbes d'automne.

44 Chants des Forêts

Mille vagues pa r fums v iennen t de tou te pa r t ,

Acres , mais tous subt i ls et p lus d o u x que le n a r d .

E n c e n s mys té r i eux que la s o m b r e n a t u r e

Offre en ce vaste t emple à son maî t re E te rne l ,

A c c o m p a g n a n t les sons du pœan solennel

Q u e chan t e u n c h œ u r pu i s san t dans la forêt o b s c u r e .

Au b ivouac isolé, le feu t rop tôt m o u r a n t

Dispe r se a u t o u r de n o u s q u e l q u e reflet e r r an t ,

E t l 'a ir vif e m p o r t a n t la f l amme vaci l lante ,

De sa faible lueur l ' éc la i rant à d e m i ,

Glace sous son m a n t e a u le chas seu r e n d o r m i

Et soulève en passant la cendre pé t i l l an te .

E t j e ressens tou jours l 'œil du g rand infini

F ixe et pu i s san t , j a m a i s fe rmé , jamais t e rn i ,

A u x confins de l 'espace impass ib le il r ega rde

Il perce j u s q u ' à nous l 'épaisse obscur i t é

D ' u n e flamme b é n i g n e ! E l son é te rn i t é ,

Au fond des bois p e r d u s n o u s pro tège et nous g a r d e .

Mais a n n o n ç a n t déjà l ' app roche du m a t i n ,

J ' é c o u t e f r issonner le buisson ince r t a in ,

D e Ion lit froid et d u r l en t emen t tu t 'éveil les,

Bivouac de Novembre 45

Tu cherches la chaleur près du feu ranimé,

Puis sous le grand ciel bleu d'étoiles parsemé

Tous deux silencieux nous finissons la veille.

Regarde ! A l'horizon l'éloile qui reluit :

Lucifer triomphant revient chasser la nuit,

\ son front radieux ramenant la lumière,

Sur les rochers géants et le bois agité

lit dans le ciel où brille une vague clarté :

C'est l'aube qui paraît ! 11 faut partir mon frère I

L'ERMITE

Calme séjour de paix profonde

Et de félicité, Ou fuyant loin des bruits du monde

Je vis en liberté, Combien j 'a ime ton ombre austère.

Ton abri généreux, Où chaque moment solitaire

Passe libre et heureux.

Calme séjour où de ma vie

Les jours sont sans secrets Où chaque heure n'est poursuivie

D'inutiles regrets. . . Où loin des passions avides

Et leur triste réveil, Tu donnes les rayons limpides

Du bienfaisant soleil.

L'Ermite 47

Qu'importe le monde, ou ses gloires,

Qu'importent ses trésors,

J e préfère mes forêts noires

Mes monts abrupts et forts.

Plus chers sont leurs vastes silences,

Ou leurs chants inspirés,

Berçant cette douce existence

De jours dorés.

Soit qu'au retour du triste octobre,

Précurseur de l'hiver,

Les bois sous la lumière sobre

Sentent le vent amer,

E t l 'homme penserait entendre

De prophétiques voix,

Parlant d'un sens qu'il croit surprendre

Des siècles d'autrefois

Ou soit que le printemps ramène

Ses longs jours radieux,

Donnant à la forêt sereine

Un réveil glorieux,

Auprès des monts.au bord de l'onde,

A l'ombre du ballier

J e veux goûter ta paix profonde

Asile hospitalier !

R E M O R D S

Q u a n d la froide brise h iverna le

M u r m u r e dans les noirs sap ins ,

E t tord de sa folle rafale

Les nuages qu 'e l le d i s jo in t ,

Lo r sque la pâle l une ,

D e son frêle c ro i ssan t ,

Lu i t sur la c o u l e u r b r u n e

Q u e j e t t e le c o u c h a n t .

C 'es t l ' heure où les â m e s pe rdues

S o r t a n t de leurs t ombeaux glacés ,

S u r les ne igeuses é t endues ,

V iennen t p leure r leurs m a u x passés

Remords

C'est l'heure où dans la plaine,

Fuyant sous l'ouragan,

Elles hurlent leur peine

Près des bois frissonnants !

Est-ce une illusion fiévreuse?

Elles viennent passer tout près,

Jetant leur plainte malheureuse

Et des appels désespérés !

Je vois passer difformes

Des visions d'autrefois,

Dans l'étendue énormes

Reprochantes parfois.

Et j 'ai penché mon front morne

En revoyant ces jours confus,

Sentant la tristesse sans borne

Hélas ! des jours<jui ne sont plus.

S H A W I N I G A N E

S h a w i n i g a n e ( i ) ! E a u x r é sonnan tes !

Les flots préc ip i tés tels des cours iers f o u g u e u x ,

Brisés su r les roches t r emb lan t e s ,

T o m b e n t é p e r d ù m e n t dans ton gouffre o r a g e u x .

E t j e t t en t p a r t o u t d a n s l 'espace,

C o m m e u n géan t t r o u p e a u , l eur rou lan te c l a m e u r

Q u ' e m p o r t e le vent et qu i passe

S u r les s o m m e t s lo in ta ins en confuse r u m e u r .

Blanches sont tes masses d ' é c u m e

Jai l l i ssant d a n s les a i rs et lourdes r ep longean t ,

L 'on d i ra i t u n c h a u d r o n qu i fume

Et qu i bou t des l ingo ts d ' éb lou i ssan t a r g e n t .

i . Shawinigane : prononcer cha-oui-nigane, nom indien. Fameuse chulcde la rivière Saint-Maurice. Province de Québec.

Shawiniganc

Froides sont les brises créées

Par ton cours violent, où flotte immatériel

Un brouillard d'eau pulvérisée,

Où, quand luit le soleil, s'irise l'arc-en-ciel.

Que serais-tu chute haletante?

Motion qui commença dans les glaciers d'anlan,

Unique artère violente

Gouttes-tu l'existence et l'âme d'un titan ?

Nul n'a connu ton origine.

Nul ne sera si vieux qu'il connaîtra ta fin,

Car l'Eternel seul te domine,

Il t'a lancée hier, te brisera demain.

J 'aurais voulu te voir dans ces jours de naguère,

Quand nul ne connaissait les bords accidentés,

Avant qu'eut résonné la hache meurtrière

Sur le cèdre et le pin des lieux inhabités.

Car récemment cncor, jusqu'à perte de vue.

Leur verdure couvrait ce pays que l'Indien

Seul connaissait. Bientôt la forêt disparue

Ne laissera plus que le roc Laurentien.

Chants des Forêts

J ' a u r a i s , c o m m e a u j o u r d ' h u i , h u m é ta b r u m e b l a n c h e ,

Mais tu m ' a u r a i s semblé p lu s solennel le encor ,

M o i - m ê m e p lus pet i t , la n a t u r e p lus f ranche ,

E t m o n â m e p lus l ibre , ainsi q u ' à l 'âge d ' o r .

E t j ' au r a i s vu ces m o n t s q u e n u l regard profane

N 'ava i t encore fouillés, où la brise appo r t a i t

T a voix grave à l ' I nd ien e r ran t : « S h a w i n i g a n e . . . »

M u r m u r a i t - i l r êveur et s o m b r e il écou ta i t .

P e u t - ê t r e en tcnda i t - i l , ô vision n o c t u r n e ,

Des mo t s d i san t sa fin, le b lanc peup le venu ,

A b a t t a n t ses forêts, et son œil t ac i tu rne

T r i s t e m e n t se voilait du péri l i n c o n n u .

L ' h o m m e b lanc est venu , ses n o m b r e u s e s cohor tes

O n t couver t le p a y s , et le sauvage par t

Aux re t ra i tes du Nord , et de tes vagues for tes

Le c o u r s est divisé pa r u n pu i s san t r e m p a r t .

Mais tu g rondes tou jours à travers les t u rb ine s ,

O ù tu crées en passan t des éclairs fu lgu ran t s ,

D a n s ce fou t o u r n o i e m e n t enco r tu n o u s fascines .

T u menaces ceux qui se c ro ient tes c o n q u é r a n t s .

Shawinigane 53

Que t'importe, après tout, des hommes l'attelage?

Qui t'affaiblit, hélas, pour l'espace d'un jour,

Tu reviendras demain, et, d'un élan de rage.

Tu perceras leur œuvre qui force ton détour.

Voix des éternités, parlant depuis des âges,

Tu parleras encor dans les âges diffus

Du futur solitaire, où nul de les présages

N'entendra sur ces bords les mots aux sons confus,

Et puis tu passeras dans quelque cataclysme,

Ou bien, usant les rocs de ton humide lit,

Ta course faiblira ; ce bouillant paroxysme,

De sons, de cris, d'appels, se taira dans la nuit.

Et la grande rivière au flot noir et tranquille,

Lentement coulera près des flancs caverneux

Des côtes que tes eaux de leurs efforts futiles

Battaient et tourmentaient de coups vertigineux.

De l'œuvre de nos temps, usant ce flot rebelle,

Nul ne verra la trace, et tout sera parti,

La race qui la fit, qui s'en servit, et celle

Ayant le récit seul d'un peuple anéanti.

54 Chants des Forêts

Et les monts délaissés seront dans le silence.

Il ne s'entendra plus sur leurs fronts découverts,

Pour remplacer la voix de ta révolte immense,

Que le cri d'un oiseau sur ce vaste désert.

NUITS D'AUTOMNE

J'aime les soirs de pluie et de froides tempêtes

Quand les lentes vapeurs se tordent dans les airs,

Brisant et reformant leurs vacillantes crêtes,

Livides dans la nuit, aux lueurs des éclairs.

Quand chaque arbre assailli de ce souffle terrible

Chaque herbe, chaque jonc se sentant déchirer

Maudissant et grinçant et d'un effort pénible

Jettant leurs bras au ciel sembleraient l ' implorer.

J 'aime lorsque dans la bourrasque

Je sens se dresser mes cheveux,

Quand passe le démon fantasque

Des vents tumultueux.

Car ce temps violent, sombre comme mon âme,

Sauvage et sans merci, ne donne aucun espoir,

De son vaste frisson grondant, comme une flamme,

Il porte sans arrêt la feuille qu'il fait choir.

56 Chants des Forêts

Une à une elles vont, sans forces, entraînées

Loin du chêne, du hêtre, où les vit le printemps

Se gonfler au soleil ; ainsi vont nos années

Qu'emporte dans l'oubli le grand souffle des temps.

Parlez, ô peuple des ténèbres!

Hurlez vos immenses clameurs,

Telles les cohortes célèbres

Roulaient avec fureur.

Mêlez-vous dans la nuit en un combat féroce

Les guerriers oubliés d'antan %

J'entends les cris de mort de la mêlée atroce

Des hordes de Satan.

Passez et revenez en glissantes spirales,

Je vous laisse silencieux

Battre mon front baissé, ô bruyantes rafales,

De coups impérieux.

Qu'ils passent ! vos efforts, vos coups et votre rage

S'en vont où le ciel s'assombrit

Ils laisseront toujours à l'âme son orage

Mais l'angoisse à l'esprit.

Nuits d'automne

0 fureur ! 0 désirs fougueux ! passions folles !

Vous foudroyez, vous écrasez,

Et vous, sens inconnus, qu'ignorent les paroles,

Cruels vous nous brisez.

Oh ! l'être se sent faible et la tourmente est grande, Il entrevoit mais ne comprend

Il voudrait avancer, hésite : il appréhende

La nuit qui le surprend.

Souvent l'âme me semble une vaste contrée Où je vois des pics lumineux

Et de pure beauté montant dans la nuée

Sur des trous caverneux.

Là règne la paix, là les tempêtes obscures,

Et la musique auprès du bruit.

Le silence profond près de fauves murmures ,

Le jour près de la nuit.

Cardans ces éléments je me revois moi-même,

Un chaos toujours agité,

Aspirant sans cesser vers l'idéal suprême,

Yers la pure beauté.

58 Chants des Forêts

Trop souvent j ' a i foulé dans la boue et la fange,

Mais je voyage sans cesser

Par de sombres chemins où me conduit un ange,

Qui ne m'a point laissé.

J 'écoute dans la nuit voilée et taciturne,

Et soudain je croirais ouir

La lente et grave voix des âges de Saturne,

Qui me fait tressaillir.

Tu semblés me parler, ô frissonnante terre,

Ta voix console et j e réponds,

J e fus créé de toi, je suis de ta poussière, ~

Et de ton tout protond.

Tu dis que de la nuit il doit sortir une aube,

Tu me dis que viendra le jour ,

Que nous verrons enfin ce que l 'ombre dérobe

Comme un fauve vautour.

Demain c'est le soleil qui chasse le mystère

Là-bas où l'horizon s'étend,

Demain c'est le réveil ! et sur ton sein ô terre

J e me penche et j 'a t tends.

TEMPÊTE

Sur le vaste océan qui pourra me guider,

A h ! Seigneur que la nuit est épaisse et profonde.

Aveugle, j 'erre , sans personne pour m'aider.

Où chercher, où trouver la lumière en ce monde ?

Autour de moi, partout, comme une mer houleuse,

Le doute s'est dressé terrible et menaçant,

Ma barque est frêle hélas, la vague est orageuse,

Seul, je n'ai que l'espoir de l'horizon naissant.

Et la houle, élevant ses crêtes écumeuses,

Semble tordre vers moi ses effroyables bras,

La tempête gémit, lu mouette pleureuse

De ses longs cris perçants m'appelle comme un glas.

6o Chants des Forêts

0 sombre désespoir ! comme les eaux hurlantes

Quand le flux haletant à mes pieds vient courir,

Frappent de leurs éclats les roches résonnantes,

Ainsi sur mon esprit je te sens revenir.

Serai-je délaissé sur cette mer profonde

Où passent sans cesser les autans furieux ?

0 toi ! m'aideras-tu dans les périls de l'onde

Réponds, as-tu compris cet appel soucieux 1

Oui 1 j 'ai vu ta lueur au ciel crépusculaire

Tel le phare brillant triomphant du flot noir :

Je t'ai revue enfin : ta présence m'éclaire,

Et j ' a i senti dans moi naître un puissant espoir.

Malgré le port lointain, malgré la lutte amère

Dans l'hostile élément béant comme un tombeau,

Le courage renaît en voyant ta lumière,

Et je guide vers toi mon fragile vaisseau.

S O U V E N I R S

i

O h ! r e n d s - m o i ma m o n t a g n e et m o n h u m b l e c h a u m i è r e ,

E t la verte forêt qu i couvra i t m o n p a y s ,

E t le soleil c o u c h a n t , don t la c lar té de rn iè re

I l l u m i n a i t le lac et les s o m b r e s tai l l is .

O h ! r e n d s - m o i m o n c o u r a g e et m a jo ie i nnocen t e

D a n s les froids de l 'h iver et les c h a l e u r s d ' é t é ,

E t le pouvo i r r u g u e u x d ' u n e force na i s san te .

Q u a n d , le c œ u r , confiant j ' e r r a i s en l iber té .

Q u e n 'a i - je m o n fusil don t le canon sonore

Réveilla si souvent l 'écho caché des vais

Aux p r e m i è r e s c la r tés , q u a n d l ' aube faible encore

F r a î c h i t les airs p i q u a n t s de ses venls m a t i n a l s .

62 Chants des Forêts

Et poursuivre, haletant, pressant la mousse humide,

La piste qu'a laissé le chevreuil aux abois,

Ou parmi les rocs nus de quelque mont aride

Surprendre l'ours pesant loin de l'abri des bois.

Que ne puis-je revoir la rivière sauvage,

Dont le flot lent et noir parfois semblait rêver,

E t le bruyant rapide assouvissant sa rage

Sur les rochers saillants qui voulaient l'entraver.

0 Destin ! viendras-tu briser enfin mes chaînes ?

Me rcmèneras-tu vers les lieux que j ' a imais?

Mais chaque jour revient dont la joie ou les peines

Elïacent cet espoir qui ne sera jamais .

Car j e me suis perdu dans la brume des villes,

E t j ' a i laissé là-bas mon verdoyant hallicr,

Car j 'entends les humains et leurs foules serviles

Esclaves à jamais sous le joug de l'acier.

L E P O R T A G E

La houle vivement nous balance déjà,

La plaque ( i ) d'un indien nous montre l 'abordage,

Tirons sur le canot, il faut descendre là (2)

Le pied du long portage.

Serrons d'un nœud plus fort les colliers (3) relâchés,

Qu'un prenne le paquet, deux cents livres de charge,

Et l'autre le canot, et posons sur les fronts

Le cuir humide et large.

1 . Plaque : T r a n c h e d'écorcé enlevée à un a r b r e pour indiquer

le sentier à suivre .

3 . Portage: Sent ier suivant les cascades trop rudes pour les

embarquat ions .

3 . Collier: C o u r r o i e qui sert à porter les provisions c o u v e r ­

tures e t c . , sur les portages .

64 Chants des Forêts

Qui sera le premier ? qui pourra défrayer

Les tournants du chemin tout couvert de branchages ?

Que son regard soit vif, et qu'il puisse épier

La trace des sauvages.

Car la journée est courte et le sentier va loin,

Il nous faut endurer la fatigue et la peine,

E t couvrir pas à pas tout ce rude chemin

Avant que la nuit vienne.

Grimpons sur les rochers, hàtons-nous lentement,

Tantôt balancés sur un vieux tronc qui chancelle,

Tantôt éclaboussés parles eaux, en tournant

Où la chute ruisselle,

Passons sous l'ombre épaisse où s'élèvent les pins :

Le crépuscule y règne et la brise y est douce,

Comme dans un tapis épais les mocassins

S'enfoncent dans la mousse.

Plus loin que cette cîme, au flanc abrupt et gris.

Se suivent les détours de celte rude gorge,

Qui semble bourdonner, répercutant des cris,

Comme une active forge.

Le Portage 65

Descendons et montons, descendons de nouveau,

Dans le marais épais où les aunes blanchissent,

Sur la pente menant vers un plus haut niveau,

Sur des terrains qui glissent...

Et nous arriverons. Qu'importe le labeur?

Nul chemin n'est si long qu'on n'en touche le terme

Si le destin le veut.. . Poussons avec vigueur,

D'un pas égal et ferme.

Car au soleil couchant, dans la fraîcheur du soir,

Nous serons arrivés au but, près d'une plage,

Et les paquets lâchés, il sera bon de voir

La fin du long portage.

5

LES ESPRITS DE LA CHUTE

Un rocher s'avançait parmi la blanche écume,

Un cèdre désolé, dans les fentes, crispé,

S'y cramponnait mouillé par l'incessante brume

Sans merci balayant son feuillage trempé.

Et la chute lançait sa vibrante colonne,

Faisant trembler le roc de son puissant effort,

Et j 'entendais percer, dans sa voix monotone,

Un chant mystérieux au delà de la mort.

Il venait sûrement de l'antique 'sirène

Qu'Ulysse furieux voulut suivre d'anlan,

Et mon corps balancé, ma frissonnante haleine,

Suivaient sans le savoir ce sauvage pœan.

Les esprits de la chute «7

J e r ega rda i l ' ah îme , où l 'eau pulvér isée

F lo t ta i t c o m m e u n n u a g e e m p o r t é d a n s le ciel ,

Ou parfois d a n s sa cou r se , ha le tan te et br isée ,

Se redressai t souda in d ' u n b o n d s u r n a t u r e l ,

Effrayante l en teur de la c h u t e qui t o m b e ,

C h a q u e gou t t e accélère u n élan insensé !

Et se b r o y a n t au fond avec u n b ru i t de t r o m b e ,

Kejette avec fureur l ' é lément convu l sé !

Des formes se j o u a i e n t dans l 'onde b o u i l l o n n a n t e ,

P longea ien t et se tordaient , en r i an t au d a n g e r ,

J u s q u ' a u gouffre profond , masse t o u r b i l l o n n a n t e ,

O ù des écla ts v ivants s embla i en t se dégage r .

Parfois ils se suivaient dans leur cour se r a p i d e ,

D i spa ra i s san t souda in d a n s u n t rou c a v e r n e u x ,

Et j e vis ba lancer , su r le r e m o u s fluide,

La l angu ide d r y a d e en r y t h m e m o e l l e u x .

J e voyais d a n s ces flots des faces m e sour i r e ,

Que j ' a p e r ç u s j a d i s , qu ' au t r e fo i s je c o n n u s ,

Et de leurs yeux c h a r m e u r s , toutes s embla i en t m e d i r e ,

D e venir m e je ter en t re leurs bras t e n d u s .

68 Chants des Forêt»

Tout à coup faiblissant, j 'a i cru revoir ma mie !

Dis-moi, pourquoi viens-tu ? Les espaces sont courts

Pour toi. Pourquoi troubler l'espérance endormie?

Pourquoi troubler l 'amour, l 'amour des anciens jours?

0 beaux cheveux flottants, tête rieuse et blonde,

Que n'êtes-vous réels? Mais je t'implore en vain.

Tu n'es qu'illusion. Tu me suis, et sur l'onde

Et par les sommets clairs, et par les noirs ravins.

Je ne puis fuir si loin que tu ne me poursuives,

Ni si rapidement, que passant devant moi

Sur la mousse des bois, dans le cours des eaux vives,

Sur le nuage clair, tu ne m'appelles à toi.

Et dans le précipice où la cascade roule,

Je vois tes bras neigeux que je désire encor,

Et j 'entends ton appel dans les bruits de la houle

Dans les rais du soleil, je vois tes cheveux d'or.

Pourquoi me hantes-tu ? Pourquoi viens-tu ma mie 'î Laisse-moi t 'oublier. Les souvenirs sont courts

Pour toi. Pourquoi troubler l'espérance endormie,

Pourquoi troubler l 'amour, l 'amour des anciens jours.

Les esprits de la chute «9

Les corps s'entrelaçaient, tels la neigeuse hermine

De blancheur éclatante aux longs reflets bleuis,

Mourant et renaissant où le ciel illumine

Entre l'épais feuillage un espace indécis.

O vertige subit ! j 'aurais voulu la suivre,

Me laisser entraîner au courant turbulent.

Illusion fiévreuse, où je n'aurais cru vivre

Qu'en me laissant tomber dans le vide effrayant.

Fasciné, suspendu, couvert d'éclats humides.

Longtemps je regardai ces êtres du torrent,

Et le soleil passa, dont les rayons limpides

Se moururent chacun dans le ciel transparent.

Il partit, et bientôt, la nuit envahissante

Effaça les objets et proches et lointains,

Tout se confondit dans la masse verdissante

Des arbres et des monts, des horizons éteints.

De mes yeux tout à coup la vision brisée

Ne fut plus Je fouillai les flots dans leur parcours . . .

En vain ! car je ne vis que l'onde échevelée

Tombant dans l 'ombre épaisse,et qui grondait toujours.

LE PIN

0 forme gigantesque I 0 pin vaillant et fort!

Aux racines mordant dans les fentes poudreuses,

Au front échevelé par les bises du Nord,

Aux écorces rugueuses.

Dominant la forêt, tu jettes ton défi

Aux éléments cruels qui t'altaquent sans cesse,

Sous leurs coups répétés ton corps s'est endurci,

Sans crainte et sans faiblesse.

Soit sur le lac désert des hommes inconnu,

Où plongent les coteaux que reflète l'eau claire,

Soit au faîte exposé de la montagne à nu,

Tu règnes solitaire.

Le Pin 7«

Ainsi qu 'un vieux prophète, aux sommets écoutant

Le mot de Jéhovah dans l'éclair et la foudre,

Qui connaît l'infini et qui sans cesse entend

L'énigme se résoudre.. . .

Ainsi ta masse noire écoute dans le ciel

Tous les sons animés de l'heure passagère,

Et se laisse bercer dans un calme éternel

Ivre de lumière.

Partout sur toi s'étend en réseaux tortueux

L'écorce rude et ferme : ô vénérables rides !

Telles les voyait-on aux fronts majestueux

Des antiques druides.

0 pin ! en te voyant quel sentiment subit

S'éveille et croit en moi I Joie, amour et tristesse,

Sourde mélancolie où s'égare l'esprit,

Sombre, presqu'en détresse.

0 harpe désolée où naissent des accents

De mondes inconnus ! où s'évoquent funèbres

Des voix qui ne sont plus : leurs sifflements perçants

Plongent dans les ténèbres,

Chants des Forêts

Dans la n u i t , seul , souven t je t ' écoula i g é m i r

E t c raque r l o n g u e m e n t tes b r anches fantas t iques ,

Q u e l ' ombre grandissa i t en s e m b l a n t les vêtir

De formes c h i m é r i q u e s .

Q u a n d tu je ta is ta p la in te au souffle boréal

Q u i lance par le ciel ses neiges aveuglan tes

E l s o u s l 'écorce à n u glace le suc vital

P e r ç a n t en t re les fentes.

Même q u a n d le soleil verse ses r a y o n s c la i rs

Dans l 'azur l u m i n e u x plein d 'espoi r et de v ie ,

T u conserves tou jours la trace des h ivers ,

0 pensive vigie !

Ils n ' o n t point é p a r g n é ce faite échevelé

T é m o i n de froids c rue ls , ma i s tu g rand i s robus t e

A u - d e s s u s du p a y s , su r ton roc isolé

G a r d a n t ta p lace a u g u s t e .

Reste fort sur ce m o n t o ù te bercent les a i r s ,

Où régnen t les d a n g e r s ; où les foudres b royan tes

T o m b e n t sur les h a u t e u r s , où passent les éclairs

E n f l ammes éc la tantes .

Le Pin 73

Où tu vois se dresser dans le calme des soirs

L'ouragan affolé sur l'horizon livide.

Et chassant devant lui des froids nuages noirs,

Les légions rapides.

Sois fort, ô solitaire! en ces jours de malheurs,

Quand tu vois se briser et se tordre tes branches,

Ou lorsque tristement sur toi tombent les pleurs,

Naissant des brumes blanches.

Puisse toujours rester devant l'assaut des temps

Stoïque et vigoureux : que longtemps la Nature

Garde ton front intact et couronne tes ans

D'immortelle verdure!

L E * LAC E T LA MONTAGNE

S-

Le lac est gai toujours.

Il rit à grands éclats même aux jours de tempête,

Il se pare d'écume et c'est comme une fête

Lorsque la vague court

En assauts répétés aux pieds de la montagne,

Se hâtant pour passer sa rapide compagne :

Le mont semble dormir,

Mais le lac bleu sourit et reflète les nues,

Le mont est colossal, les eaux sont ingénues.

Le lac a son soupir

Lorsque viennent les vents : le mont parle sans trêve

Et grandit les échos des vagues sur la grève.

Le lac et la montagne

Ainsi qu'un noir géant

Le mont brumeux sortant des cieux crépusculaires,

Gomme un penseur perdu dans les bois solitaires,

Se dresse du néant,

Insouciant devant chaque siècle invincible,

Dans un long rêve étrange il demeure impassible.

L E S N U A G E S

Les nuages fuyan ts rou len t d a n s le ciel ver t

Poussés des vents fougueux , le souffle des t empê te s ,

Parfois serrés , parfois tels un gouffre e n t r ' o u v e r t

O ù l 'on voi t le chaos de leurs mobi les crê tes :

E t m o i - m ê m e a sp i r an t aux sub l imes h a u t e u r s

J e les r egarde , avide

D e leurs éclats b r i l l an t s , de leurs s o m b r e s sp l endeu r s ,

D e leur cour se r ap ide .

P l u s exal tés , p lus h a u t s , q u e l ' O l y m p e sacré

E t d a n s l 'espace e r r an t vous êtes bien le t rône

Des dieux sereins et forts , aux fronts t ou jou r s dorés

D e la p u r e clarté q u e le soleil r a y o n n e .

Car ils sont a u - d e s s u s , n o u s ne les voyons p a s ,

Ba ignés de l umiè r e

J a m a i s ils n ' o n t c o n n u la nu i t , ni le t r épas ,

Ni la d o u l e u r a m è r e .

Les nuages

Tandis qu'en un combat qui ne finit jamais Dans vos agrestes plis roule la lutte antique Des titans furieux attaquant sans succès, Sans cesse se lançant en assauts frénétiques.

Les dieux indifférents gouvernent bienheureux, Calmes dans l'Empyrée,

Leur gloire resplendit en éclat lumineux Dans la sombre nuée.

Passez trônes mouvants dans le jour exaltés! Passez ô dieux pour qui jamais il ne succombe I Pendant que sur nos fronts de doutes agités, Sur nos corps fatigués, épaisse, la nuit tombe.

0 froids nuages noirs sur les mornes halliers ! Où percent les sapins, aux ramures pensives, Sur le couchant rougi pointant irréguliiis Où l'adieu du soleil jette une flamme vive.

Vous semblez être imbus de tout l'esprit du Nord, De sa mélancolie,

Qui s'éveille en tout temps,fatale comme un sort, Régnant sur notre vie.

78 Chants des Forêts

Et l 'homme triste voit la saison se vieillir,

Il sent le temps qui passe, il voit sa destinée :

La faiblesse et le froid reviennent l'envahir,

Il voit sa nuit, sa fin, dans la fin de l'année.

Mais soudain j 'aperçois dans un éclat dernier

Des visions géantes,

Qui remplissent l'espace, et viennent l ' imprégner

De lueurs jaillissantes.

Je vois vers le Très-Haut, dans les bleuâtres plis,

Monter un chœur nombreux de formes angéliques

Chantant et l'avenir et les jours accomplis,

Les espaces, les temps, dans leurs notes mystiques.

Chantant les siècles et la calme éternité,

Très pure et très parfaite.

Chantant tout l'Univers et sa vaste unité

Diverse mais complète.

Et par cette splendeur qui triomphe du sort,

Je ne crains de la nuit les forces ennemies,

Et je sens m'envahir un suprême transport,

L'extase de vous voir, délices infinies !

FIN D ' É T A P E

Poussons, luttons,

Et qu'on le sache

Nous n'arrêtons

Qu'à Cou-Cou Cache ( i ) !

L'hiver nous mord,

La brise entraîne.

Déchire et tord

La froide haleine.

Au firmament,

L'étoile aiguë

Semble un diamant,

Et luit pointue.

, Cou-Cou CachP: Colline bien conuue c o m m e les coureurs de bois.

8o Chants des Forêts

Le vent rougit

La face nue,

Froid, il blanchit

La barbe drue.

l o u t est glacé,

Et la raquette.

Au pas pressé,

Traîne et claquette.

Les chiens penchés,

Luttant respirent,

Tous harnachés

Vivement tirent.

Vers l'horizon, Où se détache Le mamelon De Cou-Cou Cache.

L E CANOT D'ÉCORCE

Vole, 6 mon léger canot, vole 1

Et des flots écumants surg i s ,

Vole , ô mon léger canot, vole !

S u r le rapide qui rugi t .

I

Brave l'effort de la tourmente,

D e vague en vague bondissant !

S u i s gaîment la carrière a r d e n t e '

Au gré de l 'avironjpuissant .

Chants des Forêts

II

Parmi mille roches aiguës

Le courant voudrait te presser,

Sache éviter les pointes nues

Que la vague vient caresser.

I I I

Par le remous en folle ronde

Va plus vile et plus vite encor,

Par la chute qui hurle et gronde,

Fuis de ton invincible essor !

Vole, ô mon léger canot, vole !

E t des flots écumants surgis,

Vole, ô mon léger canot, vole!

Sur le rapide qui rugit.

DANS LA NUIT

La rivière coulait pressée et sans repos,

Et les ternes éclairs de ses eaux vacillantes

S'étalaient lentement jusqu'au pied des coteaux ;

Dans la nuit s'élevait le bruit des vagues lentes.

Et comme un sombre écrin, les arbres suspendus

Sur l'onde en mouvement murmuraient à la brise,

Informes dans leur masse, aux ombres confondus,

Mais où perçait à peine une flamme indécise.

Et l 'homme était là, seul, au feu du campement

Rude gîte d'un soir, fragile et temporaire,

Où des lueurs rôdaient silencieusement,

Tels des esprits errants égarés sur la terre.

Car depuis bien des mois ou peut-être des ans, Il sentait sur son cœur peser la lassitude Des horizons sans fin, des déserts écrasants, La désolation d'énormes solitudes.

84 Chants des Forèls

S o u d a i n il en tendi t venir avec le vent ,

E t de lui s ' a p p r o c h a n t , u n b a t t e m e n t r y t h m i q u e ,

L i q u i d e , d ' av i rons ba lancés et m o u v a n t s ,

E t l 'espoir éclaira sa figure s t o ïque .

Invis ib le dans l ' o m b r e u n e b a r q u e m o n t a i t

C o n t r e le cour s hâtif du vaste Sa in t -Maur ice ,

E t c h e r c h a n t dans la n u i t , inquie t , il é cou ta i t ,

P o u r saisir des r a m e u r s u n passager ind ice .

C a r su r la br ise fraîche il en tenda i t s ' un i r

La voix des é t r ange r s , d o n t l ' h a r m o n i e a n c i e n n e

Réveil lai t d a n s son c œ u r u n u n i q u e dés i r ,

L ' av id i t é de voir u n e figure h u m a i n e .

« V o y a g e u r s ! V o y a g e u r s ! s 'écria-t-i l , venez I

Venez au c a m p la nu i t s ' avance .

Il est t e m p s d ' a r r ê t e r vot re cour se ; tournez !

Ic i vous t rouverez b o n n e a n s e .

« Il se fait t a rd et no i r , et de n o m b r e u x d a n g e r s

V o u s a t t e n d e n t su r la r ivière ,

C a r les fantômes b lancs , d a n s les b rou i l l a rds légers ,

S o n t t ra î t res q u a n d p a r t la l u m i è r e .

Dans la nuit

« Des mains semblent sortir des tortueux courants

Craignez-les ! le ciel est sans lune . . . .

Elles vous tireront sous les flots, ou mourants,

Vous enliseront dans la dune.

« Mon feu brille joyeux ; venez les voyageurs !

Venez ! j e voudrais voir des hommes

Moi qui suis seul toujours, errant sur les hauteurs. .

Venez ! car l'ennui me consomme. »

Et de la nuit, lui vint la voix d'un inconnu,

Résonnant étrange sur l'onde,

En mots entrecoupés par l'effort continu,

Semblant sortir d'un autre monde.

« Dans l'espace l'être est petit

Il suit le destin qui l'ordonne

Ecoute, ce courant nous dit :

Le temps n'arrête pour personne.

« Ami notre but est marqué,

Que la nuit ou les dangers viennent,

Nous les avons déjà risqués

Et jamais ils ne nous surprennent.

86

« Nous avons connu le malheur

Trop de fois pour enfin le craindre,

Nous avons goûté la douleur,

Nous la supportons sans nous plaindre.

« Nous montons jusqu'à Windigo, (i) Viennent les vents, ou la tempête,

Les rochers aigus à fleur d'eau,

Le courant, rien ne nous arrête.

« Notre chant bravera le sort,

La lutte des eaux violentes

Où nous guette la blême mort,

Au regard morne, aux mains tremblantes.

« Qu'importent les ombres du soir?

Chacun à la sombre demeure,

Ainsi que la feuille doit choir,

Passera quand'viendra son heure. »

La voix grave se tut, faible dans le lointain,

Avec les avirons à la lente cadence :

Et l 'homme toujours seul, appela, mais en vain,

Il restait face à face avec le grand silence.

i . Windigo (ouine-digo) , nom indien signifiant démon et appliqué à une rivière où se trouve le poste de ce nom.

VIR

Conna i s sez -vous l ' h o m m e au regard sans c r a in t e ,

D o n t l 'œil pe rçan t et b leu semble u n reflet de m e r s ,

D ' o ù ja i l l i ssent les feux de rap ides éclairs ?

Conna issez -vous déjà cet h o m m e au c œ u r sans feinte

Q u i , pu i s san t , sut tou jours sans m u r m u r e r souffrir,

E t , t ou jours , sans t r emble r , m ê m e est prêt à m o u r i r ?

V o u s le verrez p a r t o u t où le vent passe l i b r e .

Sous la vierge forêt au m e n a ç a n t a b o r d ,

S u r les m o n t s désolés, su r les p la ines d u N o r d ,

S u r l 'Océan g r o n d a n t don t le flot s o m b r e v ibre ,

D a n s les déser ts d 'Afr ique où le s i m o u n b r û l a n t

Se tord a u p r è s de lui c o m m e u n d é m o n h u r l a n t .

88 Cliants des Forêts

Souvent je le suivis sous la voûte sauvage

Des grands bois verdoyants, longtemps inexplorés,

Et sur son front j ' a i lu bien des maux endurés :

J 'ai lu le vent d'biver, et le vent de l'orage,

La tristesse parfois des grands endroits déserts,

Mais aussi les reflets joyeux des cieux ouverts.

Son visage bronzé, tout sillonné de rides,

Me trahit mainte histoire et de soif et de faim,

Combien de fois a-t-il vu s'approcher la fin ?

Le spectre de la mort de ses lèvres avides,

Ne l 'a- t- i l pas souvent effleuré de bien près,

Laissant à son regard comme un farouche attrait.

Dans son cœur est le chant des rivières rapides

Au courant furieux sous les arbres pencbés,

De la brise passant dans les bois desséchés,

Ou des neiges crissant sur les plaines arides

Comme des escadrons dans la charge écroulés

Roulent vers l 'ennemi, furieux, affolés.

Le chant des flots amers se mourant sur la grève,

Chant triste et froid, pareil aux littorals brumeux,

Sans cesse répété sur les rocs écumeux,

Se mêlant aux chocs sourds quand la vague soulève

Vir 89

Au fond de l'océan quelque vaste rocher,

Ou frappe quelque écueil, le tombeau du nocher.

Il le ressent en lui, et son âme virile

Semble grandir encore en face du danger,

Pliez-vous élément? ! rien ne peut l'affliger

Son cœur reste serein sous votre assaut stérile

Car si son bras faiblit l'esprit seul reste fort,

Et pour un de tombé cent braveront la mort .

Qu'importent tous les maux, si le soleil rayonne,

Qu'importent les vents froids où son corps endurci

Croit succomber parfois aux forces sans merci ?

Sans repos, fataliste, au combat il se donne

Jusqu'au jour de vieillesse où, brisé, haletant,

Comme un vrai preux antique, il meurt en combattant.

POINT DU JOUR

Il est bon de sentir l'odeur des feuilles fauves

Dont le tapis épais amortit chaque pas,

Devoir, au point du jour, l'horizon terne et mauve

Sous les premiers frimas.

Il est bon de partir à cette heure assoupie,

Lorsque tout le pays est en proie au sommeil,

Quand, par un moindre bruit, il semblerait impie

De hâter son réveil.

D'un pas léger et vif sur la sente gelée

Il faudra se presser pour se mettre à l'affût,

Car près du roc mousseux dominant la coulée,

Se trouve notre but .

Point du jour 9«

Dans le fond du ravin, à la source fumante,

Pour apaiser sa soif souvent le daim s'en vient,

D'un pas inquiet et lent, à l'eau pure et courante.

Que le gravier retient.

Car l 'homme doit chercher dès l'aube sa pâture

Ou sinon tout le jour par les bois doit courir.

Et , comptant sur sa force à plier la nature,

11 pourra se nourrir.

Lorsque l'aube a chassé la nuit aux voiles mornes, Que l'on se sent alerte et plus libre qu'un roi ! Tout vivant de l'espoir d'une course sans bornes,

Et le jour devant soi !

SUR. LA. COLLINE

Sur une lointaine colline

Je viens d'entendre, clair et dur.

L'éclat vif d'une carabine

Briser le calme de l'air pur.

Une spirale de fumée Parmi les sapins, lentement, S'élève légère et dorée Vers le lumineux firmament.

Et je crois entendre en mon être

Un appel puissant d'autrefois,

Un instinct primitif renaître,

M'attirant vers les monts, les bois.

D'étranges émotions passées

Tout à coup s'élèvent en moi,

Et des passions délaissées

Semblent me plier à leur loi.

Sur la colline

Car je rêve aux lacs solitaires

Où l'azur du ciel se confond,

Et je revois des sources claires

Tombant dans l'abîme profond.

Car je revois ces jours épiques

Où l 'homme, libre encor,

Jetait dans les forêts antiques

Les rauques appels de son cor.

L'inspiration de ces chasses

Revit sous les arbres géants,

Sur les montagnes, dont les passées,

Surplombent des gouffres béants .

0 grande liberté sublime

Illusion d'un jour passé !

Dont l 'homme sur les hautes cimes,

Des montagnes, seul, est bercé.

Je veux partir dans les collines

Avec ce chasseur matinal

0 liberté ! tu me domines,

Et je dois suivre ton signal

L E S F E U X ABANDONNÉS

Quand retournerons-nous par les sentes connues,

Quand irons-nous, par les ruisseaux ou par les lacs,

Retrouver les endroits, les places souvenues.

Pour avoir vu d'autan le feu de nos bivacs ?

Le bois aura couvert l 'endroit ou notre tente,

B l a n c h e auprès des sapins, se dressait dans la nuit,

Chercherons-nous en vain d'une main patiente

Pour les branchages secs qui furent notre lit ?

Ils étaient verts et frais, leur odeur résineuse

Parfumait tout le c a m p ; nos membres fatigués

S 'y reposaient après la course aventureuse,

Par l'air pur des sommets conquis et subjugués.

Chercherons-nous la pierre où reverdit la mousse?

Un vestige caché de cendre ou de charbon ?

Dans l'àtre maintenant le jeune arbuste pousse,

Ces restes sont partis, chassés par l'aquilon.

Les feux abandonnés

La flamme brûlait claire et la lente fumée,

Montait en tournoyant vers le ciel étoile

Et nous aspirions son odeur parfumée,

Et la chaleur séchait le corps raide et gelé.

Trouverons-nous encor dans une antique fibre

Tout le profond bonheur d'aspirer à longs traits,

Ainsi qu'un elixir, l'air vigoureux et libre

Rempli de la douceur des humides forêts ?

0 viens 1 nous braverons la pluie et la gelée

Pour entendre la voix des arbres agités,

Et pour boire l'eau froide de la source isolée,

Et voir les cieux rougis dans leur sérénité.

Viens 1 nous retracerons d'un pas égal et ferme

Notre course d'antan, moins pressés et plus vieux

Calmes, nous jouirons de ces trésors qu'enferme

Le domaine des bois que nous comprendrons mieux.

Il faudra nous hâter, le temps se passe vite,

Avant les froids autans et les neiges d'hiver,

Quand retournerons-nous refaire notre gîte

Où nous avions dressé nos campements hier ?

AUX LAURENTIDES

0 rocs Laurentiens sur vos âpres contours,

S'évoque un souvenir de combats titaniques,

Vos masses sont les os de géants d'autres jours,

Vaincus et oubliés, sauf ces restes antiques.

Combien d'âges ont fui depuis ces temps lointains,

L'esprit troublé se perd où les siècles reculent,

Ils ont vécu, et sont, tels des flambeaux éteints

Qui dans la nuit des temps tristement s'accumulent

Ils ont laissé sur vous la trace de leurs coups.

Mille et mille soleils ont séché vos surfaces,

Les vents vous ont battus, les pluies vous ont dissouts

Pendant qu'ont existé bien des diverses-races.

Aux Laurentides !)7

Que nos bras sans repos travail lent à vos flancs,

Vous resterez tou jours , m a l g r é tous nos ravages ,

Verts dans les j o u r s d 'é té , dans l 'h iver p u r s et b lancs

S o u s la neige qu i perce en t re vos p ins sauvages

Vous garderez toujours d a n s vos vais o m b r a g e u x

Une douce f ra îcheur p o u r nos â m e s fiévreuses,

Nos fronts las et cou rbés se dressen t c o u r a g e u x ,

R a n i m é s souda in par vos forces préc ieuses .

0 m o n t s ! vous êtes l 'o rgue aux g r a n d s f r émissemen t s

D ' o ù s 'élèvent toujours des mervei l leux c a n t i q u e s ,

Qu i rempl i s sen t l 'espace avec les g r o n d e m e n t s

De vivants h o s a n n a s , de notes magn i f iques .

La source qu i gazouil le et le ru isseau qu i r i t ,

Le vent q u i fait par le r la feuille f rémissan te ,

Q u e l ' au tomne fait cho i r , o u q u e l 'h iver m e u r t r i t ,

Ou celle du p r i n t e m p s qui g r a n d i t verd issan te .

Ou parfois en été d a n s les lourdes c h a l e u r s ,

Le fracas c o u r r o u c é des éclats de t onne r r e

Lo r sque T h o r vous fracasse et sème la t e r reur ,

T o u t flamboyant d 'éc la i rs d a n s sa r o u g e co lè re .

1

98 Chants des Forêts

Le bruit des eaux du ciel roulant sur le pays,

Comme l'assaut subit d'une armée en bataille,

Gonflant chaque ruisseau d'un flot bouillant et gris,

Qui sur les lits pierreux violemment travaille.

Souvent,— combien souvent! j 'écoutai tous ces sons

Me plongeant sous les bois dans le vent et la pluie

Pour être près de vous : oui, nous nous connaissons,

Car vous m'aidez encore et sur vous je m'appuie.

Et je reviens toujours à vous, quand aveuglé,

Etouffant, et meurtri dans la fange des villes

Oubliant presque Dieu, de doutes harcelé,

Je ne sais où je vais, et mes jours sont stériles.

Comme le pèlerin par les ombres surpris,

Sur un sentier perdu sous les branches épaisses,

Toute coup sur le fond du bois opaque et g ris

Revoyant le ciel clair, tout ranimé se presse.

• Ainsi je me souviens et revenant au soir,

M'échappant à la nuit indécise et morose,

Je vois s'étendre au loin, tout rayonnant d'espoir,

Votre large horizon au calme grandiose.

F R A I C H E U R

C'est le vent t rais d u Nord soufflant sur la con t rée

T o u t fr issonne et se ref roidi t ,

. T o u t resp i re à longs -traits p e n d a n t q u e la soirée

S 'avance vers la n u i t .

Il fait bond i r le s ang , j e u n e , et r i che , et sauvage ,

Avec le c œ u r t u m u l t u e u x ,

Et les airs qu ' i l avive sont u n p u i s s a n t b r euvage

P o u r l 'ê t re i m p é t u e u x .

R e g a r d a n t vers le ciel aux l ueu r s en f l ammées

J u s q u ' o ù . . s e d é r o u l e n t les m o n t s .

E t les no i res ïorèfcs'''c£ans' \ei v a l s - f epb rumecs ,

E'. nettes: à Jeu,rs f ron ts . " ' ' • "

IOO

R e g a r d a n t au Zéni th l 'infini des étoiles,

Les merveil les de l 'Univers ,

Dont la n u i t en venant a sou levé les voiles

J u s q u ' a u ma t in o u v e r t s .

J e resp i re l 'extase, et la flamme div ine

M'éb lou i t et t r i o m p h e en moi

Sain te asp i ra t ion ! ô rêve qu i f a sc ine !

Dél ic ieux émoi !

J ' a t t e n d s su r ce coteau p o u r u n e forme b l a n c h e ,

J ' a t t e n d s p o u r un rire a r g e n t i n ,

0 v i ens ! car j e suis seu l , et q u e m o n c œ u r s 'épan

A toi j u squ ' au m a t i n .

En fan t , je te voudra is , m o n â m e est sol i ta ire :

N o u s i rons dans les val lons frais.

H e u r e u x d ' u n a m o u r pu r , et la na tu re aus tè re

Sera ple ine d ' a t t r a i t s .

P o u r toi ce c a l m e ciel se r o u g i t et se dore

C o n t r e la- mass.c des taillis;

Reflété dàfijs l£"îàc/ ; tr«nquill; ; . i l t leicicO'orÎ!

• - C o m m e ' û h sombre, s u b i e . •

Fraîcheur l o i

P o u r toi tous les pa r fums des fleurs d e m i fe rmées ,

Péné t r an t l 'air vivace et p u r ,

Se mêlen t l en tement aux brises e m b a u m é e s

Venan t du bois o b s c u r .

0 viens ! n o u s e n t e n d r o n s la m u s i q u e des sphè res

E t nous a u r o n s des visions

Qui passeront pour n o u s , lentes mais passagères ,

Vagues i l lus ions .

0 c h i m è r e d o r é e ! 0 p réc ieuse g o u t t e

De belle j eunesse qu i fuit !

J e voudra i s le ga rde r , ou rester , mais la rou t e

M ' e m p o r t e d a n s la n u i t .

Car le rêve s'efface où les sens se révei l lent ,

E t mes yeux che rchen t v a g u e m e n t

Les to r tueux c o n t o u r s des bu i ssons qu i s o m m e i l l e n t ,

Balancés d o n c e m e n t .

C a r j e vois tout à c o u p le l o n g c h e m i n q u i m è n e

A la lu t te , aux efforts.

E t venant m'enlever de sa robus te hale ine

J ' e n t e n d s le vent d u Nord !

L E S L O U P S

Dans le ciel sombre et froid la lune est belle et claire.

Et la neige éblouit auprès des sapins noirs,

Poil contre poil, pressés, à la course légère,

Aiguillonnés de faim les loups chassent ce soir.

Su r la morne étendue ils filent, comme l 'ombre

D'un nuage passant devant l'astre des nuits,

Ou tel le vol égal de corneilles sans nombre,

En bande, à l'horizon disparaissant sans bruit.

De son mufle flairant les traces sur la plaine,

Le loup chef en avant, rapide, les conduit,

Régulièrement la vaporeuse haleine

Voile ses crocs brillants, et la meute le suit.

Les loups io3

Les yeux lu isent c rue l s et la g u e u l e est béan t e ,

La l angue p e n d d e h o r s c o m m e u n l ambeau de c h a i r ,

C o m m e un l ambeau m e u r t r i de la v iande sang lan te

Qu ' i l s voudra ien t s ' a r r ache r fraîche et f u m a n t e à l ' a i r .

Imp lacab l e s ils von t , r esp i ran t en s i lence,

Su ivan t des longs p la teaux les o n d u l a t i o n s ,

O n ne sent a u c u n vent , et le froid est i n t ense ,

E t l 'h iver fait r égner sa désola t ion .

Il r ègne avec la faim su r toute la con t rée ,

Il a ma ig r i l eurs flancs ha le tan ts et ne rveux ,

Il a chassé la peu r , il leur faut la cu rée ,

O u bien faire m o u r i r le plus faible d ' e n t r ' e u x .

T r e m b l e z ! ils on t senti dans la p is te récen te ,

Su r le verglas c o u p a n t , que lques gou t tes de s a n g ,

La cour se s 'accélère , et tout à c o u p , b r u y a n t e ,

La meu te h u r l e ensemble e t resserre ses r a n g s .

« Ha l l a l i ! h u r l o n s , ha l l a l i !

Il n o u s faut le s ang c h a u d q u i cou le

l i t la cha i r q u e le c roc poli

Pe rce à vif! don t l ' odeur nous soû le .

Chant* des Forêts

Hallnli ! ô l o u p s , hallali !

H u r l o n s 1 la l une est pleine,

H u r l o n s ! car son éclat pâli

Verra d u r o u g e su r la p la ine » .

E t dans ces h u r l e m e n t s qu i lui v iennent funèbres ,

La bête qui s 'enfuit en tend son cri de m o r t ,

E t s 'é lance e spé ran t les profondes t énèbres

D e la forêt au loin, c o m m e u n pu i ssan t renfort .

Mais en vain car , la m e u t e a d o u b l é de vitesse,

Apercevant sa proie , elle gagne tou jours ,

C h a q u e l o u p affamé se bouscu le et se p resse ,

E t bâ t e son p r o c h a i n au c o m b a t sans r e c o u r s .

« P r e s s o n s ! Hallali ! Hal lal i !

Il n 'es t pas lo in , a l lons p lus vi te ,

R o u l o n s , p l o n g e o n s d a n s ce repli

Nous avons faim, q u e nul n ' hé s i t e .

Hallal i ! ô l oups , ha l la l i !

J e t o n s - n o u s enfin su r la proie

T e n d a n t c h a q u e m u s c l e a s soup l i ,

M o u r r o n s d a n s le s ang et la joie » .

Les loups

L'orignal luttera courageux et terrible ;

Il s'accule et reçoit la charge sur ses bois,

E t chaque fauve, avec une grimace horrible,

Découvre ses longs crocs, claquant tous à la fois.

Il se bat vaillamment; la carcasse lancée

Retombe lourdement [jour ne plus se lever,

Mais d'autres sont tout près et sa gorge arrachée

Teint la neige du sang dont ils vont s'abreuver.

« Hallali ! mordons, hallali !

Il cède, sa gorge est ouverte,

Déchirons son corps affaibli

Où pendent des lambeaux inertes

Hallali! ô loups, hallali !

Des frères téméraires meurent

Mais quoi, leur temps est accompli !

Ils nourriront ceux qui demeurent » .

Parmi les hurlements de triomphe et de rage,

Perce un gémissement de navrant désespoir,

Un cliquetis de dents prêtes pour le carnage,

E t les doups sous la lune ont bien chassé ce soir.

LA S O U R C E

Source pure, nappe tranquille.

Où les mousses de la forêt

Se plongent dans le flot qui brille,

Où la racine disparaît.

Où les gouttes tombant des roches verdissantes,

Brillant un court instant, rapides dans les airs,

Ont un frémissement de notes grandissantes

S'éloignant sous les bois en accords vrais et clairs,

0 source dont le flot frissonne

Des frimas du lointain glacier,

Dont la surface se sillonne

D'éclats brillants comme l'acier I

La source

Longtemps je t'ai cherchée, ô source bienfaisante,

Longtemps brûlé de soif, de doute et de désir !

La lèvre maintenant s'épanche haletante,

Dans ton calme azuré l'esprit vient s'assouvir

Ni la hache sonore et rude,

Ni même le sifflet strident,

N'ont pu troubler ta solitude,

Tu n'entends que la voix du vent.

Ou parfois le refrain d'une chanson lointaine,

Qui te vient sur l'écho d'un rare voyageur,

Ces murmures n'ont pu troubler ta paix sereine,

Que parfument les pins, superbes protecteurs.

Miroir dont les reflets nocturnes

Montrent parfois le bleu du ciel,

Les sapins aux fronts taciturnes,

Bercés en rythme perpétuel.

Tout vit auprès de toi, ton eau rafraîchissante

Où puise la racine, et de l'arbre puissant,

Et de l'herbe mêlée à la mousse flottante,

Recèle aussi la truite entre les j o n c glissant.

Chants des Forêts

G o m m e u n e noi re flèche,

J ' a i [>u la vo i r passer

E n t r e la s o m b r e b r è c h e

D ' u n ind i s t inc t r o c h e r

E t , c a c h é , j ' a i su rp r i s q u e l q u e s c h e v r e u i l s t imides

Q u i se p e n c h a i e n t su r toi p o u r se désa l té rer .

S u r leurs muf l l e s lu i sa ien t ma in t e s g o u t t e s l i m p i d e s

Ils se son t re levés , i nqu ie t s , p o u r flairer.

A s p i r a n t ton h u m i d e ba le ine

E t ce l le des bois r é s i n e u x ,

C r a i n t i f s q u ' u n e n n e m i s u r p r e n n e

L e u r re tour , ils son t s o u p ç o n n e u x .

P u i s , bond i s san t s o u d a i n , d ' u n sau t i ls d i spa ra i s sen t .

E t j ' é c o u t e tou jour s , d a n s les h e r b e s c a c h é ,

L e b e r c e m e n t v a g u e o ù les rafales renaissent

D a n s la p r u c h e et le p i n , lo in ta in o u r a p p r o c h é .

E t les i m a g e s les p l u s p u r e s ,

L e s s o n g e s les p l u s m e r v e i l l e u x ,

S ' é v o q u e n t l ib res de s o u i l l u r e s

S o u s les f eu i l l ages t é n é b r e u x .

108

La source 109

Ici tout est parfait , c h a q u e m i n u t e l en te ,

G o m m e la gou t t e t ombe .égale et sans souc i s ,

Les é léments en paix sommei l l en t d a n s l 'a t tente

D ' événemen t s laissés au futur indéc i s .

A u c u n e en t rave , po in t de cha înes ,

T o u t respire la l iber té .

J ' e n t e n d s l ' u n i q u e vér i té .

D a n s ces notes E o l i e n n e s .

J e veux les écouler à tes b o r d s satisfait,

A p p r e n a n t tour à tour tous tes secrets m y s t i q u e s ,

E t je veux d e m e u r e r dans ton ca lme parfai t [ t iques .

P o u r forger dans m o n c œ u r un h y m n e aux d ieux a n -

LA. VOIX DES MONTAGNES

Au pied du mont géant dont le sapin altier

Aux bords vertigineux, sombre et touffu s'élance,

Je m'étais arrêté dans un étroit sentier

Où le roc menaçant se penche et se balance.

Et je considérais aux horizons lointains,

Contre l'azur du ciel, les collines pensives,

Dont les sommets rugueux de blancheur étaient teints

Par les premiers frimas et les neiges hâtives.

A mes pieds je voyais entre les vais profonds

Se dérouler partout les immenses savanes,

Gomme l'obscur remous d'un océan sans fond

Et caressé toujours de brumes diaphanes.

Je regardais couler dans les bois s'allongeant

La rivière au flot pur, froide comme les glaces,

Sortant de l'écrin noir, comme un fdet d'argent,

Pour se perdre plus loin dans les longues crevasses.

La voix des montagnes m

E t c o u r o n n a n t t o u j o u r s les s o m m e t s violacés

U n a m a s ind i s t inc t : la forêt so lennel le ,

Des a b î m e s sans fonds, des bois en t re lacés ,

J u s q u ' a u x n u a g e s bas d a n s la n u e é t e rne l l e .

J ' é c o u t a i s tout s o n g e u r le m u r m u r e des a i r s ,

Caressan t l ' he rbe m o r t e et le s o m b r e feuil lage,

Le g r o n d e m e n t lo inta in d u to r r en t vif et c la ir

E t de la ca tarac te à l ' impu i s san t e r age .

T o u t à c o u p , je saisis cet te é n i g m e des m o n t s ,

Ce can t ique des ven ts , des forêts gémis san te s ,

D u long sifflement sou rd des rocs a u x vastes f ronts ,

Et du soup i r fur t i fdes vagues l angu i s san te s .

\

a H o m m e tu passeras 1

C a r ma lg ré ta science et tes v œ u x in t rép ides

T u seras e m p o r t é par les siècles rapides

E t tu d i spara î t ras 1 »

« Pe t i t ! tu finiras !

T u f in i ras ! Et moi q u e ta ma in d u r e et fière

Semble ra i t encha îne r , d e m a i n j e r ev iendra i .

H o m m e q u e s e r a s - t u ? T u seras m a pouss i è re ,

] 19

Et su r tes os b l anch i s seule j e r égne ra i ,

J e suis l ' é te rn i té ! q u ' i n t e r r o g e n t les races .

L ' E n i g m e ! t o u j o u r s là sans espoi r ni menaces ;

H o m m e , tu passeras ! »

La voix c o n t i n u a de m y s t è r e en m y s t è r e ,

Des choses q u e mes sens ne pouva ien t p lus sais ir ,

Le vent par la i t au ciel et le ciel à la terre

Le p résen t , le passé , le dou t eux aven i r .

C'étai t l ' indéfini , le p o u r q u o i de nos vies ,

Q u e no t re œi l obscurc i ne saura j a m a i s voir ,

E t la p lage i n c o n n u e où nos âmes ravies

Vont q u a n d su rg i t la mor t su r les ailes d u soir .

E t j ' a i senti b ru i sse r ce g r a n d souffle des âges

Resp i r an t éternel su r le m o n t e n d o r m i ,

A u g r a n d lac sol i taire e t dans les bois sauvages ,

D a n s le feuillage m o r t sous les rocs r é u n i .

Les m o n d e s é lo ignés n ' ava ien t p lus de d is tance

E t j ' é c o u t a i l 'E sp r i t dans cette p ro fondeur ,

J e m e suis incl iné ! cet te a u g u s t e Présence

M ' a b s o r b a tou t en t ie r d a n s sa vivante a m p l e u r

L E S F I L S D E S HOMMES

Les fils des hommes vont par des chemins divers

Où les emporte au loin la course des années.

Le grand vent souffle: il vient et des bois,et des mers,

L'enfant devient un homme : il suit sa destinée.

Et quand l'heure a sonné rien ne peut le tenir,

Ni le toît familial où l'éleva sa mère,

Ni l'inconnu douteux de dangers à venir,

Lorsqu'il entend l'appel, il est fils de ses pères.

Car vous, les fils du Nord, vous régnez sur les mers

Vous régnez sur le mont, la forêt, et la plaine ;

Car tel l'acier trempé, dans le froid des hivers

Vos corps se sont durcis au travail, à la peine.

8

Chants des Forêts

Allez aux q u a t r e po in t s d u ciel !

Allez, par tez , la voie est large !

Q u ' u n hor izon tou jours nouve l ,

T o u j o u r s d i s tan t , soit votre m a r g e .

P l u s loin q u e la cha îne des m o n t s

Il est encor d ' au t re s m o n t a g n e s ,

Qui t tez vos pais ibles c a n t o n s :

Vos ba rques se ron t vos c o m p a g n e s .

V o u s n ' aurez p lu s q u ' u n souven i r

De q u e l q u e s l a rmes essuyées

D e m a i n , et vous saurez souffrir :

Les d o u c e u r s se ron t oub l i é e s .

Allez! la voix de l 'océan

E t e r n e l l e m e n t rou le et g r o n d e ,

La cha îne g r i n c e au cabes tan ,

P a r t o u t vole l ' é c u m e b l o n d e .

P o u r vous les longs vaisseaux q u e berce le rou l i s ,

P o u r vous le foue t l ement des rafales salées,

Evei l lant des dési rs t ou jou r s inassouvis

De conna î t r e et de voir des rég ions voi lées .

Les fila des hommes

Oh ! j ' e n t e n d s s 'élever des an t iques refrains,

Les cordages serrés c l aquen t dans la m â t u r e ,

Les o rdres sont donnés et l'effort des m a r i n s

Couvre les vergues sous la flexible voi lure .

E t la b a r q u e s 'en va c o m m e u n oiseau léger ,

C o m m e un c y g n e flottant qu i tend ses b l a n c h e s ai les ,

El le devient un po in t , p o u r enfin se p longe r

V e r s d ' au t re s con t inen t s q u e l 'hor izon r écè le .

C a r sous sa l igne v a g u e , il est d ' au t r e s p a y s ;

U n j o u r vous voguerez su r des eaux é t r a n g è r e s ,

E t là , non satisfaits , vos espr i t s i n s o u m i s

V o u d r o n t aller p lus loin su r les ondes a m è r e s .

Allez, tous et c h a c u n vous vous re t rouverez ,

Soit sous les c h a u d s r a y o n s d u soleil des t r o p i q u e s ,

Soit sous le ciel c l ément des p a y s t empé ré s .

Soi t d a n s le tourb i l lon des tempêtes a r c t i q u e s .

P o u r vous le cheval henn i s san t

Bondi t et b r u y a m m e n t reniflle,

P o u r vous aux vais re ten t i ssan t

La carab ine c laque et'siffle.

n 6 Chants des Forêts

Pour vous les saharas brûlants,

Les étapes interminables

Sur les plateaux étincelants,

Où sans fin s'étendent les sables.

Allez car sur le long chemin

Beaucoup s'en vont, mais peu reviennent,

Qui sait où vous serez demain?

Qui sait où lesjours vous emmènent ?

D'autres sont devant vous, et d'autres vous suivront,

Sur les terres ou sur la grande voie humide,

Car tous vous êtes fils, et des fils vous naîtront

Ayant votre courage et votre âme intrépide.

Suivez le mouvement des fleuvft-'.fct des mers,

Supportez sans fléchir les souffrances, les charges,

Mus par le cœur battant d'un vivant univers

Dont le souffle embrasé vous pousse vers le large.

AVANT LE DÉPART

Le temps frais est venu : les nuages s'amassent

Et le printemps n'est plus, les beaux jours vont finir :

Mignonne, ne crains-tu qu'avec l'été qui passe

Notre amour va s'enfuir?

Je vois encore ces eaux où la brise s'effleure,

J 'aspire ces parfums des sapins près des bords,

Et je me dis, hélas, où sont ces belles heures,

Est-ce la fin, la mort ?

Le vent courbe le jonc, et la feuille qui tombe,

Légère est emportée avec cette chanson.

Sur les eaux viendras-tu ? Non, mon àme succombe

Sous l'automnal frisson.

I I S Chants des Forêts

Q u e l q u e s beaux jours passés d ' un été qu i se presse,

Res tent m o n seul t r é s o r ; mais le vivant désir

Créé d a n s un seul j o u r , règne encor et me blesse,

Bien tô t je vais p a r t i r .

J ' e n t e n d s rou le r là-bas vers le front de batai l le

Les l o u r d s c a n o n s d 'uc icr , les pas des balai Ions ,

Les cu ivres sonnen t clairs et l 'hor izon tressaille

De rouges tourb i l luns .

Trouvera i - j e l 'oubl i ? N o n , ton sour i r e r a y o n n e

Devant mes yeux t o u j o u r s ; j ' i g n o r e l é t e n d a r d ,

E t je reste dis t ra i t q u a n d le c la i ron o r d o n n e

Le s ignal du dépa r t .

Mais j e serai con ten t su r la terre é t r a n g è r e

De m e p longer a rden t au feu dévas ta teur ,

Seul il p o u r r a brû le r cet te d o u l e u r t rop chè re ,

E n c o n s u m a n t m o n c œ u r .

APOLOGIE

J'aurai voulu chanter tout ce que le ciel bleu

Couvre d'un éclat vierge, et libre de souillures,

Ou les jours sont remplis du grand regard de Dieu,

Où les êtres divers et les choses sont pures.

Car un matin d'hiver, sur un chemin neigeux,

J 'ai vu l'Est resplendir sous la divine Aurore,

Des nuages flottaient : lingots incandescents,

Que Vulcain eut fondus dans sa forge sonore.

Au-dessous, des bois noirs où la neige perçait

S'étendaient sur le front glacé des Laurentides,

Et je sentis soudain qu'un chant m'envahissait,

L'enthousiasme des créations splendides.

120 Chants des Forêts

J e l'entendis en moi, sonner comme un clairon,

Enflammé, vibrant de notes victorieuses,

En mon âme passant tel un divin frisson

D'un vent sacré sur les harpes harmonieuses.

Soudain j e dis, ô vous qui savez m'inspirer,

Sommets silencieux couverts de pins austères

Qu'un soleil invisible vient maintenant dorer,

Mobiles éléments et vous forces allières !

J e sens surgir en moi tout votre hymne vibrant,

Universel, sans fin, — il redit votre gloire,

Votre futur; il dit dans le passé plongeant

Tous les plis tortueux de votre sombre histoire.

0 Nature, 6 Isis, toi qui changeant toujours,

Dans la course des temps semblés rester la même,

Pour qui nos ans sont rien et nos âges sont courts,

T u ne vieillis jamais , ô toi mère suprême!

Donne-moi le secret de tes divins accords,

Laisse-moi te chanter, ta grandeur infinie,

E t que mon âme émue en de bouillants essors

Monle dans l'empyrée en notes de génie.

Apologie 1 2 1

J'ai cherché, j ' a i questionné,

Ce que mes yeux errants voyaient sous la lumière,

Ce que mes sens ont deviné

Quand règne dans la nuit l'obscurité première.

Et j 'a i considéré la terre qui nourrit

Tous les êtres vivants sous leurs diverses formes,

Mère noire et féconde où lentement pourrit

Tout ce qui fut rongé par les larves informes.

Le fleuve aux flots mouvants que gonfle le soleil,

Formant sur l'océan de floconneux nuages,

Condensés aux hauts lieupc où l'arc-en-ciel vermeil,

Cimeterre courbé, disper/se les orages.

Et l'orage à son tour avivant les ruisseaux,

Et nourrissant la source où le ruisseau s'abreuve,

Et d'un cours continu par de nombreux réseaux,

Ramenant l'eau des mers jusqu'à celle du fleuve.

J 'ai regardé le chêne aux bras majestueux

De ses gestes bravant la tempête inclémente,

Qui balaye en passant, d'autans tumultueux,

Le brin d'hnrbe brisé, la feuille frissonnante.

1 2 2 Chants des Forets

J ' a i r egardé le ciel , la c lar té de l 'azur

E t la voûte des n u i t s , d 'é toi les cons te l lée ,

E t l ' én igme étai t là ; ni les mages d ' A s s u r ,

Ni de l ' E u r o p e o n t vu la f igure voilée.

Ni la prê t resse Grecque aux rites d 'E l eus i s ,

Les sages d ' I s raë l , des Indes , ni de T h è b e ,

M a l g r é tous leurs efforts n ' on t découver t Is is

Q u i se cache tou jours dans la nu i t de l 'E rèbe .

Et j ' a i sent i la soif, la faim des l ieux déser t s ,

Q u a n d j ' e r r a i s en songean t à ce m u e t l angage ,

J ' a i senti le vent froid, l ' h u m i d e vent des m e r s ,

P r è s des m a i g r e s g e n ê t s , les a lgues de la p l age .

E t tou jours é t o n n é , j ' a i suivi le c h e m i n

Des a n s sans me lasser , et t r ouvan t la mervei l le

Nouve l l e h i e r , p lus g r a n d e encore au l e n d e m a i n ,

E t des sons répétés p l u s d o u x à m o n ore i l le .

Q u o i , n ' e s t - i l pas de m o t s , n ' y a - t - i l a u c u n a r t

P o u r vous c réa t ions ? L ' E s p r i t peu t vous e n t e n d r e ,

Il est par vous , il est de vous , ma i s le regard

Ressen t vo t re h a r m o n i e et ne peu t la c o m p r e n d r e .

Apologie

L o n g t e m p s j ' a i méd i t é devan t vous , a t t e n d a n t

Que. la paro le v in t , r ap ide , impé r i euse ,

Q u e j e pusse enfin voir g r a n d i r un j o u r a r d e n t ,

E t sent i r me b rû le r la f l amme g lo r i euse .

J ' a i voulu vous sonder , mais m o n œil effaré

S'est p e r d u , n o y é d a n s la lumiè re aveug lan te

Du g r a n d tout i m m o b i l e , et, faible, j ' a i p leuré

Vo t re beauté sans n o m et ma ly re i m p u i s s a n t e .

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Les voyageurs . 5

Le dépar t 7

L'arrivée 9

Les chasses 1 1

Fantaisie du soir 16

L'orignal

Le camp '. a3

Retour a6

Pluie 28

Le lac Mirai 3o

lolanté 33

L 'outarde 36

L'appel des bois 39

La rivière 4i

Croyance 43

Bivouac de Novembre 45

L 'Ermi te 48

Remords 5o

Shawinigane 5a

126 Chants des Forêts

Nuits d 'Au tomne §1

Tempête ° i

Souvenirs " 3

Le portage " u

Les esprits de la chute u »

Le pin 7*

Le lac et la montagne 7 °

Les nuages 79

Fin d'étape 8 1

Le canot d'ccorce 0 0

Dans la nui t 80

Vir 8 9

Poin t du j o u r 9 2

Sur la colline • 9&

Les feu i abandonnés 9 °

Aux Laurent idcs 9^

Fra îcheur 1 0 1

Les loups 1 0 4

La source 1 0 8

La voix des montagnes 1 1 3

Les fils des hommes 1 *"

Avant le départ 1 ' 9

l a p . J O U ' B HT c", 15, RUB R A C I N E , PARIS — 4049-19